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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 40ème jour de séance, 95ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 9 DÉCEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT
      SUR LE SPECTACLE VIVANT 2

La séance est ouverte à neuf heures trente.

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
ET DÉBAT SUR LE SPECTACLE VIVANT

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur le spectacle vivant et le débat sur cette déclaration.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - J'ai ardemment souhaité ce débat. J'en avais pris l'engagement, il est tenu. Ce jeudi 9 décembre 2004, la culture a droit de cité non seulement au cœur des Français, mais aussi au cœur de la représentation nationale. Représentation : c'est un même mot que la démocratie et la culture ont en partage. Un même bien commun, enraciné dans une longue histoire. Un même lieu aussi : depuis la Grèce, l'hémicycle est commun au théâtre et à l'assemblée des citoyens.

Ce débat fera date, parce que vous avez la parole. Trop souvent, il ne fut question ici de culture que lorsqu'il fut question de budget. Il est vrai qu'André Malraux prononça à cette occasion ses plus beaux discours, par exemple cette métaphore inoubliable de la Maison de la culture cathédrale ou son vœu de faire pour la culture ce que Jules Ferry avait fait pour l'éducation. Un budget est l'expression d'une politique, et les crédits que vous avez votés expriment ma priorité pour le spectacle vivant. Mais un budget ne fait pas une politique à lui seul : c'est pourquoi je suis venu vous parler des fins autant que des moyens.

Qui ne voit, dans le monde de violence, de rupture et parfois de négation de l'identité, de la racine, du patrimoine culturel et spirituel, à quel point la culture est le cœur même de notre rayonnement, de notre fierté, voire de nos emplois ? Ne la réduisons pas au loisir intelligent, au supplément d'âme.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. le Ministre - Elle est l'essence même de l'avenir de notre peuple, de nos convictions, de notre message humaniste.

Si je suis venu vous parler des moyens de sortir d'une crise qui nous a tous marqués et des perspectives qui s'ouvrent, c'est parce que je crois qu'une réconciliation est attendue. Nous ne pourrons assurer l'égalité des Français dans l'accès à la culture, ni défendre la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde, que si nous reconnaissons aux artistes la place qui est la leur au cœur de notre société.

Le remarquable travail mené par votre Assemblée, sous l'égide de la commission des affaires culturelles - je vous remercie de votre présence, Monsieur le Président -, par la mission d'information sur les métiers artistiques, y contribue déjà. Je félicite son président, Dominique Paillé, son rapporteur, Christian Kert, et tous ses membres qui n'ont pas ménagé leur peine, depuis un an, pour aboutir au rapport d'information qui va nous être présenté. Je remercie les uns et les autres, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent, d'avoir utilement participé, dans les moments de crise, à des débats sur les lieux de festivals et de spectacles. Je salue aussi l'initiative originale de votre collègue Etienne Pinte, qui a mobilisé aux côtés des associations et des partenaires sociaux des parlementaires de tous horizons.

J'en vois un second témoignage dans la présence, ce matin, de M. le président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, de M. le président de la commission des affaires étrangères, M. Edouard Balladur, de M. le président de la commission des affaires économiques, M. Patrick Ollier, et des présidents des groupes politiques, ainsi que d'un grand nombre de parlementaires. J'associe à ces remerciements les ministres qui sont venus manifester par leur présence à mes côtés que cette déclaration et ce débat sont le fruit de l'action collective et solidaire du Gouvernement. Sans cette belle complicité entre Gérard Larcher, Laurent Hénart et moi-même, sans l'ouverture mutuelle et la démarginalisation du ministère de la culture, il n' y aurait pas d'avenir pour l'activité des artistes et des techniciens. Je vois dans la présence des présidents de commission le symbole de cette lucidité et de cette volonté, et je remercie chaleureusement votre Président Jean-Louis Debré, dont la présence a également valeur de symbole pour les artistes et les techniciens. (Applaudissements sur tous les bancs)

Le premier regard que je vous propose de porter sur les artistes est proprement culturel. Alors que j'inaugurais la maison de la culture de Grenoble, une artiste est venue me parler de la joie que les artistes ont à faire ce qu'ils font et de « l'écart », qu'elle a qualifié de « tout petit », avant de me lire un texte extrait de « Tout n'est pas dit » de Philippe Jaccottet - auteur et texte qui iront droit au cœur du sénateur Jack Ralite, qui nous fait l'amitié de sa présence dans les tribunes. Etre artiste, c'est d'abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que « tout n'est pas dit », que le monde est loin d'avoir épuisé toute possibilité de surprise. Etre artiste, c'est toujours provoquer une rencontre. L'artiste est créateur de liens. Je crois profondément, avec Fernando Pessoa, que « l'art est la communication aux autres de notre identité profonde avec eux ».

L'art, et singulièrement l'art vivant, est ce qui relie, au cœur de la culture. C'est pourquoi les artistes et les techniciens représentent un atout considérable pour notre société.

Dans le monde complexe et violent d'aujourd'hui, l'artiste est, comme l'a écrit Le Clézio, « celui qui nous montre du doigt une parcelle du monde ». Et, ajouterai-je, une part de vérité, avec ce que cela implique de conflit, mais aussi d'humanité et d'universalité, avec, parfois, la provocation, mais avec la redécouverte du réel.

Notre société, marquée par les risques de fracture et la perte des repères, doit faire résolument le pari de la culture, pour replacer l'artiste au cœur de la cité, abolir la distance entre l'œuvre d'art et son public, instituer un rapport au temps différent et toucher le plus grand nombre de nos concitoyens. Je pense à tous ceux qui n'ont jamais franchi le seuil d'un théâtre, d'un musée, d'un chapiteau, d'une salle de cinéma.

Telle est la voie que je vous propose et qui est au centre de notre politique culturelle, laquelle s'appuie sur la multiplication des lieux de création et de diffusion du spectacle vivant sur le territoire français. Cette croissance s'est accompagnée, depuis une quinzaine d'années, de la montée en puissance des collectivités territoriales dans le champ culturel. Il ne se passe pas un jour sans que des élus créent, avec le soutien du ministère, une salle de spectacle, des studios de danse, des locaux de répétition... L'Etat est un partenaire solide, d'autant que vous votez de bons budgets...

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez une bonne marge de progression !

M. le Ministre - ...certes perfectibles, mais qui contredisent le spectre du désengagement. Les quelque mille festivals qui se sont déroulés cet été sur l'ensemble de notre territoire témoignent de cette vitalité.

L'importance sociale du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, comme l'a montré le remarquable rapport de Jean-Paul Guillot, peut être mesurée par le temps que les Français y consacrent chaque année : 63 milliards d'heures, pour quelque 34 milliards d'heures passées à travailler.

L'augmentation du nombre des artistes, permanents ou intermittents, en découle logiquement : ils sont désormais 280 000 salariés, soit 1,3% de l'emploi total. Certes, cette croissance s'est accompagnée d'une aggravation de leur précarité : selon le rapport Guillot, 80% d'entre eux perçoivent moins de 1,1 SMIC, et 54% effectuent moins de 600 heures par an. Leur revenu annuel n'a pu se maintenir que grâce à l'assurance chômage : telle est la réalité sans fard de la plupart des métiers de la culture.

M. Jean-Pierre Brard - Il fallait le dire !

M. le Ministre - Vous pouvez comprendre, dans ces conditions, l'émotion suscitée par la conclusion d'un nouveau protocole sur l'assurance chômage des artistes et techniciens, et pourquoi le Gouvernement a jugé indispensable d'intervenir, en prenant toutes ses responsabilités.

M. Jean-Pierre Brard - Avec du retard à l'allumage !

Mme Muriel Marland-Militello - Vous aussi !

M. le Ministre - Dès ma prise de fonctions, je me suis employé à créer les conditions de sortie d'une crise qui avait tourné à une véritable guerre de tranchées, menaçant - voire paralysant - l'activité culturelle de notre pays. Le dialogue a été rétabli et nous avons compris que, seule une initiative du Gouvernement était de nature à aider les partenaires sociaux à trouver des solutions à la crise endémique de ce régime d'assurance chômage.

Un fonds spécifique provisoire financé par l'Etat a été créé. Son organisation a été définie par Michel Lagrave, conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes et ancien directeur de la sécurité sociale. Géré par l'UNEDIC, ce fonds a pris en charge l'indemnisation des artistes et techniciens qui effectuent leurs 507 heures en douze mois, mais n'y parviennent pas dans les onze prévus pour 2004 par le nouveau protocole, ainsi que celle des personnes en congé de maladie pour une durée supérieure à trois mois. Il est opérationnel depuis le 1er juillet 2004. Peut-être avons-nous péché, parce que je ne voulais pas céder prématurément à l'autosatisfaction, par l'insuffisance de notoriété de ces nouveaux dispositifs. Nous avons veillé à ce que chacun soit informé de ses droits.

Dans le même temps, l'UNEDIC a accepté, pour 2004 et 2005, un retour à la situation antérieure pour les congés de maternité.

Outre ces mesures d'apaisement, le Gouvernement s'est attaqué résolument aux problèmes de fond de l'assurance chômage des artistes et techniciens : renforcement de la lutte contre les abus, engagement d'une réflexion sur le périmètre légitime du recours à l'intermittence, sortie des textes permettant le croisement des fichiers. En six mois, deux textes attendus depuis dix ans sont sortis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Une mission d'expertise indépendante, confiée à Jean-Paul Guillot, a permis de poser sur la situation de l'emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel, et sur le régime d'assurance chômage, un diagnostic objectif et largement partagé. Les pistes de travail qu'il propose sont claires : les mesures prises pour améliorer le régime d'assurance chômage ne produiront d'effets que si elles s'accompagnent d'une politique ambitieuse de l'emploi culturel au service de la création et de la diffusion. L'articulation entre les deux est essentielle.

Cette politique doit mobiliser l'Etat, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et les confédérations, chacun devant prendre ses responsabilités. Elle doit ainsi permettre de redonner à l'assurance chômage son vrai rôle, de sorte que l'on cesse de faire reposer sur elle toute la structuration de l'emploi dans le secteur. Les conditions seront ainsi créées pour la négociation d'un nouveau protocole. Il est essentiel que les partenaires sociaux, garants de la solidarité interprofessionnelle, soient pleinement rassurés. J'ai besoin, pour y parvenir, de votre appui.

Dès le 1er janvier 2005, un nouveau système sera en place. Il ne s'agit pas, à ce stade, d'un nouveau protocole renégocié. En l'attendant, je puis vous confirmer qu'il n'y aura pas d'espace vide et que l'Etat prendra toutes ses responsabilités. C'est ainsi qu'il a été décidé de créer un fonds transitoire, qui s'inspire, sans les reprendre à l'identique, des axes de travail principaux proposés par M. Lagrave. Ce fonds définit une période de référence de douze mois pour l'ouverture des droits - au lieu des 10,5 mois, qui correspondent à la durée définie pour 2005 par le protocole de 2003 - avec date anniversaire. En retenant cette modalité pour la deuxième année consécutive, c'est bien l'orientation dans la voie d'un système pérenne qui est affirmée. La durée d'un an correspond en effet au rythme habituel de l'activité du secteur, et permet aux salariés comme aux employeurs de mieux programmer leur travail.

Je comprends les autres demandes qui se sont exprimées pour que le nouveau système retenu en 2005 préfigure mieux encore les éléments d'un système pérenne, destiné à inciter à un allongement de la durée du travail et à réduire les situations de précarité. Certains de ces éléments peuvent relever d'ajustements techniques de la part de l'UNEDIC ; d'autres pourront être pris en compte dans le fonds provisoire de 2005. Je préciserai ces différents points lors du Conseil national des professions du spectacle - le quatrième de l'année ! - de la semaine prochaine. A cette occasion, je détaillerai les mesures dont j'ai présenté les grands axes devant votre mission d'information la semaine dernière. La politique de l'emploi que j'entends mener a pour objectifs de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes, d'accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des intermittents. Ces mesures sont destinées à améliorer la connaissance précise de l'emploi dans le secteur en renforçant l'efficacité des contrôles, et à orienter progressivement les financements publics qui dépendent de mon département ministériel vers l'emploi. A cet égard, je n'ai nulle intention de supprimer l'intermittence, dont la contribution à la création culturelle n'est remise en cause par personne. Mon ambition est de la rendre plus juste et plus efficace... (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard - L'avez-vous dit à Seillière ?

M. le Ministre - Autres objectifs prioritaires de mon action : inciter les partenaires sociaux à accélérer et à rendre systématique la conclusion de conventions collectives et accompagner les efforts de professionnalisation des employeurs comme des salariés. Vous le voyez, à la différence d'autres, nous sommes dans l'action méthodique, pas dans l'incantatoire !

J'attends des partenaires sociaux du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel - et singulièrement des employeurs - qu'ils manifestent dans des délais très rapprochés leur sens des responsabilités, en vue de compléter la couverture du champ conventionnel. Dans cet esprit, j'ai réuni le 8 novembre dernier les représentants des diffuseurs, afin qu'ils concrétisent diverses actions communes permettant d'établir de bonnes pratiques d'emploi et de réfléchir à de nouvelles formes contractuelles dans le secteur. Parallèlement, les diffuseurs privés viennent de s'associer dans un syndicat des télévisions privées pour mieux traiter ces différents sujets. Nous avons besoin que le dialogue s'organise ; c'est ainsi que les tables rondes peuvent aboutir.

M. Jean-Pierre Brard - Il faut bien pallier la défaillance du Medef !

M. le Ministre - La négociation des conventions collectives du secteur constitue à mes yeux une priorité. Je sais pouvoir compter sur le concours actif de Gérard Larcher...

M. Jean-Marc Ayrault - Alors là, on est sauvé ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - ...pour aider les partenaires sociaux à accélérer. Sachez que la synergie entre nos ministères est perçue comme une chance de progrès par toutes les parties intéressées.

Par ailleurs, parce que le secteur public audiovisuel se doit d'être exemplaire, j'ai demandé dès le printemps dernier au président de France Télévisions et aux autres dirigeants des sociétés de l'audiovisuel public d'établir des plans pluriannuels de réduction progressive du recours à l'intermittence. Je me réjouis que France Télévisions ait d'ores et déjà lancé un tel plan, décliné sur quatre ans.

M. Jean-Marc Ayrault - Ah ! Larcher nous lâche déjà ! (Sourires)

M. le Ministre - Et je profite de l'occasion qui m'est donnée d'évoquer l'audiovisuel public pour saluer la décision du Premier ministre de dégager 20 millions supplémentaires à son profit, pour aider au lancement de la TNT et à la conquête de nouveaux publics. Il faut, sans verser dans l'autosatisfaction, savoir saluer les progrès accomplis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La requalification des emplois et leur développement passent aussi par une politique volontariste. C'est tout le sens de l'extension du crédit d'impôt cinéma au secteur de la production audiovisuelle et du rehaussement de son plafond d'éligibilité, qui seront soumis à votre vote ce soir dans le cadre de l'examen de la loi de finances rectificative. On ne soutiendra pas la création française en se désintéressant du problème de la délocalisation des tournages. (« Evidemment ! » sur les bancs du groupe UMP) L'octroi de ces deux mécanismes est conditionné à l'emploi permanent. C'est aussi tout le sens des autres mesures mises au service d'un plus grand dynamisme de la production audiovisuelle et de la création : la création du fonds pour l'innovation audiovisuelle - qui vise aussi les nouveaux talents - et l'extension des concours des collectivités territoriales à l'audiovisuel. La ressource publique additionnelle de 20 millions que je viens d'évoquer a le même objet.

Mon plan pour le spectacle vivant s'appuie sur la même ambition pour l'emploi. Le budget que vous avez adopté traduit clairement la priorité qui lui est réservée : avec 753 millions, il s'agit de la dotation la plus importante de mon département et cette enveloppe comprend 23 millions de mesures nouvelles, dont 18 millions pour accompagner le développement de l'emploi. Je travaille en ce moment même avec les DRAC à l'élaboration d'un plan pour l'emploi dans le spectacle vivant pour chaque région. J'en rappelle brièvement les principaux axes.

Priorité à la diffusion, avec l'aide à la constitution dans les théâtres de « pôles de diffusion », composés de personnels formés, dotés d'outils techniques de recensement et de connaissance des réseaux. Expérimentale en 2005, cette aide sera progressivement étendue et devra prendre en considération la création d'un fonds spécifique d'aide à la diffusion en milieu rural. (« Excellent ! » sur les bancs du groupe UMP) Appui aux compagnies et aux ensembles indépendants, qui doivent bénéficier d'aides incitatives à la reprise et d'un encouragement au développement des résidences de longue durée. Restitution aux auteurs et compositeurs de la place éminente qui leur revient, en améliorant la rémunération et la situation des auteurs et en renforçant leur présence dans les établissements subventionnés. Relégitimation d'une politique de développement de la pratique amateur, qui n'est ni une étape vers la professionnalisation, ni un substitut à la pratique professionnelle. Ciment du lien social, remarquable outil d'intégration et de dialogue entre les cultures et les générations, elle doit être encouragée par la formation, le rapport direct à la création, les rencontres entre artistes amateurs et professionnels. Encouragement à la circulation internationale de l'art vivant, par la mise en réseau des institutions et des projets sur le plan européen : institutions de recherche dans le domaine musical, académies européennes de jeunes artistes, jumelages entre théâtres français et européens. Le temps me manque pour m'attarder sur ces différents points.

Cette politique, je ne peux pas la conduire seul. J'ai besoin d'entendre la représentation nationale me dire si elle partage ces ambitions, si elle est prête à unir sa voix à la mienne...

Mmes Claude Greff et Muriel Marland-Militello - Oui !

M. le Ministre - ...pour en appeler à la responsabilité partagée, aux côtés de l'Etat, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des confédérations, du public lui-même, afin qu'au sortir d'une crise qui a douloureusement éprouvé le monde de la culture - mais qui a aussi suscité une formidable réflexion collective - nous nous tournions ensemble vers l'avenir, pour que l'art et la culture redeviennent ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être : le ferment de notre unité et de notre identité commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Dans la discussion générale, nous allons entendre les porte-parole des groupes.

M. Pierre Albertini - Pour tardive qu'elle soit, l'initiative d'organiser ce débat est heureuse...

M. le Ministre - C'est une première dans l'histoire du Parlement !

M. Pierre Albertini - Nous demandions un débat sur l'intermittence depuis 2003, et vous avez au moins le mérite, Monsieur le ministre, de répondre à notre attente, même s'il a coulé beaucoup d'eau sous le pont d'Avignon et d'autres festivals de l'été 2003.

Le temps est venu de regarder un peu plus loin que le problème, si crucial soit-il, de l'assurance chômage qui a fait découvrir à la France en vacances la notion d'intermittent du spectacle. Le temps est venu d'entendre la voix des élus de la nation, après celle des partenaires sociaux, qui n'ont d'ailleurs pas été si partenaires que cela, tant est apparue une fracture entre les organisations patronales et les syndicats, et au sein même de ces derniers. C'est peu dire que l'unanimité ne s'est pas réalisée. Il appartient aujourd'hui aux élus de définir la place des artistes et de la création dans notre société, et le champ de la solidarité que nous voulons exprimer envers eux.

La première question qui se pose est celle de la fonction que remplit le spectacle vivant dans notre pays. Si la crise de l'an dernier a eu au moins un aspect positif, c'est d'inciter à fonder le lien entre la nation et les artistes sur des bases solides que l'on peut résumer en trois mots : reconnaissance, attente, soutien. Quelles sont les menaces auxquelles il faut parer ? Ce sont les conformismes de la pensée, des comportements et parfois de l'action, les préjugés, la passivité... Jamais la télévision ne créera entre la création et le public un rapport aussi fructueux que le fait la participation à un concert, à une représentation théâtrale, à un spectacle de rue. Un autre risque se trouve dans la marchandisation progressive de la culture, qui tourne à l'industrie, avec ses ratios de profitabilité et de gestion. Cette évolution porte en germe la disparition à terme du service public culturel. Aussi devons-nous combattre en faveur du pluralisme et de la diversité, qui revêtent une dimension française et aussi européenne.

Le spectacle vivant remplit plusieurs fonctions, dont la première consiste à développer l'accès à la culture. Il s'agit là de l'impératif catégorique de la démocratie, tel que l'a posé André Malraux, que par définition il est impossible d'atteindre, mais dont depuis une dizaine d'années, nous nous sommes trop écartés. Comme l'a montré la mission parlementaire, il importe aujourd'hui de renouveler et d'élargir l'accès à la culture. Le spectacle vivant contribue aussi à la cohésion sociale. Le sens de la fête, le partage des valeurs, le respect des autres se retrouvent dans des manifestations artistiques comme celles du théâtre et du cirque. Pensons encore à l'animation de nos villes et de nos villages, qui est une forme d'attractivité territoriale et touristique. Enfin, sachons bien mesurer la contribution du spectacle vivant à notre économie, telle qu'elle ressort du rapport Guillot. Sa valeur ajoutée s'élèverait à 11 milliards environ, soit autant que les industries aéronautique, navale et ferroviaire réunies. Du spectacle vivant dépendent environ 300 000 emplois directs, soit autant que dans la production automobile. Au total, la mission parlementaire estime à environ 430 000 les professionnels de la culture. Or, tout ce secteur est plongé dans de graves difficultés : les effectifs augmentent plus vite que les revenus, de ce fait la durée des contrats a été divisée par quatre, et 80% des intermittents indemnisés, soit 80 000 personnes, ont un salaire de référence inférieur à 1,1 SMIC et la précarité s'étend, surtout chez les jeunes. L'accord du 26 juin 2003 n'a rien résolu. Il est donc urgent de le rediscuter.

La culture n'est pas un élément subalterne, la cerise sur le gâteau, elle est le superlatif de la vie, ce qui, déclarait Malraux, permet de dire que l'homme est autre chose qu'un accident de l'univers. Il en ressort des enjeux que, Monsieur le ministre, vous avez bien définis et dont le principal est de savoir comment construire un système de l'emploi culturel plus durable et plus solidaire. Pour y parvenir, les collectivités territoriales, et pas seulement l'Etat, ne disposent que de marges financières modestes. Il importe d'autant plus d'en finir avec les expédients et les bricolages. Il appartient aux partenaires sociaux de redessiner le périmètre de l'accord de juin 2003, en définissant de façon plus stricte les métiers ouvrant droit au régime d'indemnisation. La solidarité nationale plaide pour une loi d'orientation sur le spectacle vivant. Les propositions figurant dans votre document d'octobre dernier fournissent une base de travail intéressante. Au reste, nous disposons depuis quinze ans de nombreux rapports, tous intelligents et pertinents.

Il nous faut maintenant passer à l'acte, car c'est le rôle des élus de placer l'artiste au cœur de la cité. Je regrette qu'aucune loi ambitieuse n'ait traité du spectacle vivant, alors qu'il en existe sur les musées, les monuments historiques et les archives. Quels seraient les grands principes d'une telle loi ? D'abord, présenter une vision claire du service public du spectacle vivant, fondée sur la liberté et l'indépendance de la création, et sur la diversité culturelle. Ensuite, fournir une base juridique plus solide aux interventions de l'Etat et des collectivités territoriales, qui doivent porter sur la démocratisation culturelle, la diversification des publics, l'éducation artistique trop souvent sacrifiée. Les instruments pour y parvenir se trouvent dans des contrats de projet avec les établissements, dans la transparence des financements et des nominations. Enfin il importe de répartir nettement les compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Pourquoi la culture a-t-elle échappé depuis vingt ans à la décentralisation ? L'Etat, trop souvent empêtré dans des tâches et des financements dispersés, possède trois responsabilités éminentes : garantir, encourager, évaluer. Il doit conserver uniquement la tutelle des grands établissements, revoir le dispositif des labels et renforcer l'éducation et l'enseignement artistiques. Aux collectivités territoriales d'établir entre elles un partenariat contractuel de développement de la culture et de la création artistique, par des financements conjoints. Je recommande la formule de l'établissement public de coopération culturelle, telle qu'elle s'applique à l'opéra de Rouen et de Normandie, d'autant qu'elle place le service public à l'abri des alternances politiques.

Il faut enfin assurer par de nouveaux outils la solidarité et l'équité indispensables à la vitalité du spectacle vivant. Cela passe par un soutien public aux arts de la scène et de la rue, par la consécration de l'intermittence et par une adaptation du droit commun à ces pratiques culturelles spécifiques.

La tâche est rude et exigeante : c'est une raison de plus de l'entreprendre sans tarder, la création étant avec la recherche et la formation une des clés de l'innovation sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - Ce débat est une heureuse initiative, mais qui devrait s'inscrire dans une réflexion plus large sur la place des arts et de la culture dans notre pays, et je vous invite donc, Monsieur le ministre, à inscrire à notre ordre du jour un autre débat, cette fois sur l'ensemble de notre politique culturelle !

La France et son Etat ont toujours été à la pointe en ce domaine, notamment grâce à André Malraux dont la politique visa à « déverrouiller » l'accès à la culture et à la création artistique. Quarante-cinq ans après la création des Maisons des jeunes et de la culture, je continue de penser que le financement public est le garant de l'intérêt général et de la préservation d'une culture libérée des contingences du marché. C'est d'ailleurs l'essence même de l'exception culturelle française, qu'on a trop tendance aujourd'hui à rebaptiser « diversité culturelle » sans que cette ruse sémantique trompe personne : la diversité culturelle est une donnée de fait qu'il est sans doute bon d'élever à la dignité d'une cause à défendre, mais l'exception culturelle, elle, suppose un acte politique - un combat contre l'assimilation des œuvres de l'esprit à des marchandises. Et, dans ce combat, il faut veiller à ce que la France reste au premier rang !

Malheureusement, cette politique culturelle originale se heurte aujourd'hui à une triste réalité : les pratiques culturelles sont largement fonction de l'appartenance sociale. Il est par conséquent regrettable que l'Etat se montre réticent à dépenser pour assurer à tous un égal accès à la culture...

Comment pérenniser une action culturelle de qualité, comment réinventer le rôle régulateur de l'Etat lorsque le Gouvernement se désengage ainsi ? Actuellement, l'offre culturelle repose à près de 50% sur le financement des collectivités, ce qui fait peser le risque d'inégalités de traitement. Comment libérer les artistes de ce tête-à-tête avec les collectivités et les préserver d'éventuelles velléités clientélistes ?

M. le Ministre - Des noms !

M. Frédéric Dutoit - Ces questions appellent une réflexion ouverte, afin de corriger tout ce qui peut et doit l'être. Ainsi, selon la direction des études et de la prospective de votre ministère, la durée moyenne des contrats des artistes est tombée entre 1987 et 2000 de 28 à 7 jours et 42% des entreprises culturelles n'ont aucun salarié permanent...

Voilà qui justifierait de créer des observatoires régionaux des politiques culturelles, comme vous le suggère la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture.

Pour garantir à chaque individu, tout au long de sa vie, un libre accès à la culture et aux pratiques artistiques, il est également urgent que l'éducation nationale accorde une priorité à l'enseignement artistique et à l'intervention des créateurs et des professionnels de la culture dans les établissements. Plus largement, il faut renforcer la présence de l'art et de la culture dans tous les espaces accessibles à tous et diversifier les sources d'information. Le succès des festivals d'Avignon, d'Aix-en-Provence et de Marseille atteste qu'il est possible de susciter une adhésion durable du public le plus large : il y faut seulement la volonté de tous ceux qui, à un titre ou un autre, peuvent être regardés comme des acteurs culturels.

Enfin, la démocratisation de la culture appelle aussi, bien entendu, des mesures tarifaires et des actions de formation et d'information.

Pour garantir partout cette présence de la création, nous pouvons compter sur les artistes et sur les gens de culture, qui aspirent à démontrer leur talent et leur esprit critique, à se retrouver dans des situations d'émulation et de confrontation, à s'immerger dans les débats actuels pour anticiper les transformations de la société. Mais, pour cela, ils ont besoin de relais institutionnels, publics et privés.

Dans le domaine du spectacle vivant, le rééquilibrage de l'offre suppose que l'Etat crée ou aménage des équipements, soutienne les initiatives, développe les réseaux professionnels, encourage le croisement des disciplines. Un soutien raisonné aux industries culturelles doit garantir le maintien et le développement d'une création et d'une diffusion diversifiées, indépendantes et libres et, à cette fin, l'intervention des pouvoirs publics est non seulement légitime, mais indispensable.

La culture, qui est à la fois patrimoine et nouveauté, ne peut s'enfermer dans l'institution. Pour être vivante, elle ne doit pas se réduire à la politique des pouvoirs publics qui, aussi ouverte à l'invention et à l'audace soit-elle, ne saurait d'ailleurs la contenir. Ce constat ne légitime pas pour autant le désengagement de l'Etat et des collectivités - bien au contraire. Etat et collectivités sont les garants du droit à s'émanciper, dû à chaque individu.

Le spectacle vivant est un des atouts de l'offre culturelle... à condition que soit reconnue à sa juste valeur la contribution des artistes et des techniciens, en particulier des intermittents. Aussi je salue l'excellent travail réalisé en peu de temps par Jean-Paul Guillot. Son rapport confirme que la situation de la majorité des artistes et des techniciens est précaire : parmi ceux qui bénéficient du régime des annexes 8 et 10, plus de 50% déclarent moins de 600 heures de travail par an et près de 60% ont un salaire inférieur à 1,1 SMIC. M. Guillot rappelle que le principe de l'intermittence est justifié par « la volonté de maintenir la liberté artistique comme la créativité et la diversité culturelles », qui entraîne une structuration moins poussée que dans d'autres domaines ; il propose de « relever la part des emplois permanents et des structures pérennes dans le secteur et d'accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des intermittents ». En conséquence, il prend parti pour un régime d'assurance chômage spécifique, dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.

Ce rapport appelle aussi à la négociation de conventions collectives, à l'adoption d'un vrai plan pour l'emploi ; il réclame de fait un volet « financement » auquel le seul budget de la culture ne saurait pourvoir. Sans ce volet, le risque est grand de voir l'Etat renvoyer la charge de l'essentiel de ce financement aux collectivités. Êtes-vous en mesure, Monsieur le ministre, de rassurer les professionnels du spectacle et les collectivités sur ce point ?

Par ailleurs, pour apprécier son activité, il convient de prendre en compte tout le parcours d'un intermittent - formation initiale et actualisée, conception, répétitions et présentation des spectacles -, et non les seuls cachets. Un intermittent est en effet une femme ou un homme qui crée, invente, s'interroge, se documente, s'inspire de la vie de ses contemporains.

Parallèlement, la possibilité doit être offerte aux artistes, techniciens et réalisateurs de dispenser des formations, qui devraient être prises en compte à raison de 169 heures par an, soit un tiers des 507 heures nécessaires à l'ouverture des droits.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Frédéric Dutoit - En bref, de même que le recours à l'investissement public est indispensable pour promouvoir le spectacle vivant, le recours à la solidarité interprofessionnelle l'est pour garantir la liberté d'expression et de création des intermittents. Aussi, au moment où le Medef me paraît disposé à se désengager de ce dispositif solidaire, je souhaiterais, Monsieur le ministre, que vous me redisiez ici ce que vous m'avez dit il y a une semaine, lors d'une réunion de la mission d'information sur les métiers du spectacle : confirmez-vous votre attachement indéfectible à la solidarité interprofessionnelle en faveur des intermittents ?

M. le Ministre - Oui !

M. Frédéric Dutoit - Il est indispensable d'établir un nouveau protocole d'assurance chômage, le rapport Guillot lui-même soulignant que celui du 26 juin 2003 « ne semble pas permettre de réduire le déficit des annexes 8 et 10, contrairement aux objectifs affichés par l'UNEDIC ». Le déficit est d'ailleurs relatif : d'une part, on réduit les cotisations des entreprises en période de faible chômage, au lieu de constituer les réserves nécessaires pour les périodes de chômage élevé ; d'autre part, plus les intermittents travailleront, moins ils auront recours aux prestations des ASSEDIC.

S'agissant des finances de l'UNEDIC, Monsieur le ministre, je vous félicite - une fois n'est pas coutume ! - d'avoir décidé de renouveler, jusqu'à la conclusion d'un nouveau protocole, le fonds spécifique provisoire qui a été mis en place le 1er juillet 2004. J'ajoute que les indemnités journalières de chômage doivent impérativement être versées sur douze mois.

Par ailleurs, j'insiste pour que des dispositions soient prises afin que les données concernant les intermittents soient plus transparentes, et pour qu'on puisse croiser les fichiers de l'UNEDIC et de la Caisse de congés payés des intermittents.

Enfin, il convient d'associer tous les acteurs de ce dossier à la recherche de solutions pérennes qui pourraient faire l'objet d'une loi d'orientation. Outre les cinq grandes centrales syndicales, il serait logique de convier les représentants d'autres structures auxquelles les intermittents font confiance. Au sein du comité de suivi du protocole sur l'assurance chômage, qui a avancé des propositions pertinentes, des parlementaires de tous les horizons ont réfléchi avec toutes les parties concernées.

Le mouvement des intermittents aura eu le mérite de révéler au public la place vitale de leur régime d'assurance chômage dans la vie culturelle de notre pays, qui devra se mobiliser pour qu'elle n'entre pas dans le champ de la libre concurrence chère aux défenseurs du projet de Constitution européenne. Quant à nous, nous continuerons à œuvrer pour créer les conditions d'une culture du XXIe siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Dominique Paillé - Monsieur le ministre, permettez-moi tout d'abord, au nom du groupe UMP, de vous remercier pour l'initiative que vous avez prise d'organiser ce débat, qui est une première, et aussi de vous féliciter d'avoir réussi à faire présider la séance par le Président Debré et à faire venir quatre des six présidents de commission : cela montre à la fois l'intérêt que nos collègues portent à la culture et le crédit qui est le vôtre ; le corollaire en est l'obligation de résultats !

Vous confirmez ainsi votre volonté d'associer étroitement la représentation nationale à la définition de la politique culturelle de notre pays. Nous l'avions déjà constaté au sein de la mission d'information sur les métiers d'artistes, qui a rendu ses conclusions il y a deux jours, et nous y avons été très sensibles, comme nous l'avons été à l'opiniâtreté dont vous avez fait preuve pour traiter objectivement, dans le dialogue et la transparence, la question de l'intermittence, dont la résolution paraît en bonne voie.

M. Jean-Pierre Brard - Voulez-vous dire qu'Aillagon n'était pas bon ?

M. Dominique Paillé - Le rapport Kert, adopté à l'unanimité par notre commission des affaires sociales, expose notre vision en ce domaine. Il confirme les orientations de notre rapport d'étape de mars 2004, que vous avez assez largement retenues, ce qui nous fait dire que vous agissez dans la bonne direction... Nous resterons bien sûr à vos côtés pour trouver dans les meilleurs délais une solution définitive à cette crise, fort dommageable à la culture et qui aurait pu conduire à une césure regrettable entre les artistes et techniciens du spectacle et nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Brard - Qui avait validé l'accord ?

M. Dominique Paillé - Je voudrais insister sur quelques points qui me semblent très importants pour l'avenir du spectacle vivant.

Tout d'abord, il convient de soutenir une politique offensive de conquête du public. Elle passe par la relance de la présence artistique en milieu scolaire, par des programmations accessibles au plus grand nombre, par le déplacement des artistes et la production d'œuvres sur les lieux de travail ou dans des sites non conventionnels. Il faut aller à la rencontre des publics qui, spontanément, ne se rendent pas dans les salles.

Il faut aussi encourager les amateurs. Aujourd'hui, comme la mission l'a souligné, il n'y a plus vraiment de frontières entre les secteurs artistique et socioculturel. Il existe des lieux très subventionnés qui font très peu de spectacles et beaucoup d'accueil d'amateurs. Le résultat, c'est que bien souvent on professionnalise inutilement des amateurs, qui ne prennent pas toujours la mesure de ce qu'est un métier artistique, ce qui conduit à un véritable gâchis humain et crée des frustrations. Il convient donc de clarifier une fois pour toutes les différences entre les artistes professionnels et les amateurs. Les premiers doivent voir leur statut consolidé par des conventions collectives, la validation des acquis de l'expérience et un renforcement de leur protection sociale ; les seconds doivent voir leurs pratiques reconnues, mais dans un cadre clairement différencié de celui des activités professionnelles.

Il faut également encourager les structures de spectacle vivant à se doter de missions de médiation, chargées d'accueillir les artistes et de les aider à élaborer des projets avec la population.

En deuxième lieu, il convient de réviser le mode de financement du spectacle vivant.

Augmenter les crédits est sans doute souhaitable, mais ceux dont nous disposons peuvent aussi être mieux utilisés. Cela suppose de clarifier le rôle de l'Etat et des collectivités locales, ce qui pourrait se traduire par une coopération contractuelle pour mettre en place des fonds régionaux. Il conviendrait, afin d'avoir une connaissance parfaite du milieu, de créer préalablement un réseau d'observatoires régionaux de l'emploi et des métiers artistiques. Il faudrait aussi élaborer des contrats d'objectifs avec les structures subventionnées ; il est urgent de redéfinir les missions de service public liées au subventionnement.

Il serait également opportun de créer, à l'instar du CNC, qui a fait ses preuves, un centre national du théâtre, qui aiderait à nouer le dialogue entre secteur public et secteur privé et à créer des synergies.

Une étude récente de l'un de nos collègues sénateurs tendrait à montrer que 80% des subventions versées dans le domaine culturel bénéficient à seulement 4% des structures et associations concernées. Si ces chiffres étaient confirmés, ils prouveraient combien il est urgent d'agir.

En troisième lieu, il faut accompagner les efforts nécessaires de structuration des secteurs artistiques. Le spectacle vivant est en effet le domaine de la micro-entreprise. Il convient donc d'attribuer avec plus de discernement la qualité d'entreprise du spectacle, sans pour autant étouffer la création en réduisant à l'excès l'octroi de ce label, et de mutualiser les moyens de ces micro-entreprises.

Enfin, il serait bon de dépoussiérer le théâtre public, notamment en ouvrant les directions, dont certaines sont guettées par la sclérose. Il ne s'agit pas ici d'instruire un quelconque procès, mais personne ne peut nier la tendance à une certaine fonctionnarisation des responsables des théâtres publics, qui bien souvent se cooptent entre eux.

M. Jean-Pierre Brard - Cela sent le commissariat politique !

M. Dominique Paillé - La conséquence en est une programmation qui manque parfois d'audace, et souvent de clairvoyance. Il faut donc « faire bouger les lignes », non pas pour le plaisir, mais parce qu'il est nécessaire d'avoir des visions nouvelles, des appétits de réussir et de remplir totalement les missions de service public. Un examen collégial des candidatures pourrait sans doute y aider - je ne suis pas pour le centralisme démocratique !

M. Jean-Pierre Brard - Vous le réinventez !

M. Dominique Paillé - De la même manière, attacher à une structure conventionnée un auteur, écrivain ou compositeur en résidence de longue durée, contribuerait non seulement au décloisonnement, mais également à la création et à la diffusion des œuvres.

Monsieur le ministre, je n'énonce-là que quelques pistes. Nous restons à votre disposition pour les détailler. Assurer l'avenir du spectacle vivant est une tâche exaltante, et nous nous associerons à votre grande détermination pour mener à bien cette œuvre fondamentale pour nos concitoyens comme pour le rayonnement de notre pays, et pour laquelle nous n'avons pas le droit de faire relâche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Ayrault - La culture et l'art ont été trop souvent absents de cet hémicycle ces deux dernières années, pour que nous boudions notre plaisir. Que ce débat n'a-t-il été organisé lorsque les artistes étaient dans la rue pour demander la renégociation de l'accord UNEDIC ? Au-delà de l'avenir du régime de l'intermittence, c'était la question de la démocratie culturelle et de l'accès de tous aux disciplines artistiques qui était posée. Aux interrogations sur l'austérité budgétaire, le Gouvernement s'est contenté de répondre par une accumulation de rapports sans affirmer ses choix.

Plus habile que votre prédécesseur, vous avez troqué la brutalité du fait accompli contre une compassion anesthésiante.

M. le Ministre - Quel toupet !

M. Jean-Marc Ayrault - Le régime de l'intermittence appelait une réforme, et les professionnels, comme les artistes, y étaient prêts. Hélas, le Gouvernement a préféré le protocole voulu par le Medef mais rejeté par le monde artistique, ce qui a provoqué des annulations de spectacles et de festivals, une rupture entre l'Etat et les artistes et brisé le dynamisme des années de développement volontariste de la culture dans notre pays.

Le rapport de Jean-Paul Guillot confirme que ce protocole, outre qu'il repose sur un chiffrage contesté et ne permet pas de réduire le déficit des annexes 8 et 10, ne résorbe aucun des abus que vous-même et M. Aillagon aviez dénoncés. Hormis France Télévisions, les sociétés de production continuent en toute impunité de recourir à l'intermittence. Comment pourrait-il en être autrement, votre gouvernement ayant supprimé les moyens de contrôle de l'inspection du travail ?

Sans doute avez-vous renoué les fils du dialogue, mais votre intervention de ce matin ne nous a pas éclairés sur vos objectifs.

Les partenaires sociaux s'apprêtent à de nouvelles négociations : allez-vous leur proposer autre chose que de gagner du temps jusqu'au prochain remaniement ministériel ?

Vous ne pouvez plus vous contenter de faire appel aux collectivités territoriales pour qu'elles éteignent l'incendie que vous avez allumé.

M. le Ministre - C'est complètement faux !

M. Jean-Marc Ayrault - Elles financent les deux tiers du spectacle vivant !

M. Marc Bernier - Ce n'est pas nouveau !

M. Jean-Marc Ayrault - Votre gouvernement est prescripteur, mais jamais payeur. Voyez le patrimoine ! Du fait d'un important déficit en crédits de paiement prévu en 2005, les DRAC ne peuvent plus poursuivre les chantiers de restauration, comme en témoigne la façade de la cathédrale de Nantes.

Et que dire du spectacle vivant ! Si un rapport de votre directeur fixe comme priorités l'ouverture de la culture à de nouveaux publics et l'affirmation de la place de l'artiste au cœur de la cité, il ne prévoit ni chiffrage, ni calendrier ! Sans doute par crainte d'effrayer ceux à qui vous tendrez la facture, car ce ne sont pas vos 12 millions d'euros de mesures nouvelles qui suffiront !

M. le Ministre - 28 millions !

M. Jean-Marc Ayrault - Mais le pire est la grande déshérence de l'éducation artistique. Chaque année, votre gouvernement rabote les crédits et les personnels enseignants affectés au plan Lang-Tasca de revalorisation de l'éducation artistique à l'école. Vous sapez ainsi l'accès de tous les jeunes à la connaissance et à l'apprentissage des arts, et il ne leur restera bientôt que la Star academy ou les enfants de la télé. Est-ce là le socle commun que vous souhaitez promouvoir ?

Il en va de même des écoles des beaux-arts et des conservatoires, oubliés dans l'harmonisation européenne des diplômes, malgré la signature des accords de Bologne. Quant à leur financement, l'Etat est encore aux abonnés absents.

C'est que, pour vous, la culture n'est qu'un divertissement d'accompagnement, fondé sur la puissance de grands groupes industriels et le bon vouloir des collectivités locales (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), alors qu'elle contribue en réalité à l'intégration sociale et à l'égalité des chances. Voyez toutes ces villes qui ont fait de la culture un levier de développement urbain, un instrument de rayonnement économique et un outil de cohésion sociale.

M. le Ministre - Comme en Languedoc-Roussillon, par exemple !

M. Jean-Marc Ayrault - Je pense aux Folles journées de Nantes qui mettent le répertoire classique à la disposition de tous les publics, à ces classes de ZEP qui accomplissent des stages de formation à l'Opéra Bastille. L'art devient ainsi un creuset d'éducation et d'émancipation sociale. C'était le rêve de Jean Vilar, d'André Malraux, de Jack Lang : mettre les arts à la portée de tous.

A l'heure où les canaux de télévision se multiplient, où internet favorise le pluralisme culturel, votre ministère se rabougrit dans une police du piratage musical. Vous vous contentez de gérer votre déclin budgétaire, en espérant que le privé et les collectivités pourvoiront aux besoins.

M. le Ministre - Mais c'est faux ! Le budget augmente de 6,5% cette année !

M. Jean-Marc Ayrault - Il y a des vérités qui blessent ! Nous avons besoin d'un contrat social, fondé sur l'éducation et la culture pour tous, d'une politique ambitieuse fondée sur l'initiation, la pratique amateur, la rencontre de créateurs et d'artistes professionnels, la formation du spectateur, et la formation professionnelle. Cet objectif ne sera pas atteint sans une véritable décentralisation, acceptée par tous. Mais où est la concertation ? Où sont les rencontres avec les maires de France, les présidents de région, de département ? Quand le Conseil national consultatif des collectivités territoriales du ministère de la culture s'est-il réuni ?

Nous avons besoin d'une loi d'orientation sur la culture qui mobilise ses acteurs.

M. le Ministre - Jack Lang parlait de loi de programmation !

M. Jean-Marc Ayrault - La créativité d'un pays, sa diversité culturelle, ses prises de risque artistiques témoignent de sa vitalité, mais, Monsieur le ministre, il vous manque l'art et la manière, il vous manque un dessein de société et de civilisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je tiens à vous remercier, Monsieur le ministre, de ce débat, et nous sommes sensibles à vos efforts pour que 2005 ne soit pas « un espace vide ou de reconduction des problèmes que nous avons connus dans le passé ». Nous partageons vos préoccupations, et avons ainsi créé, au sein de notre commission, une mission d'information sur les métiers artistiques en France.

La crise ouverte par la réforme du régime d'indemnisation des intermittents a révélé une mutation que personne n'avait vu venir...

M. Jean-Pierre Brard - En tout cas, pas vous !

M. le Président de la commission - ...je veux parler de la prolifération et de la professionnalisation des métiers artistiques. Aujourd'hui, 300 000 personnes travailleraient dans le secteur artistique, soit autant que dans l'industrie automobile.

Tantôt paria, banni par Platon, tantôt victime d'excommunication...

M. Jean-Pierre Brard - Par le Vatican ?

M. le Président de la commission - ...l'artiste a aujourd'hui acquis indépendance et dignité au sein de la société. Sa figure romantique de maudit et de misérable, avant une reconnaissance d'outre tombe, s'est estompée. L'artiste jouit désormais d'un prestige social. La culture et l'art prennent une place toujours plus grande dans notre société...

M. Jean-Pierre Brard - C'est vrai. Sylvie Vartan a reçu la Légion d'honneur (Sourires).

M. le Président de la commission - ...comme en témoigne la fréquentation des musées, des salles de spectacles et de cinéma. Ce phénomène est lié selon certains à une évolution vers « l'économie quaternaire ».

M. Jean-Pierre Brard - Ne s'agit-il pas plutôt de la glaciation ? (Sourires)

M. le Président de la commission - Dominique Schnapper évoquerait sans doute l'avènement de la « démocratie providentielle » et Marc Fumaroli parlerait de l'interprétation de plus en plus extensive des notions d'art et de culture, la politique culturelle englobant toutes les activités sociales et en particulier celles liées aux loisirs. Les métiers artistiques demeurent néanmoins financièrement marginaux : la croissance de la masse salariale n'a pas suivi l'explosion des effectifs et des contrats. S'il y a plus de travailleurs dans ces métiers, les salaires se dégradent et l'activité se fragmente avec des contrats de plus en plus courts. Parmi les bénéficiaires des annexes VIII et X, par exemple, près de 80% ont un salaire inférieur à 1,1 SMIC. Ce phénomène de dégradation relative s'accompagne d'une concurrence accrue et d'inégalités vertigineuses.

Avènement de la société du spectacle, massification, désacralisation, paupérisation de la condition artistique : quel est le rôle des pouvoirs publics face à cette mutation ? Il s'agit d'abord de la rendre perceptible et d'éviter d'opposer le monde du spectacle aux spectateurs. Les intermittents sont l'objet d'a priori, le monde culturel provoque parfois une fascination narquoise où se mêlent l'attrait pour un espace professionnel de liberté et d'autodétermination et le soupçon de frivolité et d'oisiveté. Les risques d'élitisme et de coupure sociale entre certains artistes et le reste de la population sont réels. Votre démarche, Monsieur le ministre, a eu le grand mérite d'ouvrir les yeux de bien des commentateurs.

M. Jean-Pierre Brard - A commencer par ceux de l'UMP ! (Sourires)

M. le Président de la commission - Les intermittents sont souvent motivés mais ils vivent pour la plupart dans la précarité. Vous avez sensibilisé nos concitoyens et l'ensemble des partenaires sociaux à cette réalité : c'était un préalable.

M. Jean-Pierre Brard - Quelle lucidité tardive !

M. le Président de la commission - Rendre cette mutation perceptible à chacun, c'est insister sur un fait : nous parlons d'un secteur dont le chiffre d'affaire est de 20 milliards d'euros, financé à 80% sur fonds privés, et qui devrait continuer à croître de 5% par an. Toutes les formes de spectacles et d'art occuperont demain une place croissante dans notre économie. C'est aussi au regard des ces évolutions qu'il faut évaluer la question du statut des artistes, du financement de la vie artistique et des 800 millions d'euros de déficit que connaît le régime d'assurance chômage de ce secteur.

En outre, les frontières qui séparent le domaine artistique de l'ensemble de la société s'estompent, de même que les hiérarchies internes à l'art. L'émergence du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma comme un secteur économique à part entière doit se traduire par ce que Jean-Paul Guillot appelle une « maturité organisationnelle ». Il s'agit d'encourager la conclusion de conventions collectives mieux structurées,...

M. Jean-Pierre Brard - Voilà !

M. le Président de la commission - ...de réfléchir à l'enseignement artistique, aux filières, à la maîtrise de l'offre de formation, à son adéquation aux débouchés. La formation initiale, tout comme la formation permanente souffrent en effet de graves lacunes.

M. Jean-Pierre Brard - Quelle lucidité !

M. le Président de la commission - Nous devons soutenir le maintien d'un régime spécifique au sein de la solidarité interprofessionnelle, même s'il convient d'en redéfinir les contours : frontière entre amateurs et professionnels ? Meilleur contrôle des employeurs notamment lors de l'attribution de la licence d'entrepreneur de spectacles ?

M. Jean-Pierre Brard - Seillière va trembler ! (Sourires)

M. le Président de la commission - Certains ont évoqué le principe d'un numerus clausus mais il me semble contradictoire avec les principes de spontanéité et de liberté inhérents à ces métiers. Je souhaite également faire un sort à la distinction entre les métiers dits du « spectacle vivant » et les autres, car se sont les mêmes hommes et femmes qui les exercent.

Maintien d'un régime spécifique, donc, mais en réaffirmant que ce n'est pas à un régime de protection sociale d'assurer le financement de la création et de la diffusion culturelle dans notre pays : l'UNEDIC n'a pas vocation à rester le centre de gravité du financement culturel. Chacun devra rompre avec les habitudes qui ont prévalu jusqu'ici. A cette fin, Monsieur le ministre, votre objectif est de créer les conditions d'un accord sur un système durable de financement de l'emploi dans ce secteur et de relever la part des emplois permanents ainsi que des structures pérennes. Les élus, les collectivités locales, ont un rôle déterminant à jouer. La décentralisation leur a apporté des crédits et donc des pouvoirs supplémentaires, ce qui implique également des responsabilités nouvelles à assumer en tant qu'employeurs, donneurs d'ordre ou financeurs. L'argent public doit être orienté vers l'emploi.

Par ailleurs, et dans la mesure du possible, nous devons veiller à ce que les artistes et les techniciens du spectacle vivant ne soient pas victimes des alternances politiques.

Enfin, nous devons poser la question du soutien public et du rôle de l'Etat. Quels sont les attendus et les objectifs de notre action ? Comment le ministère de la culture peut-il s'adapter à cette nouvelle donne ? Quelle doit être son action dès lors que le rôle des collectivités territoriales s'est renforcé ? Sommes-nous prêts à faire un effort financier supplémentaire ? La politique culturelle à la française a toujours suscité des débats. On a pu, à juste titre, dénoncer les risques d'une culture sinon officielle du moins institutionnelle, tout comme on a pu en dénoncer les carences - nous avons été incapables, en plus de quarante ans, de promouvoir un enseignement artistique digne de ce nom. En outre, la culture se heurtera toujours à un problème de définition. S'agit-il de permettre à des génies artistiques de s'exprimer, à un peuple de s'émanciper ou bien les deux ?

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas « fromage ou dessert » ? (Sourires)

M. le Président de la commission - Cependant, ces questions se posent aujourd'hui en des termes nouveaux : il s'agit désormais de se demander si nous voulons et si nous pouvons accompagner la mutation d'un secteur économique en pleine expansion. Il faut en débattre et, tôt ou tard, il faudra trancher...

M. Jean-Pierre Brard - Eh oui !

M. le Président de la commission - ...quitte à en décevoir certains, ce qui nous ramènera à l'essence de notre mission politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en venons aux orateurs inscrits dans la discussion générale.

M. Pierre-Christophe Baguet - Je souhaite tout d'abord évoquer une question liée au secteur de la communication. M. le ministre de la culture a annoncé au Sénat que son ministère avait obtenu 20 millions d'euros supplémentaires pour les crédits du service public de l'audiovisuel. Or, ce secteur étant étroitement lié à celui de la culture - je pense en particulier à l'orchestre national radiophonique de Radio France - il me semblerait judicieux d'abonder les crédits de Radio France pour le spectacle vivant.

La culture constitue l'être humain dans son identité et sa diversité. Elle ne peut être réduite à un simple secteur ou à un département ministériel. A l'UDF, nous voulons la placer au cœur même de notre projet de société dans lequel le spectacle vivant tient une place essentielle et je vous remercie d'ouvrir ce débat aujourd'hui.

Le spectacle vivant et le développement culturel sont le premier poste de votre budget en 2005. C'est un bon signe mais de nombreuses questions restent en suspens.

Un an après l'adoption de mesures transitoires pour sauver le régime des intermittents, Jean-Paul Guillot vous a remis un rapport qui illustre les faiblesses du protocole UNEDIC de juin 2003. Le déficit du régime des intermittents du spectacle qu'il aurait dû réduire est passé de 850 millions d'euros en 2003 à plus de 900 millions aujourd'hui. Le rapport de Christian Kert arrive aux mêmes conclusions : de toute évidence, le durcissement des critères d'entrée dans le régime n'a pas permis à ce jour d'enrayer les déficits. Il me semble en revanche souhaitable d'examiner la liste des catégories ayant une réelle vocation à relever du champ d'application du régime. Il est aussi nécessaire de se doter d'outils de contrôle permettant de mettre un terme aux différentes fraudes.

Premier exemple du dysfonctionnement du système : le taux journalier d'indemnisation de l'intermittent est calculé au moyen d'une équation qui place le nombre d'heures effectuées au dénominateur. Plus on fait d'heures, plus le taux est donc divisé et plus l'indemnité journalière baisse. Un intermittent n'a donc aucun intérêt à déclarer le nombre d'heures qu'il effectue au-delà des 507 heures qui lui donnent le droit d'accéder au système. Il faut étudier le nouveau modèle proposé par la coordination nationale des intermittents car il repose sur la réalité des pratiques et sur un encadrement précis avec la réintégration d'un plafond d'indemnisation. Tout système qui incite à déclarer les heures réellement effectuées ne peut qu'inciter à allonger la durée du temps de travail et diminuer le nombre de jours indemnisés.

Enfin, tout travail ouvre droit à rémunération. Or, il est habituel que les répétitions ne soient pas payées par les employeurs et c'est donc l'assurance chômage qui les finance. Cela doit changer. Le paiement de ce travail ouvrira droit à cotisations et alimentera la caisse. Le nombre d'heures effectuées sera pris en compte et les fraudes seront limitées.

S'agissant des artistes plasticiens, le droit d'exposition et le droit de suite restent en pratique lettre morte, pour des raisons diverses et variées. Ne trouvez-vous pas curieux que l'auteur de l'œuvre ne soit jamais payé ou soit le dernier à être rémunéré ? Donner vie à ce droit d'exposition passe par une rémunération, sous des conditions qui restent à préciser. Des exonérations « intelligentes » devront être prévues, notamment pour les présentations dans les écoles ou dans les hôpitaux. On peut aussi envisager un barème différent pour les artistes morts et les artistes vivants, à l'instar de secteurs comme le cinéma.

Une réflexion plus vaste devrait aussi être menée dans le but de conserver l'emploi sur notre territoire. Ce que nous faisons déjà avec des dispositifs comme le crédit d'impôt pour le cinéma, nous pourrions aussi le faire pour le spectacle vivant. S'il ne peut en effet être délocalisé, tout ce qui l'entoure peut l'être, que ce soit avant le spectacle - répétitions, musique - ou après - DVD...

Cette réflexion devra aussi porter sur l'emploi culturel. Il faut repenser l'entrée dans les métiers artistiques, l'évolution de la carrière et sa sortie, trop peu prévue et ô combien dure pour la personne et ses proches. Cette question essentielle de l'emploi culturel renvoie à celle du génie culturel : je vais me faire provocateur, mais comment peut-il encore émerger en France ? Tout à l'heure se tiendra au Sénat, sous l'égide des groupes d'études sur la musique et la chanson française des deux assemblées, un colloque à l'intitulé évocateur : « la création musicale est-elle encore possible en France ? »

Une réflexion doit aussi être conduite sur la formation sur le tas. Les stages, traditionnellement répandus dans les métiers artistiques, sont véritablement utiles : le stagiaire apprend et noue des contacts, le directeur de stage transmet son expérience et un savoir. Or, une personne sortie de l'enseignement ne peut plus bénéficier d'une convention de stage, ce qui réduit à néant ses possibilités de suivre un stage. En effet, l'entreprise doit la payer au SMIC pour l'accueillir, ce que ne peut pas toujours faire une entreprise culturelle. Le système est donc inadapté : la possibilité de faire des stages doit être assouplie et l'apprentissage réhabilité.

J'en viens à la sensibilisation du jeune public au spectacle vivant. Les efforts accomplis dans le domaine de l'éducation artistique ont surtout consisté à encourager à la pratique artistique, et ce au profit exclusif de la musique et des arts plastiques. Cette approche a conduit à privilégier le rapport direct avec l'oeuvre, sans souci de la transmission des connaissances par la médiation de la pédagogie.

Lors de la dernière campagne présidentielle, François Bayrou avait suggéré des perspectives intéressantes, notamment l'introduction dès le primaire d'un cours d'histoire des arts obligatoire. Ceci permettrait aux enfants et aux adolescents de se réapproprier leur patrimoine et de se construire comme entité et non plus par tranches.

Il faut aussi favoriser la pratique du théâtre et des autres formes du spectacle vivant en classe.

N'oublions pas la réduction du taux de TVA à 5,5% pour l'ensemble des biens culturels y compris les disques et les cassettes, dont le Président de la République avait fait une priorité lors de sa campagne électorale. Cela implique évidemment une révision de l'annexe H de la 6ème directive sur la TVA et un vote unanime lors d'un conseil Ecofin. Quelles sont les chances d'aboutir sur ce dossier ?

Je souhaite également attirer votre attention sur le coût trop élevé de l'accès à la culture en France, qu'il s'agisse par exemple du prix des places de cinéma et de concert ou de celui des billets d'entrée dans un musée. Une place dans un grand cinéma parisien le dimanche soir coûte plus de 9 euros. Un couple qui s'y rend avec ses trois enfants doit donc dépenser plus de 45 euros : cela se passe de commentaires.

M. François Loncle - Très bien !

M. Pierre-Christophe Baguet - A l'heure où la lutte contre le coût élevé de la vie occupe le devant de la scène, il serait souhaitable d'y réfléchir avec les professions concernées. On pourrait également envisager une ouverture des musées gratuite tous les dimanches, comme en Allemagne ou en Espagne, et non pas seulement un dimanche par mois.

M. François Loncle - Absolument.

M. Pierre-Christophe Baguet - La question de l'accès de tous à la culture m'amène à évoquer le projet de suppression de la gratuité pour l'accès aux musées des enseignants. Cette mesure s'applique au Louvre depuis le 1er septembre : les enseignants n'accèdent gratuitement au musée qu'en y accompagnant leur classe au moins une fois par an. Les enseignants qui désirent enrichir leur formation en se rendant au musée sans nécessairement y emmener leurs élèves se trouvent ainsi pénalisés, et leurs élèves le sont également par voie de conséquence.

L'Etat a un rôle à jouer en matière culturelle. Il ne peut agir seul, mais doit agir mieux. L'amélioration de l'action publique en matière culturelle passe donc par une vraie décentralisation culturelle, qui a déjà commencé, comme l'a reconnu Pierre Albertini.

Il conviendrait cependant de revoir l'organisation du financement de certains projets culturels. Certaines régions font du « saupoudrage ». Ne serait-il pas préférable de poser des critères nationaux, comme cela existe dans le cinéma avec la charte édifiée par le CNC ? Cet effort de coordination est nécessaire. Il prendra un peu de temps, mais la politique culturelle y gagnera en transparence et en lisibilité, à charge pour le politique, d'appliquer ces critères dans un souci de pluralisme.

Il faut renforcer les liens entre l'Etat et les collectivités locales pour encourager la fédération des informations, des idées et des politiques. La mise en place d'observatoires régionaux des politiques culturelles favoriserait la recherche sur les politiques culturelles publiques. Selon un sondage publié hier, 80% des Français font confiance à la région pour « améliorer les choses » dans le domaine culturel.

Je terminerai par la communication en vous félicitant, Monsieur le ministre, pour les 30 millions d'euros que vous avez obtenus hier pour le lancement de la chaîne d'information internationale. Je souhaite que ses programmes réservent une place importante à la culture.

Soyons conscients de notre réputation mondiale dans le domaine de la culture. Elle nous oblige à une exigence sans faille. Nous comptons sur vous, Monsieur le ministre : vous pouvez compter sur la contribution de l'UDF ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. le Président - Vous allez enfin pouvoir vous exprimer officiellement, Monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Sortons de l'ère glaciaire où le Professeur Dubernard a tenté de nous ramener et dans laquelle, Monsieur le ministre, vous avez plongé le protocole que le Gouvernement avait validé par la voix de votre prédécesseur... Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que votre gouvernement y a été littéralement poussé à coups de pied aux fesses par le mouvement des intermittents. C'est de votre fait que nous avons été confrontés à un long conflit sur le régime d'indemnisation du chômage des professionnels du spectacle vivant, expression que je préfère à celle d'intermittents du spectacle.

Le rayonnement de la France ne se mesure pas seulement à son PIB et à l'excédent de sa balance commerciale, mais aussi au dynamisme et à la qualité de sa création culturelle.

M. Raffarin avait promis le 7 août 2003, dans le journal Le Monde, « d'organiser à la rentrée un débat national sur les politiques publiques du spectacle vivant ». Il a fallu plus d'un an pour y arriver.

Le spectacle vivant est non seulement un élément majeur de notre patrimoine culturel national, un secteur où la création est intense grâce à un foisonnement de structures et de projets et à l'engagement d'une multitude de professionnels très attachés à leur métier, mais aussi un secteur économique dont il faut assurer la pérennité.

Je cite la Société des auteurs et compositeurs dramatiques : « une grande vitalité de la création contemporaine, un réseau de diffusion parmi les plus structurés et les mieux construits d'Europe, une forte motivation des auteurs : les ingrédients sont réunis pour assurer au spectacle vivant et à la création d'auteurs vivants une place significative en termes de représentations ».

La vitalité de la création et des circuits de diffusion prend une importance croissante dans le contexte de la mondialisation. Comme l'écrivait, dans Les Echos du 20 août 2003, l'économiste Raphaël Suire : « Dans une économie de savoir, les entreprises savent que la clef du succès réside dans leur capacité à attirer des gens talentueux. Le profil socioculturel de la ville ou de la région est devenu une variable primordiale pour faire affluer les travailleurs les plus qualifiés ou pour les retenir. Par conséquent, tant au niveau régional qu'au niveau international, les responsables politiques doivent rester soucieux de leur propre capacité à séduire ce capital humain. Pour attirer des gens créatifs, générer de l'innovation et stimuler la croissance économique, il faut mener une politique volontariste en matière culturelle ».

C'est dans ce contexte qu'est intervenu l'accord UNEDIC du 26 juin 2003. Est-il légitime, d'ailleurs, de parler d'accord quand il y avait d'un côté le Medef et de l'autre des gens qui ne représentaient rien dans les milieux concernés ?

On y chercherait en vain une volonté de contribuer au dynamisme du spectacle vivant. Les considérations financières l'ont emporté sur l'intérêt du spectacle vivant, et en définitive sur l'intérêt national. Ce protocole est une machine à diaboliser, à précariser, à exclure.

Machine à diaboliser : il suffit de rappeler les déclarations du Baron Seillière de Laborde (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), qui évoque davantage le Charles X de la Restauration que la République - et je ne pense même pas à Robespierre ou à Saint-Just, qui font frissonner de ce côté de l'hémicycle, mais à la Ve République !

M. le Président - Plus que la Restauration, vous auriez pu citer la Monarchie de Juillet ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - Que dit-il ? « Nous entrons dans une autre ère, celle d'une adaptation de toutes sortes de régimes qui ne sont plus compatibles avec la compétitivité européenne et française. Cet accord évitera que des gens vivent de l'assurance chômage au lieu de vivre de leur travail ».

Machine à précariser, ensuite. Le traitement réservé aux femmes enceintes et aux professionnels malades, dans un protocole appliqué de façon restrictive par les ASSEDIC, est indigne d'une nation comme la nôtre, fondée sur des valeurs républicaines de solidarité et de respect des personnes.

Machine à exclure, enfin. La solidarité interprofessionnelle est niée par l'accord du 26 juin 2003, au motif que l'indemnisation du chômage des intermittents coûterait trop cher. Cela est asséné sur le fondement de chiffres tronqués et de calculs partiels. C'est une vision d'épicier, au sens balzacien du terme.

A l'opposé, le rapport Guillot relève que « le secteur culturel est générateur d'une série d'effets induits en termes d'emplois et d'activités, résultant des achats de biens et services qu'il effectue pour mener à bien ses activités ; édition, imprimerie, publicité, bâtiment, jouets, parachimie, sécurité, nettoyage assainissement figurent parmi les secteurs les plus importants en termes de consommations intermédiaires. Par ailleurs, la consommation des produits culturels nécessite, dans de nombreux cas, l'achat d'équipements, et favorise le développement de domaines tels que le tourisme, l'hôtellerie ou les transports. Une croissance de l'activité du secteur engendre donc, en amont comme en aval, des effets multiplicateurs importants pour le reste de l'économie ».

Le résultat de ce protocole, c'est que des milliers d'artistes et de techniciens sont chassés de leur profession ou déclassés. Le maire de Montreuil que je suis sait de quoi il parle. Et les centaines d'artistes qui vivent dans notre commune avaient su dire avec talent à votre prédécesseur ce qu'ils en pensaient... La gravité de la situation et la force du mouvement social qu'elle a engendré ont conduit à la création d'un comité de suivi, qui rassemble des professionnels du spectacle vivant, de l'audiovisuel, du cinéma, des employeurs de ces secteurs et des parlementaires de toutes tendances politiques - je citerai notamment M. Pinte qui ne peut être là aujourd'hui -, et qui constitue, selon les termes de M. Guillot « une expérimentation sociale originale ». Monsieur le ministre, je regrette que vous vous soyez contenté de le citer...

M. le Ministre - Pas du tout. J'ai salué son action.

M. Jean-Pierre Brard - Dans son rapport, le même M. Guillot relève l'inefficacité du protocole UNEDIC et conclut : « Il paraît souhaitable qu'une négociation s'engage entre les partenaires sociaux, pour définir un nouveau protocole, qui apporte au précédent les aménagements nécessaires pour concourir aux objectifs d'une politique de l'emploi dans le secteur ».

Pour conclure, quelques questions simples appelant des réponses précises. Monsieur le ministre, vous allez demander aux partenaires sociaux de reprendre le dialogue ; si l'autisme du baron Seillière (Murmures sur les bancs du groupe UMP) le fait capoter une nouvelle fois, recourrez-vous à la loi pour imposer ce qui n'aura pas été négocié ? Allez-vous agir pour le retour aux 507 heures annuelles, avec date anniversaire fixe pour l'ouverture des droits à indemnisation ?

M. le Ministre - J'ai été parfaitement clair !

M. Jean-Pierre Brard - Non : nous sommes restés un peu dans le flou. Allez-vous améliorer la prise en compte, pour l'ouverture des droits, des formations dispensées par les intéressés, notamment dans les collèges et lycées ? Allez-vous, pour 2005, améliorer le fonds transitoire d'indemnisation pour préserver les plus menacés ? Enfin, allez-vous engager le débat avec tous les partenaires intéressés sur la base des pistes de réflexion ouvertes par le rapport Guillot ? Chacun aura compris que nous faisons plus confiance aux ministres de la République pour régler la situation qu'au baron Seillière, qui a eu barre sur ce dossier jusqu'à présent. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Christian Kert - Je prends au moins un engagement, celui de ne pas citer le baron Seillière ! (Sourires) Dans la continuité des travaux de la mission d'information conduite par Dominique Paillé, nous débattons ce matin du spectacle vivant et nous ne contestons pas le choix de cette thématique essentielle. Vous comprendrez toutefois que je sois parfois tenté d'évoquer des thèmes connexes. A l'instar de M. Ayrault - dont je ne partage aucune des autres analyses, notamment pour ce qui concerne l'évolution du budget de la culture -, je souhaite que le patrimoine ne pâtisse pas de l'effort particulier accompli en faveur de l'intermittence. Les crédits de la culture ont connu cette année une progression remarquable de plus de 6,5%...

M. Michel Françaix - Il ne s'agit que d'un modeste rattrapage !

M. Christian Kert - Et je me réjouis que la négociation du protocole de l'intermittence soit rouverte sans plus tarder. N'attendons pas une année entière dont deux mois de festivals. Il ne faut pas laisser perdurer l'incertitude, mais profiter sans plus attendre du climat de confiance que vous avez su réinstaller.

Le spectacle vivant, ce sont des emplois, mais ce sont aussi des structures. Celles-ci sont aujourd'hui très - peut-être trop ? - nombreuses et le moment est venu d'inciter à leur responsabilisation. Il faut s'assurer de leur solvabilité, du sérieux des recrutements qu'elles effectuent et de la présence d'au moins un permanent par entité. Oui, à la pérennisation de l'intermittence, mais il doit s'agir d'une intermittence régulée. Pas d'une intermittence « variable d'ajustement » exposée à tous les risques de dérive.

Le devenir de la création théâtrale nous interroge plus particulièrement. En moyenne, une création ne donne lieu qu'à neuf représentations. Neuf possibilités de se produire, est-ce assez pour couronner des mois de travail et d'engagement personnel ? La cause du mal est connue : le public ne se renouvelle pas. 10% des ménages assurent la moitié des recettes du spectacle vivant et les dirigeants des institutions culturelles ne se remettent pas volontiers en question. Comment sortir de cette logique de « cercle d'initiés » ? Il ne s'agit pas, Monsieur Brard, de fliquer les gens...

M. Jean-Pierre Brard - Je n'ai pas employé ce terme. J'ai dit que M. Paillé voulait rétablir les commissaires politiques !

M. Christian Kert - Cela revient un peu au même ! Quoi qu'il en soit, il faut conquérir de nouveaux publics. A cette fin, sans doute serait-il bon de confier plus de responsabilités aux créatifs - et notamment aux écrivains - dans l'animation des institutions. La belle réussite du théâtre du Rond-Point, à Paris, ne nous incite-t-elle pas à privilégier cette approche ?

De même, enseignants et artistes se sont trop longtemps regardés en chiens de faïence. Favoriser la rencontre des deux milieux - en incitant par exemple à la généralisation de l'accueil d'artistes en résidence dans les établissements scolaires -, n'est-ce pas une belle idée pour faire reculer la violence scolaire, pour s'assurer que même là où l'on ne se parlait plus qu'en s'invectivant, la parole créative va finalement l'emporter sur le geste agressif ? Les expériences menées en ce sens dans plusieurs collèges du dix-huitième arrondissement de Paris sont particulièrement encourageantes. Elle est belle, l'école ouverte sur l'art et c'est en son sein que se trouve le public de demain. Oeuvrons ensemble à son ouverture à toutes les formes de création.

Un mot, pour conclure, sur les quotas de création contemporaine. Certains théâtres se plient de mauvaise grâce à l'obligation de créer au moins trois œuvres d'auteurs contemporains. Dès lors, pourquoi ne pas accorder une subvention exceptionnelle à ceux qui font l'effort d'aller au-delà ? Se mettrait ainsi en place un système souple et respectueux de la liberté de programmation : un soutien marqué à ceux qui privilégient la création contemporaine, pas de pénalités pour ceux qui font un autre choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Muriel Marland-Militello - Bravo !

M. Patrick Ollier - Il est assez inhabituel que le président de la commission des affaires économiques intervienne dans un débat d'orientation sur la culture. Mais, Monsieur le ministre, à vous entendre et à vous voir agir, une nouvelle approche de notre politique culturelle paraît se dessiner. En effet, vous souhaitez faire du développement des industries et de l'emploi culturels des instrument essentiels de l'attractivité de notre pays, de l'aménagement du territoire et de la cohésion sociale. La diversité culturelle que nous défendons fait écho au discours du Président de la République en faveur d'un monde multipolaire et respectueux des identités de chacun. Ainsi, le développement des festivals permet à des territoires ruraux de se forger une identité forte : qui connaîtrait Marciac sans le jazz, ou Carhaix sans les Vieilles Charrues ? Les élus locaux ont bien compris l'extraordinaire pouvoir d'attraction qu'exerce un festival.

La commission des affaires économiques fera écho à votre approche de la politique culturelle. Après avoir renoué le dialogue, vous êtes parvenu à un diagnostic partagé et incontestable, auquel le rapport Guillot a grandement contribué. Le poids économique du spectacle vivant doit être valorisé dans la lutte contre les délocalisations et pour la création d'emplois durables. De fait, ce secteur pèse 22 milliards, sa valeur ajoutée s'élève à 11 milliards et il emploie près de 300 000 personnes. Il suscite des activités induites dans les domaines de l'imprimerie, de l'édition, du bâtiment, du tourisme... Le spectre économique est large ! Ces chiffres sont le produit du talent, de la compétence et du travail de nos artistes et techniciens. C'est pourquoi je vous encourage dans votre logique de développement de l'emploi culturel.

Le maintien d'un régime spécifique d'assurance chômage au sein de la solidarité interprofessionnelle est à nos yeux une nécessité absolue. Reste que l'assurance chômage a été détournée de sa vocation pour tenir lieu de complément des revenus du travail, ce qui est inacceptable. Pour en sortir, nous devons entrer dans une logique de projet industriel animée par l'Etat, les collectivités locales, les partenaires sociaux et l'UNEDIC. L'Etat et les collectivités locales doivent conditionner tout financement public au respect d'un certain nombre de critères relatifs à l'emploi déclaré. Il faut que les textes réglementaires permettent de traquer les pratiques illégales et de lutter efficacement contre les abus. C'est ainsi seulement que nous rendrons légitime aux yeux de nos concitoyens l'existence d'un système spécifique. Il appartient de leur côté aux partenaires sociaux de structurer plus fortement les conventions collectives applicables aux spectacles vivants. Là encore, le maintien d'un régime spécifique ne se conçoit pas sans un lien incontestable de ses bénéficiaires avec la création culturelle.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Patrick Ollier - L'idée de la mutualisation des microstructures, contenue dans le rapport Guillot et que j'avais évoquée avec vous lors des entretiens du spectacle vivant le 18 octobre dernier...

M. le Ministre - Vous y étiez, vous !

M. Patrick Ollier - ...permettrait de se concentrer sur le travail artistique et de mieux respecter les normes en vigueur.

Pour favoriser la pérennité de l'emploi tout en préservant la liberté de travail des intermittents, pourquoi ne pas recourir au dispositif du groupement d'employeurs issu de la loi de juillet 1985 ? Ce serait d'autant plus aisé que j'ai récemment fait adopter un amendement autorisant les collectivités locales, organismes de droit public, à être membres de ces groupements d'employeurs, qui sont de droit privé. Les collectivités locales étant fournisseurs d'emplois pour des événements exceptionnels, les artistes et techniciens du secteur culturel pourraient ainsi trouver une activité durable auprès de plusieurs employeurs successifs.

C'est en nous mobilisant tous ensemble que nous parviendrons à mettre en œuvre une politique efficace des industries et de l'emploi culturels. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Bloche - Depuis dix-huit longs mois, le secteur de la culture est en proie à une crise profonde qu'a révélée la mise en cause brutale du régime des intermittents. Ce n'est pas le moindre mérite des deux récents rapports dont nous disposons d'avoir placé l'emploi culturel au cœur du débat public depuis le funeste accord du 26 juin 2003. Dix-huit mois vous paraissent sans doute trop courts pour apporter des solutions pérennes à une crise structurelle, mais semblent bien longs pour les « travailleurs de la culture », selon la belle expression de Jean Zay, qui sont précarisés de façon inacceptable. Nous sommes quelques-uns ici, en particulier Etienne Pinte que je tiens moi aussi à saluer, à vivre depuis plus d'un an une fraternité d'armes qui, au sein d'un comité de suivi inédit, nous conduit à partager leur mobilisation et aussi leur angoisse.

Le temps presse, Monsieur le ministre. Pour l'assurance chômage, le début 2005 n'a pas le même sens que la fin 2005. Les semaines qui viennent sont essentielles pour que la création culturelle ne soit pas touchée au cœur par le découragement progressif de professionnels qui n'auront pas d'autre solution que de se reconvertir, comme on dit, en abandonnant un engagement artistique qui fait toute leur vie. Ce serait alors la vraie victoire de ceux qui veulent liquider les annexes 8 et 10. Cela, nous ne pouvons pas l'admettre, sauf à exclure de nos discours le mot d'ordre de diversité culturelle qui nous réunit.

C'est compte tenu de tous ces enjeux que le rapport Paillé-Kert, adopté à l'unanimité, avance pour première proposition la renégociation urgente de l'accord de l'an dernier sans attendre la fin 2005. Comme celui de Jean-Paul Guillot, ce rapport a le mérite de parler d'emploi et non pas de chômage. Nous avons en effet la satisfaction amère de constater que le mauvais accord de juin 2003 n'a réduit en rien le déficit et a entraîné des inégalités criantes. Voilà qui condamne sans appel ceux qui gèrent l'UNEDIC comme des apothicaires. Il apparaît clairement désormais qu'il faut maintenir un régime spécifique d'assurance chômage dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle, en écartant toute idée de caisse complémentaire, et élaborer un plan audacieux en faveur de l'emploi culturel destiné à stopper la paupérisation de ce dernier. Rappelons en effet un chiffre effrayant : 4 artistes et techniciens indemnisés sur 5 disposent d'un salaire de référence inférieur à 1,1 SMIC. Pour que ce plan réussisse, les pouvoirs publics devront se montrer exemplaires, et il sera nécessaire de restructurer les différents secteurs d'activité culturelle afin de réduire la précarité.

La question du périmètre des annexes 8 et 10, si complexe soit-elle, est logiquement posée, sans le présupposé absurde qu'il y aurait trop d'artistes en France. Réjouissons-nous qu'aient été abandonnées les préconisations hasardeuses de M. Charpillon, entre numerus clausus et réduction du champ d'application aux métiers ayant « une proximité avec l'acte créateur », ce qui excluait dans une large mesure les activités de diffusion pourtant indispensables à l'élargissement du public. Exit heureusement l'idée d'une sélection à l'entrée ou de l'instauration d'une carte professionnelle, qu'on ne saurait bien entendu confondre avec la nécessité d'un effort majeur de formation. Sans doute faudrait-il distinguer plus clairement entre démarche professionnelle et pratique amateur, surtout lorsque des professionnels précarisés voient avec inquiétude des amateurs être professionnalisés sans véritable raison.

M. Dominique Paillé - C'est vrai !

M. Patrick Bloche - C'est parce que l'artiste bénéficiera d'une position sociale reconnue qu'il observera sans crainte des pratiques amateur. En attendant, je regrette que ne soit pas tombé un déni de démocratie : la nomination d'un expert indépendant, Jean-Paul Guillot, demandée par le comité de suivi, répondait à une exigence de transparence qui n'a pas été entièrement satisfaite. Si nous savons maintenant qu'en 2002 les intermittents représentaient 4,9% des chômeurs indemnisés mais ne percevaient que 3,6% des allocations, ce qui relativise leur responsabilité dans le déficit global de l'UNEDIC, et que pour les risques maladie et retraite l'apport des intermittents est excédentaire, l'opacité de l'UNEDIC subsiste, qu'il s'agisse du montant des salaires réels ou du nombre des cotisants non indemnisés. Et je ne parle pas de l'écart entre les chiffres avancés par l'UNEDIC et ceux de la caisse des congés spectacle, écart qui restera inexplicable tant qu'il n'y aura pas eu un croisement complet des fichiers !

Faute donc d'expertise incontestable, il faut maintenir dans le champ des possibles l'accord de la FESAC et l'application du modèle élaboré par la Fédération des intermittents.

Quant à nos propositions, ce sont tout simplement celles du comité de suivi : 507 heures sur douze mois...

M. le Ministre - C'est fait !

M. Patrick Bloche - A titre purement transitoire ! Mais j'ai noté votre engagement sur ce point. Nous demandons en second lieu le versement des indemnités journalières sur douze mois, l'autorisation de dispenser des formations prises en compte à raison de 169 heures par an, le même traitement pour la maladie et pour les accidents du travail que pour les congés maternité et la possibilité de cumuler des activités. Enfin, s'agissant du fonds spécifique provisoire - bientôt transitoire -, nous souhaitons l'intégration de clauses de sauvegarde afin de régler les cas les plus difficiles, en particulier au bénéfice des jeunes, très pénalisés par l'accord du 26 juin 2003.

Ce cadre fixé, il ne vous restera plus, si j'ose dire, qu'à convaincre les partenaires sociaux de négocier au plus vite un nouveau protocole. Si vous n'y parvenez pas, il faudra s'en remettre à la loi pour réformer les annexes 8 et 10. Certains y voient la mort du paritarisme, mais, en cas de carence, ne revient-il pas à la représentation nationale de prendre ses responsabilités ?

M. le Ministre - Nous n'en sommes pas là !

M. Patrick Bloche - Au reste, n'a-t-on pas déjà eu recours à la loi à deux reprises : au début de 2002, pour pérenniser le régime spécifique des intermittents, et à l'été suivant, à la demande de l'UNEDIC et malgré notre opposition, pour modifier le code du travail afin que les cotisations puissent être doublées ?

Jusqu'ici, je suis resté dans le cadre que vous avez imposé, Monsieur le ministre : celui du spectacle vivant. J'en sortirai maintenant car c'est d'une politique culturelle globale que nous avons besoin, mais aussi parce que le divorce croissant entre les industries culturelles et le monde de la création doit exclure tout cloisonnement et que l'emploi culturel ne se limite pas à l'emploi salarié - pensons à tous ces plasticiens, photographes ou auteurs qui ont un statut d'indépendants et qui sont par conséquent souvent dépourvus de protection sociale. Leur situation justifierait une réflexion sur un statut général de l'artiste et même, pourquoi pas, une loi.

J'échapperai aussi aux limites étroites que vous avez voulues parce qu'on ne peut envisager un plan ambitieux pour l'emploi culturel sans prévoir son financement. Oh ! rassurez-vous, je ne vais pas redire ici tout le mal que je pense de votre budget, ni évoquer le 1% qui, objectif visionnaire il y a vingt ans, est maintenant devenu un frein. Je ne dirai même pas un mot de la « sanctuarisation » - terme terrible - de la culture. Je veux simplement souligner l'inopportunité de réduire les moyens d'une création déjà atteinte par la suppression des emplois jeunes et par la fin de la contribution apportée par la politique de la ville. Dès lors, tout milite pour l'idée lancée à Avignon cet été : celle d'une loi d'orientation ou même de programmation, qui permettrait de financer ce plan sur cinq ans, en attendant de clarifier les rôles respectifs de l'Etat et des collectivités.

Cette clarification s'impose en effet quand on voit le Gouvernement se décharger de plus en plus sur ces collectivités, en oubliant qu'elles contribuent déjà pour les deux tiers au financement public de la culture. Je suis en particulier frappé de la légèreté avec laquelle vous entreprenez de vous débarrasser de monuments historiques, pour leur laisser le soin de les restaurer : ce sont autant de crédits qui n'iront pas au spectacle vivant !

M. le Ministre - Celles qui ne voudront pas de ces monuments n'en auront pas la responsabilité : nous ne voulons pas les remettre en de mauvaises mains !

M. Patrick Bloche - L'emploi culturel est de même pénalisé quand vous sous-financez l'audiovisuel public - et les 20 millions supplémentaires annoncés pour 2005 n'y changeront pas grand-chose !

Il y aurait bien d'autres exemples qui illustrent la nécessité de refonder notre politique culturelle. Faisons donc sans tarder justice d'un mythe qui a la vie dure à l'UNEDIC notamment : celui de la bohème comme moteur de la création ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Muriel Marland-Militello - N'ayant que cinq minutes, je ne perdrai pas mon temps à essayer de montrer pourquoi nous en sommes là après tant d'années de gouvernement de la gauche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et je me bornerai à dire que, de l'action de notre ministre et de notre majorité, je pense le plus grand bien, en particulier en raison de son dynamisme. Pour le reste de mon propos, je le consacrerai aux arts de la scène.

Les professionnels de ce secteur sont inquiets. Le spectacle vivant a connu un développement considérable, dont témoignent le renouveau du cirque et le succès des festivals et des spectacles de rue, mais, contrairement à ce qu'on dit souvent, ce développement n'est pas dû seulement à l'augmentation des fonds publics : il s'explique aussi par la capacité d'innovation dont techniciens et artistes ont fait preuve. Pourtant, loin de profiter à ceux-ci, il n'a fait que rendre leur situation plus précaire...

M. Jean-Pierre Brard - Mais vous tenez des propos de bolchevique !

Mme Muriel Marland-Militello - Vous me faites là un grand compliment ! Il est de fait que le raisonnement dialectique est pour beaucoup dans le dynamisme de la droite !

Le rapport Guillot confirme cette précarité : il montre que plus de 80% des intermittents gagnent moins de 1,1 SMIC. En effet, leur nombre a crû plus rapidement que l'activité du spectacle vivant, de sorte que le nombre de jours de travail de chacun a diminué : entre 1987 et 2001, la durée des contrats est tombée de 20 à 6 jours. D'où le déficit de l'assurance chômage des annexes 8 et 10 et la nécessité d'une réforme. A propos de celle-ci, je n'insisterai que sur un point : quand on en sera à délimiter le périmètre de l'intermittence, il ne faudra pas oublier de comptabiliser les activités de diffusion, ainsi que les temps de répétition et de préparation.

D'autre part, si l'on veut soutenir réellement les artistes et techniciens du spectacle vivant, il faut remédier aux lacunes de notre système d'information et de formation. En France, il y a un vide entre la formation très poussée dispensée par les conservatoires supérieurs et la multitude de pseudo formations privées - les deux négligeant d'ailleurs de prendre en compte les débouchés. Il me semble qu'il revient à l'Etat, aux collectivités et aux partenaires sociaux d'inciter à une meilleure adaptation de l'offre de formation aux besoins de l'emploi artistique, et d'organiser une meilleure information des jeunes sur le sujet. Il faut trouver un juste équilibre entre la maîtrise des flux d'entrée et l'orientation qu'elle suppose, d'une part, et la prise en compte de la vocation comme de la nécessité d'avoir un apport régulier de sang neuf, d'autre part.

Une formation initiale pluridisciplinaire de qualité, prolongée par une formation continue dûment reconnue et complétée par la validation des acquis de l'expérience : voilà ce qu'il faut pour aider ceux qui souhaitent continuer d'exercer une activité artistique comme ceux qui souhaitent se reconvertir.

D'autre part, on soutient habituellement que les révolutions techniques transforment l'exercice du spectacle vivant. Je conviens que la mise en mémoire de l'éphémère par le biais des télé-services peut faire gagner en productivité et contribue à élargir le public. Mais elle permet surtout de donner l'illusion qu'on pourrait participer à un spectacle vivant sans se déplacer. Or, rien ne peut remplacer la magie de la scène ni le lien social qui se crée à la faveur d'un spectacle. Je ne suis d'ailleurs pas sûre que, de s'affranchir en permanence de contraintes physiques, de ne plus faire l'effort d'aller vers les artistes, on ne s'expose pas à une perte de diversité. En tout cas, cette perte de diversité est très sensible s'agissant du public : moins de 10% des ménages sont à l'origine de 40% des dépenses exposées pour des spectacles vivants. La démocratisation de la culture exige donc qu'on suscite, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, le désir du public : il faut en particulier faire entrer l'enseignement de l'art dans le bloc des enseignements fondamentaux.

La retransmission de spectacles de qualité aux heures de grande écoute à la télévision me paraît également un excellent moyen.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez dit le contraire !

Mme Muriel Marland-Militello - Il faut aussi favoriser une plus grande circulation des spectacles sur le territoire national, pour susciter des rencontres avec le public. Quant aux amateurs, loin de concurrencer les professionnels, ils assurent une diversification des publics.

Monsieur le ministre, je partage avec vous le souci de garantir la liberté artistique et la diversité culturelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique Richard - Jacques Duhamel disait : « La culture ? C'est ce qui transforme une journée de travail en journée de vie ! ».

En effet, l'expression culturelle est consubstantielle à la nature humaine. Elle ne saurait être une occupation accessoire, ne remplissant que les trous d'un agenda.

L'expression culturelle, la consommation culturelle au sens noble du terme, fondent le sentiment d'appartenance à une même communauté humaine. Elles contribuent de façon déterminante à la construction de la personnalité de l'enfant. C'est dire, Monsieur le ministre, combien la réflexion menée ce jour à votre initiative est un moment fort de notre législature.

Je limiterai mon propos à une seule question, néanmoins essentielle : comment faire pour ouvrir l'appétit de nouveaux publics à une politique culturelle diversifiée ?

Premier impératif : le développement de l'éducation artistique et culturelle à l'école. C'est, en effet, dès le plus jeune âge qu'il convient de sensibiliser nos enfants à la richesse d'une pratique culturelle régulière. Qu'il s'agisse de lecture, de rencontre avec des artistes, de pratique artistique ou de connaissance de l'histoire de l'art, chaque expérience construit le socle de la vie d'adulte. Nous vous appuierons, Monsieur le ministre pour que cela soit réellement pris en considération dans le projet de loi d'orientation sur l'école.

Les pratiques amateurs, ensuite, constituent un formidable creuset. Non seulement elles ne concurrencent pas l'expression professionnelle, mais elles la nourrissent.

Troisième point : la diffusion culturelle et l'aménagement culturel du territoire. Le rapport Latarjet l'a justement souligné : la France est le pays où l'on produit le plus, mais où l'on diffuse le moins... Les collectivités locales ont assurément une mission en ce domaine.

Dernier point, mais pas le moindre, la place de la culture à la télévision. Le rapport de Catherine Clément La nuit, l'été l'a souligné : la culture vivante est insuffisamment présente à l'écran, et trop souvent à des horaires de très faible écoute, malgré les efforts notoires de chaînes comme Arte ou France 5 et des progrès réels du service public. A l'heure où nos enfants passent plus de temps devant un écran que sur les bancs de l'école, où nos concitoyens passent 3h 28 par jour devant leur récepteur, la télévision doit être considérée non plus comme un concurrent du spectacle vivant, mais comme un partenaire.

Au moment où les contrats d'objectifs et de moyens vont être renégociés, le Gouvernement doit faire évoluer les pratiques des diffuseurs et veiller à ce que le nouveau fonds d'aide à l'innovation permette de progresser dans les modes de captation des œuvres afin que celles-ci ne soient pas dénaturées. Enfin, il sera nécessaire de renégocier les accords de rediffusion, afin de développer le second marché.

N'oublions pas ce que disait Jean-Paul II devant l'Unesco en 1980 : « Veillez à la culture de votre nation ; c'est ce qui fait en l'homme l'humain ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Françaix - Gambetta disait - à chacun ses citations - : « Il ne suffit pas de décréter des citoyens, il faut en faire ». Pas de citoyen sans émancipation des servitudes de l'ignorance, sans commerce avec les œuvres de l'esprit.

Mais faire œuvre de création aujourd'hui est une aventure, dans un contexte de marchandisation du monde et de recherche du plus grand dénominateur commun du consommateur. Le rôle du ministre de la culture est de contribuer au contraire à ouvrir notre regard sur la richesse d'un monde pluriel. Nous devons réagir au rétrécissement de l'espace laissé à la création et plus généralement au domaine de l'esprit, qui est une conséquence du poids déterminant des médias et de la transformation de la culture en un immense domaine marchand.

Les politiques publiques en matière culturelle ne doivent pas avoir pour seul but l'occupation du temps libre et l'embellissement du cadre de vie. La culture est sens de la vie, dépassement du quotidien, elle a une ambition civilisatrice.

M. le Ministre - Là, je suis d'accord !

M. Michel Françaix - J'espère que vous le serez jusqu'au bout !

La culture doit être au centre de notre projet politique. Or, malgré votre bonne volonté, on constate de la part de ce gouvernement un étrange silence sur les enjeux culturels. Silence de consentement, chez ceux qui se satisfont du loisir marchand de masse. Silence de contentement aussi, sans doute, lié à nos acquis : la France a depuis plus de quarante ans un ministère de la culture, qui a beaucoup fait ; un nouvel élan a été donné en 1981, et nous avons accompli un chemin considérable dans le soutien à la création d'une part, et en faveur de l'accès du plus grand nombre à la culture d'autre part. Un véritable maillage du territoire s'est constitué, souvent à partir d'équipes de création ; notre pays dispose d'un réseau très dense d'équipements, d'institutions, de compagnies indépendantes, et parfois, Monsieur le ministre, l'on a le sentiment que cela vous suffit.

Or, il faut développer de nouveaux lieux de diffusion : expositions d'artistes, dédicaces de livres, voyages conférences, cybercafés... Et il faut probablement vivre d'une autre façon les arts de la rue, qui ont réussi à amener un public nouveau. Il est dommage qu'aucune analyse poussée n'ait été faite à ce sujet, et il faudrait franchir une nouvelle étape.

M. le Ministre - Qui a décidé une opération exceptionnelle en 2005 ?

M. Michel Françaix - Vous vous devez de garantir que les institutions artistiques que vous financez aient toujours, à l'instar des pionniers du théâtre populaire, le souci d'accueillir des publics nouveaux.

M. le Ministre - Cela, c'est vrai.

M. Michel Françaix - Surtout, nous devons approfondir notre réflexion sur la décentralisation, en évitant deux écueils : la centralisation excessive, qui fait de Paris le chef d'orchestre unique, et la décentralisation excessive, qui peut conduire à un conservatisme culturel, voire à une « folklorisation » de la culture et à une attitude clientéliste de la part des autorités régionales. Une clarification du rôle de l'Etat et de celui des différents échelons de collectivités est nécessaire ; mais les différents partenaires manquent d'un système cohérent d'information sur le spectacle vivant.

Quelques mots sur l'éducation et la pratique artistiques dans les établissements scolaires et universitaires, qui devraient constituer l'un des principaux chantiers des prochaines années. On constate une explosion des demandes d'enseignants aux établissements de diffusion pour l'organisation d'activités pédagogiques. Il conviendrait d'inclure dans les contrats d'objectifs des institutions culturelles subventionnées l'ouverture de services pédagogiques adaptés à cette demande.

Le temps est venu de relancer la présence artistique en milieu scolaire, et j'espère, Monsieur le ministre, que vous saurez en convaincre M. Fillon.

Sur les intermittents du spectacle, tout a été dit, et une année aura suffi pour constater que le plan voulu par le Medef ne permettait pas de réaliser les économies escomptées, et que 80% des intermittents gagnent le SMIC. Etes-vous prêt à en tirer les conséquences, ou ne serez-vous que le ministre de la fracture culturelle ?

Sans moyens supplémentaires, comment préserver la création et la diversité culturelle à l'heure de la mondialisation ? Comment développer les politiques culturelles territoriales ? Comment poursuivre la rénovation du service public et des arts ?

J'appellerai Victor Hugo à mon secours, qui se plaignait déjà du budget conservateur de l'époque : « Personne plus que moi n'est pénétré de la nécessité d'alléger le budget de la nation, mais le remède à l'embarras de nos finances n'est pas dans quelque économie chétive et détestable. » Pour avoir un magnifique mouvement intellectuel, poursuit-il en substance, ce ne sont pas les talents qui manquent, mais la volonté du Gouvernement. Et de conclure : « Vous avez cru faire une économie d'argent, c'est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France. »

A vous, Monsieur le ministre, de me prouver que les temps ont changé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Valérie Pecresse - Lors des entretiens du spectacle vivant, le 18 octobre dernier, une jeune directrice de troupe, Marylin Gourdon, a souhaité nous transmettre le message du comité des intermittents et des précaires d'Ile-de-France : « Nous savons que vous savez... car vous savez si bien communiquer ». Je veux aujourd'hui lui répondre que nous savons, nous qui espérons communiquer un peu mieux, désormais.

Toute crise permet d'avancer, et celle née de la signature du protocole du 26 juin 2003 aura permis une mobilisation et une prise de conscience dont témoigne le débat d'aujourd'hui.

A l'heure où la mondialisation fait naître chez nos concitoyens un sentiment de perte de repères, notre patrimoine culturel apparaît comme le fondement de notre identité nationale et les annulations successives de festivals nous ont montré l'importance de l'activité artistique pour le rayonnement de nos territoires.

Le talent des professionnels du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma est reconnu hors de nos frontières et nous devons placer cette reconnaissance au cœur de notre fierté nationale. Il faudra pour cela mobiliser l'ensemble des acteurs autour d'une stratégie offensive pour le développement de l'emploi dans les industries culturelles.

La crise nous a permis de lever une hypocrisie : celle qui consiste à transformer un système d'assurance chômage en source de revenus. Disons-le clairement, nous avons fait payer une partie de notre politique culturelle par l'UNEDIC !

Le Gouvernement a su prendre ses responsabilités pour renouer le dialogue et créer un contexte plus serein. Je pense à la mise en place du fonds d'indemnisation provisoire, mais aussi à l'extension du crédit d'impôt cinéma au secteur de la production audiovisuelle, qui permettra de mieux lutter contre les délocalisations de tournages et de favoriser la requalification des emplois dans ce secteur, sans parler de la hausse de 5,9% du budget de la culture, ni des 23 millions d'euros de mesures nouvelles pour le spectacle vivant que vous avez résolument orientés vers l'emploi.

Je souhaite que les régions sortent de leur logique d'affrontement et s'associent à l'Etat pour mieux valoriser les artistes et les techniciens, d'autant plus que le Gouvernement a accentué ses efforts financiers.

M. Michel Françaix - Mais c'est faux !

Mme Valérie Pecresse - Enfin, les partenaires sociaux doivent concentrer leurs efforts sur la structuration de conventions collectives. Faut-il pour autant accentuer la pression, et les menacer de dispositions législatives sous forme d'ultimatum ? Je ne le crois pas. Nous devons respecter le temps de la démocratie sociale.

M. Michel Françaix - Deux ans !

Mme Valérie Pecresse - Défendant la légitimité d'un système spécifique d'assurance chômage, on ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le périmètre de l'intermittence, et nous resterons vigilants sur la rationalisation du périmètre des annexes VIII et IX. Le lien entre le bénéfice de ce régime et la création artistique doit être très clair. De même, nous serons fermes en matière de lutte contre les abus dans les politiques de l'emploi, et je me réjouis de la coordination entre votre ministère et celui de M. Larcher. La récente publication du décret sur le croisement des fichiers nous donne ainsi les moyens tant attendus.

Grâce à la qualité de votre écoute et à votre détermination, nous sortons de la caricature selon laquelle le Gouvernement aurait fait la guerre à l'intelligence. A l'heure où le Premier ministre prépare les lois d'avenir sur la recherche et l'école, nous n'oublierons pas que le savoir et l'excellence ne peuvent se penser sans la dimension culturelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Marc Bernier - Le rapport de Christian Kert, rendu au nom de la mission d'information sur les métiers artistiques, nous invite à la clairvoyance. Il s'agit maintenant de prendre des décisions indispensables à la survie d'un secteur important de notre économie.

Le spectacle vivant, l'audiovisuel et le cinéma représentent à eux seuls une industrie de 20 milliards d'euros qui occupe plus de 300 000 personnes.

Le Gouvernement a souhaité augmenter le budget de la culture pour 2005, malgré un contexte tendu. Avec 753 millions, le spectacle vivant représente le premier poste du budget prévisionnel, et 12 millions seront notamment consacrés à la mise en œuvre du plan qui lui est consacré.

Il faut, par ailleurs, prendre en compte les attentes des collectivités locales. Lors de mon tour de France de la culture, j'ai pu mesurer la place de la culture dans les collectivités locales, et je peux vous assurer que la création d'observatoires régionaux est très demandée. J'ai également réalisé que la question de l'intermittence représentait un réel frein à l'intervention des collectivités dans le domaine du spectacle vivant.

Il est temps de rénover l'intermittence et de mettre en place un dispositif à même de garantir la création artistique dans notre pays. Il est important que nous nous concertions pour dégager des perspectives et préserver les emplois du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, symboles d'une création artistique active.

Je reste confiant dans les propositions qui sortiront de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alfred Trassy-Paillogues - Le spectacle vivant connaît depuis une vingtaine d'années un essor considérable grâce aux initiatives de l'Etat et des collectivités territoriales. Nous devons néanmoins favoriser une meilleure adaptation des politiques publiques aux réalités locales et à l'emploi artistique. Les propositions pour préparer l'avenir du spectacle vivant constituent autant de réponses justes et pragmatiques en faveur d'un secteur dont le renouvellement suppose son ouverture à de nouveaux publics sur l'ensemble du territoire tout en respectant les notions de métiers, d'éducation artistique de qualité, de valorisation des arts populaires et de soutien à la diffusion.

Le milieu rural doit être associé à cette réflexion car il a ses caractéristiques et ses propres contingences budgétaires. Le confortement de l'enseignement artistique suppose, en milieu rural, le maintien des enseignants présentant les qualifications requises...

M. Michel Françaix - Il y a du travail !

M. Alfred Trassy-Paillogues - ...afin d'apporter à chaque élève fréquentant une école de musique, de danse, de théâtre, la base de connaissances fondamentales dans le respect d'un cursus pédagogique défini. Les diplômes requis pour cet enseignement conditionnent l'accès à la fonction publique territoriale. Or, les agents titulaires se trouvent aujourd'hui dans une impasse liée aux règles du cumul et surtout à leurs pratiques différenciées, le cumul autorisé variant semble-t-il de 15% à 100% en fonction des régions et des contrôles de légalité. La sécurité juridique et l'égalité devant la loi conduisent à préconiser un taux plafond commun applicable sur les 16 heures qui représentent la base d'un temps complet pour un enseignant artistique.

La diffusion des œuvres sur l'ensemble du territoire ne peut se concrétiser qu'avec le partenariat et le soutien financier des collectivités locales qui seuls garantiront le respect des objectifs d'ouverture à de nouveaux publics et de redéfinition de l'œuvre artistique afin de ne plus opposer les arts populaires avec les formes dites « savantes ».

J'insiste sur les obstacles budgétaires rencontrés par les petites communes qui ne peuvent assumer seules le coût financier de certaines prestations culturelles. Pour y remédier, les départements ou les régions pourraient prendre en charge forfaitairement une partie des cachets en laissant aux communes le choix de la formation ou de la troupe afin de servir un projet cohérent et adapté.

La décentralisation et l'intercommunalité constituent également de nouveaux outils en faveur de la promotion culturelle. Le poids des équipements et la complexité de la gestion de la culture mettent en effet doublement en difficulté les communes rurales lorsqu'elles ne disposent pas des moyens humains de leurs ambitions culturelles. La solution intercommunale s'impose alors car elle est seule capable d'apporter une réponse aux problèmes d'échelle.

La collaboration avec des professionnels ayant retrouvé la confiance, associée à une nouvelle politique de soutiens financiers publics, constituera le fondement d'un projet culturel territorial que le milieu associatif pourra conforter de son expérience : vous aurez ainsi, Monsieur le ministre, contribué à l'aménagement culturel de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie- Je participais ce matin à un débat avec le président Camdessus...

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas une très bonne référence.

M. Pierre Méhaignerie - ...et son diagnostic rejoint celui d'une dizaine de rapports, quelle que soit la sensibilité politique de leurs rédacteurs. La France peut retrouver la croissance, retrouver un taux de chômage de 5%, mais à condition de poursuivre la réforme de l'Etat ainsi que la maîtrise des dépenses publiques.

Depuis trois heures, j'ai écouté avec attention les différents intervenants. J'apprécie votre travail, Monsieur le ministre, et je partage votre passion, mais la lucidité me conduit à insister sur les contraintes à venir. Si la croissance est de 2,5%, les deux tiers des recettes supplémentaires doivent aller aux dépenses de santé et de vieillesse. A quoi doit donc être consacré le tiers restant ? Aux dépenses collectives, à l'amélioration du pouvoir d'achat ? Il me semble qu'un chemin de crête existe néanmoins. Il s'agit tout d'abord de rappeler les progrès des dernières années, notamment en matière d'éducation artistique et de développement de la pratique amateur. En outre, la croissance globale des recettes de taxe professionnelle de nos collectivités a augmenté de 3% en euros constants, ce qui a permis à nombre de collectivités de consacrer l'essentiel de ces recettes à la dépense culturelle.

Il s'agit ensuite d'utiliser la LOLF de manière plus responsable, avec la nouvelle nomenclature des programmes. Un travail considérable d'évaluation doit également permettre d'engager des moyens nouveaux, en particulier en faveur des jeunes compagnies ou de l'aménagement culturel de notre pays. Il convient donc d'accorder une attention particulière au rapport de la Cour des comptes, concernant en particulier l'éclatement des corps et des statuts - qui ne favorise pas toujours la créativité -, la multiplication des établissements publics, le niveau d'absentéisme dans certains secteurs et notamment les musées, l'empilement des structures enfin.

Nous avons débattu du Centre national des variétés et du jazz. Il accomplit un travail important certes, mais doit-il être pour autant le sixième « arrosoir » servant à financer les équipements culturels alors que des marges de redéploiement sont possibles ?

Enfin, l'OCDE évoquait à propos de notre pays une « monarchie culturelle » en raison des grandes institutions qui absorbent d'importants moyens. Là encore, des efforts doivent être faits. Nous sommes prêts à vous y aider, Monsieur le ministre...

M. Michel Françaix - Passez-vous d'eux, Monsieur le ministre ! (Sourires)

M. Pierre Méhaignerie - ...afin de nous montrer responsables avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Le débat est clos.

M. le Ministre - Soyez tous assurés que je vous suis reconnaissant d'avoir participé à un débat certes hautement symbolique mais qui prépare également un futur plan d'action. Les interventions des présidents des commissions des affaires culturelles, des affaires économiques et des finances, la présence à mes côtés de M. le ministre du travail, de M. le secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle, votre présence personnelle, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, témoignent de l'importance majeure de notre discussion.

A Shanghaï, à l'occasion du lancement de l'année de la France en Chine, un dignitaire chinois m'a dit, alors que nous assistions au spectacle pyrotechnique organisé par un groupe de Martigues : « Il n'y a que les Français pour inventer cela ! » Mon objectif est bien de placer la culture au coeur du rayonnement français tout en favorisant son décloisonnement.

Oui, Monsieur Albertini, le spectacle vivant doit être soutenu par le secteur audiovisuel pour gagner de nouveaux publics. Vous avez considéré que l'Etat devait consacrer l'essentiel de son effort aux grands établissements ; je pense qu'il est également de notre devoir d'accompagner les jeunes talents.

M. Pierre Méhaignerie - Exactement.

M. le Ministre - Soyez rassuré, Monsieur Dutoit : je mène un combat permanent en faveur de la diversité culturelle et de la spécificité française. Cette politique porte ses fruits, parce que, dans notre action, le thème de la culture n'est pas isolé du reste : il y a une cohérence entre le message de notre diplomatie et celui de nos artistes. C'est ainsi que j'ai obtenu de mon homologue chinois ainsi que de mes collègues de l'Union européenne une déclaration conjointe sur la légitimité d'une action nationale en matière culturelle, comme le Premier ministre l'a fait à Mexico.

Il a évoqué l'ouverture d'esprit nécessaire pour associer chacun à nos débats. Je remercie à cet égard le Conseil national des professions du spectacle d'avoir accepté d'ouvrir ses réunions à des observateurs issus de structures nouvelles ou des forces politiques.

Dominique Paillé a présidé à d'importants travaux. Il a raison de souhaiter une politique offensive de conquête du public, avec le souci d'une mutualisation des moyens. Je suis moi-même très préoccupé par les difficultés concrètes de fonctionnement de nos structures culturelles. Rassurez-vous, je ne ferai pas relâche.

Dans ce débat magnifique, il y a eu une fausse note que je regrette. Sur un sujet comme la politique culturelle, il faut parfois savoir se rassembler. En vous écoutant, Jean-Marc Ayrault, je me disais que quelqu'un de chez vous n'aurait pas su choisir, comme lieu d'implantation pour le Louvre, Lens, ville marquée par les cicatrices laissées par l'industrie et où l'action culturelle était oubliée depuis des décennies. Deux ministres de ce gouvernement avaient proposé une idée magnifique ; nous avons eu le courage de ne pas faire de « politicaillerie » et de prendre une belle décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Françaix - Ce que vous dites est inexact : nous l'avons fait avant vous !

M. le Ministre - Jack Lang lui-même a regretté de ne pas avoir eu cette bonne idée ! Au lieu de m'accuser de désengagement - dans les termes les plus poétiques -, intéressez-vous plutôt à la politique culturelle de la région Languedoc-Roussillon ! Je pense aux théâtres de Montpellier, de Béziers et de Nîmes, aux vingt compagnies que Georges Frêche a privées de subventions, à la suppression des crédits des festivals de Maguelonne, de Carcassonne, de Lamalou, de Perpignan, de Lodève, de Béziers et des crédits du livre et de la lecture. Dans cette région comme dans d'autres, je suis confronté à des décisions unilatérales que je déplore. Je souhaite être un partenaire loyal. Je comprends le cri d'Antigone - « tout, tout de suite, ou alors je refuse » - mais je ne veux pas adopter une attitude de guerre de tranchées, car le débat avec les collectivités territoriales est nécessaire. A Avignon, le premier secrétaire du Parti socialiste m'a demandé qu'elles ne participent pas au financement de l'assurance chômage. Je comprends cette logique : en 2004 comme en 2005, c'est donc l'Etat qui prend ses responsabilités pour parvenir à un système qui donne davantage satisfaction à ceux qui étaient exclus du protocole.

Mais sur l'emploi culturel, je le dis haut et fort, Etat et collectivités territoriales doivent se donner la main, en liaison avec les organisations professionnelles. La participation financière de l'Etat étant décidée, il s'agit maintenant de discuter avec les représentants des collectivités territoriales, pour aboutir, je l'espère en 2005, à ce que j'aimerais à baptiser « les accords de Valois ». Il ne s'agira pas de l'indemnisation du chômage, mais du soutien à l'emploi culturel.

Nous avons tous à balayer devant notre porte. Nous pouvons nous reprocher mutuellement nombre de situations précaires. Mais ce qui importe désormais, c'est de voir comment on peut transformer un certain nombre de ces emplois en emplois permanents, étant entendu que je considère le système de l'intermittence comme nécessaire à notre politique culturelle.

Jean-Michel Dubernard a raison d'en appeler à des plans régionaux du spectacle vivant. Des observatoires régionaux sont de même essentiels pour nourrir le débat, à l'échelle régionale comme à l'échelle nationale. Je redis à cette occasion publiquement la confiance que je place dans les directeurs régionaux des affaires culturelles. Dans les périodes de crise, ils sont des médiateurs en même temps que mes représentants dans chacune des régions. Ils ont le rôle magnifique d'aller voir la plus petite des compagnies, le plus inconnu des créateurs, qui seront peut-être illustres demain - bref de détecter les talents.

Pierre-Christophe Baguet a repris avec raison les propositions des professionnels qui en appellent à un système vertueux. Il y a eu des dérapages, et le système qui sera constitué doit encourager une modification des comportements. Vous avez aussi évoqué, Monsieur Baguet, les jeunes et l'apprentissage. La présence de Laurent Hénart à mes côtés avait, je l'ai dit, valeur de symbole. Nous avons eu un débat « électrique » à Saint-Denis sur la nécessité des diplômes. Il faut dire aux jeunes que s'engager dans les métiers culturels et artistiques est dur, exige un énorme travail et qu'on n'accède pas immédiatement à la renommée internationale. Je souhaite que nos artistes bénéficient des moyens prévus pour l'insertion professionnelle des jeunes.

La TVA sur les produits culturels est un sujet récurrent.

Jean-Pierre Brard aura j'espère constaté que le ministre de la culture n'était pas un leurre ! Le jour même où j'avais accepté de répondre devant la presse aux questions du comité de suivi - pour lequel j'ai le plus grand respect - votre collègue avait lancé, à mon entrée dans la salle : « La question politique est de savoir si Donnedieu de Vabres est un leurre. » J'espère qu'il reconnaîtra que j'ai tout simplement la volonté d'agir !

En 2005 comme en 2004, artistes et techniciens qui auront fait leurs 507 heures en douze mois - au lieu des dix et demi ou onze prévus par le protocole - seront indemnisés. Si j'ai dit que les mesures devaient s'inspirer de celles du fonds 2004, c'est que j'espère des progrès supplémentaires, mais que, s'agissant d'un fonds de transition, je ne puis m'engager d'emblée.

M. Jean-Pierre Brard - Et le recours à la loi ?

M. le Ministre - J'y viendrai en conclusion.

Christian Kert a notamment évoqué la création contemporaine, à laquelle je suis très attaché, et la nécessité de l'encourager sous toutes ses formes.

Les problèmes de précarité, Patrick Bloche, ne viennent pas du protocole de 2003.

M. Patrick Bloche - Vous me faites un procès d'intention !

M. le Ministre - C'est la beauté et la grandeur du métier artistique que d'accepter cette rencontre aléatoire avec le public, qui en fait parfois un parcours du combattant. Je souhaite que nous progressions dans ce domaine, dans le souci de la transparence et de la vérité. La vérité permet le partage des responsabilités, et l'UNEDIC n'avait pas à craindre celle qui est sortie du rapport Guillot : elle a permis de mobiliser les différents partenaires.

Certes, il est dur d'obtenir des résultats. Mais les deux décrets qui viennent de paraître - fondamentaux pour la transparence - étaient attendus depuis dix ans !

Je ne partage pas l'idée d'une opposition entre le spectacle vivant et le patrimoine. Je ne suis pas en passe de me désengager. Je pourrais vous rappeler qu'entre 1998 et 2001, le budget du ministère a diminué de 1,5%. Peut-être M. Jospin avait-il d'autres priorités à cette époque... Je ne fais pas de triomphalisme : ce serait déplacé. Mais sur les monuments historiques, on ne peut pas vouloir tout et son contraire. Je souhaite que l'Etat, les collectivités territoriales, les entreprises privées et nos concitoyens sachent agir ensemble. Le jour où j'ai annoncé que l'Etat était prêt à transférer à certaines collectivités territoriales la propriété de monuments historiques, le Premier ministre venait de m'octroyer 35 millions supplémentaires pour le patrimoine en loi de finances rectificative. C'était indispensable pour bien commencer 2005. Au reste, soyez sûrs que je ne confierai pas le patrimoine et les monuments historiques à des collectivités qui n'en voudraient pas. Nous allons travailler sur le mode du volontariat.

Mme Marland-Militello a évoqué, avec tout à la fois passion et réalisme, son attachement aux arts du cirque et au spectacle de rue. J'ai été sensible à son analyse sur l'évolution des goûts du public, selon laquelle l'internet et la télévision nous auraient fait entrer dans l'ère des médias froids, au détriment du spectacle vivant. Permettez-moi cependant de rester plus optimiste. Je crois à la possibilité de faire se rencontrer les différents supports. A ce titre, je souhaite que les 20 millions supplémentaires mobilisés par le Premier ministre au profit de l'audiovisuel public permettent de multiplier les captations de spectacles vivants et de donner - notamment sur les chaînes gratuites de la TNT - une plus large place aux programmes culturels. 20 millions, ce n'est pas de l'eau dans du sable ! Comme vous, chère Muriel Marland-Militello, je vibre à la magie du spectacle sur scène !

Pouvais-je résister au plaisir de redire la belle phrase de Duhamel, citée par Dominique Richard ? « La culture, c'est ce qui transforme une journée de travail en journée de vie. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Comment opposer culture et éducation ? Pour moi, les disciplines artistiques sont à inclure dans le socle des savoirs fondamentaux et François Fillon en est lui aussi convaincu...

M. Patrick Bloche - Première nouvelle !

M. le Ministre - Les disciplines culturelles et artistiques trouveront toute leur place dans la loi d'orientation sur l'école, et nous ferons à ce sujet une communication commune au Conseil des ministres, au début de l'année prochaine...

M. Jean-Marc Ayrault - Là, nous sommes tout à fait rassurés ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - A cette heure, le temps me manque pour répondre à toutes les questions que vous avez soulevées et croyez bien que je le regrette. Je veux remercier tous ceux qui se sont mobilisés ce matin pour débattre de ces enjeux. Un grand merci aux députés de la majorité présidentielle, cinq fois plus nombreux sur vos bancs que ceux de l'opposition... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Brard - C'est qu'ils ont beaucoup à se faire pardonner !

M. le Ministre - Je mesure le travail qui nous attend. Ma maxime de vie, c'est de tenir tous les engagements que je prends devant chacun de mes interlocuteurs. C'est en l'appliquant que nous rétablissons progressivement la confiance dont nous avons besoin pour avancer. Puissent tous les partenaires - Etat, collectivités locales, entreprises privées, public - redonner aux talents français la place qu'ils méritent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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