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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 25ème jour de séance, 56ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. René DOSIÈRE

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2006
      -deuxième partie- (suite) 2

      JUSTICE 2

      RAPPEL AU RÈGLEMENT 17

      QUESTIONS 22

      ÉTAT B 25

La séance est ouverte à neuf heures trente.

LOI DE FINANCES POUR 2006 -deuxième partie- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006.

JUSTICE

M. le Président - Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la justice.

M. Pierre Albertini, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du plan - Le rapport que j'ai l'honneur de vous présenter portera sur le périmètre de la mission justice, le volume des crédits et des emplois, enfin, les conditions de la réussite de la mise en œuvre de la LOLF, appliquée à la justice.

Permettez-moi d'abord de porter un regard critique sur le périmètre de la mission, modifié récemment sans que le Parlement ait été consulté. L'architecture ne comporte plus que cinq programmes, celui de la justice administrative ayant été rattaché à la mission « conseil et contrôle de l'Etat ». Ce changement, critiqué dans notre assemblée et au Sénat, suscite de la part de votre rapporteur les plus vives protestations car il est contraire à l'esprit de la LOLF, incohérent avec la loi de programmation et ne correspondant pas à notre conception globale de la justice. En effet, les préoccupations concernant la qualité, les délais d'instruction et de jugement, l'exécution et l'acceptation des décisions forment un socle commun à l'ordre administratif et à l'ordre judiciaire et l'on ne saurait distinguer deux qualités de justiciables. Ce détachement ne se justifie en rien et je vous proposerai un amendement pour revenir sur ce point.

M. Xavier de Roux - Très bien !

M. le Rapporteur spécial - S'agissant du volume des crédits et des emplois affectés à la mission, je ne citerai que quelques chiffres, vous renvoyant pour le reste à mon rapport écrit. Les autorisations d'engagement s'élèvent à 6,9 milliards et les crédits de paiement à 5,9 milliards, ce qui représente une augmentation de 4,6%. Les pensions, allocations familiales et allocations logement ont été intégrées, apparemment dans leur totalité, à hauteur de 957 millions, soit deux fois plus que l'an dernier. Il s'agit là, Monsieur le ministre, d'une lente et très heureuse progression : les dépenses de la justice, à périmètre constant, représentent 2,13% du budget de l'Etat contre 1,81% en 2002. Certes, cela ne permet pas de rattraper des décennies de retard, mais nous pouvons nous féliciter sur l'ensemble de ces bancs de cette orientation nouvelle.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Merci, Monsieur le rapporteur.

M. le Rapporteur spécial - Pour les emplois, le plafond autorisé s'établit à 71 475 équivalent temps plein travaillé. Le rythme de création d'emplois est plus lent, avec 197 emplois dans les services judiciaires, 220 dans l'administration pénitentiaire, 60 à la protection judiciaire de la jeunesse et 7 dans l'administration générale ; mais, conscients des contraintes budgétaires qui pèsent de manière générale sur les dépenses de l'Etat, nous nous félicitons que ces créations soient rendues possibles. Nous sommes évidemment légèrement en retard sur la loi de programmation de la justice puisque le taux d'exécution, qui devrait être selon une progression linéaire de 80%, ne s'établit qu'à 58%. Toutefois, nous savons que de telles progressions n'existent que sur le papier et que les modalités de recrutement, par voie de concours, ne permettent pas toujours d'atteindre ces objectifs.

Quant aux crédits d'équipement, le rythme d'engagement est honorable pour les autorisations de programme et moins satisfaisant pour les crédits de paiement. Je me permettrai néanmoins une observation sur la méthode : j'ai pu constater une certaine tendance à pratiquer des reconductions plutôt que d'effectuer de véritables choix en fonction des coûts. Nous serons plus exigeants l'année prochaine, lorsque la LOLF nous permettra enfin de rassembler nos connaissances au service d'une évaluation plus fine et d'une optimisation des crédits affectés à la justice.

Je terminerai cette présentation en évoquant les conditions qui président, à mon sens, à la réussite de la mise en œuvre de la LOLF. En premier lieu, la déconcentration au sein de la mission justice repose sur les trois piliers que sont les chefs de cour, les directeurs d'administration pénitentiaire et les directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Chaque échelon doit bénéficier d'un outil informatique et humain afin de mesurer la pertinence et les conséquences des choix effectués. Ce n'est pas encore le cas, c'est le moins que l'on puisse dire. Le renforcement des services administratifs régionaux permettra de mieux gérer les crédits affectés aux juridictions et de dissiper les craintes de certains présidents de cour d'appel quant à la gestion commune des crédits avec le Parquet. Cela suppose de véritables contrats d'objectifs négociés de manière à ce que l'affectation des moyens soit la plus judicieuse possible.

Deuxième point : le passage de crédits évaluatifs à des crédits limitatifs. Les sommes en jeu sont considérables puisqu'elles représentent près de 20% du budget de la justice et concernent les frais de justice, l'aide juridictionnelle, les fonds de concours, les subventions aux services habilités de la protection judiciaire de la jeunesse, la santé des détenus. La transition sera difficile à réaliser, même si une rationalisation est en cours. Vous avez prévu, en matière de frais de justice, une réserve de précaution de l'ordre de 50 millions, mais je crains qu'elle ne soit insuffisante.

Troisième point : le redéploiement des moyens en fonction des données démographiques et de la délinquance. Certaines juridictions sont en effet saturées, je pense en particulier au Nord-Pas-de-Calais, à l'Ile-de-France, au sillon rhodanien, à Perpignan, aux TGI de Bobigny, d'Evry, d'Aix, de Valence, Perpignan ou Paris. La charge qui repose sur les magistrats y est particulièrement lourde par rapport à des juridictions où la régulation des affaires est plus confortable, et le ratio entre magistrats et greffiers y est encore insuffisant.

Quatrième point, enfin, sur lequel je n'insisterai pas puisque Mme Tabarot y consacrera son intervention : l'amélioration de la capacité et des conditions d'accueil des prisons.

Je noterai avant de terminer que nous devons impérativement mieux mesurer l'impact financier des lois que nous votons ; je pense en particulier au dispositif sur le désendettement et aux mécanismes de la loi Borloo. Nous devons à l'avance nous livrer à une évaluation critique des textes que nous adoptons.

La commission des finances, unanime, propose l'adoption de ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois pour l'accès au droit et à la justice - La LOLF, qui modifie en profondeur le contenu, la procédure d'adoption et les conditions d'exécution du budget et donne un rôle accru au Parlement, entre en vigueur à compter de ce budget. Celui-ci se présente donc maintenant en 34 missions. La mission « justice » correspond aux attributions traditionnelles du ministère de la justice à l'exception du programme concernant la justice administrative qui relève de la mission « conseil et contrôle de l'Etat ». Je regrette moi aussi une telle modification...

M. Xavier de Roux - Très bien.

M. Guy Geoffroy - Très bien.

M. le Rapporteur pour avis - ...qui prive le Parlement d'une vision globale de l'activité judiciaire puisque le Conseil d'Etat, les juridictions administratives, la Cour des comptes et le Conseil économique et social échappent ainsi à la mission « justice ».

M. Xavier de Roux - Absolument.

M. le Rapporteur pour avis - La commission des lois a néanmoins décidé de maintenir l'unicité de l'avis sur les crédits des juridictions judiciaires et administratives, ce qui me semble relever du bon sens.

M. Xavier de Roux - Et de la sagesse.

M. le Rapporteur pour avis - Comme vous l'avez souligné devant la commission, Monsieur le Garde des Sceaux, le budget de la mission « justice » progresse plus que le budget général de l'Etat - plus 1,8% pour ce dernier alors que les crédits de la mission « justice » progressent de 4,6% en crédits de paiement. Pour les juridictions administratives, la progression se situe à 10,7% par rapport à 2005. En dix ans, la part de la justice dans le budget de l'Etat a progressé de 27%, mais est-ce suffisant pour répondre aux attentes de nos concitoyens ? Il s'agit surtout de mesurer l'efficacité de l'utilisation des crédits, et tel est précisément l'enjeu de la LOLF grâce à laquelle nous passons d'une logique de moyens à une logique de résultats, les gestionnaires étant soumis à une obligation d'engagement sur des objectifs et devant rendre compte de leurs résultats. Ce dispositif d'évaluation de la performance est d'ailleurs l'indispensable contrepartie de la liberté de gestion offerte par la globalisation des crédits.

Sur le plan régional, les budgets opérationnels constitués à l'échelon de chaque cour d'appel sont dorénavant sous la responsabilité conjointe du premier président et du procureur général qui se trouvent placés à la tête de la conférence budgétaire régionale. Les chefs de cour deviennent ordonnateurs secondaires des crédits déconcentrés du programme « justice judiciaire » et détiennent un pouvoir nouveau sur l'opportunité d'une meilleure utilisation des fonds publics. Ils bénéficient de services d'administration régionaux renforcés autonomes, avec budget et effectifs.

La maîtrise des frais de justice est également au cœur de nos préoccupations. Après un doublement entre 1988 et 1995, les frais de justice pénale ont considérablement augmenté au cours des années 2002 - plus 13,3% -, 2003 - plus 21,2% - et 2004 - plus 27,1% - en raison des frais de réquisitions téléphoniques et des expertises médicales mais aussi des dépenses de traduction et d'interprètes. La LOLF permet d'appliquer un véritable plan de maîtrise des dépenses fondé sur de nouvelles règles de gestion. Nous espérons que la mise en place, en 2007, du système informatique CASSIOPEE contribuera à ces améliorations. D'ores et déjà, les prix ont sensiblement diminué en ce qui concerne la téléphonie et les analyses génétiques grâce à des négociations et des mises en concurrence.

M. le Garde des Sceaux - Très bien.

M. le Rapporteur pour avis - Je suis satisfait de l'augmentation très significative du régime indemnitaire des magistrats depuis 2002, alors que l'opposition n'avait rien fait à cet égard. A ce régime indemnitaire s'ajoute le nouveau système de primes modulables qui s'inscrivent dans une nouvelle culture de l'objectif et du résultat et qui n'est en aucune manière attentatoire à l'indépendance de la magistrature. Il faut maintenant faire bénéficier les fonctionnaires des services judiciaires de mesures indemnitaires significatives, car un magistrat n'est rien sans son greffier. Les améliorations doivent concerner les deux corps tout en tenant compte de leur niveau respectif de responsabilité. Je sais, monsieur le Garde des Sceaux, que vous êtes très attentif à ce sujet sensible. Le taux indemnitaire moyen des greffiers en chef et greffiers n'a pas été revalorisé depuis 2001. Le taux indemnitaire des personnels de catégorie C devrait également progresser. L'ensemble des personnels doit être intéressé aux résultats des juridictions. Réserver par exemple la prime modulable aux seuls magistrats risque de creuser le fossé avec les agents des services judiciaires.

En septembre dernier, l'effectif des juges de proximité en fonction s'élevait à 471 dans 322 juridictions. Ils seront près de 500 en 2006. La part de contentieux civil dont ils s'occupent avec le tribunal d'instance est passé de 5% à 20% et le contentieux pénal des contraventions occupe quasiment 80% du contentieux total des contraventions, sans compter leur participation de plus en plus marquée aux audiences correctionnelles collégiales. Le résultat des réformes est donc positif, mais il y a des difficultés de recrutement et de formation : la procédure de nomination est trop longue et le bénéfice de la formation s'estompe quand s'écoulent de trop nombreux mois entre celle-ci et l'installation effective dans les fonctions. Il faudrait y remédier dans les meilleurs délais.

Je suis sensible à l'effort réalisé en faveur de la construction ou de la rénovation de palais de justice. Ce sera le cas à Toulouse, Thonon-les-bains, Avesnes-sur-Helpe, mais aussi à l'Ecole nationale des greffes de Dijon. La création d'un nouveau tribunal administratif à Nîmes participe de cet effort. Des questions se posent néanmoins quant à la sécurité des personnels, parfois agressés verbalement et physiquement. Je sais que vous êtes également sensible à ce sujet, Monsieur le Garde des Sceaux. Un effort financier doit aussi être réalisé, même si le problème dépasse largement les questions budgétaires : l'époque où l'autorité et l'image de la justice suffisaient pour assurer le respect de ceux qui la rendent est révolue. Ceux qui ne respectent plus rien et qui s'attaquent délibérément aux symboles de la République n'épargneront pas la justice. A l'heure où les banlieues s'enflamment et où les voyous s'attaquent à nos valeurs fondamentales, la justice peut devenir une cible privilégiée. Tout doit donc être fait pour protéger non seulement les personnes, à l'évidence, mais le symbole.

M. Guy Geoffroy - C'est très important !

M. le Rapporteur pour avis - La sécurité et la justice sont au centre des préoccupations de nos concitoyens. Elles sont indissociables, et essentielles pour la République. Le budget 2006, sous les quelques réserves que j'ai faites, les réformes législatives accomplies depuis 2002, la loi d'orientation et de programmation pour la justice et la LOLF devraient nous permettre de répondre aux attentes de nos compatriotes et de faire face aux risques qui menacent notre démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois pour l'administration pénitentiaire et pour la protection judiciaire de la jeunesse - Avec un budget en hausse de 4,6%, la justice reste une priorité pour l'Etat et cette augmentation est d'autant plus encourageante que la mise en œuvre de la LOLF permet de dégager de nouvelles marges de manœuvre. Ainsi, en termes d'emplois, la substitution des équivalents temps plein travaillés aux postes budgétaires autorisera 2 470 recrutements dans l'administration pénitentiaire et 750 dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce budget s'inscrit donc dans une logique de consolidation du grand chantier de modernisation de la justice lancé en 2002.

Les crédits de l'administration pénitentiaire progressent de 3,5%. Les autorisations d'engagement permettent de lancer la construction des établissements du plan 13 200, dont les premiers devraient être livrés en 2008, les sept établissement pour mineurs, eux, devant être ouverts dès 2007. Si nous nous réjouissons de cet effort, il est également essentiel de prévoir les moyens de l'entretien des établissements existants, parfois vétustes. Plusieurs directeurs d'établissements ont exprimé leur inquiétude sur ce point.

L'administration pénitentiaire reçoit des moyens supplémentaires. Ainsi, 15 millions seront consacrés à des opérations de sécurisation permettant de doter dix établissements supplémentaires de tunnels à rayons X, de poursuivre le programme de rénovation des miradors ou d'installer des appareils de brouillage des télécommunications. L'évasion récente de deux détenus de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône démontre que ces investissements sont impératifs, à une époque où les malfaiteurs n'hésitent plus à recourir à des armes de guerre. Ce renforcement de la sécurité est également essentiel pour soutenir le personnel pénitentiaire, qui a été victime de 520 agressions en 2004, contre 233 en 1995. Parallèlement, la féminisation des effectifs implique une vigilance accrue. Il faut en tout cas saluer le travail de ces agents, qui s'acquittent avec un sens du devoir remarquable d'une mission particulièrement délicate. Une concertation doit être engagée sur l'attractivité des métiers de la pénitentiaire, car les nombreuses vacances de postes mises en évidence par la LOLF font apparaître des difficultés d'embauches. L'objectif des 2 469 recrutements prévus pour 2006 ne sera atteint que si nous modernisons le statut du personnel, comme le demande l'ensemble des syndicats. Il conviendrait de prendre en compte des nouvelles missions du personnel.

L'une des priorités de l'administration pénitentiaire est le maintien du lien familial, qui est d'ailleurs l'un des sept objectifs de performance retenus. C'est un élément essentiel dans une perspective de réinsertion, même s'il faut avant tout tenir compte de l'équilibre de l'enfant. Je note avec satisfaction que la présence de parloirs adaptés aux enfants est désormais un indicateur de performance. L'unité expérimentale de vie familiale du centre pénitentiaire de Rennes est une initiative particulièrement intéressante, même si la structure devra certainement être allégée pour être transposée dans d'autres établissements pénitentiaires.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse sont eux aussi en augmentation, de 3,04%. La PJJ a pris en charge 129 600 jeunes en 2004, contre 120 800 en 2003. Ce budget permettra de renforcer les capacités d'accueil des structures. Deux millions seront consacrés à l'ouverture de 13 centres éducatifs fermés et huit seront investis dans l'entretien du patrimoine et la sécurité des établissements. Parmi les solutions innovantes pour l'accompagnement des jeunes en difficulté, j'ai été particulièrement intéressée par les familles accueillantes qui les reçoivent quasi-bénévolement à leur domicile pour leur apporter un soutien, une éducation et les aider à bâtir un projet de vie. Je tiens également, Monsieur le ministre, à saluer votre démarche en faveur du parrainage des jeunes de la PJJ, qui vise à les accompagner vers le monde de l'emploi.

M. le Garde des Sceaux - Merci !

Mme la Rapporteure pour avis - De telles initiatives permettent à la PJJ de s'ouvrir sur la société.

Je voudrais enfin insister sur le problème particulier de la double habilitation de certains établissements, qui aboutit à ce que des jeunes en danger soient placés dans le même établissement que des jeunes délinquants. Alors que le nombre de signalements ne cesse d'augmenter, pouvons-nous prendre le risque d'introduire une victime au milieu de jeunes potentiellement violents ? Je souhaite que la prochaine réforme de la protection de l'enfance permette de mieux définir le rôle de chaque structure d'accueil.

La LOLF ouvre des perspectives nouvelles pour la mise en œuvre de ce budget : la responsabilisation des échelons déconcentrés permettra une gestion au plus près des besoins tandis que le caractère limitatif de la dotation au secteur associatif de la PJJ permettra une meilleure maîtrise budgétaire. Dans l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945 se trouve inscrit : « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Ces mots prennent aujourd'hui une résonance particulière, et je me réjouis que le budget de la justice donne au Gouvernement des moyens supplémentaires particulièrement nécessaires à l'heure où la violence dans les banlieues nous rappelle que la délinquance des mineurs n'est plus un phénomène marginal, mais une question cruciale pour l'avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Michel Vaxès - Dans le nouveau cadre de la LOLF, loi qui inscrit la performance en son cœur, la mission justice se décline en cinq programmes, à chacun desquels sont attachés une stratégie, des objectifs et des indicateurs de performance. La justice est ainsi sommée d'entrer dans une logique de rentabilité. Comment évaluer les résultats de la justice ? Les propos que vous avez tenus le 14 septembre, Monsieur le Garde des Sceaux, devant les chefs de cour, que vous avez notamment invités à devenir des « gestionnaires audacieux », semblent appeler une véritable taylorisation de la justice. Mais l'institution judiciaire n'est pas une administration comme les autres. Ses finalités et ses problématiques singulières exigent que nous l'appréciions bien davantage par la qualité de ses actes que par sa rentabilité. Les indicateurs de performance peuvent-ils rendre compte du service rendu au justiciable ? Les délais de traitement ou le nombre d'affaires jugées ne peuvent être les seuls gages de la qualité d'une décision ! Les contrats d'objectifs, les indicateurs de performance, les primes individuelles de rendement des magistrats ne permettront jamais d'évaluer l'indépendance, l'impartialité, la personnalisation des décisions, la qualité d'écoute ou le respect du contradictoire, qui sont pourtant essentiels. Nous ne rejetons nullement, non plus que les professionnels de l'institution judiciaire, l'exigence d'une bonne et saine gestion des dépenses publiques, mais nous contestons les critères retenus, sans concertation, pour mesurer les « performances » de la justice.

Vous avez par exemple rappelé aux chefs de cour l'impérieuse nécessité de maîtriser les frais de justice. Le législateur est pourtant le premier responsable de leur augmentation, qui ne cesse de multiplier le recours à des procédures coûteuses ! Les crédits consacrés aux frais de justice sont de 370 millions, plus une réserve exceptionnelle de 50 millions. Ils seront répartis entre les juridictions. Si une juridiction est amenée à dépasser son enveloppe, elle devra trouver les fonds dans son propre budget, et aura donc intérêt à bien gérer ses frais de justice, selon vos propres termes. Mais ce que vous ne dites pas, c'est que les crédits prévus sont manifestement insuffisants ! En 2005, la Chancellerie évaluait ces dépenses à 600 millions en raison, notamment, de la loi Perben II ! Il y aura donc un arbitrage à faire entre les moyens nécessaires à la recherche de la vérité et les besoins de fonctionnement de la juridiction. Il est dès lors fort hasardeux d'affirmer, comme vous le faites, que la recherche de la vérité ne sera pas freinée pour des raisons budgétaires. En outre, comme le rappelle le syndicat de la magistrature, il serait nécessaire de revoir la définition même des frais de justice, qui comprennent étrangement des dépenses sans lien direct avec l'enquête telles que l'indemnisation des jurés, des délégués du procureur, des médiateurs pénaux ou des employeurs des conseillers prud'hommes.

L'architecture de ce budget exclut la justice administrative et les juridictions financières de la mission « justice ». Nous sommes d'accord avec vous pour le regretter. Cette distinction entre les ordres de juridictions est injustifiée. Nous ne pouvons que nous réjouir de l'augmentation de 4,6% du budget.

M. Guy Geoffroy - Ah !

M. Michel Vaxès - Notre enthousiasme est toutefois très modéré, car il demeure bien en deçà de l'objectif de la loi de programmation de la justice. Au rythme actuel, nous n'atteindrons jamais les 8 milliards pour 2007 ! Nous sommes tout aussi déçus des créations d'emplois. La loi de programmation prévoyait 10 100 nouveaux emplois sur cinq ans. Vous dites que la comparaison avec les années précédentes n'a aucun sens, en raison du changement de méthode de suivi des effectifs, mais de toute évidence, les prévisions de la loi d'orientation ne seront pas respectées. Nous entrons dans l'avant-dernière année du plan et nous ne sommes qu'à la moitié des créations d'emplois prévues. Sans compter que, depuis, différentes réformes sont venues encore accroître les besoins en personnel. Ainsi pour le texte relatif au traitement de la récidive, les moyens que vous consacrez à l'exécution et à l'application des peines sont bien inférieurs aux besoins. Vous accordez en effet la priorité au développement des mesures d'enfermement, au détriment des dispositifs de réinsertion. Jean-Luc Warsmann, dans son rapport de juin dernier, dénonçait d'ailleurs l'insuffisance des crédits destinés à l'exécution des peines.

Sur les 220 postes que vous créez, seuls 80 sont des postes de conseillers d'insertion et de probation, lesquels seront du reste absorbés par les nouveaux établissements pénitentiaires. Et je ne parle pas des 500 emplois jeunes amenés à disparaître dans les prochaines années.

Vous donnez la priorité à l'enfermement alors qu'il est coûteux et inefficace. Vous créez sept établissements pénitentiaires pour mineurs, alors que les actuels quartiers pour mineurs sont loin d'être remplis.

M. le Garde des Sceaux - Tant mieux !

M. Michel Vaxès - Certes !

De même, la création des actuels centres éducatifs fermés absorbe la majeure partie des crédits d'investissement de la protection judiciaire de la jeunesse, alors que les crédits consacrés aux enfants et adolescents en danger chutent de 27%.

Tout aussi inquiétant est le désengagement de l'Etat dans la protection des jeunes majeurs, avec une baisse de plus de 36% du nombre de journées d'hébergement par rapport à 2004. La circulaire du 21 mars dernier, qui invitait les magistrats et les services de protection judiciaire de la jeunesse à la plus grande parcimonie n'en était malheureusement qu'un avant-goût.

Ce projet de budget est au service d'une politique construite sur des effets d'annonce. Vous privilégiez une justice productiviste au détriment d'une justice de qualité et l'enfermement au détriment d'une vraie politique de lutte contre la récidive. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget.

M. Guy Geoffroy - Cette première présentation sous l'égide de la nouvelle LOLF nous permet d'éclairer les grandes lignes de la mission « justice » pour 2006.

Permettez-moi tout d'abord de saluer le très bon fonctionnement de la chaîne pénale à l'heure où notre pays traverse de grandes difficultés. La police et la justice accomplissent un travail remarquable, ce qui prouve que fermeté et justice ne sont pas incompatibles.

Par ailleurs, la commission des lois est unanime pour regretter la mise à l'écart de la juridiction administrative et nous prendrons des initiatives pour corriger cette erreur.

M. Xavier de Roux - Très bien.

M. Guy Geoffroy - Ce budget, qui avait déjà augmenté de 4% l'année dernière, augmente encore de 4,6% - on comprend qu'il suscite l'enthousiasme, fût-il modéré, de M. Vaxès - et il met fin, par ailleurs, aux crédits évaluatifs qui représentaient 20% de ce budget.

Les crédits accordés aux juridictions judiciaires progressent de 8%, ceux de l'aide aux victimes de 12%, ceux de l'administration pénitentiaire de 4%, et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse de 3%.

Parallèlement, les acteurs sont responsabilisés : grâce à la déconcentration des crédits et de leur gestion, nous pouvons espérer qu'il n'y aura pas de déperdition de moyens dans le fonctionnement de l'institution judiciaire.

La maîtrise des frais de justice est à cet égard éloquente et je m'indigne des mauvais procès intentés au Gouvernement. Comment tolérer davantage les tarifs prohibitifs facturés pour certaines écoutes téléphoniques....

M. le Rapporteur pour avis - Tout à fait.

M. Guy Geoffroy - ...ou pour nombre d'études et d'analyses ?

S'agissant des emplois, si nous n'atteignons pas exactement les objectifs fixés par la loi de programmation, nous progressons vite. Près de 5 000 emplois équivalent temps plein sont générés par ce budget dont 10% sont de véritables nouveaux emplois - 279 postes de magistrats, plus de 650 au titre des greffes, près de 2 000 dans l'administration pénitentiaire, plus de 700 pour la protection judiciaire de la jeunesse, sans compter tous ceux qui se créeront dans le secteur associatif du fait du développement des centres éducatifs fermés.

Comment ne pas saluer par ailleurs les investissements en faveur de l'amélioration des conditions de détention, avec la rénovation de certains centres, la création de nouvelles prisons et la création d'établissements accueillant uniquement des jeunes mineurs ? Je rappelle du reste que j'avais déposé un amendement à la loi d'orientation pour que des mineurs ne soient plus emprisonnés avec des adultes. Le chemin est long, mais nous progressons.

Je conclurai avec les centres éducatifs fermés, brocardés y compris par ceux qui les avaient eux-mêmes proposés. Le bilan est satisfaisant, car moins de jeunes mineurs sont aujourd'hui en prison, et là est la véritable alternative à l'incarcération des mineurs : que des jeunes soient accueillis dans des centres certes fermés, mais avant tout éducatifs.

Nous sommes en passe de réussir, et il faut que l'ensemble des parlementaires soutiennent au niveau local cette initiative, comme je l'ai moi-même fait dans ma circonscription en obtenant, après d'âpres négociations, la création d'un tel centre.

Je vous ai entendu ce matin à la radio, Monsieur le ministre, dialoguer avec un jeune mineur incarcéré à Fleury-Mérogis, et expliquer que le rôle de la justice était de sanctionner mais aussi de prévenir. La justice présente en effet ces deux facettes.

Le groupe UMP votera sans état d'âme le budget de la mission « justice ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Vallini - Au-delà des chiffres, Monsieur le Garde des Sceaux, je veux profiter de l'occasion de cette discussion budgétaire pour dresser un premier bilan de la politique de la justice menée depuis trois ans et demi. Elle révèle deux impostures.

La première tient au décalage entre la répression affichée et la réalité des faits. Les dispositions législatives nombreuses que la majorité a votées depuis 2002 n'ont fait qu'aggraver l'engorgement de la machine judiciaire. L'augmentation du nombre de jugements en attente est sans précédent et la justice n'est plus en mesure d'exécuter les décisions qu'elle prend. Et je ne vise ici que les juridictions pénales ! Or, plus le retard entre la condamnation et l'exécution de la peine s'accroît, moins la peine est comprise, tant par la victime que par le condamné et les enquêteurs.

Où est l'autorité de la justice quand la moitié des peines de prison restent inexécutées dix-huit mois après le jugement ? Quand des condamnations à des peines de prison ne sont pas exécutées du tout ? Quand 50 % des condamnations ne font l'objet d'aucun acte de réelle mise en exécution ?

La loi Perben qui prévoyait une exécution des peines « dans les meilleurs délais » - expression juridiquement assez floue mais que vous avez votée - est donc lettre morte. Cette situation décrédibilise totalement l'institution judiciaire, elle favorise le sentiment d'impunité et elle ôte tout sens à vos discours sur les multirécidivistes. Sans compter que ces délais retardent l'enregistrement de la condamnation au casier judiciaire et qu'en cas de récidive, le tribunal ignore souvent tout de l'infraction précédente.

On estime que pour résorber le stock des jugements en attente, le Gouvernement devrait recruter 1 000 greffiers et secrétaires, 3 500 travailleurs sociaux des services pénitentiaires d'insertion et de probation et au moins une centaine de juges d'application des peines. Le budget pour 2006 en est loin et il apparaît donc que la loi d'orientation et de programmation ne sera pas exécutée. D'ailleurs, M. Geoffroy l'a reconnu lui-même.

M. le Garde des Sceaux - Ce n'est pas ce que j'ai compris.

M. André Vallini - Si, si, je l'ai bien écouté. Elle prévoyait 10 500 emplois nouveaux sur la période 2003-2007, dont 950 magistrats de l'ordre judiciaire, et 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires. Avec 93 magistrats de l'ordre judiciaire et seulement six personnels d'encadrement - oui, six ! -, le budget pour 2006 marque l'arrêt de la mise en œuvre de cette loi de programmation, d'autant qu'ont ensuite été adoptées plusieurs lois dévoreuses d'effectifs, les lois Perben par exemple ou, sur le plan civil, la loi sur le redressement personnel et la création des juridictions régionales de l'incapacité.

Je voudrais dire un mot de la question des frais de justice criminelle, qui représentent 76% du volume global des frais de fonctionnement de la justice et qui suivent une progression constante de plus de 20% par an. Les raisons en sont que la société a évolué vers une judiciarisation des conflits et que la justice compte maintenant, à juste titre, sur de nouveaux moyens technologiques tels que les tests ADN. Cette augmentation des frais tient aussi à l'adoption de lois génératrices de frais comme les lois Perben, qui contiennent au moins onze mesures ayant un impact direct sur lesdits frais. Le recours aux écoutes téléphoniques, aux expertises diverses et aux enquêtes sociales s'accroît. Pour 2006, une enveloppe de 370 millions seulement est prévue, alors que les besoins sont estimés à 600 millions. J'ajoute que dans l'objectif 3, « amplifier et diversifier la réponse pénale », vous préconisez d'accroître les taux d'alternative aux poursuites, qui sont génératrices de frais de justice dans la mesure où il faut payer les conciliateurs. En attendant la mise en place effective des outils ainsi que des directives claires des Parquets aux services d'enquête de police et de gendarmerie, il serait donc préférable pour 2006 de rattacher les frais de justice criminelle aux exceptions prévues à l'article 10 de la loi organique ou de laisser au secrétariat générai du ministère de la justice la gestion de tels frais.

Je note par ailleurs qu'alors qu'il est impossible de connaître par avance le nombre de demandeurs et de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, les crédits correspondants deviennent limitatifs, ce qui va remettre en cause l'accès au droit et le droit à être défendu des plus démunis et des plus vulnérables.

Bref, la machine, judiciaire se révèle chaque jour moins capable de remplir les missions que vous lui assignez.

M. Jean-Luc Warsmann - Tout en nuances !

M. André Vallini - Il faut bien que je tempère l'enthousiasme exprimé par M. Vaxès, mais je pense qu'il réagira lui-même à la récupération de ses propos.

La deuxième imposture est encore plus grave. On se souvient de l'hystérie nationale qui a fait de la sécurité l'enjeu majeur de la présidentielle en 2002 et des législatives qui ont suivi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. Geoffroy, qui doit son siège de député à ce qui s'est passé alors, doit s'en souvenir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Trois ans et demi plus tard, non seulement les cités s'embrasent chaque nuit et chacun voit que ni l'insécurité ni la violence n'ont vraiment reculé dans notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Au contraire, les violences aux personnes ne cessent d'augmenter. Le nierez-vous ?

Rien n'est plus nécessaire que de réprimer la délinquance. Encore faut-il agir sur les racines du mal autant que sur ses symptômes. Or, qu'avez-vous fait depuis trois ans et demi ? Le contraire.

M. Guy Geoffroy - Belle caricature !

M. André Vallini - Vous avez créé de nouvelles incriminations contre les squatters, alors que ce sont des logements sociaux qu'il faut construire ; contre les sans domicile fixe, alors que ce sont des centres d'accueil qu'il faut ouvrir ; contre les prostituées, alors que ce sont les réseaux du proxénétisme qu'il faut combattre ; ou encore contre les jeunes dans les halls d'immeubles alors que ce sont des terrains de sport, des MJC et des associations de quartier qu'il faut multiplier, au lieu de leur couper les vivres !

M. Guy Geoffroy - Quelle démagogie !

M. André Vallini - D'ailleurs, le Premier ministre vient d'annoncer qu'il allait rétablir les crédits destinés aux associations de terrain. Il aura fallu attendre que les banlieues s'enflamment !

La politique du Gouvernement en direction des jeunes peut aussi être évaluée à l'aune des crédits très insuffisants de la PJJ. Les 60 emplois créés en 2006 seront réservés au traitement des mineurs en milieu fermé, au détriment du milieu ouvert. J'en profite pour dire à M. Geoffroy, qui m'interpellait indirectement sur la question des centres éducatifs fermés, appelés ainsi à tort car ils ne sont pas fermés, sans quoi ce seraient des prisons...

M. le Garde des Sceaux - Ils ne sont pas ouverts non plus !

M. André Vallini - ...que j'essaie moi aussi de contribuer à l'implantation de ces structures qui rappellent les centres d'éducation renforcée. (« Ah! » sur les bancs du groupe UMP)

Vous semblez toutefois n'attendre guère de résultat de cette politique puisque aucune évaluation n'est prévue sur l'action éducative ou l'action entreprise en direction des mineurs en danger.

S'agissant de votre politique pénitentiaire en général, je veux simplement dire que multiplier le nombre des places de prisons sans personnels motivés et bien formés ne sert à rien. La solution du tout pénal et du tout carcéral est une illusion dangereuse, a fortiori quand les prisons surpeuplées renvoient les délinquants dans la société sans autre choix que la récidive. Avec plus de 62 000 détenus, les prisons sont en fait devenues une machine infernale et la première fabrique de la récidive.

Donnons la priorité au suivi et à de véritables soins médicaux : 15% des détenus souffrent de troubles psychiatriques ou de dépendances toxicomaniaques fortes. Un véritable dossier de personnalité comprenant une expertise psychologique ou psychiatrique devrait être établi dès l'incarcération et transmis lors de chaque nouvelle comparution en justice.

Enfin, comme l'a dit M. Warsmann, il est inconcevable de permettre des sorties sèches.

M. le Garde des Sceaux - C'est bien mon avis !

M. André Vallini - Les services pénitentiaires d'insertion et de probation manquent cruellement de moyens. Seuls 10% des agents de l'administration pénitentiaire travaillent en milieu ouvert et il n'y a que 2 500 agents pour suivre 130 000 personnes !

Et quand le rapport Warsmann demandait 3 000 postes, seulement 330 postes de conseillers d'insertion et de probation ont été créés depuis l'entrée en vigueur de la LOPJU et, pour 2006, vous en prévoyez seulement 80.

Fin 2004, chaque juge de l'application des peines était en charge de 100 dossiers, 40% des dossiers étant réellement suivis. L'immense majorité des mesures de mises à l'épreuve ne reçoit même pas un début d'exécution. Au lieu de combler cette pénurie, vous choisissez la fuite en avant législative ! Votre bracelet électronique coûtera au moins 60 euros par personne et par jour, soit 153 millions d'euros par an pour 7 000 personnes. Heureusement que le Sénat est là - espérons qu'il sera plus sage que nous !

Comment enfin ne pas évoquer les graves incidents actuels ? L'efficacité commande d'agir avec précocité, intensité et continuité pour éviter que les adolescents sombrent dans la violence et pour que la délinquance recule. Combattons les réseaux de la criminalité organisée, et notamment le trafic de stupéfiants. Développons la police de proximité, aujourd'hui abandonnée malgré des premiers résultats positifs. Remaillons le tissu social en renforçant les dispositifs d'aide aux parents ainsi que la présence des personnels médicosociaux dans les écoles, grâce à une coordination de l'aide sociale à l'enfance et la protection judiciaire de la jeunesse. Menons enfin une véritable politique pénitentiaire axée sur la réinsertion. S'il faut punir la délinquance, il faut aussi savoir traiter ce dérèglement d'une société qui trop souvent exclut au lieu d'intégrer ou de réinsérer. Une société où les budgets de la solidarité, de l'éducation, de l'insertion ou du logement ont été sacrifiés sur l'autel d'une baisse de la fiscalité destinée aux plus favorisés.

Depuis les assises de Villepinte en 1997, la gauche a réussi son aggiornamento en matière de répression. Pourquoi la droite ne parvient-elle pas à admettre la nécessité de la prévention ? Nous attendons depuis trois ans et demi la loi sur la prévention que vous repoussez tous les six mois, pour multiplier les textes répressifs à la place. Le « tout répressif » peut faire illusion et bousculer les statistiques, surtout si ceux qui sont chargés de les produire sont jugés sur leurs résultats. Mais il est voué à l'échec. « Il faut attaquer le mal à la racine. La pauvreté, l'humiliation et les crises non résolues créent une ambiance favorable au recrutement des terroristes. Lutter par des moyens strictement militaires est voué à l'échec ». Voilà ce que M. Chirac disait du terrorisme !

M. Jean-Luc Warsmann - Nous avons un bon Président !

M. André Vallini - Mais quel dommage de ne pas appliquer ces principes au terrorisme social qu'est parfois devenue la violence et qui pousse également sur le même terreau. Il est inefficace de recourir à des moyens strictement policiers. Devant l'agitation du ministre de l'intérieur, complaisamment relayée par les médias, l'opinion a été difficile à convaincre que cette fuite en avant risquait d'aggraver encore la montée de la violence, sans y répondre. Mais les Français ouvrent aujourd'hui les yeux !

La France est au 23e rang européen pour le budget de la justice. Grâce à une hausse de 29% des crédits, peut-être insuffisante mais sans précédent, nous avions commencé à combler le retard de 1997 à 2002. Et nous pensions que votre loi de programmation de 2002 permettrait de poursuivre cet effort. Las, elle ne sera pas respectée, comme l'a souligné M. Geoffroy.

Diverses voix - C'est très excessif !

M. André Vallini - Donnons à la justice les moyens d'appliquer la loi ! Le Figaro Magazine indiquait il y a quelques mois que selon 70% de nos concitoyens la justice fonctionne mal, et que la situation s'aggrave aux yeux de 53% d'entre eux. Le premier président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, a même déclaré : « Cela ne peut continuer comme ça ». Hélas, avec votre budget pour 2006, cela va continuer comme ça !.

Mme Anne-Marie Comparini - Le projet de budget 2006 pour la justice progresse, sa part dans le budget de l'Etat s'établissant à de 2,13%, contre 1,81% en 2002.

Cette progression recueille l'approbation du groupe UDF : dès 2002, nous avions demandé que la justice soit dotée de moyens financiers conséquents, à hauteur de 2,5% du budget de l'Etat. Nous y sommes presque. Mais prévision ne veut pas dire réalisation.

Il nous faut impérativement investir dans la justice judiciaire. Certes, le renforcement des personnels se poursuit, 930 magistrats et greffiers devant rejoindre les juridictions en 2006, mais le taux d'exécution de la loi accuse un retard - 58% au lieu de 80% - que nous avions déjà pointé l'an dernier. Il est vrai que la durée de formation des greffiers ne permet pas d'accompagner les nominations de magistrats, mais il faut impérativement accélérer les recrutements en vue de réduire le délai de traitement des affaires et d'améliorer le taux d'exécution des peines.

N'oublions pas non plus que les magistrats doivent absorber les incessantes réformes que nous produisons et que notre « inflation législative » accroît leur charge de travail. Avant toute réforme, il faut donc réfléchir à l'efficacité des outils existants et évaluer l'impact des nouvelles mesures, comme le proposait M. Albertini. Espérons que cela ne restera pas un vœu pieux !

La deuxième priorité est de renforcer l'efficacité de la justice au service des citoyens. Au cours des deux dernières semaines, les Français ont pu constater l'efficacité des forces de police, mais également celle de la justice.

M. le Garde des Sceaux - Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini - Les moyens nouveaux consacrés à la justice s'accompagnent de mesures visant à améliorer son fonctionnement grâce à une gestion plus libre des crédits. S'il faut se féliciter de cette déconcentration, l'Etat peine une fois de plus à aller au bout de ses délégations et à faire confiance à ses représentants : il ne donne que des responsabilités limitées, une « liberté surveillée ». La marge de manœuvre sur les crédits sera faible, et le concept de plafond d'emplois pénalisant.

Par ailleurs les règles de gestion des frais de justice devront être revues. En effet, la dyarchie de gestion pourrait être un frein à la décision et le caractère limitatif des crédits risque de contrecarrer l'apport de la science à l'élucidation des enquêtes. Comment accepter une enveloppe de 370 millions, alors que les dépenses sont estimées à 500 millions pour 2005 et que toute investigation nécessite désormais l'utilisation des techniques les plus avancées ?

Pour en venir à l'administration pénitentiaire, chacun connaît la gravité de sa situation. Elle rejaillit sur les conditions de travail et de vie des personnels pénitentiaires, et l'état indigne des locaux est largement incompatible avec le traitement humain dû aux détenus.

Votre budget permet de poursuivre l'effort engagé par la loi de programmation, portant à 73% le taux d'exécution du recrutement prévu des personnels. Il en est de même pour les crédits accordés pour la construction d'établissements pour majeurs délinquants et pour mineurs. Mais il y a tant à faire, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous devrez impérativement veiller au respect des engagements afin que les constructions aient lieu dans les temps.

En effet, nous ne pouvons décemment garder des prisons du xixe siècle dans lesquelles s'entasse, au mépris de toute humanité, une telle surpopulation. Nous voulons lutter contre la récidive, mais la prison est aujourd'hui un facteur criminogène. Ne faudrait-il donc pas multiplier le nombre d'unités expérimentales de vie familiale, qui ont montré tout leur effet bénéfique en retissant des liens familiaux distendus ? Seules trois prisons françaises en disposent.

Autre orientation importante, le suivi socio-judiciaire et les aménagements de peine. Si le projet de budget prévoit bien des créations d'emplois et une réforme statutaire, il dissipe tout espoir d'assurer la réinsertion des délinquants, faute de moyens financiers et humains tels que les personnels d'insertion et de probation ou les médecins coordonnateurs. Aussi ne pouvons-nous nous satisfaire de la création de 80 postes de travailleurs sociaux : dans son rapport, notre collègue Warsmann préconisait en effet de créer 3 000 postes et nous aurions souhaité, Monsieur le Garde de Sceaux, qu'une réelle impulsion permette de pallier ce manque criant. A l'évidence, le rapport entre le nombre de travailleurs sociaux et celui des détenus reste nettement insuffisant.

M. le Garde des Sceaux - Il est vrai que le rapport Warsmann m'a fait beaucoup de mal ! (Sourires)

M. Jean-Luc Warsmann - J'ai plutôt le sentiment qu'il va vous aider !

Mme Anne-Marie Comparini - S'agissant de la protection de la jeunesse, les événements des deux dernières semaines doivent nous faire réfléchir sur les sanctions infligées aux jeunes délinquants et sur les mesures de prévention mises en place. Mon collègue Lagarde y reviendra. Le Premier ministre insistait mardi après midi sur la nécessité de renforcer le pouvoir des maires. A ce titre, ne peut-on transférer les « éducateurs de rue » aux communes qui le souhaitent pour rendre l'action plus cohérente ? D'autre part, ne peut-on inscrire l'opération « Défense deuxième chance » dans la politique globale de resocialisation des jeunes en voie de marginalisation ?

Pour le groupe UDF, il est prioritaire d'améliorer l'efficacité de la justice et de lui donner les moyens de mieux exécuter les décisions pénales. Et si ces orientations peuvent se traduire dans une loi, celle-ci ne fait pas tout. A reprendre l'actualité des derniers mois, on a parfois l'impression que la France s'est fait une spécialité d'apporter à tout événement une réponse législative, trop souvent prise sous la pression médiatique, sans bilan sur les textes déjà votés ni assurance quant aux moyens humains et financiers disponibles pour l'appliquer. Ce n'est certes pas nouveau, puisqu'en cinquante ans, vingt-trois réformes de procédure ont été votées ! Notre analyse est, je le sais, largement partagée et elle démontre aussi la nécessité d'une inflexion budgétaire, tant notre pays manque de magistrats et de places de prisons dignes. Nous l'avons encore déploré hier, lors de la réunion du groupe sur les prisons présidé par Mme Boutin. Du reste, le coût d'un détenu en France est relativement faible : 20 000 euros, contre 44 000 en Italie et de 69 000 au Royaume Uni.

Bien entendu, la solution n'est pas seulement budgétaire, et nous avons été heureux, Monsieur le Garde des Sceaux, de vous entendre déclarer ce matin à la radio que le tout répressif n'était pas la voie à suivre. N'oublions pas en effet les mesures visant à l'exécution de peines alternatives à l'incarcération, et attachons-nous de toute urgence à corriger les insuffisances de la réinsertion, en proposant une activité et une formation à tout détenu, et en interdisant les « sorties sèches », sans mesures de libération conditionnelle et de suivi.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini - Un budget traduit toujours une politique et une vision. La nôtre est grande pour la justice, pilier de la République. C'est pourquoi notre groupe insiste une nouvelle fois sur la nécessité de donner à tous les professionnels de la chaîne pénale les moyens de remplir leur mission pour répondre aux fortes attentes de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - Excellente intervention !

M. Jean-Luc Warsmann - Une pensée, en cette période douloureuse, pour tous les fonctionnaires du ministère de la justice, fortement sollicités alors que nombre de tribunaux sont déjà surchargés et que les établissements pénitentiaires sont parfois surpeuplés : tous ont répondu présent et nous devons leur rendre hommage.

M. Guy Geoffroy - Absolument !

M. le Garde des Sceaux - Merci, Monsieur Warsmann !

M. Jean-Luc Warsmann - Merci à vous, Monsieur le ministre, de vous être enfin attaqué à la dérive des frais de justice, lesquels avaient augmenté de 20% par an depuis 2001, pour atteindre 420 millions l'année dernière et 490 millions cette année. La situation faite à l'Etat était devenue scandaleuse, ses intérêts n'étant plus défendus. Songez que certains opérateurs téléphoniques demandaient 9 euros à la justice pour identifier un numéro !

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est rigoureusement exact !

M. Jean-Luc Warsmann - Et avant que vous n'organisiez la mise en concurrence par appels d'offres, certains laboratoires facturaient l'empreinte génétique à 300 euros contre 100 aujourd'hui ! Une vraie gabegie ! Il est bien entendu tout à fait légitime que le recours aux expertises tende à s'amplifier, mais nous vous félicitons d'avoir arrêté la dérive financière. En toute occasion, l'Etat doit négocier pour obtenir le juste prix et ne pas se laisser imposer n'importe quelles conditions.

Je voudrais ensuite proposer que 2006 soit l'année de l'exécution des décisions de justice. Rendue au nom du peuple français, toute décision de justice doit être mise à exécution. Ce principe ne souffre aucune exception et nous devons rendre hommage à votre prédécesseur d'avoir accepté, dans le cadre de la deuxième loi qui porte son nom, nos amendements tendant à conforter la règle de l'exécution dans le mois suivant le prononcé. C'est ainsi qu'ont été introduits dans le code de procédure pénale les articles 474 nouveau et 707-2, disposant respectivement que tout condamné doit être convoqué devant le JAP dans les trente jours suivant la notification et que toute personne condamnée à verser une amende voit le montant de celle-ci minoré de 20% si elle s'en acquitte dans le mois. Le législateur a donc fait tout ce qui était en son pouvoir, les principes qu'il a posés devant trouver à s'appliquer à compter du 1er janvier 2007. Pourtant, autant le dire crûment, cette échéance ne pourra pas être respectée.

Je tiens à votre disposition le tableau de l'exécution des peines du tribunal correctionnel d'Evry : si le condamné est présent à l'audience, le délai moyen entre le prononcé de la peine et le début de sa mise à exécution est d'onze mois ; s'il est absent, il faut attendre au moins vingt-quatre mois pour que quelque chose se passe ! C'est ainsi que des personnes condamnées en audience en janvier 2003 ne sont inquiétées qu'aujourd'hui ! Comment éviter, dans ces conditions, que le sentiment d'impunité qu'éprouvent certains délinquants ne tende à se diffuser ?

S'agissant des amendes, nombre d'exemples sont du même acabit. Dans la loi Perben 2, nous avions pris une disposition visant à ce les TPG transmettent aux procureurs un rapport annuel - non confidentiel - sur le taux de recouvrement des amendes. Là encore, les résultats sont édifiants : en Seine-Saint-Denis, en 2004, le taux de recouvrement des amendes correctionnelles - je ne parle donc pas des amendes de stationnement mais de celles sanctionnant un délit - a plafonné à 6,93%, la moyenne nationale n'étant guère supérieure...

M. Jean-Christophe Lagarde - Scandaleux !

M. Jean-Luc Warsmann - Au plan national, 250 000 jugements rendus par des tribunaux correctionnels sont encore dans les cartons. Alors, Monsieur le Garde des sceaux, loin de moi l'idée de vous en faire reproche car la majorité actuelle a hérité de cette situation inacceptable en 2002. M. Vallini s'est cru autorisé à vous attaquer durement à ce sujet : a-t-il oublié que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, le délai d'attente moyen n'était pas inférieur à sept mois ?

Je l'ai dit, le projet de budget pour 2006 marque des avancées notables. Grâce aux arbitrages que vous avez obtenus, la loi de programmation pour la justice continuera de s'appliquer. Je déplore cependant qu'il reste impossible de résoudre les problèmes qui s'attachent à l'exécution des peines alors que des marges existent. Il faut des greffiers...

M. le Garde des Sceaux - J'en ai 600 !

M. Jean-Luc Warsmann - Mais il faut aussi des personnels relevant de la catégorie C. Plusieurs centaines de lauréats des derniers concours sont inscrits en liste complémentaire : il faut faire appel à eux pour renforcer les moyens. L'exécution des peines ne s'améliorera pas sans moyens nouveaux...

M. le Garde des Sceaux - Vous les aurez !

M. Jean-Luc Warsmann - Et ne nous privons pas de la possibilité de recruter des contractuels à durée déterminée pour faire face à l'urgence dans tous les tribunaux...

M. le Rapporteur spécial - Donnons la priorité à ceux qui sont saturés.

M. Jean-Luc Warsmann - Il est indispensable de renforcer l'ensemble de la chaîne, en mettant l'accent sur les services d'insertion et de probation dont la charge de travail explose actuellement. Il faut dégager des moyens nouveaux et promouvoir des modes de gestion innovants. Pourquoi ne pas conclure un contrat d'objectifs et de moyens avec chaque juridiction ? Il est également de la plus haute importance que toute juridiction dispose d'un bureau de l'exécution des peines au plus tard le 31 décembre 2006, de sorte qu'à compter du lendemain, tout condamné sorte du tribunal avec à la main une convocation d'exécution du jugement dans le mois. Selon la sanction prononcée, il s'agira de rencontrer le JAP, de payer une amende, d'effectuer un TIG ou de se placer sous le régime du sursis avec mise à l'épreuve.

Monsieur le Garde des Sceaux, j'ai conscience de vous demander une petite révolution mais je vous exhorte de faire vôtre cette ambition ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Christophe Lagarde - Mme Comparini ayant exposé la position de notre groupe, je ferai part de mes propres réflexions, en accord total avec celles de M. Warsmann.

Ce projet de budget est bon et je me réjouis qu'après trois années d'imprécisions, la politique de la justice soit véritablement pilotée. Certes, il faudrait recruter encore plus de fonctionnaires, mais l'évolution va dans le bon sens et je salue les efforts de gestion déployés, assez rares dans l'administration pour être soulignés. J'approuve que l'on examine mieux les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs : à cet égard, je me réjouis qu'il ait été mis fin au racket subi par l'Etat pour les écoutes téléphoniques, mais je considère que les concessions de service public devraient imposer aux opérateurs téléphoniques la gratuité lorsqu'il s'agit des besoins de la justice.

En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je tiens à ce que les nouveaux postes aillent là où les besoins sont les plus criants. Vous savez que le tribunal de Bobigny, qui arrive au deuxième rang en termes d'affaires traitées, fait partie des juridictions les plus sinistrées.

Par ailleurs, il convient d'agir rapidement dans le domaine de la prise en charge des mineurs. Des mesures dérogatoires ont été prises pour la construction de centres éducatifs renforcés et de centres éducatifs fermés en 2002 mais certains magistrats rechignent à envoyer les jeunes justiciables dans ces centres, faute de places ou parfois, de volonté. Un média a ainsi fait état de 50 places non occupées dans les centres éducatifs fermés de la région parisienne : pouvez-vous, Monsieur le ministre, confirmer cette information ?

Je souhaiterais également souligner une certaine carence du système de protection judiciaire de la jeunesse. La Seine-Saint-Denis dispose de 12 juges pour enfants, alors que de nombreux jeunes sont en danger, qu'ils soient victimes de mauvais traitements ou qu'ils se trouvent sur la voie de la délinquance. Lorsqu'ils sont victimes, il faut souvent attendre plusieurs mois pour que le signalement débouche sur une mesure de placement judiciaire : dans ma commune, trois enfants n'ont pu être sauvés.

Lorsqu'il s'agit de jeunes délinquants, l'incroyable indulgence des juges aboutit à un sentiment d'impunité, doublé d'un sentiment de révolte chez les victimes, et détisse le lien social. Savez-vous comment les juges pour enfants du tribunal de Bobigny sont surnommés ? Les « Papa Noël », parce que l'on entre dans leur cabinet la peur au ventre et l'on en sort avec le sourire, les magistrats ne sanctionnant quasiment jamais les délinquants. Des adolescents de 15 ans ont pu être placés des dizaines de fois en garde à vue sans jamais connaître que des rappels à la loi, si nombreux qu'ils en deviennent inutiles.

Le nouveau procureur de la République de Bobigny, que je tiens à saluer pour le travail accompli avec les autres magistrats ces dernières semaines, a décidé de réunir les maires afin d'appréhender collectivement les problèmes qui touchent les villes de son ressort. Jamais en huit ans les élus locaux n'avaient pu rencontrer de responsables du parquet. J'estime que le président du TGI, ainsi que celui du tribunal pour enfants devraient faire de même. Lors de l'une de ces réunions, notre collègue Brard, que l'on peut difficilement soupçonner de prôner le tout répressif, a cité le cas d'un jeune envoyé 67 fois devant le juge pour enfants sans que la moindre sanction soit jamais ordonnée. Dans ma commune, un groupe de cinq mineurs est responsable de l'équivalent d'un mois de la délinquance sur l'ensemble de la ville sans qu'aucune mesure de placement n'ait été prise.

Il est dommageable que les enfants âgés de moins de treize ans ne puissent faire l'objet d'une mesure de placement afin de les extraire du milieu qui les pousse à commettre ces actes. Il faut aussi penser à leur famille, victime de ces enfants qu'elle ne parvient plus à maîtriser. Le laisser-faire, dans ce domaine, est proche de la non-assistance à adolescent en danger. Faut-il que la société soit impuissante pour attendre que ces enfants aient enfin 18 ans, l'âge d'être envoyés en prison ? C'est avant qu'il convient d'agir, la vraie éducation passant aussi par la sanction.

M. le Rapporteur spécial - Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde - Je vous ai alerté sur ce sujet lors de l'examen de la proposition de loi relative à la prévention de la récidive. Si l'atténuation de la responsabilité des mineurs est légitime, il faut aussi que, passé la première, voire la seconde infraction, la notion de récidive puisse s'appliquer effectivement aux mineurs, et que la sanction intervienne. S'il ne peut y avoir de sanction sans explication, l'explication seule ne sert à rien face à la récidive. Elle finit par donner aux enfants le sentiment que la société est plus faible qu'eux : on en voit les résultats depuis plusieurs jours.

Sous la pression de ces événements, les magistrats sanctionnent désormais avec fermeté. Et dans les quartiers les plus difficiles, on entend les jeunes demander : « Vous avez vu les peines qui tombent ? ». Ils en sont surpris et apeurés.

M. le Rapporteur spécial - C'est le début de la sagesse !

M. Jean-Christophe Lagarde - S'il y avait eu un suivi judiciaire de ces enfants au cours de la dernière décennie, nous n'en serions pas là !

Par ailleurs, il nous faudra travailler de nouveau sur l'ordonnance de 1945, car son application par les magistrats n'est pas satisfaisante et les enfants de 2005 ne ressemblent pas à ceux de 1945. Il n'est pas concevable qu'un enfant de 13 ans puisse être totalement exonéré de ses responsabilités.

Enfin, je souhaite vous faire part d'une réflexion concernant la sécurité des tribunaux. Comme je l'explique chaque année au ministre de l'intérieur, les compagnies de CRS seraient bien employées à les protéger : vous avez pu voir, lors de votre déplacement au tribunal de Bobigny, Monsieur le ministre, combien il y est difficile pour les magistrats de rendre la justice, alors qu'il leur faut craindre parfois ceux qu'ils jugent.

En conclusion, ce projet de budget est empreint du souci de l'équilibre entre le but à atteindre et les moyens pour y parvenir. Les crédits ne peuvent suffire sans une nouvelle orientation de la politique pénale pour faire respecter l'ordre dans nos tribunaux, sans une refonte des lois relatives à la délinquance des mineurs, sans un échange régulier entre élus locaux et magistrats. Cela est indispensable pour que soient respectées la paix civile et la confiance dans nos règles républicaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. Emile Blessig - Cette discussion illustre bien la nécessité de replacer le débat sur les moyens dans une perspective politique générale. Indépendamment de la pression du court terme, cette discussion se situe dans un cadre radicalement nouveau. D'une part en raison de la LOLF, puisque l'on ne raisonne plus exclusivement en termes de chiffres et de moyens mais en termes d'objectifs et de résultats. D'autre part, en raison d'une situation difficile, de retards à rattraper, de prévisions à effectuer, notamment concernant les effectifs de magistrats. En la matière, il ne faut plus raisonner en termes d'emploi mais d'équivalents temps plein travaillé : ainsi 90 départs en retraite ne représentent que 52,5 ETPT ; le recrutement de 279 magistrats représente 93 ETPT. Nous savons que les départs en retraite augmenteront considérablement en 2007 et qu'ils seront massifs en 2012. Quelles mesures envisagez-vous de prendre ? Sur un plan organisationnel, l'annexe fait état de la limitation de la participation des magistrats de l'ordre judiciaire à des commissions administratives. Or, ce sont 251 ETPT qui sont affectés à l'action de soutien, donc, à des tâches non juridictionnelles. De quelles marges de manœuvre disposons-nous vraiment ? Il convient en outre d'augmenter les recrutements, sans dévaloriser, bien entendu, le concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature.

Nous devons donc réfléchir à des mesures complémentaires. Quel bilan peut-on établir de l'action des juges de proximité ? La loi du 31 décembre 2004 a élargi leur compétence : au pénal, ils peuvent participer aux audiences collégiales correctionnelles, ce qui constitue une garantie essentielle pour le justiciable. L'échevinage garantit également le principe de collégialité. Le Sénat, dans son rapport de juillet 2002, a proposé de l'étendre aux juridictions civiles et pénales de droit commun. Tout en reconnaissant que cette proposition ne faisait pas l'unanimité, les sénateurs estimaient qu'elle devait être étudiée à travers un certain nombre d'expérimentations. Cela permettrait de mesurer son efficacité, de réfléchir au mode de sélection des échevins et à leur formation : nombre de seniors ou de personnes travaillant à temps partiel pourraient par exemple participer ainsi à une justice plus citoyenne. J'ajoute que l'échevinage ne constitue en rien une révolution : il est pratiqué en Alsace-Moselle, dans les tribunaux pour enfants et dans les juridictions prud'homales en ce qui concerne le juge départiteur.

Nous savons ce qui s'est passé dans le secteur de la santé pour ne pas avoir planifié assez tôt les recrutements : il ne faut pas qu'il en aille de même dans le secteur judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur spécial - Très bien.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Pierre Cardo - Nous vivons depuis une dizaine de jours des événements très graves. Le chef de l'Etat, différents ministres dont vous-même, Monsieur le Garde des Sceaux, se sont exprimés et ont donné des instructions afin que les services de l'Etat ramènent le calme. Le rôle des maires a également été souligné. Or, des chaînes de télévision étaient encore présentes dans ma commune il y a deux jours alors que je les avais chassées afin d'éviter tout incident : nous savons fort bien qu'elles ont tendance à filmer les flammes plutôt que les cendres...

M. Jean-Christophe Lagarde - Il a raison.

M. Pierre Cardo - ...et à exciter un peu les esprits.

Mme Anne-Marie Comparini - Tout à fait.

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien.

M. Pierre Cardo - Les élus locaux ont un rôle essentiel à jouer. J'habite la ville dont je suis le maire, mes gosses fréquentent ses écoles, ce qui n'est pas le cas de la plupart de ceux qui interviennent dans les quartiers, et je suis présent jour et nuit. Dans quel pays sommes-nous ? Je découvre que l'on envoie des hélicoptères lorsqu'il ne se passe plus rien, que l'on envisage un couvre-feu chez moi sans me demander mon avis...

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien.

M. Pierre Cardo - ...et que lorsque je le donne, il n'en est pas tenu compte. Nous, les maires, nous sommes bien placés pour ramener la paix civile. Si nous ne pouvons pas rétablir le dialogue, qui le fera ? Ce matin, j'apprends que le recteur d'académie, depuis Versailles, a autorisé une équipe de télévision à filmer un collège en difficulté de ma ville dans le cadre d'un reportage sur les ZEP. Est-ce le recteur qui a choisi le collège ? Non ! C'est l'équipe de télévision, au prétexte qu'un reportage y avait déjà été réalisé il y a six ou sept ans. Est-ce que l'on se fout de notre gueule ? Est-ce que l'on nous prend pour des cons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Ont-ils donc besoin de se donner bonne conscience en venant maintenant parler du travail effectué depuis des années alors qu'ils ont utilisé les flammes des quartiers pour gagner de l'argent avec la publicité ?

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est une indignation légitime.

M. Pierre Cardo - C'est scandaleux ! J'en ai assez ! J'ai passé des nuits sans sommeil, comme bien des élus locaux, pour tenter de ramener la paix civile. Nous sommes en train de gagner : j'ai ouvert des foyers cette nuit, j'ai discuté avec des jeunes, qui m'en ont remercié, le calme est revenu, et les équipes de télévision viennent foutre le bazar ! Je demande que M. le ministre de l'éducation nationale vienne s'expliquer devant nous dans le cadre de ce débat à propos du rôle des recteurs. Comment se fait-il que l'on méprise à ce point les élus locaux lorsque l'on en a tant besoin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. le Président - Le Gouvernement vous a entendu.

La séance, suspendue à 11 h 40, est reprise à 11 h 50.

M. Jean-Christophe Lagarde - Je voudrais faire un rappel au Règlement. Dans les heures que nous traversons, il est important que le Gouvernement nous entende et veille à ce que les intentions du législateur soient respectées sur tout le territoire. C'est le Premier ministre lui-même qui a dit que les pouvoirs des maires devaient être renforcés, en matière de prévention de la délinquance comme de maintien de l'ordre. Nous avons, parfois en l'absence de l'Etat, pu ramener l'ordre et le dialogue dans nos quartiers. C'est ce qui s'est passé à Drancy. Mais, alors que nous n'avions pas vu un CRS depuis le début des violences, nous nous sommes vu affecter hier soir une demi-compagnie, sans que ni moi, ni le commissaire de police n'ayons été consultés ! Nous avons tous deux voulu qu'ils se montrent le plus discrets possible, pour ne pas raviver les tensions sur des braises encore chaudes. Or, une heure plus tard, ils étaient en train de coller les gens au mur pour des contrôles d'identité ! Il a fallu mon intervention et celle du commissaire pour les faire partir ! Sans quoi, nous aurions sans doute vu les incendies recommencer...

Les élus locaux doivent être entendus. C'est nous qui avons ramené le calme. Je n'hésiterai pas, si le besoin s'en fait sentir, à demander des CRS - quoique ce soit justement dans ce cas qu'on ne les voit jamais ! - ou à recourir au couvre-feu. Lorsque ce n'est pas le cas, il n'est pas nécessaire de faire de la provocation.

M. le Garde des Sceaux - Je suis particulièrement heureux de vous présenter ce budget. C'est toujours un moment fort de la vie démocratique, et plus encore lorsque nous mettons en œuvre la nouvelle procédure budgétaire. La réorganisation des crédits aboutit à une plus grande transparence. La mission « justice » est composée de cinq programmes - et le Gouvernement n'acceptera pas de modification à ce sujet. Les 27 actions s'assortissent de 53 indicateurs de résultats, sur la base desquels je vous rendrai compte de l'exécution du budget à la fin de 2006. Cette transparence est d'autant plus nécessaire que la modernisation de la justice est un des grands chantiers de la législature.

Vous avez souhaité faire de la justice une priorité budgétaire afin de mieux garantir les libertés et la sécurité des Français. C'est plus que jamais d'actualité. Le rétablissement de l'autorité républicaine dans nos cités fait l'objet d'une mobilisation sans égale de tous les fonctionnaires du ministère de la justice, et je remercie ceux d'entre vous qui ont salué leur travail au-dessus de tout éloge. Un plan de rattrapage a été voté en 2002 dans la loi d'orientation et de programmation de la justice, dont l'exécution est en cours. Elle nous est d'un très grand secours pour faire face aux violences urbaines : 5 550 emplois ont été créés depuis son entrée en vigueur. Ainsi, le tribunal de grande instance de Bobigny est passé de 126 postes de magistrat en 2002 à 152 au début de cette année. C'est grâce à l'effort entrepris par la majorité qu'ils réussissent à assurer, dans l'urgence et avec un grand dévouement, leur mission. Ce tribunal, Monsieur Vallini, vient d'être renforcé par quatre magistrats du siège, deux magistrats du parquet et les huit vacataires demandés. Je tiens à remercier les députés des efforts que la nation consent pour la justice.

Alors que les dépenses de l'Etat augmenteront de 1,8% en 2006, le budget de la justice est en hausse de 4,6%. Il s'élèvera à 5,9 milliards.

M. Guy Geoffroy - Ce n'est pas rien !

M. le Garde des Sceaux - Certes. L'augmentation est encore supérieure à celle de l'an passé. Certains crédits évaluatifs sont devenus limitatifs avec la LOLF, comme c'est le cas des frais de justice. Je vous assure qu'aucune enquête ne sera freinée à cause d'un manque de crédits et que la recherche d'économies ne pèsera en rien sur la liberté de prescription des magistrats. Les frais de justice ont progressé de 20% par an depuis 2001, pour s'élever à 420 millions en 2004, mais n'atteindront pas 480 millions en 2005. Certes, on n'a budgété que 370 millions, mais le plan de maîtrise que j'ai mis en place nous permettra d'économiser au moins 62 millions en 2006. Pour prendre un exemple, les renseignements demandés aux opérateurs téléphoniques étaient facturés 9 euros : dorénavant, les données qui sont déjà en leur possession seront facturées 3,8 euros, et les demandes plus complexes 20 euros. Cela ferait une économie de 14 millions. M. Vaxès ne peut pas nous reprocher de vouloir bien gérer l'argent public ! Je compte aussi sur les efforts des chefs de cour, qui auront dorénavant la pleine capacité de décision quant à l'emploi des crédits mis à leur disposition et assumeront la responsabilité de leur gestion devant moi. Enfin, le Premier ministre a accepté une réserve exceptionnelle de 50 millions pour les frais de justice dans le budget du ministère des finances. On peut donc être sûr, Monsieur le rapporteur spécial, que les frais de justice seront financés, d'autant qu'une nette décélération des dépenses a été constatée. Je précise à M. Vallini que j'ai chargé le secrétaire général d'une mission de suivi et de coordination sur les frais de justice.

Les crédits de la mission « justice » s'organisent autour de mes trois grandes priorités : donner à la justice les moyens d'être réactive et efficace ; garantir la sécurité des Français, notamment en assurant l'exécution des peines ; et enfin donner une deuxième chance, parce que la répression ne sert à rien sans la réinsertion. La justice a déjà réalisé des efforts importants pour améliorer son efficacité, notamment pour devenir plus facile d'accès et raccourcir ses délais. Je vous demande les moyens d'intensifier cet effort. Le budget des juridictions judiciaires, qui représente 42% du budget de la justice, reçoit 2,5 milliards, soit une augmentation, à périmètre constant, de 6% qui permettra de poursuivre la politique de recrutement du ministère. Les indicateurs mis en place nous permettront de mesurer ses résultats. Concrètement, le délai de jugement des affaires de divorce dans les TGI devra passer de onze mois aujourd'hui à six mois au plus en 2007 et la durée de traitement des affaires devant les tribunaux d'instance, qui est actuellement de 4 mois et demi, ne devra plus dépasser 3 mois en 2007. A cette fin, 651 fonctionnaires des greffes et 279 magistrats rejoindront les juridictions en 2006. Du jamais vu !

M. Jean-Christophe Lagarde - C'est essentiel.

Des personnels administratifs viendront compléter ces recrutements, Monsieur Garraud, afin d'utiliser au mieux les équivalents temps plein travaillé accordés au ministère - nous sommes autorisés à en recruter près de 5 000.

S'agissant des juges de proximité évoqués par MM. Blessig et Vallini, un groupe de travail est actuellement chargé d'en dresser le bilan et de réfléchir à la formation qui leur est dispensée. Ce rapport nous sera remis dans quelques semaines, mais je peux déjà vous indiquer que leur activité est en nette progression, puisqu'elle représente 18% du contentieux des tribunaux d'instance contre 5% initialement, et 80% du contentieux contraventionnel des tribunaux de police. La possibilité pour les juges de proximité d'assister aux audiences collégiales correctionnelles est un progrès, et les TGI sont de plus en plus nombreux à faire appel à eux. Nous en sommes en train de réussir !

Monsieur Vallini, je vous remercie d'avoir évolué sur la question des centres éducatifs fermés. Douze décisions de justice ont à ce jour abouti à un placement en CEF.

L'efficacité de notre justice commande par ailleurs de moderniser nos juridictions. Près de 160 millions d'autorisations d'engagement seront consacrés à la construction de nouveaux bâtiments judiciaires, et 5,6 millions serviront à continuer la mise en place de la vidéosurveillance.

Parce que la justice se doit par ailleurs de prendre en charge les victimes, le budget de l'aide aux victimes progresse de 12%, à 9,2 millions.

La justice a besoin de moyens nouveaux pour garantir la sécurité des Français et améliorer le taux de réponse pénale des tribunaux. De 73% en 2003, il est passé à 75% cette année, et nous espérons atteindre les 80% d'ici 2010. De surcroît, les délais d'exécution doivent être réduits et notre objectif est de les diminuer de 10 à 15% d'ici 2007.

A cette fin, nous développerons les bureaux d'exécution des peines qui, situés dans les juridictions, ont pour objet de rationaliser et d'accélérer l'exécution des peines, mais aussi d'encourager le paiement immédiat des amendes. Je souhaite la généralisation de ce dispositif d'ici 2007 car personne, Monsieur Vaxès, ne peut se satisfaire de peines exécutées plusieurs mois après leur prononcé. J'ai été très intéressé à cet égard par la proposition de M. Warsmann sur le financement de ces bureaux.

Garantir la sécurité des Français, c'est aussi donner les moyens adéquats à l'administration pénitentiaire, et près de 35 millions supplémentaires iront à la modernisation des bâtiments et à la politique d'aménagement des peines, notamment pour augmenter les placements sous bracelet électronique.

La politique de sécurisation des établissements pénitentiaires menée depuis 2002 a déjà permis de réduire de moitié le nombre d'évasions, et les crédits supplémentaires permettront d'élever encore le niveau de sécurité.

Certains sont allés jusqu'à dire que nos prisons étaient la honte de la République. Il est vrai que le parc pénitentiaire est ancien, que nous manquons de place et que nous devons poursuivre nos efforts en matière de santé, mais la nation a entrepris des efforts considérables, et ce d'autant plus que l'on avait trop attendu pour le faire. Les gouvernements appartenant à l'actuelle majorité n'ont jamais ménagé leurs efforts : en 1986, M. Chalandon lançait un programme ambitieux de construction pour 13 000 places de prison, puis ce fut en 1994 le programme Méhaignerie, pour 4 000 nouvelles places ; enfin, la loi d'orientation et de programmation de 2002 en a prévu 13 200, dont les premières, dans des établissements pour mineurs, verront le jour en 2007. M. Vaxès critiquait tout à l'heure le fait que les quartiers pour mineurs n'étaient pas pleins...

M. Michel Vaxès - Vous interprétez mes propos !

M. le Garde des Sceaux - Il aurait dû en déduire que la politique du tout répressif n'est pas la nôtre ! Les centres éducatifs fermés favoriseront en tout premier lieu la salle de classe afin d'offrir à ces jeunes une chance de s'en sortir.

La loi d'orientation prévoit, disais-je, 13 200 places, et la situation de nos prisons ne sera conforme à notre tradition humaniste qu'à la sortie de ce lourd programme immobilier. C'est pourquoi je vous demande cette année 932 millions d'autorisations d'engagement destinées à la construction de dix établissements pénitentiaires pour majeurs, et de sept établissements pour mineurs.

J'ai enfin souhaité que la politique de sécurité du Gouvernement concerne également la sécurité des juridictions. Je rappelle qu'en septembre, une fonctionnaire des greffes avait été violemment agressée. Monsieur Lagarde, j'ai prévu une augmentation de plus de 4 millions pour les crédits destinés à la sécurité des juridictions. De surcroît, le personnel de sécurité sera renforcé, et j'envisage la création d'une réserve pénitentiaire dans certains tribunaux.

Notre politique se veut ferme, mais elle doit également tendre à la réinsertion, et je souhaite que mon ministère devienne celui de la deuxième chance. La construction des centres éducatifs fermés se poursuit. Actuellement, seize structures sont opérationnelles. Au 1er novembre 2005, 409 jeunes y ont été pris en charge, et 115 y séjournaient. Les crédits permettront de créer 170 places supplémentaires dans ces centres, car 15 nouveaux CEF, dont cinq gérés par le secteur public, ouvriront en 2006. Je tiens à remercier les élus, et notamment Guy Geoffroy, pour leur implication. En 2007, 14 nouvelles structures, dont quatre portées par le secteur public, génèreront 160 places supplémentaires, permettant d'atteindre une capacité totale de 512 places.

Cette politique d'individualisation du suivi des mineurs les plus difficiles n'a de sens que si ces jeunes sont pris en charge le plus rapidement possible, c'est pourquoi nous prévoyons de réduire de moitié d'ici 2010 les délais de prise en charge.

Parallèlement, les professionnels de la PJJ continueront leurs efforts en faveur de la réinsertion des jeunes, qui bénéficieront de surcroît du réseau de parrainage par les membres de la société civile que je mets en place. Comme l'a dit Mme Tabarot, la société civile a un rôle essentiel à jouer en matière d'intégration. Je précise à Mme Comparini qu'en 2006, cinq départements, dont le Rhône, vont expérimenter, en application de la loi du 13 août 2004, le transfert aux conseils généraux de la compétence de la PJJ en matière d'assistance éducative au civil.

Je suis guidé par la même volonté de réinsertion à l'égard des détenus. Celle-ci implique de développer les actions menées dans le domaine éducatif et de l'apprentissage professionnel. En 2004, 35 000 détenus ont suivi un enseignement. La grande majorité a bien évidemment bénéficié d'une formation de base, mais tous les niveaux sont concernés. Près de 5 000 détenus se sont présentés à des examens, dont 70% avec succès, et plus d'une centaine ont obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur. 18 000 détenus ont également bénéficié en 2004 d'une action de formation professionnelle.

Pour améliorer ces résultats, je souhaite qu'une partie non négligeable des recrutements de l'administration pénitentiaire aille aux Services de probation et d'insertion pénitentiaires ainsi qu'aux personnels chargés de l'accompagnement des détenus. Depuis 2002, nous avons recruté 700 travailleurs sociaux supplémentaires. Combien ceux qui nous critiquent en avaient-ils recrutés ? Ces arrivées commencent à produire leurs effets, puisque les aménagements de peines ont augmenté de 25% en deux ans.

Nous devons également garantir aux détenus le maintien de leurs liens familiaux, élément fondamental pour préparer sereinement leur sortie. Afin de rendre les prisons plus humaines, il est prévu de doter d'ici 2010 la quasi-totalité des établissements pénitentiaires de locaux destinés à l'accueil des familles. Il existe déjà, à Rennes et à Saint-Martin de Ré, des unités expérimentales de visite familiale. La maison centrale de Poissy accueillera une unité de ce type à la fin de l'année. Ces UEVF permettent à des condamnés à de longues peines de recevoir, une fois par trimestre, dans l'enceinte de l'établissement pénitentiaire, des membres de leur famille, et ce pour quelques heures à quelques jours, dans des conditions d'intimité satisfaisante.

Tels sont les éléments que je voulais vous donner. Notre effort budgétaire porte ses fruits et chacun en tire une motivation supplémentaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

QUESTIONS

M. Michel Vaxès - Le programme « accès au droit et à la justice » est présenté comme prioritaire. Pourtant, les crédits de l'aide juridictionnelle, qui en sont un volet essentiel, n'augmentent que de 2%. Sachant que ces crédits sont devenus limitatifs et qu'en 2003 et 2004, le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle avait augmenté respectivement de 9,8% et de 10%, nous nous étonnons de ce ralentissement. Comment se justifie-t-il ?

M. le Garde des Sceaux - Les crédits de l'aide juridictionnelle augmentent en effet de 2%, ce qui nous paraît réaliste, compte tenu du fait que les demandes augmentent de 1% au civil et de 4% au pénal. L'augmentation était plus forte les années précédentes du fait de l'impact des lois votées, mais nous pensons être arrivés maintenant à un palier.

M. Etienne Pinte - Le 7 juin dernier, la commission chargée de suivre les études sur l'implantation de la cour d'appel et la cour d'assises de Versailles dans l'ancien hôpital Richaud a donné un avis très favorable à l'un des projets. L'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice a fait savoir à la ville de Versailles que la désignation officielle du lauréat et le lancement du projet étaient conditionnés par un schéma de financement compatible avec le budget prévu par le ministère de la justice.

En conséquence, l'agence a sollicité une participation financière de la commune de 1,75 million. Bien que je sois défavorable à cette pratique de l'Etat qui consiste à faire financer pour partie par les collectivités locales des équipements qui relèvent exclusivement de l'Etat, la municipalité a donné un accord de principe, compte tenu de l'intérêt pour la ville de garder la cour d'appel sur son territoire, dans des locaux dignes de son importance. L'hypothèque de financement étant levée, pouvez-vous me préciser quand les travaux commenceront ?

M. le Garde des Sceaux - Le ministère de la justice a en effet acquis le site de l'ancien hôpital Richaud pour en faire le siège de la cour d'appel et de la cour d'assises de Versailles. Votre ville a accordé une subvention de 1,75 million pour ce projet et j'y suis très sensible. Le ministère de la justice a confié à son agence de maîtrise d'ouvrage le soin de réaliser l'opération. Le choix de l'architecte est en cours et les travaux commenceront en 2007, pour une mise en service début 2010. L'investissement global du ministère de la justice pour ce projet s'élève à 78 millions.

M. Emile Blessig - Actuellement, 700 000 personnes sont placées sous tutelle ou curatelle, soit 200 000 de plus qu'il y a dix ans et 500 000 de plus qu'il y a vingt ans. Avec le vieillissement de la population, cette tendance ira croissant et aucune famille ne sera à l'abri. Il faut actuellement 80 équivalents temps plein de magistrats pour accomplir cette mission. Quel sera le nombre d'équivalents temps plein travaillé de juges des tutelles en 2006 ? Mais il ne suffira pas d'augmenter les moyens : j'aimerais savoir aussi où en est la réforme prévue.

M. le Garde des Sceaux - La mission de juge des tutelles est l'une des fonctions exercées par les juges d'instance. Il est donc difficile de parler du nombre de juges des tutelles. Pour autant, on peut estimer que cette fonction mobilise 90 équivalents temps plein. Nous savons que c'est insuffisant, compte tenu de l'évolution démographique de la France, mais la réponse au problème ne passe pas seulement par l'augmentation du nombre de juges. Il faut aussi une réforme en profondeur de la tutelle. Un projet de loi comportant des mesures d'aide sociale et d'accompagnement budgétaire est actuellement soumis à concertation avec l'assemblée des départements de France. L'Etat est prêt à compenser intégralement le transfert de charges qui s'opèrerait vers les conseils généraux, mais le dialogue est un peu bloqué. Le Gouvernement n'engagera cette réforme que s'il a l'assurance que l'ensemble des autorités chargées de sa mise en œuvre sont prêtes à assumer ce bouleversement du régime de protection des personnes vulnérables.

M. Etienne Pinte - Le 26 novembre 2003, nous votions une nouvelle loi sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers, qui comportait une réforme de la double peine, votée à l'unanimité. Pouvez-vous nous faire un bilan de cette réforme pour ce qui concerne votre ministère ? Je vous ai adressé il y a quelques jours le dossier d'un jeune homme de 19 ans, qui vit en France depuis l'âge de six ans et qui relève sans contestation possible du régime des étrangers protégés contre les expulsions, mais qui a pourtant été condamné il y a quelques mois à une interdiction du territoire.

Il arrive malheureusement que des ITF soient requises sans que l'on prenne en compte l'appartenance de la personne aux catégories protégées contre l'expulsion, et qu'elles concernent même des personnes disposant de la nationalité française.

Je voudrais enfin appeler votre attention sur le cas d'étrangers protégés qui ne peuvent bénéficier de l'article 86 de la loi du fait d'une condamnation à une ITF prononcée à titre principal ou antérieurement à 1994. Leurs recours en grâce, déposés depuis plus de 18 mois, n'ont encore reçu aucune réponse.

M. le garde des Sceaux. La loi de 2003 a restreint le champ d'application de la peine d'ITF en cas d'attaches principales sur le territoire français depuis un certain temps et en cas de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé.

Toutefois, le prononcé de l'ITF reste possible quand des violences ont été commises contre le conjoint ou les enfants, ou pour des faits d'une particulière gravité, comme les actes de terrorisme. Toutes ces dispositions ont été rappelées par une circulaire d'application, et les effets n'ont pas tardé : le nombre des ITF prononcées est revenu de 9 853 à 7 652 entre 2003 et 2004. Cette évolution correspond, je pense, à la volonté du législateur.

M. Gilles Artigues - L'agglomération stéphanoise a été la cible de violences urbaines sans précédent : outre des véhicules brûlés, comme ailleurs en France, des incendies ont touché l'école maternelle Saint-Saëns ainsi qu'un bus. Nos concitoyens ne comprennent pas ces actes qui touchent les plus modestes et qui entretiennent un sentiment d'impunité.

S'il y a eu des arrestations, tous attendent une réponse à la hauteur de la situation. Quel dispositif avez-vous prévu pour accélérer les procédures contre les fauteurs de trouble, et notamment les mineurs ? Je voudrais également savoir comment les victimes pourront bénéficier de la juste indemnisation qu'elles réclament.

M. le garde des Sceaux - Je regrette d'autant plus douloureusement les faits relatés qu'ils affligent une population déjà lourdement touchée. J'ai envoyé aux parquets des instructions de fermeté, et vous n'ignorez pas qu'il est possible d'infliger des sanctions aux 16-18 ans. S'agissant des plus jeunes, des réponses existent également : le placement en foyer, le suivi socio-éducatif ou le recours aux centres éducatifs fermés - 12 jeunes ont depuis lors fait l'objet d'un placement ces jours derniers.

J'ai demandé la plus grande fermeté dans les réquisitions, ainsi que des appels systématiques dans l'hypothèse où les juges du siège ne suivraient pas le parquet dans ses demandes de peines de prison ferme. Nous avons donc fait le nécessaire. Pour l'effet dissuasif de ces mesures, je me permets de vous renvoyer aux déclarations de M. Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien !

M. le garde des Sceaux - Certains se demandaient en effet si notre sévérité ne ferait pas empirer les choses : les élus des quartiers sensibles témoignent du contraire !

Sur le point de l'indemnisation, je voudrais rappeler que les dégradations concernent avant tout les plus modestes des Français, les autres conservant leur voiture dans leur garage. La destruction des véhicules sera couverte par les assurances, du moins si les victimes bénéficient d'une garantie contre les incendies - à l'instar de 82% des automobilistes. Par ailleurs, les dommages subis par les commerces dévastés du fait d'un mouvement populaire sont généralement assurés.

J'en viens aux indemnisations par voie de justice : au cas où les auteurs des faits seraient connus et arrêtés, ils seront condamnés à réparer les dégradations commises, voire à payer des dommages et intérêts. En vertu de l'article 706-14 du code de procédure pénale, il est également possible de saisir la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions dans certains cas.

Les dommages corporels pourront être pris en charge par les assurances si la victime a souscrit une garantie contre les accidents de la vie, un contrat individuel « accident » ou une assurance vie. Une demande d'indemnisation devant la CIVI est également envisageable, sous réserve que les conditions posées par la loi soient réunies.

Je souhaite enfin que l'INAVEM, qui est largement financée par le ministère et qui fédère 189 associations, vienne se mettre à la disposition des victimes.

M. Jean-Christophe Lagarde - Je voudrais appeler votre attention, Monsieur le ministre, sur le risque que les assureurs refusent de couvrir les commerçants de certains quartiers - j'y suis déjà confronté dans ma commune. Il faudra donc veiller, que ce soit par la loi ou par des instructions, à ce qu'ils ne soient pas pénalisés pour des faits dont ils ne sont pas responsables.

Pour revenir sur le manque de moyens humains dont souffre le tribunal de Bobigny, je souhaiterais des précisions en complément de la réponse que vous avez déjà apportée.

Afin que la justice retrouve toute son autorité, notamment dans les quartiers sensibles, les moyens disponibles doivent permettre d'exécuter les peines. Or, si des progrès ont été constatés, la situation est encore loin d'être satisfaisante. Vous avez fait des annonces pour 2006, mais je souhaiterais plus de détails concernant le tribunal de Bobigny, où vous avez pu constater sur place, il y a une semaine, la situation délicate des magistrats.

Sur 330 postes budgétaires, seuls 297 sont pourvus, et même 260, si l'on prend en compte les temps de récupération. Vous conviendrez que cet état de fait est préjudiciable au soutien des victimes, à la bonne marche de la justice, comme à la cohésion sociale dans un département qui en a tant besoin - la Seine-Saint-Denis.

La pénurie de postes est particulièrement frappante chez les greffiers. J'espère donc que le tribunal de Bobigny pourra largement bénéficier de la vague de recrutements que vous avez annoncée. Le délai séparant le prononcé de la signification s'élève en effet à huit, voire dix mois, et il n'est pas rare que certains jugements ne soient pas appliqués, alimentant ainsi le sentiment d'impunité et la récidive. Je voudrais savoir de quelles mesures concrètes ce palais de justice pourra bénéficier, afin que ses magistrats, dont vous avez souligné le travail remarquable, puissent rendre une justice sereine, efficace et dissuasive.

M. le garde des Sceaux - 21 800 emplois seront créés cette année : 1 800 greffiers en chef, 8 400 greffiers et 11 600 agents de catégorie C. S'il existe effectivement de nombreuses vacances de postes, les promotions sortant des écoles permettront de les combler progressivement.

Il y aura 651 greffiers supplémentaires en 2006 et j'ai demandé aux chefs de cour d'utiliser tous les ETPT disponibles pour combler l'écart entre les plafonds d'emploi et les effectifs réels.

S'agissant de Bobigny, les chefs de cour ont pu affecter sur ma demande 4 magistrats, 2 substituts, 2 greffiers et 8 vacataires, compte tenu de l'afflux d'affaires dans cette juridiction. Voilà pour l'immédiat.

M. Jean-Christophe Lagarde - Excellente mesure !

M. le garde des Sceaux - Pour le plus long terme, le dialogue de gestion entre les chefs de cour et de juridiction et le directeur des services judiciaires est en cours. S'il est trop tôt pour en connaître les résultats, les faits récents ne manqueront pas de donner des arguments sérieux aux chefs de cour et de juridiction...

M. Tony Dreyfus - L'examen de certains budgets a été différé hier en vue d'actualiser les propositions faites au Parlement Mais je m'étonne que le ministère de la justice ne soit pas concerné : j'espère que votre budget prendra en compte des besoins devenus encore plus criants.

Le recours aux centres éducatifs renforcés et fermés sera sans doute accru. Si votre prédécesseur avait indiqué qu'ils ne subissaient aucune surpopulation, je doute qu'il en soit de même à l'avenir. En tant qu'élu de Paris, j'ai en effet eu connaissance de certains faits délictueux.

Peut-on être sûr que les crédits nécessaires à l'adaptation de l'appareil judiciaire ont été pris en compte alors que cette mission est discutée aujourd'hui ? Qu'avez-vous prévu pour faire face à ces nouvelles difficultés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Garde des Sceaux - Il est dommage, cher Monsieur Dreyfus, que vous ne nous rejoigniez que maintenant...

M. Tony Dreyfus - Je siégeais en commission des finances.

M. le Garde des Sceaux - Sinon, je gage qu'à l'instar de nombre de vos collègues, vous eussiez été convaincu de l'efficacité de nos réponses, ce qui vous aurait permis de vous départir de certaines idées reçues. Tout le monde a reconnu que la justice figurait parmi les quatre priorités budgétaires du Gouvernement, son budget progressant, à périmètre constant, de 4,6%, et sa part dans le budget de l'Etat étant plus élevée que l'année dernière. Avant que vous n'arriviez, nous avons évoqué les 651 greffiers qui vont prendre leurs fonctions en juridiction et les 500 agents de catégorie C recrutés dernièrement. Du jamais vu, convenez-en ! Dès lors, contrairement à ce que vous avez pu craindre, notre budget n'était pas à refaire car il était déjà très bon.

S'agissant des jeunes, M. Vaxès s'est lui-même étonné que nous construisions des établissements pour mineurs alors que les quartiers pour jeunes des prisons ne sont pas pleins. Je visitais hier celui de Fleury-Mérogis et je puis vous confirmer que malgré l'arrivée d'onze jeunes à la suite des événements récents, sa limite de capacité est loin d'être atteinte. Au reste, c'est la même situation qui prévaut partout, preuve, s'il en était besoin, que la politique répressive que mène la France à l'endroit des mineurs est extrêmement scrupuleuse. La réponse carcérale ne prime pas sur les autres formes de traitement de la question.

M. Tony Dreyfus - Ma seconde question porte sur les crédits aux associations, souvent parties prenantes de l'action menée puisque l'institution judiciaire leur délègue certaines missions. Le Premier ministre a déclaré mardi que tous les crédits des associations de terrain - même si je n'aime pas cette expression, elle a en l'occurrence un sens précis - seraient rétablis. Avez-vous actualisé votre budget en ce sens ? Avez-vous fait de la revitalisation des associations intervenant dans le champ de la justice une priorité ?

M. le Garde des Sceaux - Il semble que les crédits aux associations présentent actuellement un déficit de l'ordre de 70 millions. Le dégel de 20 millions de crédits va permettre de répondre à une partie des besoins et je ne m'interdis pas de compléter l'effort en appliquant la règle de la fongibilité des dotations. S'agissant des associations d'aide aux victimes, nous avons vu tout à l'heure que leurs moyens progressaient de 12%. J'insiste enfin sur la nécessité de bien distinguer la situation des associations délégataires de missions de service public de celles qui jouent un rôle d'animation.

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions. J'appelle l'amendement à l'état B.

ÉTAT B

M. Gérard Bapt - Notre amendement 219 vise à appeler l'attention du Gouvernement sur les insuffisances du suivi médical, psychologique et psychiatrique des personnes placées sous main de justice, qu'elles soient mineures ou majeures. J'indique d'emblée que je refuserai qu'on le repousse en invoquant la LOLF, au motif que son adoption supprimerait des emplois ! Vous avez toute faculté de lever le gage et de réaffecter vos dotations si vous trouvez nos arguments convaincants !

S'il est un point de la politique pénale qui fait consensus, c'est bien l'importance de l'accompagnement individualisé et des actions de prévention de la récidive, spécialement du soutien social, médical, psychiatrique et psychologique, lequel constitue une condition sine qua non de l'aménagement de la peine ou de son exécution en milieu semi ouvert. Las, les moyens ne sont pas au rendez-vous et, faute de pouvoir prendre le risque de prononcer une peine assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ou une libération conditionnelle dans des conditions satisfaisantes, les magistrats sont obligés de maintenir la personne en prison, bien qu'ils sachent que le risque de récidive est plus fort et que la détention coûte plus cher. La société aurait donc tout à gagner à financer le renforcement du suivi judiciaire social et médical, d'autant qu'une nouvelle loi visant à prévenir la récidive sera vraisemblablement votée avant la fin de l'année. Je rappelle que dans les débats parlementaires, l'accent a été mis sur l'aggravation des problèmes psychiatriques des détenus.

S'agissant des seuls délinquants sexuels, pour lesquels un éventuel placement sous bracelet électronique sera financé sous condition de suivi socio-judiciaire, il semble acquis qu'un examen psychiatrique tous les deux ans est nettement insuffisant. Le projet prévoit d'ailleurs la consultation d'un spécialiste au moins deux fois par an. Il faut en tenir compte car une réforme non financée n'apporterait rien.

Pour ce qui concerne les effectifs de la pénitentiaire, nous proposons d'amplifier la possibilité de recourir à des assistants sociaux vacataires pour épauler les SPIP.

Les problèmes des jeunes délinquants méritent toute l'attention du législateur ; leur conséquence violente - si elle doit être condamnée - n'empêche pas de rechercher au cas par cas une réponse concrète et humaine, A ce titre, nous préconisons la création d'un demi-poste équivalent temps plein d'assistant social par département, la dépense induite étant de l'ordre d'un million.

S'agissant du suivi médical, psychologique et psychiatrique, un effort budgétaire est également indispensable, et nous proposons d'augmenter les moyens de fonctionnement de l'accompagnement des personnes placées sous main de justice sous forme de vacations des personnels de santé. On connaît le coût plancher des mesures d'expertise médicale, psychiatrique ou psychologique : environ 1 000 euros par personne et par an ; nous proposons, dans un premier temps, d'augmenter de mille le nombre des personnes pouvant être suivies, soit une dépense d'un million. L'importance du suivi psy des jeunes délinquants justifie également une appréciation sensible de la dotation ; dans une première étape, il semble nécessaire de pourvoir au traitement de 500 jeunes majeurs. A la fois préventive et curative, cette action implique une redistribution des moyens de fonctionnement affectés au programme 213, lesquels semblent surévalués au regard des priorités qui devraient prévaloir l'an prochain.

M. le Président - Monsieur Bapt, permettez au modeste membre de la commission des lois que je suis de faire remarquer au commissaire des finances chevronné que vous êtes que votre amendement est parfaitement conforme à la norme de présentation retenue dans le cadre de l'application de la LOLF et qu'il n'y a donc pas de levée de gage à demander. Le redéploiement de crédits à l'intérieur de la mission que vous proposez est tout à fait licite.

M. le Rapporteur spécial - Cet amendement pose de bonnes questions sur le suivi socio-judiciaire mais je ne puis y être favorable. En 2000, 265 personnes ont fait l'objet d'une décision de suivi socio-judiciaire : elles étaient 795 en 2003, dernière statistique disponible, et tout indique que leur nombre continuera de progresser. La nécessité de renforcer les moyens est donc hors de doute, notamment pour tout ce qui concerne la prévention de la délinquance sexuelle. Il reste que je n'ai pas pu reconstituer la totalité des crédits affectés au SSJ, dans la mesure où ils ne sont pas regroupés sous ce vocable dans la mission justice, certains relevant vraisemblablement de la mission santé. Il serait donc prématuré de trancher dans certains crédits sans avoir fait toute la clarté sur la structure globale du budget. Par ailleurs, le système de rémunération à la vacation que vous proposez d'étendre n'est pas attrayant : 60 TGI ne disposent pas de listes de médecins coordonnateurs faute de candidats et le problème est identique pour les psychiatres.

Quant à la diminution des crédits du programme « conduite et pilotage de la politique de la justice », je la trouve à tous égards inopportune, ce programme retraçant pour l'essentiel des crédits de personnel, de fonctionnement et de location de locaux.

M. le Garde des Sceaux - Permettez-moi, Monsieur le président, de vous faire part de mon admiration pour ce cours de finances publiques : vous avez déjà actualisé vos connaissances à l'occasion de la LOLF !

Si je donne un avis défavorable à l'amendement, je n'en suis pas moins d'accord qu'il est nécessaire d'accompagner les personnes placées sous main de justice. C'est la raison pour laquelle nous avons créé 700 postes de conseillers d'insertion et de probation, et l'ENAP formera 300 conseillers en 2006. Cela permettra de poursuivre, dans le cadre de la loi de programmation, la hausse sans précédent de ce personnel. Et s'il est toujours possible d'augmenter les effectifs en les répartissant de façon uniforme sur le territoire, je considère qu'il est préférable d'identifier préalablement les besoins locaux.

La prise en charge sanitaire des détenus s'est considérablement améliorée depuis 1994, date à laquelle le ministère de la santé a pris en charge les soins en milieu carcéral. La question du recours à des personnels de santé vacataires, et plus généralement celle des moyens en personnels de santé, ne relèvent donc plus de la Chancellerie.

Enfin, sur la base des propositions de M. Warsmann, nous étudions les moyens de renforcer l'exécution des peines en affectant des ressources supplémentaires aux bureaux d'exécution des peines, que je souhaite généraliser à l'ensemble des tribunaux de grande instance, et aux services d'insertion et de probation.

Je tiens également à souligner que cet amendement conduirait à supprimer le projet informatique CASSIOPÉE, alors même que l'année 2006 sera celle de sa finalisation.

M. Gérard Bapt - Je n'ai rien contre CASSIOPÉE ! (sourires) J'apprécie à leur juste valeur les réponses de M. le Rapporteur et du Garde des Sceaux, mais je tiens à souligner que le projet de loi relatif à la prévention de la récidive augmentera les besoins et que les moyens contenus dans votre projet de budget seront insuffisants.

L'amendement 219, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les crédits de la mission « justice », mis aux voix, sont adoptés.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 5.

              La Directrice du service
              du compte rendu analytique,

              Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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