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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 7 septembre 2006

Séance de 10 heures
1er jour de séance, 1ère séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à dix heures.

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Ouverture de la session extraordinaire de 2005-2006

M. le Président – En application de l’article 29 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire de 2005-2006, convoquée par décrets du Président de la République des 5 juillet et 28 août 2006.

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Décès d’unE députéE

M. le Président – C’est avec une profonde tristesse et beaucoup d’émotion que nous avons appris le décès de celle qui fut notre collègue et surtout notre amie : Nathalie Gautier, députée de la sixième circonscription du Rhône.

Nous sommes d’autant plus frappés par sa disparition que son retour sur nos bancs, il y a quelques semaines, nous avait laissé espérer qu’elle parviendrait à surmonter les épreuves de sa terrible maladie. C’est un moment d’une grande tristesse pour nous, tant Nathalie Gautier était estimée de tous.

Je prononcerai son éloge funèbre lors d’une prochaine séance, mais je voulais dès aujourd’hui, en hommage à notre collègue, inviter l’Assemblée à observer une minute de recueillement. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence)

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remplacement d’une députée

M. le Président – En application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, j’ai reçu une communication de M. le ministre de l’intérieur, en date du 1er septembre 2006, m’informant du remplacement de notre collègue Nathalie Gautier par M. Lilian Zanchi.

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Déclaration du Gouvernement sur le Liban
et débat sur cette déclaration

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation au Proche-Orient et la participation de la France à la mise en œuvre de la résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et le débat sur cette déclaration.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Cet été, la violence et le deuil ont une nouvelle fois frappé le Proche-Orient. Nos compatriotes ont été particulièrement touchés par les souffrances du peuple libanais, qui a déjà connu tant de déchirements et de guerres. Devant les images du Liban dévasté par les bombardements israéliens, devant la colère et la peur légitimes des habitants de Haïfa, frappés par les tirs de roquette du Hezbollah, nous avons tous éprouvé un même sentiment de révolte.

Face à cette nouvelle crise au Proche-Orient, la France a pris toutes ses responsabilités sous la conduite du Président de la République. Elle l’a fait dans un esprit de rassemblement et d’unité, que je tiens à saluer et pour lequel je veux remercier, au nom du Gouvernement, l’ensemble de la représentation nationale.

La situation du Proche-Orient, situé au cœur d’un arc de crise s’étendant de la Somalie à l’Afghanistan, nous oblige aujourd’hui à agir. Alors même que la mondialisation ne cesse de créer de nouveaux liens et de nouveaux échanges, cette région semble s’enfermer toujours davantage dans une spirale de violence et de haine.

Nous ne pouvons pas être indifférents à ce qui se joue au Liban, dans les territoires palestiniens, à Damas, à Téhéran ou encore à Kerbala. Le défi du Proche-Orient, c'est en effet la paix et notre capacité à faire vivre le dialogue et la tolérance entre les cultures. C'est aussi la sécurité de nos compatriotes.

Au cœur de cet arc de crise se trouve le conflit israélo-palestinien. Après plus d'un demi-siècle d'affrontements, la paix semble toujours hors d'atteinte : des millions de personnes en rêvent et ne la voient pas ; des hommes de raison et de sagesse la construisent, mais leurs projets ne se réalisent pas. Tout ce qui s'imagine de grand et de bien pour cette région est à chaque fois emporté par les haines et les violences. Si la paix ne se décrète pas, aucun des échecs du passé ne doit nous décourager pour l'avenir.

Quelle est la situation ? Plus de 70 % des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté et la victoire du Hamas aux élections législatives témoigne des frustrations du peuple palestinien. Dans le même temps, malgré le retrait de Gaza et la construction de la barrière de sécurité, les Israéliens ont besoin de garanties supplémentaires pour leur sécurité - le conflit au Liban l'a encore montré. Et plus que jamais les parties au conflit semblent incapables de parvenir seules à une solution.

Si nous voulons sortir de cette impasse, il faut donc que la communauté internationale se mobilise avec bien plus de détermination et d'énergie qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent. Tel est le sens de l'appel lancé la semaine dernière par le Président de la République en faveur d'une nouvelle réunion du Quartet : seuls une solution politique et un règlement négocié permettront de parvenir à une paix juste et durable pour l'ensemble des peuples de la région, avec deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité.

Outre le conflit israélo-palestinien, la multiplication des crises dans cette région présente aujourd'hui un risque majeur pour nous tous. Un profond sentiment d'injustice, causé par la pauvreté, les inégalités et la violence, mais aussi l'histoire, a fait de cette région une terre fragile, marquée par des plaies profondes qui ne se sont jamais refermées. Par les liens qu'elle entretient avec ces pays, la France connaît mieux que personne l'importance des motivations culturelles et religieuses qui sous-tendent ces crises. Elle sait mieux que personne tout ce que les identités blessées renferment de ressentiment et d'amertume.

Dès 2003, en pleine crise irakienne, le Président de la République l'affirmait : la force seule n'est jamais la solution. Les aspirations identitaires qui sont en jeu appellent d'autres réponses que la seule intervention armée. L'Iraq s'enfonce dans la violence et constitue un nouveau foyer de crise qui déstabilise la région et nourrit le terrorisme.

N'oublions pas non plus que ces crises font le jeu de tous les extrémistes. Nous le voyons avec le terrorisme : qu'il cherche à frapper à l'intérieur ou à l'extérieur de nos frontières, il se greffe sur les conflits et instrumentalise la souffrance des populations. Contre le terrorisme, ce n'est donc pas une guerre qu'il faut engager. Comme la France le fait depuis des années, c’est une lutte déterminée reposant à la fois sur une vigilance de tous les instants et la coopération efficace avec nos partenaires. Mais nous ne viendrons à bout de ce fléau qu'en luttant aussi contre l'injustice, contre la violence, contre les crises.

Restons également vigilants face au risque de la prolifération. Le programme nucléaire iranien suscitant des inquiétudes légitimes, la France a pris l'initiative du dialogue avec Téhéran en compagnie de ses partenaires européens. Là encore, il n'y a pas d'autre solution que politique.

La réponse de l'Iran à l'offre de la communauté internationale n'est toutefois pas satisfaisante, s’agissant notamment de la nécessaire suspension de l'enrichissement. Avec l'ensemble de la communauté internationale nous privilégions la voie du dialogue et il revient désormais à l'Iran de prendre toutes ses responsabilités.

C'est bien la stabilité de l'ensemble de la région qui est en cause, avec un risque véritable de contagion et de radicalisation. Agir au Liban, c'est se donner les moyens de prévenir un nouveau conflit régional et défendre les intérêts de la France.

Dans ce contexte instable, la France a fait pour le Liban le choix de l'initiative et de l'action. Sur le plan politique d'abord : à la demande du Président de la République, je me suis rendu à Beyrouth le 17 juillet pour manifester la solidarité de la France et offrir notre assistance aux autorités libanaises. Le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, le ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie et le ministre de la santé et des solidarités, Xavier Bertrand, se sont également rendus sur place ou dans la région à plusieurs reprises. Dominique Perben ira demain à Beyrouth à l'occasion de la reprise des vols Air France entre Paris et la capitale libanaise.

Notre pays a pris une part déterminante dans l'adoption unanime de la résolution 1701 par le Conseil de sécurité le 14 août dernier. Outre l'indispensable cessation des hostilités, notre objectif est de parvenir à un véritable cessez-le-feu et à une solution durable propre à garantir la pleine souveraineté du Liban comme la sécurité d'Israël.

Tout au long de la crise, nous n'avons cessé de dialoguer avec les deux parties. Je tiens ici à saluer le courage et l'esprit de responsabilité du Premier ministre libanais, Fouad Siniora, qui a engagé le déploiement de l'armée libanaise au sud du pays le 7 août dernier, après presque quarante ans d'absence.

Nous avons également entretenu un dialogue constructif avec les autorités israéliennes. À l’occasion d'un échange avec Ehoud Olmert à la veille de mon départ pour Beyrouth, ou encore de la visite de Mme Livni, Vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, j'ai pu mesurer combien la relation entre la France et Israël demeurait solide et confiante.

Nous avons aussi fait le choix d’agir pour répondre dans l'urgence aux besoins des populations. Nous avons ainsi évacué 11 000 Français et 2 500 ressortissants d'autres nationalités. À ce titre, je tiens à rendre hommage aux personnels civils et militaires, dont la compétence, le dévouement et le courage ont permis le succès de cette opération. Nous avons également aidé nos compatriotes présents dans le nord d'Israël et exposés aux tirs de roquette, auxquels le ministre des affaires étrangères est allé manifester notre soutien sur place.

Pour répondre aux besoins humanitaires de la population libanaise, nous avons apporté des vivres, des médicaments et des équipements sanitaires pour près de 20 millions d'euros. Avec l'installation en cours de 15 ponts métalliques de type « Bailey », pour laquelle notre pays mobilise plus de 200 militaires du génie, la France apporte également une contribution décisive au rétablissement des voies de communications vitales pour le pays. Nous avons aussi pris notre part à l'effort humanitaire européen, soit sept millions d'euros supplémentaires.

Nous avons également décidé de rouvrir, y compris dans le sud du pays, notre important réseau d'établissements scolaires. Ces écoles, ces collèges, ces lycées, qui accueillaient l'an dernier plus de 45 000 élèves libanais, seront au rendez-vous de la rentrée, le mois prochain. Enfin, nous contribuons à hauteur de 700 000 euros à la lutte contre la marée noire sans précédent qui a affecté le pays après le bombardement de la raffinerie de Jiyeh.

La France a également assumé ses responsabilités sur le plan militaire. Face aux risques de la situation, nous avons demandé des garanties précises pour assurer l'efficacité de la mission confiée à une FINUL renforcée, ainsi que la sécurité de nos soldats, et nous les avons obtenues.

Sur cette base, le Président de la République a décidé de déployer deux bataillons au sein de la force des Nations unies. Au total, ce sont donc 2 000 militaires français qui serviront bientôt sous le « casque bleu » au Liban, et nous assumerons jusqu'en février 2007, le commandement de la force déployée sur place, avec le général Pellegrini. À cet effort s'ajoutent les 1 700 hommes déployés au titre du dispositif aérien et naval Baliste, chargé de l'approvisionnement de la FINUL depuis le 12 juillet et qui participe aussi, de façon temporaire, à la surveillance des côtes libanaises.

Nos forces sont engagées dans le cadre des Nations unies, en pleine conformité avec notre attachement au droit et à la sécurité collective. Mais cet engagement est également européen : à notre demande, les ministres des affaires étrangères des États membres de l'Union européenne se sont réunis le 25 août en présence de Kofi Annan. Au total, ce sont 7 300 militaires européens qui seront déployés sous casque bleu au Liban. Je veux saluer en particulier la contribution de l'Italie. L'Europe montre ainsi que lorsqu'elle sait unir ses forces, elle peut être un acteur de poids sur la scène internationale.

Outre son soutien militaire à la paix, la France veut aider à la reconstruction du Liban. Lors de la Conférence de Stockholm du 31 août dernier, la ministre déléguée aux affaires européennes a ainsi annoncé une contribution supérieure à 40 millions d'euros.

Il faudra bien sûr aller plus loin : tel sera l'objet de la conférence internationale de reconstruction, que le Président de la République a proposé de tenir, et où la France tiendra toute sa place. Du reste, une mission interministérielle d'évaluation se rendra aujourd'hui même à Beyrouth.

Au Liban comme dans l'ensemble de la région, la France doit se mobiliser toujours davantage en faveur de la paix. Au Liban la situation reste fragile, car le conflit peut reprendre à tout moment et compromettre le processus politique. Or, nous ne pouvons accepter que ce pays serve une nouvelle fois de champ de bataille aux guerres des autres.

Désormais, nous devons donc placer les différents acteurs régionaux devant leurs responsabilités. Il importe notamment que la Syrie contribue à une application pleine et entière des résolutions 1559, 1595 et 1701.

Concernant cette dernière résolution, je salue la levée du blocus annoncée hier par Israël et qui devrait prendre effet cet après-midi. L'application de cette résolution implique également de veiller à l'achèvement du retrait israélien, parallèlement au déploiement de la FINUL renforcée, à la libération des soldats israéliens enlevés, au respect de l'embargo sur les armes, au désarmement des milices et, enfin, au règlement de la question des fermes de Chebaa.

Nous devons favoriser le dialogue interlibanais afin de préserver la coexistence harmonieuse entre les communautés. Seul un effort international durable permettra au gouvernement libanais d’engager les indispensables réformes que réclame le pays. Le Liban, qui aspire à la diversité culturelle et religieuse, incarne le message de respect et de tolérance que nous voulons défendre pour l’ensemble de la région. Pour agir au service de la paix au Proche-Orient, nous devons conserver notre faculté d’écoute face aux peurs et aux frustrations qui s’expriment de toutes parts. Notre proximité géographique, historique et culturelle avec la rive méridionale de la Méditerranée nous confère un rôle particulier entre Europe et monde arabe, contre la tentation du rejet ou du repli sur soi.

La France et l’Europe doivent montrer que le choc des civilisations n’est pas une fatalité. Personne ne porte mieux qu’elles cette sagesse héritée de l’histoire ; personne n’incarne mieux qu’elles l’espoir pour une région que beaucoup croient condamnée à la violence et au fanatisme. Plus que jamais, le peuple français comme bien d’autres attend qu’elles défendent une vision du monde, la nôtre, selon laquelle la violence appelle toujours la violence : seule une volonté politique fondée sur le droit permet de surmonter les crises, dans le respect de l’identité des peuples et l’attachement à l’universalité des droits de l’homme. Il ne peut y avoir de paix durable sans légitimité et adhésion de tous : c’est pourquoi l’unité de la communauté internationale – avec en son cœur les Nations unies – est indispensable.

La France se doit de jouer un rôle toujours plus important sur la scène internationale. Un outil diplomatique fort et efficace est indispensable, mais impossible sans un outil de défense performant. Grâce à la loi de programmation militaire que vous avez votée, nous sommes aujourd’hui présents sur de nombreux théâtres de crise et cette année encore, le Gouvernement veillera, conformément aux orientations définies par le Président de la République, au respect des engagements pris dans la loi.

Enfin, l'Union européenne doit devenir un acteur de premier plan au service de la paix.

M. Jacques Myard - Ce n’est pas demain la veille !

M. le Premier ministre - Nos opinions publiques attendent une Europe efficace sur la scène internationale. De vrais progrès ont déjà été accomplis ces dernières années : le Liban le montre. Mais nous devons aller encore plus loin.

Une nouvelle fois, la France a fait face à la crise. Elle a assumé ses responsabilités et su faire entendre sa voix dans le respect des principes et des convictions qu'elle défend partout dans le monde.

Alors que la cessation des violences suscite de nombreuses attentes dans la région, que l'espoir renaît mais que rien n'est encore acquis, l'exigence d'action et d'engagement reste entière. Soyez assurés que le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, mettra tout en œuvre pour continuer à défendre les valeurs de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. François Bayrou – C’est l'entracte sur la scène du Proche-Orient. Un acte vient de s'achever, un autre est sur le point de commencer. Pourtant, la même tragédie se poursuit.

Le premier acte de la guerre de 2006 s'est achevé lorsque la résolution 1701, dans la rédaction de laquelle la France a joué un rôle positif, a mis un terme à la période la plus brûlante du conflit. Pourtant, le deuxième acte commence et son dénouement reste inconnu. Nous l'espérons heureux ; il pourrait aussi bien être dangereux selon que nous saurons ou non maîtriser la situation sur le terrain.

Disons-le d’emblée : ce conflit ne pouvait être qu'un cas de conscience pour la France, dont la politique connaît certes des hésitations et des éclipses, mais est guidée par des constantes, quels que soient les époques et les dirigeants. Or, la France a un lien fort avec les trois protagonistes du conflit : Israël, le peuple palestinien et, bien sûr, le Liban.

La France éternelle, bien au-dessus des aléas de la politique, veut l'existence, la paix et la sécurité d'Israël, qui affectent l’équilibre du monde. Outre le nécessaire respect des résolutions diplomatiques prises depuis 1948, qui ont donné force de loi internationale à cette existence, la France a vécu comme une blessure sur le visage du monde le sort fait pendant des siècles à ce peuple sans terre, jusqu’à ce que la folie hitlérienne ne provoque une shoah - une catastrophe mondiale. Cette tentative délirante et planifiée, sur notre terre d’Europe, chez nous, voire avec la complicité de nos compatriotes, d’exterminer les femmes, les enfants, les malades, les sages et les savants, enfin jusqu'au plus ordinaire des enfants de ce peuple est une blessure pour l’ensemble de l’humanité. De cela, nous sommes débiteurs non pas à l'égard du seul peuple juif, mais à l'égard du peuple humain. C’est pourquoi la France, au-delà des péripéties de l’histoire, considère que l’humanité doit être solidaire de la décision du peuple juif de retrouver une terre, un foyer, une patrie. Ceux qui, désarmés, avaient si longtemps souffert, ont fini, à bout de désespoir et de douleur, par dire plus jamais. Plus jamais non seulement au nom des victimes de Dachau, d'Auschwitz, de Drancy ou de Gurs, mais au nom des innombrables générations humiliées dans la suite des siècles. Au-dessus des contingences, la France est solidaire de ce plus jamais.

Pourtant, nous n'ignorons rien des souffrances que cette décision a provoquées. Il y avait sur cette terre d'élection des familles que cette catastrophe a touchées aussi, bien qu'elles n'y eussent aucune part. Le peuple de Palestine victime a bien le droit, à son tour, de dire plus jamais. Voilà pourquoi la France considère que l'équilibre à trouver entre l'État qu'ont formé les humiliés d'hier et l'État que doivent former les humiliés d'aujourd'hui importe à l'ensemble de l'humanité.

Enfin, la France a un lien indissoluble avec le Liban qui, sans elle, n'existerait pas. C'est elle qui a pris la responsabilité historique de donner une chance à l'indépendance libanaise face à la revendication de Grande Syrie, et c’est elle aussi qui, plus d'un siècle auparavant, avait protégé le Mont Liban pour en faire une province autonome de l'Empire ottoman. C'est elle enfin qui a servi de garant à cette idée historique de faire une même communauté nationale d'un peuple divers et éclaté où se nouaient des contrats de coexistence complexes. Cette fidélité a été lourde de conséquences : dois-je rappeler que l’ambassadeur de France, Louis Delamarre, fut assassiné le 4 septembre 1981 parce que la France luttait contre la guerre civile ? Que la France, le 23 octobre 1983, à 6 heures 15 du matin, paya le lourd tribut de 58 hommes dans l'attentat du Drakkar ? Mais il s’agit bel et bien d’un lien indissoluble entre la France et le Liban, pour qui notre langue est une seconde patrie.

C'est pourquoi la France a d’emblée vécu cette guerre comme une épreuve.

Pour l'essentiel, nous avons apprécié et soutenu dès les premiers jours la ligne fixée par le Président de la République, dont nous avons apprécié qu’il exprime, de manière claire et juste, la responsabilité du Hezbollah dans l'explosion du conflit, par les enlèvements de soldats et les tirs de missiles.

Chemin faisant, toutefois, nous avons eu un désaccord grave sur un point : les signes dangereux multipliés en direction de l'Iran (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Que le ministre français des affaires étrangères se rende à l'ambassade d’Iran à Beyrouth et délivre un brevet de respectabilité à ce pays en le désignant comme « une puissance stabilisatrice dans la région » nous a paru un risque que la France n'aurait pas dû prendre.

M. Jacques Myard - L’Iran est incontrôlable !

M. François Bayrou - Nous avons suivi les péripéties de la décision de participation à la Finul, d'abord revendiquée, puis éludée, enfin assumée. Et nous avons compris, au terme de ce processus, les interrogations que la France a exprimées. La première question politique de ce deuxième acte : quel est exactement le mandat de la FINUL ? S’il est le même que le mandat précédent, la FINUL II ne servira pas davantage que la FINUL I. Et l'on risque, sous les yeux même des contingents armés de l'ONU, d'assister au réarmement de la milice du Hezbollah.

Ceci ne serait conforme ni à la lettre, ni à l’esprit des résolutions des Nations unies, la résolution 1559 qui oblige au désarmement effectif des milices et à l’exercice de l’autorité sur le terrain de l’armée libanaise, et la résolution 1701 qui affirme que l’armée libanaise est la seule autorité légitime en matière de sécurité au Liban. Surtout, le risque serait immense pour le Liban, pour Israël et pour la paix, puisqu’une faction visant ouvertement la destruction d’Israël s’arrogerait la domination sur une région d’un pays souverain, déconsidérant les Nations unies et déstabilisant la région et le Liban tout entier. Or les mots qui ont été prononcés sont restés vagues, diplomatiques. Leur flou recèle un monde de menaces. Nous demandons qu’elles soient prises en considération et qu’il y soit mis un terme. Le réarmement des milices serait l’échec assuré pour la politique de paix et de restauration de la souveraineté d’un Liban indépendant.

Je conclurai par deux considérations plus lourdes encore de conséquences, si c'est possible. La première concerne l'Iran. La question posée aux démocraties est d’une gravité sans précédent depuis celle qui fut posée à nos pères le jour du réarmement de l'Allemagne ou le jour de Munich. De la même autorité politique, par la voix du Président iranien M. Ahmadinejad, émanent aujourd'hui, sans ambiguïté, une décision et une affirmation qui mettent en danger l'ordre mondial. Les gouvernants iraniens sont engagés dans une double obsession mortifère : l'appel à la destruction d'Israël et la décision de se doter de la puissance nucléaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs des députés non-inscrits), la première donnant tout son sens à la seconde. Quand le Président iranien déclare, en juillet : « le problème fondamental du monde musulman est l'existence du régime sioniste qui doit être éliminé » ou, en octobre : « comme l'a dit l'imam Khomeiny, Israël doit être rayé de la carte... La nation musulmane ne permettra pas à son ennemi historique de vivre en son cœur même », ce qu'il dit ne peut être ignoré, et doit être mis en relation avec la question du contrôle de l'arme nucléaire. Les démocraties ne pourront éluder la question : acceptent-elles le fait accompli ou en train de s'accomplir, ou disent-elles non ? Acceptent-elles de considérer que cette question doit trouver une réponse, ou éludent-elles la réponse ? Recommencent-elles Munich – 1938 en 2006 – (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs des députés non-inscrits) ou manifestent-elles leur détermination et leur solidarité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs des députés non-inscrits)

Les démocraties ne peuvent accepter la prolifération nucléaire, a fortiori dans un pays qui affirme haut et fort qu'il faut en détruire un autre.

M. Philippe Folliot - Rappelons-nous Munich !

M. François Bayrou - Le peuple iranien ne peut entendre cette détermination que si nous l'exprimons sans ambiguïté, si les démocraties l'expriment ensemble, et si nous l'exprimons, nous la France, dont la voix a su se faire entendre, par votre bouche, Monsieur le Premier ministre, lorsqu'il s’est agi de résister à l'inexorable décision américaine de préparer la guerre en Irak. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP)

Au lendemain de Munich, alors que le peuple britannique faisait une ovation à Chamberlain, Winston Churchill eut ce mot inoubliable : « vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur ; vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ». À Paris, un jeune professeur d'histoire signait un éditorial dans un petit journal, l'Aube. Ce jeune professeur allait connaître un destin glorieux d'abord, controversé ensuite.

M. François Hollande - Plus que controversé !

M. François Bayrou – Certes, mais cela n'efface pas, pour Georges Bidault, la gloire et l'honneur d'avoir été, à la suite de Jean Moulin, le président du Conseil national de la Résistance (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Le 30 septembre 1938, excédé des applaudissements réservés à Daladier, il a cette phrase sublime qui fait écho à celle de Churchill : « lorsqu'il s'agit de dire non, le meilleur moment, c'est le premier... » Encore ignoraient-ils la suite… Nous demandons donc aux gouvernants que vous êtes d'être fermement du côté du refus et de la solidarité avec tous ceux qui diront non.

Ma dernière réflexion concerne l'Europe. J'ai été frappé – vous aussi sans doute – par le caractère distrait de notre démarche européenne pendant cette période. Nous n'avons accepté de réunion européenne que quand tout fut fini, et nous avons pris soin d'annoncer nos décisions à la télévision la veille au soir de la réunion européenne. Comme nous, les autres nations européennes ont joué leur carte diplomatique chacun pour soi. Ne nous étonnons donc pas que notre division nous condamne à l'évanescence. Les Européens envoient les troupes et l'argent, mais ce sont les Américains qui décident ! La France devrait être celle qui propose d'utiliser la capacité diplomatique de chacun au service d'une démarche réfléchie en commun.

Le jour où l'Europe s'éveillera, le monde changera de face ; et la France est la seule qui puisse donner le signal de cet éveil.

J’ai achevé le texte que j’avais préparé, mais je voudrais, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous demander que ce qui se passe au Darfour ne reste pas ignoré. Le refus d’une intervention des soldats de l’ONU par le gouvernement de Khartoum et le déclenchement d’une opération militaire extrêmement dure dans le nord du Darfour exigent que la France dise où nous en sommes et ce que nous allons faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP) Quelque chose de grave est en train de se nouer, qui n’est pas étranger à notre propos de ce matin. Cela mérite notre mobilisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Paul Giacobbi - Très bien !

Mme Marie-George Buffet – Je me félicite que l'Assemblée nationale débatte aujourd’hui, comme le président Alain Bocquet l’avait demandé au Président de la République, de la situation au Proche-Orient et de l'engagement de la France. Nous connaissons tous les attentes des peuples de la région envers notre pays : qu’il contribue au respect du droit des peuples à leur souveraineté et à la paix.

Il y a quelques semaines encore, le Liban pansait les dernières plaies de la guerre civile ; le retrait des troupes syriennes lui laissait enfin entrevoir une souveraineté pleine et entière ; l'intégration du Hezbollah dans le jeu politique libanais, à ses débuts, ouvrait la possibilité d'un consensus interne préalable au désarmement de la milice chiite. Cette description de la situation, fragile et pleine d'espoir, me fut faite par le Premier ministre libanais, lors d'une visite dans son pays en juin dernier. Depuis, la folie meurtrière de la guerre est passée.

En Palestine, un accord entre toutes les organisations palestiniennes créait une nouvelle situation politique permettant d’espérer la reprise d'un processus politique de règlement du conflit. Dans une situation de crise régionale, ces fragiles évolutions constituaient, sans effacer les inquiétudes, des étapes prometteuses.

La violence a tout emporté. Le double enlèvement – inacceptable – de soldats a permis au Premier ministre israélien de lancer à Gaza et au Liban des interventions militaires de grande ampleur. Dès lors, l’espoir était brisé : toutes les infrastructures de Gaza ont été détruites; nombre d'élus palestiniens ont été enlevés, et de nombreux civils tués. Le Liban a été dévasté et son approvisionnement rendu impossible par le blocus qui a pu être levé grâce au secrétaire général de l’ONU. Les bombardements d'une violence inouïe, les cibles choisies sans discrimination – je pense aux victimes de Cana – constituent, selon Amnesty international, des crimes de guerre. La population israélienne a subi le même engrenage de guerre et de violence : le conflit a fait plus de 1500 victimes. Au Liban, des milliers de civils restent sous la menace de bombes à sous-munitions non explosées. C’est à toutes ces victimes que vont nos pensées ; c’est pour elles que la communauté internationale doit se mobiliser. L’autre drame de l’été fut en effet la tolérance de cette guerre. L’action diplomatique aurait pu déboucher plus rapidement sur un cessez-le-feu, comme ce fut le cas il y a dix ans lors d’une précédente crise.

Ce constat d’impuissance doit nous interpeller sur l’organisation des relations internationales et sur les moyens de renforcer l’action de prévention et de résolution des conflits des Nations unies. Cette impuissance s’est à vrai dire nourrie du soutien de l’administration américaine à la guerre : elle a analysé ce conflit à travers le prisme du prétendu combat entre le bien et le mal et du choc des civilisations. L’offensive israélienne fut donc considérée par la secrétaire d’État comme « les douleurs de l’enfantement du nouveau grand Moyen-Orient ».

Cette théorie du choc des civilisations trouve cependant encore moins à s’appliquer au Liban qu’ailleurs, sans doute parce que la volonté commune des Libanais de vivre enfin, après tant d'années de guerre civile et d’instrumentalisation des communautés régionales, dans l’indépendance et la paix, ne s'en accommode guère.

Les résultats de la tentation hégémonique américaine au Moyen-Orient montrent aujourd'hui son caractère profondément nuisible. La France a eu raison de s’opposer – par votre voix, Monsieur le Premier ministre – à l’intervention armée en Irak. Les résultats de la politique américaine y rappellent ceux d'un autre empire que dénonçait Tacite : « ils avaient créé la désolation et lui avaient donné le nom de paix ». La politique de menaces, de sanctions et de guerre préventive ne met pas fin à l’inacceptable terrorisme : elle en est le terreau. L’Union européenne aurait pu faire entendre une autre voix face à la tragédie du Liban.

Ce ne fut pas le cas. Il fut pourtant une époque où l’Europe faisait passer le respect du droit avant la politique de la canonnière. En 1980, le conseil européen de Venise avait créé l’événement en reconnaissant le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. En 1995, l’Europe lançait le partenariat euro-méditerranéen et l’idée de coopération entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Mais sa crédibilité est aujourd’hui profondément atteinte. Il faut donc réorienter les politiques de l’Union européenne au service des peuples et développer un partenariat euro-méditerranéen fondé sur le codéveloppement et le partage des cultures.

C’est dans ce contexte que nous avons vu évoluer la position du Gouvernement. Il s’agissait d’arrêter une guerre qui ne pouvait que rejeter très loin l’horizon de la paix au Liban et en Palestine, qui semait, outre le sang et les larmes, le ressentiment et la haine ; une guerre qui ne pouvait donc que menacer la sécurité d’Israël. Pendant l’été, des voix ont défendu l’État hébreu au nom de leur « amitié », mais un véritable ami d’Israël doit savoir lui dire quand sa politique contredit sa propre aspiration à la paix. Nous nous félicitons de l’action de la France, tant au plan humanitaire qu’en faveur de la paix et de la souveraineté du Liban. Elle est devenue l’un des principaux artisans du cessez-le-feu au Moyen-Orient. La résolution 1701 de l’ONU occulte certes plusieurs points, mais elle a permis l’essentiel, dans l’immédiat : faire taire les canons.

C’est maintenant la question de la construction d’une paix durable au Proche-Orient qui se pose sur les ruines causées par la guerre. À cet égard, le rôle de la FINUL renforcée sera très important, ce qui rend indispensable une définition claire de son mandat – et la France a obtenu des Nations unies un certain nombre de précisions qui justifient son engagement. Cette force sera bientôt en mesure d'accompagner le règlement politique de la crise, à condition que l'on ne lui fasse pas faire ce que la résolution 1701 ne prévoit pas : désarmer le Hezbollah. La position de la France, agréée par les autorités libanaises, est que ce désarmement doit être le résultat d'une entente entre les forces politiques libanaises. C'est le choix de la sagesse si l'on veut éviter d'autres tragédies au Liban. Poser les jalons de la paix ne peut pas être le fait de la seule force d'interposition : c’est la responsabilité de la communauté internationale, et la solution ne pourra résulter que d'un accord politique.

Les peuples concernés attendent de la France, comme elle l’a déjà fait, qu’elle sache rester ferme lorsque le respect des valeurs fondamentales et du droit international l'exige, quitte à déranger aujourd'hui pour gagner la paix demain ; qu’elle reste sans concessions contre les atteintes au droit des peuples à la paix et à la sécurité ; une France qui, comme disait Jaurès, « défende la paix avec les armes de la raison et du courage ». Ils attendent que la France accompagne l'accession du Liban à sa pleine souveraineté et la construction d’un État solide, où les pouvoirs publics seraient les seuls à disposer de la force armée. Le consensus est possible entre les forces politiques libanaises, mais il dépend aussi de la capacité de la communauté internationale à garantir le cessez-le-feu et l'intégrité du pays en impliquant tous les pays de la région dans la recherche d'une solution pacifique, y compris l'Iran et la Syrie. Cette évolution dépend aussi des moyens mobilisés par la communauté internationale pour aider à la reconstruction du Liban.

La France est attendue également sur la question de la Palestine. Nous n'avons pas le droit de laisser vivre un peuple dans un tel dénuement, dans la plus extrême tension, sans aucune perspective d'avenir. Le silence de la communauté internationale sur ce drame est insupportable. On sait pourtant combien cette désespérance est lourde de menaces pour la paix et la sécurité dans la région, et l’on sait que l'occupation israélienne viole depuis des dizaines d'années plusieurs résolutions de l'ONU. La France, comme s’y est engagé le Président de la République, doit agir rapidement pour obtenir le rétablissement des financements internationaux de l'autorité palestinienne. Elle doit s'engager contre l’annexion des territoires occupés et contre la construction de ce mur inacceptable. La seule solution viable au conflit israélo-palestinien est connue : l'existence, à côté de l'État d'Israël, d'un État palestinien souverain, dans les frontières de 1967 et avec pour capitale Jérusalem-est, et la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens, selon des modalités négociées. Une paix entre les deux États doit être signée afin que les peuples palestiniens et israéliens puissent enfin vivre durablement dans la sécurité et la coopération.

Israël a accepté, avec la résolution 1701, que la « ligne bleue » soit la frontière israélo-libanaise internationalement reconnue. Il doit maintenant reconnaître la « ligne verte » de 1967 comme la frontière internationalement reconnue entre le futur État palestinien et l'État d'Israël. Par ailleurs, et aussi loin qu’ils paraissent, aucun des accords précédents, qu'il s'agisse des accords d'Oslo ou de la feuille de route, ne peut être abandonné. De nouvelles négociations doivent être lancées et la France doit peser pour l’organisation d’une conférence internationale.

À travers les conflits spécifiques du Liban et de la Palestine, c'est la question de la sécurité régionale dans l'ensemble du Moyen-Orient qui est posée. La France doit agir avec détermination pour tarir les sources de tous les conflits, en apaisant les tensions et en recherchant la démilitarisation progressive de la région, notamment sur le plan nucléaire. Et cela concerne tout le monde : il n'y aura aucune paix durable au Moyen-Orient avec un équilibre de la terreur entre Israël et l'Iran. Le Président iranien profite d’ailleurs du déséquilibre actuel des puissances militaires pour légitimer son programme nucléaire et faire avancer ses thèses fanatiques. Notre responsabilité est donc d'agir pour un désarmement multilatéral et de tenir dans la région un discours de justice bien préférable à la politique du « deux poids, deux mesures ». La sécurité et la paix sont de notre responsabilité collective.

Tout cela peut paraître relever d'un doux idéalisme, de ces rêves qui suscitent le mépris des bellicistes, de ces espérances qu’on noie sous les mensonges et les préjugés. Mais la grande majorité des habitants de cette région veulent la fin de la violence et des guerres. Ils veulent pouvoir vivre en paix dans des États démocratiques, coopérer et se développer. C’est cette réalité que la France doit prendre en considération, avec, comme toujours, l’objectif d’une paix juste et durable, arrachée à tous les fanatismes et à tous les impérialismes. Monsieur le Premier ministre, si dans la lignée de ses dernières prises de position sur l’Irak et aujourd’hui sur le Liban, le Gouvernement s’engageait sur cette voie, les députés communistes et républicains seraient à ses côtés (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Bernard Accoyer – Le Proche-Orient vient une nouvelle fois, hélas, d’être le théâtre d'affrontements meurtriers. Trente-trois jours de combats ont provoqué un enchaînement dramatique de deuils, de souffrances et de destructions avant le cessez-le-feu obtenu sous l’égide des Nations unies. Au Liban, le terrible décompte dépasse les 1 200 morts. Un million de Libanais, qui ont généralement tout perdu, ont été contraints à l’exode. La destruction des infrastructures et des habitations a réduit à néant quinze années d'efforts pour la reconstruction du pays. Dans le nord d'Israël, 41 civils ont perdu la vie tandis que des centaines de milliers vivaient quotidiennement au rythme des hurlements des sirènes et des roquettes du Hezbollah. Les responsabilités dans le déclenchement de ces dramatiques événements sont multiples. L'enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah est évidemment inacceptable : ils doivent être libérés, comme celui qui est encore détenu par le Hamas. Les bombardements du Hezbollah sur le nord d’Israël avec des armements sophistiqués, fournis par des puissances étrangères, sont tout aussi inacceptables, d'autant qu'ils ne sont destinés qu'à alimenter un processus de provocation-riposte dévastateur pour la région. Pour autant, la disproportion de la riposte militaire israélienne est manifeste.

La France s'est mobilisée dès le début de cette crise dramatique et nous pouvons être fiers de son rôle décisif dans l'arrêt des hostilités. L'action du Président de la République a été déterminante dans la conclusion du cessez-le-feu et de la résolution 1701, acceptée par tous les protagonistes et qui trace les perspectives d'un règlement global (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). À cette action, il faut ajouter vos efforts, Monsieur le Premier ministre, ceux de la diplomatie française, derrière Philippe Douste-Blazy, et ceux de nos forces armées, sous l’autorité de Michèle Alliot-Marie. La diplomatie française a eu deux priorités. La première était d’aider les populations. La création rapide des couloirs humanitaires réclamés par le Président de la République a permis à nos compatriotes qui le souhaitaient de quitter le Liban. Les liaisons maritimes et aériennes, mises en place dans des conditions souvent difficiles, en particulier grâce aux moyens militaires de l'opération Baliste, ont permis l'évacuation de 10 000 de nos compatriotes et profité à plusieurs milliers de Libanais. Ce sont nos forces armées qui ont également assuré, seules, le ravitaillement de la FINUL au milieu des combats. Au nom des députés du groupe UMP, je veux saluer l’efficacité dont elles ont fait preuve aussi bien dans ces opérations d'évacuation que pour le transport du fret humanitaire vers le Liban (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous leur affirmons ici notre admiration et notre reconnaissance.

La seconde priorité était l'établissement d'un cessez-le-feu immédiat, préalable incontournable à un règlement global. La force des liens d'amitié entre la France et le Liban, ce pays historiquement si proche de nous, son crédit incontestable, fruit d'un dialogue constant avec les pays du Moyen-Orient et d’un dialogue confiant avec Israël, les positions équilibrées qu’elle défend depuis des années afin de parvenir à la paix pour tous, et en premier lieu pour Israël, ont donné force et crédit aux propositions défendues par notre diplomatie. Votre déplacement au Liban, Monsieur le Premier ministre, et ceux du ministre des affaires étrangères, ont marqué notre solidarité avec les populations victimes des combats. Ils ont montré la volonté de la France de trouver une issue rapide à la crise, sous l'égide des Nations unies.

Il est certain que toute solution durable ne peut être élaborée que dans le respect du droit et dans le cadre de l’ONU, car les actions unilatérales ont montré leurs limites. Aussi la France s'est-elle employée à agir au sein du Conseil de sécurité, en harmonie avec les États-Unis, comme elle l'avait fait pour l'adoption de la résolution 1559. Son action s'est déployée dans le respect du droit, avec deux exigences que les députés UMP partagent : le retour à la souveraineté libanaise sur l'ensemble du territoire national et la sécurité d'Israël, d’abord pour les Israéliens du nord.

À l’issue de longues négociations, c'est la position défendue par le Président Chirac qui a prévalu, fondée sur un plan en trois points : la cessation immédiate des hostilités, la recherche d'un accord politique et le déploiement d'une force internationale.

La France a su mobiliser, convaincre, entraîner ses partenaires de la communauté internationale, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies et tous les acteurs de la région pour faire adopter la résolution 1701. C'est une contribution décisive que nous tenons à saluer. La résolution 1701 prévoit la cessation immédiate des hostilités sur le terrain, le déploiement – accepté par tous – de l'armée libanaise au sud du pays avec le soutien d'une FINUL renforcée, le retrait concomitant de l'armée israélienne, un embargo sur les livraisons d'armes et la recherche d'un accord politique global, garantissant la souveraineté pour le Liban et la sécurité pour Israël.

Où en est-on aujourd'hui de son application? Le cessez-le-feu est, globalement, assez bien respecté de part et d'autre. L'armée libanaise a commencé de se déployer au Sud Liban, en application de la décision courageuse prise par le gouvernement de Fouad Siniora, laquelle a constitué un tournant dans la crise.

Nous saluons les efforts de l'armée libanaise pour faire respecter l'embargo sur les armes, ainsi que les interceptions qu'elle a déjà réalisées à la frontière syro-libanaise. De tels efforts sont indispensables pour éviter que les populations du nord d'Israël ne restent la cible permanente des tirs de roquettes du Hezbollah, alors même que l'armée israélienne a commencé son retrait du Sud Liban. La France continue d'assurer le commandement de la FINUL, après que notre pays a déjà fourni un premier renfort. Des unités, françaises et italiennes, ont entamé leur déploiement afin de la renforcer.

Le déploiement d'une force internationale dans un contexte aussi délicat exigeait que son mandat soit très soigneusement défini. Dans le passé, la France a fait la douloureuse expérience, dans le cadre de certaines opérations de l'ONU, au Liban mais aussi en Bosnie ou en République démocratique du Congo, des conséquences – pour la sécurité de nos forces comme pour l'efficacité des missions  de mandats mal définis ou de règles d'engagement inadaptées.

Depuis sa création en 1978, la FINUL a chèrement payé son engagement en faveur de la paix au Proche-Orient. Elle a perdu 258 hommes, auxquels s’ajoutent les 300 soldats français et américains qui ont payé de leur vie les attentats de Beyrouth d'octobre 1983. Nous pensons aussi aux 90 soldats français qui ont trouvé la mort en Bosnie, avant 1995, du fait d'une mission et de conditions d'engagement insuffisamment définies. Comme l'a souligné Michèle Alliot-Marie : « II n'était pas question d'exposer la vie des militaires sans leur assurer les moyens nécessaires à leur mission. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Il en va également de la crédibilité des opérations de maintien de la paix diligentées par Nations unies. Les garanties apportées par l'ONU sur la mission de la FINUL renforcée, ses règles d'engagement et sa chaîne de commandement sont importantes. Elles lui permettront de remplir efficacement sa mission et de préserver la sécurité de ses effectifs.

Deux mille soldats français étant engagés au sein de la force internationale, il était indispensable d'obtenir ces garanties avant de déployer nos soldats sur le terrain, même si cela a pris quelques jours supplémentaires. Et il ne peut y avoir là matière à polémique, non plus, du reste, que sur la hauteur de l'engagement militaire de la France. La France, qui participe déjà à des actions de maintien de la paix dans de nombreux théâtres extérieurs – en Afghanistan, au Kosovo ou en Côte d'Ivoire – n'a pas de difficultés à envoyer des forces vers un nouveau théâtre d'opérations. La réforme de 1996 portant professionnalisation de nos armées, voulue par le Président de la République, nous a donné des capacités de projection rapides, conséquentes et adaptées. Intégralement respectée depuis quatre ans, la loi de programmation militaire de 2003 a enfin permis de doter nos forces de moyens matériels modernes et adaptés à ce type de mission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Le statut international de la France, membre permanent du Conseil de sécurité, et son engagement constant en faveur du respect du droit, de la paix et de la justice commandent que nous ne relâchions pas notre effort de défense. Dès lors, l’on ne peut que regretter les prises de position du premier responsable du principal parti de l'opposition prônant une diminution de notre budget de défense… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense - Il fallait le dire !

M. Bernard Accoyer - D'autres polémiques ont pu être soulevées, sur de prétendus « atermoiements » de la France, et il est éminemment regrettable que ces polémiques aient parfois trouvé des relais complaisants chez certains responsables politiques de notre pays, troublant ainsi un consensus national bienvenu et que nous saluons. Comment ne pas trouver déplacés les propos à l’emporte-pièce tenus par certains présidentiables de l'opposition, plus enclins à constituer prématurément des états-majors électoraux qu'à écouter les conseils avisés des états-majors militaires ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Bayrou - Ce n’est pas au niveau du débat !

Mme Martine David - C’est petit et mesquin, comme d’habitude !

M. Bernard Accoyer - La conduite de notre politique étrangère exige de l'expérience, du sang froid et une connaissance approfondie des dossiers. Nous savons gré au Président de la République d'avoir pris le temps d'obtenir les garanties indispensables à la sécurité des militaires français et d'avoir fixé une clause de rendez-vous, dans six mois, pour faire le point de l'opération.

Nombre de questions restent malheureusement en suspens avant que n’advienne une solution politique durable au Sud Liban. Dans l'immédiat, tout doit être fait pour favoriser la consolidation du cessez-le-feu, permettre le retour des populations déplacées et aider l'économie libanaise à redémarrer. La levée – en cours – du blocus aérien, maritime et terrestre, comme l'avait demandé le président Chirac, constitue à l’évidence une étape majeure. La reconstruction du Liban s'engage désormais, en particulier grâce au premier élan de solidarité internationale enregistré lors de la Conférence de StockholM. La France y prendra toute sa part, notamment pour ce qui concerne la remise en état des infrastructures et la réparation des dégâts environnementaux.

A terme, seul le dialogue, sous l'égide des Nations unies, pourra ramener la paix et la sécurité dans la région. Un dialogue qui doit porter sur la démarcation des frontières, en particulier dans la zone des fermes de Chabaa. Et un accord politique passe forcément par un dialogue avec l'ensemble des acteurs régionaux.

Le désarmement du Hezbollah, inscrit dans les résolutions des Nations unies, demeure un objectif essentiel et incontournable pour le rétablissement de la paix, car il ne peut y avoir un État dans l'État. Il ne pourra cependant être obtenu que sur la base d'un consensus politique national, dans le cadre d’un processus interlibanais. Le Hezbollah est actuellement représenté dans le gouvernement libanais. Souhaitons ensemble qu'il en tire toutes les conséquences pour se transformer en force politique et renoncer à l'option militaire.

Le dialogue avec Téhéran doit être sans complaisance et porter sur le rôle que cet État peut jouer dans la région, en se comportant comme un grand pays respectable. Quant à la Syrie, pour participer à ce dialogue, il lui revient de respecter le droit et la légalité internationale, sans chercher à remettre en cause la souveraineté du Liban. Elle doit aussi satisfaire aux exigences des Nations unies dans l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri et sur les autres crimes et attentats perpétrés au Liban.

Chacun sait que la crise libanaise est la conséquence d'autres crises dans cette partie du monde, située au cœur de tant d'enjeux : conflit israélo-palestinien, instabilité en Irak, tensions dans le Golfe, montée des fondamentalismes... Rien ne pourra faire avancer la paix dans la région sans un règlement négocié de chacune de ces situations, en particulier pour ce qui concerne la question israélo-palestinienne.

C'est la raison pour laquelle nous appelons de nos voeux, comme l'a souhaité le Président de la République, une réunion rapide du Quartet pour relancer le processus de paix. L’Union européenne, qui en est membre à part entière, doit y prendre toute sa part. Il lui a été reproché d'avoir été absente dans la crise libanaise, malgré les propositions faites par la France, faute d'unanimité entre les Vingt-cinq. Pourtant, au Liban, les effectifs engagées par l'Union – plus de 7 000 soldats – constitueront la colonne vertébrale de la FINUL renforcée, ce qui redonne vie à l'idée d'une défense européenne. Et il faut saluer les efforts de notre diplomatie pour atteindre ce résultat.

C'est au Liban que nous pensons tout particulièrement. Le Liban, terre de diversité, a trop souvent servi de terrain de manœuvre aux stratégies tortueuses des uns et des autres. Dès lors, il nous revient de tout faire pour préserver le «miracle libanais», lequel symbolise, dans une région déchirée par les conflits, la capacité à vivre ensemble de populations d'origine et de confessions différentes.

Le groupe UMP fait confiance au Président de la République, à son expérience, à son autorité sur la scène internationale, ainsi qu'au Gouvernement, pour agir en ce sens, en faveur de la paix au Proche Orient et dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault – Cette guerre des six semaines représente un nouveau désastre pour le Proche Orient. Jamais la paix n'a paru si éloignée. Jamais le fossé entre Israël et ses voisins n'a semblé plus profond. Jusqu'où cette région va-t-elle s'enfoncer entre tentatives de paix avortées et déploiement de forces ? Entre guerres chaudes et accalmies glaciales ?

La question va au-delà de la stabilité régionale. Elle engage la sécurité internationale, tant le risque de fracture entre Orient et Occident augmente à chaque confrontation. Je reviendrai sur ce point, qui justifie à mes yeux l'engagement de la communauté internationale. Tous les faits de cette guerre ont en effet démontré l'impasse de la logique militaire. Le Liban, qui commençait à se redresser de vingt ans de guerre et qui constitue l'une des rares démocraties de la région, a été durement éprouvé : des milliers de victimes civiles, la destruction de trop de villes et d'infrastructures, un blocus maritime et aérien inacceptable, qui, heureusement, touche à sa fin.

De son côté, Israël n'a pas atteint ses objectifs : pas plus la sécurisation de sa frontière au nord que la destruction du Hezbollah ou la libération de ses soldats kidnappés.

Sa supériorité technologique ne lui a été d'aucun secours pour terrasser un adversaire enraciné et rompu aux techniques de guérilla. Politiquement, Israël est plus que jamais isolé. La disproportion de sa riposte lui a aliéné les sympathies de ceux qui reconnaissent son droit à se défendre, a renforcé ceux qui nient son droit à l'existence et ont juré sa destruction.

J'admire la faculté de la démocratie israélienne à reconnaître ses erreurs et à en débattre au grand jour. Mais la question est d'ordre stratégique : Israël veut-il rester une forteresse assiégée dans une région hostile ou s’insérer dans un ensemble régional pacifié ? Croit-il pouvoir continuer à agir unilatéralement ou est-il prêt à se conformer aux résolutions de l'ONU comme il le fait pour la 1701 ?

Il faut avoir le courage de mettre en garde sans relâche nos amis israéliens contre la funeste tentation d'un « deuxième round ». Ce serait la politique du pire, le risque d’une guerre sans limite. Tous les efforts de l'ONU et des nations qui concourent à la paix seront vains si n'émerge pas une volonté réciproque des belligérants de négocier une solution politique.

Le dire n'est pas ignorer les lourdes responsabilités du Hezbollah. Son refus obstiné de reconnaître l'existence d'Israël, ses agressions répétées, l'enlèvement de deux soldats ont été les détonateurs de l'embrasement. Ses dirigeants ont pris délibérément le risque d'exposer leurs compatriotes libanais aux ripostes israéliennes. Une résistance a pour but de défendre un peuple, pas de le conduire à la ruine. Les Libanais ont eu le sentiment d'être pris en otage. La solidarité qu'ils ont exprimée envers leurs compatriotes chiites ne signifie pas adhésion à la stratégie belliciste du Hezbollah. Le processus de réconciliation nationale s'est bâti sur le départ de l'armée syrienne mais aussi sur la volonté de reconstruire un État souverain.

À cet égard, je salue la décision du Premier ministre Fouad Siniora de déployer l’armée libanaise au sud Liban. Elle traduit sa volonté de recouvrer une pleine souveraineté et de ne plus accepter un État dans l'État, armé, financé par l'ancienne puissance occupante. Jusqu'où ira cette détermination ? Le vrai critère sera le désarmement du Hezbollah, prévu dans la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Ce désarmement ne peut venir que d'un accord entre les Libanais eux-mêmes. Mais l'État libanais et le Hezbollah doivent donner des garanties, et établir un calendrier contrôlé par la communauté internationale. C'est la condition d'un retour de la confiance et du dialogue avec Israël.

C'est dans ce contexte que nous avons soutenu les efforts de notre pays pour aboutir à la cessation des hostilités. Par une heureuse continuité diplomatique, depuis vingt cinq ans, nous agissons sous l'auspice des instances internationales chaque fois que la paix est menacée. Ainsi sommes-nous présents en République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, en Bosnie, au Kosovo, au Cambodge, en Afghanistan, et au Liban. Pour cette région, les principes de notre action n'ont pas changé depuis la déclaration de François Mitterrand le 17 juin 1982 : rétablir la souveraineté, l'intégrité et l'unité du Liban ; respecter les résolutions du Conseil de sécurité sur le cessez-le-feu et le retrait des forces israéliennes et de toute armée étrangère du territoire libanais ; assurer la sauvegarde et la protection des populations ; reconnaître les droits légitimes du peuple palestinien ; respecter les frontières reconnues internationalement, donc garantir le droit à la sécurité d'Israël.

Cette volonté d'être un acteur impartial nous vaut l'estime et le respect de toutes les parties prenantes. Oui, la France a bien agi au Liban. Face à un conflit inutile et meurtrier, elle a su entraîner les belligérants et la communauté internationale dans un processus de cessation des hostilités. Face à la catastrophe humanitaire, elle a été la première à offrir son concours logistique. Face à la nécessité d'une force d'interposition internationale, elle a su prendre ses responsabilités en acceptant de renforcer la FINUL et d'en assumer le commandement.

Sur ce dernier point, le chef de l'État a eu raison d'exiger des garanties avant de déployer nos forces sur le terrain. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Les Italiens et les Espagnols ont fait la même demande. François Mitterrand avait formulé la même exigence en 1983…

M. Jacques Myard - C’est le bon sens !

M. Jean-Marc Ayrault - …en ces termes : « Je n'exposerai pas la vie de nos soldats, qui méritent eux aussi d'être aidés, au-delà de la nécessité. » Nous avons tous en mémoire l'attentat qui a coûté la vie à 55 de nos soldats à Beyrouth cette année-là, et l'impuissance des forces des Nations unies en Bosnie ou au Rwanda. L'ONU doit donner à ses troupes les moyens de faire respecter leur mandat ; la clarification de la chaîne de commandement, la possibilité d'ouvrir le feu en cas d'agression d'un des belligérants ou d'attaques contre la population civile, le déploiement de matériels terrestres lourds vont dans ce sens. De même a-t-il été clairement établi que le désarmement du Hezbollah n'est pas du ressort de la FINUL mais de l'armée libanaise.

Nous avons approuvé ces décisions qui répondent à l'urgence de la situation et à la sécurité de nos troupes. Mais la mission reste des plus périlleuses. Le cessez-le-feu a déjà été violé de part et d'autre. L'approvisionnement en armes du Hezbollah se poursuit et son traitement fait l'objet d'un grand flou. Nous sommes encore entre guerre et escarmouches. Un statu quo conduirait inévitablement à la reprise du conflit et exposerait nos soldats. Sans avancée diplomatique, je crains que l'évaluation de la mission promise par le chef de l'État dans six mois n'arrive trop tôt ou trop tard.

À cette première réserve, j'en ajouterai deux autres sur la méthode. Je regrette que la France n'ait pas su coordonner ses efforts avec ses partenaires européens, Italie et Espagne, qui oeuvraient parallèlement à un cessez-le-feu. S'il était légitime, au Conseil de sécurité, de rechercher en priorité un accord avec les États-Unis, le poids de l'Europe eut été un levier supplémentaire pour accélérer l'évolution de la position américaine et l'arrêt des combats. L'Europe a en tout cas prouvé qu'elle pouvait être efficace en décidant en moins de deux heures de participer à la FINUL.

De même, je voudrais comprendre les contradictions de notre diplomatie vis-à-vis des Etats commanditaires du Hezbollah. D'une part, le chef de l'Etat refuse tout contact avec la Syrie. De l'autre, le ministre des Affaires étrangères a été jusqu'à louer le rôle stabilisateur que pourrait jouer l'Iran. Je peux comprendre la méfiance qu'inspire le régime syrien. Mais l’Iran, avec son programme nucléaire et ses fatwas contre Israël, apparaît autrement plus dangereux. Je condamne une nouvelle fois les propos négationnistes du président iranien et sa volonté de détruire Israël. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mais ou l'on considère comme les Américains qu'existe un axe du mal, et il faut mettre la Syrie et l'Iran au ban des Nations. Ou l'on reconnaît plus lucidement qu'une solution négociée au Liban doit impliquer toutes les parties, et il est impossible d'ignorer la Syrie. Ce point engage la sécurité de nos troupes au Liban et pèse sur la perspective politique que l'on veut tracer pour le Proche et le Moyen-Orient.

L'urgence est la reconstruction du Liban. La conférence de Stockholm a permis de fixer les priorités et de collecter un milliard de dollars. La France doit y participer, notamment grâce à la coopération décentralisée. Mais cette contribution n'aura de sens que si elle va bien aux populations concernées et n’est pas détournée par le Hezbollah. C'est l’occasion pour l'État libanais d'affirmer son autorité. Et la reconstruction doit s’accompagner de garanties politiques et diplomatiques entre tous les acteurs concernés.

Une conférence internationale, pour souhaitable qu'elle soit, est à ce stade prématurée et irréaliste. De quoi parlerait-on et avec qui ? Du seul contentieux israélo-libanais ou aussi du problème palestinien et du conflit avec la Syrie ? Toutes les formules de ce type ont échoué.

Il nous faut être plus modestes, et en même temps plus ambitieux. Plus modestes parce qu'il n'existe pas de formule magique pour démêler l'écheveau du Moyen-Orient. C'est la grande erreur et le grand échec de l'administration Bush. En faisant du Proche et du Moyen Orient le poste avancé de sa guerre contre le terrorisme, en réduisant tous les problèmes à un « western biblique » entre démocratie et islamisme, selon l’expression de l'ancien ministre libanais George Corm, en soutenant les thèses les plus extrémistes de la droite et de l’extrême droite Likoud israéliennes, l'Amérique s'est coupée des populations arabes et musulmanes.

M. Philippe Vitel - C’est passer le 11 septembre par pertes et profits.

M. Jean-Marc Ayrault - Le seul résultat de cette politique est d'avoir renforcé tous les adversaires d'un règlement négocié.

La France, notamment lors du conflit en Irak, a été l'un des rares pays à pressentir cet échec. Mais faute d'avoir pu ou su en convaincre l'Europe, faute d'une autre perspective qu’un simple retour à la Realpolitik, elle n'a pu qu'agir aux marges. le problème aujourd'hui est de trouver une nouvelle force médiatrice suffisamment impartiale et reconnue pour retisser le lien entre Israël et ses voisins.

Et c'est là que nous devons être plus ambitieux. Il nous faut rompre avec la vision unilatérale qu'a imposée l'administration Bush, non par antiaméricanisme, mais parce que derrière l'apparente glaciation des rapports de force, la place des acteurs a changé. La Syrie est affaiblie, l'Iran émerge, l'Irak se débat dans la guerre civile, l'autorité palestinienne est moribonde, Israël retombe dans l'isolement. Cela nous oblige à repenser nos analyses, séparer les conflits, casser le front du refus intégriste en jouant sur les intérêts contradictoires. Une telle démarche nécessite de multiplier les canaux de dialogue et de négociations et de n'écarter aucun interlocuteur pourvu d'une légitimité. Nul n'a jamais fait la paix avec ses seuls amis.

La paix au Liban passe inévitablement par une négociation directe entre Israël et l'État libanais incluant toutes les forces politiques y compris le Hezbollah, seul moyen d'amener le « parti de Dieu » à passer de la lutte armée au terrain politique. L'échange de prisonniers peut être l'amorce de cette négociation.

De même, le refus de parler avec la Syrie risque de la jeter dans les bras de l'Iran. Sans oublier son rôle dans les drames du Liban, il faut la placer face à ses responsabilités de puissance régionale.

Quant à l'Iran, les sanctions internationales que prépare le Conseil de sécurité seront insuffisantes si l'Europe ne parvient pas à organiser une négociation directe entre Washington et Téhéran. Nous avons là un rôle essentiel à jouer. Aujourd'hui les menaces de confrontation peuvent inciter les Iraniens à utiliser le Hezbollah comme moyen de pression. À l'inverse, une offre de négociation sérieuse donne une chance d'aboutir à un compromis acceptable et nécessaire.

Mais le nœud gordien de tous ces conflits demeure le règlement de la question palestinienne. Tant que cet abcès de fixation demeurera, aucune normalisation ne sera possible entre Israël et le monde arabe. Comment admettre la résignation de la communauté internationale devant la reprise des affrontements à Gaza et en Cisjordanie, comment accepter la passivité de l'Amérique et le suivisme de l'Europe ? Nous faisons l'autruche alors même qu'un timide faisceau d'espoirs existe : conviction, de la part d'une majorité d'Israéliens, qu’un État palestinien est inéluctable, plan Sharon de retrait unilatéral des territoires occupés, ralliement du Hamas à l'appel des prisonniers qui reconnaît implicitement l'existence d'Israël, tentative de formation d'un gouvernement d'union nationale autour du président Abbas.

Pour consolider ces bases fragiles, il faut sortir du manichéisme qui trie entre les bons et les mauvais interlocuteurs. Quand on demande aux Palestiniens des élections libres, on ne peut pas les sanctionner au motif que les représentants qu'ils se sont choisis ne sont pas ceux que l’on souhaiterait ! Cela contribue à brouiller notre message démocratique et à conforter, au sein des populations arables, le sentiment qu’il y a deux poids, deux mesures. Il faut revenir sur le boycottage du Hamas, obtenir la libération de ses ministres et rétablir l'aide internationale aux Palestiniens. Nous serons alors mieux à même de couper le Hamas de ses alliés syriens et iraniens et d'exiger qu'il reconnaisse la légitimité et la sécurité d'Israël (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Parler, ce n'est pas pactiser avec l'islamisme radical, c'est au contraire chercher à dissocier les durs des modérés, c'est casser l'image d'un monde arabe monolithique, c'est comprendre qu'existent en son sein des intérêts contradictoires, c'est aider ceux qui travaillent à la démocratie et au dialogue des civilisations. La guerre fait le jeu des extrémistes, la négociation est l'atout des démocrates.

La voie est escarpée ; elle demande une diplomatie ferme dans ses principes mais subtile dans sa méthode, déterminée mais patiente. Parce qu'elle a toujours défendu un ordre mondial équitable, parce qu'elle a tissé des liens d'amitié avec toutes les parties du Moyen-Orient, la France peut contribuer à la nouvelle donne. Cela suppose de sortir de la diplomatie du cavalier seul et des coups d'éclat sans lendemain. Nous avons en Europe des partenaires qui ont pris conscience des impasses américaines, qui sont prêts à s'engager dans des médiations communes, comme l'ont fait l'Espagne et l'Italie dans la FINUL : fédérons ces énergies, coordonnons nos efforts diplomatiques. Ensemble, nous pouvons faire évoluer la stratégie américaine et davantage peser sur les choix.

II n'y a pas de malédiction du Moyen-Orient, il n'y a pas de fatalité au choc des civilisations. C'est la résignation qui fait le lit de l'extrémisme, c'est la passivité qui engendre la guerre. Au Liban, nous avons stoppé la course à l'abîme ; il nous faut maintenant construire la paix. Les socialistes – qui n’entreront pas dans des polémiques –seront de cette bataille ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - Deux mois après le débat que nous avons eu ici même sur le Proche-Orient, jamais cette région du monde n'a été dans une situation aussi grave : le Liban est en partie détruit, pour autant Israël n'a pas gagné la guerre et s’interroge, les Palestiniens sont désespérés, le Hezbollah et l'Iran se laissent aller à un dangereux sentiment de victoire. Les risques sont plus importants que jamais, et les perspectives de paix éloignées.

Que de nombreuses erreurs aient été commises, nous le savons : par les Américains, qui voulaient démocratiser la région de gré ou de force ; par les Israéliens, qui ont cru trouver une solution dans des décisions unilatérales et radicales ; par les dirigeants du Hamas et du Hezbollah et de leurs protecteurs iraniens, recourant systématiquement à la violence. La région est dans le chaos, les extrémismes s'y renforcent. Une prise de conscience peut-elle surgir de cette crise ?

L'ONU a réussi à imposer un cessez-le-feu, la France s'y est employée. Kofi Annan a appelé chacun à le respecter et à faire des concessions pour une paix durable, mais il ne semble pas qu'il ait été entendu par tous. La France a joué un rôle conforme à sa tradition et à son amitié pour le Liban, un rôle de paix qui a permis le vote de la résolution 1701 du Conseil de sécurité et la constitution de la force internationale.

Maintenant, il faut réussir sur le court et sur le long terme. Or, nous ne voyons pas clair sur tous les points ; nous vous demandons, Monsieur le ministre des affaires étrangères, de nous y aider.

S'agissant tout d’abord de la FINUL renforcée, qui n'a pas été placée sous le chapitre VII de la charte, la France a obtenu des garanties quant aux cas où elle pourrait recourir à la force. Pourriez-vous, sans enfreindre les règles de confidentialité, nous préciser ces cas, en dehors de ceux classiques, de la légitime défense et de la liberté de mouvement des troupes ?

M. François Bayrou - Très bien !

M. le Président de la commission des affaires étrangères - S'agissant de la surveillance de la frontière syro-libanaise, alors que la Syrie semble s'opposer au déploiement de la FINUL, le gouvernement libanais est-il, selon vous, en mesure d’empêcher tout trafic d’armes, ainsi que l’a déclaré son Premier ministre ?

MM. Hervé de Charette et Claude Goasguen - Très bonne question !

M. le président de la commission des affaires étrangères - S'agissant enfin du désarmement du Hezbollah, qui semble n'être ni dans la mission de la FINUL, ni dans celle de l'armée libanaise, vous avez déclaré devant notre commission qu'il ne pourrait résulter que d'un consensus réalisé entre les Libanais eux-mêmes. Pour cela, il faudrait reconstruire un État libanais avec un gouvernement solide, une autorité assurée. Croyez-vous que ce consensus soit proche ?

Si tel ne devait pas être le cas, si les milices devaient demeurer armées – et le Hezbollah y paraît résolu –, si la frontière avec la Syrie et le Liban ne devait pas être contrôlée, alors la présence de la FINUL renforcée se prolongerait durant de longues années, sauf à laisser le chaos régner à nouveau au Liban. Les Nations unies doivent être prêtes à maintenir un engagement important, la France également. Qui ne voit les devoirs que nous créerait une pareille situation, mais également les risques qu'elle ferait peser sur nous ?

Cela doit nous conduire à affirmer une volonté d'aboutir enfin à une solution durable et globale du conflit au Proche-Orient, conflit qui pèse depuis plus d'un demi-siècle sur la vie internationale et spécialement sur les intérêts de l'Europe, aussi bien économiques que politiques. Tout est lié : les relations entre Israël et la Palestine, l'avenir du Liban, la fin de la guerre civile en Irak, les relations avec la Syrie et l'Iran. Force est de constater l'échec des solutions unilatérales ou partielles, dont la feuille de route est le dernier exemple. Israël s'est retiré du Liban il y a six ans, s'est retiré de Gaza l'an dernier, aurait voulu il y a quelques mois se dégager de la Cisjordanie, mais l'unilatéralisme n'a rien résolu.

Le Proche-Orient a besoin de la paix. Cela veut dire une frontière définitive et reconnue pour Israël, pour la Palestine et pour le Liban, et cela veut dire pour ces trois États la garantie de leur sécurité.

Comment y parvenir ? Par la réunion d'une conférence internationale, avec la participation de tous les intéressés : non seulement le Quartet, mais également les voisins d'Israël et du Liban car sans leur accord, rien ne sera viable.

Cela suppose que nous rétablissions le dialogue avec la Syrie. Je sais tous les reproches qui peuvent être faits au gouvernement de ce pays et les soupçons qui pèsent sur lui, mais je sais aussi qu'il y a cinq, dix ou quinze ans, il n'était pas plus respectueux des droits de l'homme et de l'indépendance du Liban, et que la France, qui en avait fait la dure épreuve, avait cependant des relations avec lui.

M. François Bayrou - Très bien.

M. le Président de la commission des affaires étrangères - Il faut tenter de rétablir ces relations. Qu'est-ce que notre politique arabe depuis le général de Gaulle, sinon la capacité de parler avec tous, quels que soient les griefs légitimes envers tel ou tel ?

Il faut aussi poursuivre le dialogue avec l'Iran, et c'est peut-être le problème le plus difficile car ses ambitions nucléaires interfèrent avec son influence au Liban. Il faut regarder la réalité en face, le ministre des affaires étrangères a eu raison de le faire : l'Iran aspire à jouer un rôle plus grand dans cette région, il aspire également à se voir reconnaître, en matière nucléaire, des droits que ne lui reconnaît pas le traité de non-prolifération.

M. Pierre Lellouche - Dont il est signataire.

M. le Président de la commission des affaires étrangères - Nous devons tout faire pour trouver sur ce point une solution équitable, faute de quoi ce serait la fin du traité de non-prolifération, et toutes les digues céderaient.

Cette solution équitable, nous devons aussi la trouver en Irak, où l'avenir passe par un retrait progressif des États-Unis et par un équilibre nouveau entre les communautés. Le plus vite sera le mieux.

En conclusion, j'approuve ce qu'a été l'action de notre pays pour mettre un terme aux souffrances du Liban et à celles des Palestiniens tout en assurant la sécurité d'Israël ; je souhaite la réunion d'une conférence internationale qui ne soit pas limitée au Quartet mais associe tous les intéressés. Tous les pays de la région doivent accepter qu'Israël existe et qu'il a le droit à la sécurité, mais la reconnaissance de ce droit ne doit pas cacher les évolutions qu'Israël doit accepter et auxquelles les États-Unis seraient bien avisés de l'inciter (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Si, pour assurer la sécurité d'Israël, la présence d'une force internationale durable s'avérait nécessaire, je l'approuverais. C'est sur ce plan que le rôle de l'Europe peut être important. Elle doit saisir cette occasion pour jouer enfin un rôle conforme à ses ambitions, sans cesse affichées et trop rarement concrétisées : en associant un certain nombre de pays musulmans, elle peut être la garante de la paix et de la sécurité de la région et un artisan essentiel de sa reconstruction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense - En annonçant sa décision d’envoyer 2 000 militaires français au Liban dans le cadre de la force internationale prévue par la résolution 1701, le Président de la République a voulu que se tienne un débat sur ce thème au sein de notre assemblée, et ce dès l’ouverture de la session extraordinaire.

Une telle initiative doit être saluée, car après une période d'intense activité diplomatique et des choix militaires décisifs, il importait que la représentation nationale puisse débattre et s'exprimer librement sur ce sujet.

À cet égard, nous ne pouvons qu’approuver totalement l'engagement diplomatique et militaire de la France dans la résolution de la grave crise qui secoue le Proche-Orient. Il était impossible que la communauté internationale reste inactive face aux souffrances endurées par les populations civiles, qu’elles soient libanaises ou israéliennes.

La France, qui se devait d'être au premier rang de l'action, a joué un rôle majeur dans la préparation et l'adoption de la résolution 1701 par le Conseil de sécurité de l'ONU, assumant pleinement sa responsabilité de membre permanent. Nous devions agir en catalyseur, en incitant nos partenaires européens à s’engager dans la constitution de la force multinationale nécessaire au retour durable de la stabilité régionale.

En effet, les attentes étaient fortes. Sur la scène internationale tout d'abord, et particulièrement au sein de l'ONU, la voix de la France était attendue, car nous bénéficions d’une position équilibrée entre les parties, qui était nécessaire pour parvenir rapidement à un cessez-le-feu.

Au sein de la population libanaise ensuite, les appels ont été nombreux vers notre pays pour que cessent les souffrances. Loin d'être acquis dans son ensemble aux thèses extrémistes, le peuple libanais ne fait que subir les dérives d'un conflit régional qui le dépasse. En raison des liens multiséculaires entre le Liban et la France, c'est un véritable appel au secours qui nous a été envoyé !

Chez nous enfin, nos concitoyens ne pouvaient accepter que notre pays reste en retrait quand il s’agit de faire cesser les destructions et les malheurs subis par un peuple ami. Comment pouvions-nous déroger à la tradition de grandeur de la France ?

Des critiques n'ont toutefois pas manqué de fuser, et l’on a fustigé de prétendus atermoiements lorsqu’il a fallu que nous nous prononcions sur notre participation à la nouvelle force internationale. Bien au contraire, les exigences posées par le Président de la République ont fait la preuve de la maturité de la position française. Elles ont servi, et serviront encore, les intérêts de la communauté internationale, qui souhaitait une action diplomatique crédible et une intervention militaire efficace.

Des précisions sur le texte de la résolution et des garanties devaient dès lors être données : hier encore, Mme Michèle Alliot-Marie est donc venue nous indiquer en commission que l’ordre de riposte pouvait être donné à nos soldats. Voilà qui importait avant d'envoyer des bataillons dans cette zone si risquée qu’est le sud du Liban !

Que n'aurait-on entendu, en effet, si nos militaires, projetés précipitamment sur le terrain, s'étaient retrouvés en situation périlleuse ? Chacun se rappelle les expériences douloureuses d'impuissance, voire d'humiliation, connues dans les Balkans quand d’autres étaient aux responsabilités. Bien des images nous reviennent en tête : par exemple, celles des colonnes de blindés stoppées en 1994 par quelques miliciens pourtant peu armés, assis sur des chaises en formica !

Les dispositions de la résolution 1701, notamment les paragraphes 11, 12 et 14 qui fixent les objectifs assignés à la FINUL, étaient trop générales. Elles prévoyaient d'ailleurs que le Secrétaire général prendrait les mesures nécessaires pour que ces objectifs soient bien atteints. Comme nos lois renvoient à des décrets d'application, la résolution 1701 demandait donc des précisions ultérieures et il fallait prendre le temps de fixer les missions permettant d’atteindre les objectifs retenus.

J’ajoute que le soutien à l'armée libanaise risque d’être particulièrement délicat. Ne faudrait-il pas lui fournir les équipements qui lui font défaut, et mieux assurer la formation de ses hommes, voire mieux assurer l’équilibre entre les clans et les factions qui se retrouvent en son sein ?

Il fallait ensuite organiser une chaîne de commandement efficace et réactive, donc courte, ce qui est aujourd’hui acquis. Enfin, il était primordial de préciser les règles d'engagement, notamment pour l'ouverture du feu, afin d'assurer l'efficacité et la liberté de manœuvre indispensables aux troupes déployées.

Tout est-il cependant réglé, Monsieur le ministre des affaires étrangères ? Je pense au risque de remise en cause de nos relations diplomatiques et aux conséquences que pourrait avoir au sein de notre pays un accrochage grave entre les militaires de la FINUL et les belligérants.

Les précautions qui ont été exigées sont le fruit de l'expérience. Elles visent à donner toutes les chances de succès à la nouvelle force d'interposition, car l'échec n’est pas permis.

En effet, il s'agit tout d'abord de prévenir une reprise des combats qui pourrait déstabiliser toute la région, les parties en présence étant soutenues par d'autres pays, dont la participation à de nouveaux combats pourrait devenir plus visible encore qu’en juillet et en août. Au Liban, c'est la paix de tout le Moyen-Orient qui se joue.

D’autre part, en s'engageant pour constituer la « colonne vertébrale » de la force internationale, l’Union européenne met en jeu sa crédibilité. Elle ne peut se permettre ni d'échouer, ni même de ne réussir qu’à moitié. Si la réunion tenue le 25 août sur la participation de chacun laisse espérer qu’elle pourra enfin accéder à une certaine identité politique, nous revenons de loin : au plus fort de la crise, elle était absente et ses États membres ont adopté des positions pour le moins divergentes. Sans réelle politique commune, sans exécutif capable de décider rapidement ni de représentant doté de réels pouvoirs, elle a souffert du rejet de l'organisation institutionnelle qui avait été proposée par le traité sur la Constitution européenne.

Il était donc illusoire de vouloir laisser à l’Union le premier rôle au détriment des pays membres les plus engagés. Lors la réunion du 25 août, c’est la France, accompagnée de l’Italie, qui a poussé l'Union européenne à retrouver sa place dans une perspective multilatéraliste qui reste son avenir.

Les participants, au moins occidentaux, étant connus, et les missions fixées, il revenait à la réunion dite de « génération de forces » de déterminer les moyens nécessaires. C'est sans surprise que le choix a été fait de prévoir des moyens puissants et dissuasifs de feu, de protection et de pénétration, qui étaient indispensables dans ce contexte particulier.

Est ainsi apparu tout l'intérêt pour notre armée de terre d'être dotée de chars Leclerc, accompagnés d'une infanterie mécanisée sur AMX10P et soutenus par des canons d'artillerie automoteurs AU FI. Nos possibilités d'action s’en trouvent accrues dans cette situation nouvelle.

Ces choix répondent non seulement aux exigences de protection et d'efficacité des troupes, mais ils présentent aussi l'avantage d'élargir le vivier des unités capables de participer à la FINUL II, réduisant les risques de « surchauffe » au fil des relèves. Ils nous permettront de remplir plus aisément notre contrat, apportant une réponse aux interrogations aussi déplacées que blessantes sur notre capacité militaire à assumer nos ambitions internationales.

Soulignons enfin que la place tenue aujourd'hui par la France, aussi bien sur le plan diplomatique que sur le plan militaire, est le résultat direct de l'effort entrepris depuis quatre années en faveur de notre défense. Avec celle du Royaume-Uni, grand absent de cette crise, notre armée est en effet parmi les rares au monde qui disposent des capacités, des savoir-faire et de l'expérience nécessaires à la conduite d'opérations multinationales complexes dans des situations risquées.

Ce constat, ainsi que notre position internationale et certaines carences actuelles doivent nous conduire à bien mesurer les conséquences qu’entraînerait la tentation de faire à nouveau de la défense une variable d’ajustement budgétaire.

Les missions confiées à nos militaires ne seront pas faciles à réaliser, et nos concitoyens doivent en être conscients. Notre confiance et notre soutien, au nom de la nation, n’en revêtent que plus d’importance. Nous devons les accorder sans retenue en paroles, mais aussi en actes ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - Permettez-moi d'abord de remercier les différents orateurs. Par leurs interventions, ils ont bien montré qu’à travers la crise israélo-libanaise ouverte le 12 juillet dernier, se joue tout l'avenir du Proche-Orient, cette région déjà meurtrie par un demi-siècle de conflits.

Après la mobilisation diplomatique en faveur de la résolution 1701, le temps est venu d'assurer l’application de ce texte. La priorité était donc la levée du blocus imposé par Israël au Liban, indispensable pour la reconstruction économique et le retour à la vie quotidienne au Liban. Nous devons remercier Israël d’avoir accédé à cette demande, qui n’est pas dépourvue de coût politique pour elle.

Nous devons ensuite garantir le « double mouvement » prévu : déploiement de l’armée libanaise dans le sud du Liban et retrait des troupes israéliennes sur la « ligne bleue », comme l’a fait remarquer Mme Buffet. Si nous avons franchi une étape importante dans l’application de la résolution 1701, nous devons continuer dans cette voie grâce au déploiement de la FINUL renforcée.

Comme M. Accoyer l’a rappelé, le Président de la République a décidé d’envoyer deux mille soldats français sous casque bleu au Liban selon le calendrier suivant : en sus des 200 hommes déjà en place, un premier renfort d’urgence a été déployé quelques jours après l’adoption de la résolution 1701 ; sur les deux bataillons supplémentaires que nous avons prévus d'envoyer, le premier devrait être sur zone, au complet, d'ici à la mi-septembre, le second devant arriver dans le mois qui suit.

M. Gérard Charasse - L’Italie a déjà envoyé 900 hommes !

M. le Ministre - La France prend donc toute sa part à la mise en œuvre de la résolution 1701. Soulignons d’ailleurs que c'est elle qui assurera le commandement de la FINUL jusqu'en février 2007, en la personne du général Pellegrini.

S’agissant de la nature et des modalités de notre contribution militaire, nous avons souhaité dès l’origine que les règles d’engagement soient robustes afin que la nouvelle FINUL puisse remplir ses missions dans les meilleures conditions de sécurité et faire face à toute éventualité. À cet égard, nous avons reçu des garanties de M. Kofi Annan, et les règles d’engagement seront bientôt définitivement arrêtées à New York. Elles devraient répondre à nos attentes puisqu’elles garantissent la légitime défense et la libre circulation de la FINUL renforcée, et que l’ordre de riposte pourra être donné à nos forces, comme l’ont rappelé hier après-midi Mme Michèle Alliot-Marie, et aujourd’hui le président de la commission de la défense.

Les missions de la FINUL, Monsieur Bayrou, seront de soutenir le déploiement de l’armée libanaise au sud et, parallèlement, le retrait des troupes israéliennes. Sera par ailleurs mise en place une zone d’exclusion où seule l’armée libanaise sera autorisée à porter des armes.

À la demande du gouvernement libanais, la FINUL devra par ailleurs porter assistance à l’organisation effective d’un embargo sur les livraisons d’armes grâce aux contrôles menés aux frontières du pays.

Enfin, le Président de la République a donné une réponse de principe favorable au Secrétaire général des Nations unies qui sollicitait le soutien de la France pour la surveillance des côtes libanaises. Nous étudions actuellement les meilleures réponses à cette demande dans le cadre des moyens dont nous disposons déjà dans la zone. Dans notre esprit, une telle assistance ne peut être qu'immédiate et transitoire, destinée à accompagner la levée du blocus annoncé par Israël, en attendant la mise en place pérenne de la FINUL, et notamment des forces allemandes dans le domaine maritime.

MM. Balladur et Bayrou se sont interrogés sur le désarmement du Hezbollah : je rappelle que le désarmement de toutes les milices – y compris le Hezbollah – est prévu par la résolution 1701. C'est l'objectif de la communauté internationale, mais aussi et surtout celui des Libanais, car c'est à eux de l’atteindre dans le cadre du dialogue national commencé au début de l'année et qui a permis une réflexion sur la stratégie gouvernementale en matière de défense nationale et d'organisation de l’armée. C'est dans ce contexte que les Libanais devront décider comment désarmer des milices. Le conflit l'a montré : il n'y a pas de solution purement militaire au conflit israélo-libanais. Nous ne trouverons d'issue que par la voie du dialogue.

M. Claude Goasguen - Oui, mais il faut désarmer quand même !

M. le Ministre – En outre, nous attendons des pays voisins qu'ils contribuent pleinement à la mise en œuvre de la résolution 1701. Toute violation de ses dispositions – notamment de l’embargo sur les armes à destination du Hezbollah – risquerait de compromettre le cessez-le-feu.

M. Paul Giacobbi - Dites-le à l’Iran !

M. le Ministre - Voilà qui permettra de mesurer les intentions de chacun des acteurs régionaux concernés.

J’en viens précisément à l'Iran. Je précise à MM. Bayrou et Ayrault que j’ai été le premier ministre des affaires étrangères occidental à condamner les propos inacceptables du président Ahmadinejad sur Israël. La France est l’amie d’Israël et est très attachée à sa sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

D’autre part, Monsieur Bayrou, c’est précisément le jour où je rendais visite au ministre des affaires étrangères iranien à Beyrouth que le Conseil de sécurité des Nations unies votait, sous présidence française et à l’unanimité moins la voix du Qatar, la possibilité de prendre des sanctions contre l’Iran s’il n’accédait pas à ses demandes en matière de nucléaire civil.

M. François Bayrou - Et c’est ce pays que vous appelez « puissance stabilisatrice » !

M. le Ministre – En effet, l’Iran n’a pas donné satisfaction sur le dossier nucléaire et n’entend pas, comme le confirme le dernier rapport de l’AIEA, suspendre ses activités d’enrichissement de l’uranium. Or, cette suspension essentielle à la sécurité internationale et exigée par la résolution 1696 est une condition indispensable à la restauration de la confiance et à la reprise des négociations. Les Six – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne – examinent aujourd’hui même à Berlin les suites à donner à cette attitude. L’adoption de sanctions suppose l’approbation d’une résolution du Conseil de sécurité. Notre objectif est d’amener l’Iran à se conformer aux demandes de l’AIEA et du Conseil de sécurité. À ce titre, si je comprends vos arguments, Monsieur Bayrou, le risque majeur est néanmoins la division de la communauté internationale : l’enjeu est d’aboutir à l’unanimité au Conseil de sécurité.

M. Claude Goasguen - On n’y arrivera jamais !

M. le Ministre – Par ailleurs, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le dialogue avec l’Iran : telle est la ligne que défend la France et que nos partenaires européens ont justement reprise à leur compte. Si chacun adopte une attitude responsable, nous pourrons alors sortir de l’impasse actuelle. J’espère que Téhéran comprendra qu’il faut régler la question nucléaire par la négociation. La France est ouverte au dialogue avec ce pays, pour autant qu’il soit sincère et concret.

M. Paul Giacobbi - L’Iran et son rôle stabilisateur !

M. le Ministre – D’autre part, l’Iran aspire à se voir reconnaître un rôle régional de premier plan. Si nous devons l’encourager à assumer ses responsabilités, il faut rester vigilant et très attentif aux gestes qu’il fera pour faire baisser la tension au Liban (Exclamations sur divers bancs). Je vous rappelle qu’un cessez-le-feu est en vigueur depuis le 14 août, et qu’il est respecté par les deux parties, Israël comme le Hezbollah.

M. François Bayrou - Vous êtes en train de dire que le Hezbollah, c’est l’Iran !

M. le Ministre - Quant à la Syrie, l'expérience nous conduit à la vigilance. Les autorités de Damas doivent respecter les règles du jeu fixées par la communauté internationale. Cela vaut pour la résolution 1701 qui prévoit l'embargo sur les armes, mais également pour la résolution 1559 qui exige le respect plein et entier de l'indépendance politique du Liban. Cela vaut enfin pour la résolution 1595 qui instaure une commission d'enquête internationale sur les assassinats de Rafic Hariri, de parlementaires et de journalistes libanais : la Syrie doit y apporter son entière coopération. Les clefs du retour à la confiance sont aujourd'hui à Damas. Pour retrouver sa place dans le concert des nations, la Syrie doit remplir les obligations internationales qui s'imposent à elle comme aux autres pays.

Mme Buffet le rappelait : la résolution du conflit israélo-palestinien est la clef de la stabilité régionale. Or, la solution de ce conflit, comme au Liban, n’est pas militaire. À court terme, il faut engager un processus de désescalade : libération du caporal Shalid d’un côté, levée du blocus de Gaza de l’autre. Il faut également encourager la reprise des négociations entre les deux parties : à ce titre, il ne faudrait pas ignorer la chance que pourrait offrir la formation d’un nouveau gouvernement palestinien, même si nous restons naturellement vigilants quant au respect des trois principes que nous avons adoptés vis-à-vis du Hamas. Nous apporterons tout notre soutien au président Abbas pour apaiser les tensions interpalestiniennes. Le Président de la République l’a dit : il est indispensable que le Quartet se réunisse au plus vite pour permettre la relance du processus de paix israélo-palestinien, en faveur de laquelle la communauté internationale doit s’impliquer fortement.

J’en viens enfin à la question du Darfour qu’évoquait M. Bayrou. Il y a quelques jours, la France a voté la résolution 1706 qui propose le transfert aux Nations unies de l’opération de maintien de la paix actuellement gérée par l’Union africaine. Je retournerai bientôt au Darfour pour évoquer avec les autorités soudanaises la nécessité d’arrêter les violences. La situation humanitaire y est dramatique, en effet : Mme Harbour évoquait même récemment des actes d’une gravité telle qu’ils relèvent du tribunal pénal international. Tout doit donc être fait pour trouver au plus vite les bases d’un accord politique dans cette région.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de vos remarques et du soutien que vous avez apporté à la diplomatie française au cours de l’été (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 15.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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