Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2004-2005)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 23ème jour de séance, 55ème séance

3ème SÉANCE DU LUNDI 15 NOVEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2005

      -deuxième partie- (suite) 2

      AFFAIRES ÉTRANGÈRES (suite) 2

      QUESTIONS 18

      ETAT B 22

      TITRE III 22

      ORDRE DU JOUR DU MARDI 16 NOVEMBRE 2004 25

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2005 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES (suite)

M. Daniel Garrigue - Les rapporteurs et les orateurs qui se sont succédé ont à juste titre souligné quelques aspects essentiels de ce budget, qu'il s'agisse de l'augmentation des crédits, de l'évolution des effectifs du ministère ou de l'effort considérable entrepris pour relever l'aide publique au développement, désormais proche de 0,5% du PIB quand, sous la majorité précédente, elle n'était que de 0,32%.

En Irak, si la France est restée ferme sur son refus de participer militairement à ce conflit, elle a pris une part active à la recherche de solutions, notamment en proposant la tenue d'une conférence internationale qui aura lieu prochainement à Charm-el-Cheikh. Répondra-t-elle à nos attentes ? Quels seront les participants ? La question de la présence des forces internationales y sera-t-elle évoquée ? Je souhaite que M. le ministre nous communique les informations dont il dispose.

Parmi les événements récents, la disparition du président de l'Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat, fut pour notre pays l'occasion de témoigner des liens qui l'unissent au peuple palestinien et de la force de son engagement dans cette région. Des questions se posent aujourd'hui avec force : quelle est la portée du retrait israélien de la bande de Gaza ? Faut-il s'attendre à un retrait de la Cisjordanie ? Quand les élections palestiniennes auront-elles lieu ? Leur tenue est urgente si l'on souhaite que le nouveau président de l'Autorité palestinienne soit reconnu sur la scène internationale. Je m'associe à ce propos aux vœux de M. Lefort pour que la France et l'Union Européenne agissent en vue d'une organisation rapide de ces élections et pour que le Parlement français, si les Palestiniens le souhaitent, soit associé à leur bon déroulement. Enfin, quel est l'avenir de la feuille de route ? Est-elle destinée à ne rester qu'une esquisse ou, au contraire, à devenir une véritable partition assortie d'une méthode et d'un calendrier ?

La politique de la France en Côte d'Ivoire, ce n'est ni le laisser-aller, ni les palabres. Notre pays est en première ligne car, depuis plus de quarante ans, il a été le principal élément de stabilité dans cette région. Néanmoins, la France ne prétend pas agir seule puisque, après la mort de nos soldats, nous avons certes réagi fermement mais avec le soutien de la communauté internationale. Nous souhaitons que les belligérants discutent ensemble et que nos partenaires assument leurs responsabilités. Ce sera l'objet des débats qui auront lieu ce soir aux Nations unies.

J'en viens à la place de notre politique étrangère dans la future constitution européenne, laquelle prévoit l'existence d'un ministre des affaires étrangères...

M. Henri Emmanuelli - Le pauvre ! (Sourires)

M. Daniel Garrigue - ...mais elle prévoit également que la politique étrangère restera un domaine partagé avec les différents Etats. Certains considèrent donc que le futur ministre des affaires étrangères de l'Union n'aura qu'un pouvoir très réduit, d'autres estiment que les politiques étrangères nationales devront s'effacer à moins de générer des divisions.

Je ne pense pas que l'alternative retenue sera celle-là, puisque la future Constitution européenne garantira la continuité nécessaire à toute politique internationale. Par ailleurs, le spectre des dissensions peut être écarté, comme l'histoire récente l'a montré. La seule question qui vaille est donc de définir comment les politiques étrangères nationales peuvent participer à une véritable politique étrangère commune. La politique étrangère conduite par la France s'inscrit dans la perspective commune d'une Europe solidaire : solidaire à l'égard des dix nouveaux Etats membres et solidaire aussi envers cette partie du continent qui n'appartient pas encore à l'Union et où la paix est encore bien fragile, comme on le voit au Kosovo ou en Bosnie. C'est une politique étrangère qui s'attache également à préserver l'environnement et à lutter contre la famine et la pauvreté dans le monde. Ces priorités, vous les avez défendues, Monsieur le ministre, devant l'assemblée générale des Nations unies.

L'Europe, donc, se veut plus ouverte. La question demeure, toutefois, de la définition d'un espace européen correspondant à l'idée que les Européens eux-mêmes s'en font. Autant dire que l'Union doit poursuivre son dialogue avec ses partenaires les plus proches : la Turquie, mais aussi les pays de l'Est et, en particulier la Russie. A cet égard, pourriez-vous nous expliquer, Monsieur le ministre, pourquoi le dialogue sur les plateformes communes avec la Russie est aujourd'hui bloqué ? Le dialogue doit s'amplifier, aussi, avec les pays méditerranéens ; on se félicitera, à cet égard, de l'impact remarquable qu'a eu le récent voyage en Algérie du Président de la République. Le Gouvernement défend également l'idée d'un renouvellement du dialogue avec les Etats-Unis. Nous le souhaitons également, mais nous ne pouvons l'accepter que dans le cadre du rééquilibrage des relations transatlantiques. Cela étant dit, il convient d'ajouter immédiatement que beaucoup dépend, en cette matière, de notre capacité à assurer une défense européenne, ce qui suppose en particulier de relancer notre effort de recherche pour combler l'écart qui continue de se creuser entre l'Union européenne et les Etats-Unis. La ventilation du futur budget de l'Union aura donc une importance décisive. Enfin, une politique européenne commune suppose une Union capable d'adopter une position conjointe sur le Moyen-Orient et capable, aussi, d'initiatives. Pour ce qui est particulièrement de la France, notre politique étrangère doit être d'influence, mais aussi de propositions, comme le veulent notre histoire et notre conception de ce que doit être notre rôle en Europe. C'est dans cet esprit que le groupe UMP adoptera les crédits du ministère des affaires étrangères (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Danielle Bousquet - L'effort consenti par la France en faveur des pays du sud est-il à la hauteur de ses engagements ? Certes, le Président de la République a affirmé ses convictions sur les conséquences de la fracture sociale mondiale et avancé l'idée généreuse de la création d'un fonds destiné à combattre la faim dans le monde. Encore faudrait-il que ce fonds soit alimenté convenablement et dans des délais raisonnables par les pays donateurs, donc, en premier lieu, par la France puis par les autres pays riches. La parole de notre pays étant engagée en faveur de la noble cause de l'aide au développement, il reste à ne pas décevoir l'attente des peuples, car les besoins sont immenses. La représentation nationale doit donc veiller à ce que les promesses faites soient respectées. Mais le budget qui nous est proposé tient-il compte des propos tenus à New York par le chef de l'Etat ? Le ministre, parlant d'une augmentation de 7,14%, nous assure que tel est bien le cas, Mais cette augmentation est-elle sincère ? Que reflète-t-elle exactement ? Quelle est la nature de l'aide que la France apporte aux pays en développement ? Cette aide contribue-t-elle aux objectifs du Millénaire pour le développement ? Sur tous ces points, la perplexité est grande au sein du groupe socialiste, et bien au-delà.

Qu'il faille promouvoir le dialogue pour réduire les inégalités écrasantes qui subsistent entre pays riches et pays pauvres, chacun en est convaincu. Qu'il faille, aussi, créer de nouveaux outils d'aide internationale, pourquoi pas ? Encore faut-il ne pas jouer les illusionnistes...

M. Jacques Myard - C'est une experte qui parle !

Mme Danielle Bousquet - ...au risque, pour la France, de compromettre sa crédibilité. Chacun se rappellera le discours sur « la fracture sociale » prononcé par le Président de la République en 1995, et quelle en a été la concrétisation calamiteuse. Or, le 17 octobre dernier, Journée mondiale contre la misère, un journal national titrait : « La France sur la mauvaise pente »... La fracture sociale mondiale appelle des remèdes énergiques, collectifs et concertés. De nombreuses institutions internationales ont été créées à cette fin, dont on peut critiquer l'action ou le fonctionnement. Mais il faut alors expliquer publiquement les raisons de ces réticences et, en aucun cas, comme le fait la France, se désengager en catimini...

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - Comment peut-on dire des choses pareilles !

Mme Danielle Bousquet - ...tout en se faisant l'apôtre d'une taxe mondiale virtuelle. Pourquoi la France s'est-elle désengagée du PNUD, alors que d'autres pays ont, au contraire, augmenté leur contribution et par là même leur influence ? Dix ans après la conférence internationale du Caire sur la population et le développement, l'année 2005 sera celle du bilan. Or, au Caire, la France s'était engagée à affecter aux programmes relatifs à la population et à la santé génésique une part progressive des sommes qu'elle consacre à l'aide au développement. Avons-nous tenu parole ? Le groupe socialiste ne le pense pas et constate que le Gouvernement recommande, conseille et propose, mais que la France met de moins en moins la main à la poche...

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - Et sur quels chiffres appuyez-vous ces allégations ?

Mme Danielle Bousquet - Ce budget complaisant est un budget creux...

M. Jacques Myard - Comme le sont vos propos, Madame ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Danielle Bousquet - ...ce qui se sait et se dit bien au-delà de nos frontières. On peine, en effet, à distinguer les augmentations effectives des simples transferts, si bien que l'on peut craindre que les 7,14% de croissance affichée de l'aide publique au développement du ministère ne soient en fait que des jeux d'écriture. Qui plus est, certains crédits peuvent difficilement être considérés comme relevant de l'aide au développement ; c'est le cas de la dotation supplémentaire de l'OFPRA, que nous approuvons par ailleurs...

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - ...et qui n'est pas comptabilisée comme telle !

Mme Danielle Bousquet - Plus préoccupante encore est l'évolution de l'aide à la coopération, qui devient, pour une part, virtuelle. Ainsi, 30% de l'aide publique au développement sont désormais constitués par les allégements de dette. Or, ces abandons de créances portent sur des sommes qui n'auraient de toute façon pas été remboursées. Qui plus est, le Gouvernement pioche dans les flux d'aide traditionnels pour les financer, ce qui est en complète contradiction avec les engagements pris lors de la conférence de Monterrey, en 2002. Le principe avait alors été adopté que les pays riches devaient continuer d'aider les pays les moins développés en même temps qu'ils allégeaient leur dette. Lorsque la France utilise son budget habituel d'aide au développement pour financer des annulations de créances, elle fait en fait payer sa générosité par les pays pauvres. Quel est donc, dans ce budget, l'apport d'argent nouveau ? Et puis, comment être sûr que certains « chèques en bois » - ceux, par exemple, qui ont servi à régler les achats d'armement effectués par l'Irak de Saddam Hussein - ne feront pas l'objet, à terme, d'une remise de dette au titre de la coopération ?

Je souhaite à ce propos faire une proposition au Gouvernement : pourquoi ne pas inviter une délégation de députés et de sénateurs à participer, comme membres de droit, à la commission interministérielle des garanties ?

Ce qu'il reste de l'effort de la France en faveur des pays en développement vient par ailleurs de faire l'objet d'évaluations préoccupantes. D'après le Centre de développement global, qui pondère le volume de l'aide par des considérations qualitatives mesurant l'utilité de celle-ci pour les pays récepteurs, la France n'occuperait qu'une modeste septième place, assez loin des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède. Et on peut craindre que le classement de l'année prochaine ne soit encore plus sévère.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne croit pas que ce budget, en dépit des effets d'annonce dans les tribunes onusiennes, mette la France en position de contribuer avec efficacité aux objectifs du Millénaire pour le développement. Je ne voterai donc pas ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Henriette Martinez - Ce budget respecte la volonté du Président de la République de mener une politique de coopération ambitieuse. Après des années difficiles, nous repartons donc dans le bon sens, même si, comme l'a dit M. Barnier lors de la conférence des ambassadeurs en août dernier, pour l'aide publique au développement, pour les dotations allouées au Fonds européen de développement et au Fonds de solidarité prioritaire, le budget ne sera pas suffisant. C'est vrai aussi pour les contributions obligatoires ou volontaires aux organisations internationales. Pouvez-vous donc nous confirmer, Monsieur le ministre, que votre budget sera revu à la hausse à l'occasion du collectif ?

Pouvez-vous également rassurer le groupe d'étude « population et développement », que je préside, sur la réévaluation de nos contributions volontaires au Fonds des Nations unies pour la population - l'UNFPA - et au Fonds des Nations unies pour les femmes ? Ces deux fonds ont pour vocation de défendre la place et les droits des femmes et des filles. Notre groupe d'étude est particulièrement attentif à cette question, étant entendu qu'aucun développement durable n'est possible si l'on enferme la moitié de l'humanité dans un rôle purement procréateur et dans le seul espace ménager.

M. Serge Blisko - Très bien !

Mme Henriette Martinez - C'est ce message que vous ferez passer, Monsieur le ministre, en réévaluant nos contributions à ces fonds. Message particulièrement important à quelques jours du sommet de la francophonie, dont la plupart des Etats membres sont très loin d'appliquer vraiment la convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes, bien qu'ils y aient adhéré.

Je souhaiterais plus précisément savoir ce qui est prévu pour tenir les engagements pris par votre prédécesseur en ce qui concerne la participation de la France à la campagne de l'UNFPA « pour en finir avec les fistules obstétricales », cette horreur physiologique et sociale dont sont victimes les femmes du sud, ainsi que pour prolonger et amplifier le programme Sud Sud de coopération entre la France, la Tunisie et le Niger, au profit des femmes nigériennes qui ont le triste privilège du record mondial de fécondité. Nous sommes bien là au cœur des problèmes.

Dans le même ordre d'idées, j'aimerais être sûre que les annulations de dettes, qui occupent à juste titre une place de plus en plus importante de notre APD, atteignent bien leur cible et servent bien à satisfaire les besoins de base des populations les plus défavorisées ainsi qu'à remplir les conditions premières du développement, à savoir la santé et l'éducation, des femmes et des filles notamment.

Notre dispositif d'aide publique au développement est compliqué et nous examinons ce soir moins de 30% d'un effort budgétaire qui concerne quinze ministères. Aussi souhaiterions-nous, avant la mise en place de la grande mission interministérielle « aide au développement », qu'un débat sur la politique française d'aide publique au développement soit organisé dans notre assemblée. La représentation nationale ne saurait en effet se satisfaire de continuer à n'en avoir qu'un aperçu tronqué. Nous comptons sur vous, Messieurs les ministres, pour qu'à l'avenir notre action soit à la fois plus lisible et plus efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard - Il nous faut regarder la réalité en face : la situation internationale est mauvaise et elle va aller en empirant. Cette réalité nous commande de ne pas négliger nos moyens, qu'ils soient militaires - je me félicite à cet égard que la loi de programmation militaire soit respectée par ce Gouvernement , c'est la première fois depuis longtemps - ou diplomatiques. Or, si je salue l'augmentation de votre budget, Monsieur le ministre, notamment celle de l'APD, je constate aussi que d'autres moyens sont en baisse et je m'indigne en particulier de la baisse du nombre d'emplois au ministère des affaires étrangères, alors que ce département a déjà fait de gros efforts, rendant presque 10% de ses effectifs. Trop, c'est trop. Je défendrai donc un amendement à ce sujet.

Notre outil diplomatique, c'est aussi notre langue. C'est pourquoi je suis révolté quand je vois la stupidité de ces fausses élites qui ânonnent un sabir asexué et apatride et bafouent notre langue, se vautrant dans les délices de la médiocrité (Exclamations). Ces idiots utiles, parmi lesquels des hauts fonctionnaires, agissent directement contre nos intérêts. On a même entendu le gnome en chef de Francfort déclarer qu'il n'était pas Français ! Le temps des discours est révolu, je demande des sanctions !

Je disais qu'il nous fallait regarder la réalité en face. C'est-à-dire le monde tel qu'il est : global, multipolaire et traversé par de multiples ruptures. Un monde où il faut agir vite, avec cohérence. Dans ce contexte, dire que notre politique étrangère doit s'européaniser est une erreur. L'Europe puissance relève en effet du mythe. Elle est au mieux, comme le disait le Général de Gaulle, « une idée d'avenir et qui le restera longtemps » (Rires). Cela ne signifie pas que nous devons ignorer nos partenaires. Nous avons certes besoin d'alliances, mais ce n'est pas une raison pour faire de l'Europe un passage obligé et le moyen exclusif de notre politique extérieure. Il s'agirait même là d'une faute sans appel, car il est illusoire de croire que nous avons les mêmes intérêts et les mêmes vues. Seuls les sourds et les aveugles peuvent croire en l'unité des Européens.

L'Europe serait la seule issue car seuls nous serions trop faibles ? Cela fait 2 000 ans que nous entendons ce discours défaitiste ! Je vais vous faire une première confidence, Monsieur le ministre : il n'y a pas de corrélation entre la taille et la puissance. C'est un petit qui vous le dit !

Nous sommes aujourd'hui dans une guerre de mouvement, qui appelle la cohérence, la décision, l'initiative et parfois même la surprise. Il est vain de vouloir rallier à nous les mous et les indécis, de chercher le consensus à quinze, à vingt-cinq ou à trente ! Ce ne serait que la recherche du plus petit dénominateur commun, l'antichambre de la paralysie. Et je vais vous faire une deuxième confidence, Monsieur le ministre : la France est une entraîneuse d'hommes. Plus la France est indépendante, plus l'Europe est indépendante. Moins la France est indépendante, plus l'Europe est américaine ! Le Président de la République nous le démontre d'ailleurs chaque jour.

Qu'on cesse par ailleurs de nous rebattre les oreilles avec l'axe Paris-Berlin ! Ouvrons en effet les yeux : l'Allemagne est devenue l'homme malade de l'Europe, qui tire la zone euro vers le bas. Il faut s'adapter et cesser de voir le monde à travers le prisme réducteur de la construction européenne.

Je vais vous faire, Monsieur le ministre, une dernière confidence : en diplomatie, pour éviter d'être cocu, il vaut mieux n'être marié avec personne. Ou alors être polygame. Quoi qu'il en soit, je vous le répète : méfiez-vous des illusions !

M. Jean-Claude Lefort - Applaudissements sur les bancs du groupe UMP !

M. Serge Blisko - Après cette envolée, je commencerai par une devinette : quel est le point commun entre Boutros Boutros-Ghali, Jodie Foster et Ricardo Bofill ?... C'est que tous trois ont été élèves de lycées français à l'étranger, ce dont nous pouvons être fiers. Nous pouvons de même être reconnaissants à toutes les familles étrangères, binationales ou françaises qui confient leurs enfants à ces établissements, lesquels concourent au rayonnement de la France dans le monde au même titre que nos entreprises, nos écrivains et nos artistes. Cependant, le budget de l'Etat n'est plus à même de soutenir nos ambitions dans ce domaine : déjà, il n'assure même plus aux enfants français résidant à l'étranger l'accès aux établissements français. En effet, si nous pouvons nous enorgueillir de ces 413 établissements répartis entre 130 pays et accueillant 230 000 élèves, il faut bien reconnaître que le montant des écolages atteint parfois des niveaux exorbitants : il varie de zéro à 12 000 € par an, et même davantage pour les lycées français de New York et de Tokyo - et cela sans compter les frais de cantine ! Or le temps n'est plus où les Français installés à l'étranger étaient uniquement des fonctionnaires ou des salariés de très grandes entreprises qui prenaient à leur charge les frais de scolarité : beaucoup sont maintenant de petits entrepreneurs, des commerçants ou des artistes qui n'ont pas les moyens de faire face à de tels coûts. D'autre part, les binationaux disposent rarement de ressources supérieures à celles des autochtones. Quant aux bourses, malgré l'augmentation de 4,5% des crédits, elles demeurent d'accès difficile et font souvent l'objet de marchandages.

La présence des communautés françaises à l'étranger est indispensable à notre économie : les entreprises, par exemple, contribuent à l'équilibre de notre balance commerciale. En retour, elles ont besoin de personnes capables de faire le « pont » avec des pays dont la culture est souvent très éloignée de la nôtre, de personnes qui sachent leur fournir des contacts utiles et leur éviter des erreurs. L'enjeu n'est en effet plus seulement de faire vivre notre langue et notre littérature hors de nos frontières, ou d'enseigner nos classiques à quelques jeunes filles et jeunes gens issus de milieux privilégiés : il s'agit avant tout de scolariser dans des conditions normales les enfants de nos concitoyens expatriés et, pour cela, il est inadmissible qu'il y ait rupture de l'égalité avec ceux qui demeurent en France.

Par ailleurs, la diversité des statuts entre écoles est facteur de complexité et d'opacité : certaines sont animées par des associations ou ont un caractère religieux, d'autres sont en gestion directe. Il faut très vite essayer de rationaliser ce réseau !

Le principe de gratuité du service public d'enseignement, réaffirmé par la Constitution du 4 octobre 1958 et par le code de l'éducation, comme notre intérêt économique, nous commandent d'assurer l'accès gratuit à nos établissements scolaires de l'étranger, ce qui passe par la suppression totale de l'écolage dans le réseau AEFE à gestion directe et par une généralisation de subventions correspondant au montant de ces frais dans tous les établissements habilités par l'éducation nationale. Une mission d'information parlementaire devrait être constituée à cet effet.

Si nous voulons faire effectivement vivre nos valeurs dans le monde, nous ne devons pas oublier ce réseau, indispensable à la préservation de la francophonie populaire telle que nous l'entendons s'exprimer dans les rues des capitales d'Afrique ou dans les rues d'Israël ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Philip - Quel avenir préparons-nous en effet pour la francophonie ? Une fin sans gloire, du fait de la domination d'une langue étrangère unique : l'anglais. C'est ce modèle que préconise le rapport Thélot et l'on voit mal pourquoi les pays francophones ne s'y rangeraient pas à leur tour, mettant à mal le concept de « communauté rassemblant les États ayant en partage le français ».

Quelle contradiction avec le discours tenu par le Président de la République, le 7 octobre, devant la jeunesse vietnamienne : « Rien ne sera pire pour l'humanité que de progresser vers une situation où l'on parlerait une seule langue. Parler tous la même langue, c'est rétrécir la pensée... » ! Reste qu'à l'heure de la mondialisation et de l'Amérique toute-puissante, le principe d'efficacité amène de plus en plus les familles, les décideurs et les politiques à s'engager dans cette voie de l'apprentissage du seul anglais, langue de la réussite. Le Président de la République, au contraire, milite pour un plurilinguisme volontariste qui préserverait la diversité culturelle du monde - ce qui n'exclut pas l'apprentissage de l'anglais. Ce choix heureux conduirait à l'apprentissage, dès le primaire, de deux langues étrangères en parallèle et à égalité. Dans le supérieur, il faut développer le trilinguisme comme le fait avec succès HEC-Montréal, et proscrire le tout anglais.

La démarche proposée par Claude Thélot est suicidaire : elle ne prend pas en compte le principe de précaution. Qui peut en effet affirmer que l'hégémonie de l'anglais sera éternelle ? Continuons donc de faire entendre dans le monde le chant de notre langue, continuons d'exister tout simplement !

Mon propos risque de fâcher par les questions qu'il implique, notamment celle-ci : la France veut-elle vraiment conduire une politique francophone ? Une grande partie de nos élites françaises considère que la réalité, c'est le tout-anglais et que le français, ce serait fini ! Pourtant, la francophonie continue d'intéresser : le nombre d'Etats membres ne cesse de croître de sommet en sommet et celui d'Ouagadougou devrait confirmer la règle. A quoi cela tient-il ? Au fait que la francophonie est une synthèse de l'idéal républicain et du concept senghorien de civilisation de l'universel et qu'à ce titre elle réfute les intégrismes qui conduisent au choc des civilisations et des religions, en leur préférant le dialogue des cultures.

C'est pourquoi il faut la construire comme pôle de diversité, de solidarité et de dialogue, dans le cadre d'une mondialisation multipolaire. Si telle est bien l'ambition, il faut s'en donner les moyens et cela pose la question d'un traité fondateur. Le Président Diouf s'interrogeait à ce sujet, le 28 mai dernier, devant la communauté universitaire lyonnaise et, si d'autres jugent l'entreprise prématurée, elle n'est pour moi que de simple bon sens. On ne peut en effet se satisfaire de l'actuelle coquille institutionnelle, décidée au sommet de Hanoi et qui utilise le traité de Niamey dont la finalité était la création d'une simple agence intergouvernementale de coopération. Un nouveau traité simplifierait le dispositif et donnerait une existence propre au secrétariat général ainsi qu'à l'agence en levant les ambiguïtés actuelles - la conférence ministérielle et le conseil permanent sont les instances à la fois du sommet et de l'AIF et, plus grave, le secrétariat général qui a la tutelle de l'agence dépend administrativement et financièrement de son administrateur général ! On ne peut en rester là : il faut doter la francophonie d'outils et de moyens lui permettant d'accomplir son mandat tant politique que de coopération.

Comment enclencher ce mouvement ? En prenant conscience que la Francophonie constitue, avec l'Europe, un moteur de son avenir ; en faisant qu'elle se hisse au niveau de son destin qui est de contribuer à une mondialisation équilibrée et maîtrisée. Il faut donc expliquer son importance aux Français et l'inscrire clairement dans notre stratégie internationale. La francophonie n'est pas un combat du passé, mais un défi d'aujourd'hui. Le temps est à l'action. Je ne suis pas pour la multiplication des rapports, mais ne pourrions-nous travailler à des propositions ? En tout cas, nous devons prendre une initiative qui convainque nos partenaires que nous n'avons pas renoncé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Carayon - Je vous suis reconnaissant, Monsieur le ministre, d'avoir donné pour thème à la dernière conférence des ambassadeurs l'influence de la France et de m'avoir associé à cette réflexion que j'avais moi-même esquissée dans mon rapport sur l'intelligence économique.

L'enjeu de l'influence est essentiel, même si les difficultés sont nombreuses : le débat d'idées se nourrit bien souvent en France de questions internes, voire nombrilistes ; nos méthodes sont contestées ; nous ne préparons pas assez les grandes échéances, notamment européennes ; nous suivons mal les personnes que nous envoyons à l'étranger, dans les organisations internationales ou en mission ; nous ne contribuons pas assez à l'élaboration des normes internationales. Bref, au mieux nous cherchons, au pire nous laissons échapper de nouvelles fonctions de référence.

Ces insuffisances tiennent à une double incapacité à penser le stratégique de façon anticipée et concertée, au sein de la machine publique, avec tous ceux qui comptent ou devraient compter, et à comprendre la mondialisation comme un fait et non comme un démon idéologique. Cela pourrait tenir à une mauvaise lecture de notre exception française : nous n'investissons assez ni sur le fond, ni sur les vecteurs de communication. Il manque un cadre, une vision prospective et stratégique, et des éléments de langage que nos représentants pourraient exposer à travers une politique active de présence dans les lieux de débat. Nous courons finalement le risque d'être à la fois naïfs et présomptueux, confiants dans les règles d'un jeu en voie de disparition, réticents à mettre l'information au cœur de notre système. Le rayonnement et l'influence doivent aujourd'hui faire l'objet d'initiatives coordonnées et de mesures innovantes.

M. Henri Emmanuelli - C'est effrayant !

M. Bernard Carayon - Permettez-moi quelques suggestions. Il serait utile de mener une réflexion stratégique qui pourrait prendre la forme d'un CAP interministériel incluant sources externes et internes, publiques et privées d'information. Nous pourrions également créer au sein de notre représentation permanente à Bruxelles une cellule d'anticipation chargée exclusivement de l'analyse et de la réflexion prospectives, une vigie en quelque sorte.

Il nous faut une approche nouvelle du suivi des personnes : suivi actif de nos ressortissants dans les instances internationales, mais aussi des étudiants étrangers en France - ce qui signifie mieux les accueillir et mieux suivre leur carrière dans leur pays d'origine, voire retenir les meilleurs d'entre eux.

Je suis heureux que vous ayez mobilisé les ambassadeurs sur les questions d'intelligence économique, notamment à travers une étude effectuée auprès de l'ensemble des représentations diplomatiques. Quelles suites comptez-vous lui donner ?

Ce diagnostic, conforté par le récent rapport de notre collègue Jacques Floch, est partagé d'un bout à l'autre de l'hémicycle. Nous attendons donc l'action. Vous pourriez prendre l'initiative symbolique d'organiser notre représentation au Parlement européen en caucus, comme le font la plupart de nos grands partenaires...

M. Henri Emmanuelli - Quelle langue parlez-vous ?

M. Bernard Carayon - ...et de présenter régulièrement, dans le respect de la diversité partisane, les grands enjeux européens pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Béatrice Vernaudon - Pour clore les interventions de ce soir, je vous parlerai de notre politique de coopération avec les Etats insulaires du Pacifique.

Je me réjouis de constater que pour la seconde année consécutive, le budget du ministère des affaires étrangères alloue au Fonds Pacifique une dotation en nette hausse par rapport à celle de 2003. Le Président de la République avait en effet annoncé le doublement de cette enveloppe à Papeete, lors de la réunion France-Océanie qui s'est tenue en juillet 2003.

Si le montant de ces crédits - 3,2 millions d'euros - reste modeste au regard des besoins de la région, cette augmentation traduit une meilleure prise en considération du rôle que doivent jouer les collectivités françaises du Pacifique dans leur zone naturelle d'insertion.

La coopération française dans le Pacifique Sud concerne quatorze Etats insulaires indépendants, dont la Papouasie Nouvelle-Guinée , les îles Salomon ou le Vanuatu, qui comptent parmi les pays les plus pauvres du monde, ainsi que le plus petit Etat du monde, Tuvalu - 10 000 habitants. Ces Etats forment la communauté du Pacifique Sud, avec huit territoires restés sous tutelle américaine, néo-zélandaise ou française. La Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna représentent ensemble 6% de la région Océanie.

La population concernée par le Fonds Pacifique avoisine 8 millions de personnes, dont le niveaux de vie et de développement est séparé par un abîme que chaque catastrophe naturelle remet en évidence. L'augmentation de la dotation du Fonds Pacifique soutient ainsi la solidarité qui unit l'outre-mer français à la grande famille des Etats et territoires océaniens.

Le Fonds Pacifique joue à cet égard un rôle irremplaçable. Il permet à l'Etat et aux collectivités françaises de la région d' œuvrer au développement de liens de coopération avec l'ensemble des pays du Pacifique, sous l'impulsion d'un comité directeur où les élus sont désormais représentés et dont les exécutifs assurent en alternance la présidence.

Le Fonds Pacifique permet de promouvoir des projets conformes à l'intérêt de toutes nos communautés. Je pense au développement durable, à la protection de l'environnement dans une région où la biodiversité des écosystèmes marins et terrestres est unique, à la mise en place de structures efficaces pour une exploitation raisonnée des ressources halieutiques, et à de multiples domaines qui sont au cœur de nos préoccupations : la bonne gouvernance, l'amélioration de la santé publique et l'éradication des maladies infectieuses, le développement de liens universitaires et culturels, d'échanges entre jeunes et la mise en valeur des savoir-faire traditionnels.

Les 3,2 millions inscrits au budget ne seront pas de trop pour satisfaire à tous ces besoins et accompagner le nouvel élan du Fonds Pacifique. L'heure est plus que jamais à la coopération régionale. Dans ce Pacifique si vaste et si fragile, nos communautés ne peuvent espérer parvenir au développement et au bien-être de leurs populations qu'en unissant leurs forces, avec humilité mais détermination, dans le respect des identités propres de chacun de nos pays.

Comme l'a souligné le Président Chirac à Papeete, il faut se placer résolument dans une perspective qui permette de faire du Pacifique un lieu où se concilient « le respect de patrimoines immémoriaux et la quête de la modernité ».

M. Henri Emmanuelli - La modernité, ce n'est pas Gaston Flosse.

Mme Béatrice Vernaudon - Pour y parvenir, il faut privilégier davantage les interdépendances que l'indépendance, coopérer avec les organisations régionales, construire un Pacifique rassemblé autour de ses propres valeurs de tolérance et de solidarité et respectueux de l'autre.

Le Fonds Pacifique se trouve à la croisée de tous ces enjeux. La Polynésie française a à cœur d'y apporter sa sensibilité, sa contribution et ses espoirs.

Que comptez-vous faire, dans le cadre du suivi de la réunion France-Océanie, pour associer davantage les collectivités françaises du Pacifique à la définition des orientations de la politique française de coopération avec les états insulaires du Pacifique ?

Bien évidemment, je voterai votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - La discussion générale est close.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères - Permettez-moi d'adresser un mot de gratitude à vos commissions, aux rapporteurs qui se sont exprimés en leur nom et à leurs collaborateurs, pour leur contribution à la préparation de ce débat budgétaire, mais aussi à tel ou tel rapport. Je vous adresse ces remerciements au nom de l'équipe du Quai d'Orsay que j'anime - Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.

Selon la tradition, j'évoquerai d'abord devant vous le contexte international. Outre les crises qui déstabilisent plusieurs régions du monde, il est marqué par de grandes interrogations : l'évolution de l'économie mondiale, confrontée à la hausse du prix du pétrole et à la baisse structurelle du dollar ; la politique étrangère et commerciale qui sera menée par l'administration américaine durant le nouveau mandat du Président Bush ; l'évolution de l'Union européenne, en cette période névralgique de ratifications nationales du projet de Constitution européenne.

Raisons de plus, pour la France, de demeurer fidèle à ses principes : une vision de l'organisation du monde fondée sur le droit et le dialogue, refusant tout unilatéralisme ; le soutien aux organisations régionales comme l'Union africaine, qui veulent aujourd'hui jouer leur rôle dans l'équilibre de leurs continents respectifs ; l'ambition d'apporter un peu plus de justice à la mondialisation.

Pour cela, il nous faut des moyens pour agir, et pour adapter notre appareil diplomatique, consulaire et culturel à nos priorités que sont la gestion des crises, la construction de l'Europe, la maîtrise de la mondialisation.

La France entend demeurer présente et active dans la gestion des crises que Daniel Garrigue a évoquée tout-à-l'heure. J'ai l'occasion de le rappeler souvent, en répondant aux invitations de votre commission des affaires étrangères et de son président Edouard Balladur.

M. Jean-Claude Lefort - Qui n'est pas là !

M. le Ministre - La situation en Côte d'Ivoire est extrêmement préoccupante. Notre priorité immédiate demeure la sécurité de nos compatriotes, directement menacés par les derniers événements d'Abidjan.

6 000 Français sont rentrés volontairement depuis dimanche, grâce aux vols affrétés par le ministère. Ils sont pris en charge dès leur arrivée, et je souhaite ici remercier tous ceux qui, à Paris, à Roissy, dans la cellule de crise du ministère, ou à Abidjan, se mobilisent avec une formidable énergie, la plupart d'entre eux étant des bénévoles. Pareil à celui qu'a adressé tout à l'heure Jacques Godfrain à nos soldats, un mot de gratitude, donc, à tous ceux qui donnent de notre pays une si belle image de solidarité. Au-delà, nous continuons de penser que cette crise aux racines anciennes et profondes, qui coupe le pays en deux, ne pourra être durablement surmontée que par une solution politique, laquelle tient en deux mots : élections et réunification.

C'est dans cet esprit que nous travaillons en ce moment même, avec nos partenaires africains et ceux du Conseil de sécurité. Plusieurs chefs d'Etat africains étaient réunis hier en urgence à Abuja. Ils ont apporté leur entier soutien au projet de résolution qui devrait être adopté ce soir à New York. Ce texte vise mettre en place des moyens effectifs de pression à l'égard de l'ensemble des protagonistes ivoiriens du conflit, pour les amener à respecter enfin et leur signature, et leurs engagements. Il prévoit aussi un embargo sur les armes. La France n'est évidemment pas en guerre contre la Côte d'Ivoire. Depuis deux ans, elle s'est engagée sans hésiter et avec des moyens considérables au service d'un seul objectif : le retour à la paix dans un pays pour lequel la France a et gardera une amitié sincère.

C'est ici que je voudrais dire un mot en réponse à l'interrogation de François Lamy sur notre outil de coopération militaire et de défense. Il s'agit d'un élément indispensable de notre soutien aux Etats de l'Afrique subsaharienne, pour bâtir des armées républicaines, structurées, conformes au Conseil de défense du printemps 2003. Compte tenu des contraintes budgétaires, la dotation de cette DCMD a été stabilisée à 93,5 millions, après plusieurs années d'érosion. Un poste de directeur d'administration centrale est créé dans le budget 2005, pour l'emploi du directeur de la coopération militaire et de défense ; il relève directement du directeur général des affaires politiques et de la sécurité, car cette coopération ne se détache pas de notre action politique et diplomatique. Cette logique a d'ailleurs été réaffirmée avec beaucoup de force par le président de la république lui-même, qui a confirmé l'ancrage de la DCMD au sein du ministère des affaires étrangères.

Autre continent, autre crise : l'Iraq. Chacun connaît les divergences que ce dossier a suscitées dans le passé. Chacun sait que la France, pas plus demain qu'aujourd'hui, ne s'engagera militairement en Iraq. Mais l'instabilité de ce pays est un danger pour une région qui présente un intérêt majeur pour la France et pour l'Europe. L'instabilité du Moyen Orient, c'est notre propre instabilité. Comme nous l'avions souhaité, notamment au Conseil de sécurité, le retour à la souveraineté est engagé. Depuis le 28 juin, un gouvernement intérimaire assume l'exercice des responsabilités. Il faut maintenant reconstruire cet Etat, pour le peuple irakien qui a tant souffert et en y associant tous les Irakiens. C'est dans cet esprit - je réponds là à M. Loncle et à plusieurs d'entre vous - que je me rendrai à Charm el-Cheikh lundi prochain, pour la conférence interrégionale sur l'Iraq. Nos idées sur l'inclusivité du processus politique dans la perspective des élections de janvier ont bien progressé, puisque notre proposition d'une réunion associant tous ceux qui renoncent à la violence en Iraq pour s'inscrire dans le processus démocratique doit être retenue. C'est aussi avec l'Europe que nous nous engageons. Le Premier ministre Alaoui était à Bruxelles la semaine dernière à l'occasion du Conseil européen et l'UE se prépare à mener des actions de formation, notamment dans le domaine de l'Etat de droit. Notre objectif en Iraq est de rester fidèles à nos principes et à nos positions, d'agir collectivement pour aider ce grand peuple, martyrisé par l'histoire, mais riche d'un vrai potentiel humain et de ressources naturelles considérables, à trouver enfin la paix civile, qui est la condition d'un nouveau départ.

M. Jacques Myard - Très bien !

M. le Ministre - Cela nous conduit au conflit voisin du Proche Orient, à cette crise centrale, qui empêche depuis trop longtemps Israéliens et Palestiniens de vivre au fond comme ils le souhaitent, en paix, les uns à côté des autres.

M. Jacques Myard - Ça, c'est moins sûr !

M. le Ministre - Conflit central par son impact sur tous les peuples de la région et au-delà, donc par les répercussions qu'aurait son règlement ; conflit central parce qu'il est un test - vous l'avez dit Monsieur Lefort - de la capacité de la communauté internationale à agir unie et à appliquer ses propres décisions. La disparition toute récente, sur notre sol, du président Yasser Arafat, président élu et légitime de l'Autorité palestinienne, crée naturellement une situation nouvelle, et c'est dès maintenant qu'il faut écrire une nouvelle page.

La transition s'est jusqu'à présent déroulée dans des conditions remarquables de sérénité et de sens des responsabilités de toute l'équipe qui assume la responsabilité de l'Autorité palestinienne. J'espère simplement que les événements d'hier à Gaza ne sont qu'un accident, mais ils nous rappellent que la communauté internationale doit plus que jamais soutenir la reprise rapide du processus de paix. Le retrait annoncé de Gaza, que j'ai qualifié moi-même de courageux, peut y contribuer, s'il est mis en œuvre avec l'Autorité palestinienne et s'il est bien compris comme une étape, annonçant l'engagement d'autres étapes de la feuille de route. Voilà pourquoi nous devons aider les dirigeants palestiniens à surmonter cette période sensible et à inscrire leur action dans une légitimité fondée sur le suffrage populaire. Notre rôle sera de tout faire pour que les différentes élections palestiniennes aient lieu dans de bonnes conditions. La France et l'Europe s'y étaient engagées dans la perspectives des élections municipales ; elles devront le faire pour les élections présidentielles. Je partage l'opinion de Daniel Garrigue et de Jean-Claude Lefort, lorsqu'ils rappellent que l'UE doit maintenir fermement ses engagements, lesquels vont au devant des volontés de tout un peuple.

Il faut que ces prochaines étapes permettent de renouer avec le calendrier de la feuille de route. Nous devons donc redoubler d'efforts avec nos partenaires du Quartet, pour que l'objectif agréé par l'ensemble des acteurs et par la communauté internationale - y compris les Etats-Unis et la Russie - devienne enfin réalité : que la menace terroriste qui frappe trop souvent Israël disparaisse et que les Palestiniens vivent dans l'Etat auquel ils ont droit. Au-delà, c'est une solution globale du conflit israélo-arabe que nous devons rechercher, ce qui impose également un règlement dans cette région du volet syro-libanais. Et notre ligne, Monsieur Loncle, pour le Liban comme pour les autres pays du monde, reste de défendre l'accession à la pleine souveraineté de tous les peuples.

Notre pays reste fortement engagé dans deux autres régions - dont l'une a été évoquée par Daniel Garrigue -, celle des Balkans, sur notre continent, et l'Afghanistan.

Les Balkans, où, malgré des progrès, la situation reste très fragile, comme l'ont hélas démontré les événements tragiques de mars dernier au Kosovo. Restons donc vigilants car l'année 2005 sera cruciale. Ce sera le moment, au Kosovo, d'évaluer la mise en œuvre des réformes essentielles comme la décentralisation et la protection des minorités, qui sont un préalable à toute réflexion sur le statut futur de ce territoire.

J'ai cependant noté, à l'occasion des visites que j'ai faites dans chacun des pays des Balkans depuis ma nomination, des raisons d'espérer et d'agir. La perspective de l'adhésion européenne est un puissant levier pour les réformes. M. Myard l'a rappelé en souriant : le projet européen est un projet d'avenir et il le restera longtemps. Je pense que vous avez tort de citer cette belle phrase en souriant car j'ai constaté pour ma part que le seul levier pour que les minorités se tiennent bien, c'est qu'on leur propose ce qui nous a permis à nous de nous tenir bien depuis cinquante ans, c'est-à-dire l'ancrage dans le projet d'intégration communautaire, qui est au fond un formidable projet politique en ce qu'il aide à fabriquer de la stabilité, de la paix et du projet partagé, plutôt que d'entretenir des conflits.

M. Jacques Myard - Illusion !

M. le Ministre - Des habitudes de coopération régionale s'installent progressivement. Notre pays contribue à cette espérance. Notre engagement politique et militaire - 2 500 hommes, avec le commandement de la KFOR - est utile et le restera. François Lamy l'a souligné dans son rapport, en insistant sur notre action résolue en faveur de l'Europe de la défense.

Un mot enfin de l'Afghanistan, où la coopération internationale et transatlantique s'exerce efficacement. C'est un pays qui parvient à un réel apprentissage de la démocratie, avec la récente élection présidentielle et le succès de M. Karzaï. C'est aussi un pays où la France est active sur tous les plans et depuis le début : dans la lutte contre le terrorisme comme dans les actions engagées aux côtés des Etats-Unis depuis 2001, pour la sécurisation du pays dans le cadre de l'OTAN - en particulier depuis septembre 2004 où nous avons pris le commandement de la FIAS.

Mesdames et messieurs les députés, dans toutes ces crises, et, malheureusement, dans celle qui surviendront, nous nous tenons et nous nous tiendrons à des principes clairs : sécurité des populations, respect des droits de l'Homme, légitimité démocratique de l'Etat et des institutions par l'élection, intégrité du territoire national, stabilité régionale. Tous ces principes, qui constituent en quelque sorte notre logiciel de gestion de crise, nous entendons les mettre en œuvre dans le cadre des Nations unies, dont Bruno Bourg-Broc a rappelé toute l'importance.

Et c'est bien dans ce cadre que l'Union européenne doit s'engager davantage. Permettez-moi simplement, à propos de l'Europe dont nous parlerons beaucoup dans les prochains mois, de vous dire que tout dépend de nous, et de la confiance que nous, Européens, aurons ou n'aurons pas en nous-mêmes pour que l'UE, grand marché unique et communauté solidaire, devienne un acteur de premier rang dans le monde. Le moment de vérité sera celui de la Constitution - dont j'ai été l'un des ouvriers -, puisqu'elle contient beaucoup des outils de l'influence européenne. Une politique étrangère commune, Monsieur Garrigue, pas unique mais commune, telle doit être l'ambition. Nous ne renoncerons pas à nos identités en progressant dans la mise en place d'une politique commune, incarnée par un ministre des affaires étrangères européen. N'en déplaise à M. Myard, il faut progresser dans la voie de la mutualisation de nos analyses, de nos stratégies, et même de nos politiques, et tirer les leçons de notre impuissance, par exemple dans les Balkans, où, faute d'avoir su anticiper ensemble l'évolution de la situation, nous avons été incapables, il y a quinze ans de cela, d'empêcher une guerre moyenâgeuse qui a provoqué 200 000 morts.

Il faudra tirer les leçons de notre division en Irak, ce qui suppose de créer un lieu ou nous analyserons ensemble les situations et où naîtra une culture diplomatique commune.

M. Jacques Myard - Ce sera la paralysie !

M. le Ministre - Il y faudra du temps et de la volonté mais il n'y a aucune raison, s'agissant de la Russie, du Proche-Orient et même de nos relations avec les Etats-Unis, que nous n'aboutissions pas à une action commune aux pays européens. Car je suis persuadé que c'est bien le cadre qui permet aujourd'hui de démultiplier notre influence dans le monde.

Notre ambition est aussi de donner au projet européen une orientation plus sociale et plus humaine.

M. Jacques Myard - Comme les Anglais...

M. Jean-Claude Lefort - C'est du pipeau !

M. le Ministre - Nous cherchons pour cela à mieux coordonner nos initiatives et nos actions avec celles de nos partenaires - l'Allemagne mais aussi les autres. Comment imaginer qu'en Afrique, qui comptera, dans vingt-cinq ans, 1,8 milliard d'habitants, dont 800 millions auront moins de 15 ans et dont plus de la moitié vivront avec moins d'un dollar par jour, nous continuions a mener des politiques juxtaposées, si ce n'est concurrentes ?

Je remercie Bernard Carayon pour ses propositions, qui seront étudiées par la directrice des affaires économiques.

Un monde plus libre, un monde plus sûr, c'est d'abord un monde plus juste, ai-je dit à la tribune des Nations unies il y a quelques semaines. C'est ma troisième priorité. Le premier défi est donc celui du développement, de la solidarité et du partenariat avec les pays les moins développés.

Merci, Madame Vernaudon, d'avoir rappelé qu'un grand nombre d'entre eux sont dans le Pacifique et autour de nos départements et territoires d'outre-mer. Je suis un militant de la coopération régionale et je suis persuadé que nos DOM peuvent être un point d'appui de notre politique étrangère. J'insisterai pour que les crédits soient davantage utilisés en ce sens

Avec ce budget, nous entendons également agir sur d'autres aspects de la mondialisation : le développement durable et la défense de l'environnement, comme s'y est engagé le Président de la République ; la diversité culturelle, avec la conclusion attendue, en 2005, de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle - j'indique au passage à M. Rochebloine que le dossier de financement de l'institut culturel de Tel Aviv sera présenté à la commission compétente au début de l'année prochaine ; la présence de la France dans la bataille mondiale des savoirs et des idées, notamment sur les ondes internationales. Ce dernier sujet est complexe : François Rochebloine et Patrick Bloche l'ont souligné avec compétence dans leurs rapports. Il y a une forte attente pour une chaîne offrant davantage d'information, reflétant la diversité culturelle et diffusant des programmes adaptés à des publics très différents. Nous continuons à travailler, sous l'autorité du Premier ministre, à un projet qui doit être bâti en bonne intelligence avec les outils déjà existants : TV5, Euronews, RFI et l'AFP. Puisque j'évoque l'audiovisuel extérieur, je veux rendre hommage, au nom du Gouvernement, à Serge Adda, qui vient de disparaître et qui a fait un formidable travail à la tête de TV5.

M. François Loncle - Absolument !

M. le Ministre - Vous l'avez tous souligné : ces actions, ces priorités, requièrent des moyens. L'influence ne se décrète pas. Il lui faut des outils, il lui faut un budget. L'exécution du budget 2004 a été facilitée par l'absence de régulation budgétaire, voulue par le Président de la République. Pour autant, le budget des affaires étrangères est resté solidaire. Ainsi, 23 millions d'euros ont été affectés à d'autres administrations, notamment pour financer l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et pour renforcer la commission de recours des réfugiés. Les effectifs et la masse salariale ont été réduits. Le réseau à l'étranger est engagé dans un processus de restructuration de plusieurs années.

Pour 2005, mon ambition est de concentrer la ressource disponible autour de quelques grandes lignes : aide publique au développement ; remise à niveau de nos contributions aux Nations Unies et au Fonds européen de développement ; formation en France des jeunes élites étrangères ; effort important en faveur des Français de l'étranger, notamment dans les domaines de la scolarité et de la sécurité ; efficacité accrue dans la gestion du droit d'asile et de la circulation des étrangers.

Les deux tiers de ce budget - aide publique au développement et contributions obligatoires, y compris les opérations de maintien de la paix - sont affectés à des dépenses incompressibles qui ne cessent d'augmenter. L'APD est notre première priorité et je souscris à ce qu'écrit Jacques Godfrain : « Le développement ne peut être qu 'un projet politique de dimension mondiale que la France doit porter pour rester fidèle à sa vocation ».

L'an prochain, je vous présenterai mon budget sous forme de deux missions : la mission ministérielle « Action extérieure de l'Etat » et la mission interministérielle « Aide publique au développement ». Votre rapporteur spécial, Jérôme Chartier, estime « qu'il aurait été préférable de mettre en place une mission « Action extérieure de l'État » interministérielle et plus large, afin de conforter le rôle de pilotage qui revient en la matière au ministère des affaires étrangères ». Je partage cette analyse, il faudra faire évoluer les choses.

Dans son périmètre actuel, la mission « action extérieure de l'Etat » se décompose en trois programmes : le plus important est « Action de la France en Europe et dans le monde », pour 1,335 milliards ; puis, le programme « Français à l'étranger et étrangers en France » pour 604 millions ; enfin le programme « Rayonnement culturel et scientifique », pour 345 millions.

La promotion de l'idée européenne est au cœur du premier. Je l'ai dit, le réflexe européen doit imprégner notre approche des grands problèmes mondiaux. J'ai donc obtenu l'augmentation des crédits consacrés à la promotion de l'Europe, à de nouvelles lignes pour la desserte aérienne de Strasbourg, et pour expliquer le traité constitutionnel européen, de manière impartiale et pluraliste, à nos concitoyens.

M. Jean-Claude Lefort - Ben voyons !

M. le Ministre - Le renforcement du multilatéralisme et de la sécurité internationale est un autre enjeu, qui se traduit en particulier par notre soutien aux opérations de maintien de la paix, que François Lamy a bien voulu souligner.

Si les décisions prises aux Nations unies le rendaient nécessaire, je reviendrais solliciter l'augmentation de ces crédits en cours d'exercice. Il serait difficile en effet que les autres chapitres, qui sont déjà, comme l'écrit Richard Cazenave, « en limite de capacité», soient mis à contribution pour financer des dépenses liées à des crises nouvelles.

Vous avez été nombreux à évoquer la francophonie. Si les crédits du chapitre 42-32 diminuent, c'est en raison du transfert à l'AEFE de la gestion des bourses AIF.

C'est en abordant ce sujet que vous avez cru utile, Monsieur Myard, de vous en prendre au président de la Banque centrale européenne. Vous auriez toutefois pu faire part de votre désaccord sans lui manquer de respect...

M. Jacques Myard - C'est lui qui manque de respect à la France en disant qu'il n'est pas français et en s'exprimant dans un idiome barbare !

M. le Ministre - S'agissant du programme « Français à l'étranger et étrangers en France », trois éléments doivent être soulignés : l'effort d'équipement de nos postes pour la sécurité des communautés françaises - les crédits seront portés à 2,2 millions, soit une hausse de 10% - ; l'enseignement français à l'étranger - l'AEFE réhabilitera et sécurisera plusieurs établissements scolaires grâce à une subvention d'investissement de 10 millions, les crédits pour les bourses scolaires seront portés à 41 millions ; enfin, la réforme du droit d'asile - l'OFPRA est désormais en ordre de marche, et l'augmentation de 18% des crédits de la commission de recours a permis son déménagement à Montreuil, ainsi que le recrutement de 125 contractuels pour la résorption des 100 000 dossiers en instance.

En ce qui concerne la rationalisation de notre réseau diplomatique et consulaire, je partage l'avis de M. Chartier selon lequel « la maîtrise des dépenses est nécessaire mais ne doit pas conduire à l'impuissance de notre diplomatie. » J'entends rationaliser notre réseau consulaire en Europe, supprimer les redondances qui peuvent exister entre Alliances françaises et centres culturels, engager la mutualisation d'une partie de nos moyens avec nos partenaires européens.

J'ai également l'intention de mettre à plat la politique immobilière du ministère des affaires étrangères et de lancer un grand projet pour regrouper à Paris, sur un site unique, nos onze implantations. J'ai également relancé notre politique de cessions immobilières à l'étranger : la vente d'immeubles ministériels a ainsi rapporté 40 millions entre 1999 et 2003, 12 millions en 2004, et il est encore possible de dégager 50 millions de recettes. Je garantis que la totalité du produit de ces ventes bénéficiera au budget du ministère. Je remercie M. Chartier pour ses propositions concernant la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat à l'étranger ; nous les étudierons attentivement.

Le budget en « format LOLF » de la mission « Action extérieure de l'Etat » fut le premier à être soumis au Parlement. Il est bien plus lisible et plus dynamique que le budget bâti sur le modèle habituel de l'ordonnance de 1959. Il est vrai, cependant, que la lecture de ce projet de budget transitoire est plus complexe cette année en raison de la création de quatre nouveaux chapitres expérimentaux de la LOLF, ce qui a conduit à des redistributions de crédits vers ces nouveaux chapitres. Je répète que les crédits de la francophonie et de la coopération habituellement inscrits aux chapitres 42-15 ou 37-95 ont été préservés.

L'application de la loi organique permettra de rationaliser les compétences budgétaires des ministères. J'ai déjà mentionné les transferts réalisés depuis les budgets du Trésor vers le Fonds SIDA et de l'agriculture vers l'aide alimentaire. A l'inverse, en 2006, les crédits civils de recherche reviendront au budget de la recherche. De plus, le périmètre des emplois sera modifié : alors qu'aujourd'hui seuls 9 141 emplois budgétaires sont inscrits en loi de finances, en 2006, les 23 000 agents rémunérés par le ministère seront pris en compte.

L'année 2003 a été marquée par une crise sociale et budgétaire du ministère des affaires étrangères : nous ne parvenions plus à assurer nos missions. Le Président de la République et M. de Villepin ayant stoppé la décrue des crédits, ce budget augmente aujourd'hui, hors progression de l'aide publique au développement, de 1,2%.

Je suis reconnaissant à l'ensemble des agents du ministère : ils servent bien l'action extérieure de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Je félicite à mon tour les rapporteurs, et plus particulièrement MM. Godfrain, Bloche, Rochebloine et Emmanuelli.

Si l'on se place dans la perspective de la LOLF, le champ de compétences du ministre de la coopération et du développement sera encore plus clair pour le Parlement, puisque parmi les quatre programmes budgétaires qui regrouperont l'activité de l'ensemble du ministère, deux concerneront plus particulièrement la coopération : le premier, intitulé « Solidarité à l'égard des pays en développement », sera doté d'un peu moins de deux milliards et le second, intitulé « Rayonnement culturel et scientifique », sera doté de 346 millions.

La coopération culturelle et la francophonie ne sont pas négligées mais l'accent est mis sur les régions où cette coopération pourrait être valorisée dans l'aide au développement.

Nous avons en outre choisi de placer les dotations de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger au sein du programme « Français à l'étranger et étrangers en France ». Je rappelle à M. Blisko que cette dotation augmente en fait de 3 millions grâce à une mesure exceptionnelle qui permettra de financer la réforme des emplois. Nous en sommes conscients : les écoles sont le ciment de nos communautés, le symbole des liens amicaux qui nous unissent aux pays où nous sommes présents.

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis - Il faut leur donner des moyens.

M. le Ministre délégué - La dotation pour la seule AEFE augmente de 3 millions, je le répète.

L'aide publique au développement est donc la première priorité du ministère des affaires étrangères : le programme consacré à la solidarité à l'endroit des pays en voie de développement augmentera ainsi de près de 9% entre 2004 et 2005. Le chef de l'Etat souhaite d'ailleurs que nous consacrions à l'aide au développement 0,5% de notre PIB en 2007 et 0,7% en 2012, nous sommes sur la bonne voie. Cette augmentation résulte essentiellement de la contribution annuelle au Fonds SIDA à hauteur de 150 millions et de la montée en puissance des décaissements du Fonds européen de développement auquel nous contribuons pour un quart et dont la dotation passera de 565 à 628 millions.

Monsieur Lefort, nous poursuivons plusieurs objectifs dans la lutte contre le SIDA : il s'agit tout d'abord d'adapter notre législation de manière à ce que les pays du sud accèdent aux médicaments génériques.

M. Jean-Claude Lefort - Vous faites le contraire !

M. le Ministre délégué - Il s'agit ensuite que le Fonds mondial finance prioritairement les médicaments génériques. Il s'agit enfin que l'Institut de recherches pour le développement et que l'Agence nationale de recherches sur le SIDA fassent des essais thérapeutiques afin de valider des combinaisons génériques. Les engagements du Président de la République seront ainsi tenus.

Me plaçant à présent dans la perspectives des années 2006-2007, j'aimerais vous donner quelques indications sur ce que pourraient être les budgets futurs. L'engagement présidentiel en matière d'aide publique au développement représente en effet des montants significatifs, puisqu'il s'agit de passer de 5 milliards en 2001 à 9 milliards en 2007. Cet effort sera d'autant plus important que les allégements de dette, qui représentent aujourd'hui quelque 30% de notre aide, diminueront dès 2006. Je tiens à souligner qu'il est parfaitement fondé d'inclure les abandons de créances dans le calcul de l'aide publique au développement, les pays dont la dette est ainsi allégée pouvant investir les sommes économisées dans des politiques de développement. Le Cameroun, pour ne citer que ce pays, se verra ainsi dispensé de rembourser 100 millions par an : n'est-ce pas une aide réelle ? Je tiens, par ailleurs, à rassurer Mme Bousquet : les créances militaires, qui sont toujours clairement identifiées, ne sont jamais comptabilisées dans les dettes susceptibles d'être allégées.

A partir de 2006, l'Etat devra donc doter davantage l'ensemble des lignes budgétaires qui concourent à l'aide publique au développement. Nous comptons déjà obtenir des autorisations de programme en projet de loi de finances rectificative pour le fonds de solidarité prioritaire.

Comme l'a souligné M. Godfrain, notre participation aux organisations internationales reste constante. Nous espérons toutefois obtenir une dotation complémentaire lors du collectif budgétaire, ce qui nous permettra d'augmenter substantiellement notre contribution au PNUD - et de rassurer Mme Martinez et M. Cazenave.

D'autres lignes progressent sensiblement : ainsi, les crédits alloués aux ONG et aux collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée augmentent de 10%. Nous prévoyons également d'augmenter les bourses pour les étudiants étrangers en France ; c'est un élément essentiel de notre politique d'attractivité du territoire français et de promotion de la langue française. Sachez enfin, Madame Vernaudon, que nous prévoyons d'affecter 3,2 millions en 2005 au Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique, soit le double du montant qui lui a été alloué en 2003.

Au-delà des chiffres, ce qui importe est la politique voulue par le Gouvernement. Celui-ci s'est mis en ordre de bataille pour mener une action plus efficace en faveur du développement. Nous voulons des résultats - contribuer, évidemment, au développement des pays aidés - mais aussi de l'influence, notre objectif en cette matière étant de parvenir à ce que les thèses françaises imprègnent les organisations internationales.

Diverses mesures ont été décidées à cette fin lors du comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, qui s'est tenu le 20 juillet dernier. En premier lieu, le ministre chargé de la coopération est désigné comme chef de file de l'aide publique au développement. Il est notamment chargé de présider une conférence d'orientation stratégique et de programmation rassemblant tous les ministères concernés ; je tiendrai, demain, la première réunion de cette conférence.

Ensuite, le CICID a décidé que notre aide serait plus sélective et plus concentrée pour mieux répondre aux objectifs du Millénaire. M. Pierre Morange, député en mission auprès du Premier ministre, travaille avec moi sur les objectifs en matière de santé. C'est ainsi que nous travaillons à la poursuite de l'excellent projet en cours à Kollo, au Niger, projet qui tient à cœur de Mme Martinez, et qui sera désormais suivi par l'Agence française de développement.

Le CICID a également décidé que des documents de référence seront désormais établis par pays et par secteur. J'ai particulièrement veillé à ce que l'action de la France s'oriente en faveur des PME, qui ont pu, par le passé, être négligées par rapport aux multinationales.

D'autre part, le rôle des différents acteurs de l'aide au développement est clarifié : au ministère des affaires étrangères revient la définition des stratégies, à l'Agence française de développement l'application de ces orientations. C'est une évolution importante de notre organisation, qui va fortement mobiliser nos équipes mais qui ne signifie en rien l'affaiblissement du ministère, lequel n'abandonne aucun pouvoir.

Enfin, un document de politique transversale sera présenté chaque année au Parlement, après avoir été préparé sous la coordination du ministre chargé de la coopération, et après que Bercy aura donné son accord.

M. Henri Emmanuelli - C'est bien le mot « accord » qui compte !

M. le Ministre délégué - Ce document se substituera à l'actuel « jaune » budgétaire dont je conviens qu'il est peu lisible.

Au-delà de l'aide apportée par le budget, il nous faudra trouver des sources de financement innovantes. Je reviens du Brésil, où j'ai longuement discuté de la proposition du Président de la République relative à l'instauration d'une taxe internationale, déjà discutée par le président Lula avec M. Chirac, quelques jours après la publication d'un rapport rédigé à ce sujet par M. Landau. Ce rapport évoque de nombreuses pistes pour améliorer le financement du développement. Ainsi pourra-t-on, comme l'a souligné M. Godfrain, mieux mobiliser l'épargne des migrants et améliorer ainsi le co-développement. Plus généralement, ce rapport souligne qu'il est techniquement possible et économiquement rationnel d'instituer des taxes internationales - sur les transports aériens et maritimes, les transactions financières ou encore les dépenses d'armement - à condition toutefois qu'elles soient votées par chaque Parlement national, plutôt qu'instituées par des organismes supranationaux qui n'auraient pas la légitimité démocratique indispensable. Sachant que les dépenses d'armement sont évaluées à 900 milliards de dollars et l'aide publique au développement à 50 milliards de dollars, il n'y aurait rien de scandaleux à trouver par le biais d'une taxe le moyen de porter cette aide à 100 milliards.

Comme vous le voyez, l'aide aux pays en développement et la coopération constituent l'une des tâches essentielles de l'action extérieure du Gouvernement. Je souhaite que, grâce à ses représentants, l'opinion publique française soit mieux sensibilisée à une politique dont la France est l'un des chefs de file incontestés.

S'agissant enfin de la francophonie, je souligne que l'on ne peut s'en tenir, pour apprécier l'action conduite, aux 50 millions de son budget, car les contributions indirectes aux écoles et à l'audiovisuel représentent quelque 600 millions par an. Sans doute les institutions de la francophonie devraient-elles évoluer. Je proposerai donc la tenue d'une réunion à ce sujet aux parlementaires intéressés, et je ne doute pas que le prochain sommet de Ouagadougou sera l'occasion de débattre d'une réforme éventuelle. Mais chacun comprendra que l'on ne puisse bouleverser en quelques jours ce que plusieurs dizaines d'Etats ont bâti patiemment. La francophonie ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France, alors qu'elle attire de plus en plus d'Etats et de peuples soucieux de soutenir la diversité culturelle. Les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer pour mobiliser les citoyens à ce sujet. Je me tiens d'ailleurs à votre disposition pour étudier les propositions que vous pourriez faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

QUESTIONS

M. Yves Nicolin - Ma question porte sur la création de l'Agence française de l'adoption. Depuis deux ans, je l'appelle de mes vœux et je me réjouis donc, en tant que président du Conseil supérieur de l'adoption, qu'elle figure dans le projet de réforme de l'adoption présenté le 16 juin dernier en Conseil des ministres par Mme Roig.

Avec seulement 5 000 adoptions chaque année pour 24 000 familles aujourd'hui dans l'attente d'un enfant, il devenait urgent de moderniser le dispositif. D'ailleurs, certains pays comme la Russie refusent de plus en plus l'adoption à titre individuel et ne souhaitent traiter qu'avec une instance nationale.

La mission de l'Agence consistera à accompagner les familles d'adoption dans leurs démarches tout en servant d'intermédiaire avec les pays d'origine. Elle reprendra à sa charge toutes les compétences de gestion de l'actuelle mission de l'adoption internationale, la MAI, avec les personnels correspondants et sera le partenaire des OAA. Nous réussirons ainsi, je l'espère, à tenir l'objectif fixé par le Premier ministre de doubler le nombre d'adoptions au cours des prochaines années.

C'est pourquoi, Monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de nous indiquer où en est la naissance annoncée de cette Agence française de l'adoption et quels sont les moyens que vous entendez affecter à sa création.

M. le Ministre - La réforme adoptée en Conseil des ministres le 16 juin dernier vise à rationaliser le dispositif, avec une agence française de l'adoption reprenant les compétences de la MAI relatives au suivi des dossiers individuels, l'Autorité centrale pour l'adoption internationale conservant les attributions régaliennes actuellement exercées par la MAI. Les effectifs - une dizaine de postes - et les subventions - environ 200 000 à 300 000 euros -, actuellement affectés au suivi des dossiers individuels seront redéployés vers l'Agence. Tout cela devrait être mis en œuvre dans le courant de l'année 2005. J'ajoute que, dans le cadre de cette réforme, il est prévu le doublement de la prime pour adoption, et ce à compter du 1er janvier 2005.

M. Edouard Landrain - Je voudrais vous parler d'Haïti. C'est un pays francophone, pauvre, dévasté à la fois par la politique et par les éléments, et c'est un pays qui espère encore, en lui-même et en la France. Qu'avez-vous donc l'intention de faire pour cette malheureuse république noire, Monsieur le ministre, que ce soit au niveau de la francophonie ou sur un plan plus matériel ? Il faudrait notamment que le dossier de l'Institut français de Port-au-Prince soit rouvert. Le concours d'architecte était lancé, les fonds étaient, paraît-il, trouvés, mais hélas vos prédécesseurs ont ensuite oublié le projet. J'espère en vous, Monsieur le ministre. Les Haïtiens aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué - Dans la situation dramatique que connaît HaÏti, la priorité, c'est évidemment le développement, mais les questions culturelles et linguistiques ne doivent pas être négligées pour autant. Le français est, avec le créole, la langue officielle de ce pays et l'action de la France dans le domaine de la francophonie repose sur un réseau culturel, sur le lycée français et sur l'Agence universitaire de la francophonie.

Le réseau culturel est constitué par l'Institut français d'Haïti, dont la subvention - 516 000 euros - n'est pas négligeable, et par les six alliances françaises, dont la subvention annuelle est de 300 000 euros. Pour ce qui est de l'Institut français, notre ambassade négocie aujourd'hui un échange de terrains. Dès que la situation politique locale le permettra, le ministère des affaires étrangères pourra attribuer une subvention immobilière de reconstruction.

Le lycée français accueille 674 élèves, dont une majorité d'Haïtiens, et fonctionne correctement, en dépit d'un environnement assez défavorable.

Enfin, l'Agence universitaire de la francophonie a installé son bureau régional à Port-au-Prince. Elle soutient 1 700 étudiants, 20 professeurs et organise des formations en linguistique spécialisée.

Comme vous le voyez, nous restons actifs, malgré une situation difficile.

M. Bernard Debré - Je profite de ma question pour remercier les soldats de la Licorne, qui ont sauvé tant d'hommes et de femmes en Côte d'Ivoire (Applaudissements). J'ai été moi-même chirurgien en Côte d'Ivoire et j'y ai formé beaucoup de chirurgiens, qui n'ont rien à voir, je peux vous l'assurer, avec ces manifestants qui ont montré une image hideuse - et fausse - de l'Afrique. Je voudrais aussi remercier la cellule d'urgence du Quai d'Orsay pour sa prévoyance et son efficacité.

Les consulats jouent un rôle très important partout en Afrique. Or, le plan du Gouvernement prévoit d'en supprimer un certain nombre, dont celui de Port-Gentil. Quelle est donc la justification de ces suppressions ?

M. le Ministre - Je vous remercie pour ce commentaire sur le travail des soldats français et des fonctionnaires du Quai d'Orsay.

L'aménagement de notre réseau a pour objectif de le rendre plus cohérent et ce faisant de mieux utiliser l'argent public. Cela nous amène à fermer seulement trois postes consulaires - Lausanne, Ottawa et Düsseldorf - tandis que d'autres postes - au nombre de neuf - verront leur rôle évoluer vers une fonction de consulat d'influence. Port-Gentil en fait partie. Cet aménagement nous permet aussi de concentrer les compétences les plus techniques, de mieux prendre en compte la dimension européenne, qui fait que nos compatriotes pourront s'adresser aux administrations locales, enfin de développer la coopération consulaire européenne. Avec les pays de l'Union qui le voudront, nous mutualiserons certains moyens consulaires, ce qui débouchera peut-être à l'avenir, dans certains cas, sur des consulats européens.

Quoi qu'il en soit, je vous promets que ces mesures feront l'objet d'une évaluation objective.

M. Jean-Claude Lefort - Je suis un peu désarçonné par la teneur du débat de ce soir. Si être un bon ministre, c'est ne pas répondre aux questions des députés, alors vous êtes d'excellents ministres ! Je pose donc ma question comme on jette une bouteille à la mer, en espérant que la fiche que l'on vous aura préparée y correspondra un tant soit peu. Il faudrait écouter un peu les députés, Monsieur Darcos ! Cela vous éviterait peut-être de parler du sida comme vous l'avez fait...

Mais j'en viens à ma question. Le fossé entre la poignée de privilégiés qui détiennent des fortunes considérables et les milliards d'individus qui sont privés du nécessaire est hélas incontestable. Rappelons que la moitié de l'humanité vit avec moins de deux dollars par jour et qu'au rythme actuel, l'Afrique devra attendre l'année 2129 pour assurer l'accès de tous à l'école primaire et l'année 2156 pour réduire des deux tiers la mortalité infantile.

L'aide publique au développement reste beaucoup trop faible, et le Sommet de Monterey n'a permis de dégager aucune mesure concrète pour atteindre l'objectif de réduire de moitié, d'ici 2015, la pauvreté dans le monde. C'est dans ce contexte qu'a été signée en janvier 2004, à Genève, une déclaration commune du Président de la République française, du président brésilien, du président chilien et du Secrétaire général de l'ONU en faveur d'un fonds mondial contre la faim et la pauvreté.

Cette sorte de « quartette » a également constitué un groupe d'experts chargé de proposer des ressources « innovantes » pour ce fonds. Les conclusions de ce groupe et celles de M. Landau, désigné à la même fin par le Président de la République en novembre 2003, ont été présentées à l'ONU. Elles tendent à l'institution de mécanismes de financements très diversifiés : financements publics et privés, obligatoires et volontaires, universels et nationaux. Certains seraient susceptibles d'être mis en œuvre très rapidement. Compte tenu de l'urgence, la France va-t-elle donner des suites concrètes à ces rapports ? Proposera-t-elle d'inscrire à l'ordre du jour du prochain G8 un débat sur cette idée de taxation internationale ? Enfin, le Gouvernement va-t-il s'employer à mobiliser l'opinion en faveur de cette idée ?

Merci de me répondre si vous avez la bonne fiche !

M. le Ministre délégué - Pour être certain de ne pas m'enfermer dans les chiffres, je me passerai de fiche !

Sur le sida et les médicaments génériques, je vous ai donné la position de la France ! Elle ne vous satisfait peut-être pas, mais je suis avant tout ministre de la République. Et c'est aussi la position que j'ai essayé de défendre à Bangkok en juillet.

S'agissant de l'aide au développement et de ses nouvelles sources de financement, il n'y a pas de désaccord sur le fond au sein de la communauté internationale. Celle-ci s'est rassemblée autour des objectifs du Millénaire, en particulier sur celui qui consiste à réduire de moitié le nombre de ceux qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Simplement, tout montre que nous n'avons pas actuellement les moyens d'atteindre ces objectifs aux dates prévues. Ainsi, pour celui qui consiste à donner une éducation de base à tous, un rapport commandé par l'Union africaine démontre qu'on n'y parviendra pas en 2015, mais plutôt en 2147 avec les systèmes d'aide en vigueur ! Il faut donc de nouvelles sources de financement et la France ne s'est pas contentée de discours à cet égard ! Elle a donc demandé au groupe présidé par M. Landau - et qui comportait des représentants de nombreuses ONG, dont Attac - de présenter des propositions. Ce groupe a émis toute une gamme de suggestions, reposant sur des assiettes extrêmement variées : aéronautique, vente d'armes, échanges économiques ou boursiers... Il a même avancé l'idée d'une loterie internationale !

Il s'agissait ensuite d'examiner la faisabilité de ces différents modes de taxation et nous nous sommes heurtés soit à des oppositions de principe - celles des Etats-Unis, de la Suisse, de l'Arabie saoudite et même de l'Allemagne, hostiles à un impôt supranational -, soit à des propositions d'un autre ordre : ainsi la Grande-Bretagne préférerait une International Fund Facility, constituée à partir d'un grand emprunt garanti par les Etats. Nous avons commencé par essayer de convaincre le premier groupe de pays qu'il ne pourrait longtemps résister à la pression de l'opinion publique et, en avril, les Etats-Unis ont signé pour la première fois, à l'ONU, une déclaration approuvant le principe de financements nouveaux. Quant à la Grande-Bretagne, elle a accepté de combiner sa solution, mise en œuvre immédiatement, avec une taxation, mise en œuvre à moyen terme.

S'il y a donc un pays auquel on ne peut faire aucun reproche, c'est bien la France ! N'est-ce pas M. Chirac qui, avec trois autres chefs d'Etat et de gouvernement, a présenté en septembre ce projet aux Nations unies, ralliant 110 pays pour finir ? Nous avons du coup pris trois décisions : en avril 2005, les institutions de Bretton Woods examineront la faisabilité de ces propositions ; les projets seront discutés lors de la présidence britannique du G8 en vue de choisir l'un d'entre eux ; enfin, en octobre, la révision à mi-parcours des objectifs du Millénaire sera l'occasion de décisions.

Non seulement la France ne fait pas rien, mais elle a tout fait ! Nous avons même bon espoir qu'en 2005, la communauté internationale disposera de nouveaux mécanismes de financement de l'aide internationale. Puisse-t-on se souvenir alors qu'on le devra à notre pays !

M. Patrick Braouezec - L'entrée des étrangers en France est malheureusement soumise dans une large mesure à l'appréciation de notre administration, notre régime des visas demeurant dépendant d'impératifs de sécurité mais aussi d'une politique de maîtrise des flux migratoires. En cela d'ailleurs, notre pays ne s'éloigne guère des dispositions du chapitre IV du Traité constitutionnel européen : « L'Union développe une politique commune de l'immigration visant à assurer une gestion efficace des flux migratoires ; à cette fin, la loi établit des conditions d'entrée et de séjour ainsi que des normes relatives à la délivrance des visas... ».

Les mesures arrêtées pour six mois en matière de circulation transfrontalière après la vague d'attentats de 1986 ont été maintenues depuis, et même durcies. Les conditions de l'entrée en France sont ainsi, de facto, soumises à l'arbitraire des autorités consulaires. Ces pratiques vont d'autant plus fortement à l'encontre des droits fondamentaux qu'elles sont assorties d'un paiement des visas, mesure qui a permis de faire baisser les demandes de 25% - même si elles s'élèvent encore à près de 2,5 millions. De plus, on exige des attestations d'hébergement et de prise en charge des dépenses hospitalières, ainsi que la preuve qu'on dispose d'une somme substantielle à son arrivée ! Enfin, l'obtention d'un visa peut prendre un an ou plus...

Si le nombre de demandes baisse, ce n'est donc pas un hasard, mais cela ne signifie pas que moins de personnes souhaitent venir en France ! Malgré tous les obstacles, beaucoup prennent le risque, quitte à grossir les rangs des 300 000 sans-papiers. Que comptez-vous faire pour faciliter l'entrée sur le territoire français et pour mettre fin au dogme régnant dans nos services consulaires - celui de la fermeture, sous prétexte de protection, de nos frontières ?

M. le Ministre - On ne peut parler d'un « dogme » de la fermeture : aux avant-postes face aux flux migratoires, nos consulats accomplissent un travail difficile avec compétence, de façon consciencieuse et impartiale. En outre, leur mission n'est pas seulement d'exercer un contrôle préalable : elle est aussi de faciliter la venue en France de personnes qui contribueront à la vitalité de nos relations internationales, sans oublier pour autant les impératifs de sécurité, conformément aux décisions du conseil européen de Séville. A tous ces titres, ils dont des instruments de notre politique étrangère.

S'agissant des visas de moins de trois mois, qui représentent plus de 90% de ceux qui sont délivrés, les procédures, les tarifs, les vignettes et les formulaires sont harmonisés dans le cadre de Schengen. Cela étant, 212 postes ont enregistré l'an dernier 2,5 millions de demandes dont 2 millions ont abouti à la délivrance d'un visa : nous sommes par conséquent bien loin d'être un pays fermé. La France est même le pays de l'Union qui reçoit le plus de demandes, après l'Allemagne. Nous y consacrons des moyens matériels et humains importants et, après l'achèvement d'un plan informatique, nous préparons maintenant l'expérimentation du relevé des empreintes digitales, en application de la loi du 26 novembre 2003.

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions. J'appelle à présent les crédits inscrits à la ligne « Affaires étrangères ».

ETAT B

TITRE III

M. Jacques Myard - Ne défendez pas l'indéfendable, Monsieur le ministre ! Le respect se mérite et ceux qui, se prétendant l'élite d'une nation, crachent à la figure de ses représentants ne peuvent attendre que l'indignité. J'eusse aimé par conséquent que le Gouvernement protestât contre les agissements d'un haut fonctionnaire qui a dévoyé la mission pour laquelle la République l'avait désigné !

Je le répète : dans une situation internationale qui va aller en se dégradant encore, nous ne pouvons réduire les moyens de notre action extérieure. Au contraire, nous devons être unanimes à vouloir rétablir ceux de votre ministère. Ayant peu de latitude en matière financière, mon amendement 130 vise donc à supprimer une mesure nouvelle de 1 129 170 € : l'équilibre de la loi de finances n'en sera pas compromis et nous adresserons un signal aux plus hautes autorités de l'Etat, leur faisant valoir que ce ministère est sur la brèche, en Côte d'Ivoire ou ailleurs. Mais ce sera aussi un signal adressé aux autres ministères, qui n'ont pas comme celui-ci réduit de 10% ses moyens en personnel - si tous avaient fait de même, l'Etat agirait aujourd'hui avec plus de promptitude !

Mes chers collègues, il faut parfois savoir désobéir. Souvenez-vous qu'en 1914, le Premier Lord de l'Amirauté disait de Lord Jellicoe qu'il avait toutes les qualités de Nelson, sauf une : celle-là ! (Sourires) Votez cet amendement et vous rétablirez l'honneur du Parlement !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial de la commission des finances - Notre commission, tout en repoussant cet amendement, ne peut pas ne pas en approuver l'inspiration : il faut encourager ce ministère à rester dans un cercle vertueux. Mais on peut le faire d'autre façon. Tout d'abord, on peut l'aider à honorer ses engagements internationaux, de façon à ce qu'il ne soit pas obligé de payer 1,2 million d'euros de pénalités - le montant exact de la mesure que vous visez ! - pour n'avoir pas acquitté sa dotation au Fonds européen de développement.

En 2003, 49,6 des 496 millions d'euros de crédits ouverts au titre du FED ont été gelés au motif qu'habituellement 85% seulement des crédits étaient consommés. Malheureusement, ce ne fut pas le cas cet année-là, et l'Etat ne put honorer le dernier paiement, de 88 millions. Cette année, le ministre des affaires étrangères va tenter d'obtenir une dotation supplémentaire en loi de finances rectificative pour régulariser ces arriérés. Nous devons donc veiller à ce que les 628 millions inscrits pour 2005 ne soient pas gelés.

Voyez, d'autre part, au chapitre 37-90, les 4 millions de l'article 20. Le 1er janvier 2003, l'obtention des visas a été soumise à des frais de dossier, ce qui a permis de faire passer l'équivalent des droits de timbre de 58,31 à 83,81 millions en ressources, et de réduire de 500 000 le nombre de demandes de visas. Le ministère du budget avait promis à celui des affaires étrangères, s'il obtenait 10 millions de recettes supplémentaires, 4 millions. Pour 2005, le système est plus ingénieux : en contrepartie d'une augmentation de la ressource, le ministère obtiendra les 4 millions dès lors que cela représentera 35% de ladite augmentation supplémentaire. Or, ce résultat est difficile à obtenir. Si la démarche vertueuse n'est pas poursuivie, ces 4 millions disparaîtront des ressources du ministère.

M. Henri Emmanuelli - Ce n'est pas vertueux, et ce n'est pas glorieux !

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial - Contrairement à la plupart des grandes entreprises françaises, le ministère des affaires étrangères ne se couvre pas contre le risque de change. Or, un demi-point de modification de la parité euro-dollar, c'est 30 millions de dépenses sur son budget.

Au lieu de présenter cet amendement auquel je ne puis être favorable, Monsieur Myard, c'est avec moi et avec vos collègues que vous veillerez à ce que les crédits du ministère soient préservés et à ce que le bénéfice du cercle vertueux des frais de visa aille au ministère. La Cour des comptes a estimé que cela ne relevait pas du Parlement mais d'un fonds de concours. En effet, ce n'est pas une recette fiscale.

M. le Ministre - Au-delà de l'ingéniosité budgétaire du rapporteur spécial, qui aura, je l'espère, été entendu au-delà de ces murs (Sourires sur les bancs du groupe UMP), les crédits que vous supprimez, Monsieur Myard, sont relatifs aux pensions et allocations familiales, à l'expérimentation de la LOLF, à la réforme de l'OFPRA et à celle du corps des conseillers des affaires étrangères. Cela ne serait pas compris.

Vous vous inquiétez, et je le comprends, de la rigueur qui a conduit à ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux. Mais en contrepartie de ces efforts, mon administration a été préservée des gels budgétaires en 2004. J'entends bien qu'elle le soit aussi en 2005. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, sans quoi je me verrai contraint de lui opposer un avis défavorable.

M. Jacques Myard - Je le maintiens. Il ne s'agit pas de supprimer des crédits, mais de les rétablir, puisque je propose de supprimer une mesure nouvelle négative !

Monsieur le rapporteur, le problème n'est pas dans le différentiel de change, auquel le ministère sait parer, mais dans les moyens humains mis à la disposition du ministère. Il nous faut des hommes formés, des hommes qui connaissent les pays qui seront demain en crise. La République a impérativement besoin sur le terrain de gens qui l'informent correctement. Faisons acte d'audace au lieu de nous en tenir à une pseudo-discipline qui nous mène droit dans le mur !

L'amendement 130, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Henri Emmanuelli - J'associe le groupe socialiste aux remerciements que M. le ministre a adressés à tous ceux qui s'occupent de nos compatriotes rapatriés de Côte d'Ivoire. C'est parce que nous avons le souci de leur sécurité que nous nous sommes interrogés sur la rapidité et l'ampleur des mesures de rétorsion mises en œuvre alors même que n'avaient pu être prises des mesures de prévention.

Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, deux principes : le respect de l'intégrité des territoires et le respect de la légitimité des gouvernements.

M. le Ministre - Légitimement élus !

M. Henri Emmanuelli - Or, s'agissant de la Côte d'Ivoire, les thèses du Gouvernement français semblent pour le moins varier selon les jours. Nous attendons donc une clarification. L'intégrité territoriale de la Côte d'Ivoire est-elle un objectif ? Si oui, le pays sera-t-il replacé sous l'autorité légitime du pouvoir démocratiquement élu ? Rebelles et autorité légitime seront-ils placés sur le même pied ? A lire les propos tenus ce matin par la ministre de la Défense, on peut se poser la question !

M. Jacques Myard - Il y a eu Marcoussis !

M. Henri Emmanuelli - Et il y a eu Kléber ! Mais convenez que nous n'aurions jamais accepté qu'on nous impose comme ministre de la défense, dans notre pays, le responsable des putschistes ! A Marcoussis on demandait un gouvernement, à Kléber il a été constitué dans d'autres conditions.

Comment l'intégrité du territoire sera-t-elle rétablie ? Sous quelle autorité légitime sera-t-il placé ? Met-on sur le même plan putschistes et pouvoir légitime ? Ces questions doivent recevoir une réponse. La sécurité de nos compatriotes et la paix en Côte d'Ivoire sont à ce prix.

Nous voterons, vous l'aurez compris, contre ce budget.

Les crédits des titre III et IV de l'état B, mis aux voix, sont successivement adoptés, de même que les crédits des titres V et VI de l'état C.

La suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005 est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mardi 16 novembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 0 heure 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MARDI 16 NOVEMBRE 2004

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800).

Rapport (n° 1863) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'Ordre de la Libération

Rapport spécial (n° 1863 annexe 40) de M. Tony DREYFUS, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Logement

Rapport spécial (n° 1863 annexe 6) de M. François SCELLIER, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

- Logement et urbanisme

Avis (n° 1865 tome 1) de M. Jean-Pierre ABELIN, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

2. Fixation de l'ordre du jour

A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800).

Logement (suite)

Défense ; articles 48 et 49

- Défense

Rapport spécial (n° 1863 annexe 39) de M. François CORNUT-GENTILLE, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Avis (n° 1866 tome 7) de M. Paul QUILÈS, au nom de la commission des affaires étrangères.

- Discussion nucléaire

Avis (n° 1867 tome 2) de M. Antoine CARRÉ, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Espace, communications et renseignement

Avis (n° 1867 tome 3) de M. Yves FROMION, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Forces terrestres

Avis (n° 1867 tome 4) de M. Joël HART, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Marine

Avis (n° 1867 tome 5) de M. Charles COVA, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Air

Avis (n° 1867 tome 6) de M. Jean-Louis BERNARD, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Titre III et personnels civils et militaires d'active et de réserve

Avis (n° 1867 tome 7) de M. Pierre LANG, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Crédits d'équipement

Avis (n° 1867 tome 8) de M. Jérôme RIVIÈRE, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Services communs

Avis (n° 1867 tome 9) de M. Jean-Claude VIOLLET, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

- Gendarmerie

Avis (n° 1867 tome 10) de M. Philippe FOLLIOT, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.


© Assemblée nationale