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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session extraordinaire de 2004-2005 - 2ème jour de séance, 4ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 5 JUILLET 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      MOTION DE CENSURE 2

      HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
      DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI (suite) 19

La séance est ouverte à quinze heures.

MOTION DE CENSURE

L'ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution par MM. Jean-Marc Ayrault, François Hollande et 142 membres de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Marc Ayrault - « L'emploi sur ordonnance » : dans la série d'erreurs que votre majorité commet depuis trois ans dans la lutte contre le chômage, il manquait cette trouvaille : décréter le travail. Delize l'a compris qui, dans France Soir fait de vous cette caricature - je vous l'ai remise et vous en avez même souri -...

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Je vous remercie.

M. Jean-Marc Ayrault - ...où, ministre de l'Ancien régime, vous signez l'ordonnance ainsi rédigée : « Ordonnons par la présente au peuple qu'il travaille », puis dites à votre chambellan :...

M. Jean-Pierre Brard - Sarkozy ?

M. Jean-Marc Ayrault - ...« Vous irez porter cela aux populations et donnerez une copie au Parlement ». Molière n'eût pas dit mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Voilà à quoi notre Assemblée est réduite : accuser réception de vos décrets, courber l'échine devant l'exécutif. Cela fait trois ans que cela dure, et cela seul suffirait à justifier la censure.

D'autres gouvernements ont recouru aux ordonnances, direz-vous.

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault - Certes, et il en fut de glorieuses : les ordonnances de 1945 qui ont instauré la sécurité sociale, les comités d'entreprise, la protection de l'enfance. Mais ces textes ont fondé notre système social ; vous lui donnez un coup de rabot en catimini au cœur de l'été ! L'emploi valait mieux que ce débat tronqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Votre majorité a elle-même inscrit dans la loi Fillon l'obligation de négocier avec les partenaires sociaux toute modification du code du travail. Or, pour votre plan emploi, les propositions des syndicats ont été royalement ignorées.

Votre excuse est à chaque fois la même : l'urgence, l'impératif de l'action, l'obligation de résultats, le pragmatisme. Que veut dire l'urgence quand le chômage de masse gangrène le tissu social depuis des années ?

M. Francis Delattre - Vingt ans !

M. Jean-Marc Ayrault - Que votre prédécesseur n'a rien fait, que les appels présidentiels à la mobilisation n'étaient que mots creux.

Que veut dire l'impératif de l'action quand votre ordonnance continue de charcuter le code du travail sans traiter les causes de la maladie qui sont l'atonie de la croissance, la désindustrialisation, la perte de confiance ? Tous les paramètres sont dans le rouge : les déficits, l'endettement, l'investissement, le commerce extérieur, le pouvoir d'achat. Avec une augmentation de 8 milliards la semaine dernière, le déficit de la sécurité sociale atteint 20 milliards. C'est un palmarès unique en son genre depuis la guerre. Le ministre des finances le constate dans un accès de franchise. Et que fait-il ? Il poursuit la cure d'austérité et taille dans les crédits d'investissement. Dans votre budget 2006, vous ne disposez que de 5 milliards pour mettre en œuvre vos priorités.

Que veut dire l'obligation de résultats quand vous reprenez les instruments éculés de votre prédécesseur qui ont fabriqué 230 000 chômeurs supplémentaires, détruit plus d'emplois qu'ils n'en ont créé, conduit un jeune sur quatre au chômage, accru la précarité avec 70% des embauches en CDD ?

Que veut dire le pragmatisme quand la remise en cause des seuils sociaux va priver des milliers de salariés de représentation syndicale et réduire le versement pour les transports public locaux ? Quand l'allocation logement est supprimée en dessous de 24 euros ?

Plusieurs députés socialistes - C'est scandaleux !

M. Jean-Marc Ayrault - Quand les familles sont spoliées d'un milliard dans le projet de convention entre l'Etat et la CNAF, que des chantiers de transports publics s'arrêtent parce le Gouvernement ne verse pas son dû aux collectivités locales ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le Premier ministre, votre pari des « cents jours » apparaît déjà perdu. Ni le travail, ni la confiance ne se décrètent par ordonnance. La France est en état de crise globale.

Où est le sursaut ? Où est le redressement ? On nous promettait la bravoure du général Hoche, nous héritons des pantoufles du général Gamelin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Au séisme du 29 mai, vous répondez par la continuité. A « la gestion de bon père de famille », succède la gouvernance de précaution. Vous redistribuez les portefeuilles, mais vous gardez les mêmes hommes et femmes. Vous rabotez les aspérités mais vous conservez les mêmes projets.

C'est la politique du karscher, rendue tristement célèbre par votre ministre de l'intérieur, qui consiste à nettoyer en surface ce qui n'est pas présentable en profondeur. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) A l'abandon des baisses d'impôts pour les plus favorisés succède discrètement l'augmentation des prélèvements pour tous les autres. L'entrée en vigueur de la réforme du médecin traitant masque l'explosion des inégalités tarifaires et des déremboursements. La loi d'orientation de l'éducation nationale est délestée de quelques décrets mineurs pour mieux faire oublier l'austérité de la carte scolaire.

M. Christian Bataille - Très bien.

M. Jean-Marc Ayrault - M. Clément tempère la loi Perben 2 pour mieux céder à M. Sarkozy une loi de circonstance contre la récidive. Or le code pénal offre tous les instruments pour punir sévèrement les récidivistes. La grande carence de la justice, c'est la faiblesse du suivi des détenus à leur sortie. Ajouter des lois à des lois, sous le coup de l'émotion, ne sert à rien quand l'autorité judiciaire est incapable de les appliquer compte tenu de la faiblesse de ses moyens. Avant d'en créer de nouvelles, commençons par respecter celles qui existent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Voilà pourquoi l'exploitation du drame de La Courneuve par le ministre de l'intérieur est indigne. L'insécurité dans les cités n'est pas nouvelle. Qu'a-t-il fait pour la traiter ?

Plusieurs députés UMP - Et Vaillant ?

M. Jean-Marc Ayrault - Depuis trois ans qu'il est au pouvoir, les violences sur les personnes ont continué de progresser, la ségrégation des cités n'a pas reculé. Avec ses déclarations tonitruantes, ses idées à l'emporte-pièce, ses opérations coup de poing aussi spectaculaires que passagères, M. Sarkozy n'a fait que balayer la poussière sous le tapis. Ce matin encore, on apprenait qu'il avait oublié de faire rédiger les décrets d'application sur le contrôle des ventes d'armes ! Son efficacité tant à Bercy qu'à l'Intérieur est des plus contestables. M. Sarkozy dit parler comme le peuple, mais quand le peuple a la parole, il le sanctionne avec toute l'UMP ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Car pour le peuple, Chirac, Villepin, Sarkozy, c'est la même politique, c'est le même échec. C'est donc la même censure de la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le Premier ministre, les qualités personnelles ne sont pas en cause. Je ne doute pas de votre courage, de votre volonté de conjurer cette spirale du déclin. Votre drame est d'être à la tête d'un gouvernement de fin de règne qui n'a ni assise politique, ni confiance populaire pour impulser une transformation en profondeur. Il est d'être le délégué d'un Président versatile et inconséquent qui a, depuis dix ans, tout promis et bien peu tenu.

Durant sa mandature, la France est passée d'une crise de confiance à une crise de régime. Tout ce qui fait la force et la grandeur de notre modèle républicain, l'Etat, les services publics, les institutions, la protection sociale, l'intégration, ont été fragilisés. Certes, il serait absurde d'en imputer tout le poids à un homme seul.

Notre nation fait face aux chocs de la mondialisation, à l'insécurité sociale. C'est collectivement que la France peine à y répondre. Je ne doute pas qu'elle en ait les capacités et la volonté. Encore faut-il avoir le courage de lui dire la vérité sur la situation du pays, lui proposer un contrat clair et équitable où les efforts et les gains sont justement répartis. Si la France doute, si elle a la tentation du repli sur elle-même, c'est qu'elle voit que les valeurs d'égalité, de solidarité, de justice ont de moins en moins de réalité.

Là est la faillite du chef de l'Etat. Jamais il n'a dit l'ampleur des bouleversements ni su tracer de perspectives claires. Ses discours sur la fracture sociale, sur la défense du modèle social français, sont en permanence contredits par la mise en œuvre d'une politique, jamais assumée, de dérégulation et de mise en cause des acquis sociaux. Sa gestion clanique et clientéliste de l'Etat, son refus de répondre de ses actes et de ses échecs autrement que devant lui-même, sapent toute idée de responsabilité politique. Comment alors s'étonner de la désespérance civique de nos concitoyens : la présidence Chirac, c'est la présidence du déclin. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Alors oui ! La France a besoin d'une refondation républicaine. Elle passe par une politique de croissance et d'emploi sans laquelle il n'y a pas de progrès possible. La répartition de la richesse produite est devenue un non-sens tant elle favorise l'actionnaire au détriment du salaire et de l'investissement.

Si urgence il y a, elle est là. Relancer le pouvoir d'achat, dont le niveau par tête a baissé depuis 2002. Doubler la prime pour l'emploi. Donner la possibilité aux chômeurs de cumuler une partie de leurs allocations et un salaire pour favoriser des emplois passerelles. Refonder tout notre système fiscal pour favoriser le travail plutôt que l'épargne, l'investissement plutôt que la concentration. Conditionner les exonérations de cotisations sociales aux embauches. Fusionner les dispositifs multiples d'emplois aidés en un contrat de réinsertion unique. Là où vous vous obstinez à précariser le travail, nous proposons de le revaloriser. Là où vous persistez à faire travailler plus longtemps, nous voulons « travailler plus nombreux ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

C'est le fondement d'un nouveau contrat social. Rarement la France a été aussi fragmentée. Corporatismes, communautarismes et individualisme divisent la communauté nationale. Comment rétablir un projet collectif quand les plus démunis sont sans cesse culpabilisés, accusés d'abus ou d'avantages indus ? Quand chaque projet devient l'occasion d'opposer les Français entre eux : France d'en bas contre France d'en haut, salariés du privé contre fonctionnaires, entreprises contre services publics ?

Aucune grande réforme de notre système social ne réussira sans un compromis historique entre l'Etat, les partenaires sociaux et les citoyens. Oui, on peut améliorer le code du travail et donner plus de souplesses aux entreprises, mais à la condition qu'en retour les salariés disposent de nouvelles protections. C'est le sens de notre projet d'une sécurité sociale professionnelle, qui donnerait des droits continus aux salariés en matière d'emploi, de formation et de reclassement en échange d'une meilleure mobilité. C'est l'objectif que nous fixons au renforcement de la représentation syndicale dans l'entreprise, car la France ne changera pas sans l'adhésion du monde du travail.

La troisième étape de cette refondation républicaine, c'est la réhabilitation de l'Etat. Jamais, Monsieur le Premier ministre, vous n'avez autant parlé de son autorité. Jamais vous ne l'avez autant écornée. L'Etat est devenu un mendiant perclus de dettes et de déficits. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Sa réforme se résume aux contraintes de l'Etat minimum : vendre les entreprises publiques, diminuer les effectifs de fonctionnaires, se délester des politiques publiques sur les collectivités locales.

Cette impuissance de l'Etat est au cœur de notre crise de régime. Toute rénovation du pays commencera par une claire définition de l'action publique. La décentralisation était l'occasion de cette mise à jour. Vous en avez fait une simple décharge de vos déficits. Il faudra reprendre le chantier avec une vision : transformer l'Etat infirmier, qui soigne dans l'urgence, en un Etat garant de l'égalité, en un Etat ingénieur qui crée, impulse, délègue. Alors, on pourra négocier sur des bases saines son périmètre, ses effectifs, ses moyens.

De la même manière il est temps de sortir du conservatisme institutionnel qui caractérise votre pensée et celle de vos amis. L'avenir de l'architecture autoritaire et centralisée de la VRépublique est clairement posé. La concentration des pouvoirs dans les mains d'un homme seul, l'écrasement de tous les contre-pouvoirs ont fossilisé la vie politique et découragé les citoyens. Oui, le temps est venu d'un nouvel équilibre qui promeuve une véritable démocratie sociale et participative.

Cette refondation républicaine doit accompagner le changement de l'Europe. Vous tentez de répondre au double échec du référendum et du sommet de Bruxelles par la mise en œuvre d'une Europe de projets. Je ne saurais vous en faire grief. A plusieurs reprises, j'ai moi-même souligné les limites d'une intégration institutionnelle à 25 et la nécessité de reconnecter notre peuple à l'Europe par des réalisations concrètes. J'aurais aimé à cet égard que vous souligniez avec plus de force combien la solidarité sans faille de l'Europe avait été déterminante pour obtenir l'installation du réacteur Iter à Cadarache. Elle prouve que la paralysie de l'Union n'est pas fatale. La constitution d'un gouvernement économique de la zone euro, la mise en place de programmes de recherche et d'industrie, l'avancée de coopérations civiles et militaires peuvent constituer des leviers pour sortir de l'ornière.

Mais la contradiction devient insoluble quand dans le même temps vous refusez d'ouvrir toute discussion sur l'augmentation du budget européen et sur la redéfinition de ses priorités financières. Comment pouvez-vous faire croire que des projets d'une telle envergure puissent voir le jour sans un effort financier de l'Europe ? Comment pouvez-vous penser que la France va entraîner ses partenaires en continuant d'opposer son veto à toute remise à plat des politiques communes ? Le référendum l'a rappelé cruellement. Si l'Europe veut retrouver l'adhésion de ses peuples, elle doit changer en répondant aux défis de son temps et notamment de la mondialisation. Sans quoi il n'y aura pas d'Europe politique et peut être plus d'Europe du tout.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit votre « honneur de travailler dans la direction fixée par le Président de la République ». J'y vois la belle expression d'une fidélité. J'y perçois hélas aussi l'aveuglement d'un régime en perdition, qui entraîne le pays dans sa chute. « II y a dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France ». Cette sentence de Chateaubriand sur la chute de Napoléon s'applique presque mot à mot au crépuscule de cette décennie Chirac. Je l'ai retrouvée, Monsieur le Premier ministre, dans la conclusion de votre livre « les Cents jours ou l'esprit de sacrifice ».

La cohérence politique eût voulu que cette motion de censure s'exerce à l'encontre du Président de la République, mais la Constitution n'autorise pas une telle procédure. En conséquence, Monsieur le Premier ministre, nous n'avons d'autre choix que de demander à l'Assemblée de censurer votre gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Morin - « Les Français ont voulu exprimer un triple message. Message de mécontentement face à l'inaction et à l'impuissance publique. Message de rejet du système politique traditionnel, d'une manière trop lointaine de faire de la politique. Message de désarroi. Ce désarroi a bien des causes. Doute sur la capacité de l'Etat à résoudre les graves problèmes qui se posent à la société française : la violence, le chômage, l'affaiblissement du lien social. Doute sur les marges de manœuvre du politique, dans un contexte européen et mondialisé. Sentiment qu'éprouvent beaucoup de nos compatriotes et notamment beaucoup de jeunes, d'être abandonnés à leurs difficultés, d'être les oubliés du progrès. Appréhension face aux changements. »

Monsieur le Premier ministre, vous avez certainement reconnu ce court passage d'un discours prononcé à Rennes le 23 avril 2002, par le Président de la République. Ce constat plein d'acuité et de lucidité reste malheureusement, trois ans plus tard, totalement d'actualité. Personne ici ne pourrait en effet prétendre que quelque chose a profondément changé dans la société française.

Pire, notre pays connaît une profonde dépression. Pour la première fois depuis longtemps, le progrès scientifique et technique n'apparaît plus comme garant du progrès social. Les Français doutent de leur avenir individuel ou collectif. Il ne s'agit pas seulement de ceux qui ont voté non, de ceux qui sont exclus du progrès depuis vingt ans, de ceux qui vivent au rythme des restructurations et des plans de licenciement, de ceux qui, jeunes des banlieues ou habitants de zones rurales, ont le sentiment d'être abandonnés à leur sort...

Il s'agit aussi de nos compatriotes qui ont voté oui, soit qu'ils croient en l'Europe, soit qu'ils sachent qu'une civilisation qui se referme sur elle-même est une civilisation vouée au déclin et à la disparition. Au-delà des causes liées à la construction européenne, le vote du 29 mai sur la Constitution a été l'expression du désarroi de certains en même temps qu'un catalyseur de l'inquiétude ressentie par tous ; et les Français que l'économie épargne sont désormais renvoyés à de nouvelles interrogations sur la capacité du pays à se ressaisir et à retrouver son esprit de conquête.

Cette vraie déprime collective résulte aussi d'un contexte économique et social qui depuis vingt ans n'a cessé de se dégrader. Avec plus de 2% de croissance, la France a créé très peu d'emplois en 2004 ; elle en aurait même détruit au cours du premier trimestre 2005. La balance des paiements courants est dans le rouge, alors que les Allemands collectionnent des excédents à un niveau record, ce qui révèle la perte de compétitivité de l'économie française et une mauvaise spécialisation. La dette de l'Etat est abyssale et toutes les branches de la sécu sont dans le rouge. D'ailleurs, si les choses avaient vraiment changé depuis trois ans, Monsieur le Premier ministre, vous-même n'auriez pas eu les mots qui ont été les vôtres depuis un mois. La référence aux cent jours suffit à prouver que la maison brûle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

En moins d'un mois, non seulement vous avez déclaré aux Français que tout n'avait pas été tenté pour lutter contre le chômage alors qu'il s'agissait de la priorité du gouvernement précèdent, mais vous avez encore affirmé nous en étions « à l'an I de la réforme de l'Etat », alors que pour le gouvernement de M. Raffarin, la décentralisation était « la mère des réformes ». Enfin, notre ministre de l'économie s'inquiétait la semaine dernière du déficit exponentiel de l'Etat, critiquant ainsi implicitement la gestion précédente.

Je souhaite sincèrement, Monsieur le Premier ministre, que vous réussissiez, mais je suis pessimiste, car seule une politique de rupture absolue, reposant sur un nouveau pacte avec les Français et donc passant par le suffrage universel, permettra à un gouvernement d'engager les réformes structurelles indispensables.

Et pour conduire cette politique, il faudra des institutions nouvelles, car c'est tout le système qui est en crise, comme en témoigne le vote insurrectionnel du 29 mai dernier. Notre démocratie est profondément malade. Permettez-moi de vous rappeler qu'à la dernière élection présidentielle, 14 millions d'électeurs n'ont pas jugé bon de se déplacer ou ont voté blanc, tandis que 9 millions ont voté pour les extrêmes. Près de 60% des électeurs ont ainsi, par un moyen ou par un autre, exprimé leur mécontentement.

La Ve République est à bout de souffle. La cohabitation et l'irresponsabilité politique du Président ont contribué à dénaturer nos institutions. S'il est vrai que ce régime créait les conditions d'un déséquilibre des pouvoirs, la responsabilité du Président de la République devant le peuple au moment des élections législatives ou d'un référendum rééquilibrait les choses.

D'autre part, le quinquennat sec - et je suis heureux d'avoir fait partie des quelques parlementaires qui se sont opposés à cette réforme - est source de déséquilibre absolu.

L'élection des députés quelques semaines après l'élection présidentielle devient une élection seconde, subordonnée. Le Parlement n'a plus de légitimité propre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La majorité présidentielle et la majorité parlementaire se confondent, réduisant de facto la place et l'autorité du Premier ministre, et surtout le quinquennat sec transforme le Parlement en un bras mécanisé de l'exécutif.

Dès lors, l'irresponsabilité politique se conjugue avec une confusion des pouvoirs qui crée les conditions d'une société de défiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF), et rend très difficiles les réformes structurelles.

Que ce soit une Ve République rénovée ou une Vle République, il nous faudra de nouvelles institutions. La démocratie, ce n'est pas seulement l'élection des dirigeants au suffrage universel, c'est aussi un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs capable de redonner à nos compatriotes confiance dans le système politique, en obligeant l'exécutif au débat, à la pédagogie vis-à-vis des Français.

Or le Parlement est en crise, puisqu'il se retrouve incapable de remplir convenablement ses trois fonctions. Tout d'abord, notre Assemblée représente de moins en moins bien le pays ; de la gauche à la droite, nous ne représentons que 45% du premier tour de l'élection présidentielle, aussi avons-nous besoin d'un nouveau mode de scrutin, proportionnel, permettant à tous, de l'extrême gauche à l'extrême droite, d'être présents comme au Parlement européen.

Par ailleurs, le Parlement s'est vu déposséder de sa fonction législative. Les lois ont été multipliées au point de devenir inutiles, mais aussi dénaturées en instruments de la politique spectacle. Le président du Conseil constitutionnel déclarait le 3 janvier dernier : « La loi n'est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des vœux ou dessiner l'état idéal du monde... La loi ne doit pas être un rite incantatoire... Pour s'en tenir au rôle qui est le sien, tout son rôle et rien que son rôle, le législateur doit apprendre à résister à la « demande de loi », s'interdire de faire de la loi un instrument de communication ».

En vingt ans, le code du travail a triplé de volume : croyez-vous que cela ait permis de mieux protéger les travailleurs ?

Pendant ces trois dernières années, en dépit des efforts de notre Président, l'Assemblée nationale s'est vu interdire de débattre et de voter sur des sujets aussi importants que les limites de l'Europe. C'est pourquoi une partie de l'ordre du jour doit à l'avenir appartenir au Parlement.

Et que dire de la litanie des lois émotives, censées régler des difficultés qu'elles ne règlent jamais ! La Marseillaise est sifflée dans un stade de football, aussitôt on crée un délit d'outrage à l'hymne national. Des feux de forêt sont allumés par des pyromanes, aussitôt on aggrave les sanctions pénales à leur encontre. Des récidivistes dangereux sont arrêtés, aussitôt on renforce les sanctions, plutôt que de réfléchir à une nouvelle politique pénitentiaire.

Que dire encore des lois encombrées de dispositions réglementaires, comme s'il fallait masquer l'impuissance de l'action publique par l'accroissement du volume des textes.

Enfin, le Parlement s'est interdit d'exercer sa fonction de contrôle, à l'exception de la commission d'enquête sur Air Lib, du rapport Warsmann sur l'application de la loi Perben II et surtout de la mission d'information sur la laïcité. En vérité, nous refusons d'exercer les pouvoirs que nous détenons, soumis que nous sommes à la chape de plomb du fait majoritaire et au parlementarisme trop rationalisé. Preuve en est ce débat sur les ordonnances. Pour quelques semaines, le Parlement s'interdit d'exprimer son avis sur une question aussi essentielle que les relations sociales.

Au-delà des institutions, c'est la pratique du pouvoir qui doit être réformée, afin de restaurer l'impartialité de l'Etat.

Depuis 1981, après chaque grande élection, on assiste à une valse des postes : préfets, diplomates, directeurs d'établissements publics, recteurs... doivent avoir pour talent essentiel d'être des fidèles du pouvoir. Les entreprises des amis sont rachetées par des groupes nationalisés. Si seulement ces pratiques étaient gage d'efficacité de l'action publique, elles seraient presque pardonnables. On est bien loin du temps de la Ille République ou des premières décennies de la Ve, où tout nouveau gouvernement ne procédait qu'à un seul changement de directeur d'administration centrale - celui du Trésor.

Le système public se doit d'être irréprochable, donc impartial.

La démocratie, disait Pierre Mendès-France, ce n'est pas seulement une forme politique, c'est une forme de société, c'est un système de valeurs. Pour ces raisons, il conviendrait d'introduire une procédure de hearings devant le Parlement avant toutes les nominations aux postes à haute responsabilité dans la fonction publique, à l'exception de l'armée. Ce sont les meilleurs, ceux qui ont un projet, qui doivent être nommés, et non les amis du pouvoir.

Les nominations et les promotions des magistrats du parquet doivent s'effectuer sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et non à la discrétion du pouvoir exécutif.

L'avis conforme du Parlement devrait être obligatoire pour toutes les nominations aux autorités administratives indépendantes et autres organismes qui régissent ou organisent des pans entiers de la vie de notre collectivité. C'est le système qui existe aux Etats-Unis, où le Parlement dispose d'un droit de veto.

Finalement, notre système politique est celui d'un autre temps. Aujourd'hui, les organisations dans la société civile, et notamment dans les entreprises, sont horizontales, et reposent sur le partage des responsabilités. La fameuse bonne gouvernance ne doit pas être réservée aux autres.

Le débat d'aujourd'hui, quatre semaines après un vote de confiance, est caricatural et n'est que l'épiphénomène d'une crise plus grave du système politique.

Plutôt que de m'attarder sur le sujet des ordonnances, déjà longuement évoqué par Pierre Albertini, je voudrais aborder la question de l'égalité des chances.

Monsieur le Premier ministre, vous avez proposé au Président de la République de nommer un ministre de l'égalité des chances, et vous avez indiqué quelques pistes dans votre déclaration de politique générale. C'est un bon signe, mais il ne faudrait surtout pas s'arrêter là.

L'égalité des chances, la promotion sociale, la relance de l'ascenseur social sont des formules dont nous nous repaissons dans nos discours, sans que rien de vraiment significatif soit mis en œuvre. Et pourtant, les oubliés de l'égalité des chances sont de plus en plus nombreux. Depuis trente ans, une partie de nos compatriotes n'a plus sa place dans la société française.

Les inégalités se sont enracinées dans la société avec une profondeur que peu de gens soupçonnent. La ségrégation ne se limite pas à quelques centaines de quartiers difficiles, elle concerne tout la société. Les ouvriers fuient les chômeurs immigrés, les familles favorisées fuient les classes moyennes, les classes moyennes esquivent les professions intermédiaires... Il faut aujourd'hui rompre avec une politique qui a échoué. Il faut diriger les actions vers les individus et non pas vers les territoires, en donnant davantage aux enfants et aux adolescents les plus dépourvus de ressources familiales. Appliquer des politiques égales à des situations inégales aggrave les inégalités.

Jamais nos grandes écoles n'ont aussi peu scolarisé d'enfants issus des milieux modestes, qu'ils s'appellent Dupont, Durand ou Belarbi. Seulement 5% des élèves de classes prépas sont fils d'ouvriers : ils sont huit fois moins nombreux que les fils de cadres. Cette ghettoïsation gangrène notre société et fait autant de ravage que le chômage de masse : quand l'appartenance nationale s'estompe, le repli communautaire s'accroît. Des solutions pourraient être rapidement trouvées, sans quotas, sans référence ethnique : il s'agirait par exemple de généraliser le système ESSEC qui permet d'accompagner les meilleurs élèves volontaires des lycées de ZEP pendant trois ans afin qu'ils puissent accéder aux classes préparatoires - cette mesure, étendue à 5% d'une classe d'âge, représenterait un effort de 240 millions, ce qui est peu par rapport au plan pour les banlieues ; il s'agirait également de donner aux meilleurs élèves de tous les lycées, qu'ils soient parisiens ou provinciaux, le droit d'accéder aux meilleures classes préparatoires, de développer un système de bourses plus favorable pour les enfants issus des milieux les plus modestes, de créer des internats offrant aux jeunes un cadre plus propice aux études - sait-on qu'il existe très peu de places d'internat pour les filles dans les grands lycées ? Il conviendrait aussi de promouvoir l'égalité des chances dans l'entreprise. L'enquête du professeur Amadieu sur les CV est à ce propos accablante : le même CV adressé par un jeune parisien, blanc, âgé de 28 ans, a six fois plus de chances d'aboutir à un entretien d'embauche que lorsqu'il est adressé par un jeune dont le nom a une consonance maghrébine. Nombreux sont les pays occidentaux qui ont mis en place des procédures incitatives et des obligations afin que l'égalité des chances soit effective dans les grandes entreprises.

Le sociologue britannique Brinton a indiqué les sept critères signalant une situation prérévolutionnaire ou de crise grave : un climat de relative prospérité, de forts antagonismes de classes, des groupes sociaux s'appuyant sur des intellectuels qui contestent le système, des institutions dépassées et confisquées, des dirigeants qui perdent confiance dans les fondements de l'autorité, un gouvernement confronté à d'importantes difficultés et, enfin, une utilisation maladroite de la force. A l'exception de ce dernier critère, tout y est. Et pourtant, le long fleuve tranquille de la politique française continue de couler. Nous vivons une crise de régime car depuis trop longtemps, nous ne disons pas la vérité aux Français. Sans une pratique du pouvoir radicalement différente, la myopie collective dont nous souffrons et l'inefficacité de notre système de décision auront de graves conséquences. Nous assistons à l'épuisement du modèle qui a connu son apogée pendant les Trente Glorieuses. La Grande-Bretagne a montré qu'un pays pouvait passer d'une situation dramatique, comme c'était le cas à la fin des années 70, à...

M. Jean-Pierre Brard - La misère pour tous !

M. Hervé Morin - ...un système qui aujourd'hui fonctionne plutôt bien.

Nous devons nous aussi construire un nouveau modèle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jacques Brunhes - Le 28 février 2005, au Congrès de Versailles, 730 députés et sénateurs sur 892, soit 81,8% des votants, ont approuvé un texte constitutionnel pour l'Europe. Le 29 mai 2005, les Français ont rejeté ce même projet à 55%. Malgré l'impressionnante entreprise de propagande officielle, le déferlement médiatique et la culpabilisation des citoyens, le résultat est sans précédent. Monsieur le Premier ministre, quelles leçons avez-vous tirées de ce vote historique pour la construction européenne? Si l'on en juge par le fiasco du sommet de Bruxelles, aucune. Le « non » français est un retentissant appel à l'élaboration d'un autre projet européen, démocratique et solidaire. Or, cette option a été torpillée à Bruxelles, enfonçant ainsi un peu plus l'Europe dans la crise. Le Président de la République et le Gouvernement ont leur part de responsabilité dans cet échec. Fort du verdict populaire du 29 mai, vous auriez dû demander l'ouverture d'un nouveau chantier pour bâtir cette Europe de l'espérance, mais vous persistez dans le processus initial. C'est cet entêtement coupable dans la voie d'une Europe ultralibérale que nous censurons déjà.

Mais il y plus grave. Quelles leçons avez-vous tirées du 29 mai en matière de politique intérieure ? Aucune. Quelles leçons avez-vous tirées du choc politique du 21 avril 2002 et des 19,88% des suffrages exprimés que le Président de la République a obtenus au premier tour, le plus faible score pour un Président sortant ?

M. Richard Mallié - Quel score pour M. Hue ?

M. Jacques Brunhes - Aucune. Quelles leçons avez-vous tirées des mauvais résultats aux élections européennes, cantonales et régionales ? Aucune. Quel compte avez-vous tenu des manifestations de l'été 2003 et de celles du 10 mars dernier, alors que vous proclamiez dédaigneusement que ce n'est pas la rue qui gouverne ? Aucun. Alors que les Français vous adressent depuis des mois des signaux sans équivoque, vous poursuivez votre politique et c'est inacceptable. Le 5 décembre 1995 déjà, lors d'un débat de censure contre le gouvernement, je disais à M. Juppé que son attitude illustrait les propos de M. Michel Crozier dans Les Echos : « Les élites ne savent pas écouter parce qu'elles ont été formées à tout savoir, et donc, à ne pas écouter. » C'est encore vrai aujourd'hui.

L'immobilisme, la fracture sociale, c'est vous ! 3,5 millions de nos concitoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté ; 4,7 millions dépendent de la CMU, 1,2 million sont érémistes ; le chômage atteint 10,2% de la population active ; un chômeur sur deux n'est pas indemnisé ; près de trois quart des embauches se font en CDD.

L'accroissement des inégalités, c'est vous ! Pendant que chômage, pauvreté, précarité augmentent, une insolente richesse s'étale à l'autre bout de l'échelle sociale : selon M. Thierry Breton, la situation financière des entreprises françaises a rarement été aussi bonne. Les dividendes explosent, et 12 des 40 sociétés françaises cotées au CAC 40 annoncent 32 milliards de bénéfices nets. Le pouvoir d'achat des salariés, lui, stagne quand il ne baisse pas. Il est amputé par des hausses incessantes : loyers, eau, gazole, super, fioul domestique, gaz.

La dérégulation des services publics, c'est vous ! Elle s'accélère dans des secteurs aussi importants que les postes et les télécommunications, le transport ferroviaire, l'énergie. Seule prévaut la logique des intérêts économiques et financiers au détriment de l'intérêt général et de la cohésion sociale.

Le démantèlement des acquis sociaux, c'est vous ! Depuis trois ans la droite n'a eu de cesse de remettre en cause les 35 heures ; elle a également suspendu des articles de la loi de modernisation sociale, attaqué la sécurité sociale, porté atteinte au système des retraites, supprimé un jour férié.

La politique insensée de baisse de l'impôt et de l'ISF, c'est vous ! Les budgets sociaux ont ainsi été considérablement affaiblis et des secteurs d'avenir comme l'éducation, la recherche, l'industrie sont en péril. Aujourd'hui, votre ministre de l'économie proclame que la France vit au dessus de ses moyens, mais si les caisses de l'Etat sont vides, à qui la faute ?

Plusieurs députés UMP - Au MEDEF ! (Sourires)

M. Jacques Brunhes - 20% des recettes de l'Etat sont englouties dans les cadeaux fiscaux sans qu'il y ait la moindre contrepartie en termes d'emplois, d'investissements productifs ou de formation. Aujourd'hui, votre ministre de l'économie affirme que les Français ne travaillent pas assez mais depuis trois ans, c'est votre politique de l'emploi qui est responsable de l'accroissement du nombre de chômeurs. Vous supprimez les postes de fonctionnaires - 5 000 cette année, 7 000 l'an dernier ; vous démantelez les contrats-jeunes et multipliez les emplois précaires. Vous vous entêtez à fonder vos divers plans pour l'emploi sur l'allégement des cotisations sociales patronales. Ces allégements ont été multipliés par vingt en vingt ans, et leur résultat sur l'emploi est quasi nul - ou, pour reprendre la formule de la Cour des comptes, « d'effet très incertain ». De nombreux économistes en contestent l'utilité, et vous vous obstinez à poursuivre dans la même voie ! Votre plan emploi est fondé sur les mêmes recettes, aggravées par une attaque en règle contre le code du travail ! Aux nouveaux allégements de cotisations sociales patronales, vous ajoutez d'autres cadeaux réclamés par le MEDEF, comme le contrat à durée déterminée de deux ans et le lissage des seuils, que nous avons dénoncés avec force la semaine dernière.

Pour les salariés, l'explosion du code du travail et la précarisation poussée ; pour le patronat, les cadeaux fiscaux, sans aucune contrepartie en termes d'embauche durable ou d'augmentation des salaires. Qui plus est, vous avez établi et annoncé votre plan sans concertation préalable avec les syndicats.

S'agissant du pouvoir d'achat, que propose le Gouvernement pour répondre aux difficultés de la plupart des ménages ? L'augmentation de 5% pour la moitié des salariés payés au SMIC n'est qu'un rattrapage, l'autre moitié n'ayant droit qu'à une infime hausse de 1,6%. La part des salaires dans la richesse nationale ne cesse de diminuer, tandis que celle des profits augmente d'autant. Vous n'avez rien annoncé pour modifier cette situation, pas plus que pour augmenter les retraites, les pensions ou les minima sociaux. Vous poursuivez dans la voie de la déréglementation et du bradage des services publics : ouverture du capital de Gaz de France, cession d'une partie de ses actions France Télécom par l'Etat, privatisation des autoroutes, ouverture à la concurrence du fret ferroviaire... Les politiques monétaristes mènent pourtant toutes, en France comme ailleurs, aux mêmes conséquences : chômage, paupérisme, détérioration des services publics, bradage du potentiel économique, chute de la production et du revenu national, déséquilibre des paiements. Voilà pourquoi vous ne réussirez ni en cent jours, ni même en mille !

« Le peuple est devenu l'oublié d'une démocratie du simulacre et de l'apparence : voilà la cause du mal français », écrivait le candidat Jacques Chirac. La démocratie du simulacre et de l'apparence, n'est-ce pas d'abord l'abandon des promesses du Président de la République et de ses gouvernements ? « Dès lors que tu dois gérer les affaires de la République comme il faut, ce qu'il est nécessaire que tu donnes à nos concitoyens, c'est la vertu », disait Socrate. Et la vertu, en politique, c'est d'abord de tenir les engagements pris devant les mandants et devant les citoyens ! Or, aucune de vos promesses - je dis bien aucune - n'a été suivie d'effet. Oui, démocratie du simulacre et de l'apparence : d'une crise des institutions, nous passons aujourd'hui à une crise du système politique, à une véritable crise de régime.

Le recours aux ordonnances n'en est qu'un témoignage de plus. Vous avez opté pour l'autoritarisme, pour une pratique qui traduit un profond mépris de l'institution parlementaire. Vous dessaisissez le Parlement de son pouvoir législatif et aggravez le déséquilibre de nos institutions à son détriment. Vous tournez en dérision le principe de la séparation des pouvoirs consubstantiel à toute démocratie.

Les ordonnances, que mon groupe condamne dans leur principe, ont été érigées en pratique de gouvernance depuis 2002, au mépris du sens même de l'article 38 de la Constitution. Les deux lois d'habilitation de 2003 et 2004, emblématiques de cette dérive avec 29 articles pour la première et 100 articles comportant 200 mesures pour la seconde - un record ! - symbolisent la négation même du pouvoir législatif.

Votre projet de loi d'habilitation est un nouveau pas vers cette confiscation de la démocratie que l'urgence ne saurait justifier alors que vous êtes au pouvoir depuis trois ans. C'est par ordonnance que vous allez casser notre code du travail, saper les fondements de notre droit social ! L'autoritarisme, c'est vous ! Vous nous avez demandé un chèque en blanc, et vous allez l'obtenir grâce à l'écrasante majorité dont vous disposez. Avec vous, comme le dit Alain Duhamel, le Parlement, c'est comme sous Bonaparte le corps législatif et le tribunat, c'est-à-dire qu'il vote sans discuter, ou discute sans voter, mais il est toujours là à regarder les trains passer. »

Cette humiliation du Parlement n'est qu'un des facteurs de la profonde crise de nos institutions. Ce hiatus entre le peuple et votre politique pose en effet la question fondamentale de cette monarchie présidentielle que nous subissons. Le fossé entre le pays et la France officielle témoigne de manière inquiétante de la fragilité de nos institutions et fait courir des risques graves à la démocratie. Il souligne le danger de toutes les tentatives des dernières années en faveur de la bipolarisation de la vie politique autour des seuls partis en situation de faire élire leur candidat à la présidence de la République.

Le référendum a également mis en évidence la présidentialisation croissante du régime, dont la dérive est particulièrement notable depuis le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Cette logique ne peut perdurer. Le Président de la République, qui s'est résolument engagé dans la campagne électorale, a été désavoué par le peuple. Bref, comme le dit le constitutionnaliste Didier Maus, on « arrive presque au bout du système ».

Oui, ce régime est à bout de souffle. Il nous appartiendra, avec les citoyens de notre pays, d'ouvrir la voie à une nécessaire et urgente VIe République. Monsieur le Premier ministre, le peuple français, dans un formidable sursaut démocratique, vous a signifié son rejet de vos choix sociopolitiques, économiques et européens. En censurant votre gouvernement, les députés communistes et républicains ont le sentiment d'être en phase avec le pays. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour contribuer à rassembler pour bâtir une autre politique, qui réponde aux défis de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Bernard Accoyer - En écoutant le président du groupe socialiste, je me posais la question : pourquoi cette motion de censure fourre-tout, alors que le Gouvernement prend à bras-le-corps les problèmes (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), et en particulier celui de l'emploi, première préoccupation des Français ? Rien, dans ce texte outrancier et caricatural, ne répond en effet aux attentes de nos compatriotes, qui réclament de leurs responsables politiques écoute, pragmatisme et efficacité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Trois ans !

M. Bernard Accoyer - Il faut donc en déduire que cette motion de censure n'est qu'un leurre, une motion de censure à usage interne, qui derrière des déclarations dogmatiques et péremptoires, cherche à masquer les profonds déchirements qui secouent le parti socialiste à la veille de son congrès. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Vouloir se refaire une santé politique n'est cependant pas une raison pour dire n'importe quoi. La violence et l'excès du texte sont à la mesure de la crise identitaire dans laquelle s'est enfermé le parti socialiste. S'il y a - comme le dit la motion de censure - crise, c'est bien de celle-là qu'il s'agit : la crise d'un parti socialiste divisé, déchiré, écartelé entre les « réformistes » et les « gauchistes », tels que les classe le dernier vade mecum de la rue de Solférino.

Qui incarne aujourd'hui la ligne du parti socialiste ? Quelle est cette ligne? Nul ne peut répondre à ces questions. Est-ce le premier secrétaire, désavoué dans les urnes, ou son ancien numéro deux, remercié à contretemps au lendemain du 29 mai ? Quant à la ligne, est-ce la ligne social-démocrate ? Est-ce la ligne social-libérale, dont les tenants d'hier sont devenus les camarades de l'extrême gauche et les porteurs d'eau des alter-mondialistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Il est des renoncements surprenants, que seuls peuvent expliquer les calculs politiques.

M. Jean-Marie Le Guen - Quelle finesse d'analyse politique !

M. Bernard Accoyer - Un congrès socialiste se gagnant à gauche, pour reprendre la formule de Guy Mollet, ce sont maintenant les prétendus « réformistes » du parti socialiste qui cèdent à la surenchère la plus démagogique. M. Ayrault vient de nous en donner publiquement la preuve.

La vérité est que votre incapacité à adopter une ligne politique claire, cohérente et responsable...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C'est vous qui êtes au pouvoir !

M. Bernard Accoyer - ...demeure une grave menace pour la France. Depuis trois ans, ce sont cette absence de ligne et ce désert d'idées qui vous ont poussés dans une « opposition frontale » qui condamne, par préjugé et sectarisme, tout ce qu'ont entrepris les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, sous l'autorité du chef de l'Etat, Jacques Chirac. Ces réformes structurelles, que le gouvernement Jospin savait indispensables, la gauche plurielle n'avait pourtant eu ni la volonté, ni le courage de les engager, portant ainsi un mauvais coup à notre pacte social.

Les incohérences des socialistes ont également porté un mauvais coup à l'Europe. Oui, c'est bien la gauche qui a mis l'Europe en panne - l'extrême gauche, par dogmatisme et idéologie, des hiérarques socialistes, par calcul politique, la direction du parti socialiste, par incapacité à entraîner la majorité de ses électeurs.

Instrumentaliser la crise que traverse l'Union européenne, après les « non » français et néerlandais, c'est jouer une nouvelle fois avec l'avenir de la France et celui de l'Europe, alors que nous devrions tous nous rassembler derrière le Gouvernement et le chef de l'Etat pour défendre les intérêts de la France et relancer la construction européenne.

Mme Martine Aurillac - Très bien !

M. Bernard Accoyer - Le parti socialiste n'est pas en état de gouverner la France, comme l'illustre le texte décousu et caricatural de cette motion de censure, tissu de contrevérités auxquelles je vais répondre point par point.

Sur la croissance, d'abord : le gouvernement Jospin nous a légué une croissance qui avait été divisée par quatre entre 2000 et 2002, gaspillant ses fruits, négligeant de conduire les réformes de structure indispensables à notre pays. En dépit des affirmations défaitistes des socialistes, le gouvernement Raffarin, lui, a porté la croissance à 2,3% l'année dernière et à 2% cette année. Une croissance supérieure à celle de la zone euro, alors qu'elle était inférieure à celle de nos partenaires européens pendant les années Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Cette conjoncture favorable a contribué à l'amélioration notable des finances publiques : le déficit public a diminué de 10 milliards en 2004. Pendant les années Jospin, la France avait réduit son déficit budgétaire deux fois moins vite que les autres pays de l'Union, malgré le niveau record atteint par les prélèvements obligatoires - 45,9% du PIB -, malgré les dix-neuf nouveaux impôts et taxes instaurés par Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Ceux qui donnent des leçons de rigueur budgétaire sont restés, comme l'a dit M. Fabius lui-même, des « dépensophiles » !

Ils le sont également dans les régions (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). En 2005, sans transfert de compétences, les régions de gauche ont augmenté les impôts locaux dans des proportions sans précédent - 24% en moyenne pour la taxe professionnelle -, pour financer de nouvelles dépenses de communication, de représentation, de réception et de recrutements politiques pour leurs cabinets (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La taxe professionnelle a augmenté de 75% en Bourgogne et de 80% en Languedoc-Roussillon !

A l'inverse, notre majorité, tenant ses engagements, a depuis trois ans gardé le cap de l'augmentation zéro des dépenses de l'Etat, afin de maîtriser les déficits et de redresser durablement la situation financière de la France. Cela n'a pas conduit le Gouvernement à se désengager sur les politiques d'avenir, loin de là.

En 2004 et en 2005, le budget de l'éducation nationale a augmenté plus vite que les autres crédits de l'Etat, et les moyens supplémentaires serviront à la réforme de l'école, réforme majeure dont notre majorité est fière et qu'elle entend voir pleinement appliquée.

L'effort public en faveur de la recherche progresse cette année de 10%, soit d'un milliard. Du jamais vu depuis dix ans ! On est loin de l'immobilisme absolu et des mesures en trompe-l'œil des années Jospin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La future loi d'orientation permettra de doter notre recherche d'un cadre stratégique et financier plus ambitieux et dynamique, fondé sur une véritable culture de projets.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Demain on rase gratis !

M. Bernard Accoyer - La politique industrielle est relancée pour faire face aux délocalisations, contre lesquelles la gauche n'avait rien fait, les provoquant au contraire avec les 35 heures (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Notre majorité a mis en œuvre une politique industrielle fondée sur le volontarisme et l'innovation, avec des pôles de compétitivité et l'Agence pour l'innovation industrielle dont, Monsieur le Premier ministre, vous avez eu raison de doubler la dotation en la portant à un milliard.

C'est sur la préservation de notre pacte social, laissé en déshérence par le gouvernement Jospin, que le mensonge a été le plus flagrant (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). L'absence de courage, l'immobilisme coupable et l'illusion trompeuse ont conduit le 21 avril 2002 à l'échec historique de la gauche, qui n'était pas un accident, comme Laurent Fabius l'a lui-même reconnu. Le gouvernement Raffarin a eu, lui, le courage de la réforme. Pour sauver notre système de retraite par répartition ; pour sauvegarder notre système d'assurance maladie et garantir un égal accès aux soins pour tous ; pour financer l'effort de solidarité en faveur des personnes dépendantes ou handicapées. Ce sont des réformes majeures, fondées sur l'idée que seul le travail peut financer la solidarité, alors que l'opposition a été incapable de proposer des mesures alternatives crédibles.

Ces réformes, nous en sommes fiers, tout comme nous sommes fiers du rétablissement de l'autorité de l'Etat et du recul de l'insécurité depuis 2002 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), sous l'impulsion déterminée de Nicolas Sarkozy et de vous-même, Monsieur le Premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Notre majorité s'est engagée fortement en faveur du pouvoir d'achat, en particulier par une hausse historique du SMIC, atomisé par les 35 heures : 11,4% depuis 2003, augmentation qui représente un treizième mois pour un million de salariés. Quant à la prime pour l'emploi, elle a augmenté d'un milliard depuis 2002, au bénéfice de huit millions et demi de Français.

Sur l'emploi, nous avons avec le parti socialiste une divergence fondamentale. Pour nous, l'emploi passe par l'entreprise et non par la multiplication des statuts précaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La loi sur l'initiative économique a relancé la création d'entreprises, au rythme record de 240 000 créations par an. Avec le « Plan d'urgence pour l'emploi », le gouvernement de Dominique de Villepin veut libérer les PME des nombreux freins à l'embauche.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - En démolissant le code du travail !

M. Bernard Accoyer - La bataille pour l'emploi appelle des mesures simples et pragmatiques, que l'opposition conteste par esprit de système et manichéisme. Monsieur le Premier ministre, le choix de la procédure des ordonnances s'imposait, non seulement en raison de l'urgence, mais aussi parce que l'opposition a pris la mauvaise habitude de pratiquer l'obstruction parlementaire en déposant, comme elle le dit, des « murs d'amendements » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le « contrat nouvelle embauche » offrira une certaine souplesse à l'employeur, tout en apportant des garanties concrètes au salarié. C'est un contrat « gagnant-gagnant », qui a vocation à devenir une forme d'entrée supplémentaire dans les très petites entreprises.

La neutralisation des coûts financiers liés aux effets de seuil lèvera l'un des principaux freins à l'emploi. Contester cette mesure, c'est faire le choix de l'idéologie aux dépens de la lutte contre le chômage.

Autre mesure de bon sens : le chèque emploi TPE, qui constitue un progrès considérable pour faciliter les formalités d'embauche et le paiement des salaires et charges dans les très petites entreprises. Comment oser le contester ?

La gauche française et le parti socialiste restent profondément divisés sur tout. Ils ne trouvent d'accord ni sur l'économie de marché, que les trotskistes el les alter-mondialistes remettent violemment en cause ; ni sur la construction européenne, pour laquelle nous attendons toujours le fameux « plan B » ; ni sur les grands choix énergétiques, comme en témoignent les attaques des Verts contre l'installation d'ITER à Cadarache. Au parti socialiste, il n'y a plus rien : ni chef, ni pilote, ni idées, ni projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Bataille - Vous allez voir !

M. Bernard Accoyer - Nous, les députés UMP, nous sommes des élus responsables. Sous l'impulsion de Jacques Chirac et derrière le gouvernement de Dominique de Villepin, nous voulons continuer de réformer le pays dans l'intérêt de nos compatriotes et des générations à venir. Notre action est bonne car elle est juste, et nous continuerons à agir avec les Français, et non, comme le propose le parti socialiste, en les dressant les uns contre autres. C'est pourquoi notre groupe appelle au rejet de cette motion de censure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Premier ministre - Je voudrais remercier les députés de la majorité qui m'apportent jour après jour leur soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Merci à chacun d'entre eux. Merci, Monsieur le président Accoyer, pour vos propos chaleureux et encourageants.

Monsieur Ayrault, je vous ai écouté. J'ai attendu, j'ai scruté, j'ai cherché, j'ai espéré, mais il faut se rendre à l'évidence : je n'ai entendu que procès d'intention.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Vous avez eu trois ans !

M. le Premier ministre - C'est dire à quel point cette motion de censure est déconnectée de la vie, déconnectée de la réalité, déconnectée du peuple (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, applaudissements sur les bancs du groupe UMP). En la déposant, vous avez fait un choix incongru, incompréhensible pour la plupart des Français. Vous prétendez censurer un gouvernement qui depuis un peu plus d'un mois (« Trois ans ! » sur les bancs du groupe socialiste) s'efforce d'apporter des réponses pragmatiques à leurs attentes, un gouvernement qui veut répondre à l'urgence tout en préparant l'avenir, un gouvernement qui entend concilier initiative et solidarité.

Faisons preuve tous ensemble de tolérance et d'esprit olympique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marie Le Guen - L'essentiel, c'est de participer !

M. le Premier ministre - C'est-à-dire, chacun en conviendra, d'esprit français. Face aux inquiétudes exprimées par nos concitoyens, notre devoir commun est d'abord de comprendre leur message.

Que demandent-ils ? De l'immobilisme ? Non. De l'idéologie ? Non. Des polémiques ? Non. Ils demandent de l'audace, du courage et des résultats (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ils veulent un gouvernement responsable, qui assume ses choix et ses décisions : c'est ce que je fais aujourd'hui à la tête d'un gouvernement de service public.

Que proposez-vous de votre côté, Monsieur Ayrault, Monsieur Brunhes ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe UMP) Au lieu d'un projet, je n'entends qu'un réquisitoire. Croyez-moi, ce n'est pas à la mesure des attentes des Français, ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Je sais qu'il peut être tentant, à défaut d'idée, de céder ainsi à la fuite en avant et de donner de la canonnière. J'entends vos canons, mais quelle est votre vision, quelle est votre politique ? Personne ne le sait !

Après le 29 mai, les Français attendent aussi de leurs responsables politiques qu'ils proposent une nouvelle ambition européenne. L'heure est au rassemblement de tous ceux qui veulent que notre pays tienne son rang dans cette grande aventure, elle est au débat démocratique. Mais que proposez-vous (« Rien ! » sur les bancs du groupe UMP) pour donner un second souffle à la construction européenne et pour renouer les liens entre chacun de nos concitoyens et les peuples d'Europe ?

Vous évoquez la situation économique et sociale de notre pays. A la fin des années 1990, le gouvernement Jospin a bénéficié d'une embellie économique. Il n'en a hélas pas fait profiter les Français ! Vous n'avez pas honoré les rendez-vous de l'action et de la responsabilité...

Plusieurs députés socialistes - Un million de chômeurs de moins !

M. le Premier ministre - La dette publique a été accrue, les grandes réformes sociales différées, et la France a été engagée dans la voie sans issue du partage du travail. Par la suite, le gouvernement Raffarin a su mener à bien les réformes les plus urgentes...

Plusieurs députés socialistes - Un million de chômeurs de plus !

M. le Premier ministre - ...en dépit d'un contexte économique particulièrement difficile. Les réformes des retraites, de la dépendance et de l'assurance maladie ont été engagées et les accords du temps choisi sont venus se substituer à la rigidité des 35 heures. En trois ans, le pouvoir d'achat du SMIC horaire a augmenté de 11,4% et, depuis le 1er juillet, le salaire minimum est à nouveau réunifié. Les créations d'entreprises ont sensiblement augmenté, grâce à la simplification des réglementations et à la baisse des prélèvements...

Plusieurs députés socialistes et communistes - Mais oui ! Tout va pour le mieux !

M. le Premier ministre - C'est sur ce socle économique que je m'appuie aujourd'hui pour passer à la vitesse supérieure et pour retisser avec chaque Français les fils de la confiance. Voilà pourquoi le premier rendez-vous que j'ai fixé porte sur la création d'emplois.

En matière d'emploi, il n'y a pas seulement un mal français : il y a aussi un mystère français (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Pourquoi notre pays, réputé si créatif et si soucieux de cohésion sociale, a-t-il été incapable de retrouver le chemin du plein emploi ?

M. Jean-Marie Le Guen - A cause d'un mauvais gouvernement !

M. le Premier ministre - Avons-nous manqué d'ambition ou d'imagination ? Avons-nous baissé les bras ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - Vous avez surtout suivi le Medef !

M. le Premier ministre - Je ne prétends pas détenir seul les clés du retour au plein emploi, mais je suis venu vous dire quelles sont mes convictions. Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les évolutions d'un monde qui change rapidement, avec l'émergence de nouveaux pôles de croissance, notamment en Chine et en Inde. Nous n'avons pas prêté une attention suffisante à ce qui marche chez nos voisins européens, y compris ceux qui partagent nos valeurs et nos ambitions sociales. Cela nous a conduit à croire que, contre le chômage, nous avions tout essayé. La réalité, c'est que nous n'avons pas fait tout ce qui était possible pour intégrer les jeunes et les seniors dans nos entreprises. Au surplus, notre pays a fait fausse route en répartissant la pénurie au lieu d'aller chercher la croissance. Les 35 heures n'ont pas créé d'emplois durables (« Faux ! » sur les bancs du groupe socialiste). Par contre, elles ont déstabilisé nos finances publiques et fragilisé notre modèle social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je ne crois pas qu'il faille renoncer à nos ambitions sociales pour retrouver le chemin du plein emploi. Mais nous devons donner à ces ambitions des fondements économiques mieux assurés, en valorisant le travail et en favorisant l'insertion des jeunes. Dans cet esprit j'ai choisi d'agir sans idéologie, et je tiens à présent à répondre point par point aux critiques qui me sont adressées.

J'ai décidé de recourir aux ordonnances pour répondre à l'urgence de la situation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et si j'ai choisi de concentrer l'effort sur les très petites entreprises, c'est parce qu'elles représentent le principal gisement d'emplois dans notre pays et le plus immédiatement mobilisable. Avec le contrat « nouvelles embauches », j'ai voulu offrir de nouvelles souplesses à l'employeur et de nouvelles sécurités au salarié (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). J'entends agir sur tous les leviers pour mieux aider les jeunes. Ainsi, le Gouvernement a choisi d'accroître le nombre et la qualité des contrats aidés dans le secteur associatif et dans le secteur public : 100 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi sont ainsi disponibles pour les jeunes. Par ailleurs, le ministère de la défense met en place un dispositif d'insertion et de formation inspiré du service militaire adapté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mon objectif, c'est que tous les instruments de ce plan soient disponibles à la rentrée prochaine, afin de permettre aux demandeurs d'emploi de retrouver le plus rapidement possible le chemin de l'activité. Je rendrai compte tous les mois des résultats obtenus.

Mon plan d'urgence pour l'emploi s'inscrit dans une action résolue en faveur de la croissance et de l'innovation. Il y a trente ans, notre pays était en phase de rattrapage : il devait adapter son outil industriel à une compétition économique croissante et à l'ouverture des marchés. L'appareil productif était régi de manière centralisée et administrative. Aujourd'hui nous sommes entrés dans l'économie de la connaissance, et pour réussir pleinement cette transition, nous devons tirer le meilleur parti de trois atouts.

Le premier est un outil industriel efficace, qu'il faut maintenir. J'entends donc donner à notre industrie les moyens de tirer un meilleur profit de la recherche et des hautes technologies et de se tourner davantage vers l'exportation.

Il nous faut ensuite maîtriser l'innovation et, pour cela, passer à une organisation de la production fondée sur l'intelligence et la connaissance. Le moteur de cette nouvelle économie, ce seront les investissements de recherche effectués par l'Etat et par les entreprises privées. De ce point de vue, le doublement de la dotation de l'Agence pour l'innovation industrielle et la création de l'Agence nationale pour la recherche apporteront une réponse à la hauteur des enjeux.

Enfin, notre troisième atout, c'est la mise en réseau de tous les acteurs : laboratoires, universités, PME... Grâce aux pôles de compétitivité - dont la liste sera arrêtée dès la semaine prochaine - , des régions entières pourront bénéficier d'un regain de dynamisme. Le lancement de grands projets d'infrastructures permettra également d'améliorer le pouvoir d'attraction de notre territoire.

La France est sans doute l'un des pays européens les mieux placés pour réussir cette adaptation et s'imposer face à ses concurrents. Elle peut compter sur la qualité de ses chercheurs dans tous les secteurs stratégiques, qu'il s'agisse des nanotechnologies, des biotechnologies ou des sciences de l'information. Elle garde une tradition d'excellence en matière de recherche fondamentale, en particulier en mathématiques. Le dynamisme de ses entreprises innovantes lui assure un renouvellement constant de son savoir-faire (« Baratin ! » sur les bancs du groupe socialiste). Que la mutation soit difficile, c'est normal. Qu'elle suscite doutes et inquiétudes, c'est naturel. Dans ces périodes de profonde mutation, le rôle de l'Etat est à la fois de fixer le cap et de préparer les conditions des succès futurs. Le gouvernement que je dirige s'y emploiera sans relâche.

Mon action procède aussi d'une vision de la société fondée sur le respect de l'autorité de l'Etat et la promotion de l'égalité des chances : ce sont des principes essentiels pour notre pacte républicain. Depuis trois ans, nos efforts ont permis de faire baisser la délinquance. J'ai donné de nouveaux moyens au Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur...

Plusieurs députés socialistes - Où est-il ?

M. le Premier ministre - ...pour qu'il s'attaque aux violences contre les personnes en plaçant davantage de policiers aux endroits et aux heures les plus sensibles. Nous allons lutter avec détermination contre les violences conjugales et intrafamiliales, en expérimentant de nouveaux modes d'action et en généralisant les unités spécialisées dans les centres urbains. Nous poursuivrons avec force la lutte contre les grands trafics qui gangrènent la vie de certains quartiers en créant une économie parallèle inacceptable. Nous devons faire preuve de plus de fermeté contre le travail illégal. Nous allons renforcer la sécurité routière, qui a déjà permis de sauver plus de deux mille vies par an...

M. Maxime Gremetz - Ce n'est plus un programme, c'est un catalogue !

M. le Premier ministre - Dans la lutte contre l'immigration clandestine, nous allons franchir une nouvelle étape. Le dispositif est en place : le comité interministériel de contrôle de l'immigration fonctionne et nous allons augmenter le nombre de décisions d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière, tout en continuant d'améliorer les conditions d'hébergement dans les centres de rétention.

Nous allons également améliorer le fonctionnement de la justice. A cet égard, j'ai demandé au Garde des Sceaux d'engager la réflexion sur deux questions qui préoccupent nos concitoyens : la responsabilité des magistrats, dont il faut traiter avec sérénité et dans le respect de l'indépendance de la Justice ; ensuite, le traitement des multirécidivistes : là encore, nous agirons avec le souci de limiter les risques pour la société et de punir plus sévèrement les « réitérants », dans le strict respect de tous nos principes, notamment celui de l'individualisation des peines.

Deuxième principe qui guidera le Gouvernement : l'égalité des chances. Toutes les actions engagées pour l'emploi, la recherche, l'innovation, la sécurité et la justice n'auront d'effet que si l'école garantit à tous les jeunes la possibilité de se construire un avenir. Le Parlement a adopté la loi sur l'école, après deux années de débats et de dialogue avec la communauté éducative....

Un député socialiste - Et quelques manifestations !

M. le Premier ministre - Elle prévoit un meilleur soutien des élèves en difficulté,...

M. André Chassaigne - Avec quels moyens ?

M. le Premier ministre - ...un apprentissage renforcé des langues vivantes, un véritable accueil pour les élèves handicapés dans toutes les écoles. Dès la rentrée prochaine elle sera pleinement appliquée.

Plusieurs députés socialistes et communistes - Parlez-nous aussi des suppressions de classes prévues partout !

M. le Premier ministre - Le décret sur le remplacement des professeurs absents sera publié cet été (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous allons proposer aux enseignants qui le souhaitent de s'engager davantage dans l'intérêt de leurs élèves. Les heures supplémentaires leur seront bien sûr rémunérées, en contrepartie d'un renoncement volontaire aux heures de décharge dont ils disposent (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). En outre, pour soutenir l'action éducative, j'ai mis à la disposition des établissements scolaires des premier et second degrés 20 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi, afin d'améliorer l'encadrement des élèves tout au long de la journée. On le voit, l'éducation nationale disposera des moyens nécessaires pour remplir ses nouvelles missions et affirmer la valeur du mérite au sein de notre République.

Tels sont, Mesdames et Messieurs les députés, les principaux défis qui attendent ce gouvernement et notre majorité. Je remercie celle-ci de son soutien et de ses encouragements. Je remercie le président Accoyer pour son courage et son fidèle soutien.

Le contexte, nous le connaissons bien : il est difficile. Mais alors que votre motion de censure et vos propos, Monsieur Ayrault, n'expriment que fatalisme et résignation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mon gouvernement et notre majorité font le choix du mouvement, du courage et de l'action (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). Sur ces bancs, il y a ceux qui sont toujours contre, ceux qui pensent qu'il vaut mieux rester immobile que de tenter quelque chose !

Et puis, il y a ceux qui hésitent, ceux qui regardent en spectateurs et qui distribuent les bons et les mauvais points. En vous écoutant, Monsieur Morin, j'ai constaté avec un peu d'inquiétude - mais en toute amitié - que dans votre charge, votre cheval avait pris un peu d'avance sur vous, ce qui est toujours périlleux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mais je ne doute pas que les choix du Gouvernement sauront en définitive emporter votre conviction.

Dans la politique qui est la nôtre, il y a la volonté de répondre aux attentes de nos concitoyens ; il s'y trouve aussi la très froide détermination de ceux qui, inlassablement, jour après jour, mènent le combat pour la France, de tous ceux qui savent que l'audace et le mouvement paieront.

Je ne suis pas venu cet après-midi réclamer une indulgence particulière. J'ai pleinement conscience des enjeux et des attentes de l'heure. Mais je demande que mon Gouvernement soit jugé sur ses actes. Et tous les mois, je rendrai compte aux Français ! (Plusieurs députés du groupe UMP se lèvent et tous applaudissent longuement)

M. le Président - Le scrutin sur la motion de censure est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée. Il est ouvert pour trente minutes et sera clos à 17 heures 15.

La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures 25.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin :

Majorité requise pour l'adoption de la motion de censure : 289

Pour l'adoption : ............................................................. 174

La majorité requise n'étant pas atteinte, la motion de censure n'est pas adoptée.

HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

M. Maxime Gremetz - Le 29 mai 2005, le peuple s'est exprimé en faveur d'une rupture avec l'ensemble des politiques de régression sociale menées depuis des années au niveau national comme au niveau européen. Ce message, vous refusez de l'entendre, Monsieur le ministre. A un vote profondément antilibéral, vous répondez avec dédain (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) par une nouvelle potion amère, libérale et imposant aux travailleurs toujours plus de précarité, de flexibilité et d'insécurité professionnelle et sociale.

Oui, dédain ! Auquel s'ajoute un mépris envers la représentation nationale, à laquelle le Gouvernement confisque le droit de débattre des politiques à mener, préférant passer en force et procéder par ordonnances. Morgue aussi envers les partenaires sociaux, dont la parole et l'avis sont rabaissés au niveau du gadget (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Le plan pour l'emploi que vous comptez faire passer à la hussarde s'inscrit dans la continuité des recettes rejetées par les Français et ne satisfait que le Medef. Mme Parisot vient donc de remporter sa première victoire ! Pendant que les délocalisations et les plans de licenciement se multiplient, vous ne trouvez à proposer que le « contrat de nouvelle embauche », une mesure de dynamitage du code du travail ! Qu'attendre d'un CDI assorti d'une période d'essai de deux ans, sinon qu'il permette à un employeur de se séparer d'un salarié à moindres frais ?

D'ailleurs les organisations syndicales ne s'y sont pas trompées. M. Voisin affirme ainsi que le contrat nouvelle embauche est « inacceptable » et est « la porte ouverte au délit de sale gueule et au patron de droit divin. » Et M. Voisin n'est pourtant guère révolutionnaire ! Maryse Dumas, secrétaire de la CGT, estime plus sobrement que, pendant deux ans, le salarié sera à la totale disposition de l'employeur, qui pourra le licencier du jour au lendemain sans avoir à fournir de justification.

Malgré cette opposition des organisations syndicales, vous passez en force, resservant ce discours de la fatalité dont les Français ne veulent plus. A l'occasion du 29 mai, ils ont marqué leur mobilisation en faveur d'une autre politique. Et ils ont raison ! Il faut relancer la croissance par l'augmentation des salaires, encourager la création d'emplois stables et durables. Le groupe communiste a formulé des propositions en ce sens, mais vous les avez toutes refusées, car elles s'opposent aux intérêts que vous défendez.

Vos mesures représentent une véritable provocation pour le monde du travail. Aussi, outre que nous ne voterons pas ce texte, nous appelons à des rassemblements le 11 juillet, devant Matignon et les préfectures. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur le ministre, nous vous donnons rendez-vous en septembre pour une grande rentrée sociale combative ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Guy Geoffroy - Après tant de grandiloquence, je me contenterai de quelques propos plus sereins. Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage au Gouvernement qui, tout au long de ce débat, a fait preuve d'attention à nos préoccupations, répondant précisément à toutes nos interrogations.

Je tiens également à saluer le travail de la commission et le remarquable rapport de Claude Gaillard (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui a su éclairer nos décisions.

Une fois tout mauvais procès évacué, le véritable sujet apparaît clairement : c'est l'emploi, première priorité des Français. Nous n'avons pas attendu le 29 mai pour le comprendre, et c'est grâce au plan de cohésion sociale que ce projet peut aujourd'hui s'appuyer sur des bases solides. J'étais hier à une réunion entre les services de l'Etat et les élus de mon département et je peux attester de l'efficacité du dispositif.

Votre projet propose des mesures simples, concrètes, à même de donner très rapidement de bons résultats.

La première est le contrat de « nouvelle embauche », contrat de nouvelle chance pour les chefs d'entreprise qui ont besoin de recruter comme pour les salariés qui ont besoin de travailler.

Vous encouragez encore l'embauche des jeunes, et donnez une nouvelle chance aux chômeurs de longue durée, grâce aux 1 000 euros que vous proposez de verser à chacun d'entre eux, ce qui correspond à un treizième mois - versé avant même que les intéressés n'aient commencé à travailler.

Toutes ces mesures concourant à la modernisation de notre modèle social, le groupe UMP votera avec conviction ce projet de loi d'habilitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gaëtan Gorce - Le Gouvernement a bien raison de proposer un plan d'urgence pour l'emploi, car il est en effet temps d'agir : 200 000 chômeurs de plus depuis juin 2002, une augmentation sans précédent du nombre de demandeurs d'emploi chez les moins de 25 ans et les femmes, l'aggravation de la situation des plus démunis. Face à ce bilan, nous pouvions espérer un plan offensif et ambitieux. Hélas, nous ne pouvons que le condamner, en raison à la fois de ses auteurs, de son inspiration et de la méthode choisie.

Tout d'abord, les auteurs n'ont pas changé. Vous qui nous avez présenté il y a six mois un autre plan d'urgence pour l'emploi, vous êtes toujours à ce banc, malgré l'échec de toutes les mesures précédentes. Le rendez-vous pour l'emploi que vous nous aviez donné n'a pas été honoré ! Pourquoi voulez-vous que la situation s'améliore aujourd'hui ?

Nous condamnons l'inspiration : plutôt que de vous attaquer aux racines du chômage en soutenant la croissance et l'emploi, vous voulez faire croire aux Français que la rigidité de notre code du travail, l'inertie des chômeurs ou encore l'existence de seuils sociaux seraient en cause. Et vous en profitez pour bafouer l'ensemble des garanties sociales. Preuve en est votre contrat de nouvelle embauche, véritable caricature qui ajoute encore à la précarité.

Nous condamnons enfin la méthode : une fois de plus, vous prétextez l'urgence - pour la septième fois depuis 2002 - pour tenter de réparer les dégâts que vous avez causés.

Non contents de vous passer de l'avis du Parlement en légiférant par ordonnance, vous contournez également les partenaires sociaux. Quels résultats pouvez-vous attendre d'une telle attitude ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pour toutes ces raisons, nous invitons l'Assemblée à rejeter ce plan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre Albertini - Depuis une vingtaine d'année, la France s'enfonce dans le doute. La grave dépression que nous connaissons est largement due à la persistance d'un chômage élevé qui touche toutes les familles. Le Premier ministre a rappelé que l'on n'a probablement pas tout essayé pour lutter contre ce fléau, et, sur ce point, il a trois fois raison : nous avons en effet accumulé des politiques en jouant sur tous les curseurs, mais sans cohérence aucune et jamais sur le long terme ; nous avons dépensé toujours plus d'argent sans pour autant être efficaces. Nous portons tous la responsabilité de ce grave échec.

Sur le plan de la méthode, le Gouvernement, en dessaisissant le Parlement, s'est privé d'un débat de fond qui aurait permis de prendre les Français à témoins. Peut-on imaginer que l'on pourra résorber le chômage sans leur demander d'être les acteurs de leur propre destin et d'adhérer aux priorités de la France et de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Sur le fond, votre projet comporte des mesures certes intéressantes, en particulier certaines simplifications administratives et le chèque emploi en faveur des petites entreprises, mais elles sont homéopathiques quand un traitement de choc s'imposait ! Je n'ai de plus jamais rencontré un seul employeur qui souhaite disposer d'un contrat tel que le CNE : il s'agit là d'un contrat inutile, dangereux pour le dialogue social, et dont la gestion sera très complexe.

Je rappelle les quatre propositions que nous avions formulées : la modification d'une assiette des charges qui pénalise inutilement et injustement le travail, la nécessaire augmentation du volume de travail afin de pouvoir supporter un niveau de protection sociale élevé, la refondation du contrat de travail dans le sens d'une meilleure sécurité pour les employeurs et les salariés, l'activation du service public de l'emploi qui doit pratiquer un accompagnement individualisé dès les premières semaines de chômage.

Enfin, j'y insiste, ce n'est pas ailleurs, mais uniquement en nous-mêmes que nous trouverons les solutions qu'appelle le redressement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Dans sa grande majorité, le groupe UDF votera contre votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

A la majorité de 322 voix contre 155, sur 483 votants et 477 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Je me félicite de la qualité d'un débat qui, loin d'avoir été escamoté, a permis d'approfondir un certain nombre de propositions. Je remercie la commission qui, sous la présidence de M. Dubernard, a accompli de l'excellent travail, mais également M. le rapporteur Gaillard qui a fait preuve d'exigence et de précision (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 17 heures 50.

              La Directrice du service
              des comptes rendus analytiques,

              Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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