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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 10ème jour de séance, 23ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 18 OCTOBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2006 (suite) 2

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 19 OCTOBRE 2005 19

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2006 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2006.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Claude Sandrier - Le projet de loi de finances pour 2006 est, à notre sens, irrecevable, et ce pour quatre raisons majeures. D'abord, il ignore la volonté du suffrage universel, qui s'est exprimée le 29 mai dernier. La souveraineté populaire affirmée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen exige d'autres choix. Ensuite, il bafoue un principe constitutionnel, celui de l'article 13 de la même déclaration : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés. » Par cet article, les pères de notre République affirment les principes non seulement de la contribution, mais surtout du respect de la faculté contributive. Je rappelle à ce propos que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 1981 relative à l'impôt sur les grandes fortunes, a affirmé le principe de la progressivité de l'impôt. En vous attachant à la limiter, voire à l'éliminer, vous favorisez les plus riches et surtout vous accroissez le poids des impôts les plus injustes, comme la TVA ou la TIPP.

Ce projet de loi de finances s'affranchit allègrement d'un autre principe constitutionnel : le principe de libre administration des collectivités locales posé à l'article 34 de la Constitution. Enfin, la quatrième raison tient dans le manque de sincérité patent du texte, qu'il s'agisse des hypothèses économiques retenues ou de la présentation des chiffres. Cela a pour effet de faire débattre la représentation nationale d'un faux budget.

Ce projet ne saurait bien entendu être examiné hors du bilan des trois ans et demi de l'action du Gouvernement - car, hormis un petit jeu de chaises musicales, il n'a pas modifié d'un iota ses priorités, ses objectifs ni ses moyens. L'échec retentissant de cette majorité de droite depuis 2002 porte en lui l'échec de demain. Vous n'avez atteint aucun des objectifs que vous vous étiez vous-mêmes fixés ! La baisse de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales patronales et les cadeaux fiscaux devaient s'accompagner d'une réduction du chômage - on compte 230 000 chômeurs de plus depuis 2002 - d'un retour de la croissance - elle se traîne autour de 1,5 % - et d'une diminution de la dette, qui a augmenté de 10 % !

En revanche, vous avez obtenu des résultats que vous n'aviez pas annoncés : l'augmentation du nombre des Rmistes de 10 % et celle des familles surendettées de 14 %, sans compter celle des assujettis à la CMU, dans les mêmes proportions. Quant au CAC 40, il aura fait 28 milliards de profits en 2003, 57 milliards en 2004 et 75 en 2005 ! Les patrons du CAC 40 ont augmenté leurs salaires de 10 % en un an, sans parler des golden parachutes, golden hello et autres petits plaisirs, et vous comptez leur faire un nouveau cadeau en allégeant l'impôt de solidarité sur la fortune ! M. Breton a été bien inspiré de rappeler récemment que son indemnité de ministre n'était que de 10 000 euros, mais on ne sait si cela valorise son engagement politique ou si cela dévalorise ses choix politiques. En tout cas, il continue de favoriser l'engraissement des actionnaires et le jackpot permanent de ses ex-collègues du CAC 40.

Les baisses des statistiques sur le chômage ou les pressions pour accepter n'importe quel travail, n'importe où et à n'importe quel prix ne trompent personne : Hewlett Packard, FlexTronics, MBDA, Nestlé et les autres annoncent des plans de suppressions d'emplois. Je vois que mes propos passionnent le ministre et le rapporteur général... Je sais que je vous ennuie, mais tournez de temps en temps les yeux - et les oreilles - vers moi, vous n'entendrez pas que des choses inintéressantes !

Loin de libérer le travail, vous avez libéré les licenciements. Alors, c'est avec la plus grande solennité que le Premier ministre lance à la nation que cette année, la priorité est l'emploi. Quelle nouvelle révolutionnaire ! Sauf que le président de la République, en 1995, jurait aux Français que l'emploi n'était pas « une », mais « la » priorité ! Le résultat est un échec politique, économique et social. Comment croire aujourd'hui à cette promesse déjà faite il y a dix ans ? Il n'y a aucune raison ! Nous avons bien compris dans vos propos, tout à l'heure, que vous étiez les meilleurs mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je parie que la situation de nos concitoyens ne s'améliorera malheureusement pas...

Les gagnants nous les connaissons. Ainsi que le dit l'économiste Serge Halimi : « Depuis vingt ans, perpétrée par les maîtres du monde, l'agression a été permanente autant qu'unilatérale : ils ont voulu prendre leur revanche sur les deux siècles de conquêtes sociales et démocratiques qu'inaugura la Révolution française ». Votre obsession à donner des cadeaux aux plus riches, qui se traduit par une perte de 50 milliards de recettes de l'impôt sur le revenu à l'horizon 2007, votre volonté d'écraser la dépense publique ont beau être enveloppées dans les meilleures intentions du monde, elles ne trompent personne. Le document qui présente les grandes orientations du Gouvernement affirme, et je trouve cela inadmissible, qu'il faut en cesser avec « les réflexes dépassés comme l'addiction à la dépense publique ». Selon le Robert, l'addiction est « une conduite de dépendance qui a de graves conséquences sur la santé » et, selon le Larousse, « une conduite qui vise à avoir un comportement répétitif plus ou moins incoercible et nuisible à la santé », l'exemple le plus souvent cité étant la drogue. Quelle preuve des sentiments du Gouvernement envers la dépense publique et sociale ! Mais que ne parlez-vous de l'addiction des actionnaires à un rendement entre 15 et 20 % ou de celle des responsables politiques qui font tout pour leur permettre d'y parvenir ? Ces addictions-là sont infiniment plus pernicieuses pour la santé de la France que celle qui établit un peu de solidarité entre les Français !

On voit ce qu'il advient dans le monde lorsque l'on s'en prend aux services publics et aux dépenses de solidarité. Je tiens dès maintenant à évoquer EDF. Privatiser cette grande entreprise nationale serait une faute lourde, tant du point de vue de la politique énergétique et de la sécurité nucléaire que pour la solidarité qu'exige un véritable droit à l'énergie. Du reste, dans les pays qui ont abandonné la maîtrise publique de l'énergie, la concurrence reste largement un mythe, comme l'écrivait le Wall Street Journal le 1er mars dernier, faisant référence à une étude menée dans 18 Etats d'Amérique. La déréglementation devait faire baisser les prix et assurer l'approvisionnement. Elle a échoué. Même aux Etats-Unis, on revient sur cette politique irresponsable !

On voit d'ailleurs ce qui suit l'ouverture du capital de GDF : une augmentation des prix de 4 % en juillet, et l'on en demande déjà une autre de 13 % !

Privatiser EDF serait irresponsable et nous combattrons votre projet avec la dernière détermination !

Outre le fait que votre bilan vous disqualifie, ce projet de budget témoigne de votre incapacité à entendre les Français. Par trois fois, lors de consultations électorales majeures, vos choix néolibéraux ont été rejetés. Qu'il s'agisse des régionales de mars 2004, des européennes de juin suivant ou du référendum du 29 mai, le verdict populaire a pourtant été sans appel. Las, cela ne semble pas entamer votre détermination à préférer les fonds de pension à la répartition, à accorder toujours plus d'avantages fiscaux aux plus aisés et à brader des pans entiers de nos biens nationaux aux marchés financiers ! En suivant à la lettre les prescriptions du titre III du projet de Constitution européenne - lequel a pourtant cristallisé le rejet populaire - votre PLF pour 2006 traduit un mépris du suffrage universel qui le rend littéralement irrecevable.

N'ayant cure du verdict des urnes, le Gouvernement continue de faire allégeance à une politique monétaire univoque, conforme au pacte de stabilité destructeur de croissance et favorable à une guerre économique de tous les instants dont les effets sociaux sont inacceptables. Au final, c'est le pacte républicain qui se trouve fragilisé par votre volonté inflexible de comprimer la dépense publique, avec la perspective socialement redoutable de passer du maintien en volume du budget à sa stabilisation en valeur dès 2007. L'égalité et la solidarité ne peuvent que pâtir de telles options. L'expression du suffrage universel ne vous conduisant pas à infléchir votre action, sans doute ne serez-vous pas davantage sensible au fait que 76 % des Français se déclarent pessimistes quant à leur avenir. Cela devrait pourtant vous alerter, la mobilisation de masse du 4 octobre dernier - soutenue par près de trois Français sur quatre ! - constituant un autre signe du malaise général.

Le 29 mai dernier, nos concitoyens ont fait savoir qu'ils avaient bien compris que le projet économique ultra-libéral inspirant l'UE tendait à les laisser au bord du chemin. Ils ont aussi, et ce n'est pas anodin, exprimé un véritable ras-le-bol ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Mais oui ! Ces vérités vous gênent mais vous ne pouvez les contester ! L'exaspération de ceux qui n'y arrivent plus est bien légitime. Pouvez-vous ignorer que dès le 15 du mois, l'argent manque dans de très nombreux ménages ? Il va bien falloir vous résoudre à entendre les Français...

M. Jean-Marc Roubaud - Démago !

M. Gilbert Biessy - Autistes !

M. Jean-Claude Sandrier - Et puisque vous avez du mal à comprendre les Français - à l'instar, du reste, du Président de la République, désarçonné par l'angoisse des jeunes qui le questionnaient à l'occasion d'une grande émission télévisée de la campagne référendaire du printemps dernier - laissez-moi vous faire entendre leur détresse à travers quelques exemples précis, que certains oseront qualifier de « démagogiques » alors que je n'ajoute rien au tragique des situations vécues.

Je pourrais vous parler longuement de cette femme usée par une vie de travail qui ne peut se soigner décemment du fait de votre politique acharnée de déremboursement des soins, de ce jeune couple privé de droits pour avoir refusé de travailler au noir... (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Mais oui ! Cela vous gêne qu'à l'âge où la vie devrait n'être faite que de promesses, certains doivent hypothéquer leur avenir pour simplement survivre !

M. Jean-Marc Roubaud - Allons ! Est-ce l'objet du débat budgétaire ?

M. Jean-Claude Sandrier - Ce sont les effets de votre politique ! Souffrez que je les évoque, même si cela vous gêne ! Me permettrez-vous d'exposer le cas de cette mère de famille élevant seule deux enfants qui doit priver son fils de classe de neige faute de ressources alors même qu'elle travaille ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ou celui de cette étudiante privée de ressources qui doit compter sur ses camarades ou sur le Secours populaire pour manger à sa faim ? Sans doute trouveriez-vous plus séant que je passe sous silence la situation de cette femme enceinte qui se trouve totalement démunie à l'issue d'un CES alors que l'instruction de sa demande de RMI tarde à aboutir ! Et que dire des innombrables « travailleurs pauvres » - pour ne pas dire nouveaux esclaves ! - générés par vos politiques. Avez-vous une idée précise du nombre de nos compatriotes qui ne parviennent plus à se loger décemment du fait de la cherté des loyers ?

Plusieurs députés UMP - C'est le bilan des années Jospin !

M. Jean-Claude Sandrier - Un dernier exemple, moins pour tenter de vous convaincre que pour alerter l'opinion sur le produit de votre aveuglement : celui de ce cadre informatique qui, après avoir postulé à plus de trois mille postes, a dû se résoudre à vendre des piscines. Accepter n'importe quoi, n'importe où et à n'importe quel prix : est-ce cela le but ultime d'une vie de travail ?

J'insiste sur le fait que même en travaillant, les gens n'y arrivent plus ! Et ce n'est pas en forçant les demandeurs d'emploi à accepter n'importe quoi pour faire baisser la statistique du chômage que l'on fera reculer la misère ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Autre sujet de préoccupation majeure, les dispositifs d'aides publiques existants ne permettent plus de faire face aux détresses constatées et la puissance publique tend de plus en plus à s'en remettre aux associations caritatives. Qu'adviendra-t-il lorsque celles-ci, déjà exsangues, ne pourront plus répondre ? Je veux me faire ici l'interprète de ceux que l'on n'écoute jamais et dont la situation s'aggrave...

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Monsieur Sandrier, qui pouvez-vous convaincre avec ces caricatures misérabilistes ? Ne faites pas de cette dérive votre fonds de commerce ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Sandrier - C'est votre refus d'affronter la réalité qui est caricatural !

M. le Rapporteur général - Allons ! Vous nous décrivez l'Union soviétique !

Plusieurs députés UMP - Et le bilan du gouvernement Jospin !

M. Jean-Claude Sandrier - La faiblesse de vos arguments montre votre malaise. Et puisque je suis taxé de misérabilisme, qu'il me soit permis de citer quelques chiffres, aisément vérifiables, relatifs à la situation de mon département du Cher : en 2004, le nombre d'érémistes y a augmenté de 10 %, celui des ménages surendettés de 12 % et celui des titulaires de la CMU de 14 % ; dans le même temps, l'aide alimentaire versée par les associations caritatives a progressé de 26 %, les aides financières de 14 % et l'aide vestimentaire de 28 %... Dans ce contexte, faire de la baisse de l'ISF votre première préoccupation ne relève-t-il pas de la provocation ?

Vos choix budgétaires en faveur des classes riches s'avèrent non seulement sans effet sur l'emploi et la croissance, mais ils creusent aussi les inégalités, accroissent les frustrations et brisent les solidarités. Vous faites marcher la France à reculons !

Et ce n'est pas nous qui noircissons le tableau : il est déjà bien sombre. Et pourtant, vous persistez à ne pas écouter le ras-le-bol de la majorité de nos concitoyens, au risque de conséquences telles que le vote du 29 mai, mais aussi d'une dérive sur des chemins que nous ne voulons plus jamais emprunter ! La réponse qu'apporte ce budget pour 2006, Monsieur le ministre, témoigne d'un entêtement coupable.

Ce budget va naturellement satisfaire une petite caste, tout en contribuant à « déconstruire » la France. L'application de la loi organique relative aux lois de finances, qui s'ajoute au carcan de Maastricht, va également amplifier, non la rationalité, mais le rationnement de la dépense publique.

Derrière un noble paravent - transparence, lutte contre la bureaucratie, efficacité de la dépense - se dissimule en effet le principe de la fongibilité asymétrique des crédits, qui vise avant tout à diminuer l'emploi et à attaquer le statut de la fonction publique. Le Gouvernement n'a aucunement la volonté de prendre en compte les besoins réels : il poursuit implacablement une logique qui pousse à l'externalisation de certaines actions publiques.

C'est donc un budget très contraint qui nous est présenté, d'autant qu'il repose sur des hypothèses économiques ni sincères, ni réalistes, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) relevant du numéro de méthode Coué que le ministre de l'économie nous inflige presque chaque jour.

Les chiffres avancés pour la croissance à venir et le pouvoir d'achat laissent en effet plus que songeur.

Alors même que vous criez haut et fort que le taux de 2 % est encore atteignable en 2005, l'INSEE l'a révisé à 1,5 %, et le FMI à 1 %! Concernant 2006, l'affichage d'un taux de croissance de 2,25 % permet assurément d'annoncer un déficit de 3 % du PIB, mais au prix d'un total décalage avec les prévisions des instituts nationaux et internationaux : le FMI n'envisage ainsi que 1,8 % pour la France. C'est donc un budget d'affichage établi dans le brouillard le plus complet que vous nous présentez- l'erreur potentielle est de 20 % !

Quant à votre aplomb sur le pouvoir d'achat, il ne manque pas non plus d'étonner. Allez plutôt dans la rue interroger nos concitoyens, Monsieur le ministre. Ils vous expliqueront que le pouvoir d'achat, loin d'avoir augmenté, a diminué, contrairement à ce que vous répétez tous les jours !

Si la croissance ne s'est pas complètement effondrée, c'est grâce à une bonne tenue de la consommation, imputable à une diminution de l'épargne, et non au relèvement du pouvoir d'achat, des salaires, retraites et pensions - même si l'effet rattrapage du SMIC a pu jouer. Cela ne saurait donc durer.

La baisse du taux du livret A et les mesures d'exonération sur les successions ont certes poussé les couches moyennes et modestes à consommer, mais il s'agit d'un pur effet d'aubaine.

En réalité, la dégradation du pouvoir d'achat est sensible : comme l'explique le directeur du CREDOC, le pouvoir d'achat des couches moyennes et modestes a baissé de 1 % à 3 % en trois ans. Cette baisse résulte principalement de la hausse du prix des services, qui pèse notamment sur les chômeurs, les allocataires du RMI, les « petits retraités », et les salariés gagnant moins de un SMIC et demi.

Selon les documents Indices et Services de l'INSEE, en cinq ans, le prix du carburant a augmenté de 50 %, celui de l'assurance santé, directement tributaire des réformes de l'assurance maladie et des retraites, de 18,6 %, et celui du logement de 16 %. Et ne parlons pas de la hausse du gaz de 4 % en juillet - et peut-être bientôt de 13 % - ni des assurances pour la maison, ou du timbre poste..

Ces dépenses incompressibles ayant plombé le pouvoir d'achat des plus modestes, il est totalement fantaisiste de faire croire que le pouvoir d'achat progresse ! L'opération médiatique « suivez mon caddie » ne trompe personne : parmi les dépenses des Français, il n'y a pas que la nourriture !

Mais la France est surtout devenue un pays de bas salaires. Si l'on adopte comme indicateur le seuil de 1,3 SMIC pris en compte par les dispositifs gouvernementaux, la proportion des bas salaires dépasse désormais 30 %, contre 25 % en 1984 et 23,5 en 1992 !

C'est bien une nouvelle confirmation que la modernité affichée du libéral-capitalisme se résume à une marche arrière.

Pendant ce temps là, à l'autre bout de la chaîne, les profits et les revenus explosent. En 2004, les profits du CAC 40 ont ainsi progressé de plus de 50 %, pour atteindre 75 milliards d'euros, un record !

Des profits records, une croissance en berne : où passe donc l'argent ? Cherchez l'erreur ! On voudrait nous faire pleurer sur le sort des capitalistes les plus aisés, alors que la faiblesse de l'imposition sur les revenus du patrimoine en France a sans doute peu d'équivalent dans la zone OCDE.

Une étude de la Direction générale des impôts a en effet établi qu'entre 1996 et 1998, seuls 25 000 contribuables français avaient quitté le territoire. En 1998, 325 contribuables seulement déclarant plus d'un million de francs au titre de l'impôt sur le revenu sont partis à l'étranger, soit 0,3 % des contribuables de cette tranche d'imposition. Et sur la même période, seules 350 personnes assujetties à l'ISF se sont expatriés.

Vous parlez d'une catastrophe, surtout que ces départs sont compensés par des arrivées et procèdent essentiellement de la mobilité professionnelle propre à certaines catégories d'actifs, notamment les cadres supérieurs. A force de répéter que l'on ne vit pas si mal en France, les plus riches en sont les premiers convaincus !

Autre argument que vous ne cessez d'opposer aux Français pour justifier l'attaque contre la solidarité et le choix du capital contre le travail : la mondialisation. « On n'y peut rien, c'est la mondialisation », tel est le fondement de votre discours de laisser-faire et de renoncement.

Mais quelle est donc cette maladie contre laquelle il ne saurait y avoir d'espoir, contrairement à la grippe aviaire ? Les médecins censés soigner cette affection s'appellent G8, FMI, Banque mondiale, et ils se rencontrent régulièrement à Davos pour veiller à ce que le virus soit bien activé par le mot d'ordre « Capitalistes de tous les pays, unissez-vous » ... pour empocher profits et dividendes. Et tant pis pour celles et ceux qui sont soumis au régime sec et sont pressurés !

La mondialisation, maladie fort intéressante, présente cette particularité d'enrichir beaucoup un petit nombre, tout en faisant très peur à un grand nombre auquel on demande de se serrer la ceinture.

Nous sommes en vérité face au choix purement idéologique et politique de s'enfermer dans une économie financière. Comme l'affirme en effet l'économiste Vincent Drezet dans son ouvrage Vivent les impôts, « Dans un tel modèle, les pays sont réduits à l'état de super-VRP mettant sur le marché de la localisation des produits d'appel : statuts fiscaux dérogatoires, zones franches, aides publiques et autres mesures incitatives. C'est l'accomplissement de la société de marché ».

Que se passe-t-il donc ? Une explosion des transactions financières ; une guerre entre firmes multinationales au détriment des salariés, comme chez Hewlett Packard, où l'on remet en cause l'emploi et les acquis sociaux, ou comme à la SNCM, où les salariés sont directement mis en concurrence avec des employés sous-payés de sociétés dépourvues de contraintes de service public ; bref, une liquidation des services publics sous la pression d'une concurrence déloyale, qui tue des emplois et des acquis sociaux, tandis que d'autres s'en mettent plein les poches !

A cette mondialisation destructrice, nous opposons une autre mondialisation, fondée sur les coopérations et le partage des coûts. En effet, la mondialisation actuelle n'est pas une fatalité tombée du ciel. Elle porte un nom : la mondialisation capitaliste, guerre économique internationale sur l'autel de laquelle tout devrait être sacrifié, en copiant le modèle anglo-saxon.

Permettez-moi de dénoncer le double mensonge qui sous-tend cette affirmation et vos décisions.

Regardons d'abord la Grande-Bretagne, où les résultats sont beaucoup plus contrastés qu'on ne le dit. La croissance s'est considérablement ralentie et le nombre de travailleurs pauvres a encore progressé : 22 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Quel modèle ! Quant au chômage, une fois ajouté le million de personnes sorties des statistiques pour inaptitude au travail, le taux est le même que chez nous. L'échec est si patent que l'Etat anglais a changé son fusil d'épaule et relancé l'investissement public, notamment pour les services de réseaux. Et il l'a fait sans la contrainte du Pacte de stabilité.

S'agissant des Etats-Unis, les images de l'incurie de l'Etat fédéral face au drame du cyclone Katrina, incurie qui vient s'ajouter à celle moins tragique des pannes géantes d'approvisionnement en électricité, devraient suffire à disqualifier ce type de modèle. L'Etat aux Etats-Unis, c'est aujourd'hui l'armée, la police et la justice. A la Nouvelle-Orléans, en guise de premiers secours, sont arrivés des hommes en armes.

Il est donc temps que les peuples se demandent dans quel monde ils veulent vivre !

Votre obsession de baisser les dépenses publiques est inefficace et dangereuse. Voilà en effet ce qu'en pense un Prix Nobel Américain, ancien conseiller de Bill Clinton, Joseph Stiglitz : « Les Conservateurs » - c'est de vous qu'il s'agit - « préconisaient sans cesse de «rétrécir» l'Etat : moins de dépenses, moins de fonctionnaires, moins de réglementations... Le mieux était donc de laisser faire les marchés ». Et il ajoute : « Négliger à ce point les investissements du secteur public finit par nuire aux profits du secteur privé ». Réfléchissez-y !

S'agissant des marchés, il tient ces propos frappés au coin du bon sens : « On sait depuis longtemps que les marchés ne fonctionnent pas toujours très bien et qu'ils ne sont pas non plus capables de s'autoréguler ». C'est un euphémisme révélateur.

Par ailleurs votre obsession dangereuse et inefficace de baisser la dépense publique repose sur une duperie ! Le discours sur le taux de prélèvements obligatoires est erroné et la conclusion qu'il faut baisser les impôts progressifs l'est plus encore !

Vous osez, Monsieur le ministre, nous livrer des tableaux comparatifs de taux de prélèvements obligatoires entre les pays de l'Union Européenne, les Etats-Unis et le Japon, sans jamais donner leur structure. Or l'assurance maladie et l'assurance vieillesse n'entrent pas dans les prélèvements obligatoires aux Etats-Unis puisqu'elles relèvent des fonds de pensions et des assurances privées.

Comme le dit l'économiste Liêm Hoang Ngoc dans son récent ouvrage Refermons la parenthèse libérale, « si le taux de prélèvements obligatoires brut avoisine les 45 %, le taux net après redistribution n'est plus que de 17 % et reste remarquablement stable depuis vingt ans, ce qui signifie que la part consacrée à la protection sociale est devenue relativement incompressible. (...) Contrairement aux présupposés libéraux, les prélèvements fiscaux et sociaux ne sont pas improductifs puisque les entreprises publiques produisent de la valeur ajoutée et que les rémunérations et commandes du secteur public alimentent les débouchés des autres secteurs. (...) Il n'existe pas davantage de corrélation entre les taux de prélèvements obligatoires et les performances macro-économiques des différents pays. Les taux de prélèvements obligatoires brut et net ne reflètent rien d'autre qu'un choix de société plus ou moins solidaire ».

Nous dénonçons cette politique de diminution des prélèvements obligatoires orchestrée au détriment des ménages les plus modestes. L'augmentation considérable des prix des carburants, des dépenses de logement et des taux d'imposition des collectivités locales en raison de la décentralisation pèse sur le budget des ménages. Au vrai, les 52 % de ménages non assujettis à l'impôt sur le revenu paient des impôts indirects, et les plus injustes qui soient, puisqu'en proportion du revenu, ce prélèvement est supérieur à celui qui pèse sur les classes les plus aisées : selon un rapport du conseil des impôts publié en 2003, les 10 % des ménages les plus aisés ont bénéficié de 85,9 % des réductions d'impôts tandis qu'aucune réduction d'impôt n'a été accordée aux 10 % des ménages les moins aisés. En cela, la progressivité, principe reconnu par notre Constitution, est remise en cause.

Cette imitation du modèle anglo-saxon est plus qu'hasardeuse puisque la diminution du nombre de tranches de sept à quatre et la baisse des taux n'a pas pour contrepartie l'élargissement de l'assiette. Pouvait-on imaginer que vous oseriez dépasser vos maîtres, M. Reagan et Mme Thatcher ?

L'accroissement de la prime pour l'emploi ne saurait justifier un tel choix : votre engagement réel en faveur des plus modestes équivaut à moins de 60 euros en moyenne.

En réalité, seuls les plus aisés bénéficient de vos largesses. La baisse des taux marginaux de l'impôt sur le revenu représente un manque à gagner budgétaire de 50 milliards d'euros en 2007. Le barème annoncé pour 2007, le bouclier fiscal prévu à 60 %, et la réforme de l'ISF réclamée avec force par la majorité procèdent de la même logique ! Pour reprendre les mots de Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, la philosophie de votre budget est de laisser aux classes moyennes les miettes d'un festin réservé aux riches. Or M. Stiglitz a montré que les réductions d'impôts ne servaient qu'à consolider un peu plus la fortune des plus aisés. Affirmer que cette baisse des impôts progressifs bénéficiera aux classes moyennes n'est qu'un leurre.

Tartufferie suprême, le rapporteur général demande une exonération de 75 % d'ISF sur les actions détenues par les salariés et les dirigeants d'une entreprise.

M. le Rapporteur général - Bel exemple de patriotisme économique, en vérité !

M. Jean-Claude Sandrier - Monsieur Carrez, vous moquez-vous de nous ? Combien de salariés sont assujettis à l'ISF ? Seuls les dirigeants (Murmures sur les bancs du groupe UMP) - M. Fourtou, 10 millions d'euros ; M. Demarest, 12 millions ou encore M. Thierry, 3,1 millions - en bénéficieront. Ajoutez à cela la rémunération, les stock-options et les parachutes en or ! Pour une fois, je suis d'accord avec M. Mariton pour dire qu'il faut savoir résister à la tentation d'en faire trop.

Un député UMP - C'est vrai ! Appliquez donc ce principe !

M. Jean-Claude Sandrier - A trop vouloir en faire, vous allez vous perdre. Vous êtes effectivement dans la rupture, mais ce n'est pas celle que les Français attendent.

Quant à la prime pour l'emploi, elle constitue une forme d'assistanat public aux entreprises privées. Sa mensualisation est dangereuse car cela lui ôte son caractère exceptionnel.

Vos choix fiscaux sont injustes et inefficaces car l'augmentation des revenus les plus élevés ne relancera pas la consommation mais conduira à un accroissement de l'épargne.

Concernant la fiscalité des entreprises, vous poursuivez une politique de réduction des cotisations sociales dont l'échec a déjà été constaté par la Cour des comptes. Rappelons qu'il s'agit bien de cotisations, et non de charges, sociales. Depuis vingt ans, la multiplication des baisses de cotisations, qui s'est accélérée ces trois dernières années, n'a pas permis d'enrayer le chômage. Et pourtant, ces cadeaux fiscaux aux entreprises atteindront 18,9 milliards d'euros pris en charge par le budget de l'Etat. Par un artifice, vous les avez débudgétisés afin de ne pas dépasser les 3 % de déficit public intérieur. De plus, ces exonérations, parce qu'elles touchent d'abord les bas salaires, sont des incitations à embaucher à moindre coût. Leur effet sur la consommation est donc faible.

Selon la revue Alternatives économiques, le coût unitaire de la main-d'œuvre entre 1990 et 2004 a relativement peu augmenté en France par rapport aux autres pays. Ce n'est pas le travail qui tue la croissance et augmente les inégalités, mais une rémunération excessive du capital ! Du reste, un rapport du Commissariat au plan réalisé sous la direction de Dominique Plihon en 2002, précise que l'entreprise-type doit enregistrer un taux de croissance des profits de 7 % par an. Or, les taux de croissance de la production étant inférieurs à 2 %, cela est impossible sans faire pression sur les salaires. Le capital est un cancer rongeant la richesse produite par le travail. Les salaires ne représentent plus que 64 % de la richesse, contre 72 % il y a vingt ans.

Parce qu'il découragerait l'emploi et l'activité, vous avez également la volonté de diminuer l'impôt sur les sociétés. Mais, contrairement à toutes vos affirmations, les entreprises françaises ne souffrent pas d'un taux d'imposition particulièrement élevé. Selon la Commission européenne, pour la période 1999-2001, le taux moyen d'imposition des entreprises est de 13,6 % en France, de 13 % en Allemagne et de 13,8 % au Royaume-Uni.

Le taux nominal d'impôt sur les sociétés, certes élevé, est largement compensé par une assiette très étroite - surtout à cause de la déductibilité des intérêts d'emprunts relatifs à l'acquisition de participation, sans parler de niches telles que le bénéfice mondial consolidé.

Quant à l'impôt sur les sociétés, les apparences sont trompeuses : il ne représente que 5,9 % du PIB en France, contre 8,9 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Les économistes qui le disent ne sont pas communistes !

Enfin, vous persistez à refuser de revoir l'assiette de la taxe professionnelle.

Les nouvelles exonérations de cotisations sociales, la fin de la surtaxe Juppé sur l'impôt sur les sociétés, les nouvelles dispositions sur la taxe professionnelle sont autant de cadeaux faits aux entreprises, sans exiger d'emplois en contrepartie ! Cette politique est vouée à l'échec.

Pire encore, vous ajoutez à la déresponsabilisation fiscale des entreprises le contrat nouvelles embauches, ce cheval de Troie de la précarité. Bas salaires, précarité, pression accrue sur les travailleurs : quel archaïsme !

L'emphase et le lyrisme de votre défense ne trompent personne. Les forces sociales sont unanimes à rejeter un tel retour en arrière.

Les recettes sont en berne, et vous consacrez les moins-values fiscales à soutenir les marchés financiers. Ce sont les fondements même de notre modèle socio-économique que vous sapez ! A ce titre, la privatisation des autoroutes est autant une fuite en avant budgétaire qu'une position idéologique à courte vue.

La conjonction d'un déficit budgétaire élevé et d'un déficit commercial est préoccupante, car elle aggrave le ralentissement de la croissance. Enferré dans le carcan de Maastricht, le Gouvernement comprime la dépense publique, tandis que les groupes multinationaux poursuivent leur quête du profit maximal en délocalisant.

En diminuant les recettes et en abaissant les dépenses et les investissements publics, vous avez contribué à déprimer l'activité.

Outre le déficit budgétaire affiché à 46,8 milliards d'euros, le solde commercial connaît une dégradation structurelle, écho des délocalisations et investissements à l'étranger - une grande partie des 370 milliards d'euros d'investissements directs à l'étranger entre 1994 et 2004 est allée aux Etats-Unis, une autre vers des pays à faible coût du travail et à fiscalité quasi-nulle.

Le Gouvernement doit soulever la question fiscale avec ses partenaires européens. Pourquoi d'autres Etats membres - l'Irlande, le Luxembourg - pourraient-ils faire jouer le dumping fiscal, dont les conséquences socio-économiques sont si graves ?

Une telle déresponsabilisation des groupes hypothèque vos prévisions bien optimistes d'investissement - qui n'ont d'ailleurs jamais été atteintes depuis le début de la législature.

Votre politique casse la croissance, maintient les déficits et détruit les solidarités.

M. Alain Bocquet - Tout à fait !

M. Jean-Claude Sandrier - Vous affirmez le contraire, mais la réalité vous donne tort !

J'en viens aux collectivités territoriales. Votre loi du 13 août 2004, dite de liberté et de responsabilité locale, vous donne plutôt la liberté d'augmenter les impôts et de supprimer les services à la population ! Votre projet de loi de finances pour 2006 réduit l'autonomie fiscale et financière des collectivités.

En outre, les services locaux seront affectés par la réforme de la taxe professionnelle. Certes, tout dépassement du plafond sera reversé par l'Etat aux collectivités en 2006 à hauteur de 1,4 milliard d'euros. Cependant, si les collectivités relèvent leur taux, elles devront s'acquitter des frais de plafonnement : c'est pour le moins dissuasif ! Vous bafouez ainsi le principe de libre administration des collectivités territoriales, inscrit à l'article 34 de la Constitution.

Vous leur avez imposé un marché de dupes par la loi du 13 août 2004 et la réforme constitutionnelle de compensation à l'euro près prévue à l'article 72-2 de la Constitution.

Je reviendrai sur les crédits routiers transférés bien en deçà des besoins. De même, les crédits transférés aux départements par une fraction de TIPP pour assumer la charge du RMI n'ont pas suivi l'évolution du nombre d'allocataires - que votre politique ne cesse d'augmenter ! Les dépenses 2004 n'ont pas été compensées, malgré les promesses du gouvernement Raffarin. Le déficit consolidé sur cette moindre compensation s'élève à 463 millions d'euros, et l'on constate le même écart pour les sept premiers mois de 2005. Certains départements ont pris l'heureuse initiative d'émettre des titres de recettes à l'égard de l'Etat : elles pourront ainsi saisir la juridiction administrative pour faire appliquer la Constitution.

Votre volonté de reporter sur les collectivités locales des charges non financées entraîne la casse des services publics de proximité - la Poste, les trésoreries, les agences EDF. Les élus locaux sont pris dans un étau.

Une telle situation risque d'accroître la pression fiscale locale - l'une des plus injustes - et de faire régresser l'investissement public si essentiel au développement local.

Vous pesez sur tous les facteurs dynamiques au bénéfice de la seule sphère financière : l'affichage d'une dotation globale de fonctionnement augmentant moins que le PIB en témoigne, tout comme vos priorités de dépenses.

La priorité à l'emploi pèse bien peu face à cette machine de guerre contre l'emploi public. Votre budget prévoit une perte sèche de plus de 5 000 postes, et certains dans votre majorité demandent même 30 000 suppressions de postes annuelles !

M. Alain Bocquet - Licencieurs !

M. Jean-Claude Sandrier - C'est un grand plan social. S'il avait lieu dans le privé, vous invoqueriez sûrement le patriotisme économique !

M. Alain Bocquet - Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier - De vos trois priorités - l'emploi, les défis de l'avenir et la restauration de l'état régalien - vous n'êtes fidèles qu'à la dernière, avec le financement des lois de programmation sur la sécurité, la justice et la défense. C'est une version moderne des propos de Victor Hugo : « quand on ferme une école, on ouvre une prison ». Tel est le credo de ce budget pour 2006. Quant aux deux autres priorités, elles sont bien loin d'être respectées !

M. Alain Bocquet - Absolument !

M. Jean-Claude Sandrier - La baisse des cotisations sociales que vous poursuivez, même si vous commencez à douter de son efficacité, le recours aux emplois aidés et la casse du code du travail n'amélioreront pas la situation de l'emploi. Or, les cinq programmes de la mission travail-emploi ne présentent que ces moyens-là : l'exonération de cotisations sociales patronales à hauteur de 880 millions d'euros supplémentaires, le financement de 200 000 contrats d'avenir, les contrats d'insertion, les contrats d'insertion RMA, la création de 120 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi, les CIE et même les CNE, pourtant si contestés...

Votre seule optique est de diminuer le coût du travail. Mais comment créer croissance, richesse et emplois en réduisant les capacités humaines, seule véritable source de richesses ? C'est impossible !

M. Hervé Novelli - Mais non !

M. Jean-Claude Sandrier - Vous affectez 20,69 milliards d'euros à la Mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur. A périmètre constant, un milliard d'euros supplémentaire et 3 000 postes devraient lui être attribués. Or, on est loin du compte ! Ce n'est pas un milliard, mais quinze qu'il faut lui consacrer d'ici à cinq ans, si l'on veut tenir l'engagement de Lisbonne - 3 % du PIB !

Vous répartissez ce milliard en trois parts équivalentes - renforcement des organismes publics de recherche et des universités, crédit-impôt recherche des entreprises et Agence nationale de la recherche. Les moyens - 1,5 milliard en trois ans - attribués aux pôles de compétitivité - où iraient les emplois promis aux chercheurs après le mouvement de 2004 - pourraient être comptabilisés dans cette mission. Pour une priorité, voilà une réponse bien timide !

De même, comment affirmer que les moyens de l'Education nationale augmentent alors que 2 000 emplois y seront supprimés et que, dans mon département où la limite d'effectifs tolérée dans une classe de ZEP était de 22 élèves, il y en a parfois jusqu'à 27 ! De quel progrès parlez-vous ?

Quant aux missions qui ne sont pas prioritaires - l'équipement et les transports, l'écologie, l'agriculture, les anciens combattants, l'aménagement du territoire, les dotations aux collectivités locales, la santé, la culture, la jeunesse, les sports et la vie associative - leurs budgets seront restreints, parfois pour la troisième année consécutive.

Partout, vous affaiblissez ces services et investissements publics. La solidarité diminue, les inégalités s'aggravent.

Face à une telle politique budgétaire, qui enfonce la France dans la crise, nous devons proposer une véritable rupture. L'alternative n'est pas entre un libéralisme pur et dur, que vous incarnez, Monsieur le ministre, et un libéralisme doux, dans lequel des mesures sociales seraient introduites à dose homéopathique sans que le fonctionnement pervers du système n'en soit affecté.

L'une et l'autre option ont échoué - comme, je vous l'accorde, le collectivisme.

M. Hervé Novelli - Ah ! Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier - Chacun doit assumer ses responsabilités pour inventer un autre avenir. Le message du suffrage universel - notamment celui du 29 mai - doit être entendu.

Au nom du groupe communiste et républicain, je pense à celles et ceux qui, à gauche, souhaitent une société où solidarité et coopération remplaceront cette guerre économique prédatrice. Je pense à celles et ceux qui veulent que la gauche assume sa responsabilité en disant clairement le contraire de ce que vous dites, Monsieur le ministre : changer les choses, c'est inverser l'ordre des priorités, car l'être humain passe avant les dividendes des actionnaires, et l'indépendance de l'économique par rapport au politique est irresponsable !

C'est à la gauche d'agir en ce sens et c'est en tout cas le message que portent les communistes. Proposer d'autres choix implique de revenir sur des dispositions destructrices de notre pacte social. Je pense à la sécurité sociale, aux retraites, à toutes les privatisations en cours ou envisagées, à toutes ces mesures de casse du code du travail, et particulièrement au CNE. Une gauche qui ne s'engagerait pas sur la réversibilité des mesures de recul social prises par la droite n'aurait aucune légitimité à vouloir changer quoi que ce soit.

M. Alain Bocquet - C'est exact.

M. Jean-Claude Sandrier - Nous devons d'abord réduire l'exclusion et les inégalités en organisant un véritable soutien à la croissance. A cette fin, nous formulons trois séries de propositions.

Il s'agit tout d'abord de valoriser le travail et la formation plutôt que le capital en posant au niveau européen et des institutions financières internationales les enjeux de réorientation des politiques monétaires et budgétaires. Dans ce cadre, nous préconisons l'ouverture de discussions en vue de créer une taxe sur les investissements directs à l'étranger et sur les différentiels sociaux. Nous préconisons également la mise en œuvre de la taxe Tobin sur les transactions financières afin de soutenir le développement et la coopération plutôt que la guerre économique. Un taux de 0,1 % suffirait à éradiquer la faim dans le monde, à soigner et à éduquer les plus pauvres.

Concernant le budget de l'Etat, les crédits de 7,4 milliards prévus dans le programme "accès et retour à l'emploi" et qui concourent à généraliser l'emploi précaire devraient être réorientés vers un programme de conversion progressif des emplois précaires en emplois stables grâce à un effort de formation. Nous proposons de réorienter les 18,9 milliards d'exonérations de cotisations sociales patronales afin d'abonder un Fonds national pour l'emploi et la formation, lequel prendrait en charge une partie des intérêts payés aux banques par les entreprises pour les crédits finançant leurs investissements. Plus ces investissements programmeraient de créations d'emplois et de mises en formation et plus la bonification serait intéressante. Il s'agit de s'affranchir d'une politique monétaire de la Banque centrale européenne très défavorable au crédit mais également d'imposer une contrepartie en termes de création d'emplois et de valeur ajoutée. Ce Fonds aiderait en priorité les PME. Nous proposons de créer un malus sur les licenciements avec une taxe spéciale qui pourrait par ailleurs l'abonder. Nous refusons la spoliation des richesses par les actionnaires en plafonnant les dividendes versés. La revalorisation des salaires, traitements et retraites est la condition d'une croissance économique pérenne permettant de créer des emplois. Enfin, la création d'un grand pôle financier public doit commencer par la transformation du haut conseil du secteur financier public - qui regroupe la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne, le Crédit foncier, la Banque de France, la Banque de développement des PME - en véritable conseil de surveillance.

Notre deuxième grande série de propositions concerne les recettes fiscales. Il s'agit de desserrer la contrainte budgétaire et de modifier la répartition des prélèvements. La part de l'impôt progressif sur les ménages qui va tomber à 18 % du total des recettes doit être ramenée à 30 % en lui redonnant une véritable progressivité, tant au niveau des taux - augmentation des plus hautes tranches -, que du nombre de tranches - que nous proposons de fixer à neuf - ou de l'assiette.

M. Daniel Paul - Très bien.

M. Jean-Claude Sandrier - L'introduction progressive de tous les revenus financiers et immobiliers dans l'assiette de l'impôt sur le revenu constitue l'un de nos objectifs. A cette fin, nous proposons d'augmenter le taux des prélèvements libératoires : l'impôt sur le revenu serait alors juste et efficace. En ce qui concerne l'ISF - censé financer une partie du RMI lors de son changement de dénomination -, nous préconisons d'en élargir l'assiette par l'intégration notamment des biens professionnels, de doubler le taux des deux premières tranches et de quadrupler celui des tranches suivantes, ce qui permettrait d'ailleurs de tenir compte des quelques personnes au patrimoine important et aux revenus plus modestes. Nous proposons de supprimer le bouclier fiscal, qui va devenir un vrai bunker fiscal, à 60 %. Grâce à ces mesures, le rendement de l'ISF serait ainsi un peu plus que symbolique. Nous proposons d'affecter les recettes supplémentaires à la recherche contre le cancer, aux structures pour personnes âgées et à l'investissement public. Votre majorité se grandirait à arrêter cette danse du scalp autour de l'ISF qui témoigne plutôt de sa préoccupation pour le « F » de Fortune que pour le « S » de Solidarité. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Au moment où tant de gens connaissent de terribles difficultés, il est indécent de venir au secours de ces malheureux riches pour lesquels le fameux bouclier fiscal ne suffirait pas alors que l'ISF de 15 000 ménages baissera, ce qui représente 250 millions, soit douze fois le prétendu déficit des trains Corail de la SNCF. 80 000 ménages seront exonérés à hauteur de 400 millions, ce qui représente presque la moitié de l'endettement des hôpitaux. Comme cela ne suffit pas, il paraît que des députés UMP demandent un geste de plus en faveur des détenteurs d'actions. Ce sont ainsi des millions de Français miséreux que vous insultez ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Une double exigence devrait guider la réforme de l'impôt sur les sociétés : le besoin de soutenir les petites entreprises et celles dont l'activité ne permet pas de dégager une forte valeur ajoutée tout en utilisant une main-d'œuvre importante ; la nécessité d'inciter l'ensemble des entreprises à investir dans les personnels en soumettant cet impôt à un barème progressif et en modulant ses taux sur le modèle bonus/malus selon l'origine des bénéfices et leur affectation - investissement, production, formation, recherche ou bien placements et dividendes. Dans l'immédiat, le rétablissement de la taxe sur l'impôt sur les sociétés rapporterait 500 millions.

La baisse de la TIPP est une exigence sociale, fiscale, et même morale. Les profits insolents affichés par les grands groupes pétroliers doivent être ponctionnés. Ces deux mesures permettraient une baisse immédiate de 10 à 20 % du prix des carburants, mais dégageraient ainsi des moyens budgétaires pour la recherche et le développement de modes de transport alternatifs à la route. A elle seule, la taxation des profits du groupe Total pourrait rapporter trois milliards.

Quant à la taxe sur la valeur ajoutée, qui représente presque la moitié du total des recettes, nous préconisons un certain nombre de baisses ciblées, jusqu'à nous diriger vers un taux réduit notamment pour tout ce qui concerne la création d'infrastructures de santé. L'augmentation du rendement de l'impôt sur le revenu permettrait une telle baisse.

La taxe professionnelle doit être plus juste et plus efficace pour les collectivités territoriales. L'élargissement de l'assiette est nécessaire. La mise à contribution des actifs financiers des banques, des entreprises ou assurances aurait un double avantage. Le volume concerné - 3500 milliards d'actifs financiers en 2004 - permettrait d'accroître les ressources des collectivités locales par le biais d'un fonds de péréquation. La taxation des actifs financiers dissuaderait les investissements financiers qui jouent contre l'emploi, ce qui permettrait de responsabiliser socialement et territorialement les entreprises. L'Etat cesserait de compenser les exonérations. Ces diverses mesures fiscales permettraient de retrouver des marges budgétaires susceptibles de financer un certain nombre de grands programmes.

Notre troisième grande série de propositions vise à faire de l'investissement public un moteur de la croissance. Outre la recherche, la formation, l'éducation qui exigent une mobilisation accrue, nous proposons l'engagement de l'Etat dans deux domaines majeurs : la création d'un grand service public décentralisé sur les services liés à l'environnement - eau, assainissement, déchets - avec une aide particulière aux collectivités pour les aider à subventionner jusqu'à 80 % leurs travaux d'assainissement ; une véritable mobilisation autour de la question du logement en accroissant les dispositifs de soutien à l'investissement dans le logement social, en prenant une mesure de blocage des loyers, en redonnant l'APL à 200 000 personnes, en intervenant enfin sur la question de la charge foncière. Les dispositifs de défiscalisation qui évaporent les ressources seraient supprimés.

La non-privatisation des autoroutes, en garantissant sur le long terme quelque 1,5 milliard par an, favoriserait l'effort d'investissements routier et un transfert progressif vers le rail. Une taxation exceptionnelle sur les profits des sociétés du CAC 40 pourrait rapporter un milliard. De même, une taxation minime à 0,05 % des actifs financiers rapporterait 17,5 milliards supplémentaires.

Nous avons montré qu'entre un collectivisme dépassé et un libéralisme qui, social ou non, fait primer l'intérêt financier de quelques-uns sur les êtres humains, il y a un chemin qui passe par une construction budgétaire visant à réduire les inégalités. Ne pas écouter l'expression démocratique du peuple manifestée plusieurs fois dans les urnes et dans la rue, faire fi des réalités économiques en utilisant la méthode Coué et en vous appuyant sur des chiffres erronés, servir les plus riches en pensant que ce sont eux qui valorisent et respectent le travail, les servir en tentant de porter un coup fatal à la progressivité de l'impôt qu'Adolphe Thiers fustigeait déjà en parlant de « l'impôt des partageux », tout cela justifie l'irrecevabilité de ce budget. En fait de modernité, vous nous ramenez un siècle et demi en arrière. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Accoyer - C'est la révolution de 1917 ! (Sourires)

M. Jean-Claude Sandrier - Les conceptions de M. Thiers, guère modernes au XIXe siècle, constituent aujourd'hui de véritables archaïsmes. Enfin, pour vous épargner les traditionnels poncifs à notre égard, j'anticipe votre réponse : la différence entre vous et nous, Messieurs les ministres, c'est que l'on peut sans doute reprocher aux communistes...

M. Louis Guédon - Le Goulag !

M. Jean-Claude Sandrier - ...d'avoir emprunté un temps un chemin dévoyé...

M. Bernard Accoyer - C'est sûr.

M. Jean-Claude Sandrier - ...tandis que vous, vous êtes vraiment d'un autre temps. Voter cette motion d'irrecevabilité, ce serait rendre service à l'immense majorité des Français et à la France (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Gilbert Biessy - M. le ministre n'a rien écouté !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Comment pouvez-vous, après avoir passé votre soirée à lire le journal, tenir des propos aussi désobligeants à l'égard d'un ministre qui a sagement écouté une heure trente d'idéologie, se contentant simplement de souhaiter le divorce entre l'économie et l'idéologie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur Sandrier, nous n'avons décidément rien en commun. Plutôt que de vous attacher à démontrer l'inconstitutionnalité de ce texte - en laquelle je ne crois pas -, vous vous êtes lancé dans un réquisitoire politique souvent violent, et d'une rare démagogie. La palme d'or de la caricature vous revient incontestablement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Vous plaidez en effet pour un modèle économique qui est loin d'avoir brillé ! Vous appelez de vos vœux une société totalement étatisée, où la liberté d'entreprise serait bridée, et les citoyens maintenus dans un régime d'assistance (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), alors qu'il est pour nous logique de créer de la valeur avant de la distribuer - je vous renvoie à cet égard à la fable de La Fontaine, Perrette et le pot au lait - et de libérer les initiatives !

Enfin, nous n'avons pas la même vision du travail. Je n'ai jamais pensé un seul instant que le travail était une aliénation, comme l'a écrit Karl Marx, mais au contraire une formidable émancipation, l'occasion de prouver que dans un pays moderne, libre et démocratique, c'est d'abord par le travail que chacun trouve sa juste place.

Vous avez peint un tableau de la France terriblement misérabiliste, et qui m'a choqué. Personne n'a ici le monopole de la connaissance du terrain. Elu de Meaux, j'y tiens moi aussi une permanence, où je reçois et soutiens mes concitoyens. Pour autant, rien ne me semble pire que de faire croire aux plus démunis que nous vivons dans une société qui assiste plutôt qu'elle ne responsabilise.

Vous avez évoqué tous les maux de notre société. C'est vrai, nous avons beaucoup de défis à surmonter, mais nous vivons dans un pays magnifique, où chaque citoyen peut être soigné gratuitement (« Oh ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), où les enfants peuvent être éduqués au nom de la République dans de remarquables conditions.

Plusieurs députés communistes et républicains - Que ne faut-il pas entendre !

M. le Ministre délégué - Ni le système américain, ni le système communiste n'offrent un tel modèle, et je regrette que vous ne l'ayez pas reconnu. Nous avons la chance de vivre dans un pays où la solidarité nationale peut financer un service public de cette qualité, et plutôt que de stigmatiser, ne serait-il pas préférable de réfléchir ensemble aux moyens de sauver ce modèle ? Si nous n'avons pas le courage de mener à bien les réformes qui s'imposent aujourd'hui, nous n'aurons plus demain que nos yeux pour pleurer. Voilà pourquoi nous avons réformé les retraites et la sécurité sociale hier et nous réformons aujourd'hui courageusement notre fiscalité.

Vous avez évoqué le cas particulier de cette dame qui vit avec 420 euros par mois, et doit se rendre régulièrement à l'autre bout du pays pour se faire soigner. Sa chance, dans son malheur, est justement de pouvoir être soignée gratuitement, dans de bonnes conditions, grâce à la solidarité nationale. Ce n'aurait pas été le cas si elle avait vécu en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Il faut parfois regarder chez les autres pour réaliser sa chance. Retroussons donc nos manches pour imaginer ensemble un nouveau modèle de solidarité.

Cela faisait un certain temps que je n'avais entendu de discours communiste, mais je remarque que rien n'a changé, et que vous en êtes toujours aux mêmes litanies.

Pour toutes ces raisons, j'invite l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Monsieur Sandrier, nous croyons, à la commission des finances, en votre sincérité, mais en vous écoutant, je pensai à cette phrase de Soljenitsyne « Crois les yeux, pas les oreilles ».

Regardez autour de vous : les peuples qui réussissent sont ceux qui parviennent à concilier efficacité et justice. Il faut rendre le pays à la fois plus actif, plus attractif et plus juste.

La caricature que vous venez de dresser est une insulte à l'intelligence de nos compatriotes. L'opposition a un rôle légitime de contre-pouvoir, mais vos excès ne vous rendent pas service.

La vertu d'un grand peuple se mesure à l'esprit de responsabilité de ses citoyens. Vous l'oubliez trop souvent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Bonrepaux.

M. Richard Mallié - Un grand moment de repos !

M. Augustin Bonrepaux - Nous voterons cette exception d'irrecevabilité, pour plusieurs raisons.

La LOLF devait être le moyen d'améliorer la sincérité du budget. Elle n'a pas vocation à servir de prétexte pour réduire les dépenses, mais de clarifier les choses. Or vos prévisions de croissance - 2,5 % - sont loin d'être réalistes. Commencer un budget en sachant qu'il y aura fatalement de nombreux gels et suppressions de crédits n'est pas de bon augure !

Par ailleurs, ce budget n'est équilibré que par des recettes de circonstance - la soulte de La Poste, celle de la Banque de France ... - et des recettes de fonds de tiroir. Et que dire du prélèvement que vous opérez sur la vente du patrimoine de RFF ! Voilà un établissement endetté, qui ne parvient plus à entretenir ses infrastructures, et vous vous permettez d'accélérer la vente pour dévaloriser le patrimoine tout en ponctionnant au passage 350 millions !

Ensuite, au nom de l'égalité fiscale, vous vous apprêtez à accorder 2 000 euros à dix mille privilégiés, contre 4,73 euros à plus de huit millions de Français, parmi les plus modestes !

Enfin, après avoir fait voter une grande loi sur l'autonomie des collectivités locales, vous chargez la barque avec la décentralisation ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Commencez donc par rembourser les 465 millions que vous devez aux départements, et dites-nous comment vous allez compenser le milliard qu'ils devront débourser cette année pour financer le RMI. Nous verrons après si la compensation se fait bien à l'euro près !

Plusieurs députés UMP - Et l'APA ? Et les 35 heures ?

M. Augustin Bonrepaux - Vous avez commencé à geler une partie des ressources des communes rurales, et je vous promets que dans quelques temps, nous reparlerons du plafonnement de la taxe professionnelle dont vous n'avez sans doute pas mesuré les conséquences !

Plusieurs députés UMP - Pour les entreprises, si !

M. Augustin Bonrepaux - Mais les effets seront différents selon que la commune sera riche ou pauvre, selon qu'elle sera dans les Hauts-de-Seine...

M. Richard Mallié - Et l'Ariège ?

M. Augustin Bonrepaux - ...ou dans les zones textiles, de plus en plus en difficulté. Comment pouvez-vous les empêcher de trouver de nouvelles ressources quand, par ailleurs, vous réduisez leurs dotations - le ministre ne vient-il pas de nous expliquer que le bouclier fiscal serait financé par des prélèvements sur la DGS ? Que la dotation globale d'équipement allait être réduite pour les départements ?

C'est facile de promettre aux sapeurs-pompiers le financement de leur retraite, quand ce sont les départements qui paient !

En tout cas, cela portera atteinte à l'autonomie des collectivités locales. C'est pourquoi cette exception d'irrecevabilité est parfaitement justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Daniel Paul - Décidément, vous n'aimez pas qu'on illustre votre politique par ses propres conséquences ! Il est vrai que la réalité est douloureuse. Puisque vous vous faites les défenseurs zélés des plus favorisés, permettez-nous de rester fidèles aux salariés et aux victimes de la précarité : cette répartition des rôles n'est que naturelle ! Nous dénonçons donc cette réalité. Elle est difficile à contester : hier encore, ATD Quart Monde disait que les inégalités se creusent dans notre pays et que la pauvreté s'étend, gagnant en particulier le monde du travail. Elle est sombre, aussi, puisque votre objectif est de répartir autrement les richesses. Certes, notre pays est riche, mais vous voulez ôter aux salaires et à la dépense publique pour augmenter la rémunération du capital, laquelle a déjà gagné dix points de PIB depuis vingt ans ! Cette réalité est enfin gênante, ce qui vous pousse à souhaiter que l'on sépare l'économie de la politique, alors que la satisfaction des groupes tient lieu pour vous de politique industrielle.

Vous estimez que la dépense publique est contreproductive et qu'elle doit être réduite, ainsi que les impôts, comme si l'amélioration du pouvoir d'achat des plus nantis servait en quoi que ce soit les salariés. C'est une politique de classe, que vous accompagnez d'une offensive idéologique sans précédent contre le secteur public et les systèmes de solidarité comme les retraites et la protection sociale. Au nom de la rentabilité du capital, vous attaquez les fondements de notre société. Vous êtes pour la liberté, en effet, mais celle des capitaux ! Celle qui pèse sur les salariés et les territoires ! En mettant en exergue les lois du marché, vous allez contre l'égalité et en cassant les solidarités, vous allez contre la fraternité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Vous aggravez la précarité, vous vendez le patrimoine... M. Bonrepaux a déjà évoqué RFF : parlons d'EDF ! Vous prélevez chaque année sur ses bénéfices...

Plusieurs députés UMP - Et la CCAS ?

M. Daniel Paul - Vous avez prévenu que l'Etat prélèverait de toute façon ce qui lui revenait sur les bénéfices d'EDF ! Et maintenant, vous affirmez que l'entreprise n'a pas assez de fonds propres et vous la livrez au privé ? Cela n'aura d'autre résultat qu'une aggravation de la précarité et une soumission croissante aux grands groupes.

Votre objectif, Monsieur le ministre, n'est pas de supprimer la précarité ! Ceux qui pensent que vous êtes en train d'échouer se trompent : vous êtes en train d'atteindre votre but, celui d'intégrer notre pays dans la mondialisation ! Comptez sur nous pour rassembler ceux qui s'y opposent.

M. le Président - Merci, Monsieur Paul...

M. Daniel Paul - Comptez sur nous pour proposer la rupture, pour pousser vers d'autres choix qui mettent l'homme au cœur des préoccupations. Votre budget est irrecevable parce qu'il menace la cohésion même de notre pays. Nous appelons à voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Président - Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe communiste et républicain d'une demande de scrutin public.

M. Hervé Novelli - Il y a quelque paradoxe à discuter d'une exception d'irrecevabilité sur un texte dont le ministre a si bien expliqué à quelles règles il répondait et dont le dépôt est imposé par la Constitution, mais je n'insisterai pas sur le caractère surréaliste de la procédure que vous avez choisie. Je serai aussi indulgent pour tout ce qui, dans votre propos, a été hors sujet, car après tout, c'est du budget du pays que nous devions discuter ! Et je voudrais vous féliciter pour avoir formulé une autocritique si sincère : vous avez condamné le collectivisme ! C'est suffisamment nouveau de la part du parti communiste pour qu'on en prenne acte de la façon la plus solennelle.

M. Daniel Paul - Il faut lire les journaux !

M. Maxime Gremetz - Trente ans de retard !

M. Hervé Novelli - Pour le reste, rien de nouveau sous le soleil communiste. La solution est simple : taxer, taxer, taxer !

M. Maxime Gremetz - Travail, travail, travail !

M. Hervé Novelli - Au moindre souci, on taxe. Mais ça ne marche pas ! Ça n'a jamais marché ! Lorsque l'on taxe la richesse, que l'on décourage ceux qui la possèdent, elle s'en va ! Voilà votre grande erreur.

M. Maxime Gremetz - Mieux vaut taxer le peuple, il est plus nombreux...

M. Hervé Novelli - Nous avons grand besoin de continuer ce débat. Le budget pour 2006 contient des innovations importantes.

M. Maxime Gremetz - Ah !

M. Hervé Novelli - Le Gouvernement engage une réforme fiscale telle qu'il n'y en a jamais eu depuis des années, qui se traduira par un amoindrissement de la pression fiscale moyenne.

M. Daniel Paul - Moyenne !

M. Hervé Novelli - Ce projet de budget vise également à contenir la dépense publique. Il y a un lien quasi mécanique entre la part des dépenses publiques et le niveau du chômage dans tous les pays de l'Union européenne, vous ne pouvez pas le nier ! Ce budget va donc dans le bon sens et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons que cette exception d'irrecevabilité soit repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

A la majorité de 82 voix contre 20 sur 102 votants et suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu demain, mercredi 19 octobre, à 15 heures.

La séance est levée à 23 heures 25.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 19 OCTOBRE 2005

QUINZE HEURES : 1ERE SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540).

Rapport (n° 2568) de M. Gilles CARREZ, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2EME SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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