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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 11ème jour de séance, 26ème séance

1ère SÉANCE DU VENDREDI 22 OCTOBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

        PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2005
        première partie- (suite) 2

        APRÈS L'ART. 9 2

        ART. 10 18

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2005 -première partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2005.

APRÈS L'ART. 9

M. Marc Laffineur - L'amendement 511 est presque rédactionnel. L'excellent projet de loi que nous avons voté avant les vacances d'été exonérait d'impôt sur les plus-values les cessions d'activités commerciales ou artisanales inférieures à 300 000 euros. Il semble que ce texte n'ait pas été parfaitement compris dans tous les départements, aussi cet amendement tend-il à compléter le code général des impôts pour préciser que bénéficie de cet avantage fiscal la cession des fonds de commerce et fonds d'entreprises artisanales dans les activités concernées. Il s'agit là encore de défendre le monde rural.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Cet amendement n'a pas été examiné en commission, mais j'y suis défavorable à titre personnel. En effet, les fonds de commerce sont souvent cédés à des banques, des assurances ou d'autres activités qui ne contribuent pas à revitaliser les centres-villes. Dans l'esprit de la loi de juin, le terme d' activité permettait de réserver l'avantage fiscal aux repreneurs d'un fonds de commerce qui conserveraient l'activité, par exemple une boulangerie. Il s'agissait de maintenir l'activité économique dans nos centres-villes et tous les députés concernés par ce problème nous avaient soutenus.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire - Même avis. Le texte exonère déjà, sous certaines conditions, les cessions de fonds de commerce ou de fonds d'entreprises artisanales ou libérales et l'instruction que nous allons prochainement diffuser est de nature à répondre à vos légitimes préoccupations, aussi vous demanderai-je de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le Président - Accédez-vous à la demande du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur - J'ai toujours du mal à lui résister...

M. Jean-Louis Dumont - C'est parfois nécessaire !

M. Marc Laffineur - Je retire l'amendement 511.

M. Michel Bouvard - L'amendement 45 est défendu.

L'amendement 45, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Bouvard - Nos zones rurales sont confrontées à la disparition progressive de l'hôtellerie familiale. En effet, nombre d'établissements ne sont pas repris, notamment en raison des frais de succession. L'amendement 137 tend donc à exonérer de droits de succession, dans les zones de revitalisation rurale, les équipements hôteliers.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable, car votre dispositif pourrait être jugé contraire à la Constitution. Des mesures ont déjà été mises en œuvre pour faciliter la transmission, mais il paraît difficile de justifier une exonération totale pour une seule catégorie de biens, qui plus est sur un territoire particulier.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis, même si la transmission des petits hôtels pose un vrai problème. Dans ma région, ce sont les Britanniques, installés chez nous sans doute en raison de notre fiscalité, qui les rachètent. Merci d'avoir posé cette question sur laquelle nous allons réfléchir, notamment dans le cadre du projet de loi sur les entreprises.

L'amendement 137 est retiré.

M. Hervé Mariton - La truffe française - la truffe noire - est menacée. Aussi l'amendement 58 tend-il à instaurer une exonération partielle des droits de succession ou de donation au profit des terrains truffiers.

M. le Rapporteur général - Nous sommes tous attachés à la truffe, et l'intervention de notre collègue me fait découvrir que ce champignon, dont je pensais qu'on le trouvait surtout dans le Lot et le Vaucluse, se trouve aussi dans la Drôme...

M. le Président - Surtout dans la Drôme !

M. le Rapporteur général - Malheureusement, cet amendement romprait le principe d'égalité, aussi la commission y est-elle défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis, mais je tiens à remercier M. Mariton de nous avoir donné ce matin un avant-goût des senteurs de la Drôme provençale et de la qualité de ses produits.

M. Jean-Louis Dumont - Omelette aux truffes à midi !

L'amendement 58 est retiré.

M. Jean-Louis Dumont - Par l'amendement 289, MM. Terrasse et Launay veulent à leur tour défendre la transmission des terrains truffiers (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Je vous rappelle, chers collègues, que la Meuse a une très ancienne tradition truffière, et que sa production demeure importante. Il est vrai que la truffe garde ses mystères, mais les études conduites dans notre département, sans les lever tous, ont permis de constater que les truffes sont d'autant plus belles qu'humidité et soleil se conjuguent (Sourires). De fait, celles que nous récoltons actuellement sont d'excellente qualité (Sourires). Nos vergers trufficoles doivent donc faire l'objet d'une attention particulière. Il en va de la multi-activité mais aussi de nos paysages, car le maintien de cette culture permet que certains espaces ruraux ne soient pas complètement abandonnés. J'en appelle donc à votre solidarité et à l'adoption de l'amendement 289 ou, à défaut, de l'amendement 290 (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. le Rapporteur général - J'ai été impressionné par la science truffière de notre collègue de la Meuse. Mais, dans le Val-de-Marne, on n'est pas complètement ignorant de ces choses, et l'on sait, notamment, que la truffe se trouve aussi grâce à la mouche rabassière. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour accepter les amendements !

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Hervé Mariton - Le sujet peut faire sourire ; il n'empêche que dans bien des zones rurales peu prospères, la truffe est un élément non négligeable de l'économie locale.

M. Jean-Louis Dumont - De fait, si les plantations ne sont pas sauvées, les importations en provenance de Chine d'une truffe qui ne vaut rien se multiplieront. A quoi bon organiser des semaines du goût si l'on ne se donne pas les moyens de préserver des productions de qualité qui font vivre de nombreuses familles ?

M. le Rapporteur général - Je comprends les préoccupations qui s'expriment et je tiens à vous indiquer que le projet de développement des territoires ruraux prévoira vraisemblablement de porter de quinze à vingt ans la durée d'exonération du foncier non bâti.

M. Jean-Louis Dumont - Voilà une bonne nouvelle !

L'amendement 289, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 290.

M. Michel Bouvard - Par l'amendement 135, je propose d'exonérer des droits de mutation après décès les successions des personnes mortes lors de catastrophes naturelles ou d'accidents collectifs de transports.

M. le Rapporteur général - La commission a exprimé un avis défavorable. Actuellement, l'exonération est de droit lors d'un décès dans lequel la responsabilité de l'Etat est établie. Cela vaut également en cas d'actes terroristes, bien que cette responsabilité ne soit pas directe. L'extension proposée vise à la fois les victimes de catastrophes naturelles, phénomènes que l'on peut définir, et celles d'accidents collectifs, dont la définition est beaucoup plus difficile. L'extension proposée est trop large au regard des limites actuellement fixées par la jurisprudence.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement, bien que très sensible à la préoccupation humaniste de M. Bouvard, se range à l'avis de la commission.

L'amendement 135 est retiré.

M. Augustin Bonrepaux - Le Gouvernement et la majorité ayant décidé un abattement de 100 000 euros sur les droits de succession, la cohérence commande - c'est l'objet de l'amendement 287 - d'aligner le dispositif de l'assurance-vie sur cette mesure, en réduisant de 152 500 euros à 100 000 euros le plafond de transmission en exonération totale de droits d'un patrimoine ainsi constitué. Ainsi compenserait-on, dans une certaine mesure, les largesses gouvernementales.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Le régime de l'assurance-vie fonctionne à la satisfaction de tous les Français. Il n'y a pas lieu d'y toucher.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Marc Laffineur - Par cet amendement, l'Etat reviendrait sur sa parole. Cela ne m'étonne pas de la part de nos collègues socialistes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) qui veulent ignorer que des contrats ont été signés, prévoyant une exonération de droits à hauteur de 152 500 euros. L'adoption serait du plus mauvais effet pour l'image de l'Etat.

M. Augustin Bonrepaux - C'est pourquoi je retire l'amendement 287 au bénéfice de l'amendement 288 aux termes duquel la disposition sera applicable aux seuls contrats conclus à compter du 20 octobre 2004.

M. le Rapporteur général - Mon avis demeure défavorable, pour les raisons déjà dites.

M. Augustin Bonrepaux - Les arguments ne peuvent pourtant être les mêmes et je ne comprends pas cette hostilité à une harmonisation qui permettrait des économies.

M. le Rapporteur général - Je maintiens mon opposition. Quand on touche à l'assurance-vie, il s'ensuit une instabilité qui a des effets néfastes sur l'épargne longue. Vous avez pu vous en rendre compte lorsque vous étiez aux affaires.

L'amendement 288, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Par l'amendement 444 rectifié, nous proposons d'abroger l'article 1115 du code général des impôts qui exonère de droits de mutation les marchands de biens. L' un des moyens d'action privilégiés de cette profession est le congé pour vente à l'occasion des ventes à la découpe. Depuis deux ans, on assiste à la multiplication de ces congés à visée spéculative, ce qui contribue directement à la flambée des prix de l'immobilier. De plus, il en résulte l'éviction des classes moyennes et des locataires de condition modeste. Dès lors, l'intérêt général ne justifie plus une telle exonération, qui doit être supprimée.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas examiné cet amendement. Il existe effectivement un problème, bien circonscrit, celui de la « vente à la découpe » pratiquée par les marchands de biens. Mais la solution n'est pas d'instaurer des droits de mutation. Depuis une dizaine d'années, on cherche au contraire à réduire ces droits dont le niveau élevé freine la mobilité professionnelle et augmente le prix à payer par l'acquéreur. D'autre part, les marchands de biens ont leur utilité : ils ne se limitent pas à cette seule opération, même si elle est fréquente, du moins dans Paris intra-muros. Augmenter la fiscalité aurait pour seul effet un renchérissement pour les acquéreurs.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement partage cette analyse.

M. Patrick Bloche - Je vous remercie de reconnaître le problème. Il est vrai qu'il ne s'agit que de l'aspect spéculatif. Mais dans la mesure où les institutionnels donnent le mauvais exemple, cette spéculation se développe et les prix flambent - M. Auberger en tire d'ailleurs argument pour réformer l'ISF. Notre amendement visait à prendre date et à envoyer un signal à cette catégorie professionnelle. Le rapporteur général a rappelé que l'on allait plutôt en sens inverse. Mais quand un phénomène qui n'a rien à voir avec l'intérêt général prend de l'ampleur, il faut trouver une réponse adaptée.

M. Didier Migaud - Puisque le rapporteur général et le ministre veulent bien reconnaître le problème, pourrions-nous convenir que, d'ici la seconde lecture, on va travailler à une solution, qui ne serait pas forcément celle que nous proposons ? Il y a urgence en région parisienne, face à des opérations spéculatives que tout le monde dénonce.

M. le Rapporteur général - Je suis d'accord pour y réfléchir. Mais une fois encore, la solution n'est pas forcément fiscale. Elle peut être juridique, par exemple en protégeant mieux les locataires auxquels on donne congé. Augmenter les droits de mutation frapperait également d'autres types d'opérations et irait à l'inverse de ce que nous faisons depuis une dizaine d'années. On pourrait revoir la question dans la prochaine loi sur l'habitat.

M. le Secrétaire d'Etat - Je partage le sentiment du rapporteur général. On peut imaginer de traiter cette question en droit civil. Le gouvernement est prêt à y travailler dans des délais convenables.

M. Jean-Louis Dumont - L'amendement soulève une question d'ordre général : dans un marché tendu, on n'arrive pas à répondre à la demande de logements locatifs et d'accession à la propriété. Certes, M. Borloo agit, nous aurons la loi sur l'habitat pour tous, et M. Daubresse est en contact avec les partenaires du logement social. Mais il faut faire vite. Aujourd'hui, à Paris mais aussi dans toutes les grandes agglomérations, les organismes sociaux, face à la spéculation des marchands de biens, ne peuvent acheter les immeubles mis en vente par les institutionnels pour les remettre en état, et par exemple lutter contre le saturnisme - domaine dans lequel, je le dis au passage, l'Agence Seine-Normandie n'est guère active. La solution n'est peut-être pas fiscale, mais il faut intervenir.

M. Patrick Bloche - Etant donné le tour de la discussion, je retire l'amendement 444 rectifié, mais je tiens à défendre l'amendement 445 rectifié qui propose comme autre solution pour lutter contre la spéculation de mieux protéger les locataires.

La loi de 1989 disposait que le bailleur qui donne congé à un locataire doit le faire pour reprendre ou vendre le logement ou avoir un motif légitime et sérieux. Mais le congé vente est détourné de son objet lorsque des marchands de bien rachètent des immeubles occupés à seule fin de réaliser de fortes plus-values. De plus, le Conseil constitutionnel a censuré un article de la loi SRU qui prévoyait que les logements assimilables au logement social vendus pas la Caisse des dépôts garderaient cette vocation sociale après transfert de propriété. De ce fait, la Caisse des dépôts a pu mettre massivement sur le marché son parc de logements sociaux. Pour se défendre, les locataires ne disposent que de l'accord de 1998 qui organise les procédures de congé vente et prévoit un délai de cinq mois qui ne les protège pas efficacement. Les marchands de bien, eux, disposent de quatre ans pour réaliser leur opération, à partir de la date d'acquisition. Nous proposons de ramener à un an ce délai, qui conditionne l'exonération des droits de mutation.

M. le Rapporteur général - La commission n'a pas examiné cet amendement, mais à titre personnel je ne puis qu'émettre à ce stade un avis défavorable. La longueur du délai et le taux des droits de mutation - sujet de l'amendement précédent - sont en effet deux questions intimement liées et la réflexion devra porter sur l'ensemble du dispositif. Comme M. Bloche a lui-même évoqué les effets pervers de la loi SRU, je rappelle que j'avais d'emblée souligné que ne pas continuer à considérer les HLM, après leur vente, comme des logements sociaux était une erreur.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - Je trouve l'amendement de M. Bloche excellent et je pense que tous ceux qui ont un mandat local en Ile-de-France connaissent les problèmes spécifiques qui s'y posent et qu'il convient de prendre à bras-le-corps si l'on veut éviter une ghettoïsation de la société. Nous avons le problème des ventes à la découpe, qui appelle de vraies mesures de rétorsion à l'encontre de leurs auteurs, qu'ils soient privés ou parapublics.

Je voudrais aussi évoquer une autre situation, qui altère la mixité sociale : lorsqu'une municipalité a fait réaliser, par souci de mixité sociale, des logements en accession à la propriété à côté de logements HLM, il arrive que les propriétaires vieillissants mettent ce logement en location pour en tirer un complément de revenu. Mais ils demandent alors un loyer si élevé que ceux qui habitent là doivent se saigner à blanc pour l'acquitter. On se retrouve ainsi avec des populations encore plus paupérisées, alors que l'on avait cherché à assurer une certaine mixité sociale.

Il ne faut pas s'en remettre au marché, car le marché est destructeur de la cohésion sociale. Fort heureusement, la municipalité parisienne en est consciente et a pris des mesures. Lorsqu'elle préempte avenue Mozart, elle fait ainsi acte de salubrité publique. Mais je souhaite que l'Etat donne aux communes les moyens juridiques et financiers d'aller plus loin. Mon rêve est que des gens modestes puissent habiter avenue Foch, avenue de Wagram ou avenue des Champs-Élysées, s'ils le souhaitent. Mais je veux aussi que les enfants de Montreuil puissent, s'ils le désirent, continuer à habiter là où ils ont leurs racines. Or, ce ne sera bientôt plus possible si on laisse se développer la spéculation immobilière.

L'amendement 445 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Je remercie tout d'abord M. Brard de ses propos aimables sur la municipalité parisienne.

Il se développe à Paris - mais je pense que d'autres agglomérations seront très vite également concernées - un phénomène inquiétant, celui des « ventes à la découpe. »

En 2003 comme en 2004, ces opérations, qui suivent une cession faite par un bailleur institutionnel à un marchand de biens, ont concerné 15 % des 40 000 ventes de logements enregistrées à Paris. Au total, selon la mairie de Paris, ce sont 30 000 logements qui ont subi ce type de montages.

D'après une étude de l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne, ce phénomène devrait durer encore plusieurs années, si rien n'est fait pour l'enrayer. A Paris, le phénomène a commencé dans les « beaux quartiers », mais il se répand désormais dans les quartiers plus populaires de l'est et du nord parisiens. Les XIe - ainsi au 39 bis rue de Montreuil -, XIIe, XVIIIe et XIXe arrondissements sont parmi les plus touchés.

Les conséquences sont très négatives pour la ville comme pour ses habitants. En effet, lors de ces « ventes à la découpe », les locataires sont souvent mis devant le fait accompli et malheureusement se trouvent dans l'impossibilité de conserver leur logement. Ces opérations conduisent donc à l'éviction des classes moyennes et des locataires de condition modeste, qui n'ont pas les moyens de racheter leur logement ou de faire face à l'augmentation des loyers qui suit la mise en vente.

Le départ de ces habitants est non seulement source de difficultés personnelles, notamment pour les personnes âgées, mais il a également des conséquences néfastes pour l'équilibre de la ville. C'est en effet toute la mixité sociale qui est ainsi compromise. De plus, le départ massif et simultané des habitants provoque des changements soudains et brutaux de nature à perturber totalement l'équilibre des quartiers concernés. Il n'est pas rare que plusieurs centaines d'habitants soient ainsi contraints à l'exil en deux ou trois ans. Au-delà du lien social, c'est tout le fonctionnement des services publics, du secteur associatif ainsi que l'économie des commerces de proximité qui se trouve remis en cause.

Afin d'éviter de telles conséquences négatives, nous proposons dans l'amendement 515, puisqu'une réflexion doit avoir lieu sur ce sujet, de majorer fortement les pénalités applicables au non respect des obligations fixées aux marchands de biens pour bénéficier de l'exonération de droits de mutation.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. D'ailleurs, M. Bloche a lui-même dit que cet amendement était plutôt fait pour alimenter la réflexion. Celle-ci devra aussi faire le point sur les facteurs de blocage qui existent dans la loi SRU, notamment les délais prévus pour l'élaboration des SCOT ou des PLH, qui freinent les réalisations.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Didier Migaud - Autant je comprends qu'un délai de réflexion soit nécessaire sur les deux amendements précédents, autant celui-ci me paraît pouvoir être adopté tout de suite, car non seulement il ne coûte rien et peut même rapporter, mais surtout qu'il a pour objectif de sanctionner des abus dont nous reconnaissons tous l'existence. J'en appelle à l'esprit de responsabilité du rapporteur général et à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jean-Pierre Brard - Sans doute certains éléments de la loi SRU doivent-ils être revus, Monsieur le rapporteur général, mais c'est un alibi un peu facile pour le Gouvernement. Actuellement, les blocages dans l'instruction des dossiers lui permettent de ne pas engager les financements. On en voit les conséquences : à Paris, on dénombre 110 000 demandes de logement, à Montreuil 5 800 - pour 400 attributions par an. Cette situation calamiteuse pousse à la spéculation.

Si le Gouvernement en avait la volonté politique, il lui serait très facile d'alléger les procédures. Non seulement cela permettrait de mieux satisfaire les demandes, mais cela aurait des effets positifs sur l'économie puisque, on le sait, « quand le bâtiment va, tout va ». Les municipalités ne demandent qu'à voir leurs programmes se réaliser plus vite.

M. Jean-Louis Dumont - Le vote de cet amendement serait un signal fort contre la spéculation. La « vente à la découpe » d'un patrimoine détenu à l'origine par des institutions s'effectue sans aucune remise aux normes. A quoi bon alors voter des lois sur la sécurité des ascenseurs ou la lutte contre le saturnisme ? Il faut vraiment faire en sorte qu'on puisse répondre aux besoins en logements, tant à la location qu'en accession.

M. le Rapporteur général - Je vois bien l'intérêt de cet amendement, mais je vous demande d'aller jusqu'au bout de la réflexion.

Supposons qu'un marchand de biens excède le délai de quatre ans et acquitte la pénalité de 10 %. Qui sera victime de ce renchérissement ? L'acquéreur final, puisque le marchand de biens n'est qu'un intermédiaire ! Voter cet amendement ne serait donc pas sage, précisément pour les raisons évoquées par M. Bloche - l'augmentation beaucoup trop rapide des prix de l'immobilier.

M. le Secrétaire d'Etat - Manifestement, l'intention des auteurs de l'amendement est bonne, mais l'argumentation du rapporteur général mérite également attention. Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jean-Pierre Brard - C'est une vraie ouverture !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Je demande au Gouvernement de réfléchir aux mécanismes bureaucratiques qui ont conduit à la rareté foncière. Il faut trois ans pour faire un SCOT, trois ans pour faire un plan local d'habitat... Le Gouvernement doit faire en sorte de réduire ces délais, qui provoquent la montée des prix.

MM. Didier Migaud et Jean-Pierre Brard - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement entend cet appel, mais je rappelle aux députés de l'opposition que les mesures qui sont à l'origine de ces lourdeurs ont été votées par la majorité précédente, à la demande du gouvernement qu'elle soutenait.

L'amendement 515, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Plus réacs, on meurt !

M. le Président - Nous allons essayer de survivre encore un peu, car nous abordons le débat tant attendu sur l'ISF...

L'amendement 26 de M. Guillaume n'est pas défendu.

M. Jean-Pierre Brard - Je le reprends. Cet amendement avait été déposé avant la leçon administrée hier par le ministre d'Etat aux députés UMP sur le thème : « N'allez pas trop vite, ne soyez pas complètement sots sur le plan politique ! ». Après, on n'a plus entendu M. Novelli, qui fait pourtant partie, sur ce sujet, des extrémistes - mais des extrémistes intelligents.

Les ultra-libéraux, dont M. Guillaume, veulent se débarrasser de l'ISF. Il n'est pas vrai que cet impôt n'existe plus chez aucun de nos voisins, comme il est écrit dans l'exposé sommaire de l'amendement : il existe même au Luxembourg - même s'il y est calculé de façon un peu étrange...

Je renonce à cette première partie de l'amendement, mais je retiens sa deuxième partie, sa partie intelligente et républicaine, qui tend à relever les tranches supérieures du barème de l'impôt sur le revenu.

M. Philippe Auberger - Cela a déjà été discuté !

M. le Rapporteur général - Défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Très défavorable !

M. Jean-Pierre Brard - La brièveté de ces réponses démontre l'absence d'arguments ! Mais votre « très défavorable », Monsieur le ministre, montre bien que vous n'êtes attentif qu'au sort des privilégiés. Quand on est de droite, il faut s'assumer. Vous êtes ici les fondés de pouvoir de ceux qui sont responsables des progrès de la pauvreté et du chômage.

M. le Secrétaire d'Etat - Il n'y a pas de fondés de pouvoir en République.

M. Jean-Pierre Brard - Disons que vous êtes leurs avocats inconditionnels et zélés.

M. le Président - C'est plus conforme à la Constitution... Je rappelle qu'il n'y a pas de mandat impératif.

M. Alain Joyandet - Quelques mots sur l'ISF.

M. Jean-Pierre Brard - Il n'a pas compris la leçon du ministre !

M. Alain Joyandet - Nul sur les bancs de la majorité n'en demande la suppression. Une seule raison peut nous conduire à y toucher : l'emploi. J'ai entendu beaucoup d'arguments très justes, et je me réjouis de la position adoptée par le ministre d'Etat. J'invite mes collègues de gauche à l'esprit de responsabilité qui a été évoqué tout à l'heure : si l'ISF pose problème pour l'emploi, il faut que nous en parlions tous ensemble. Je n'éprouve pas de sollicitude particulière pour ceux qui ont quitté la France afin de ne pas payer l'ISF, Monsieur Brard, mais nous ferions œuvre utile en recherchant les moyens de faire baisser le chômage dans notre pays. J'ajoute que si nous n'arrivons pas à un certain consensus sur une éventuelle réforme de l'ISF, celle-ci n'aura pas d'effets positifs sur l'économie : ceux qui sont partis de France ne reviendront pas s'il n'y a pas quelques garanties à moyen terme.

M. Jean-Pierre Brard - Dénoncez-les ! Stigmatisez-les !

M. Alain Joyandet - Nous aurions tout intérêt, pour les uns à ne pas tomber dans la caricature, et pour nous à nous concentrer sur la recherche d'un consensus national. Tout ce qui compte, c'est de procurer de l'emploi à ceux qui n'en ont pas, en améliorant la fiscalité.

L'amendement 26 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Claude Sandrier - Mon amendement 367 devrait satisfaire notre collègue Joyandet. Elargir l'assiette de l'ISF permettrait en effet de réexaminer le seuil d'imposition et les taux, et surtout de rendre plus juste et plus efficace cet impôt de solidarité. En fait, vous voulez au fil du temps le vider de toute substance, alors que nous en avons besoin pour financer le RMI, améliorer la situation des personnes âgées, lutter contre le cancer, et aussi relancer l'investissement public. Or certains dans la majorité, nous le savons, ont pour objectif de supprimer l'ISF. De plus vous voulez l'utiliser non plus pour financer la solidarité envers les plus démunis, mais pour soutenir les PME, sans aucune contrepartie en emplois, comme d'habitude.

Nous proposons, pour inciter à la création d'emplois, de prendre en compte de façon modulée les biens professionnels dans l'assiette de l'ISF. Il est temps en effet de moderniser cet impôt, en tenant compte de la façon dont sont composés les grands patrimoines. Priorité doit être donnée à l'emploi, donc aux patrimoines productifs. Nous proposons par conséquent d'intégrer les biens professionnels à hauteur de 50 % de leur valeur en modulant le taux en fonction des choix opérés par l'entreprise en matière d'emplois et de salaires. L'impôt serait alourdi lorsque les bénéfices imposés ont pour origine une croissance purement financière et allégé quand ces bénéfices proviennent d'une croissance économique réelle.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. M. Sandrier a bien commencé, en souhaitant que l'ISF favorise l'emploi. Mais en proposant aussitôt après d'intégrer dans son assiette les biens professionnels, il tourne le dos à l'objectif affiché. Comme les intentions de notre collègue sont pures, je souhaite qu'il appuie tout à l'heure nos propositions destinées à mieux placer l'ISF au service de l'investissement et de l'emploi, en particulier dans les PME, et dans la lutte contre les délocalisations.

M. le Secrétaire d'Etat - Dans notre conception de l'ISF, nous avons pour seule boussole la justice sociale et l'emploi. L'amendement de M. Sandrier étant contraire à cette direction, le Gouvernement y est hostile.

L'amendement 367, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Philippe Auberger - Je remercie le Gouvernement qui, par la voix du ministre d'Etat, a accepté d'ouvrir avec la majorité un dialogue sur l'ISF et sur ses effets dommageables dans le domaine de l'emploi et des capitaux productifs, qui se délocalisent. Nous avons satisfaction, et je vous prie, Monsieur le Secrétaire d'Etat, de faire part au ministre de notre sentiment.

M. Jean-Pierre Brard - C'est de la fascination !

M. Philippe Auberger - Le ministre d'Etat a bien dit qu'il fallait maintenir l'ISF. De même, la commission a adopté des amendements tendant simplement à introduire des aménagements limités, puisqu'ils représentent 200 millions sur un produit supplémentaire attendu de 400 millions en 2005. Le Gouvernement a pour priorité, par rapport à l'ISF, de développer l'emploi, et de favoriser l'investissement dans les PME des capitaux qui ne sont pas consacrés à l'ISF, ce qui est une impérieuse nécessité. Il faut également ne pas décourager le travail, l'effort et l'épargne.

Nous sommes donc favorables à l'actualisation du barème, que nous remercions le Gouvernement d'avoir acceptée. Il faudrait aussi savoir pourquoi 15000 à 20000 foyers supplémentaires rentrent chaque année dans le champ de l'ISF. Il apparaît que c'est en raison principalement de phénomènes immobiliers qui n'ont rien à voir avec l'emploi et le maintien des capitaux productifs.

S'agissant de mon amendement 96, je continue à souhaiter que, dans un délai rapproché, nous parvenions à exonérer la résidence principale. On admet, sur les bancs de la gauche, que les œuvres d'art soient totalement exonérées, et l'on s'y refuserait pour la résidence principale, ainsi considérée comme moins importante ? Voilà qui heurte le bon sens de nos concitoyens ! De plus, nos prédécesseurs, ont tenu en 1976, en votant l'imposition des plus-values, à en écarter complètement la résidence principale. Dans notre système fiscal, un sort particulier est donc réservé à la résidence principale, qui est une valeur familiale à préserver (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ces observations faites, je retire l'amendement 96, ainsi que les amendements 97, 95, 98, 103, 93 rectifié et 94 puisque, conformément à la Constitution, le Gouvernement ayant fait des propositions, nous devons nous concerter avec lui avant qu'elles viennent en discussion.

M. Jean-Pierre Brard - Je reprends l'amendement 96.

M. le Rapporteur général - La commission l'a rejeté, mais nous avons eu une discussion approfondie sur la résidence principale. Comme l'a bien dit Philippe Auberger, nos concitoyens ne peuvent pas comprendre que nous exonérions les œuvres d'art, comme l'a toujours défendu la majorité précédente, et que nous taxions la résidence principale. Les chiffres sont très inquiétants : en 2004, 28000 contribuables supplémentaires sont entrés dans le champ de l'ISF, essentiellement au titre de leur résidence principale. Ces contribuables habitent principalement dans les grandes villes, et subissent le contrecoup d'une très forte hausse des prix de l'immobilier qui, comme l'a souligné Marie-Thérèse des Esgaulx, affecte aussi certaines régions littorales. De même que l'ISF provoque des délocalisations d'entreprises et d'emplois, elle crée pour la résidence principale une véritable difficulté. Aussi la commission a-t-elle adopté un amendement portant l'abattement au titre de la résidence principale de 20 % à 30 %, en cohérence avec un autre amendement repris par le ministre d'Etat, que nous remercions, et tendant à actualiser le barème en 2005 dans la même proportion que l'impôt sur le revenu. Il convenait par ailleurs de rattraper le retard accumulé depuis 1997, et c'est ce que nous proposons en relevant l'abattement pour la résidence principale.

Monsieur le ministre, je souhaiterais que votre réponse tienne compte de l'élément très spécifique que constitue la résidence principale.

Une autre option consisterait à procéder à une actualisation différenciée de la première tranche du barème, destinée précisément à prendre en compte le problème de la résidence principale. Nombre de familles françaises éprouvent aujourd'hui un véritable sentiment d'insécurité. Conduites du fait de leur taille à occuper une résidence principale à laquelle la flambée de l'immobilier a donné une forte valeur théorique, elles redoutent d'être assujetties alors que leurs ressources ne le justifieraient pas. Il faut en outre bien noter que, dans la mesure où elles n'envisagent pas de mettre en vente leur bien, la plus-value théoriquement réalisable est purement virtuelle. On ne peut pas tenir chaque Français pour responsable du contexte immobilier dominant.

Nous souhaitons appeler toute l'attention du Gouvernement sur ce problème qui préoccupe de nombreux Français.

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est extrêmement sensible à la position juste et équilibrée de Philippe Auberger et aux propos très modérés de votre rapporteur général. La prise en compte de la résidence principale dans l'assiette de l'ISF est un sujet qui mérite d'être considéré, et nous savons que la question ne se pose pas qu'en Ile-de-France mais aussi dans nombre de grandes villes et de régions touristiques ou frontalières. Nous mesurons l'ampleur des tensions auxquelles est soumis le marché de l'immobilier et le ministre d'Etat a indiqué hier de manière solennelle que le problème que vous soulevez serait étudié, en vue d'être traité à moyen terme.

M. Jean-Pierre Brard - J'ai repris ces amendements pour que les masques tombent. La prise en compte de la résidence principale dans l'assiette de l'ISF, on peut en discuter à l'infini de manière idéologique ou politicienne, mais cela n'avance à rien. Philippe Auberger a parlé avec délicatesse des « aménagements » à apporter à l'impôt. La vérité, c'est que d'aménagements en aménagements, vous tendez depuis vingt-six mois à émasculer l'ISF, à l'effeuiller comme d'autres effeuillent la marguerite ! (Soupirs sur les bancs du groupe UMP) Comment ne pas être frappé par les propos sensibles, affectueux, presque sentimentaux de M. Auberger à l'endroit du ministre d'Etat. C'est une véritable déclaration d'allégeance que M. Bussereau est chargé de transmettre ! A sa place, je m'inquiéterais, car ne faut-il pas y voir une demande implicite de maroquin ministériel ?

M. Didier Migaud - Oh, mais ce n'est pas le seul candidat !

M. Jean-Pierre Brard - Il est vrai, et pour reprendre un mot de Patrick Bloche, nos collègues de l'UMP semblent sous hypnose. Ils me font penser à ces clients imprudents qui, pour s'en être remis à un garçon coiffeur maladroit, sortent chauves du salon de coiffure !

M. Jean-Yves Chamard - Parlez-vous d'expérience ?

M. Jean-Pierre Brard - Vous, cher collègue, ce sont vos électeurs qui vous ont tondu ! Quant à Philippe Auberger, il m'évoque ces vieilles bigotes qui font leurs dévotions sans conviction particulière mais pour ne pas contrarier Dieu, au cas où il existerait... Le discours louis-philippard de notre collègue sur le soutien à l'emploi rappelle celui de Paul Reynaud sur la fin de la semaine des quatre jeudis ! Et qu'il nous fasse grâce de l'antienne sur la réhabilitation du travail. Les quatre millions de Français privés d'emploi ne demandent qu'à travailler et vous devez d'autant plus respecter leur détresse que c'est vous qui les avez réduits au chômage.

Sans doute frappé d'amnésie, M. Carrez prétend que nous sommes hostiles à l'inclusion des œuvres d'art dans l'assiette de l'impôt sur la fortune. C'est oublier que notre Assemblée l'a votée sous la législature précédente, contre l'avis du gouvernement, et que c'est son ami Pierre Lellouche, qui, en digne porte-parole du lobby des marchands d'art parisiens, s'était fait le chantre de l'exonération des objets d'art. Au reste, je présenterai dans le cours de la discussion un amendement introduisant les œuvres d'art dans l'assiette de l'ISF et je ne doute pas que notre rapporteur général le vote d'enthousiasme.

M. le Rapporteur général - N'espérez pas trop. Je ne le voterai pas plus que les précédents !

L'amendement 96, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - M. Brard ne le vote pas ?

M. Jean-Pierre Brard - Certainement pas ! (« Ridicule ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur général - Compte tenu de la réponse précise apportée par M. Bussereau, l'amendement 4 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard - Maintenant que - n'en déplaise au Gouvernement - le Conseil des impôts a rétabli la vérité sur le caractère très limité de l'impact de l'ISF sur les délocalisations, nous devrions pouvoir débattre de manière sereine et constructive des aménagements à apporter à cet impôt en vue de le rendre plus juste et plus efficace. Reprenant une piste dans laquelle notre Assemblée s'était déjà engagée, notre amendement 368 vise à intégrer les œuvres d'art dans l'assiette de l'ISF, et à ne maintenir l'exonération actuelle que pour les biens meubles constituant le complément artistique des immeubles classés, pour les œuvres présentées au public quelques semaines par an et pour celles des artistes vivants. Notre proposition, selon laquelle la valeur des objets d'art - autres que ceux exonérés en vertu de ces critères - est réputée égale à 3 % de l'ensemble des autres valeurs composant le patrimoine déclaré, est très modérée et elle répond à l'objectif de simplification administrative sans cesse mis en avant. Enfin, chacun sait que le commerce des œuvres d'art est un support privilégié de la fraude et du blanchiment. Il y a donc tout lieu de rester très attentif.

Lorsque j'ai dénoncé ici-même, mardi dernier, votre manque de zèle pour combattre la mafia russe, j'ai bien vu les mimiques courroucées du ministre d'Etat, mais je n'ai pas eu de réponse pour autant, et pour cause ! Vous n'avez aucun plan d'action !

Cet amendement, outre qu'il élargirait l'assiette de l'impôt sur la fortune, tout en préservant la création contemporaine et les oeuvres présentées au public, serait un moyen de lutter contre le blanchiment d'argent sale.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable sur cet amendement qui fut une pomme de discorde entre la majorité plurielle et le Gouvernement, lors de la précédente législature. On se souvient de votes bloqués, de papiers roses. Les œuvres d'art sont exonérées, c'est très bien, mais il n'en faut pas moins expliquer à nos concitoyens pourquoi il n'en va pas de même de la résidence principale, par exemple. Je ne vais pas refaire le débat.

M. le Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Didier Migaud - Manifestement, des accords sont intervenus. Derrière la présentation habile du ministre de l'économie et des finances ou le retrait provisoire de nombre d'amendements, on assiste à un grignotage du produit de l'ISF.

M. Michel Bouvard - Mais non, puisqu'il va progresser en 2005 !

M. Didier Migaud - Un train en cache un autre.

M. Richard Mallié - C'est de l'auto persuasion !

M. Didier Migaud - Décidément, vous avez du mal à rester tranquilles sur ce sujet lorsque, en l'absence du ministre d'Etat, vous pouvez laisser libre cours à vos sentiments véritables.

M. Jean-Pierre Brard - M. Novelli reste calme.

M. Didier Migaud - Hé oui, parce qu'il pense qu'il va finir par gagner le combat qu'il mène depuis longtemps.

M. Jean-Pierre Brard - Bien sûr !

M. Didier Migaud - Il y a déjà eu la loi Dutreil, on attend les dispositions Sarkozy dans la loi de finances pour 2005 et on nous annonce le projet de loi Jacob. Et bientôt, on nous dira que cet impôt est devenu inutile, que son coût de recouvrement est bien trop élevé rapporté à son produit. Certains d'entre vous ont même le courage de l'écrire dans leurs amendements ! Même s'il n'a pas gagné cette fois-ci, M. Novelli a toutes les raisons de se réjouir, puisque petit à petit il gagne du terrain.

M. Eric Besson - Il finira ministre !

M. Didier Migaud - Et le ministre d'Etat nous explique maintenant qu'il va confier ce dossier aux deux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, et qu'il se ralliera à leurs propositions !

M. Philippe Auberger - C'est la démocratie !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Et pourquoi pas ?

M. Didier Migaud - Quand on connaît la position du rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale et celle, encore plus tranchée, de son homologue du Sénat, il y a de quoi s'inquiéter et douter de l' intention de l'UMP de ne procéder qu'à un simple ajustement de cet impôt !

M. Philippe Auberger - C'est un procès d'intention !

M. Didier Migaud - Vous nous avez beaucoup cités - Bérégovoy, Rocard, Jospin, Strauss-Kahn, même moi - mais vous ne tenez pas compte du contexte. C'est vrai, nous avons reconnu qu'il faudrait remettre sur la table certaines dispositions.

M. Philippe Auberger - C'est si vrai que vous ne l'avez pas fait.

M. Didier Migaud - Si, sur les transmissions d'entreprises, par exemple.

M. le Rapporteur général - Elles ne concernaient pas l'impôt sur la fortune.

M. Didier Migaud - J'ai moi-même rédigé un rapport sur ce sujet.

M. Philippe Auberger - Sans suite, ce n'est pas sérieux !

M. Didier Migaud - Nous souhaitons que cette question soit traitée globalement dans le cadre d'une réforme de notre fiscalité. Vous, par petites touches, sans en avoir l'air, vous remettez en cause tout le dispositif. Vous faites la même chose avec l'impôt sur le revenu, du reste.

Et que dire de l'indexation ! Vous privilégiez systématiquement les mesures favorables au petit nombre des plus aisés, et je suis choqué que vous y passiez tant de temps, alors que vous méprisez toutes les propositions qui concerneraient des millions de concitoyens. Mais le comble, c'est de vous entendre justifier ces faveurs au nom de l'emploi ou de la justice fiscale ! Votre boussole a perdu le nord ! Depuis juin 2002, les inégalités se sont aggravées et le chômage a augmenté sous l'effet des budgets que vous avez fait voter. Nous dénonçons ce lent mais scrupuleux grignotage de l'ISF.

M. Jean-Pierre Brard - Vous pensiez être tirés d'affaire grâce à la prestation du ministre d'Etat cette nuit, mais non, même si nous avons bien compris qu'en parfaits fantassins, les députés de l'UMP s'étaient empressés de s'aligner sur les positions du ministre. Mme Des Esgaulx ne trouve rien à redire à la proposition du ministre, et je lui conseille même, pour assurer la promotion d'Arcachon, qu'elle y organise un séminaire des deux commissions autour d'une douzaine d'huîtres. Il n'y aura du reste rien à discuter, puisque la partition est déjà écrite !

C'est vrai, sous la précédente législature, les députés de gauche n'étaient pas d'accord avec le Gouvernement, et la majorité plurielle a voté les amendements visant à inclure les œuvres d'art dans le calcul de l'assiette. Je reconnais qu'il y a des piliers de la gauche caviar...

M. Michel Bouvard - La gauche truffière !

M. Jean-Pierre Brard - ...qui discutent, un verre de Taittinger à la main, de la misère du monde. Par exemple, Françoise Cachin, ancienne directrice des musées nationaux, lors du vote de la dernière loi de finances de la gauche, a envoyé par fax l'argumentaire à développer pour empêcher le vote de mon amendement. Françoise Parly était alors en congé maternité, et fut remplacée par un secrétaire d'Etat qui, ne connaissant pas son sujet, se contenta, pour me répondre, de lire ce fax !

M. Michel Bouvard - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard - La gauche caviar est à la gauche ce que la télé-réalité est à Arte (Applaudissements de MM. Mariton et Bouvard).

M. Jean-Pierre Brard - Ces gens sont de gauche comme je suis archevêque, et ils peuvent tout aussi bien se retrouver, au gré de leurs opinions, sur vos bancs !

M. Michel Bouvard - Ce sont des intermittents de l'opinion !

M. Jean-Pierre Brard - J'éviterais, à votre place, de plaisanter à ce sujet, car les intermittents risquent de se rappeler à votre bon souvenir, et je vous rappelle que vous avez, de votre côté, des électeurs intermittents. Demandez donc à M. Chamard ce qu'il en pense.

Le rapporteur général n'a pas répondu au problème de la fraude. Vous n'avez pas la volonté de combattre les paradis fiscaux. Certes, vous faites de beaux discours, mais ce sont des actes que l'on attend !

On connaît précisément la localisation de ce qu'il faudrait chercher, que ce soit dans le sud-est de la France ou aux alentours de la rue de Seine à Paris, mais rien n'est fait. Et quand nous vous proposons les outils qui permettraient une plus grande transparence, vous n'en voulez pas ! C'est pourtant aux actes que l'on juge les politiques, ni aux mouvements de menton, ni aux mouvements de manches.

M. le Rapporteur général - Je rappellerai pour commencer à M. Brard qu'en matière de lutte contre la fraude fiscale, nous avons fixé des objectifs précis dans la LOLF.

Quant à M. Migaud, dont chacun connaît le souci permanent d'objectivité et de rigueur, il nous critiquait l'année dernière en expliquant en substance que les mesures que nous allions prendre dans la loi sur l'initiative économique videraient l'ISF de substance, ce qui coûterait, selon lui, des millions d'euros. Qu'en est-il ? Le dispositif est entré en vigueur le 1er janvier 2004, et les déclarations d'ISF déposées en juin 2004 en tiennent donc compte. Et que constate-t-on ? Que le produit de cet impôt a augmenté de 315 millions ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Augustin Bonrepaux - Cet argument n'est pas sérieux, Monsieur le rapporteur général !

M. le Rapporteur général - Et qui, sinon M. Migaud, dans son rapport de juillet 1998 consacré à la fiscalité du patrimoine et de l'épargne, expliquait qu'il fallait rendre l'ISF « plus efficace » et « renforcer son adaptation à l'évolution économique » ? Il ajoutait qu'il s'agissait par là « de conforter l'ISF et la justice fiscale, plutôt que de faire perdurer des mécanismes dont la complexité ne pourra, à terme, que fragiliser l'ISF », concluant qu'il convenait de rechercher « celles des dispositions de l'ISF qui pourraient être améliorées ». N'est-ce pas exactement ce qu'a proposé hier le ministre des finances ?

M. Hervé Mariton - M. Migaud avait raison il y a cinq ans !

M. le Rapporteur général - Oui, M. Migaud avait raison il y a cinq ans mais, faute de courage, rien n'a été fait, comme le courage a manqué pour réformer les retraites ! La différence entre nos deux majorités, c'est que nous ne nous contentons pas de réfléchir, nous agissons, sans idéologie mais avec pragmatisme, pour éviter les délocalisations (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Hervé Mariton - Je tiens à souligner qu'en 2005 le produit de l'ISF sera de 500 millions supérieur à celui de 2004 alors même que les dispositions envisagées, et qui vont vraisemblablement être adoptées, seront entrées en vigueur.

M. Jean-Pierre Brard - C'est donc que les riches n'ont pas fui la France !

M. Hervé Mariton - Les chiffres étant ceux-là, que la gauche cesse donc d'instruire de faux procès : il n'y a ni suppression ni disparition ni même réduction de l'ISF, qu'on le regrette ou qu'on s'en félicite.

M. Jean-Pierre Brard - Cela prouve que les riches sont encore riches !

M. Hervé Mariton - Ce que nous visons, c'est la cohérence de l'impôt, que nous souhaitons mettre au service de l'emploi.

M. Jean-Pierre Brard - Ce sont des incantations !

M. Didier Migaud - Il apparaît que l'ISF met le rapporteur général dans un état second. Je ne renie rien de ce que j'ai écrit mais je rappelle que je formulais également la proposition d'élargir l'assiette de l'ISF.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Proposition restée sans suite !

M. Didier Migaud - Mais qui a permis de poser le débat et aussi de montrer que, contrairement à vous, nous n'avons pas une approche intégriste de cet impôt ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous voulez remettre l'ISF en cause, mais le précédent de 1987 vous hante. On comprend bien que le Président de la République, qui veut peut-être se présenter à nouveau devant les électeurs en 2007, ne souhaite pas qu'une nouvelle suppression de cet impôt lui soit imputée. De ce fait, il vous faut contourner la difficulté. Mais ce n'est pas en prenant pour argument la lutte en faveur de l'emploi et de la justice sociale que vous dissimulerez votre volonté permanente de grignoter cet impôt qui, finalement, ne rapportera plus. Je suis tout prêt à examiner les chiffres avec vous et j'aimerais d'ailleurs que le rapporteur général se rende dans les centres des impôts qui traitent l'ISF pour procéder à des contrôles sur pièces.

M. Michel Bouvard - Les chiffres sont dans le rapport !

M. Didier Migaud - Sur le fond, nous sommes en désaccord complet avec la philosophie qui vous anime et nous sommes certains que, train de mesures après train de mesures, l'ISF sera inéluctablement grignoté.

L'amendement 368 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur les amendements 284 et 285.

M. Augustin Bonrepaux - L'ISF est la grande affaire de cette loi de finances : nous en avons débattu pendant trois heures en commission...

M. Michel Bouvard - C'est faux !

M. Augustin Bonrepaux - Non seulement c'est vrai, mais l'Assemblée elle-même s'est penchée sur la question pendant deux heures hier soir et encore deux heures ce matin.

M. Richard Mallié - De par votre logorrhée !

M. Augustin Bonrepaux - L'essentiel est bien, pour vous, de réduire l'ISF, et la commission a d'ailleurs adopté plusieurs amendements à cette fin. Mais le ministre des finances étant venu vous demander plus de prudence et de diplomatie, plusieurs de ces amendements ont été retirés ce matin - retrait qui n'annonce d'ailleurs qu'un report. Ce sont les mêmes qui obtiennent du Gouvernement satisfaction sur la revalorisation du barème de l'ISF, pour un coût de 40 millions, et qui refusent d'augmenter la réduction d'impôts accordée au titre de l'amendement Coluche alors que cette proposition, dans sa version minimaliste, ne coûterait que 5 millions ! Comme d'habitude, il n'y a jamais de moyens pour les plus modestes ! Dans le même temps, vous n'hésitez pas à démanteler progressivement l'ISF et l'on sait bien qu'après le fromage aujourd'hui, le dessert viendra dans le projet Jacob. Nul n'est dupe : à terme, vous obtiendrez l'augmentation de l'abattement sur la résidence principale et tout cela, au motif de la lutte contre les délocalisations ! Dans la loi Dutreil déjà, deux dispositifs tendant à réduire l'ISF pour ce motif ont été adoptés. Le rapporteur général nous explique que le rendement de l'ISF a, malgré tout, augmenté...

M. Michel Bouvard - De 12 % !

M. Augustin Bonrepaux - Mais qui chiffre le coût pour l'Etat des différentes réductions que vous décidez ? Le rapporteur général du Sénat s'en est déclaré incapable. Quant à l'augmentation du produit dont il a été fait état, elle démontre seulement que les fortunes françaises augmentent. J'attendais plus de rigueur du rapporteur général.

Quant à la perte de patrimoine en raison du départ à l'étranger de redevables de l'ISF, le conseil des impôts a montré qu'elle était très limitée. Sous prétexte de favoriser l'emploi, le pacte d'actionnaires ne vise qu'à réduire l'ISF. Aussi notre amendement 284 le supprime-t-il.

M. Jean-Pierre Brard - La majorité semble ignorer qu'au fond de chaque Français sommeille Jacquou le croquant...

On m'a répondu que la fraude fait partie des sujets abordés dans la LOLF. Certes. Mais le blanchiment de l'argent de la prostitution par la mafia russe dans les œuvres d'art et les villas dans le sud-est ?

Notre amendement 369 supprime la possibilité d'échapper à l'ISF par un pacte d'actionnaires représentant 20 % seulement des droits d'une société, institué par la loi relative à l'initiative économique. Selon le célèbre baron du MEDEF, cette loi « ambitieuse et nécessaire » allait favoriser l'esprit d'entreprise en France - on sait ce qu'entendent par là les sidérurgistes lorrains.... Selon le baron, la création, le financement et la transmission d'entreprise devenaient enfin prioritaires. Il omettait seulement de préciser qu'ils seraient prioritaires sur le droit du travail et la protection sociale. Sur le site internet du MEDEF, on peut aussi lire une interview de M. Dutreil qui déclare s'être attaqué à l'ISF par trois mesures, dont ce pacte entre actionnaires minoritaires, et qu'il s'agit là d'un premier pas dont il est il est « bien conscient qu'il en appelle un autre ». Dommage que les érémistes et les chômeurs ne passent pas leur temps sur le site du MEDEF. Ils découvriraient que vous ne savez rien refuser au baron. Les motivations idéologiques de cette mesure sont claires, nous voulons donc la supprimer.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez raison, vous n'êtes pas le fondé de pouvoir du MEDEF ni des privilégiés. Vous êtes leur zélé serviteur, et vous faites preuve à leur égard d'une mentalité de valet.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable sur les deux amendements.

M. le Secrétaire d'Etat - Défavorable. Monsieur Brard s'honorerait en usant d'un langage plus posé.

M. Gérard Bapt - Quelle sera l'incidence sur les recettes en 2004 de cette disposition introduite par l'article 885 I bis et l'article L 885 I ter dont nous parlerons ensuite ? Lors de l'examen de la loi Dutreil, on avançait des sommes allant de 80 à 300 millions pour cette mesure qui ne favorise pas l'emploi, mais des rentiers de l'entreprise.

Le Gouvernement fait valoir que le rendement de l'ISF augmente. Effectivement, grâce à la bulle immobilière, comme ce fut le cas avec la bulle internet. Mais cela ne vous empêche pas d'en grignoter progressivement l'assiette. Après avoir lâché des avantages à M. Méhaignerie, à M. Carrez, à M. Auberger, le ministre d'Etat s'en est remis à la sagesse de l'Assemblée, après les conclusions d'un groupe de travail. En attendant, le grignotage va se poursuivre au Sénat. Que lâchera-t-il à M. Marini, qui souhaite un « rattrapage » par rapport à l'inflation ? Il est vrai qu'il ne sera plus ministre d'Etat quand le texte reviendra à l'Assemblée. C'est comme président de l'UMP qu'il donnera son opinion.

M. le Rapporteur général - En présentant la mesure il y a un an et demi, j'estimais son coût à 100 millions, quand vous parliez de 400, 500 millions, voire un milliard. Merci, Monsieur Bapt, de me donner l'occasion de confirmer que le coût sera bien légèrement supérieur à 100 millions et de démontrer que mon souci permanent de transparence et d'information n'est pas pris en défaut.

M. Augustin Bonrepaux - Vous reconnaissez que cette mesure a coûté plus de 100 millions, mais vous vous gardez bien de dire en quoi elle a favorisé l'emploi, ce qui était son objectif. D'autre part, nous n'avons jamais parlé de un milliard ; mais si ces mesures - car il y en a deux à prendre en compte - coûtent 500 millions, c'est déjà beaucoup.

A la majorité de 41 voix contre 8 sur 49 votants et 49 suffrages exprimés, l'amendement 284 n'est pas adopté.

L'amendement 369 n'est pas adopté.

M. Augustin Bonrepaux - Notre amendement 285 est encore plus justifié que le précédent. Exonérer d'ISF les placements en capital au sein des PME, - c'est l'article L 885 I ter - allait favoriser l'installation des entreprises en France, nous disait-on. Bien entendu, une mesure propre à un pays était impossible, et il a fallu l'élargir à l'Union européenne. Elle est en application depuis le 1er janvier. Je suppose que l'on pourra nous dire à la fin de l'année combien ce dispositif a coûté, combien d'entreprises se sont installées en France grâce à lui et combien ont plutôt choisi la Pologne ou la République tchèque. Nous proposons quant à nous la suppression de cet article qui vide l'ISF de son sens.

M. le Rapporteur général - De même que les PEA ont été ouverts par M. Strauss-Kahn aux actions européennes, l'article dont vous demandez la suppression vaut aussi pour les PME de l'Union européenne. Cela étant, aucun des dix pays entrés dans l'Union en mai 2004 n'est concerné, puisque les engagements de conservation devaient avoir été signés avant le 31 décembre 2003. J'ajoute qu'ils ont à 99 % concerné des entreprises françaises. Il s'agit donc là d'une disposition efficace pour empêcher que les PME et les entreprises familiales, si importantes pour l'emploi, tombent sous le contrôle de groupes internationaux, qui s'empressent de les transférer à l'étranger. Avis défavorable, donc.

M. le Secrétaire d'Etat - Je ne comprends pas pourquoi M. Bonrepaux défend un amendement aussi hostile aux PME, donc à l'emploi.

M. Augustin Bonrepaux - On ne nous a toujours pas dit le coût de ce dispositif. Au bout d'un an d'application, il devrait pourtant être possible de le chiffrer. J'aimerais aussi savoir de combien d'entreprises il a permis le maintien en France. En tout cas, vous n'avez pas même été capables de maintenir Péchiney sous contrôle français.

A la majorité de 28 voix contre 5, sur 33 votants et 33 suffrages exprimés, l'amendement 285 n'est pas adopté.

M. Nicolas Perruchot - Depuis la loi Dutreil pour l'initiative économique, les parts et actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés sont considérées comme des biens professionnels au regard de l'ISF et bénéficient d'un abattement de 50 % de leur valeur dès lors que leur propriétaire exerce une fonction dirigeante dans l'entreprise concernée, que cette fonction donne lieu à une rémunération normale et que celle-ci représente plus de la moitié des revenus d'activité du dit propriétaire, enfin dès lors que le propriétaire détient plus de 25 % du capital.

Il résulte de ces règles un principe d'unicité du bien professionnel, tempéré cependant en cas d'activités « similaires ou connexes et complémentaires », de sorte qu'un créateur d'entreprise « récidiviste » ne peut bénéficier de la qualification de bien professionnel pour l'ensemble de ses activités que lorsque toutes relèvent de domaines proches. S'il entend créer plusieurs entreprises exerçant des activités dissociées les unes des autres, il ne sera exonéré d'ISF que pour la principale. On peut donc craindre qu'il ne cherche pas à développer les autres autant qu'il le pourrait sur le sol français.

Etant entendu qu'un projet de création d'entreprise a d'autant plus de chances de réussir que le créateur est expérimenté, cette situation constitue un frein à la création et au développement d'entreprises en France. C'est pourquoi nous proposons, par l'amendement 402, de supprimer la condition de similarité ou de connexité et complémentarité des activités pour la qualification de bien professionnel unique. Je pense que tout le monde peut se rallier à cet amendement qui simplifie le droit fiscal et qui est favorable à l'emploi.

M. le Rapporteur général - Défavorable.

M. le Secrétaire d'Etat - Cette piste pourrait être étudiée par le groupe de travail annoncé hier par le ministre de l'économie. Je prends pour ma part l'engagement d'étudier cette affaire et je demande à M. Perruchot de bien vouloir retirer son amendement.

M. Nicolas Perruchot - Je le retire au bénéfice de la discussion qui va s'ouvrir.

M. le Président - Je vous annonce dès maintenant que je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public sur l'amendement 517.

M. le Rapporteur général - Comme l'ISF est un impôt acquitté chaque année, le bon sens et l'équité fiscale exigent qu'il soit actualisé chaque année, comme l'est l'impôt sur le revenu. Tel est le sens de l'amendement 2 de la commission, qui précise que cette indexation se fait dans les mêmes proportions que celles de l'impôt sur le revenu.

M. le Secrétaire d'Etat - Cet amendement est satisfait par le 517 du Gouvernement.

M. le Rapporteur général - Je retire l'amendement de la commission, qui posait le principe de l'actualisation, au bénéfice de celui du Gouvernement, qui reprend dans son texte même le tableau du barème.

M. Augustin Bonrepaux - Je ne voudrais pas que l'on considère l'amendement du Gouvernement comme un signe de modération. Certes, il a réussi à convaincre sa majorité qu'il valait mieux faire passer les choses en douceur, de sorte que de nombreux amendements ont été retirés, mais il faut quand même replacer cet amendement dans son contexte, à savoir une accumulation de réductions de l'ISF - pour un coût que l'on peut déjà estimer à 500 millions - qui finira par déboucher sur une disparition de cet impôt. Tout cela pendant que la pauvreté et la précarité gagnent du terrain et pendant que le nombre de érémistes s'accroît ! Quand nous proposons des dispositions pour y remédier, le Gouvernement nous répond que l'Etat n'en a pas les moyens et qu'il faut faire des économies. Je constate cependant que l'on sait trouver les moyens pour avantager ceux qui sont déjà favorisés !

On nous dit qu'il n'est pas normal que l'on soit redevable de l'ISF, simplement du fait de la valeur de sa résidence principale. Mais il faut voir de quelles résidences principales on parle ! Il faut aussi se rappeler quelle est la cotisation due au titre de la première tranche : à peine plus de mille euros !

N'est-il pas normal que ceux qui ont les moyens contribuent un peu à la solidarité ?

L'ISF avait été institué pour financer le RMI ; aujourd'hui, avec la montée de la pauvreté, il est bien loin d'en compenser le coût... Plutôt donc que de chercher à l'alléger, on ferait mieux de se préoccuper de la situation des plus modestes !

M. le Rapporteur général - 500 millions de perte d'ISF, c'est un chiffre fantasmagorique ! Le produit de l'ISF a augmenté de 315 millions en 2004. Par ailleurs, le coût de la loi sur l'initiative économique, que j'avais évalué voici un an et demi à une centaine de millions, est en effet un peu supérieur à 100 millions.

M. Augustin Bonrepaux - Ce n'est que le début !

M. Jean-Pierre Brard - Si l'ISF rapporte plus, c'est que les riches sont plus riches !

M. Michel Bouvard - C'est que les prix de l'immobilier ont flambé !

M. Jean-Pierre Brard - Vous n'acceptez pas qu'on vous tende un miroir pour refléter votre vrai visage, défait de tout maquillage...

M. Philippe Auberger - Votre discours est ridé !

M. Jean-Pierre Brard - Après qu'hier le ministre d'Etat, pour endormir l'opinion publique, a dit que nous allions travailler tous ensemble sur la réforme de l'ISF, il n'est pas acceptable que vous adoptiez des dispositions pour continuer à le démanteler.

A la majorité de 36 voix contre 10 sur 46 votants et 46 suffrages exprimés, l'amendement 517 est adopté.

M. Hervé Novelli - Mes amendements 147 et 146, conformes à la philosophie exprimée par le ministre d'Etat hier soir, visent à mettre l'ISF au service de l'emploi.

Déjà, la commission spéciale sur le projet relatif à l'initiative économique, que je présidais, avait souhaité distraire certaines sommes de l'assiette de l'ISF pour qu'elles puissent s'investir dans le capital de PME. Il faut aller un peu plus loin, et c'est l'objet de ces deux amendements, que j'invite le groupe de travail annoncé par le ministre d'Etat à examiner. Je suis reconnaissant au Gouvernement de ne pas fuir le débat car il n'y a pas de sujet tabou quand il s'agit de lutter contre le chômage.

M. le Rapporteur général - Je confirme tout l'intérêt pour l'emploi des propositions formulées dans ces amendements, qui sont dans la ligne du travail très constructif accompli par la commission spéciale que M. Novelli présidait et qui a permis de relancer la création d'entreprises.

M. le Secrétaire d'Etat - Comme l'a dit le ministre d'Etat, nous devons réfléchir, dans des délais rapides, à des mesures en faveur des entreprises. Ces deux amendements constitueront une base de départ, et je remercie M. Novelli de nous fournir cette contribution.

Les amendements 147 et 146 sont retirés.

M. le Rapporteur général - L'amendement 3 de la commission est retiré.

ART. 10

M. Sébastien Huyghe - Nous abordons les articles relatifs à la compétitivité et à l'attractivité de notre pays, dans le cadre de la lutte contre sa désindustrialisation, sujet sur lequel l'Assemblée a eu la semaine dernière un débat de haute tenue.

Nous avons trop peu parlé de l'intérêt d'attirer les centres de décision des grands groupes internationaux. J'ai remis au Premier ministre un rapport sur ce thème. Outre les emplois créés dans ces centres de décision eux-mêmes, cet intérêt est lié aux décisions stratégiques prises par les dirigeants : l'expérience prouve qu'un investisseur américain préfère localiser ses investissements européens dans le pays où il est installé ; à l'inverse, en cas de restructurations, les sites les moins touchés sont les plus proches de ces centres de décision. L'expérience prouve aussi qu'il faut inclure dans la notion de centres de décision les centres de recherche et développement des entreprises.

Pour lutter contre les délocalisations, le Gouvernement propose de créer des pôles de compétitivité. Je souhaite que l'ensemble du territoire français soit déclaré pôle de compétitivité pour les centres de décision.

Que l'on ne se méprenne pas sur mon propos : je ne souhaite pas que nous fassions du dumping fiscal et social sur ce sujet, mais simplement que notre pays soit au niveau des meilleurs élèves de la classe européenne.

M. Didier Migaud - Je me suis déjà exprimé longuement sur ce sujet. Nous continuons de penser que les dispositifs proposés par le Gouvernement ne sont pas du tout à la hauteur du sujet, et que la course au moins-disant fiscal est dangereuse pour notre pays. Ce qu'il nous faut, c'est une vraie politique industrielle, une vraie politique de recherche et d'innovation. Quand on gratte, on s'aperçoit que le Gouvernement réalise des économies coupables sur ce qui fait l'attrait de notre pays, en particulier ses infrastructures et la qualité de ses services publics. Nous pouvons nous accorder sur le constat, mais les propositions du Gouvernement, qui ne sont absolument pas à la hauteur du problème, nous laissent très sceptiques.

M. Marc Laffineur - En écoutant Didier Migaud, qui fut un brillant rapporteur général, il me semblait que, sur la question des délocalisations, nous pourrions tous adopter une position constructive. Or je n'ai entendu que des critiques, et pas la moindre proposition. Aussi suis-je très heureux que nous abordions enfin, avec les trois articles qui viennent, le problème des délocalisations, et j'en remercie le Gouvernement, alors que pendant des années nous avions essayé en vain d'en faire prendre conscience au gouvernement précédent. Créer un crédit d'impôt destiné à aider les PME à embaucher un commercial est une excellente idée, car beaucoup d'entre elles hésitent à prospecter les marchés étrangers faute de pouvoir financer un tel poste. Quant aux pôles de compétitivité, s'il est sans doute difficile de les étendre à l'ensemble du territoire, qu'ils le soient au moins à l'Anjou...Sérieusement, c'est par une synergie entre la recherche, l'entreprise et le système de formation que nous parviendrons à créer des pôles suffisamment attractifs pour éviter les délocalisations. Voilà la bonne façon de traiter le problème, à condition de ne pas oublier l'excès de dépenses publiques, de pression fiscale...

M. Jean-Pierre Brard - N'importe quoi !

M. Marc Laffineur - Vous me faites toujours sourire, Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard - Et moi, vous me faites pleurer !

M. Marc Laffineur - Je ne souhaite pas que vous reveniez au pouvoir, car notre pays serait dans un triste état !

M. Michel Bouvard - Je me réjouis moi aussi que le débat sur les délocalisations ait conduit à quelques actions concrètes. Sur les investissements étrangers en France, nous avons besoin d'informations qui en donnent l'exacte dimension, car depuis deux ou trois ans beaucoup de chiffres circulent. Quand des fonds de pension américains rachètent une entreprise et siphonnent sa trésorerie pour la placer dans des filiales à l'étranger, je ne considère pas qu'il s'agisse d'un investissement étranger contribuant au développement de notre pays. Quand des capitaux étrangers viennent créer une entreprise chez nous, alors il s'agit bien d'un investissement étranger positif. Or les chiffres disponibles ne permettent pas de distinguer entre ces deux types d'investissement. Nous avons donc besoin d'y voir plus clair.

Les mesures fiscales destinées à faire venir des entreprises en France ou à les y retenir ne suffisent pas. Didier Migaud a raison sur ce point, la qualité de notre tissu d'infrastructures et de services compte beaucoup pour attirer les capitaux productifs. En revanche, l'inflation normative et réglementaire joue un rôle désastreux de dissuasion ou de repoussoir. J'ai vu dans ma circonscription, la plus industrielle de Savoie, en moins de six mois, des entreprises représentant 700 emplois menacées dans leur pérennité par des mesures normatives et réglementaires. Quand vous expliquez à une entreprise autrichienne de remontées mécaniques, à une entreprise hollandaise fabriquant des filtres, implantées il y a dix ans à l'aide de crédits communautaires et du Fonds d'aménagement du territoire, que le site dans lequel elles demandent des permis de construire pour s'agrandir et créer des emplois est devenu inondable alors qu'elles s'y trouvent depuis dix ans, vous créez un risque de délocalisation. Quand vous imposez à des entreprises de financer seules des réserves d'eau supplémentaires sous l'effet d'un syndrome AZF, alors que cette opération relève naturellement de la collectivité publique, vous créez un risque de délocalisation. Quand vous interdisez, avec un mois d'avance sur les directives européennes, telle production alors que dans les pays voisins l'interdiction est assortie d'un délai pour adaptation, vous créez un risque de délocalisation. Lorsque les chefs d'entreprise sont allemands, autrichiens, italiens, ils ne comprennent pas, ils se découragent et finissent par retourner chez eux. Dans tout le pays, des centaines d'agents de l'Etat sont mobilisés pour appliquer des textes rédigés au niveau national sans tenir compte des réalités du terrain. Il est grand temps de revoir ce foisonnement pour n'en conserver que ce qui est utile. Arrêtons de superposer des réglementations qui rendent notre pays impropre à l'implantation de nouvelles entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Notre amendement 292 tend à supprimer l'article 10. Les dispositions proposées ont un pur caractère d'affichage, et seront sans aucun effet sur les délocalisations, dont il faut d'ailleurs relativiser l'importance, comme le fait d'ailleurs Gilles Carrez dans son rapport. Je lis page 140 : « Des économistes considèrent généralement que les délocalisations ne sont pas un phénomène statistique important et que leurs effets sur l'emploi et la capacité industrielle d'un pays sont limités. »

M. le Rapporteur général - Ce sont des économistes qui le disent !

M. Augustin Bonrepaux - Vous ne les citez pas par hasard. Et vous écrivez vous-même : « Selon les estimations de la DREE, le phénomène des délocalisations aurait représenté en 1999-2000 moins de 5 % des investissements directs dans les pays proches. » Reste que nous connaissons tous des cas de délocalisation, qu'il faut essayer d'éviter. Mais considérer uniquement les coûts horaires et la fiscalité est une vision trop courte. Dans l'industrie manufacturière, nos coûts horaires soutiennent la comparaison avec ceux de nos partenaires, comme l'indique le rapporteur général lui-même page 141.

Vous allez, par une mesurette, apporter aux entreprises 30 000 euros pendant trois ans. Est-ce avec cela qu'elles seront incitées à revenir en France ? Ce n'est pas sérieux ! A contrario, pourquoi des entreprises viennent-elles s'installer en France ?

M. Eric Raoult - Parce que les socialistes ne sont plus au pouvoir !

M. Augustin Bonrepaux - A cause de la qualité de nos infrastructures, de notre recherche, de notre main d'œuvre. Or, vous retardez l'amélioration de nos équipements de plusieurs années, en vous privant par des cadeaux fiscaux des moyens de financer les investissements. C'est ainsi que vous affaiblissez l'attractivité de notre pays, qui n'est pas seulement affaire de fiscalité. Au jeu purement fiscal, vous le savez, nous ne gagnerons pas.

Inefficace, la mesure est aussi clientéliste puisque l'ouverture de son bénéfice est soumise à l'agrément du ministre chargé du budget. On pourra donc faire n'importe quoi et le risque d'effets d'aubaine n'est pas écarté...

M. le Secrétaire d'Etat - Ce n'est pas très correct !

M. Augustin Bonrepaux - Ce qui l'est moins encore, c'est de proposer une nouvelle dépense, sans pouvoir - de l'aveu même du rapporteur général - présenter une estimation chiffrée de son coût. Et cette désinvolture n'empêche pas notre collègue d'asséner de la manière la plus péremptoire que le dispositif permettra de lutter efficacement contre les délocalisation. Non évaluée et de pur affichage, cette mesure manque de sérieux. Une fois encore, le ministre d'Etat gesticule sur des gadgets.

M. Jean-Claude Sandrier - Les délocalisations ne sont qu'un nouvel avatar du chantage à l'emploi auquel nous soumettent un certain nombre de patrons peu scrupuleux afin de peser toujours davantage sur les droits sociaux des salariés. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'instrument que propose le Gouvernement pour les combattre nous laisse perplexes. Une fois de plus, votre seule réponse, c'est de réduire les impôts ! Mais quelle France nous prépare-t-on ? Ne doit-on pas redouter que l'alignement fiscal sur les régimes les moins protecteurs ne précède un alignement social sur les pays les moins respectueux des droits du salarié ? Le rapport Camdessus, en prônant la fin du CDI et la poursuite de l'œuvre de casse sociale, concourt à diffuser un climat des plus inquiétants, et vos projets - pour l'heure souvent avortés - d'amnistie pour l'évasion fiscale ou d'assouplissement du droit du licenciement ne sont certes pas de nature à rassurer ! Vous poursuivez votre rêve d'installer chez nous le modèle libéral anglo-saxon et vous n'hésitez pas à céder aux chantage des patrons les plus radicaux, sans voir que cela vous entraîne dans une surenchère intenable qui coupe toute possibilité de redistribution sociale. De zones franches en pôles de compétitivité, vous nourrissez le fantasme de faire de la France un paradis fiscal...

M. Eric Raoult - Et vous, vous tenez un double langage : les zones franches que vous critiquez ici, vos maires les ont acceptées avec enthousiasme !

M. Jean-Claude Sandrier - Il faut bien se raccrocher aux maigres branches que vous n'avez pas encore coupées lorsque l'intérêt de nos concitoyens est en jeu. Mais la solution à tous les maux, ce n'est pas moins d'impôt mais, au contraire - et comme le propose M. Chirac lui-même -, de nouvelles taxes contre la spéculation financière internationale...

M. Eric Raoult - Vous rêvez de nous enfermer dans un goulag fiscal !

M. Jean-Claude Sandrier - Le propre frère du ministre d'Etat ne propose-t-il pas de combattre le dumping fiscal ? Notre amendement 389 tend à supprimer cet article, car il concourt indirectement à l'entreprise de fragilisation des droits des salariés à laquelle vous vous attachez depuis plus de deux ans.

M. le Rapporteur général - La commission est évidemment défavorable à ces amendements de suppression. Nos collègues versent dans l'opposition systématique et je le regrette car il s'agit sde sujets majeurs sur lesquels nous devrions nous retrouver. Le Gouvernement propose un ensemble de dispositions cohérentes et votre seule attitude, c'est de les balayer d'un revers de main au prétexte qu'elles ne vous semblent pas suffisantes. Il y a un moment où les discours ne suffisent plus. Une fois de plus, ce gouvernement agit, et rien ne vous autorise à préjuger de l'échec du dispositif qu'il met en œuvre.

M. Bonrepaux dénonce la faiblesse des montants envisagés, en oubliant de dire que s'agissant des relocalisations intervenant dans des zones éligibles à la prime d'aménagement communautaire, l'avantage pourra se chiffrer en millions d'euros.

Ne cédez pas à l'intégrisme oppositionnel et admettez plutôt que ces propositions constituent une première étape, qui sera évaluée et qui traduit la capacité du Gouvernement à passer du stade du diagnostic d'un problème à celui d'un début d'action efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Secrétaire d'Etat - Des délocalisations interviennent tous les jours et nous sommes fondés à lutter contre un phénomène dont tous les députés ont à connaître dans leur circonscription. Certes, il y a les vraies délocalisations et les autres - celles qui tendent simplement à se rapprocher d'un marché extérieur - mais le mouvement prend une ampleur nouvelle avec l'intégration des pays de l'Est dans l'UE, certaines entreprises de la vieille Europe se délocalisant à présent en Asie après l'avoir fait en Hongrie ou en Pologne. Bien sûr, il faut respecter les règles communautaires et se montrer prudents, mais il faut surtout agir - ou essayer de le faire ! Il n'est pas acceptable de vouloir que la mesure n'existe pas. Quel est finalement son seul risque ? D'être inefficace ? Peut-être, mais cela doit-il nous dissuader de la lancer ? Tout doit être tenté pour sauver l'emploi dans ce pays. Notre majorité l'a bien compris et nous sommes sûrs de son soutien. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - Monsieur le rapporteur général, je vous donne acte que l'avantage sera plus conséquent dans les zones éligibles à la prime d'aménagement du territoire que dans les autres, mais sera-t-il pour autant décisif ? Il serait plus incitatif de donner la priorité à ce qui attire vraiment les entreprises, les grandes voies de communication, les équipements structurants, le haut débit. C'est grâce à la qualité de notre main-d'œuvre et à la proximité de Toulouse que nous allons accueillir une grande entreprise étrangère en Ariège après avoir subi, l'année dernière, le désastre industriel de Péchiney.

M. le Secrétaire d'Etat - Ca, c'est une bonne nouvelle.

M. Augustin Bonrepaux - Sans doute, mais ce n'est pas grâce à vous qui avez coupé les vivres aux collectivités et paralysé les contrats de plan Etat-région, au risque d'affecter durablement le développement du ferroviaire...

M. le Secrétaire d'Etat - Allons, vous allez avoir le TGV à Toulouse dix ans plus tôt que ce que vous aviez prévu !

M. Augustin Bonrepaux - Grâce aux financements des collectivités.

M. le Secrétaire d'Etat - Pas plus à Toulouse que pour le TGV Est. Vous n'avez qu'à demander à M. Malvy de mieux gérer la région !

M. Augustin Bonrepaux - La vérité, c'est que vous avez oublié que l'Etat devait être le garant de l'égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire. Vous dissuadez les investisseurs...

Vous nous proposez une dizaine de pôles de compétitivité, mais que faites-vous pour le reste du territoire ? C'est l'ensemble de votre politique qu'il faudrait revoir !

Les amendements 292 et 389, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur général - L'amendement 317 tend à instituer un crédit d'impôt pour les entreprises qui relocalisent leur activité en France. Les amendements 315 et 316 sont rédactionnels.

M. le Secrétaire d'Etat - Favorable aux trois amendements.

L'amendement 317, mis aux voix, est adopté, de même que les amendements 315 et 316.

L'article 10 modifié, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

                  Le Directeur du service
                  des comptes rendus analytiques,

                  François GEORGE


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