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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 44ème jour de séance, 104ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 16 DÉCEMBRE 2004

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR

vice-président

Sommaire

      OUVERTURE DU CAPITAL DE DCN 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 8

      ARTICLE UNIQUE 22

      APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 24

      EXPLICATIONS DE VOTE 25

      ORDRE DU JOUR DU LUNDI 20 DÉCEMBRE 2004 27

La séance est ouverte à quinze heures.

OUVERTURE DU CAPITAL DE DCN

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Le contexte industriel international est aujourd'hui marqué par des marchés de plus en plus concurrentiels, une recherche constante de compétitivité, la course à l'innovation. De nouveaux pôles apparaissent, tels que la Chine, ou plus généralement le sud-est asiatique, et le Brésil. Pour résister à cette concurrence, il est impératif de mener une politique de l'armement ambitieuse, en créant des pôles industriels performants de taille européenne. C'est dans cette perspective que je vous propose le présent projet de loi.

DCN dispose d'atouts essentiels : son savoir-faire, son expérience, un personnel motivé, une situation financière redressée, qu'il faut faire valoir. Le changement de statut qu'elle a mené avec l'appui de l'Etat est une réussite. Elle est revenue avec près de deux ans d'avance à un équilibre financier durable. Son carnet de commandes est plein et ses clients manifestent leur satisfaction. En votant la loi de programmation militaire et les lois de finances successives, vous avez donné à DCN une perspective d'activité à moyen et long terme. Ainsi consolidée, l'entreprise peut franchir dorénavant une nouvelle étape. Pour lui permettre de saisir toutes les opportunités, il faut lever les contraintes qui la pénalisent en matière d'alliances et j'ai, à cette fin, autorisé l'ouverture de son capital. C'est une décision politique importante. Mon ambition est de doter la France d'une industrie militaire navale forte, et ma préoccupation première de maintenir les garanties de son personnel.

L'ouverture du capital de DCN est une décision industrielle importante, qui doit déboucher rapidement sur des partenariats. Les industries européennes ne peuvent continuer à s'offrir le luxe du morcellement, qui les fragilise à terme malgré leurs succès technologiques. Le rapport de Jean Lemière et le colloque qu'il a organisé le 8 décembre ont bien montré cette urgence. Le but n'est nullement de réduire les capacités de production européenne, mais de rationaliser l'offre commerciale et la recherche pour renforcer notre position sur le marché. J'entends que DCN soit au cœur de cette consolidation. En effet, les clients souhaitent une offre plus intégrée autour du navire armé, DCN doit être plus présente à l'international et la consolidation européenne passe par un rapprochement avec les industries privées pour élargir l'offre au-delà du seul secteur naval.

La bonne santé économique et industrielle de DCN lui permet d'aborder ces évolutions avec confiance. Depuis quelques mois, DCN et Thales travaillent ensemble à un projet industriel solide et étayé. Il faut encore l'approfondir, préciser les apports respectifs des deux entreprises, expliquer leur vision à nos partenaires européens et préparer la mise en œuvre du projet, dans le respect de l'unité de DCN. Mais j'ai exclu d'attendre l'achèvement de cette réflexion pour déposer ce projet de loi. Un texte trop ciblé sur un partenaire précis ne correspondrait en effet pas à la réalité, sans cesse en évolution. Au contraire, l'Etat doit favoriser les projets en discussion et permettre d'engager de nouveaux contacts. Enfin, le projet de loi rappelle solennellement que le contrat d'entreprise restera bien entendu la référence des relations entre l'Etat et DCN et ses filiales.

Avec ce texte, nous envoyons également un signal politique fort à nos partenaires européens, qui sont eux aussi en pleine évolution. En Espagne, la restructuration qui est en cours, bien que difficile, doit faire émerger un partenaire viable dans le secteur naval militaire. L'Espagne est à la croisée des chemins : elle aura à choisir entre l'Europe et un partenariat plus transatlantique. Nous devons la convaincre de la crédibilité d'une Europe de l'armement naval. En Allemagne, Thyssen Krupp a racheté HDW à un fonds d'investissement américain et ainsi pris le contrôle de l'ensemble de la construction navale allemande. Nous partageons avec les Allemands la même vision : d'abord, une consolidation nationale, puis la recherche de partenariats, dans le respect des équilibres nationaux. Mais pour cela, le retrait, au moins partiel, de l'Etat est une condition nécessaire, tant pour les industriels que pour les gouvernements partenaires.

Ce projet de loi prend pleinement en compte les intérêts du personnel. Il conforte les garanties qui leur avaient été apportées, et répond ainsi à une attente légitime. J'ai tenu à ce que ces garanties figurent dans le texte même de la loi. Au moment du changement de statut, je m'étais engagée à conserver les droits et statuts des personnels. Dorénavant, ces engagements sont inscrits dans la durée. D'abord en effet, tous les droits des membres du personnel, quel que soit leur statut, sont conservés. Les ouvriers d'Etat resteront mis à disposition de l'entreprise et de ses filiales détenues majoritairement par l'Etat. Les fonctionnaires militaires et contractuels pourront rester mis à disposition, y compris dans les filiales détenues majoritairement par l'Etat, jusqu'en juin 2005. Après cette date, ils pourront opter pour le détachement ou pour un contrat sous convention collective. Les détachements sont bien évidemment étendus aux filiales. Ensuite, les dispositions particulières relatives à la représentation des ouvriers d'Etat votées en juin 2003 sont étendues aux filiales. Les agents de statut public pourront rester mis à disposition dans les activités industrielles, le cas échéant filialisées. Je m'en suis assurée en retenant un seuil plus contraignant que le droit commun, assurant que le capital des filiales de plus de 250 personnes restera majoritairement public. Ainsi sera maintenue l'unité de DCN.

Mais j'ai voulu aussi que ce texte marque une nouvelle avancée sociale. A ce titre, je souhaite que la collectivité DCN tout entière puisse se mobiliser autour de ce projet. Je connais l'attachement de chacun des personnels à l'entreprise et cela m'a conduit à reprendre à mon compte la suggestion faite par certains parlementaires - je pense en particulier au député de la Manche Jean Lemière - d'ouvrir l'intéressement et l'actionnariat salarié à tous les personnels, qu'ils soient salariés ou ouvriers de l'Etat.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense - Excellente idée !

Mme la Ministre - C'est un levier fort de motivation et d'adhésion. Tel est le sens de l'amendement gouvernemental que je défendrai tout à l'heure. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Je crois à l'industrie militaire navale française. Je crois à une industrie militaire européenne. Les choix de modernisation que j'ai faits pour notre industrie navale doivent nous permettre de parachever la réforme de DCN et de relever le défi de l'Europe de la défense, tout en préservant l'unité du groupe DCN. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) C'est la poursuite logique de la réforme engagée depuis dix ans et du changement de statut. Cette loi intervient à un moment favorable pour l'entreprise et riche en opportunités, en France comme en Europe. C'est la condition pour que DCN soit au cœur de la consolidation européenne que j'appelle de mes vœux. En votant ce texte, vous permettrez à la France de continuer à jouer un rôle moteur dans la construction de l'Europe de l'armement et de la défense. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Chartier, rapporteur de la commission des finances - S'agissant de l'ouverture du capital d'une entreprise publique, la commission des finances a été normalement saisie au fond de ce projet de loi, et bien qu'il ait été déposé à peine plus d'une semaine avant son examen en séance publique, j'ai pu accomplir ma mission de rapporteur en procédant à plusieurs auditions afin de compléter l'information nécessaire à l'établissement de mon rapport. J'ai ainsi pu entendre, avec le plus vif intérêt et un plaisir certain, les responsables opérationnels du groupe DCN et les représentants des personnels de l'entreprise.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter quelques faits marquants de l'histoire de DCN. En 1631, le cardinal de Richelieu institue les Marines du Ponant et du Levant, et, pour les construire, crée les premiers arsenaux. Colbert et son fils Seignelay réunissent en une seule administration les deux marines, améliorent les ports de Dunkerque et du Havre, développent considérablement celui de Brest, créent de toutes pièces le port de Rochefort et reconstruisent celui de Toulon qui avait été détruit par un incendie. En 1751, le marquis de Montalembert choisit le site de Ruelle pour y établir une fonderie de canons de marine, puis fait fortune en la vendant au roi en 1775. Le 27 mars 1765, une ordonnance royale crée le corps des ingénieurs constructeurs de la Marine, ancêtre du corps du génie maritime. En 1771, s'ouvre sur les bords de la Loire l'établissement d'Indret, qui se spécialisera ensuite dans la conception et la réalisation des systèmes propulsifs. En 1778, l'arsenal de Lorient succède à la Compagnie des Indes. A partir de 1813, l'arsenal de Cherbourg produit des bâtiments de surface, avant de se spécialiser dans les sous-marins. Le Sphinx, premier navire de guerre à vapeur, est construit à Rochefort en 1826, et c'est en 1926 que l'arsenal de Rochefort est fermé. En 1937, est créé l'établissement de Saint-Tropez, sur les installations de la société Schneider qui y fabriquait des torpilles depuis 1907.

A la fin de la seconde guerre mondiale, le secteur d'Etat de la construction navale comprenait ainsi en métropole les quatre arsenaux de Brest, Lorient, Cherbourg et Toulon et quatre établissements « hors les ports » : Indret, Ruelle, Saint-Tropez et Guérigny. Outre-mer, des arsenaux existaient à Mers el-Kébir, Bizerte, Dakar, Diego-Suarez et Papeete. L'établissement de Guérigny fut fermé en 1970, cependant que ceux d'Afrique du Nord et d'outre-mer l'avaient été progressivement à partir des années 1960. Puis, DCN a scindé ses activités industrielles et étatiques en deux entités distinctes, avant de devenir, en 2000, un « service à compétence nationale, et, le 1er juin 2003, une société anonyme.

C'est dans la continuité de ce long processus d'évolution qu'intervient le présent texte, lequel marque assurément un tournant dans la vie de l'entreprise. Je veux lever d'emblée les ambiguïtés qui pourraient encore tarauder certains esprits en répondant aux deux questions clés : pourquoi cette loi et pourquoi l'adopter aujourd'hui ?

Pourquoi ce projet de loi ? Le changement de statut de 2001 trouvait sa place dans une loi de finances, car il s'agissait, alors, de clôturer un compte de commerce. Tel n'est plus le cas de figure aujourd'hui. Allant au-delà d'une simple ouverture de capital, le texte proposé par le Gouvernement ne pouvait pas - sous peine d'être taxé de cavalier budgétaire - trouver sa place dans le PLF ou dans la loi de finances rectificative.

Pourquoi maintenant ? Au nom de son groupe, M. Bonrepaux a déploré la « précipitation » du Gouvernement. Ce reproche est infondé, dans la mesure où le principe de l'ouverture du capital de DCN a été confirmé par Mme la ministre dès le mois d'octobre, au salon Euronaval ...

M. le Président de la commission - Absolument !

M. le Rapporteur - De plus, les parlementaires étaient informés depuis plusieurs semaines que ce dispositif viendrait en discussion avant la fin de l'année. Au reste, il ne s'agit que de la deuxième étape d'un processus qui a démarré en 2001, à l'initiative du ministre de la défense de l'époque. On pouvait donc envisager depuis longtemps les tenants et les aboutissants de la phase dont nous débattons aujourd'hui. Enfin, chacun connaît les contraintes du calendrier parlementaire. Le projet de loi - dont les dispositions sont simples - pouvait être présenté à tout moment. Mme la ministre a saisi avec détermination la première opportunité et elle a bien fait. Il n'est que temps de structurer l'offre industrielle européenne en matière de défense navale. A cet égard, l'ouverture du capital de DCN adresse un signe fort à nos partenaires potentiels et témoigne de notre volonté de jouer un rôle majeur.

Je l'ai dit, ce projet de loi représente une deuxième étape logique, après celle qui a consisté en 2001 à transformer le statut. Au demeurant, l'évolution de DCN ne date pas de 2001. Comme l'a rappelé Mme la ministre, c'est en réalité en 1991 - avec la création de DCN International - qu'a été engagé le processus de modernisation de notre outil de construction navale. En 1997, la réforme de la DGA a permis la séparation des activités industrielles et étatiques en deux entités. En 2000, « DCN-direction de la DGA » devient « DCN-service rattaché auprès du ministre de la défense », le service évoluant finalement en SA en 2001. Le projet de loi s'inscrit dans cette logique, en prenant acte des limites du statut de société anonyme dont le capital est intégralement détenu par l'Etat, pour donner au fleuron national qu'est DCN les moyens de se développer et de jouer un rôle européen majeur.

Au cours de cette longue évolution, DCN s'est considérablement transformée en interne, en réorganisant ses services pour plus de compétitivité et en restructurant ses effectifs pour plus de productivité. Le visage de l'entreprise en a été profondément modifié : de 20 604 employés en 1996, elle est passée à 12 375 postes équivalents temps plein au 1er novembre 2004. Il convient donc d'étouffer certaines rumeurs malveillantes : non, DCN ne va pas mal ! Les efforts qu'elle a accomplis sont remarquables et si certaines évolutions interviendront encore pour l'adapter à son environnement concurrentiel, il n'y a pas de restructuration douloureuse en vue. Du reste, les premiers résultats économiques et sociaux de l'entreprise pour 2003 sont plus qu'encourageants. Le chiffre d'affaires s'est élevé à 1 659 millions pour la seule société DCN et à 1 907 millions pour l'ensemble du groupe. En 2004, celui de la SA devrait atteindre 2,2 milliards et celui du groupe 2,6 milliards. DCN a dégagé un résultat d'exploitation et un résultat net positif plus importants que prévu - et d'ailleurs proches des objectifs finaux de 2008 ! Cette remarquable amélioration est due pour partie aux gains de productivité générés par le changement de statut, dont l'incidence a été particulièrement sensible dans le domaine des achats et pour ce qui concerne la gestion de la sous-traitance.

La réforme de 2001 est donc une incontestable réussite. Cependant, il faut aujourd'hui permettre à DCN de consolider son propre avenir, d'autant que l'industrie navale mondiale connaît une profonde mutation. L'organisation contractuelle de ce secteur, naguère purement industriel, est en train d'évoluer vers l'acquisition de prestations globales, incluant les services, l'entretien et la formation. Cette mutation exige des opérateurs industriels qu'ils soient désormais capables de fournir ces prestations globales. Par exemple, le contrat des frégates multi-missions devra comprendre, outre la construction des navires, le maintien en condition opérationnelle pendant plusieurs années et des modes de financement innovants.

Dans ce contexte, certains chantiers s'orientent vers la construction navale pure, tout en s'efforçant de rationaliser au mieux leurs processus de production. Tel est notamment le cas des chantiers italiens Fincantieri - 490 millions d'euros de CA dans le naval militaire - ou, avant sa transformation, de l'espagnol Izar - 445 millions d'euros de CA. Ces chantiers entrent en compétition avec les constructeurs de navires asiatiques à faible coût de main-d'œuvre dans le domaine civil, et leur part dans les grands projets militaires devient de plus en plus faible compte tenu de la prépondérance de l'électronique désormais. C'est ainsi que le maître d'œuvre italien des frégates franco-italiennes Horizon n'est pas Fincantieri mais Orizzonte, joint venture entre Fincantieri et l'électronicien de défense Finmeccanica.

D'autres acteurs se concentrent sur la maîtrise d'œuvre de projets complexes, où la construction des coques représentent moins de 50 %. Ainsi, Thales Naval France, Lockheed Martin ou United Defence sont-elles des prime contractors, c'est-à-dire en quelque sorte des entreprises générales. DCN prend clairement cette orientation et revendique une position de maître d'œuvre de navires armés. La conception et la réalisation de systèmes de combat naval constituent pour elle une activité importante. Elle est également très présente sur le marché du maintien en condition opérationnelle, qui représente 30 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses effectifs.

Aujourd'hui morcelée et fortement concurrencée par les entreprises américaines, l'industrie navale de défense européenne doit impérativement être consolidée. Cette consolidation passe par le renforcement de grands maîtres d'œuvre, capables de synergies en matière d'investissement.

Le contexte mondial est par ailleurs propice à des restructurations industrielles majeures dans le secteur. Ainsi, en octobre 2004, Thyssen Krupp a-t-il fusionné sa division navale avec le chantier HDW. Le chiffre d'affaires de la nouvelle entité devrait atteindre 2,2 milliards d'euros pour un effectif de 9 300 employés répartis sur trois sites, travaillant à 85 % dans la construction navale militaire.

En France, Thales et DCN ont annoncé qu'ils poursuivraient leur rapprochement. Ils possèdent déjà en commun la société Armaris, créée en août 2002, dont l'objet social est, entre autres, la maîtrise d'œuvre et la commercialisation à l'exportation des produits de DCN, dont les navires armés. Pourquoi faut-il aller plus loin aujourd'hui ? Pour que DCN ne se retrouve pas dans la situation d'ATR, qui a pu construire les avions ATR 42 et ATR 72, mais dont le statut juridique ne lui a pas permis de poursuivre cette aventure industrielle. DCN doit pouvoir conclure des joint ventures. A cette fin, le projet de loi lui permet de nouer des liens capitalistiques, à la fois par le haut et par le bas. Elle pourra ainsi ouvrir son capital à des partenaires privés, éventuellement européens. Elle pourra également créer des filiales communes avec des partenaires privés, en procédant notamment à des apports partiels d'actifs. Le projet de loi précise bien entendu que son capital reste majoritairement public. Il ne s'agit donc pas d'une privatisation.

Quant à la possibilité de créer des filiales, elle est très strictement encadrée. J'ai bien entendu les inquiétudes des représentants des personnels sur le risque de « saucissonnage de l'entreprise ». Je souhaite ici les rassurer. Dès lors que l'activité à apporter à une filiale concernera plus de 250 personnes ou que son chiffre d'affaires dépassera 375 milliards d'euros, DCN devra détenir la majorité du capital de cette filiale. L'avis de la commission des participations et des transferts devra obligatoirement être suivi et l'accord des ministres de l'économie et de la défense sera nécessaire. Il s'agit là d'une protection, voulue par la ministre de la défense, bien supérieure à celle du droit commun. Afin de dissiper tout malentendu, je précise qu'il suffira que l'un des deux seuils soit atteint pour que la procédure soit enclenchée. L'emploi de la conjonction « ou », et non pas « et », est une garantie.

Par ailleurs, et ce sera mon second argument, quel serait l'intérêt pour l'Etat de vendre DCN « par appartements » ? Comment imaginer qu'il puisse brader un outil aussi performant alors qu'en toute hypothèse, il est tenu de continuer à rémunérer les ouvriers d'Etat et de réintégrer les fonctionnaires détachés ? Son intérêt, et, en vérité, celui de notre pays, est bien que DCN soit la plus performante et ses personnels les plus motivés.

Les salariés ont donc tout à gagner à cette réforme. Leurs statuts sont préservés et les contrats de droit privé leur permettront de bénéficier du développement de l'entreprise. Le projet de loi dispose que les ouvriers d'Etat employés à l'activité d'une filiale seront automatiquement mis à la disposition de celle-ci, tout en voyant leurs droits sociaux préservés. Ce statut est particulièrement intéressant et les conditions de rémunération, nettement plus favorables que pour les ouvriers fonctionnaires, doivent contribuer à la motivation des personnels et au maintien en son sein des meilleurs éléments de DCN, très souvent courtisés par les sociétés internationales concurrentes. A ce sujet, il faut rappeler que les fonctionnaires de DCN peuvent signer un contrat de droit privé, et donc bénéficier des dispositions du code du travail, tout en conservant un statut de fonctionnaire détaché, ce qui leur garantit une sécurité matérielle appréciable, ainsi que les droits à pension de la fonction publique. Une société, deux systèmes, le dispositif a déjà fait la preuve de son efficacité...

M. le Président - Il faut conclure. Vous avez déjà doublé votre temps de parole.

M. le Rapporteur - Ce projet de loi, qui consolide la situation des personnels, est en réalité une boîte à outils permettant à DCN de nouer plusieurs types de partenariats. Sur ma proposition, la commission des finances a adopté un amendement demandant que le Gouvernement remette chaque année au Parlement, avant le 1er octobre, un rapport sur la mise en œuvre de ce texte. Sur le plan industriel, certains rapprochements sont d'ores et déjà envisagés, même s'il est encore trop tôt pour en connaître les contours précis.

Je vous invite donc à adopter ce projet de loi, comme l'a fait la commission des finances. Il permettra de constituer un noyau dur industriel français et de saisir les opportunités qui se présenteront au niveau européen et, pourquoi pas, au niveau mondial. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis de la commission de la défense - L'ouverture du capital de DCN doit être saluée comme une grande chance pour cette entreprise. Trois ans après la création de la société nationale, nous sommes appelés à nous prononcer sur une nouvelle étape majeure pour les chantiers navals militaires français. Je veux saluer, Madame la ministre, votre détermination qui nous a permis d'agir efficacement et rapidement au bénéfice de DCN. La restructuration de notre industrie navale est en effet urgente si celle-ci veut relever les défis de la concurrence.

En l'espace de quelques mois seulement, DCN est devenue performante et viable. Ce succès, elle le doit d'abord, et avant tout, à l'ensemble de ses personnels. Sans leur implication totale, sans leur profond attachement à une entreprise au savoir-faire inestimable, il est probable que les réformes indispensables n'auraient pas été possibles. Une loi est aujourd'hui nécessaire car l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, qui a créé la société nationale, dispose expressément que le capital en est intégralement détenu par l'Etat.

L'ouverture du capital de DCN doit faciliter son rapprochement avec d'autres industriels de la construction navale militaire. Alors que la restructuration des industries navales s'est déjà opérée outre-Atlantique, le processus n'en est qu'à ses balbutiements en Europe. Aux Etats-Unis, la construction de navires armés est assurée par quatre maîtres d'œuvre et six chantiers navals seulement, pour un chiffre d'affaires annuel de 12 milliards d'euros, alors qu'en Europe neuf maîtres d'œuvre et plus de vingt chantiers navals se répartissent une activité d'à peine 9 milliards d'euros.

Faute de regroupement, les industriels européens risquent de subir rapidement la concurrence asiatique, caractérisée par de très faibles coûts de production, mais aussi la concurrence américaine, alors même que les chantiers navals américains disposent de vastes débouchés sur leur marché intérieur. C'est donc maintenant que les choix stratégiques doivent être faits pour DCN, sous peine de déplorer, dans quelques années, sa marginalisation, voire sa disparition.

Sans ignorer la portée symbolique, pour les personnels, d'une ouverture du capital, même minoritaire, j'ai la conviction que le contexte est favorable. En effet, DCN est désormais rentable, ayant affiché un résultat net de 41 millions d'euros en 2003, avec deux ans d'avance sur l'objectif initial de retour à l'équilibre. En outre, son carnet de commandes représente plus de 4,5 milliards d'euros et le contrat d'entreprise conclu avec l'Etat, lors du changement de statut, lui garantit un plan de charges de 7 milliards d'euros sur la période 2003-2008, répartis en 2,8 milliards pour le maintien en condition opérationnelle et 4,2 milliards pour les équipements neufs. Cette conjoncture propice ne doit pour autant pas faire oublier que l'entreprise est soumise à une concurrence de plus en plus vive, y compris sur le marché français. L'avenir ne s'annoncera donc pas indéfiniment sous d'aussi bons auspices.

Le présent projet, Madame le ministre, respecte les quatre engagements que vous aviez pris.

Tout d'abord, l'Etat restera majoritaire au capital de la société mère et de ses filiales actuelles. L'ouverture du capital ne pourra excéder 49 % pour DCN et ses filiales réalisant un chiffre d'affaire supérieur à 375 millions d'euros ou dont l'effectif est supérieur à de 250 personnes. Toute ouverture de capital sera subordonnée à l'avis conforme de la commission des participations et des transferts sur son aspect financier, ainsi qu'à l'autorisation préalable des ministres de la défense et de l'économie.

Ensuite, l'unité de DCN sera maintenue. Cette garantie découle des seuils fixés par le projet de loi, puisque le plus petit des sites de DCN, à Saint-Tropez, emploie plus de 250 personnes. Il n'y aura donc aucun démantèlement de l'entreprise.

En troisième lieu, le statut des personnels militaires, fonctionnaires, agents sous contrat et ouvriers de l'Etat détachés dans des filiales, sera maintenu, de manière à garantir la continuité de leur régime juridique. Les ouvriers de l'Etat seront même électeurs et éligibles au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des filiales dans lesquelles ils travailleront.

Enfin, le contrat d'entreprise pluriannuel sera conforté, puisqu'il y est explicitement fait référence dans le projet de loi. Les perspectives d'activité à moyen terme se trouveront donc renforcées, ce qui ne manquera pas de rassurer les personnels sur l'avenir de l'entreprise.

Ces différents aspects juridiques sont autant de conditions indispensables à la réussite de l'évolution de DCN. Je salue l'équilibre d'un texte qui, tout en permettant à la société nationale de s'adapter au contexte dans lequel elle évolue, donne toutes les assurances nécessaires aux personnels au sujet de leurs statuts. C'est bien là la preuve qu'il est possible de bâtir dans la France d'aujourd'hui un outil industriel compétitif tout en respectant l'attachement des salariés à leur entreprise, et cela, c'est vous qui le faites, Madame le ministre.

Grâce aux mesures proposées par le Gouvernement, DCN pourra enfin nouer des alliances structurelles et répondre à l'émergence d'un véritable marché européen de l'armement, autour de l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement - OCCAR - et de l'agence européenne de défense.

Un rapprochement avec Thales Naval France est privilégié et les négociations se poursuivent à ce sujet. Je tiens à souligner qu'une telle alliance ne conduira à aucune suppression d'emploi, car il n'existe pas de redondances entre les deux industriels. S'il s'agit là d'un préalable à toute concentration européenne, un tel rapprochement n'exclut pas pour autant les pourparlers européens.

Le partenaire le plus naturel du nouvel ensemble français serait logiquement le nouveau groupe Thyssen Krupp Marine Systems, issu de la fusion des chantiers de Thyssen avec HDW. A cet égard, le rachat de Thales par EADS pourrait faciliter l'étape européenne de la restructuration du secteur de la construction navale.

Des discussions ont aussi lieu avec Izar, mais ce chantier naval espagnol se trouve en difficulté du fait de son obligation de rembourser les aides communautaires indûment perçues. Les complémentarités avec Fincantieri sont moindres, car le groupe italien est le dernier du secteur à conjuguer construction navale civile et militaire, ce qui fragilise sa rentabilité. C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'un rapprochement de DCN avec les Chantiers de l'Atlantique n'est pas véritablement privilégié, d'autant plus qu'une fusion ne permettrait pas de sauver la filiale d'Alstom Marine.

En définitive, le présent projet constitue une étape incontournable pour DCN. Il traduit l'attachement des pouvoirs publics à la préservation d'un des fleurons du secteur public de l'armement et a trouvé un juste point d'équilibre entre davantage de flexibilité juridique et le maintien des acquis des personnels recrutés avant le changement de statut. C'est pourquoi je vous invite, comme l'a fait la commission de la défense, à accueillir favorablement le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Patrick Braouezec - Le préambule de notre Constitution, reprenant le texte du 27 octobre 1946, proclame une série de principes jugés «particulièrement nécessaires à notre temps » et auquel le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle dans une célèbre décision de 1971. L'un d'eux est que «tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Pourquoi invoquer devant vous cet article à l'appui d'un exception d'irrecevabilité, alors même que depuis le 1er juillet 2003, l'ancienne direction des constructions navales est devenue une société anonyme de plein exercice ? Tout simplement parce qu'il n'est pas possible d'évoquer l'avenir de DCN sans se pencher sur son histoire et se rappeler l'héritage des arsenaux fondés par Richelieu et Colbert.

Cet héritage, ce sont en particulier des implantations qui font partie du patrimoine industriel de notre pays. Par exemple celle de Ruelle. Depuis 1750, date à laquelle le marquis de Montalembert a installé une fonderie au bord de la Touvre, à deux pas du bourg et de l'église de Ruelle, le destin de cette commune est intimement lié à celui de DCN. Jusqu'à 2 300 personnes ont travaillé sur le site de DCN à Ruelle ; aujourd'hui, moins d'un millier. Implantée au beau milieu de la commune, DCN occupe 52 hectares en plein centre de Ruelle. 81 % des taxes professionnelles perçues par la commune viennent de DCN. L'entreprise a donné son aisance à la commune. Dans les années 1970 se sont ainsi construits le collège, le lycée professionnel, le centre culturel, le gymnase...

Je pourrais donner bien d'autres exemples : l'établissement de Nantes-Indret en 1771, la naissance de l'arsenal de Lorient en 1778, celui de Cherbourg en 1813. Toutes ces implantations, qui reflètent un pan entier de notre histoire, sont de véritables pôles d'activité, qui mobilisent et fédèrent les énergies locales.

Certes DCN a entre temps beaucoup changé, surtout depuis une dizaine d'années. Il y a eu d'abord la création de DCN international en 1991, société de droit privé à capitaux publics chargée des activités commerciales de promotion et de suivi des contrats signés à l'exportation. Il y eut ensuite, en 1997, la séparation des activités de DCN au sein de la Délégation générale pour l'armement en deux entités distinctes : le service des programmes navals et DCN, proprement dite, chargée des seules activités industrielles. Et en 2003 le changement de statut qui a fait de DCN une société de droit privé à capitaux publics.

La direction des constructions navales a donc cessé formellement d'être un service à compétence nationale directement rattaché au ministre de la défense. Il reste que l'histoire de l'entreprise est indissociable de celle de notre pays, des territoires qui en ont accueilli les implantations, de ses salariés, dépositaires d'un savoir-faire exceptionnel, et que l'on ne peut évoquer l'avenir de DCN sans se soucier du statut spécifique qui fut le sien, qui intéresse des enjeux de souveraineté nationale, sans se soucier non plus de la place que DCN occupe dans l'histoire de la construction navale française et de l'importance que revêt l'ancrage de ses implantations dans le paysage industriel de notre pays.

Lors de la discussion, en décembre 2001, du projet de loi de finances rectificative, qui contenait l'article prévoyant la modification des statuts de DCN à l'horizon 2003, les députés communistes avaient rappelé leur position de principe : se prémunir de tout aventurisme. Elle n'a pas changé. Je ne reviendrai pas sur le fait que le Gouvernement envisageait de légiférer par la voie d'un amendement à la loi de finances rectificative. Nous disposons finalement d'un authentique projet de loi. Nous vous en remercions, Madame la ministre, mais le problème reste entier, tant la rédaction du texte est frappée du sceau de l'improvisation.

Il y a, en outre, une différence de taille entre l'amendement de 2001 et le projet de loi que vous nous soumettez, car il était alors très clair, dans l'esprit du législateur, que DCN devait demeurer une société de capitaux publics et que l'Etat gardait ainsi la main sur l'un des fleurons de notre industrie et ne reléguait pas au second plan l'intérêt national. Votre projet en revanche se propose d'ouvrir le capital de DCN, nouvelle étape vers la privatisation pure et simple de l'entreprise et engagement explicite d'un processus de démantèlement.

Votre projet consacre en effet la possibilité de création de filiales. Etant donné que le critère retenu est celui des activités, l'on pourra demain créer sur un même site plusieurs activités et filialiser chacune d'entre elles. Pas plus qu'elle n'a échappé aux organisations syndicales, cette réalité ne nous échappe pas, comme ne nous échappent pas non plus les propos tenus par M. le ministre délégué à l'industrie, Patrick Devedjian, le 18 novembre dernier au Sénat. Il avait alors souligné qu'en Europe, il y a vingt et un industriels pour vingt-trois chantiers navals, alors qu'aux Etats-Unis, le rapport est de quatre industriels pour six chantiers navals. Il en concluait qu'il fallait « cesser de gémir sur la puissance américaine en ne faisant rien en Europe ». Cela signifie clairement que vous envisagez la fermeture de chantiers, avec les conséquences que nous connaissons sur l'emploi et sur les territoires.

Ces perspectives n'ont pourtant rien d'une fatalité, car DCN est aujourd'hui une société en bonne santé financière et qui dispose de réels points forts : son intégration dans les divers métiers de la construction navale, une gamme complète de produits, une compétence technique reconnue. Rien ne nécessite donc d'envisager l'ouverture de son capital. Je note d'ailleurs que nos voisins européens se montrent à cet égard assez prudents. Vous procédez à un véritable passage en force alors que les partenaires allemands veulent prendre tout le temps pour négocier. Et les grands chantiers européens demeurent en grande majorité publics. Les chantiers navals allemands sont majoritairement détenus par les Länder. Le groupe Izar est détenu en totalité par l'Etat espagnol. Fincantieri, principal industriel italien de la construction navale, est détenu à 83 % par l'Etat italien.

En outre, les partenariats européens que vous appelez de vos vœux existent déjà. Des partenariats ont été noués entre DCN et des acteurs de l'industrie européenne depuis plus d'une décennie : l'alliance commerciale avec Thales via Armaris, la coopération avec Izar sur les sous-marins Scorpène, avec Fincantieri sur les frégates, avec les Chantiers de l'Atlantique sur BPC. Ces partenariats ont montré leur efficacité : il n'y a donc nulle urgence à envisager de les renforcer pour faire face à la concurrence américaine ou asiatique. A terme, d'ailleurs, quelle meilleure garantie de résistance à la concurrence que le maintien du statut public ? Au contraire l'ouverture du capital comporte un risque majeur de voir les fonds de pension américains entrer massivement dans le capital des industriels européens de la construction navale.

Votre démarche s'inspire, Madame la Ministre, de nombreux rapports parlementaires, le dernier en date étant celui de M. Lemière. Cette volonté libérale d'ouvrir le capital de DCN est dictée par la conception européenne qui assimile les armes à des biens marchands comme les autres, dans le respect de la logique de libre concurrence que prône le projet de Constitution européenne. L'ouverture du capital de DCN se soutient d'une logique de désengagement de l'Etat qui porte directement atteinte à l'exercice de ses fonctions régaliennes.

Elle se soutient aussi de la volonté d'opérer entre Thales et DCN un rapprochement qui s'apparente à une fusion, à une reconcentration, visant la réduction des effectifs et des crédits et la fermeture de sites industriels dans un secteur pourtant dynamique. Vous faites d'ailleurs de la bonne santé de DCN un argument à l'appui de votre projet d'ouvrir le capital. C'est une constante : dès qu'une entreprise publique se porte bien, on la livre aux appétits d'actionnaires privés. Quand elle va mal, c'est la collectivité qui en assume le coût. Vous choisissez de privatiser les profits et de socialiser les coûts, pour ensuite nous expliquer que la réduction des déficits doit être la priorité de l'action gouvernementale : c'est une logique de pompier pyromane !

Le Gouvernement a choisi, par pur dogmatisme et dans la précipitation, d'ajouter DCN à sa liste de privatisables, sans concertation préalable avec les syndicats, sans une information suffisante de la représentation nationale. Le procédé, choquant, est en outre dangereux. Vous parlez de la nécessité de consolider le secteur de la construction navale en Europe, mais nous n'avons pas d'Europe de la défense. Vous n'inscrivez votre projet dans aucun schéma industriel. Pourtant rien ne s'oppose encore à la constitution d'un pôle public européen de la construction navale, ni à des concertations approfondies avec nos voisins pour développer des stratégies industrielles concertées en phase avec l'élaboration d'une véritable politique européenne de la défense, autonome et souveraine. Il y va de l'intérêt de la France et de l'Europe. Face à cette exigence, votre argumentaire est de peu de poids. Il reflète une logique à courte vue peu soucieuse des intérêts supérieurs de l'Etat et des enjeux d'indépendance stratégique nationale et européenne.

Si la construction de bâtiments sous-marins à Cherbourg et de navires de surface à Lorient et Brest n'est plus aujourd'hui le cœur de métier de DCN, elle reste une compétence importante de l'entreprise. Celle-ci a fait et fait encore figure de précurseur technologique dans la réalisation de ses bâtiments, de sorte qu'elle demeure de fait en situation de monopole pour la construction navale militaire dans notre pays ; cela tient à des raisons historiques fortes liées à la préservation de notre souveraineté. Aussi vous opposons-nous cette exception d'irrecevabilité au seul motif - il y en aurait d'autres - de la violation des dispositions du préambule de notre Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. le Président - Sur l'exception d'irrecevabilité, le groupe communiste et républicain demande un scrutin public.

Mme la Ministre - Je le dirai gentiment à M. Braouezec : je regrette de le voir ainsi regarder toujours vers le passé. Ce qui veut dire montrer de la défiance envers la capacité de l'entreprise de relever les défis du futur. C'est en se repliant sur soi, en faisant comme si la société ne changeait pas, qu'on finit par disparaître.

Certains de vos arguments, Monsieur Braouezec, sont faux. Ainsi vous dites que les chantiers allemands et espagnols appartiennent à l'Etat. Mais en Allemagne les deux plus importants, Thyssen et HDW, sont privés. Quant à l'Espagne, cela fait des mois que je suis en discussion avec mes deux homologues successifs, les ministres de la défense du gouvernement Aznar puis du gouvernement Zapatero, et leur réflexion est orientée dans le même sens : celui de la privatisation. Quant à l'Italie, vous dites vous-même que l'entreprise est détenue par l'Etat... à 83 %, ce qui signifie que son capital est ouvert. Pour ma part je propose que l'Etat français détienne au minimum 51 % du capital. Mais ensuite la part qui sera offerte dépendra des projets industriels présentés : il s'agit d'ouvrir une possibilité à l'entreprise. Ce qui veut bien dire que la démarche est liée à un vrai projet industriel.

Vous dites qu'il n'y a pas de concertation avec nos voisins européens pour une stratégie industrielle commune : c'est faux. Depuis plus de dix-huit mois je suis en discussion avec mes partenaires, et je pense les avoir convaincus que, pour résister à une concurrence qui est appelée à se développer encore, nous avons besoin de rapprocher nos entreprises. Ce point de vue est partagé par nos partenaires allemands, espagnols, mais aussi portugais, italiens, et d'autres encore, y compris les Grecs qui suivent avec intérêt ce que nous faisons. Oui, tout cela doit s'inscrire dans la construction d'une vraie politique industrielle européenne. Si j'ai contribué à la création d'une agence européenne de la défense et de l'armement, c'est dans cet esprit. L'ouverture du capital que je propose aujourd'hui est un moyen de conforter DCN dans le paysage industriel global, ainsi que de participer à la construction d'une Europe industrielle de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Claude Sandrier - Ce texte nous paraît contraire à la Constitution. DCN présente en effet les deux critères que retient le préambule de 1946 : elle correspond à un vrai service public national, et elle jouit d'un monopole de fait. Elle doit donc, au point de vue constitutionnel, être propriété de la collectivité. Vous empruntez le chemin inverse. Vous nous reprochez de représenter le passé : il est étrange de s'entendre dire cela chaque fois qu'on défend le service public, c'est-à-dire qu'on constate que, dans un certain nombre de domaines essentiels, les intérêts privés sont incapables de répondre aux besoins de la nation. Pourtant l'évolution de notre histoire a été marquée durant des siècles par une maîtrise totale du capital sur la société, de sorte qu'on a dû construire au fil du temps - y compris le général de Gaulle en 1945 - des services publics pour répondre aux besoins qui ne pouvaient être couverts autrement.

Vous dites que les industriels exigent cette ouverture. Depuis quand l'Etat se plie-t-il à des exigences dont on voit bien qu'elles sont dans l'intérêt de ces industriels et de leurs actionnaires, mais dont rien n'indique qu'elles sont dans celui de la France ? D'autre part, après avoir montré que la situation de DCN était bonne, vous en concluez qu'il faut la changer... Est-ce bien raisonnable ? Enfin, le rapporteur a dit que ce n'était pas une privatisation. Formellement, c'est exact, mais on sait bien, à la lumière de l'expérience, comment cela commence... et on sait bien aussi comment cela finit ! Nous voterons donc l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean Lemière - Le groupe UMP refusera bien sûr cette exception d'irrecevabilité. La construction navale civile européenne a été laminée en quarante ans, parce qu'on est resté sur des positions statiques, et qu'il n'y a eu d'union ni pour la recherche-développement, ni pour l'action commerciale. La souplesse, le partenariat public-privé au sein même du capital de DCN permettra de définir de vrais outils pour faire face à la concurrence qui vient de l'Asie du Sud-Est, des pays émergents, ainsi que de la volonté américaine de s'investir dans ce secteur et de proposer des produits qui pourraient nous faire perdre des marchés essentiels. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Albertini - Ce débat est intéressant car, au-delà de DCN, il met en jeu la réflexion sur notre industrie. La réponse ne saurait venir de l'idéologie, ni d'une contemplation éventuellement nostalgique du passé, non plus que d'une condamnation a priori de la notion même de service public, qui est consubstantielle à la construction de notre pays. Elle doit être dictée par l'efficacité, dans un environnement qui n'est plus seulement français mais européen et marqué par une concurrence mondiale. L'ouverture du capital proposée n'est nullement la négation du service public que représente DCN. Les garanties apportées aux salariés sont fortes. Nous nous inscrivons dans un partenariat intelligent, ouvert, dans une volonté de relever les défis. C'est pourquoi nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

A la majorité de 35 voix contre 8 sur 43 votants et 43 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

M. Jean-Claude Sandrier - Il nous est proposé un nouveau désengagement de l'Etat, mais il est de taille : ce qui est en jeu, c'est la capacité de notre pays à disposer d'une défense nationale autonome et à contribuer à promouvoir une politique européenne de sécurité et de défense indépendante, hors du champ des intérêts privés.

Compte tenu de l'enjeu, on est effaré par le manque de sérieux de votre méthode. Cet été encore, il n'était pas question d'ouvrir le capital de DCN. Cette mesure est annoncée le 25 octobre. En novembre, vous tentez d'introduire en toute discrétion une disposition noyée dans les soixante-quatre articles du projet de loi de finances rectificative. Heureusement, le Conseil d'Etat a fait preuve de sagesse en indiquant au Gouvernement que, sur une question de cette importance, il vaudrait mieux élaborer un projet de loi. Le Gouvernement annonce le report de la discussion au premier trimestre 2005, puis, le 8 décembre, le conseil des ministres examine le projet et décide de l'inscrire à notre ordre du jour en déclarant l'urgence. Quelle précipitation !

S'agissant de l'avenir de 12 780 employés, de leurs familles, de plusieurs bassins d'emploi et d'une entreprise performante à caractère stratégique, vous faites preuve d'une désinvolture qui est suspecte.

Vous affirmez que l'ouverture du capital est indispensable à la conclusion de partenariats européens. Ce n'est pas sérieux : c'est ce même prétexte qui a servi à justifier le changement de statut de DCN en décembre 2001. En outre, de tels partenariats existent depuis plus d'une décennie : l'alliance commerciale avec Thales via Armaris, la coopération avec Izar sur les sous-marins Scorpène, la coopération avec Fincantieri sur les frégates... DCN dispose en outre de réserves de trésorerie qui lui permettraient aisément de s'insérer dans d'autres groupements d'intérêt économique.

Nos partenaires européens nous demanderaient l'ouverture du capital. Soit ! Mais qui faut-il écouter ? Vous, Madame la ministre, ou notre rapporteur qui, en commission des finances, a indiqué qu'on ignorait ce qu'allaient donner ces partenariats ?

Il est vrai que ce projet est examiné dans le brouillard. Aucune perspective industrielle n'est tracée. Si le partenaire choisi était allemand, il faudrait nous le dire et nous expliquer pourquoi le ministre allemand de l'économie affirme que cette question n'est pas à l'ordre du jour. Si elle devenait d'actualité, il faudrait encore nous indiquer pourquoi nous devrions nous soumettre à l'exigence de l'Allemagne.

Ainsi, vous posez en préalable, de manière purement idéologique, l'ouverture du capital, sans définir aucun projet industriel pour DCN. Or, le capital privé n'apporte aucune garantie supplémentaire, qu'il s'agisse de la qualité de la production ou de la gestion. Vous reconnaissez que DCN a un bon chiffre d'affaires, un bon résultat net et un bon carnet de commandes. Pourquoi voulez-vous changer une équipe qui gagne ?

A moins qu'il y ait de l'argent frais à aspirer et que les bons résultats de DCN aiguisent des appétits... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Dans cette affaire, Madame la ministre, vous n'agissez pas par légèreté : vous faites un choix politique et idéologique. Mais votre précipitation cache quelque chose que vous devez dire aujourd'hui à la représentation nationale. Si aucun partenaire européen n'est pressé, qui donc lorgne sur DCN ? Ne serait-ce pas Thales ?

S'il s'agit d'un signe en direction de notre voisin allemand, il faut nous en indiquer la signification. Récemment encore, il se disait outre-Rhin, après la déception suscitée par EADS, que si un jour intervenait une restructuration de l'industrie navale européenne, elle devrait se faire sous un leadership allemand.

Vous invoquez aussi la concurrence, mais elle n'a pas empêché DCN de se développer. La coopération est le meilleur rempart contre cette concurrence. Son statut, ses réserves de trésorerie permettent même à DCN de développer de nouvelles coopérations.

L'ouverture du capital est de loin l'option la plus dangereuse. Outre qu'elle soumet une entreprise stratégique à des intérêts privés, elle ouvre la porte aux capitaux américains, au risque de faire perdre aux Etats européens la maîtrise de leur politique industrielle de défense.

M. Jérôme Rivière - C'est l'inverse !

M. Jean-Claude Sandrier - Les capitaux américains sont déjà présents dans le géant allemand de l'industrie navale. Ne parlons pas du Royaume-Uni, dont le plus grand groupe est détenu à 47 % par les Américains. On comprend mieux certaines allégeances.

Pour se garantir du danger, il faut définir un schéma industriel pour DCN, développer des coopérations en matière de recherche et développement, constituer enfin un pôle public de l'armement au niveau européen, ce qui est facile dans la mesure où, dans les principaux pays, l'industrie navale est restée sous maîtrise publique.

En ouvrant le capital, ce n'est pas une boîte à outils que vous ouvrez, c'est la boîte de Pandore. Il est écrit dans votre projet que le Gouvernement garde le pouvoir de contrôle. Vous confondez parapet et paravent. Vous préparez en réalité une grande restructuration débouchant sur un monopole privé, ce qui est paradoxal quand on défend la concurrence.

Madame la ministre, vous avez évoqué hier votre « ambition » pour DCN : est-il ambitieux de faire entrer le capital privé dans une entreprise nationale à caractère stratégique ? Mais tous les arguments sont bons pour se soumettre à la loi du marché, devenue la bible des nouveaux maîtres du monde. Nous refusons cette capitulation et notre vote reflète la volonté unanime des syndicats.

M. Michel Hunault - Madame la ministre, je veux d'abord remercier le Gouvernement pour la méthode retenue. Vous pouviez déposer un amendement au projet de loi de finances rectificative, vous avez déposé un projet ad hoc, démontrant ainsi votre attachement à DCN. Ce choix enlève tout fondement à certaines critiques de la gauche qui, en d'autres temps, avait modifié par amendement le statut de l'entreprise.

M. Jérôme Rivière - C'est vrai.

M. Michel Hunault - L'article unique du projet tend à autoriser l'ouverture du capital de DCN et la constitution de filiales, tout en préservant le statut des employés. C'était une mesure attendue et nécessaire. Le précédent gouvernement avait transformé les chantiers en entreprises, ce qui allait dans le bon sens, mais DCN n'a pas vocation à rester une entreprise détenue à 100 % par l'Etat. Elle doit avoir les moyens de mener une politique stratégique et industrielle ambitieuse. Son savoir-faire, la qualité de ses équipes sont autant d'atouts. Il ne faut pas faire croire aux Français et aux employés que la modernisation de cette industrie ne nécessite pas l'ouverture du capital et la création de liens capitalistiques avec d'autres entreprises. Ce projet, courageux, mérite d'être salué.

Mais de nombreuses questions restent pendantes. Ce projet autorise aussi bien la cession des titres de l'Etat à un industriel, une mise sur le marché ou la constitution de filiales avec apport d'actifs. Les seuils retenus par le Gouvernement pour la constitution de filiales majoritaires nous semblent apporter les garanties nécessaires. Mais nous ne connaissons toujours pas la politique industrielle du Gouvernement en matière d'armement naval.

Nous comprenons que vous souhaitiez approfondir la coopération entre DCN et Thales. A l'heure de la mondialisation et de la suprématie militaire américaine, la France a l'obligation de se donner pour objectif la construction d'un acteur de taille mondiale, ce qui passe par une consolidation européenne des industries navales. Une politique ambitieuse ne saurait pourtant s'arrêter au rapprochement de DCN et de Thales. Nous devons nous inspirer du modèle industriel d'Airbus, qui a fait ses preuves. Nous ne perdrons ni notre influence, ni notre savoir-faire. Les réticences à un tel projet tiennent à la crainte d'une perte d'influence au profit des industriels allemands. Le groupe UDF pense à l'inverse que c'est l'isolement qui réduirait notre influence. La presse expliquait récemment l'échec d'un autre rapprochement par des revendications exagérées de la France, qui n'accepterait d'alliance qu'à la condition de garder le contrôle du nouvel ensemble. Airbus a démontré que la mise en commun des ressources présente des avantages pour l'ensemble des partenaires.

Le groupe UDF souhaite l'adoption rapide de ce projet. Toutefois, pour garantir l'avenir en matière de construction navale, il faut construire un acteur européen : nous souhaitons que le Gouvernement mette tout en œuvre dans ce but.

Je salue votre volonté personnelle, Madame la ministre, de maintenir l'unité du groupe. La loi intervient dans un moment favorable et s'inscrit plus largement dans la construction de l'Europe de l'armement, élément de l'Europe de la défense. Je vous remercie d'avoir apporté toutes les garanties pour sauvegarder le statut du personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Mme Marguerite Lamour - Députée de Brest, je suis très attentive à ce texte, à tout ce qui concerne la défense et les industries navales en particulier. Le 19 décembre 2001, DCN a tourné une page de son histoire. La loi, votée par une autre majorité, modifia le statut de l'entreprise qui, d'administration, devint société nationale. La modification des statuts de DCN, effective en 2003, s'est accompagnée d'un contrat d'entreprise qui fixe un cadre d'obligations réciproques entre DCN et l'Etat. Il s'agissait alors d'une véritable révolution culturelle. Opérateur majeur dans le domaine de la construction navale, DCN met au service des marines nationale et étrangère ses compétences dans l'innovation et la maintenance des systèmes navals. L'entreprise évolue dans un paysage industriel marqué par les regroupements et les alliances entre les principaux acteurs de la construction navale européenne. Aujourd'hui, elle doit faire des choix stratégiques si nous ne voulons pas déplorer dans quelques années sa marginalisation et son déclin, voire sa disparition. L'engagement de l'Etat doit être confirmé car l'histoire dramatique de GIAT ne doit pas se reproduire.

Un document édité par DCN en 2001 et intitulé Vision déclinait en cinq axes majeurs les objectifs de l'entreprise en 2005 : être un acteur majeur de la construction d'une offre européenne avec une priorité donnée aux navires et aux systèmes mettant en œuvre des fonctions à haute valeur ajoutée dans le domaine militaire, promouvoir un ensemble de systèmes de premier plan dans le domaine de la réalisation de navires armés, concevoir des alliances et des partenariats afin de renforcer la compétitivité, se situer dans la norme des meilleurs industriels du secteur et, enfin, développer un management orienté vers les clients. Sommes-nous prêts à relever ces formidables défis ?

DCN doit continuer à nouer des alliances. Toutes les énergies doivent œuvrer dans le même sens car c'est impérativement nécessaire dans l'impitoyable compétition mondiale que nous connaissons. Ce projet suscite les craintes des personnels, qui disposent en effet d'un statut spécifique. Ils sont en particulier inquiets concernant les garanties sociales dont ils bénéficient. DCN compte plus de 12 000 salariés dont le quart sur le seul site brestois. Les destins de Brest et de l'entreprise sont donc intimement liés. Selon les informations dont je dispose, DCN dispose d'un plan de charges et recrute. Elue en juin 2002, j'ai rencontré à plusieurs reprises les salariés : nous avons, malgré nos divergences parfois, un point en commun : notre ambition pour notre région. Je respecte profondément ces hommes et ces femmes qui ont un sentiment fort d'appartenance à leur entreprise et qui ont su s'adapter aux enjeux du monde d'aujourd'hui. Ce projet garantit l'unité de DCN grâce au seuil d'ouverture du capital. Je ne peux croire, contrairement à ce que prétendent certains, que l'Etat se désengagera totalement de cette entreprise, et je vous fais confiance, Madame la ministre. Les personnels sont unanimement favorables à la construction européenne en matière de recherche et de développement tout en voulant préserver une construction navale nationale. Je m'étonne lorsque certains collègues prétendent que la majorité fait fi d'eux. L'opposition aurait pu manifester son attachement à DCN et à la défense nationale en votant en novembre 2002 la loi de programmation militaire.

M. Jérôme Rivière - Très bien !

Mme Marguerite Lamour - Le plan de charges de DCN ne provient-il pas en grande partie des crédits de la défense ? La LPM a redonné espoir à tous ceux qui sont attachés à notre défense nationale. Une partie de l'hémicycle ne crie-t-elle pas au loup par électoralisme et parce qu'elle n'a pas su accorder à la défense les crédits qui lui sont nécessaires ? Vous ne pouvez tenir un double langage en prétendant soutenir les personnels et en ne consacrant pas un euro à la défense. Si chaque député s'exprimait en son âme et conscience, nombreux sont ceux qui, dans l'opposition, nous rejoindraient à ce sujet.

M. Jérôme Rivière - Très bien.

Mme Marguerite Lamour - On ne peut se déclarer en faveur de l'Europe de la défense et refuser les évolutions nécessaires du statut de DCN. La première urgence était de redonner à notre industrie de la défense les moyens de son développement et vous l'avez fait, Madame la ministre. Dès lors que des garanties seront apportées quant au statut des personnels, je voterai ce texte. Je suis en effet intimement convaincue que cette ouverture de capital doit permettre à l'entreprise de conforter sa position et d'assurer son développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Patricia Adam - Il y a trois ans, le gouvernement de M. Jospin mettait en oeuvre le changement de statut de DCN afin que l'entreprise puisse répondre à de nombreux défis et en particulier aux appels d'offres. Vous proposez aujourd'hui une loi qui change assez profondément le texte précédent, tant pour les salariés que pour l'entreprise. Nous venons en outre d'apprendre que le Gouvernement défendra un amendement en vue de l'intéressement des salariés et du développement de l'actionnariat, mais c'est en fait le démantèlement de l'entreprise que vous proposez.

DCN est une entreprise saine, bien gérée, la mutation de son statut fut un succès, la compétitivité des coûts et des délais est au rendez-vous, mais essentiellement parce que DCN fait corps avec son histoire industrielle, celle des arsenaux. Les salariés ont raison d'être fiers de cette histoire et ils ont su valoriser ce capital de compétences. Le changement de statut ne modifiait pas structurellement ce parcours : il s'agissait simplement de favoriser la construction européenne, sans sacrifier les hommes non plus que leurs droits sociaux.

Ces droits sociaux se sont construits au fil des temps, par le biais de luttes ouvrières souvent très dures. Face à cela, vous proposez une ouverture libérale à tout crin, sans la moindre reconnaissance par l'Etat de l'effort fourni par les salariés. Votre texte écrit dans l'urgence est juridiquement irresponsable - ou peut-être délibéré ? - en matière de droits sociaux et de démantèlement.

M. Jérôme Rivière - Vous ne pensez pas ce que vous dites, cela s'entend !

Mme Patricia Adam - Ce texte, qui se contente de donner le feu vert à une ouverture du capital, laisse la porte ouverte à de nouvelles modifications de statut sur lesquelles vous ne dites rien. Il garantit simplement à l'Etat la détention de 51 % du capital, soit environ autant des voix aux assemblées générales. Mais le droit commun désormais applicable à DCN prévoit que les décisions relatives au changement de statut des sociétés sont prises à la majorité des deux tiers. Vous ne donnez aucune garantie que la part de l'Etat ne descendra pas en dessous de ce seuil, l'obligeant à composer avec d'autres actionnaires privés pour définir un changement de statut. Nous ne savons pas quels seront ces partenaires, leurs choix ou leurs conditions. Vous gardez à ce sujet un silence lourd de conséquences pour l'avenir de l'industrie navale. Vous avez évoqué des discussions en cours avec d'autres pays européens, dont nous ne connaissons même pas le contenu. Vous ouvrez la porte, peut-être sciemment d'ailleurs, à une dilution de l'actif social dans des sociétés dont la majorité ne serait pas détenue par DCN, sans prévoir aucune procédure de contrôle des apports d'actif ni préciser les modalités de calcul des seuils permettant de déterminer le nombre de salariés affectés à la société mère ou à ses filiales.

Au-delà se pose évidemment la question du statut des employés de DCN : ouvriers d'Etat, fonctionnaires, militaires, contractuels de droit public, notamment en cas de transfert d'activités à des filiales - l'un des rares objectifs que vous affichiez étant bien d'en créer. Rien, dans votre texte, ne précise ce que deviendront leurs statuts, tous de droit public, en cas d'apport d'actif extérieur, de cession ou de transfert d'activité à des filiales privées. Or, si la jurisprudence admet, sous certaines conditions, le maintien des droits individuels des salariés en cas de transfert d'activité, y compris dans le cas de contrats de droit public, rien ne garantit le maintien des droits collectifs. Sur ce point aussi, le texte que vous nous demandez d'adopter conserve un mutisme total. Or, il relève bien de la loi d'apporter les précisions nécessaires, pour permettre aux salariés de DCN de savoir à quoi s'en tenir en cas de transfert d'une activité à un opérateur privé, qui deviendrait leur employeur, ce qui est bien le principal objectif de ce texte. Rien ne justifie d'ailleurs que les principaux intéressés aient été tenus à l'écart de l'élaboration du texte. Les organisations syndicales n'ont pas été suffisamment consultées. L'évocation de la perspective d'ouverture du capital dans les conseils d'administration de DCN n'en dispensait pas. Cette mise à l'écart délibérée des salariés témoigne d'un mépris indigne d'un Etat démocratique. Enfin, le Parlement, privé de toute information utile sur les raisons, perspectives et conséquences de ce projet, est lui aussi bafoué dans ses droits.

Ce projet n'est rien d'autre que la destruction d'une histoire longue de plusieurs siècles. Il ne garantit en rien la réussite de l'avenir que nous devons construire avec nos partenaires de l'Union, en respectant nos spécificités et nos cultures. Les rapprochements doivent s'opérer sans volonté d'hégémonie d'un Etat sur un autre. Je suis certes une fervente européenne, mais pas à n'importe quelle condition. La France a les moyens de faire entendre sa différence, en particulier quant à la défense de ses entreprises et de ses services publics. A défaut de voter ce texte, nous aurions au moins souhaité pouvoir travailler dans de bonnes conditions, mener des auditions par exemple. Vous affirmez que ce projet de loi est indispensable et essentiel, que l'avenir de notre industrie en dépend, et la stratégie européenne aussi. Mais tout se passe comme si le Gouvernement, maître de l'ordre du jour, ne souhaitait pas que la représentation nationale puisse mener un débat approfondi ! La méthode que vous avez choisie ne permettra ni au Parlement, ni aux salariés d'avoir une vision claire de la stratégie industrielle de l'entreprise.

M. Jérôme Rivière - C'est tout de même mieux qu'un amendement !

Mme Patricia Adam - Vous n'avez même pas respecté la loi de finances rectificative pour 2001, qui prévoyait que le Gouvernement rendrait compte annuellement au Parlement de l'état d'avancement du projet d'entreprise et du contrat d'entreprise de la nouvelle société, et cela malgré notre demande.

M. le Rapporteur - C'est faux !

Mme Patricia Adam - Vous nous dites qu'il faut faire vite, mais les Allemands ont des doutes sur la construction d'un EADS naval ! Ils freinent des quatre fers, et vous persistez à dire qu'il y a urgence ! Pourquoi tant de précipitation ? Même dans vos rangs, certains ne le comprennent pas. Ils voteront, mais sans être convaincus. La concertation aura été quasi-inexistante, et le groupe socialiste ne peut l'accepter. Les organisations syndicales, les membres du personnel estiment que le dialogue social dont le Gouvernement ne cesse de se targuer a été bafoué, mais une fois de plus, vous tentez de passer en force, malgré l'avertissement des dernières élections ! Mais s'il n'y a pas de dialogue social aujourd'hui, dans une entreprise d'Etat, qu'en sera-t-il une fois ce texte voté ? Comment les personnels de DCN pourraient-ils croire en leur avenir alors qu'on refuse d'en discuter avec eux et de leur offrir une perspective crédible ?

Cette « urgence » n'est en fait que le moyen d'éviter un débat sur les questions qui vous embarrassent. Du bout des lèvres, vous avancez que l'industrie navale européenne est surcapacitaire et trop dispersée, en comparaison des Etats-Unis, et qu'elle doit se consolider au niveau national avant de se restructurer sur un plan européen. Mais pourquoi ces arguments, présents dans la première version de l'exposé des motifs, ont-ils disparu du texte final ? Qu'est-ce que ça signifie pour l'avenir des sites, pour les bassins d'emploi ? Ce projet ne consiste en fait qu'à apporter des gages à d'éventuels partenaires, mais lesquels ? Avec quels projets, sous quelles conditions ? Nous aurions aimé que ce débat puisse s'instaurer dans les régions, pour que le personnel et aussi les élus puissent se projeter dans cet avenir. Mais vous nous demandez plutôt de signer un chèque en blanc. Le groupe socialiste ne votera donc évidemment pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Lemière - Sommes-nous capables de tirer les leçons du passé, d'affronter le présent et de réfléchir à l'avenir de notre construction navale ? C'est tout l'enjeu de ce projet de loi. Au début du XXe siècle, l'Europe était un des grands constructeurs de navires civils. Aujourd'hui, elle ne pèse plus que 5 % d'un marché que l'Asie du sud-est domine à 85 % ! Nous avons été incapables de nous unir, de faire des économies d'échelle, de présenter un front actif, et nos chantiers navals ont fermé. En France, ils se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une seule main ! Qui peut donc croire que l'industrie européenne de défense, qui représente pourtant environ 30 % du marché mondial, n'est pas menacée ? Dire qu'il n'y a pas urgence constitue une erreur stratégique énorme !

La stratégie des pays d'Asie du Sud-Est - Japon, Corée du Sud et Chine - a été d'investir d'abord le créneau naval civil. Aujourd'hui, le chantier naval Hyundai Shipbuilding produit à lui seul, chaque année, autant de navires que l'Europe entière ! Alors, lorsque la Chine, dont chacun imagine la capacité de développement, décidera d'attaquer de nouveaux segments de marché, comment résisterons-nous ? Le deuxième danger se profile à un peu plus long terme, mais ne tardera pas non plus : les pays émergents, comme l'Inde, seront un jour capables de proposer des produits peu sophistiqués, adaptés aux pays en voie d'émergence, et de nous prendre les parts de marché correspondantes. Enfin, alors qu'on a longtemps pensé que l'industrie navale américaine ne s'occupait que de son marché domestique, il faudrait être sourd et aveugle pour ignorer la gravité de deux événements récents. Le premier est l'achat par l'industrie de défense américaine de chantiers de défense. Nos collègues communistes nous ont expliqué que nous étions les seuls à ouvrir notre capital, mais comment expliquer qu'un beau matin, nos amis allemands aient vu leur principal chantier de construction navale de sous-marin, HDW, devenu la propriété d'un fonds d'investissement lié à un puissant financier américain ?

Ce projet s'inscrivait dans une stratégie de conquête du marché des sous-marins destinés à Taiwan. L'exemple d'HDW a montré qu'on ne se défendait pas en élevant des murs.

Par ailleurs, l'industrie navale américaine ne se cantonne désormais plus à son marché intérieur. Elle a lancé un programme en forme de véritable machine de guerre, intitulé le Littoral Combat Ship, parfaitement calibré pour le contexte stratégique de l'après 11-septembre. Fabriqué dans un premier temps à soixante exemplaires, le navire pourra ensuite pénétrer le marché européen.

Dès lors, je dis à nos amis communistes qu'il ne peut y avoir de politique étrangère sans politique de défense, et pas davantage de politique de défense sans une industrie européenne autonome et puissante. Il serait illusoire de raisonner sur d'autres bases. Le jour où les Américains finiront par posséder tous les rouages de la recherche, du développement et de la production, c'en sera bel et bien fini de notre indépendance ! Ce n'est pas de l'anti-américanisme que de le constater. Chaque union de pays doit se doter de ses propres capacités d'intervention.

Face à ces attaques sur plusieurs fronts, la seule solution, c'est de renforcer nos entreprises et de les doter d'une véritable force de réaction. Il n'est pas de métier plus difficile que celui de constructeur naval : les moyens humains et financiers à mobiliser sur de très longues périodes sont énormes, les dépenses de commercialisation sont colossales et, en dépit de tous nos atouts, l'activité reste fragile. Il nous appartient par conséquent de renforcer nos entreprises et de leur donner un statut suffisamment souple pour qu'elles puissent nouer les unions indispensables. Sans unions, nous serons laminés ! C'est parce que je crois à nos navires, à nos sous-marins, à nos porte-avions, à nos destroyers, à nos corvettes, à nos frégates que je veux voir l'Europe se doter des moyens nécessaires à la maîtrise de l'ensemble de sa filière navale. Sachons faire ensemble le saut qualitatif qui s'impose aujourd'hui.

Je ne comprends pas du tout la position de nos amis socialistes (Murmures sur divers bancs). Je ne m'attarde pas sur le fait qu'ils n'aient pas voté la loi de programmation militaire, car je veux citer les propos tenus ici-même par M. Quilès le 4 novembre 2003, lorsqu'il proposait de « réduire de 800 millions en autorisations de programme et de 500 millions en crédits de paiement les investissements du nucléaire militaire. Cette mesure concerne particulièrement la mise en œuvre du M51 et du quatrième sous-marin nucléaire. » En tant qu'« ami de la construction navale française », on doit pouvoir faire mieux ! Du reste, chers collègues socialistes, comment expliquez-vous que nous partagions souvent les mêmes analyses en commission de la défense ou à l'occasion de colloques et que de si fortes divergences viennent nous opposer en séance publique ? Pourquoi vous désolidarisez-vous de l'enjeu national et européen qui nous occupe aujourd'hui ? Et je comprends mal l'absence de M. Boucheron ! Le groupe socialiste a-t-il honte de sa position ? Me permettra-t-il de citer les propos tenus par M. Boucheron le 16 novembre dernier, il y a tout juste un mois : « le maintien du statut des personnels étant garanti, il ne doit pas y avoir de tabou, ni sur la structure juridique des sociétés, ni sur la nature et la composition du capital. Le but est de disposer d'un grand outil de la construction navale européenne. Il faut aller vite, et il faut aller très fort. »...

M. le Rapporteur - Excellente analyse !

M. Jean Lemière - Dites-nous qui pilote aujourd'hui le bateau socialiste ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Il semble qu'il n'y ait pas plus de pilote sur ce sujet qu'il n'y en a pour le nucléaire civil ! Face à de telles contradictions, comment ne pas croire que votre seul dessein est d'adopter une position clientéliste de très court terme ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Viollet - Madame la ministre, sans prétendre piloter quoi que ce soit, le modeste parlementaire que je suis souhaite vous faire part des réflexions que ce projet de loi lui inspirent. Après plus de dix années de préparation, DCN, héritière d'une longue tradition de construction navale, s'est transformée en société de droit privé, l'Etat demeurant son actionnaire unique. J'ai soutenu cette mutation historique, car elle répondait à deux objectifs : améliorer la performance économique de l'entreprise et autoriser de nouvelles alliances pour faire face à un marché porteur dans les dix prochaines années.

Les faits montrent aujourd'hui que cette orientation était bonne. Pour sa première année d'activité industrielle et commerciale en tant que SA, DCN présente des résultats encourageants. Elle a porté son chiffre d'affaires 1,659 milliard, soit une progression de 14 % par rapport à 2002, et réalisé des gains sur achats significatifs. Sa productivité finale s'est globalement améliorée. Le résultat d'exploitation de l'exercice 2003 correspond à plus de 6 % du chiffre d'affaires, et le résultat net positif s'élève à 41 millions. Les résultats consolidés sont aussi très encourageants, puisque le résultat net s'établit à 47,7 millions.

S'il en est ainsi, c'est que la mutation de l'entreprise a été préparée pendant plusieurs mois, dans le cadre d'une démarche concertée, à laquelle ont participé toutes les organisations syndicales représentatives des personnels. Ces performances sont également liées à l'extraordinaire capacité de mobilisation et à la force de réaction de l'ensemble des salariés - militaires, fonctionnaires civils, agents sous contrat et ouvriers d'Etat. Il convient aussi de rappeler que le gouvernement précédent et sa majorité, emmenée par les députés des sites DCN auxquels j'ai l'honneur d'appartenir, s'étaient fermement engagés à préserver son unité et son ancrage dans le secteur public. Il était également prévu que DCN aurait, pour une période suffisamment longue, un plan de charge suffisant, décrit dans un contrat d'entreprise pluriannuel, et que la situation des personnels serait garantie par un accord d'entreprise.

Pour majeures qu'elles soient, ces évolutions ne pouvaient être considérées comme un aboutissement. Il est plus pertinent de considérer qu'elles engagent l'entreprise à jouer tout son rôle dans la reconfiguration de l'industrie navale militaire en Europe. C'est dans cette perspective que doit être mis en cause le bien-fondé de votre projet de loi.

Dans votre discours d'ouverture du salon Euronaval, le 25 octobre dernier, vous avez annoncé le dépôt au Parlement d'un texte permettant de « lever les contraintes inutiles qui pèsent actuellement sur DCN en terme d'alliances, que ce soit dans la société mère ou dans les filiales, le capital restant majoritairement public ». Dans l'instant, la presse a vu dans ces propos une possibilité d'ouverture du capital de DCN et la création de filiales. Initialement prévu pour être inclus dans la loi de finances rectificative pour 2004, ce texte est finalement l'objet d'un projet de loi à part entière.

Sur la forme - quel que soit le support législatif retenu -, nous ne pouvons accepter qu'un texte de cette importance vienne en séance publique sans que vous ayez jugé utile de venir le présenter devant notre commission, sans que nous ayons pu procéder à l'audition des organisations syndicales représentatives des personnels de DCN. Il s'agit d'un véritable passage en force, offensant pour tous ceux que l'avenir de l'entreprise intéresse. Sur le fond, vous évoquez l'urgence d'ouvrir le capital pour permettre un rapprochement avec d'autres groupes industriels européens, notamment allemands. Or, nos partenaires allemands viennent précisément de faire savoir qu'ils souhaitaient se donner du temps avant d'envisager un avenir commun. Quant au partenariat avec Thalès, il peut se développer librement dès à présent.

Nos inquiétudes sont d'autant plus vives que votre gouvernement n'a jusqu'à présent pas cru bon de respecter les obligations posées à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, alors introduites par notre collègue Jean-Yves Le Drian et disposant notamment l'obligation de transmettre annuellement aux commissions des finances et de la défense de nos deux assemblées un rapport sur les perspectives d'activité et l'évolution des fonds propres de la société.

En ce qui nous concerne, nous n'avons pas eu davantage connaissance du contrat pluriannuel d'entreprise, censé définir les objectifs économiques et sociaux assignés à DCN en contrepartie des engagements pris par l'Etat en matière d'activité, non plus d'ailleurs que de l'accord d'entreprise, censé définir les garanties des différentes catégories de personnel. Je profite donc de ce débat pour vous rappeler notre plus vif intérêt pour ces documents, dont la communication me semblerait relever d'une bonne compréhension de la mission de contrôle du Parlement.

J'en viens aux interrogations que soulève le projet de loi. Le rapport sur les perspectives d'activité et sur l'évolution des fonds propres de DCN - que j'évoquais à l'instant - sera-t-il étendu aux filiales ? Si tel est bien le cas, pourquoi ne pas le préciser ? Les seuils d'effectifs et de chiffres d'affaires prévus dans le texte sont-ils suffisamment protecteurs de l'unité de l'entreprise, eu égard à la technique redoutable consistant à apporter un « fonds de commerce » constitué de contrats futurs espérés, en vue de « vider par le futur » une société ?

Le sort des personnels en activité, actuellement garanti par un accord d'entreprise mûrement négocié, ne risque-t-il pas de se dégrader progressivement, au gré de filialisations socialement moins-disantes, faute d'avoir prévu que, dans l'attente de la validation de nouveaux accords d'entreprise, les conventions collectives et les accords actuellement en vigueur à DCN s'appliqueront aux filiales ? S'agissant de la définition des filiales, n'y aurait-il pas lieu de préciser que DCN devant détenir la majorité du capital de la société bénéficiaire de l'apport, devrait aussi disposer de la majorité des droits de vote aux assemblées générales d'actionnaires ?

Vous le voyez, Madame la ministre, la présentation de votre texte, inacceptable sur la forme, ne manque pas de poser un certain nombre de questions d'importance sur le fond. Cela aurait pour le moins justifié le travail parlementaire dont nous avons été privés !

Aucune nouvelle évolution de DCN ne saurait, de mon point de vue, s'envisager sans un projet industriel fort et cohérent, national et européen, garantissant les intérêts stratégiques de notre pays comme l'activité et les emplois de l'entreprise. Or, aucune de ces conditions n'est aujourd'hui remplie. Votre texte pose, en l'état, plus de questions qu'il n'en règle, ouvrant la porte à toutes les aventures. La façon dont vous serez passée en force pour le faire adopter risque d'ébranler durablement la confiance des personnels de DCN, pourtant indispensable aux succès futurs. Pour toutes ces raisons, je ne peux que combattre ce projet. Mon approche ne relève pas du dogmatisme - j'ai démontré par le passé que je savais m'en garder. A défaut de pouvoir faire entendre sagesse au Gouvernement et à sa majorité, il appartient maintenant à chacun d'entre nous de se prononcer, en conscience, sur ce sujet capital. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jérôme Rivière - Je souhaite dénoncer ici le caractère démagogique de certains propos entendus ici et à l'extérieur et tout au long de la semaine. Il y a un mois, Jean-Michel Boucheron, chef de file du groupe socialiste à la commission de la défense et qui n'est pas réputé pour être un dangereux libéral, déclarait à cette tribune qu'une fois garantis la pérennité du statut des personnels de DCN et le maintien des emplois sur place, il ne devait plus y avoir de tabou ni sur la structure juridique de l'entreprise ni sur la composition de son capital. M. Boucheron allait même plus loin, demandant à l'Etat d'aller vite. Et, chers collègues, que je sache, vous avez applaudi cette intervention pleine de bon sens !

Ce gouvernement a choisi de nous soumettre un projet de loi, et non, comme certains avant lui, un amendement en catimini. Il s'engage publiquement quant à la pérennité du statut des agents de DCN et au maintien des emplois. Dès lors, l'agitation de certains députés de l'opposition n'est-elle pas simple posture démagogique, voire populiste, pour attirer vers eux des personnels légitimement inquiets du changement et des organisations syndicales à la recherche d'un nouveau souffle ? Nous nous emploierons donc à dénoncer ce mensonge et à rassurer les personnels. Chers collègues de l'opposition, nous n'avons entendu de votre part aucune proposition réaliste. Vous devriez plutôt vous réjouir que ce gouvernement aille au bout de la réforme que vous aviez initiée en 2001 et donne, enfin, toutes ses chances à DCN et ses personnels, qui ont prouvé qu'ils savaient donner le meilleur d'eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Ministre - Je tiens à remercier les deux rapporteurs de la qualité de leurs rapports, complets et objectifs. Je remercie également l'ensemble des orateurs d'un débat riche, qui aura certes révélé des clivages idéologiques - mais après tout, nous en avons -, mais aura toujours été courtois et sincère. J'ai été particulièrement sensible au témoignage de Mme Lamour et de M. Vitel, touchés de plus près par la question dans leur circonscription. Et je voudrais maintenant dénoncer certaines contre-vérités qui ont pu être proférées.

Pour ce qui est de la méthode, non, ce projet n'a pas été présenté dans l'urgence. La question était abordée depuis des mois au sein de DCN et j'ai, pour ma part, annoncé mes intentions il y a quelque deux mois. On peut certes demander toujours davantage de temps pour étudier un texte, mais n'est-ce pas bien souvent un prétexte pour en repousser l'examen ? Ma responsabilité de ministre de la défense est de placer DCN en situation de saisir les opportunités quand celles-ci se présenteront, ce qui peut arriver plus tôt qu'on ne le pense. J'aurais pu, comme l'avait fait le gouvernement précédent pour le changement de statut, glisser en catimini un amendement à quelque texte, sans risque de censure par le juge constitutionnel. Mais je ne l'ai pas fait car je n'aurais pu ainsi apporter toutes garanties aux personnels. Ce texte forme un tout. Il donne à la fois des moyens nouveaux à DCN et préserve le statut comme les emplois de ses personnels, c'est ce que je souhaitais. On ne peut pas prétendre non plus qu'il n'y aurait pas eu de dialogue avec les syndicats. Il y en a eu sur les sites eux-mêmes, et j'ai reçu toutes les organisations, encore aujourd'hui à 13 heures.

Le premier objectif est de conforter DCN dans l'ensemble de ses compétences en lui permettant de conclure les alliances nécessaires, en particulier avec Thales, mais aussi d'autres groupes, pour se renforcer tout en conservant son unité. Certains ont exprimé la crainte que DCN ne soit un jour livrée aux fonds de pension américains. Soyons sérieux ! Pensez-vous qu'attachée comme je le suis à la souveraineté nationale en matière de défense, je n'y aie pas pris garde ? Pensez-vous qu'aucun gouvernement qui succédera à celui-ci puisse jamais accepter de dépouiller notre pays d'éléments aussi fondamentaux pour sa souveraineté ? Nous sommes tous ici des politiques responsables. Nous aimons tous autant notre pays et portons le même attachement à ses capacités d'action. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Sandrier - Le texte ne donne aucune garantie.

Mme la Ministre - Pour faire face à une concurrence de plus en plus vive, il nous faut donner à DCN une dimension au moins européenne. L'ouverture de son capital le lui permettra. Avec ce projet, nous participons à la construction d'une véritable politique européenne industrielle de défense.

Il importe parallèlement d'avoir une véritable politique sociale pour cette entreprise. Nous avons apporté toutes garanties à ses salariés, dont nous avons même conforté le statut. L'intéressement et l'actionnariat salarié représenteront pour eux un grand progrès. Cette réforme incarne tout à la fois ma vision de la politique industrielle, ma vision des relations sociales, ma vision de la France telle que je la conçois.

Pour ce qui est enfin du contrôle parlementaire, il est vrai que les rapports prévus ont été remis avec retard. Mais ils sont désormais à votre disposition. Je proposerait tout à l'heure un amendement tendant à accroître la transparence indispensable à l'égard du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

ARTICLE UNIQUE

Mme Patricia Adam - Si vous vous réjouissez de ce débat, Madame la ministre, nous aurions souhaité, pour notre part, qu'il fût plus large. La commission de la défense, mais aussi celle des finances, auraient dû pouvoir débattre réellement de ce texte. Vous nous indiquez que les rapports prévus sont à notre disposition, mais tout à l'heure encore, nous ne les avions pas. Vous avez effectivement reçu les syndicats aujourd'hui même à l'heure du déjeuner et avez déposé un amendement à la dernière minute. C'est cette précipitation que nous dénonçons. Nous aurions souhaité travailler sereinement et pouvoir auditionner l'ensemble des acteurs concernés, les partenaires sociaux, mais aussi des représentants de Thales et d'autres groupes, européens en particulier.

Nous maintenons que ce texte, qui ne répond à aucune des questions essentielles que j'ai soulevées dans mon intervention, a été présenté dans l'urgence, sans concertation avec les partenaires sociaux. Les salariés de DCN manifestaient d'ailleurs tout à l'heure devant l'Assemblée nationale, où nous sommes allés les rencontrer.

Présenté sans le dialogue que méritait un changement aussi important, votre projet, Madame la ministre, ne peut qu'inquiéter les personnels. Et ce n'est pas l'intéressement à l'actionnariat qui va les rassurer. Ce projet risque aussi d'irriter nos partenaires européens et de nous enlever de notre crédibilité, car si nous prétendons construire ensemble l'Europe de la défense et de l'armement, nous devons travailler de façon lisible pour les parlementaires français comme pour les parlementaires européens lorsqu'il s'agit de textes qui modifient la structure capitalistique d'industries de défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Viollet - Nous aurions vraiment voulu travailler un peu plus sur ce texte, car des questions importantes méritaient d'être éclaircies. Je pense en particulier à la distinction entre contrôle capitalistique et juridique, étant entendu que ce n'est pas parce que l'on détient 51 % du capital que l'on arrive forcément à une majorité qualifiée, celle qui est requise pour toute modification des statuts sociaux. La détention majoritaire du capital et le contrôle sont des notions qui ne se recoupent pas. Il fallait donc clarifier cela, le texte ne le fait pas.

S'agissant du statut général des militaires, vous avez accepté de nous écouter, Madame la ministre, et nous avons pu ainsi trouver ensemble des solutions et faire ensemble œuvre utile. Pourquoi n'avez-vous pas agi de même sur ce projet ? Pourquoi ne nous avez-vous pas laissé quelques semaines pour travailler en commission ? Votre cabinet avait pourtant bien dit aux organisations syndicales que le projet ne viendrait pas en discussion avant 2005. En accélérant les choses, vous ne nous permettez pas de nous déterminer sur des bases claires. Nous pouvions pourtant avoir un objectif commun : que l'Etat ait son mot à dire sur la stratégie de défense et d'armement.

A la commission de la défense, nous avons l'habitude, Monsieur Lemière, de travailler sans idéologie, sereinement. Là, nous n'en avons pas eu les moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Sandrier - Vos propos, Madame la ministre, et ceux des rapporteurs, ne m'ont pas convaincu. L'ouverture du capital de DCN ne se justifie par aucun argument économique. Comme le disait un représentant syndical, ce n`est pas parce que l'on ouvrira le capital que cela marchera mieux. Cela me rappelle d'ailleurs la réponse que m'avait faite, en commission de la défense, il y a quatre ou cinq ans, le président d'une grande entreprise, à qui je demandais si l'ouverture du capital de son entreprise, voire sa privatisation, se justifiait par une raison économique. Non Monsieur, m'avait-il dit, c'est simplement un choix idéologique. Il en est de même aujourd'hui.

C'est bien pourquoi les syndicats sont unanimes à dénoncer ce projet. Vous ne les avez pas entendus. Les personnels ont pourtant eux aussi une ambition pour DCN. Ils l'ont rappelé dans la rue, faute de pouvoir l'exprimer ailleurs.

DCN est tout à fait capable de faire face à la concurrence et de nouer des coopérations avec des partenaires français et européens : c'est une question de volonté politique. Nous savons comme vous qu'il est souhaitable de développer ces coopérations, mais nous pensons que ce n'est pas une raison pour soumettre DCN au capital privé. L'Etat pourrait lui-même favoriser ses synergies industrielles. Compte tenu du contexte européen, il serait de toute façon beaucoup plus raisonnable d'aller vers un pôle public que vers une privatisation ou une ouverture du capital, car dans le secteur concerné, il y a en Europe, que ce soit en Espagne, en Italie ou en Allemagne, une dominante publique. Il est vrai qu'en Grande-Bretagne le secteur est dominé par le capital privé, mais ce contre-exemple devrait justement nous inquiéter, car ce sont les capitaux américains qui dominent.

M. Jean-Claude Sandrier - Je ne doute pas de votre sincérité, Madame la ministre, quand vous dites croire à l'industrie militaire française et que vous appelez de vos vœux une consolidation européenne, mais pensez-vous construire l'Europe de l'armement en livrant nos industries à des capitaux privés, de toutes provenances ? Les fonds de pension américains ne sont pas si loin ! D'ailleurs, ils sont déjà en Grande-Bretagne. Notre inquiétude est donc légitime, et même si vous jurez qu'on ne leur permettra jamais d'entrer dans le capital de DCN, nous n'avons pas à ce sujet de garantie autre que verbale.

C'est pourquoi nous proposons, dans l'amendement 4, de supprimer l'article unique.

Mme Patricia Adam - Notre amendement 7 a le même objet, car il faut vraiment travailler davantage sur ce texte, qui fait courir à DCN un risque de dilution de ses actifs dans le secteur privé, étant entendu que celle-ci peut se produire par le biais de la cession d'une branche d'activité et que rien n'est prévu dans ce cas. Il faudrait aussi des précisions sur les seuils.

M. le Rapporteur - Il existe un vrai clivage entre nous : vous êtes partisans d'une économie dirigée, tandis que nous la voulons libérée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Chaque fois qu'il se crée une filiale, vous voudriez que cela passe devant le Parlement !

Pour notre part, nous sommes plutôt partisans de la confiance, envers l'entreprise et bien sûr envers le Gouvernement.

Je souhaite préciser deux points. Tout d'abord, quant aux apports partiels d'actifs, il y a la commission de participation et de transfert qui veille ; en dessous du seuil, il y a l'avis conforme du ministre de la défense et du ministre de l'économie. Je rappelle même que la loi sur la sécurité financière de 2003 a renforcé le contrôle quand il s'agit des intérêts de la défense nationale : dès le premier euro transféré, que ce soit sous forme financière ou par apport partiel d'actif, il doit y avoir un avis conforme du ministre de l'économie. Quant à M. Sandrier, qui évoquait dans un journal du matin le risque de voir DCN vendue à des fonds de pensions américains, je lui indique que si cela se précisait, on imagine bien non seulement que cela ferait débat, mais aussi que le ministre de l'économie s'y opposerait avec vigueur. Avis défavorable sur les amendements de suppression.

M. le Rapporteur pour avis - L'amendement 7 du groupe socialiste est le seul qu'ait étudié la commission de la défense ; M. Ayrault s'est exprimé longuement, et notre commission a rejeté l'amendement.

Mme la Ministre - Je précise à Mme Adam que mes préoccupations en matière d'intelligence économique, et ce que je mets en place sur le suivi des capitaux et des risques de transfert, sont également des éléments de réponse. Avis défavorable.

M. Jérôme Rivière - M. Sandrier se dit favorable à la construction d'une Europe de la défense grâce à un pôle public. C'est se boucher les oreilles. Dans l'Union européenne il y a des gouvernements, et des industries : tous nous ont dit clairement qu'ils souhaitaient cette ouverture de capital, sans quoi l'Europe de la défense ne verra jamais le jour ! Les arguments de notre collègue traduisent une certaine surdité.

Les amendements 4 et 7, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur - Les amendements 1 et 2 sont rédactionnels.

Mme la Ministre - Favorable.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 2.

M. le Rapporteur - Le projet a pour but de créer une « boîte à outils » industriels, et son principe est de laisser toute liberté de création de ces outils, mais nous demandons que le Parlement soit valablement informé. Nous demandions par l'amendement 3 un rapport annuel, mais la commission se range à la proposition gouvernementale d'un rapport tous les deux ans, qui est cohérente avec le rythme prévisible de création des filiales. La commission retire donc son amendement 3 au profit de l'amendement 8 du Gouvernement.

Mme la Ministre - Je crois que nous avons tout intérêt à jouer la transparence à l'égard du Parlement, et c'est en tout cas mon intention : tout ce que nous faisons doit pouvoir être connu et analysé ici. Je suis donc favorable à l'idée d'un rapport régulier ; compte tenu de la nécessité d'assurer une certaine visibilité, un intervalle de deux ans me semble préférable. Tel est l'objet de l'amendement 8. Le premier rapport verra donc le jour en octobre 2006.

L'amendement 3 est retiré.

L'amendement 8, mis aux voix, est adopté.

L'article unique, modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

Mme la Ministre - La discussion avec de nombreux parlementaires, sur tous les bancs, a montré qu'ils connaissaient l'attachement des personnels de DCN à leur entreprise, et plusieurs députés - notamment Mme Lamour, M. Lemière et M. Vitel - m'ont demandé il y a déjà quelques semaines comment nous pourrions marquer aux salariés notre reconnaissance de cet attachement. Nous avons donc pensé à une forme de participation. La première reconnaissance de leur rôle dans la réussite de l'entreprise, c'est l'intéressement. Nous souhaitons donc permettre à l'ensemble des personnels de DCN d'être associés aux résultats de l'entreprise, en fonction de leurs performances individuelles et collectives. C'est d'ailleurs une pratique assez répandue en France, où elle est connue de près de 80 % des entreprises. De plus dans l'hypothèse d'un rapprochement avec un partenaire, il est important que son personnel et celui de DCN soient traités sur un pied d'égalité. Aucune disposition législative n'était nécessaire pour accorder l'intéressement aux personnels sous contrat convention collective avec DCN, mais il en fallait une pour étendre la mesure aux ouvriers d'Etat : tel est l'objet de l'amendement 6 du Gouvernement.

M. le Rapporteur pour avis - La commission de la défense n'a pas examiné cet amendement, mais il répond à mes convictions profondes comme à celles de nombreux collègues.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - Dans le même esprit et à la suite des mêmes discussions, nous avons envisagé l'amendement 5 qui concerne cette fois l'actionnariat. DCN est une entreprise dont les origines remontent à près de quatre siècles, et plusieurs générations familiales se sont parfois succédé dans les arsenaux, ce qui explique une part de l'attachement culturel très fort à l'entreprise. Dans la logique de nos discussions avec Mme Lamour, M. Lemière, M. Vitel et d'autres parlementaires, nous avons jugé opportun de permettre à ces salariés de devenir actionnaires de l'entreprise. Ici encore, il n'était pas nécessaire de légiférer pour accorder ce droit aux personnels sous contrat convention collective, mais il le fallait pour l'étendre aux ouvriers d'Etat : c'est l'objet de l'amendement 5.

Je souhaite d'autre part en rectifier la rédaction pour plus de clarté, en écrivant, à la place de « cession minoritaire des titres de l'entreprise », les mots : « cession de moins de la moitié des titres de l'entreprise ».

M. le Rapporteur - La commission des finances n'a pas examiné cet amendement, non plus que le précédent, mais à titre personnel j'y suis très favorable. Une partie de nos discussions avec les représentants des salariés de DCN a porté sur la disparité au sein de l'entreprise entre ceux qui pouvaient bénéficier de l'intéressement et les autres. Tous pourront désormais profiter des fruits de leurs efforts : c'est une mesure juste, et qui participe de cette vision de l'économie libérée qui est la nôtre.

Mme Patricia Adam - Ces deux amendements sont arrivés au dernier moment, et n'ont pu être examinés en commission. Il y a vraiment là un manque de respect envers le Parlement, et c'est pourquoi nous ne les voterons pas.

M. Jean Lemière - Je ne comprends pas - et nous allons le faire savoir ! - que vous votiez contre ces amendements...

M. Jean-Claude Beauchaud - Nous n'avons jamais dit que nous votions contre !

M. Jean Lemière - ...qui intéressent totalement les personnels de DCN, contre l'intéressement et contre l'actionnariat ouvrier ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

L'amendement 5 rectifié, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Claude Sandrier - Un collègue a dit tout à l'heure que j'étais sourd. C'est son droit : après tout j'ai fait le même reproche à Mme la ministre. Mais la perte d'un sens en aiguise un autre : je suis peut-être sourd, mais je vois clair ! Je répète qu'il n'est pas nécessaire de privatiser DCN ou d'ouvrir son capital pour nouer des alliances et des coopérations : c'est un choix politique. Avec ce projet vous faites plusieurs erreurs. Une erreur pour les personnels : il n'y a pas de restructuration - car c'est bien à quoi tout cela conduit - sans pertes lourdes d'emplois. Une erreur pour les territoires, qui seront fragilisés. Une erreur au regard de notre indispensable indépendance de décision en matière de sécurité et de défense. Une erreur pour l'Europe même, car ouvrir le capital n'est pas mieux faire face à la concurrence. Pourquoi le capital privé apporterait-il une garantie à cet égard ? Une erreur enfin parce que vous ouvrez une brèche dans laquelle, en fonction même de votre attachement à la liberté du marché et à la libre circulation des capitaux, pourront s'engouffrer des capitaux de toute provenance, comme ce fut le cas en Allemagne et en Espagne - pays que je ne crois pas moins soucieux d'indépendance que nous.

J'ai entendu un collègue me dire qu'il ne servait à rien d'ériger des murs. C'est pourtant un mur qu'érige le Gouvernement pour empêcher la prise de contrôle par les fonds de pension américains. Ce collègue confond ériger des murs et établir des règles. Or une société sans règles, une société totalement déréglementée n'est plus une société : cela s'appelle la jungle. Nous voterons contre ce projet.

Mme Marguerite Lamour - Je veux assurer le Gouvernement du soutien du groupe UMP. Je m'étonne du comportement de l'opposition, qui pourtant se dit sociale. Je me console en me disant qu'on peut être de droite et être sociale. Je suis fière d'appartenir au groupe UMP et de permettre au personnel de DCN de travailler dans une entreprise qui va rester au premier rang européen. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

Mme la Ministre - Je veux remercier tous ceux qui ont participé à ce débat et tout particulièrement ceux qui, en votant ce projet, ouvrent des perspectives à DCN et à ses salariés.

Prochaine séance le lundi 20 décembre à 10 heures.

La séance est levée à 18 heures 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU LUNDI 20 DÉCEMBRE 2004

A DIX HEURES : 1re SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Rapport (n° 1983) de Mme Françoise de PANAFIEU.

2. Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 1880) pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Rapport (n° 1991) de M. Jean-François CHOSSY au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

A QUINZE HEURES : 2e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3e SÉANCE PUBLIQUE

1. Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2005.

Rapport (n° 1992) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général.

2. Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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