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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 8ème jour de séance, 20ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 19 OCTOBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2005 -première partie- (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      DISCUSSION GÉNÉRALE 15

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 20 OCTOBRE 2004 22

La séance est ouverte à vingt-deux heures quinze.

LOI DE FINANCES POUR 2005 -première partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Pierre Brard - Notre pays va de plus en plus mal. La fracture sociale, diagnostiquée, il y a plusieurs années, par l'actuel Président de la République, et qui s'était réduite durant la précédente législature, empire rapidement. Le projet de loi de finances qui nous est présenté est de nature à l'aggraver encore. Cette cassure menace la cohésion de notre société. Le pacte républicain est vidé de son sens, en particulier aux yeux des jeunes. L'immense majorité de nos concitoyens ne ressent aucun bénéfice de la croissance dont le Gouvernement, ministre d'Etat en tête, claironne le retour et qui lui apporte des recettes fiscales supplémentaires. Au contraire, le pouvoir d'achat du salaire moyen a diminué de 0,5% en 2003 et ne devrait pas progresser cette année. Le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages a certes augmenté, mais le nombre des ménages aussi, d'où la baisse du pouvoir d'achat par tête.

Voyez ce graphique (M. Brard montre un document). Il montre bien un effondrement du pouvoir d'achat des ménages en 1996 et un redémarrage en 1997, avec le gouvernement de la gauche plurielle.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire - Ce n'était pas la gauche, mais la croissance !

M. Jean-Pierre Brard - Malgré l'ardoise qu'il a trouvée, le gouvernement de l'époque a su dépenser pour créer des emplois, améliorer la confiance et provoquer un sursaut.

M. Richard Mallié - Avec les emplois-jeunes, par exemple !

M. Jean-Pierre Brard - Entre autres ! Tous les élus qui sont liés à un territoire le savent. Dans ma ville, les emplois-jeunes ont redonné de l'espérance à 700 jeunes et se sont traduits par moins de problèmes dans les cités. Vous, vous cassez l'espoir. (M. Jean-Louis Dumont applaudit).

Le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages a progressé jusqu'en 2001, et baissé dès votre retour au pouvoir. Voilà vos « performances », comme vous aimez à dire ! Selon l'annexe au rapport économique et financier, la progression de la masse salariale et des traitements bruts a continué de ralentir en 2003, ainsi que les créations d'emplois et la hausse de la rémunération moyenne par emploi, ce qui a abouti à une stagnation du pouvoir d'achat. Dans le même temps, l'inflation se maintenait. Faute de volonté politique, la croissance reste sans effet sur le chômage. En 1993, le taux de chômage s'établissait à 9,7 %, et il a atteint 9,8 % au premier semestre 2004. Regardez les graphiques ! Il y a les gouvernements Juppé, Balladur, Raffarin... mais c'est sous le gouvernement de la gauche plurielle qu'on crée des emplois ! (Rires sur les bancs du groupe UMP). Vous refusez de voir l'évidence ! Comme ceux qui combattaient Galilée, vous refusez de voir dans quel sens ça tourne. Et ça tourne mieux sous la gauche !

Ces statistiques ne sont pas tirées de l'Humanité, mais de l'INSEE.

M. le Secrétaire d'Etat - Vous êtes sûr que ce n'est pas de Pif Gadget ?

M. Jean-Pierre Brard - Je vous laisse votre opinion sur cette honorable institution.

Pour tenter de soutenir la consommation sans que les patrons ou l'Etat déboursent quoi que ce soit, M. Sarkozy a imaginé d'autoriser le déblocage d'une partie de l'épargne salariale. Les salariés, auxquels on explique depuis des mois qu'ils doivent épargner pour préparer leur retraite, sont soudain priés de consommer toutes affaires cessantes ! Fin septembre, 1,15 milliard avait été retiré par 385 000 salariés, confirmant que les besoins existent, en termes de consommation ou de désendettement. L'objectif ministériel est de 5 milliards, pour tenter d'afficher dans le bilan du ministre d'Etat un chiffre de croissance présentable. C'est la course à l'échalote avant qu'il ne quitte le Gouvernement pour un avenir que ses nombreux hagiographes prédisent brillant...

Dans un tel contexte, on comprend que l'amélioration du pouvoir d'achat soit la première préoccupation de 55 % des Français. Mais le mal est plus profond et a pour nom la pauvreté. On constate une augmentation rapide du nombre de Rmistes : 1,4 % de plus en 2002, 4,9 % de plus en 2003, 10,5 % de juin 2003 à juin 2004. Les exploits du Gouvernement apparaissent clairement sur ce graphique : la petite colonne du milieu montre ce qu'il en était lorsque la gauche plurielle était au gouvernement, la grande à droite comptabilise vos victimes, Monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le Secrétaire d'Etat - Vos Rmistes à vous, c'étaient les emplois-jeunes !

M. Jean-Pierre Brard - Nous, nous donnions de l'espoir aux jeunes ! Sans chercher à vous tirer des larmes, je vais vous raconter l'histoire de cette jeune femme que nous avions embauchée comme emploi-jeune à Montreuil : elle a bénéficié d'une formation, elle a passé des concours et elle est aujourd'hui titulaire d'un poste dans la fonction publique territoriale. Son compagnon a lui aussi bénéficié d'un emploi-jeune...

M. Marc Le Fur - C'est Cosette qui a rencontré Marius !

M. Jean-Pierre Brard - Cela vaut mieux que de rester victime des Thénardier que vous êtes, vous qui fabriquez des Cosette tous les jours !

Les emplois-jeunes constituaient un sas vers la vie active. D'ailleurs, tous ceux d'entre vous qui sont maires le savent bien. Que ceux qui n'ont pas eu recours aux emplois-jeunes lèvent la main ! En réalité, vous avez tous apprécié cette possibilité que vous avait offerte le gouvernement Jospin, même si vous disiez le contraire dans l'hémicycle. C'est la même schizophrénie qui vous fait vous réjouir ici de la diminution annoncée du nombre d'emplois publics mais sur le terrain ne pas pouvoir désigner ceux qu'il faudrait supprimer. Pensez-vous qu'il y ait trop de gardiens de prisons ? Trop d'instituteurs ?... Faites donc des propositions concrètes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Bouvard - Le service de la redevance audiovisuelle ! Le Commissariat général au Plan !

M. Jean-Pierre Brard - Les discours que vous tenez dans vos circonscriptions, Messieurs les députés de droite, sont loin d'être la copie conforme de ceux que vous applaudissez ici, car sur le terrain vous êtes bien obligés de tenir compte de la réalité. Mais cette schizophrénie aggravée ne donne pas une bonne image du personnel politique.

La baisse des taux de l'impôt sur le revenu n'a été d'aucun secours aux Rmistes. Et il n'y avait apparemment personne pour les gratifier d'une donation exonérée de droits... Mais ces gens-là ne vous intéressent pas.

Autre effet de votre politique, sur les quatre premiers mois de l'année, les commissions de surendettement ont reçu 22 % de dossiers en plus. Quant aux expulsions locatives, elles ont augmenté de 29 % entre 2002 et 2003. N'est-ce pas vous, pourtant, Monsieur Le Fur, qui trouviez en commission des finances que les préfets n'étaient pas assez sévères et n'expulsaient pas assez ?

M. Marc Le Fur - J'en parlerai.

M. Jean-Pierre Brard - Venez donc nous expliquer cela à Montreuil ! J'organiserai un débat public et nous verrons si vous tenez le même langage à l'issue de celui-ci...

M. Hervé Mariton - Des menaces ?

M. Jean-Pierre Brard - Vous pouvez venir aussi, Monsieur Mariton, vous qui êtes un ultralibéral parmi les ultralibéraux...

M. Hervé Mariton - Je vais à la Fête de l'Huma, alors je peux bien venir chez vous !

M. Jean-Pierre Brard - Mes collègues communistes ont le sens de l'hospitalité : quand ils vous invitent à la Fête de l'Humanité, ils font en sorte que l'on vous y fasse bon accueil. Si vous étiez confronté à des personnes qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts et qui sont tout à fait conscients que vous beurrez la tartine des privilégiés tandis que vous les passez, eux, à l'essoreuse, il en irait peut-être autrement...

En 2001, 3,5 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 6,1 % de la population, selon les critères de l'INSEE - et 7,1 millions, soit 12,4 % de la population, selon les critères européens, qui fixent le seuil à 60 % - au lieu de 50 - du revenu médian.

Les demandes de logements sociaux sont en forte progression. Faute d'y répondre, on voit les squats se multiplier.

Les principales causes de ce désastre résident dans la politique de casse sociale de ce gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : suppression des emplois-jeunes, restriction des conditions d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi et des intermittents du spectacle...

M. Alain Cortade - Vous en faites combien, vous, des logements sociaux ?

M. Jean-Pierre Brard - Oh, sûrement beaucoup plus que vous ! Nous en avons 15 000 dans ma ville...

M. Alain Cortade - Vous n'avez pas le privilège du logement social !

M. Jean-Pierre Brard - Je ne considère pas le logement social comme un privilège mais comme un droit ! Vous le voyez, nous ne parlons pas le même langage, car nous ne partageons pas les mêmes valeurs : les vôtres sont cotées en Bourse, les miennes sont issues de la Révolution française et de la Commune de Paris ! (Applaudissements sur les bancs des groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Alain Cortade - Vous n'avez pas le monopole du cœur !

M. Jean-Pierre Brard - C'est vrai, il y a des gens très bien à droite, mais il y en aussi beaucoup qui ont un coffre-fort à la place du cœur !

M. Alain Cortade - Venez donc au Pontet pour débattre, je vous protègerai moi-même !

M. Jean-Pierre Brard - On n'a pas besoin de protection quand on a de bons arguments ! Mais soit, je relève le défi et j'irai dans votre ville dénoncer les méfaits de la politique que vous soutenez ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je suis disponible pour vous aussi, Monsieur Ueberschlag.

M. Jean Ueberschlag - J'ai 27 % de logements sociaux.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez une marge de progression.

M. Jean Ueberschlag - Parlez-nous donc des nouveaux pauvres, cette création de Mitterrand !

M. Jean-Pierre Brard - Parlons-en, oui, des pauvres dont vous augmentez le nombre ! Vous appauvrissez les classes moyennes ! Et regardez ce que vous avez fait des intermittents du spectacle ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous en avez fait des gens qui ne savent plus comment nourrir leurs enfants à la fin du mois !

M. Jean Ueberschlag - Vous en aviez fait des assistés !

M. Jean-Pierre Brard - J'en reviens à la politique de casse menée par ce gouvernement : diminution du nombre de contrats aidés, augmentation du nombre d'emplois précaires et du temps partiel contraint. Satisfaire le Medef coûte très cher aux plus modestes. C'est bien pourquoi la pauvreté gagne du terrain et se banalise. Permettez-moi de vous citer à ce sujet un journal que vous ne lisez sans doute pas très souvent : Résistances.

Voici ce qu'écrit Jean-Claude Guillebaud, éditorialiste et éditeur de ce journal qui est celui d'ATD-Quart Monde : « Dans les faits, notre société s'est durcie, les inégalités s'y sont creusées davantage, l'égoïsme des riches n'a jamais été aussi arrogant. Or, c'est justement parce qu'elles sont moins faciles à identifier, ou même à évaluer, dans une société devenue plus complexe, que les injustices ont pu devenir plus injustes encore. Pire : tout se passe comme si nous nous étions peu à peu accoutumés à ces injustices. Le plus grand scandale contemporain est sûrement celui de l'indifférence. Il est frappant de voir comme l'air du temps s'est adapté aux inégalités, à la misère sociale, au durcissement des conditions de vie des plus pauvres, et même à celui, très ambigu, des conditions de travail dans les entreprises - durcissement que dénoncent tous les inspecteurs du travail, mais dont les médias ne parlent guère. L'un des pires aspects de ce nouveau racisme social, c'est donc ce qu'on pourrait appeler son ingénuité. On invoque de façon incantatoire de prétendues fatalités, la mondialisation, les contraintes extérieures, les lois du marché. « On ne peut rien faire », chacun connaît le refrain. Ces alibis, l'opinion dominante les accepte désormais avec une indolente résignation. »

Dans cette situation très dégradée, les incantations du Premier Ministre sont dérisoires. Il ne sert à rien d'annoncer au journal télévisé « un certain nombre d'avantages pour que la croissance profite à tous les Français », de proposer un contrat pour 2005 assorti d'un plan de cohésion sociale auquel nos concitoyens ne peuvent croire un instant, après deux ans et demi de démolition méthodique du pacte républicain, de la protection sociale et du droit du travail. Quant à la hausse du prix du pétrole, elle pèse lourdement sur le budget des ménages et sape la croissance. M. Sarkozy a déclaré la semaine dernière que la question de la cherté du pétrole n'était pas derrière nous, mais devant nous. Il ne l'a pas vraiment confirmé tout à l'heure, et pourtant c'est probablement vrai. La demande mondiale est en forte hausse, notamment en raison du décollage de pays comme la Chine et l'Inde, mais aussi de l'usage excessif, voire du gaspillage du pétrole dans les pays développés, qui prend une ampleur démesurée aux Etats-Unis.

Mais une dimension du problème est généralement occultée : c'est le rôle de la spéculation sur un marché pétrolier tendu, où les opérateurs sont peu nombreux et contrôlent souvent toute la filière, de l'extraction à la distribution. Ni M. Bussereau, ni M. Sarkozy, ni le président de la commission des finances, ni le rapporteur général, n'en ont parlé... C'est que vous êtes gentils, et ne voulez pas faire de peine aux privilégiés ! On a pourtant pu lire ceci le 4 octobre dans Les Échos - journal qui n'est pas un organe de la subversion internationale : « Alors que tour à tour l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ont dénoncé un marché en proie à l'opacité et à la spéculation des fonds d'investissement, les ministres du G7 et le FMI ont plaidé pour que les marchés pétroliers fonctionnent de manière efficace. Dans ce but ils encouragent l'Agence internationale de l'énergie à améliorer son travail sur la transparence des statistiques sur le pétrole. Pour le Secrétaire au Trésor américain, la spéculation a déconnecté les prix du pétrole des fondamentaux, c'est-à-dire essentiellement la production et la consommation, qui sont à peu près égales et ne présentent donc pas de distorsion majeure. Mais, ne disposant pas à ce jour d'outils d'analyse fiables sur le rôle joué par ces fonds spéculatifs, les grands argentiers du G7 ont estimé important que les nations consommatrices économisent l'énergie »... Ainsi on a bien identifié ceux qui provoquent la crise, mais décidé de ne rien faire pour les maîtriser ! Stupéfiant aveu d'impuissance de la part des ministres des finances des Etats les plus puissants du monde.

Jusqu'où devra monter le prix du baril pour que des mesures soient prises contre la spéculation ? Les cinq principales sociétés pétrolières mondiales ont réalisé plus de 60 milliards de dollars de bénéfices nets en 2003. Les profits ont progressé de 87 % pour Exxon-Mobil, de 42 % pour BP, de 27 % pour la Shell. Au second trimestre 2004, Total a fait deux milliards d'euros de bénéfice net. Vous cherchez de l'argent, Monsieur le ministre : en voilà ! Pourquoi pas un prélèvement obligatoire sur ces bénéfices illégitimes ? Si vous aviez cette audace, vous entreriez dans l'histoire ! Mais sans doute votre modestie vous en empêche-t-elle...

Une étude de la Fédération américaine des consommateurs a montré qu'aux Etats-Unis la hausse du prix de l'essence profite pour 78% aux sociétés pétrolières, et pour 22% seulement aux fournisseurs de pétrole. Il en va de même chez nous. Total possède à la fois des puits de pétrole et des pompes. La hausse du baril n'est donc pas inéluctable : elle est permise par votre passivité, votre absence de volonté politique.

Il est urgent de réagir, car les coûts supplémentaires pour l'économie vont retomber sur le contribuable, par le biais des compensations accordées par l'Etat aux transporteurs routiers, aux agriculteurs, aux taxis, aux pêcheurs, et sur les consommateurs, puisque les transporteurs sont autorisés à répercuter les surcoûts de carburant, qui se retrouveront in fine dans les prix du commerce de détail. Mais vous avez décidé de faire payer les usagers et d'exempter les pétroliers. Il en va de même pour les tarifs appliqués au carburant. Le plein d'essence d'une voiture de petite cylindrée atteint maintenant près de 60 euros. A ce rythme, la dépense annuelle nécessaire pour aller travailler augmente d'environ 600 euros. N'est-ce pas de fait un prélèvement obligatoire ?

Pour stopper les pratiques spéculatives, nous proposons une surtaxation au titre de l'impôt sur les sociétés à la charge des compagnies qui encaissent des bénéfices supplémentaires grâce à ces pratiques condamnables. Cela ne dépend que de vous, Monsieur le ministre : votre majorité est disciplinée et marche au sifflet - hormis MM. Mariton et Novelli pour qui la gamelle n'est jamais assez bien remplie - et vous feriez pour une fois le consensus de notre Assemblée.

Ces spéculations incitent les ménages au pessimisme et à l'épargne de précaution ; elles créent un climat d'incertitude défavorable à la croissance. L'indicateur de la Caisse des dépôts pour octobre montre que la demande domestique est moins fortement tirée par la consommation et par l'investissement, et note que « les nouvelles informations conjoncturelles ne dégagent pas une orientation claire de la croissance » - on sait que la Caisse pratique la litote : il est clair que l'ambiance n'est pas euphorique.

Pour traiter ces problèmes énergétiques, il faut des solutions de fond à moyen et long terme. Le recours aux énergies renouvelables est évidemment nécessaire - même s'il n'est pas suffisant - pour alléger le poids de la facture pétrolière. Il faut les favoriser par des incitations fiscales. Nous défendrons des amendements en ce sens. Dès aujourd'hui l'évolution du cours du baril montre que la prévision d'un cours de 36,5 dollars retenue par le projet de loi de finances est caduque, et que le taux de croissance de 2,5 % devra probablement être revu à la baisse, comme le pouvoir d'achat des ménages.

Mais la lutte contre les pratiques douteuses des grands groupes économiques n'est pas au nombre des priorités de ce gouvernement. Le projet de loi de finances autorise même un recul spectaculaire par rapport aux efforts de lutte contre la fraude de la législature précédente, et qui risque d'accroître l'évasion fiscale. Il est prévu de modifier l'article 209 B du code général des impôts, pour porter de 10 à 50 % le seuil de détention par une entreprise française d'une exploitation soumise à un régime fiscal privilégié à l'étranger - type holding au Bénélux ou régime des paradis fiscaux - au-delà duquel l'entreprise doit ajouter à ses bénéfices imposables sa part des bénéfices de l'entreprise étrangère. Le dispositif français anti-évasion avait déjà été mis à mal par les jurisprudences française et européenne, au nom de la libre circulation des capitaux. La conception libérale européenne est contraire à une vraie volonté de lutte contre la fraude.

La nouvelle rédaction de l'article 209 B a retenu l'attention du rapporteur que j'ai été à ce sujet. Une haute fonctionnaire de Bercy, Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, visiblement en service commandé, a tenté de justifier cette mesure dans Les Echos du 5 octobre. « Cette décision résulte d'un argument de bon sens : l'entreprise n'est redevable de l'impôt que si elle détient plus de 50 % au lieu de 10 %. Ce nouveau seuil est plus compatible avec la réalité du monde des affaires et la nouvelle qualification des bénéfices en revenus réputés distribués ». On le voit, c'est devant ce « monde des affaires » que vous faites la génuflexion. Vos dénégations n'y changeront rien : c'est sur ses actes qu'un homme politique est jugé.

M. Hervé Novelli - Et sur ses résultats !

M. Jean-Pierre Brard - Or il y a un « gap » entre ce que vous dites et ce que vous faites.

Si on appliquait la théorie spécieuse de Mme Lepetit - aligner le droit sur les faits -, il faudrait légaliser la consommation de substances psycho-actives, puisque plus de 50 % des 17-18 ans les ont déjà utilisées... Nous, législateurs, n'avons pas à nous soumettre à la réalité de la mondialisation libérale mais à la faire évoluer. N'est-ce pas d'ailleurs ce que dit le Président de la République quand il rencontre M. Lula, même si la surdité du gouvernement l'empêche d'agir en ce sens ?

On nous propose une nouvelle définition du paradis fiscal comme appliquant un impôt inférieur non plus de 33 mais de 50 % à un impôt français. Sortant de son obligation de réserve, Mme Lepetit parle là de « progrès incontestable en termes de sécurité juridique ». Vous aviez déjà été tentés par l'amnistie fiscale et voilà que le gouvernement donne de nouveaux signes, en particulier quand le ministre d'Etat reçoit Tom Cruise à Bercy. A quand celle du Prince du Liechtenstein ou du Président des Îles Caïman ?

M. Hervé Mariton - Jaloux !

M. Jean-Pierre Brard - Oh non ! Je n'ai pas pour habitude de fréquenter des voyous comme Tom Cruise qui, trois semaines après la rencontre de Bercy, a ouvert le siège de la scientologie à Madrid.

M. Michel Bouvard - Il a raison !

M. Jean-Pierre Brard - Heureusement, le Président de la République, lui, a refusé de le recevoir car, sachant comme le ministre d'Etat à qui il avait affaire, il a adopté une position respectueuse des libertés individuelles et collectives au lieu de ne servir que ses ambitions... (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Le carnet du ministre va-t-il se remplir de rendez-vous avec d'autres figures de la scientologie ?S'il peut vraiment dégager une heure trente par jour, au moins les parlementaires ne devraient-ils pas avoir de mal à le rencontrer, eux qui sont infiniment plus respectables...

M. le Secrétaire d'Etat - Et si on parlait de la loi de finances ?

M. Jean-Pierre Brard - C'est M. Sarkozy qui m'a donné l'occasion de parler de Tom Cruise en informant largement la presse de ce rendez-vous... On a dit que ce n'était pas lié à la scientologie mais au cinéma. Alors il est un autre homme peu fréquentable qui fait aujourd'hui du théâtre, c'est Bernard Tapie. Le recevriez-vous, Monsieur Bussereau ?

M. le Secrétaire d'Etat - J'ai demandé à cette tribune la levée de son immunité !

M. Jean-Pierre Brard - Et moi, je l'ai votée ! Mais le recevriez-vous ?

M. le Secrétaire d'Etat - Et Mme Mitterrand et M. Castro ?

M. Jean-Pierre Brard - Répondez sans vous défiler !

Moi, je ne recevrais ni l'un ni l'autre car ce serait immoral ! Quand on représente l'Etat, il est des comportements auxquels on ne peut se laisser aller : Tom Cruise appartient à une organisation qui a tué des gens y compris dans notre pays - souvenez-vous du procès de Lyon et du suicide de M. Vic. Je sais que nombre de mes collègues de l'opposition partagent, in petto, mon point de vue.

J'en viens au meilleur de l'interview de Mme Lepetit : « Avant que l'article 209B devienne inopérant, les redressements concernaient pour l'essentiel des sociétés détenues à 100 % et implantées dans des pays où l'écart d'imposition était très important. En dépit des changements de seuil, on devrait retrouver une situation comparable à celle-là ». Elle nous explique donc benoîtement que les critères n'ont que peu d'importance puisque les redressements obéissent à d'autres normes que celles fixées par le législateur. Les ministres devraient nous éclairer sur ces aveux...

L'origine des détournements doit être connue car certains moratoires montrent des complaisances au niveau ministériel, en infraction avec nos lois comme avec les règles européennes. En fait, la concurrence fiscale gagne du terrain, encouragée par les tergiversations européennes. J'ai bien noté cet après-midi les protestations des ministres, du rapporteur général, du Président de la commission des finances, mais il ne suffit pas de montrer sa mauvaise humeur d'un geste du menton : la France se fait entendre quand elle parle fort, on l'a vu l'an dernier à l'ONU.

Au-delà des Etats identifiés comme des paradis fiscaux - Andorre, Monaco, le Liechtenstein, les Îles anglo-normandes, l'analyse des politiques fiscales des Etats supposés vertueux montre une tendance à la surenchère vers le moins-disant fiscal. La concurrence s'exerce sur les bases mobiles que sont les mouvements de capitaux et les ménages aisés, pour lesquels la pression fiscale baisse, tandis que les bases immobiles, les ménages, qui n'ont pas les moyens de se délocaliser, subissent le report de la charge fiscale et la dégradation des biens et des services publics. Suppression des droits de succession aux Etats-Unis et en Italie, baisse du taux d'imposition des sociétés en Allemagne, amnistie fiscale en Italie et en Allemagne relèvent bien de choix fiscaux. En France, la création de zones franches et l'officialisation discrète de statuts fiscaux dérogatoires à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy répond à la même logique. Les paradis fiscaux sont au cœur d'une logique globale. C'est ce qui explique l'inefficacité des rares mesures prises à leur encontre.

Alors que la logique libérale fustige l'Etat et les services publics, la déréglementation, la concurrence, la performance financière, l'argent capté par les paradis fiscaux échappent à l'économie réelle, donc à la collectivité. Le paradis des uns peut favoriser l'enfer social des autres, en ce que l'argent détourné créé un manque à gagner pour les politiques publiques, l'emploi, la santé publique, l'éducation et la protection sociale. Et que dire de la mansuétude du Gouvernement français à l'égard de la mafia russe qui, grâce à l'argent de la prostitution, investit dans le Sud-Est ?

M. le Ministre - Lamentable !

M. Jean-Pierre Brard - C'est une réalité ! Que faites-vous contre les Russes qui achètent dans le sud avec de l'argent douteux ? Si vous me prouvez que vous ne restez pas passifs, je suis prêt à vous donner quitus.

M. le Ministre - Mais qui êtes-vous pour parler ainsi ?

M. Jean-Pierre Brard - Un député de la Nation !

Parmi les mesures de votre projet, finement ciblées pour profiter aux plus aisés, la forte réduction des droits de succession est particulièrement symbolique, et l'on ne peut nier à M. Sarkozy une maîtrise très habile du langage. Vous avez l'art de donner plusieurs sens aux mots, au point de les vider de leur contenu. Je sais à cet égard qu'il y a ici certains mots tabous, comme « idéologie ». En vérité, vous êtes un idéologue du libéralisme échevelé, Monsieur le ministre, et vous ne reconnaissez des droits qu'aux privilégiés.

M. Philippe Auberger - Au moins a-t-il des idées !

M. Jean-Pierre Brard - Elles sont perverses, du moins selon mon point de vue d'homme de gauche.

M. Hervé Mariton - Vous ne nous donnez pas envie d'être de gauche !

M. Jean-Pierre Brard - Perverses au sens où elles nuisent à l'intérêt national. Evidemment, la perversion renvoie à la morale et à l'éthique, et nous n'avons pas la même.

M. le Ministre - Avec les communistes, certes non !

M. Jean-Pierre Brard - Mettez vos fiches à jour, j'ai quitté le parti communiste il y a huit ans, mais je ne renie rien de mon idéal, pour lequel je continuerai de lutter face à des gouvernements comme le vôtre qui réduisent les plus modestes à la désespérance.

M. Daniel Paul - Très bien !

M. le Ministre - Il vous a quittés !

M. Jean-Pierre Brard - Mais cela n'empêche pas de s'estimer ! Vous êtes suffisamment avisés pour savoir que dans la vie politique, il y a des hauts et des bas, qui n'empêchent pas de siéger sur ces bancs, et de maintenir une certaine continuité dans les débats. M. Auberger le sait bien car nous avons déjà eu cette discussion lorsqu'il était rapporteur général, à une époque où la droite était moins ultra-libérale qu'aujourd'hui.

Revenons aux propos du ministre d'Etat, qui estime que lorsque l'on a travaillé toute sa vie, on a le droit d'en léguer les fruits en franchise d'impôts à ses enfants. Il s'agirait d'une mesure favorable aux classes moyennes ! En réalité, cette manœuvre répond à la même logique idéologique que la réduction de l'impôt sur le revenu : un grand nombre de ménages y gagne un peu, quand un petit nombre y gagne beaucoup. Vous connaissez le subterfuge : ne parler que du nombre de gagnants, en taisant ce que gagne chaque catégorie.

Mais des journalistes attentifs et curieux ont démonté ce mécanisme. Thomas Piketty écrivait ainsi dans Libération, le 8 septembre, que si les actifs financiers se portent bien, le travail est surtaxé. Non seulement les prélèvements obligatoires ne baisseraient pas, mais on procéderait au transfert de la charge du capital vers le travail : augmentation des cotisations de retraite complémentaire, création d'une cotisation sur le jour férié, hausse de la CSG pour l'assurance maladie. Mais dés qu'on a un peu d'argent, ajoute-t-il, on détaxe les revenus élevés ou les patrimoines, ce qui est un non-sens.

Vous parlez de baisser l'impôt sur le patrimoine moyen, mais c'est une nouvelle entourloupe. Seuls 50 à 60% des décès donnent lieu à imposition. Si l'on ajoute 100 000 euros d'abattement à ceux qui existent déjà, seules 20 à 30% des successions seront imposées. On est loin de la moyenne.

M. Piketty conclut que M. Sarkozy marche dans les pas de George W. Bush et de Silvio Berlusconi, qui auraient déjà opéré ce retour au XIXe siècle fiscal.

Dans le supplément économique du Monde, Mme Rey-Lefebvre illustre l'impact réel de la mesure grâce à des exemples pris chez les notaires, et conclut à la faible efficacité du dispositif pour les petits patrimoines que la législation actuelle protégeait déjà. En revanche, la disposition représente un intérêt pour les transmissions supérieures à 200 000 euros, qui n'ont concerné que 10% des successions en 2000.

Cette loi de finances n'est qu'une nouvelle illustration de l'acharnement dogmatique de l'actuelle majorité contre l'impôt progressif. Jean Jaurès, au siècle dernier, déclarait que l'impôt dégressif et global devait d'abord favoriser les petits paysans, avant d'être affecté aux grandes œuvres de solidarité sociale. Il avait par ailleurs compris que l'accroissement du pouvoir d'achat des plus modestes stimulait la consommation et l'économie, car ces catégories ont des besoins immédiats non satisfaits. Au contraire, les cadeaux fiscaux aux plus aisés conduisent à la thésaurisation et aux placements spéculatifs.

Poursuivant son offensive contre l'impôt progressif, le seul conforme à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la majorité de droite veut dévitaliser encore plus l'impôt de solidarité sur la fortune. Déjà, cet été, certains parlaient de combiner, à la rentrée, la suppression de l'ISF avec une amnistie fiscale. La couleuvre fut jugée trop grosse, du moins pour le moment. Le principal reproche fait à l'ISF serait d'inciter les possédants à délocaliser leur patrimoine, mais le Conseil des impôts vient de faire justice de cette fable. Il estime en effet que seul « un petit nombre de redevables de l'ISF se délocalise pour des raisons fiscales. Il est probable qu'un bon nombre d'expatriations de redevables à l'ISF vers les Etats-Unis - 12% - et surtout le Royaume-Uni - 11% - n'ont pas un objectif principalement fiscal. » Ceux qui partent pour des raisons fiscales choisissent plutôt la Belgique ou la Suisse, mais ils représentent moins du tiers des partants, qui auraient été 330 en 2001. 330 Coblençards, c'est beaucoup moins qu'en 1792 ! Le patriotisme a progressé, même chez les plus riches ! Evitez donc ce genre d'alibis !

Par ailleurs, le conseil des impôts estime que « les effets économiques de ces expatriations sont très limités. La domiciliation à l'étranger d'un redevable à l'ISF ne se traduit aucunement pour l'économie française par la perte ou la fuite de l'ensemble de son patrimoine. » Et, ce sont loin d'être des « jeunes talents » qui partent, à moins que vous ne considériez qu'à 52 ou 57 ans - moyenne d'âge de ceux qui s'expatrient en Belgique ou en Suisse - l'on est jeune...

Plus gênant encore pour nos collègues de droite qui aiment à dépeindre les exportateurs de capitaux comme les victimes d'une implacable hydre fiscale, les échappatoires sont légion. « Le système fiscal français, poursuit le conseil des impôts, se caractérise trop souvent par une rigueur affichée des principes et du taux de prélèvement, alors qu'il autorise en réalité un grand nombre d'aménagements. Il est à l'origine d'une iniquité entre les contribuables selon leur degré de maîtrise du système. Si une réforme de l'ISF peut être recommandée, ce n'est pas au nom d'arguments relatifs à l'attractivité de la France ou au maintien d'activités en France, ni en lui attribuant un hypothétique équilibre budgétaire. »

Reçu vendredi dernier par le sous-préfet de Reims, dans le cadre d'une mission interministérielle, j'ai eu l'occasion de visiter avec lui les caves du champagne Pommery. Or qu'avons-nous découvert ?

M. Paul Giacobbi - Du champagne !

M. Jean-Pierre Brard - Que cette entreprise appartient désormais à M. Paul-François Vranken, président de Vranken Pommery monopole, qui a demandé à être naturalisé Français, malgré l'ISF et cette épouvantable fiscalité confiscatoire ! Il n'a sans doute pas été attiré que par les bulles du champagne ! Il a dû faire ses comptes !

M. le Rapporteur général - Il avait trop bu ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - Je pense que c'est un homme sobre et qu'il sait fort bien ce qu'il fait !

Quelles peuvent donc être vos motivations pour planifier la disparition de l'ISF ? Selon Monique et Michel Pinçon-Charlot, auteurs de l'ouvrage Sociologie de la bourgeoisie, « pour la grande bourgeoisie, l'impôt de solidarité sur la fortune est une injustice fondamentale, un prélèvement sur une partie de patrimoine accumulée par des générations d'individus ayant œuvré, certes, à leur enrichissement personnel, mais aussi à celui de la nation. Pour les foyers modestes, l'ISF est un instrument de la redistribution du fruit légitime des efforts de chacun. Il rétablit un peu d'équité dans un système qui tend à favoriser l'accumulation. L'ISF est donc contesté ou vigoureusement défendu selon les positions occupées dans la société. »

Derrière sa technicité, cet impôt est surtout un objet idéologique. Aujourd'hui que triomphe l'idéologie du marché, la grande bourgeoisie peut donc se permettre, de façon cynique et dans le registre presque poujadiste de la plainte permanente, d'en réclamer l'abrogation. Cette bataille s'inscrit dans le contexte général d'une dénonciation, par les dominants, de la société française comme un enfer fiscal à fuir. Ainsi assistons-nous à une dernière manœuvre : le chantage à la délocalisation des activités. Ce discours de plainte permanente s'accompagne d'une rhétorique de la réforme et du progrès, nouvel oripeau d'un conservatisme réactionnaire qui dénonce les exorbitants avantages acquis des salariés. Excellent tour de passe-passe, puisque ce sont les salariés qui paraissent ainsi s'inscrire dans la logique honteuse du « toujours plus » tandis que les grands bourgeois se donnent à voir comme des entrepreneurs.

La bataille contre l'ISF s'inscrit dans cette quasi-revendication de la désobéissance citoyenne, du refus de l'impôt et des charges sociales. Certes, 48 % des ménages ne payent pas d'impôt sur le revenu. Mais c'est parce qu'ils sont trop pauvres. Selon l'INSEE, 3,2 millions d'individus vivaient en 2004 avec 579 euros ou moins par mois. La condition des Français les plus fortunés est toute autre. Grâce à leur capital social, à leurs relations, ils profitent des 418 niches fiscales recensées par le conseil des impôts en 2003, conseil qui regrettait que seulement 56 % de ces régimes d'exception aient donné lieu à un chiffrage précis.

Oui, Messieurs les ministres, vous ne voulez pas que nous sachions ce qui se cache dans ces niches, et surtout qui en profite. L'offensive contre l'ISF est cette année de grande envergure. Nos collègues de droite se sont surpassés pour vider cet impôt de sa substance, à force d'abattements et autres allègements, tout en sauvant les apparences. Dans la tradition de Guizot et dans le rôle de porte-hallebarde de leur maître à penser, le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde, MM. Mariton, Novelli et consorts ont gagné leur strapontin dans le panthéon des serviteurs des privilégiés ! Mais l'opinion n'oublie pas qu'il s'agit d'un impôt de solidarité, destiné à financer le RMI, dont le nombre de bénéficiaires va croissant, conséquence logique de votre politique.

Le syndicat national unifié des impôts a chiffré le coût des cadeaux proposés : pour l'actualisation sur l'évolution des prix pour le seuil de la première tranche, 32 millions d'euros ; pour le rattrapage cumulé depuis 1997, 200 millions ; pour l'abaissement du plafonnement et la suppression de son plafonnement, 200 millions ; pour l'abattement de 30% sur la résidence principale, 57 millions ; pour la réduction du nombre de tranches, de 330 à 870 millions... à comparer avec les 4 euros de plus par mois que vous consentez au titre de la prime pour l'emploi. Le raccourci est éclairant. D'ailleurs, il vous laisse cois !

Rappelez-vous que le Président de la République a attribué son échec de 1988 à la suppression de l'ISF. Certes, vous êtes trop habiles pour le supprimer : vous le videz de son contenu. Le ministre d'Etat m'évoquait cet après-midi les artistes qui modèlent la terre. D'une masse informe, ils font quelque chose qui prend des contours sans pour autant correspondre à une réalité vivante. C'est ce que vous faites avec l'ISF : vous en gardez les contours, vous habillez vos capitulations et vos renoncements, et que reste-t-il ? Rien ! Mais croyez-vous les Français assez sots pour ne pas le voir ?

Jean-Marie Harribey, maître de conférences à l'université de Bordeaux, analyse ainsi l'agressivité que vous nourrissez à l'endroit des cotisations sociales : « L'offensive contre les prélèvements obligatoires est dirigée contre les suppléments obligatoires. Un emploi créé dans les hôpitaux ou l'industrie pharmaceutique n'est pas moins bon qu'un emploi dans l'industrie automobile ou les arsenaux. Pourquoi les commentateurs économiques se pâmeraient-ils d'aise s'ils apprenaient que les Français avaient augmenté leur consommation d'automobiles de 4 ou 5 % par an et se lamentent-ils en apprenant un tel chiffre à propos de la santé ? Parce que la progression de dépenses qui sont socialisées entraîne automatiquement une modification de la répartition des revenus dans un sens favorable aux couches sociales défavorisées. Sans sécurité sociale, elles auraient moins accès aux soins, et sans école publique leurs enfants ne recevraient que peu d'instruction. C'est la raison fondamentale qui pousse les élites à remettre en cause l'Etat-Providence.

Quant aux coûts salariaux, ils ne constituent pas le prétendu boulet dont le Gouvernement parle sans cesse. De fait, la part des salaires dans le PIB français plafonnait à 69,2 % en 2001-2002, taux proche de la moyenne de l'Union, qui s'établissait à 68,4 % et surtout, ce qui sera vraisemblablement une découverte pour vous, taux inférieur aux 72,9 % constaté au Royaume-Uni. Dans le même temps, - mais de cela, les ministres n'ont pas parlé - la productivité a augmenté de 2,32 % chaque année entre 1996 et 2002, soit davantage qu'aux Etats-Unis, où la hausse s'est limitée à 1,99 % par an. Or, cette productivité est principalement due aux salariés, puisque l'investissement a stagné. Il faut donc dire la vérité, qui est que les salariés français sont plus efficaces et plus productifs. D'ailleurs, s'ils ne l'étaient pas, comment la France pourrait-elle être aussi bien placée qu'elle l'est en termes d'exportations ?

M. le Président - Veuillez songer à conclure.

M. Jean-Pierre Brard - Je citerai un dernier exemple, qui montre que, dans notre pays, le pacte social et républicain vacille. Cet exemple, c'est celui de Vivendi, qui a obtenu le régime fiscal du bénéfice mondial consolidé, cadeau royal longuement négocié avec Bercy. Il faut dire que cela valait le coup puisque, avec cet agrément, Vivendi se voit octroyer un crédit d'impôt de 3,8 milliards. L'entreprise pourra en effet déduire des bénéfices qu'elle retire de sa participation dans le capital de SFR-Cégétel les pertes constatées dans ses filiales étrangères. Ce sont ainsi 500 millions par an, pendant cinq à sept ans, qui s'ajouteront aux bénéfices des actionnaires, soit 2 euros par action. Si leur quiétude était troublée par cette aubaine, ils se diraient sans doute qu'en contrepartie l'entreprise s'est engagée à créer deux centres d'appel, représentant quelque trois cents emplois chacun, avant juin 2007 et à contribuer, à hauteur de 25 millions en cinq ans, au financement de sociétés de reconversion. Selon les experts du ministère des finances, qui chaussent sans aucun doute d'excellentes lunettes, 1 500 emplois seront ainsi créés en cinq ans.

M. le Président - Il vous faut conclure.

M. Jean-Pierre Brard - J'y viens.

M. François Rochebloine - Le président est d'une grande gentillesse...

M. Jean-Pierre Brard - Non ! Il est républicain ! Je laisse chacun méditer sur l'équation qui associe un manque à gagner pour l'Etat de 3,8 milliards à la création de quelque 2 000 emplois incertains, financés par les deniers publics, et je vous invite à voter la question préalable. Ainsi aurons-nous plus de temps pour examiner ce budget dans le détail, mais aussi les cadeaux fiscaux faits aux entreprises et les différentes niches fiscales qui se perpétuent dans une opacité certaine (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - En entendant M. Brard, on se dit qu'il est grand temps de moderniser le déroulement de la discussion budgétaire. Non seulement nous avons entendu beaucoup de développements hors sujet, non seulement s'est manifestée une volonté certaine de se faire plaisir mais, beaucoup plus grave, de hauts fonctionnaires ont été mis en cause à titre personnel, ce qui ne se fait jamais, et certainement pas en l'absence des intéressés.

M. Jean-Pierre Brard - Ils se sont exprimés dans la presse !

M. le Ministre d'Etat - Peut-être ces pratiques ont-elles existé sous d'autres cieux, mais pas dans notre République ni dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Pourtant, vous avez insulté la directrice de la législation fiscale, qui était en poste lorsque je suis arrivé et qui est une personne respectable, qui doit donc être respectée. Je passerai, sans commentaire, sur les insultes qui me visaient personnellement, mais j'ai trouvé très déplaisante la manière dont vous présentiez les propositions de certains de vos collègues qui sont comme vous, des élus. On peut penser que l'ISF a des inconvénients sans être pour autant un suppôt du grand capital ! Prétendre débattre ainsi, c'est rendre le débat inintelligible.

J'en viens plus particulièrement à votre dernier argument, le « cadeau fiscal » qui aurait été fait à Vivendi. Cette manière de présenter les choses est insultante.

M. Jean-Pierre Brard - Ah ! Cela a fait mouche !

M. le Ministre d'Etat - Non, c'est consternant ! Auriez-vous étudié le dossier que vous sauriez que le dispositif a été créé en 1965 par le général de Gaulle qui souhaitait ainsi aider les groupes français à se développer : les autoriser à déduire des bénéfices réalisés en France les pertes dues aux acquisitions faites à l'étranger, leur permettait d'attendre le retour sur investissement. Sans doute l'idée n'était pas si stupide, puisque le mécanisme n'a jamais été remis en cause par la gauche depuis 1981 ! S'il y avait eu là-dessous quelque injustice ou quelque malhonnêteté, je ne doute pas que Didier Migaud ou d'autres experts socialistes ou communistes les auraient dénoncées, ce qui n'a jamais été fait, ni sous François Mitterrand ni pendant que Lionel Jospin gouvernait avec l'aide des ministres communistes.

J'ajoute que la décision n'est pas prise par le ministre des finances : la procédure d'agrément est engagée par le comité des investissements à caractère économique et social, où siègent plusieurs directeurs de l'administration des finances, qui étudient chaque cas et décident soit de refuser l'agrément soit de le proposer au ministre. S'agissant de Vivendi, l'agrément avait été proposé à Francis Mer par des gens tels que le directeur général des impôts ou la directrice de la législation fiscale. Lorsque j'ai constaté l'ampleur de la somme - qui est inférieure à celle que vous avancez - j'ai pris contact avec les dirigeants de Vivendi pour leur demander des contreparties en termes d'emplois. Je vous signale qu'une douzaine d'entreprises françaises sont soumises au régime fiscal du bénéfice mondial consolidé, et que jamais aucun gouvernement ne leur avait demandé une telle contrepartie. Eh ! bien, je l'ai fait, et je ne pense pas qu'à Belfort ou à Douai, où seront ouverts les centres d'appel, on appréciera l'humour de votre intervention. Il n'y a donc ni mystères ni secrets...

M. Jean-Pierre Brard - Si peu !

M. le Ministre d'Etat - ...j'ai suivi l'avis du comité. Pourquoi aurais-je dû le refuser ? A cause de l'histoire de la société et de son ancien président, Jean-Marie Messier ? Mais raisonner ainsi, c'est un déni de démocratie, c'est pratiquer le délit de sale gueule. L'octroi du régime du bénéfice mondial consolidé n'a donc rien d'un cadeau et me les auriez-vous demandées que vous auriez eu toutes les explications nécessaires.

Enfin, on peut aimer les œuvres de Proust sans être homosexuel, celles de Céline sans être antisémite et apprécier Tom Cruise sans être scientologue. Mais pour cela, il faut une grande ouverture d'esprit ! Et ce soir, cela ne semblait pas donné à tout le monde... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Brard - On ne doit jamais se compromettre avec des voyous !

M. Paul Giacobbi - M. Brard a parlé avec humour, conviction et, parfois, l'originalité qui lui est propre. On peut ne pas partager tous ses propos ; on peut même comprendre qu'ils puissent offusquer, mais on ne peut certainement pas mettre en cause leur sincérité. M. Brard a traduit le sentiment général d'injustice sociale et de parti pris que soulève votre budget. Vous ne pourrez pas le dissiper avec quelques paroles alors que dans les faits vous accentuez systématiquement des positions qui virent parfois à la provocation. Vous nous direz que le sentiment n'a rien à faire avec le budget, mais pour faire passer une réforme, il faut être juste et donner le sentiment de la justice. Manifestement, ce n'est pas le cas et le groupe socialiste votera cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Hervé Mariton - On a presque pu se demander si l'intervention quelque peu excessive, voire déplacée de M. Brard méritait une explication de vote, mais il a trop cherché à opposer les uns aux autres pour rester sans réponse. Son superbe exposé d'expression archaïque de la lutte des classes, (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) reste sans dynamique. Dans sa logique, ce que gagnent les uns, les autres le perdent. Bref, il a développé une vision pessimiste et sinistre de la vie.

M. Brard, qui a beaucoup parlé de misère, a cité ATD Quart-Monde. Puis-je rappeler que, libre de tout ancrage politique, cette organisation a compté parmi ses responsables des hommes qui ont fait un bout de chemin avec nous, tout en exprimant leur engagement social ? Quant à Montreuil, je ne peux que m'inquiéter de la situation sociale qu'il nous a décrite dans la ville qu'il gère lui-même ! N'oubliez pas la dimension sociale de ce budget : augmentation du SMIC et de la prime pour l'emploi, exonération de la redevance pour un million de foyers modestes... Elle n'est en rien contradictoire avec une dynamique libérale pour la croissance et l'emploi, mais plutôt parfaitement complémentaire. D'ailleurs, le Gouvernement a su prendre l'argent là où il est, avec le plafonnement de la provision pour hausse des prix : c'est un prélèvement sur Total qui ne parait pas vraiment injustifié !

Enfin, vous avez beaucoup parlé du paradis et de l'enfer, d'éthique et de Panthéon. Nous avons reçu, à l'Assemblée, Monseigneur Minnerath, qui vient de publier aux éditions du Cerf, avec une postface de Michel Camdessus, « Pour une éthique sociale universelle ». Monseigneur Minnerath y démontre très bien qu'en matière d'éthique sociale, point n'est besoin d'opposer les uns autres. Que cela vous inspire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Sandrier - Nous voterons bien sûr cette question préalable, car il n'y a pas lieu de débattre. D'abord, ce budget ne sera pas celui qui sera réalisé. Il y aurait donc bien besoin de le travailler mieux. Mais comme cet argument est évoqué tous les ans, j'y joins une deuxième raison : il ne répond pas aux objectifs qui ont été affichés. Cet après-midi, le ministre d'Etat a beaucoup parlé de croissance, et du fait que nous fassions moins bien que d'autres. Mais moins bien que qui ? Depuis la mi-septembre, vous vous targuez d'obtenir un point de plus que nos voisins européens ! - en oubliant au passage que c'est le cas depuis plusieurs années. Alors, moins bien que la Chine ? La comparaison ne serait pas sérieuse. Moins bien que les Etats-Unis ? Mais que font-ils de leur croissance, d'ailleurs due essentiellement à leur industrie militaire ? Souhaitez-vous copier leur déficit ? Leur croissance sert-elle à créer des emplois, à mieux soigner les Américains, à augmenter leurs salaires ? Que pensez-vous faire de votre croissance ?

Le ministre a également beaucoup parlé de valoriser le travail. Jamais ceux qui ont siégé de son côté n'ont admis de baisser la durée du travail : qu'ils y restent opposés n'est donc pas une nouveauté. En revanche, il me semble que vous confondez la valorisation du travail et celle des dividendes. En facilitant les licenciements, en développant la précarité de l'emploi et les très bas salaires, en laissant stagner les rémunérations - le président de notre commission lui-même est obligé d'insister pour augmenter les traitements des fonctionnaires ! - en rémunérant davantage l'argent que le travail - les actionnaires demandent un rendement de 15% ! - et moins les heures supplémentaires, ne faites-vous pas exactement l'inverse d'une valorisation du travail ?

Le problème - et ce n'est pas le groupe communiste qui le dit, mais Patrick Arthus, économiste reconnu - ce n'est pas la durée du travail, mais le niveau de rentabilité exigé par les marché financiers ! Il ajoute que la hausse des profits s'est faite au détriment de la distribution des gains de productivité aux salariés. C'est cela, la dévalorisation du travail !

Enfin, vous prétendez faire beaucoup d'efforts pour les nouvelles énergies, mais le budget de l'environnement et du développement durable est un de ceux qui baissent le plus, et vous multipliez par deux l'exonération de taxe professionnelle pour de nombreux poids lourds ! Vous favorisez la route au détriment du rail ! Ce budget est donc, sans aucun doute, à revoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean Lassalle - Le groupe UDF a écouté M. Brard attentivement, et n'a rien entendu qui le pousse à voter la question préalable. Sur le fond, Nicolas Perruchot et Charles de Courson donneront notre sentiment au cours de la discussion générale.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Nicolas Perruchot - A l'issue de l'examen en commission de ce budget, il apparaît que nous sommes dans une situation difficile, qui impose une réforme en profondeur de nos institutions. Je sais, Monsieur le ministre d'Etat, les difficultés que vous avez rencontrées pour présenter un budget volontariste, notamment sur le plan des grands équilibres, et j'ai noté votre volonté d'ouverture, qui s'est manifestée cet après-midi en matière de TIPP. Néanmoins, le groupe UDF ne peut passer sous silence un certain nombre de failles.

D'abord, on nous présente certes un budget en équilibre, mais le déficit ne sera réduit que de 10 milliards, et, pour une large part, grâce au versement de la soulte d'EDF. L'essentiel a donc été obtenu par des mesures non reconductibles. Nous sommes loin de l'équilibre. Ensuite, de nombreuses dispositions sont critiquables sur le plan de la justice sociale, même si le budget comprend des mesures fiscales positives, en matière notamment de droits de succession. La discussion budgétaire devra les faire évoluer. Ainsi, les Français sont-ils très inquiets de l'augmentation des cours du pétrole, qui se répercute directement à la pompe : les prix aux stations service atteignent des records ! Cette hausse s'explique par de nombreuses raisons structurelles. Il faut y apporter deux types de réponse. Tout d'abord, quand le pétrole augmente, l'Etat ne doit pas s'enrichir sur les consommateurs mais redistribuer de façon efficace et pérenne les recettes fiscales supplémentaires qui arrivent dans ses caisses. Le groupe UDF appelle de ses vœux un tel dispositif et vous remercie, Monsieur le ministre d'Etat, du pas que vous avez fait en ce sens. Mais il faut aussi une réponse plus structurelle, à savoir un effort plus important en faveur des énergies de substitution, notamment les biocarburants.

La suppression du prêt à taux zéro constitue à mes yeux une erreur. Ce système simple a fait ses preuves. Il convient de le protéger plutôt que de réinventer sans cesse des usines à gaz.

La hausse du plafond de la réduction d'impôt sur les emplois familiaux nous paraît excessive, sachant qu'elle ne concerne qu'un nombre marginal de foyers, environ 60 000, qui se situent parmi les plus aisés. Il serait plus juste d'instaurer un dispositif bénéficiant à la fois aux personnes imposables et non imposables. C'est pourquoi nous proposons de transformer cette réduction d'impôt en crédit d'impôt...

M. le Ministre d'Etat - Et le déficit ?

M. Nicolas Perruchot - Oui, je sais que les marges de manœuvre sont étroites, mais je pense que cela pourrait se faire à coût constant pour l'Etat. Un million de foyers supplémentaires en bénéficierait et cela profiterait aussi à l'emploi.

Enfin, le groupe UDF refuse le nouveau mode de calcul des pensions de réversion prévu par le décret du 24 août 2004, car il aura pour conséquence de supprimer ces pensions pour de nombreux veufs et veuves. La logique voudrait que la pension de réversion corresponde à un droit acquis définitivement par les cotisations du conjoint.

On ne peut pas à la fois augmenter les prélèvements sur les catégories de population les plus modestes, supprimer le prêt à taux zéro, réduire les pensions de réversion pour de nombreuses veuves, et, dans le même temps, afficher des baisses d'impôts mal ciblées... C'est pourquoi le groupe UDF conditionnera son vote à la prise en considération de ces indispensables rééquilibrages, gages de justice sociale, que sont le maintien du prêt à taux zéro, une revalorisation moins excessive du plafond pour les emplois familiaux, une solution plus juste en matière de pensions de réversion et une réponse efficace et sur le long terme à la hausse des prix du carburant.

Ce budget nécessite un rééquilibrage social car, sans justice sociale, nos concitoyens ne sauraient comprendre et accepter les réformes que nous devons impérativement mettre en œuvre pour moderniser notre pays.

Pour le groupe UDF, il est ici question de budget mais aussi, et surtout, de responsabilité. En tant que parlementaires, nous avons celle d'évaluer et de contrôler le projet du gouvernement. Nous avons aussi une responsabilité vis-à-vis de nos voisins européens ; mais aussi de chaque citoyen de ce pays, qui paye les dettes d'un Etat qui doit de toute urgence se réformer ; enfin vis-à-vis des générations futures, qui vont hériter d'une dette trop lourde, cadeau empoisonné d'une époque où peu de dirigeants osent prendre le risque de la vraie décision politique, celle qui cherche l'intérêt général avant les intérêts particuliers. A mon sens, c'est cette notion de responsabilité, qui est la condition sine qua non du respect de notre pacte social.

Aujourd'hui, ni le déficit, ni la dette ne sont maîtrisés. Mais alors il faut l'assumer, et dire aux Français quelles sont les réformes qui constituent la seule véritable issue à la situation budgétaire actuelle. C'est en satisfaisant à cette exigence de lisibilité de l'action politique que nous préserverons la crédibilité, la légitimité même, de l'Etat.

Cela implique aussi de « réduire la voilure » de cet Etat. M. Méhaignerie a fait à ce sujet une intervention que j'ai beaucoup appréciée. Réduire la voilure de l'Etat, c'est le réformer en profondeur, c'est le rendre plus sobre et plus efficace, c'est assainir les finances publiques par des réformes qui fondent une véritable culture de l'efficacité budgétaire.

Les cinq réformes indispensables à la croissance et à l'emploi sont : la réforme des retraites, celle de l'assurance maladie, celle des 35 heures, la décentralisation et la réforme de l'Etat. Ce sont les clefs de l'assainissement des finances publiques et de notre capacité à créer de la richesse. Or, s'agissant des retraites, le Gouvernement a certes permis une amélioration de leur financement, mais il n'en demeure pas moins que leur équilibre financier est loin d'être assuré. Pour ce qui est de l'assurance maladie, les mesures proposées ont pour conséquence de reporter sur les générations futures la prise en charge du déficit. Quant à la décentralisation, elle nous a été présentée comme « la mère des réformes », mais au final les régions ont vu leur rôle de chef de file en matière économique se transformer en une simple coordination des actions de développement économique, ce qui a vidé le texte de sa portée.

Les 35 heures ont été assouplies, fort heureusement. Mais il faudrait aller plus loin pour éviter aux entreprises un renchérissement du coût du travail et pour assurer la reconstruction d'un véritable dialogue avec les partenaires sociaux.

Pour conclure, je dois reconnaître que le gouvernement a le mérite d'avoir abordé certains sujets et d'avoir posé certaines questions. Mais la conjoncture est trop grave pour qu'on se contente de répondre de manière frileuse ou inachevée.

A nous de prendre nos responsabilités. L'UDF prend les siennes et soutiendra toute mesure allant dans le sens de la justice sociale et de la réforme. Notre vote dépendra bien sûr des efforts faits par le gouvernement pour faire bouger les lignes et donner des signes forts à l'opinion sur un rééquilibrage social. Un premier pas a déjà été fait, nous attendons les mesures concrètes qui suivront et des actes précis sur les autres problèmes que nous avons soulevés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Michel Vaxès - Après les lois relatives aux responsabilités locales et à l'autonomie financière des collectivités locales, les élus locaux auraient pu espérer une attention particulière et des moyens mieux adaptés à l'exceptionnelle évolution des charges qui vont peser sur les budgets des communes, des départements et des régions.

Mais non contents des dégâts sociaux causés par vos choix de politique nationale, vous en rajoutez en contraignant les collectivités locales à n'avoir d'autre d'alternative que de réduire les services rendus à leur population ou d'augmenter le poids de la fiscalité locale.

Vous tentez même de vous défausser de vos responsabilités en arguant que si le gouvernement peut baisser les impôts, les communes, les départements et les régions pourraient faire de même ! Mais vous vous gardez bien de dire que vos baisses d'impôt profitent avant tout à ceux qui sont déjà privilégiés tandis que, budget après budget, vous organisez une réduction drastique des marges financières des collectivités locales.

Lors de son intervention dans le débat sur les délocalisations, le président Méhaignerie a parfaitement illustré le credo de la majorité actuelle. Il nous a en effet expliqué que le niveau élevé des dépenses publiques et sociales devenait un handicap pour la compétitivité et l'emploi et que, ces deux dernières années, les dépenses sociales de l'Etat et des départements avaient progressé de plus de 12 %.

Mais comment pourrait-il en être autrement quand deux millions et demi de personnes, dont 800 000 enfants, vivent en France de l'aide alimentaire, quand des milliers d'étudiants sont démunis, quand on évalue entre quatre à cinq millions le nombre de demandeurs d'emploi et de salariés précaires, quand 10 % de la population française vivent aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté, quand le nombre d'allocataires du RMI a progressé de plus de 10 % en un an ? Comment, dans ces conditions, la demande publique et sociale pourrait-elle ne pas progresser ?

Il faudrait être insensible pour ne pas entendre les cris de détresse d'un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens et pour refuser d'y répondre !

C'est pourtant ce que vous faites en préconisant la réduction de la dépense publique et sociale au profit des nouvelles largesses que le Medef vous commande de lui accorder. C'est ce que vous faites en refusant aux collectivités territoriales les moyens financiers nécessaires à la réduction des souffrances de tous ceux dont la vie est brisée par les logiques économiques destructrices que vous voudriez graver demain dans le marbre du très libéral projet de traité de constitution européenne.

Cette logique n'épargne pas le volet collectivité territoriale. Dans le cadre du contrat de croissance et de solidarité, les dotations sous enveloppe aux collectivités territoriales évolueront en volume de 1,2 milliard d'euros. Vous auriez pu faire beaucoup mieux en écoutant les associations d'élus qui demandent que la croissance profite aux collectivités locales par une prise en compte qui se fasse à hauteur de 50% du PIB. Je pense même qu'il ne serait que justice qu'elles en profitent à 100 %. Vous en aviez les moyens puisque la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle ne représente pas pour l'Etat une dépense de 9 milliards d'euros, mais seulement de 1,9 milliard. Vous en aviez les moyens puisque vous récupérez indûment sur les budgets des collectivités plus de 1,6 milliard de cotisations de péréquation et de cotisation minimale de TP et 2,5 milliards de baisse du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée. Quant aux dotations hors enveloppe, il s'agit pour l'essentiel de remboursements de taxes payées à l'Etat par les collectivités locales ou de compensations d'exonérations ou de dégrèvements, notamment de taxe professionnelle.

Vous pouviez faire autrement, mais vous avez préféré alléger d'un milliard d'euros la fiscalité des entreprises. Au total, ce gouvernement aura consenti au Medef 20 milliards d'euros d'exonérations. Le ministre des finances en attribue 15 au financement des 35 heures. Même si nous l'admettions, les 5 milliards restants représentent tout de même près de cinq fois plus que l'évolution que vous concédez cette année aux collectivités territoriales au titre de l'enveloppe normée. Pourtant, parmi ces entreprises grassement exonérées, beaucoup réalisent des profits colossaux. En 2003, Total réalise plus de 6 milliards de bénéfice, Peugeot 1,7 milliard, Renault 1,9 milliard, Saint-Gobain 1 milliard, L'Oréal 1,3 milliard, Aventis 2 milliards, Gaz de France 3 milliards... Quant au groupe BP, il a réalisé près de 3 milliards de bénéfice net cette année, mais il a réduit de 5 millions d'euros sa cotisation de taxe professionnelle dans la communauté d'agglomération de son principal site de production ; M. le ministre du Budget connaît bien cette question.

Vous vous glorifiez d'avoir reconduit, mais pour un an seulement, le contrat de croissance et de solidarité qui devrait assurer une progression de 2,87 % des dotations. Nous aimerions bien pouvoir le vérifier pour chacune de nos communes. Faute de disposer de vos simulations, j'en ai fait réaliser quelques-unes. En prenant les hypothèses de gel de la dotation forfaitaire, de la baisse de près de 11% de la DCTP et d'une hausse moyenne de 20% de la DSU ou de la DSR aux communes qui pourront y prétendre, je constate, sur cinq communes testées, deux hausses de dotations inférieures à l'inflation et trois baisses ! Ces quelques exemples ne prétendent pas rendre compte de toutes les évolutions, mais je crains qu'ils n'en fixent la tendance générale.

On mesure donc l'incongruité des propos tenus par M. le ministre délégué à l'Intérieur devant le comité des finances locales, affirmant que cette loi de finances donnait aux collectivités territoriales tous les moyens de réussir la première étape de la décentralisation, et soulignant l'effort de l'Etat. Quel effort, Monsieur le Ministre ? Le Gouvernement s'est essoufflé avant d'être parti, et à l'arrivée la majorité des collectivités locales ne verront rien venir de ce que vous leur promettez.

Dans le cadre des lois Raffarin, départements et régions devront faire face à de nouvelles dépenses. Ainsi les départements se sont vus confier une grande part de l'action sociale - je pense notamment au RMI et RMA -, la gestion des routes nationales, souvent en mauvais état, le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours, en constante croissance, le recrutement et la gestion de dizaines de milliers de personnes travaillant comme TOS dans les collèges. Au titre de ces nouvelles compétences ils devront assumer 8 milliards de dépenses supplémentaires. Quant aux régions, avec le transfert des TOS des lycées, l'aide aux entreprises, la formation professionnelle, les ports d'intérêt national, les aérodromes civils, elles devront assumer 2,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles. Contrairement aux promesses et à ce qu'exige la Constitution, les nouveaux financements ne compenseront pas ces transferts. Votre loi de décentralisation opère en réalité un gigantesque délestage des charges de l'Etat sur les collectivités locales : c'est une bombe à retardement dont nous mesurerons les effets destructeurs dans quelques années. Les collectivités locales qui ne souhaitent pas affaiblir leurs politiques sociales seront contraintes d'augmenter leurs impôts pour assumer les charges que vous leur transférez. L'attribution aux régions d'une part de la TIPP et aux départements d'une part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance ne feront qu'augmenter les inégalités entre collectivités.

Vous revendiquez pourtant le sens de l'équité. La conception que vous en avez appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, votre réforme des dotations, y compris la DSU et la DSR, est entièrement financée par la DGF : autrement dit ce sont les collectivités qui paient la réforme mais le Gouvernement qui en fixe les contenus ! Étrange conception des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Par ailleurs je m'interroge sur la pertinence des critères retenus pour fixer le montant de ces dotations. Ainsi je doute fort que la superficie d'un territoire rende mieux compte que la longueur de ses voiries des charges que doit supporter une collectivité. En revanche, puisque vous prétendez réduire les inégalités entre collectivités et territoires, pourquoi ne pas renforcer sensiblement le poids du critère le plus pertinent et le plus juste pour l'évaluation des difficultés comparées des collectivités territoriales c'est à dire celui du revenu moyen par habitant ? Les collectivités qui accueillent les populations les plus fragiles socialement sont en effet celles qui sont confrontées aux plus fortes demandes sociales.

On le voit donc : le volet de ce projet relatif aux finances locales, comme l'ensemble du texte, est fiscalement injuste et socialement très insuffisant. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Michel Bouvard - Ce projet s'inscrit dans un contexte de croissance retrouvée : 3 % au deuxième trimestre 2004 par rapport à la même période de 2003, contre 2 % en moyenne pour la zone euro. Il appartient à la loi de finances de conforter cette croissance et de la rendre durable.

Conforter la croissance est bien l'objectif des principales mesures du projet et d'abord des mesures en faveur de la relance de la consommation, notamment celle des plus modestes. Le SMIC est revalorisé de plus de 5%, ce qui permet de réunifier progressivement les différents salaires minimum et de mettre fin au démantèlement du SMIC résultant des 35 heures : c'est une mesure de justice sociale pour un million de Français. La majoration de 4% de la prime pour l'emploi, soit plus du double de l'inflation, est une autre avancée importante ; elle vient soutenir le pouvoir d'achat de ceux qui vivent de leur travail et ont souvent le sentiment que sa valeur n'est pas assez prise en compte. C'est une orientation importante pour ceux qui pensent, comme moi, que la réussite du pays passe par la revalorisation du travail des plus modestes.

Le même objectif inspire les mesures destinées à dynamiser les entreprises. La prolongation de l'exonération de taxe professionnelle favorisera les investissements, tout comme la suppression de la surtaxe de 3% en deux ans à l'impôt sur les sociétés nous rapprochera de la moyenne européenne. Non moins positives sont les mesures destinées à favoriser la relocalisation dans notre pays d'activités délocalisées, et surtout à structurer les capacités de recherche-développement de l'industrie en créant des pôles de compétitivité.

Sur ce point, je tiens à affirmer qu'un soutien amplifié à la recherche-développement est préférable à des mesures ponctuelles d'allègement de charges sur des emplois dont la pérennité n'est pas assurée et qui peuvent offrir un simple effet d'aubaine : nous devrons y être attentifs. De même il faudra s'assurer que les mesures en faveur des zones éligibles à la PAT ne nuisent pas aux zones de revitalisation rurale, qui ne le sont pas toutes.

Au-delà toutefois de ces mesures de stimulation de la croissance, l'essentiel est de construire une croissance durable. Celle-ci - l'histoire budgétaire des vingt dernières années l'a montré - n'est pas compatible avec la poursuite des déficits, l'accroissement continu des dépenses de fonctionnement et celui des effectifs de l'Etat. C'est justement quand la croissance est là qu'il faut être rigoureux dans la gestion de l'Etat, pour préparer l'avenir.

Telle est bien l'ambition de ce budget, qui prévoit de réduire le déficit de 10 milliards d'euros en inscrivant, pour la troisième année consécutive, une croissance zéro des dépenses - ce qui marque en réalité une diminution, compte tenu de l'inflation prévue.

La charge de l'annuité de la dette est le deuxième poste budgétaire de l'Etat ; ajoutée aux dépenses de personnel et de pensions, elle représente plus de 55% du total. Le gel de la dépense est indispensable pour réduire progressivement l'effet boule de neige du déficit et de l'endettement, qu'a bien analysé M. Carrez.

Ayant exprimé ma satisfaction sur ces points, j'en viens à quelques recommandations. La première concerne l'attractivité de notre pays. Celle-ci ne se construit pas seulement par voie fiscale : elle dépend aussi de la qualité de la formation et de celle des infrastructures. Pour financer celles-ci, l'engagement de l'Etat demeure indispensable. Cela implique une réorientation progressive de notre budget vers l'investissement civil, qui demeure le parent pauvre. Mais qu'on ne s'y trompe pas : dans un pays qui finance par l'emprunt une partie de ses dépenses de fonctionnement, cette réorientation ne peut venir d'un surcroît de dépenses. Elle passe nécessairement par une réduction des dépenses de fonctionnement. Ainsi seulement l'Etat pourra honorer sa signature dans les contrats de plan, qui accusent un retard moyen de deux ans.

Il faut donc avoir le courage de poser le problème de la réduction des emplois publics. Le non remplacement de 10 211 agents partant en retraite et la création de 3 023 emplois dans les secteurs prioritaires - justice, enseignement supérieur et sécurité - permettra de réduire de 7 188 les effectifs, ce qui est plus qu'en 2003 et 2004. Encore faut-il que cette diminution soit réelle si elle doit effectivement réduire la charge budgétaire. En effet la charge des retraites de la fonction publique s'accroîtra en 2005 de 2 milliards d'euros. Lors de l'examen de la loi de règlement pour 2003, j'ai évoqué le problème que posent la transformation de postes de contractuels en postes de titulaires, ou les fausses diminutions d'effectifs qui consistent à transférer dans des établissements publics des postes précédemment rémunérés par l'Etat... mais qui en réalité continuent à l'être par le biais de subventions à ces établissements ! La Cour des Comptes l'a souligné dans le cas du ministère de la Culture.

Ces pratiques doivent prendre fin : les réductions d'emplois doivent être de vraies réductions. C'est possible dans nombre d'administrations centrales, mais aussi par des réformes de structures qui ne remettent pas en cause la qualité du service à la population. A cet égard la réforme de la perception de la redevance TV est exemplaire : elle a permis de réduire de mille emplois l'effectif du ministère des Finances tout en exonérant les titulaires du RMI et les propriétaires de résidences secondaires, sans diminuer les moyens du service public de l'audiovisuel. Il faut en féliciter le Gouvernement qui a su entendre les propositions de la commission des Finances. Il faudra toutefois veiller à ce que les postes ainsi économisés soient bien réorientés vers d'autres services, et ne servent pas à constituer de nouvelles structures.

La mise en œuvre de la LOLF et des plafonds d'autorisation d'emplois, de même qu'une gestion de ces derniers par métiers plutôt que par statuts, doivent favoriser la réalisation des stratégies ministérielles de réforme. Les objectifs présentés par chaque ministère traduisent une prise de conscience, mais aussi l'existence de marges de progrès considérables.

La maîtrise des comptes publics passe aussi par la lutte contre l'inflation normative et réglementaire qui multiplie les procédures, les contrôles, les commissions, et alourdit les charges des entreprises comme celles des collectivités territoriales et des associations. Il y a là un gisement d'économies et d'emplois, en même temps qu'une amélioration possible des relations entre l'Etat et les citoyens.

Faute de temps, je ne ferai que mentionner le coût de la mise en œuvre de telle directive sur la qualité de l'eau, qui conduit à déclarer impropres à la consommation des sources non polluées et utilisées depuis des décennies, et engendre des centaines de milliers d'euros de dépenses pour les collectivités locales...

J'évoquerai encore les superpositions des réglementations d'urbanisme et des structures de contrôle, les conflits d'interprétation entre services de l'Etat, sans parler des expériences hasardeuses de réintroduction des prédateurs... Oui, des économies sont possibles sans réduire le service au public.

Cela passe aussi par une vraie décentralisation, dans laquelle l'Etat ne cherche pas à se substituer aux services transférés. Que dire du ministre de l'équipement qui édicte de nouvelles normes au moment du transfert des routes aux départements ou qui crée un centre d'appel de l'Etat pour recenser les défauts de signalisation ?

Que dire aussi de nos propres tentations de créer hautes autorités, observatoires et hauts conseils - trois pour le seul projet sur EDF ? A l'évidence, des regroupements sont possibles. Quand engagerons-nous la réforme des outils de prospective de l'Etat ? Le commissariat général au plan a-t-il encore une raison d'être, ou sa mission peut-elle être assurée par la DATAR ?

Les chemins de la rationalisation du fonctionnement de l'Etat sont multiples. Pierre Méhaignerie a fait part de l'irritation de la commission des finances sur la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat. Je ne prendrai qu'un exemple des incohérences : est-il normal que les locaux de l'Etat fassent l'objet d'une proposition d'acquisition de la part d'une structure aussi fragile que la Fondation nationale des sciences politiques, dont le budget dépend largement de l'Etat ?

Les progrès du contrôle parlementaire sont indispensables à cette rationalisation. Votre approche de la mise en œuvre de la LOLF témoigne de votre adhésion à cette démarche. Il reste toutefois quelques progrès à accomplir, notamment en découpant des programmes trop volumineux en crédits. Je salue le respect du calendrier fruit de l'action d'Alain Lambert et de la vôtre. Le remplacement de 850 chapitres par 132 programmes permettra une meilleure lisibilité tout en ouvrant un droit d'amendement et de réaffectation des crédits. En 2005, 10 % du budget, 50 services et 600 000 agents seront concernés par les expérimentations de la LOLF. Les nouveaux bleus sont cette année au rendez-vous. Même si certains ne sont pas à la hauteur, ils donnent une première image des futurs indicateurs de performance.

Nous aurons l'occasion dans quelques semaines de faire des propositions pour compléter le dispositif de 1999, afin de renforcer le contrôle du Parlement sans remettre en cause l'action de l'exécutif. C'est à cette condition que la réforme budgétaire sera un succès et qu'elle permettra d'inscrire la gestion de l'Etat dans une culture de résultat apte à conforter durablement la croissance.

Souscrivant à ses orientations, constatant la volonté du gouvernement de permettre le renforcement du contrôle parlementaire, notre groupe apportera son appui au budget 2005 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Eric Besson - Je suis frappé, Monsieur le ministre d'Etat, par la posture d'observateur que vous adoptez de plus en plus : quand vous décrivez les maux qui accablent notre pays, quand vous stigmatisez les blocages, on se demande si vous vous souvenez que vous êtes le numéro deux du gouvernement depuis deux ans et demi... Ainsi, alors que « libérer le travail » est votre slogan, la France compte 230 000 chômeurs de plus depuis que vous la gouvernez et nombreux sont ceux qui dénoncent l'augmentation de la grande pauvreté dans notre pays. N'êtes-vous donc responsable de rien ? Feignez-vous de ne pas voir la distinction entre durée individuelle et collective du travail ? Qui défend le mieux la valeur travail, le gouvernement qui réduit de 920 000 le nombre des chômeurs ou celui qui l'augmente de 230 000 ?

Vos résultats ne sont pas le fruit de la seule conjoncture internationale mais d'une politique économique à contre-emploi et du démantèlement des outils des politiques actives en faveur de l'emploi. Face à un tel échec, vous nous annoncez vouloir accélérer dans cette voie : nous vous jugerons en fonction des chiffres du chômage !

Vous parlez avec force des délocalisations, en caricaturant nos positions, mais vous êtes incapable de poser un diagnostic clair. Montrez-vous donc plus modeste et n'attisez pas les angoisses des Français ! Faites preuve aussi de plus de cohérence : mardi dernier, tandis que le Président de la République négociait en Chine, vous nous disiez ici le pire sur nos échanges avec ce pays. Suggériez-vous de renforcer les exportations et d'interdire les importations ? Nous n'en avons rien su, pas plus que nous n'avons eu connaissance de votre avis sur le vrai risque, celui des transferts de technologie mal maîtrisés.

Vous avez agité ici quelques hochets, mais vos mesures de relocalisation ne sont qu'un retour aux vielles zones franches, qui restent pour la droite l'alpha et l'oméga de toute politique de compétitivité. Mais vous y croyez si peu que vous nous avez dit tout à l'heure que si ça ne marchait pas, ça ne coûterait rien à l'Etat... Tout ça pour ça ? Tout ce tintamarre pour une mesurette ? C'est peu pour qui veut incarner l'action... Des mots, un rapport Camdessus que vous jugez bon car il reprend l'essentiel de vos arguments et de votre vision libérale de l'économie.

J'en viens à l'insincérité de ce budget. Bien sûr, la prévision de croissance est une science incertaine, et nul ne peut vous jeter la pierre, - à condition que vous ne niiez pas la réalité. Alors que vous prétendiez vous appuyer sur le consensus des économistes, vous ne pouvez ignorer qu'ils sont unanimes à prévoir un baril plus cher que dans vos prévisions. Vous-même avez reconnu que rien ne laissait présager une baisse. Or un baril à 50 dollars au lieu de 36, c'est au moins un demi-point de croissance en moins, sans doute davantage si on tient compte de l'impact sur le pouvoir d'achat tant que vous refusez le retour à la TIPP flottante, préférant vous en remettre, vous le chantre de l'action immédiate, à une commission... Pourquoi laisser cela à votre successeur ?

Dans ce budget, les plus modestes et les consommateurs populaires, dont le pouvoir d'achat est pourtant le moteur de la croissance, sont les grands sacrifiés. Vous voulez quitter Bercy à droite, laissant une sorte de testament libéral, marqué par vos mesures en faveur des donations, des successions, des emplois à domicile, des contribuables assujettis à l'ISF. L'avenir dira si votre passage à Bercy aura servi votre carrière, mais il ne restera pas comme un modèle de clarté, de cohérence, d'efficacité économique et de justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, cet après-midi, mercredi 20 octobre, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 20 OCTOBRE 2004

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800).

Rapport (n° 1863) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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