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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 29ème jour de séance, 66ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 17 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Luc WARSMANN

vice-président

Sommaire

      LOI DE FINANCES POUR 2006 -deuxième partie- (suite) 2

      OUTRE-MER (suite) 2

      QUESTIONS 24

      Outre-mer 31

      ÉTAT B 31

      ACTION EXTÉRIEURE DE L'ETAT 33

      ERRATUM 43

La séance est ouverte à quinze heures.

LOI DE FINANCES POUR 2006 - DEUXIÈME PARTIE - (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2006.

OUTRE-MER (suite)

M. le Président - Nous poursuivons l'examen des crédits relatifs à l'outre-mer.

M. Louis-Joseph Manscour - Monsieur le ministre, parlant de l'Abbé Grégoire, Aimé Césaire disait qu'il était difficile de le camper tant il était multiple. Je ne sais si vous êtes multiple, mais je retiens de vous l'homme de cœur qui nous a témoigné son affection au cours des dernières semaines. Je ne pouvais commencer mon propos sans vous remercier une nouvelle fois de vos marques de solidarité. Elles ont touché le cœur des Martiniquais qui sont sans doute nombreux à suivre nos débats à la télévision en ce moment même.

Mais l'actualité, c'est l'examen du quatrième budget pour l'outre-mer conçu par la majorité gouvernementale actuelle et je vais m'attacher à le décrire, en toute objectivité, sans polémique ni concessions.

Lors de votre audition du 26 octobre, vous avez déclaré que le présent projet de budget suivait fidèlement la feuille de route et les engagements du chef de l'Etat, tels qu'il les a notamment précisés le 6 avril 2002 en Martinique : il s'agissait alors de créer une véritable égalité économique entre l'outre-mer et la métropole et de substituer à la logique d'assistance une dynamique de croissance et d'activité. A ce titre, l'accent était mis sur le soutien à l'emploi, la lutte contre l'exclusion et le rattrapage du retard structurel des collectivités ultramarines. Bien entendu, nous ne pouvions que souscrire à de telles ambitions.

Las, dans le domaine de l'emploi, malgré une diminution du chômage, la situation reste préoccupante : la seule Martinique enregistre un taux de chômage de 24 % et le tableau risque encore de se noircir si l'on prend en compte les menaces qui pèsent dans tout l'outre-mer sur les secteurs du tourisme, de la santé ou de l'agriculture. Chaque jour, deux exploitations agricoles disparaissent et des milliers d'emplois ont d'ores et déjà été supprimés, principalement dans le secteur de la banane. Dans ce contexte, comment expliquez-vous que les crédits de paiement prévus pour l'emploi en outre-mer baissent de près de 5 % par rapport à l'année dernière - soit une perte brute de 56 millions ? Cela va créer un besoin de financement dans les caisses du FEDOM, au détriment de l'ensemble des contrats aidés. Sans doute allez-vous justifier la baisse du FEDOM par une sous-consommation de ses crédits, mais ne serait-il pas plus judicieux de réaffecter les dotations à d'autres mesures en faveur de l'outre-mer, au profit notamment de nos compatriotes en grande difficulté ?

Chacun sait que les crédits inscrits dans votre budget ne sont pas les seuls que l'Etat consacre à l'emploi dans les DOM. D'autres ministères participent à l'effort, mais, là encore, les chiffres ne sont guère encourageants puisque les crédits de la mission « travail et emploi » directement affectés aux DOM n'augmentent pas d'un euro. Dès lors, j'ai bien peur que le Gouvernement ait du mal à financer les fameux contrats d'avenir, lesquels ne compenseront malheureusement pas la suppression de nos emplois-jeunes.

M. Victorin Lurel - Tout à fait exact !

M. Louis-Joseph Manscour - A l'évidence, les crédits inscrits dans la mission « outre-mer » pour 2006 ne permettront pas de tenir les engagements du Président de la République en matière d'emploi. Quant à la lutte contre la précarité et l'exclusion, elle sera encore plus difficile à mener.

Les personnes en situation de précarité sont de plus en plus nombreuses dans les DOM. A elle seule, la Martinique compte plus de 30 000 érémistes, plus de 9 000 chômeurs de longue durée, et le nombre de demandeurs d'emploi de moins de 30 ans est en constante progression. Les besoins primordiaux de ces personnes se concentrent sur l'emploi, sur la protection sociale et sur le logement, tous domaines que votre budget ne permettra pas de traiter efficacement.

En effet, les crédits prévus pour le logement - qu'ils tendent à l'amélioration de l'habitat, à la résorption de l'insalubrité ou à la construction de logements sociaux - ne progressent pas d'un euro. Compte tenu de l'inflation, de l'augmentation du coût de la construction, de la croissance démographique - quatre fois supérieure à celle de la métropole - et de votre décision - au demeurant louable - d'ouvrir des fonds au titre des normes antisismiques, je ne peux m'expliquer la stagnation des crédits du logement. Surtout lorsque l'on sait qu'en Martinique, seulement 1 200 logements sociaux sont construits chaque année alors qu'il en faudrait plus de 5 000.

A tous ces éléments s'ajoutent les gels successifs de la ligne budgétaire unique - LBU. Tous les parlementaires de la Martinique ont du reste saisi le Premier ministre à ce sujet, la dette de la ligne unique atteignant à ce jour 106 millions en dépit des subventions déjà octroyées.

En matière sanitaire et sociale, outre une baisse des crédits de 4 %, les difficultés rencontrées par les personnes âgées et les particularismes sanitaires de l'outre-mer - liés notamment à l'alcoolisme, à la toxicomanie, au sida et aux méfaits des pesticides révélés par la mission parlementaire sur le chlordécone - ne sont pas suffisamment pris en compte. Au surplus, le milieu hospitalier martiniquais est confronté à une crise sérieuse, qui se traduit par l'installation d'une santé à deux vitesses, du fait de la réforme de la tarification à l'activité, des problèmes de trésorerie des hôpitaux et du sous-effectif structurel des établissements.

Déjà bien sombre, ce constat est encore aggravé par le manque de perspectives offertes aux jeunes de l'outre-mer. D'abord parce que le système scolaire est enrayé par les suppressions de postes d'enseignants et son inadaptation aux spécificités résultant de la forte pression démographique, d'un retard de scolarisation et d'un taux d'illettrisme encore trop prononcé par rapport à ce qui est constaté en métropole. Ensuite, parce que les jeunes domiens ont encore beaucoup de mal à suivre, comme le voudrait l'égalité républicaine vis-à-vis de leurs compatriotes de métropole, la formation professionnelle ou universitaire qu'ils ont choisie. Enfin, parce que les passeports mobilité et logement ne sont pas suffisamment crédités pour rétablir cette égalité.

Pour redresser la situation difficile que je viens de dépeindre, il faudrait que l'Etat mobilise des moyens plus importants et que les collectivités territoriales d'outre-mer disposent de plus grandes marges de manœuvre. Or, vous le savez, les caisses de nos collectivités sont vides. La « décentralisation » voulue par le Gouvernement ne s'est traduite que par un vaste transfert de charges, de dettes et de déficits. Après le transfert des TOS, la réforme de la taxe professionnelle prévue dans le PLF pour 2006 aura de très lourdes conséquences pour les budgets de toutes les collectivités ultramarines.

Au vu des crises endémiques qui touchent l'emploi, le logement, la protection sociale, l'agriculture, l'enseignement, la santé et les collectivités locales et compte tenu des insuffisances de la mission « outre-mer », je doute fort que la feuille de route dressée par le Président de la République en 2002 puisse être respectée avant la fin de sa mandature. C'est pourquoi il me sera extrêmement difficile - pour ne pas dire plus ! - de voter votre budget. Au moment où l'on commence de reconnaître avec lucidité les échecs de l'Etat dans certains quartiers défavorisés, et où l'on prend des mesures d'urgence pour y remédier, il convient de ne pas oublier les départements les plus lointains de la République, eux aussi défavorisés en bien des domaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Buillard - Cette année encore, le budget que la République consacre à la Polynésie française est particulièrement conséquent. Ces crédits nous sont indispensables, tant pour le développement économique et social du pays que pour le bon fonctionnement des services et missions de l'Etat. Merci donc à la France pour ce soutien, que seule l'autonomie au sein de la République garantit.

A l'occasion de l'examen de votre budget, je souhaite, Monsieur le ministre, appeler votre attention sur trois dossiers sensibles pour l'économie et pour la démocratie polynésiennes : la situation des étudiants, la sécurité et la situation économique et sociale.

L'université de la Polynésie française connaît une situation préoccupante. Sa dotation globale de fonctionnement est nettement insuffisante : de 2000 à 2005, les moyens financiers ont diminué de 15 000 euros, alors que les effectifs augmentaient de 54 % et les surfaces bâties de 17 %, et qu'étaient créées de nouvelles formations. Les conditions de travail des étudiants ne sont plus satisfaisantes et certaines formations doivent être supprimées, ce qui entrave le développement économique et social de notre territoire. Je compte sur votre soutien, Monsieur le ministre, pour obtenir un redressement rapide de la situation financière de l'université ainsi que la création d'une nouvelle résidence universitaire et d'une Maison de l'étudiant. Quant aux étudiants polynésiens qui viennent faire leurs études en métropole, ils sont, hélas, victimes de multiples discriminations, notamment dans l'accès au logement. Le nombre de logements étudiants mis à leur disposition est insuffisant et on exige d'eux la caution d'une personne vivant en métropole. Pour remédier à ces difficultés, je souhaite la création rapide d'un Passeport logement, dont je ne doute pas qu'il aura autant de succès que le Passeport mobilité, et la fixation d'un quota de logements réservés aux étudiants d'outre-mer.

La sécurité publique est une autre préoccupation majeure des Polynésiens. L'insécurité s'est fortement accrue et des dérives racistes se font jour. Le mépris affiché du président de la Polynésie française pour les lois de la République, en particulier notre statut d'autonomie qu'il qualifie de « bout de papier » devant le Forum des chefs d'Etat des territoires du Pacifique, participe du délitement de l'Etat de droit. Pour améliorer la sécurité, il conviendrait de reconstruire la maison d'arrêt, à tel point surpeuplée que les magistrats hésitent à prononcer certaines condamnations, et doter la police et la gendarmerie de nouveaux moyens, matériels et humains.

Quant au climat économique et social, il est particulièrement morose dans nos îles. Même l'actuel ministre des finances du gouvernement indépendantiste reconnaît que les investisseurs n'ont pas repris confiance et que les acteurs économiques souffrent d'un manque de visibilité à moyen terme, surtout dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Alors que les prix flambent, les services territoriaux, sociaux en particulier, fonctionnent au ralenti. Pour combler les déficits sociaux nés de la crise économique, le gouvernement de Polynésie envisage d'augmenter la fiscalité et les prélèvements sociaux. La CSG pourrait ainsi doubler ou quadrupler. Il projette également de désaffilier de la sécurité sociale les fonctionnaires d'Etat exerçant en Polynésie pour les inscrire à la Caisse de prévoyance sociale. Ce projet, élaboré sans aucune concertation, inquiète les intéressés qui voient dans cette territorialisation de la fonction publique d'Etat l'amorce de leur largage par l'Etat et les prémices du séparatisme. Au-delà, toute la population polynésienne sent bien qu'est en jeu son avenir au sein de la République. Je vous serais donc reconnaissant, Monsieur le ministre, de nous confirmer que l'Etat n'abandonnera pas ses fonctionnaires en Polynésie ni la République ses enfants polynésiens. Vous pouvez compter sur mon fidèle soutien. Je voterai ce projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Huguette Bello - Nous savions que l'outre-mer n'était plus une priorité. Nous sommes désormais assurés qu'il est une source constante d'économies. J'en veux pour preuve l'offensive contre la défiscalisation et les exonérations de charges sociales, conduite au mépris de la loi d'orientation qui prévoit une évaluation de ce dispositif en 2006.

Bien que grâce à une croissance soutenue, la création d'emplois dans le secteur marchand ait été forte à La Réunion, elle est toutefois insuffisante pour faire diminuer de manière sensible le chômage, d'autant que le nombre de contrats aidés dans l'économie solidaire n'a cessé de diminuer depuis 2002 - en dépit des effets d'annonce. Les crédits prévus pour 2006 ne laissent pas présager une inversion de tendance. Le chômage chronique qui touche toujours à La Réunion près d'un actif sur trois et plus d'un jeune sur deux, exige d'intervenir simultanément sur les deux volets, marchand et solidaire. Des aménagements ont-ils été prévus pour que les contrats d'avenir, dont seulement quelques centaines ont été signés, deviennent plus attractifs pour les collectivités et les associations, comme pour les bénéficiaires ? De même, quelles sont les prévisions chiffrées pour ce qui concerne les nouveaux contrats d'accompagnement dans l'emploi, qui doivent remplacer les CES et les CEC. L'expérience a montré que les seules solutions efficaces sont celles qui ont été élaborées de façon spécifique, comme le SMA, ou adaptées à notre contexte particulier, comme les emplois-jeunes. Appliquées de façon mécanique, comme ce fut le cas du CIVIS ou du RMA, elles sont vouées à l'échec.

Le deuxième programme de la mission « outre-mer » concerne essentiellement le logement. De difficile, sa situation est devenue catastrophique, au point que certains considèrent que le logement social est le premier problème de la Réunion. Les besoins présents et futurs ont été évalués, les points de blocage sont identifiés et une charte de l'habitat a été adoptée. Mais 25 000 personnes attendent toujours un logement social. Le désengagement financier de l'Etat a entraîné une chute importante du nombre de constructions. C'est à juste titre, Monsieur le ministre, que vous avez déclaré que « la crédibilité de l'Etat passe par le respect de la parole donnée, et qu'à ce titre l'Etat doit solder ses comptes.» Le secteur du logement ne peut plus supporter de nouvelles restrictions budgétaires ni de variations injustifiées du montant de ses crédits en cours d'exercice. Nous souhaitons une programmation pluriannuelle de ses crédits, comme dans la loi de cohésion sociale. Les montants programmés devront mieux tenir compte des retards à combler et des besoins liés à l'évolution démographique.

Cette situation de l'emploi et du logement, à laquelle s'ajoute une baisse continue du pouvoir d'achat des plus modestes, n'est pas sans conséquences sur le secteur éducatif. Si d'importants progrès, quantitatifs et qualitatifs, ont été accomplis, des problèmes demeurent comme un illettrisme persistant chez les jeunes et le nombre trop important d'élèves sortant du système éducatif sans qualification. Le transfert des TOS sans rattrapage préalable, refusé par tous, ne pourra qu'aggraver la situation des établissements. A ce sujet, nous appelons également l'attention du Gouvernement sur la situation des non-titulaires, pour qui la loi n'a rien prévu.

Dans ce contexte de morosité, La Réunion est confrontée à d'importantes échéances internationales. Tout d'abord, la réforme de l'OCM sucre, qui entraînera notamment une diminution significative du prix du sucre. Nous comptons sur le Gouvernement pour qu'il compense les pertes. Seule une compensation intégrale pourra freiner l'abandon de la culture de la canne par les petits et moyens planteurs. Nous réitérons notre demande d'une expertise afin de chiffrer la valeur et d'évaluer la répartition de toutes les richesses produites à partir de la canne. Ce travail faciliterait les décisions prises au niveau national ou européen, notamment lors de la renégociation en 2006 de la convention entre l'Etat, les industriels et les planteurs. Il permettrait aussi d'imaginer plus sereinement de nouveaux débouchés, comme les biocarburants. Cette démarche aiderait au maintien à long terme de la culture de la canne, qui a façonné les paysages, la société et l'imaginaire réunionnais.

Les cultures traditionnelles ne sont pas les seules à devoir affronter la mondialisation. Le sommet de l'OMC, en décembre prochain à Hong-Kong, risque de déboucher sur la libéralisation des services, premier secteur d'activité et d'emploi à La Réunion.

L'examen de ce budget coïncide, hélas, avec des événements graves. Puisse la pénible expérience des violences urbaines, fruit de la désespérance de toute une partie de la jeunesse, nous apprendre le prix que les intéressés et la société sont prêts à payer pour solder l'imprévoyance et l'aveuglement. Puisse-t-elle jeter une lumière crue sur nos responsabilités à l'instant du vote de ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Mme Christiane Taubira - Si les annonces d'augmentations de crédits, d'année en année, suffisaient à régler les problèmes de l'outre-mer, nos territoires ne compteraient plus que des nababs - il est vrai qu'il y en a quelques-uns. L'exercice est bien huilé : chaque année, le ministre de l'outre-mer annonce l'augmentation de son budget et l'opposition parvient à démontrer qu'à périmètre constant, celui-ci diminue.

Les priorités pour nos territoires sont depuis longtemps l'emploi et le logement. Or, même si dans quelques filières le taux de créations d'emplois est supérieur à la moyenne nationale, résultat dont on se gargarise, le taux de chômage moyen outre-mer demeure de deux à quatre fois supérieur à la moyenne nationale. Le programme « emploi » de la mission « outre-mer » n'y changera pas grand-chose si ne sont pas mises en place des stratégies de développement et des politiques de coopération s'appuyant, au moins pour la Guyane, sur la formation des hommes et l'exploitation des ressources naturelles. Sur ce dernier point, des arbitrages sont attendus concernant l'exploitation des ressources minières et la recherche d'hydrocarbures. A cet égard, la France n'a aucune raison de s'affranchir de la convention de Carthagène qu'elle a signée.

En ce qui concerne le logement, le programme 123, qui inclut l'ancienne ligne budgétaire unique, même si sa hausse de 5,91 % est avérée, ne résoudra rien si la construction de logements n'est pas mise enfin au diapason des besoins. On risque de voir se renouveler la combinaison infernale de quatre injustices : la construction de masures comme de palaces luxueux sur des terrains à risques ; la démolition sans pitié là où des enfants se croyaient à l'abri ; l'augmentation concomitante de la pression sur la demande de logements, qui aggrave les délais d'attente même pour les familles qui se sont conformées aux règles et aux procédures ; l'impunité pour ceux qui, dans les services de l'Etat et des collectivités, sont chargés du contrôle de l'espace urbain et font preuve de laxisme, de complicité, voire de duplicité. Monsieur le ministre, l'entropie crée une ambiance létale pour le civisme et la solidarité ; l'on n'en sortira ni à coups de slogans, ni en jouant à colin-maillard, ni par des coups de menton. Le plan Guyane, qui demeure encore largement mystérieux, ne fera pas de miracles.

Je pourrais dresser la liste des insuffisances et des secteurs sinistrés, en commençant par les services publics : l'éducation, avec des milliers d'enfants non scolarisés ou déscolarisés, la santé, avec ses plateaux techniques sous-équipés, son gouffre financier, ses catastrophes sanitaires et ses anachronismes, le logement, les transports... Je pourrais parler du secteur marchand, qui crie au secours tant on étrangle ses efforts pour créer des emplois qualifiés, m'étendre sur les tremblements du secteur agricole et sur les soubresauts du secteur industriel, vous dire combien les narcotrafics et toutes les activités interlopes ont un effet dévastateur pour la démocratie, nourrissent l'insécurité et perturbent la jeunesse. Mais je ne me complais jamais dans le tableau misérabiliste de nos sociétés, par ailleurs tellement stoïques et ingénieuses.

Monsieur le ministre, je vous sais attentif aux personnes, aux paysages, aux situations que vous avez découverts à l'occasion de vos voyages outre-mer. Vous savez donc la grande dissemblance qui nous caractérise, mais aussi nos profondes convergences ; vous connaissez notre dispersion géographique, nos diversités sociologiques, nos singularités culturelles, nos disparités économiques, les pesanteurs de l'économie de rente dans certains territoires et les fabuleux potentiels terrestre, minier et spatial de l'immense Guyane. Vous connaissez aussi toutes les nuances institutionnelles, de la souveraineté partagée jusqu'à la plus stricte identité législative, qui démontrent que la France n'est plus un Etat central unitaire ; si elle sait respirer au rythme des cultures, elle saura aussi éviter les crispations nées de la peur de l'autre.

L'essentiel n'est pas dans les lignes de crédit, mais dans la capacité à comprendre les blocages et les potentialités. La mondialisation a changé la donne ; nous ne sommes plus au temps de ce que Bertrand Bady appelle la « grammaire de la distance », qui assurait la primauté du gouvernant sur le gouverné. Le politique n'est plus enfermé dans la conception territoriale de Max Weber, il doit apprendre à se mouvoir dans des espaces de plus en plus multiples et élastiques. Même nos affirmations identitaires s'inscrivent dans des stratégies qui servent aussi à produire de l'altérité. La nécessité pour l'Etat n'est plus seulement d'exercer sa souveraineté, mais aussi d'être capable de maîtriser la conséquence de ses actes. C'est ce qui doit inspirer à la fois les politiques publiques internes et la gestion des flux migratoires, qui doit désormais être au cœur de la diplomatie.

Par notre diversité sociologique et culturelle, par nos histoires tumultueuses, nous savons que le salut ne peut venir de la camisole de la peur. Pour combattre les effets de la mondialisation, Edouard Glissant a raison de nous dire qu'il n'y a que la poétique de la mondialité.

MM. Jean-Claude Lefort et Louis-Joseph Manscour - Très bien !

M. Gérard Grignon - L'outre-mer a besoin avant tout d'une politique globale de développement portant sur le long terme. Cela signifie qu'il faut cesser de lui donner des coups de poignard dans le dos à chaque examen d'une loi de finances, sans même respecter les dispositions adoptées les années précédentes. Sans vision globale, il serait irresponsable de mettre fin à telle ou telle disposition.

C'est évidemment vrai pour Saint-Pierre-et-Miquelon, où lors de votre récente visite, Monsieur le ministre, vous avez pu constater que les collectivités locales sont dans une situation budgétaire particulièrement difficile.

L'archipel ne s'est jamais remis du lamentable échec de la France lors de l'arbitrage frontalier de New-York et de l'arrêt quasi-total de son unique activité productrice, la pêche à la morue. C'est dans ce contexte économique sinistré qu'en 1994, j'avais déjà affirmé que la part laissée à la collectivité territoriale dans le financement du nouvel aéroport était beaucoup trop importante.

L'avenir de l'archipel passe par la mise en place d'une convention de développement économique, social et culturel, engageant l'Etat et la collectivité territoriale sur le long terme et intégrant la prise en charge de la dette, conséquence de l'échec de la France à New-York en 1992. Par ailleurs, Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous fassiez le point sur la réalité des dépenses de l'Etat dans l'archipel ces deux dernières années par rapport aux engagements pris.

J'ai demandé à plusieurs reprises l'attribution d'une subvention d'équilibre à la commune de Saint-Pierre. Vous en aviez accepté le principe ; je souhaiterais que vous précisiez les dispositions que vous avez arrêtées.

Par ailleurs, force est de constater que dans certains domaines, les choses n'avancent pas, en particulier en matière sociale.

Premier exemple : en 2000, j'ai fait adopter un amendement à la loi d'orientation sur l'outre-mer permettant la coordination des régimes de protection sociale de métropole et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cinq ans après, le décret n'est toujours pas sorti ; les Saint-Pierrais et Miquelonnais sont parfois considérés comme des étrangers vis-à-vis du régime général et ne peuvent posséder la carte Vitale.

De même, la commission d'action sociale de la caisse locale réclame en vain depuis cinq ans la modification de l'arrêté interministériel fixant sa composition.

Quant aux prestations familiales, elles datent dans l'archipel d'un arrêté de 1966, et la plupart des prestations servies en métropole - l'allocation de rentrée scolaire ou l'allocation parentale d'accueil du jeune enfant par exemple - n'existent pas. Nous avons fini par obtenir le principe de l'extension de ces dispositions dans l'archipel par voie d'ordonnance cet été, mais rien n'est encore appliqué, le décret étant bloqué faute de l'accord de Bercy sur la nécessaire adaptation du plafond pour que les prestations touchent le même pourcentage de familles qu'en métropole.

Enfin, nous réclamons depuis quatre ans, vainement, la modification de la loi de juillet 1987 instituant un système d'assurance vieillesse, qui est injuste et inefficace. Des femmes seules ne perçoivent que 720 euros par mois, alors que la cuve de fuel domestique coûte 576 euros... Elles sont réduites à un bien triste choix : se chauffer ou se nourrir.

C'est pourquoi je vous ai demandé, en complément des actions pouvant être engagées localement, de débloquer une enveloppe budgétaire dans le cadre des aides à l'habitat pour permettre aux personnes âgées et à faibles ressources de passer le cap de l'hiver dans des conditions dignes.

Je terminerai en évoquant brièvement trois dossiers importants.

Le premier est celui de la desserte maritime de l'archipel, compétence de l'Etat dans le cadre de la continuité territoriale.

Au cours de ces douze dernières années, ce secteur a connu deux ou trois plans de restructuration, le dépôt de bilan de quatre ou cinq sociétés maritimes, sept navires différents et des subventions aux montants constamment remis en cause. La population est en permanence prise en otage, victime de l'augmentation des coûts du fret, des irrégularités des approvisionnements ou de l'arrêt de la desserte. Vous avez, Monsieur le ministre, décidé le 15 septembre l'envoi d'une nouvelle mission, et à nouveau, le navire est à quai. Ne pensez-vous pas que le contrôle de l'Etat doit s'exercer plus régulièrement ? Quelles sont les conclusions de la mission ? Le coût réel de la desserte doit être objectivement établi et rendu public. En tout cas, il devient impératif et urgent d'agir car l'archipel est sans desserte depuis plus de dix jours. Il est presque totalement privé de produits frais, de nombreux containers sont bloqués à Halifax à l'approche des fêtes de Noël. L'absence d'approvisionnement en produits pharmaceutiques pose problème. C'est demain que la desserte doit reprendre !

Enfin, il est nécessaire de préparer l'échéance 2007 qui verra la renégociation des accords de pêche franco-canadiens de 1994. Il y va de l'avenir des activités pêche dans l'archipel. Je termine, Monsieur le président...

M. Victorin Lurel - Prenez votre temps : voilà un très bon discours d'opposant !

M. Gérard Grignon - Vous savez que si la France tient à maintenir sa présence dans cette région riche en gisements d'hydrocarbures, elle doit demander l'extension de sa juridiction au-delà des 200 miles marins, jusqu'aux limites du plateau continental, en déposant, avant mai 2009, un dossier devant la commission compétente de l'ONU. Or, deux ans sont nécessaires pour établir un dossier et rien n'est encore décidé. La France, défaite en 1992 à New York, a-t-elle décidé de disparaître noyée le long des côtes de Terre-Neuve ? Le Canada a étendu son influence à 370 miles marins au large de ses côtes, alors que le droit international maritime offre à notre pays une chance inespérée et unique. Je souhaite, Monsieur le ministre, connaître vos intentions sur ce dossier fondamental et j'attends des réponses sur l'ensemble des sujets que je viens d'évoquer.

Je vous remercie par avance et vous fais entièrement confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Christiane Taubira - C'est attendrissant !

M. Mansour Kamardine - Les efforts entrepris sous cette législature sont considérables : permettez-moi de vous exprimer, Monsieur le ministre, la reconnaissance des Mahorais.

Voilà trois semaines que la France s'est brutalement réveillée. Chacun propose son analyse de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la crise des banlieues ». Pour ma part, j'y vois deux explications : c'est d'abord une crise de la République.

Depuis plusieurs décennies, la France est entrée dans une surenchère législative et réglementaire. Chaque majorité veut sa propre loi et nous légiférons sur tout ce qui bouge, y compris sur l'éducation familiale et l'exercice de l'autorité parentale. Avec la Convention internationale des droits de l'enfant, nous avons nié aux parents le droit de façonner à leur guise leur éducation : ils ne peuvent plus, sans risquer les foudres de la justice, réprimander leurs enfants, qu'à Mayotte nous appelons désormais « les enfants du procureur de la République ».

Mme Christiane Taubira - Il faut donc les fouetter ?

M. Mansour Kamardine - Je comprends donc que l'on puisse s'interroger sur la responsabilité des parents auxquels l'Etat a interdit de dispenser l'éducation qu'ils avaient eux-mêmes reçue. Mais l'urgence est d'organiser la nouvelle éducation républicaine, afin qu'ils puissent la transmettre à leurs enfants.

Ensuite, la crise vient de ce qu'il y a tromperie sur cette marchandise qu'est la République : nous avons appris qu'il n'y était question ni de couleur ni de race, mais d'égalité. Or deux siècles après, nous découvrons que l'égalité reste à construire.

Des solutions exorbitantes du droit commun sont proposées, et acceptées, pour résorber le chômage - deux fois plus élevé que la moyenne nationale - ou repenser l'urbanisation dans ces quartiers. Mais ce même traitement utilisé pour réduire le taux de chômage outre-mer - quatre fois supérieur à cette moyenne - rencontre les plus vives réticences. C'est l'enseignement que je tire de nos débats sur le vote du projet de loi de finances pour 2006 et de l'adoption de l'article 61.

D'aucuns voient là des niches sans chiens : au sein de cette assemblée, y compris dans les rangs de l'UMP, l'égalité ne recouvre pas la même chose, selon que l'on vit outre-mer ou en métropole.

Mme Christiane Taubira - Tiens donc !

M. Mansour Kamardine - Souffrez, chers collègues, d'apprendre que l'outre-mer ne coûte pas plus à la France qu'une autre région de métropole : elle participe au rayonnement de la France et sans elle, notre pays ne serait pas cette puissance mondiale présente sur tous les continents. Souffrez que nous évoquions alors la nécessaire égalité entre enfants de la République, quelle que soit la latitude sous laquelle ils vivent.

M. Gérard Grignon - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Souffrez que je vous dise que nous ne sommes pas là pour mendier mais pour réclamer, à défaut de l'égalité, la solidarité. Le débat d'hier a opposé deux républiques : celle des calculs et celle du rêve, que votre projet de budget incarne.

Mme Christiane Taubira - Quel bonheur...

M. Mansour Kamardine - Je le voterai car il poursuit le triple objectif républicain de soutien à l'emploi, de lutte contre les exclusions et de rattrapage du retard structurel. Je voudrais, Monsieur le ministre, vous faire partager l'ambition que je nourris pour Mayotte. Nous devons d'ici à 2007 rendre irréversible la marche vers la départementalisation, réclamée depuis bientôt cinquante ans. C'est pourquoi je regrette que le projet de loi sur l'outre-mer, qui doit en constituer la rampe de lancement, tarde à venir en débat.

Le principe d'identité législative devra être accompagné par des efforts de remise à niveau économique et social. Cela suppose de renforcer le fonds de péréquation et le fonds de rattrapage pour améliorer les moyens budgétaires des communes mahoraises, de redynamiser le processus d'intégration dans la fonction publique et de tirer les conséquences du rapport de l'IGAS de mars 2004.

Nous devons également reconsidérer la politique de la ville : il est temps de constituer une nouvelle société d'économie mixte au côté de la SIM afin de résorber l'habitat insalubre et d'offrir un meilleur cadre de vie. S'agissant de notre développement économique, nous regrettons le retard pris dans la réalisation des études de la piste aéroportuaire et de l'aérogare de Pamandzi, clés de notre désenclavement. Il convient également de lutter contre la fracture numérique. Enfin, l'avenir de Mayotte s'inscrit en Europe. C'est le sens que nous donnons à notre candidature aux régions ultra-périphériques.

Mayotte aspire à la dignité et ne veut rien quémander. Elle veut offrir à chacun des enfants de la République qui y résident la possibilité de construire leur avenir par le travail.

M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Permettez-moi de remercier la représentation nationale d'avoir bien voulu se saisir de la question de l'immigration clandestine qui sape tous les efforts de développement entrepris. La mission d'information se rendra sur place du 12 au 16 décembre : je souhaite la bienvenue à nos collègues sur ce territoire qui, depuis 1841, porte très haut les couleurs de la France.

M. Bernard Accoyer - Excellent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Chacun s'accordera à dire que la politique en faveur de l'emploi - priorité affichée de la mission « outre-mer » - est essentielle pour remédier à une situation économique inquiétante et à un malaise profond. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mais cette année le projet de loi de finances, qui veut instituer plus d'équité et de justice fiscale, a tenté d'ébranler la pérennité des outils essentiels au développement durable des régions d'outre-mer en proposant de supprimer la défiscalisation et les exonérations de charges sociales. Vous l'avez très bien exprimé à Matignon le 27 octobre, Monsieur le ministre : il n'est pas question ici de niche fiscale mais de rattrapage et de développement structurel.

Permettez-moi de vous rappeler, chers collègues, que la loi Girardin, votée il y a seulement deux ans, prévoit dans ses articles 5 et 28 une évaluation triennale. Certes, l'Etat ne saurait être une machine à distribuer des moyens. Certes, nous devons avoir à l'esprit les contraintes budgétaires. Mais il existe une réalité à laquelle l'outre-mer n'échappe pas, celle du chômage endémique et des handicaps structurels.

J'ai entendu lors de la discussion de la loi de programme pour l'outre-mer en 2005 qu'une dépense fiscale doit toujours être motivée par la création de richesses et d'emplois. J'ai aussi entendu vanter la logique de résultats incarnée par la LOLF, et qualifier l'emploi de priorité absolue. Eh bien, nous y sommes. La dynamique de la loi de programme et de la mission « outre-mer » vise à créer des richesses et des emplois, à favoriser le progrès social, à rompre avec l'assistanat, à privilégier l'initiative privée et le secteur marchand. Les politiques menées outre-mer sont dans l'esprit de la LOLF et la loi de programme obéit à une logique de résultat. L'outre-mer est en outre pris en exemple puisque le service militaire adapté, avec un taux d'insertion professionnelle de 94 % en Guadeloupe, a été étendu à l'ensemble du territoire national.

Monsieur le ministre, j'attends de vous que vous confortiez le rôle de votre ministère dans le pilotage des politiques publiques ultramarines, comme cela a été le cas l'an dernier avec le transfert de 668 millions du ministère de l'emploi au ministère de l'outre-mer. J'attends que vous confortiez le pacte de confiance que vous avez engagé avec les élus de l'outre-mer : plus que jamais une politique cohérente et durable doit être renforcée. Elle ferait barrage à toute tentative de déstabilisation qui à terme, risque de rendre illisible la politique de l'emploi. Il importe donc de développer une logique d'évaluation des dispositifs incitatifs existants car avant d'amoindrir ceux qui fonctionnent, il faut évidemment en mesurer l'impact. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Accoyer - Très bien.

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Une action qui tienne compte des réalités du terrain, conformément à la logique de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, doit être privilégiée. La Constitution conforte l'adaptation des lois et règlements en tenant compte des spécificités et des contraintes particulières des départements et régions d'outre-mer : l'égalité, en effet, ne vaut qu'à situation identique.

Monsieur le ministre, je souhaite que vous apportiez plus de précisions sur l'effort budgétaire global en faveur du développement économique de nos régions. La question du logement dans nos départements étant en outre cruciale, pouvez-vous préciser les principaux axes de la politique du Gouvernement en matière de logement social ? Le taux de consommation de la LBU s'est-il amélioré ? Qu'en est-il de l'évolution statutaire de Saint-Martin et Saint-Barthélemy?

M. Victorin Lurel - Bonne question.

Mme Gabrielle Louis-Carabin - J'attire enfin votre attention sur le projet de modernisation de l'outil industriel de Gardel, unité sucrière de ma circonscription. II importe que l'Etat et la région mettent à disposition les crédits nécessaires et oeuvrent pour la mobilisation des fonds européens.

M. Bernard Accoyer - Très bien ! Bravo !

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Ces investissements sont essentiels pour sauvegarder des emplois face à la possibilité d'une modification de l'OCM « sucre ». Je tiens à faire entendre la voix des agriculteurs qui, pour la troisième année consécutive, n'ont pu bénéficier de la récolte de leurs cannes en raison des pluies diluviennes et de l'absence d'un centre de transfert dans le Nord de Grande-Terre. Il importe donc d'accompagner leurs efforts de modernisation pour les récoltes à venir. J'attire enfin votre attention sur l'immigration clandestine, sur les trafics de drogue, sur la recrudescence du sida. Quels moyens seront mis en œuvre pour enrayer plus efficacement l'épidémie ?

En 2002, le budget de l'outre-mer était discuté nuitamment ; l'an dernier, il le fut l'après-midi et cette année, la discussion a commencé dès la matinée. Je remercie donc le Président Debré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) ainsi que mes collègues de l'UMP présents sur ces bancs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois - Très bien !

M. le Président - Je transmettrai vos remerciements à M. le Président Debré ainsi qu'à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Mme Juliana Rimane - Le soutien à l'emploi et l'insertion professionnelle, l'amélioration des conditions de vie des populations, l'intégration et la valorisation des régions ultramarines sont les trois priorités de la mission « outre-mer ». Ce budget témoigne certes de l'engagement du Président de la République et de son Gouvernement en faveur du développement économique, social et culturel des collectivités d'outre-mer, mais l'effort consenti demeure encore insuffisant pour faire face en particulier aux difficultés auxquelles est confronté mon département, la Guyane.

La globalisation des crédits pour l'ensemble de l'outre-mer - la ligne budgétaire unique - et le mode de répartition des dotations fondé uniquement sur des critères de population ne permettent pas de prendre pleinement en considération ses spécificités et ses besoins, d'autant que le nombre d'habitants retenu - 175 400 - ne correspond pas à la réalité - toutes les études avancent un chiffre supérieur de 30 % à 80 %. Les crédits affectés à la Guyane ne représentent que 10 % de l'enveloppe totale alors même que ce département accuse un retard en matière de logements et de réhabilitation de l'habitat beaucoup plus important que dans les autres DOM. Les collectivités locales sont également pénalisées par la répartition des dotations au prorata de la population.

Une étude récente commandée par la préfecture indique que la situation générale de la Guyane s'aggravera en raison de la pression démographique croissante et des retards observés dans tous les domaines. Le PIB par habitant, qui représentait en 1999 65,5 % du PIB par habitant européen, n'en représentait plus que 57,3 % en 2002. La Réunion est la seule région ultrapériphérique dont le PIB par habitant baisse de façon aussi significative. Le Gouvernement a donc décidé de mettre en place dès 2006 un plan spécifique de solidarité nationale pour la Guyane, ce dont je me réjouis, même si des voix s'élèvent pour regretter que les acteurs locaux ne soient pas davantage associés aux travaux préparatoires et informés de l'état d'avancement de ce dossier. Il est vrai que la Guyane possède des atouts considérables - jeunesse de sa population, situation géographique, étendue de son territoire, richesse de la biodiversité de son patrimoine - mais de nombreux handicaps perdurent : éloignement de la métropole, enclavement de certaines régions, pression démographique, faiblesse du système économique. Ceux-ci pourraient être atténués si l'on consentait enfin à développer une approche plus audacieuse et plus ambitieuse des problèmes. Pour ce faire, il importe de favoriser le développement économique.

La formation des jeunes est une priorité. Malgré un effort considérable des collectivités pour la construction d'établissements scolaire, ceux-ci ne sont pas encore assez nombreux et l'égalité des chances est donc loin d'être une réalité pour tous. Ainsi, de nombreux élèves ne sont plus scolarisés à l'issue de la classe de troisième faute de filières adaptées et faute de place dans les lycées d'enseignement général. Le manque d'internats constitue également un facteur d'abandon précoce de l'école. De nombreux jeunes se retrouvent sans qualification et sans d'avenir. Le soutien renforcé de l'Etat et de l'Europe aux collectivités locales est nécessaire.

D'une façon général, la réalisation des infrastructures et des équipements de base sur l'ensemble du territoire constitue une exigence économique et sociale majeure. Est-il acceptable que toute une partie de la population ne puisse disposer ni d'eau potable, ni d'électricité, ni de téléphone et que des familles, pour avoir l'électricité, soient obligées d'acheter un groupe électrogène et de débourser entre 300 à 400 euros par mois pour l'approvisionnement en carburant ? Est-il acceptable que cette population éprouve les plus grandes difficultés à se déplacer, à se former, à se soigner et à trouver un emploi ? Là aussi, un engagement fort de l'Etat est indispensable compte tenu de la faiblesse des possibilités financières des collectivités locales.

L'amélioration de la qualité de vie des populations repose sur l'aménagement du cadre de vie. En matière sanitaire, il faut faire de la Guyane une zone franche afin d'attirer et de maintenir les professionnels de santé, qui sont en moyenne entre trois fois et cinq fois moins nombreux que sur le reste du territoire.

Enfin, la maîtrise drastique de l'immigration est une condition sine qua non pour favoriser le développement de ce département.

M. Bernard Accoyer - Très bien.

Mme Juliana Rimane - Au moins 30 % des personnes vivant en Guyane sont d'origine étrangère, sans compter plusieurs dizaines de milliers de clandestins. A cette pression de l'immigration clandestine s'ajoute une insécurité grandissante qui exaspère la population : la semaine dernière, des familles et des commerçants ont encore été agressés à Kourou, le taux de criminalité est l'un des plus élevé de France, l'orpaillage clandestin perdure, les prisons sont surpeuplées, les occupations illégales de terrains ou de logements augmentent, les trafics de marchandises se développent. Des efforts ont été consentis sur le plan législatif et les moyens des forces de l'ordre ont été renforcés mais cela ne suffira pas à juguler efficacement le phénomène, compte tenu de la situation géographique de la Guyane et du niveau de vie des pays voisins. Il faudrait donc réfléchir à des mesures plus adaptées et novatrices. La mise en place en Guyane d'une commission chargée d'apprécier les conditions d'immigration et de proposer des solutions, que j'ai préconisée, permettrait d'enrichir le débat. Nous attendons également les conclusions de la commission mise en place par le Sénat.

S'il est essentiel de créer les conditions permettant un développement durable, il est tout aussi capital de valoriser les potentialités locales et de dynamiser l'économie par la structuration des filières agricoles et de pêche, par le soutien de l'industrie du bois, par l'assainissement du secteur aurifère, par la stimulation de l'offre bancaire et par l'encouragement de la vocation de la Guyane à devenir un pôle d'excellence dans le domaine de l'écotourisme, de l'environnement et des sciences. De ce point de vue, la sélection de la candidature de mon département à un pôle d'excellence rurale aurait valeur de symbole.

Le plan Guyane suscite de grandes espérances, souhaitons qu'il soit à la hauteur des enjeux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. André Thien Ah Koon - Vous savez, Monsieur le ministre, où se trouve la Réunion : aux confins de l'Océan indien. L'île est entourée par quatre millions de km2 de mers qui comptent parmi les plus poissonneuses du monde. C'est la marine nationale qui les surveille, et depuis dix ans, une vingtaine de bateaux pirates ont été coulés. C'est dire l'importance de ces espaces marins pour la France, comme vous en conviendrez également, Monsieur Kamardine.

M. Mansour Kamardine - Absolument.

M. André Thien Ah Koon - Nous avons le sentiment de contribuer à la grandeur de la France. La Réunion compte 750 000 habitants. Certains sont en difficulté mais la France est un grand pays, et devrait être capable de relever ce défi.

La Réunion, entourée de cinq pays francophones, dont Madagascar, occupe une place centrale dans l'Océan indien. La France ne doit pas se désintéresser de ces pays car d'autres pourraient venir à pas feutrés prendre sa place - je pense notamment au Moyen-Orient...

J'invite mes collègue de métropole qui ne connaissent pas l'outre-mer à bien mesurer la dimension de la France dans le monde. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Qui a rogné progressivement la loi de programme ? La Gauche ! Année après année, elle est venue avec ses ciseaux dépecer cette loi, à tel point qu'il n'en reste plus rien aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). S'il y a 40 % de chômeurs à la Réunion, c'est en grande partie de sa faute !

Monsieur le ministre, je vous félicite pour la qualité de votre budget qui intervient dans un contexte difficile. Vous êtes jeune, intelligent, et vous avez l'énergie nécessaire pour mener à bien ces projets.

C'est vrai que nous sommes en retard, mais comment pourrait-il en être autrement, après avoir subi l'esclavage, le colonialisme ? Ce n'est qu'en 1946 que nous sommes devenus un département, et ce sont Michel Debré et le général de Gaulle qui nous ont sortis de la misère, quand ils se sont rendu compte qu'à la Réunion, des blancs originaires de Bretagne, portant des noms français, marchaient les pieds nus. Ce n'est pas la gauche qui nous a aidés !

Le problème de l'outre-mer, rapporté à ceux de l'ensemble du territoire français est un petit problème. Seul 1 % de la population française vit à la Réunion, qui est entourée de 4 millions de km2 de mer, et de 30 millions de francophones. Nous sommes en compétition avec d'autres grands pays dans l'Océan indien ! Face à l'Asie et l'Inde, nous devons affirmer notre présence dans cet océan. Nous devons être la vitrine des avancées technologiques de la France et de l'Europe, et pour ce faire, nous débarrasser de nos états d'âme.

Chers collègues de l'UDF, nous ne sommes pas là pour payer les différends familiaux, et notre département ne peut pas rester plus longtemps à la traîne. Nous devons avoir le sentiment que l'action du Président de la République pour l'outre-mer est stratégique, vitale, humaine et socialement défendable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Lefort - Ce n'est donc pas le cas actuellement.

M. André Thien Ah Koon - Que l'opposition n'oublie pas qu'elle était prête, à une époque, à nous donner l'indépendance ! (« Hé oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Elle aurait largué l'outre-mer si nous l'avions laissée faire !

N'ayez pas peur, Monsieur le ministre, de la situation de l'outre-mer. C'est vrai que la Réunion compte 40 % de chômeurs, mais ce n'est pas si inquiétant puisque, compte tenu du vieillissement de la population, la métropole compte de moins en moins d'actifs, ce qui représentera autant d'emplois pour les Français d'outre-mer ! Il n'y pas à mener de politique d'immigration choisie, il suffit d'avoir recours à nos travailleurs, qui sont bien formés et Français (« Astucieux ! » sur les bancs du groupe UMP), d'autant plus que le Gouvernement a mis en place un dispositif efficace pour assurer la continuité territoriale.

La France ne doit pas s'inquiéter de la mondialisation, car elle dispose d'atouts extraordinaires en outre-mer, et nous avançons grâce à toutes les mesures que cette majorité a su prendre.

Je souhaiterais que nous devenions le pays référent de la France et de l'Europe dans l'Océan indien.

Par ailleurs, que le groupe UDF s'abstienne de faire trop de zèle car il nous a fait perdre des cantons et des voix en s'attaquant aux fonctionnaires, à leurs salaires, à leurs retraites ! C'est vrai qu'il faut accepter la présence de trublions dans une famille politique, mais certains rappels à l'ordre sont parfois nécessaires.

Je remercie M. Accoyer d'avoir pris en main nos problèmes, et aussi le ministre dont le sens des responsabilités nous sauve.

Permettez-moi quelques mots sur l'éducation nationale. Comment travaille-t-on dans ce pays ? 80 % des lycéens ont le baccalauréat, mais 70 à 80 % de ces mêmes jeunes sont rejetés l'année suivante par l'université !

Par ailleurs, comment préserver une bonne formation des prix si l'on ne maîtrise pas les monopoles ? Dans tous les domaines commerciaux, pas un jour ne se passe sans que les plus gros ne rachètent les petits, et s'il y a un jour une grève dans un groupe, on ne pourra plus nourrir la population. Prenons garde de ne pas devenir les victimes d'un chantage, que ce soit dans le secteur de l'énergie, des carburants, ou d'autres produits stratégiques. Il faudra bien envisager une loi contre les monopoles pour que les autochtones aient aussi leur part !

S'agissant des visas, pourquoi un sous-préfet ne serait-il pas capable de les délivrer, dès lors qu'un maire a certifié la demande d'invitation formulée par une famille française ? Il y a là un problème, à moins que l'on ne veuille plus voir d'étrangers chez nous, mais dans ce cas, il ne faut pas chercher à développer le tourisme ! Selon les dernières statistiques, il y aurait 25 % de touristes en moins en France. Il n'est pas normal que les Chinois, par exemple, soient obligés de passer par l'Allemagne ou l'Italie pour venir en France !

Enfin, pourquoi impose-t-on un remboursement sur succession aux héritiers des personnes allocataires de la couverture vieillesse ? Ces dernières ne sont pas incitées à souscrire à cette pension, ce qui les réduit à vivre d'un revenu très faible. Il faudra y remédier.

Quant à l'assurance maladie, on met en cause les médecins et les pharmaciens alors que la plus grande partie des dépenses sont à mettre sur le compte de l'hospitalisation publique.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir laissé finir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Béatrice Vernaudon - Je vais vous parler, Monsieur le ministre, de la Polynésie française que vous ne connaissez pas encore, mais où vous êtes attendu impatiemment, avant la fin de l'année, pour sceller le pacte de confiance que vous avez su proposer à l'ensemble de l'outre-mer.

Depuis la loi organique de février 2004, la Polynésie est un Pays d'outre-mer au sein de la République qui se gouverne librement et démocratiquement. Son autonomie est garantie par l'article 74 de la Constitution.

Depuis l'adoption de ce statut et les événements qui ont suivi, la Polynésie est entrée dans une ère de réorganisation politique et sociale et de transformation des mentalités, ce qui ne va pas sans inquiétude, du fait d'une croissance ralentie par un changement des priorités économiques et un contexte international affecté par la hausse du prix du pétrole.

De surcroît, les déclarations du président du pays en faveur d'une pleine souveraineté de la Polynésie contrarient une large majorité de la population qui reste attachée à son maintien dans la République.

Toutefois, le projet de développement durable de ce nouveau pays d'outre-mer, dont la nouvelle majorité issue des urnes est porteuse, représente un défi que la population souhaite relever, dans un partenariat renouvelé avec l'Etat.

C'est pourquoi, nous nous reconnaissons, Monsieur le ministre, dans le pacte de confiance que vous proposez d'établir avec les élus des différentes collectivités d'outre-mer, autour d'objectifs partagés, pour leur redonner les moyens d'agir concrètement.

Dans cet esprit, j'aborderai deux sujets essentiels pour l'avenir de la Polynésie.

Premièrement, l'impérieuse nécessité d'un nouveau dispositif contractuel entre l'Etat et la Polynésie. Les versements de l'Etat en Polynésie française en 2004 ont été évalués à 1 261 millions d'euros, répartis de la façon suivante : 33 % pour l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche, 16 % pour les activités de défense nationale, 14 % pour les pensions versées aux retraités relevant de l'Etat, 12 % pour les missions relevant des compétences d'Etat et 25 % pour le Pays et les communes.

S'agissant des transferts, la dotation la plus importante est la dotation globale de développement économique, la DGDE, qui figure dans la mission « outre-mer » à compter de cette année : 166 millions d'euros l'an passé, et 180 millions d'euros en 2006 du fait d'un avenant datant de 2003 qui couvre le rattrapage des sommes dues au titre des années 1996 à 2002.

Ensuite, bien que moins importante en valeur relative, la deuxième convention relative aux actions de solidarité et de santé publique, issue de la loi d'orientation pour le développement économique et social de la Polynésie française, nous a assuré pendant dix ans une dotation annuelle de 33,6 millions, ce qui a permis d'instaurer, depuis 1995, un système de protection sociale généralisée extrêmement généreux. Faute de reconduction de cette convention après 2003, la dotation correspondant aux actions de solidarité et de santé publique a été réduite de près de 12 millions en 2004 et de près de 6 millions en 2005, 8 millions restant pour l'instant gelés au titre des crédits de santé. Monsieur le ministre, pouvons-nous compter sur votre intervention en fin d'année pour débloquer ces 8 millions ?

En outre, rappelons qu'en 2004 et 2005 le Pays a dû compenser 13 millions pour garantir la continuité du régime de solidarité, qu'il finance déjà à près de 85 %, ainsi que celle des actions de formation des personnels sociaux et infirmiers.

Enfin, si les communes se réjouissent que la part des recettes fiscales attribuées par le Pays passe de 15 à 17 %, cet effort représente une somme de 15 millions supplémentaires à prélever chaque année sur le budget du Pays, dont la dotation doit augmenter corrélativement de 110 à 125 millions, avec un rattrapage consenti depuis 2003.

Plus pénalisant encore, la Polynésie française n'a pu obtenir, contrairement à d'autres collectivités d'outre-mer, la reconduction du contrat de développement. Or ce dernier a permis de financer pendant dix ans des investissements essentiels tel que les constructions scolaires, le logement social, l'adduction d'eau potable, les équipements sanitaires dans les îles, les aides aux entrepreneurs individuels, les dotations au développement de filières pour le secteur primaire ou encore la prévention des risques naturels. Ces financements ne peuvent pas être prélevés sur la DGDE dont les crédits sont consacrés depuis 1996 aux gros investissements structurants.

Ainsi, l'Etat a fermé le deuxième « robinet » alimentant le budget du Pays : des conventions et un contrat de développement qui représentaient 80 millions d'euros par an, soit 35 % des transferts !

Monsieur le ministre, vous conviendrez qu'il est temps de remettre l'ouvrage sur le métier et de sceller ensemble un nouveau pacte de confiance, fixant pour dix ans un cadre juridique et financier clair, fondé sur des constats et des objectifs partagés. Dans cette perspective, le Gouvernement de Polynésie travaille à un nouveau projet de loi d'orientation et de programme 2007-2016 qu'il vous présentera lors de votre visite.

Deuxième dossier : la réforme communale, chantier très attendu et prometteur pour la Polynésie.

Faisant suite à l'ordonnance de janvier 2005, le décret relatif au statut de la fonction publique communale est en cours d'élaboration et les maires vous savent gré d'avoir pris en considération leurs demandes. La semaine prochaine, ils vous exposeront comment ils envisagent la complémentarité entre leur organisation actuelle et le futur centre de gestion et de formation.

Au début de l'année prochaine, vous prendrez une autre ordonnance pour adapter le code général des collectivités territoriales à la Polynésie. Les communes polynésiennes seront ainsi les dernières de la République à mettre en œuvre la décentralisation - à s'émanciper ! Monsieur le ministre, ce n'est pas à vous qui présidez depuis dix ans aux destinées de la ville de Troyes que j'apprendrai combien la formation initiale ou continue des agents municipaux sert à la bonne gestion de la cité. Mais cette formation a un coût, qui est d'autant plus élevé qu'il faut rattraper les années perdues.

Le rétablissement de la participation de l'Etat au FIP depuis 2004, l'augmentation de la DGF en 2005, puis celle du FIP territorial devraient soulager les communes sans leur accorder, pour autant, tous les moyens dont elles ont besoin. Pour qu'elles puissent exercer durablement et équitablement leurs nouvelles compétences - l'adduction d'eau potable, le traitement des déchets et l'assainissement indispensables à la sauvegarde d'un environnement fragile comme au développement économique et social -, il faut contractualiser leurs relations avec le Pays et avec l'Etat. Quelles seront leurs ressources propres ? Comment garantir leur autonomie financière ? Peut être faut-il faire appel rapidement à d'autres sources de financement à travers l'Agence française de développement, la Caisse des dépôts ou en recourant à des dispositifs de défiscalisation ?

Monsieur le ministre, l'élaboration d'une nouvelle loi d'orientation représente une occasion unique pour que l'Etat et le Pays conjuguent leurs efforts en faveur des communes. Un volet relatif à l'accompagnement de la décentralisation et à l'aide aux communes devra figurer en bonne place dans ce texte. Dans un pays aussi dispersé géographiquement que le nôtre et où le sentiment communautaire soude une société pluriculturelle et multiethnique, les communes sont appelées à prendre une place essentielle dans la sauvegarde de notre identité, pour le rayonnement de la Polynésie et de la France dans l'ensemble océanien.

Monsieur le ministre, j'ai déjà souligné la qualité de dispositifs tels que la continuité territoriale, le « passeport mobilité » ou le SMA, s'agissant de répondre aux attentes d'une jeunesse qui représente plus de 50 % de notre population. Nous avons également pu apprécier votre énergie, votre sens du dialogue et de la mesure, votre présence dans les moments douloureux et votre détermination, toutes qualités auxquelles les Polynésiens sont sensibles. C'est pourquoi je tenais à vous manifester publiquement leur sympathie et la mienne, en votant en toute confiance votre budget (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. René-Paul Victoria - En préambule, je tiens à insister sur un point fondamental : le soutien de l'Etat à l'outre-mer est bien loin d'être ce tonneau des Danaïdes que certains évoquent parfois par facilité

Un député UMP - Très bien !

M. René-Paul Victoria - Pour s'en convaincre, Il suffit d'étudier les tendances économiques et sociales de ces dernières années. Depuis la loi de programme pour l'outre-mer, nous commençons à inverser la spirale infernale du chômage structurel malgré une forte pression démographique : le taux de chômage est passé de 36,5 % en 2000 à 31,9 % en 2005. Le dynamisme des entreprises, en particulier celle du BTP qui ont créé plus de 2 000 emplois entre 2004 et 2005, explique en partie ces bons résultats.

L'action publique en faveur de l'emploi est donc concluante, mais il faut toutefois rester prudent car le taux de chômage outre-mer reste bien supérieur à la moyenne nationale. Les nouvelles mesures pour l'emploi contenues dans ce budget ne doivent pas non plus conduire à augmenter les contributions des collectivités et des associations, déjà en difficulté. Monsieur le ministre, votre prédécesseur s'était engagé à ce « qu'aucun jeune ne reste sur le bord du chemin de l'insertion ». Je souhaite qu'un même état d'esprit vous anime dans la gestion du volet « emploi » de votre budget.

Autre préoccupation majeure outre-mer : le logement, en particulier le logement social. Lors de votre récente visite à La Réunion, vous avez annoncé un dégel important de crédits de la ligne budgétaire unique, la LBU, en sorte que notre département bénéficierait de 70 millions de crédits de paiement cette année, soit 15 % de plus qu'en 2004. Cependant, ces gels et dégels successifs de la LBU, qui entraînent systématiquement un ralentissement des investissements et une perte d'énergie, ne sont plus acceptables. De plus, nous sommes inquiets de la stagnation annoncée de ces crédits de paiement, à hauteur de 173 millions, alors que la demande de logements reste élevée - à Saint-Denis, 4 000 dossiers sont en instance - et que la hausse du cours du pétrole a contribué à celle du coût de construction. Notons d'ailleurs que la flambée des cours du pétrole pénalise des milliers de familles réunionnaises, surtout les plus modestes, qui ont vu le prix du gaz encore augmenter.

Au-delà du problème du foncier, les communes de notre île buttent sur l'écueil de l'assainissement. Un nombre encore trop limité d'habitations, concentrées pour l'essentiel dans les zones les plus peuplées, sont reliées au réseau, couplé à des stations d'épuration. La normalisation de la situation exige des moyens importants : pour l'assainissement collectif seul, les investissements sont évalués à plus de 200 millions. Dans le cadre du contrat de plan Etat-région, le fonds régional d'aménagement foncier et urbain mobilise déjà des moyens importants ; ils restent cependant insuffisants et je souhaite, Monsieur le ministre, que nous puissions débattre de ce problème.

Le troisième point sur lequel je veux insister concerne la continuité territoriale. C'est à l'initiative de notre majorité que ce dispositif clé pour la mobilité des hommes a été mis en place et je fais cette piqûre de rappel à l'intention de ceux qui l'ont dénigré à sa création. Force leur est d'admettre aujourd'hui que le passeport mobilité a résolu bien des problèmes. Toutefois, le budget prévisionnel du dispositif pour 2006 demeure nettement insuffisant au regard des enjeux et de la demande. Il n'est pas tolérable qu'aujourd'hui encore, des Martiniquais, des Réunionnais, des Guadeloupéens ou des Guyanais doivent parfois débourser plus de 1 500 euros pour un billet d'avion entre leur île et la métropole. Pour les familles de quatre à cinq personnes, la dépense est insupportable, malgré une prise en charge partielle sur les crédits actuels de la continuité territoriale.

Aussi, le développement économique, social et humain de l'outre-mer ne doit pas être bridé par le coût des liaisons aériennes. Il y a là un enjeu essentiel pour l'égalité des chances. Je souhaite que nous puissions travailler ensemble à la recherche d'une solution acceptable et que la notion de continuité territoriale soit étendue aux intrants indispensables à toute forme de production locale, aux télécommunications et à l'audiovisuel. A ce propos, je signale au passage qu'il faudra approfondir la réflexion sur le rôle de RFO dans le développement de nos territoires.

La santé est le quatrième point sur lequel je souhaite appeler l'attention de notre assemblée. L'épisode sans doute trop largement médiatisé du premier cas supposé de grippe aviaire sur notre île - fort heureusement démenti par les analyses - doit être pris comme un signal d'alerte. Nos territoires, situés principalement en zone tropicale, sont à la confluence de nombreux échanges humains, d'où une aggravation sensible des risques sanitaires. A la Réunion même, nous sommes confrontés depuis plusieurs mois à une épidémie de chikungunya, dont le vecteur est le moustique, qui tend à devenir préoccupante. Au reste, je plaide pour un renforcement sensible des moyens de la veille épidémiologique à La Réunion, dans le cadre de la coopération régionale et avec le concours des organismes de recherche.

La stabilisation démographique se faisant attendre, de sorte que la population de l'île se montera dans quelques années, à près d'un million d'habitants, je souhaite aussi que l'effort de l'Etat porte sur un renforcement de la démographie médicale. En effet, la densité des professionnels de santé est nettement inférieure à la moyenne métropolitaine : de 19 % pour les généralistes et de 37 % pour les spécialistes.

La création du parc national des Hauts semble imminente, et je souhaite que ce nouvel outil de développement de l'île soit géré par l'ONF. Avec votre soutien, Monsieur le ministre, je souhaite que nous puissions traduire cet objectif dans les faits, sous une forme conventionnelle ou législative.

Une étude comparée de la productivité de la main-d'oeuvre et du capital entre la Réunion et une région métropolitaine démontre que les salariés réunionnais dégagent en moyenne une valeur ajoutée de 49 000 euros, soit légèrement plus que leurs homologues métropolitains. Par contre, hors défiscalisation, la rentabilité des capitaux est légèrement inférieure à la Réunion - moins 9 000 euros pour 100 000 euros investis. Le système de défiscalisation tend donc logiquement à faire disparaître l'écart.

Enfin, comme je l'avais proposé à cette tribune l'année dernière, je souhaite accueillir à la Réunion une délégation de mes collègues métropolitains, afin qu'ils puissent toucher du doigt la réalité de nos territoires...

M. René Dosière - On va venir !

M. René-Paul Victoria - Le 19 mars prochain, la Guadeloupe, la Guyane,...

Mme Christiane Taubira - Présente !

M. René-Paul Victoria - ...la Martinique et la Réunion célébreront le soixantième anniversaire de la départementalisation. Monsieur le ministre, j'ai déjà eu l'occasion de vous demander de prendre une initiative pour l'outre-mer à cette occasion et j'ai demandé ce matin au président Debré de faire de même pour l'Assemblée nationale. Nous tenons là une occasion de mieux faire connaître - et partant aimer ! - l'outre-mer. (« Très bien ! » sur divers bancs) Michel Debré ne disait-il pas : « Créole un jour, créole toujours » ? Et permettez-moi de demander à tous mes collègues ultramarins d'applaudir nos collègues métropolitains qui nous font l'amitié d'être présents cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Frogier - Chaque année, à l'occasion du débat budgétaire, j'ai l'honneur de monter à cette tribune au nom de la Nouvelle-Calédonie. Chaque année, nous mesurons tout ce que la France nous apporte, dans un contexte national et international pourtant de plus en plus difficile. Chaque année, nous vous demandons de répondre à de nouvelles attentes et nous vous sollicitons au maximum. Aussi, je tiens à vous dire, Monsieur le ministre, toute la gratitude de la Nouvelle-Calédonie et je veux exprimer notre attachement passionnel à la France. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP)

La Calédonie ne s'est jamais laissée aller à la politique de la main tendue : si elle demande à la France de faire quelque chose pour elle, elle s'interroge aussi toujours sur ce qu'elle-même peut faire pour la France (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Jamais, elle n'est indifférente aux situations graves que traverse notre pays ; jamais elle n'est étrangère aux blessures de la France. Jamais son soutien n'est compté lorsqu'il y va de l'intérêt national. Jamais la distance n'altère la fierté de la Nouvelle-Calédonie de participer à la grandeur de la France et à son rayonnement dans la région Pacifique.

La Nouvelle-Calédonie jouit de l'extraordinaire richesse de son sous-sol et des réserves de nickel qui peuvent faire de la France le premier producteur de la planète. Pour les décennies qui viennent, notre développement se fonde sur la construction de deux gigantesques unités métallurgiques dans le Sud et dans le Nord de la Grande Terre. Après une suspension de près de deux ans, Inco a repris à Goro la construction de son usine de nickel et de cobalt. Grâce à un procédé hydro-métallurgique innovant et unique au monde, elle pourra traiter nos énormes réserves de latérites pauvres.

Nous sommes inquiets en revanche pour le projet du Nord. Lié de manière indissociable à la mise en œuvre de l'accord de Nouméa, celui-ci risque en effet de se trouver dans une impasse d'ici quelques semaines. D'une part, l'OPA d'Inco sur Falconbridge ouvre, au moins jusqu'au 23 décembre prochain, une période de grande incertitude. D'autre part, l'accord de Bercy arrive à échéance le 31 décembre.

Monsieur le ministre, mon sentiment est que cette nouvelle donne offre au Gouvernement l'occasion d'engager une autre stratégie. Plutôt que de se prêter à une quelconque surenchère, je considère que seule l'application stricte des dispositions de l'accord de Bercy permettra de sortir de l'impasse. Et si le gisement de Koniambo devait retourner à la SLN - société française implantée depuis plus d'un siècle en Nouvelle-Calédonie -, l'opérateur français pourrait s'engager à poursuivre le projet sur des bases économiques et financières saines, tout en accordant aux collectivités publiques locales une part raisonnable du capital. Il est essentiel que le Gouvernement reprenne la main dans ce dossier stratégique, car c'est à cette condition que sera construite dans des conditions optimales une usine dans la province Nord, conformément aux engagements réitérés du Président de la République.

La défiscalisation constitue un puissant levier pour le développement économique de l'outre-mer. Elle est indispensable à la bonne réalisation des grands projets qui assureront la croissance de la Nouvelle-Calédonie et la diversification de son économie. A ce titre, je vous remercie de vous être engagé de façon aussi déterminée à respecter la parole de l'Etat.

Je salue aussi le bon aboutissement du dossier des retraites et des validations de service des personnels de l'enseignement privé, particulièrement important pour la Nouvelle-Calédonie. C'est le résultat heureux d'une démarche engagée il y a trois ans.

L'un des axes essentiels de la politique menée en Nouvelle-Calédonie, c'est le rééquilibrage entre les trois provinces nées des accords de Matignon. Ce rééquilibrage, nous le trouvons légitime et c'est pourquoi nous en avons accepté le principe comme la contrepartie institutionnelle. Supporté par le contribuable du Sud au profit des provinces du Nord et des îles, cet effort est aussi très largement financé par l'Etat. Seize ans après la création des provinces, je dois cependant dire que nous nous interrogeons sur le montant et sur l'utilisation des fonds afférents. Ont-ils effectivement contribué au bien-être des populations du Nord et des îles, dans l'esprit des accords de Matignon et de Nouméa ? C'est là, vous en conviendrez, une question extrêmement importante. Peut-être, Monsieur le ministre, pourrait-on demander à la Cour des comptes d' évaluer les effets de ce rééquilibrage pour être certains que les efforts accomplis se sont pas vains ?

Pour conclure, je ne peux laisser sans réponse les affirmations de notre collègue Dosière - dont je salue la présence - à propos de la restriction du corps électoral. Je rappelle qu'après la signature de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, il a fallu modifier la Constitution pour autoriser le législateur à restreindre le corps électoral.

M. René Dosière - Et nous l'avons fait !

M. Pierre Frogier - A cet égard, le rapport de notre commission des lois - réunie le 9 juin 1998 sous la présidence de Mme Tasca - est extrêmement clair, puisqu'il précise que « pour les élections aux assemblées de province et au congrès, pourront participer au vote, outre les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 et résidant sur le territoire depuis le 6 novembre 1988, ceux qui rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection ». Tel est le contenu de l'accord de Nouméa, signé par le FLNKS et par le Rassemblement le 5 mai 1998. Tout le reste n'a été que surenchère de la part du FLNKS, hélas relayé par la majorité de l'époque...

M. René Dosière - C'est un peu plus compliqué que vous ne le dîtes. C'est le statut qui a précisé les choses.

M. Pierre Frogier - Aussi, je remercie notre collègue Didier Quentin d'avoir incité notre assemblée à clarifier ce dossier.

Monsieur le ministre, nous espérons vivement avoir bientôt le plaisir de vous recevoir et nous voterons sans réserve votre budget pour l'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer - Monsieur le Président Warsmann, je vous remercie par avance d'exprimer à M. le Président Debré toute notre gratitude pour avoir maintenu l'examen de cette mission au jour et à l'heure prévus. Nous pouvons avoir ainsi un débat de qualité, et je suis sûr que les parlementaires ultramarins ont apprécié que les contraintes liées à leur éloignement soient prises en considération. C'est important et précieux, et je remercie aussi le président du groupe de l'UMP pour sa compréhension.

Je félicite les deux rapporteurs pour la qualité et la pertinence de leurs analyses, qui ont permis d'enrichir le travail du Gouvernement et d'éclairer l'ensemble de la représentation nationale sur les enjeux de ce débat budgétaire pour l'outre-mer.

Il m'est difficile, au début de mon intervention, de ne pas évoquer la catastrophe aérienne qui a cruellement endeuillé la Martinique et, au-delà, l'ensemble de l'outre-mer et la nation tout entière. Dans cette douloureuse épreuve, l'Etat, les collectivités, les associations et l'ensemble de nos concitoyens ont marqué leur profonde solidarité à l'égard du peuple martiniquais. Cette manifestation d'un Etat à visage humain, l'outre-mer était en droit d'attendre.

Avant de répondre précisément à chacun des orateurs, je souhaiterais insister sur quelques points. Dès mon arrivée au ministère de l'outre-mer, j'ai proposé un pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités. Pour être moi-même élu local, j'en sais toute l'importance, surtout à l'heure de la décentralisation. Il n'est de plus haute exigence pour l'Etat que de tenir sa parole. Il respectera donc les engagements pris dans la loi de programmation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Nous avons aussi un immense travail collectif à engager pour faire mieux comprendre la réalité de l'outre-mer. Le taux de chômage y est de deux à quatre fois supérieur à la moyenne nationale. La question du logement social ne s'y réduit pas à la résorption de l'habitat insalubre ni aux constructions nouvelles : il faut tenir compte de la difficulté pour les élus de maîtriser POS et COS, des régularisations d'occupations sans droit ni titre... Lorsque nous avons ouvert le débat sur l'immigration clandestine, dans des conditions que j'assume pleinement...(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), nous n'avons fait que replacer dans le débat national un phénomène que vous vivez, vous, au quotidien dans vos territoires...

M. Mansour Kamardine - Tout à fait.

M. le Ministre - Sait-on que sur les 30 000 reconduites à la frontière opérées chaque année au niveau national, une sur deux concerne l'outre-mer et une sur quatre Mayotte ? Comment pourrait-on ne pas en tenir compte ?

On ne peut pas traiter du chômage, du logement, des quartiers, de l'immigration clandestine... de la même façon outre-mer et en métropole, car les problèmes n'y sont pas les mêmes. A cet égard, je récuse le terme de « niche fiscale » pour les investissements outre-mer. Parle-t-on de « niches fiscales » pour les dispositifs d'aide en faveur des banlieues ? Or la défiscalisation ultramarine a largement inspiré les zones franches urbaines. L'outre-mer exige des politiques publiques adaptées à ses spécificités. Il nous faut, ensemble, réussir dans le domaine de l'emploi, du logement, du développement économique, de l'éducation, de la santé, de l'aménagement du territoire, des infrastructures et de la continuité territoriale. Voilà à quoi nous nous sommes engagés.

M. Mansour Kamardine - Merci.

M. le Ministre - Les crédits de la mission « outre-mer » représentent 2,27 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,9 milliard en crédits de paiement. Mais l'effort global de l'Etat en faveur de l'outre-mer se monte à 11 milliards d'euros, en tenant compte de toutes les actions interministérielles. Je me réjouis de la forte mobilisation des élus d'outre-mer, de tous bords, quand le dispositif de défiscalisation s'est trouvé menacé et je me félicite que, dans l'esprit du pacte de confiance et dans le respect de la parole donnée, la commission des finances ait préservé ce dispositif essentiel. Le ministère de l'outre-mer soutient bien sûr le projet de modernisation et de rationalisation de l'impôt sur le revenu engagé par le Gouvernement. Toute la difficulté était qu'il ne remette pas en question les objectifs de la loi de programme, lesquels, pour être atteints, supposent certains outils. Il est à l'honneur de la représentation nationale d'avoir levé, la nuit dernière, toutes les ambiguïtés qui demeuraient. C'est tout l'intérêt du travail parlementaire. La loi de programme prévoyait une évaluation tous les trois ans. Il a été jugé sage d'attendre les conclusions de la première, qui aura lieu très prochainement et pourra conduire à adapter le dispositif. D'une manière générale, l'évaluation régulière des politiques publiques est indispensable, notamment pour mieux coordonner les interventions de l'Etat et des collectivités. C'est tout particulièrement le cas pour le logement social outre-mer où, pour résorber l'important retard pris, il convient de mieux maîtriser l'offre foncière et la spéculation, mais aussi de corriger certains effets d'aubaine qui ont favorisé des investissements d'opportunité. C'est une telle responsabilité partagée entre l'Etat et les collectivités qui permettra d'aller plus loin pour assurer un développement économique et social durable de l'outre-mer.

Divers indicateurs de performance ont été mis au point pour évaluer l'efficacité des actions des trois programmes de la mission. Ainsi pour mesurer l'efficacité de l'abaissement du coût du travail - thème qui, couplé au dialogue social, fait l'objet d'une action particulière -, rapportera-t-on le taux de croissance de l'emploi salarié dans les secteurs exonérés de charges sociales au taux de croissance moyen de l'emploi salarié outre-mer. Tous ces outils, d'ores et déjà très pertinents, pourront être améliorés encore.

Les objectifs de mon ministère en 2006 reprennent la feuille de route fixée par le Président de la République : soutien de l'emploi, lutte contre la précarité et l'exclusion, rattrapage des retards structurels. N'en déplaise à certains, nous respectons totalement ces engagements. Et je me tourne vers vous, Monsieur Lurel, qui vous êtes fait un formidable avocat de la loi de programmation - laquelle déclinait cette feuille de route. Je me réjouis qu'enfin, après quelques années, vous ayez été l'un des plus ardents défenseurs du maintien des dispositifs figurant dans cette loi. Vous avez fini par épouser la cause que vous défendiez... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

S'agissant de l'emploi, l'objectif est d'améliorer les résultats actuels. Si les évolutions sont plus favorables, le taux de chômage moyen de l'outre-mer n'en reste pas moins deux fois et demi supérieur à celui de la métropole - en ce domaine, il faudrait d'ailleurs parler « des outre-mer », tant les situations sont diverses et, là aussi, l'adaptation à la réalité de chaque territoire est indispensable.

Le taux de chômage de l'outre-mer est passé de 30 % en 2002 à 22,9 %, soit une baisse de plus de sept points. Mais 22,9 %, c'est encore beaucoup trop. Cette situation a des conséquences sociales et économiques qui rendent la tâche particulièrement difficile pour les collectivités territoriales comme pour l'Etat, qui doivent également faire face à une démographie très dynamique : dans certaines de nos régions, plus de 50 % de la population a moins de 25 ans ; en Guyane notamment, comme l'a souligné Mme Rimane, plusieurs milliers d'enfants ne sont pas scolarisés - ce qui signifie que les besoins en écoles et en postes d'instituteurs, puis en collèges et en postes de professeurs, sont très importants. La politique en faveur de la création d'emplois, dans le secteur marchand comme dans le secteur non marchand, est à la fois un but et un préalable pour l'action de mon ministère.

Madame Bello, je regrette de n'être pas parvenu à vous rassurer pleinement à l'occasion de mon déplacement à La Réunion ; il n'y aura pas de chute de charge pour les dispositifs d'emplois aidés précédemment mis en place, il n'y aura pas non plus de quotas : tout dépendra des propositions locales, mais l'Etat veillera à l'application pleine et entière des dispositifs Borloo. L'on sait bien qu'il serait inenvisageable de mettre fin du jour au lendemain à la politique d'emplois aidés dans le secteur non marchand ; néanmoins l'objectif est un transfert progressif vers des emplois durables dans le secteur marchand, créateur de richesses.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué le service militaire adapté, qui est une fierté de l'outre-mer et qui sert d'ailleurs de modèle pour la métropole, de même que la défiscalisation outre-mer a constitué une référence pour la mise en place des zones franches dans nos quartiers difficiles, ou que le modèle ultramarin de décentralisation en a constitué une pour la décentralisation en métropole. Cette école de la deuxième chance qu'est le SMA, formidable outil d'intégration pour les jeunes sans qualification, dont 3 000 pourront bénéficier, outre-mer, en 2006, est un exemple pour le service civil que le Président de la République vient de proposer. Un effort budgétaire est consenti pour mettre aux normes les infrastructures du SMA.

Il nous faut par ailleurs tenir compte des spécificités géographiques de nos territoires ultramarins. Le risque de cyclones ou de séismes, en particulier en Guadeloupe et à la Martinique, impose que l'Etat définisse des normes appropriées en matière de construction et d'entretien des logements.

Monsieur Beaugendre, vous avez rappelé dans votre rapport que 270 millions d'autorisations d'engagement et 173 millions de crédits de paiement - montant égal à celui de 2005 - étaient inscrits au titre du programme « conditions de vie outre-mer », au profit de trois actions principales : accroissement de l'offre de logement social neuf et amélioration du parc existant ; accompagnement des politiques urbaines ; amélioration de la sécurité du parc social antillais vis-à-vis du risque sismique.

Messieurs Almont et Victoria, Madame Bello, vous avez évoqué les difficultés créées par le gel de la LBU. Le Gouvernement a été attentif à vos préoccupations puisque le Premier ministre a dégelé l'intégralité des crédits bloqués, soit 40 millions. Sachez que le ministère de l'outre-mer aura été le seul à obtenir l'intégralité des crédits votés dans la loi de finances pour 2005 !

Monsieur Buillard, vous avez souligné l'absence de dispositif d'aide personnelle au logement en Polynésie, mais le sujet relève de la compétence du pays. Les étudiants bénéficient toutefois pour la poursuite de leurs études des mêmes aides financières que les étudiants métropolitains. Il appartient au pays de déterminer les aides complémentaires qu'il entend leur apporter pour remédier à leurs difficultés de logement ; il va de soi que le Gouvernement pourra lui apporter un appui technique.

A côté de la lutte contre la précarité et l'exclusion, la lutte contre l'immigration clandestine constitue un autre enjeu important ; plusieurs d'entre vous en ont parlé. Dans cette affaire, nous devons partir d'un constat simplement humain : il n'est pas acceptable que des hommes, des femmes, des enfants risquent leur vie en traversant des fleuves ou des mers incertaines, et en payant des passeurs qui sont de véritables escrocs et n'hésitent pas à jeter par-dessus bord leurs passagers.

Je le dis avec force : c'est le législateur qui aura le dernier mot. La mission Mayotte s'est mise en place ce matin, la commission d'enquête parlementaire du Sénat sur l'immigration clandestine se met également au travail. Il nous appartiendra ensuite de définir ensemble les dispositions législatives à prendre, sachant qu'il faudra associer mesures répressives, actions diplomatiques vigoureuses et aide au développement. Mais l'accentuation de la pression migratoire en Guadeloupe appelle des réponses rapides ; des instructions précises ont donc été données au préfet. L'objectif de 2 000 reconduites d'étrangers en situation irrégulière a été fixé pour 2006, contre 1 200 en 2004. Une aggravation de la situation est également constatée en Guyane et à Mayotte.

Les moyens militaires et les diverses administrations concernées sont mobilisées dans les zones maritimes de passage. Le dispositif à terre va également être adapté, avec une augmentation de la capacité des centres de rétention administrative et l'installation par l'OFPRA d'une antenne permanente à la Guadeloupe à compter du 1er janvier 2006. Enfin, des dispositions législatives sont envisagées pour permettre des contrôles d'identité et des interpellations dans la zone littorale.

S'agissant des incidents qui se sont produits dans la nuit du 15 au 16 novembre à Pointe-à-Pitre, le lien avec les événements de métropole n'est pas établi. Il faut être prudent dans l'analyse et attendre que l'autorité judiciaire se prononce.

Quoi qu'il en soit, la ville de Pointe-à-Pitre est concernée par un important projet de rénovation urbaine, retenu par l'ANRU parmi les dossiers prioritaires.

Monsieur Kamardine, l'IGAS a en effet préconisé une action volontariste de l'Etat en matière de prestations familiales à Mayotte. Une allocation de restauration scolaire a ainsi été instaurée en 2005 et un amendement gouvernemental au PLFSS pour 2006 vise à supprimer le plafonnement à trois enfants.

Monsieur Grignon, vous m'avez interrogé, entre autres sujets, sur la protection sociale à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le décret relatif à la coordination des régimes de sécurité sociale en vigueur devrait être publié sans tarder et l'ordonnance relative aux prestations familiales, rédigée avec le ministre chargé de la famille et incluant la PAJE, devrait entrer en vigueur au début de 2006. Le décret de 1982 organisant les conditions de mise en œuvre de l'action sociale de la caisse de prévoyance sera modifié : le projet doit être examiné par le Conseil d'Etat. S'agissant de la modification du calcul des pensions, une mesure d'ordre législatif doit rendre applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon les dispositions existant en métropole et relatives au départ à la retraite des personnes ayant eu une longue carrière. Le calcul des droits à pension nécessite la modification d'un décret de 1989. Je vous ferai parvenir des éléments de réponse concernant l'indexation des retraites sur un indice local. Enfin, vous m'avez interpellé lors de mon passage dans l'archipel sur la nécessité d'apporter un complément d'aide aux collectivités : j'ai décidé, sur votre proposition, de réserver une enveloppe de 200 000 euros.

S'agissant de l'isolement, il est important de rappeler que les crédits consacrés à l'aménagement du territoire au sein du programme « conditions de vie », soit 94 millions d'euros, augmentent de plus de 12 %. Ces moyens permettront d'engager de nouvelles politiques contractuelles avec les collectivités de Nouvelle-Calédonie et constitueront pour les DOM la contrepartie nationale nécessaire à l'obtention des fonds européen.

Madame Rimane, vous m'avez interrogé sur le plan spécifique de solidarité nationale pour la Guyane, auquel les élus locaux souhaitent être davantage associés. Je sais que le préfet n'a pas ménagé sa peine pour recenser les projets et établir les contacts, mais je ne manquerai pas de lui demander d'être plus à l'écoute si nécessaire. La maquette est prête et fera l'objet d'arbitrages interministériels en décembre : je vous ferai part des éléments de réponse que nous aurons sur la partie triennale de l'application de ce plan.

Madame Taubira, je salue la qualité de votre verbe et je trouve heureux que ces débats sur l'outre-mer soient émaillés de références à Edouard Glissant, Aimé Césaire, ou Léon-Gontran Damas. Ce sont d'immenses personnages qui incarnent l'identité ultramarine et qui ne sont pas, hélas, assez reconnus. Mais, malgré la musique agréable de votre intervention, nous n'avons eu autre chose que des postures de principe, des contestations à l'égard de ce qui est, malgré tout, l'expression d'un intérêt pour l'outre-mer, à savoir l'affectation de moyens pour des politiques de proximité.

Il est prévu de consacrer 53 millions à la continuité territoriale, qui constitue l'une de nos priorités. Beaucoup d'entre vous, comme Monsieur Lagarde, sont intervenus sur cette dotation récente, qui n'a pas encore été mise en place par le conseil général de Guyane et qui vient d'être approuvée par la Commission européenne pour la Réunion. Cela étant dit, il semble déplacé de se tourner vers l'Etat, sachant que les régions ont obtenu une compétence partagée dans l'attribution des fonds et qu'il n'appartient pas à l'Etat de juger les critères mis en place. Or il apparaît qu'une partie des crédits n'a pas été dépensée...

M. Victorin Lurel - Chez nous, il y a un déficit !

M. le Ministre - Les réalités peuvent être diverses outre-mer. Peut-être souhaiteriez-vous vous tourner vers l'Etat pour demander une définition objective des critères ? Je pense en tout cas qu'une évaluation est nécessaire car il me semble anormal et injuste que ces crédits ne soient pas consommés.

S'agissant des relations avec l'Union européenne, nous nous situons dans la continuité. Le ministère de l'agriculture pilotant les négociations sur les OCM banane et sucre, il m'est difficile d'apporter des éléments de réponse. Nous avons demandé une relance de la discussion et sommes dans l'attente de l'arbitrage sur le litige entre l'Union et l'OMC pour connaître la position de la Commission sur l'application du principe de subsidiarité pour les compensations.

Je voudrais évoquer la situation de la Nouvelle-Calédonie, en réponse à MM. Dosière et Frogier. La ligne du ministère est simple : aussi bien sur l'application de la loi de programme que sur la définition des priorités, l'Etat tiendra tous ses engagements et rien que ses engagements. Concernant le rééquilibrage économique, l'OPA canadienne créant un géant mondial du nickel suppose que le ministère de l'économie et des finances accorde toute son attention à ce dossier, dans le respect des accords de Bercy. C'est dans cet esprit que M. Breton et moi-même avons rappelé dans un courrier l'effort de l'Etat en matière de défiscalisation, la remarquable coopération entre le président Paul Néaoutyine et les services de l'Etat. Il est important que ce dernier délivre un message sincère, exprimant sa volonté de participer au rééquilibrage économique et au développement de la province Nord en y associant pleinement son président.

Concernant la Polynésie française, la dotation globale de développement économique sera désormais inscrite à mon budget. Comme Mme Vernaudon l'a rappelé, il existe une attente forte à l'égard de l'Etat. Celui-ci y répondra de façon adaptée, dans le cadre de ses missions d'accompagnement, dans les domaines de la santé, de l'éducation ou des infrastructures. L'outre-mer a toute latitude institutionnelle pour, au sein de la République, rester lui-même. L'Etat rappellera la place qui est la sienne chaque fois qu'il le faudra, comme lorsque Mme le Haut commissaire est intervenue suite à des déclarations qui ne sont guère conformes à la mission d'un président de collectivité territoriale.

Je retiens de l'intervention de M. Thien Ah Koon son attachement à la France et aux vertus républicaines mais aussi la manière passionnée avec laquelle il a défendu les intérêts de la Réunion.

Je pourrais certes poursuivre en répondant de manière encore plus précise, territoire par territoire, aux questions qui m'ont été posées, mais je préfère souligner combien, alors que les ministres passent, notre pacte de confiance, lui, perdure. Je suis très fier et très honoré de ma fonction. Si la Constitution fixe à mon ministère des responsabilités d'élaboration ou de coordination de l'action gouvernementale, nous avons tous le devoir de mieux nous comprendre. A la lumière des événements que nous venons de connaître, le modèle ultramarin doit être décliné en métropole : je n'oublie pas les valeurs qui vous rassemblent car ce sont celles, parfois, qui nous manquent. Je n'oublie pas non plus que la discussion de ce budget permet aussi de s'adresser à ceux qui vous ont fait confiance et qui attendent de l'Etat qu'il joue pleinement son rôle : la République est aussi une valeur qui nous unit. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 17 heures 50, est reprise à18 heures.

QUESTIONS

M. Eric Jalton - Les îles du sud de l'archipel de la Guadeloupe regroupant les six communes des îles de Marie-Galante, La Désirade et Les Saintes, connaissent des difficultés économiques, des retards de développement et d'accès à la citoyenneté liés à leur double, voire triple insularité. Marie-Galante, en particulier, est confrontée à des problèmes liés au trafic de drogue, à l'immigration clandestine, à l'absence d'équipements publics essentiels. Les secteurs de la pêche, de l'industrie sucrière, du commerce ou de l'artisanat connaissent également de grandes difficultés, notamment en raison du coût du fret, non compensé par des aides publiques.

Pourtant les professionnels, les élus et les associations relèvent le défi et refusent la fatalité. J'évoquerai notamment l'action de la CCI, de la communauté de communes, ou encore de l'office du tourisme.

Consciente de l'insuffisance et de l'inefficacité des dispositifs de la loi programme pour l'outre-mer dans le cas de ces territoires doublement insulaires de l'archipel guadeloupéen, Mme Girardin, le 4 juin 2004, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'octroi de mer, s'est engagée à mettre en place des solutions d'accompagnement et une stratégie de développement pour ces îles, et à prendre, au-delà des dispositifs généraux, des mesures spécifiques et ciblées pour compenser leurs handicaps.

Le remaniement ministériel n'ayant pas permis à Mme Girardin de tenir ses engagements, allez-vous les assurer, Monsieur le ministre ?

M. le Ministre - Bien évidemment, les engagements pris par Mme Girardin seront tenus.

Mon ministère attache une attention particulière à la double insularité propre à l'archipel de la Guadeloupe, et à ce titre une dotation complémentaire au titre du Fonds régional pour le développement et l'emploi a été mise en place au profit des communes insulaires du sud.

Par ailleurs, le problème d'adduction en eau de Marie-Galante fait actuellement l'objet d'une étude technique qui nous permettra de trouver une solution satisfaisante dans les meilleurs délais.

Cela étant, l'Etat ne peut pas tout, et ce projet ne sera viable qu'à condition que les trois communes transforment leur communauté de communes, dans un objectif de mutualisation, notamment grâce à l'instauration de la taxe professionnelle unique.

M. Louis-Joseph Manscour - Au moment où nous débattons des crédits de la mission outre-mer, les syndicats des personnels de santé, le syndicat national des cadres hospitaliers, l'Union hospitalière, administrateurs et directeurs des hôpitaux confondus, les syndicats de médecins, les élus, sont dans la rue pour manifester leur inquiétude quant à l'avenir de l'hôpital public. C'est en effet du jamais vu ! Le secteur hospitalier de la Martinique n'a de cesse de dénoncer l'inadaptation de la réforme du financement des hôpitaux et de la tarification à l'activité, dont l'objectif est de s'aligner sur le fonctionnement des cliniques.

L'éloignement de la métropole entraîne des surcoûts de fonctionnement de certaines unités de soin, pourtant indispensables à défaut d'être rentables. Le contexte social, mais aussi les coûts de stockage de médicaments, handicapent nos hôpitaux, sans parler de tous les ressortissants étrangers insolvables qui viennent se faire soigner chez nous. La Martinique comptabilise à elle seule 25 millions de créances non recouvrables, 12 millions de moins-values suite à l'application de la T2A, 22 millions de déficit de fonctionnement des hôpitaux. Ce sont au total près de 60 millions qui manquent dans les caisses des hôpitaux martiniquais !

Vous avez reconnu, Monsieur le ministre, que le contexte socio-économique était difficile, et que des moyens supplémentaires seraient accordés à la Martinique.

Quelles mesures comptez-vous prendre ?

M. le Ministre - C'est vrai que la Martinique connaît en ce moment d'importants mouvements de grève. Les grévistes craignent en effet que la situation financière des hôpitaux ne leur permette pas de payer les salaires du mois de décembre. Ils considèrent que les difficultés structurelles des hôpitaux ne sont pas suffisamment prises en compte et que la réforme de la tarification pourrait aggraver leur situation financière déjà fragile.

Dès son arrivée, le nouveau directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation a constitué, à ma demande, un groupe de travail rassemblant tous les acteurs concernés. Je souhaite que les parlementaires soient associés à la réflexion de ce groupe qui doit être en mesure de faire la différence entre les mesures d'extrême urgence, et les réformes de fond. Ses conclusions sont attendues pour demain, et je ferai connaître les mesures et les crédits que nous déciderons avec Xavier Bertrand.

Je rappelle que la dimension hospitalière est au cœur de toutes les attentions du ministère dans son rôle de coordination, puisque j'ai récemment obtenu du ministère de la santé le déblocage de l'affectation pour l'hôpital du François.

M. Christophe Payet - Ces dernières semaines, nous avons débattu à la Réunion de la sauvegarde des mesures de défiscalisation et d'exonération des charges sociales patronales contenues dans la loi de programmation. L'ensemble des parlementaires ultramarins, dépassant leurs clivages politiques, se sont mobilisés pour défendre ce dispositif.

Par ailleurs, l'outre-mer s'inquiète de la réforme de l'OCM sucre, qui risque de déstabiliser l'économie réunionnaise. A quelques jours du Conseil européen des ministres de l'agriculture, quelles informations pouvez-vous nous donner sur ce sujet ?

M. le Ministre- S'agissant de l'OCM sucre, je vous renvoie aux éléments que j'ai donnés cet après-midi, en ajoutant simplement que l'OCM sucre, tout comme l'OCM banane, fait partie intégrante de la structure de l'économie de l'outre-mer. Le Gouvernement surveille donc tout particulièrement l'évolution des négociations et veillera à protéger au mieux les intérêts de ces deux filières. Nous travaillons main dans la main avec le ministère de l'Agriculture, et surtout avec les professionnels concernés. Les mémorandums défendus par la France sont ainsi rédigés avec ces professionnels.

Pour ce qui est de l'OCM sucre, il s'agit d'atténuer l'impact de la réforme et de rechercher les moyens de compenser les pertes de revenus à partir de 2009.

Dans le cadre du contentieux avec l'OMC sur la banane, l'Union européenne doit mettre en place au 1er janvier 2006 un régime tarifaire d'importation unique. Les deux propositions de la Commission ont été rejetées par les arbitres de l'OMC. La France reste vigilante sur le niveau de protection des marchés communautaires, tout en rappelant l'urgence de mettre en œuvre la réforme de l'aide compensatoire en faveur des producteurs communautaires sur la base du mémorandum remis à la Commission le 20 septembre dernier.

M. Jean-Claude Lefort - Le problème de l'immigration à Mayotte pose des questions lourdes de sens et appelle des réponses. Le 17 septembre dernier, Monsieur le ministre, vous évoquiez une remise en cause du droit du sol à Mayotte, pour la plus grande joie des moins fréquentables de nos hommes politiques.

A des situations très différentes les unes des autres - demandeurs d'asile, travailleurs irréguliers,... - vous répondez par la réforme de l'accès à la nationalité. La question de l'immigration irrégulière saurait pourtant être résolue par la remise en cause des règles d'acquisition de la nationalité française, de l'exercice du droit d'asile ou du regroupement familial. Personne ne nie les problèmes rencontrés par Mayotte mais y répondre ainsi ne peut que créer une vive et légitime émotion.

Reste surtout à condamner les passeurs et autres employeurs mahorais...

M. Mansour Kamardine - Les passeurs ne sont pas mahorais !

M. Jean-Claude Lefort - ...qui violent les lois. Comment croire que notre appareil juridique n'est pas efficace sur ce territoire qui est de la taille de l'île d'Oléron ? Déroger aux lois de la France sur un sujet d'une si haute importance, voilà un paradoxe qui n'est pas mince pour quiconque considère que la « République est une et indivisible » !

L'on ne peut dresser un mur entre Comoriens et Mahorais, qui entretiennent de nombreuses relations du fait de l'histoire particulière de la zone, sauf à flirter avec un nationalisme malsain !

Par ailleurs, le problème de l'immigration clandestine à Mayotte est lié à la situation exsangue de la République islamique des Comores, due à la gestion désastreuse du président Ansoumani Azali. Or, à quelques semaines des élections présidentielles, M. Sarkozy expulse des milliers de personnes de Mayotte vers Anjouan, ville d'origine du candidat le plus sérieux à la présidence des Comores. Veut-on que se développe un climat anti-français dans cette région? Tout cela est dangereux de même que la menace du Président Azali de ne pas organiser les élections présidentielles à Anjouan au mépris de la Constitution. Si cela devait se préciser, cela déstabiliserait encore un peu plus la région.

Monsieur le ministre, la remise en cause du droit du sol est aujourd'hui de l'ordre de l'hypothèse et vous attendez le résultat des travaux de la mission parlementaire pour trancher. En tant que républicain, je souhaite que nous apportions à ce problème une réponse claire et rigoureuse, en même temps qu'humaine. D'autant que notre Constitution, en son article 73, exclut expressément pour les territoires ultramarins toute dérogation en matière de nationalité, de libertés publiques, de justice et d'ordre public.

M. le Ministre - Les questions d'accès à la nationalité française relèvent, non de l'article 73, mais de l'article 74 de la Constitution.

J'ai voulu lancer ce débat sur l'immigration irrégulière dans un esprit de responsabilité. En tant que ministre de l'outre-mer, je me dois de relayer les inquiétudes des parlementaires ultramarins qui vont augmentant à mesure que la situation se durcit.

Affirmer qu'il est inconstitutionnel d'adapter notre droit outre-mer est faux puisque c'est la raison pour laquelle nous avons modifié la Constitution en 2003. M. Kamardine, ancien bâtonnier du barreau de Mayotte, avocat et juriste de formation, vous le confirmera. Nier cela, c'est oublier les avancées de ces dernières années, dont la loi programme pour l'outre-mer qui permet des dérogations au droit commun en matière de fiscalité et de continuité territoriale.

M. Victorin Lurel - Ce n'est pas sur le même plan !

M. le Ministre - La jurisprudence du Conseil constitutionnel a d'ailleurs été constante depuis 1993 sur ce point.

Ajoutons que Mme Guigou avait déjà par ordonnance restreint les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte.

M. Victorin Lurel - Ce n'était pas Mme Guigou mais M. Méhaignerie !

M. le Ministre - De même, la polygamie, à laquelle il a été fait allusion récemment, n'est interdite à Mayotte que depuis... le 1er janvier de cette année. Bref, déroger au droit commun outre-mer est possible. Je lance le débat sans trancher la question.

La mission parlementaire sous l'autorité de la commission des lois doit pleinement prendre la mesure de la réalité. Selon les chiffres, sujets à caution, il y aurait 60 000 clandestins sur 160 000 habitants. Chiffre moins contestable : les 8 000 naissances de la célèbre maternité de Mamoudzou, la plus active de France. Cette question doit d'abord être envisagée avec un regard humain. Je suis pleinement conscient que des mesures répressives ne suffiront pas et qu'il nous faudra également renforcer notre aide au développement. Dans cette région, Mayotte représente un eldorado mais l'île ne peut plus accueillir de clandestins. Si nous n'agissons pas, la cohésion sociale, et partant, l'attachement à la France seront durablement menacés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Mansour Kamardine - Je veux d'abord, au nom de la représentation nationale, adresser des vœux de prompt rétablissement à M. Mariette, actuellement souffrant.

Mme Christiane Taubira - Je pense également à lui, mais cette intervention est-elle nécessaire ?

M. Mansour Kamardine - Monsieur Lefort, je vous remercie de votre intérêt pour la question de l'immigration clandestine à Mayotte. Comme l'a dit le ministre, si rien n'est fait, ce sont les fondements mêmes de la société mahoraise qui seront ébranlés. Mon cœur, comme le votre, bat à gauche et il est gros comme une patate mais nous ne pouvons accueillir les autres que lorsqu'il est possible de le faire. Si vous accueilliez chez vous autant de clandestins que nous, comment réagiriez-vous ? L'immigration clandestine a un coût que les contribuables français supportent souvent en rechignant. La densité à Mayotte, l'une des plus élevées de France, est de 450 habitants au kilomètre carré ! Aujourd'hui, Mamoudzou compte plus de clandestins que de Français ! Aucun parlementaire ne peut accepter cette situation. Les chiffres qui ont été cités proviennent de l'INSEE, ils sont donc dignes de foi. Par ailleurs, émettre des jugements dans cet hémicycle sur la politique de M. Azali, qu'ils soient favorables ou défavorables, est malvenu.

Monsieur le ministre, deux questions.

Premièrement, l'emploi. A Mayotte, 40 % de la population sont au chômage et 60 % ont moins de 20 ans. Il faut créer les conditions de l'emploi. En métropole, quand le taux de chômage franchit la barre symbolique des 10 %, les Français trouvent cela insupportable et choisissent de changer de majorité. A Mayotte, le taux de chômage est quatre fois supérieur ! Mayotte a toujours refusé l'assistanat, raison pour laquelle nous n'avons pas bénéficié du RMI pendant longtemps. L'Etat est-il prêt à aider Mayotte à retrouver le chemin de l'emploi et de la dignité par le travail ? 

Deuxièmement, le régime des bourses applicable à Mayotte. Si nous voulons assurer l'égalité des chances - rappelons le fort taux de chômage, le SMIC à 647 euros, niveau de sécurité sociale moindre -, peut-être conviendrait-il de modifier le régime des bourses, inchangé depuis 1987.

Pouvez-vous dire à la jeunesse mahoraise qui nous regarde ce soir si le Gouvernement est disposé à accepter mon amendement en vue de lui ouvrir progressivement le bénéfice des bourses ?

M. le Président - Le groupe UMP ayant fait savoir en début de séance qu'il souhaitait inscrire un orateur supplémentaire pour poser deux questions, notre Règlement est parfaitement respecté et les temps de paroles des différents groupes sont soigneusement comptabilisés. Le groupe socialiste a consommé l'intégralité de son temps de parole. Les choses sont donc très claires. (M. Victorin Lurel et Mme Huguette Bello protestent)

M. Victorin Lurel - Nous ferons tout à l'heure un rappel au Règlement !

M. le Président - Libre à vous. Pour ma part, j'applique le Règlement. M. le ministre va répondre à M. Kamardine.

M. le Ministre - Dans le cadre de l'application de la loi programme pour l'outre-mer, je suis favorable à l'introduction à Mayotte d'un régime d'exonération des charges sociales analogue à celui des DOM et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il faudra cependant prendre le temps d'évaluer l'impact d'une telle réforme sur l'organisation de la protection sociale à Mayotte. Il me semble donc prématuré de légiférer en ce sens par la voie d'un amendement parlementaire. Sur le principe, je suis prêt à m'engager dans cette voie.

S'agissant des bourses, je vais me rapprocher de M. de Robien pour envisager le moyen le mieux adapté de mettre en place une extension à Mayotte dans un délai raisonnable. Nous devons travailler de manière rigoureuse et je serais heureux que vous y participiez. Il conviendra notamment de définir l'enveloppe budgétaire permettant de répondre à votre souhait. Ici encore, cela requiert qu'on se donne un peu de temps.

Mme Christiane Taubira - Je vais m'exprimer dans le temps qui m'est imparti, même si je constate une certaine élasticité dans la tolérance sur les temps de parole.

M. le Président - Madame la députée, s'agissant des dépassements de temps de parole, vous êtes en deuxième position !

Mme Christiane Taubira - Alors, il y a beaucoup d'ex-æquo pour la première place ! Monsieur le ministre, votre intervention de tout à l'heure m'a un peu surprise car j'avais noté que vous étiez jusqu'à présent parvenu à éviter la mesquinerie partisane qui conduit à porter un jugement de valeur sur l'intervention d'un parlementaire (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Lorsque je parle de la nécessité de construire des logements sociaux, lorsque je dénonce les modalités d'attribution peu scrupuleuses desdits logements, lorsque j'exhorte la France à se soumettre aux exigences environnementales de la convention de Carthagène dans le cadre de ses opérations d'exploration pétrolière, lorsque je parle de la coqueluche, de la tuberculose, de la maladie de Chagas, du paludisme... et que le ministre n'entend que la « musique des mots », cela augure plutôt mal de l'efficacité de son action ! Lorsque je dis qu'en matière d'immigration clandestine, il faut sortir de la stricte logique de la répression et inscrire cette question dans le cadre des relations internationales, en vue de conclure des accords de coopération avec le Brésil, le Surinam, Haïti ou le Guyana, j'aborde des problèmes de fond. Vous avez entendu Glissant et il est vrai que j'en ai cité une demi-phrase. Mais soyez sûr que d'autres m'auront comprise lorsque je parle des enfants déscolarisés ou de la centaine d'adolescents laissés en milieu périlleux par défaut d'exécution des jugements de placement. Libre à vous de n'entendre que de la musique dans tout cela. Et puis, sans doute parce que nous ne sommes pas branchés sur la même fréquence, vous entendez des citations de Césaire ou de Damas que je n'ai pas faites, pas aujourd'hui en tout cas. Il est certain que je ne manie pas la brosse à reluire. Je ne l'ai jamais fait ; c'est une question de tempérament et de sens de la dignité. Il ne faut pas non plus compter sur moi pour geindre. Je sais bien que cela gêne et que l'on me trouve hors normes, mais j'entends le demeurer.

Je vous pose une question sur la maladie de Chagas, affection parasitaire endémique en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Elle touche environ 20 millions de personnes, et, depuis 1939, l'Institut Pasteur a identifié l'agent infectieux. L'incubation peut durer une vingtaine d'années mais il existe aussi une forme aiguë, qui provoque des myocardites ou des méningo-encéphalites. Dans le cadre des collectes de sang, le Brésil, la Bolivie, l'Argentine et le Chili organisent un dépistage systématique. Tel n'est malheureusement pas le cas de la Guyane - laquelle se trouve pourtant encore pour quelque temps en Amérique du Sud, la dérive des continents étant à peu près terminée... J'ai saisi par écrit le ministre de la santé à trois reprises : pas de réponse. J'ai donc saisi le président de l'établissement français de la santé, avec qui j'ai eu une séance de travail il y a quinze jours. J'appelle votre attention, Monsieur le ministre, sur la nécessité d'utiliser des tests. Depuis quelques semaines, il est fait usage de tests - non systématiques -, bien que l'infection post-transfusionnelle ait touché cinq pour mille des donneurs de sang, que l'IRD - organisme de recherche français - ait été primé en Bolivie en juin 2002 pour la mise en place d'un kit de sérodiagnostic - non utilisé en Guyane ! - et que l'UE autorise l'usage de tests non homologués, à condition que leur fiabilité soit établie, ce qui est le cas des tests boliviens mis au point en partenariat avec la France.

Envisage-t-on un test de dépistage systématique pour la maladie de Chagas, compte tenu du fait que les porteurs de la maladie peuvent la transmettre sur d'autres continents ? Est-il prévu de constituer une sérothèque, indispensable pour garantir la traçabilité des dons et le suivi des donneurs ?

M. le Ministre - Je pourrais revenir sur les notes complémentaires que vous avez apportées à votre première partition mais cela risquerait de nous entraîner dans un opéra un peu trop copieux pour cette fin d'après-midi... Il n'y a de ma part aucune attaque personnelle. Nous sommes tous deux des responsables politiques suffisamment expérimentés pour avoir des échanges directs, dans un esprit de respect mutuel dont je ne me départis jamais à votre égard, même si nous ne partageons pas les mêmes options politiques.

La maladie de Chagas pose un grave problème de santé publique, en particulier en Amérique latine. Elle entraîne des troubles cardiaques et digestifs irréversibles. Comme vous l'avez dit, la Guyane est malheureusement une zone d'endémie chagassienne, même si le nombre de cas identifiés à ce jour y demeure faible. Il s'agit d'une pathologie dont le dépistage est extrêmement difficile, notamment parce que sa séroprévalence reste mal connue. Dans ce contexte, trois mesures ont été prises : d'abord, un arrêté du préfet de Guyane a interrompu jusqu'à nouvel ordre tout prélèvement sanguin dans la région, afin d'éviter toute contamination ; ensuite, trois tests de diagnostic ont d'ores et déjà été retenus et sont en cours d'évaluation ; enfin, la pharmacie du centre hospitalier de Cayenne a été autorisée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à détenir et à dispenser le seul médicament efficace connu à l'heure actuelle. Il nous revient d'engager, sur cet important dossier, une mobilisation collective.

M. Eric Jalton - Les élèves-directeurs d'hôpital originaires d'outre-mer rencontrent, à l'issue de leur formation, des difficultés d'affectation dans leur région d'origine. En effet, la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère s'oppose farouchement à ce qu'ils se portent candidats aux postes de direction des établissements des DOM-TOM. Il leur aurait été expliqué que cette décision tient au fait que le ministère de l'outre-mer ne peut donner son avis sur des ouvertures de postes dans ces départements avant le 16 décembre 2005, date de la décision définitive d'affectation. Cette situation est d'autant plus préoccupante que ces jeunes cadres de direction sont autorisés à démarcher les établissements où certains postes restent vacants depuis longtemps ou sont jugés particulièrement difficiles. Faut-il admettre que les hôpitaux de Guadeloupe, Martinique, Guyane ou des TOM aient à souffrir d'une exclusion qui les pénalise dans leur faculté de recruter des élèves-directeurs ? Faut-il considérer que les situations personnelles et familiales des intéressés ne doivent pas être prises en compte ? Est-il normal que les ressortissants de l'outre-mer soient contraints d'effectuer leur mobilité dès leur première affectation ? Je vous saurais gré de nous éclairer sur les bases légales des conditions d'accès aux postes de directeur d'hôpital en outre-mer et sur les raisons qui peuvent inciter votre ministère à priver nos hôpitaux de la possibilité de recruter des élèves-directeurs originaires d'outre-mer, sur des postes pourtant vacants. Les ultramarins n'ont-ils pas le droit de travailler dans leur région d'origine ?

M. le Ministre - Je comprends votre légitime préoccupation de voir revenir dans leur région d'origine des jeunes cadres de direction issus de l'ENSP de Rennes. Pour autant, il est difficile d'envisager un « fléchage » outre-mer dès la sortie de l'école. En effet, une primo-affectation dictée par la seule origine géographique constituerait une entorse au principe d'égalité républicaine affirmé dans les concours nationaux, où la règle du mérite individuel est prépondérante. J'observe en outre que dans la suite du déroulement de leur carrière, il est tout à fait possible - et je m'en réjouis - que des cadres de direction hospitaliers d'origine ultramarine viennent servir dans leur collectivité. Je suis bien conscient que ma réponse ne peut vous satisfaire totalement mais c'est celle que je me dois de vous faire au nom du ministère de l'outre-mer.

M. Christophe Payet - J'ai déjà eu l'occasion d'appeler l'attention du Gouvernement sur la situation des personnes âgées ou handicapées écartées de la CMU complémentaire parce que leur revenu est légèrement supérieur au plafond, du fait notamment de la prise en compte de leurs allocations ou de leur forfait logement. Leurs ressources leur permettant tout juste de subvenir à leurs besoins, ces retraités et ces handicapés n'accèdent plus aux soins dans de bonnes conditions, compte tenu du prix des prestations et du coût des mutuelles.

Nous avons déjà proposé que ne soient plus pris en compte l'allocation - pour les locataires - ou le forfait - pour les propriétaires - de logement dans le calcul des ressources déterminant l'accès à la CMU-C. Quelles suites entendez-vous réserver à cette demande ?

M. le Ministre - En relevant très sensiblement le plafond d'éligibilité à la CMU complémentaire, Le Gouvernement a accompli un effort de solidarité nationale considérable à l'égard de nos compatriotes d'outre-mer. Vous comprendrez que la situation actuelle des finances publiques nous interdise d'amplifier cet effort dans l'immédiat. Pour les personnes qui dépassent le plafond d'éligibilité à la CMU, il existe d'autre part une aide à l'acquisition d'une complémentaire santé.

Mme Christiane Taubira - Je suis désolée de poursuivre ma partition. Mais sachez, Monsieur le ministre, que je n'ai aucune vocation ni surtout aucune culture musicale pour chanter l'opéra. Pour moi, ce serait plutôt le tambour coupé foulé roulé et le kasé kô...

J'en viens à ma question. Les agents des trois fonctions publiques originaires d'outre-mer et travaillant en métropole ont, aux termes d'un décret de 1978, précisé par une circulaire de 1980 et quelques jurisprudences, droit à une indemnité d'éloignement que l'Etat a très longtemps refusé de leur payer. Saisi, le Conseil d'Etat leur a donné raison par son arrêt Petit de 2002. Dans une circulaire de 2003, le ministre de la santé a, hélas, invoqué le principe de la prescription quadriennale pour exonérer l'Etat de ses obligations. Mais la même loi qui a institué cette prescription dispose également que le Premier ministre peut la lever. Pourrait ainsi être mis un terme à un feuilleton judiciaire qui contraint des agents à revenus souvent modestes de recourir à un avocat pour obtenir leur dû. Il y a là une rupture d'égalité intolérable car, à l'inverse, l'indemnité d'éloignement, instituée par un décret de 1953 pour les fonctionnaires métropolitains servant outre-mer, leur a toujours été versée. Que l'Etat ne se retranche pas derrière la prescription quadriennale pour s'affranchir ses obligations, que la justice lui a rappelées !

Ma deuxième question concerne les congés bonifiés. Depuis deux ans, on débat de la pertinence du dispositif et des rumeurs courent quant à sa possible suppression, au prétexte que cet avantage pénaliserait l'emploi. Que compte faire le Gouvernement ?

M. le Ministre - En homme bien élevé, je vous laisserai le dernier mot sur notre enchantement musical...

La question, complexe, des indemnités d'éloignement ne dépend pas directement du ministère de l'outre-mer. C'est un dossier interministériel, sur lequel je ne peux vous en dire davantage aujourd'hui mais nous vous tiendrons informée de son évolution, car il s'agit bien d'un serpent de mer.

Sur la question des congés bonifiés, divers groupes de travail ont été mis en place, qui ne dépendent pas non plus directement de mon ministère. Et sans doute devriez-vous interroger mon collègue chargé de la fonction publique. Il n'y a, en tout cas au ministère de l'outre-mer, aucun projet de modification ni de suppression du dispositif, même si celui-ci, comme quelques autres, fait couler beaucoup d'encre... notamment dans d'éminentes commissions parlementaires.

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions.

M. le Ministre - Avant que nous n'examinions les crédits, je souhaite revenir sur la réponse que j'ai faite tout à l'heure à M. Grignon concernant l'octroi d'une subvention exceptionnelle. L'équilibre sera de l'ordre de 600 000 euros. Je m'y engage.

Outre-mer

ÉTAT B

M. le Ministre - La suppression de l'article 73 portant réforme des exonérations de charges sociales spécifiques à l'outre-mer, exige d'abonder de 95 millions d'euros les crédits de la mission. Tel est l'objet de l'amendement 653. La loi de programmation sera donc parfaitement respectée.

M. Daniel Garrigue, suppléant M. Alain Rodet, rapporteur spécial de la commission des finances - La commission n'a pas examiné cet amendement. Mais nul doute qu'elle y donnerait un avis favorable puisqu'il est la conséquence de l'amendement de suppression qu'elle a adopté à l'article 73. Il anticipe en fait le vote à intervenir sur l'article 73.

M. Victorin Lurel - Etrange façon de légiférer que de nous demander de voter cet amendement, en considérant que la suppression de l'article 73, duquel nous n'avons pas débattu, est acquise. Le Gouvernement contrôle certes parfaitement sa majorité et est assuré de ses votes. Mais tout de même, nous sommes dans un Etat de droit !

Je reviens un instant sur les propos du ministre concernant l'immigration. Nous avons convoqué en Guadeloupe un congrès des élus départementaux et régionaux sur le sujet. Ce faisant, nous nous sommes fait très mal voir à la fois des racistes et des défenseurs des droits de l'homme - dont je partage souvent le point de vue. Mais en l'espèce, le principe de réalité doit prévaloir et il ne faut pas hésiter à regarder les choses en face. Vous avez limité, Monsieur le ministre, le champ de votre réflexion et la mission d'information parlementaire ne traitera que de l'immigration à Mayotte. En tant que président du conseil régional de la Guadeloupe, j'ai demandé depuis plusieurs mois, avec mon homologue président du conseil général, des mesures spécifiques pour notre territoire. Si j'ai bien compris, M. Sarkozy nous honorera d'une visite où il nous expliquera qu'on va augmenter le nombre de places du centre de rétention administrative. Nous l'avions demandé ; nous avons même proposé d'en ouvrir un nouveau et suggéré de travailler au projet en partenariat avec l'Etat. Nous avons également demandé une politique de co-développement dans la zone de solidarité ; un plan régional et départemental d'intégration des populations immigrées, ce qui relève de la compétence de l'Etat ; une augmentation du nombre d'officiers de police judiciaire et des moyens de surveillance. Il n'y a aux Antilles que deux vedettes poussives, l'une à Saint-Barthélémy, l'autre à la Martinique... alors que ce sont nos côtes qui sont prises d'assaut. Mais sur tous ces points, silence radio ! Comme Sœur Anne, nous attendons et ne voyons rien venir.

M. le Rapporteur spécial suppléant - Monsieur Lurel, nous allons en effet voter un amendement qui anticipe la suppression de l'article 73. Si d'aventure, l'Assemblée ne suivait pas sa commission des finances et ne supprimait pas cet article, les crédits en question ici deviendraient sans objet. La loi de finances est un tout, et cette « gymnastique » est habituelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre - La grande différence entre vous et moi, Monsieur Lurel, est que, moi, je ne prétends pas détenir la vérité. Ma seule certitude est qu'un débat est nécessaire. Vous l'aviez vous-même demandé, prenant même sur le sujet des positions courageuses par rapport à celles de votre formation politique. Que pouvions-nous faire de mieux que solliciter une mission d'information parlementaire et laisser les parlementaires faire eux-mêmes des propositions ? Rien ne pouvait être plus transparent, plus responsable ni respectueux de la démocratie. S'agissant de certaines évolutions préoccupantes à la Guadeloupe, je me suis entretenu avec mon collègue de l'intérieur des moyens envisageables d'y faire face. C'est dans cet esprit que M. Sarkozy se rendra en Guadeloupe pour, à vos côtés, rassurer la population.

M. Mansour Kamardine - J'aimerais bien, moi, que le ministre d'Etat se déplace à Mayotte...

Je suis étonné de certains propos entendus tout à l'heure. Il n'est vraiment pas opportun, au moment où le Gouvernement s'engage, après notre forte mobilisation, à respecter les engagements pris dans la loi de programmation, de venir encore lui adresser des critiques. Pour ma part, je tiens à lui exprimer ma gratitude pour la qualité d'écoute dont il a fait preuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Jalton - Je comprends que le ministre, n'ayant pris ses fonctions qu'il y a quelques mois, ne connaisse pas bien les problèmes posés par l'immigration clandestine en Guadeloupe et son humilité lui fait honneur. Mais, nous, élus locaux, qui y sommes confrontés depuis longtemps, les connaissons parfaitement.

Etendre à la Guadeloupe la mission d'information prévue pour Mayotte aurait permis d'éclairer la représentation nationale.

S'agissant des directeurs d'hôpitaux, Monsieur le ministre, j'entends ce que vous dites sur le plan général mais on ne peut pas tantôt parler de spécificité, tantôt invoquer l'égalité de traitement. Ce n'est pas ainsi que nous allons régler le problème de la fuite de nos cerveaux vers la métropole ; la Guadeloupe a besoin de tous ses enfants, notamment de ses élites intellectuelles et professionnelles, qui doivent pouvoir occuper sur place des postes de responsabilité.

L'amendement 653, mis aux voix, est adopté.

M. Victorin Lurel - Mon amendement 499 vise à opérer un transfert de crédits de 22 millions en faveur du département et des communes de la Guadeloupe, conformément à l'engagement pris par votre prédécesseur Mme Girardin, Monsieur le ministre, et par M. Devedjian lorsqu'il était venu en Guadeloupe pour les assises des libertés locales.

La parole de l'Etat sera respectée, nous avez-vous dit. Or du fait de la mise en application de la CMU, l'Etat s'était engagé à rebaser la DGF, mais nous avons eu la surprise de constater qu'il ne l'a pas fait pour les années 2000, 2001 et 2002. De ce fait, il manque 22 millions.

Plus généralement, la situation des collectivités en Guadeloupe est grave. On peut bien sûr mettre en cause le comportement de tel ou tel exécutif local, il faut savoir balayer devant sa porte ; je rappelle néanmoins que l'Etat n'hésite pas, dans la réforme du FRDE, à demander une rétroactivité sur onze années qui pourrait conduire à prendre 49 millions dans les caisses du conseil régional - alors que j'ai hérité de mon prédécesseur d'un déficit cumulé de 104 millions -, et par ailleurs à plafonner la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, ce qui d'après La Tribune conduira la région Guadeloupe à reverser à l'Etat 1,670 million. Pour faire face au déficit issu de la précédente gestion, nous augmentons les impôts, mais je demande aussi à l'Etat une subvention d'équilibre de 40 millions. Mon amendement 500 tend à verser 20 millions dans le cadre de cette loi de finances ; l'Etat doit comprendre qu'il faut absolument sortir la Guadeloupe de la panne, dont il est co-responsable car il a laissé faire.

Il s'agit donc par ces deux amendements de soulager les finances du département et des communes ainsi que celles de la région, la majorité que j'ai l'honneur de conduire n'étant pas responsable de leur situation désastreuse.

M. le Rapporteur spécial suppléant - La commission n'a pas examiné ces amendements. A titre personnel, avis défavorable.

M. le Ministre - Avis défavorable également. La région Guadeloupe, c'est vrai, est dans une situation financière difficile, mais elle possède des marges de manœuvre pour résorber son déficit.

Les amendements 499 et 500, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Les crédits de la mission outre-mer, mis aux voix, sont adoptés.

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ETAT

M. le Président - Nous en venons à l'examen des crédits relatifs à l'action extérieure de l'Etat.

M. Jérôme Chartier, rapporteur spécial de la commission des finances - Je voudrais d'abord assurer l'ensemble des remarquables fonctionnaires du Quai d'Orsay du total soutien du rapporteur spécial que je suis, à la suite de la publication dans Le Figaro de l'acte de contrition d'un diplomate, qui ne doit en aucun cas rejaillir sur eux.

Les crédits de la mission « action extérieure de l'Etat » s'élèvent à 2,359 milliards en crédits de paiement et 2,401 milliards en autorisations d'engagement. A structure constante, ils diminuent de 2,13 %, ce qui montre l'ampleur des efforts d'économies.

La réduction des effectifs se poursuit : la suppression de 76 emplois se traduit par une économie de 4,56 millions. La création de 10 emplois d'experts auprès des institutions de l'Union européenne est prévue. L'amélioration des perspectives de carrière des agents, limitée à la fusion des corps de catégorie C, devrait entraîner une dépense supplémentaire de 0,94 million. A structure constante, les dépenses de personnel devraient donc diminuer de 1,82 %.

Les économies réalisées par le ministère et l'ensemble du réseau sur les dépenses de fonctionnement courant permettent notamment de dégager les moyens nécessaires à la modernisation du dispositif informatique, qui devrait ainsi bénéficier de 4,18 millions supplémentaires.

La réduction brutale des crédits de paiement destinés aux dépenses d'investissement immobilier, de plus de 50 %, s'inscrit dans la volonté du ministère de moderniser la gestion de son patrimoine : 12,46 millions sont inscrits en crédits de paiement et 31,91 millions en autorisations d'engagement. Ces crédits devraient être complétés, d'une part, par le rattachement de fonds de concours et, d'autre part, par les produits de cession immobilière à l'étranger. La volonté de dynamiser la politique immobilière du ministère se traduit également dans la participation à l'expérimentation relative aux loyers budgétaires, à hauteur de 11,58 millions, ainsi que dans le développement des partenariats public-privé.

Les contributions aux organisations internationales autres qu'européennes seront reconduites à hauteur de 486 millions, de même que les crédits destinés à la coopération militaire et de défense, pour 112,5 millions, les subventions à l'audiovisuel extérieur pour 141 millions et les crédits en faveur de la sécurité et de l'accompagnement social des Français à l'étranger pour 22,4 millions.

En revanche, les crédits prévus pour les échanges scientifiques, techniques et universitaires et la promotion de la langue et de la culture française devraient diminuer respectivement de 8 % et de 4,6 %. La subvention de l'AEFE subira une troisième baisse consécutive pour s'établir à 323 millions et les subventions d'assistance aux réfugiés diminueront de 18 %.

La dotation en faveur de l'OFPRA, après avoir doublé entre 2002 et 2005, augmente à nouveau de 5,72 % et la dotation de l'assemblée des Français à l'étranger passe de 1,63 million à 1,82 million.

Un mot sur le redéploiement du réseau. La France possède l'un des réseaux les plus denses au monde, le deuxième après les Etats-Unis, avec 156 ambassades, 98 consulats, 4 antennes consulaires, 4 chancelleries détachées et 507 agences consulaires. S'ajoutent à ce réseau trois bureaux de liaison dans les pays de l'ancienne Yougoslavie et deux antennes diplomatiques en Sierra Leone et au Malawi, en association respectivement avec les Britanniques et les Allemands. D'autres projets communs sont à l'étude. Enfin, 17 représentations et 4 délégations permanentes assurent la représentation de la France auprès des organisations internationales multilatérales.

Des processus de regroupement sont en cours entre les postes à l'étranger de différents ministères.

Au cours des dix dernières années, la France a renforcé sa présence dans les Etats issus de l'ancienne Union soviétique et de l'ancienne Yougoslavie. Si la présence de nos partenaires occidentaux en Eurasie et en Extrême-Orient est nettement plus développée, le réseau français continue à se distinguer par sa densité au Maghreb et dans les pays d'Afrique francophone. Enfin, si un effort a été réalisé ces dernières années pour réduire le nombre de consulats, notamment en Europe, il convient toutefois d'accélérer la démarche et de réduire le format des consulats d'influence, aussi bien en termes de moyens humains que de moyens matériels.

La LOLF renouvelle la mission du rapporteur spécial en réaffirmant ses pouvoirs en matière de contrôle sur pièces, et sur place, des résultats obtenus par les administrations. Aussi me suis-je rendu au Canada du 4 au 7 octobre afin d'étudier dans quelle mesure les équipes s'étaient approprié la démarche de performance prônée par la LOLF. J'ai souhaité, en examinant en détail les budgets des services de l'ambassade de France à Ottawa, du consulat général à Montréal et du consulat général à Québec, mettre en évidence les économies réalisables.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail mené par l'ambassadeur, M. Daniel Jouanneau, qui a mené une réflexion approfondie sur les missions et les objectifs de notre représentation au Canada. J'ai pu constater que l'appropriation de la démarche de performance, globalement satisfaisante, demeure inégale selon les services. Une pratique vertueuse consiste à réexaminer chaque année en détail les crédits et à justifier systématiquement leur utilisation, ce qui se traduit par la reconduction de la moitié seulement des engagements. Il est donc impératif que cette démarche, tout à fait dans l'esprit de la LOLF, soit adoptée par l'ensemble des gestionnaires.

J'estime également qu'il convient de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d'amélioration de la qualité du service rendu à l'usager et son efficacité. Ainsi, il n'est pas justifié que la qualité du service rendu aux Français résidant à l'étranger soit meilleure que celle assurée en France, comme la délivrance d'un passeport qui demande une à deux semaines au consulat général de Montréal, et au minimum trois semaines en France. Ce contrôle effectué sans esprit de censure s'avère utile et révèle que des habitudes se créent qui alourdissent à terme le coût du service rendu. Mais encore faut-il que les parlementaires puissent y consacrer du temps.

J'ai également poursuivi le travail engagé l'année dernière sur le patrimoine immobilier de l'Etat à l'étranger, constatant que le ministère des affaires étrangères connaît mal son patrimoine et n'a pas de stratégie quant à son évolution et à son entretien. Les réformes qu'il a engagées devraient néanmoins lui permettre d'assurer une gestion plus efficace de son patrimoine et la brutale réduction des crédits destinés aux dépenses de construction et d'entretien constituera une contrainte forte.

A titre d'exemple, je considère qu'il est peu opportun que les locaux qui accueillent à Paris le Haut conseil de coopération internationale, abritent en réalité sur un tiers de leur surface des archives et sur un autre tiers des bureaux vides. La valeur de cession de cet hôtel particulier est située entre 5,5 et 6,5 millions.

Alors que les ventes réalisées en 2004 ont représenté seulement 10,7 millions, le ministère prévoit de mener à bien des opérations de cession pour 21,8 millions d'euros. Mais ce montant, déjà inférieur à l'objectif triennal de ventes fixé à 90 millions, ne sera sans doute atteint que pour moitié. Une vraie réflexion stratégique s'impose pour dynamiser la politique immobilière.

Je ne peux conclure sans souligner l'important travail mené par le ministère pour moderniser sa gestion. Cette réforme se traduit par une réduction des effectifs...

M. Jacques Myard - Inadmissible !

M. Jérôme Chartier - ...la mise en place d'un système informatique performant et la dynamisation de sa politique immobilière.

Trois projets de modification de l'organisation du ministère sont à l'étude. Le premier prévoit de restructurer la direction générale de l'administration en supprimant quatre sous-directions et quarante-deux bureaux. La réforme de la direction de la coopération internationale et du développement devrait permettre de créer une direction des politiques de développement et un service commun des moyens et du réseau. Enfin, il est prévu de moderniser la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France en créant trois pôles, un service commun des affaires civiles et judiciaires, une mission de gestion financière et administrative, tout en prenant en compte la dimension européenne de l'action consulaire. Je salue ce travail accompli avec détermination.

Enfin, votre commission des finances a décidé d'adopter les crédits de la mission « action extérieure de l'Etat ».

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - Même si ce budget, dans son format LOLF, correspond à l'esquisse que nous en avions faite l'année dernière, je regrette que cette mission ne soit pas interministérielle, la cohérence en eût été plus grande. Nous souhaitons donc que soit relancé le comité interministériel des moyens extérieurs de l'Etat qui permettra, par un autre biais, d'obtenir des résultats en matière de complémentarité.

Nous vous félicitons, Monsieur le ministre, des efforts de modernisation déployés, qui se traduisent notamment par une réduction des coûts de structure, grâce à des investissements dans des systèmes d'information et de communication performants, à la poursuite de la rationalisation du réseau et à une gestion plus dynamique de l'immobilier. Le ministère est en marche !

Ces efforts permettront de préserver la capacité opérationnelle de notre réseau. Pour autant, le ministère n'est pas récompensé pour la vertu dont il fait preuve : la baisse des effectifs se poursuit et l'exemple des facturations de frais de visa est, à cet égard, à méditer. D'ailleurs, conformément à la demande du Président de la République, vous négociez un contrat pluriannuel avec le ministère des finances qui vous confèrera une prévisibilité et vous permettra - je l'espère - de réutiliser, au sein de notre réseau, les moyens économisés, et donc de mettre fin à la baisse des effectifs. Face aux nombreux défis qui se présentent sur la scène internationale, notre réseau est un atout et il ne serait pas raisonnable que ses moyens continuent de diminuer encore longtemps.

La plupart des dotations budgétaires sont reconduites en 2006 au niveau de 2005, les réductions de crédits étant concentrées sur les dépenses de fonctionnement des services. Ces dotations permettront de faire face à nos missions, mais trois d'entre elles doivent être impérativement abondées.

Tout d'abord, celle des opérations de maintien de la paix : les crédits de 2005, qui s'élevaient à 136 millions, ont été reconduits en 2006. Nous avions signalé dans le rapport un manque d'environ cent millions et nous constatons en effet aujourd'hui qu'il s'élève à 92 millions. Un nouvel abondement sera donc nécessaire dans le cadre de la LFR. En 2006, les OMP nécessiteront des moyens encore plus importants puisque une opération est prévue au Soudan et que nous devons également nous attendre au renforcement des OMP au Congo. La part française s'élèvera environ à 300 millions. Le contrat avec Bercy devra tendre au rebasage de ces crédits car on ne peut continuer de la sorte, avec une loi de finance initiale qui ne tient pas compte de l'ensemble des dépenses à peu près certaines de l'année en cours.

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - Nous devrons ensuite résorber la dette de la coopération militaire et de défense du ministère des affaires étrangères en direction du ministère de la défense, qui avoisine les dix millions. Nous devrons là encore le faire en LFR, sauf à amputer cette action au programme de 2006.

Nous devrons également faire face aux besoins induits par la mise en place des visas biométriques. La Cour des comptes avait déjà souligné le déficit de personnels des services des visas, lequel s'aggravera d'ailleurs puisque nous aurons besoin de personnels supplémentaires afin de recevoir tous les demandeurs. Des moyens techniques et de nouvelles adaptations des locaux seront également nécessaires, ce qui représentera un investissement de 140 millions sur trois ans. Pour la première année, c'est une dépense supplémentaire de 27,7 millions qui devra être engagée. Là encore, une dotation fléchée dans le cadre de la discussion avec Bercy sera nécessaire, de même qu'il faudra exiger le retour sur les frais de visas, et d'autant plus que vous négociez en ce moment à Bruxelles une augmentation de la facturation des frais qui passeraient de 35 à 60 euros.

M. Jacques Myard - Négocier des visas à Bruxelles ? Mais où est la souveraineté de la France ? On marche sur la tête !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - J'insiste pour que cette occasion ne soit pas ratée et que l'on ne recommence pas ce qui s'est passé une première fois, où sur 79 millions de facturation de frais, seuls 2,9 millions sont retournés au service des visas en 2005. Nous avons donc besoin d'un contrat clair avec Bercy.

Il faut parfois augmenter les moyens d'une politique publique pour renforcer son efficacité, et c'est précisément ce qui s'est passé dans le cadre de la réforme du droit d'asile. Les crédits de l'OFPRA et de la CRR sont ainsi passés de 23 millions en 2002 à 49 millions en 2006. Grâce aux recrutements ainsi rendus possibles, les stocks de dossiers en attente ont été considérablement diminués. Pour l'OFPRA, l'étude des dossiers demandait 320 jours en 2002, 101 jours en 2005, l'objectif à atteindre étant de 60 jours en 2006. Pour la CRR, les délais sont aujourd'hui de 284 jours et nous avons un objectif, à terme, de 120 jours. La réduction du délai de traitement ne présente que des avantages : elle permet aux demandeurs d'asile d'être plus vite rassurés sur leur avenir et de mener plus rapidement une vie normale, elle génère des économies pour les finances publiques puisque la prise en charge des demandeurs est moins longue, elle facilite la reconduite à la frontière des déboutés et elle limite l'intérêt des demandes infondées, donc leur nombre.

Il ne faut pas s'émouvoir outre mesure de la baisse de deux millions de la subvention de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger puisque la subvention s'élève à 323 millions. L'AEFE a en outre dégagé des excédents de sept millions en 2005 et son fonds de roulement avoisine 40 millions. Je suis donc confiant pour 2006. Nous proposerons un amendement afin que l'AEFE passe du programme « français à l'étranger et étrangers en France » au programme « rayonnement culturel et scientifique » car nous voulons que l'enseignement du français à l'étranger se développe, y compris en direction d'une population solvable.

Enfin, nos débats en commission en ont témoigné : il est impératif de clarifier la situation de l'audiovisuel extérieur. En effet la LOLF a plutôt compliqué les choses avec la création de quatre missions, si l'on ajoute la mission « médias » auprès du Premier ministre : la mission « action extérieure » avec RFI, TV5 et RMC Moyen-Orient notamment, la mission « aide publique au développement » avec CFI, la mission « médias » pour la chaîne française d'information, et la mission « redevance » pour RFI, Arte France et Euronews. La mise en cohérence de ce système devrait d'ailleurs être demandée au Premier ministre plutôt qu'au ministre des affaires étrangères, mais il est naturel que cette exigence soit d'abord formulée par les membres de la commission des affaires étrangères, plus sensibles que d'autres à l'efficacité de nos moyens extérieurs en matière audiovisuelle. En réponse à la demande du président de la commission des affaires étrangères, le Premier ministre aurait donné quelques informations, dont il nous sera peut-être fait part tout à l'heure.

Notre diplomatie doit faire face à des défis divers, comme nous le voyons dans le cadre des discussions de l'OMC ou avec les risques que fait courir la prolifération des armes nucléaires en Iran. La présence française dans le monde est nécessaire et nous remportons de remarquables succès ; je pense à la charte de la diversité à l'UNESCO ou aux dernières résolutions de l'ONU sur le Moyen-Orient. Notre influence est plus que déterminante.

M. Jacques Myard - Nous avons porté les balises des Américains !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - Oui à la modernisation, mais faisons en sorte, avec Bercy, que les moyens de notre diplomatie ne diminuent pas.

M. Jacques Myard - L'Assemblée nationale n'est donc pas souveraine ? Les contrats avec Bercy, on s'en fout !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - Ce budget nous donne les moyens de l'action...

M. Jacques Myard - De l'inaction !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis - ...sous réserve des remarques que je viens de faire. La commission a bien entendu approuvé les crédits de la mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour le rayonnement culturel et scientifique - En tant que rapporteur, je suis insatisfait de voir « la diplomatie culturelle » de la France perdre toute cohérence en raison d'une répartition artificielle des crédits sur plusieurs programmes budgétaires. Avec le nouveau découpage, le réseau culturel et scientifique implanté dans les pays développés ou en transition relève du programme « rayonnement culturel et scientifique » tandis que le réseau culturel implanté dans les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement relève du programme « solidarité à l'égard des pays en voie de développement ». Il y a d'autres incohérences. Ainsi, les crédits relatifs à la francophonie relèvent, pour ce qui concerne leur aspect multilatéral, de la mission interministérielle « aide publique au développement » et représentent les deux tiers des moyens d'action de la francophonie institutionnelle. Cette traduction budgétaire signifie-t-elle donc que la promotion de la langue française doit désormais se limiter aux seuls pays en voie de développement ? Il est également regrettable que les crédits de l'AEFE relèvent désormais du programme « français à l'étranger et étrangers en France ». Il convient en effet de rappeler que pour l'année scolaire 2004-2005, ce réseau d'établissements a accueilli 160 000 élèves dont 90 000, soit 56 %, sont étrangers, ce qui prouve bien que l'AEFE a un rôle déterminant dans la diffusion de la culture française auprès des élèves étrangers.

M. Hervé de Charette - Très bien !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis - Aussi, je me félicite que la commission des affaires étrangères ait adopté l'amendement de M. Rochebloine qui transfère les crédits de l'AEFE vers le programme « rayonnement culturel et scientifique ».

Autre paradoxe : les crédits consacrés à TV5 et à RFI, même s'ils concernent des actions menées à destination des pays en voie de développement, sont regroupés dans le programme « rayonnement culturel et scientifique », car ils ne sont pas reconnus par l'OCDE comme de l'aide publique au développement. En revanche, les crédits affectés à la chaîne d'information internationale CII font partie de la mission « médias », qui est elle-même rattachée aux services du Premier ministre.

Cet éclatement des moyens consacrés à l'audiovisuel extérieur risque de créer une concurrence inutile entre opérateurs financés sur des fonds publics et visant les mêmes publics.

Pour que les moyens de notre audiovisuel extérieur atteignent une taille critique et que la politique menée soit cohérente, je soutiendrai donc l'amendement adopté par la commission des affaires étrangères et qui vise à créer au sein de la mission « action extérieure de l'Etat » un programme spécifique dévolu à l'audiovisuel extérieur.

Même si les comparaisons d'un exercice budgétaire à l'autre sont difficiles en raison des nouvelles normes de la LOLF, quelques chiffres incontestables soulignent le désengagement de l'Etat en matière de coopération culturelle. Le programme « rayonnement culturel et scientifique » ne représente ainsi que 14 % des crédits de la mission, dont il est de fait le parent pauvre. Les crédits destinés à la promotion de la langue et de culture française baissent de 4,6 % par rapport à l'année dernière, les établissements culturels voient leurs crédits d'intervention baisser de 10 % pour l'organisation de manifestations culturelles, enfin, les crédits prévus au titre des échanges scientifiques, techniques et universitaires baissent de 8 %.

Alors que la France a été la cheville ouvrière de la convention adoptée par l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, nous pouvions espérer que notre diplomatie culturelle ait les moyens de ses ambitions. Or, nous n'avons pas trouvé la traduction budgétaire des nombreux discours officiels en faveur de la francophonie et de la diversité culturelle.

Je souhaiterais appeler tout particulièrement l'attention de notre assemblée sur deux questions préoccupantes : les bourses et l'audiovisuel extérieur.

Les dépenses relatives aux bourses devraient atteindre cette année un montant de 20,5 millions d'euros pour un effectif de 4 950 bénéficiaires. Est-il exact, Monsieur le ministre, qu'en 2006 vous prévoyez une diminution de 10 % du nombre de bourses accordées ?

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - Mais non !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis - Je suis d'autant plus perplexe que vos services nous ont communiqué des chiffres très différents de ceux du bleu.

S'agissant de l'audiovisuel, je constate que la reconduction à l'identique des crédits consacrés aux opérateurs intervenant à l'étranger se traduira en fait par une baisse des moyens de 1,4 %, compte tenu de la revalorisation des salaires des personnels. Le décalage est considérable entre l'objectif affiché de faire de RFI et de TV5 des vecteurs de la francophonie et les crédits qui leur sont accordés.

Je souhaiterais maintenant vous parler d'un sujet particulier : la présence culturelle française en Pologne, pays le plus peuplé d'Europe centrale et avec lequel la France entretient traditionnellement de très étroites relations.

L'entrée dans l'Union européenne de la Pologne est une occasion pour la France de moderniser sa coopération culturelle avec ce pays. Si la Pologne n'est pas un pays francophone au sens traditionnel du terme, la langue française dispose cependant d'atouts indéniables dans ce pays : en effet, 6 % des Polonais de 15 à 60 ans déclarent connaître le français, soit 1 500 000 personnes, et 26 % jugent utile de le connaître.

M. Jacques Myard - Il faut leur envoyer Trichet. Il leur parlera anglais !

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis - Dans les lycées d'enseignement général, le nombre d'élèves apprenant le français a sensiblement progressé. Notre langue est moins choisie que l'anglais et l'allemand, mais passe pour la première fois avant le russe. Cette évolution est liée d'une part à l'obligation, instaurée en 1999, d'apprendre deux langues, d'autre part et surtout, à l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne.

La France possède plusieurs atouts en Pologne : une francophilie très ancienne, une implication forte lors de la campagne de pré-adhésion de la Pologne à l'Union européenne. La France a en effet formé de multiples fonctionnaires en français, notamment pour les préparer aux négociations à Bruxelles.

Il est indispensable de poursuivre cet effort de coopération technique, qui peut être aussi pour la France l'occasion de défendre certaines spécificités, comme sa conception du service public ou de la laïcité. Je me félicite donc du dynamisme montré par la France pour affirmer sa présence culturelle dans ce pays. Il ne faudrait surtout pas que les financements prévus soient remis en cause par des gels ou des annulations de crédits aux effets destructeurs. La présence culturelle française a besoin d'une lisibilité à moyen terme.

Les acquis sont cependant fragiles. A tout moment, de longs efforts de coopération peuvent être remis en cause par des déclarations de responsables politiques français, qui ne mesurent pas bien l'impact que peuvent avoir une petite phrase ou un bon mot à l'extérieur de nos frontières. Les Polonais sont aujourd'hui encore profondément marqués par la fameuse phrase du Président de la République : « Je crois qu'ils ont manqué une bonne occasion de se taire ». Cette déclaration a été perçue comme l'expression d'une arrogance française, alors que la réaction de solidarité atlantiste de ces pays - que je ne cherche aucunement à justifier - s'expliquait en grande partie par l'héritage de l'Histoire.

De même, lors de la campagne sur le traité constitutionnel, les Polonais ont eu le sentiment que les Français les accusaient d'être responsables d'une remise en cause du modèle économique et social. La stigmatisation du « plombier polonais » s'est finalement retournée contre la France, la Pologne ayant réagi avec humour en en faisant un argument de promotion pour son tourisme.

Comment la France peut-elle se faire le chantre de la diversité culturelle et par ailleurs tenir des propos discriminants vis-à-vis de ses nouveaux partenaires européens ? Pour contrebalancer cette image négative de la France, je souhaite que notre pays adresse quelques signes forts d'ouverture. La France pourrait ainsi organiser une saison de la France en Pologne, sur le modèle si réussi de la saison polonaise en France, la « Nowa Polska », que nous venons de connaître. Cette manifestation pourrait prendre appui sur le réseau des partenariats déjà noués par les collectivités locales françaises avec leurs homologues polonaises.

Dans le domaine de la recherche et de la coopération inter-universitaire, il est urgent de renforcer les partenariats dans le cadre du Triangle de Weimar, car l'Allemagne, la Pologne et la France sont trois nations-clés dans l'Union européenne pour susciter l'émergence d'une solidarité européenne qui aille au-delà des interdépendances économiques.

Je conclurai en informant notre assemblée que, contrairement aux conclusions de votre rapporteur pour avis, la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable au programme « rayonnement culturel et scientifique ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour le rayonnement culturel et scientifique - En raison de l'entrée en vigueur de la LOLF, l'avis budgétaire de la commission des affaires étrangères traditionnellement consacré aux crédits de la francophonie et des relations culturelles extérieures est désormais consacré au programme « rayonnement culturel et scientifique », qui représente 15 % des crédits de la mission «action extérieure de l'Etat ».

Compte tenu de la nouvelle maquette budgétaire, il n'est pas possible d'opérer une comparaison détaillée avec les crédits de l'an dernier. Globalement, ces crédits souffrent de la baisse globale du budget du ministère des Affaires étrangères, baisse préoccupante pour l'influence de notre pays et pour l'efficacité de l'action diplomatique française.

Je souhaiterais tout d'abord faire part de ma perplexité au sujet du nouveau découpage budgétaire.

Premier sujet de perplexité : la distinction entre les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement et les autres. L'action extérieure dans le domaine culturel et scientifique relève désormais soit de la mission « action extérieure de l'Etat », soit de la mission « aide publique au développement ». Cette division se conçoit en matière de coopération, mais elle n'est pas très pertinente en matière d'action culturelle et scientifique ; elle risque de créer des rigidités nouvelles et de freiner la réforme du réseau culturel.

Deuxième sujet : le rattachement budgétaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger au programme « français à l'étranger et étrangers en France ». Ce rattachement ne tient pas compte des missions de l'Agence, qui accueille une majorité d'élèves étrangers et qui s'inscrit dans une démarche de rayonnement culturel et scientifique.

Je m'étonne en troisième lieu de l'éclatement de l'audiovisuel extérieur, qui relève désormais de trois tutelles, Matignon, le Quai d'Orsay et la Culture, et de quatre missions différentes : la mission « action extérieure de l'Etat » pour TV5 et RFI, la mission « aide publique au développement » pour CFI, la mission « médias » pour la future chaîne d'information internationale et la redevance pour le financement complémentaire de RFI.

En matière d'action culturelle et scientifique, la baisse de 546 000 euros qu'enregistrent les crédits du programme « rayonnement culturel et scientifique » est préoccupante, d'autant plus qu'aucune réflexion n'est engagée sur la nécessaire réforme de notre réseau, dont la densité contraste avec le manque de plus en plus criant de moyens financiers et humains.

M. Jacques Myard - Eh oui !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis - Il convient d'y mettre un terme.

En outre, il est nécessaire de soutenir davantage la création française à l'étranger. Je me réjouis de l'intention du Premier ministre d'ouvrir un « centre européen de la création contemporaine » sur l'île Séguin. En parallèle, il convient de créer des structures de soutien aux artistes français dans les villes les plus emblématiques de l'art contemporain, comme New York, Londres et Berlin. Il y a là un enjeu majeur pour notre politique d'influence et je souhaiterais que le Gouvernement s'engage sur ce point.

Venons-en à l'enseignement et à la recherche. Les crédits de l'AEFE sont une nouvelle fois en baisse : 323 millions dans ce budget, contre 324,7 dans le précédent. Il est vrai, comme M. Cazenave l'a rappelé, que la situation financière de l'agence est saine et son fonds de roulement important. Par ailleurs, cette diminution s'explique par la baisse du nombre des personnels expatriés et la hausse continue des frais de scolarité, l'effet de change et la fermeture de certains établissements en raison de troubles politiques. Mais, au lieu d'une réduction systématique de ses crédits, il serait préférable que l'Agence bénéficie d'un retour sur ses efforts financiers, d'autant plus nécessaire que le ministère des affaires étrangères lui transfère la charge de l'entretien des bâtiments des établissements sans compensation financière. Pourtant, l'état de vétusté de certains lycées, comme celui de Vienne qui nécessite des travaux lourds et urgents de sécurité, est connu. Par ailleurs, l'agence devrait avoir les moyens de mener une politique d'exonération totale ou partielle des frais de scolarité pour des élèves étrangers méritants n'ayant pas les moyens de les régler, complémentaire du dispositif des bourses Major à destination des élèves étrangers poursuivant leurs études en France. L'AEFE et les lycées bilingues comportant des filières francophones constituent un atout largement sous-exploité faute de volonté et de moyens pour renforcer l'attractivité de notre enseignement supérieur. Avec 211 000 étudiants étrangers accueillis en 2004-2005, la France se trouve seulement en quatrième position, après les Etats-Unis, le Royaume Uni et l'Allemagne.

S'agissant de l'audiovisuel extérieur, le présent budget marque le recul du Quai d'Orsay dans la définition des orientations stratégiques de ce secteur, puisque la nouvelle chaîne d'information internationale est rattachée directement aux services du Premier ministre.

Les moyens attribués par le ministère à TV5 sont en recul en euros constants puisqu'ils sont reconduits à l'identique à 62,7 millions. Incontestablement, la France manque à son engagement en faveur d'une chaîne internationale francophone, présente sur tous les continents grâce à vingt ans de travail et d'investissements. Une telle situation met TV5 dans l'obligation de démanteler des pans entiers de son activité qui ne pourront jamais être reconstruits compte tenu de la concurrence internationale.

M. Hervé de Charette - Très bien !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis - Il en va de même pour RFI dont les moyens attribués par le ministère s'élèvent à 72,13 millions. La part du budget de RFI financée par la redevance, 55,86 millions, atteint 44% en 2006.

Dès 2002, la Cour des comptes notait la dispersion des moyens consacrés au secteur audiovisuel extérieur et l'absence de pilotage stratégique. Forte de ce constat, la mission d'information parlementaire consacrée à la CIl avait proposé en 2003 la création d'un groupe public pour mutualiser les moyens répartis entre les opérateurs publics. Au lieu de profiter de la création de la nouvelle chaîne pour rationaliser le secteur audiovisuel extérieur à l'instar de ce qu'ont fait les Britanniques avec BBC ou les Allemands avec Deutsche Welle, le Gouvernement a préféré confier sans appel d'offres, ni marché public, la future chaîne à une société anonyme détenue à parité par TF1 et France Télévisions. Celle-ci sera intégralement subventionnée par l'Etat à hauteur de 65 millions. Ce choix est éminemment contestable.

Certes, le Gouvernement l'a soumis à la Commission européenne. Celle-ci, dans un avis daté du 7 juin 2005, a jugé que la subvention attribuée par l'Etat à la nouvelle société « crée ou menace de créer une distorsion de concurrence » et constitue une aide d'Etat. Une telle situation est compatible avec le droit communautaire à une seule condition : la nouvelle société doit exercer une mission de service public. Or le Gouvernement, après avoir longuement tergiversé, se refuse à tirer les conséquences de cet avis en maintenant l'improbable attelage TF1-France Télévisions. Pourtant, la situation est claire. Soit la chaîne est privée tout en exerçant une mission de service public, auquel cas une procédure d'appel d'offres est nécessaire. Soit la chaîne est publique, auquel cas l'Etat doit être directement ou indirectement majoritaire dans le capital de la nouvelle société. Les déclarations récentes du Gouvernement qui assurent à France Télévisions un rôle moteur dans la nouvelle chaîne tentent de justifier l'injustifiable : une chaîne financée à 100 % par le contribuable, mais dans laquelle un opérateur privé choisi par le fait du prince détiendrait la moitié des parts.

Certes, le Gouvernement a accepté le principe de diffusion de la nouvelle chaîne en France mais entre temps LCI avait perdu son quasi monopole, puisque sa concurrente ITV s'est vue attribuée par le CSA une autorisation de diffusion en clair sur la TNT. Mais les pouvoirs publics n'ont pas pris d'engagement ferme sur la diffusion de la future chaîne sur la TNT. Faute d'une telle diffusion, les Français qui souhaiteront voir la nouvelle chaîne devront payer deux fois : par leurs impôts et par leur abonnement. C'est inacceptable !

Monsieur le ministre, vous aurez beau jeu de me répondre que ce dossier dépend du Premier ministre. L'affaire est suffisamment importante pour que le Gouvernement clarifie sa position sur ce point. il est inadmissible d'engager 65 millions dans un projet à l'évidence taillé sur mesure pour satisfaire les intérêts du premier groupe audiovisuel privé de notre pays !

M. Jean-Claude Lefort - Très bien !

M. François Rochebloine, rapporteur pour avis - D'autant plus que la future chaîne est censée contribuer au rayonnement de la France à l'étranger... 65 millions d'euros pour financer un opérateur qui par son caractère hybride entre public et privé, devra payer au prix du marché toutes les prestations, c'est à l'évidence insuffisant !

Il est regrettable la CII soit le seul opérateur du service public audiovisuel dont le statut et le cahier des charges n'aient pas été définis par le législateur. Dans ces conditions, l'on peut douter de l'indépendance de la future chaîne, d'autant plus que le CSA n'exercera qu'un contrôle minimal et qu'il n'en nommera pas le président comme l'a confirmé M. Baudis.

Enfin, il est à craindre que la CII ne se développe au détriment des autres. Veillons à ce que son financement ne soit pas prélevé sur les moyens de TV 5, de RFI ou de CFI, qu'elle ne soit pas diffusée au prix du retrait des fréquences attribuées à TV5.

Sous réserve de ces observations, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission. Elle a également accepté nos deux amendements, dont un à l'unanimité.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 10.

              La Directrice du service
              du compte rendu analytique,

              Catherine MANCY

ERRATUM

au compte rendu analytique de la 2ème séance du mercredi 16 novembre 2005

Page 18, 5ème paragraphe, lire :

M. Philippe Auberger - Et nous, nous ne compensons pas ? 

M. Eric Besson - Le ministre nous parle de « nos » secteurs...

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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