Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2004-2005)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 85ème jour de séance, 208ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 3 MAI 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

SOLIDARITÉ AVEC FLORENCE AUBENAS ET HUSSEIN HANOUN 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ 2

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ 3

RÉFORME DE LA FORMATION EN ALTERNANCE 4

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ 4

TEXTILE CHINOIS 5

SITUATION DE L'EMPLOI 6

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT 6

LUTTE CONTRE LES MARIAGES BLANCS 7

AIRBUS 8

SITUATION AU TOGO 9

CRISE VITICOLE 10

COOPÉRATION DOUANIÈRE EUROPÉENNE 10

RÉGULATION DES ACTIVITÉS
POSTALES (suite) 11

FINANCEMENT DE
LA SÉCURITÉ SOCIALE 15

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 22

SAISINE D'UNE COMMISSION POUR AVIS 33

ERRATUM 34

La séance est ouverte à quinze heures.

SOLIDARITÉ AVEC FLORENCE AUBENAS ET HUSSEIN HANOUN

M. le Président - Il y a 118 jours que Florence Aubenas et Hussein Hanoun disparaissaient en Irak, 118 jours d'attente, d'angoisse et d'espoir que nous partageons avec leurs familles et leurs collègues. Alors que nous célébrons aujourd'hui la journée internationale de la liberté de la presse, j'assure, en votre nom à tous, Florence Aubenas, Hussein Hanoun ainsi que l'ensemble des journalistes de toute notre solidarité. (Applaudissements sur les tous les bancs)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - En cette journée internationale de la liberté de la presse, le Gouvernement s'associe à l'hommage de l'Assemblée nationale et songe en particulier aux 53 journalistes morts dans l'exercice de leur mission.

Nous souffrons tous de savoir Florence Aubenas et Hussein Hanoun séparés depuis 118 jours de leur famille, de leur pays, de leurs confrères. L'ensemble des services de l'Etat sont mobilisés avec plus de 100 personnes qui oeuvrent aujourd'hui à leur libération. Les contacts, parfois interrompus par de longues périodes de silence, ont été à chaque fois rétablis : nous gardons l'espoir. Soyez assurés que tout sera fait pour permettre à Florence et Hussein de retrouver leur famille, leurs confrères et leurs pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe socialiste.)

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. Denis Jacquat - Alors que la journée de solidarité avec les personnes âgées et les personnes handicapées aura lieu dans moins de quinze jours, nous entendons dire que les sommes ainsi dégagées ne leur seraient pas intégralement attribuées. Si chacun sait que cette journée générera deux milliards d'euros de recettes, dont 1,2 milliard pour améliorer la prise en charge à domicile des personnes âgées, moderniser les maisons de retraite ou assurer leur médicalisation, beaucoup craignent le précédent de la vignette automobile. Je sais que le Gouvernement a donné des garanties quant à la bonne utilisation de ces fonds : peut-il aujourd'hui nous en donner des preuves tangibles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - En effet, cette journée de solidarité générera une recette de deux milliards d'euros : 1,2 milliard pour les personnes âgées et 800 millions pour les personnes handicapées. Le Premier ministre s'était engagé à ce que pas un euro ne soit affecté ailleurs qu'à ces mission essentielles et le Président de la République, le 8 février dernier, avait demandé que la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie soit installée dans les trois mois : c'est chose faite depuis hier. Elle se compose de 48 membres qui représentent les associations, les professionnels, les élus, l'Etat, et elle vise à assurer une traçabilité parfaite de l'utilisation de l'argent. Gage supplémentaire : la présence hier du premier président de la Cour des Comptes, M. Philippe Seguin, qui s'est félicité des nouvelles méthodes de gestion. Deux rapports de la Cour des Comptes, en décembre prochain et au mois de juin 2006, renforceront en outre la transparence que nous devons aux Français. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. Jean-Marc Ayrault - Je suis en total désaccord, Monsieur le Premier ministre, avec les propos de Mme la secrétaire d'Etat (Protestations sur les bancs du groupe UMP) : vous savez tous que la suppression du lundi férié de la Pentecôte génère pagaille et injustice. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Pagaille, avec un traitement différencié selon les entreprises, les collectivités ou les administrations puisque personne ne sait qui fera quoi et quand, comme en témoigne l'exemple tragi-comique du lundi de Pâques dans le Gard et dans le Gers. Injustice surtout, car votre solidarité n'est qu'un trompe l'œil. Elle repose sur les seuls salariés à qui l'on impose une journée de travail gratuit sans négociation. Comment ne pas comprendre le mouvement de colère du monde du travail à qui, depuis trois ans, vous demandez de supporter tous les efforts ?

Les Français ne sont pas égoïstes : ils sont prêts au partage dès lors qu'il est égal, juste et surtout efficace. La solidarité, ce n'est pas la charité ou le travail forcé, mais la responsabilité de tous à travers l'impôt. La solidarité, c'est la solidarité de tous les Français, et d'abord de ceux qui peuvent payer le plus - ce qui n'est pas le cas en l'espèce. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Pouvez-vous poser votre question, Monsieur Ayrault ?

M. Jean-Marc Ayrault - Je comprends le désarroi des députés de la majorité devant leur incapacité à répondre, dans leurs circonscriptions, au mécontentement de leurs électeurs.

La sagesse serait donc de retirer cette mesure. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Beaucoup vous le disent, et pas seulement sur les bancs de l'opposition ; beaucoup le pensent tout bas sur les bancs de la majorité. Plutôt que de vous obstiner (Interruptions et claquements de pupitre sur les bancs du groupe UMP) contre la majorité des Français, êtes-vous prêt à négocier un nouveau dispositif ?

M. le Président - Ne m'obligez pas à vous couper la parole.

M. Jean-Marc Ayrault - En avez-vous seulement la volonté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je n'ai rien à ajouter à la réponse de Catherine Vautrin, mais vous avez à nouveau tenté de tromper l'opinion. Il ne s'agit pas des seuls salariés, mais aussi des revenus boursiers et des revenus financiers : la solidarité de tous est appelée à financer cette journée de solidarité. La conscience sociale du Gouvernement l'a seulement conduit à exclure de cet effort le livret A et le livret d'épargne populaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Est-ce cela que vous regrettez ?

Comment parler de tragi-comédie quand il s'agit de faire face à des problèmes aussi graves ? Devant des morts, des difficultés sociales majeures (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), notre pays doit-il réagir ou rester spectateur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) La majorité a eu le courage de mobiliser l'ensemble du pays pour dégager les moyens financiers (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) d'aider les personnes âgées. Vous, vous aviez créé une prestation que vous n'avez même pas financée ! (Applaudissements et huées sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Vous osez nous reprocher de financer nos mesures sociales !

Je vois pourtant votre nom, Monsieur Ayrault, et celui d'un certain nombre de vos collègues, sur cette pétition de cent députés soutenant la création d'une journée de solidarité publiée dans La Vie (Huées sur les bancs du groupe UMP) Vous la proposez, vous signez une pétition, et aujourd'hui vous n'assumez pas votre signature ! (Huées sur les bancs du groupe UMP)

Cela dit, votre question me permet de rappeler à tous ce qui nous rassemble, la devise de la République : la liberté, l'égalité, mais aussi la fraternité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF)

RÉFORME DE LA FORMATION EN ALTERNANCE

M. Yvan Lachaud - La réforme de la formation en alternance que nous avons votée en mai 2004 a remplacé les contrats d'insertion, de qualification et d'adaptation par des contrats de professionnalisation. Le Gouvernement s'était fixé un objectif de 40 000 contrats signés à la fin 2004 : fin janvier 2005, seuls 1 400 l'avaient été.

M. Alain Néri - Et encore !

M. Yvan Lachaud - Sans doute ce dispositif a-t-il été voté dans l'urgence, sans doute nombre de branches n'ont-elles pas signé de conventions. Reste que des milliers de jeunes se retrouvent sans contrat tandis que des professionnels se retrouvent sans emplois, alors que la formation par alternance avait fait la preuve de son efficacité.

Comment comptez-vous remettre sur la bonne voie cette filière de formation dont notre pays a tant besoin aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes - La réforme votée en mai 2004 fait suite à un accord unanime de tous les partenaires sociaux, de la CGT au Medef. Il s'agit de garantir les débouchés des contrats d'alternance, dont les branches professionnelles et les employeurs définissent désormais le contenu, et de concourir à la formation tout au long de la vie : le contrat de professionnalisation est ainsi ouvert jusqu'à 60 ans et exonéré de charges sociales pour les plus de 45 ans, ce qui est une révolution par rapport au contrat de qualification.

Depuis le 1er janvier, 10 000 contrats de professionnalisation, auxquels il convient d'ajouter 15 000 contrats de qualification, ont été enregistrés. Il n'y a donc pas de recul de l'alternance. L'Etat doit maintenant garantir que le nouveau dispositif remplace avantageusement l'ancien. Nous avons donc suivi, avec Gérard Larcher, la signature des 85 accords de branche qui couvrent les trois quarts des salariés. D'autre part, le contrat de professionnalisation est ouvert par la loi. Nous sanctionnons donc les OPCA qui refusent d'enregistrer des contrats.

Je réunirai en mai les partenaires sociaux pour aller plus loin, avec trois priorités : les jeunes sans qualification, la cible nouvelle des jeunes diplômés qu'il faut accompagner dans le premier emploi, et les plus de 45 ans. J'attends les propositions des organismes de formation, que j'ai déjà reçus à trois reprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

M. Gilbert Biessy - Monsieur le Premier ministre, la suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) est une véritable escroquerie, comme l'ont scandé des milliers de manifestants le 1er mai. Sous prétexte de solidarité avec les personnes âgées, vous rétablissez la corvée. A l'heure où les profits des grands groupes explosent et où leurs PDG bénéficient de rentes exorbitantes, tels celui de Carrefour qui s'offre une retraite de plus de 38 millions d'euros, vous imposez le travail gratuit. Les salariés et les retraités en ont marre : après le blocage des salaires et des pensions, la diminution continue de leur pouvoir d'achat, l'allongement de la durée du travail et la directive européenne qui permettra bientôt de travailler jusqu'à 65 heures par semaine, voilà maintenant la suppression d'un jour chômé ! C'est un véritable scandale, qui rappelle la tentative de M. Giscard d'Estaing, rédacteur de la Constitution européenne, de supprimer le 8 mai lorsqu'il était Président de la République. Le monde du travail est la cible privilégiée du Gouvernement comme du projet de traité constitutionnel, qui prône une concurrence « libre et non faussée ».

Le textile en est un triste exemple ; il a perdu 20 000 emplois, tandis que l'Europe peine à endiguer les produits chinois. Le traité constitutionnel, qui autorise le patronat à proposer un travail en Roumanie pour 150 € par mois, est une véritable provocation ! Les salariés ont raison de multiplier les protestations. Ils pourront saisir l'occasion du référendum du 29 mai pour voter non à votre politique libérale et pour une autre Europe, sociale et solidaire.

Entendez le mécontentement grandissant des salariés contre la suppression d'un jour férié. Pour financer la solidarité, regardez plutôt du côté du CAC 40 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Notre pays doit relever un défi, celui de l'allongement de l'espérance de vie. Il faut donc trouver de nouvelles ressources. Nous aurions pu, - c'est la solution que vous auriez choisie - peser sur le pouvoir d'achat en recourant à l'impôt. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a préféré créer de la richesse par une journée de travail supplémentaire. Le Conseil d'Etat vient d'ailleurs de nous donner raison, en réponse au recours de la CFTC, en déclarant que cette mesure ne constituait pas « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de travail de salariés ». Il s'agit donc de se mobiliser pour améliorer la protection sociale et aider nos concitoyens à bien vieillir.

Vous mentionnez la Constitution européenne. La charte des droits fondamentaux (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) reconnaît le droit de vieillir dans la dignité. C'est exactement ce que nous faisons avec cette mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TEXTILE CHINOIS

M. Christian Vanneste - On craignait la déferlante des importations textiles chinoises à partir du 1er janvier ; ce fut un tsunami. Elles ont augmenté de 50 % en Europe au premier trimestre et, pour le seul mois de février, de 119 % en valeur, de 1 500 % en volume. Pour les pull-overs, la hausse atteint 534% en valeur sur trois mois.

Lors de l'adhésion de la Chine à l'OMC en 2001, il était explicitement prévu une limitation des exportations textiles au cas où elles déstabiliseraient les marchés. Nous en sommes là : entreprises et emplois sont très menacés en Europe et dans l'ensemble des pays méditerranéens. 165 000 emplois ont été perdus l'an dernier, et en France, on craint d'en perdre entre 7000 et 24000 cette année.

Devant cette situation, les Etats-Unis ont déjà fait jouer la clause de sauvegarde. Sous l'autorité du commissaire Mandelson, l'Europe a lancé le 24 avril dernier une enquête approfondie qui débouchera, éventuellement, sur la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, mais pas avant cinq mois. Or chaque mois qui passe, des emplois disparaissent. Les Etats-Unis sont le lièvre, l'Europe la tortue. Espérons que comme dans la fable, elle sortira victorieuse. Malheureusement, l'Europe illustre un autre fable, en ce qu'elle est cigale face à la fourmi chinoise. Voici dix ans que la situation est connue.

La Chine vient de désigner un négociateur spécial. La France et douze pays européens ont demandé des mesures d'urgence. Vous avez eu raison de faire cette démarche. Quelle chance a-t-elle d'aboutir ? Aujourd'hui, le textile souffre à la fois des importations chinoises et de la taxe professionnelle qu'augmentent inconsidérément les collectivités locales socialistes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - C'est avec la Chine que nous avons le plus fort déficit commercial - 11 milliards - et nos exportations ne couvrent que 32 % des importations. C'est dans ce contexte général que se pose le problème crucial du textile. Il est vrai qu'il était prévisible depuis dix ans et la France s'y était préparée.

Aujourd'hui, outre l'augmentation des volumes, on constate une baisse des prix de 50 %. Comme la moitié du textile chinois provient d'entreprises d'Etat, ce qui ne donne aucune assurance sur la vérité des prix, il y a soupçon de dumping. En outre, 70 % des textiles de contrefaçon saisis sont d'origine chinoise.

Dès lors, que faisons-nous ?

Plusieurs députés socialistes - Rien !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Vous qui n'avez rien fait, ne venez pas donner de leçons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous avons saisi en extrême urgence le commissaire Mandelson pour lui demander de prendre des mesures de sauvegarde. Nous sommes en situation d'en bénéficier, comme d'autres, puisqu'elles ont été définies par une décision de la Commission du 6 avril 2005.

En même temps, nous menons une politique nationale de réplique, à laquelle vous avez été associé. Enfin, nous menons une politique de dialogue auquel ce grand pays qu'est la Chine, conscient de son avantage commercial, est ouvert. M. Breton a reçu le ministre du commerce chinois aujourd'hui même et je me rendrai en Chine dans deux semaines. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SITUATION DE L'EMPLOI

M. Francis Saint-Léger - Le nombre de chômeurs a augmenté de 6 700 en mars (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) mais le nombre d'offres d'emplois déposés à l`ANPE a augmenté de 6,6 % sur un mois et de 9,7 % sur un an. Notre économie a donc un réel potentiel d'emplois salariés pour les mois à venir. Une mise en œuvre plus rapide du plan de cohésion sociale devrait accentuer la tendance et faire reculer le chômage.

Monsieur le ministre du travail, ce matin vous avez reçu les organisations syndicales et patronales signataires de l'accord sur les conventions de reclassement personnalisé en faveur des licenciés économiques. Quelle est votre analyse sur les derniers chiffres du chômage, et pouvez-vous réaffirmer la détermination du Gouvernement à lutter pour l'emploi, grâce notamment au plan de cohésion sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Les derniers chiffres du chômage représentent naturellement une source de préoccupation pour le Gouvernement en même temps qu'un moteur d'action (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Le 29 mai dernier, les premiers contrats d'avenir prévus par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier dernier ont été mis en place. En avril, 27 000 contrats aidés ont été signés, chiffre jamais atteint dans notre pays.

Parallèlement, en moins de trois mois, les partenaires sociaux ont engagé la sécurisation des parcours professionnels en se fondant sur la volonté du Gouvernement de réduire les inégalités entre les licenciés économiques des grandes entreprises et ceux provenant de petites et moyennes entreprises (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Le mois prochain, tout licencié économique sera stagiaire de la formation professionnelle durant huit mois, recevra une indemnisation très supérieure - 80 % les quatre premiers mois puis 70 % - et bénéficiera d'un accompagnement pendant six mois dans son nouvel emploi. Du jamais vu ! La sécurisation des parcours d'emploi montre la vigueur du dialogue social (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) dans notre pays. Quant il s'agit d'emploi, les partenaires sociaux sont responsables ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Maxime Gremetz - Où est Borloo ?

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. Gaëtan Gorce - Monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que vous avez répondu à M. Ayrault, les socialistes, pas plus que les Français, refusent la solidarité ! En revanche, nous refusons une politique qui, depuis trois ans, fabrique de la désespérance sociale ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Voilà pourquoi les Français nourrissent contre vous une légitime colère !

Plusieurs députés UMP - Tartuffe !

M. Gaëtan Gorce - La cause de votre échec n'est imputable ni à l'Europe ni à aucune sorte de cause extérieure. La vérité, c'est que vous vous êtes trompés !

Plusieurs députés UMP - Et vous, vous trompez les Français !

M. Gaëtan Gorce - Votre politique économique souffre cruellement de cohérence : alternance des baisse d'impôts au profit des plus favorisés et hausse des prélèvements pour les plus modestes, promesses de dépenses nouvelles et appels à la rigueur budgétaire. Votre vision zigzagante de l'économie s'illustre dans la succession sans précédent d'éphémères ministres des finances.

Par ailleurs, vous avez brisé un à un les outils de la politique d'emploi jusqu'à prendre la responsabilité d'encourager les entreprises à augmenter le nombre d'heures supplémentaires plutôt qu'à recourir à l'embauche. L'emploi est l'angle mort de votre politique, le grand oublié des années « Chirac-Raffarin ». Vous avez remplacé les deux millions « d'emplois Jospin » par 250 000 nouveaux « chômeurs Raffarin ».

Aujourd'hui, la seule chose qui soit en diminution en France est la confiance dans le Gouvernement. Votre engagement de faire baisser le chômage de 10 % s'est évanoui en quelques mois, y compris devant l'incrédulité de votre propre ministre de l'emploi. Les socialistes sont porteurs d'autres perspectives pour ce pays (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), d'une autre politique de l'emploi qui passe par le renforcement de la coopération européenne et le changement de majorité en 2007.

Pour l'heure, notre pays est menacé par la perte de confiance dans la parole publique. Monsieur le Premier ministre, au lieu de déclarations tonitruantes et de promesses non tenues, ayez le courage d'assumer vos échecs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Je viens de répondre à la question de M. Saint Léger et de souligner la volonté du Gouvernement en matière d'emploi.

Le Gouvernement tient ses promesses. Je me réjouis de constater que cinquante départements de toutes les sensibilités politiques, du Pas-de-Calais aux Yvelines, se seront engagés dans le plan de cohésion sociale à la fin du mois de mai pour bâtir des contrats d'avenir (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Je suis heureux de voir des maires de droite et de gauche parmi les plus éminents, tel celui de Tulle, chercher à accueillir une maison de l'emploi ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Monsieur Gorce, la convention tripartite permettra de faire travailler ensemble l'ANPE, l'UNEDIC et l'Etat à la mise en œuvre d'un dossier unique du demandeur d'emploi pour un accompagnement et une formation améliorés, une nouvelle capacité de mobilisation à travers les maisons de l'emploi ainsi qu'un renforcement nécessaire des contrôles. C'est la clé de la réussite du plan de cohésion sociale et du redressement de l'emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

LUTTE CONTRE LES MARIAGES BLANCS

Mme Maryse Joissains Masini - Monsieur le Garde des Sceaux, les maires, officiers d'état civil, sont de plus en plus sollicités pour célébrer des mariages entre des personnes de nationalité française et des étrangers en situation irrégulière sur notre territoire. Depuis le début de l'année 2005, dans ma seule commune, soixante mariages de ce type ont été prononcés ! Le seul recours actuel contre cette forme d'immigration clandestine est la saisine du procureur général de la République qui doit rechercher l'intention matrimoniale manifestée dans ces occasions, laquelle est difficilement démontrable.

M. Maxime Gremetz - C'est l'amour !

Mme Maryse Joissains Masini - Dans la plupart des cas, il s'agit de mariages blancs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) que les officiers d'état civil sont contraints de célébrer, faute de recours existants. De plus, nous voyons, très souvent, des jeunes femmes voilées conduites dans les salles de mariage et nous sommes visiblement en présence de mariages forcés ! Reconnaître par la voie du mariage des individus dont l'existence sur le territoire français est illégale est paradoxal.

Monsieur le ministre, eu égard aux difficultés des maires, quelles mesures prendrez-vous pour lutter contre cette forme d'immigration clandestine ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez raison de poser cette question, qui préoccupe de très nombreux maires, comme nous l'avons vu lors de leur dernier Congrès.

Il n'est pas question de tolérer que l'institution du mariage soit utilisée à d'autres fins que la construction d'une conjugalité réelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'ai donc établi un document très précis, qui va être envoyé à tous les maires de France et à tous les procureurs de la République. Il rappelle que l'officier d'état civil a la possibilité, et je dirais même le devoir lorsqu'il y a un doute, d'entendre séparément les futurs époux. Si l'officier d'état civil a un doute sérieux sur les véritables intentions des personnes concernées, il pourra constituer un dossier précis à transmettre au procureur de la République. En indiquant par exemple s'il y a eu des hésitations sur l'indication des domiciles respectifs des deux personnes, ou s'il y a eu un retard dans la transmission des pièces nécessaires, ou encore s'il y a à l'évidence des difficultés de compréhension entre les époux, faute d'un langage commun. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

En ce qui concerne le voile, je rappelle que les officiers d'état civil doivent vérifier l'identité des futurs époux et des témoins.

D'autres mesures ont été proposées, dont la création d'une incrimination pénale, permettant de poursuivre ceux qui auraient participé à la préparation d'un mariage simulé. Plusieurs parlementaires ont d'autre part proposé, avec mon soutien et celui de Nicole Ameline, de relever l'âge légal du mariage des filles, pour combattre les mariages forcés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

AIRBUS

M. Christian Cabal - Il y a huit jours, un objet volant parfaitement identifié s'élançait des pistes de Toulouse - celles qui ont vu l'envol de Caravelle et du Concorde. Ce vol, inaugural, parfaitement réussi, de l'A 380 est très prometteur pour l'avionneur européen qu'est Airbus. Cet avion est le fruit du génie européen, qu'il s'agisse des efforts communs de recherche et développement accomplis dans le cadre de programmes européens ou du travail fourni par les ouvriers dans plus de 50 usines européennes. Ingénieurs, techniciens et ouvriers de plusieurs pays d'Europe ont concouru tous ensemble à la fabrication de cet appareil : ailes et réacteurs anglais, carlingue à la fois française, allemande et espagnole, poste de pilotage français, assemblage en France, finition en Allemagne...

Ce formidable succès suscite des jalousies. Sachant qu'Airbus veut produire un nouvel appareil, l'A 350, pouvons-nous compter sur l'appui de l'Europe pour que la concurrence avec Boeing soit libre et responsable et pour que les investissements nécessaires soient faits ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Lorsque le 27 avril à 10 heures 29 les roues de l'A 380 se sont élevées du sol de Toulouse, un formidable sentiment de fierté a été partagé par tous les Français et tous les Européens. Et si j'en crois la presse internationale, l'événement a suscité l'admiration dans le monde entier.

L'A 380 est le porte-étendard de la réussite européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) 15 000 emplois créés en France et des milliers d'autres dans les pays qui soutiennent Airbus, c'est une réussite !

Airbus enregistre déjà beaucoup de commandes, mais l'avenir passe par des aides en recherche et développement. Le concurrent américain, qui a été dépassé en 2004, a réagi en critiquant ces aides. Elles sont cependant parfaitement transparentes et conformes à l'accord de 1992. L'Europe soutient bien sûr Airbus, et c'est un commissaire européen, M. Mandelson, qui, muni d'un mandat des « pays Airbus », va défendre les intérêts d'Airbus, tant pour l'A 380 que pour les modèles à venir, dont l'A 350.

J'ajoute, Monsieur le Président, que vous aurez le plaisir de voir l'A 380 au salon du Bourget, qui s'ouvre dans six semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

SITUATION AU TOGO

M. Serge Janquin - Le dimanche 24 avril, les Togolais ont voté pour élire leur Président de la République. Loin d'apaiser les esprits, ces élections ont aggravé les frustrations démocratiques engendrées par des années de dictature. Manipulations des listes électorales, urnes volées par les militaires, tirs à balles réelles de la police sur des opposants, réfugiés fuyant par milliers au Bénin, incendie du centre culturel allemand, menaces sur les résidents français... La transition espérée tourne au fiasco.

Les autorités de fait, photographiées et filmées une main dans l'urne et l'autre sur la gâchette du fusil, ont fermé le Togo à la presse indépendante : les médias privés togolais ont été interdits de reportage, l'envoyé spécial du Figaro a été refoulé, les émissions de RFI ont été suspendues.

Le chef de l'Etat autoproclamé, fils du président défunt, court d'une capitale africaine à l'autre en quête de reconnaissance, à défaut de celle de ses compatriotes. Il a obtenu au passage celle de la France. Le commentaire du ministre des affaires étrangères qualifiant les élections du 24 avril de « globalement satisfaisantes », était pour le moins déplacé. Cette fausse non-ingérence écarte dangereusement la France de la démocratie et des libertés, elle compromet la sécurité de nos concitoyens au Togo et risque d'embraser des foyers de guerre civile. Cette non-ingérence qui ne trompe personne perturbe les amis de la France, en Afrique comme en Europe. C'était hier la Côte d'Ivoire qui en souffrait, c'est aujourd'hui le Togo. Que nous réserve l'avenir ? Heureusement, la diplomatie sud-africaine a pris en Côte d'Ivoire le relais d'une France défaillante.

Faites en sorte, Monsieur le ministre, que la France ne soit pas obligée à nouveau de déléguer à d'autres les valeurs de la démocratie. Revenez sur votre déclaration et engagez la France dans une médiation internationale, qui fasse d'abord toute la lumière sur le scrutin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Je vous prie d'excuser M. Barnier, retenu au Sénat. Les élections du 24 avril dernier au Togo se sont déroulées sous l'égide de la CEDEAO et en accord avec l'OUA. Ce sont ces instances africaines elles-mêmes qui ont parlé de « conditions globalement satisfaisantes », notre pays s'étant borné à constater leur appréciation. Les résultats de l'élection, pour l'instant provisoires, ont été soumis à la Cour constitutionnelle qui les proclamera très prochainement, une fois examiné le recours introduit par M. Akitani Bob. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) L'annonce des résultats provisoires a provoqué des violences qui ont visé des ressortissants français, mais aussi libanais et chinois, et entraîné la mort dans des conditions épouvantables de huit Maliens et d'un Nigérien.

En liaison avec la CEDEAO et l'OUA, chacun appelle désormais sur le terrain au respect des résultats officiels tels qu'ils seront proclamés, au dialogue politique et à la constitution d'un gouvernement d'union nationale, dont le principe est désormais accepté par l'opposition modérée. (Mêmes mouvements) S'agissant des interdictions opposées à certains ressortissants ou des difficultés qui ont pu leur être faites, elles étaient de nature à protéger leurs vies, et la France a en l'occurrence bien fait d'approuver ces mesures de protection.

Comme M. Barnier l'a répété, nous ne nous ingérons pas dans la vie politique togolaise. Il appartient aux responsables politiques togolais, en liaison avec les institutions africaines et grâce à leur médiation, de prendre les décisions politiques qui engagent l'avenir de leur pays. Nous soutenons les positions prises par ces institutions qui, seules, permettront de ramener le calme et d'ouvrir la voie à une réconciliation nationale. Tous les propos de nature à jeter de l'huile sur le feu sont fâcheux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CRISE VITICOLE

M. Philippe Dubourg - Depuis plusieurs années, la filière viticole traverse une profonde crise. Après les avoir déjà rencontrés le 14 décembre dernier et leur avoir annoncé diverses mesures de soutien, vous en avez de nouveau reçu les représentants le 31 janvier. Pour faciliter l'élimination des volumes qui pèsent sur le marché, vous avez par ailleurs, le 16 février dernier, sollicité des autorités européennes un prix majoré, compte tenu du poids des AOC dans les excédents. Monsieur le ministre de l'agriculture, pouvez-vous faire le point sur la mise en œuvre du plan d'aide et nous en indiquer le montant global ? Enfin, la Commission européenne a-t-elle autorisé l'ouverture dans toute la France d'une distillation de crise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - Certains vignobles de notre pays sont, hélas, en crise - heureusement pas tous - et un premier volet de mesures a été immédiatement décidé. Nous avons ensuite engagé des discussions vignoble par vignoble, au terme desquelles il est apparu que ce premier plan était insuffisant. Le Premier ministre m'a autorisé à en doubler le montant, ce qui le porte aujourd'hui à 25 millions d'euros d'aides directes et 71 millions d'euros de prêts de consolidation. Avec Nicolas Forrissier, nous mettons également en place un dispositif d'aide à l'exportation, car il importe en effet de mieux faire connaître nos vins à l'étranger. J'ai par ailleurs demandé au ministre de l'économie s'il ne serait pas possible d'aménager les dettes fiscales des exploitations en difficulté. Enfin, Bruxelles a autorisé une distillation de crise pour 1,5 million d'hectolitres à un prix que nous n'avions jamais obtenu jusqu'alors, à savoir 3,35 € l'hectolitre. Cela permettra de retirer du marché d'importants volumes, y compris des AOC, et, espérons-le, à notre viticulture de repartir sur des bases saines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

COOPÉRATION DOUANIÈRE EUROPÉENNE

M. Patrick Delnatte - Monsieur le ministre délégué au budget, les bons résultats des services douaniers pour 2004, que vous avez annoncés en janvier dernier, témoignent, s'il en était besoin, de l'implication du Gouvernement et de la forte mobilisation des vingt mille agents des douanes pour lutter contre tous les trafics. Elu d'une circonscription frontalière, je puis confirmer l'importance des saisies. Au premier trimestre 2005, douze tonnes de cigarettes de contrebande et quatre cents kilos de cannabis ont ainsi été saisis dans le Nord-Pas-de-Calais, région confrontée à d'importants trafics de transit mais aussi à la multiplication de petits trafics qui favorisent le développement de la toxicomanie.

Ces bons résultats traduisent aussi l'efficacité de la coopération douanière européenne, tant en matière d'échange d'informations que de collaboration opérationnelle. Quel est aujourd'hui le niveau de cette coopération douanière, en particulier avec nos voisins immédiats ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - Je souhaite tout d'abord saluer avec vous la remarquable opération réalisée par nos douaniers la semaine dernière. Ceux-ci ont en effet saisi 37 tonnes de cigarettes de contrebande, plus grosse prise de notre histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Les fraudes, la contrebande et les trafics de toutes sortes se développent. Et c'est aussi pour cela que nous avons besoin d'Europe. Nos douaniers ont ainsi réussi l'an passé à saisir neuf tonnes de cigarettes avec leurs homologues belges et deux tonnes et demie de cannabis avec leurs homologues espagnols. La Constitution européenne, si elle est adoptée, renforcera encore cette efficacité. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et certains bancs socialistes) Un bon équilibre a, je le crois, été trouvé, avec la préservation des compétences des Etats en matière douanière et le renforcement d'outils comme Europol et Eurojust qui permettront de lutter plus efficacement contre tous les trafics

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Le Garrec.

PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC

vice-président

RÉGULATION DES ACTIVITÉS POSTALES (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi relatif à la régulation des activités postales.

M. Jacques Bobe - Au fil des lectures intervenues depuis janvier 2003, ce texte, centré à l'origine sur la transposition des directives postales de 1997 et de 2002, est devenu aussi un instrument du rééquilibrage de la situation de La Poste dans un contexte de concurrence de plus en plus intense. Deux éléments symbolisent cet effort : l'extension de la gamme des services financiers par la mise en place d'une filiale ayant le statut d'établissement de crédit, et la fin de l'exclusion du bénéfice des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.

Mais il convenait également de clarifier les modalités de la présence postale. L'article premier bis, créé en première lecture par notre assemblée, introduit une norme d'accessibilité permettant de maintenir les 17 000 implantations de La Poste et crée un fonds national de péréquation territoriale destiné à financer la participation de La Poste à l'aménagement du territoire.

La seconde lecture a introduit explicitement la contrainte d'un maillage des points de contact au niveau départemental, tenant compte en particulier des spécificités des zones de montagne.

Les premières simulations effectuées par La Poste sur la base du critère retenu - 90 % de la population à moins de 5 kilomètres d'un point de contact - permettent d'envisager des réaménagements dans douze départements au moins, se traduisant par la création de points de contact.

Notre assemblée s'est également engagée à ce que le fonds postal national de péréquation territoriale soit mis en place en liaison avec les collectivités territoriales, à travers un contrat tripartite impliquant leurs principales associations représentatives. Ce fonds aura principalement pour rôle de répartir les 150 millions correspondant à l'abattement dont bénéficie La Poste sur les taxes locales, pour financer les nouveaux points Poste et agences postales communales. Les ressources du fonds pourront également provenir d'autres contributions de l'Etat ou des collectivités territoriales. Nous avons ainsi la certitude que l'aide publique sera utilisée de la manière la plus efficace. Par ailleurs, l'Association des maires de France et La Poste ont signé le 28 avril dernier un protocole d'accord relatif à l'organisation d'agences postales communales et intercommunales, permettant d'offrir 95 % des services d'un bureau de poste et de maintenir une présence postale forte, dès lors que les collectivités territoriales voudront s'engager dans le processus.

Le rééquilibrage de la situation de La Poste est également assuré par des dispositions uniformisant les conditions d'activité des opérateurs postaux, avec la mise en place d'un régime de responsabilité.

La Poste avait d'elle-même ressenti le besoin d'évoluer dans ce domaine, en offrant à ses clients professionnels des dispositifs de responsabilité contractuelle et des possibilités de remboursement en cas de performance insuffisante. Notre assemblée a mis en place dès la première lecture un régime de responsabilité complet, traitant à égalité tous les opérateurs, que le Sénat a appuyé directement sur le code civil. Ce régime simple et transparent de responsabilité, auquel invitait la directive de 1997, constitue une réelle avancée, permettant de retrouver la confiance du consommateur.

En deuxième lecture, il est apparu nécessaire de circonscrire le champ d'application du nouveau régime juridique postal. Par l'introduction du critère de la distribution « dans le cadre de tournées régulières », nous avons exclu de ce régime les opérateurs de prestations « express », levant ainsi pour eux tout risque d'insécurité juridique. Quant aux porteurs de presse, la question s'est posée de les autoriser à bénéficier du privilège d'accès aux boîtes aux lettres institué par le projet. En milieu urbain, l'accès aux boîtes aux lettres est de plus en plus problématique, malgré la directive de 1997 établissant un « droit au service universel postal ». Désormais, les prestataires du service universel et les prestataires autorisés pourront accéder aux boîtes aux lettres, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Obligation est également faite aux propriétaires de donner accès aux boîtes aux lettres particulières. Considérés comme des opérateurs d'envois postaux lorsqu'ils distribuent des journaux portant l'adresse du destinataire, les porteurs de presse auront maintenant droit au privilège d'accès aux boîtes, sous réserve d'obtenir l'autorisation prévue pour les opérateurs de courrier.

En conclusion, ce projet transposant les directives de 1997 et 2002 contient toutes les dispositions nécessaires à un fonctionnement amélioré du secteur postal et à une concurrence la plus équilibrée possible, tout en conservant à La Poste des missions de service public, mais dans des conditions mieux définies, particulièrement en ce qui concerne sa participation à l'aménagement du territoire. Notre groupe lui apporte donc un soutien sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Brottes - En 1962, Roberto Farias, réalisateur brésilien, faisait entrer dans la légende « l'attaque du train postal », qui a depuis inspiré bon nombre de scénaristes. Nous en avons désormais une nouvelle version. Scénariste : Jean-Pierre Raffarin. Réalisateur : Patrick Devedjian. Dialoguistes : les parlementaires UMP !

M. Jean-Marc Nudant - Vous oubliez Jospin !

M. François Brottes - Malheureusement, il s'agit d'un scénario catastrophe pour La Poste, les postiers et le service public postal. La majorité a planté l'une après l'autre, avec minutie, toutes les banderilles permettant de fragiliser La Poste et le service public postal, en allant le plus souvent bien au-delà de l'esprit et de la lettre des directives européennes.

A l'origine, il s'agissait d'une histoire banale, presque anodine : transposer dans notre droit la partie de la directive concernant l'organisation de la régulation du secteur postal. Il convenait d'instaurer une autorité de régulation dédiée, d'énoncer les modalités d'accès au marché pour les concurrents de La Poste, enfin de préciser les garanties d'une bonne exécution du service public postal.

Mais vous ne vous en êtes pas tenus à cette feuille de route. Vous avez en effet, présenté au Conseil d'Etat un projet allégé des questions qui fâchent - par exemple celle de la banque postale, qui est arrivée nuitamment au Sénat par voie d'amendement, comme pour laisser croire que le Gouvernement n'y avait pas pensé avant !

Certes, vous avez autorisé La Poste à augmenter le prix du timbre et à engager une forte réduction du nombre de bureaux de poste sur le territoire... A chacun sa conception du service public !

Certes, vous avez assigné au président de La Poste l'objectif d'être le meilleur opérateur postal européen en 2010, tout en lui reprochant de ne pas dégager assez de marge nette par rapport à ses homologues. Mais cela ne vous empêche pas de lui faire supporter sur son budget des charges de retraites bien supérieures à celles de ses concurrents, un soutien à la diffusion de la presse autofinancé à hauteur de 415 millions, et maintenant un fonds dit de péréquation, à hauteur de 150 millions, qui constitue pour La Poste une dépense nouvelle ! Bref, vous demandez à La Poste de courir le cent mètres plus vite que ses concurrents en lui attachant des boulets aux pieds... A chacun sa conception des entreprises publiques !

Ne nous y trompons pas : votre stratégie est faite pour démontrer dans quelque temps qu'« il est difficile pour La Poste de s'en sortir », l'argument classique pour annoncer une décision de privatisation ! Votre hypocrisie est totale, et votre cynisme imbattable : vous annoncez l'ouverture totale de l'offre des services financiers proposés par La Poste, pour qu'elle ne perde pas ses jeunes clients, qui aujourd'hui ne peuvent pas contracter de prêts à la consommation ; mais dans le contrat de plan que vous avez signé avec La Poste, vous ne l'autorisez pas à faire cette offre. C'est donc un faux-semblant !

Par ailleurs, au prétexte de ne pas faire de La Poste la « banque des pauvres », vous avez refusé nos amendements qui visaient à lui assigner, par le biais d'un établissement financier détenu à 100 % détenu par elle, une mission qu'elle remplit déjà en matière de service universel bancaire. Vous voulez en faire une banque banale : demain, la banalisation du Livret A et l'application d'une stricte rentabilité aggraveront les phénomènes d'exclusion. Vous n'imposez aucune contrepartie aux concurrents de la Poste, qui pourront désormais faire de l'« écrémage », c'est-à-dire prendre tous les marchés rentables et abandonner à la Poste ceux qui coûtent cher et rapportent peu. Il en va de même en ce qui concerne la couverture du territoire, le cautionnement de la garantie de bonne fin de la prestation rendue aux clients ou l'abondement d'un fonds de compensation des missions de services publics accomplies par la Poste. En revanche, les concurrents pourront tranquillement « picorer », même à l'intérieur du secteur réservé à la Poste : accès banalisé aux digicodes, donc aux boîtes aux lettres, possibilité d'assurer le service des envois en recommandé ou disposition dite d'« autoprestation » qui permettra à toute entreprise d'être son propre opérateur postal.

La Poste, EDF, France Télécom : vous instrumentalisez l'Europe pour masquer des choix politiques libéraux. Certains, comme M. Devedjian - et je ne peux que saluer sa sincérité - ont d'ailleurs pris un malin plaisir à dénigrer le service rendu par la Poste (Protestations sur les bancs du groupe UMP) .

En ce qui concerne l'aménagement du territoire et l'égalité d'accès de tous au service postal, vous avez décidé d'inscrire dans la loi qu'au moins 10 % de la population de chaque département pourra être exclue de la proximité d'un bureau de poste, sachant que les autres ne pourront être éloignés de plus de cinq kilomètres à vol d'oiseau, ce qui peut d'ailleurs représenter 20 kilomètres de trajet en zone de montagne. Vous avez refusé de vous engager à défendre sur le plan européen la pérennité d'un secteur réservé à La Poste, tout comme vous avez refusé de garantir le prix unique du timbre par type de produit sur tout le territoire ou de garantir la distribution du courrier à chaque domicile. Vous n'avez non plus donné aucune garantie sur la pérennité du fonds de péréquation et vous avez refusé de consacrer la neutralité et la confidentialité de toutes les personnes fournissant le service postal, notamment dans vos fameux Points Poste. Enfin, vous n'avez apporté aucune précision sur la responsabilité des maires qui gèreront les personnels des agences postales communales dans un nouveau contexte de concurrence.

Au cours de nos débats, ce sont bien deux conceptions opposées des services publics qui se sont exprimées. Votre attaque du train postal est parfaitement réussie, mais parce que nous ne pouvons accepter que l'avenir du service postal soit relégué parmi les faits divers, le groupe socialiste votera contre ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Dionis du Séjour - M. Brottes a certes témoigné de son immense culture cinématographique, mais nous pensons quant à nous que tout ce qui est excessif est insignifiant.

Il était urgent de procéder à une réorganisation et à une modernisation de la Poste comme nous y invitait une directive européenne à laquelle nous souscrivons pleinement. Cette loi de modernisation était indispensable et l'ouverture à la concurrence permettra d'offrir à nos concitoyens des services de qualité.

Ce texte a également permis de mieux définir la présence territoriale de La Poste grâce notamment à l'instauration d'un fonds national de péréquation. Nous nous félicitons à ce propos que le travail parlementaire ait permis de faire avancer le débat. Ce fonds doit être exclusivement consacré au financement des agences postales communales et des Points Poste et ne doit en aucun cas servir à la modernisation du réseau. Nous nous félicitons que l'Assemblée ait adopté notre amendement visant à inscrire le fonds de péréquation dans un compte spécifique de La Poste qui en assure la gestion comptable et financière.

En outre, nous avons constaté avec satisfaction que la gouvernance tripartite Etat-Poste-Collectivités avait été rétablie par M. le rapporteur Proriol. De même, le groupe UDF s'est réjoui de l'inscription de l'intercommunalité au titre de la majoration promise dans le fonds de péréquation. Enfin, nous nous félicitons de la résolution du problème lié aux porteurs de presse : en leur permettant d'accéder aux boîtes aux lettres, ce sont des emplois que nous contribuons à pérenniser et nous garantissons ainsi la continuité de l'information. Cette mesure permettra de surcroît d'asseoir durablement le portage à domicile qui représente désormais plus d'un tiers de la diffusion la presse.

Nous serons évidemment vigilants quant à l'application de ce texte, que le groupe UDF votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Daniel Paul - Après l'ouverture à la concurrence et l'ouverture du capital de France Télécom, la libéralisation progressive des transports, l'installation du dumping social dans le domaine maritime, vous procédez maintenant au démantèlement de La Poste. Une telle évolution est d'ailleurs au cœur de la construction européenne : prétendre que le projet de Constitution conforterait les services publics alors que leur mise en concurrence, la séparation de leurs activités et leur démantèlement sont à l'ordre du jour, relève en effet de la mystification.

Mais La Poste n'est pas un service public comme les autres : constitutive de l'organisation de nos territoires - ce qui ne vous empêche pas de réduire son maillage - elle est particulièrement présente dans la vie quotidienne de nos concitoyens, qui ne seront plus égaux devant le service postal.

Votre texte entérine la séparation des différentes branches d'activité de l'opérateur postal et réduit le secteur réservé, de même qu'il consacre la filialisation et l'ouverture au secteur privé des activités financières. Certes, vous promettez que la Poste restera majoritaire, mais que vaut une telle promesse si le projet de Constitution est adopté ? A terme, l'entreprise disparaîtra, car vous privez La Poste de rentrées financières conséquentes, à quoi s'ajouteront la fuite de clients industriels qui représentaient une part non négligeable de son chiffre d'affaires courrier et la mise en péril de l'activité de certains petits bureaux dont les opérations financières constituaient l'essentiel de l'activité.

Nous vous avons pourtant mis en garde en nous fondant sur les résultats de nos voisins européens qui ont déjà livré ce secteur à la concurrence : en Suède, le prix du timbre a doublé en dix ans, le nombre de bureaux de poste a été divisé par cinq et celui des salariés réduit de moitié. La Poste suit chez nous le même chemin comme en témoignent la hausse du prix du timbre, les fermetures de bureaux de plein exercice en zone rurale et urbaine, l'arrêt de l'embauche de fonctionnaires, la réduction de la masse salariale. La presse économique se félicite de la hausse de 85 % du bénéfice net de La Poste en 2004, mais en disant qu'il faut aller encore plus loin pour concurrencer les Allemands et les Néerlandais, ce qui implique encore plus de productivité avec moins de postiers et une contribution accrue des collectivités locales.

Face à ces évolutions, nous n'avons cessé de vous demander qu'un bilan soit dressé, mais rien n'y a fait : sous le prétexte d'un vague bilan européen à venir, vous avez refusé que notre Assemblée se fasse sa propre opinion, ce qui en dit long sur l'autonomie de notre pays face aux instances européennes.

D'ores et déjà, les tournées des postiers dans de nombreux quartiers urbains s'allongent. Le fameux rééquilibrage du réseau que vous avez fait miroiter n'est en fait qu'un mensonge pour mieux faire passer la pilule que vous administrez aux zones rurales. D'une part, le principe d'égalité de traitement entre les usagers exigerait que la Poste ne structure pas son réseau en s'appuyant sur de simples règles de rentabilité économique ; d'autre part, les populations urbaines ne tirent aucun bénéfice de la « restructuration du réseau ». Malheureusement, il est difficile de compter sur le fonds de compensation du service universel, dont le financement est aléatoire, pour que La Poste puisse continuer à assurer toutes ces missions de service public. Vous avez même accepté que les correspondances administratives et judiciaires soient acheminées par le privé : il s'agit là d'un véritable scandale qui prouve une fois de plus que vous êtes prêts à aller au-delà des exigences libérales européennes.

Les services financiers constituaient un service de proximité ouvert à tous, alimentant en particulier le logement social. Quand on sait que le contrat de plan en vigueur autorise déjà La Poste à faire passer la totalité des fonds CCP du Trésor à Efiposte, avec une gestion privée et boursière - sans d'ailleurs demander leur avis aux clients - on peut craindre que ces missions fondamentales, qui ne sont certes pas à même de garantir aux actionnaires une rentabilité juteuse, ne soient compromises.

Les raisons du mécontentement sont donc nombreuses. Vous les ignorez pour confier l'arbitrage du secteur à une « agence de régulation », qui ne représentera ni les usagers, ni les salariés, et ne relèvera pas davantage du Parlement. Vous qui pestez contre les dérives du secteur public et traitez ses salariés de nantis (Protestations sur les bancs du groupe UMP), vous préférez charger une agence d'organiser la concurrence « libre et non faussée » au détriment de la Poste : autant dire qu'elle sera à l'écoute des concurrents. Nous voterons évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

A la majorité de 349 voix contre 157 sur 506 votants et 506 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - J'adresse les remerciements du Gouvernement aux membres de la majorité comme à ceux de l'opposition. Les deux lectures de ce texte ont permis de rappeler que cette réforme était une réforme de grande ampleur, dont le principal objet est de pérenniser un service postal moderne et adapté aux défis de demain.

Je voudrais saluer plus particulièrement le président de la commission, M. Ollier, ainsi que son rapporteur, M. Proriol. Le travail de la CMP permettra de trouver le compromis équilibré qui s'impose sur ce texte essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures.

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Philippe Douste-Blazy.

M. Claude Evin - Il s'intéresse encore à la sécurité sociale ?

M. Jean-Marie Le Guen - Ce ne sont que des questions d'argent, voyons ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Secrétaire d'Etat - Je me réjouis de présenter une nouvelle réforme majeure concernant la sécurité sociale, la troisième du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin après celle des retraites en 2003 et celle de l'assurance-maladie en 2004. 2005 verra donc l'adoption d'une loi organique donnant naissance à une nouvelle génération de lois de financement de la sécurité sociale, et 2006 sera l'année de sa première application.

Ces trois lois constituent un ensemble cohérent de réformes. Les lois relatives à la retraite et à l'assurance maladie ont modifié profondément les règles de fond et, pour la seconde, les règles de gouvernance des deux branches les plus importantes de la Sécurité sociale.

Ce projet de loi améliore le pilotage d'une politique publique essentielle, celle de la sécurité sociale. Il est issu d'une décennie de réflexions sur l'application de la loi du 22 juillet 1996, à laquelle le Parlement a contribué. Je souligne ainsi l'apport des propositions de loi déposées dès 2001 par M. Delalande et le sénateur Descours, la contribution plus récente de M. Bur pour la commission des finances, les critiques constructives des rapporteurs pour avis - je pense à votre commission des affaires sociales et à son président M. Dubernard.

M. Maxime Gremetz - Et nous ?

M. le Secrétaire d'Etat - Et, pour la préparation de ce projet, je salue le travail des rapporteurs, MM. Warsmann, Bur et Bardet. Je ne doute pas qu'au cours de ce débat nous bénéficierons de nouveau de vos contributions, après celles apportées par le Sénat.

Cette réforme vise à mieux organiser le débat politique sur la sécurité sociale, institution essentielle dont nous célébrerons le 60ème anniversaire en octobre. La réforme de 1996 fut déjà une étape considérable en instituant les lois de financement de la sécurité sociale. Auparavant, les assemblées ne pouvaient ni diriger, ni même connaître véritablement l'ensemble de cette politique. Depuis lors, et quelle que soit la majorité, chaque automne, le Parlement en fixe le cadre et les priorités. Rappelons qu'il s'agit de 350 milliards chaque année. Et en dépit des craintes initiales d'étatisation, la démocratie sociale est restée bien vivante, avec en particulier la négociation de conventions pluriannuelles d'objectifs et de gestion de plus en plus étoffées.

Ce projet s'inspire également, autant que possible, de la réforme majeure des lois de finances votée en 2001. Certes, les dépenses de sécurité sociale, soit pour l'essentiel des prestations, ne sauraient, par nature, être contenues dans une enveloppe limitative...

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. Claude Evin - On avait entendu un autre discours.

M. le Secrétaire d'Etat - ...mais correspondent à des objectifs. Le rapprochement avec les lois de finances tient plutôt à l'introduction d'une mise en parallèle de ces objectifs et des résultats pour évaluer l'efficacité des politiques publiques.

Malgré ses réussites - donner de nouveaux pouvoirs au Parlement sans en ôter aux partenaires sociaux, doter le Gouvernement d'un outil essentiel - la loi de 1996 a montré ses limites, que le débat parlementaire comme le Conseil constitutionnel ont soulignées.

De fait, la loi votée par le Parlement est trop peu claire, voire incomplète.

D'abord, la présentation en est peu lisible, puisque les recettes sont votées par catégories et les objectifs de dépenses par branche, ce qui interdit d'établir un solde sur lequel le Parlement se prononcerait. Ensuite, le cadre annuel est trop contraignant. Il convient d'apprécier ces recettes et dépenses très sensibles à la conjoncture sur l'ensemble d'un cycle économique, donc dans un cadre pluriannuel, et de pouvoir adopter des mesures à effet différé, qui ne s'appliquent pas forcément à l'exercice concerné. Enfin voter un ONDAM global est peu significatif puisque les facteurs d'évolution des sous-catégories, soins de ville, hôpital et secteur médico-social, diffèrent beaucoup.

L'actuelle loi de financement est également incomplète en ce qu'elle ne couvre pas les fonds concourant au financement des régimes obligatoires ou à la gestion des dépenses, ni des dispositions relatives à l'amortissement de la dette ou à la constitution de réserves.

Ce projet a donc pour ambition de donner plus de portée, de crédibilité, de sens aux lois de financement de la sécurité sociale.

Pour leur donner plus de portée, le Parlement débattra désormais des recettes par branche et non plus par catégorie. Il votera des tableaux d'équilibre par branche de l'ensemble des régimes obligatoires et un tableau d'équilibre par branche du régime général. Il votera aussi sur les différentes composantes de l'ONDAM, et saura donc précisément quels moyens sont affectés à la médecine de ville, à l'hôpital ou au secteur médico-social. Conformément à la réforme de l'assurance maladie, l'ONDAM sera déterminé à partir d'une analyse des besoins de santé et en tenant compte des propositions des trois principales caisses d'assurance maladie. Ce principe, introduit par l'article 39 de la loi du 13 août 2004, garantit la pertinence des objectifs fixés. Désormais, les considérations financières le cèdent à la maîtrise médicalisée des dépenses.

D'autre part, les lois de financement couvriront dorénavant des fonds comme le fonds de solidarité vieillesse et le fonds de financement des prestations sociales agricoles. Vous réclamiez depuis longtemps cette mesure de transparence. Le Sénat est allé plus loin en créant une annexe qui retrace les comptes des fonds financés par les régimes de sécurité sociale.

Pour donner plus de crédibilité aux lois de financement, les prévisions financières de recettes et de dépenses seront présentées dans un cadre pluriannuel de quatre ans. La réforme de l'assurance maladie le prévoyait, et le Conseil constitutionnel nous y avait encouragés par sa décision d'août 2004. On retrouve là encore la logique de maîtrise médicalisée des dépenses. En supplément, le Sénat a voulu que le Parlement dispose d'une vue rétrospective de l'exercice clos, dont il approuvera désormais les comptes. Et ceux du régime général seront certifiés par la Cour des comptes, qui se prononcera également sur la cohérence des tableaux d'équilibre des régimes du dernier exercice clos. La sincérité des comptes n'en sera que mieux garantie.

Enfin, la mise en parallèle des objectifs et des résultats donnera tout son sens à la loi de financement. Une annexe présentera les programmes de qualité et d'efficience dans chacune des branches pour les exercices à venir. Ils s'appuieront sur un diagnostic qui tiendra compte par exemple de l'état de santé de la population pour la branche maladie ou du niveau de vie des retraités pour la branche vieillesse. Les objectifs retenus seront évalués par des indicateurs chiffrés, comme la capacité d'accueil des jeunes enfants pour la politique familiale ou le nombre de médecins engagés dans la procédure d'évaluation de leur pratique pour l'assurance maladie. Ces programmes ne remettront pas en cause le partenariat entre l'Etat et les caisses nationales, mais renforceront la démarche poursuivie à travers les conventions d'objectifs et de gestion passées depuis 1996.

Grâce à cette réforme, tout en préservant la spécificité des lois de financement, nous répondrons aux questions que se posent nos concitoyens : à quoi servent les 350 milliards consacrés à la sécurité sociale ? Quels sont les objectifs fixés pour les politiques de sécurité sociale ? Les résultats sont-ils à la hauteur de ces objectifs ? Je sais pouvoir compter sur vous pour faire aboutir cette réforme majeure pour l'avenir de notre système de protection sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois - Dix ans après la loi de 1996, le temps était venu d'en faire le bilan et de tenir compte des critiques constructives. Vous le faites, Monsieur le ministre, et je vous en remercie, en présentant ce projet qui comporte de très nombreuses avancées avec par exemple le vote de tableaux d'équilibre et le cadrage pluriannuel.

La commission des lois a auditionné l'ensemble des directeurs de la sécurité sociale en exercice sous les gouvernements successifs, en présence des rapporteurs pour avis.

Dans un esprit excluant toute polémique, nous avons tenté de définir des règles pérennes et viables qui, pour une dizaine d'années, permettront au Parlement de voter les prochaines loi de financement de la sécurité sociale en toute transparence.

Quelles sont les améliorations que nous pouvons apporter à ce texte transmis par le Sénat ?

Tout d'abord, la structure des lois de financement. Pour plus de clarté, nous souhaitons qu'elles se composent de quatre parties : examen de l'ensemble des comptes du dernier exercice clos, rectification des dispositions votées pour l'année en cours, débat sur les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de l'année suivante.

Premièrement, l'examen de l'ensemble des comptes du dernier exercice clos. Le débat sur les lois de financement de la sécurité sociale souffrait d'un défaut considérable : si les dépenses, notamment en matière d'assurance maladie, se révélaient supérieures aux objectifs prévus, nous ne pouvions pas en tenir compte dans le vote de la loi de financement de l'année suivante et décider la manière de financer un éventuel déficit constaté. Ce déficit n'apparaissait qu'au détour de l'article où le Parlement autorisait une « ligne de découvert bancaire » de l'Agence des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, auprès de la Caisse des dépôts. Pour pallier cette difficulté, lors du débat sur les comptes du dernier exercice clos, le Gouvernement devra proposer obligatoirement des modalités d'affectation des excédents ou de financement des déficits dont le Parlement débattra. Nous ne pouvons plus admettre que ces milliards d'euros restent en lévitation. Les comptes dont nous débattrons seront désormais certifiés par la Cour des comptes.

Il convient certes de laisser une marge de manœuvre importante au Gouvernement et aux majorités pour déterminer leurs priorités mais il faut fixer une limite au recours à l'endettement. Si les comptes de la sécurité sociale n'ont pas vocation à être équilibrés chaque année, ils doivent présenter un bilan sain à la fin de chaque cycle économique.

M. Jean-Marie Le Guen - Quatre septennats de déséquilibre financier...

M. le Rapporteur - Par conséquent, nous vous soumettrons un amendement visant à empêcher l'accumulation des déficits et leur report sur la caisse d'amortissement de la dette sociale, CADES, qui conduit à un transfert entre les générations. L'ensemble des transferts auxquels nous avons procédés - en 1996, 1998 et la période 2004-2006 - aboutit à un endettement au rythme actuel d'abondement par la contribution pour le remboursement de la dette sociale, CRDS, de cette caisse, allant jusqu'à 2022. Cela n'est pas raisonnable. A l'avenir, si un gouvernement n'a pas effectué les réformes de l'assurance maladie nécessaires et maîtrisé les dépenses sociales, il devra l'année suivante financer les déficits. Si ce même gouvernement souhaite avoir recours à l'endettement, il relève de son devoir minimal de dégager des financements pour que le rythme d'amortissement de la dette sociale n'excède pas dix ans.

M. Yves Bur, rapporteur pour avis de la commission des finances - Très bien !

M. le Rapporteur - Refuser les transferts intergénérationnels est d'importance au moment où nous sentons que les dépenses d'assurance maladie continueront à croître...

M. Jean-Marie Le Guen - Ah ! Ah !

M. le Rapporteur - ...du fait du progrès des sciences et du vieillissement de la population que certains semblent découvrir aujourd'hui. Si nous n'adoptions pas ce type de mesure, nous aurions failli à notre devoir en laissant une dette aux générations futures. A mon sens, la sauvegarde de notre système de sécurité sociale, à laquelle nos concitoyens sont si attachés, passe par la solidification de ces finances.

Deuxièmement, les dispositions portant lois de financement rectificatives. Elles seront obligatoires. En effet, comment concevoir que l'on puisse voter la loi de financement de l'année à venir sans redéfinir précisément les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes en fonction des réalités constatées ?

Troisième point, la loi de financement pour l'année future. Nous avons cherché à améliorer la préparation de cette loi en votant une disposition permettant au Gouvernement de posséder les données chiffrées nécessaires. Nous avons également étendu l'obligation de sincérité, liée dans le texte transmis par le Sénat aux seuls comptes de l'exercice clos, aux objectifs de dépenses et prévisions de recettes. Il apparaît indispensable que la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de lois de financement de la sécurité sociale soit aussi développée que celle relative aux lois de finances.

Par ailleurs, l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie, ONDAM, doit être mieux défini et, pour ce faire, comportera au moins cinq objectifs afin d'éviter les dérapages constatés en 1999, 2000 et 2002. Il doit être calculé précisément et de manière réaliste. Dans un premier temps, nous avions adopté un amendement prévoyant de demander au comité d'alerte un avis sur le projet d'ONDAM. Devant l'opposition des autres commissions et intervenants, nous avons retiré cet amendement mais nous resterons très attentifs à ce point.

Nous avons également voulu faciliter la participation des députés de l'opposition au contrôle de l'exécution des lois de financement. Cette disposition améliore le fonctionnement du Parlement en créant un « statut » de l'opposition. Ensuite, nous avons rendu obligatoire la publicité des dettes de l'Etat à l'égard des régimes de sécurité sociale. En effet, lorsque l'Etat tarde à payer ses dettes, c'est la sécurité sociale qui supporte le coût des agios. De surcroît, si ces dettes s'accumulent, les soldes budgétaires primaires pourraient ne pas être réalistes. En bref, les comptes de la sécurité sociale sont des comptes en droit constaté : chaque fois que la caisse d'assurance maladie édite une facture, l'on considère que l'argent vient en déduction d'un éventuel déficit. A l'inverse, l'Etat est en « encaissement-décaissement ». L'accumulation de ces milliards d'euros pourrait laisser penser que les déficits de l'Etat sont moindres. Pour être tout à fait clair, je rappelle qu'au regard des critères européens, nos finances publiques sont redressées. Les dettes de l'Etat vis-à-vis de la sécurité sociale doivent donc être publiées deux fois par an.

Voici les principaux amendements que nous avons adoptés en commission dans le souci d'être le plus honnête possible et de laisser à nos successeurs les meilleurs outils. Il est vain de se reprocher les politiques menées par le passé. Nous devons améliorer le travail du Parlement et sauvegarder l'un des biens les plus précieux : la sécurité sociale ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

M.Yves Bur, rapporteur pour avis - La loi organique du 22 juillet 1996 a permis de prendre conscience de l'importance des finances sociales dans les finances publiques. Elle a montré ses limites : objectifs de dépenses délibérément sous-estimés et dépassés, manipulation des comptes au profit du fonds de réforme des cotisations, sans oublier le manque de volonté de la majorité précédente d'endosser une réforme en profondeur de notre système de solidarité sociale.

Aujourd'hui nous franchissons un pas supplémentaire vers plus de transparence et de sincérité, conditions nécessaires pour plus de rigueur dans la gestion des finances sociales.

Grâce à ce débat, nous perfectionnerons les outils permettant au Parlement de faire son travail de contrôle pour participer au sauvetage de nos régimes sociaux.

Ce projet de loi organique doit d'abord renforcer les principes de bonne gestion financière de la sécurité sociale. La mise en place d'un cadrage pluriannuel constitue une avancée pour disposer d'un cadre temporel cohérent avec le programme de stabilité et de croissance des finances publiques et pour dégager des marges de manœuvre inscrites et évaluées dans la durée.

Les orientations du projet de loi, précisées par les amendements adoptés par la commission des finances, permettent de mieux articuler le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, au lieu de les opposer. Je souhaite ainsi qu'un débat d'orientation budgétaire sur les évolutions des finances sociales permette au Parlement de disposer d'une présentation générale des finances publiques.

M. René Couanau et M. Jean-Luc Préel - Vous avez raison !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Le débat qui s'engage portera sur des questions importantes : la compensation des exonérations de charges sociales, la transparence élargie à tous les fonds sociaux, les difficultés soulevées par l'ONDAM, sans oublier notre exigence d'une gestion plus responsable des organismes de sécurité sociale.

Il était tentant de poser au niveau organique le principe de compensation intégrale à la sécurité sociale des pertes de recettes résultant de mesures d'exonération de cotisation ou de transferts de charges opérés par l'Etat. Après de nombreux échanges, cette mesure nous a semblé disproportionnée. Faut-il en effet priver Gouvernement et le Parlement de la possibilité de proposer et de voter des mesures d'exonération ? La véritable question est de savoir si de telles politiques, visant à atténuer les charges qui pèsent sur les salariés pour augmenter notre compétitivité, ont un réel impact sur la création durable d'emploi.

M. Claude Evin - Il était temps de vous poser la question !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Concernant les fonds sociaux, l'exigence de transparence est normale, car ces organismes gèrent des flux financiers considérables - 14 milliards d'euros pour le FSV, par exemple. Et je pense que la CADES et le FRR doivent être intégrés aux lois de financement, afin que le Parlement se prononce explicitement sur leur évolution.

M. Jean-Marie Le Guen - Très bien !

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Notre exigence sera la même, bien sûr, pour tous les fonds retraçant le financement de dépenses spécifiques.

Compte tenu des enjeux à venir, en particulier les dépenses croissantes en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, il nous apparaît que la CNSA aurait sa place en loi de financement dans la mesure où ses recettes sont pour partie des contributions de nature sociale et parce qu'elle est un organisme gestionnaire de l'ONDAM médico-social et redistributeur de recettes de nature sociale, les dépenses obligatoires des départements relevant quant à elles toujours des finances locales. Le débat sera utile pour trancher cette question sans remettre en cause l'autonomie des élus locaux.

Un débat sera également utile sur le « rebasage » de l'ONDAM, pratique instituée par Martine Aubry en 2000, qui a fait perdre beaucoup de sa crédibilité à cet objectif de dépenses. Même s'il est hors de question de le rendre opposable, le moment est venu de se donner les moyens de rapprocher l'ONDAM voté de l'ONDAM exécuté. Plusieurs facteurs plaident en ce sens : le chantier de la médicalisation de l'ONDAM progresse et la création de sous-objectifs permettra de mieux cerner l'évolution des dépenses de santé ; la mise en place du comité d'alerte va créer un climat de responsabilité et de vigilance accrue ; le fait d'avoir engagé une réforme structurelle visant la transformation des comportements des usagers comme du corps médical doit nous permettre d'envisager le retour à l'équilibre en 2007. Compte tenu de ces éléments encourageants, je propose la suppression du rebasage de l'ONDAM, qui pourrait s'exercer selon plusieurs options : par l'imputation de chaque dépassement au titre d'un objectif de dépense sur le même objectif de l'année suivante ; par l'obligation pour le législateur de se prononcer sur le sort d'éventuels dépassements de dépenses ou d'excédents de recettes ; par habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures d'ordre législatif nécessaires pour assurer le respect des objectifs de dépenses. Indépendamment de ces options, il me paraît essentiel de nous prononcer sur le traitement à réserver aux déficits comme aux excédents constatés en première partie de la loi de financement. La transparence doit devenir la règle pour éviter que l'on efface des dépassements d'ONDAM, qui ont tout de même représenté entre 1998 et 2004 un montant de 15 milliards .

Forts de l'expérience initiée par la LOLF pour un meilleur contrôle des finances publiques par le Parlement, nous avons eu le souci d'adapter les objectifs de transparence et de sincérité aux exigences particulières des finances sociales. La commission des finances a adopté dans cet esprit 90 amendements.

Pour moi, mes chers collègues, la loi organique n'est pas un outil technique de maîtrise comptable, mais un outil de rigueur morale au service de l'intérêt général. Ce qui me hante, c'est l'irresponsabilité au regard de l'accumulation de dettes que nous transférons avec une inconscience, voire une insouciance coupable, aux générations futures.

M. Pascal Terrasse - La faute à qui ?

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Introduire plus de transparence et de sincérité dans la gestion des finances sociales, c'est nous contraindre à accepter les adaptations indispensables à la survie de notre système de solidarité. Comme dans bien d'autres domaines, ceci est de notre responsabilité, celle de la France et des Français, pas des autres, pas de l'Europe. Ayons le courage de les assumer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Bardet, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Après neuf exercices, un bilan de la réforme de 1996 fait apparaître que le rôle des partenaires sociaux n'a pas été remis en cause ; que la discussion du projet de loi de financement est devenue un rendez-vous important de la vie politique ; que les lois de financement mettent en évidence, chaque année, pour l'ensemble des citoyens, les enjeux financiers des régimes de la sécurité sociale.

Cependant, le dispositif actuel a des limites, qui ont été révélées par le débat parlementaire, en particulier celui de cet été sur la réforme de l'assurance maladie, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou les remarques des experts et des partenaires sociaux. Elles tiennent à la portée toute relative du vote du Parlement, qui ne porte pas sur les soldes de chaque régime ou de chaque branche ; à l'annualité dans laquelle sont enfermées ces lois ; à la définition trop étroite de leur champ ; enfin, au caractère très formel du débat sur le rapport annexé, compte tenu de l'absence de lien entre les moyens engagés et les politiques mises en œuvre.

A l'expérience, il apparaît que ces lois de financement ne seront jamais des lois de finances. Les finances sociales présentent des particularités sans doute irréductibles.

Le présent projet, adopté par le Sénat en première lecture le 24 mars dernier, cherche à surmonter ces difficultés. Dans sa nouvelle version, la loi de financement de la sécurité sociale met en regard, par branche, des dépenses et des recettes. Elle comprend les dépenses et les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et non plus des seuls régimes comptant plus de 20 000 cotisants. Le Parlement se prononce sur les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de différents organismes distincts des régimes de base, comme le fonds de solidarité vieillesse et le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles. Le ministre nous précisera la place à aménager pour la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie afin que le Parlement puisse suivre l'intégralité de ses circuits de financement.

Désormais, la loi de financement de la sécurité sociale fixera également les sous-objectifs de l'ONDAM, conformément à une demande récurrente des parlementaires, et il sera possible de modifier les enveloppes de ces sous-objectifs.

Le projet donne une dimension pluriannuelle aux lois de financement. Un rapport annexé présentera désormais, pour les quatre années à venir, des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses par branches des régimes obligatoires de base et du régime général. Les comptes définitifs du dernier exercice clos seront pris en compte. Même si la notion de « loi de règlement social » n'existe pas en tant que telle, la loi de financement de l'année en cours pourra être rectifiée. La loi pourra contenir des dispositions affectant l'équilibre financier de la sécurité sociale, non seulement pour l'exercice à venir mais aussi pour les exercices ultérieurs.

La sincérité des lois de financement de la sécurité sociale est confortée par la certification des comptes du régime général par la Cour des comptes. Toujours dans cet objectif de sincérité, ces lois doivent impérativement prendre en compte toutes les dispositions pouvant affecter les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes, même si celles-ci sont inscrites dans un autre texte législatif ou réglementaire.

Une démarche reliant objectifs, indicateurs et résultats est introduite. Une annexe présentera ainsi les programmes de qualité et d'efficience - PQE - de la politique de sécurité sociale pour chacune de ses branches pour les exercices à venir. J'espère que la direction de la sécurité sociale et la direction générale de la santé seront capables de fournir dès 2005 le travail supplémentaire exigé par ce texte et que ces PQE permettront aux parlementaires de mieux suivre le financement de l'action du Gouvernement en matière de politique de santé. Quelle sera l'articulation des PQE, Monsieur le ministre, avec les conventions d'objectifs et de gestion, les « programmes » de la loi de finances et les objectifs du rapport annexé à la loi relative à la politique de santé publique ?

Tirant les leçons de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le projet élargit le champ de la loi de financement. Elle pourra ainsi comporter des dispositions ayant trait à l'amortissement de la dette des régimes de sécurité sociale et à la mise en réserve de recettes au profit de ces régimes, ainsi que des dispositions concernant les organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base ou qui gèrent des dépenses encadrées par l'ONDAM. Il importe cependant de veiller à ce que les lois de financement ne deviennent pas des lois « portant diverses dispositions ». Leur spécificité doit être préservée.

Même si ce texte paraît technique, il est très important. Afin de l'améliorer, la commission des affaires culturelles vous propose d'adopter un certain nombre d'amendements, dont certains sont communs avec la commission saisie au fond et l'autre commission saisie pour avis : structuration de la loi de financement de la sécurité sociale en quatre parties ; coïncidence des dates de dépôt du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale ; évolution des modes de prise en charge de la dépense nationale de santé retracée dans une annexe ; information des commissions parlementaires dès qu'est prise une mesure réglementaire ayant un impact significatif sur les recettes et les dépenses... Des amendements élèvent au niveau organique des dispositions du code de la sécurité sociale relatives au contrôle parlementaire. Ils consacrent le rôle de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS.

Enfin, la commission a adopté deux amendements relatifs à la compensation des exonérations de cotisations sociales et des diminutions des ressources affectées à la sécurité sociale. L'un vise à modifier la LOLF afin d'élever au niveau organique le principe de la compensation intégrale. Cet amendement, déclaré irrecevable en vertu de l'article 40 de la Constitution, ne pourra pas être discuté. Je le regrette, car cela aurait au moins permis au Gouvernement de donner toutes les garanties que la représentation nationale attend dans ce domaine. L'autre réserve aux lois de financement de la sécurité sociale le monopole de la décision d'exonérations de cotisations. Je sais que cet amendement peut apparaître très contraignant. Il me paraît cependant être un bon signal et aurait une vertu pédagogique, dans la mesure où chacun disposerait ainsi d'une vue d'ensemble de l'impact des dispositifs d'exonérations sur les finances de la sécurité sociale.

Ce projet est un bon projet, qui, dans la lignée de la réforme des retraites et de l'assurance maladie, signe l'ardeur réformatrice de ce gouvernement et de la majorité, qui tout en restant dans une vision médicalisée des dépenses de santé, ont pour objectif l'équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. Comme en a décidé ce matin la Conférence des présidents, les explications de vote et le vote sur cette exception d'irrecevabilité auront lieu, ce soir, à la reprise de nos travaux.

M. Jean-Marie Le Guen - L'adoption en 2002 de la loi organique relative aux lois de finances, qui renforce le contrôle du Parlement sur l'exécutif et rend plus transparent le débat sur l'action publique, constitue, nous en sommes tous convaincus, un progrès dans le fonctionnement de nos institutions, qu'elle doit rendre à la fois plus démocratique et plus efficace. Peut-on en attendre autant du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale ? Malheureusement, non. Une fois de plus, vos propositions sont ambiguës, confuses et insuffisantes.

Chacun s'accordait pourtant au départ sur la nécessité de réformer les lois de financement de la sécurité sociale. Mais encore eût-il fallu adopter une démarche conforme aux objectifs et qui rassemble majorité et opposition. Tel n'a, hélas, pas été votre choix. Vous avez décidé de procéder à cette réforme par le biais d'un projet de loi alors que le gouvernement précédent avait, lui, souhaité que le Parlement lui-même soit à l'initiative de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Pascal Terrasse - Tout à fait.

M. Jean-Marie Le Guen - Votre choix n'est pas innocent, pas plus que ne l'était celui du gouvernement précédent.

La deuxième critique concernant la méthode choisie est d'avoir soumis en premier au Sénat un texte concernant les finances publiques, alors que la Constitution prévoit explicitement les prérogatives de l'Assemblée nationale en ce domaine. Le juge constitutionnel aura là matière à débattre. Votre choix, à la fois compliqué et injustifié, n'a néanmoins pas suscité l'enthousiasme des sénateurs, pourtant acquis à votre majorité. En effet, leur commission des affaires sociales n'a pas réservé à ce texte l'accueil que vous auriez souhaité, le jugeant décevant, quand ce n'est pas décourageant.

La troisième critique a trait à l'organisation confuse des débats au sein même de notre assemblée. Nous regrettons que votre majorité ait refusé la proposition de créer une commission spéciale, formulée par le président Ayrault, mais force est de constater que vous ne l'avez guère poussé à l'accepter. L'éclatement des discussions entre les trois commissions saisies au fond et pour avis a nui à la qualité du travail parlementaire, empêchant tout véritable débat.

La quatrième critique concerne le moment choisi pour l'examen de ce texte et le temps qui lui est accordé, à peine deux jours, alors qu'est tout de même en cause un budget de 350 milliards d'euros. Mais il est vrai que ce gouvernement ne s'est jamais passionné pour les finances de la sécurité sociale. J'en veux encore pour preuve l'absence une nouvelle fois aujourd'hui de M. Douste-Blazy...

M. Pascal Terrasse - Il doit être à la télévision !

M. Jean-Marie Le Guen - Sans doute a-t-il mieux à faire que de venir débattre avec les parlementaires de ces sujets essentiels.

M. Gérard Bapt - Déjà, lors du débat sur la toxicomanie, il n'était pas là.

M. Jean-Marie Le Guen - C'était, paraît-il, pour marquer sa réprobation. Fait-il de même aujourd'hui ?

Chacun aura compris que son absence comme le choix de ce calendrier précipité visent à esquiver tout débat sur votre action. Vous avez hâté l'examen de ce texte, pour qu'il n'ait surtout pas lieu en juin, lorsque seront connus les premiers résultats douloureux de votre politique en matière de sécurité sociale. Vous préférez soliloquer sur votre réforme, tant qu'un bilan complet ne peut pas vous être opposé, vous appuyer sur une politique de communication, particulièrement dispendieuse, multiplier les déclarations d'autosatisfaction... et cherchez surtout à éviter qu'on vous rappelle vos promesses. Faute de pouvoir convaincre, M. Douste-Blazy élude les questions et préfère engager une polémique sur les responsabilités passées, de façon d'ailleurs peu élégante, oubliant que lui-même avait eu un prédécesseur et que, depuis trois ans, les déficits se creusent en même temps que reculent les acquis sociaux.

Il est paradoxal pour ce Gouvernement de chercher à améliorer la gestion de la sécurité sociale alors même qu'il en organise la faillite par les déficits qu'il laisse s'accumuler et la dette qu'il laisse enfler. Il l'est tout autant de prétendre renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes publics, alors qu'aujourd'hui encore, il s'attache à masquer la situation financière de notre protection sociale. Chacun a encore en mémoire la funeste loi du 13 août 2004 par laquelle vous avez choisi de transformer non seulement les déficits passés, mais aussi ceux à venir, en dette sociale. Ce qui avait été jusqu'à présent un expédient, critiquable, utilisé par diverses majorités, est devenu avec vous un véritable choix politique. Sans doute pris de remords, certains de nos collègues proposent d'ailleurs aujourd'hui de limiter dans le temps cette mesure indigne. Nous écouterons donc le Gouvernement avec intérêt sur ce point.

L'un des problèmes-clés concernant le financement de la sécurité sociale est celui de la compensation des exonérations de charges. Ce n'est pas le moindre des paradoxes non plus pour ce gouvernement, qui prétend sanctuariser ce financement, que de s'affranchir de ces compensations, comme il s'apprête à la faire avec les contrats d'avenir, et de continuer à ne pas verser son dû à la sécurité sociale, en particulier le produit des taxes sur l'alcool et le tabac. Auriez-vous oublié, chers collègues, vos déclarations fracassantes de l'époque sur le FOREC ? Vous l'avez certes supprimé mais continuez à détourner au profit du budget de l'Etat, bien en peine d'atteindre l'équilibre du fait de votre politique, des sommes qui devraient revenir à la sécurité sociale. Dès 1994, la loi Veil disposait que les exonérations de charges devaient être intégralement compensées. Faute de contraintes juridiques suffisantes, elle n'a, hélas, jamais été appliquée - par aucune majorité d'ailleurs. A défaut de revenir au principe du remboursement intégral, comme certains le préconisent, n'aurait-il pas fallu, à tout le moins, fixer des règles précises pour les remboursements partiels ? Lors du débat de l'été dernier, M. Douste-Blazy avait indiqué que le projet de loi organique contiendrait des mesures destinées à garantir le financement de la sécurité sociale, et, je le cite, que « l'autonomie financière de celle-ci aurait désormais valeur quasi-constitutionnelle. »

M. Gérard Bapt - Belle déclaration !

M. Jean-Marie Le Guen - En effet. Quelle n'a donc pas été la surprise des parlementaires, à l'Assemblée comme au Sénat, de constater que ce projet ne contenait aucune mesure répondant à cet engagement ! Comment ne pas comprendre l'émotion du rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, qui avait en son temps si vigoureusement combattu le FOREC ? Comment aurait-il pu accepter qu'à votre tour, vous reniiez vos engagements - auxquels vous accordez, selon vos dires mêmes, la valeur que vous voulez ? Mais trêve d'ironie ! De tels comportements de l'Etat créent le sentiment que les efforts demandés aux assurés et aux professionnels de santé ne sont pas nécessaires, puisque l'Etat lui-même s'exonère de ses engagements.

Les finances publiques sont en si mauvais état que l'Etat est amené à confondre finances de l'Etat et finances sociales. Vous défendez que la diminution des charges permettra de relancer l'emploi, donc de procurer des ressources nouvelles à la sécurité sociale. C'était l'argument même qui avait présidé à la création du FOREC, dont vous réhabilitez donc le principe, après l'avoir farouchement combattu durant des années. Les ressources de la sécurité sociale ne sont toutefois pas des variables d'ajustement permettant à l'Etat de pallier sa propre impéritie.

Pour apaiser le débat, il faudrait tout d'abord sans doute oublier vos engagements, mais aussi aller plus loin que vos propositions actuelles. Tel est le sens de nos amendements, mais aussi de ceux de notre rapporteur, M. Bur.

Moins de promesses, plus de volonté politique : la suggestion vaut sans doute au-delà des questions de financement de la sécurité sociale.

J'en viens à la situation financière de l'assurance maladie, à propos de laquelle, Monsieur le ministre, vous avez cru pouvoir manifester votre satisfaction. Le déficit 2004 ne serait plus « que » de 12 milliards ; c'est néanmoins le plus fort déficit jamais atteint, et encore a-t-il été amoindri artificiellement par une recette exceptionnelle de 1,1 milliard... De plus, l'objectif fixé en novembre 2003 était de 11 milliards. Certes, en septembre, les prévisionnistes tablaient sur un déficit dépassant 13 milliards ; l'amélioration constatée par rapport à cette prévision est due à une croissance inattendue des recettes, tandis que les charges sont restées conformes aux prévisions pessimistes.

Pour les dépenses, une note de l'ACOSS, dont nous savons désormais qu'elle ne fait que reprendre les chiffres de la CNAM, contrairement à ce que vous avez dit, fait état d'une prévision de hausse de 4,8 % au premier semestre 2005. Du côté des recettes, les encaissements restent limités par une progression de la masse salariale qui plafonne à 3,1 %, alors que la loi de financement votée en novembre dernier la prévoyait de 4 % ; si la situation ne se détériore pas encore davantage, le manque à gagner en fin d'année sera déjà compris entre 1,5 et 2 milliards !

En ce qui concerne les dépenses, l'ACOSS confirme qu'au deuxième trimestre 2005, le rythme d'augmentation des dépenses du régime général sera élevé : on attend une hausse de 5,7 %, après celle de 2,8 % du premier trimestre - pour l'assurance maladie, 2,9 % au premier trimestre et 6,6 % au deuxième. Pour atteindre l'objectif d'une réduction du déficit de 5 milliards en 2005, dont 4 sont pourtant liés à des prélèvements supplémentaires, il faudrait limiter cette hausse des dépenses à 1,6% au second semestre... C'est d'autant moins crédible que vont s'ajouter des dépenses liées à l'application de la convention médicale, à l'effet de la TAA sur les budgets hospitaliers, à la mise en place de la nouvelle CCAM et à l'application de divers plans.

Il faut aussi rappeler le contexte. Le plan  Hôpital 2007 se traduit, faute de financement de l'Etat, par la croissance brutale de l'endettement hospitalier, qui atteint désormais 11 milliards, et atteindra sans doute 15 milliards à la fin de l'année. Ces sommes devront être récupérées sur l'assurance maladie dans les années à venir ; il faudrait donc, en toute logique, les rajouter aux 35 milliards que vous avez déjà transférés sur la CADES. Le sinistre bilan ne s'arrête pas là : à la fin de 2005, le FIPSA, ancien BAPSA, connaîtra une perte cumulée de 2,4 milliards ; la branche ATMP, une de 1,3 milliard, sans tenir compte de l'augmentation des indemnisations au titre de l'amiante ; le fonds de solidarité vieillesse aura un déficit de 3 milliards, qui conduira pour la CNAV à un trou de 5 milliards. Enfin, l'UNEDIC aura près de 13 milliards de déficit cumulé. Bref, l'absence de politique économique en faveur de la croissance et de l'emploi, le laxisme dans la gestion de la dépense et l'irresponsabilité vont conduire nos comptes sociaux dans l'abîme. Selon un document remis au président de la commission des finances par le ministre délégué au budget, la réforme de l'assurance maladie réduirait de moins d'un quart l'effort nécessaire, le besoin de financement passant de 3,1 % du PIB à 2,4 % - soit un gain structurel de 0,7 point. Pour la réforme des retraites, on passe de 3 % à 2 %, soit un gain d'un tiers.

Quels sont les objectifs de ce projet ?

Les lois de financement de la sécurité sociale ont été instituées en 1996 par la réforme Juppé de l'assurance maladie - sujet toujours douloureux pour la majorité. Depuis 1997, et surtout depuis 2002, vous ne songez qu'à racheter vos péchés vis-à-vis de certaines clientèles médicales, et c'est d'ailleurs l'un des rares engagements que vous tenez contre vents et marées. Vous aménagez par vos réformes successives un véritable chemin de croix - au bout duquel ce sont les finances de la sécurité sociale qui seront crucifiées.

S'agissant de la réforme Juppé, si personne ne conteste plus le vote du Parlement, la construction du projet de loi de financement était, elle, très critiquée, comme symbolisant la maîtrise comptable. Il vous fallait donc la réformer pour mieux la renier... Il est vrai que si la réforme de 1996 donnait au Parlement l'occasion de débattre et de voter sur les lois de financement, ce dispositif n'a jamais été de nature à permettre de véritables choix. L'ONDAM n'a jamais été respecté. Reste que, malgré ses défauts, ce dispositif a contribué à ce que l'équilibre financier de la sécurité sociale soit respecté, du moins quand le Gouvernement en avait la volonté politique. Après des déficits de 5 milliards en 1997 et de 2,5 milliards en 1998, des excédents de 0,5 milliard en 1999, de 1 milliard en 2000 et de 1,3 milliard en 2001 ont été dégagés ; ce n'est pas le fruit du hasard, mais la conséquence de la politique qui a été menée. Au contraire, depuis que vous êtes au pouvoir, les déficits s'accumulent.

Dès novembre 2002, nous avons interpellé le Gouvernement sur ses erreurs grossières de prévision, mais il a refusé de nous écouter, préférant bercer les Français d'illusions, pour ensuite profiter des déficits abyssaux afin de faire reculer la protection sociale.

Confrontés à la critique d'une maîtrise purement comptable, beaucoup ont convenu qu'il fallait préférer une maîtrise médicalisée. C'est ainsi que l'idée de réformer la détermination de l'ONDAM s'est imposée. Un rapport fut demandé par M. Mattei à M. Alain Coulomb. Ce rapport a paru voilà deux ans et prévoyait notamment de fixer les dépenses de santé en fonction de critères objectifs, voire opposables. Malheureusement, il est aujourd'hui aux oubliettes. La volonté de médicaliser l'ONDAM souffre du premier abandon notable dans le présent projet. Il est vrai que cette médicalisation implique une réflexion sur l'offre de soins, sa qualité et son efficacité, ce que vous vous refusez à faire. Votre loi de financement demeurera donc exclusivement comptable.

Pour autant, pourra-t-on parler de maîtrise de la dépense ? La nécessité de la réforme de la LOLFSS, et plus précisément de ce projet de loi organique, est apparue avec certitude pendant la préparation de la loi de réforme de l'assurance maladie cet été. L'idée s'est affirmée avec force quand les doutes sur la crédibilité financière de cette dernière réforme se sont accrus. La loi organique devait donc être présentée à l'automne pour rassurer sur ce point. Le groupe socialiste a eu l'occasion d'interroger le Medef sur la façon dont l'équilibre financier de l'assurance maladie devait être assuré : il nous a été répondu que l'ensemble du dispositif reposerait in fine sur cette fameuse loi organique qui devait venir boucler le processus comme le couvercle la marmite. Le dispositif dit du « comité d'alerte » préfigurait en quelque sorte ce que devait être le fonctionnement à venir des lois de financement : il s'agissait de faire rentrer les dépenses dans l'enveloppe préalablement fixée ou à tout le moins d'obliger le Parlement à adopter de nouvelles dispositions relatives soit aux recettes, soit aux dépenses afin d'assurer l'équilibre financier de l'année. On ne trouve rien de la sorte dans votre projet. Faut-il s'en réjouir ou le regretter ? Le regretteront ceux qu'inquiète l'avenir de nos finances publiques et ceux qui doutent de la volonté réformatrice des acteurs de l'assurance maladie en pensant que seule une contrainte financière forte favorisera une réforme du système. Si nous partageons les inquiétudes de beaucoup quant à l'accumulation des déficits, nous refusons pourtant de contraindre les dépenses d'assurance maladie dans le cadre d'une enveloppe préétablie car ce serait-là une transformation structurelle de notre système : nous ne serions plus en effet dans un système d'assurance sociale d'inspiration bismarckienne, mais dans un système de prestations sociales étatisé, d'inspiration beveridgienne.

Cette querelle théorique a cependant atteint ses limites pratiques. Les recettes sont pour beaucoup de nature fiscale ou parafiscale et constituent de moins en moins une cotisation dans l'esprit des assurés sociaux. Reconnaissons également que l'ouverture universelle des droits l'éloigne de son origine professionnelle et que la gestion, presque étatisée, n'est plus paritaire. Nous sommes ainsi fort loin du modèle initial et, les années passant, nous nous rapprochons du modèle beveridgien sans avoir pourtant les avantages d'un système géré par l'Etat et contrôlé démocratiquement. En matière de prestations, la différence entre le modèle assurantiel et l'Etat providence a pourtant d'autres vertus. Si nous refusons cette mise sous enveloppe des dépenses d'assurance maladie, ce n'est pas par simple attachement au modèle assurantiel, mais également parce que nous croyons que la régulation peut et doit se faire à partir des dépenses de santé et non à partir des remboursements. On mesure là encore la fragilité de cette position dans la mesure où vous avez opéré un véritable changement de paradigme en inscrivant votre politique, non plus dans la maîtrise des dépenses de santé mais dans celle des dépenses de l'assurance maladie, laissant paradoxalement aux organismes complémentaires le devoir de régulation. C'est là une rupture fondamentale avec la réforme Juppé qui visait bien, elle, à la régulation des dépenses de santé. Ramener la régulation à un objectif financier plutôt qu'économique : nous mesurons une fois de plus la relative vanité du débat entre la logique assurantielle et la logique étatiste.

A ceux qui ne seraient pas encore convaincus des glissements que vous opérez, on peut conseiller d'analyser les articles de la loi qui organise la discussion de la LOLFSS. En effet, prétextant du parallélisme avec la LOLF, les recettes ainsi que les plafonds de trésorerie seront désormais votés avant les dépenses. La LOLFSS est donc structurée comme une loi organisant la maîtrise comptable, à ceci près que la sanction n'existe pas et que le dépassement d'une année n'est pas réintégré l'année suivante. Les tenants de la défense des comptes publics en seront pour leurs frais, mais les champions de la dépense feraient bien d'y regarder à deux fois. En effet, une fois installée la logique comptable, il ne restera plus d'autre solution que de fermer vraiment le couvercle quelle que soit la pression des déficits.

La sanction comptable n'est pas pour aujourd'hui, mais l'abandon des principes financiers sur lesquels s'est construite la sécurité sociale est, lui, effectif. Si la médicalisation de l'ONDAM et la maîtrise des dépenses publiques ne sont pas au rendez-vous de votre projet, sa logique n'est-elle pas plutôt dictée par le souci du parallélisme des formes législatives ? Les lois de financement de la sécurité sociale ne mériteraient-elles pas une procédure aussi minutieuse, réfléchie, démocratique, que les lois de finances publiques ? Cette nouvelle structure de la LOLFSS contribuera-t-elle à moderniser la gestion publique ? Tel était le sens de la réforme de la LOLF, qui permettra dès l'année prochaine un meilleur contrôle démocratique et une gestion plus rationnelle de la dépense publique, mais seule une approche superficielle peut laisser croire à une convergence de démarche, tout d'abord parce qu'il ne s'agit pas encore de dépenses budgétées mais de financement de prestations assurantielles. Toutefois, les différences dans la nature des dépenses n'expliquent pas tout. Ceux qui ne sont pas trop pressés de voir assimiler le budget de la sécurité sociale à un budget de l'Etat bis regretteront néanmoins la qualité et la transparence des procédures adoptées pour la LOLF. Il est vrai que l'objet à contrôler est de moins en moins identifiable : ce n'est pas l'aménagement des procédures d'élaboration de la loi de financement qui pourront à elles seules combler le déficit démocratique introduit après la création de l'UNCAM. Ainsi aurait-on pu espérer que le Gouvernement ne relègue pas la présentation des fonds sociaux aux annexes mais qu'il les intègre pleinement à la loi de financement, comme le proposait d'ailleurs M. Bur mais sans doute le Gouvernement ne souhaitait-il pas troubler notre assemblée par une vision trop crue des déficits et il n'est pas anodin que cette pudeur s'exerce particulièrement sur la situation financière des deux institutions qui portent le bilan - dans tous les sens du terme - des deux réformes dont il se flatte : celles des retraites et de l'assurance maladie. Une exposition plus franche de la situation financière de la CADES et du Fonds de réserve des retraites modérera peut-être l'autosatisfaction gouvernementale et j'espère que le Parlement remédiera à ces faiblesses.

Au début de l'été, le ministre vantait les vertus du paritarisme rénové alors que nous dénoncions l'étatisation de l'assurance maladie dont la conduite était pour l'essentiel confiée au proconsul. Mais c'est aujourd'hui de tentative de politisation de l'assurance maladie qu'il convient de parler : sa communication se met en effet docilement au service de la politique du Gouvernement, ce que je ne peux que regretter. Et lorsque l'UDF prend l'initiative d'une consultation, c'est un directeur de l'UNCAM qui répond à son président !

Revenons au processus d'étatisation que vous avez mis en œuvre avec la loi du 13 août 2004. Plus aucune autorité légitime ne contrôle désormais l'assurance maladie : exit les partenaires sociaux, mais aussi les parlementaires !

Contrôle des finances publiques, maîtrise médicalisée, procédure parlementaire : autant de concepts qui peuvent sembler abstraits à nombre de nos concitoyens, et ce projet de loi n'est pas pour les éclairer. Des moyens dépend pourtant la crédibilité d'une politique. Permettez-moi de rappeler ici quelques-unes des promesses égrenées depuis un an dans un contexte de baisse des dépenses de l'assurance maladie : plan canicule - 20 à 40 millions d'euros ; plan hospitalisation à domicile - 70 millions ; plan médicament générique - non chiffré ; avenir de la chirurgie à l'hôpital - 80 millions ; programme de prévention du cannabis - 10 millions ; plan de santé mentale - 1 milliard ; TAA - 200 millions de crédits supplémentaires ; plan Alzheimer - 105 millions ; plan périnatalité - 270 millions ; plan maladies rares - 200 millions sur quatre ans ; plan cancer à dix mois pour 120 millions en 2004 et 200 millions en 2005 ; convention d'objectifs et de gestion - 950 millions au fonds de prévention ; budget hospitalier, 366 millions ; plan La France des proximités - 90 millions ; hôpital de Pau - 6,6 millions dans le plan psychiatrie, 1,3 millions de reports de charges, 300 000 euros de financement exceptionnel ; plan urgences - 150 millions en 2004, 175 millions en 2005 ; valorisation du statut des personnels hospitaliers - 180 millions ; soins palliatifs - 65 millions ; gardes titulaires - 60 millions ; et je ne prétends pas à l'exhaustivité ! Or vous n'avez évoqué lors de ces annonces ni recettes nouvelles, ni redéploiement des dépenses de l'assurance maladie, ni transfert au sein des sous-objectifs de l'ONDAM.

Certaines de ces dépenses peuvent certes être redondantes, et leur financement inclus dans une annonce précédente. De même, l'ouverture de crédits ne se retrouve pas toujours en termes de dépenses : il est facile de financer des postes quand on sait que l'on sera bien en peine de les pourvoir. Mais ce qui domine aujourd'hui dans cette inflation de promesses, c'est le décalage complet entre les chiffres et la réalité. Notre système comptable n'est en rien opposable au déferlement des annonces, facilité qui n'est pas sans conséquence sur la capacité de gouvernance et la confiance entre les responsables - qui peuvent ainsi s'abstraire de rendre des comptes - et l'assuré - qui n'a pas toujours conscience des contraintes financières. Comment réformer et gérer le système dans ces conditions ?

Nous avons donc besoin d'un cadre budgétaire et financier beaucoup plus clair, qui nous dispenserait des annonces mirobolantes qui ne laissent place qu'aux frustrations.

J'en viens à l'étude du texte lui-même. (« Ah ! » sur les bancs des commissions)

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Où est l'irrecevabilité ?

M. Jean-Marie Le Guen - Elle est justifiée dès la troisième ligne, et le Conseil constitutionnel ne s'y trompera sans doute pas...

M. Yves Bur, rapporteur pour avis - Cette exception d'irrecevabilité est un peu superflue !

M. Jean-Marie Le Guen - ...Nous lui avons déféré la loi du 13 août et la loi de financement de la sécurité sociale. Il n'a pas pu se prononcer sur la validité des engagements de recettes et de dépenses, mais peut-être sa jurisprudence évoluera-t-elle.

La première partie de la loi de financement détermine et fixe les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Il s'agit donc bien d'un vote sur un solde - déficit ou excédent - limitatif, et non sur un objectif. Il y a là une utilisation pour le moins abusive des termes.

Plusieurs tableaux d'équilibre retracent ce solde : tableau par branche des régimes obligatoires, tableau par branche du régime général, tableau des organismes concourant au financement de la sécurité sociale. Or le vote sur ces soldes est le principal argument que vous avancez pour évoquer un renforcement du pouvoir du Parlement. En réalité, comme le note l'excellent rapport pour avis de la commission des finances du Sénat, « la portée du vote du Parlement n'est pas renforcée », car « aucun mécanisme contraignant n'est introduit en cas de dépassement de ces objectifs, à la différence de ce qui existe dans les lois de finances ».

Cet artifice ne garantit pourtant en rien la possibilité d'une maîtrise médicalisée, non plus qu'un réel contrôle du Parlement. En effet, si le solde s'écarte de celui qui a été voté, le Parlement ne sera pas appelé à débattre des moyens permettant de le respecter. Il n'aura pas davantage les moyens de prévoir un nouveau solde tenant compte des modifications de l'environnement économique et social, par exemple pour éviter, en voulant tenir à tout prix le solde initial, de prendre des mesures pro-cycliques. Les mesures de pilotage du solde sont en effet entièrement renvoyées à l'UNCAM, alors qu'il devrait revenir au Parlement, de se prononcer, dans le cadre d'un collectif social, sur les mesures qu'il juge légitimes. Des amendements issus de tous les bancs tenteront de corriger ces lacunes. Nous espérons qu'ils seront adoptés.

Par ailleurs, la loi prévoit, par branche, les recettes des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, ainsi que leur affectation. Il s'agit bien d'une prévision de recettes, et non d'une autorisation de perception des recettes comme c'est le cas pour la loi de finances. Mais là encore, on joue sur les mots. Le domaine exclusif de la loi de finances reste en effet entier : l'autorisation de perception des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'Etat, ainsi que l'affectation de ressources préalablement affectées à l'Etat à d'autres organismes, restent de sa compétence exclusive, tandis qu'elle dispose toujours d'une compétence partagée en matière d'impositions affectées, de vote des taux, d'assiette... Elle pourra donc toujours intervenir en matière de CSG ou CRDS, contrairement au souhait de beaucoup d'entre nous. Nous proposerons des amendements pour améliorer ce dispositif, comme l'a proposé la commission des affaires sociales du Sénat.

La seconde partie de la loi de financement est relative aux dépenses. Ici encore, elle diffère de la loi de finances : le vote a lieu sur des objectifs de dépenses, et non sur des plafonds de crédits de dépenses.

La question centrale des objectifs accompagnant les prévisions de dépenses est largement ignorée. Le Gouvernement prétend introduire une démarche « objectif résultat », sans préciser comment seront fixés les objectifs ni faire correspondre la structure de la loi de financement avec cette volonté affichée. Alors que la décomposition des lois de finances en missions et programmes permet d'échapper aux découpages administratifs, aucune indication n'est ici donnée d'une présentation des dépenses sociales en fonction de leur finalité.

Au contraire, la notion de sous-objectifs semble réservée à une décomposition du seul ONDAM, à l'exclusion des autres risques. On peut néanmoins s'interroger sur la définition qui pourrait être donnée des sous-objectifs pour chaque branche, qui permettrait de substituer à une logique de moyens ou de nature des dépenses, une logique de finalité.

Vous estimez, Monsieur le ministre, que le vote sur l'ONDAM hospitalier ou l'ONDAM ambulatoire constitue un progrès. Pour notre part, nous considérons que voter sur des ONDAM « verticaux » est une régression grave à l'heure où chacun reconnaît que l'avenir de notre système de santé passe par la fongibilité des enveloppes.

M. Jean-Luc Préel - C'est une erreur de le mettre dans la loi organique.

M. Jean-Marie Le Guen - Une grave erreur !

De la même façon, le texte n'aborde pas le débat sur les dépenses d'investissement des caisses de Sécurité sociale. Des plans d'investissement tels que «Hôpital 2007» , ou la mise en place du dossier médical partagé, ne seront pas identifiés dans les lois de financement. Ces deux dépenses majeures semblent ainsi passer au travers de toute prévision, de tout contrôle, de toute évaluation.

S'agissant de l'examen de la loi de financement, nous butons sur l'objet juridiquement non identifié qu'est la CNSA. S'agit-il d'un cinquième risque, comme l'avance le Gouvernement? Dans ce cas, il devrait bénéficier d'un statut, d'un fonctionnement à l'image des autres risques et être introduit dans la loi de financement, ce qui n'est pas le cas et ce à quoi notre collègue Bur propose de remédier.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Caricature !

M. Jean-Marie Le Guen - Nous sommes opposés à ce principe du cinquième risque, avec l'ensemble des organisations syndicales. Nous redoutons en effet un nouveau cloisonnement du champ de l'assurance maladie, voire un risque de démantèlement. L'évocation de cette caisse dans le projet de loi de financement et l'incertitude sur l'objet de ses financements témoignent d'ailleurs de la confusion qui règne sur ce dossier.

Il est impossible ici d'éviter le débat sur la pagaille et l'injustice qu'a introduit le fameux jour de travail gratuit - « travail forcé », selon le président de la CFTC. Vous exercez un chantage à la solidarité envers les personnes âgées et vous jouez sur l'émotion pour justifier cette injustice qui consiste à faire reposer cette solidarité sur le travail uniquement, sans contribution des entreprises. Il s'agit là d'une véritable régression : vous rétablissez la corvée médiévale et, en vous obstinant à le faire le lundi de Pentecôte, c'est la pagaille assurée !

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Vous êtes sans cœur !

M. Jean-Marie Le Guen - Tous les syndicats, vos propres élus protestent, mais vous poussez l'autosatisfaction jusqu'au ridicule en proclamant que tout est sous contrôle. Sauf le Gouvernement sans doute, puisqu'un jour, M. Borloo annonçait des revirements attendus et un autre jour, vous-même jugiez ce financement bien insuffisant. Irez-vous jusqu'à la semaine de travail gratuit ou cachez-vous de nouveaux prélèvements à venir ? Mais peut-être est-ce une polémique gratuite (Sourires). M. Douste-Blazy a trouvé la solution : pour sauver les vieux, nous dit-il, faites des bébés. Le lundi de Pentecôte peut-être ? (Rires) Ce serait une proposition plus populaire que les vôtres.

M. Gérard Bapt - C'est la procréation assistée !

M. Jean-Marie Le Guen - Assistée par le ministre...

Ce gâchis social profitera-t-il au moins aux personnes âgées ? Non. L'ONDAM « personnes âgées » augmente de 100 millions, dont 20, paraît-il pour le plan Alzheimer. Mais cela correspond à une demi-heure supplémentaire par jour et par établissement. Ils n'embaucheront pas. Le reste sera affecté pour moitié au plan « Handicap », chantier légitime, et l'autre moitié à l'APA, puisque l'Etat s'est désengagé de son financement. Dans le même temps, vous avez supprimé 5 500 emplois-jeunes dans les établissements pour personnes âgées, ce qui leur coûtera 170 millions. Cela, pourtant, c'était une solidarité active !

M. Gérard Bapt - Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen - En fait, en 2005, l'Etat et la sécurité sociale financeront moins les établissements pour personnes âgées. On le constaterait clairement si la CNSA indiquait le nombre de conventions tripartites déjà signées, et surtout les montants engagés par le Gouvernement.

Désormais, l'ONDAM se décomposera en sous-objectifs. Cela correspond à une demande. Mais c'est le Gouvernement qu décidera de leur création, et ils seront construits par référence à l'organisation actuelle, non aux résultats à atteindre. Par exemple, on maintiendra le découpage entre hôpital et médecine ambulatoire, et le Parlement sera dans l'impossibilité de créer un sous-objectif « réseaux de soins ». Que devient la volonté, souvent affichée, d'étendre son pouvoir d'amendement ? Dans le cadre de la LOLF, dont vous vous réclamez, le Gouvernement ne définit que les « missions », non les « programmes », qui sont en quelque sorte l'équivalent des sous-objectifs. La proposition de loi organique de M. Bur s'en inspire beaucoup mieux.

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Cette connivence va finir par paraître suspecte !

M. Jean-Marie Le Guen - Quant aux lois de financement rectificatives, elles risquent d'être rares, car, comme l'a observé la commission des finances du Sénat, il est possible d'adopter des mesures relatives à l'année en cours en première partie.

S'agissant des compétences partagées, la commission des finances du Sénat, toujours elle, avait jugé nécessaire, comme le préconisait le conseil des impôts, d'inclure dans le champ des lois de financement les mesures ayant un impact sur les recettes sociales. Elle a également proposé un mécanisme d'affectation d'une ressource en loi de finances ou en loi de financement selon qu'elle relève majoritairement de l'Etat ou de la sécurité sociale. Ces amendements ont été retirés avant la discussion en séance publique, malgré leur importance.

L'article 2 précise la nature des annexes obligatoires. Sans entrer dans le débat à ce sujet, je pense que le Conseil constitutionnel émettra une réserve sur leur caractère obligatoire, comme il l'a fait pour la LOLF. De ce fait, le Gouvernement ne pourra nous opposer que des informations, dont nous demanderons par amendement qu'elles soient incluses dans la loi, figurent déjà en annexe.

Il lui faudra remettre un rapport décrivant les prévisions de recettes et de dépenses sur quatre ans. Je veux croire que c'est par erreur qu'il n'est pas question de cohérence avec le programme de stabilité, également pour quatre ans, qu'il doit transmettre à la Commission européenne, d'autant que les informations fournies dans ce cadre diffèrent souvent sensiblement des déclarations faites au niveau national.

Il n'est pas possible, à l'occasion de ce débat, de faire un vrai bilan de votre réforme. La convention médicale en a dévoilé la nature délétère, qui apparaîtra mieux au second semestre. J'appelle cependant votre attention sur la situation financière très alarmante des hôpitaux publics, ce qui nourrit les tensions sociales. Tout se conjugue : vous leur adressez les informations budgétaires avec retard, l'ONDAM hospitalier est bien trop faible, la mise en œuvre de la tarification à l'activité - la TAA - est une spoliation, et vous imposez une convergence tarifaire entre public et privé au grand bénéfice de ce dernier, qui récupérera une part considérable de l'activité. Nos vous demandons solennellement de renoncer à ce processus de convergence, sinon le mécontentement sera tel qu'il compromettra la réforme des hôpitaux publics.

Dans les prochaines semaines, vous serez obligés de dépasser cet ONDAM hospitalier, fixé en fonction d'une croissance de 1 % de l'activité, alors qu'en particulier la TAA, cette année, provoquera une croissance plus forte. Par une circulaire d'avril, vous avez déjà accordé 390 millions supplémentaires hors ONDAM, et il y a quelques jours, une rallonge de 15 millions aux hôpitaux de Marseille. Vous ne pouvez vous contenter de ce saupoudrage clientéliste. Si vous ne prenez pas les mesures nécessaires, le mouvement social vous y obligera.

Si nous vous suivons, l'Assemblée votera désormais des recettes insuffisantes et des dépenses non maîtrisées, n'aura rien à dire sur l'organisation et la qualité de l'offre de soins, définira des priorités de santé publique sans élaborer de programmes ni définir les moyens nécessaires. La loi de financement restera un exercice formel, et l'assurance maladie ne trouvera de régulation qu'à travers ses déconvenues. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - J'ai écouté l'intervention de M. Le Guen avec attention. Il n'a développé aucun argument démontrant l'irrecevabilité de ce texte. La Commission appelle donc à rejeter cette motion.

M. le Secrétaire d'Etat - Monsieur le Guen, sur la forme, vous regrettez que ce projet de loi organique ne provienne pas d'une initiative parlementaire, contrairement au projet de loi organique relatif aux lois de finances : ce texte correspond à un engagement que le Gouvernement avait pris devant vous l'été dernier : celui de compléter la réforme de l'assurance maladie. Fruit de consultations approfondies avec les commissions des lois, des affaires sociales et des finances des deux assemblées, il s'inspire largement des travaux de parlementaires, en particulier de Yves Bur. Je regrette que vous analysiez un texte aussi important avec un esprit quelque peu partisan, et que votre mémoire se montre aussi sélective.

Sur le fond, vous déplorez la timidité du texte en matière de compensation des charges. Or vous savez parfaitement que les contrats d'avenir prennent la suite des contrats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé - dont rien n'interdisait aux gouvernements précédents d'en compenser les coûts.

Par ailleurs, je m'explique mal que vous nous reprochiez de manquer de rigueur quand les socialistes ont organisé le détournement massif des recettes de la sécurité sociale, au travers du FOREC, pour financer les 35 heures.

Quant aux prévisions de l'ACOSS, la note de cet organisme souligne qu'il est méthodologiquement et conceptuellement impossible de déduire de prévisions de trésorerie infra-annuelles des prévisions d'exécution des dépenses ou des prévisions relatives au respect des objectifs de dépense figurant dans les lois de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Marie Le Guen - Il le faut bien pourtant !

M. le Secrétaire d'Etat - Certes, la prévision de tirage pour le second trimestre est élevée mais vous omettez de mentionner que l'ACOSS a confirmé le ralentissement des dépenses d'assurance maladie au premier trimestre. Plutôt que de nous perdre en arguties sur les prévisions de trésorerie, étudions donc les résultats ! Cette hausse, au cours des trois premiers mois, n'a été que de 3,8 %. Malgré les épidémies en février, les soins de ville ont augmenté de 1,7 % et les honoraires de 0,2 % seulement, cependant que se confirmait la baisse des indemnités journalières : moins 3,2%.

Pour le reste, Monsieur le Guen, je vous donne rendez-vous en fin d'année. Nous tiendrons notre objectif de 8 milliards d'euros pour ce qui est du déficit.

Ce qui est le plus important, c'est que l'évolution des comportements est en marche : diminution des indemnités journalières - autrefois de plus 9 à 13 % par an, aujourd'hui de moins 5 à moins 3,8 % - ; diminution de la consommation d'antibiotiques que l'on disait impossible en France - 19 % de baisse ! - ; progression de la part des génériques, qui représentent aujourd'hui une boîte sur huit contre une sur treize hier.

Sur le respect de l'ONDAM entre 1998 et 2001, votre Gouvernement est loin d'avoir mené une politique de maîtrise des dépenses sociales...

M. Jean-Marie Le Guen - Si !

M. le Secrétaire d'Etat - Ce sont des résultats en trompe l'œil. Vous avez utilisé des recettes supplémentaires, purement conjoncturelles, pour financer des dépenses pérennes...

M. Jean-Marie Le Guen - Nous avons créé deux millions d'emplois !

M. le Secrétaire d'Etat - Pour éviter de telles pratiques à l'avenir, nous avons introduit une dimension pluriannuelle, afin que le Parlement puisse contrôler la crédibilité de l'ONDAM. 

Ensuite, à mon grand étonnement, vous avez repris à votre compte la vieille lune de « l'étatisation de la sécurité sociale » quand la réforme de l'assurance maladie a reposé sur une association étroite avec les partenaires sociaux et que le texte qui vous est soumis aujourd'hui ne menace en rien la gestion paritaire du système.

M. Jean-Marie Le Guen - Vous ne pouvez dire cela !

M. le Secrétaire d'Etat - Nous avons pris l'habitude, perdue par les ministres de la santé de l'ancienne majorité, de dialoguer avec les partenaires sociaux. Avec M. Douste-Blazy, nous pensons que prendre le temps de la concertation signifie gagner du temps.

D'autre part, vous avez affirmé que voter un solde serait dépourvu de signification dès lors que ce solde n'est pas soumis à un mécanisme automatique de rééquilibrage. Cependant, cette disposition constitue une avancée. Désormais, dépenses et recettes peuvent être rapprochées afin de mieux apprécier l'équilibre des comptes. Pour ma part, je préfère la clarté au nébuleux. Quant au mécanisme de rééquilibrage, pouvez-vous vraiment en regretter l'absence lorsque vous vous dites hostile à la maîtrise comptable ?

Pour conclure votre intervention, vous avez évoqué le financement des hôpitaux. Par rapport à l'an dernier, deux milliards d'euros supplémentaires seront alloués aux établissements en 2005. Les mesures salariales seront financées par des crédits complémentaires, par abondement des budgets des établissements. Quant au passage à la tarification à l'activité, il comporte deux modifications introduites suite aux requêtes des gestionnaires d'établissements : la nécessité de prévoir la part des recettes liées à l'activité - auparavant le montant de la dotation globale était fixé de manière forfaitaire pour toute l'année -, et la réduction du périmètre des dépenses prises en compte. La comparaison des budgets 2004 et 2005 n'est pas pertinente car sont désormais suivies les seules dépenses à la charge de l'assurance maladie. En outre, la création d'une dotation spécifique pour financer les missions d'intérêt général, l'augmentation des forfaits urgences, le remboursement des prothèses orthopédiques a conduit à restreindre la base de calcul de ces tarifs sans pour autant diminuer les ressources des hôpitaux. En effet, de nouvelles formes de financement permettront de garantir la pérennité des missions de service public de l'hôpital : nous savons que l'enseignement, la recherche, l'innovation ou encore les urgences répondent à d'autres logiques que la tarification à l'activité. Ce Gouvernement est un militant de l'hôpital public !

Avec cette loi organique, vous contribuez à soutenir et à consolider notre régime de protection sociale : je pense l'avoir démontré à tous ceux qui auraient pu être abusés par les propos de M. Le Guen ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

SAISINE D'UNE COMMISSION POUR AVIS

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a décidé de se saisir pour avis des articles 15 à 20 du projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.

Prochaine séance, ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ERRATUM

au compte rendu analytique de la 1ère séance du mardi 3 mai 2005

Page 24, il convient d'insérer la réponse du ministre à la question de M. Yves Simon sur l'aménagement de la route Centre Europe Atlantique dans l'Allier :

M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Vous proposez de mettre en concession la RCEA entre la RN7 au sud de Moulins et l'autoroute A6, et ainsi de concentrer les efforts budgétaires sur la partie de cette voie située entre la Creuse et la RN7. Une telle étude de mise en concession d'une partie de la RCEA, conduite il y a une dizaine d'années, a mis en évidence plusieurs difficultés. Elles tenaient aux difficultés d'implantation de barrières de péage à chaque échangeur ou encore à la nécessité d'une nouvelle déclaration d'utilité publique mentionnant explicitement la concession. Aujourd'hui, s'y ajouterait celle du financement avec probablement des apports publics si une subvention d'équilibre est nécessaire, et tel semble bien être le cas.

Pour autant, compte tenu de la nature particulière de cette opération, Gilles de Robien ne s'est pas opposé, au contraire, à ce que cette étude de faisabilité soit actualisée. Il nous faut en effet être éclairés sur toutes les possibilités. Aussi, je vous le confirme, la direction des routes a-t-elle été saisie de ce dossier. Il conviendra de tenir compte des calendriers prévisionnels des opérations déjà financées et d'apprécier l'intérêt véritable d'une telle mise en concession. Nous proposons d'ailleurs que l'examen soit élargi à la section A71-A6.

Nous comprenons les fortes attentes que suscite l'axe Centre-Europe-Atlantique. D'importantes opérations ont d'ores et déjà été réalisées avec une section de 64 km à 2X2 voies, déjà ouverte à la circulation entre l'A 20 et Guéret, et de premiers créneaux de dépassement dans l'Allier. Des travaux sont par ailleurs en cours entre Guéret et Gouzon, entre Montluçon et la Creuse, entre Charolles et La Fourche et entre Givry et Cocloye, non loin de Châlon-sur-Saône. Ils permettront de livrer dans les tout prochains mois de nouvelles sections.

Enfin, cet axe va bénéficier, dès cette année, d'une intervention particulière de l'Agence de financement des infrastructures de transport. Le préfet du Limousin négocie actuellement le plan de financement de la section creusoise de la RCEA entre Gouzon et l'Allier, en tenant compte de l'apport de l'Agence. Il permettra d'achever le financement de la partie de cet axe comprise entre les autoroutes A20 et A71. Dès 2006, une nouvelle section sera financée par l'AFITF, notamment la branche sud de la RCEA, où l'insécurité est encore forte.

Indépendamment de l'idée d'une concession, le Gouvernement fait donc tout ce qu'il peut pour accélérer l'aménagement de la RCEA, qui est et demeure un de ses programmes routiers prioritaires.


© Assemblée nationale