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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 101ème jour de séance, 241ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 28 JUIN 2005

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE
      DES MESURES D'URGENCE POUR L'EMPLOI (suite) 2

      QUESTION PRÉALABLE 2

      ODRE DU JOUR DU MERCREDI 29 JUIN 2005 20

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

HABILITATION À PRENDRE PAR ORDONNANCE DES MESURES D'URGENCE
POUR L'EMPLOI (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée.

M. Alain Bocquet - Ce recours aux ordonnances, qui permet à quelques dirigeants de dicter leur loi au pays, à l'abri du contrôle et de l'initiative parlementaires, confirme votre choix d'une fuite en avant dans le démantèlement des atouts économiques, industriels et sociaux de la France. M. de Villepin a lancé le compte à rebours des cent jours - il en reste soixante-dix - et adopté l'arrogance et la brutalité de ceux qui prétendent avoir raison contre le peuple.

Malgré les camouflets électoraux et le développement des luttes sociales, vous persistez dans des réformes libérales contraires aux attentes de la grande majorité de nos concitoyens. Il est vrai que le régime présidentialiste de la Ve République, cette monarchie républicaine, vous offre un cadre idéal pour pérenniser ces orientations. Droit dans les bottes de la Constitution de 1958, vous refusez d'entendre le désaveu des urnes, et ne tirez aucune leçon de la victoire du non au référendum du 29 mai dernier.

Le récent sommet des chefs d'Etats et de gouvernements européens a confirmé le refus du Président de la République de respecter le verdict populaire, lui qui s'est associé à la décision du Conseil européen de poursuivre le processus de ratification et qui partage le choix de l'ensemble des dirigeants européens de cacher la vérité aux peuples qui ne se sont pas prononcés à ce jour, à savoir que ce texte ultra-libéral est mort à la suite des votes français et hollandais, et qu'il faut désormais l'enterrer.

Puisque ce sommet souhaite engager une réflexion commune pour tenir compte des « inquiétudes et préoccupations », passons à l'acte et engageons un vrai débat citoyen, transparent et public, tant une remise à plat s'impose après le sommet des 16 et 17 juin, sommet fiasco, indigne et révoltant au regard des 22 millions de chômeurs européens et des 68 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Quant à la crise budgétaire que cette réunion des chefs d'Etats et de gouvernements entérine, elle n'est pas une surprise et résulte du choix de quelques-uns des pays les plus riches de geler le budget européen pour la période 2007-2013. Là encore, il est urgent de sortir l'Europe de la crise où l'enfonce l'ultralibéralisme, et de la sortir par le haut, par les peuples.

La crise politique et institutionnelle est donc profonde. L'attitude de votre gouvernement et de sa majorité, retranché dans sa forteresse réglementaire et hermétique aux appels au changement de cap, en témoigne. Car qu'est-ce que ce contrat hybride que vous nous proposez, sinon un recul pour les prétendants à l'embauche ? Une fois mis en œuvre, le licenciement pourra être abusif, sans pouvoir être contesté, sans compter qu'il ne donnera droit à aucune indemnités. Ce n'est ni plus ni moins qu'un chèque en blanc que vous nous demandez, pour satisfaire les desideratas du patronat ! L'impréparation et le flou qui entourent cette mesure ne nous autorisent pas à vous accordez une confiance aveugle, surtout au vu de votre bilan calamiteux : 200 000 chômeurs supplémentaires, démantèlement des 35 heures, suppression d'un jour férié, réforme du dialogue social, multiplication des contrats aidés, avec quelques ovnis comme le RMA, et demain le contrat nouvel embauche !

A l'origine, le Premier ministre avait demandé au ministre de l'emploi de travailler sur l'embauche dans les très petites entreprises, celles de moins de dix salariés. Mais le curseur a été placé plus haut : en étendant votre nouveau contrat aux entreprises de vingt salariés, la France comptera bientôt cinq à six millions de salariés jetables et corvéables à merci !

Et, encore, quel sera le nombre maximal de contrats signés par entreprise ? Un préavis sera-t-il obligatoire en cas de rupture du contrat ? Faudra-t-il motiver la rupture, et à combien se monteront les indemnités ? Quel sera le niveau du revenu de remplacement et des indemnités de chômage ? Qu'autant de questions restent sans réponse n'est pas sérieux ! La seule chose certaine est que le Gouvernement prescrit la précarité sur ordonnance - lesquelles ordonnances permettront au baron Seillière d'attaquer son mandat européen avec un magnifique bilan !

Le titre spécial de paiement pour l'embauche de salariés dans les très petites entreprises est de la même veine : c'est le retour du travail journalier, du travail à la tâche. A croire que les droits des salariés sont incompatibles avec le droit à l'emploi ! Vous prétendez que l'assouplissement du marché du travail est nécessaire, mais la vérité est que la précarité n'a déjà que trop augmenté. Le nombre d'intérimaires est passé de 113 000 en 1983 à 471 000 en 2003, les emplois aidés ont augmenté de 128 % sur la même période. Le nombre de contrats à durée déterminée a été multiplié par six en dix ans. Le chômage s'en est-il trouvé réduit ? Assurément non ! Mais vous poursuivez votre entreprise de casse du code du travail. Le lissage des seuils d'effectifs dans l'entreprise va autoriser l'employeur à s'affranchir de ses responsabilités en matière de représentation du personnel, de procédure de licenciement collectif ou de négociation sur l'intéressement ou les salaires par exemple. L'emploi ni la démocratie dans l'entreprise n'en sortiront gagnants, mais le patronat, si.

Il est donc temps de rénover notre droit fondamental, de mettre fin à cette hégémonie d'un exécutif qui réduit l'Assemblée nationale à une chambre d'enregistrement. Il est temps d'en finir avec la toute-puissance d'un président imperator, renforcé par le quinquennat et par l'inversion du calendrier électoral au détriment de la désignation par le peuple de ses représentants. Il est urgent de rompre avec un bipartisme d'alternance sans alternative qui atrophie le débat public, nourrit l'abstention et fait le lit des courants réactionnaires et démagogiques. Nous entendons œuvrer à une République rénovée, moderne et démocratique. Les transformations à réaliser ne manquent pas : amélioration de la représentativité grâce à la proportionnelle, revalorisation des capacités d'expertise, de contrôle et d'initiative du Parlement, création d'un statut de l'élu favorisant l'accès de tous aux responsabilités publiques, renforcement de la participation citoyenne dans le domaine syndical, associatif ou politique...

Vous préférez user du fait du prince, tourner le dos à l'intérêt général au seul profit des privilégiés, boursicoteurs ou spéculateurs de haut vol, qui accaparent les richesses créées par le travail d`autrui. C`est ce à quoi tendent vos ordonnances, sous le label fallacieux de plan d'urgence pour l'emploi. Pour l'essentiel, il s'agit, dans la continuité de l'action menée depuis trois ans, de vider le code du travail des protections qu'il offre aux salariés et de tirer vers le bas la qualité des emplois tout en assurant au patronat une main-d'œuvre bon marché par les allégements de cotisations et la multiplication des jobs mal rémunérés - autant de recettes qui sont peu ou prou appliquées depuis vingt ans sans parvenir à résorber le chômage de masse et les inégalités sociales. Les deux millions et demi de demandeurs d'emploi officiels ne sont qu'une partie des quinze à vingt millions de Français qui connaissent des conditions de vie difficiles.

Peut-on raisonnablement accroître encore l'appauvrissement et l'insécurité parmi tous ceux que le capitalisme condamne à vendre leur force de travail et de création pour vivre ? Non, mais pour la majorité UMP-UMP, qui, depuis longtemps, a embrassé le libéralisme pur et dur, la raison se plie aux exigences des marchés financiers. Elle se soumet à la loi de l'argent, qui exige des taux de rentabilité des capitaux de 15 %. Rien de moderne ni d'inédit en cela : Jack London dénonçait déjà cette abjection. C'est le vieil adage des hommes d'affaire sur le travail : il faut en tirer le maximum ! Aujourd'hui comme aux premiers temps des fabriques, vous n'avez aucun scrupule à utiliser le chantage au chômage élevé pour mettre les salariés en concurrence. Vous les contraignez sans état d'âme à accepter de nouvelles dégradations de leur statut et de leur rémunération. C'est l'objectif essentiel des ordonnances, et en tout premier lieu du contrat nouvel embauche, qui consacre les emplois kleenex. En instaurant une période d'essai de deux ans, juridiquement contestable, même rebaptisée en procédure simplifiée de licenciement, votre gouvernement fait coup double : il permet de licencier un salarié du jour au lendemain, quasiment sans contrainte, et il institutionnalise le contournement du contrat à durée indéterminée pour la plus grande satisfaction du Medef. En réalité, vous ne nous demandez ni plus ni moins qu'un chèque en blanc pour satisfaire les volontés du patronat. L'impréparation et le flou qui entourent ces mesures ne nous autorisent pas à vous accorder notre confiance.

Vous assurez que tout n'a pas été essayé contre le chômage. Votre Gouvernement chausse les lunettes du baron Seillière et lorgne vers d'autres modèles.

M. Michel Piron - Encore lui ?

M. Guy Geoffroy - Il nous manquait !

M. Alain Bocquet - On nous vante les mérites de la flex-sécurité à la danoise, de la rotation accélérée des emplois. C'est oublier un peu vite que l'indemnisation du chômage est beaucoup plus généreuse au Danemark qu'en France, que les deux pays consacrent respectivement 5 et 3 % de leur PIB aux dépenses pour l'emploi et qu'on compte respectivement 17 et 8 agents de la fonction publique pour 100 000 habitants ! Un écart qui ne vous empêche pas d'annoncer plus de 5 000 suppressions de poste dans le fonction publique en 2006, après les 7 000 de 2005...

M. Gilbert Biessy - Surtout dans l'éducation nationale !

M. le Président - Monsieur Biessy, n'interrompez pas votre président de groupe !

M. Alain Bocquet - Enfin, Bernard Gazier, spécialiste de la mobilité sur les marchés du travail, qualifie l'option danoise de « machine à trier » en fonction de la productivité ! Malheur aux moins performants...

En fait, vous puisez votre inspiration dans la veine libérale anglo-saxonne. La meilleure croissance et le faible taux chômage du Royaume-Uni et des Etats-Unis seraient la conséquence d'un plus grande flexibilité dans l'utilisation de la main-d'œuvre. Outre que cela reste à démontrer, cette interprétation, limitée à deux seuls indicateurs, donne une vision tronquée de la réalité. Le new deal de Tony Blair a conduit à transférer des centaines de milliers de personnes du statut de chômeur à celui d'inactif : un million de personnes ont été reclassées dans la catégorie longue maladie ces dernières années ! Et, pour tenter d'enrayer la dégradation des services publics britanniques, Tony Blair, même si cela reste insuffisant, a dû créer 500 000 emplois publics depuis 1998 ! Nos collègues de l'UMP oublient bien de le rappeler... Surtout, exploiter la population à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions entraîne un coût social et des souffrances que ne reflètent pas les courbes du chômage. Outre-manche, les semaines moyennes sont de 44 heures et le nombre d'enfants pauvres chez M. Blair est, à trois millions, trois fois plus élevé que chez nous ! Aux Etats-Unis, la protection sociale garantie est squelettique. Le régime de retraite de base ne dépasse jamais 37 % du dernier salaire. Vingt millions d'Américains sont cantonnés dans des sous-smic par une prime que l'Etat verse au travailleurs pour que le patronat puisse disposer d'une main-d'œuvre mal payée ! C'est évidemment le rêve secret du Medef, et c'est le chemin que vous empruntez.

Les mesures incitatives que vous préconisez s'inscrivent dans le même registre, dans le droit fil de la prime pour l'emploi. On subventionne indirectement les employeurs, on réduit la rémunération du travail, on favorise le développement des bas salaires. Comment peut-on affirmer ensuite que c'est par l'essor d'un salariat hautement qualifié que la France tirera son épingle du jeu de la mondialisation ? Le plus probable est que ces mesures seront inefficaces contre le chômage, et créeront surtout des effets d'aubaine et de substitution, tout comme les nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales que devra supporter le contribuable. En dix ans ces exonérations ont déjà décuplé pour atteindre 17 milliards d'euros en 2005, avec l'absence de résultats que l'on connaît sur la croissance et l'emploi.

Votre ministre de l'économie, téléguidé par le pacte de stabilité et les diktats de la Banque centrale européenne, n'en affirme pas moins que la France vit au-dessus de ses moyens. Quel mépris pour nos concitoyens ! S'il faut un « nettoyage » aujourd'hui, c'est bien dans les hautes sphères de la finance et des profits boursiers, où l'on peut dormir comme le PDG de l'Oréal sur des dizaines de millions d'euros de stock-options, ou partir en retraite, toute honte bue, avec l'équivalent de 2 800 années de SMIC, comme un PDG déficient de Carrefour ! D'un an sur l'autre les seuls salaires des grands patrons du CAC 40 ont fait un bond de 10 %, et leur rémunération brute moyenne s'établit à 2,2 millions d'euros en 2004... La voilà, la France qui vit au-dessus de ses moyens, dans un luxe et un cynisme insolents, quand l'immense majorité accumule difficultés et désillusions, et que plus d'un Français sur deux éprouve quotidiennement un profond sentiment d'insécurité sociale, et redoute de tomber dans l'exclusion. N'est-ce pas d'ailleurs le signe de la décadence d'une société quand les jeunes générations vivent globalement moins bien que celles qui les ont précédées ?

Voyez l'appel lancé il y a un mois par les quarante associations du collectif Alerte et par cinq confédérations syndicales. « Notre société, déclarent-elles, a tendance à gérer l'exclusion au lieu de travailler sans relâche à l'éradiquer et à la prévenir »... On ne croit plus au vivre ensemble, constatent les sociologues. Comment en serait-il autrement quand 3,5 millions de nos concitoyens, c'est-à-dire 6 % de la population, survivent en dessous du seuil de pauvreté ; quand 4,7 millions dépendent de la CMU ; quand un millions de personnes au moins sont au RMI ; quand un chômeur sur deux n'est pas indemnisé ; quand un million de Français attendent un logement social, cependant que trois millions sont mal logés ? Comment en serait-il autrement quand tous subissent l'effet cumulé des hausses : 3,1 % pour les loyers, 3,5 % pour l'eau et les services liés ; 14,1 % pour le gazole ; 12,7 % pour le super ; 5,5 % pour l'assurance habitat ; 3,9 % pour les complémentaires santé ; 20,8 % pour le fioul domestique ; 16 % pour le gaz, dont la hausse est de 47 % depuis 2000 ? Comment en serait-il autrement enfin quand menace une décision de dévalorisation de la rémunération du livret A, après la baisse imposée par M. Raffarin en 2003 ? Pour l'immense majorité des 46 millions de détenteurs de ce livret, il est le moyen de boucler les fins de mois difficiles ou de combler un découvert ; souvent il est aussi, pour les interdits bancaires, la seule façon de posséder un compte. Allez-vous préserver son intérêt déjà maigre, tout juste apte à compenser l'érosion monétaire, et préserver aussi les Codevi, le Livret Jeune et le Livret d'épargne populaire ?

En fait, lorsque votre ministre de l'Economie dénonce une France au-dessus de ses moyens, il oublie toutes les largesses publiques dilapidées stérilement, et fait abstraction des 57 milliards d'euros de bénéfices nets réalisés en 2004 par les grands groupes du CAC 40, en progression de 64 % sur 2003. Les actionnaires, en particulier les fonds anglo-saxons qui possèdent près de la moitié du capital de ces quarante multinationales, voient leurs gains progresser de 36,8 % avec 22 milliards d'euros reversés en dividendes. La plupart des groupes ont prévu en outre de consacrer une part de ces gains à des opérations de rachat d'actions destinées à soutenir leur cours en Bourse.

On le voit : notre pays ne manque ni de ressources, ni de richesses. Mais elles ne servent pas suffisamment les salaires, la formation, la recherche-développement et les investissements productifs. Elles gonflent surtout les actifs financiers. En France, 41 % de la valeur ajoutée créée est dédiée à la rémunération des capitaux propres, c'est-à-dire aux actionnaires. C'est douze points de plus qu'en 1980 et six points de plus que la moyenne actuelle des pays de l'OCDE. Cet accaparement de la richesse interdit à notre économie les dépenses qui pourraient soutenir la consommation, revigorer la croissance et favoriser les créations d'emplois, qui n'ont connu aucune progression en 2004.

C'est d'abord par la relance des salaires que l'on luttera contre le chômage. Actuellement, 29 % des salariés perçoivent un salaire inférieur à 1,3 fois le SMIC, soit à peine 1 100 euros. C'est humainement et économiquement insoutenable.

Récemment, M. Jean-François Lemoult, directeur de l'entreprise d'insertion ALPEJ, déclarait dans la presse que le Gouvernement ne pourrait relancer l'emploi sans valoriser les salaires et les retraites. Son entreprise, qui emploie des jeunes de 18 à 25 ans sur des chantiers et des espaces verts, est pénalisée par le manque de solvabilité des Français ; ainsi les retraités, explique-t-il, très demandeurs de services en espaces verts, ont un revenu parfois inférieur à 600 euros, et ne peuvent se permettre une prestation de service de 40 euros. Et de conclure : « Il faut rémunérer le travail à sa juste valeur ! » Vous n'y répondez pas.

Nous proposons la tenue d'un Grenelle sur les salaires pour contraindre le grand patronat à réinjecter le fruit du travail dans le pouvoir d'achat des ménages. Le Gouvernement doit aussi agir directement en décidant dès maintenant un relèvement significatif du SMIC et des minima sociaux, et en accordant les augmentations qu'attendent toujours les fonctionnaires, dont le traitement de base a perdu 5 % de pouvoir d'achat depuis 2000.

Et vous ne pouvez pas brandir l'épouvantail de la compétitivité pour fuir le débat ! Une étude de l'INSEE souligne que le coût annuel moyen d'un salarié, en 2000, était de 37 941 € en France, contre 45 664 € en Allemagne, y compris les nouveaux Länder, soit un écart de 20,4 %. En décembre 2004, l'INSEE encore relève que « sous l'effet des gains de productivité, le taux de marge des entreprises non financières a augmenté entre le troisième trimestre de 2003 et le deuxième de 2004, retrouvant un niveau de 40,1 % proche de celui des années 2000-2001 ». De toute évidence, le capital se porte bien quand le monde du travail se serre la ceinture...

Vous prétendez leurrer une fois de plus nos concitoyens, mais ils savent qu'il n'y aura pas d'amélioration durable de la situation de l'emploi si l'on ne s'attaque pas à la logique des marchés financiers, qui imposent des obligations de rendement toujours plus exorbitantes, et au comportement prédateur des grands groupes.

En ce domaine, Monsieur le Premier ministre, rien ou presque n'a été tenté, ou presque. Le Gouvernement fait mine de se préoccuper en priorité du sort des PME. Pourtant les mesures du projet Jacob-Dutreil, qui vient d'être débattu au Sénat, réfutent cette prétention. Sous couvert d'assurer la pérennité des PME, ce texte ne rompt pas avec une logique qui encourage surtout les acteurs économiques les plus forts et écrase les plus vulnérables. Votre projet fait l'impasse sur les difficultés réelles liées à la stagnation de l'activité économique. Il ne préconise aucune mesure forte pour alléger les charges financières des PME-PMI, dont vous permettez qu'elles restent soumises par les banques, à des taux d'intérêt de 6 à 8 % quand les grands groupes obtiennent 2 %. Pour aider vraiment les PME, il faudrait mettre en place un crédit sélectif à taux réduit en échange de la création d'emplois, et moduler en fonction de cette dernière la taxe professionnelle.

Par ailleurs - et je vous ai alerté à ce sujet, évoquant la situation d'entreprises de l'agro-alimentaire du Nord-Pas-de-Calais - les dispositions qui viennent d'être adoptées sur la pratique des « marges arrières », utilisée par la grande distribution pour contourner la loi Galland, ne protégeront pas les PME des pressions par lesquelles on leur impose des baisses de prix intenables. Tout cela ne servira donc ni le dynamisme économique, ni l'emploi. Et votre choix d'entériner dans ce même texte, deux amendements de sénateurs UMP qui légalisent et imposent le travail dominical, le travail de nuit et des jours fériés, aux apprentis de moins de 18 ans...

M. Richard Mallié - Nous sommes au XXIe siècle !

M. Alain Bocquet - ...poursuit le même but : déréglementation et ultralibéralisme à tout crin. En vous référant aux PME, vous voulez donner l'illusion d'encourager leur contribution indispensable à la création d'emplois. Mais votre démarche fait fi des relations de subordination et de dépendance que leur imposent aujourd'hui les groupes. Un salarié de PME sur deux travaille dans une entreprise contrôlée par un groupe, et une proportion croissante de PME est mise sous tutelle. En France, le nombre de filiales des principaux groupes, ceux de plus de 10 000 salariés, est passé de 3 000 en 1980 à 10 300 en 1995. Pour mieux appréhender ce double mouvement de déconcentration productive et de concentration du pouvoir de décision, je vous renvoie une fois de plus à l'INSEE et l'instructive étude parue récemment dans « Economie et statistique », ainsi qu'au rapport de mon ami Daniel Paul, adopté en 1999 par cette assemblée. Les groupes, qui disposent pourtant d'énormes capacités d'autofinancement, drainent 90 % des financements aux entreprises quand les entreprises indépendantes n'en mobilisent que 10 %. C'est ce problème qui bride nos PME, bien davantage que les questions de réglementation et de coût du travail.

Le résultat de la suprématie des groupes sur notre économie est désastreux pour l'emploi. En quinze ans, de 1985 à 2000, les grands groupes ont détruit 550 000 emplois en interne, y compris dans des secteurs de pointe ou liés aux nouvelles technologies comme chez IBM. Le maintien de leurs effectifs globaux est surtout le fait d'acquisitions. Ils refusent tout risque, n'investissent plus pour créer et se contentent souvent de faire main basse sur des entreprises et des PME déjà performantes.

Quant à celles dont ils se séparent, leur parcours devient chaotique : sur la même période, elles ont perdu 300 000 emplois.

Ce déséquilibre est d'autant moins supportable que les stratégies à court terme du grand patronat et des gouvernants qui marchent dans ses pas ont conduit à des gâchis économiques et sociaux irrémédiables. La liquidation de la sidérurgie française en est un exemple : j'entends encore M. Barre et le vicomte Davignon prétexter qu'il y avait trop d'acier dans le monde et que nos productions étaient trop chères ; aujourd'hui, on manque d'acier dans le monde, et son prix a fait un bond de 40 % ! Et tout cela parce qu'à l'époque, on a cherché à maximiser les profits à cour terme.

M. Claude Gaillard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - En 1984, c'est la gauche qui était au pouvoir...

M. Alain Bocquet - Cela s'est passé en 1979.

Les députés communistes et républicains ont demandé une commission d'enquête parlementaire sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d'acier en France et en Europe.

Le groupe Total illustre lui aussi les dérives du capitalisme financier. Quatrième groupe pétrolier mondial, il a réalisé en 2004 un bénéfice net de 9 milliards ; pour le seul premier trimestre de cette année, les profits atteignent 2,9 milliards. En 2004, la rémunération des actionnaires a augmenté de 15 % : les salariés n'ont pas connu la même hausse sur leurs feuilles de paie ! Et Total dépense depuis quatre ans dix millions par jour en rachat d'actions, mais ne consacrera qu'un milliard supplémentaire à ses investissements en 2005.

Pendant que la finance gonfle la finance, le groupe mène une politique d'emploi mortifère pour les territoires. Il a annoncé la suppression de près de 600 emplois dans sa filiale chimique Arkema, ce qui en fera disparaître près de 3 000 du fait de l'impact sur la sous-traitance. Il abandonne également l'un des sites historiques de Elf, le bassin de Lacq.

Là encore, les députés communistes ont demandé une commission d'enquête, pour faire la lumière sur la stratégie de Total et l'utilisation de ses capacités financières.

Il est urgent de s'engager sur d'autres voies que les destructions de capacités de production et d'emplois. L'amélioration de la compétitivité de nos entreprises ne passe pas par la baisse du coût du travail, mais par le relèvement des niveaux de formation et le renforcement des pôles technologiques et industriels.

Il convient également de renforcer et moderniser le secteur public. En laissant le pouvoir financier prendre le contrôle des banques ou de grandes entreprises comme Aérospatiale, Air France, la SNECMA, Bull, France Télécom ou Gaz de France, l'Etat se prive de moyens pour conduire une stratégie de développement audacieuse. Il faut mettre fin à la casse et dresser un bilan des libéralisations, cessions d'actifs, ouvertures de capital et changements de statut d'entreprises qui ont été décidés ces dernières années. Une politique crédible de soutien à l'emploi passe nécessairement par le développement de sociétés comme la SNCF, la Poste, EDF, GDF, France Télécom, ainsi que de la recherche, de l'école, de l'hôpital public... Hôpital public qui manque cruellement de personnels au moment où l'on craint les effets d'une canicule. Dans le domaine ferroviaire, il serait indispensable de mener une politique d'investissement résolue en faveur du ferroutage, des transports combinés et d'une réalisation accélérée de la liaison Lyon-Turin. Il faudrait, comme l'avait recommandé en 2000 la commission de la production, alors présidée par mon ami André Lajoinie, lancer un grand emprunt européen pour réaliser en Europe un réseau de ferroutage efficace. Quel gisement d'emplois que ce grand chantier d'avenir au service du développement durable !

Au lieu de cela, votre attitude vis-à-vis de l'ensemble du secteur public et la rigueur budgétaire que vous imposez à la France au nom du pacte de stabilité nous font redouter le pire pour le dynamisme de notre économie et pour l'emploi.

Agir pour l'emploi, c'est doter les collectivités territoriales des moyens nécessaires pour assurer leurs missions et développer leurs équipements. C'est particulièrement vrai dans le secteur de la construction et du logement, qui traverse une crise historique.

Les députés communistes et républicains vous demandent de renverser la vapeur.

M. Richard Mallié - Communistes, oui, républicains, non !

M. Alain Bocquet - Je vous prie de retirer cela ! Des députés communistes ont été fusillés pour avoir défendu la France !

M. Richard Mallié - Je n'ai jamais dit le contraire !

M. Alain Bocquet - Je demanderai un fait personnel.

M. Maxime Gremetz - Ce sont des propos odieux ! Le général de Gaulle ne parlait pas comme cela...

M. Alain Bocquet - La constitution d'un pôle financier public regroupant la Caisse des dépôts, la Poste et les caisses d'épargne permettrait de soutenir les investissements ayant un impact positif sur l'emploi et l'aménagement des territoires. Une réforme des cotisations patronales serait par ailleurs nécessaire pour tenir davantage compte de la politique d'emploi des entreprises : il n'est pas tolérable que l'assurance chômage pèse autant sur les PME alors que ce sont surtout les grands groupes qui licencient.

Quant aux salariés, il convient de renforcer leurs droits à défendre l'emploi.

Nous proposons d'améliorer leur droit à intervenir dans la gestion des entreprises en instaurant un recours suspensif en cas de délocalisation ou de restructuration, avec la possibilité de faire contrôler le fondement économique de l'opération et de proposer d'autres solutions.

M. Maxime Gremetz - Très bien !

M. Alain Bocquet - Le rapport Arthuis, publié, curieusement, quelques semaines après le référendum, confirme qu'il faut être vigilant. Il y a huit mois, l'actuel président de l'UMP, alors ministre de l'économie, stigmatisait ces élites qui encourageaient notre pays à tirer les dividendes de la mondialisation. Ces dividendes, le rapport Arthuis, nous les présente : ce seront 202 000 emplois délocalisés entre 2006 et 2010 pour le secteur des services, et 13 500 emplois par an pour l'industrie.

La mondialisation capitaliste et l'Europe libérale ne font pas mystère de leurs objectifs, que vous vous faites un devoir de relayer dans notre pays. Le Premier ministre a annoncé qu'il cherchait un chemin. Mais c'est toujours le même chemin d'injustice et d'inégalités. Pour lutter contre le chômage, c'est la confiance du monde du travail qu'il faut restaurer avant celle des marchés financiers. Il faut donc s'engager résolument en faveur des salariés et des exclus, d'une sécurité emploi-formation, de la revalorisation des salaires et des retraites. Cela exige aussi une pratique démocratique dans et hors de l'entreprise, dans une République de progrès. Les députés communistes et républicains voteront résolument contre votre projet de loi d'habilitation anti-démocratique et anti-social qui sacrifie l'intérêt général aux appétits du Medef. C'est pourquoi ils opposent la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement - Je veux d'abord, Monsieur le président Bocquet, saluer une délégation d'un département qui nous est cher.

Je suis heureux que vous ayez, in fine, mentionné la question préalable, car tout ce qui précédait tenait plutôt de l'explication de vote des députés communistes et républicains sur le projet de loi d'habilitation. De question préalable il n'y a donc point, et je pourrais en rester là. Mais par courtoisie à votre égard, je reviens sur quelques points.

D'abord, je me permets de vous rappeler ce moment où Pierre Mauroy, Premier ministre, est allé à Denain, fin 1982, expliquer les fermetures dans la sidérurgie. C'est un gouvernement de gauche, que vous souteniez qui a fermé les mines - pour lesquelles il n'y avait guère d'autre solution - et aussi de grandes industries, qui posent plus problème. Or vous nous parlez de capitalisme financier comme s'il s'agissait d'un modèle économique, que vous refusez. Mais la vraie question est la suivante : Est-on pour l'économie de marché, et sinon que propose-t-on à la place ?

Il y a quelques modèles économiques et politiques possibles. Le troc, c'est déjà une économie marchande, sans monnaie. Il y a ensuite des théories qui refusent le marché, comme celle qui mettait en avant la dictature du prolétariat. Il y a aussi des régimes favorables à l'économie de marché - à l'extérieur en tout cas -, mais sans la démocratie. On les voit à l'œuvre dans la mondialisation. Sur certains continents, ces régimes adhèrent à l'OMC, et refusent à leurs propres travailleurs des droits et la protection sociale. Il y a peu, les Chinois sont venus étudier notre système d'assurance chômage, car ils veulent en mettre un en place. Derrière cette complexité de la mondialisation, distinguons simplement l'économie de marché débridée et l'économie sociale de marché, parmi d'autres modèles qui ne relèvent ni de l'un ni de l'autre. L'analyse de cette réalité est probablement notre principal point de divergence.

Quant à la situation de l'emploi, nous sommes élus d'une région, le Nord-Pas-de-Calais, qui a vécu l'effondrement d'une économie dominée par de grands entreprises d'Etat, qui ont fait des choix que vous n'avez d'ailleurs pas soutenus, et qui a connu un début de renaissance industrielle, grâce à des entreprises privées venues de très loin. Et aujourd'hui, alors que le Nord-Pas-de-Calais a accueilli l'agence ferroviaire européenne, nous nous battons ensemble pour en faire un pôle de compétitivité.

Pour en revenir rapidement au texte, le vrai sujet est le contrat nouvelles embauches. Je ne peux pas vous laisser dire qu'il ne comporte pas d'indemnité de rupture, qu'il est mal défini, et est sans préavis. Il porte sur tous les champs d'activité, mais est défini par la taille - entre 10 et 20 salariés, a laissé entendre le Premier ministre. Son champ correspond d'ailleurs parfaitement à celui de la directive 158 de 2002 de la Commission européenne.

M. Maxime Gremetz - On voit qu'on a bien fait de voter non !

M. le Ministre - Ce contrat est parfaitement au point sur le plan juridique par rapport aux normes françaises, celles de l'Europe ou celles de l'OIT.

Quant à l'indemnité de rupture, c'est celle qui est prévue dans tous les contrats, à ceci près que, pour la première fois, elle est payable avant la rupture du contrat et non après des mois de contentieux. C'est une protection majeure pour les salariés. Sur le préavis, le Premier ministre a été très clair.

Enfin, sur deux points le Gouvernement vous suit complètement. D'abord, la France a besoin de ce que les Etats-Unis ont mis en place avec le Small Business Act, c'est-à-dire d'un dispositif de soutien aux entreprises moyennes, essentielles pour l'équilibre des territoires, mais aussi pour les performances des grandes firmes. Ensuite, j'adhère à l'idée de la sécurité professionnelle emploi-formation. Il n'est de richesse que d'hommes, d'où l'importance de la gestion des ressources humaine. Mais de ce fait, pourquoi ne nous soutenez-vous pas quand nous mettons en place la convention de reclassement personnalisé au profit des salariés des entreprises de moins de 1 000 personnes ? Aidez-nous pour mettre en place les maisons de l'emploi qui appliqueront cette convention personnalisée et feront des bilans de compétences. Soutenez de même les contrats d'avenir, qui assurent une formation qui vaut mieux que l'isolement dans le RMI.

Je ne comprends pas davantage que vous ne nous suiviez pas sur le contrat nouvelles embauches : c'est le premier contrat qui prévoit dans les très petites entreprises et la convention de reclassement personnalisé et son financement. Je souhaite donc de tout cœur que vous souteniez notre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Alain Bocquet - Auparavant, je souhaite préciser que je demande un scrutin public sur le vote de la question préalable, ainsi que la vérification du quorum.

M. Maxime Gremetz - Quand puis-je prendre la parole pour un fait personnel ?

M. le Président - Vous êtes un parlementaire chevronné, Monsieur Gremetz, et vous connaissez fort bien le Règlement : pour les faits personnels, la parole n'est accordée qu'en fin de séance.

M. Maxime Gremetz - Il vaut toujours mieux vérifier...

Vous ne pouvez pas dire, Monsieur le ministre, que la question préalable excellemment défendue par le président Bocquet n'en était pas une. (Rires sur les bancs du groupe UMP) En effet, son propos n'était pas seulement une sévère critique du choix que vous faites... Il se sauve ! (M. Gremetz désigne M. Mallié) Après l'insulte, courage, fuyons !

M. Yves Bur - Arrêtez, Monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz - C'est M. Mallié qu'il faut arrêter !

Comment pouvez-vous nous parler d'urgence, alors que vous êtes aux affaires depuis trois ans ? Je pourrais faire du cinéma comme vous, Monsieur Borloo, mais je m'en garderai. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Avec tous les clignotants au rouge, un rouge qui n'est pas à notre goût, vous devriez tout de même vous poser des questions. Comment espérer obtenir de meilleurs résultats en poursuivant dans la même voie ? Puisque vous nous avez fait un cours d'économie politique, permettez-moi de vous dire que les vieilles recettes remises au goût du jour ne marchent plus. La précarité a été clairement rejetée par notre peuple, et ce à trois reprises. Je ne comprends pas que cela ne vous ait pas davantage fait réfléchir. Les 55 % de Français qui ont voté non le 29 mai ne vous ont-ils pas dit clairement qu'ils en avaient assez qu'on décide à leur place et qu'on les prenne pour des imbéciles ?

Il y a déni de démocratie quand on invoque l'urgence pour faire passer une réforme en force et empêcher le Parlement d'en discuter. Tout recours aux ordonnances, qu'il soit le fait de la droite ou de la gauche, est condamnable. Vos mauvais coups sont en gestation dans ce texte : nous allons donc défendre des amendements de suppression pour expliquer le contenu rétrograde de la politique que vous entendez poursuivre avec le Medef.

M. Jean-Marie Rolland - Nous avons écouté avec attention, et aussi avec patience, les arguments traditionnels de M. Bocquet. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Jacqueline Fraysse - Vos recettes aussi sont traditionnelles !

M. Jean-Marie Rolland - Ils ne se distinguent ni par leur sens de la nuance, ni par leur modernité. M. Bocquet a cité le modèle danois, mais il en a fait une présentation tronquée : certes, l'indemnisation du chômage est plus généreuse au Danemark qu`en France, mais il existe au Danemark un véritable contrôle de la recherche d'emploi, axé sur un retour rapide à l'activité et qui mobilise tous les acteurs du service public de l'emploi. C'est un système « gagnant-gagnant » dont nous pourrions nous inspirer avec profit.

M. Bocquet a également évoqué la nécessité de revaloriser les salaires. Je me permets de lui rappeler que c'est notre majorité qui a revalorisé le SMIC horaire de plus de 17 % en trois ans alors qu'il avait stagné quand M. Bocquet et ses collègues siégeaient dans la majorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Cette augmentation représente, faut-il le rappeler, l'équivalent d'un treizième mois.

M. Bocquet s'est peu attardé sur les conditions de mise en œuvre de l'article 38 de la Constitution, mais M. Gremetz l'a fait. La procédure des ordonnances est particulièrement encadrée ; elle a été utilisée par tous les gouvernements. 76 ordonnances ont été prises sous la précédente législature, dont certaines ont porté sur la durée du travail ou le régime des CDD.

La commission des affaires sociales a examiné ce projet de loi dans les règles. Si les représentants de l'opposition n'ont pas défendu les amendements qu'ils avaient déposés, les partenaires sociaux n'ont pas été tenus à l'écart de ce projet.

Compte tenu de la situation de l'emploi et du malaise social, que personne ne conteste, il y a urgence à agir. Le chômage n'est pas une fatalité. Les exemples de pays voisins nous montrent que les solutions existent. Le pragmatisme devrait donc l'emporter sur les querelles stériles. La loi d'habilitation a pour but de vaincre les blocages qui empêchent les entrepreneurs d'embaucher, mais aussi d'encourager les efforts de ceux qui reviennent vers l'emploi. Les mesures sont simples ; elles portent à la fois sur l'offre et sur la demande. Ne nous laissons donc pas aller à la caricature ou à la manipulation de la vérité !

Tous les rapports, y compris celui du cercle présidé par Jacques Delors, confirment que le durcissement de la réglementation initié par la gauche a encouragé un contournement de celle-ci. Ainsi constatons-nous une augmentation du nombre de licenciements pour motif personnel et une baisse de celui des licenciements pour motif économique. 70 % des recrutements s'opèrent aujourd'hui sous CDD ou contrat d'intérim. C'est pour répondre à cette situation que le Gouvernement nous propose de créer un nouveau type de contrat, à durée indéterminée, avec des possibilités de rupture, selon une procédure simplifiée, pendant deux ans. Il faut souligner qu'il apportera des garanties nouvelles - notamment celle d'une indemnisation du chômage - par rapport aux CDD ou aux contrats d'intérim, dont la durée est trop faible pour ouvrir des droits.

Ces mesures simples répondent aux préoccupations des entreprises et des salariés de notre pays. Le groupe UMP ne votera donc pas cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - C'est précisément dans le cadre de la discussion d'une loi d'habilitation qu'une question préalable se justifie. Le Gouvernement interprète mal les résultats du scrutin du 29 mai en voulant légiférer en urgence alors que nos concitoyens aspirent à plus de démocratie. C'est une décision grave et inopportune que de faire abstraction, en ce moment, des procédures habituelles .

En outre, la précipitation suscite parfois des rédactions malencontreuses. J'en veux pour preuve la page 41 du rapport où sous la rubrique « les effets pervers des seuils » figurent l'exercice des droits collectifs des salariés, l'obligation de produire divers documents, les prélèvements obligatoires, la gestion des heures supplémentaires et l'emploi de travailleurs handicapés.

M. André Chassaigne - C'est très fort.

M. Christian Paul - Scandaleux !

M. Alain Vidalies - Voilà ce que c'est que de travailler dans des conditions pareilles et d'ignorer le travail parlementaire ! Vous le comprendrez aisément : nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Leteurtre - J'ai écouté avec attention M. Bocquet. La procédure des ordonnances n'est certes pas satisfaisante et j'ai également été interpellé par ses propos sur la sidérurgie. Je suis député du Calvados où une usine Usinor Sacilor a été démontée et délocalisée en Chine : ce fut un gigantesque traumatisme pour toute la Basse Normandie. M. Mexandeau, alors, a eu beaucoup de mal à expliquer qu'il était solidaire de cette décision. Je suis également l'élu d'une ville où 700 employés travaillaient il y a cinq ans encore dans une usine Moulinex. L'usine a fermé il y a deux ans et une usine de plasturgie venue de la vallée d'Oyonnax lui a succédé. Elle vient de fermer, mais nous avons immédiatement trouvé un repreneur, l'argent des congés de conversion était utilisé pour la reprise. Or, le comité central de l'entreprise, à Oyonnax, a porté l'affaire aux prud'hommes en arguant d'une entente préalable, ce qui est faux. Ce genre de situation en témoigne : nous devons rapidement trouver des solutions face à des situations de plus en plus complexes. Nos concitoyens ressentent l'urgence qu'il y a à agir et se moquent des procédures.

M. Richard Mallié - En effet : ils veulent des actes.

M. Claude Leteurtre - Le Gouvernement a choisi la procédure des ordonnances : j'en prends acte, même si cela ne me convient guère, mais il sera jugé sur son action. Dans ces conditions, écoutons ses propositions et essayons de les améliorer. Le groupe UDF ne votera donc pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. le Président - Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public mais je suis également saisi par le président du groupe communiste et républicain d'une demande faite en application de l'article 61 du Règlement tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur la question préalable.

Je constate que le quorum n'est pas atteint. Conformément à l'alinéa 3 de l'article 61 du Règlement, le vote sur la question préalable est reporté à la reprise de la séance, qui aura lieu à 0 heure 10.

La séance, suspendue à 23 heures 10, est reprise à 0 heure 10.

A la majorité de 52 voix contre 18 sur 70 votants et 70 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. Guy Geoffroy - Au moment où s'engage la discussion générale, je voudrais revenir sur quelques points essentiels, tant en ce qui concerne la forme que le fond.

On entend d'abord dire que la procédure des ordonnances serait tout à fait indigne et que le Gouvernement qui y aurait recours aurait des choses à cacher, n'aurait pas bien fait son travail, voudrait priver le Parlement de ses droits fondamentaux. Il faut raison garder ! Quelques rappels permettront de calmer ces ardeurs. Les ordonnances ne datent en effet pas d'aujourd'hui : tous les gouvernements de la Ve République ou presque y ont eu recours, et ceux de gauche comme les autres.

Reportons-nous au débat du 8 décembre 1981 par exemple, très peu de temps après le séisme du 10 mai : je n'y étais pas, mais je m'en souviens presque... On y entendit de la part du Premier ministre Pierre Mauroy des choses stupéfiantes. Selon lui, le Gouvernement était ardent à faire avancer les sujets sociaux, mais les réformes de structure n'étaient pas encore votées - et ne le seraient que difficilement ! Il ajoutait que la tâche de député ne consistait pas seulement à siéger à l'Assemblée nationale : ils devaient pouvoir être davantage dans leurs circonscriptions, surtout à la veille d'élections cantonales. Bref, ils n'avaient pas grand-chose à faire à l'Assemblée ! Le résultat des élections cantonales de 1982 tend à prouver qu'il n'est pas bon pour nos collègues socialistes d'être trop sur le terrain... Le Premier ministre déclarait ensuite qu'il refusait tout bonnement que notre pays compte deux millions et demi de chômeurs. La réalité s'imposa tout au long des gouvernements socialistes... Il expliquait aussi que pour se conformer à l'article 38 de la Constitution, le projet de loi devait être précis et limité quant à son objet et le délai de ratification bref et impératif, autant de conditions que remplit celui qui nous est aujourd'hui soumis. Allant encore plus loin, il disait que la politique économique et sociale du Gouvernement avait été présentée et ratifiée par l'Assemblée, et qu'il était convaincu que les mesures prises par ordonnance suscitaient l'adhésion au-delà de la majorité.

Si le constituant de 1958 a prévu le recours aux ordonnances, ce n'est donc pas pour arranger les gouvernements : c'est qu'en certaines circonstances, il faut rattraper du temps - ce fut le cas pour les ordonnances visant à transposer de nombreuses directives européennes - ou que la majorité est trop étroite et que les difficultés pour adopter des projets importants, comme en 1967 celui relatif à l'intéressement et à la participation, telles qu'il faut une procédure appropriée. C'est une procédure ordinaire et légitime, et non un mauvais coup contre la République. Pour vous en persuader davantage, rappelez-vous un autre débat, mais au Sénat cette fois, concernant les ordonnances de la codification de 1999 : le gouvernement dirigé par M. Jospin ne faisait pas mieux, outre procéder par ordonnance, que de les présenter en première lecture au Sénat ! Quelle surprise, quand on connaît l'appétence de nos collègues socialistes pour la Haute Assemblée...

Le mode opératoire qui a été retenu est donc efficace, utile et approprié au domaine de l'emploi. Il faut vous rappeler les déclarations, qui n'avaient certainement pas manqué de vous émouvoir, du candidat Mitterrand quelques jours avant les élections, regardant la France une fois de plus dans les yeux : il s'engageait à ce que la France ne compte pas deux millions de chômeurs ! Engagement qu'il n'a certainement pas pris à la légère, mais qui montre bien que depuis les chocs pétroliers, le chômage, dont on pensait pouvoir sortir rapidement, est devenu un mal qui ronge les sociétés occidentales. Ce qu'on pensait conjoncturel s'est installé et le traitement structurel du chômage a créé des blocages que les gouvernements successifs, quels que soient leurs efforts, n'ont pas pu lever.

Ce mal profond, le Gouvernement s'efforce de le combattre, non pas depuis quelques semaines, mais de longs mois. Il met en place, par un travail de fond, tous les éléments qui permettront de faire reculer sur tous les fronts ce chômage qui hante nos anciens, nos enfants et la société tout entière. Le dispositif que vous nous proposez attaque le chômage d'une façon extrêmement pragmatique. Il décline de façon précise et fidèle l'engagement de politique générale du Premier ministre tel qu'il a été présenté ici, dans le détail, et que nous avons approuvé.

Nous sommes tous des parlementaires de terrain et nos concitoyens viennent nous interpeller dans nos permanences. Les jeunes nous demandent de les aider, alors qu'ils sont sortis du système scolaire sans qualification, à entrer sur le marché du travail. Vous leur proposez le service militaire adapté, le crédit d'impôt qui facilite la première année ou diverses dispositions qui leur permettront de poursuivre sur la voie de l'emploi, voie que nous avions ouverte dès la première session extraordinaire, en juillet 2002, avec les contrats jeunes dont ont déjà bénéficié 200 000 d'entre eux. Nous recevons également des chefs d'entreprise : pas les présidents des grands groupes ni des grosses PME, mais des gens que nous côtoyons au quotidien, des chefs d'entreprise artisanale et de petites entreprises. Le dispositif que vous leur proposez ne vise pas à les enrichir au détriment de leurs futurs employés, mais à les dégager du souci de l'embauche en leur donnant les moyens de se retourner en cas de difficulté. Le contrat nouvelles embauches est une nouvelle chance pour l'entreprise. Loin de priver les salariés de leurs droits, il s'agit d'un contrat à durée indéterminée qui va, à certains égards, beaucoup plus loin dans la protection que ne le fait le CDI ordinaire.

Quant aux anciens, pourquoi ne pourraient-ils pas intégrer la fonction publique, territoriale, d'Etat ou hospitalière ? Vous supprimez donc la condition d'âge aux concours d'entrée.

De plus vous prévoyez pour eux, mais aussi pour ceux qui ont connu un chômage de trop longue durée, une possibilité de ne pas être trop « gênés aux entournures » quand ils reprennent une activité professionnelle : c'est cette prime de mille euros, qui sera sans doute la bienvenue.

Tout cela n'a rien de radicalement nouveau par rapport à ce qu'a dit le Premier ministre, et c'est bien naturel, Monsieur le ministre : nous sommes là pour décliner, avec vous, ce que le Premier ministre a proposé au pays et à la représentation nationale dans sa déclaration de politique générale. Tout cela, qui relève du bon sens, du courage serein, du pragmatisme, de la détermination, le groupe UMP le soutiendra sans hésitation.

Pour conclure je souhaite appeler à une réflexion sur un aspect essentiel du message de nos concitoyens le 29 mai : le modèle social français, qu'on pourrait appeler l'idéal social français. Il nous appartient à tous depuis bien longtemps ; forgé à travers les idéaux de la Résistance, il demeure l'héritage social du général de Gaulle ; il appartient collectivement à tous les Français. Il ne saurait être question d'en faire un modèle rétréci, rabougri, non plus que de dire que les temps ont changé et qu'il doit cesser d'exister ! C'est ce modèle que nous devons moderniser ; la nouvelle étape que vous nous proposez aujourd'hui, Monsieur le ministre, en est un élément indispensable, et qu'il faudra prolonger - afin que notre modèle puisse persévérer, se moderniser et surmonter les périls accumulés depuis trente ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Après trois ans de gouvernement UMP, votre majorité elle-même évoque aujourd'hui la gravité de la situation de l'emploi pour justifier le recours aux ordonnances pour ce nouveau plan d'urgence. C'est en somme la gravité de votre échec qui justifie les ordonnances... Il est vrai qu'à chaque consultation le peuple français vous rappelle à cette lucidité, qui vous contraint à jouer le rôle de pompiers pyromanes ! Il serait cruel de rappeler vos déclarations quand vous avez adopté la loi du 29 août 2002 établissant les contrats jeunes, car enfin des objectifs, des chiffres avaient été avancés ; la réalité fut tout autre. De même pour la loi du 17 janvier 2003, première remise en cause des 35 heures : les résultats ne furent pas au rendez-vous. La remise en cause de la loi de modernisation sociale devait elle aussi faciliter le fonctionnement des entreprises et avoir un effet positif sur l'emploi ; même chose pour la loi sur le dialogue social, à laquelle vous avez ajouté au dernier moment des dispositions remettant en cause la hiérarchie des normes et le principe de faveur, règles fondamentales de notre droit du travail. Toutes ces agressions contre le code du travail pour arriver à un résultat désastreux : 250 000 chômeurs de plus et l'explosion de la précarité...

Après le 29 mai, le Gouvernement invoque cette sanction supplémentaire pour justifier le recours aux ordonnances. Ce qu'a dit à ce sujet notre collègue Geoffroy est convenu : c'est ce qu'on dit quand on est dans la majorité et que le Gouvernement veut faire des ordonnances, et nous l'avons dit aussi quand nous étions à votre place... Mais vous comme nous, en agissant ainsi, avons tort au regard des intérêts du Parlement et du fonctionnement de la démocratie. Le fait d'avoir partagé cette expérience ne doit pas nous empêcher d'avoir collectivement ce moment de lucidité, même si, je le concède, il est plus facile de le dire quand on est dans l'opposition - mais vous aurez bientôt l'occasion de vous y exercer...

Le vote du 29 mai - je crains que vous ne l'ayez pas compris - exprime une profonde crise sociale et aussi une crise démocratique. Cette suspicion de nos concitoyens à l'égard de tous les corps intermédiaires de représentation ou de médiation appelle au contraire plus de démocratie. Il fallait associer nos concitoyens à ce débat, engager une véritable négociation avec les partenaires sociaux et un vrai débat au Parlement. A l'inverse, la loi d'habilitation est un recul démocratique et une régression sociale.

Le recul démocratique affecte et la démocratie politique et la démocratie sociale. La démocratie politique, bien sûr, dès lors que l'Assemblée est privée de son droit de débattre au fond. Mais la grande victime de cette procédure est la démocratie sociale, tant sur la procédure que sur le fond. Sur la procédure : comment pouvez-vous continuer à invoquer la démocratie sociale et à souligner son importance à vos yeux, alors que votre démarche ignore les partenaires sociaux ? Vous avez vite oublié vos grandes déclarations - celles de votre prédécesseur, Monsieur le ministre - sur la nécessité d'organiser un dialogue entre les partenaires sociaux avant toute modification de la législation sociale par voie parlementaire. Cette déclaration fut faite solennellement au nom du gouvernement précédent et chaleureusement applaudie par la majorité. Mais « il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour »... Vos actes d'aujourd'hui éclairent d'un jour singulier vos déclarations d'hier.

Sur le fond : votre projet de supprimer les effets de seuil pour les salariés de moins de 26 ans révèle une conception des rapports sociaux qui remonte au début du siècle précédent. Pour que la démocratie sociale fonctionne, il faut au contraire des institutions représentatives pour tous les salariés, y compris ceux des petites entreprises. Comment justifier que les jeunes salariés aujourd'hui, et probablement les seniors demain, soient exclus des effectifs de l'entreprise pour la mise en place des délégués du personnel, des comités d'entreprise, des comités d'hygiène et de sécurité ? Sur ce point, nous avons une vraie divergence. Nous sommes favorables, au contraire, à des élections de représentativité dans toutes les entreprises, et au principe de l'accord majoritaire - ainsi qu'au rétablissement du principe de faveur et de la hiérarchie des normes, que vous avez supprimés.

A cette régression démocratique s'ajoute une régression sociale. Le contrat nouvelles embauches est en somme la possibilité pour l'employeur de licencier à tout moment et sans motif particulier. Il n'aura à évoquer ni une cause propre au salarié, ni une raison économique - les deux seuls motifs de licenciement reconnus à ce jour. A ceux-ci s'ajouterait donc la décision unilatérale de l'employeur. Mais si ce principe est inscrit dans la loi, le contrôle du juge deviendra impossible, puisque cette loi aura créé un licenciement sans cause qu'il faille énoncer.

Cette situation n'existe aujourd'hui que durant la période d'essai, seul moment où l'employeur peut en effet décider - cela a toujours existé et apparaît naturel sur tous les bancs -, sans avoir à en rendre compte, de mettre fin au contrat de travail. Et je crois que les intentions du Gouvernement étaient très claires lorsque, dans son discours de politique générale, le Premier ministre évoquait une période d'essai de deux ans. Mais vous vous êtes rendu compte après coup que la période d'essai était de construction conventionnelle et jurisprudentielle, et qu'on ne pouvait l'inscrire dans la loi. Or, aujourd'hui, le Premier ministre a utilisé un concept particulier, sur lequel, Monsieur le ministre, il vous appartient de vous expliquer. Il a en effet déclaré : « Le contrat que je propose est un contrat à durée indéterminée. Il instaure une période d'embauche, qui est un temps de consolidation de l'emploi. » Nous voilà nantis d'un concept nouveau, inconnu à ce jour, et dont le seul but est manifestement de s'exonérer des règles habituelles du code du travail. Il faut, Monsieur le ministre, que vous nous en expliquiez la définition et le choix.

Sur le champ d'application, après quelques hésitations, le Gouvernement a précisé que toutes les entreprises jusqu'à vingt salariés seraient concernées, ce qui représente potentiellement quatre millions de salariés, et 28 % des salariés du privé. L'extension de ce dispositif aboutirait évidemment à un démantèlement définitif du code du travail. Les questions en suspens sont graves : comment se déroulera la rupture du contrat de travail ? Comment les salariés seront-ils assistés ? Quels seront leurs droits précis, par rapport au droit commun ? De tout cela nous devons débattre sans que le Gouvernement ait apporté aucune réponse. Et comment ce dispositif est-il compatible avec nos engagements internationaux ? Je pense notamment à deux conventions de l'OIT. Sur ce point aussi nous attendons une réponse.

L'existence de ce nouveau contrat autorisera tous les abus. Ainsi les maigres dispositions dont bénéficient les travailleurs saisonniers risquent-elles de voler en éclats : les employeurs seront tentés d'utiliser le contrat de nouvelle embauche, dont la rupture sera possible à tout moment, plutôt que le CDD. Je crains d'ailleurs que la principale conséquence de ce nouveau contrat soit la généralisation de cette précarité. Ce que vous appelez flexibilité doit à vrai dire s'entendre ainsi. Pourtant, Monsieur le ministre, il existe d'autres marges de manœuvre. Je rappelle simplement que les cotisations ASSEDIC payées pour les emplois précaires s'élèvent à un milliard d'euros, et ouvrent sept milliards de droits... Il serait opportun de réfléchir à un système de bonus-malus, pénalisant les entreprises qui abusent des emplois précaires et diminuant les cotisations de celles -souvent les petites - qui les utilisent le moins.

S'agissant enfin du chèque emploi, qui prend la suite du titre emploi entreprise -lequel n'a concerné que 14 000 emplois l'année passée -, la référence à la déclaration d'embauche et non plus à la déclaration préalable à l'embauche laisse à penser que votre souci de simplification va trop loin, puisqu'on risque de supprimer le principal instrument de lutte contre le travail illégal : le remède serait alors pire que le mal.

Ce projet me rappelle finalement ce qu'avait déclaré le patronat à propos de l'autorisation administrative de licenciement : grâce à sa suppression, on allait créer 387 000 emplois. En fait, on n'en a créé aucun ! Je crains que les vieilles recettes que vous utilisez aujourd'hui n'aboutissent au même résultat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Valérie Pecresse - Avons-nous tout essayé pour réduire le chômage ? Devons-nous accepter comme une fatalité deux millions et demi de chômeurs ?

Il y a ici deux camps : ceux qui s'opposent à toutes les mesures du plan d'urgence pour l'emploi, sans proposer aucune alternative ; ceux, et j'en fais partie, qui considèrent que les nouvelles actions que vous proposez, Monsieur le ministre, méritent d'avoir leur chance. Elles s'attaquent à des obstacles bien connus : la difficulté de l'embauche dans les très petites entreprises, le coût de la reprise du travail pour les chômeurs.

Ce projet appelle néanmoins de ma part deux réserves.

La première concerne le « contrat première embauche ». Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a décrit un nouveau contrat à durée indéterminée, offrant plus de souplesse à l'employeur et de nouvelles protections aux salariés, un contrat alliant sécurité et liberté. L'idée est alléchante. Reste que l'évocation d'une « période d'essai de deux ans » soulève des interrogations, et je voudrais me faire ici l'avocate de tous les salariés qui pourraient bénéficier de ce contrat : il est difficilement justifiable de soumettre une personne à une période d'essai aussi longue, six mois suffisant amplement à mesurer la qualité du travail d'un salarié. En lisant ce projet de loi d'habilitation et en entendant le Premier ministre cet après-midi, j'ai compris que ces deux premières années sont en réalité, dans votre esprit, une période de montée en charge progressive des droits sociaux du salarié nouvellement embauché. Si tel est bien le cas, je souhaiterais que ce soit clairement précisé et présenté comme tel aux Français ; nous serions ainsi pleinement rassurés.

Ma deuxième réserve concerne l'emploi des femmes. Ce projet ne leur consacre pas de mesures particulières ; pourtant, s'il y a des Français qui ont peu avantage à reprendre un emploi, ce sont bien les mères, la garde des enfants étant coûteuse et difficile. Il serait dans notre intérêt à tous de faciliter leur retour au travail : les économistes observent en effet que l'activité féminine stimule la croissance, les femmes qui travaillent consommant plus que celles qui restent chez elles et faisant appel à divers services. Le travail des femmes, ce n'est pas le chômage des hommes : au contraire, plus les femmes travaillent, moins il y a de chômage !

Mais il ne faut pas se leurrer : les choix professionnels des femmes sont en partie contraints. Ou elles n'ont pas d'enfants et elles peuvent prétendre à la même carrière que les hommes, ou elles en ont et sont pénalisées ; celles qui s'arrêtent temporairement de travailler ont toutes les difficultés à retrouver un emploi, celles qui travaillent moins renoncent à progresser dans leur parcours professionnel.

La situation des femmes élevant seules des enfants est encore plus difficile. L'immense majorité des parents seuls sont des femmes, et près de 80 % d'entre elles ne travaillent pas. 40 % sont au chômage, dont la moitié sans indemnités.

Nous avons pour objectif de lever les freins à l'embauche et d'améliorer la situation des Français, les plus vulnérables comme les plus entreprenants, les plus jeunes comme les plus âgés. Je vous demande donc, Monsieur le ministre, de penser aux femmes, les plus vulnérables, celles qui élèvent seules leurs enfants, comme les plus entreprenantes, celles qui veulent mener une carrière professionnelle à l'égal des hommes.

Pour commencer, il est indispensable d'accroître et de diversifier l'offre de garde des jeunes enfants. Le gouvernement Raffarin a déjà mené dans ce domaine une action importante : plan crèches, mise en place de la PAJE, loi sur les assistantes maternelles. Ces efforts doivent être amplifiés, comme le Premier ministre l'a promis dans sa déclaration de politique générale.

Mais une politique globale en faveur du retour des femmes à l'emploi reste à imaginer. Nous pouvons nous inspirer d'expériences réussies, en Europe ou ailleurs. Je vous en soumets une, qui ne devra pas être écartée d'un revers de main uniquement parce qu'elle vient de Grande-Bretagne ! (Sourires)

Dans le programme mis en place en 1997 par Tony Blair pour aider certaines catégories spécifiques de chômeurs à retravailler, un volet spécifique était consacré aux parents élevant seuls un enfant, baptisé « New deal for lone parents ». Une prime de recherche d'emploi de 112 euros par mois est versée, pendant six mois maximum, aux parents seuls qui sont au chômage depuis plus d'un an et qui s'engagent à chercher activement un emploi. Une allocation d'activité de 228 euros par mois est accordée, durant la première année de travail, aux parents seuls qui trouvent un emploi de plus de 16 heures par semaine. Enfin, les frais de garde des enfants des mères seules qui recherchent un emploi sont pris en charge. Ce programme a été très efficace puisque, depuis 1997, le taux d'emploi des femmes soutien de famille a augmenté de 40 %.

Autre idée : pourquoi ne pas valoriser l'expérience des mères qui ont élevé leurs enfants ? La directrice d'une crèche de ma circonscription me disait récemment qu'elle aurait davantage confiance en sa cuisinière de 50 ans, qui avait élevé quatre enfants, qu'en une puéricultrice jeune diplômée n'ayant que des connaissances théoriques. Une mère qui s'arrête de travailler pour élever un enfant acquiert une large palette de compétences en matière de soins aux jeunes enfants : il faut les valider comme telles, en lui permettant de postuler à des emplois publics ou privés de la petite enfance.

Monsieur le ministre, je serais heureuse que dans votre plan d'urgence pour l'emploi, vous pensiez aux femmes de France, qui, au regard de l'emploi, ne sont pas des hommes comme les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Simon Renucci - Le 8 juin dernier, j'étais de ceux - cela vous étonnera peut-être - qui attendaient beaucoup du discours du Premier ministre, étant conscient du terrible malaise social que le référendum a contribué à révéler. Mais la lecture de ce projet m'a déçu car il aurait fallu combler le fossé entre la population et ses représentants, et rompre avec une politique ultra-libérale qui aggrave la fracture sociale.

Sur le plan de la méthode, le recours aux ordonnances apparaît comme anti-démocratique. Nous aurions pu siéger quelques jours de plus pour légiférer sur un sujet aussi grave...

Dépossédés de notre droit de législateur, constatant à regret le balbutiement des discussions avec les partenaires sociaux, nous devons nous en tenir aux déclarations d'intentions, qui sont source d'inquiétudes.

Ce gouvernement poursuit en effet la politique engagée par le précédent : depuis trois ans, on veut expliquer le chômage français par la rigidité du code du travail. D'où l'idée du « contrat nouvelles embauches », contrat dérogatoire qui accentuera l'insécurité professionnelle de nos concitoyens, en offrant pendant deux ans à l'employeur la possibilité de licencier sans cause réelle et sérieuse. N'être attentif qu'aux attentes des chefs d'entreprise n'est pas le meilleur moyen de retrouver la confiance de nos concitoyens.

Mieux vaudrait, alors que le ministre des finances a été une nouvelle fois contraint de réviser à la baisse les prévisions de croissance, mener une politique de soutien de la consommation ; le chantier prioritaire est l'augmentation des salaires.

Finalement, après le choix difficile du 21 avril 2002 et le vote du 29 mai dernier, c'est la démocratie politique et sociale qui est affaiblie dans notre pays.

M. Alain Vidalies - Très bien.

M. Jacques Le Guen - Que n'a-t-on entendu ces jours derniers à propos du recours aux ordonnances ! A ces cris d'orfraie, à ces calculs politiques, je préfère l'action résolue et déterminée pour l'emploi. L'enjeu justifie des dispositions exceptionnelles.

Nos concitoyens ont peur du chômage, celui-ci reste depuis trop longtemps autour de 10 %, frappant en particulier les jeunes et les plus de 50 ans. Pourtant des centaines de milliers d'offres d'emplois ne sont pas pourvues. Il y a quelques jours un chef d'entreprise du bâtiment de ma circonscription offrait 15 postes à pourvoir immédiatement ; l'ANPE n'a pu le satisfaire. Le Premier ministre a affirmé sa détermination à aller chercher les emplois où ils se trouvent, c'est-à-dire dans les très petites entreprises, en simplifiant la règlementation du travail. C'est un objectif essentiel des ordonnances que le Gouvernement se propose de prendre.

La bataille pour l'emploi passe aussi par la mobilisation du service public de l'emploi. Or nous sommes en retard en ce qui concerne le lien entre indemnisation et placement et pour l'efficacité du système de placement. Sur le premier point, il faut mettre à disposition des demandeurs d'emploi des guichets uniques, améliorer les dispositifs individualisés d'accueil et de suivi, et subordonner l'indemnisation à la recherche active d'un emploi. Aujourd'hui , on s'inscrit à l'ANPE par obligation, plus que parce qu'on en attend un vrai service. Tout salarié doit se convaincre que retourner au travail est essentiel pour la société comme pour lui et que les mesures prises le sont à son profit autant qu'à celui des entreprises. Il faut donc dynamiser le service public de l'emploi. La loi de cohésion sociale a déjà instauré le dossier unique et créé les maisons de l'emploi. Il faut aller plus loin. Aujourd'hui, nul ne peut imaginer faire toute sa carrière dans un seul emploi ; en même temps, les salariés ont un besoin légitime de sécurité. Même dans un contexte économique incertain, il faut privilégier cette sécurité, qui ne peut cependant être synonyme d'immobilisme. Elle doit passer plutôt par la possibilité d'améliorer ses compétences et par un accompagnement lors des transitions d'un emploi à l'autre.

Pour mettre en confiance le demandeur d'emploi, il faut renforcer l'accompagnement personnalisé.

M. le Ministre - Tout à fait.

M. Jacques Le Guen - Actuellement, il peut déjà bénéficier dès son inscription d'un projet d'action personnalisé et en 2004 7 200 00 entretiens ont été conduits en ce sens. Il serait intéressant d'en mesurer l'efficacité. Pour que la perte d'un travail soit vécue comme une possibilité d'évoluer, il faut que le soutien soit immédiat. L'obligation d'avoir un entretien dans les huit jours l'an prochain, puis dans les cinq jours à partir de 2007 est une avancée, qui devra s'accompagner ensuite d'un suivi régulier de manière à permettre une évaluation et la correction d'éventuelles erreurs. Ensuite, il faut améliorer les techniques de recherche d'emploi, souvent mal maîtrisées, qu'il s'agisse de l'utilisation d'internet, de la rédaction d'un CV ou de la préparation des entretiens. Il faut aussi que les agences soient à même de faire de vraies propositions d'emploi, ce qui suppose qu'elles connaissent parfaitement le marché local du travail. Enfin, il faut aider à la reconversion par une formation qui doit correspondre aux secteurs qui embauchent. Une telle approche très individualisée aura des effets positifs pour le demandeur, et pour notre économie en général.

Dans le même temps, il faut être plus exigeant avec les demandeurs d'emploi. Si la recherche d'emploi doit être « sur mesure », il faut pouvoir aussi, si nécessaire, remettre en question l 'indemnisation. Partout chez nos voisins, celle-ci est liée à une recherche active assortie de contrôles. En France, les sanctions pour abus sont rarement appliquées. La loi de cohésion sociale a bien redéfini les contrôles dans ce domaine, mais les décrets d'application ne sont pas publiés.

Pour mieux lutter contre le chômage, il faut ensuite rendre notre système de placement plus efficace. La création des maisons de l'emploi y concourt. Mais le service public de l'emploi doit s'installer dans une logique de prestation de services et une culture du résultat. La fin du monopole y contribuera. Cela suppose une autonomie de fonctionnement et une évaluation régulière sur la base d'indicateurs objectifs comme ceux que la commission des finances du Sénat a proposés dans son rapport sur la LOLF : nombre de demandes non satisfaites après un certain délai, nombre d'offres pourvues, contrôle de la recherche effective d'emploi. Jusqu'à présent, la suppression du monopole n'a eu qu'une portée modeste. En Allemagne, les chômeurs indemnisés auxquels l'agence fédérale n'a pas fourni d'emploi dans les trois mois disposent d'un bon d'échange qui leur permet de s'adresser à une agence privée. Si elle réussit, l'agence fédérale doit la rémunérer. Même dans ce domaine donc, la concurrence a du bon.

Certes le projet n'aborde pas directement cette modernisation du service public de l'emploi. Mais toute entreprise de simplification et d'assouplissement d'un code du travail devenu trop rigide est inséparable d'une action de ce type sur le service public de l'emploi. C'est à ce prix que nous réussirons à mener la bataille pour l'emploi, et je me réjouis que le Gouvernement en fasse un objectif majeur de sa politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée le mercredi 29 juin à 1 heure 15.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ODRE DU JOUR
DU MERCREDI 29 JUIN 2005

QUINZE HEURES : 1e SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 2403) habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi.

Rapport (n° 2412) de M. Claude GAILLARD, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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