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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 81ème jour de séance, 199ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 7 AVRIL 2005

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      TEMPS DE TRAVAIL
      DANS LE SECTEUR DES TRANSPORTS 2

      ARTICLE UNIQUE 11

      LOCAUX DITS DU CONGRÈS
      AU CHÂTEAU DE VERSAILLES
      (procédure d'examen simplifiée)
      12

      ART. 3 18

La séance est ouverte à neuf heures trente.

TEMPS DE TRAVAIL DANS LE SECTEUR DES TRANSPORTS

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Comme M. Boisseau l'a rappelé dans son rapport, la loi du 18 mars 2004 portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnance des directives communautaires a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance deux types de dispositions : d'une part, les dispositions législatives nécessaires à la transposition de la directive 2000/34 du 22 juin 2000, modifiant la directive 93/104, concernant certains aspects d'aménagement du temps de travail afin de couvrir les secteurs exclus de cette directive, dont celui des transports ; d'autre part, des mesures d'adaptation des règles générales relatives à l'aménagement du temps de travail, rendues nécessaires par les spécificités du secteur des transports telles que les fortes variations de l'activité ou les contraintes de lieu et d'horaire.

L'ordonnance du 12 novembre 2004, que ce projet de loi propose de ratifier, se fonde sur cette loi d'habilitation du 18 mars 2004. Elle détermine les conditions particulières applicables aux salariés des entreprises de transport, relevant du code du travail en matière d'aménagement de la durée de travail. Désormais, les dispositions du code du travail relatives à la durée de repos quotidien et des pauses ainsi qu'au travail de nuit s'appliqueront, moyennant quelques adaptations, aux personnels travaillant dans le transport routier, la navigation intérieure, le transport ferroviaire hors SNCF, la restauration et l'exploitation des places couchées dans les trains. Jusqu'à présent, ces personnels en étaient exclus, il s'agit donc d'un progrès certain.

Cette ordonnance constitue le volet législatif du plan d'action gouvernemental en faveur du transport routier de marchandises présenté le 8 septembre 2004, le décret du 31 mars 2005 en représentant le volet réglementaire.

Ces textes, tout en maintenant la durée légale de temps de service des conducteurs, permettent de décompter la durée du travail sur une période de trois mois, voire quatre en cas d'accord. Ils créent ainsi un système spécifique de décompte et d'octroi des repos compensateurs attribués aux salariés accomplissant des heures supplémentaires, plus simple et identique pour toutes les entreprises du secteur.

En effet, l'un des enjeux de la transposition des directives sur l'aménagement du temps de travail est le rapprochement des législations nationales en Europe. En France, ces textes incitent à un assouplissement de la réglementation pour sauvegarder la compétitivité de nos entreprises. Ailleurs, ils obligent la plupart de nos voisins à réduire la durée du travail de leurs conducteurs routiers. Ainsi la durée de travail maximale moyenne hebdomadaire pendant une période de quatre mois ne pourra dépasser 48 heures.

Cette ordonnance s'attache également à répondre à un souci de sécurisation juridique en donnant une base solide aux dispositions réglementaires dérogatoires au droit commun.

S'agissant du volet fiscal du plan d'action gouvernemental, le Gouvernement a stabilisé la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, pour trois ans au niveau plancher autorisé par les textes européens. Il a également simplifié le système de remboursement partiel de la TIPP dont la profession bénéficie : le plafonnement de 20 000 litres par véhicule et par semestre a été supprimé et les délais de remboursement ont été réduits. Enfin, il s'est engagé fermement à ce que les discussions sur la mise en place d'un gazole européen harmonisé reprennent. D'un autre côté, le dégrèvement de la taxe professionnelle a été triplé et son champ d'application élargi et le Gouvernement examinera comment les particularités de ce secteur pourront être prises en compte dans la réforme de cet impôt.

En ce qui concerne la lutte contre les pratiques illégales, le Gouvernement est décidé à encadrer le cabotage. Les activités de transport intérieur effectuées par des entreprises étrangères, qui ne répondent pas à la définition du cabotage, sont illicites. Elles doivent être mieux contrôlées et réprimées.

M. François Rochebloine - Absolument !

M. le Ministre - Par ailleurs, après une évaluation des effets de la libéralisation de la location transfrontalière sur le marché du transport, j'ai décidé de supprimer la location transfrontalière de véhicules utilitaires avec conducteur car cette pratique facilitait le recours à des conducteurs provenant d'Etats où la main-d'œuvre est moins chère, au mépris des règles relatives au détachement de salariés.

M. François Rochebloine - Très bien !

M. le Ministre - Quant au texte qui vous est proposé, il comporte deux corrections destinées à rendre plus compréhensibles les textes issus de l'ordonnance.

En premier lieu, les dispositions issues des articles 2 et 3 de l'ordonnance ont été réparties de façon plus cohérente : la définition générale du travailleur de nuit est maintenue à l'article L. 213-2 tandis que l'ensemble des éléments de cette définition propres aux personnels roulants et navigants des transports est reportée à l'article L. 213-11.

En deuxième lieu, la mention des personnels employés sur les navires est supprimée à l'article 7 de la loi du 13 juin 1998 tel que le réécrit l'article 6 de l'ordonnance car ces salariés relèvent du code du travail maritime et non du code du travail.

Enfin, le Gouvernement vous propose un amendement concernant les dispositions de l'ordonnance relatives au travail de nuit.

Tout d'abord, il vise à compléter le paragraphe II afin de prendre en compte les accords collectifs intervenus en 2001 dans le secteur de la navigation intérieure. Ces accords limitent la durée quotidienne du travail à 12 heures par période de 24 heures et prévoient des périodes substantielles de repos à terre. Ils répondent à l'exigence de repos posée par la directive européenne.

Ensuite, cet amendement tend à modifier la rédaction du paragraphe III pour mieux articuler la transposition de la directive 2002/15 qui limite la durée du travail des personnels roulants travaillant la nuit occasionnellement et la directive 2003-88 qui limite la durée du travail des personnes travaillant habituellement la nuit. Il vise également à mieux prendre en compte l'accord sur le travail de nuit intervenu dans le secteur du transport routier de marchandises le 14 novembre 2001. De ce fait, le personnel roulant des entreprises de transport routier est écarté du champ d'application du paragraphe II.

Enfin, le Gouvernement vous propose une nouvelle rédaction du paragraphe IV pour lever une ambiguïté en précisant que les dispositions de l'article L. 213-3 ne s'appliquent pas aux personnels roulants et navigants. Ces derniers sont soumis aux dispositions spécifiques en matière de durée du travail de nuit de l'article L. 213-11 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Yves Boisseau, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Comme l'a rappelé le ministre, ce texte vise à ratifier l'ordonnance du 12 novembre 2004 relative à l'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports.

Cette ordonnance répond d'abord à un impératif de transposition du droit communautaire, en l'espèce des directives 2000/34 du 22 juin 2000 et 2002/15 du 11 mars 2002. La première a étendu aux transports les garanties générales prévues en matière de temps de travail par la directive du 23 novembre 1993, sous réserve de dispositions spécifiques à ce secteur. Quant à la seconde, elle a fixé les règles applicables dans les transports routiers.

Cette transposition était en effet urgente puisque la directive de 2002 fixe la date limite de transposition au 23 mars 2005. Elle permet d'ailleurs d'insérer dans notre droit des mesures favorables aux salariés concernés : limitation absolue du travail quotidien à dix heures dès lors que le travail de nuit est effectué ; droit à pause quand la durée du travail dépasse six heures. Enfin, il importe au plus haut point pour notre transport routier que cette directive soit transposée et appliquée par l'ensemble des pays de l'Union européenne : procédant à une comparaison portant sur les quinze anciens Etats membres, Francis Hillmeyer a relevé dans son excellent rapport que l'application générale de la directive réduirait de 20 % à 3 % ou 4 % les écarts entre les temps de conduite et de travail maximaux des chauffeurs routiers français et ceux de leurs collègues européens soumis aux réglementations les plus souples - ou les plus laxistes selon les points de vue.

Cette ordonnance a un deuxième mérite : donner une base légale solide aux décrets dérogatoires qui régissent le temps de travail dans les transports routiers. Cette réglementation spécifique est déjà ancienne puisqu'elle remonte à la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, la LOTI, et à un décret du 26 janvier 1983. Les multiples décrets qui ont depuis modifié ce décret ont cependant parfois été annulés par le Conseil d'Etat parce que leur base légale était insuffisante : l'ordonnance précise donc explicitement dans le code du travail les points sur lesquels la réglementation sectorielle du temps de travail dans les transports peut ou non s'écarter du droit commun, par décret ou par accord entre les partenaires sociaux ; elle concerne non seulement le transport routier de marchandises mais aussi la batellerie et le transport ferroviaire hors SNCF. Dans la batellerie, elle donnera ainsi un fondement légal à l'accord de branche qui organise le travail sur les bateaux exploités en service continu.

Enfin, l'ordonnance du 12 novembre constitue l'un des éléments du plan de mobilisation et de développement en faveur du transport routier de marchandises présenté au Conseil des ministres du 8 septembre 2004 par M. de Robien, qui part du constat des difficultés structurelles et conjoncturelles de ce secteur. Les entreprises et les routiers sont surtout inquiets des conséquences de l'élargissement de l'Union européenne à l'Est et de la concurrence qui en résulte : en quelques années, la part des transports internationaux dans le chiffre d'affaires est ainsi tombée de 29 % à 18 % et le pavillon français est menacé alors qu'il s'agit là d'un secteur économique important : les 41 000 entreprises de transport routier de marchandises emploient en effet 330 000 personnes et génèrent 1,2 % du PIB ; les charges de main-d'œuvre sont particulièrement lourdes puisqu'elles représentent 32 % du chiffre d'affaires hors sous-traitance : il est dès lors essentiel de concilier compétitivité et conditions de travail.

Le Gouvernement a proposé un plan de modernisation et de développement qui prévoit de lutter contre les pratiques illégales comme le cabotage et qui comporte un volet fiscal et social. Considérant que la règlementation française impose les temps de conduite et de travail les plus faibles d'Europe, les propositions en la matière portent sur la gestion des temps : selon leur nature, législative ou réglementaire, elles se retrouvent dans le texte de l'ordonnance ou dans une modification récente du décret de 1983. La réforme retenue maintient les durées en vigueur des temps de service dus par les chauffeurs routiers et accroît modérément certains des maxima hebdomadaires de temps de service pouvant être atteints, mais pas le plus élevé, applicable aux chauffeurs dits grands routiers pour une semaine isolée, qui est de 56 heures. La réforme permet également de moduler le temps de travail sur une base trimestrielle, voire quadrimestrielle par accord collectif et simplifie le régime du repos compensateur pour heures supplémentaires.

L'ordonnance du 12 novembre comporte également des dispositions concernant le travail de nuit dans les transports. Elle définit une période de nuit spécifique au secteur et prévoit que la limite de huit heures quotidiennes pour les travailleurs de nuit y sera appréciée non par jour isolé mais en moyenne, sur une période de référence. Le temps de travail des roulants est plafonné de manière absolue à dix heures dès lors qu'ils accomplissent une partie de leur travail dans l'intervalle minuit-5 heures. Ces dispositions pouvant, sur certains points, remettre en cause des accords de branche en vigueur tant dans le secteur routier que dans la batellerie, le Gouvernement a déposé un amendement présentant certains ajustements.

L'ordonnance traite enfin des repos hebdomadaires et quotidiens ainsi que des pauses. La loi Aubry de 1998, qui avait introduit dans le droit national les principes du repos quotidien de onze heures consécutives et de la pause due après six heures de travail, avait exclu les transports de son champ d'application. Conformément à l'évolution des textes européens, l'ordonnance étend ces dispositions aux transports terrestres et fluviaux tout en y prévoyant des dérogations limitées. Enfin, pour les personnels roulants des transports routiers, elle transpose la directive 2002/15 en rendant obligatoire une pause de trente minutes au moins lorsque le temps de travail quotidien excède six heures.

Le projet de loi de ratification propose d'apporter des modifications limitées au texte de l'ordonnance du 12 novembre. Selon les termes mêmes de l'exposé des motifs du projet, celles-ci constituent seulement des « corrections destinées à en améliorer la compréhension » : il s'agit d'une part de la modification d'un renvoi interne dans le code du travail entre deux articles relatifs au travail de nuit, et d'autre part, de la suppression d'une mention de la marine marchande qui n'a pas de sens dans le code du travail puisque le statut social des marins est défini par le code du travail maritime.

Ces mesures conciliant impératifs de compétitivité, de sécurité, de conditions de travail, la commission a approuvé ce projet de même que l'amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - Je vous remercie.

M. le Président - Nous en venons à la discussion générale.

M. François Rochebloine - Cette ordonnance répond à deux objectifs impérieux : d'une part, la transposition en droit interne des directives communautaires de 2000 et de 2002 qui étendent au secteur des transports les règles déjà en vigueur dans l'Union européenne depuis 1993 en matière de temps de travail et dont la date limite de transposition était le 23 mars dernier ; d'autre part, l'adaptation des règles du code du travail afin de tenir compte des contraintes spécifiques aux activités de transport.

Le Gouvernement a fait voter une loi habilitant le Parlement à transposer les directives de l'Union européenne par voie d'ordonnances, ce qui permet de résorber dans les meilleurs délais le retard accumulé par la France. Il s'agit également de compléter les efforts de transposition engagés sur le plan réglementaire qui doivent d'ailleurs être intensifiés. Si l'objectif est louable, le groupe UDF rappelle que cette procédure doit rester exceptionnelle car elle tend à priver le Parlement de ses prérogatives.

L'adaptation du droit du temps de travail simplifiera et assouplira les règles et l'organisation du travail dans les transports, notamment dans les transports routiers. Aujourd'hui, le cadre juridique applicable est relativement strict puisque le temps de travail est en France l'un des plus faibles d'Europe. Or, ce secteur est confronté à de nombreuses difficultés structurelles et conjoncturelles et l'élargissement de l'Union européenne à l'Est suscite des inquiétudes justifiées : en quelques années, la part des transports internationaux dans le chiffre d'affaires de la profession est ainsi tombée de 29 % à 18 %. L'augmentation des durées moyennes hebdomadaires maximales permettra de réduire de 20 % à 3 ou 4 % les écarts entre les temps de conduite et de travail maximaux des chauffeurs routiers français et ceux de leurs collègues européens soumis à des réglementations plus souples, ce qui améliorera leur compétitivité. Le dynamisme des 40 000 entreprises de ce secteur est indispensable à l'emploi, au développement de nos territoires et à notre compétitivité. Il importe donc de concilier impératifs économiques et sociaux.

Cette ordonnance s'inscrit en outre dans le cadre du plan de mobilisation et de développement en faveur du transport routier de marchandises présenté par M. de Robien le 8 décembre dernier.

Enfin, la réglementation en matière de temps de travail dans les transports est complexe, tant en droit communautaire qu'en droit interne : trois textes communautaires sont effet applicables tandis qu'en droit français les dispositions pertinentes contenues dans des décrets fortement dérogatoires de 1982 et de 1983 ont une base légale très générale, voire incomplète. Il était donc impératif de simplifier cette législation et de renforcer la base légale des décrets afin d'éviter les recours trop nombreux contre ces textes.

Je souligne enfin qu'il est absolument nécessaire de lutter contre le cabotage illégal et le cabotage sauvage, qui constituent une concurrence déloyale. Les professionnels réclament d'ailleurs un meilleur contrôle et des sanctions plus fermes de ces pratiques. Une modification du règlement de 1993 qui a libéralisé le cabotage et qui en fixe les conditions d'exercice serait souhaitable.

Parce qu'il offrira davantage de souplesse dans l'organisation du temps du travail des transporteurs, le groupe UDF votera ce projet.

M. Jean-Luc Préel - Très bien !

M. le Ministre - Je vous remercie.

M. Patrick Braouezec - Ce projet constitue un véritable artifice et cette ordonnance ne résulte pas d'une concertation digne de ce nom : en effet, dans le cadre de la préparation de l'arsenal législatif relatif à l'aménagement du temps de travail dans les transports, les organisations syndicales ont été une fois de plus négligées. De plus, la vraie signification de l'ordonnance ne doit pas être recherchée dans son texte mais dans un décret d'application adopté la semaine dernière en Conseil des ministres. Ce projet de loi ne peut donc être examiné indépendamment de ce décret qui, selon les organisations syndicales, marque un vrai recul social.

A l'allongement de la durée du travail, entièrement autorisé, s'ajoutent la flexibilité et la modulation. La durée du travail maximale d'un conducteur courte distance sur une semaine isolée passe ainsi de facto de 48 à 52 heures, et celle des grands routiers de 50 à 53 heures. La possibilité de faire enchaîner des semaines plus denses est en outre accrue pour tous, puisque la période sur laquelle la durée hebdomadaire moyenne de travail est calculée passe d'un mois à trois, voire quatre mois. Concrètement, cela signifie qu'un employeur pourra désormais faire travailler un conducteur grand routier 56 heures par semaine pendant deux mois et demi d'affilée. Ce qui était impossible hier devient possible.

Cet allongement de la durée du travail ne rime pas avec une hausse des salaires. En effet, le décompte de la durée du travail, des heures supplémentaires et des repos compensateurs se fera désormais sur trois, voire quatre mois, au lieu d'une semaine ou d'un mois, suivant l'obtention des dérogations. Avec ce nouveau décompte, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires est relevé, ce qui est inacceptable pour les conducteurs : pour un travail équivalent et un temps de travail identique, plus aucune heure supplémentaire n'est payée !

Il s'agit donc d'un véritable marché de dupes, dont les victimes sont encore une fois les salariés. Nous sommes loin du « travailler plus pour gagner plus » !

Ce projet de loi de ratification et le décret qui en découle concoctent un droit du travail sur mesure pour le patronat. En relevant le seuil de la durée maximale hebdomadaire des conducteurs, en supprimant la notion de durée maximale annuelle et en instituant de droit le décompte de la durée du travail sur trois mois, ce qui supprime de nombreux jours de repos compensateur, en maintenant les équivalences, ce décret fait en outre disparaître un nombre conséquent d'infractions jusqu'ici sanctionnées, alors même que les abus sont manifestes et les moyens des contrôleurs insuffisants. En moyenne, en effet, une entreprise est contrôlée tous les huit ans, et plus de 20 % des infractions relevées le sont pour entrave au respect de la durée légale du travail.

Pour assurer l'ensemble des contrôles, ce sont 50 postes supplémentaires de contrôleurs du travail qu'il faudrait créer. Le Gouvernement n'en a prévu que trois pour 2005 ! Il va sans dire que le contrôle du respect des dispositions sur la rémunération, des durées de travail et des normes de sécurité sera inopérant dans les moyennes ou les grandes entreprises.

Bref, le discours généreux sur la sécurité routière ne pèse pas bien lourd. C'est une préoccupation de façade que vous sacrifiez aisément aux intérêts du patronat des transports. Les conducteurs sont désireux d'être des piliers de la lutte contre le fléau de l'insécurité routière : vous les désarmez ! Il suffit pourtant de les écouter parler de la pénibilité de leur profession et des rythmes imposés par l'employeur pour être convaincu des dégâts que causeront ces mesures.

La lutte contre l'insécurité routière suppose que la question des durées soit traitée dans le chapitre des conditions de travail des conducteurs routiers.

Ces modifications de la législation du travail autorisent d'ailleurs les employeurs à dégrader irrémédiablement les conditions de travail des conducteurs de messagerie et de transport de fonds, secteurs qui ne sont pourtant nullement concernés par la concurrence.

Cette ordonnance va ainsi bien au-delà d'une simple transposition des directives européennes. Elle bouleverse la réglementation de la durée du travail dans le sens du moins-disant social. Elle contrevient immanquablement à l'institution de mesures de protection plus exigeantes. Elle ne peut donc être considérée comme une transposition légale des directives, puisqu'elle n'est pas conforme à leurs dispositions, comme en témoigne le recours intenté devant le Conseil d'Etat par une organisation syndicale de salariés.

Cette ordonnance et la modification du décret 83-40 entraînent un retour en arrière de quinze ans pour les conducteurs. Elles mettent aussi à mal la sécurité des transporteurs, et par ricochet celle de tous les usagers de la route. A la pénibilité de cette profession, vous ajoutez la déréglementation et l'insécurité. Ce n'est pas responsable, et c'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi de ratification.

Mme Chantal Brunel - L'ordonnance que le Gouvernement nous demande de ratifier répond à plusieurs impératifs. D'abord, sauvegarder l'emploi dans le secteur du transport routier de marchandises, qui compte 41 000 entreprises et 330 000 salariés, mais n'en est pas moins menacé par la concurrence de pays qui n'ont pas les mêmes exigences de rémunération et de protection sociale que nous.

La part des transports internationaux dans le chiffre d'affaires de la profession a ainsi fortement diminué. Les vicissitudes auxquelles le secteur a dû faire face depuis les années 1980 ont entraîné nombre de faillites. Il s'agit certes de la hausse du prix des carburants, mais surtout de la libéralisation des transports routiers de marchandises. Cette concurrence acharnée a obligé l'Etat à réagir par les lois du 31 décembre 1992 sur les relations de sous-traitance et du 1er février 1995 relative aux clauses abusives et à la présentation des contrats.

Ce texte crée une nouvelle réglementation applicable à tous les camions entrant en France, qui doit être strictement observée sous peine de sanctions. 300 contrôleurs des transports terrestres oeuvrent aujourd'hui à ces contrôles, et d'autres postes vont être créés.

Le respect de cette législation sera assuré par de nouvelles mesures, telles que l'obligation pour tout camion d'être équipé d'un chronotachygraphe numérique, et non plus papier, autrement dit d'un «mouchard». La traçabilité du travail du conducteur sera plus certaine, les capacités de mémoire du nouveau système permettront de remonter sur une période de trois mois, et non plus d'un seul comme aujourd'hui. Les entreprises auront l'obligation de numériser et de stocker toutes ces données. En cas d'accident et de fraude, le non-respect de ces obligations pourra entraîner des poursuites pénales à l'encontre du chef d'entreprise.

Ce projet apporte également plus de souplesse à l'entreprise, et permet une bien meilleure gestion des flux de la demande. Si les heures supplémentaires seront toujours payées tous les mois, le calcul des heures relevant du repos compensateur pourra dorénavant être effectué sur un trimestre, voire sur quatre mois, par accord d'entreprise.

Les garanties indispensables en termes de sécurité routière et de préservation des conditions de travail des salariés ont été prévues avec, notamment, l'obligation d'accorder au personnel roulant une pause d'au moins 30 minutes lorsque le temps de travail quotidien est supérieur à six heures, et d'au moins 45 minutes s'il dépasse les neuf heures. Cette pause, obligatoire en France, n'existe pas dans de nombreux pays, ce qui constitue un avantage concurrentiel.

Le temps de travail des chauffeurs français est aujourd'hui le plus faible d'Europe, avec 2 204 heures par an contre 2 784 au Royaume-Uni. Le texte vise donc aussi à réduire l'écart entre le temps de travail des chauffeurs français et celui de leurs homologues étrangers. Le temps de nuit sera désormais décompté de 22 heures à 5 heures du matin, au lieu de 21 heures à 6 heures du matin actuellement. Si cela était plus avantageux pour le conducteur, ce n'était guère en harmonie avec les autres réglementations européennes.

La directive définit et harmonise, pour tous les pays européens, le temps payé par l'entreprise au chauffeur. Elle impose que le temps de service, et non plus seulement le temps de conduite, soit payé. Ce temps de service comprend, outre le temps de conduite, celui du chargement et du déchargement, de l'attente, et le temps de pause obligatoire après six heures de travail continu.

Vous venez d'indiquer, Monsieur le ministre, que vous allez prendre des mesures d'accompagnement pour préserver l'emploi de ce secteur menacé. Elles concernent en priorité le cabotage et la location transfrontalière. La location d'un camion avec son chauffeur dans un pays voisin, pour entrer ensuite sur notre territoire, ne sera possible que sous des conditions restrictives. Des dispositions sont également envisagées pour que les chauffeurs étrangers pénétrant sur notre sol soient soumis à la réglementation de notre pays, comme l'impose d'ailleurs la réglementation européenne.

Le groupe UMP votera ce texte, qui vise à lutter contre une concurrence sauvage dans le transport terrestre et à préserver nos emplois. Il est très important que la réglementation française, particulièrement stricte, soit applicable à tout camion circulant sur notre sol. C'est la raison pour laquelle l'obligation du mouchard numérique infalsifiable et l'immobilisation de tout camion qui ne sera pas en règle sont capitales. La nouvelle réglementation sur le cabotage et la location transfrontalière est attendue avec impatience, et notre pays devra veiller à ce que le transposition de la directive soit effective dans les autres Etats européens.

Le groupe UMP est particulièrement attaché à ce que toute directive européenne, en particulier celles qui concernent le travail des Français et leur acquis sociaux, soit transposée dans le sens de l'intérêt de nos salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Le Garrec - Les hasards de l'organisation du travail parlementaire m'ont amené à me pencher sur ce dossier que je connaissais mal.

Je ne mets évidemment en cause ni la qualité du travail du rapporteur, qui était un travail difficile, ni l'estime que je peux avoir pour vous, Monsieur le ministre. Vous oeuvrez sans relâche pour la sécurité des transports, en particulier automobiles, et vous avez eu le premier, en d'autres temps, le courage de poser le problème du temps et du travail.

Outre que l'ordonnance qu'il s'agit de ratifier renvoie à un décret déjà publié qui fait l'objet d'un recours de la CFDT devant le Conseil d'Etat, la méfiance s'installe cependant très vite. Ce sont en effet les mêmes mots qui reviennent. Au nom de la concurrence, c'est une tentation permanente de tirer le droit du travail vers le bas que l'on rencontre sur tous les sujets. On l'a vu, déjà, à propos du registre international français. Au terme d'une bataille ardue, le pourcentage de marins embarqués d'origine européenne devait être de 35 % ; au dernier moment, il a été réduit à 25 % une fois l'amortissement terminé ! Comprenne qui peut ce type de raisonnement. Aussi, quand j'entends « travailler plus pour gagner plus », je deviens méfiant : en permanence, on tire vers le bas.

D'autre part, s'il y a eu négociation avec les organisations patronales, il y a eu une simple concertation polie avec les organisations syndicales. Et si elles sont toutes en désaccord avec les propositions d'accompagnement et avec le décret, c'est bien qu'il y a problème, un problème dont une approche purement technique ne rend pas compte.

Voyons donc ce projet de plus près. A l'origine, il concernait les 20 000 ou 30 000 chauffeurs routiers de longue distance, qui sont soumis à une véritable concurrence. Progressivement, on a inclus les 300 000 chauffeurs routiers « ordinaires », dont l'organisation du travail est totalement différente. Mon sentiment s'est donc transformé en certitude : on profite d'une directive, nécessaire, pour grignoter les droits existants.

Ainsi, le travail de nuit ne s'entend plus de 21 heures à 6 heures du matin, mais de 22 heures à 5 heures. J'ai d'abord cru que l'on parlait de l'heure d'été. Mais non, c'est toute l'année. Pourquoi cette réduction ? Parce qu'elle aura des conséquences importantes sur les compensations horaires, bien sûr. Mais alors, dites-le, négociez. De même, aux quatre trimestres par an, on substitue des périodes de trois mois - voire quatre mois -, qui peuvent par exemple commencer en février, ce qui n'aura pas du tout les mêmes conséquences pour l'étalement des repos compensateurs.

On a donc la désagréable impression que, derrière un texte technique, on reprend des avantages, on revient sur le décret de l'ancien ministre communiste des transports et sur le décompte des repos compensateurs, que l'on crée des incertitudes.

Si c'est cela, il fallait le dire clairement et négocier. Bien entendu, l'ensemble des syndicats ont manifesté fermement leur réprobation - voyez la Tribune du 30 mars, les Echos du 31 mars, le Figaro économique. Mais que cherche-t-on ? A tirer les droits vers le bas en camouflant la réalité, sans engager de vraie négociation ? A s'appuyer sur une directive qui ne prévoit pas de telles mesures pour satisfaire les sollicitations du patronat ?

Nous sommes un certains nombre ici, à être convaincus qu'il faut voter pour le traité constitutionnel.

M. Pierre-Louis Fagniez - Oui !

M. Jean Le Garrec - Mais les 300 000 chauffeurs routiers concernés par ce projet, que vont-ils penser ? Ils vont retenir que c'est la directive européenne qui entraîne de telles conséquences, alors que ce n'est pas vrai !

M. Gérard Bapt - Et pourtant !

M. Jean Le Garrec - Et ensuite, on s'étonne de la montée du « non ». Plutôt que de décréter une mobilisation générale qui, en pratique, ne se fait pas, je préférerais que sur ces textes concernant le transport maritime ou le transport routier, on mesure mieux les conséquences de ce que l'on fait sur les salariés, si l'on veut créer ce climat de confiance dont nous avons bien besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - On parle beaucoup de dévalorisation du travail parlementaire. Avec ce projet, les records sont battus ! Il existe une directive européenne, dont les conséquences sur les travailleurs des transports n`ont pas été mesurées. Le Gouvernement la transpose par une ordonnance qui en aggrave les dérogations et qu'il publie en novembre 2004 sans consulter les syndicats alors que 300 000 salariés sont concernés. Enfin, il publie le 1er avril, une semaine avant ce débat, le décret d'application pour les transports routiers de marchandises, alors qu'un recours a été déposé devant le Conseil d'Etat !

Ce décret a provoqué un tollé chez les routiers salariés, dont les syndicats appellent à la grève - mais le rapport ne fait même pas mention de leurs observations.

Conformément à la directive, l'ordonnance supprime la référence au repos dominical, réduit de 11 à 10 heures le temps de repos journalier incompressible et permet le dépassement à titre transitoire de la limite des 48 heures hebdomadaires. Après la casse des 35 heures, le secteur des transports devient le laboratoire de la destruction de droits des salariés, alors même que, malheureusement, on discute à Bruxelles d'une nouvelle rédaction de la directive de 1993 sur les limites extrêmes du temps de travail.

Néanmoins, il est bien précisé dans la directive que sa transposition ne saurait justifier la réduction du niveau de protection des travailleurs. Rien ne vous obligeait donc à en rajouter. Une fois de plus, vous vous cachez derrière l'Europe pour faire vos mauvais coups. Comment s'étonner ensuite que les travailleurs accusent l'Europe ?

L'ordonnance supprime les références journalières, hebdomadaires et mensuelles pour le calcul du temps de travail, instaure un calcul sur trois, voire quatre mois, pour le lissage des heures supplémentaires et le repos compensateur : tout est bon pour grignoter les droits des salariés. Avec le décret, le temps de travail annuel d'un conducteur de messagerie passe de 1 607 heures à 2 288 heures. Plus grave, il maintient les équivalences, que les textes européens ne prévoient pas, permettant aux employeurs de passer d'un horaire limite de 48 heures à 56 heures sous prétexte de distinguer entre heures de service et heures de travail effectives. Pour un temps de travail équivalent, le salarié ne disposera plus de 32 jours annuels de repos compensateur, mais de 10 jours : il fera cadeau d'un mois de travail au patron ! Le travail de nuit s'imputera désormais entre 22 heures et 5 heures, et le décret prévoit d'abroger tout simplement le principe du contingent d'heures supplémentaires dans les transports routiers. Ce n'est plus « travailler plus pour gagner plus », mais « travailler plus pour gagner moins » ! Non moins scandaleux, le Gouvernement inclut dans le dispositif les entreprises de convoyeurs de fonds et de messagerie, exclues du champ de la directive !

Or, selon le récent rapport de la CNAM, le transport routier est un des secteurs où le nombre des accidents du travail a le plus augmenté en 2003. Il est irresponsable d'accroître ainsi la fatigue des routiers, au détriment de leur sécurité - et de celle des autres -, de leur santé et de leur vie privée.

Finalement, pourquoi prendre ces mesures, si ce n'est au nom d'une société libérale, productiviste et consumériste qu'en tant qu'écologiste je réprouve totalement. Les entreprises de transport routier de marchandises ont déjà obtenu des cadeaux fiscaux avec le déplafonnement de la TIPP et le dégrèvement de la taxe professionnelle. Avec le décret, vous instaurez une concurrence déloyale pour le fret ferroviaire, dont on se demande comment il pourrait se développer. C'est tout le contraire d'une politique active de réduction des émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique, dont le Président de la République prétend se préoccuper.

Cette société du dogme de la croissance et de la consommation, du tout camion et tout routier, du flux tendu et des livraisons immédiates - aussitôt que l'on a suscité des besoins -, est cette même société qui augmente les heures de travail des routiers au lieu de favoriser l'embauche, qui détruit leur rythme de vie en les privant de repos compensateur, au mépris de leur santé et de la sécurité routière.

Les députés Verts voteront donc contre la ratification de cette ordonnance. Ce n'est pas rendre service à l'Europe, Monsieur le ministre, que de procéder à de telles transpositions. Il ne faudra pas s'étonner des conclusions que les Français en tireront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Le texte d'aujourd'hui ne modifie nullement, Monsieur Braouezec, la durée légale du travail des conducteurs : 43 heures pour les grands routiers, 39 heures pour la courte distance et 35 pour la messagerie et les convoyeurs de fonds. La durée maximale sur une semaine isolée reste à 56 heures, soit la durée fixée par les décrets Gayssot, alors que la directive permettait d'aller jusqu'à 60 heures. Les durées maximales hebdomadaires sont légèrement augmentées, c'est vrai, mais c'est parce qu'il faut donner à nos entreprises les moyens d'être compétitives. Par ailleurs, les contrôles sont renforcés, grâce à des effectifs augmentés et grâce à des appareils modernes tels que le chronotachygraphe, qui empêche la « triche ».

Mon plan et ce projet ont un objectif : faire du gagnant-gagnant entre les organisations professionnelles et les salariés.

J'ajoute, Monsieur Braouezec, que pour faire respecter les règles de concurrence et ne pas voir le pavillon français absorbé par nos collègues européens, il y a un dispositif complet sur le cabotage et le détachement. Il sera bientôt effectif.

Vous m'avez interrogé sur le paiement des heures supplémentaires. Il ne faut pas confondre le contingentement de celles-ci - leur calcul se fait au trimestre - et leurs modalités de paiement, qui ont été fixées par un accord de branche, lequel n'est absolument pas modifié.

Je remercie M. Rochebloine et Mme Brunel d'avoir souligné l'équilibre du dispositif proposé. M. Le Garrec aurait pu quant à lui signaler l'avancée sociale que constitue la garantie mensuelle de rémunération, sur laquelle les organisations professionnelles d'employeurs se sont engagés. Elle évitera aux salariés de subir les variations de rémunérations consécutives aux variations saisonnières et aux variations d'activité. Quant à la simplification des règles relatives au repos compensateur, elle était souhaitée tant par les employeurs que par les salariés.

Alors que la loi Aubry de 1998 - dont vous étiez le rapporteur, Monsieur Le Garrec - excluait le secteur des transports, le projet d'aujourd'hui corrige la situation ainsi créée et fixe des règles claires en termes de repos compensateur, de pause obligatoire et de décompte des heures effectuées.

Nous comblons également aujourd'hui une autre lacune, celle qui faisait que le travail de nuit n'était pas encadré. Nous le faisons en tenant compte des particularités d'une activité dont chacun voit bien qu'elle a peu à voir avec un travail de bureau classique.

Je rappelle enfin, Monsieur Le Garrec, que ces directives vont obliger la plupart de nos voisins européens à réduire le temps de travail de leurs salariés. C'est aussi de cette façon que l'Europe est utile.

Vous avez tenu des propos excessifs, Madame Billard, et je ne peux en tout cas pas vous laisser dire qu'il n'y a pas eu concertation. Elle a au contraire été constante et très poussée, chacun pourra vous le confirmer. Les modifications successives des décrets d'application sont d'ailleurs là pour le prouver. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDF)

ARTICLE UNIQUE

M. Patrick Braouezec - Notre amendement 2 tend à supprimer cet article. Je l'ai défendu au cours de mon intervention dans la discussion générale.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas examiné. A titre personnel, j'y suis bien sûr défavorable, car l'adopter serait nier l'existence même du projet.

M. le Ministre - Défavorable.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Ministre - J'ai déjà défendu l'amendement 1.

M. le Rapporteur - La commission est favorable à cette solution équilibrée, qui a le mérite de sauver l'accord de 2001, fruit d'un compromis entre les partenaires sociaux, et qui pose, dans le respect du droit communautaire, des règles claires. Enfin, cet amendement apporte opportunément un fondement légal à l'accord de branche qui organise dans la batellerie le travail sur les bateaux exploités en service continu.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article unique, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 10 heures 40, est reprise à 10 heures 50.

LOCAUX DITS DU CONGRÈS
AU CHÂTEAU DE VERSAILLES
(procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Louis Debré tendant à mettre à la disposition du public les locaux dits du Congrès au Château de Versailles.

M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet de la procédure d'examen simplifiée prévue par l'article 106 du Règlement.

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - On peut avoir deux visions de la présence des assemblées parlementaires à Versailles : l'une symbolique et l'autre, celle qui doit guider notre décision, pragmatique.

Les symboles, d'abord : Versailles, c'est la monarchie, la « grande merveille de la France royale » selon Renan ; c'est aussi le lieu de naissance de l'Assemblée nationale. Jules Ferry, dans le style lyrique en vogue sous la Troisième République, décrit ainsi les députés du Tiers Etat le jour du serment du Jeu de Paume : « les voilà, consignés à la porte du lieu même de leurs séances comme des écoliers punis. Les voilà, errants dans les chaussées de la ville royale, les pieds dans la boue et la tête sous la pluie... Le hasard les amène ici. Qu'est-ce qu'ils y font ? Ils y font un serment (...) C'était substituer le règne de la loi à la domination de l'arbitraire, l'égalité au privilège, la liberté au despotisme ». Depuis lors, « partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale ».

La présence des assemblées parlementaires à Versailles semble à la fois incongrue - que fait la démocratie dans la résidence des rois ? - et indispensable, le peuple s'étant substitué à un pouvoir absolu. Symbolique, cette vision est également déformée.

Venons-en par conséquent à la vision pragmatique : pour avoir une juste appréciation de la présence du Parlement dans la ville des rois, il faut s'en tenir à la réalité, celle de l'histoire comme celle du présent.

Dans le passé, la présence du Parlement à Versailles fut brève, circonstancielle et épisodique. Durant la Révolution, elle fut en effet limitée à quelques mois. A peine le Tiers Etat s'est-il autoproclamé « Assemblée nationale », en juin 1789, qu'il s'installe à Paris, pour rejoindre le boulanger, la boulangère et le petit mitron ! Et ce n'est que sous la Troisième République que l'on peut véritablement parler d'une présence permanente du Parlement à Versailles, toutefois limitée à huit ans...

M. René Dosière - Années essentielles !

M. le Rapporteur - ...et pour répondre à des impératifs de circonstances, liés à la défaite de Sedan, à la capitulation face à l'Allemagne, à la victoire des monarchistes aux élections du 8 février 1871, à l'installation de l'assemblée élue à Bordeaux pendant quelques jours, avant un retour à Versailles, jugée plus sûre que Paris après les événements de la Commune. Les parlementaires occupent alors l'opéra, construit par Gabriel pour Louis XV. Puis viennent les lois constitutionnelles de 1875, qui instaurent le bicamérisme, créent le Sénat et transforment l'Assemblée nationale en Chambre des députés. Le Sénat s'installe dans l'opéra royal, laissé libre par l'Assemblée nationale dans l'aile nord du château. La Chambre des députés se fait construire une nouvelle salle des séances dans l'aile du midi, par son architecte de prédilection, Edmond de Joly, fils de celui-là même qui conçut l'hémicycle dans lequel nous débattons.

C'est ainsi que Versailles devient le centre de la vie politique, les journaux se voyant contraints d'organiser un service de pigeons voyageurs pour rester en liaison permanente avec le centre du pouvoir. Les allers et retours du « train parlementaire » rythment les semaines... Puis, c'est la victoire des républicains. On décide de revenir à Paris et c'est chose faite en novembre 1789. Les assemblées restent cependant affectataires de locaux à Versailles. Les élections du Président de la République et les révisions constitutionnelles continueront de s'y dérouler, dans l'ancienne salle de la Chambre des députés devenue salle du Congrès. C'est l'occasion de grands raouts mondains, bien décrits par Aragon, un peu critiqués par Zola.

Brève et circonstancielle, la présence du Parlement à Versailles devient par la suite franchement épisodique. La dernière élection du Président de la République à s'y dérouler est celle de René Coty, en 1953. La Constitution de 1958 change la donne : le Congrès n'est plus convoqué que pour les révisions constitutionnelles - quatorze depuis le début de la Cinquième République, la dernière ayant eu lieu le 28 février dernier ...

M. René Dosière - Oui, mais le rythme s'accélère !

M. Jean-Pierre Soisson - Hélas !

M. le Rapporteur - L'histoire enseigne que si le Parlement s'est cherché à Versailles, c'est à Paris qu'il s'est trouvé !

Aujourd'hui, la présence du Parlement à Versailles, c'est d'abord une surface : 25 000 mètres carrés - les deux tiers pour l'Assemblée, le reste pour le Sénat. C'est ensuite une salle du Congrès associée à des bureaux, un musée - « Les grandes heures du Parlement » - créé en 1995, plusieurs locaux d'archives, quelques logements, des espaces désaffectés...

M. Jean-Pierre Soisson - Quinze caves !

M. le Rapporteur - C'est enfin une sorte de « présence-absence », liée à l'arythmie des réunions du Congrès, qui tranche avec la permanence de l'Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, institution créée en 1995 et affectataire de tous les autres locaux.

Chargé de gérer un patrimoine immense, l'établissement emploie 900 personnes pour recevoir chaque année trois millions de touristes dans le seul château, cinq millions de visiteurs dans l'ensemble parc et château, et près de dix millions de promeneurs dans la totalité du domaine. Ces chiffres considérables témoignent du rayonnement culturel incomparable de ce patrimoine, que le projet du Grand Versailles, doté de 135 millions, pour la première phase, jusqu'en 2009, tend à valoriser encore un peu plus, son achèvement étant prévu pour 2017.

L'histoire n'impose d'aucune façon la présence permanente du Parlement à Versailles. La mission culturelle du domaine commande par contre d'ouvrir l'ensemble des espaces au public, et la bonne gestion des deniers publics d'allouer les moyens à chacun selon ses besoins.

C'est pourquoi cette proposition de loi vise à réaffecter les locaux occupés par le Parlement, sous réserve que soient mis à sa disposition, en tant que de besoin et à titre gratuit, ceux qui sont nécessaires à l'organisation des Congrès. La mesure s'inscrit pleinement dans la logique de modernisation et de rationalisation de la gestion publique qui a été engagée avec l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Les assemblées n'ont pas vocation à gérer et à entretenir un patrimoine historique qu'elles n'utilisent pas de manière quotidienne, et l'interdépendance des locaux ne facilitent pas la gestion de la circulation, la mise en place de réseaux cohérents et la conduite des travaux, la réaffectation permettra des économies d'échelle, clarifiera les responsabilités et contribuera à la réalisation du Grand Versailles.

La proposition de loi tient compte de la nécessité d'une période transitoire et assure à l'Assemblée nationale la possibilité de répondre à la mission d'organisation du Congrès que lui confie l'article 89 de la Constitution, qui précise en son troisième alinéa que « le Bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale ». Le cas se présente, aux termes du même article, chaque fois que sont réunies deux conditions cumulatives, après que les deux assemblées se sont mises d'accord sur un texte : qu'il s'agisse d'un projet de révision constitutionnelle déposé à l'initiative du Président de la république sur proposition du Premier ministre, et non d'une proposition de révision présentée par les membres du Parlement ; que le Président de la République ait décidé de ne pas le soumettre à référendum.

Pour tenir compte de cette obligation constitutionnelle, dont la fréquence des révisions de la Constitution ces dernières années a révélé l'importance, des locaux seront mis à la disposition de l'Assemblée nationale et du Sénat, en tant que de besoin et à titre gratuit, dans des conditions qui seront formalisées par conventions, la tradition républicaine voulant que le Parlement reste maître de ses conditions de fonctionnement.

L'histoire retiendra que c'est sur la proposition du Président Debré que cette réforme, qui devrait faire l'unanimité de notre assemblée, aura été accomplie. Je vous invite à adopter cette proposition de loi dans le texte de la commission des lois. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Je tiens à remercier le Président de l'Assemblée nationale de son initiative, dont je mesure pleinement le sens et la portée. C'est une chance, et c'est une charge.

C'est la chance historique de rendre toute sa cohérence à Versailles, de rétablir l'unité domaniale du monument le plus emblématique de notre patrimoine, rescapé des tourmentes de l'histoire et justement consacré au XIXe siècle « à toutes les gloires de la France » parce qu'il est apparu comme l'expression la plus achevée d'un âge d'or de notre civilisation.

Ce symbole de la monarchie est aussi un haut lieu de la démocratie parlementaire. C'est à Versailles que, le 17 juin 1789, l'Assemblée du Tiers Etat, rejointe par une minorité de privilégiés, prend le titre d'Assemblée nationale. C'est à Versailles qu'est adoptée le 26 août la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Si le silence s'installe dans ces lieux lorsque, le 12 octobre 1789, pour suivre le Roi, l'Assemblée décide son transfert à Paris, c'est encore à Versailles qu'un gouvernement républicain installe l'Assemblée élue le 8 février 1871, à l'issue du conflit franco-prussien : tout d'abord dans la salle de l'Opéra royal, où, chambre unique, elle siégera pendant cinq ans, puis, avec l'instauration du Sénat, dans la nouvelle salle des séances que nous connaissons comme l'actuelle enceinte du Congrès, dans l'aile du Midi.

La Troisième République en fera le théâtre régulier des élections du Président de la République par l'Assemblée nationale, formée de la Chambre des députés et du Sénat réunis. C'est donc aussi un monument républicain que vous allez restituer à nos concitoyens et aux visiteurs du monde entier.

Cette restitution au ministère de la culture et de la communication et l'affectation de ces espaces à l'établissement public chargé de mettre en valeur cet ensemble va entraîner des conséquences fonctionnelles de la plus haute importance.

La mise à disposition d'espaces supplémentaires sera très bénéfique à la mise en œuvre du Grand Versailles, dont le schéma directeur a été décidé par le Gouvernement en octobre 2003 pour améliorer les conditions d'accueil des quatre millions de visiteurs reçus chaque année et pour assurer la sécurité du monument.

Il est trop tôt pour détailler les conséquences de cette nouvelle affectation. Il est clair toutefois que les espaces libérés seront mis au service des publics, de tous les publics. Ils pourront notamment permettre de développer les fonctions d'accueil, d'information, de billetterie, de préparation à la visite, ou encore les services offerts aux élèves qui viennent à Versailles par centaine de milliers. D'autres initiatives suivront.

Je demande à Christine Albanel, présidente de l'établissement public du château et du domaine de Versailles de faire procéder, dans les semaines et les mois qui viennent, au réexamen du schéma directeur, qui sans aucun doute se trouvera simplifié et prendra une ampleur nouvelle.

Cette restitution, pour historique et nécessaire qu'elle soit, est aussi une charge. Il s'agit en effet du transfert de la gestion de 26 000 mètres carrés, soit le tiers de la surface actuellement ouverte au public, ou la moitié du musée d'Orsay, l'ensemble du musée des arts décoratifs à Paris, ou encore l'ensemble de l'aile Richelieu du musée du Louvre.

Les charges supplémentaires, dont le calcul n'a pas été fait, s'étaleront dans le temps, mais il conviendra de prévoir des moyens nouveaux en conséquence. De plus, des conventions devront naturellement être passées avec le Parlement à propos de la période transitoire, que l'on peut évaluer à quatre ans.

C'est donc un programme d'une portée considérable, inscrit dans la durée, qu'autorise aujourd'hui votre proposition. Il est conforme à l'ambitieuse politique du patrimoine que les Français appellent de leurs vœux et que je souhaite conduire avec votre soutien. Cette initiative suscite beaucoup d'espoirs, tant il est vrai que la mise en valeur de notre patrimoine contribue à la fierté nationale et au rayonnement de notre pays, sans parler des emplois créés. Cette mise en valeur doit fédérer toutes les énergies : de l'Etat, des collectivités territoriales, des entreprises publiques et privées et des citoyens. S'agissant de Versailles, soyez certains que l'Etat jouera pleinement son rôle. Je compte sur vous pour que nous réglions de la meilleure manière les questions concernant la période de transition. Je veux aussi remercier ceux qui, du plus petit de nos concitoyens jusqu'à la plus grande fortune internationale, contribuent à la mise en valeur de notre patrimoine.

Merci encore de cette initiative, que le Gouvernement soutient (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Pierre Soisson - Le Président Jean-Louis Debré nous invite à effectuer un geste politique d'importance : rendre les locaux que l'Assemblée nationale et le Sénat occupent dans le Château de Versailles.

Versailles est un lieu de mémoire, à la jonction de deux mondes, l'Ancien régime et la Révolution. Il est le témoin le plus prestigieux de l'Ancien régime, tous les Français le savent ; mais ils savent moins que c'est à Versailles qu'est née la première Assemblée nationale, qu'a été proclamée la Déclaration des droits de l'homme et qu'a été fondée la Troisième République. A la fin du XIXe siècle, l'aile des Princes est ainsi devenue l'aile du Parlement, dont le devenir nous occupe aujourd'hui.

C'est dans la Salle des menus plaisirs que se sont ouverts les Etats Généraux le 5 mai 1789 et que fut adoptée le 17 juin la motion de Sieyès créant une Assemblée nationale. C'est dans la Salle du jeu de Paume qu'a été prêté, le 20 juin 1789, le serment de ne pas se séparer avant que la Constitution du Royaume fût établie. Le serment, rédigé par Target, fut lu par Bailly. A l'appel de leur nom, tous les représentants de la nation en signèrent le procès-verbal par sénéchaussée et baillage, l'utilisation de ces deux techniques mélangeant l'ancien et le nouveau Régime.

Quant à la Déclaration des droits de l'homme qui forme le préambule de la première Constitution de septembre 1791, elle fut adoptée dans la salle des menus plaisirs en juillet et août 1978.

Quand le roi fut contraint de gagner Paris en octobre 1789, l'Assemblée nationale le suivit et s'installa à Paris, dans la salle du manège des Tuileries. Elle ne reviendra à Versailles, dans l'opéra du château, qu'après la chute du Second Empire en 1871.

C'est dans cette salle que furent votées les lois constitutionnelles de 1875 qui créèrent la Troisième République. L'une d'entre elles, instituant le bicaméralisme, impliquait une nouvelle organisation du travail parlementaire. Le Sénat conserva la salle de l'opéra tandis que la Chambre rejoignit, dans l'aile du Midi, l'actuelle salle du Congrès, qu'aménagea le fils de l'architecte du Palais Bourbon, Edmond de Joly.

En août 1879, les deux Chambres regagnèrent Paris. L'utilisation des locaux de Versailles fut alors limitée à l'élection des Présidents de la République et aux révisions de la Constitution. L'élection du Président de la République ayant lieu au suffrage universel depuis 1962, seules les révisions de la Constitution se déroulent désormais à Versailles.

Il est donc permis de s'interroger sur l'affectation permanente au Parlement de locaux situés dans l'un des plus prestigieux monuments de notre histoire. La décision du président Jean-Louis Debré prend ainsi tout son sens : l'Assemblée n'a pas vocation à gérer et à entretenir un patrimoine historique qu'elle n'utilise pas de manière quotidienne d'autant plus que les assemblées n'ont pas la maîtrise des travaux qui doivent être conduits par l'architecte en chef des monuments historiques.

Si le Parlement doit mettre Versailles à la disposition du public, le Congrès doit pouvoir continuer à se réunir à Versailles. Le Parlement doit rester maître de ses conditions de fonctionnement, y compris pour la préparation matérielle des Congrès.

Le vote de cette proposition de loi mettra fin à une situation juridique complexe en permettant l'abrogation de l'annexe de l'ordonnance de novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, introduite par la loi d'août 2003 et, qui avait la précision d'un règlement de co-propriété. Le texte permet la mise à disposition du public des locaux de Versailles tout en maintenant la tenue des Congrès à Versailles. C'est l'objectif de l'article 3, adopté par la commission des lois, qui impose des conventions précisant « les conditions de la mise à disposition des locaux nécessaires à la tenue du Congrès du Parlement ».

Jean-Louis Debré a évoqué, avec raison, l'obligation « de vivre avec son temps ». Et d'ajouter en une belle formule : « Lorsque la tradition en vient à faire obstacle à l'adaptation aux nécessités du temps, il faut savoir y renoncer ». Il propose deux orientations que l'UMP approuve. Tout d'abord, il s'agit de recentrer autour du Palais Bourbon les activités et les services de l'Assemblée, y compris le Musée du Parlement, actuellement installé à Versailles. Ensuite, le président de l'Assemblée propose de réduire le train de vie de l'Assemblée...

M. René Dosière - Quel train de vie ?

M. Jean-Pierre Soisson - ...et de se débarrasser des bâtiments qui ne sont pas strictement nécessaires à son fonctionnement.

En définitive, il nous invite à faire en sorte que le fonctionnement - et partant le coût - de l'Assemblée soit en harmonie avec les préoccupations de nos compatriotes. Nous pouvons l'en remercier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René Dosière - Que le Parlement dispose de locaux à Versailles n'est pas extraordinaire, la République y est née ! Plus précisément, il s'agit de la Troisième république, mère de notre régime républicain et parlementaire. Ce choix de la République n'était pas évident en 1871 quand l'Assemblée en majorité royaliste - celle-là qui va s'illustrer dans la répression sanglante de la Commune - choisit symboliquement de revenir à Versailles. C'est dans l'hémicycle construit en 1876 par Edmond de Joly, le fils de l'architecte qui aménagea l'hémicycle du Palais Bourbon, que la République a vécu ses premières années, jusqu'en 1879.

Ainsi s'explique l'attachement de tous les républicains à cette salle et leur volonté d'en préserver le cadre et l'utilisation. Ainsi que l'indique Les lieux de mémoire, l'ouvrage dirigé par Pierre Nora, « Versailles est le siège oublié mais toujours possible du Parlement, site suprême du cérémonial républicain ».

Comme le rapporteur l'a rappelé, la présence parlementaire a laissé d'autres traces au château de Versailles : 7 km de linéaires d'archives dont certaines vont prendre de la valeur, telle cette collection presque intégrale de La Pravda ; les logements officiels à l'usage du Président de l'Assemblée, des trois questeurs, des secrétaires généraux et six logements de fonction occupés les gardiens des lieux. Naturellement, ce dernier aspect alimente bien des fantasmes.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. René Dosière - Vivre à Versailles ! N'est-ce pas participer à cette vie de château si faussement décrite par Sacha Guitry autrefois ? La réalité est fort éloignée du rêve. Une rapide visite permet de constater que ces appartements sont vides depuis des années. Dans ces conditions, ces locaux ne présentent guère d'utilité pour l'Assemblée. Les questeurs, pour leur part, cèderont bien volontiers ces appartements dont ils n'ont pas un usage régulier, comme me l'a confirmé M. Migaud.

Toutefois, le renoncement à ces locaux ne doit pas faire obstacle au rôle que continue de jouer le château dans la liturgie républicaine : l'organisation du Congrès, à l'occasion des révisions de la Constitution qui, ces dernières années, se multiplient, et celle de manifestations parlementaires exceptionnelles comme la rencontre du 22 janvier 2003 entre les parlementaires français et allemands.

Mais nous devons aussi rester des gardiens vigilants des traditions et symboles républicains : il nous faut nous assurer que la salle des séances du Congrès ne puisse devenir un lieu de récréation médiatique. Certains accommodements dévalorisent le caractère historique de certains lieux, comme l'actualité récente l'a montré.

S'y ajoutera un problème plus matériel : nous devrons être très attentifs à l'organisation du transfert du musée du Parlement et de son personnel : 35 personnes dont 15 fonctionnaires.

En conclusion, le groupe socialiste est favorable à cette proposition de loi d'autant plus qu'elle a été complétée en commission, selon notre souhait, en sorte que la salle des séances du Congrès soit « sanctuarisée ». Je salue bien volontiers cette initiative de notre président, Jean-Louis Debré et la compréhension des questeurs. Comme mon collègue Soisson mais en contestant l'utilisation du terme « train de vie », je souhaite que l'Assemblée nationale puisse disposer au Palais Bourbon et autour des locaux nécessaires à un fonctionnement plus adapté à sa fonction essentielle - légiférer et contrôler l'action du Gouvernement (Applaudissements).

M. François Rochebloine - Versailles a connu au cours des trois derniers siècles quelques hauts faits de notre histoire, de l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme à l'accueil du Parlement en exil, à la fin du XIXe siècle. Depuis l'avènement de la Cinquième République, Versailles se contente d'accueillir le Parlement réuni en Congrès. Les conditions juridiques d'utilisation de cette partie du château sont établies par l'ordonnance du 17 novembre 1958. Au terme de l'article 2, les locaux dits du Congrès, définis dans une annexe, sont affectés à l'Assemblée nationale et au Sénat qui doivent donc en supporter les charges d'entretien.

Cette proposition de loi vise à transformer cette affectation en une mise à disposition, dont il est précisé qu'elle doit se faire en tant que de besoin et gratuitement. Quelle en est la portée ?

Je salue tout d'abord l'initiative de M. le Président Debré qui a su une fois de plus faire évoluer notre institution vers plus de modernité en érigeant les principes de transparence et de bonne gestion publique en valeurs fondamentales de notre Parlement. La mesure est certes éminemment symbolique et culturelle : il était regrettable qu'une partie du château de Versailles ne puisse être accessible au public alors même que le Parlement ne l'occupe que très rarement. Mais elle répond d'abord à un impératif de bonne gestion car l'utilisation très ponctuelle des locaux du Parlement ne justifiait pas une affectation permanente : les charges d'entretien de ce patrimoine historique ne pouvaient plus être confiées à l'Assemblée nationale et au Sénat, qui ne peuvent envisager de travaux conséquents. J'ajoute enfin que les révisions constitutionnelles continueront bien entendu à se tenir dans les locaux du Congrès puisque la proposition, que le groupe UDF votera, prévoit leur mise à disposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe UMP et du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

M. le Président - J'appelle les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

L'amendement 1 est retiré.

ART. 3

M. Didier Migaud - En tant que questeur, je salue l'initiative du Président de l'Assemblée nationale.

Nous veillerons à ce que les conventions puissent être négociées et conclues rapidement car le délai de quatre ans dont a parlé M. le ministre me semble trop long...

M. le Ministre - Les charges financières l'imposent.

M. Didier Migaud - Dès lors que l'Assemblée quitte Versailles, le retrait doit être rapide et total.

M. le Ministre - Sans doute.

M. Didier Migaud - Par l'amendement 2, deuxième rectification, le groupe socialiste souhaite que la salle du Congrès soit exclusivement réservée aux réunions parlementaires : il est des lieux dont l'usage ne saurait être monnayé.

M. le Rapporteur - Je comprends bien entendu le sens de cet amendement - qui a d'ailleurs été accepté par la commission - mais peut-être est-il également présenté pour des motifs plus conjoncturels, suite au concours prêté par une autre Assemblée à une émission de télévision.

Le Président Debré a pris l'initiative, selon sa belle expression, de « rendre Versailles aux Français ». Contrairement à ce que j'ai lu hier dans un journal, il n'est pas de « dignitaires de l'Assemblée nationale » qui aient des intérêts à Versailles : que les fantasmes cessent donc !

Faut-il ou non affecter exclusivement la salle de séance aux Congrès ?...

M. René Dosière - La sanctuariser, en quelque sorte.

M. le Rapporteur - Absolument. Mais faut-il pour autant interdire toute autre utilisation, par exemple l'affectation de la salle au tournage d'un film sur l'histoire de la République ?

M. René Dosière - Il est toujours possible de réaliser des décors.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'est-il pas un peu excessif ? A l'Assemblée de trancher.

M. le Ministre - Je souhaite également que les conventions soient signées le plus rapidement possible, mais des questions techniques et financières se poseront, Monsieur Migaud. A ce propos, je compte sur votre solidarité. L'Assemblée nationale et le Sénat doivent comprendre que le ministère devra faire face à une charge budgétaire nouvelle. Mais, en contrepartie, soyez assurés que, comme l'ensemble du château de Versailles, ces locaux seront confiés à d'excellents gestionnaires !

Je m'en remettrai à votre sagesse concernant cet amendement mais peut-être la question pourrait-elle être réglée par la convention qui, sous réserve d'un avis conforme ou d'une consultation des présidents des deux assemblées, autoriserait une ouverture exceptionnelle de la salle de séance à des manifestations importantes pour le rayonnement de la France.

M. René Dosière - Nous pensons que certains symboles républicains sont intangibles : j'ai entendu parler de la dictée de Bernard Pivot, de la réalisation de films, mais ne risque t-on pas de voir cette salle historique, d'ici quelques années, faire l'objet de transactions commerciales ? Elle doit être selon nous exclusivement réservée à des séances parlementaires.

M. Didier Migaud - Très bien.

M. Jean-Pierre Soisson - Je ne suis pas favorable à cet amendement : pourquoi compliquer un texte simple ? La convention peut très bien préciser par exemple que pour telle ou telle manifestation, hors les travaux parlementaires évidemment, l'accord des présidents des deux assemblées est nécessaire, mais n'allons pas au-delà . Que l'établissement public soit maître chez lui et que nous soyons maîtres chez nous lors des Congrès !

L'amendement 2, deuxième rectification, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Saluant la présence du Président Debré dans l'hémicycle, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 45.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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