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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

      Session ordinaire de 2004-2005 - 30ème jour de séance, 72ème séance

      1ère SÉANCE DU JEUDI 25 NOVEMBRE 2004

      PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

    Sommaire

          CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
          SUR L'ÉVOLUTION DES PRIX 2

      La séance est ouverte à neuf heures trente.

    CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'ÉVOLUTION DES PRIX

      L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Henri Emmanuelli et de plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages.

      M. Jean Gaubert, rapporteur de la commission des affaires économiques - Une commission d'enquête peut être créée si elle porte sur des faits précis et déterminés. C'est le cas du problème qui nous occupe ce matin puisqu'il s'agit de déterminer le niveau réel des prix pratiqués dans la grande distribution, les associations de consommateurs signalant en effet des prix supérieurs de 5% à 13% par rapport à nombre de pays européens et la hausse des prix de référence pouvant atteindre le double de celle de l'inflation officielle. En outre, il n'y a pas de consensus sur les effets de l'accord du 17 juin : chacun sait que les entreprises de distribution ont eu tendance à répercuter les efforts demandés sur les fournisseurs. Enfin, depuis 2001, les ménages perçoivent une inflation supérieure de 1% à celle calculée par l'indice de l'INSEE.

      Une commission d'enquête peut être également créée à condition de ne pas interférer dans un processus judiciaire, ce qui est aussi le cas au vu des informations fournies par le Garde des Sceaux.

      La question du pouvoir d'achat est évidemment récurrente. Les pouvoirs publics disposent de deux leviers pour l'accroître : soit augmenter les salaires, soit baisser les prix. Le Gouvernement n'a manifestement pas choisi la première solution, en particulier pour les ménages les plus modestes. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de dénoncer des cadeaux fiscaux très ciblés. Ainsi, alors que M. Migaud a plusieurs fois souligné la nécessité de rétablir la TIPP flottante, le Gouvernement a préféré octroyer des avantages catégoriels qui ne profitent pas toujours aux principales victimes de la hausse des prix du pétrole.

      M. Didier Migaud - Dommage.

      M. le Rapporteur - En revanche, le gouvernement Jospin, lui, avait abaissé le taux normal de la TVA, allégé les impôts locaux, créé la PPE, supprimé la CRDS pour les chômeurs et les retraités non imposables. Entre 1997 et 2001, les créations d'emplois avaient ainsi augmenté de 1,8% par an et, combinées avec la réduction du temps de travail, le volume d'heures travaillées s'est accru. Alors que la PPE devait être augmentée de 50% en 2003, elle a été indexée sur le taux d'inflation. Il importe donc d'autant plus de s'intéresser au taux réel de l'inflation. L'INSEE calcule un indice moyen. Or, les ménages les plus modestes ne consomment que des produits de première nécessité, qui augmentent plus que la moyenne de l'inflation, contrairement, par exemple, aux produits de haute technologie achetés par des catégories plus aisées de la population.

      M. François Brottes - Très juste.

      M. le Rapporteur - Cette question est également importante car nombre de prestations sociales sont indexées sur le taux d'inflation.

      Il convient aussi de s'interroger sur le problème des relations commerciales entre consommateurs, fournisseurs et grande distribution, insatisfaisantes pour tous. Un équilibre doit donc être trouvé. La guerre des prix peut être, certes, une solution, mais les risques sont énormes. Le système Wal-Mart, importé des Etats-Unis, ne saurait être considéré comme un modèle car il repose sur une standardisation de la consommation et entraîne une disparition progressive de l'ensemble des fournisseurs.

Plus près de nous, certains pays ont voulu provoquer une baisse des prix violente, qui a eu de lourdes répercussions. Ainsi, les Pays-Bas ont perdu 17 000 postes de travail, dont 10 000 emplois permanents. La question est donc délicate, d'autant que la grande distribution a tendance à reporter sur l'amont les efforts qu'on lui demande : depuis vos réunions de juin, Monsieur le ministre, des secteurs qui n'étaient pas soumis au référencement le sont devenus, comme celui des légumes. On voit bien que le rapport de forces est en faveur de la distribution, mais tout le problème est d'en établir la preuve. La pression est telle que celui qui voudra parler sait bien qu'il sera déréférencé dès la semaine suivante ! Les seuls renseignements nous sont donnés par ceux qui viennent de se retirer du secteur. On sait ainsi que souvent, les fournisseurs sont convoqués, on leur dit quel prix ils doivent pratiquer pour être retenus et ils écrivent leurs « propositions » en rentrant chez eux...

La connaissance du pouvoir d'achat résiduel des consommateurs, les relations dans la grande distribution sont donc des sujets qui doivent être approfondis. Chacun sait comment fonctionnent les marques distributeurs par exemple : on met un doigt, et on se retrouve avec tout le bras dedans ! Soit on le laisse, soit on l'arrache... On ne peut laisser les marques distributeurs s'installer : c'est le tissu même des PME qui est menacé. Nous avons donc proposé la création d'une commission d'enquête, dont les prérogatives sont plus étendues que celles d'une mission d'information qui, par exemple, ne peut obliger personne à venir s'exprimer. La commission d'enquête a aussi la possibilité de travailler à huis clos, ce qui est indispensable pour que les petits fournisseurs acceptent de donner des informations.

Pour répondre à toutes les questions que je viens de poser, méfions-nous de ce réflexe bien français : il ne suffira pas de réformer les lois Galland, Raffarin ou Royer ! Vérifions d'abord que ces lois s'appliquent correctement. Ne croyons pas non plus ceux qui affirment que la consommation augmentera si les commerces sont ouverts plus souvent, ou si les surfaces de vente sont agrandies. Les gens auront-ils plus d'argent pour consommer si l'on ouvre les magasins le dimanche ? Le problème est celui des moyens ! Sans compter que le travail le dimanche crée des conditions de vie décalées qui sont un désagrément pour la famille et, le plus souvent, pour la femme. Par ailleurs, on ne voit pas les gens se bousculer dans les magasins ! Notre pays est plutôt bien loti en surfaces commerciales ! Il faut donc se méfier des mauvaises réponses.

Vous savez que je n'ai pas été suivi par la commission, qui a approuvé tous mes arguments, tout en concluant qu'une mission d'information serait suffisante. Je pense que la discipline du groupe s'est encore exercée. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Lefranc - Voyez plutôt votre exposé des motifs !

M. le Rapporteur - Je comprends qu'il vous gêne ! On ne peut que constater les réussites du gouvernement Jospin dans ce domaine, même si nous avons connu des échecs dans d'autres. La semaine dernière, vous avez émis un avis en commission. Aujourd'hui, vous pouvez vous racheter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Proriol, suppléant M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - M. Ollier accompagne le Président de la République dans son voyage en Libye. Nous sommes donc saisis d'une proposition de résolution du groupe socialiste qui lui sert d'alibi pour critiquer l'action du Gouvernement : il n'est qu'à regarder l'exposé des motifs, et même la première partie du rapport ! On ne peut que regretter cette méthode, dont vous avez vu vous-même l'aspect choquant puisque vous avez proposé de retirer les deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs : quel aveu !

Le problème des prix et des marges arrière est trop grave pour être traité de cette façon. La commission des affaires économiques s'y intéresse depuis longtemps. L'excellent rapport de la mission d'information présidée par Jean-Paul Charié et rapportée par Jean-Yves Le Déaut en atteste. Nous connaissons les techniques d'influence et de pression des distributeurs sur les producteurs. Face à la persistance et à l'ampleur des pratiques illégales, malgré l'action du Gouvernement, et notamment la circulaire Dutreil du 16 mai 2003, le président Ollier a proposé la création d'une mission d'information. Nous avons finalement opté pour une formule plus souple, celle du groupe de travail, qui nous permet de travailler en total partenariat avec le ministère. Tous les groupes politiques y sont représentés, et M. Gaubert en fait naturellement partie. Ce groupe, présidé par Luc-Marie Chatel, a mené une quarantaine d'auditions. Son rapport d'étape du 16 juin 2004 comportait des propositions visant à améliorer les relations entre producteurs, fournisseurs et distributeurs et à redonner du pouvoir d'achat aux consommateurs, dont certaines ont été prises en compte par le Gouvernement.

Lors de la constitution du groupe, il avait été convenu de le transformer en mission d'information s'il apparaissait utile de poursuivre la réflexion. C'est le cas, puisque le ministre a décidé de proposer un projet de loi. La mission créée le 16 novembre est présidée par Luc-Marie Chatel, ses rapporteurs sont Jean-Paul Charié, Michel Raison et Jean Dionis du Séjour et son secrétaire n'est autre que Jean Gaubert. Elle devra faire connaître fin janvier ses propositions. Le Gouvernement a accepté que son projet de loi ne vienne en discussion qu'à l'issue des travaux de la commission, et nous l'en remercions. Aucune raison ne justifie donc la création d'une commission d'enquête, qui serait inutile et inopportune. Une commission d'enquête est destinée à mener des investigations. En l'occurrence, la priorité n'est pas l'établissement des faits, que nous connaissons depuis longtemps, mais de trouver des solutions concrètes ! Les pouvoirs publics doivent concilier des intérêts divers en préservant le pouvoir d'achat des consommateurs et la juste rémunération des fournisseurs. Par ailleurs, rien n'empêcherait la mission d'information, si le besoin s'en faisait sentir, de bénéficier des prérogatives de la commission d'enquête, y compris le travail à huis clos pour éviter des représailles.

Le débat parlementaire qui va avoir lieu sur la base du projet préparé par le ministre permettra à chacun de s'exprimer et de faire des propositions.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques, le 16 novembre dernier, a rejeté la proposition de résolution de M. Emmanuelli (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Brottes - Ce n'est pas très courageux !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Les prix des biens de consommation courante sont-ils trop élevés en France aujourd'hui ? La réponse est clairement oui.

Depuis 1997, ils augmentent de 2,3% en moyenne chaque année, alors que l'inflation générale est de 1,5%. Les Français paient les biens qu'ils mettent dans leurs caddies 15% plus cher qu'en Allemagne, 7% plus cher qu'en Belgique et en Espagne, 4% plus cher qu'en Italie et 3% plus cher qu'aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Je parle bien entendu des mêmes produits et des mêmes marques. Cette réalité-là n'est ni de gauche ni de droite, et il faut la regarder en face pour essayer de trouver des solutions.

Comment s'explique-t-elle ? Le passage à la monnaie unique a constitué une phase particulièrement aiguë, n'en déplaise aux « spécialistes », de la dérive des prix. L'étude de l'INSEE, à qui, sachant que les deux tiers des Français font leurs courses dans les hypermarchés et les supermarchés, j'ai demandé de créer un indice spécifique des prix dans la grande distribution, montre qu'entre janvier et octobre 2001, les prix des biens de consommation courante ont flambé. Je ne le dis pas pour accabler le gouvernement de Lionel Jospin, ce ne serait pas mon genre (Sourires sur divers bancs), mais simplement parce que c'est la vérité. Le fait est que lorsque je suis devenu ministre des finances, il y a huit mois, le grand débat était de savoir si la mesure de l'inflation correspondait ou non à la réalité de l'évolution des prix ; la grande majorité des responsables, y compris politiques, disait que les prix n'augmentaient pas, et j'ai eu la curiosité de creuser la question, sans faire une réponse habituelle de ministre de finances. C'est à partir de ce moment-là qu'on est entré dans le débat sur les prix.

M. Guy Geoffroy - Tout à fait.

M. le Ministre d'Etat - Mais le passage à l'euro n'est pas seul en cause. La dérive des prix est aussi la conséquence d'un dispositif juridique qui permet aux industriels de fixer eux-mêmes le prix de vente de leurs produits et qui interdit aux distributeurs de répercuter dans les prix le fruit de leurs négociations avec leurs fournisseurs. C'est ce qu'on appelle, d'un côté, la non-négociabilité des tarifs et, de l'autre, les marges arrière.

Cette question des marges arrière a été occultée pendant des années. Vous avez eu le mérite d'en parler, Monsieur Charié, avec quelques autres, mais on s'est dispensé de l'expliquer aux consommateurs, et moi-même il m'a fallu plusieurs semaines pour comprendre.

M. le Président - Moi, je n'ai pas encore tout compris (Rires) !

M. le Ministre d'Etat - Je reconnais là votre honnêteté, Monsieur le Président.

La marge arrière est la partie du prix qui n'est pas sur la facture : on impose à un fournisseur de payer pour que ses produits soient vendus. Depuis 1997, les marges arrière sont de 32% en moyenne. Autrement dit, le tiers du prix n'apparaît pas sur la facture ! Donc, ce tiers-là ne profite pas au consommateur.

A qui profite-t-il ? A mon avis, et à la distribution et aux grands industriels. Si le système perdure, c'est qu'il doit plaire à un certain nombre de personnes...

M. Jean-Paul Charié - Bravo de le dire.

M. le Ministre d'Etat - Je dois dire que j'ai rarement vu un rapport de la qualité de celui que j'avais demandé à M. Canivet, Premier président de la Cour de cassation. J'invite les parlementaires à le lire car il est passionnant et explique de manière implacable le processus. Sur cette base, j'ai demandé que soit institué un système efficace de sanctions. En effet, nous avons une réglementation extrêmement précise, qui est formidable pour empêcher la baisse des prix mais non leur hausse ! J'ai proposé que les primo-infractions soient punies d'une sanction administrative car il est inutile d'encombrer le juge pénal - qui a déjà fort à faire, la pénalisation du droit des affaires étant une spécificité française absurde - et qu'en revanche, lorsque les infractions sont répétées, elles relèvent de la justice pénale.

Comme l'a expliqué le rapport Canivet, mieux contrôler la coopération commerciale abusive en suffit pas pour enrayer durablement la dérive des prix. Je me suis toujours refusé à désigner un coupable ; je pense que les distributeurs aiment les marges arrière car ce sont des marges garanties, qui leur permettent de stabiliser leurs cours de bourse et de financer le développement international - je pense par exemple au groupe Carrefour -, et que les industriels acceptent ces marges arrière parce qu'elles leur permettent d'acheter le confort d'un prix de vente uniforme sur tout le territoire ou parce qu'elles leur permettent d'augmenter leurs tarifs - j'ai à l'esprit une grande marque française dont les prix ont augmenté de 26% sur les cinq dernières années.

M. Jean-Paul Charié - Ce n'est pas la seule.

M. le Ministre d'Etat - Je pense aussi à une autre grande marque dont les produits sont achetés par certains grands magasins en Italie, où ils sont moins chers...

L'un des éléments de complexité du dossier, c'est la difficulté, voire l'impossibilité, de distinguer, parmi les industriels, ceux qui sont victimes du système et ceux qui en profitent. Je ne conteste pas l'existence des premiers, mais je n'hésite pas à dire que certaines grandes marques de notoriété mondiale ont profité de la loi du 1er juillet 1996, dite loi Galland, pour augmenter leurs profits aux dépens des consommateurs.

Parmi les PME, certaines ont trouvé un intérêt provisoire à la dérive des marges arrière grâce au développement des marques de distributeurs - MDD -. Mais qu'on ne s'y trompe pas : sur 7 000 PME qui travaillent avec la grande distribution, 700 seulement fabriquent des produits sous MDD.

Ce qui a changé, c'est que tous les acteurs sont convaincus que cette dérive ne peut plus durer, même si, bien sûr, il y a des craintes. Le système risque en effet de conduire à une récession majeure dans ce secteur d'activité.

En effet le consommateur est le principal perdant du système. D'ailleurs, Monsieur le Président, vous qui êtes soucieux que les débats parlementaires passionnent les gens, vous pouvez constater le nombre d'articles et d'émissions consacrés à ce sujet, parce qu'il s'agit de problèmes de vie quotidienne.

M. François Loncle - Il faudrait un débat sur les banques.

M. le Ministre d'Etat - J'appelle l'attention de l'Assemblée sur le développement des parts de marché du hard discount : 1,6% en 1992, 15% aujourd'hui.

Et comme ces hard discount se trouvent à moins de trois cents mètres, ils n'ont pas besoin de demander une autorisation. Le hard discount n'a pas que des inconvénients, il peut répondre aux besoins de populations déshéritées, animer provisoirement un centre ville. La réalité est donc complexe. Mais le développement du hard discount est destructeur de valeur ajoutée, car il ne vend aucun produit de marques, et son offre de produits est pauvre : 1 400 références en moyenne, contre 5 000 à 7 000 dans un magasin traditionnel. Comment, dans ces conditions, aider les PME ? De plus, il ne contribue en rien à l'emploi. En effet, les produits sont placés sur palettes, on éventre les colis, et on se sert. En revanche, dans les super et hypermarchés, des jeunes trouvent des emplois auxquels ils n'accéderaient pas autrement. Enfin, les produits vendus en hard discount viennent directement de l'Est.

M. Jean-Paul Charié - D'Allemagne !

M. le Ministre d'Etat - L'Allemagne n'est pas à l'ouest à ma connaissance !

M. le Président - Ne changeons pas la géographie !

M. le Ministre d'Etat - Un autre phénomène mérite attention : la captation par quelques intérêts des bénéfices procurés par les marges arrière. Pendant trente ans, la grande distribution a contribué vigoureusement au dynamisme de l'économie, favorisant en particulier la création de nombreuses PME. Mais cet essor a mis en difficulté le commerce de proximité. En effet, le développement de la grande distribution s'explique par le fait que toutes les femmes veulent désormais, et avec raison, concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, et ce phénomène s'accentuera encore. Désormais, faire ses courses en prenant le temps de choisir ses commerçants appartient à une époque révolue. L'Etat a alors essayé par la loi de protéger les commerces de proximité. En vain ! Entre 1994 et 2004, le nombre de charcuteries a baissé de 40%, celui des boucheries de 20%...

M. Jean Lassalle - Et voilà !

M. le Ministre d'Etat - ...celui des poissonneries de 31%, celui des crèmeries de 38%, celui des horlogeries bijouteries de 19%.

M. Jean-Paul Charié - Et celui des pompes à essence de 50% !

M. le Ministre d'Etat - Ainsi, la législation a poussé à la hausse des prix, sans empêcher la disparition des commerces de proximité. Dès lors, on voit bien que l'immobilisme serait la pire des solutions.

Soulignons, à ce stade, que réduire significativement les marges arrière est impossible sans réformer la loi. On entend souvent dire : « Si M. Leclerc veut baisser ses prix, il n'a qu'à réduire ses marges arrière ! ». Or, il ne le peut pas. Si M. Leclerc, ou un autre distributeur va dire à un industriel : « Faisons un accord, gagnant-gagnant ; je baisse de quinze points les marges arrière, ce qui vous permet de baisser de 15% vos prix de vente et de regagner des parts de marché », il s'entendra répondre : « Je ne peux pas, car mes tarifs doivent être les mêmes pour tous les distributeurs .» C'est tout le problème de la non-négociabilité des conditions générales de vente. Donc, pour réduire les marges arrière et enrayer la dérive inflationniste, il faut soit réformer la loi, soit obtenir l'accord de tous les participants. J'ai obtenu cet accord en juin...

M. François Loncle - Ça ne marche pas !

M. le Ministre d'Etat - C'est stupide ! On peut dire, et j'en conviens, que ce n'est pas suffisant, mais les résultats sont là ! On le sait, au moins un distributeur ne veut pas s'engager dans un processus de baisse des prix, parce qu'il préfère se placer sur le créneau du hard discount, auquel la législation actuelle ouvre un boulevard. On entend certains groupes français déclarer : l'augmentation des prix dans les super et hypermarchés n'est pas grave, car nous investissons dans le hard discount, dont je rappelle qu'il ne crée pas d'emplois et qu'il va chercher ses produits dans les pays de l'Est.

Ce phénomène est aggravé par la législation sur l'urbanisme commercial, qui oppose une barrière quasi infranchissable à de nouveaux entrants sur le marché de la grande distribution, ce qui tend à renforcer la concentration des distributeurs, puisque ceux-ci ne peuvent croître qu'en rachetant les magasins et les centrales d'achats existants. Du coup, la puissance d'achat des distributeurs se renforce, ce qui déséquilibre encore un peu plus les relations commerciales. D'ailleurs, les députés le disent : « Chez moi, c'est Leclerc ! » ; « Chez moi, c'est Carrefour ! » etc... C'est que la concurrence ne joue plus, au détriment des PME qui n'ont plus en face d'elles que cinq acteurs seulement. Pas moins de quatre contributions majeures ont été publiées récemment sur ce sujet dont on voit bien qu'il est le problème du moment. En vérité, ce n'est pas la baisse des prix, et la modification de la loi qui risquent de détruire des emplois, c'est l'immobilisme qui empêche d'en créer. Ce constat dépasse, me semble-t-il, tous les clivages partisans.

Alors, faut-il créer une commission d'enquête, une mission d'information ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Le Gouvernement considère qu'il appartient à l'Assemblée d'organiser son travail, et que la décision qu'elle prendra sera la bonne. Il n'a pas à intervenir dans ce domaine. Ce que le Parlement décidera sera bien décidé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Revenons un instant sur l'accord du 17 juin. Grâce à lui, le prix des 4 000 produits les plus vendus a baissé de 3,6% depuis le 1er septembre, et celui des 18 000 produits de marques généralement retenus de 1,67%. Nous n'avons donc pas atteint l'objectif de 2%, mais c'est tout de même quelque chose, et en tout cas la première fois depuis soixante ans que la question n'est pas de savoir de combien les prix ont augmenté à la rentrée, mais de combien ils ont baissé. On connaît le proverbe : « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console ». Une réunion tenue le 18 novembre avec les distributeurs, les industriels et les PME, a permis de se mettre d'accord sur trois principes : il faut réformer la loi, et vite ; il faut permettre aux distributeurs de traduire dans les prix les résultats de leurs négociations avec les industriels ; enfin, il faut créer un espace de négociation des conditions de vente des industriels.

M. Didier Migaud - Quatrièmement, il faut changer Raffarin !

M. le Président - Ce n'est pas le sujet ! Le sujet, c'est la grande distribution !

M. le Ministre d'Etat - Voilà qui pourrait être interprété...

Le prix des produits agricoles ne doit pas entrer dans le cadre de ce type d'accord, car la situation de nos agriculteurs est bien trop fragile, notamment du fait de la hausse des prix des carburants. Mais j'ai essayé de les convaincre qu'ils ont besoin de la grande distribution pour toucher le plus grand nombre de consommateurs. Elle est trop concentrée, mais ils ne sont pas assez rassemblés pour discuter avec elle.

Ensuite, il faut essayer d'aider les PME. Seulement, c'est très difficile. Il est des grandes marques comme le pain Jacquet, qui sont des PME. Pour que leurs produits soient plus présents dans les grandes et moyennes surfaces, il faut interdire les accords de gamme par lesquels une marque internationale qui a dix produits vedettes en place deux cents dans les rayons, au détriment des produits de PME. D'autre part, il faudrait essayer de mettre comme condition à l'augmentation de superficie ou à la modernisation des grandes surfaces que les produits des PME, notamment régionales, soient en rayon.

M. Antoine Herth - C'est vital !

M. le Ministre d'Etat- Mais, me dit-on, comment pourra-t-on le contrôler ? La DGCCRF, avec son nouveau directeur, fait un travail remarquable, et de toutes façons, si on croit qu'on ne peut rien contrôler, ce n'est pas la peine de faire la loi. Il faut donc échanger des mètres carrés supplémentaires contre la présence des PME.

Ne craignez pas de vous attaquer à ce problème, sous prétexte qu'il est complexe. N'écoutez pas ceux qui prêchent l'immobilisme, car le temps perdu, ce sont des commerces de proximité qui meurent, des PME qui ne peuvent entrer dans la grande distribution que sous la marque de produit du distributeur.

Mme Chantal Brunel et M. Jean-Paul Charié - Très bien !

M. le Ministre d'Etat - Un seul pays en Europe a le même système que nous, et l'on sait aussi les ravages de la concurrence à nos frontières. Ce n'est pas une question de gauche ou de droite, mais de volontarisme pour moderniser l'économie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au règlement. L'échange qui a eu lieu sur le rapport de Jean Gaubert montre que l'initiative parlementaire est utile. Les questions sont réelles, et, Monsieur le ministre, vous avez dit qu'elles sont complexes et que se résigner à l'immobilisme serait une faute. C'est bien pourquoi nous proposons la création de cette commission d'enquête.

A l'Assemblée de décider, dites-vous. C'est en général l'attitude qu'adopte le Gouvernement devant les initiatives parlementaires. Mais vous allez être, vous êtes déjà président de l'UMP. Si le groupe UMP s'oppose à notre initiative, il n'y aura pas de commission d'enquête. Puisque vous appelez à une modification de la loi, et en même temps à une expérimentation, je demande au groupe UMP, comme au président de la commission des finances, de faire preuve d'esprit d'ouverture pour que, quitte à amender notre proposition, cette commission d'enquête soit créée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Geneviève Perrin-Gaillard - J'ai compris que le ministre d'Etat, bientôt président de l'UMP, n'était pas défavorable à la création d'une commission d'enquête. Sur un sujet aussi important, le groupe de la majorité devrait donc permettre qu'on aille plus loin.

En début d'année, l'enseigne Leclerc a lancé une grande campagne pour affirmer que l'inflation est bien plus élevée que ce qu'en dit l'INSEE. Le message a eu un écho et, d'ailleurs, depuis le début de la législature, 136 parlementaires ont interrogé le Gouvernement sur les marges arrière. Une grande enseigne a su jouer sur un mal réel pour faire avancer l'idée que seule la libre concurrence serait bénéfique pour les consommateurs. L'objectif est clair. Il s'agit de revenir sur la loi Galland qui interdit la revente à perte et sur la loi Raffarin qui limite la croissance des surfaces de vente. Elles ont effectivement permis, depuis 1996, de limiter la concentration et, selon le BIT, de préserver nombre de petits commerces et sans doute d'emplois.

Ces outils de régulation ont servi de monnaie d'échange pour conclure l'accord du 17 juin, comme l'admet la fédération du commerce de distribution : contre un assouplissement de la réglementation, la baisse des prix devait atteindre 2% en moyenne sur les produits de marque des grands industriels. Aujourd'hui, le résultat est bien maigre.

L'UPA et l'union des commerces de centre ville se sont inquiétés des répercussions de telles réformes. Le ministère a d'ailleurs mis en place cette semaine un groupe de réflexion, et M. Jacob a dit son désaccord avec les conclusions de M. Sarkozy après la remise du rapport Canivet.

Bien sûr, ce n'est pas l'Etat qui doit fixer les prix. Ils doivent l'être en tenant compte au plus juste des intérêts du producteur, du distributeur et du consommateur. Or, nous en sommes tous d'accord, ce dernier est sacrifié. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir où en est l'application de la loi sur les nouvelles régulations économiques que le gouvernement Jospin avait fait voter pour peser sur les pratiques commerciales.

Le consommateur est sacrifié lorsqu'il passe à la caisse, puisque, selon le ministère, certains prix ont augmenté de 22% en trois ans, et il l'est parce que les salaires ne suivent pas les prix. Comment ceux-ci évoluent-ils vraiment ? Il faut utiliser tous les moyens d'investigation. Faut-il croire les chiffres de l'INSEE ? Nos concitoyens, d'expérience, les jugent erronés. De fait, selon l'UFC Que choisir, l'indice réel des prix augmenterait trois à quatre fois plus vite que l'indice officiel, et cela parce que les produits retenus sont différents. L'évolution de la consommation, très sensible aux nouveautés, n'est pas prise en compte. C'est ce que les spécialistes appellent l'inflation cachée, liée en partie aux changements de conditionnement des produits. La commission d'enquête pourrait étudier ce phénomène.

Tout aussi essentielle que la question des prix est celle des relations entre producteurs et distributeurs. Le constat étant partagé par tous, l'Assemblée devrait se saisir de tous les moyens d'examen dont elle dispose. Aussi ne comprenons-nous pas pourquoi la majorité veut se contenter d'une mission d'information. L'UDF avait aussi fait une demande de commission d'enquête, qui n'a pas abouti. Nous vous proposons de la créer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Lassalle - Je rends hommage au ministre d'Etat pour avoir permis que le débat s'engage il y a plusieurs mois. J'ai beaucoup apprécié son exposé, dans lequel il nous a dit à la fois ce qu'il avait réussi et ce qu'il n'avait pas réussi à obtenir depuis l'accord du 17 juin.

D'une part, les acteurs ont compris qu'ils devaient s'impliquer dans la démarche engagée, car ils sont pris dans la même logique.

Cela étant, la baisse des prix n'a pas été suffisante pour pouvoir être perçue de nos concitoyens.

Notre groupe avait déjà proposé la création d'une telle commission parlementaire, mais nous n'avons pas été suivis.

M. Augustin Bonrepaux - Et vous avez changé d'avis ?

M. Jean Lassalle - D'autre part, les résultats de l'initiative prise n'ont n'a pas été à la hauteur des espoirs, aussi une mission parlementaire a-t-elle été créée, à laquelle nous nous sommes associés - Jean Dionis du Séjour en est même l'un des rapporteurs.

L'UDF ne peut pas changer d'avis tous les jours, d'autant plus que sur un sujet aussi difficile, je ne suis plus certain de l'efficacité d'une telle commission parlementaire, qui pourrait figer chacun des acteurs dans leur rôle. Je le sais, pour avoir participé à trois commissions d'enquête lorsque j'étais député stagiaire.

M. le Président - Qu'est-ce qu'un député stagiaire ?

M. Jean Lassalle - Un député qui apprend son métier. Je suis aujourd'hui persuadé qu'il est préférable de se placer dans une démarche interactive pour faire évoluer l'ensemble des acteurs.

Je ne vous parlerai pas des marges arrière, même si je connais très bien ce sujet.

M. le Président - Vous n'êtes donc plus stagiaire ?

M. Jean Lassalle - Pas sur ce sujet (Sourires), mais je n'aurais aucune honte à confesser le contraire car si le ministre d'Etat reconnait qu'il a encore beaucoup à apprendre en la matière, je peux me permettre d'avoir des marges de progression.

M. le Président - Le ministre serait-il un ministre stagiaire ?

M. Jean Lassalle - Pas du tout : il est un ministre confirmé qui s'apprête malheureusement à quitter ses fonctions.

Il reste que la vente discount est préoccupante, et il faut mobiliser tous les partenaires pour remonter la pente, car il serait malheureux d'en être réduits, en France, à des relations commerciales aussi pauvres !

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Brunhes - Depuis deux ans, le pouvoir d'achat de nos concitoyens ne cesse de se dégrader, du fait de l'augmentation des prix, et du refus du Gouvernement de mener une véritable politique de soutien au pouvoir d'achat, surtout depuis qu'il se contente de cet accord de juin dernier, bien qu'il n'ait pas eu les résultats escomptés.

Alors que la période 1997-2002 avait été marquée par une baisse du chômage de 24%, et une revalorisation du SMIC et de la prime pour l'emploi, le gouvernement actuel est confronté au plus fort taux de chômage jamais connu en dix ans, tandis que le SMIC, la prime pour l'emploi ou les pensions de retraite ne progressent plus que dans les limites de l'inflation.

Les chiffres du Gouvernement attestent eux-mêmes de la stagnation du pouvoir d'achat, et les prétendues progressions de 1,5% cette année, et de 2,2% l'an prochain relèvent de l'incantation. C'est que le Gouvernement s'est enlisé dans une politique monétariste de l'offre, qui fait une nouvelle fois la preuve de son inefficacité économique et sociale.

Et l'augmentation des prix vient encore aggraver les conditions de vie de nos concitoyens. Le problème est double. Tout d'abord, il y a la délicate question de la pertinence de l'indice des prix à la consommation mesuré par l'INSEE, dont l'évolution ne saurait rendre compte, à elle seule, du niveau de pouvoir d'achat des Français. Je regrette à cet égard que l'INSEE ne tienne plus compte de la progression des revenus selon les différentes catégories socioprofessionnelles. Nous sommes évidemment d'accord sur le fait que les outils statistiques sont insuffisants, ce qui suffirait à justifier la création d'une commission d'enquête.

Mais surtout, la question des prix et des marges réalisées est déterminante. Une certaine opacité règne sur les marges arrière négociées entre les distributeurs et les fournisseurs, et il ressort de nombreux rapports, notamment ceux du Conseil de la concurrence, que celles-ci reposent sur des pratiques contestables, voire déloyales. Il serait donc nécessaire que la représentation nationale s'intéresse de plus près à ces questions, et recherche des solutions adaptées. Il faut briser la loi du silence !

C'est vrai, il faut réformer la loi Galland, qui a eu des effets pervers, mais il ne faut pas faire n'importe quoi. Vous avez raison, l'immobilisme est destructeur : raison de plus pour créer une commission d'enquête parlementaire qui nous permettra de mener une réflexion approfondie.

Nous devons par ailleurs nous préoccuper de la situation de plus en plus difficile des producteurs dans leurs relations avec la grande distribution, et des conditions de fixation des prix. Les marchandages avec la grande distribution n'y feront rien, il faut une véritable politique d'augmentation des revenus et de soutien à la consommation.

Enfin, je précise qu'une commission d'enquête n'a rien à voir avec une mission d'information.

M. François Brottes - Très bien !

M. Jacques Brunhes - Les moyens d'investigation ne sont pas les mêmes, non plus que les solutions proposées.

Ne nous payons pas d'effets d'annonce ! Je me félicite que le ministre d'Etat n'ait pas fait pression sur un choix qui ne dépend que de nous. Chers collègues, votons unanimement ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Luc-Marie Chatel - Si j'avais regretté en commission que l'ambiance se dégrade, je me réjouis que nous retrouvions aujourd'hui un climat serein pour débattre d'un sujet qui transcende les clivages politiciens. Il s'agit en effet d'une question importante, car elle touche directement à la vie quotidienne des Français et à là situation économique du pays. Grâce aux mesures prises par le Gouvernement, la consommation des ménages aura augmenté en 2003 de 0,8%, cependant que le PIB progressait de 0,5%. Si la consommation n'avait pas augmenté sensiblement, la croissance aurait donc été négative cette année là. Votée avant l'été, la loi de soutien à l'investissement a eu un impact réel sur le niveau global de la consommation, en réinjectant des capitaux dans le circuit économique. Parallèlement, le taux d'épargne des ménages - qui atteignait le record européen de 17% - a été ramené à des niveaux plus raisonnables. Les Français commencent à vider leur bas de laine, grâce aux diverses dispositions prises sous l'impulsion du ministre d'Etat, qu'il s'agisse des donations exceptionnelles, des exonérations fiscales sur les crédits à la consommation ou du déblocage anticipé de la participation.

Je félicite le Gouvernement d'avoir pris ce dossier à bras-le-corps en partant d'un diagnostic objectif que M. Sarkozy a eu raison de rappeler : les Français paient beaucoup trop cher leurs produits de grande marque - en moyenne 13% de plus que les autres consommateurs européens. Il suffit de faire ses courses au supermarché en fin de semaine pour s'en rendre compte ! Le caddie à 1 000 F a eu tendance à se transformer en addition à 200 € !

Si les marges arrière polluent les relations commerciales et compliquent encore la donne, force est d'admettre qu'elle existent depuis toujours. Elles ne sont pas nées avec la loi Galland, même si celle-ci, conjuguée aux effets du passage à l'euro a tendu à gonfler les prix de manière artificielle, au détriment du consommateur. Dans certains secteurs, on a atteint des sommet inacceptables : plus de 70% de marges arrière dans la charcuterie. Les prix affichés ont-ils encore un lien avec la réalité ? Cette dérive jette le soupçon sur l'ensemble des commerçants. Il n'était donc que temps de s'en préoccuper. A cet égard, je remercie plus particulièrement le ministre d'Etat d'avoir su remettre autour de la table des gens qui ne se parlaient plus depuis trop longtemps. Le simple fait de voir Michel-Edouard Leclerc et Jean-Michel Lemétayer sortir d'une réunion sans se taper dessus est déjà réconfortant ! (Sourires)

Quant aux premiers résultats obtenus - une baisse moyenne des prix de 1,67% -, ils sont tout à fait encourageants, même s'il faut aller plus loin. Notre Assemblée s'est très tôt saisie de ce sujet, puisque, dès le mois de mai, le président Ollier accédait à notre demande de création d'un groupe de travail dédié au sein de la commission des affaires économiques. Rassemblant naturellement toutes les sensibilités de notre Assemblée, le groupe a procédé à plus de quarante auditions ; il a rendu un rapport d'étape au début de l'été dernier, lequel insiste sur la nécessité de mieux contrôler l'application des textes existants et propose plusieurs évolutions de la réglementation, notamment pour ce qui concerne les enchères inversées et l'interdiction de la vente à perte. Du reste, nous nous félicitons que l'accord de Bercy du 17 juin ait repris nombre de nos propositions.

Le président Ollier a toujours indiqué que, si nécessaire, le groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider pourrait se transformer en mission d'information, conformément au Règlement de notre Assemblée. En conscience, nous considérons aujourd'hui que le moment est venu de procéder à cette transformation (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Certains penchent pour une commission d'enquête, et tel est l'objet de la présente résolution. Leurs arguments méritent d'être considérés, même si je dis d'emblée qu'ils ne nous ont pas convaincus. Pour nous, une mission d'information dispose de moyens d'investigation suffisants, et nous avons déjà posé un diagnostic sûr, grâce notamment aux éléments transmis par la DGCCRF et par les professionnels eux-mêmes. Les auteurs de la résolution objectent que nous n'avons pas de preuves de ce qui nous est avancé. Peut-être, mais le législateur a-t-il besoin de preuves pour dire le droit ? Nous ne sommes pas des juges, et nous disposons déjà de toutes les données objectives nécessaires pour légiférer. Enfin - et je parle sous le contrôle du président Debré -, notre Règlement dispose que, si nécessaire, une mission d'information peut bénéficier de certaines prérogatives propres aux commissions d'enquête. Le moment semble en outre particulièrement mal choisi pour jeter à nouveau le soupçon sur les différents acteurs de la distribution en créant une commission d'enquête. Avançons plutôt avec eux dans la voie que notre groupe de travail propose.

Je le répète donc, le groupe UMP vote pour la création d'une mission d'information...

M. Didier Migaud - Cela n'aura pas la même efficacité !

M. Luc-Marie Chatel - ...ouverte à toutes les sensibilités...

M. Augustin Bonrepaux - Encore heureux !

M. Luc-Marie Chatel - ...et travaillant dans un esprit constructif. La tâche à accomplir est vaste, mais elle est de nature à tous nous mobiliser, - car l'impact de notre action sur le pouvoir d'achat, sur la consommation des ménages, sur l'équilibre des différentes formes de commerce, sur le soutien aux petits producteurs, et, finalement, sur l'emploi, sera direct.

M. Didier Migaud - Eh bien ! Vivement que l'UMP soit dirigée ! (M. le ministre d'Etat sourit)

M. Luc-Marie Chatel - En tout cas, ne comptez pas sur nous pour enterrer ce dossier...

M. le Ministre d'Etat - Très bien !

M. Luc-Marie Chatel - ...car le statu quo est intenable. Comptons sur la mission d'information pour nous aider à légiférer dans le bon sens, et à faire en sorte que, conformément à la priorité fixée par le Premier ministre pour l'année prochaine, la vie chère soit sévèrement combattue !

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la proposition de résolution tendant à demander la création d'une commission d'enquête (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Charié - Il y a tout lieu de regretter le départ du ministre d'Etat !

M. le Ministre d'Etat - Je me rends au Sénat !

M. le Président - Monsieur Charié, il n'y a pas lieu de commenter les mouvements ministériels !

Mme Martine Lignières-Cassou - La création d'une commission d'enquête s'impose car nous avons tous le sentiment que l'opacité des prix est devenue la règle et que ceux-ci ont très fortement augmenté depuis quatre ans : certains évoquent une augmentation de près de 15%, soit le double de l'inflation et UFC Que Choisir considère quant à elle que cette augmentation est trois à quatre fois plus rapide que ne l'estime l'INSEE.

Le Gouvernement a tenté de faire baisser les prix grâce à l'accord du 17 juin dernier avec les distributeurs en échange de promesses implicites : les produits de marque des grands distributeurs devaient en effet baisser de 10% en échange de la réforme de la loi Galland - qui interdit les ventes à perte - et d'un assouplissement des règles d'agrandissement des grandes surfaces. Dès le mois de septembre, nous pouvions tous constater que cet accord relevait bien plutôt d'une opération marketing pour les grandes enseignes et de l'affichage politique pour le Gouvernement.

M. le ministre a rappelé le bilan d'étape effectué par l'INSEE précisant que la baisse des produits serait de 1,67% depuis l'accord : tel n'est pas le sentiment des consommateurs. La confédération du logement et du cadre de vie a par exemple relevé que la baisse des produits n'a pas été uniforme. Selon elle, cet accord a en fait jeté le discrédit sur les pratiques commerciales et la vérité des prix. Il convient donc de s'interroger sur les méthodes de fixation des prix et les instruments statistiques de l'INSEE : ainsi, l'évolution et le renouvellement des produits seraient une cause de l'augmentation de près de 10% de la moyenne des prix alors que l'INSEE compare les prix d'une année sur l'autre sur les produits existants. Enfin, il ne faut pas oublier que l'augmentation du coût de la vie ne se limite pas à celle des produits de grande consommation, les achats auprès de la grande distribution représentant en effet 30% des dépenses. Les familles se heurtent à des difficultés majeures dues à l'augmentation des loyers, des charges locatives, des assurances, de l'essence, des services. C'est une des raisons pour lesquelles les « Familles rurales » s'apprêtent à mettre en place un observatoire des prix, démarche comparable à celle de l'UNAF et des ses budgets-types familiaux.

Il s'agit enfin d'analyser la qualité de l'information dont dispose le consommateur. Les associations ont en l'occurrence un rôle décisif à jouer.

La suspicion est là : la consommation baisse à proportion de la confiance des consommateurs. Une commission d'enquête est donc nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Raison - Le dossier qui nous préoccupe est ancien et n'est pas apparu comme par miracle avec l'accord du 17 juin. Plusieurs gouvernements l'ont pris à bras-le-corps mais ni les producteurs, ni les transformateurs, ni les petits commerçants, ni les grands distributeurs, ni les consommateurs ne sont satisfaits, non plus que la grande distribution elle-même, qui a perdu 15% de parts de marché au profit du hard discount. Je précise que celui-ci ne vend pas que des produits étrangers, pas plus que la grande distribution classique ne vend que des produits français. Si, en outre, les hard discount proposent des prix très bas, c'est principalement en raison de leur mode de distribution très simplifié.

Conscient de la gravité de cette question, M. Chatel et moi-même avions décidé bien avant le printemps de créer une mission d'information. M. le ministre d'Etat s'étant saisi du dossier, nous avons décidé de constituer un groupe de travail provisoire pour pouvoir faire rapidement état de propositions utiles. Sans doute est-ce la raison pour laquelle d'autres groupes politiques ont envisagé de surenchérir.

M. le Rapporteur - Nous songeons depuis longtemps à demander une commission d'enquête.

M. Michel Raison - Que ne l'avez-vous donc créée ?

Dans le cadre de la mission d'information, il ne s'agit pas d'envisager uniquement la question des prix. Nous devons en effet respecter l'équilibre de l'ensemble de la filière, depuis le producteur jusqu'au consommateur. Le consommateur, en particulier, ne devra pas être abusé en pensant qu'il pourra un jour se servir quasi-gratuitement dans les rayons de la grande distribution : producteurs et distributeurs ont besoin de marges.

Je suis d'accord avec M. le ministre : surtout pas d'immobilisme, mais pas de précipitation non plus. Nous disposons d'ores et déjà de plusieurs informations, notamment de la part de la DGCCRF, qui connaît parfaitement le fonctionnement des pratiques commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs, mais nous devons aller plus loin en réfléchissant sur le détail des textes qui seront votés ou modifiés et l'analyse de leurs conséquences.

Pour être responsables et efficaces, nul besoin d'une commission d'enquête. Nous avons d'ores et déjà réussi à faire dialoguer les différents acteurs en présence et nous ne devons pas prendre le risque de rompre ce dialogue par l'instauration d'une commission d'enquête qui viserait à trouver un bouc émissaire.

Je défends donc la mise en place d'une mission d'information et je voterai contre la proposition de résolution de nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - J'ai l'impression que certains de nos collègues ne sont pas convaincus de l'importance du problème. S'ils veulent simplement changer une virgule, la mission d'information sera sans doute suffisante, mais je regrette que la démonstration du ministre d'Etat n'ait pas attiré leur attention. Le pouvoir d'achat diminue, à cause de la hausse des impôts - ne revenons pas sur la décentralisation ! - du prix du carburant - si la proposition de Didier Migaud sur la TIPP flottante avait été retenue, les consommateurs auraient tout de même économisé 575 millions ! - ou du gel des salaires. Tous les salariés au SMIC ne bénéficient pas de son augmentation, et la prime pour l'emploi n'absorbe même pas l'inflation ! Inflation calculée par ailleurs selon les critères de l'INSEE, ce qui ne laisse pas de poser problème... On entend que le plan Sarkozy a provoqué une amélioration de la consommation et une baisse des prix, mais même l'INSEE constate une baisse inférieure à 2%, au lieu des 5% promis ! Même M. Jacob déclare qu'il n'y a eu aucune reprise de la consommation consécutive aux baisses de prix d'octobre !

De toute façon, on ne peut apprécier les résultats du plan si le thermomètre ne fonctionne pas. L'excellent rapport de Jean Gaubert donne des raisons de douter de la pertinence des chiffres de l'INSEE. Les biens et services sur lesquels se fondent les ménages pour évaluer l'évolution des prix ne représentent pas 60% du panier retenu par l'INSEE : pas étonnant qu'il y ait un décalage entre les chiffres et la réalité ! Par ailleurs, il faut tenir compte de l'effet qualité. En 2003, le prix moyen des lecteurs DVD a baissé de 27%, mais l'indice seulement de 20% ! L'indice des prix des micro-ordinateurs a baissé de 15%, bien plus que l'indice moyen des prix ! Il faut donc s'interroger sur le calcul de l'inflation, car chaque fois que l'indice est inférieur à l'inflation réelle, les smicards et tous ceux dont les revenus sont revalorisés en fonction du SMIC perdent du pouvoir d'achat.

Cette question ne peut être résolue que par une commission d'enquête. Ne venez pas nous dire qu'une mission d'information a les mêmes pouvoirs ! Nous savons bien que les rapports des missions ne sont pas pris en compte ! Une commission d'enquête pourrait analyser les critères de l'INSEE et vérifier leur pertinence. Elle devrait s'inspirer des exemples étrangers, et aussi examiner les conséquences des marges arrière sur les prix mais aussi sur l'emploi, car baisser les prix ne sert à rien si cela conduit à supprimer des emplois ! Le ministre d'Etat vous a demandé pourquoi les prix étaient différents d'un côté à l'autre de la frontière. Une mission d'information pourra-t-elle aller étudier la formation des prix en Allemagne ou en Italie ? Le problème devrait faire l'unanimité sur tous les bancs. Nous n'avions pas l'intention de polémiquer, mais de travailler dans la transparence, avec des indices permettant d'apprécier l'évolution des prix réels. Plusieurs ministres s'y sont attelés, sans que les résultats soient probants. Et vous pensez qu'une mission d'information suffit ? Revenez à la réalité !

M. le Président - Monsieur Bonrepaux...

M. Augustin Bonrepaux - Pour cela, il faut suivre les propositions du ministre d'Etat, à moins d'avoir reçu des instructions sévères de Matignon... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Paul Charié - Le sujet est complexe. Qui croire, entre Michel-Edouard Leclerc, chef d'entreprise brillant, qui refuse de croire qu'1% de marge en moins sur quelques centaines d'articles va obliger les patrons à licencier du personnel, et l'INSEE, qui montre une chute depuis vingt ans des marges des fournisseurs, et la disparition de centaines d'entre eux ? Entre 1960 et 2003, les prix agricoles et alimentaires ont baissé de 56% au départ production, mais les prix à la consommation ont augmenté de 12% ! La ruine des agriculteurs est une mine d'or pour les distributeurs... Qui croire, lorsque Michel-Edouard Leclerc affirme que c'est à cause des fournisseurs que les prix sont trop élevés de 15% en France, alors qu'on sait que les fournisseurs payent de plus en plus pour des services fictifs ? Lorsqu'il dit « Je ne détourne pas la loi : je m'assieds dessus » alors que Jérôme Bédier, président des grandes surfaces et de la fédération du commerce et de la distribution, dénonce « les pratiques prédatrices qu'il faut sanctionner pour restaurer les lois sans lesquelles la liberté n'existe plus » ? Faut-il croire Michel-Edouard Leclerc, le porte-parole du laissez-faire, qui exige la négociation des tarifs de ses fournisseurs, ou le président des centres Leclerc qui impose à ses fournisseurs ses propres conditions d`achat et des amendes de 60% du chiffre d'affaires ? Celui qui se présente, dans les publicités, comme le seul défenseur des baisses de prix des grandes marques, ou celui qui refuse de baisser ses marges arrière ? Lorsque Procter & Gamble a proposé aux distributeurs de réduire de 15% leurs marges arrière pour baisser leurs tarifs d'autant, M. Leclerc a été le premier à proposer de boycotter les marques concernées !

La création d'une commission d'enquête pourrait être justifiée, car si la DGCCRF possède déjà des preuves, et si j'ai déjà publié des fac-similés de documents irréguliers, certaines personnes, et surtout certaines juridictions, ont besoin de davantage. Des mensonges sont proférés avec un aplomb tel que certains n'en doutent plus ! Or, ces mensonges ont de telles conséquences sur l'économie, l'emploi et les consommateurs qu'il faut tout faire pour les dénoncer et pour retrouver une situation normale. L'Assemblée ne manque pourtant ni de faits, ni d'analyses. Depuis plus de quinze ans, quelles que soient les majorités, nous traitons régulièrement le sujet des rapports avec les grandes surfaces. Aujourd'hui, tous les acteurs dénoncent la situation. Les plus virulents sont ceux qui ont créé cette situation, pour s'enrichir sur les dos des agriculteurs, des fournisseurs, du petit commerce et des consommateurs.

Même si je ne suis pas opposé à cette commission d'enquête, ce n'est donc pas elle qui apportera des solutions. L'enjeu est politique, et uniquement politique. Il faut vouloir regarder la vérité telle qu'elle est, et vouloir prendre les mesures qu'imposent les lois, la morale et le bon sens. Je crois à la volonté du Premier ministre et à celle des ministres concernés. Toutefois, alors que le ministre de l'économie a parfaitement raison d'affirmer que le système actuel conduit à la récession, pourquoi propose-t-il de changer la loi ? La loi interdit déjà les pratiques actuelles ! Elle interdit déjà de conclure les contrats après la fourniture de la prestation, les factures imprécises, la facturation de services identiques sous des dénominations différentes et la facturation aux fournisseurs de services en fait rendus par eux !

La grande distribution va même jusqu'à mettre des pénalités de livraison. Tout cela est déjà interdit ; il n'y a donc pas à modifier la loi, mais à l'appliquer.

Si j'ai cité un chef d'entreprise, c'est parce que, comme l'a dit le ministre d'Etat, il faut dire les choses comme elles sont. On ne peut à la fois donner des leçons à toute la classe politique et être à l'origine des pratiques qui sapent notre économie. Qui a inventé les délais de paiement à 90 jours ? Qui a lancé les prix fous qui ont ruiné des pans entiers de notre industrie et disqualifié des milliers de petits commerces ? Qui a été le premier à sanctionner les fournisseurs en leur imposant des amendes de 60%, tout en refusant le principe d'une loi ? Ce n'est pas la loi Galland qui a autorisé les fausses factures, créé les marges arrière et fait augmenter les prix à la consommation, c'est le non-respect des lois. S'il fallait créer une commission d'enquête, ce serait pour savoir pourquoi les gouvernements, depuis vingt-cinq ans, n'ont pas eu le courage de les faire appliquer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Nayrou - Ce débat a le mérite de nous réunir autour d'une question essentielle pour la vie quotidienne de nos concitoyens, celle de la fabrication et de l'évolution des prix. C'est sans aucun esprit de polémique que je voudrais vous convaincre, chers collègues, de la nécessité de créer cette commission d'enquête. C'est une demande que le groupe UDF avait également faite auprès de la commission des affaires économiques, avant de faire marche arrière.

Je m'en tiendrai, pour justifier notre demande, à évoquer l'enchaînement que représentent pour les PME et les agriculteurs leurs relations contractuelles avec la grande distribution.

Le problème est né dès l'après-guerre, notamment avec la création de réseaux de distributeurs concessionnaires d'automobiles. Dans l'agriculture, cet enchaînement a pris initialement le nom de contrats d'intégration, issus de la loi du 6 juillet 1964, qui définit les principes et les modalités du régime contractuel en agriculture. Ils ont créé un sujet juridique étonnant, l'indépendant-dépendant : l'agriculteur sous contrat d'intégration est un travailleur indépendant, c'est-à-dire qu'il est responsable juridiquement de ses actes, mais il est en situation de dépendance vis-à-vis de son co-contractant, qui définit la production et lui impose des procédés techniques.

La dépendance économique est désormais utilisée à des fins mercantiles par la grande distribution. M. Charié a évoqué la semaine dernière en commission les pratiques des grandes surfaces, nous partageons son analyse. Quant à M. Sauvadet il a souligné que ces pratiques commerciales étaient particulièrement difficiles à réguler, du fait d'un rapport de forces déséquilibré entre dominants et dominés, aucun n'ayant intérêt à parler. Il a constaté que le groupe de travail de la commission s'était heurté au silence des fournisseurs et à la résistance des distributeurs. Pourtant, M. Lassalle, qui n'est pas réputé pour avoir l'échine souple, vient de confirmer le vote négatif de son groupe : souvent UDF varie...

Pour avoir tenté de discuter avec les agriculteurs de nos circonscriptions et entendu les universitaires qui travaillent sur ces questions, nous savons que le silence est la règle. La commission d'enquête que nous demandons a donc pour objectif majeur de nous éclairer, le secret des discussions permettant de libérer les paroles.

Dans ce système d'indépendance-dépendance, c'est le producteur qui est comptable du risque économique. N'entendons-nous pas les cris d'alarme de nos producteurs de fruits et légumes ? Peut-être certains pensent-ils qu'il suffirait de réduire le coût du travail, d'augmenter la flexibilité, de baisser les protections sociales, mais même les dirigeants de la grande distribution admettent que choisir cette voie, ce serait risquer de décourager la consommation.

Une mission d'information, c'est mieux que rien, Monsieur Proriol, mais une commission d'enquête, c'est mieux qu'une mission d'information ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Hélène Mignon - Ce débat est essentiel. L'intervention précise et pédagogique du ministre a bien démontré qu'il ne s'agissait pas d'une lubie de notre part ni d'un avatar du petit jeu politicien.

Il faut réfléchir avant d'agir, mais ne réfléchit-on pas mieux quand on a su tirer le fil de la pelote ? Nous ne sommes pas des irresponsables, nous ne cherchons pas un bouc émissaire, nous voulons aller au fond des choses. Si j'ai bien compris, le ministre n'était pas opposé à cette commission d'enquête ; j'espère que les députés de l'UMP en tiendront compte au moment du vote.

Ce qui motive notre proposition, c'est la volonté de comprendre ce qui se passe dans les prix en France. Le fait que, d'après Les Echos de ce matin, l'application du deuxième volet de l'engagement du 17 juin sur les prix risque d'être difficile en raison du désaccord entre industriels et commerçants ne peut que nous inquiéter. Selon cet article, « Le risque que cet accord prévoyant une baisse de 1% au début 2005 après celle de 2% intervenue en septembre explose en plein vol n'est plus exclue. Au cas où distributeurs et industriels ne s'entendraient pas, les uns pour stopper l'inflation des marges arrière, les autres celle des tarifs, l'administration pourrait en effet décider de mettre un terme aux violations du seuil de revente à perte, tolérées jusqu'ici dans une limite de 2% afin de permettre d'atteindre l'objectif fixé. Ce qui obligerait les distributeurs à relever les prix. Tout le contraire de la volonté affichée par le Gouvernement. »

On nous a parlé de l'effet des 35 heures sur l'évolution des prix, alors que le temps de travail dans le secteur est de 28 heures en moyenne et que les produits sont de plus en plus souvent fabriqués à l'étranger et achetés sans cesse moins chers aux producteurs nationaux ! Voulons-nous demander aux agriculteurs l'évolution des prix d'achat de leurs marchandises, demander aux PME les pressions qu'elles subissent ? Les 35 heures servent d'alibi.

Pourquoi les prix montent-ils ? On a parlé de l'effet de la loi Galland, des marges arrière. La commission d'enquête pourrait aussi s'intéresser aux répartitions des marges, de même qu'à la réalité du décalage entre l'inflation mesurée par l'INSEE et la hausse des prix perçue par les consommateurs.

C'est un fait, les consommateurs ont l'impression d'avoir été bernés par la grande distribution et le Gouvernement par les chiffres de baisse des prix après l'accord du 17 juin. La commission d'enquête que nous réclamons n'a d'autre objectif que de les éclairer sur les pratiques existantes. Chers collègues de la majorité, je vous invite à voter cette résolution avec les députés socialistes, dans l'intérêt de tous, et en participant ainsi à renforcer la cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

M. le Président - La commission des affaires économiques ayant conclu au rejet de l'article unique de la proposition de résolution, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 2, du Règlement, est appelée à voter sur ses conclusions de rejet. Conformément aux dispositions du même article, si ces conclusions sont adoptées, la proposition sera rejetée.

M. le Rapporteur - Sur le constat, nous sommes à peu près tous d'accord : l'indice des prix est contesté et sans doute contestable ; les prix sont trop élevés, sans même que les producteurs et les PME en profitent ; les pratiques constatées sont souvent insupportables, inéquitables, illégales... C'est sur la commission d'enquête que nous divergeons. Je m'inquiète de la façon dont la majorité la conçoit : s'agirait-il d'un outil infamant ? Y recourir serait « jeter la suspicion », a dit M. Chatel. Vos propos de ce matin, chers collègues, équivalaient à condamner tout recours à une commission d'enquête, puisque vous l'assimilez de fait à un tribunal (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Pourtant il s'agit bien d'un instrument législatif mis à la disposition du Parlement, qui s'en est servi à plusieurs reprises avant 2002 et avant 1997. Naturellement la commission d'enquête peut aboutir à mettre en cause certaines pratiques, mais certainement pas l'ensemble des personnes auditionnées. Ce matin, vous n'avez pas rendu service au Parlement. D'autant que celui qui est ministre d'Etat encore quelques heures avant de devenir président de l'UMP vous a laissé toute liberté.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - C'est comme ça à l'UMP !

M. le Président - Les députés sont toujours libres. Le mandat impératif n'existe pas.

M. le Rapporteur - Abandonnez donc les pratiques anciennes, et saisissez-vous de la liberté qui vous est offerte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Proriol, suppléant de M. le Président de la commission des affaires économiques - Je remercie le ministre d'Etat d'avoir reconnu à l'Assemblée sa pleine liberté de choix. Vous avez dû être heureux, Monsieur le Président, de l'entendre dire que ce que nous déciderons sera bien décidé ! Ainsi, ni Matignon ni Bercy n'exercent aucune pression. Les intervenants ont fait état d'une connaissance des faits, des attitudes, des pratiques, qui m'a impressionné. Dès lors, une commission d'enquête est-elle nécessaire pour y voir plus clair ? Rappelons qu'en application de l'article 145-1 du Règlement, la mission d'information peut dans certaines conditions disposer des mêmes compétences qu'une commission d'enquête, laquelle est une procédure lourde qui a souvent tendance à antagoniser les situations. C'est pourquoi nous préférons la mission d'information, qui est plus souple et permet de formuler plus rapidement des propositions. La commission des affaires économiques est donc opposée à la constitution d'une commission d'enquête, et je recommande à l'Assemblée de suivre son avis. Faisons confiance aux nouveaux membres de la mission d'information pour mener son travail à bonne fin (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Brunhes - Il n'est pas en votre pouvoir, Monsieur Proriol, de déformer la réalité ! Non, la commission d'enquête ne conduit pas à « antagoniser » les positions. A preuve celle qui a travaillé sur la situation dans les prisons en France, et qui a adopté des conclusions à l'unanimité. De façon générale, la plupart des commissions d'enquête aboutissent à un résultat consensuel. C'est pourquoi je trouve l'attitude de la majorité dangereuse.

M. Jean-Paul Charié - Dites cela à Montebourg !

M. Didier Migaud - Les députés sont toujours libres, Monsieur le Président, mais ils sont souvent contraints, comme on l'a encore vu la semaine dernière avec une deuxième délibération. Chacun est d'accord qu'un vrai problème se pose et, de fait, l'exposé du ministre d'Etat pourrait fournir la matière de l'exposé des motifs pour une commission d'enquête. Tout y était. Alors, mission d'information ou commission d'enquête ? Cette dernière, vous le savez, fournit aux parlementaires une plus grande capacité à connaître, à apprécier, à proposer. En la matière, la mission d'information est rarement le bon support. Or, à vous entendre, on ne voit plus quel sujet pourrait donner lieu à une commission d'enquête. Toutes les conditions ne sont-elles pas ici réunies, puisque aucune procédure judiciaire n'est en cours ? Devons-nous remercier humblement le président Chatel d'avoir accepté que l'opposition puisse siéger dans la mission ? Comment pourrait-il en être autrement, sauf à la transformer en groupe d'études de l'UMP ? La commission d'enquête a pour autre avantage que les membres de toutes les commissions peuvent y participer, et pas seulement ceux de la commission des affaires économiques. Alors, de quoi avez-vous peur ? Vous pourriez présider ou rapporter. Les pouvoirs d'une commission d'enquête sont tout différents de ceux d'une mission d'information, et le sujet dont nous traitons impose d'aller jusqu'au bout de la démarche, avec des auditions sous serment.

De temps en temps, Monsieur le Président, certaines attitudes sont à désespérer des responsables politiques !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Comment cela ?

M. Didier Migaud - Dans les couloirs, vous êtes tous d'accord pour agir, mais dès que vous êtes en séance, vous manifestez une formidable capacité à faire autre chose. Le vrai problème, c'est l'opposition du Premier ministre, auquel le rapport d'une commission d'enquête ferait peur (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Le frein, c'est Matignon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Luc-Marie Chatel - Je regrette la nature des propos tenus par M. Migaud, après les échanges de qualité que nous venons d'avoir. Jamais nous n'avons été contraints. C'est librement que nous avons proposé au printemps de constituer un groupe de travail qui, tout aussi librement, s'est transformé en mission d'information, dans laquelle l'opposition est tout naturellement représentée. La mission est au travail et, si cela paraît nécessaire, nous demanderons à disposer des prérogatives réservées aux commissions d'enquête. Nous voterons donc contre la proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Les conclusions de rejet de la commission, mises aux voix, sont adoptées.

M. le Président - En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      François GEORGE


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