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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 42ème jour de séance, 99ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 14 DÉCEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      TRAITEMENT DE LA RÉCIDIVE
      DES INFRACTIONS PÉNALES 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 5

      AVANT L'ARTICLE PREMIER 19

      ARTICLE PREMIER 20

      ART. 2 20

      ART. 3 22

La séance est ouverte à neuf heures trente.

TRAITEMENT DE LA RÉCIDIVE DES INFRACTIONS PÉNALES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Pascal Clément et Gérard Léonard relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

M. Gérard Léonard, rapporteur de la commission des lois - 31 % de récidivistes et 32 % de peines inexécutées : ces chiffres résument les insuffisances de notre appareil répressif et ne peuvent laisser indifférents les pouvoirs publics alors que, depuis deux ans, grâce à leur détermination, la délinquance régresse.

Aborder la question de la récidive, c'est, comme je l'écrivais dans le rapport de la mission d'information début juillet, engager le second acte de la lutte contre l'insécurité, en s'attaquant au noyau dur de la délinquance.

Il s'agit maintenant de renforcer les lois Perben I et II, et de donner leur pleine efficacité à la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure et à la loi sur la sécurité intérieure.

185 députés de la majorité avaient déjà déposé au printemps dernier, à l'initiative de Christian Estrosi, une proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive, mais celle-ci avait été injustement accusée d'automatiser les peines d'emprisonnement pour les récidivistes, alors que le juge restait libre de ne pas ordonner une telle peine lorsque le prévenu présentait des garanties d'insertion.

Ce dispositif ne remet pas en cause le principe fondamental d'individualisation des peines, sauf à considérer qu'obliger un magistrat à motiver ses décisions porte atteinte à sa liberté d'appréciation.

A ce débat réducteur sur l'automaticité de la peine, je préfère celui sur la « certitude » de la peine et de son exécution, et c'est dans cet esprit que la mission présidée par Pascal Clément et dont j'étais le rapporteur, a, après trois mois de travaux et 25 auditions, rendu ses conclusions le 7 juillet dernier, et proposé 20 mesures pour durcir la sanction des récidivistes et mieux prévenir la récidive.

Même si certaines mesures, comme la modernisation du casier judiciaire ou le renforcement des moyens dédiés à l'application des peines, ne relèvent pas de la loi, elles sont essentielles, et nous espérons que les mesures règlementaires, administratives et financières seront prises dans les meilleurs délais.

Le dispositif législatif que nous vous proposons ce matin est la fidèle traduction des conclusions de la mission, adoptées à l'unanimité, l'opposition ayant choisi une abstention « constructive », pour reprendre les propos de Jérôme Lambert, dont je salue l'assiduité à nos travaux.

Afin de réprimer plus sévèrement les récidivistes et de lutter contre le développement des comportements violents, du proxénétisme et de la traite des êtres humains, nous proposons, par l'article premier, d'élargir la catégorie des délits assimilés au sens de la récidive. En effet, il n'y a aujourd'hui de récidive que lorsque le prévenu a commis à deux reprises la même infraction, ou deux infractions assimilées, comme le vol, l'escroquerie, ou l'extorsion de fonds. En revanche, des violences aggravées et un vol avec violence ne sont pas des délits assimilés. Nous vous proposons que tout délit de violence volontaire ou commis avec violence constitue une même infraction au sens de la récidive. De même, nous souhaitons que le proxénétisme et la traite des êtres humains soient assimilés.

Par ailleurs, il s'agit de limiter le nombre de sursis avec mise à l'épreuve - SME. Les multi-récidivistes cumulent en effet aujourd'hui les SME, sans que les services pénitentiaires d'insertion soient capables d'assurer un véritable suivi. La sanction pénale en sort décrédibilisée, ce qui renforce le sentiment d'impunité. Aussi ce dispositif tend-il à limiter à deux le nombre de condamnations assorties d'un SME pouvant être prononcées à l'encontre d'un récidiviste, mais pour renforcer encore la portée de cette mesure, je souhaite que soit adopté l'amendement de M. Estrosi, voté ce matin en commission, et qui n'autoriserait qu'un seul SME.

M. Guy Geoffroy - Très bien !

M. le Rapporteur - Concrètement, le récidiviste, au-delà de ces SME, sera forcément condamné à une peine ferme.

Grâce à une définition de la réitération à droit constant, à la possibilité pour le tribunal correctionnel de relever d'office la récidive sans l'accord du prévenu, à l'incarcération dès le prononcé de la peine des récidivistes en matière de délinquance sexuelle ou pour des faits de violence volontaire, ce dispositif permettra de mieux lutter contre la récidive.

S'agissant de la prévention, il convient d'améliorer le suivi des condamnés les plus dangereux. Aussi est-il proposé de permettre à la juridiction de prononcer « à titre de mesure de sûreté » le placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement pour un crime ou un délit sexuel.

L'évaluation de la dangerosité, sous la responsabilité du juge d'application des peines, doit débuter au moins deux ans avant la levée d'écrou et mener, le cas échéant, à la saisine du tribunal de l'application des peines aux fins de placement sous surveillance électronique mobile, après avis d'une commission des mesures de sûreté.

Nos prisons comptent de plus en plus de délinquants sexuels, depuis ces dix dernières années, et il est indispensable de ne pas exclure de ce dispositif tous ceux dont la peine sera devenue définitive au moment de la publication de la loi ; aussi le texte de la commission autorise-t-il le juge de l'application des peines à saisir le tribunal de l'application des peines par une ordonnance spécialement motivée, afin de recourir à cette mesure.

Certains prétendent que ce dispositif, qui a pourtant fait ses preuves ailleurs, comme en Floride, porterait atteinte aux libertés et serait contraire à l'objectif de réinsertion, mais c'est oublier les garanties qui l'entourent et la pression psychologique qui devrait favoriser la réinsertion du détenu.

Audacieux, ce texte équilibré devrait répondre à nos attentes. Nous ferons œuvre utile en l'adoptant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Lorsqu'une personne ayant précédemment fait l'objet d'une condamnation définitive commet une nouvelle infraction, on peut considérer que l'intervention de l'autorité judiciaire a failli. Toute récidive conduit naturellement à s'interroger sur l'efficacité de notre justice pénale. Certes, la majorité des personnes condamnées ne récidivent jamais et la nature même de la récidive est hautement variable, selon qu'il s'agit d'un conducteur dangereux incapable d'adopter un comportement plus civique ou d'un assassin violeur répétant son crime. Toujours préoccupante, la récidive est parfois insupportable.

Nous disposons traditionnellement de deux voies pour lutter contre la récidive : l'aggravation des sanctions encourues, afin de dissuader le réitérant ou le récidiviste ; la prévention par un accompagnement ou une surveillance adaptés.

S'agissant de l'aggravation de la répression, la loi prévoit déjà pour les récidivistes un doublement des peines encourues et un régime d'exécution de la peine plus sévère et elle interdit de prononcer un sursis simple, même pour un réitérant n'entrant pas dans le champ de la récidive légale.

En ce qui concerne la prévention de la récidive, nombre d'évolutions récentes sont venues aménager le régime juridique applicable, qu'il s'agisse du suivi socio-judiciaire - renforcé par la loi du 17 juin 1998 - ou du fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, institué par la loi du 9 mars 2004 et devant entrer en vigueur en juin prochain, après que le décret d'application afférent aura été définitivement validé par la CNIL. L'objectif de ce nouvel outil est extrêmement simple : il s'agit de connaître l'adresse des anciens détenus après leur libération.

C'est à l'initiative de votre collègue Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la loi de mars dernier, que la lutte contre la récidive a été consacrée comme l'un des principes directeurs de la bonne application de la peine prononcée. A ce titre, une attention particulière est portée à la prévention des « sorties sèches » d'incarcération, sans accompagnement adapté, car leur caractère criminogène est clairement établi.

Elaborée au vu des conclusions de votre mission d'information - telles que décrites dans le rapport Clément-Léonard - , la présente proposition de loi dresse un constat précis et exact de la situation actuelle, pas si satisfaisante que l'on pourrait l'espérer. Les études disponibles montrent que plus de 30 % des personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive récidivent. Face à cette situation préoccupante, votre mission - que je remercie vivement pour l'excellence de ses travaux - a formulé vingt propositions, dont certaines, reprises dans le présent texte, tendent à modifier le code pénal et le code de procédure pénale. S'agissant des propositions relevant du domaine réglementaire, et par conséquent de ma responsabilité directe, je m'engage à en tirer toutes les conséquences...

M. le Rapporteur - Très bien !

M. le Garde des Sceaux - J'ai signé la semaine dernière le décret d'application de la loi de mars dernier concernant l'application des peines. Il tend notamment à conforter le rôle des services pénitentiaires d'insertion et de probation, à encadrer le régime des permissions de sortie accordées aux récidivistes et à préciser le dispositif d'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive du détenu en voie de libération.

S'agissant des dispositions applicables aux personnes déclarées pénalement irresponsables, un groupe de travail interministériel santé-justice, présidé par M. Burgelin, est à l'œuvre en ce moment et j'ai constitué à la Chancellerie un groupe d'étude, chargé de rendre des propositions pour améliorer le suivi socio-judiciaire.

J'en viens au contenu de la proposition de loi. Ses conditions d'élaboration montrent toute l'importance reconnue à l'initiative parlementaire dans nos institutions, puisque ce texte procède d'une mission d'information elle-même suscitée par des députés.

La première série de dispositions de votre propositions tend à rationaliser les régimes applicables respectivement aux situations de réitération et de récidive. Il est essentiel que les tribunaux puissent eux-mêmes relever le caractère de récidive, et que, pour les infractions violentes, le placement en détention préventive soit la règle de droit commun. Il est également opportun de préciser la notion de réitération - en la distinguant de la récidive légale - et les conséquences juridiques qu'elle emporte. La proposition de loi cerne plusieurs notions essentielles, précise les situations d'infractions en concours, de réitération et de récidive et les régimes de peines afférents, en prévoyant ou non la possibilité de les cumuler, de les confondre ou de les aggraver.

Les infractions sont en concours lorsqu'une personne n'a pas été déjà condamnée pour l'une d'entre elles avant d'en commettre une nouvelle. Dans ce cas, la loi dispose que les peines se cumulent sans pouvoir dépasser le maximum prévu pour l'infraction la plus grave et qu'elles peuvent se confondre.

Les infractions sont commises en réitération lorsqu'une personne a déjà été condamnée définitivement au moment où elle commet une nouvelle infraction, sans pour autant être en récidive - la nouvelle infraction, différente de la première, ne pouvant y être assimilée au sens de la loi. Dans ce cas, il est légitime que la loi soit plus sévère et dispose que les peines prononcées se cumulent sans limitation, alors que leur confusion est impossible.

Enfin, les infractions sont commises en récidive lorsqu'une personne déjà définitivement condamnée commet, dans un certain délai, une infraction identique ou de même nature. Dans ce cas, non seulement les peines prononcées pour la seconde infraction se cumulent avec la précédente et ne peuvent être confondues, mais, surtout, les peines encourues sont doublées.

Il me semble normal de limiter à deux le nombre de sursis mise à l'épreuve pouvant être prononcés à l'encontre d'une même personne. L'accumulation de SME pesant sur un même individu, récidiviste ou multirécidiviste, ôte tout contenu à la notion même de mise à l'épreuve. La règle « sursis sur sursis ne vaut » doit trouver à s'appliquer.

Dans le même esprit, il est légitime que la proposition intègre une modification de l'article 144 du code de procédure pénale en ordonnant la détention provisoire - ou sa prolongation - pour empêcher une pression sur les familles des témoins et victimes. Une telle évolution est hélas rendue nécessaire par l'expérience de situations vécues.

La deuxième série de dispositions du texte traite du placement sous surveillance électronique mobile. Réservé aux infractions les plus graves et devant être spécialement prononcé par les juridictions, ce placement, qui constitue une forme d'extension du placement sous surveillance électronique institué par la loi du 19 décembre 1997, paraît sans doute répondre à un besoin. II s 'agit toutefois là de dispositions complexes, dont le contenu pourrait certainement être amélioré au cours des navettes afin de renforcer à la fois la cohérence juridique et l'efficacité du dispositif.

Enfin, la troisième série de dispositions concernent le suivi socio-judiciaire et les irresponsables pénaux. L'amélioration des dispositions sur le suivi socio-judiciaire, notamment en permettant à des psychologues de participer au traitement des condamnés, répond à une nécessité pratique incontestable. Il est en effet indispensable de renforcer le recours à cette mesure, encore insuffisamment mise en œuvre, alors qu'elle constitue un outil essentiel pour lutter contre la récidive des criminels et des délinquants sexuels. Une expérimentation est en cours, à ma demande, pour évaluer les effets des traitements inhibiteurs. Il est vraisemblable que d'autres améliorations législatives des textes actuels pourront intervenir en ce domaine.

S'agissant enfin des personnes déclarées pénalement irresponsables en raison d'un trouble mental alors qu'elles ont commis un crime ou un délit, leur inscription dans un fichier paraît également répondre à une nécessité. Faut-il que cette inscription soit faite dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles comme le prévoit la proposition de loi ? Il s'agit, là encore, d'un point qui pourra être approfondi au cours des navettes.

Mesdames et messieurs les députés, cette proposition de loi procède d'une intention éminemment louable et je vous en remercie. Examinons-la à présent article par article, sans perdre de vue l'objectif : doter notre pays d'un code pénal toujours plus efficace et humain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jérôme Lambert - Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'une réflexion engagée de longue date, qui avait notamment débouché sur un avant-projet de loi - concocté au ministère de l'intérieur -, dont la mesure phare était l'instauration de peines planchers pour les récidivistes. A l'évidence, pour les partisans d'une telle évolution de notre droit, seule la sanction peut juguler la progression de la délinquance, bien que la réalité pénale prouve qu'aucune corrélation ne peut être établie entre l'aggravation des sanctions et le taux de commission d'actes délictueux. Il suffit pour le prouver d'examiner la situation aux Etats-Unis, où le taux d'incarcération est dix fois plus élevé qu'en France. Si nous avions la même politique pénale, nous compterions 600 000 détenus. Or, le taux de délinquance aux Etats-Unis est également dix fois plus élevé qu'en France.

Malgré des oppositions fortes au sein du Gouvernement, qui ont abouti au retrait du projet initial, ce texte a connu plusieurs avatars. Notre collègue Estrosi a déposé une proposition tendant à créer une peine plancher, qui a été signée par 150 députés. Pour contrer cette initiative, a été constituée une mission d'information parlementaire sur la lutte contre la récidive, dont le rapport a été publié cet été. Le texte que nous examinons serait dans le prolongement de ce rapport, ses dispositions devant nous apporter une alternative à la peine plancher. Je me permets d'en douter. Pour avoir participé aux travaux de la mission d'information, je sais que la majorité continue de jouer la même musique : elle recherche la facilité en termes de communication, en reprenant des idées dans l'air du temps qui ne résistent pas à l'examen et qui sont contraires à plusieurs droits fondamentaux. Pourtant, la mission d'information avait jugé contestable ce type de posture. Ce texte décevant ne repose que sur la peur du juge. Il témoigne d'un retour à la confiance immodérée en la peine de prison.

Or, 31 % des anciens détenus récidivent et 32 % des sanctions restent inappliquées, alors que le nombre des peines d'emprisonnement ne cesse d'augmenter, atteignant un des plus hauts niveaux d'Europe. Les travaux de la mission l'ont montré, l'arsenal juridique existe. Le problème tient à l'exécution des peines, c'est-à-dire aux moyens de la justice. Appliquer les dispositions existantes, comme le suivi socio-judiciaire ou le sursis avec mise à l'épreuve mis en place par Elisabeth Guigou, vaut mieux que la surenchère législative. N'avons-nous pas l'habitude de dire, à la commission des lois en particulier, que dans notre pays on fait trop de lois, au lieu d'appliquer celles qui existent déjà ?

Au lieu de cela, cette proposition annonce toujours plus d'enfermement, la prison n'étant plus conçue comme un lieu de peine et de réinsertion, mais de relégation.

Posons-nous plutôt les questions soulevées par la mission d'information : celle de la population carcérale qui cumule les difficultés, sociales, psychiques, éducatives ; celle du traitement de la dangerosité, par des soins psychiatriques appropriés, qui sont très largement insuffisants. Rappelons-nous à quel point il est pénible d'évoquer l'état des prisons de la République, surchargées. Des missions de plus en plus lourdes sont confiées à des services d'insertion et de probation faméliques, dont chacun reconnaît le rôle en matière de réinsertion.

Cette proposition, malgré diverses retouches, n'apporte que des recettes contestables au lieu de s'inspirer des auditions de la mission d'information.

Décevant, le texte que nous examinons est superficiel et manque de crédibilité.

Inefficace, il prête également le flan à la censure constitutionnelle ; nombreuses sont les brèches dans nos principes fondateurs et je ne doute pas que le Conseil constitutionnel ne soit obligé de le censurer, de le rectifier, de le préciser au moyen de réserves car, fidèle à sa jurisprudence, il considèrera que la fin ne justifie pas n'importe quels moyens.

Personne n'a nié qu'il fallait traiter le problème de la récidive, mais personne n'a le droit de prétendre qu'il est simple. Vous n'aviez pas le droit à la légèreté.

Le premier grief d'inconstitutionnalité tient largement au caractère superficiel, et donc dangereux, du texte proposé et des nouvelles notions qu'il tend à introduire dans le code pénal et le code de procédure pénale. Il ne respecte pas le principe de la légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, qui impose au législateur de rédiger des textes clairs et précis afin de permettre au juge de remplir sa mission sans risquer l'arbitraire. Sont floues les notions de récidive élargie ou de réitération. Qu'est-ce en effet qu'une « récidive » quand on met sur le même plan des atteintes aux biens aggravées par n'importe quelle atteinte à la personne et des atteintes à la personne qui ne sont prises en compte qu'à partir d'une certaine gravité ? Qu'est-ce qu'une réitération, sinon la prise en compte de toutes les infractions, délits ou crimes, quelle qu'en soit la gravité, dès lors que leur auteur a déjà encouru une condamnation ? Compte tenu des effets qui sont attachés à ces constatations - le cumul des peines prononcées dans le premier cas et le doublement de la peine encourue dans le second -, on est en droit d'exiger une plus grande rigueur de la part du législateur.

Je ne dis pas que la question ne méritait pas d'être posée, je dis qu'elle l'est si mal qu'elle ne peut pas recevoir de réponse convenable.

Floue encore, la nature juridique du fameux bracelet électronique mobile. Parce que l'utilisation du bracelet a été présentée aux victimes d'atteintes sexuelles comme une solution, et parce que je pense indigne de vouloir les payer de mots, je dirai ceci : pour le moment, le système de bracelet mobile n'existe pas et les bracelets classiques créés en 1997 n'ont été mis en place qu'en très petit nombre. Une étude sérieuse sur le coût et les conséquences de l'utilisation de ce bracelet de nouvelle génération n'existe pas.

S'il est mis en œuvre, le bracelet ne sera utile que dans un très petit nombre de cas. En effet, contrairement au suivi socio-judiciaire validé par le Conseil constitutionnel en raison de son utilité, le bracelet ne soigne ni ne corrige. Laisser supposer le contraire relève de l'intoxication.

Vous vous apprêtez à adopter une disposition dont la nature est difficile à cerner. On ignore s'il s'agit d'une mesure de sûreté juridictionnelle, comme le fait supposer le titre même de la sous-section 2, ou d'une peine après la peine, imposée à une personne qui a payé sa dette à la société, y compris par le respect d'un suivi socio-judiciaire. La proposition indique qu'il appartiendra à la juridiction de condamnation de prévoir, en même temps que la condamnation, le placement ultérieur - peut-être vingt ans plus tard - sous bracelet mobile. La personne ainsi « condamnée » n'aura que de très faibles chances d'obtenir la révision de la sentence ou sa personnalisation.

En l'état la disposition met à mal un principe élémentaire de la Déclaration des droits de l'Homme, celle de la nécessité des peines.

Comme le bracelet mobile n'est pas réservé aux délinquants les plus dangereux, la question de la proportionnalité de la peine se pose immanquablement.

Ce texte n'est pas seulement conçu à la hâte, il peut remettre en cause des libertés fondamentales et des principes à valeur constitutionnelle, sur lesquelles nous ne devons pas transiger, comme l'égalité devant la loi et le refus des discriminations injustifiées.

L'allongement de la liste des « délits assimilés » permettant de faire jouer la récidive finit par aboutir à des situations absurdes. Ainsi, le vol avec violences simples, s'il suit des violences aggravées, serait puni de dix ans ; en revanche, des violences aggravées suivant un vol avec violences simples seraient puni de six ans de détention. Deux infractions de même nature auraient donc des conséquences différentes suivant l'ordre dans lequel elles auraient été commises.

Le principe de la nécessité et de la proportionnalité de la peine interdit au législateur d'édicter des sanctions disproportionnées. Or, la « réitération », inspirée du droit anglo-saxon, permet au juge de prononcer des peines exorbitantes au regard de la gravité de chaque infraction, dès lors que le prévenu a déjà été condamné une fois. Ainsi, dix vols simples venant après une autre condamnation pourraient être sanctionnés par trente ans, si le maximum des peines est à chaque fois prononcé. En tout état de cause, la peine prononcée pourrait être de plus de six ans, ce qui est la peine encourue si la récidive était retenue. Cette disposition est contraire à l'échelle des peines.

La non-rétroactivité des lois pénales plus sévères trouve sa source dans l'article 8 de la Déclaration de 1789. Personne ne s'étonnera que j'évoque de nouveau le casse-tête juridique du bracelet électronique. Il ne s'agit plus, cette fois, de l'article 7 qui prévoit une sorte de validation a priori par le juge, mais des dispositions de l'article 14. Celui-ci ne prévoit rien moins que le placement sous bracelet électronique, par décision du tribunal de l'application des peines, des personnes qui aurait été déjà condamnées.

On comprend l'intention. Si la mesure est bonne pour les délinquants condamnés après la promulgation de la loi, elle devrait l'être aussi pour les délinquants condamnés avant celle-ci et encore emprisonnés, parfois sur le fondement de l'ancien code pénal.

Mais comment expliquer la compétence du tribunal de l'application des peines, qui ne peut s'appuyer sur aucune décision de fond ? Comment admettre aussi que les personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi soit traitées différemment de celles qui le seront sur le fondement de cette même loi ? Les premières ne bénéficieront pas de l'intervention des juges du fond. Cette disposition est à l'évidence anticonstitutionnelle, d'autant que le Conseil a une interprétation très large de ce principe majeur : il l'applique à toutes les sanctions ayant la portée d'une punition, y compris aux mesures de sûreté. Sur ce point, la censure est inévitable.

Le droit au recours et la présomption d'innocence ont été clairement énoncés dans la décision du Conseil sur la loi « sécurité et liberté ».

Ce droit au recours risque en fait de disparaître, si vous renversez le principe selon lequel le mandat de dépôt est la règle et la liberté l'exception, quel que soit le quantum de la peine ferme prononcée à l'égard d'un récidiviste. Si celle-ci est courte, en l'absence d'une décision spécialement motivée et en conséquence susceptible d'appel, la peine sera forcément effectuée. C'est pour le moins cavalier, car l'appelant est toujours présumé innocent.

Une autre atteinte, plus grave encore : la possibilité donnée au juge de relever la récidive à l'audience, sans que le prévenu ait la possibilité de préparer sa défense de façon équitable.

Le principe de l'individualisation de la peine n'est pas inscrit dans le marbre de la Déclaration de 1789 ni, explicitement, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Néanmoins, il est acquis qu'on ne saurait retirer au juge tout pouvoir d'individualisation de la peine. Une valeur constitutionnelle est reconnue à ce principe par le Conseil qui, dans sa décision du 2 mars 2004 relative à la loi tendant à adapter la justice aux évolutions de la criminalité, a tenu à exprimer des réserves. Il n'a validé la procédure du plaider-coupable que sous réserve d'une homologation par le juge, qui pourra la refuser « s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ».

La valeur de ce principe étant établie, examinons les atteintes qui lui sont portées. Rendre obligatoire l'incarcération des récidivistes, sauf si le juge justifie le contraire, est la manifestation supplémentaire d'une méfiance non justifiée à l'égard du juge, généralement très sévère dans le cas de figure visé, mais qui doit rester libre d'apprécier si l'incarcération est de bonne méthode eu égard à la personnalité du condamné.

Par ailleurs, vous réduisez le crédit de réduction de peine dont pourraient bénéficier les récidivistes, alors que ceux-ci sont déjà sanctionnés de façon particulière, puisqu'ils encourent une peine double.

Plus grave : vous limitez à deux les sursis avec mise à l'épreuve, ce qui aura pour effet l'enfermement automatique, sans donner au juge la possibilité de prendre en compte des circonstances particulières.

Enfin, aucune des dispositions de la proposition de loi n'est compatible avec le primat de l'éducatif sur la sanction. Imagine-t-on les conséquences pour un mineur du cumul automatique des peines ? L'oubli de cette spécificité du droit des mineurs n'est pas conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui ne manquera pas de le rappeler.

Je pense donc que plusieurs dispositions de cette proposition de loi seront censurées par le Conseil constitutionnel. Je crois aussi que ce texte décevra bon nombre de nos concitoyens, qui souhaitent à juste titre que des solutions soient trouvées au problème de la récidive. Cela supposerait notamment de réfléchir aux conditions dans lesquelles s'opère la réinsertion - sociale et médicale - des détenus. Malheureusement, nous ne trouvons pas les réponses attendues dans cette proposition de loi au caractère quelque peu opportuniste et démagogique. Il ne reste plus qu'à espérer soit que cette exception d'irrecevabilité soit adoptée, soit que des amendements puissent corriger les aspects les plus contestables du texte.

Je souhaite que nous retrouvions l'esprit qui a animé la mission présidée par Pascal Clément. Ne nous laissons pas entraîner par des idéologues, alors que nous devons d'abord faire œuvre de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - J'ai tout à l'heure adressé à M. Lambert des compliments sur son assiduité au sein de la mission d'information et sur la façon dont il a contribué au caractère consensuel de celle-ci, mais je suis maintenant un peu déçu et j'ai le sentiment d'assister à un dédoublement de la personnalité, car voici que notre collègue socialiste brûle ce qu'il avait sinon adoré, du moins soutenu. J'avais en effet cru comprendre que l'ensemble des membres de la mission adhéraient aux vingt conclusions que celle-ci a adoptées à l'unanimité, avec l'abstention « constructive » de l'opposition. Or, la proposition de loi est, je le maintiens, la traduction fidèle desdites conclusions. M. Lambert nous fait donc un faux procès. Mais sans doute est-ce l'exercice de l'exception d'irrecevabilité qui veut cela.

Un dernier mot sur les sursis avec mise à l'épreuve : nous savons que lorsqu'ils sont prononcés à répétition, ils créent un sentiment d'impunité et constituent une des causes essentielles de la récidive. Nous étions unanimes à vouloir mettre un terme à cette dérive. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Très bien !

M. Xavier de Roux - Nous sommes confrontés à un vrai problème, la récidive, sur lequel a été mené un travail sérieux, celui de la mission d'information, pour tenter de trouver des solutions. Ce travail a abouti à des propositions simples. Il s'agit tout d'abord de mettre un terme à la dérive des SME à répétition, qui créent, comme vient de le dire M. Léonard, un sentiment d'impunité. Il y a ensuite l'innovation que représente la définition de la réitération et la mesure de sûreté que constitue le bracelet électronique.

La proposition de loi respecte parfaitement le principe de la légalité des peines comme celui de l'individualisation des peines. Nous disons simplement au juge qu'il ne peut pas prononcer pour la troisième fois un sursis avec mise à l'épreuve. Cette limitation rejoint d'ailleurs la pratique la plus courante.

C'est bien, Monsieur Lambert, d'être conservateur, mais en vous écoutant, j'avais vraiment l'impression d'entendre un vieux cours de droit des années 1960. Ne rejetez pas ainsi l'innovation !

Quant à la possibilité donnée au juge d'ordonner, à titre de mesure de sûreté, le port du bracelet électronique, elle me paraît répondre à la nécessité de contrôler des délinquants dont l'expérience montre, hélas, qu'ils gardent un caractère très dangereux.

Nous avons là un texte équilibré et adapté à son objet, qui est de lutter contre le fléau de la récidive. J'invite donc l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Lambert - J'ai plusieurs fois demandé quel était le nombre de délinquants concernés par des SME prononcés plusieurs fois et je n'ai pas eu de réponse. Pour ma part, je ne crois pas qu'ils expliquent le sentiment d'impunité dont il a été question.

M. Guy Geoffroy - Regardez la réalité en face !

M. Jérôme Lambert - On nous dit qu'il s'agit de propositions simples. Je dirais plutôt simplistes, car elles se limitent à prévoir des peines plus sévères et un recours plus systématique à l'enfermement, alors qu'il était clairement apparu au cours de la mission d'information que des problèmes se posaient aussi à l'intérieur même des prisons et qu'une des causes de la récidive se trouve dans la non réinsertion des ex-détenus. Je ne retrouve rien de ces préoccupations dans la présente proposition. C'est pourquoi je souhaite que l'Assemblée adopte notre exception d'irrecevabilité.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Pascal Clément - Je tiens d'abord à rendre hommage aux succès de la lutte contre l'insécurité qu'ont menée depuis plus de trois ans, sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin et Dominique Perben. En trois ans, le nombre de crimes et délits a baissé de 12,56 %. La loi pour la sécurité intérieure et celle portant adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la criminalité ont donné aux policiers, aux gendarmes et aux magistrats les outils pour lutter contre la délinquance.

La tâche que nous ont confiée les Français n'est pas achevée. Grâce à une politique volontariste, nous réussissons à dissuader un certain nombre de délinquants de passer à l'acte, car ils savent qu'ils seront identifiés et condamnés. Mais certains délinquants défient la justice en renouvelant crimes ou délits. Ces multirécidivistes sont insupportables aux Français, car leurs actes fragilisent le lien social. On craint pour ses enfants à l'école, dans la rue ; on craint de se faire cambrioler, de se faire voler sa voiture, son téléphone portable.

Mais ce qui choque le plus, c'est la récidive des délinquants les plus dangereux, ces prédateurs sexuels qu'une première sanction ne calme pas. On nous dit que ces crimes commis en récidive sont relativement peu nombreux et qu'il est inutile, voire dangereux, de légiférer pour eux. Faut-il attendre que les taux remontent pour tenter de mettre fin à ce phénomène ? Est-ce ça la réponse que nous donnerons aux quelques centaines de personnes dont la vie est brisée à cause d'un récidiviste criminel sexuel ? Va-t-on dire à ces victimes qu'elles sont statistiquement marginales ?

Ce n'est pas sur ce chemin que se sont engagés les députés UMP. Nicolas Sarkozy a, le premier, posé la question de la lutte contre la récidive. Il a ainsi permis que s'engage entre nous un débat, auquel Christian Estrosi a beaucoup apporté.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis est le fruit de cette réflexion menée par les députés de la mission d'information relative au traitement de la lutte contre la récidive. Nous avons entendu tous les acteurs de la chaîne pénale, ce qui nous a permis de comprendre les difficultés rencontrées par les praticiens du droit dans la lutte contre la récidive.

Grâce à ce travail approfondi, nous avons réussi à éviter un double écueil : d'un côté le tout laxisme, de l'autre l'automaticité des peines.

S'agissant du tout laxisme, il nous suffit de regarder le bilan du gouvernement socialiste en matière de lutte contre l'insécurité pour comprendre que ce n'est pas la solution. On nous a répété que l'insécurité était un sentiment, pas une réalité. Les statistiques désastreuses qu'a trouvées Nicolas Sarkozy en arrivant au ministère de l'intérieur ont prouvé le contraire. On a tenté de nous faire croire que la délinquance, c'est d'abord la faute de la société. Diluer la responsabilité, c'est bien pratique, cela évite d'avoir à se retrousser les manches pour identifier les délinquants et les condamner !

Pour les ministres de l'intérieur et de la justice du gouvernement Jospin, les délinquants n'étaient pas vraiment responsables de leurs actes : la faute première était imputable au chômage et à la pauvreté ! Je ne m'attarderai pas sur les résultats de cette politique que je me bornerai à qualifier de très « naïve »...

Le deuxième écueil que nous avons évité est celui de l'automaticité des peines. Notre travail nous a confirmé qu'une justice automatique est une justice aveugle, qui frappe tout le monde avec la même violence. Or, on ne lutte pas contre la délinquance en commettant des injustices.

Au total, cette proposition est équilibrée et réaliste. Pour permettre à nos concitoyens de vivre dans une société apaisée, nous nous y sommes fixé deux objectifs : tout d'abord, en matière de délinquance sexuelle et violente, si la première condamnation doit être sévère, la deuxième doit être implacable ; en second lieu, il faut prévenir la récidive des délinquants sexuels les plus dangereux.

S'agissant du premier point, il faut commencer par convaincre nos compatriotes que leur justice est sévère. Entre 2002 et 2003, le nombre de condamnations prononcées par les cours d'assises a augmenté de 8 % et celui des condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels de 5 %. Les cours d'assises ont jugé plus de 4 000 personnes, soit un niveau jamais atteint. En un an, le nombre des peines d'emprisonnement ferme est passé de 94 948 à 101 639, d'où une augmentation de 7 % de la population carcérale.

L'étude des statistiques de la Chancellerie prouve aussi que les magistrats prennent en compte l'état de récidive : l'emprisonnement ferme est appliqué à 39 % des récidivistes, mais seulement à 10 % des primo-délinquants.

En 2003, près de 23 % des détenus l'étaient à la suite d'une condamnation pour viol ou agression sexuelle, contre 14 % en 1996, et ce type de délinquance constitue la première cause de détention. D'autre part, près de 16 % des détenus le sont pour violences volontaires, contre 6 % en 1996. Pour combattre ces atteintes aux personnes, nous proposons que, lorsqu'une personne en état de récidive pour ces faits sera condamnée à une peine d'emprisonnement ferme, elle soit immédiatement incarcérée. Nous demandons en outre que l'aggravation des peines pour récidive soit appliquée à toute personne condamnée une seconde fois pour des faits de violence ou commis avec la circonstance de violence. Nous entendons également limiter à deux le nombre des sursis avec mise à l'épreuve dont pourront bénéficier les multidélinquants et, en vertu d'un amendement de M. Estrosi, à un seul dans le cas des récidivistes sexuels et violents. Enfin, les réductions de peine seront limitées pour les récidivistes.

L'exemple d'une réponse ferme et rapide dissuade un grand nombre de candidats délinquants de passer à l'acte mais, pour d'autres délinquants, et notamment les plus dangereux des criminels sexuels, il nous faut innover en organisant un suivi très contraignant à l'issue de leur peine. D'où notre proposition de leur imposer la surveillance électronique mobile.

Ce n'est pas parce qu'on a purgé sa peine qu'on n'est plus dangereux et, contrairement à une idée trop répandue, les délinquants sexuels ne relèvent pas tous des seuls soins psychiatriques : de l'avis des experts, ils ont parfaitement conscience de l'illégalité des actes qu'ils commettent. C'est donc aux plus dangereux d'entre eux que nous destinons cette mesure de police. Pratiquée aux Etats-Unis et à Manchester, la surveillance électronique mobile est une innovation dans notre droit. Aux belles âmes, que l'idée émeut, je me bornerai à opposer un seul exemple des cas auxquels elle s'appliquera : en 2003, un homme condamné à 13 ans d'emprisonnement pour agression sexuelle sous la menace d'une arme en état de récidive, arrivé au terme de sa peine, repoussa toute aide à la réinsertion et tout traitement médical. Les personnels pénitentiaires craignant une nouvelle récidive, le procureur de la République fut alerté, mais ne put rien faire. Quelques semaines après être sorti de prison, cet individu commettait un nouveau viol...

Selon les psychiatres, la surveillance électronique mobile induit une pression psychologique telle qu'elle dissuadera la plupart de ces délinquants de récidiver : la certitude d'être repris et recondamné sera plus forte que la tentation. Grâce à l'émetteur fixé à la cheville de l'intéressé et au GPS, on peut en effet connaître en permanence la position de l'intéressé, à deux mètres près. Si l'individu cherche à enlever son bracelet ou s'il s'approche d'un endroit qui lui est interdit, une alarme se déclenchera dans un centre de surveillance.

Pour autant, cette surveillance électronique ne fera pas obstacle à la réinsertion : elle permet au condamné de travailler, de reprendre une vie normale, ce qui est encore le meilleur moyen qu'on ait trouvé pour lutter contre la récidive.

Le tribunal de l'application des peines devra consulter l'administration pénitentiaire, des psychiatres, des psychologues, des médecins et la décision interviendra après un débat contradictoire, au cours duquel l'intéressé pourra être assisté de son avocat. Le cas échéant, il pourra faire appel. Les droits de la défense sont donc totalement respectés.

Le volontarisme a fait ses preuves dans d'autres domaines, en particulier pour la lutte contre l'insécurité routière. Comme l'a souhaité le Président de la République le 8 novembre dernier, donnons-nous donc les moyens d'empêcher la récidive - donnons-nous les moyens de réussir sur ce point aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Hunault - Traduction législative des propositions de la mission d'information, cette proposition de loi doit être appréciée au regard de la situation spécifique de notre pays. Alors que 4 millions de crimes et délits y sont commis chaque année, la justice n'est en état d'en juger que 550 000 et, sur les 100 000 peines de prison prononcées, un tiers ne sont jamais exécutées ! Ne vaudrait-il pas mieux, dans ces conditions, chercher à améliorer le système existant plutôt que d'encore et toujours légiférer ? L'inflation de textes adoptés souvent sous le coup de l'émotion est source d'insécurité juridique : elle rend en effet plus difficile la tâche des magistrats, sans cesse confrontés au risque d'une nullité de procédure. Elle retentit également sur l'ensemble de la chaîne pénale, concourant notamment à l'aggravation de la surpopulation dans les prisons. Le manque de moyens consacrés au suivi socio-judiciaire et à la réhabilitation des prisonniers est criant. Autant d'autres sujets qu'il faudrait traiter...

Contrôler l'application effective de la peine de telle sorte que tout condamné ait la certitude que celle-ci sera exécutée serait déjà un premier pas vers une sévérité légitime, et non de circonstance.

Il nous faut aussi réfléchir au sens de l'incarcération - la prison est un des principaux facteurs criminogènes - et du suivi du délinquant. Il est vrai que les choses sont particulièrement délicates pour ce qui est de la délinquance sexuelle, mais il faut tout de même rappeler que la loi du 17 juin 1998 a expressément prévu ce suivi pour eux.

La proposition, dans sa première partie, vise à renforcer les sanctions à l'encontre des récidivistes, élargissant le champ des délits concernés, définissant la réitération, limitant le nombre des sursis avec mise à l'épreuve et prévoyant l'incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents. Ces dispositions vont dans le bon sens, mais, pour les récidivistes les plus dangereux, il conviendrait que les réductions de peine, les libérations conditionnelles et la semi-liberté ne soient octroyées qu'après un examen de la dangerosité du condamné, et en aucun cas de façon automatique.

La deuxième partie du texte vise à mieux prévenir la récidive grâce à une généralisation du placement sous surveillance électronique et à l'inscription des irresponsables pénaux au fichier des auteurs d'infractions sexuelles.

Ces mesures soulèvent quelques questions. S'agissant du bracelet électronique, pourquoi le vaste débat souhaité par la mission d'information n'a-t-il pas eu lieu ? Nous n'avons pas eu non plus d'étude d'impact... Par ailleurs, le bracelet ne saurait remplacer un traitement. Enfin, comment peut-on envisager de le faire porter pendant trente ans ? Déjà utilisé comme une mesure d'exécution de la peine, ce port imposé à un condamné ayant purgé sa peine n'aboutit-il pas à une double peine ? J'ai, pour ma part, déposé un amendement au terme duquel cette surveillance électronique doit prendre place dans le cadre d'un aménagement de peine, afin de favoriser la réinsertion.

Ce texte suscite aussi de notre part quelques réflexions et propositions - dont certaines ont d'ailleurs déjà reçu réponse dans votre propos introductif, Monsieur le Garde des Sceaux.

S'agissant de l'individualisation des peines et du suivi des prisonniers, nous aimerions des précisions sur le calendrier. La vacance de 3 000 postes de psychiatres est révélatrice de l'abandon où ce secteur est laissé : des criminels ont ainsi été relâchés sans avoir fait l'objet d'aucun traitement et sans que leur dangerosité ait été évaluée ! C'est pourquoi j'insiste pour que les remises de peine et les libérations conditionnelles ne puissent être accordées qu'après une telle évaluation. Vous nous avez rassuré, Monsieur le Garde des Sceaux, en affirmant que vous aviez signé la semaine dernière un décret en ce sens. Il faut lutter contre les « sorties sèches » et redoubler de vigilance en la matière.

L'aggravation des sanctions et l'allongement des peines n'ont de sens qu'accompagnés d'une véritable politique de soins et de suivi, particulièrement en ce qui concerne les délinquants sexuels. De même, légiférer sur la prévention de la récidive implique une politique pénale globale. Augmenter les capacités d'accueil des prisons ne résoudra en rien le problème de la surpopulation carcérale mais en revanche, développer les alternatives à l'incarcération, comme le propose M. Warsmann, permettrait de concilier sanction et réinsertion.

Protéger la société, sanctionner le délinquant, le réinsérer en favorisant sa réhabilitation, autant de points majeurs qui devraient guider notre action. L'UDF réservera son vote selon les engagements que vous prendrez sur les moyens que vous accorderez au suivi socio-judiciaire, notamment s'agissant des délinquants sexuels, et sur l'évaluation de la dangerosité avant toute réduction de peine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Michel Vaxès - Ce texte serait donc le fruit des conclusions de la mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales. Or, le rapport proposait vingt mesures et vous n'en retenez que neuf qui, à l'exception de l'article 12, concernent la répression et le contrôle. J'entends bien l'argument selon lequel n'ont été retenues que des mesures relevant de la loi, mais peut-on en l'occurrence les dissocier des autres ? Peut-on traiter les questions liées à la récidive sans mettre en œuvre des mesures de prévention, de soins et d'accompagnement vers la réinsertion ? Vous auriez pu au moins vous engager à concrétiser les onze autres préconisations, mais il n'en a pas été question.

La proposition de la mission visant à offrir 20 % des postes à l'issue de l'Ecole normale de la magistrature au profit des juges d'application des peines est passée à la trappe. Même sentence pour les mesures qui tendaient à renforcer les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation, à conforter les moyens des associations de réinsertion et d'hébergement, à augmenter le nombre de médecins psychiatres en pourvoyant les postes vacants. Vous ignorez jusqu'aux conclusions du rapport de M. Warsmann sur les peines alternatives qui recommandait un recours accru aux sanctions non privatives de liberté et leur application effective.

Cette proposition confirme l'orientation exclusivement répressive de votre politique. Or, 65 % des détenus ont un niveau scolaire n'excédant pas celui correspondant à la fin des études primaires, 30 % d'entre eux ont des difficultés de lecture, 20 % sont illettrés, 65 % sont sans activité professionnelle, 15 % déclarent avoir un domicile précaire ou être sans abri , 40 % n'ont eu aucun contact avec le système de soins dans l'année qui a précédé leur incarcération, 33 % de ceux qui entrent en détention cumulent des consommations à risque et 27 % des mineurs déclarent avoir une consommation habituelle de drogue. Enfin, un détenu sur deux entrant en détention souffre de troubles de santé mentale. Et que proposez-vous ? Vous accordez une vertu préventive à l'emprisonnement et proposez une kyrielle de mesures qui aggravent et multiplient les peines de prison alors même que vous affirmez par ailleurs que la prison est désocialisante, criminogène, et qu'elle favorise la récidive. Quelle contradiction !

Mais comment pourrait-il en être autrement tant que vous n'admettrez pas que, pour l'essentiel, c'est votre système et les politiques déployées à son service qui nourrissent les graves déviances comportementales que nous déplorons tous ? Je refuse en effet de croire que la perversion est inscrite dans le génome humain quand elle est au contraire le produit d'une histoire dont la dimension personnelle est inséparable de la dimension sociale. Combattre ces déviances exige que l'on soigne l'individu et la société simultanément. Pour y parvenir, vous proposez d'enfermer l'individu - ce qui est parfois nécessaire - mais, non seulement vous ne le soignez pas, mais vous aggravez les risques de récidive en approfondissant le mal qui les génère.

Les délits et les crimes sexuels sont inacceptables. Il convient donc de tout mettre en œuvre pour juguler leur progression et les prévenir, mais vos propositions ne le permettront pas. Les articles 7 à 11 organisent, au delà de l'exécution de leur peine, le placement d'office sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées pour crime ou délit sexuel. Cette nouvelle mesure concernera les agresseurs sexuels condamnés à cinq ans d'emprisonnement au moins et ne s'appliquera qu'après la fin de la peine, sans limite précise de temps. Cela n'a rien à voir avec la loi du 19 décembre 1997 qui prévoit le placement sous surveillance électronique pour les personnes mises sous contrôle judiciaire et celles qui sont condamnées mais dont la peine ou le reliquat de peine restant à purger n'excède pas un an. Dans ce cas, le placement sous surveillance électronique est une mesure alternative à l'incarcération et s'inscrit donc dans la perspective d'une politique de prévention de la récidive. Vous vous placez dans un tout autre cadre en appliquant, en fait, une double peine.

Ce placement sous surveillance électronique, une fois la peine exécutée, facilitera-t-il la réinsertion du délinquant et préviendra-t-il une éventuelle récidive ? Rien n'est moins sûr. Il permettra, peut-être, de retrouver plus facilement l'auteur d'une infraction mais celle-ci sera hélas déjà commise. Qui peut croire encore que la peur d'être retrouvé et la crainte d'une peine, même aggravée, puisse avoir un quelconque effet sur les pulsions de ces individus ? Nos prisons surpeuplées démontrent le contraire. Cette peine additive n'aura aucun effet significatif et pérenne sur la récidive : chacun sait que pour les auteurs d'infractions sexuelles, la seule réponse adaptée est le développement des mesures d'aide et de suivi psychologique et psychiatrique sur le long terme.

Votre dispositif prévoit, par ailleurs, que le tribunal de l'application des peines ne pourra recourir à une telle mesure qu'après avoir recueilli l'avis d'une commission des mesures de sûreté dont la composition est par ailleurs contestée. En effet, de quelle compétence peut se prévaloir un préfet de région ou un représentant de la gendarmerie pour évaluer la dangerosité d'un condamné de cette nature? Lors de son audition du 6 juillet dernier, Monsieur le Garde des Sceaux n'avait-il pas affirmé qu'évaluer la dangerosité d'un détenu était une tâche particulièrement difficile ? Si les divergences d'appréciation entre psychiatres placent le juge dans la situation difficile d'avoir à arbitrer des querelles de spécialistes, qu'en sera-t-il lorsque s'y ajouteront les avis de gendarmes ou de préfets ?

Notre justice s'engage dans des voies dont on mesure bien mal où elles peuvent nous conduire. Je crains le pire. Certains collègues souhaiteraient en effet que soit adopté un amendement tendant à introduire des peines plancher dès la seconde récidive. La mission d'information avait écarté cette possibilité en raison de son inconstitutionnalité et parce qu'elle heurtait le principe de l'individualisation des peines. Le sous-amendement proposé par le rapporteur ne change rien sur le fond. J'espère donc que cet amendement, même sous amendé, sera fermement rejeté par notre assemblée.

Nous voulons tous lutter efficacement contre la récidive, mais les mesures retenues par cette proposition ne le permettront pas : non seulement elles laissent de côté toutes les mesures d'aide à la réinsertion, mais elle négligent la prise en compte de la dimension sociale de l'évolution de la criminalité. Ne pouvant modifier la philosophie de ce texte, nous vous avons épargné le dépôt de nombreux amendements. En revanche, nous en appellerons à votre humanité en invoquant le traitement particulier dû à la délinquance des mineurs, à qui ces mesures ne doivent pas être appliquées. Evidemment, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Christian Estrosi - Notre discussion honore la majorité. Je remercie le président du groupe UMP, M. Accoyer, d'avoir permis que nous utilisions cette niche parlementaire pour débattre sur la récidive en matière pénale, sujet en effet trop longtemps tabou alors qu'il convient au contraire de l'aborder avec courage et de faire fi de l'immobilisme et du conservatisme.

Cette proposition est le fruit des travaux de la mission d'information dirigée par MM. Pascal Clément et Gérard Léonard à la suite de la proposition de loi signée par 185 d'entre nous, tant à l'UMP qu'à l'UDF. Nous faisions en effet avec M. Sarkozy le constat suivant : alors que la délinquance a augmenté de 16 % entre 1997 et 2002, nous avons réussi, depuis lors, à la faire baisser de 9 % ; le noyau dur, c'est la multirécidive, cette addition d'actes faisant l'objet de condamnations avec sursis, lesquelles permettent aux caïds de rentrer dans leurs quartiers en héros et de servir d'exemples à leurs camarades.

Nous avons donc été nombreux à cosigner une proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales, progressives en fonction du nombre de récidives. On nous avait répondu que c'était inconstitutionnel parce que contraire au principe d'individualisation de la peine. Nous avons donc proposé que le magistrat conserve cette possibilité d'individualisation lorsqu'il considérait qu'il y avait une réelle possibilité de réinsertion par le biais d'une peine de substitution.

Malgré cela, une mission a été constituée. Je dois dire qu'elle a réalisé un travail tout à fait remarquable ; je rends hommage à Pascal Clément et à Gérard Léonard pour la manière dont ils ont conduit ses travaux et je salue tous ceux qui, sur tous les bancs, y ont apporté leur contribution. Je ne vais pas bouder mon plaisir : nous avions réclamé une loi pour lutter contre la récidive, en voici une. Cela montre bien que, lorsque les parlementaires se mobilisent, ils finissent par être entendus, et que, lorsqu'ils le font en bon ordre, ils le sont encore mieux.

Notre objectif était de rétablir l'effet dissuasif de la sanction pénale. A cet égard, je remercie sincèrement notre rapporteur d'avoir accepté un certain nombre d'amendements.

Ce texte remet en cause des idées reçues, bouleverse des principes, secoue des corporatismes - les réactions assez violentes, ces derniers jours, de certains intellectuels mondains le prouvent. Mais ne serions-nous ici, représentants du peuple français, que pour légiférer sans écouter le peuple, voire pour s'opposer à sa volonté ?

Pour nous, les droits des victimes passeront toujours, je l'avoue humblement, avant ceux des délinquants. Or, si la délinquance diminue, le taux de récidive augmente : 29 % en 1999, 31,3 % en 2001 ; 42,2 % pour les vols, 31,6 % pour le trafic de stupéfiants, 35 % pour les destructions et dégradations, 60 % pour les vols avec recel. Un tiers des condamnés récidivent, et un acte de récidive sur deux est commis moins d'un an après une condamnation. La réalité froide de ces chiffres signe un échec majeur de notre politique pénale. Faut-il dresser ici la liste de multirécidivistes condamnés parfois plus de quinze fois pour se persuader de la nécessité d'agir ? Pensons à celui qui, interpellé 51 fois et condamné 23 fois, a, il y a quelques mois, après avoir bénéficié à nouveau d'une liberté conditionnelle, assassiné froidement dans la rue le policier Lelong. Je pense à ceux qui se sont rendus coupables d'enlèvements, séquestration, tortures, viols, assassinats, parce qu'on n'avait pas mesuré leur dangerosité lorsqu'on leur a accordé des remises de peine pour bon comportement devant leur incarcération.

La multirécidive heurte nos consciences, parce qu'elle est un échec de notre système judiciaire. Les mesures proposées dans ce texte vont dans le bon sens, que ce soit la définition de la réitération, le placement sous bracelet électronique mobile ou l'évaluation de la dangerosité, souhaitée par Jean-Paul Garraud.

Est-ce suffisant ? Les débats se sont focalisés sur l'institution de peines minimales automatiques respectant le principe d'individualisation. Mais pourquoi devrions-nous admettre le principe des remises de peine automatiques et, dans le même temps, refuser l'application de peines automatiques ? Il est une évidence : la peine doit être prévisible pour celui qui tente de commettre une infraction. L'amendement que je propose avec plusieurs de mes collègues, et que je remercie le rapporteur d'avoir accepté ce matin en article 88, prévoit que, dans le cas de récidive « d'un crime ou d'un délit de violences volontaires, d'un délit d'agressions ou d'atteintes sexuelles ou d'un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, la juridiction ne peut pas prononcer de sursis mise à l'épreuve à l'encontre d'une personne ayant déjà fait l'objet d'une condamnation assortie de sursis mise à l'épreuve pour des infractions identiques ou assimilées ». C'est une réponse à la demande expresse faite aux parquets par le Président de la République, il y a quelques jours à Nîmes, de requérir systématiquement la prison ferme contre les récidivistes condamnés une première fois avec sursis. Selon certains, l'adoption de cet amendement provoquerait inéluctablement une très forte augmentation de la population carcérale. Permettez-moi de penser le contraire.

Mes chers collègues, répondons par ce texte, sans tabou et avec courage, au souci de fermeté, de justice et d'humanité à l'égard des victimes que nos concitoyens attendent de nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Luc Warsmann - Cette proposition de loi est le fruit d'une longue réflexion au sein de la commission des lois et du travail d'une mission parlementaire, dont je salue la qualité.

J'appelle votre attention, chers collègues, sur la force des constats présentés dans l'exposé des motifs. Un : notre justice est sévère au stade du prononcé de la peine, mais elle est aveugle en raison de la méconnaissance du passé pénal du prévenu. Deux : notre justice tourne parfois à vide au stade de l'exécution des sentences, en particulier lorsqu'il s'agit de courtes peines d'emprisonnement ou de peines alternatives à la détention. Trois : notre justice mésestime la dangerosité sociale des condamnés incarcérés. Quatre : les services de l'application des peines n'assurent pas un véritable suivi des condamnés placés en milieu ouvert.

Dans ces conditions, la lutte contre la récidive passe par la certitude des peines prononcées, d'une part, et par la concentration de nos moyens sur le suivi des personnes qui sortent de prison, d'autre part.

En 2002, environ un tiers des peines de prison prononcées n'étaient pas exécutées.

D'autre part le délai moyen entre le prononcé de la peine et son exécution excède les sept mois. Comment donner des repères à un délinquant qui en manque s'il ne se passe rien à la sortie du tribunal ? C'est pourquoi je salue deux mesures de cette proposition. Tout d'abord, l'article 4 tend à permettre au tribunal de prononcer un mandat de dépôt en cas de récidive en matière de délinquance sexuelle. Ensuite, le recours aux SME serait limité. Cette peine intelligente, remise en place en 1958 par Michel Debré, avait le mérite de délivrer un message fort aux condamnés, mais trop souvent prononcée en faveur d'un même délinquant, elle a fini par perdre son sens.

Nous avons eu un débat très fort en commission sur le bien-fondé des peines plancher, et je crois que ces mesures, d'inspiration américaine, sont étrangères à notre culture juridique. Une politique pénale efficace ne consiste pas à multiplier par sept le nombre de détenus mais à garantir l'exécution de la peine et à assurer le suivi des sortants de prison. Que gagnerait-on à augmenter de quelques mois la durée de la détention, sans parler du coût financier ? Le ministre l'a répété, il n'y a pas plus désastreux en matière de récidive que le système, aujourd'hui généralisé, de sortie sèche.

Je salue à cet égard les avancées de la proposition de loi, qu'il s'agisse de la mention au fichier des délinquants sexuels de toutes les décisions de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement prononcées sur le fondement de l'irresponsabilité pénale de leur auteur, ou du dispositif de surveillance électronique des délinquants sexuels. C'est vrai qu'en France, on ne travaille pas assez à l'évaluation de la dangerosité de ces personnes, et M. Clément a eu des mots très forts sur notre devoir de protection de nos concitoyens contre les récidivistes.

Nous sommes dans la ligne tracée par le Président de la République, lors de son intervention à Nîmes le 8 novembre dernier, et les législateurs ont achevé leur travail : l'enjeu est maintenant celui de l'application de la loi sur le terrain, où il faut mobiliser les institutions judiciaires pour assurer l'exécution des décisions de justice et le suivi des délinquants. Cette cause doit tous nous réunir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Ferry - Monsieur le ministre, le 5 juillet dernier, j'attirais votre attention sur l'assassinat, en Alsace, de Jeanne-Marie, Julie et Edwige. Le coupable présumé était alors en liberté conditionnelle depuis mars, ce qui a suscité de nombreuses réactions au sein de la population.

Il y a quelques semaines, dans ma circonscription de Schirmeck, suite à ces affaires, le procureur général près la Cour de Colmar, et les procureurs de Saverne et Strasbourg, acceptaient de répondre aux interrogations des proches des victimes et de la population locale. Les magistrats ont reconnu que, chaque jour, des gens dangereux étaient remis en liberté car les peines ont une fin, mais nos concitoyens ont besoin d'être rassurés et mieux protégés contre la récidive des délinquants sexuels.

La mission parlementaire a su pointer les lacunes de notre système judiciaire et proposer un durcissement du droit. Vous m'aviez promis, cet été, Monsieur le ministre, une évolution de la législation et ce texte répond à mes attentes.

En intégrant dans le champ des délits assimilés l'ensemble des infractions commises avec violence, mais aussi le proxénétisme et la traite des êtres humains, cette proposition va dans le bon sens.

Il faudrait cependant aller encore plus loin pour mettre hors d'état de nuire ces tueurs d'enfants, dont la libération anticipée est inadmissible, en rendant leurs peines incompressibles.

Le placement sous surveillance électronique mobile des criminels ayant purgé leur peine doit accompagner toute libération anticipée, mais ce dispositif devrait couvrir l'ensemble du territoire national.

S'agissant de la prévention de la récidive, je salue la proposition d'un suivi psychiatrique dans les prisons, et l'augmentation du nombre de médecins psychiatres.

Je soutiendrai cette proposition de loi, qui représente un progrès indéniable, même s'il ne peut s'agir que d'une première étape, car c'est tout notre droit pénal qui doit être réaménagé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Floch - Vaste débat que celui de la récidive, véritable sujet de société qui passionne tous les spécialistes du crime. Aucune solution n'a encore été trouvée, et le durcissement de la sanction que l'on a voulue exemplaire s'est révélé un échec. C'est vrai qu'il faut tenir compte du drame vécu par les victimes, mais peut-on pour autant proposer un enfermement définitif ? Vous savez bien que cette mesure ne servira à rien, car le délinquant ne pense pas aux conséquences de son acte au moment où il agit. C'est dans le cadre des conditions de la vie en société du délinquant qu'il faut au contraire chercher les solutions.

L'on peut certes comprendre que l'opinion publique s'émeuve lorsqu'un criminel, libéré parce qu'il avait donné aux magistrats chargés d'instruire son dossier tous les gages de possible réinsertion, récidive. Faut-il pour autant modifier la loi et interdire définitivement aux juges de libérer tout individu susceptible d'être à nouveau dangereux ? Il y a là un vrai problème de société, excédant largement ce que le travail législatif peut résoudre. S'agissant plus particulièrement des crimes sexuels, force est d'admettre qu'ils ont malheureusement toujours existé, car ils sont le fait d'une minorité très réduite d'individus incapables de maîtriser leurs pulsions. Notre société doit trouver le moyen de protéger les plus faibles de ses membres de tels agissements. Elle se fixerait un objectif déraisonnable en prétendant les supprimer totalement.

On le voit, Monsieur le Garde des Sceaux, le sujet est trop important pour qu'on le laisse entre les mains de ceux que la presse appelle déjà les « tape dur » ! Méfions-nous toujours de ceux qui proposent des solutions extrêmes pour flatter l'opinion. Nous savons bien que le tout répressif ne règle rien et que la prison elle-même est devenue criminogène. Pensons à tous ces jeunes que vous avez mis en prison depuis deux ans. Au terme de quelques mois de détention dans une centrale surchargée, ils sortent souvent plus violents, plus brutaux, et finalement plus dangereux qu'ils n'y étaient entrés ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Il y a tout lieu de redouter qu'ils n'aient appris en prison à devenir encore plus criminels ; résultat, vos propres statistiques attestent que plus de 60 % d'entre eux récidivent.

M. Georges Fenech - C'est cela ! Il faut supprimer les prisons !

M. Jacques Floch - Non, mais il faut les moderniser et les rendre à leur vocation première...

M. François Grosdidier - Que ne l'avez-vous fait !

M. Jacques Floch - Vous voulez que notre pays se dote de 80 000 places en détention. Mais, la vérité c'est que vous ne savez pas les financer, et que, lorsque vous avez des places disponibles, vous ne savez pas les utiliser convenablement ...

M. Guy Geoffroy - N'importe quoi ! C'est un discours d'arrière-garde.

M. Jacques Floch - Pas du tout !

M. François Grosdidier - Mais si, vous refusez toujours de voir la réalité telle qu'elle est.

M. Jacques Floch - Loin de combattre l'insécurité, vous l'aggravez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. le Garde des Sceaux - Cette proposition de loi doit être envisagée dans le cadre de la démarche d'ensemble qu'a engagée le Gouvernement pour mieux prévenir la délinquance. Le ministre de l'intérieur a été chargé de coordonner un véritable plan interministériel de prévention de la délinquance, associant l'éducation nationale, les affaires sociales et nos départements respectifs. Nous souhaitons appréhender l'ensemble des comportements sociaux dans une démarche globale. Sur le terrain, un dispositif d'action cohérent va se mettre en place autour du maire, conforté dans sa mission préventive.

Oui, Messieurs Hunault, Warsmann et Estrosi, il faut accélérer le dispositif d'exécution des peines. Nous aurions à l'évidence moins de situations de récidive à déplorer, si, dans la durée, nous y étions parvenus. A cet égard, j'attends beaucoup de l'expérience des bureaux d'exécution des peines, installés à Orléans et à Nantes. Je souhaite rassurer d'emblée Michel Hunault sur un point : le présent texte ne supprime pas les alternatives à l'incarcération ou la possibilité d'aménager les peines. Les avancées obtenues dans le cadre de la loi de mars dernier grâce aux propositions innovantes de Jean-Luc Warsmann ne sont nullement mises en question. Loin d'y mettre fin, le présent texte tend à améliorer encore le dispositif d'accompagnement des fins de périodes d'incarcération, en vue d'éviter à tout prix les « sorties sèches », dont on peut presque considérer qu'elles constituent, pour certains au moins, une incitation à récidiver. Comment imaginer qu'un détenu qui n'a pas été aidé à nouer des contacts professionnels en vue de sa réinsertion ne risque pas de retomber dans les réseaux de délinquance qui l'avaient conduit en prison ? S'agissant du placement sous bracelet électronique, je souhaite redire avec force que je le considère comme une mesure de sûreté, et que, si j'ai bien entendu les interrogations de M. Hunault sur la constitutionnalité du dispositif, je ne crois pas qu'il menace le principe de proportionnalité de la peine.

Non, Monsieur Vaxès, le suivi socio-judiciaire n'est pas remis en cause par le présent texte. Vous plaidez pour que les moyens accordés aux services pénitentiaires d'insertion et de probation soient à la mesure des besoins. Croyez bien que c'est la même analyse qui m'a conduit à demander et à obtenir 500 postes supplémentaires à leur profit. C'est ainsi qu'en deux ans, les effectifs sont passés de 1 500 à 2 000 agents. Je suis intimement convaincu de la nécessité de bien préparer la sortie de prison pour lutter efficacement contre la récidive.

Je souscris sans réserve à l'analyse très complète de Christian Estrosi : nous n'améliorerons le taux de récidive qu'en améliorant parallèlement l'effectivité de l'exécution des peines. On ne dissuade un individu de passer à l'acte délinquant que si l'on parvient à le convaincre de deux choses : un, qu'il sera sanctionné ; deux, que la sanction prononcée à son encontre sera exécutée. C'est fort de cette conviction que j'œuvre à la généralisation des bureaux d'exécution des peines faisant l'objet de l'expérimentation que j'ai déjà évoquée.

M. Warsmann a évoqué plusieurs points auxquels j'adhère. J'ai déjà eu l'occasion de dire que je partageais pleinement son analyse sur l'enjeu d'une bonne préparation de la sortie de prison.

M. Ferry a évoqué avec une émotion que chacun peut comprendre les drames qui sont survenus dans sa région. C'est en y pensant, Monsieur le député, que l'on peut valider les dispositifs de surveillance électronique mobile et envisager le traitement adapté des criminels les plus dangereux. La mission interministérielle santé-justice présidée par M. Burgelin s'attache à cette très délicate entreprise. Les personnes dont la dangerosité échappe manifestement à toute réponse pénale peuvent-elles être libérées ? Ne doit-on pas les soumettre à un traitement médicalisé ? Ne faut-il pas, comme l'a récemment évoqué à Nîmes le Président de la République, envisager de les placer dans un environnement totalement sécurisé, pouvant prendre une forme inédite, qui le distingue à la fois des milieux hospitalier et carcéral ? Vous avez raison, Monsieur Ferry. Lorsqu'on pense aux victimes, on s'imagine mal assumer la responsabilité de libérer des individus aussi dangereux que ceux que vous avez évoqués. Merci, en tout cas, pour l'émotion et le respect que vous avez su exprimer.

Que dire à M. Floch, sinon que je ne parviens toujours pas à le comprendre...

Plusieurs députés UMP - Nous non plus !

M. le Garde des Sceaux - A l'entendre, la délinquance violente résulte de l'emprisonnement et non l'inverse !

M. Jacques Floch - Aujourd'hui, oui ! Ce sont vos propres statistiques qui le disent ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - En vérité, c'est de votre enfermement idéologique que vous avez le plus de mal à sortir. Croyez bien que j'aurais aimé trouver, à ma prise de fonctions, des prisons dignes de notre pays. Si j'ai lancé le programme de construction de 13 200 places, c'est bien que la situation qui m'avait été léguée l'exigeait.

Si nous avons mis en place un dispositif d'aménagement de fin de la peine, c'est parce que vous ne l'aviez pas fait. De même, vous nous aviez laissé les services de probation et d'insertion dans un tel état que j'ai dû augmenter de 30 % leurs moyens. Votre bilan devrait vous rendre plus modestes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Présidente - J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Thierry Mariani - Mon amendement 5 rectifié reprend le texte de ma proposition visant à modifier le code de procédure pénale afin de développer le placement sous surveillance électronique des condamnés âgés de plus de 70 ans. Déposée le 22 septembre 2004, cette proposition avait été signée par 97 députés.

Il ne s'agit pas de libérer des détenus dangereux, qui sont exclus du champ de la mesure, mais de cesser d'envoyer en prison des personnes âgées de plus de 70 ans au jour de leur condamnation, qui n'ont pas porté gravement atteinte à l'ordre public et qui ne sont pas en état de récidive.

Certains estimeront que mon amendement est un cavalier législatif. Je le retirerais si le Gouvernement me le demande, mais je me permets d'insister. Est-il utile de maintenir des personnes de plus de 70 ans en prison ? Il y en a entre 450 et 500. Compte non tenu des délinquants sexuels, qui ne bénéficieraient pas de cette disposition, mon amendement ne concernerait que 200 personnes environ.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement, qui aurait pour inconvénient majeur de rompre l'égalité devant la loi : une même infraction serait en effet punie différemment selon l'âge de son auteur.

M. le Président de la commission - M. Mariani, comme nous, participe depuis deux ans à des débats qui ont abouti à une proposition de synthèse, capable de satisfaire les différentes tendances de notre famille politique. Nous savions tous qu'il n'était pas possible de ne rien faire. Maintenant que cette proposition nous apporte une réponse globale, cet amendement a perdu son intérêt et je souhaite son retrait.

M. le Garde des Sceaux - Je partage l'avis de la commission. Par ailleurs, vous savez que, dans l'exécution des peines, nous appliquons la loi Kouchner de manière systématique aux personnes âgées malades.

S'agissant du bracelet électronique, la loi votée en mars dernier autorise les tribunaux à prononcer son utilisation ab initio.

Enfin, d'après les indications précises dont je dispose, votre amendement ne concernerait en réalité que 28 personnes. Compte tenu du risque de rupture d'égalité qu'il nous ferait courir, je vous suggère de le retirer.

M. Thierry Mariani - Je le retire, en souhaitant que le problème soit résolu. Même s'il n'y a que 28 personnes concernées, quelle peut être la mission de rééducation de la prison sur un septuagénaire ?

ARTICLE PREMIER

M. Michel Vaxès - L'article 132-16-4 que vous voulez ajouter au code pénal tend à considérer comme une même infraction, au regard de la récidive, les délits de violences volontaires aux personnes et tout délit commis avec la circonstance aggravante de violence. Il s'agit donc d'élargir les catégories de délits assimilés. Seront ainsi mises sur le même plan infractions contre les biens et infractions contre les personnes.

Cette extension, qui aura pour conséquence le doublement du quantum de la peine, porte atteinte au principe de proportionnalité des peines. Nous voterons contre cet article.

M. Jérôme Lambert - N'importe quelle violence aux personnes, même mineure, pourra être prise en compte pour qualifier la récidive. Il s'ensuivra des sanctions disproportionnées et un allongement des peines incontrôlable. Il faut éviter de voter des dispositions excessives, que le Conseil constitutionnel censurerait. Les règles actuelles sont suffisantes. Le taux actuel de récidive, en matière de violences, est inférieur à 4 %.

Notre amendement 18 vise donc à exclure du champ de la proposition les violences n'ayant pas entraîné une incapacité temporaire de travail de huit jours.

M. le Rapporteur - Il est vrai que cet article a pour objet d'élargir le champ d'assimilation pour les actes de violence. Il s'agit de mettre fin à une situation intellectuellement aberrante dans laquelle commettre des actes de violence pour commettre un vol n'est pas considéré comme une infraction de même nature que se rendre responsable de violences aggravées. Or ce que nous cherchons à réprimer, c'est la violence. Cet amendement n'est pas dans l'esprit du texte, qui tend à sanctionner un comportement délictueux plus que des actes proprement dits.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

M. Jérôme Lambert - Une disposition pénale qui ne vise pas à sanctionner un acte proprement dit, c'est dangereux. Votre réponse me confirme que cet article mal écrit est anticonstitutionnel.

M. le Rapporteur - M. Lambert a, volontairement, mal interprété mon propos. Je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas sanctionner les actes, c'est même l'objet du droit pénal. Mais nous voulons sanctionner les comportements violents, qu'ils visent les personnes ou l'appréhension d'un bien.

L'amendement 18, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Jérôme Lambert - L'article 2 tend à définir la « réitération », présentée dans l'exposé des motifs de la proposition comme une notion polysémique, définie dans le silence de la loi par l'institution judiciaire et appréhendée de manière empirique par les services de police.

La définition proposée, bien que présentée comme une définition à droit constant, suscite en réalité de sérieuses inquiétudes. L'alinéa premier de l'article 132-16-6 que vous insérez dans le code pénal conduira à des aberrations juridiques : une réitération permanente et la fin de la récidive, alors que la récidive délictuelle est toujours limitée dans le temps, soit à dix ans, soit à cinq ans.

Selon l'alinéa 2 du même article, «les peines prononcées pour des infractions commises en situation de réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans qu'il soit possible d'ordonner leur confusion ». La personne poursuivie encourra l'ensemble des peines prononcées, sans limite, ce qui conduira à des inégalités de traitement entre les justiciables qui seront jugés en une fois et ceux qui feront l'objet de plusieurs procès.

Il y aurait réitération d'infractions pénales dès lors qu'une personne, déjà condamnée pour crime ou délit, commettrait une nouvelle infraction, sans que les conditions de la récidive légale soient remplies. Celles-ci sont définies aux articles 132-8 à 132-10 du code pénal, qui distinguent trois cas : la récidive générale et perpétuelle, la récidive générale et temporaire, la récidive spéciale et temporaire.

En cas de commission d'un crime après une condamnation pour crime ou délit puni de dix ans d'emprisonnement, le maximum de la peine est porté à trente ans de réclusion criminelle ou de détention criminelle si le crime est puni de quinze ans.

En cas de commission d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement dans le délai de dix ans à compter de l'expiration ou de la prescription de la précédente condamnation pour un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement, le maximum des peines d'emprisonnement et d'amende est doublé.

En cas de commission, dans le délai de cinq ans à compter de l'expiration ou de la prescription de la précédente peine pour un délit, soit du même délit, soit d'un délit assimilé au regard des règles de la récidive, le maximum des peines d'emprisonnement et d'amende est doublé.

La proposition vise à instaurer un état de réitération quasi-permanent, dès lors que les conditions de la récidive légale ne seront pas remplies.

Il s'agit d'une disposition totalement inutile, puisque le premier alinéa du texte proposé pour le nouvel article 132-16-6 du code pénal correspond à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, et n'apporte donc strictement rien au droit positif.

Par contre, le second alinéa pose, en cas de réitération, le principe du cumul des peines, en excluant toute possibilité de confusion de celles-ci. Cette disposition dangereuse induira une inégalité de traitement selon que la personne fera l'objet d'une seule poursuite pénale pour plusieurs infractions commises en état de réitération, auquel cas une seule peine sera prononcée, ou de plusieurs poursuites successives, auquel cas plusieurs peines seront prononcées qui se cumuleront sans limitation de quantum et sans confusion possible. Ce régime aboutira paradoxalement à sanctionner plus sévèrement un réitérant qu'un récidiviste !

M. le Rapporteur - M. Lambert semble confondre ces trois notions différentes que sont la récidive légale, la réitération et le concours d'infractions. Je le renvoie donc à mon rapport et lui fais observer qu'on ne peut pas reprocher à la fois au même texte d'être dangereux et de ne rien changer au droit actuel. Surtout, je rappelle que nous ne faisons ici que clarifier le régime de la réitération, pour lequel manquait une définition légale. Mais nous le faisons à droit constant.

Cela dit, l'amendement 54 est de précision.

L'amendement 54, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jérôme Lambert - L'amendement 20 est défendu.

L'amendement 20, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jérôme Lambert - J'aimerais obtenir une réponse au sujet de la prescription. L'objet de notre amendement 42 est en tout cas d'en fixer les délais pour la prise en compte de la réitération, comme c'est le cas en matière de récidive.

M. le Rapporteur - C'est normal, puisque il y aggravation de la peine en cas de récidive. Mais il n'y a pas lieu de le faire pour la réitération, pour laquelle, je le répète, il n'y a pas d'aggravation. Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 42, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jérôme Lambert - L'amendement 19 est défendu.

L'amendement 19, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jérôme Lambert - Le fait que les peines soient ici cumulables sans limitation de quantum peut conduire à ce qu'une personne condamnée à plusieurs reprises pour plusieurs petits délits se voit infliger une peine de prison supérieure à celle encourue par un criminel endurci. C'est ce qui motive notre amendement 21 rectifié.

L'amendement 21 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Michel Vaxès - Notre amendement 22 tend à ce que cet article dangereux et inique, contre lequel nous voterons, ne s'applique pas aux mineurs. Il convient en effet pour ces derniers de privilégier la voie éducative.

M. Jérôme Lambert - Notre amendement 46 est identique.

M. le Rapporteur - Je rappelle que cet article obéit à une exigence de clarification et ne change rien au quantum de la peine. Rejet, donc.

M. le Garde des Sceaux - Défavorable.

Les amendements 22 et 46, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article 2, modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. Jérôme Lambert - Cet article, qui limite dans certains cas à deux le nombre des sursis avec mise à l'épreuve pouvant être prononcés par les juridictions, marque une défiance certaine envers les juges et remet gravement en cause le principe de l'individualisation de la peine. Il convient de rappeler que, comme le dit Jean-Luc Warsmann dans son rapport, « l'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve est une mesure intelligente, mais dont l'application est défaillante. » L'échec du SME est dû en grande partie à la notification tardive de la mesure et surtout au fait que les services habilités à la prendre en charge manquent de moyens. Ce n'est pas une raison pour cesser d'en faire « bénéficier » les personnes auxquelles elle pourrait utilement s'appliquer.

J'en reviens à la question que je posais tout à l'heure : combien y a-t-il de personnes concernées par des SME multiples ? On nous dit que certains en enchaînent parfois cinq ou six, mais quels sont les chiffres exacts ? Sommes-nous en train de légiférer pour une centaine de personnes ou pour 10 000 ?

M. le Rapporteur - Cet article ne remet pas du tout en cause le principe même du SME, mais a pour objet d'éviter la dérive que constitue son prononcé à répétition, lequel concerne une multitude de personnes...

M. Jérôme Lambert - Combien ?

M. le Rapporteur - Vous avez comme moi entendu les praticiens du droit dénoncer cette dérive !

Le problème est qu'il n'y a pas de réel suivi du condamné et que si la même personne bénéficie plusieurs fois d'un SME, on risque de créer chez elle un sentiment d'impunité qui nourrit la récidive.

M. le Président de la commission - Il est dangereux, Monsieur Lambert, de ramener ces sujets à des questions de statistiques. On nous a dit par exemple que seulement 1, 5 % des criminels sexuels récidivaient, ce qui, rapporté à 20 000 détenus, ne ferait « que » 300 récidivistes. Mais lorsque c'est votre fille qui est violée ou votre fils qui est coupé en morceaux, les taux vous importent peu ! Notre but est d'être dissuasifs et que les délinquants sexuels sachent qu'ils seront punis...

M. Jérôme Lambert - Quitte à pénaliser les 99 % de bénéficiaires d'un SME qui ne récidivent pas ?

M. le Président de la commission - Cela finit par se savoir, dans le milieu, que la mise à l'épreuve n'a souvent qu'un caractère théorique. Le public visé finit donc par se moquer de la peine encourue. La question n'est pas tant de savoir si le bénéficiaire d'un SME va récidiver que de savoir si la peine est de nature à dissuader les délinquants, je pense en particulier au milieu des délinquants sexuels.

La justice cesse de faire peur quand les sursis avec mise à l'épreuve s'enchaînent et, s'agissant de crimes qui révoltent l'opinion, il est bien mal venu d'invoquer les statistiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - Avis défavorable. Lorsque votre majorité a adopté le nouveau code pénal, Monsieur Lambert, elle a interdit le deuxième sursis simple, ce qu'on pourrait interpréter comme une mesure de sévérité ! La présente proposition ne tend de même qu'à interdire le deuxième sursis avec mise à l'épreuve. Ne voyez-vous pas qu'il y a là une forte cohérence ? Ne vous paraît-il pas logique de graduer la sanction en fonction du nombre des délits ?

M. Jérôme Lambert - Que je sache, le sursis avec mise à l'épreuve à répétition n'a jamais été accordé à un criminel qui avait découpé un petit garçon en morceaux ! L'argument utilisé par le président Clément était donc déplacé : c'est un peu comme si l'on voulait enfoncer un clou avec un marteau-pilon ! Je conçois que vous vouliez faire passer cette mesure, mais gardez, de grâce, le sens de la proportion - qui me semble un peu perdu de vue dans toute cette proposition.

L'amendement 26, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Estrosi - Accepté ce matin par la commission au cours de la réunion qu'elle a tenue au titre de l'article 88, l'amendement 6 vise à garantir la certitude de la sanction. A cet effet, nous avions, dans un premier temps, défendu l'idée de peines minimales, applicables à compter de la deuxième récidive, mais, devant le débat qu'elle a suscité, nous avons mis au point un autre dispositif et je tiens à remercier MM. Léonard et Clément d'avoir entendu les 185 cosignataires de cet amendement.

Celui-ci répond aux objections soulevées par M. Lambert contre cet article. Aux termes du code pénal actuel et, plus précisément, de l'article L. 132-30, une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis simple ne peut être prononcée contre un récidiviste, mais cette sage disposition a pu être contournée du fait que le nombre des sursis avec mise à l'épreuve n'était pas, lui, limité. De nombreux récidivistes bénéficient ainsi de SME en série...

M. Jérôme Lambert - Combien ?

M. Christian Estrosi - Des centaines !

M. Jérôme Lambert - J'en doute.

M. Christian Estrosi - Le Garde des Sceaux pourrait vous le confirmer. Toujours est-il qu'en étendant aux SME la disposition adoptée pour les sursis simples, cet amendement effacera une faille majeure de notre droit pénal : les récidivistes, auteurs de crimes ou d'actes de violence contre les personnes, se verront infliger automatiquement une peine de prison ferme.

Pour les crimes, l'article L. 132-18 rend en effet l'emprisonnement obligatoire et cette peine ne peut être assortie d'un sursis simple aux termes de l'article L. 132-30, comme je l'ai rappelé. Désormais, elle ne pourra non plus être assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve.

Pour les délits sexuels, les violences aux personnes et les délits avec circonstance aggravante de violences, l'amendement exclut également le sursis avec mise à l'épreuve en cas de récidive dans la mesure où ces délits ne font jamais l'objet de mesures alternatives à l'incarcération en raison de leur gravité.

Bien évidemment, je souhaite que ces dispositions reçoivent le soutien le plus large possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - La commission a accueilli cet amendement avec bonheur car il repose sur un postulat auquel elle adhère : la certitude de la peine a valeur dissuasive. Au surplus, il vise des crimes et délits particulièrement graves. Je rendrai donc un avis très favorable.

M. le Président de la commission - Je me réjouis que nous ayons pu trouver, avec tous ceux qui avaient pris l'initiative de cette réflexion, un terrain d'entente. Cet amendement permettra en effet de ne pas laisser la multirécidive impunie sans pour autant enfreindre les règles reconnues dans l'Union européenne - en particulier les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme - et je m'attends donc que le Gouvernement aussi l'approuve.

M. le Garde des Sceaux - Ces dispositions ne s'appliqueront qu'à des faits très graves et elles n'interdiront pas au tribunal de prononcer des peines mixtes - pour partie fermes et pour partie avec SME - et de tenir compte des circonstances ou de la personnalité du condamné. Elles ne contreviennent pas, non plus, à notre tradition juridique, puisqu'elles ne prévoient pas de peines plancher. Enfin, elles étendent logiquement une règle qui existait déjà pour le sursis simple. Autant de raisons qui justifient un avis favorable ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Lambert - Selon le rapporteur, la certitude de la peine serait dissuasive mais, s'il en était ainsi, il y a beau temps que le crime aurait disparu ! Quel pays en effet s'abstient de réprimer le crime et quel criminel peut ne pas se sentir exposé à une peine de prison ?

Je conteste aussi l'assertion du Garde des Sceaux selon laquelle ces dispositions ne s'appliqueraient qu'à des faits très graves : le juge n'aura pas la faculté de distinguer selon que le délinquant aura blessé sa victime avec une arme ou qu'il l'aura simplement bousculée. Il sera condamné à condamner à la prison ferme. Ne nous laissons pas entraîner dans cette mécanique infernale ! Il y a peut-être quelque chose à faire, mais certainement pas cela !

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.

Prochaine séance qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à12 heures 30.

                Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques,

                François GEORGE


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