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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 33ème jour de séance, 76ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 23 NOVEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

CRISE VITICOLE ET ARBORICOLE 2

RÉFORME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE 3

COUPLE FRANCO-ALLEMAND 4

FISCALITÉ DES COLLECTIVITÉS LOCALES 4

CROISSANCE ÉCONOMIQUE 5

APPRENTISSAGE DE LA LECTURE 6

PROJET DE DIRECTIVE SUR LES SERVICES 7

LOGEMENT OUTRE-MER 8

INDEMNISATION EXCEPTIONNELLE
POUR CATASTROPHE NATURELLE 8

TAXE PROFESSIONNELLE ET INTERCOMMUNALITÉ 9

PRÉSENCE MÉDICALE
DANS LES TERRITOIRES RURAUX 10

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT 11

LOI DE FINANCES POUR 2006 (suite) 11

LUTTE CONTRE LE TERRORISME 16

QUESTION PRÉALABLE 25

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 43

La séance est ouverte à quinze heures.

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CRISE VITICOLE ET ARBORICOLE

M. Yvan Lachaud - Les viticulteurs et les producteurs de fruits et légumes vivent actuellement une crise dramatique. Dans le Gard, on cultivait 3 000 hectares de tomates il y a dix ans, et 180 aujourd'hui ; dans cinq ans, il n'y aura sans doute plus de producteurs de tomates. Le kilo de pêches s'y vendait à 0,8 euro cet été, pour un coût de revient national de 1,15 euro. Dans le Midi, nos amis espagnols profitent d'une main-d'œuvre moins chère pour vendre leurs produits, et ils recourent à certains produits phytosanitaires interdits en France.

La crise n'est pas moins grave pour les viticulteurs, qui subissent dans le Gard des pertes de l'ordre de 800 euros à l'hectare. La cause n'en est plus la surproduction, comme autrefois : la crise est aujourd'hui structurelle. Elle touche les volumes comme les prix, les AOC comme les vins de cépage. Le problème vient de nos voisins, dont la main-d'œuvre coûte moins cher.

L'UDF préconise depuis longtemps une baisse des charges sociales. Que ferez-vous, Monsieur le ministre, pour que nos viticulteurs et nos arboriculteurs aient des revenus plus décents ?

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Bussereau, retenu à Bruxelles pour un conseil européen.

Le Gouvernement connaît les difficultés que rencontrent les viticulteurs et les arboriculteurs du Gard. Le ministre de l'agriculture a décidé la mise en place d'un plan de soutien en faveur des producteurs de fruits et légumes, auxquels seront consacrés 15 millions d'euros de crédits exceptionnels, ainsi qu'une enveloppe de prêts de consolidation à taux modifié de 25 millions.

M. Jean-Michel Ferrand - Cela ne sert à rien !

M. le Ministre délégué - Il comprend des mesures d'urgence pour les producteurs les plus en difficulté, ainsi que des mesures d'adaptation et de modernisation des vergers, de structuration de l'offre et de renforcement de l'interprofession. Il permettra de dynamiser le marché national, européen et international.

En outre, le Gouvernement a déjà arrêté un plan d'urgence exceptionnel en faveur des viticulteurs, dont le Languedoc-Roussillon est le premier bénéficiaire. Plusieurs décisions importantes ont été prises concernant les charges. Les viticulteurs en difficulté ont pu opter pour le calcul de leurs cotisations 2005 par assiette annuelle, et non triennale. Avec l'accord de M. Copé, un guichet unique a été mis en place à leur intention, ainsi que pour les arboriculteurs.

D'autre part, le ministre de l'agriculture a demandé à la mutualité sociale agricole d'examiner avec bienveillance les demandes de remise de pénalité. Les viticulteurs et arboriculteurs en difficulté peuvent également bénéficier du fonds « Agridif » social, doté en 2005 de onze millions d'euros.

M. Jean-Michel Ferrand - C'est insuffisant !

M. le Ministre délégué - Enfin, le Fonds de solidarité des crises agricoles permet aux agriculteurs de bénéficier d'un échéancier de paiement de leurs cotisations sociales. A ce titre, 14 millions d'euros sont consacrés à la filière fruits et légumes, et 40 millions à la filière viticole.

Ces mesures s'inscrivent dans le cadre général de la baisse des charges prévue par la loi d'orientation agricole et le projet de loi de finances pour 2006, et s'inspirent des conclusions du rapport Le Guen, que vous connaissez bien.

RÉFORME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE

M. Jean-Pierre Brard - Nos villes, Monsieur le Premier ministre, viennent de vivre des semaines difficiles, marquées par des actes inadmissibles. Comment en sommes-nous arrivés là ? Vous interrogez-vous parfois sur les souffrances que provoque votre politique aux quatre coins du pays ? Les chômeurs et les Rmistes sont de plus en plus nombreux ; l'avenir des jeunes est bouché. Vous avez supprimé ou drastiquement réduit les subventions aux associations, qui œuvrent pourtant sans relâche dans nos quartiers. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Les événements vous ont contraint à en rétablir une partie dans l'urgence. Mais peut-on réparer en quinze jours ce que l'on a mis trois ans à détruire ?

En revanche, vous ne manquez jamais d'idées pour les privilégiés. Vous réformez la taxe professionnelle, dont un taux substantiel permet pourtant aux collectivités territoriales de développer des politiques sociales et de réparer les dégâts que vous provoquez, et vous en punissez les contribuables ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Avez-vous une question à poser, Monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard - Dans ma bonne ville de Montreuil, vous subtilisez 857 300 euros au titre de la taxe professionnelle payée par les entreprises en 2004, et vous ferez encore pire l'an prochain ! Chez M. Bocquet, à Saint-Amand et Denain, c'est 87 % de cette ressource que vous confisquez ! (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Posez votre question, Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard - La voici (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Le Medef a-t-il donc raison, selon vous, de dire que votre réforme de la taxe professionnelle est « une nouvelle victoire » et « une nouvelle étape vers sa suppression, dont nous ne pouvons que nous féliciter » ? Mais ce qui est bon pour le Medef, Monsieur le Premier ministre, n'est jamais bon pour la France !

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Vos propos me font de la peine. J'ai passé une bonne partie de la nuit avec vous (Exclamations sur divers bancs) dans cet hémicycle, à tenter de vous convaincre que cette réforme est juste pour les Français et conforme à la plupart de vos attentes.

Les revenus moyens et modestes bénéficieront de 75 % du produit de la réforme fiscale. (« Mensonge ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Chantal Robin-Rodrigo - Et l'ISF ?

M. le Ministre délégué - La réforme de la taxe professionnelle contribuera à enrayer les délocalisations, renforcera notre compétitivité et préservera l'emploi ainsi que les finances des communes. Elle permettra également de financer les priorités des Français, y compris le plan d'urgence pour les banlieues qui s'élève à 300 millions en euros constants, ce qui n'aggravera ni le déficit ni la dette. Seules certaines régions, qui ne cessent d'augmenter les impôts et de casser la croissance, pourraient peut-être regretter cette réforme qui favorisera la consommation, l'investissement et l'emploi. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) C'est ainsi que notre pays retrouvera l'esprit de conquête, comme le souhaitent les Français ! Rejoignez-nous donc, Monsieur Brard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

COUPLE FRANCO-ALLEMAND

M. Yves Bur - Mme Angela Merkel a accédé hier à la Chancellerie d'Allemagne à la tête d'une grande coalition. Au nom du groupe UMP, nous lui adressons toutes nos félicitations et nos encouragements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) afin qu'elle remette l'Allemagne sur le chemin de la réforme et de la croissance : « Viel Glück, Frau Merkel ! », « bonne chance, Madame Merkel »! Aujourd'hui, Angela Merkel a effectué en France sa première visite officielle afin de rencontrer à l'Elysée le Président de la République. Ce signe fort souligne l'importance qu'elle attache au couple franco-allemand qui constitue toujours le socle de la diplomatie de nos deux pays. Dans quel esprit, Monsieur le ministre des affaires étrangères, la France s'engagera-t-elle dans cette nouvelle phase de l'amitié franco-allemande ? Comment notre pays prendra-t-il en compte le souhait exprimé par Mme Merkel de favoriser le dialogue avec nos voisins européens, et notamment avec les nouveaux pays de l'Union Européenne ? Quels sont enfin les objectifs du prochain conseil des ministres franco-allemand ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - M. le Président de la République vient en effet de recevoir Mme Merkel, qui a choisi de venir en France pour son premier voyage officiel. Ce symbole est d'autant plus fort que Mme la Chancelière se rend cette après-midi à Bruxelles. Son choix témoigne de l'importance qu'elle attache, comme nous, au couple franco-allemand.

M. Jean Glavany - Grâce à vous, sans doute !

M. le Ministre - Nos deux pays doivent faire des propositions à partir desquelles nos partenaires européens pourront réfléchir. Avec Mme Colonna, nous proposons qu'un conseil des ministres franco-allemand ait lieu le plus tôt possible - et pourquoi pas dès le mois de janvier. Nous pourrions ainsi adopter un texte favorisant le développement de la coopération entre nos réseaux de recherche européens, l'innovation industrielle européenne ainsi qu'une organisation commune de nos pôles de compétitivité. Oui, au moment où l'Union Européenne fait face à tant de défis, en particulier financiers, le couple franco-allemand est plus que jamais le moteur dont la construction européenne a tant besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

FISCALITÉ DES COLLECTIVITÉS LOCALES

M. Alain Néri - La France va mal. La politique du Gouvernement est néfaste et implacable pour les Français les plus modestes. Plutôt que de se montrer solidaire et de développer une politique de proximité, le Gouvernement se défausse sur les collectivités locales. Il transfère des compétences importantes aux départements et aux régions sans les accompagner des crédits indispensables. Ces transferts colossaux non compensés sont effectués sans aucune visibilité financière (Protestations sur les bancs du groupe UMP) et ils étranglent les collectivités locales. Les conseils généraux attendent toujours les sommes que l'Etat leur doit pour compenser totalement le transfert du RMI. Votre politique scandaleuse de radiation des chômeurs afin de dégonfler artificiellement les statistiques entraîne une augmentation du nombre de Rmistes - ils sont 200 000 de plus depuis votre arrivée au pouvoir - et donc une hausse de la fiscalité de 5 % à 6 % pour les départements en 2006. C'est vous qui êtes directement responsables de l'augmentation des impôts locaux ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous ne menez qu'une politique d'effets d'annonces et vous laissez la note aux conseils généraux et régionaux. Ainsi, vous n'avez pas d'argent pour financer le plan d'engagement national pour le logement annoncé par M. Borloo : il vous manque trois milliards, et vous appelez au secours les départements et les régions ! Vous commandez, mais vous oubliez de payer ! Avec votre projet de plafonnement de la taxe professionnelle et le cynique bouclier fiscal en faveur des plus riches, vous offrez une ristourne d'impôt de 2 083 euros mensuels pour les 10 000 personnes les plus riches de France alors que les Français qui ne perçoivent que la PPE devront se contenter de 4,73 euros par mois.

M. le Président - Veuillez poser votre question.

M. Alain Néri - Vous pénalisez les régions, les départements, les communautés de communes, les villes les plus modestes...

M. le Président - Posez votre question !

M. Alain Néri - Vous les obligez à reporter les charges fiscales sur nos concitoyens déjà durement frappés. Dans la situation d'urgence sociale que nous connaissons, quand cesserez-vous donc de brutaliser les Français les plus fragiles pour favoriser les plus riches ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Quand mettrez-vous fin à votre politique de désespérance sociale ? (Mêmes mouvements)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - Ce n'est pas l'esprit de nuance qui vous étouffe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) En vous écoutant, je ne savais plus très bien de quoi vous vouliez parler. Je crois comprendre néanmoins que l'autonomie financière des collectivités locales vous préoccupe. Il me semble que ce qui menace leur autonomie, c'est lorsque l'Etat, comme vous l'avez fait il y a quelques années, a opéré une nationalisation rampante de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est quand on laisse un certain nombre de collectivités augmenter les taux d'imposition à l'infini de façon à faire fuir les entreprises ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C'est, enfin, lorsque l'on ne se soucie pas d'organiser l'intérêt général et que les dépenses publiques et les impôts locaux explosent sans résultat aucun !

La réforme de la TP vise à renforcer l'attractivité de nos territoires tout en préservant les communes et les départements mais également les régions capables de maîtriser leurs taux et d'attirer de nouvelles entreprises. C'est ainsi que la France se modernisera, et je vous invite à participer à ce chantier. Tel est l'esprit de citoyenneté qui nous anime ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CROISSANCE ÉCONOMIQUE

M. Bernard Carayon - Depuis plusieurs mois, M. le ministre de l'Economie annonce une reprise de la croissance. Il s'agit d'une question évidemment centrale dans le cadre du PLF pour 2006 qui s'appuie sur une prévision située entre 2 % et 2,5 %. Le taux de croissance du troisième trimestre est sans ambiguïté avec plus 0,7 %. La consommation est solide, l'investissement reprend avec une hausse de 3 % sur l'année et nos exportations sont en hausse de plus de 3 % au troisième trimestre.

Quel est votre sentiment, Monsieur ministre, sur les tendances de fond de notre économie ? Sur quelles indications conjoncturelles peut se fonder notre optimisme, notamment pour ce qui concerne les créations d'emploi dans les trimestres à venir ? Peut-on espérer que la reprise sera solide et durable, en dépit de la hausse récente du prix de l'énergie et de la très probable hausse des taux d'intérêt que vient d'évoquer le gouverneur de la BCE, M. Trichet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard - Scandaleux !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Oui, Monsieur le député, la croissance est repartie dans notre pays ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) Conformément à ce que j'annonçais depuis plusieurs mois, les résultats du troisième trimestre montrent que les indicateurs macro-économiques sont repartis au vert. Nos performances sont en outre sensiblement supérieures à celles de nos principaux partenaires européens. Notre économie est portée par une consommation extrêmement soutenue, nettement plus solide que l'année dernière. L'investissement connaît sa plus forte relance depuis 2000, cependant que nos exportations - et Christine Lagarde peut en témoigner - contribuent elles aussi à la reprise de la croissance. Le gouverneur de la BCE a effectivement indiqué qu'il était probable que les taux d'intérêt augmentent légèrement. Nous avons, avec les membres de l'Eurogroupe, manifesté notre détermination à ce que l'inflation ne nous menace pas. Au demeurant, il faut ramener les propos tenus à leur juste proportion : ils n'annoncent pas un nouveau cycle de resserrement budgétaire, ce qui est de bon aloi pour l'année 2006. Enfin, contrairement à ce que certains ont prétendu ici, le budget que nous avons défendu avec Jean-François Copé est un budget sincère... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Bataille - C'est faux !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - En effet, les 1,5 % de croissance que vous refusez de voir sont déjà acquis au titre du troisième trimestre et, conformément aux prévisions de tous les conjoncturistes, nous aurons bien, en 2006, entre 2 % et 2,5 % de croissance. Oui, la croissance qui est à nos portes sera bien une croissance sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

APPRENTISSAGE DE LA LECTURE

M. Alain Gest - Monsieur le ministre de l'Education nationale, il y a quelques semaines, au cours d'une conférence de presse, vous avez rappelé à bon droit que la mission essentielle de l'école était de garantir l'égalité des chances. C'est dans cet esprit que la loi d'orientation et de programmation pour l'école a consacré le principe selon lequel tout élève devait posséder, à l'issue de sa scolarité, un socle de connaissances communes. Je n'en rappelle pas les cinq éléments constitutifs, le premier ayant trait à la maîtrise de la langue française. A ce titre, il est évident qu'il ne faut pas rater la phase d'apprentissage de la lecture. Or, malgré les critiques de plus en plus fortes qu'elle essuie, la méthode dite globale ou semi globale...

M. Patrick Roy - Oh ! la ! la !

M. Alain Gest - ...continue d'être utilisée. Inspecteurs, professeurs et orthophonistes sont pourtant de plus en plus nombreux à la dénoncer et une étude récente montre que les retards d'apprentissage de certains enfants relèvent moins de leur manque de dispositions naturelles que des méthodes qui leur sont imposées. Au reste, les parents sont parfois obligés de faire du rattrapage à la maison en utilisant la méthode syllabique !

L'article 48 de la loi d'orientation sur l'école consacre la liberté pédagogique des enseignants. Par ailleurs, dans le rapport annexe que nous avons voté, nous avons souhaité, à la demande de notre collègue Geoffroy, que les enseignants soient systématiquement informés des méthodes les plus éprouvées. Las, tel ne semble toujours pas être le cas et un reportage récent a montré que ni la liberté du choix de la méthode ni l'information systématique n'étaient de règle partout.

Dès lors, comment entendez-vous faire appliquer cet article de la loi ? Peut-on espérer que l'efficacité de la méthode syllabique fera l'objet d'une expérimentation significative et que ce point sera abordé dans le cahier des charges de la réforme des IUFM ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Emile Zuccarelli - Très bien.

M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - Tous les spécialistes s'accordent sur le fait que les méthodes d'apprentissage de la lecture regroupées sous le terme générique de « méthode globale » sont nocives. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste) J'indique donc en toute tranquillité qu'elles doivent être abandonnées. La méthode qui consiste à immerger l'enfant dans le langage pour essayer de lui faire reconnaître les mots par hypothèses liées à ses capacités de mémorisation conduit souvent à la noyade ! L'apprentissage de la lecture doit se fonder sur la reconnaissance des sons et sur la prononciation des syllabes qui forment les mots. Au bout, il y a le plaisir de lire, qui constitue la vraie récompense des efforts consentis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, sur de nombreux bancs du groupe UDF et sur divers bancs)

M. Emile Zuccarelli et M. Jacques Brunhes - Très bien.

M. le Ministre - Il est bien entendu que les maîtres doivent se sentir libres d'appliquer la méthode traditionnelle. Le b.a.-ba - et c'est le cas de le dire ! -, c'est qu'ils ne doivent en aucun cas être sanctionnés s'ils y ont recours et je veillerai à ce qu'il en soit ainsi. Ce qui compte, c'est l'efficacité de la méthode, laquelle se mesure aux résultats obtenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe UDF)

PROJET DE DIRECTIVE SUR LES SERVICES

M. Jacques Floch - Ma question s'adresse à M. de Villepin, en tant que chef du Gouvernement et de la majorité. Hier soir, la commission du marché intérieur du Parlement européen s'est prononcée sur la proposition de directive sur les services dite Bolkestein. La majorité des commissaires - plusieurs appartenant à l'UMP - ont voté un texte qui reprend l'essentiel du projet de directive proposé par la Commission européenne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Contrairement à l'avis de la rapporteure, membre du groupe socialiste européen, le projet reprend notamment le principe du pays d'origine, qui ouvre la voie au démantèlement du modèle social européen, au dumping social dans le marché intérieur et à la promotion du moins-disant en matière de protection sociale et de rémunération. Cette attitude est contraire à toutes vos déclarations et à celles du Président Chirac.

Monsieur le Premier ministre, l'Européen convaincu que je m'honore d'être vous demande quelle sera la position de la majorité et du Gouvernement français lors du vote final, en janvier 2006 ? Vous alignerez-vous sur la position du groupe du parti populaire européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs)

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes - Le Gouvernement suit avec la même attention que vous l'évolution du projet de directive sur les services... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) et la nécessaire réorientation du texte aura lieu. Le Conseil européen a demandé à l'unanimité que la première version soit remise à plat car elle était trop déséquilibrée pour être acceptable. Avec plusieurs de nos partenaires, nous demandons l'exclusion des secteurs les plus sensibles du champ d'application de la directive (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), la remise en cause du principe dit du pays d'origine et la reconnaissance de la primauté du droit du travail du pays de destination. Je le répète, c'est le droit du travail français qui s'appliquera en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jacques Desallangre - Repoussez plutôt la directive !

Mme la Ministre déléguée - Après la commission Emploi du Parlement européen en juillet, hier sa commission Marché intérieur a profondément remanié ce texte. Les services d'intérêt général de nature non économique, en particulier la santé, ont été exclus.

M. Alain Bocquet - Ce n'est pas suffisant.

Mme la Ministre déléguée - La primauté du droit du travail a été réaffirmée et on a commencé à remettre à plat le principe du pays d'origine. Pour nous, il ne s'agit que d'une étape et il faudra aller plus loin.

Le Parlement européen se prononcera en séance plénière en janvier. Ensuite seulement la Commission européen ne devra réécrire sa proposition en prenant en compte l'ensemble des préoccupations qui se sont exprimées. Enfin, le Conseil aura à se prononcer. D'ici là, le Gouvernement continuera à agir. Le sujet est à l'ordre du jour du comité interministériel pour l'Europe que préside cet après-midi le Premier ministre, et mardi prochain, je réaffirmerai à Bruxelles la position de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

LOGEMENT OUTRE-MER

M. Bertho Audifax - Monsieur le ministre de l'outre-mer, je vous remercie d'avoir annoncé à La Réunion le dégel de tous les crédits inscrits sur la ligne budgétaire unique, ce qui a rassuré les constructeurs de logements sociaux. Mais les besoins importants de l'outre-mer nécessitent des actions fortes et pérennes. Pourriez-vous envisager une programmation budgétaire pluriannuelle de la politique de logement outre-mer pour que les bailleurs sociaux aient une vision claire et que nous puissions mener efficacement les programmes d'aménagement des quartiers ? Et d'autre part nous exposer les mesures que vous comptez mettre en place afin de dégager des terrains constructibles pour réaliser des logements sociaux à La Réunion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer - Dans les quatre départements d'outre-mer et à Mayotte, il faut produire 15 000 logements neufs et réhabiliter 69 000 logements anciens et parfois insalubres. Certaines causes de ce retard sont d'ailleurs positives : c'est une démographie dynamique, et une croissance de 6 %, soit quatre fois plus qu'en métropole. Il faut y adapter les politiques publiques. D'autre causes sont plus préoccupantes : la situation des collectivités territoriales est dégradée, et l'absence de maîtrise du foncier crée, notamment à La Réunion, une spéculation qui empêche de construire les logements sociaux prévus.

Le rattrapage du logement social est la priorité du ministère de l'outre-mer. J'ai demandé au Premier ministre de débloquer les crédits de la ligne budgétaire unique, outil indispensable à la commande publique pour la production de logements sociaux. Mais il faut aller plus loin et, comme vous le demandez, rendre la situation claire pour tous les acteurs. Nous travaillons avec Jean-Louis Borloo, sous l'autorité du Premier ministre, à un plan quinquennal qui permettrait d'utiliser tous les outils disponibles, comme la défiscalisation, le développement de l'ANAH, les études d'impact et les actions de l'ANRU, et la résorption de la dette des bailleurs sociaux, l'engagement du Premier ministre sur ce point ayant bien entendu sa traduction outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

INDEMNISATION EXCEPTIONNELLE POUR CATASTROPHE NATURELLE

M. Frédéric Soulier - J'associe à ma question M. Jean-Pierre Dupont, président du conseil général de Corrèze, et de nombreux collègues concernés par les conséquences dramatiques de la sécheresse de 2003 pour les communes qui ne sont pas éligibles à l'état de catastrophe naturelle. Le Gouvernement a certes pris de nombreuses initiatives : M. de Villepin, alors ministre de l'Intérieur, a étendu le périmètre d'éligibilité, et M. Sarkozy a ouvert une procédure d'examen des demandes individuelles de communes, hors de la procédure usuelle en cas de catastrophe naturelle, avec un financement de 150 millions au plan national. En Corrèze, 23 communes étaient concernées. Les préfets leur ont demandé de procéder à un inventaire des dommages par immeuble touché. Pour certaines familles, exclues de l'indemnisation, la situation est urgente. Le Gouvernement a fait voter la nuit dernière par l'Assemblée un amendement relatif à cette procédure exceptionnelle. Pouvez-vous nous préciser les dispositions réglementaires et le calendrier prévisionnel de ces mesures ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - De très nombreux parlementaires, toutes sensibilités confondues, se sont mobilisés sur cette situation inédite et très difficile, suite à la canicule de 2003. Au-delà du drame humain dont chacun se souvient, elle a aussi causé d'importants dommages aux habitations dans plusieurs zones, de sorte que la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle n'a pas suffi. Le ministère de l'Intérieur et celui de l'Economie ont donc élaboré un dispositif exceptionnel qui, au-delà de l'aide traditionnelle aux communes, permet d'aider les particuliers. Par l'amendement que j'ai fait voter cette nuit, 180 millions supplémentaires seront consacrés à cette aide aux propriétaires dont l'habitation principale a subi de gros dégâts, et une partie de la somme sera consacrée aux habitants des communes limitrophes de celles qui avaient été retenues. Le préfet collectera les demandes et se prononcera sur l'éligibilité après examen de chaque dossier. C'est une avancée importante pour réparer une partie des dégâts causés par cette canicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

TAXE PROFESSIONNELLE ET INTERCOMMUNALITÉ

M. Jean-Pierre Balligand - La réforme de la taxe professionnelle donne des sueurs froides aux élus locaux de droite comme de gauche. En plafonnant son produit à 3,5 % de la valeur ajoutée, vous allez, dans l'immédiat, sanctionner les collectivités qui en ont le plus besoin et, pour l'avenir, attenter à l'autonomie financière de toutes les collectivités : elles ne pourront plus décider librement du taux et devront donc, en remplacement de cette ressource, alourdir la fiscalité qui pèse sur les ménages.

La principale victime sera l'intercommunalité. Les structures intercommunales à fiscalité propre tirent en effet 93 % de leurs ressources de la taxe professionnelle. En empêchant toute augmentation de leurs ressources, vous allez les asphyxier. C'est une offensive sans précédent qui est menée contre l'intercommunalité, couronnée par l'interprétation du rapport de la Cour des comptes publié ce matin, qui, contrairement à ce qu'a dit le ministre chargé des collectivités locales, ne fait aucunement le procès de l'intercommunalité et se montre beaucoup plus équilibré qu'on ne l'a dit.

Le Gouvernement propose tout simplement de rompre le pacte intercommunal que nous avons inventé ensemble, qui rassemble 88 % des communes et 84 % des Français et qui permet de dépasser les égoïsmes locaux, les communes mettant en commun leurs moyens pour réaliser des investissements qui n'existeraient pas autrement. Prendrez-vous la responsabilité, en maintenant cette réforme et en cautionnant le discours partisan qui fait de l'intercommunalité un bouc émissaire, de mettre à mort la seule structure territoriale qui soit aujourd'hui en mouvement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat - La politique a ses règles, mais parfois, j'ai du mal à les comprendre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Pourquoi critiquez-vous aujourd'hui le principe d'une réforme que vous vouliez entreprendre lorsque vous étiez dans la majorité ? La réforme de la taxe professionnelle devrait être partagée par tous. Il s'agit d'assurer la compétitivité de nos entreprises !

M. Augustin Bonrepaux - Vous mentez !

M. le Ministre délégué - Nous nous engageons à ce qu'aucune entreprise ne soit taxée à plus de 3,5 % de sa valeur ajoutée, alors que certaines le sont aujourd'hui jusqu'à 10 % ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) L'Etat absorbera la totalité des augmentations passées - jusqu'à 4,5 % pour 2005 du moins, parce que certaines régions ont exagéré. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - C'est faux !

M. le Ministre délégué - Et nous avons veillé, avec vous, à faire en sorte que l'intercommunalité à taxe professionnelle unique ne soit pas touchée. Je vous l'ai démontré chiffres à l'appui, Monsieur Balligand. Je vous demande simplement, comme on le dit dans La vérité si je mens, de donner sa chance au produit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux - C'est honteux !

PRÉSENCE MÉDICALE DANS LES TERRITOIRES RURAUX

M. Jean-Paul Anciaux - Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire, le Morvan attendait depuis de nombreuses années son rattachement au Massif central. Plusieurs ministres nous l'avaient promis, et vous l'avez obtenu. Au nom de tous les Morvandiaux, bravo et merci ! A l'occasion de votre visite en Saône-et-Loire, comme au congrès des maires hier, vous avez détaillé votre action pour améliorer la qualité et l'accessibilité des services au public dans les communes rurales, une action prioritaire soutenue par les parlementaires des circonscriptions rurales. Vous avez rappelé l'évolution des besoins des habitants, et notamment la demande d'une présence médicale plus forte dans certains territoires. Que comptez-vous entreprendre...

M. Augustin Bonrepaux - Rien du tout !

M. Jean-Paul Anciaux - ...pour remédier à la carence d'offre de soins dans ces départements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire - L'accessibilité aux services publics dans la ruralité,...

M. Augustin Bonrepaux - Il n'y en a plus !

M. le Ministre délégué - ...et plus particulièrement l'accès aux soins, constitue une véritable priorité. L'équité, à la fois humaine et territoriale, est une exigence. Nous avons donc pris des mesures fortes et concrètes. D'abord, une incitation financière est mise en place en faveur des professions de santé, découlant de la loi de développement des territoires ruraux.

M. Augustin Bonrepaux - Il n'y a rien dedans !

M. le Ministre délégué - J'ai veillé à ce que les régions identifient les zones de sous-médicalisation afin de pouvoir leur adresser les aides le plus rapidement possible.

M. Augustin Bonrepaux - Qui paye ?

M. le Président - Monsieur Bonrepaux, calmez-vous !

M. le Ministre délégué - Je m'engage à ce que tous les décrets d'application soient transmis au Conseil d'Etat avant la fin de l'année, pour pouvoir débloquer les aides des collectivités territoriales.

Ensuite, en matière de télémédecine, notre objectif est de généraliser le haut débit (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et le numérique sur tout le territoire d'ici 2007 - nous en sommes aujourd'hui à 96 % de couverture - en généralisant la mise en réseau de la télémédecine avec les praticiens en milieu rural. Nous faciliterons ainsi les expertises, les diagnostics, les soins opératoires et la mise en réseau des hôpitaux ruraux avec les centres hospitaliers urbains et les CHU. Le Premier ministre a annoncé hier une enveloppe de 50 millions pour les projets innovants en milieu rural.

Enfin, nous proposons une offre globalisée, en association avec les maires, principaux partenaires de l'aménagement et du développement du territoire, concernant l'aide à l'installation, le logement ou l'activité pour le conjoint. Vous le voyez, là où d'autres avant nous avaient fait le choix de fermer des hôpitaux publics et ont découragé l'implantation des médecins, nous passons à l'action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

M. Daniel Fidelin - Madame la ministre déléguée au commerce extérieur, en vous rendant au Kenya, au Nigeria et au Bénin, vous avez pu vous rendre compte des conditions dramatiques dans lesquelles vivent les populations de l'Afrique subsaharienne. Exclus du commerce mondial, ces pays ne peuvent se procurer à des prix raisonnables les médicaments nécessaires pour soigner les maladies de leurs habitants. Leurs économies pâtissent souvent des subventions agricoles américaines dans le secteur du coton. A la veille de la conférence de Hong-Kong et quelques jours après le conseil des affaires général de Bruxelles, pensez-vous que le cycle de Doha et le développement récent des négociations répondent réellement aux besoins des pays les plus pauvres ? Que fait la France pour s'assurer que le développement reste bien au cœur de ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur - L'engagement de la France en faveur des pays en développement dans le cadre du cycle de Doha est bien connu. Nous souhaitons qu'ils puissent, par leur intégration dans le commerce mondial, améliorer leur développement économique. Mais les négociations actuelles ne progressent pas assez vite, alors que la situation des pays les moins avancés ne cesse de s'aggraver. Mes collègues des affaires étrangères et européennes et moi-même nous en sommes émus. Nous avons réaffirmé notre position auprès de la Commission européenne et demandé à ce qu'elle soit prise en compte. Si nous nous mobilisons, toutefois, Hong-Kong peut être une étape importante, en vue de permettre aux pays les plus pauvres de bénéficier de la mondialisation. La France et d'autres membres de l'Union ont demandé à la Commission de négocier auprès de l'OMC un « paquet développement » pour les pays les moins avancés. Ce paquet contient d'abord l'extension par tous les pays développés du régime « tout sauf les armes » qui permet aux pays les moins avancés d'exporter en franchise de droits l'ensemble de leurs produits ; ensuite, un mécanisme relatif à la propriété intellectuelle, permettant aux pays les moins avancés de se procurer des médicaments plus facilement et à des conditions financières plus avantageuses ; puis, un dispositif adapté leur garantissant dans la durée des régimes commerciaux préférentiels ; enfin, un règlement du problème du coton, qui pénalise les pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Comptez sur nous pour, comme nous l'avons fait en Afrique, comme nous le faisons à Bruxelles, comme je l'ai fait à Washington ou à Shanghai, réaffirmer la position française en faveur des pays les moins avancés.

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions.

La séance, suspendue à 15 heures 50, est reprise à 16 heures 20

LOI DE FINANCES POUR 2006 (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi de finances pour 2006.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Je concentrerai mon propos sur l'ambitieuse réforme fiscale contenue dans ce projet de loi de finances.

La réforme de l'impôt sur le revenu repose sur quatre piliers. Tout d'abord, la justice fiscale : les trois quarts des allègements d'impôts bénéficieront aux ménages à bas ou moyens revenus - un amendement du président de notre commission a encore accentué l'effort en direction de cette catégorie de contribuables.

Deuxième pilier, l'attractivité du territoire : pour la première fois, le taux marginal de l'impôt sur le revenu a été abaissé à 40 %, ce qui place notre pays dans les standards européens et permettra de stopper l'hémorragie de talents - chefs d'entreprise, chercheurs, artistes, sportifs, jeunes diplômés - que nous déplorons depuis trop longtemps.

Troisième pilier, le caractère non confiscatoire de l'impôt, désormais plafonné à 60 % des revenus.

Dernier pilier, le civisme fiscal, puisque nul contribuable aisé ne pourra plus, par le biais de déductions, échapper à l'impôt sur le revenu. Je remercie les ministres d'avoir accepté la création d'un groupe de travail sur ce sujet, cher au président de la commission des finances.

M. Michel Bouvard - Très bien !

M. le Rapporteur général - Voilà une grande et belle réforme, juste pour nos concitoyens, efficace pour notre économie et ses emplois.

La réforme de la taxe professionnelle était elle aussi devenue indispensable pour protéger nos entreprises. Au-delà de 3,5 % de la valeur ajoutée, le prélèvement devient insupportable. Or, ce sont les entreprises industrielles, les plus vulnérables aux délocalisations, qui paient davantage. La réforme corrige ce défaut, tout en ne faisant aucun perdant. Toutes les entreprises y gagneront.

Sur cette réforme, les inquiétudes des collectivités sont excessives. D'une part, l'assiette de la taxe professionnelle demeure inchangée. D'autre part, aucune collectivité ne sera appelée à contribuer en quoi que ce soit à la réforme dès lors qu'elle n'aura pas augmenté ses taux de façon irresponsable. Je sais que de ce côté de l'hémicycle, les élus responsables que nous sommes ne souhaitent pas augmenter la taxe professionnelle, contrairement aux régions socialistes qui l'ont augmentée en moyenne de 25 % en un an. (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - C'est de la provocation, de l'esprit partisan ! Ces propos sont indignes d'un rapporteur général de la commission des finances !

M. le Rapporteur général - L'Etat consent un effort considérable pour cette réforme, puisque le contribuable national prendra à sa charge trois milliards d'euros supplémentaires.

Nous avons en outre, sans aggraver le déficit, pu dégager par redéploiement 325 millions d'euros au profit des quartiers en difficulté des banlieues - soutien scolaire, subventions aux associations, accélération de la rénovation urbaine... Il faut saluer la rapidité de la réaction du Gouvernement.

Je tiens à remercier les ministres pour la qualité du travail mené en commun, l'ensemble des collaborateurs de l'Assemblée, en particulier ceux de la commission des finances, et l'ensemble des députés qui ont été extrêmement assidus tout au long de ce débat budgétaire et ont formulé d'intéressantes propositions, dont une partie a été reprise par le Gouvernement. Je tiens aussi à vous remercier personnellement, Monsieur le Président, d'avoir présidé notre séance de la nuit de vendredi à samedi.

Se félicitant encore une fois de la qualité de la collaboration avec le Gouvernement, la commission des finances invite l'Assemblée à voter ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Brunhes - Rappel au Règlement !

M. le Président - Il n'y a pas de rappel au Règlement au milieu des explications de vote.

M. Hervé Mariton - Ce budget emporte la confiance du groupe UMP. Il lui reste à emporter la confiance des Français.

Nous devons faire œuvre de pédagogie sur la situation financière de la France, et cela sans angoisse ni illusions. La dette se stabilise, la dépense se modère, le déficit est contrôlé, hélas, tous trois à un niveau trop élevé. D'où l'urgence d'une véritable réforme de l'Etat, à laquelle s'est attelé le Premier ministre. Nous vous faisons confiance, Monsieur le ministre délégué au budget, qui êtes aussi en charge de la réforme de l'Etat, pour la mener à bien. La réforme fiscale équilibrée que nous allons voter y contribuera. Il n'y avait rien de mieux pour démarrer que de marquer le respect dû au citoyen-contribuable.

Nous devons relever les défis de l'avenir en matière de recherche, d'innovation, d'infrastructures. Cela suppose une compétitivité économique - les nouveaux pôles y contribueront -, et une compétitivité fiscale qu'assure la grande réforme engagée avec la baisse de l'impôt sur le revenu, le plafonnement général de l'impôt pour les particuliers et celui de la taxe professionnelle pour les entreprises.

Nous devons également répondre aux préoccupations des Français. Tout d'abord, le pouvoir d'achat. La réforme fiscale apporte un plus...

Plusieurs députés socialistes - Aux plus riches !

M. Hervé Mariton - ...sans que l'Etat devienne pour autant le gestionnaire des salaires. Des initiatives innovantes, ô combien nécessaires, ont été prises en faveur des banlieues : en ce domaine, la qualité des moyens compte davantage que leur volume. Des mesures ont également été décidées en matière de sécurité, où la loi de programmation est intégralement respectée.

Enfin, nous avons retrouvé le bon chemin avec une augmentation de 0,7 % de la croissance au troisième trimestre - ce projet de budget est donc établi sur des hypothèses sérieuses, saines et réalistes - et une régression du chômage de 10,2 % à 9,8 % en six mois. L'effort devra être poursuivi. Le développement de l'apprentissage, la croissance des emplois de service et, encore une fois, la réforme fiscale serviront ces objectifs.

Pour rencontrer la confiance des Français, l'UMP doit parler à tous. A ceux qui seraient tentés de regarder du côté du parti socialiste, je rappellerai combien la course à la gauche ultra s'est révélée pauvre en idées mais riche en impôts. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nos collègues n'ont en effet proposé rien moins que de revenir sur les baisses d'impôts, de créer une taxe « écolo », une taxe européenne, une taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés et une taxe pour les retraites.

A ceux qui seraient tentés de regarder du côté de l'UDF, je ferai observer que l'UDF veut mortifier et commence par se mortifier elle-même. (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) Hélas, elle s'apprête à voter contre ses électeurs, aujourd'hui orphelins, ce qui nous amène à leur parler directement.

En conclusion, ce budget s'adresse à tous les Français pour le mieux-être de tous. Il fait de l'emploi sa priorité et vise au redressement de la France. Aussi le groupe UDF le votera-t-il. (Rires et exclamations sur de nombreux bancs)

M. le Président - Il n'y a pas ni contrefaçon ni équivoque : M. Mariton parlait bien de l'UMP !

M. Didier Migaud - Il y a manifestement de la confusion dans les rangs de l'UMP : ce n'est pas étonnant !

Le Premier ministre avait demandé cent jours pour la confiance. En fait de confiance, nous avons l'état d'urgence social ! C'est, pour partie, le résultat de la politique profondément injuste que vous menez depuis juin 2002. Votre projet de loi de finances saura-t-il répondre aux préoccupations des Français ? (« Oui ! » sur certains bancs de l'UMP) Non, malheureusement ! Loin de tirer les leçons de vos échecs passés, vous étendez les mesures injustes et inefficaces prises sous le gouvernement de M. Raffarin.

De surcroît, les perspectives économiques ne sont pas aussi roses que vous ne le dites : certes, les résultats du troisième trimestre 2004 sont plutôt positifs, et nous nous en réjouissons, mais les premiers chiffres de la consommation pour le mois d'octobre sont mauvais, comme bien d'autres indicateurs. Les dépenses augmentent malgré la remise en cause de nombreuses politiques publiques, de même que les déficits, la dette et les impôts de la plupart de nos concitoyens. La consommation et le pouvoir d'achat sont en berne, et le chômage reste élevé. Nous l'avons dit lors de l'examen de la première partie du PLF : ce mauvais budget se caractérise par l'injustice, l'absence de responsabilité et le manque de sincérité.

Mais vous y ajoutez l'indécence, car les mesures fiscales que vous avez défendues, Monsieur le rapporteur général, sont le contraire de la justice fiscale. Celles qui concernent les plus grand nombre sont faibles - la prime pour l'emploi représentera en moyenne cinq euros par mois pour 8,5 millions de bénéficiaires - tandis qu'un petit nombre de contribuables privilégiés profite de la baisse de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune, ainsi que d'un bouclier fiscal ressemble fort à un paradis fiscal !

M. Pierre Lellouche - N'importe quoi !

M. Didier Migaud - Un nombre infime de contribuables bénéficiera d'une réduction d'impôt atteignant plusieurs centaines de milliers, voire le million d'euros ou plus (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ! Que valent cinq euros en regard de cela ?

Non, vos réformes ne profitent pas aux classes moyennes et modestes : 1 % de nos concitoyens bénéficiera de 30 % des sommes que vous consacrez aux réductions d'impôts. Et vous ajouterez sans doute d'autres mesures de la même eau dans le collectif budgétaire adopté ce matin...

Votre budget, dur et injuste pour les ménages, l'est aussi pour les collectivités locales, dont vous faites le procès. Nombre d'entre elles seront asphyxiées par votre très mauvaise réforme de la taxe professionnelle. Mais ce n'est que grâce aux amendements déposés par le groupe socialiste que vous avez découvert ses effets pervers : vous l'avez vous-même reconnu !

Pourtant, des mensonges répétés ne deviennent jamais vérité. Votre politique est injuste, dangereuse et irresponsable. Elle n'est pas financée et reporte des dépenses sur les exercices ultérieurs, lorsque, nous l'espérons, vous ne serez plus au pouvoir.

Votre budget est en complet décalage par rapport aux problèmes des Français. Il creusera les inégalités et accentuera les difficultés des collectivités locales. Notre vote n'est pas de circonstance : d'emblée, nous avons pressenti et combattu les effets négatifs de votre politique. Plus nos concitoyens ressentent ces effets, plus notre opposition se renforce : nous voterons contre ce projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Conformément à l'article 53, alinéa 3, chaque orateur a cinq minutes, et je veille et continuerai de veiller à ce qu'aucun ne les dépasse ! (Exclamations sur divers bancs)

M. Charles de Courson - Pour le groupe UDF, le projet de budget pour 2006 a cinq caractéristiques.

Tout d'abord, il est pas sincère : ni sur les prévisions de croissance - qu'il s'agisse du consensus des experts ou des prévisions économiques de la Commission européenne -, ni sur le taux de croissance des dépenses de l'Etat - celui de 1,8 % que vous affichez est dû à des artifices de présentation budgétaire, et les dépenses augmenteront en fait de 4,8 %. Au fond, vous renoncez à dire la vérité aux Français sur l'extrême gravité de la situation de nos finances publiques, et vous refusez de fournir l'indispensable effort de réduction des dépenses qui en découle, au contraire de ce que vient de faire la grande coalition allemande.

En second lieu, ce budget menace l'avenir de nos finances publiques. Vous engagez 6,2 milliards d'euros de baisses d'impôt non financées, et vous encaissez les douze milliards de recettes espérées de la privatisation des trois sociétés d'autoroutes - renonçant ainsi à des dividendes qui ont augmenté pendant un quart de siècle - en en consacrant un tiers à des dépenses reconductibles. Ce projet entérine en outre un déficit public insupportable, l'aggravation régulière de la pression fiscale et sociale et la hausse constante de la dette publique, qui atteindra 1 162 milliards à la fin de 2006. A cette dette réelle s'ajoute d'ailleurs une dette potentielle de 1 000 milliards due aux engagements financiers pris aux retraites de la fonction publique de l'Etat et aux régimes spéciaux. Aussi, ne nous étonnons pas que l'agence de notation « Standard and Poor's » s'interroge sur le maintien de la note « triple A » accordée jusqu'ici à la République française !

Troisièmement, et c'est plus grave encore, votre budget comporte des dispositions fiscales injustes. Au lieu de soulager la pression croissante des impôts et charges sur les classes moyennes, vous concentrez les cadeaux fiscaux sur les plus gros contribuables.

Plusieurs députés socialistes - Et oui !

M. Charles de Courson - Pour plus des deux tiers - soit 280 millions d'euros -, le bouclier fiscal profitera à 16 800 contribuables imposables à l'ISF, dont certains seront même exonérés d'impôts locaux sur leur résidence principale. L'intégration des 20 % d'abattement dans la baisse du barème de l'impôt sur le revenu coûtera 3,6 milliards et bénéficiera surtout à 100 000 contribuables, pour 885 millions. Au total, 116 800 personnes profiteront de près de 1,2 milliard de réduction d'impôt, soit près de 10 000 euros par personne ! Ainsi, 0,4 % des 35 millions de contribuables français bénéficieront de 25 % de l'ensemble des mesures relatives à l'impôt sur le revenu.

Quatrièmement, votre budget n'est pas économiquement efficace. Parce que les déficits publics ne sont pas notablement réduits et que la dépense publique n'est pas maîtrisée, il pèsera sur une croissance déjà insuffisante et risque fort d'entraîner la réactivation, par l'Union européenne, de la procédure pour déficit excessif. En 2006, plus de la moitié de la richesse créée par les Français sera prélevée par le secteur public. Il est vrai que la gauche porte une large part de responsabilité dans la dégradation profonde des finances publiques (« Ah ! » sur certains bancs du groupe UMP), mais les erreurs des uns n'excusent pas celles des autres !

Enfin, votre budget porte une nouvelle atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités locales et à la nécessaire responsabilisation des élus locaux devant leurs électeurs, en gelant plus de la moitié de l'assiette de la taxe professionnelle, en sanctionnant les collectivités bien gérées où la pression fiscale est faible tout en récompensant celles dont la fiscalité est élevée, et en freinant l'intercommunalité à taxe professionnelle unique ; quant aux département, il verront leur situation financière se dégrader.

Notre diagnostic est partagé bien au-delà de nos bancs. Ce que certains disent en privé, nous le disons publiquement, et en tirons les conséquences : le groupe UDF ne votera pas le budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Alain Bocquet - C'est peu de dire que vous nous proposez un budget de classe ! Les plus riches s'enrichiront, tandis que les plus pauvres - ceux qui gagnent péniblement leur vie par le travail, mais aussi les collectivités locales - s'appauvriront. Toute honte bue, vous avez fait voter nuitamment un abattement de 75 % de l'ISF qui permettra par exemple à votre ami M. Desmarets, PDG de Total, de récupérer 120 000 euros, auxquels s'ajoutera un allégement de 224 512 euros de son impôt sur le revenu. C'est l'équivalent de 235 SMIC : quel scandale ! Quelque 12 000 hauts cadres et PDG actionnaires se partageront pour leur part un allégement fiscal de 68 millions. Décidément, notre République est devenue, à cause de votre politique, celle des copains et des coquins (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Plafonnement de la TVA, confirmation de la suppression de la surtaxe Juppé, démantèlement du mécanisme d'imposition des plus-values à long terme sur cessions de titres : ces trois mesures entraînent une perte de recettes de cinq milliards sur les deux prochaines années. Or ces cadeaux fiscaux seront sans effet sur la courbe du chômage car l'essentiel de cette manne servira à accroître les marges du capital. Le 1,2 milliard de réduction fiscale offert à une minorité de nantis est tout aussi injuste et stérile. La remise en cause de la progressivité de l'impôt sur le revenu, le bouclier fiscal et l'abattement d'ISF pour les PDG actionnaires ne relanceront pas la consommation des ménages : au contraire, ces réformes nourriront la spéculation. Nous avons quant à nous proposé de mobiliser ces 6,2 milliards pour financer un plan d'action en faveur des quartiers populaires, or, cette loi de finances constitue une fin de non-recevoir alors que dans notre pays l'argent coule à flot (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Pour satisfaire au pacte de stabilité, la majorité continue de privatiser à tout-va : autoroutes, GDF, EDF, bientôt Aéroports de Paris puis, sans doute, la banque postale, et, comme le redoutent les cheminots, des pans entiers de la SNCF. Qu'importent l'intérêt général et les conséquences à long terme ? Ce budget consacre un Etat rabougri et une marchandisation envahissante. Les hôpitaux publics, asphyxiés par la rigueur, subissent la concurrence de cliniques privées subventionnées. Seuls la défense, la justice et l'intérieur sont épargnés.

Votre réforme de la taxe professionnelle coûtera 3,2 milliards aux finances publiques, dont 1,5 milliard au titre du plafonnement, réduisant ainsi le rendement de la TP de 13 %. La majeure partie de ce cadeau fiscal bénéficiera aux grandes sociétés ou à leurs filiales. A contrario, les collectivités locales ne pourront dégager des ressources indispensables au financement de leurs missions de service public. Cette mesure est inacceptable pour nous, mais c'est également ce que pensent les maires de France, réunis actuellement dans un congrès où domine l'inquiétude quant aux effets qu'il aura sur les finances locales et sur l'autonomie financière des collectivités.

Cinq mille postes sont supprimés dans la fonction publique. La perte de pouvoir d'achat des fonctionnaires, évaluée à 5 % depuis 2000, s'amplifiera. Votre unique ambition est de gérer les services publics comme des hypermarchés et de les cantonner au maintien de l'ordre ainsi qu'à la préservation d'une cohésion sociale a minima. Notre groupe, lui, a proposé une relance de l'action publique. Il s'agit de dégager des ressources nouvelles en élargissant la base de l'impôt sur le revenu à tous les actifs financiers et immobiliers, en créant de nouvelles tranches supérieures, en améliorant le rendement d'un impôt sur les sociétés modulable selon les politiques d'emploi, de formation et de salaires des entreprises, en faisant de la taxe professionnelle un véritable impôt assis sur les actifs matériels et financiers des entreprises ou encore en renforçant l'ISF. Mais c'est le Medef qui a prêté sa plume à la rédaction d'une loi de finances qui non seulement ignore toute alternative à la domination de l'argent prédateur mais affaiblit les pouvoirs publics !

Nous voterons contre ce texte de classe, parce que vous y êtes sourds aux attentes des Français et à la défiance qu'ils ont exprimée à l'endroit des politiques ultralibérales le mouvement social et les électeurs du 29 mai dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

A la majorité de 353 voix contre 185 sur 551 votants et 538 suffrages exprimés, le projet de loi de finances pour 2006 est adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures 5, sous la présidence de M. Warsmann.

PRÉSIDENCE de M. Jean-Luc WARSMANN

vice-président

LUTTE CONTRE LE TERRORISME

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire - Dans le monde tourmenté qui est le nôtre, assurer la sécurité des Français constitue l'un des devoirs les plus sacrés. Votre assemblée est aujourd'hui appelée à se prononcer sur les moyens de dissuader et de combattre l'une des formes les plus barbares et les plus pernicieuses de la violence : le terrorisme.

Barbare, le terrorisme l'est, parce que sa logique de terreur est fondée sur le meurtre de victimes parfaitement innocentes.

Pernicieux, il l'est aussi, parce que ses modes opératoires n'obéissent à aucune des règles juridiques ou morales de la communauté internationale.

La France a déjà été frappée par ce fléau. Elle connaît le prix de cette épreuve sanglante. Elle connaît ce sentiment de peur qu'il convient cependant de maîtriser. Elle connaît les objectifs et les pratiques de cette guerre souterraine, qu'elle n'a pas déclarée mais à laquelle elle a décidé de répondre sans faiblesse.

Toutes majorités confondues, de gauche comme de droite, la France n'a jamais cédé et ne cédera jamais aux intimidations des fanatiques, des assassins et des barbares que sont les terroristes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Daniel Vaillant - C'est vrai.

M. le Ministre d'Etat - C'est une constante de la vie politique nationale et un point qui fait consensus : aucune faiblesse n'est de mise à l'endroit du terrorisme et des terroristes.

La France vit en paix et n'a aucun adversaire désigné. Mais avec la disparition de la bipolarité Est-Ouest, notre planète est traversée par des tensions, nationales, régionales, culturelles, dont les répercussions ne sont pas localement circonscrites. C'est l'étrange paradoxe de notre monde contemporain, qui, en se décloisonnant et en s'unifiant, libère simultanément des haines longtemps retenues et de nouvelles rivalités.

Alors que la France est une nation pacifique, je viens pourtant de prononcer le mot « guerre », et ce terme n'est pas excessif. La guerre contre le terrorisme est d'un genre particulier : ignorant les frontières et les Etats, elle prend parfois la forme d'une guerre épistolaire et sans préavis ; c'est aussi une guerre dont les « combattants » vivent dans l'ombre et au sein de laquelle les acteurs et les structures sont ordonnés et hiérarchisés en même temps que disséminés et isolés.

Notre pays n'a pas été confronté à des actes terroristes sur son sol depuis plusieurs années. Mais nous ne sommes nullement à l'abri de cette guerre, car ses instigateurs sont tout à fait imprévisibles. Je le dis avec gravité : les ingrédients de la menace existent et les scénarios d'actions violentes sur notre sol sont parfaitement réalistes.

Rien ne serait donc plus trompeur et inconséquent que de croire que ce qui s'est passé à New York, Madrid et Londres est impossible en France. Les prétendus motifs géopolitiques ou spirituels qui ont inspiré ces attentats sont à géométrie variable : ils sont donc extensibles et transposables chez nous. La raison en est simple : les assassins terroristes sont en fait animés par une logique de haine, haine dont nous sommes l'une des cibles en tant que société démocratique, prospère, ouverte et tournée vers les horizons du monde. Voilà pourquoi il serait irresponsable et illusoire de faire preuve d'attentisme ou d'angélisme.

L'heure est donc venue de prendre acte de ces mutations, qui nous contraignent à ajuster notre posture et nos modes de protection. Dès lors, deux questions centrales se posent.

La première est de savoir si les attentats terroristes perpétrés au cours de la dernière décennie témoignent d'une évolution fondamentale des phénomènes terroristes. Toutes les indications dont je dispose me conduisent à répondre oui. Nous sommes bien confrontés à une évolution fondamentale du terrorisme.

La seconde question va de pair : assiste-t-on à l'émergence d'un « terrorisme global », représentant pour la sécurité de la France et de l'Europe une menace de niveau stratégique ? Tous les renseignements dont je dispose me conduisent, là encore, à répondre par l'affirmative. Oui, la menace terroriste est une menace de dimension stratégique.

Le constat est malheureusement irréfutable : dans la nature et l'organisation du terrorisme, un saut qualitatif et quantitatif a été accompli, qu'il s'agisse de l'attractivité idéologique et de la capacité fédératrice, ou de l'élévation du niveau de violence - jamais avant les attentats de Londres, et le suicide des auteurs de celui de Madrid, on n'avait vu de kamikazes en Europe ; et comme on peut aisément tuer sans cela dans le métro, leur utilisation renforce l'horreur - qu'il s'agisse enfin de la sophistication des moyens employés ou de l'extension géographique.

Du terrorisme d'Etat des années 1970, nous sommes passés à un terrorisme infra-étatique infiltré dans nos sociétés ; du terrorisme politique aux objectifs relativement ciblés - et qu'il n'est pas question de justifier - à un terrorisme idéologique aux desseins élargis et parfois apocalyptiques ; du terrorisme localisé à un terrorisme globalisé exploitant les outils modernes de communication et de destruction. Voilà le visage actuel du terrorisme, qui n'a jamais été aussi global, aussi sophistiqué, aussi violent et menaçant. Si j'y insiste, ce n'est pas pour effrayer, mais pour établir d'abord un diagnostic clair et accepté de tous.

Ce terrorisme s'est trouvé au surplus une identité nouvelle, dont il se pare de façon odieuse et injurieuse pour couvrir ses crimes et structurer ses élans, et dont je n'esquive pas le nom : celle de l'islaM. Cette ancienne et si respectable religion du livre, dont les préceptes de paix et de tolérance mutuelle sont bafoués, constitue, pour l'heure, l'axe doctrinal autour duquel nos adversaires, nos ennemis, s'organisent. Cette exploitation éhontée de l'islam lance un défi politique et moral aux sociétés occidentales : celui de la cohésion, face au prétendu choc des civilisations. Et j'ai parlé de l'islam pour ne pas céder à un autre aspect du terrorisme, idéologique cette fois, qui voudrait nous interdire certains mots tout en nous poussant à un amalgame que nous devons, bien sûr, combattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous devons non seulement lutter contre les terroristes et leurs alliés, mais aussi lutter contre les idées fausses et les réflexes de rejet qui pourraient conduire à assimiler islam - j'ai prononcé le mot car il n'est pas tabou - et terrorisme. La bataille est donc aussi politique et idéologique. A cet égard, j'indique avec force que la lutte contre le terrorisme n'est en rien un conflit avec l'islam, mais une lutte contre des filières, des groupes et des réseaux qui en dévoient la tradition humaniste.

Aujourd'hui, la principale menace stratégique réside dans ce que les experts appellent « le jihadisme global », dont tout porte à croire qu'il vient encore de frapper à Amman. Ce « jihadisme global » n'est pas ancré territorialement, ne fonctionne pas sur un mode exclusivement hiérarchique et structuré. Il est souple, furtif, décentralisé.

Ses modes d'actions sont complexes et difficiles à déjouer. Il est d'ailleurs paradoxal que, pour exécuter les actes les plus barbares, les terroristes les plus primaires utilisent parfaitement les réseaux complexes des sociétés les plus développées : stratégie d'implantation de petites cellules autonomes; division, et donc spécialisation du travail, que nous avons constatée lors des dernières arrestations, entre doctrinaires, logisticiens, financiers et auteurs ; passage à l'acte plus rapide après le recrutement grâce à un processus de dépersonnalisation des individus. Qui ne connaît l'histoire de cette citoyenne belge de souche, qui a fait des milliers de kilomètres avec son mari pour devenir une kamikaze en Irak ? Hélas,certains de nos compatriotes sont dans ce cas.

Face à cette situation, qu'en est-il pour la France ?

Je serai clair : la menace qui pèse sur nous provient d'abord de mouvements ou de groupes implantés à l'étranger. Les déclarations de l'émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat en sont l'illustration la plus évidente. Mais elle provient tout autant de personnes vivant chez nous, recrutées par les structures salafistes, formées dans les écoles du Proche ou du Moyen-Orient, et qui, lors de leur retour dans notre pays, constituent un véritable danger. Tous les suspects ne présentent pas un profil aussi inquiétant, mais il existe sur notre sol des disciples de la violence et de la barbarie. Depuis le début de l'année 2002, plus de 367 personnes ont été interpellées et près de 100 ont été mises en examen et écrouées. C'est rassurant sur l'efficacité de nos services, mais aussi très inquiétant.

Cette menace intérieure a ses prédicateurs. Depuis le 1er janvier 2005, nous avons expulsé 19 islamistes intégristes. Les prêcheurs de haine n'ont pas leur place sur le territoire national ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; approbation de M. Ayrault) Chaque fois que ce sera nécessaire, la République rejettera ceux qui insultent à ses principes et bafouent ses valeurs !

Fort de ces constats, j'invite l'Assemblée à prendre la mesure des risques potentiels qui planent sur la France et, en adoptant ce projet, à exercer une vigilance renforcée, comme il est de son devoir.

Certes, en démocratie le respect des droits fondamentaux ne se négocie pas. Mais la liberté n'est pas synonyme d'imprévoyance, ni de faiblesse. Les adversaires de la démocratie doivent savoir qu'elle est décidée à se défendre et à rendre coup pour coup, avec ses méthodes propres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il faut agir maintenant, pour ne pas avoir à dire un jour : « Trop tard ! » Voilà pourquoi ce projet est examiné en urgence par le Parlement.

Nous ne partons pas de rien. Depuis une vingtaine d'années, chaque gouvernement et chaque majorité se sont employés à affûter nos dispositifs de lutte. J'ai passé en revue tous les textes votés au cours de ce laps de temps. Nul ne peut dire : « j'ai fait plus que l'autre ». Chacun a essayé de faire le mieux possible.

L'action des services a gagné en coordination grâce à travers l'UCLAT, l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste. Des plans spécifiques, au premier rang desquels le plan Vigipirate, ont également renforcé nos outils de prévention. Depuis 2002, les effectifs du RAID, de la DST, de la Division nationale antiterroriste, de la Police Judiciaire, des services spécialisés des Renseignements généraux ont été, par ailleurs, confortés.

La coopération avec les pays alliés n'a jamais cessé de s'approfondir, notamment au niveau européen. Pratiquement aucune des arrestations de ces trois dernières années n'a pu être réalisée sans le concours d'informations données par des services étrangers. Bien des choses restent encore à faire sur cette question stratégique, mais l'extradition prochaine de Rachid Ramda montre qu'un changement d'esprit et de méthode est enfin à l'œuvre. Le renforcement d'Europol, la création d'un parquet européen, la clause de solidarité entre Etats victimes d'un attentat constituent les prochaines étapes indispensables à l'élaboration d'une véritable stratégie commune.

Du point de vue juridique enfin, les textes votés en 1986 ont permis la centralisation et la spécialisation des poursuites et de l'instruction des infractions terroristes. La loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne a facilité les fouilles de véhicules, les perquisitions et saisies en enquête préliminaire. Elle a aussi permis l'utilisation des moyens militaires de déchiffrement et le recours à la visioconférence dans les procédures judiciaires, et elle a modifié diverses dispositions du code pénal relatives à la répression du terrorisme. La loi du 18 mars 2003 a pérennisé toutes ces dispositions, et celle du 9 mars 2004 a renforcé les moyens d'enquête judiciaire et créé de nouvelles infractions en matière de terrorisme.

Ainsi, nous disposons d'instruments juridiques qui ont été conçus pour donner plus de moyens à l'autorité judiciaire. Mais leur faiblesse est de s'appliquer davantage après un acte terroriste qu'avant qu'il ne soit commis. Notre arsenal est assez efficace pour arrêter les coupables, mais nos concitoyens attendent avant tout que nous évitions les drames (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La véritable question est donc celle de l'amont : il s'agit de prévenir le terrorisme pour ne pas le subir, de parer les coups plutôt que de panser les plaies. Pour cela, il faut améliorer la collecte de renseignements. C'est tout l'esprit de ce projet de loi, et toute sa difficulté, puisqu'il sort du strict cadre judiciaire : il va de soi qu'un acte doit avoir été commis pour qu'un juge soit saisi !

Les objectifs du texte sont clairs et précis. Le premier est le développement de la vidéosurveillance, fondé sur les enseignements de l'expérience britannique. Nous devons pour cela aménager le régime de la loi du 21 janvier 1995, mais nous ne alignerons pas pour autant sur nos amis anglais, qui vont avoir 25 millions de caméras - je vous laisse réfléchir à ce chiffre, dans le pays qui est l'exemple de la démocratie à travers le monde ! Des personnes morales exposées à un risque terroriste, comme les lieux de culte ou les grands magasins, pourront filmer la voie publique aux abords de leurs bâtiments. Une procédure d'installation en urgence de caméras et un agrément technique garantissant le bon fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance sont prévus. Ce sont des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie qui pourront accéder aux images. Toutes les garanties de procédure prévues en 1995 sont maintenues, et deux s'y ajoutent : la limitation à cinq ans de la validité de chaque dispositif et la possibilité pour les commissions départementales, présidées par un magistrat, d'exercer à tout moment un contrôle. Par ailleurs, le préfet pourra prescrire une installation pour des cibles potentielles telles que les centrales nucléaires, les grandes installations industrielles, les aéroports ou les gares.

Le second objectif est le renforcement du contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste. Ce sont des individus très mobiles et qui utilisent de façon intensive les technologies de communication les plus modernes. Je n'accepte pas que nos services aient un temps de retard ! Je vous propose donc de leur donner les armes de l'action préventive. Ainsi, nous allons faciliter les contrôles d'identité dans les trains internationaux - contrôles qui, pour des raisons qui m'échappent, ne sont autorisés que dans une bande de 20 kilomètres de chaque côté de la frontière ! Nous souhaitons également soumettre les personnes offrant à titre professionnel une connexion à l'internet - les cybercafés par exemple - aux mêmes obligations de conservation des données que les opérateurs classiques. Les cybercafés seront systématiquement visités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Des agents spécialisés des services de police et de gendarmerie pourront se faire communiquer certaines données détenues par les opérateurs : il ne s'agit en aucun cas d'intercepter le contenu des échanges, mais de pouvoir connaître rapidement les numéros d'abonnement, recenser les différents abonnements d'une personne ou localiser les équipements terminaux. Il nous importe moins de savoir ce que se sont dit des individus que de savoir à qui, quand et d'où ils ont parlé ! En effet nous savons pertinemment qu'ils ne se disent rien d'intéressant, mais quand quelqu'un est arrêté, les données de son téléphone sont précieuses... Une procédure ad hoc, impliquant une personnalité qualifiée et la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, offrira toutes les garanties nécessaires.

Le troisième objectif est relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel. Nos services doivent pouvoir exploiter les données contenues dans les cartes d'embarquement et de débarquement des passagers des compagnies aériennes ou recueillies lors de la réservation d'un voyage en provenance ou à destination de pays extérieurs à l'Union. Nous pourrons ainsi suivre à la trace les individus qui partent s'entraîner au djihad dans des pays tels que l'Irak. Lorsqu'un individu part quatre mois dans un pays sensible, il est du devoir des services de police de savoir ce qu'il fera en rentrant, spécialement lorsqu'il n'a ni travail, ni revenu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Aller passer quatre mois au Pakistan, en Afghanistan ou en Irak qui, pour l'instant, ne sont pas à proprement parler des destinations touristiques, voilà un élément qui justifie une alerte administrative, en-dehors de toute procédure judiciaire. D'autres démocraties se sont dotées de ces moyens. On me répondra peut-être que ces gens peuvent partir d'une autre capitale européenne, mais ce n'est pas une raison pour que Paris soit le ventre mou de l'Europe ! Ce n'est pas parce qu'on peut partir d'ailleurs que nos aéroports doivent être des passoires !

Le projet de loi renforce en outre les dispositifs de surveillance automatique des véhicules dans certaines zones à risques. Après les attentats de Londres, l'un des terroristes est reparti vers l'Italie en passant par la France. Si nous avions disposé d'un tel dispositif, nous aurions pu le repérer ! Il s'agit de créer un traitement automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants ; ces données seront rapprochées du fichier des véhicules volés ou signalés et conservées dans des délais très limités. Il est nécessaire, en outre, d'accroître les possibilités de consultation par la police antiterroriste de certains fichiers administratifs du ministère de l'intérieur : immatriculations, permis de conduire, cartes d'identité, passeports, dossiers de ressortissants étrangers... Les services antiterroristes ne doivent pas être ceux qui ont le moins de droits en la matière !

Le quatrième objectif, élaboré avec le Garde des Sceaux, est de compléter le dispositif pénal qui sanctionne les actes de terrorisme. Il s'agit tout simplement de criminaliser l'association de malfaiteurs terroristes lorsqu'elle a pour objet la préparation de crimes d'atteintes aux personnes, en la punissant de vingt ans de réclusion au lieu de dix et de trente ans au lieu de vingt selon les cas. Nous voulons punir fermement à la fois les têtes de réseaux et les petites mains. La République sera sévère avec tous, du penseur à l'exécutant.

Il est proposé, d'autre part, de centraliser auprès des juridictions de l'application des peines de Paris le suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme. On a centralisé l'instruction, le jugement, les poursuites, il faut centraliser la gestion de ces détenus dont on sait la capacité à propager leurs idées en milieu carcéral !

Le cinquième objectif consiste à lutter contre les stratégies d'implantation territoriale des terroristes. Certains tentent de tirer avantage de l'acquisition de la nationalité française. Il faut donc porter de dix à quinze ans les délais permettant d'engager la procédure de déchéance de la nationalité française, en cas de condamnation pour un acte portant une atteinte manifeste aux intérêts fondamentaux de la nation.

Notre dernier objectif, qui a été défini avec le ministre de l'économie, est la lutte contre le financement des activités terroristes. C'est un point capital, qui ne devrait pas faire débat entre nous. Le ministre chargé de l'économie pourra ainsi geler sans délai les avoirs financiers détenus ou contrôlés par des personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Notre réactivité en sera grandement améliorée. D'une durée de six mois renouvelables, la mesure fera, ainsi que l'a souhaité le Conseil d'Etat, l'objet d'un contrôle de la juridiction administrative.

Notre but est simple : il s'agit ni plus ni moins que d'élever notre garde face à tous ceux qui seraient tentés de frapper la France ou ses alliés. Ce projet est le fruit d'un équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés, équilibre confirmé par l'avis favorable du Conseil d'Etat qui est, avec le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, le gardien des libertés publiques. Deux garanties me paraissent essentielles. La première est que tout fichier informatique sera conçu dans le respect scrupuleux de la loi de 1978 sur l'informatique et les libertés. Nous définirons distinctement les finalités des fichiers et les personnes habilitées à y accéder. La traçabilité des accès sera parfaitement assurée, comme elle l'est déjà maintenant, ce qui signifie que des sanctions pourront être appliquées en cas d'usage inapproprié.

La seconde garantie tient dans la clause de rendez-vous : les dispositions les plus sensibles du projet de loi, car j'ai conscience qu'il y en a, sont prévues pour trois ans et en 2008, le Parlement devra se prononcer à nouveau sur leur nécessité. Cette clause figurait déjà dans la loi votée à l'automne 2001, après les attentats du 11 septembre, à l'initiative du gouvernement Jospin, et j'en approuve le principe. On ne peut pas mieux illustrer la volonté consensuelle du Gouvernement et sa détermination à inscrire la lutte contre le terrorisme dans une tradition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Nos stratégies et nos dispositions légales doivent être soumises à évaluation et à adaptation constantes, face à des menaces en évolution permanente. Il serait curieux que les terroristes sachent s'adapter et que nous en soyons incapables ! Un livre blanc sur le terrorisme, dont l'élaboration est déjà largement amorcée, sera présenté au Parlement dans les prochains mois. Il constituera le socle de notre réflexion.

La démocratie est une conquête humaine précieuse, mais fragile. Elle a ses adversaires, et ils sont résolus. Ils sont organisés. Ils ont déjà frappé. Par ce projet de loi, notre République, fidèle à ses valeurs humanistes, leur répond de façon claire, ferme et par-dessus tout, j'espère, efficace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois - Nous voici réunis pour répondre à l'une des inquiétudes des Français, qui celle-là concerne une violence bien spécifique : le crime contre les populations, arme ultime des terroristes qui ont choisi de livrer un combat sans précédent contre nos démocraties. Il s'agit aujourd'hui pour nous de libérer nos concitoyens de leur crainte.

N'ayons pas peur des mots, surtout en cette période. Sous la dictature de l'euphémisme, la moindre vérité devient provocation verbale et entraîne de vertueuses vitupérations, nous l'avons vu récemment chez des émeutiers que l'on imaginait moins à cheval sur les bonnes manières... On a peur d'attraper des mots comme on a peur d'attraper la grippe aviaire, nous dit le romancier Philippe Muray ! Mais disons-le franchement : nous sommes là pour légiférer afin de défendre la nation contre les menaces d'un terrorisme international violent d'inspiration politico-religieuse, principalement islamique, qui a pour intention l'anéantissement de notre monde. Contrairement à ce que l'on dit dans certains cercles, ce n'est pas une affaire de prosélytisme religieux, mais tout simplement de conquête politique : il s'agit de remplacer notre système de société par un autre. Ne nous racontons pas d'histoire, ne nous laissons pas abuser par un discours lénifiant ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Qu'on ne nous accuse pas d'amalgame alors que nous avons assisté aux massacres de New York, de Madrid et de Londres, sans oublier Bali ou Amman : nous savons qui en sont les auteurs ou les inspirateurs. On nous dit aussi que nous aurions dû être frappés et que le hasard, la chance ou le savoir-faire nous ont épargné la douleur et la peine.

Le jihadisme, nouvel avatar du terrorisme, connaît depuis le 11 septembre 2001 une double mutation. D'abord dans sa nature : la cible est le monde entier ; les technologies les plus modernes sont utilisées tandis que le discours reste le plus souvent très archaïque. C'est un terrorisme opportuniste, qui profite de toutes les crises, de tous les conflits, voire d'événements les plus divers. Ensuite dans ses méthodes : afin d'optimiser les pertes, les groupes ont ou auront recours à des armes de destruction massive de type chimique, bactériologique ou radiologique. Ce danger existe en France - je pense notamment au réseau démantelé il y a peu à Romainville. De plus, le choix de l'attentat-suicide rend la prévention plus aléatoire et la répression plus relative.

Vous nous proposez d'adapter notre réponse à cette menace d'un type nouveau, par ce projet dont l'urgence a été déclarée.

Les huit premiers articles traitent de mesures de police administrative préventive : il s'agit de réglementer l'activité de certains services spécialisés dans la détection précoce de la menace terroriste. C'est une première car, jusqu'ici, ces services agissaient de manière empirique, et l'accès aux renseignements n'était pas encadré par des règles de compétence, ce qui n'était satisfaisant ni pour l'efficacité des services, ni pour la protection des libertés individuelles. Je réponds par avance aux critiques sur l'extension des procédures de vidéosurveillance et sur l'exploitation des fichiers sensibles : avec les dispositions proposées, nous saurons enfin qui fait quoi dans ces services et dans quel but, alors qu'il n'y avait de contrôle ni a priori ni a posteriori. Ce projet marque donc, j'y insiste, un progrès dans l'exercice de ces missions confidentielles, voire clandestines.

Il tend à modifier et adapter des dispositions existantes afin qu'elles répondent aux nouvelles menaces. C'est le cas pour la vidéosurveillance, la loi de 1995 n'ayant pas prévu son utilisation dans ce contexte. Dire au vu de l'expérience londonienne qu'elle ne permet pas d'éviter l'attentat, mais au mieux d'en identifier les auteurs est à la fois vrai et faux. La vidéosurveillance permettra de visualiser, sur la voie publique ou aux abords des lieux privés, la préparation ou même la réalisation d'actes violents ; elle aura aussi un effet dissuasif important. Elle permettra de détecter les situations suspectes et les comportements douteux, afin d'alerter les services compétents. Nous reparlerons de tout cela dans la discussion des articles - en particulier du pouvoir donné au préfet de prescrire ce système de protection en cas d'inaction des propriétaires de sites sensibles.

Vous proposez aussi, Monsieur le ministre d'Etat, de contrôler les déplacements et les échanges téléphoniques et électroniques des membres présumés d'organisations terroristes. Il s'agit en fait d'avoir accès, chez les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d'accès Internet, à des informations concernant l'identité de l'appelant et de l'appelé, éventuellement la position géographique et la durée de la communication ou de la connexion. Dans ce but, un certain nombre de données devraient être conservées par ces opérateurs - qui paraissent bien réticents, y compris ceux qui ont obtenu, sans contrepartie, de lucratives licences d'exploitation de téléphonie mobile (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Il est sans doute temps de mettre au clair certains modes de facturation « hasardeux »...

Je souhaite que le dispositif proposé permette aux investigations d'avancer, mais je me dois d'exprimer un doute après les auditions auxquelles notre commission a procédé : j'espère que le réseau sans fil « Wifi » qui, à Paris notamment, permet à un utilisateur d'ordinateur portable de se connecter à Internet sans entrer dans un cybercafé, ne donnera pas aux terroristes les moyens de le contourner.

De plus, le système de la « boîte aux lettres morte » rend illusoire le système de surveillance de l'émission ou de la réception d'un courrier électronique. N'oublions pas, enfin, que les groupes ont aussi recours au cryptage, en particulier par l'usage du logiciel PGP, impossible à casser. Tout cela démontre que nous sommes passés dans une autre dimension du terrorisme, qui doit nous conduire à renforcer notre cuirasse.

Les membres de ces groupes violents se déplacent à travers le monde et le territoire national : vous vous donnez les moyens de surveiller leurs déplacements, par train, véhicules et, bien sûr, avion. Vous proposez tout simplement de légaliser certaines pratiques, consistant à accéder à des informations recueillies par les compagnies aériennes, en particulier sur les destinations à risque. C'est bien la moindre des précautions, et le concept américain de Homeland Security peut nous inspirer. Cependant nous avons constaté que de nombreux jihadistes européens utilisent, lors de leurs déplacements, un ou plusieurs pays « coupe-circuit » pour brouiller le suivi de leurs itinéraires, en particulier l'Algérie, la Turquie et l'Egypte ; il faudra, Monsieur le ministre d'Etat, vous adapter à ces nouveaux modes opératoires.

Cette première partie du projet, qui réglemente l'amont de la lutte anti-terroriste, m'apparaît très équilibrée, même si des améliorations à la marge sont possibles.

Le second volet concerne l'aval du contre-terrorisme puisqu'il fait intervenir l'institution judiciaire. Il s'agit notamment de créer une qualification, de nature criminelle, d'association de malfaiteurs avec circonstances de terrorisme, relevant de la cour d'assises et non plus du tribunal correctionnel.

Cette criminalisation procède d'un constat : l'insuffisante répression de certaines actions terroristes, punies de dix ans d'emprisonnement, c'est-à-dire en réalité de cinq ans avec l'érosion des peines, alors qu'il s'agissait de personnes qui préparaient des attentats homicides. Votre rapporteur, qui avait à deux reprises proposé sans succès une telle réforme, ne peut que manifester son intérêt pour une refonte de l'article 421-5 du code pénal.

Il est prévu de centraliser l'application des peines à Paris, ce qui est logique et urgent, au moins dans le but de mettre fin à certaines contradictions. A ce jour, sur 353 détenus pour actes de terrorisme, 115 sont condamnés, au sein de 35 établissements pénitentiaires. Il doit être bien clair qu'il s'agit de centraliser la juridiction du juge de l'application des peines, et non de regrouper les détenus. Ce déplacement du JAP et la téléconférence doivent, de plus, éviter des transfèrements dangereux et coûteux.

Vous vous proposez de donner un peu plus de temps, donc de moyens, pour mettre en œuvre la procédure de déchéance de la nationalité française. Même si cela concerne peu de cas, ce message politique m'apparaît bienvenu.

Enfin, un dispositif assez complexe a pour objet de lutter contre le financement des activités terroristes. Il s'agit, en grande partie, de transpositions d'instruments judiciaires et de règles de l'Union européenne datant de l'après-11 septembre.

Le ministre de l'économie et des finances peut ordonner le gel de certains avoirs appartenant à des particuliers ou à des personnes morales soupçonnées de se livrer à des actes de terrorisme ; je doute de l'efficacité de ces systèmes très compliqués de gel et de confiscation, voire de surveillance des flux financiers internationaux. Si l'organisation centrale de type Al Qaida - à supposer qu'elle existe, ce dont certains doutent - bénéficie de contributions importantes et anonymes, il reste que le coût d'une opération terroriste est finalement très peu élevé : 500 000 dollars pour le 11 septembre 2001, 23 000 euros pour les attentats de 1995 en France. Les derniers réseaux interpellés à Paris ou en province fonctionnaient avec peu de moyens, s'agissant pour la plupart de personnes intégrées dans la vie civile ou dans leur communauté, dont le seul « luxe » était de prendre des billets d'avion pour aller au Moyen-Orient ou au Pakistan. Cependant, ces différents modes de contrôle de flux financiers peuvent s'avérer utiles en cas de changement de stratégie des groupes terroristes internationaux, étant entendu qu'il faut bien distinguer, dans le financement du terrorisme, entre le macro-financement, qui relève de ce texte, et le micro-financement, réprimé dans le cadre du droit commun.

Nous aurons, dans ce débat, à réfléchir à la durée de la garde à vue durant l'enquête terroriste. Ce débat exigeant devra avoir lieu sans arrière-pensées. Ne sauraient, en l'espèce, s'opposer d'un côté les défenseurs des libertés, de l'autre les tenants de la répression. Recherchons plutôt ensemble les moyens les plus adaptés dont les magistrats et les enquêteurs auront besoin dans l'avenir.

Permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous faire maintenant un reproche et de vous soumettre quelques propositions.

Je regrette de n'avoir disposé que de quinze jours pour travailler sur ce projet de loi. J'aurais aimé procéder à davantage encore d'auditions - nous en avons eu 48 -, expertiser certaines solutions, comparer des dispositifs, réaliser des études d'impact, toutes choses que je n'ai pu faire. Certes, le temps nous est compté pour appliquer cette loi et il n'était sans doute pas possible d'attendre la publication du livre blanc sur le sujet.

Dans le cadre de nos réflexions sur l'identification précoce de la menace, il nous a paru utile de vous faire certaines suggestions. La prévention des actes terroristes ne pouvant être efficace à 100 % et le risque existant d'attaques chimiques, bactériologiques ou radiologiques susceptibles de faire des milliers de victimes, il convient aussi de faire porter l'effort sur la sécurité civile. La réponse ne peut d'ailleurs être strictement nationale. Une harmonisation des législations et des pratiques européennes serait nécessaire, dans le cadre par exemple de la clause de solidarité décidée au Conseil européen du 25 mars 2004. Vu l'urgence, les réformes doivent être engagées en priorité dans les pays du G5. Les approches du phénomène terroriste sont en effet très différentes entre les pays d'Europe du Nord, réticents aux évolutions, et ceux d'Europe du Sud qui, pour compter des pays victimes, recherchent davantage l'efficacité.

Une réflexion devra également être engagée sur l'assurance du risque terroriste, que le marché privé n'est pas à même de prendre en charge seul, surtout dans le domaine NRBC. Un partenariat public-privé constituerait peut-être une solution.

La relative efficacité de notre dispositif de lutte contre le terrorisme ne doit pas être considérée comme acquise une fois pour toutes. La formation des acteurs du contre-terrorisme est aujourd'hui pour l'essentiel empirique et beaucoup de ceux formés à l'école des années 80 quitteront le renseignement, la police et la justice, emportant avec eux leur culture et leur savoir-faire. Si quelques-uns d'entre eux seulement devaient abandonner aujourd'hui leurs fonctions, notre outil serait immédiatement désorganisé. C'est pourquoi il faut veiller à la transmission de cette culture et de ces savoir-faire en envisageant dès à présent la création d'un Institut de formation au contre-terrorisme, assurant une formation continue. L'évolution de la menace, en particulier son caractère désormais global, nous oblige à professionnaliser notre action.

La lutte contre le terrorisme exige de prendre des mesures qui, si elles doivent demeurer proportionnées, peuvent avoir des incidences sur la vie quotidienne de la population, notamment restreindre la liberté d'aller et venir ou porter atteinte au respect de la vie privée. Il nous paraîtrait donc légitime de réfléchir à la nature et au degré de contrôle parlementaire sur les services de renseignement.

M. Pierre Lellouche - Très bien !

M. le Rapporteur - En effet, notre pays est la seule démocratie occidentale, à l'exception du Portugal et de la Turquie - mais celle-ci n'est pas vraiment une démocratie occidentale ! - où n'existe aucune structure parlementaire ou para-parlementaire de contrôle de ces services. L'existence de telles structures ne freine pas l'action des services de renseignement, l'expérience des Etats-Unis le montre. Nous ne saurions toutefois suivre exactement le modèle américain et la mise en place d'une commission de contrôle en France devrait être assortie des garanties nécessaires.

Il nous faut relever le défi que les groupes violents ont lancé à notre société. Nous devons à nos concitoyens de mettre en œuvre tous les moyens de protection que nous jugeons efficaces, quel qu'en soit le prix, la menace terroriste étant à coup sûr le premier élément déstabilisateur d'une société. C'est donc le pacte social, là aussi, qui est en cause.

Ce projet de loi devra nécessairement être adapté à l'avenir. Une clause de rendez-vous est d'ailleurs prévue, pour certaines dispositions, concernant notamment les technologies. Il correspond à notre perception actuelle de la menace terroriste, dans un contexte évolutif et sans doute en voie d'aggravation. Imagination et courage, voilà ce qu'attendent les Français de notre part. Nous ne gagnerons la paix terroriste que si nous le méritons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Gerin - Monsieur le ministre, je partage votre diagnostic sur l'aspect durable, global et stratégique de la menace terroriste. Votre projet appelle toutefois des critiques.

Le Gouvernement a décidé l'urgence sur ce texte, souhaitant, après les attentats de Londres, montrer à l'opinion publique que la lutte contre le terrorisme est l'une de ses priorités. Mais ce texte fourre-tout, qui ne prend en compte ni le caractère nécessairement global de la réponse ni la nouvelle donne internationale, ne répond qu'à des visées ponctuelles, tout en comportant, hélas, des dispositions attentatoires aux libertés.

La lutte contre le terrorisme se gagnera par le développement économique et social des peuples. Les coopérations mutuellement avantageuses sont donc la meilleure arme contre lui. C'est le défi du XXIe siècle pour toutes les démocraties. Eriger autour de notre pays des barrières n'est qu'un leurre.

Au-delà de ce contexte général, il faut tenir compte du fait que notre pays est placé sous état d'urgence pour trois mois. Si ce texte devait être adopté dans le même temps, il en résulterait une situation tout à fait inédite, avec des règles policières ultra-renforcées. Je m'interroge d'ailleurs sur la superposition des deux dispositifs, attentatoire aux libertés publiques.

L'examen de ce texte répond davantage à des circonstances de politique nationale qu'à une réelle volonté de lutter contre le terrorisme. Le Garde des Sceaux a eu l'occasion de rappeler jeudi dernier lors d'une conférence intitulée « Les Français face au terrorisme » que notre législation a été renforcée depuis les attentats de septembre 2001 ; les agissements ayant trait au financement du terrorisme et au blanchiment d'argent dans ce but sont désormais considérés comme des infractions terroristes. Un livre blanc sur la sécurité intérieure face au risque terroriste est par ailleurs en projet, et le Premier ministre a annoncé, lors de cette même conférence, que les conclusions en seraient rendues publiques avant la fin de l'année. Le même jour, vous déclariez, Monsieur le ministre de l'intérieur, que l'Etat ne pouvait manquer à son premier devoir qui est d'assurer la sécurité des citoyens, et qu'il devait le faire avec le souci de l'efficacité tout en respectant ses valeurs. « Il ne faut pas que nous y perdions notre âme », ajoutiez-vous, avant d'assurer que le futur livre blanc tiendrait un langage de vérité à tous, citoyens, élus, entreprises et associations. Voilà bien qui est en profond décalage avec le contenu de votre projet de loi !

D'ailleurs, pourquoi l'examiner en urgence ? Soit ce texte est utile et le livre blanc est superflu, soit c'est l'inverse. Est-il cohérent dans un pays, de surcroît placé sous état d'urgence, de débattre une première fois du terrorisme en novembre, de publier un livre blanc sur le sujet en décembre avant sans doute de préparer un nouveau projet de loi le mettant en œuvre ? La question du terrorisme, véritable question de politique nationale, devrait être abordée de manière non partisane. Toutes les forces politiques, de droite et de gauche, devraient être consultées et associées pour parvenir à un engagement traduisant une unité nationale.

L'analyse précise des dispositions du projet de loi me renforce dans ma conviction qu'il est en profond décalage avec la situation. S'il ne portait pas atteinte aux libertés, je le qualifierais de dérisoire.

Le premier chapitre a trait à la vidéosurveillance. Est-ce parce que celle-ci a permis d'identifier a posteriori les auteurs des attentats de Londres qu'elle a été intégrée à ce texte ? Cette mesure étant très importante pour l'opinion publique, le Gouvernement veut montrer qu'il veille à notre sécurité. Mais outre que la vidéosurveillance peut en elle-même porter atteinte aux libertés fondamentales, se pose la question de la place et du rôle de l'Etat dans son utilisation. Des opérateurs privés pourraient ainsi filmer la voie publique, la police et la gendarmerie pouvant avoir accès à leurs images hors de tout cadre judiciaire.

L'exposé des motifs est clair à ce sujet. Il y est question, d'une part, de permettre l'installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux publics, et d'autre part, que le préfet n'autorise qu'aux personnes morales exposées à des actes de terrorisme de déployer des caméras filmant la voie publique aux abords de leurs bâtiments.

Or, l'absence de contrôle global et public d'une telle extension n'est pas crédible, et elle peut être même dangereuse pour la République en danger, car elle renvoie la lutte contre le terrorisme au niveau local ou privé. Si l'utilisation de la vidéosurveillance ne nous choque pas a priori, l'Etat ne peut s'en décharger sur les collectivités locales ou des opérateurs privés. La lutte contre le terrorisme est une fonction régalienne de l'Etat ; son transfert serait une dérive dangereuse, ouvrant la voie à l'abandon du modèle social français et à l'éclatement de la nation au nom de la loi du marché.

La CNIL pose de nombreuses questions à ce sujet dans son avis du 10 octobre 2005 : comment seront exploitées les données mises à la disposition des services de police - qui leur permettront de suivre une grande partie de la population dans ses déplacements quotidiens - y compris vis-à-vis des personnes concernées ? La consultation des fichiers par la police fera-t-elle l'objet d'un contrôle ? Comment le public sera-t-il informé de la mise en place de ces dispositifs de surveillance ?

Votre projet manque de précision à cet égard. Les commissions départementales ne procèderont qu'à un contrôle formel a priori, et ce dispositif pourra de toute façon être contourné par le préfet en cas d'urgence. Le Conseil constitutionnel a refusé, en 1995, qu'un silence de l'administration de plus de quatre mois puisse valoir autorisation implicite de poser un dispositif de vidéosurveillance, car cette autorisation, soumise à la seule diligence administrative, priverait de garanties légales les principes constitutionnels de liberté de mouvement et d'inviolabilité du domicile. Que fera le Conseil constitutionnel en cas de saisine ?

L'implication des opérateurs privés dans la lutte contre le terrorisme rejoint les pratiques en vigueur aux Etats-Unis. Nous craignons la privatisation des missions d'intérêt général, contraire à la République une et indivisible, que ce marché nouveau et profitable pourrait rendre dépendante d'une logique financière.

M. Thierry Mariani - Mais non !

M. André Gerin - Les sociétés militaires privées et les multinationales prolifèrent dans ce secteur. Or, la recherche du profit dans des domaines publics sensibles peut être dommageable : la liberté est une valeur universelle !

Les articles relatifs à la vidéosurveillance sont sans doute inspirés par une politique sécuritaire, mais aucun travail approfondi n'a été effectué sur les notions de temps, de lieu, d'espace et sur les règles éthiques en jeu.

Les caractéristiques du terrorisme actuel rendent quasiment caduc l'article 6, qui concerne le contrôle des déplacements internationaux hors de l'Union européenne. La directive du 29 avril 2004 le limite au trafic aérien, mais le projet l'étend au fer et à la mer. Au fond, votre véritable objectif n'est-il pas le contrôle de l'immigration clandestine ?

En outre, on porterait de dix à quinze ans le délai autorisé pour engager une procédure de déchéance de la nationalité française contre les personnes qui l'ont acquise par voie de naturalisation, de mariage ou de réintégration dans la nationalité. N'est-il pas paradoxal qu'à peine sortis des violences urbaines, nous examinions un projet de loi contre le terrorisme ? Ce débat poussera certainement nombre de nos concitoyens à faire le rapprochement entre les voitures brûlées et le terrorisme, ce qui peut donner lieu à des interprétations délicates.

Au-delà des critiques, je souhaiterais rappeler certains de mes propos de l'an dernier sur le contexte géopolitique. L'intégrisme islamiste, à la source du terrorisme actuel, est un projet politique né de la révolution iranienne de 1979 et entretenu par la première guerre du Golfe et la complicité économique et stratégique des Etats-Unis avec l'Arabie saoudite, tirelire du terrorisme et terre de prosélytisme et d'antisémitisme. L'impérialisme américain a produit un monstre. Naturellement, il n'est pas responsable de tous les maux : je n'oublie pas l'intervention soviétique en Afghanistan. Mais les Occidentaux ont, pendant la guerre froide, soutenu les archaïques talibans et, face au vide inédit créé par l'effondrement du communisme soviétique, les Etats-Unis nourrissent l'islamisme, ce nouvel adversaire qui se retourne aujourd'hui contre la démocratie.

Le combat contre le terrorisme est vital et doit être mené sans confusion. Quoi qu'on pense du rôle des Etats-Unis dans le monde, on doit lutter sans faillir contre ce nouveau fascisme. Ben Laden cultive la haine de la démocratie et fait un usage pernicieux de l'islam. Je ne fais pas l'amalgame entre Al Qaida et l'ensemble des musulmans !

Nous devons mener dans nos quartiers un combat impitoyable contre ces pseudo-religieux qui veulent islamiser la vie civile et remettre en cause la mixité et les libertés. Ce fut le cas avec M. Bouziane, dit « l'imam de Vénissieux », mais les responsables politiques gardent trop souvent le silence sur ces sujets. J'ai proposé la création d'une commission d'enquête sur les propos intégristes et hostiles aux institutions françaises que tiennent ces prédicateurs intégristes qui combattent la République en nourrissant le terrorisme.

La France a été frappée par le terrorisme lors du détournement d'avion de 1994 et des vagues d'attentats au cœur de Paris en 1986 et 1995. Mais depuis, le monde a changé : la menace terroriste n'a jamais été aussi forte. Les odieux attentats du 11 septembre ne doivent pas faire oublier que le Proche-Orient est au centre de la tourmente, comme l'ont montré les récents événements à Amman et surtout le chaos en Irak, dont le peuple fut la victime successive du joug de Saddam Hussein et de l'intervention américaine.

En Europe, deux pays ont été touchés en leur capitale : l'Espagne et la Grande-Bretagne. Des centaines de familles y ont été détruites. Ces attentats et l'idéologie qui les motive n'épargnent aucun peuple, et les gouvernements le savent.

C'est pourquoi le plan Vigipirate est aujourd'hui au rouge. Les attentats de Madrid et de Londres ont, comme l'a expliqué le Premier ministre la semaine dernière, révélé la nature nouvelle de cette menace où se mêlent prédicateurs extrémistes et individus bien intégrés, fins connaisseurs des nouvelles technologies. Les groupes terroristes ne reculent devant rien, des armes chimiques, bactériologiques ou radiologiques aux actes kamikazes, pour lesquels de jeunes Européens ont d'ailleurs été recrutés en Irak - on peut même envisager des attaques sur les réseaux de distribution d'eau ou les circuits d'air confiné.

Pour protéger la République et ses citoyens, nous devons comprendre les causes du terrorisme sans nous éloigner de notre maxime : « liberté, égalité, fraternité ». Nous devons prendre toute la mesure du phénomène avant de légiférer dans l'urgence.

Dans un premier temps, il est indispensable de s'arrêter sur la définition d'un acte terroriste. La France a adopté une législation spécifique, dont la loi du 9 septembre 1986 est l'ossature. En droit français, l'acte terroriste combine deux notions : l'existence d'un crime ou d'un délit de droit commun, et une entreprise individuelle ou en collectivité ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par intimidation ou terreur.

Cette définition juridique est trop souple. La notion de trouble à l'ordre public et le critère d'association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste ne sont-ils pas trop vagues ? D'autres pays européens n'ont d'ailleurs pas la même définition. L'ONU s'est saisie de cette question cruciale. Elle rappelle que les actes criminels, particulièrement ceux dirigés contre des civils dans l'intention de causer la mort ou des blessures graves, sans oublier la prise d'otages, d'intimider une population ou de contraindre un Gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s'abstenir de le faire, qui sont visés dans les conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ne sauraient en aucune circonstance être justifiés par des motifs politiques ou religieux. Ces termes, relativement imprécis, soulignent le besoin d'une définition précise de l'acte terroriste qui, sous l'égide de l'ONU, permettrait vraiment de combattre ces actes odieux sans aucune arrière-pensée politique ou géopolitique. En effet, ces actes criminels n'ont-ils pas été utilisés par les services secrets de tous les pays ? Nous savons que des Etats alliés aux grandes puissances utilisent le terrorisme pour maintenir une chape de plomb sur leur peuple, ou comme moyen de propagande. Dans ces conditions, la publication de la célèbre liste des Etats terroristes ne peut avoir que des conséquences douteuses : elle est en effet constituée et manipulée politiquement par le gouvernement Bush afin d'exercer des pressions sur certains gouvernements. Parfois, elle sert également à préparer l'opinion publique aux déclenchements de conflits, pour la guerre en Irak. L'atitude envers le terrorisme varie selon les intérêts géopolitiques. Ainsi de nombreux Etats, pendant la guerre en Afghanistan, ont fermé les yeux ou favorisé certains mouvements terroristes parce qu'ils luttaient contre l'occupation illégitime de ce pays par l'URSS. Selon de nombreux spécialistes, l'Arabie Saoudite a joué un rôle non négligeable en entretenant des liens étroits avec les Talibans et avec les services secrets pakistanais. La masse financière générée par le pétrole a permis de surcroît à certaines sociétés d'investir dans de nombreux secteurs de l'économie américaine, anglaise ou française. Ce poids financier n'a-t-il pas incité certains pays à fermer les yeux et à ignorer les réels dangers du terrorisme islamiste ?

Comment le terrorisme peut-il trouver des soutiens au sein même des pays développés, comme ce fut le cas lors des attentats de Londres ou de Madrid ? Cette question doit être au cœur de notre réflexion. On ne peut plus aujourd'hui se contenter d'une analyse partielle, franco-française, qui montre du doigt la responsabilité de quelques individus et de quelques idéologies, sans s'interroger plus profondément sur ce qu'il faut bien appeler un nouveau fascisme international.

La misère, l'ignorance, le refus du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes forment le terreau du terrorisme. Plus les inégalités s'accroîtront, plus le danger d'actes terroristes augmentera. Les Etats doivent lutter pour le progrès économique et social, pour le développement de l'éducation et de la culture. Le respect des droits de la personne, dans de nombreux pays, est foulé aux pieds par des pratiques moyenâgeuses et barbares, des zones de non-droit, de nouvelles formes d'esclavage et d'exploitation. La sauvegarde des droits de l'homme est fondamentale pour défendre les progrès de la civilisation. L'éducation aux droits de la personne, le développement de l'emploi peuvent contribuer à déraciner les causes profondes de la violence et de la terreur.

Eradiquer la pauvreté : tel est le défi de civilisation du XXIe siècle. La pauvreté est en effet à l'origine de bien des conflits armés et du terrorisme. La coopération internationale est nécessaire pour éliminer les disparités monstrueuses entre les pays. Nous avons besoin, au niveau mondial, d'un plan comparable à celui que le Conseil national de la résistance avait élaboré afin, aujourd'hui, de supprimer la dette des pays pauvres, mais également d'œuvrer à une amélioration de toutes les infrastructures sociales.

Agir pour le désarmement est également essentiel. Nous devons renouveler nos efforts en faveur du désarmement nucléaire car depuis le 11 septembre, la menace d'un possible usage terroriste des armes nucléaires génère une anxiété croissante. Il en va de même quant à l'utilisation de ces armes par les Etats.

Nous devons aussi organiser un débat sur les violences et les moyens de les prévenir. Un projet de loi devrait être élaboré en ce sens. Les violences quotidiennes, les pratiques barbares dans les collèges, les enfants rackettés, le nombre considérable de suicides d'adolescents, l'augmentation vertigineuse des troubles psychologiques et psychiatriques dès l'âge de 3 ans...

M. Thierry Mariani - Nous sommes loin du sujet qui nous préoccupe.

M. André Gerin - Soyez donc tolérants ! Souffrez que j'explique les raisons pour lesquelles des gamins français se font kamikazes en Irak. Nous sommes en pleine actualité. C'est tout cela qui contribue à accroître l'insécurité sociale ! Dans ce cadre, c'est une véritable politique de prévention qu'il faut mettre en place.

Nous devons faire une analyse globale des moyens de lutte contre le terrorisme. Outre que l'élaboration d'un texte de circonstance ne sera que peu efficace, celui-ci présente des dispositions attentatoires aux libertés. D'une approche judiciaire où le terrorisme était considéré comme un phénomène d'exception, ce projet passe à une approche administrative et policière.

Je conclurai par quelques questions, Monsieur le ministre d'Etat. Où en êtes-vous sur l'évaluation de la coopération entre les services de renseignements européens et américains, sur les modes de surveillance satellitaires des communications dont le premier réseau, qui s'appelle Echelon, a été mis en oeuvre par les Etats-Unis et certains pays européens dont la Grande Bretagne, sur le rôle joué par l'OTAN sur ce contrôle, sur l'introduction des technologies biométriques dans l'identification des citoyens, autant de sujets lourds de conséquences ?

L'analyse du terrorisme et de l'islamisme, ce nouveau fascisme, nécessitent une riposte sans précédent.

Je vous demande de voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote sur la question préalable.

M. Michel Vaxès - A l'initiative du Premier ministre, un livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme est en préparation. Selon M. le rapporteur, son objectif est triple : stratégique, afin de préciser la nature de la menace et d'en mesurer les risques, opérationnel, afin d'évaluer les ressources humaines ainsi que les moyens techniques et juridiques nécessaires au maintien d'une protection adaptée, enfin pédagogique, afin d'informer les Français et de définir les comportements à adopter. Pourquoi ne pas avoir attendu la parution de ce document avant de modifier notre système de lutte antiterroriste, qui a d'ailleurs fait la preuve de son efficacité ? Pourquoi déclarer l'urgence et ne laisser à notre assemblée que quinze jours pour apprécier un texte qui, de l'aveu même du rapporteur, est si complexe que son décryptage nécessiterait l'assistance d'un polytechnicien ou d'un ingénieur en téléphonie ? Pourquoi, sinon parce que vous privilégiez l'effet d'annonce sur l'action véritable ? Le Gouvernement dit vouloir concilier la nécessaire et légitime exigence de sécurité des Français et la préservation des droits et des libertés individuelles. Or, aucun de ces objectifs ne sera atteint : ce texte réduira les libertés sans garantir la sécurité. Il accélère même une dérive préoccupante pour notre modèle démocratique. Le modèle anglo-saxon qui l'inspire rompt en effet avec nos traditions. Le terrorisme est abject, et nous le condamnons avec la plus grande fermeté car il est la négation de la démocratie et des libertés. Or, en organisant un contrôle accru à l'endroit de tous les Français, qui aura un impact sur la vie quotidienne de la population, et notamment sur le droit d'aller et de venir et le droit à la vie privée, ce texte fait une concession à cela même qu'il veut combattre.

Je ne reviens pas sur tous les arguments développés par André Gerin : bien entendu, le groupe communiste votera la question préalable, pour donner aux parlementaires le temps de travailler en toute sérénité...

M. Alain Gest - Les terroristes, eux, n'attendent pas !

M. Michel Vaxès - Nous ne sommes pas indifférents aux efforts à fournir pour améliorer nos dispositifs de lutte contre le terrorisme mais il faut d'abord s'attaquer à ses causes, ce que ne fait absolument pas ce texte.

M. Thierry Mariani - Nous avons écouté M. Gerin avec attention et tolérance et nous pouvons du reste nous retrouver pour ce qui concerne l'analyse géopolitique globale, l'appel à une coopération internationale renforcée et la condamnation sincère du terrorisme. Développés dans la deuxième partie de son intervention et jusqu'à sa conclusion, ces points nous donneraient presque l'envie d'accueillir André Gerin sur nos bancs !

Il n'en va malheureusement pas de même pour la première partie de son exposé ! Peu convaincant parce que peu convaincu, notre collègue avait l'air de prononcer un discours de commande... (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Muguette Jacquaint - Parce que vous, vous n'êtes pas en service commandé pour le compte du Gouvernement !

M. Thierry Mariani - Et il nous a resservi le sempiternel procès d'intention contre les mesures liberticides dont serait porteur le texte du Gouvernement. Mais au-delà des arguments développés, quel est l'objet d'une question préalable ? L'adopter signifierait qu'il n'y a pas lieu de légiférer. Aussi, la cause est entendue ! Qui pourrait soutenir qu'après New York, Madrid et Londres, Paris peut se dispenser de légiférer et qu'il serait urgent d'attendre alors que notre pays peut être frappé à tout moment ? Dictée par un angélisme déplacé ou par une posture irresponsable d'opposition systématique, votre position n'est pas soutenable. Bien entendu, le groupe UMP soutient ce projet de loi et il appelle au rejet d'une question préalable qui n'a manifestement pas lieu d'être. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Floch - Nous avons écouté André Gerin avec d'autant plus d'intérêt qu'il a trouvé les mots justes pour décrire les difficultés des démocraties à prendre l'offensive contre le terrorisme et exhorter chacun à prendre la part de responsabilité qui lui revient. Toutefois, nous considérons que le projet de loi qui nous est soumis peut permettre de renforcer l'arsenal dont nous devons nous doter pour lutter contre le terrorisme et, plutôt que de refuser d'en débattre, nous avons déposé plusieurs amendements tendant à l'améliorer. Nous nous rejoignons cependant pour condamner la précipitation dans laquelle il vient en discussion et nous défendrons ultérieurement une motion de renvoi pour que tous les thèmes abordés puissent être traités au fond par les commissions concernés.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne participera pas au vote sur la question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Michel Vaxès - Certains prétendent que « le terrorisme, ça ne s'explique pas, ça se combat ! » Mais combattre sans comprendre, c'est se condamner à échouer. Or le combat contre le terrorisme se doit d'être implacable et nous voulons le gagner. De quelque fanatisme qu'il émane, de quelque cause qu'il se réclame, le terrorisme - qui ne doit pas être confondu avec la résistance des peuples à l'oppression - est insupportable parce que foncièrement contraire aux valeurs démocratiques. Au-delà de son caractère inacceptable, le terrorisme n'a jamais permis de résoudre le moindre conflit. Au reste, nul progrès humain ne peut s'accomplir autrement que par des voies démocratiques et humanistes. A l'opposé du combat libérateur, le terrorisme est fondamentalement contraire à notre conception de la transformation sociale et de l'action politique.

A cet égard, le terrorisme d'Etat est tout aussi méprisable. Loin de régler quoi que ce soit, la réaction de l'administration Bush aux attaques du 11 septembre - le patriot act et la justification de la guerre en Irak par des mensonges éhontés - a propagé le terrorisme dans des pays qui ne le connaissaient pas ; on peut même considérer qu'elle a conforté les djihadistes partout dans le monde. En vérité, impérialisme et terrorisme se nourrissent mutuellement... (Interruptions et rires sur les bancs du groupe UMP)

M. Eric Raoult - Robespierre !

M. Michel Vaxès - Depuis, le sang de centaines d'innocents a coulé à Madrid, Londres, Casablanca, Riyad, Istanbul, Amman, Bagdad... Ne pas s'interroger sur les causes du terrorisme, c'est tenter d'écoper la cale d'un navire en train de couler ! Il n'y a pas de plus sûr moyen d'accélérer le naufrage en prétendant l'éviter.

La France s'est grandie en prenant position contre la guerre en Irak et il faudrait que sa voix porte à nouveau les propositions audacieuses qui s'imposent pour réduire les inégalités et soigner les plaies ouvertes, qui, au Sud et à l'Est, nourrissent les fanatismes les plus abjects.

Non, Monsieur le ministre d'Etat, la dimension géopolitique du problème n'est pas seulement un sujet pour colloques, comme vous l'avez dit en commission. L'action politique doit se nourrir des réponses apportées à quelques questions essentielles : quel nouvel ordre mondial notre pays propose-t-il ? Quelles initiatives diplomatiques et financières est-il prêt à prendre ? Pour quel modèle alternatif de répartition des richesses milite-t-il ? Quels actes met-il en œuvre pour donner force à ses déclarations ?

La lutte contre le terrorisme est une affaire bien trop sérieuse pour que l'on se complaise dans l'attitude suicidaire qui consisterait à écarter d'un revers de main les actions visant à éradiquer les causes pour ne s'attacher qu'à la prévention des effets.

Prévenir les actes terroristes et traquer leurs auteurs relève d'une nécessité absolue. Mais il ne faut pas s'en tenir là. Laisser accroire que les dispositions du présent texte donneront plus d'efficacité à la lutte anti-terroriste, c'est au mieux poursuivre un impossible rêve, et, plus certainement, tromper nos concitoyens. Combattre les terroristes, c'est faire en sorte de les isoler et d'ôter tout crédit à leurs agissements. Il faut notamment détromper ceux qui seraient tentés de les comprendre, au motif que la communauté internationale reste sourde depuis trop longtemps à la souffrance de millions d'êtres humains, privés de pain, de toit, d'éducation et de soins. Les maîtres du monde acceptent sans trop s'émouvoir l'innommable violence qui voit mourir un enfant de faim toutes les sept secondes, cependant que la richesse mondiale permettrait de nourrir 12 milliards d'hommes alors que notre planète n'en compte que six !

Il faut être bien conscient que les terroristes se recrutent aujourd'hui dans chaque pays européen contaminé par la pauvreté, les discriminations et les injustices produites par le libéralisme. Plus besoin d'importer des kamikazes : les Etats membres de l'UE sont devenus, en ce domaine aussi, autosuffisants !

Je rappelais hier le message qu'un conventionnel adressait au législateur : « n'oublie pas que la source de l'ordre, c'est la justice, et que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c'est le bonheur des citoyens ».

M. Eric Raoult - Mais Ben Laden n'existait pas !

Mme Muguette Jacquaint - Demandez-vous plutôt qui l'a aidé !

M. Michel Vaxès - Et André Gide ne nous mettait-il pas en garde en rappelant que « l'humilité ouvre les portes du paradis et l'humiliation celle de l'enfer » ? Quant à Bernanos, il a prédit que « le recrutement des terroristes n'était pas prêt de s'épuiser car, pour un homme capable de mourir par amour, il y en a dix, vingt, cent capables de mourir par haine »...

M. Eric Raoult - Et encore, il n'y avait pas eu le 11-septembre !

M. Michel Vaxès - Ce type d'interruption ne vous grandit pas.

La communauté internationale commence à prendre en compte cette dimension essentielle du problème. En témoigne la déclaration faite au sommet du G8 de juillet dernier par les chefs d'Etat et de gouvernement : « Il est de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour régler les conflits, faire face à l'oppression et lutter contre la pauvreté. Nous devons promouvoir les droits sociaux et politiques et la réforme démocratique, lutter contre l'intolérance, encourager le débat public et une éducation tolérante, favoriser la compréhension des cultures. Ces points sont importants par eux-mêmes, mais ils permettront aussi de saper la propagande des terroristes. »

M. Eric Raoult - Comme en Corée du Nord ?

M. Michel Vaxès - Il faut maintenant passer aux actes et cette œuvre restera à accomplir quel que soit le sort que notre assemblée réservera au présent texte.

J'en viens à présent à son contenu. Vouloir aller à l'essentiel - c'est-à-dire éradiquer les causes du terrorisme -, ne dispense pas de se prémunir de ses effets. Il est impératif de chercher à prévenir les attentats et d'arrêter leurs auteurs. Mais il est tout aussi indispensable d'intercepter ceux qui s'apprêtent à devenir terroristes avant la commission de leurs crimes.

Ces moyens nous manquent-ils ? Rien de moins sûr. Notre arsenal législatif prévoit, depuis une vingtaine d'années, des dispositions spécifiques applicables au terrorisme et les observateurs ont loué notre capacité à prévenir les attentats. La loi sur la sécurité intérieure de 2003 et celle de 2004 sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité...

M. Eric Raoult - Que vous n'avez pas votée !

M. Michel Vaxès - Non, car elle ouvrait la voie à la dérive sécuritaire, sur le modèle américain ou britannique. Ces lois ont donné des pouvoirs considérables à la justice, la police et la gendarmerie. Désormais, l'enquête préliminaire peut avoir lieu sans que la personne concernée en ait connaissance, selon une procédure secrète non contradictoire et de durée illimitée. Les services de police peuvent mettre en œuvre des techniques spéciales de recherche, - mise sous écoute, infiltration, placement de micros et caméras dans les lieux privés -, perquisitionner la nuit en l'absence de la personne suspectée. Faut-il en rajouter ? (Oui ! sur les bancs du groupe UMP) Et jusqu'où ? A vous suivre, on irait très loin.

M. Christian Vanneste - Pas jusqu'au Troisième cercle de Soljenitsyne !

Mme Muguette Jacquaint - Vous vivez dans le passé !

M. Michel Vaxès - Ne convient-il pas plutôt de concilier la nécessité de disposer de moyens efficaces dans la lutte contre le terrorisme et celle de ne pas malmener les libertés individuelles au risque de provoquer de légitimes réflexes de rejet de la part de démocrates lucides ? L'exemple britannique, avec la mise en minorité de Tony Blair à la Chambre des Lords, n'est-il pas éloquent ? Soupçonner tout le monde...

M. Thierry Mariani - Comme à Cuba ?

M. Christian Vanneste - A Cuba, on met les journalistes en prison !

M. Michel Vaxès - ...au prétexte de ne pas laisser passer l'occasion de repérer un terroriste potentiel, n'est-ce pas créer ce dangereux déséquilibre qui faisait dire à Benjamin Franklin : « Toute personne prête à échanger sa liberté contre la sécurité n'obtiendra et ne méritera ni l'un ni l'autre. »

M. Eric Raoult - Mais il n'y avait pas de kamikazes !

M. Michel Vaxès - En décrétant l'état d'urgence comme norme, et en érigeant la police comme figure centrale, notre démocratie se mutile. Attention, de dérive en dérive, à ne pas donner aux régimes les plus répressifs de nouvelles occasions de qualifier tout contestataire de sympathisant terroriste pour mieux étouffer toute opposition, comme c'est déjà le cas dans certains pays d'Afrique et d'Asie du Sud-Est.

De plus, multiplier les dispositifs limitant les libertés civiles n'est pas un gage d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme. C'est plutôt une concession aux terroristes dont l'objectif est précisément d'instaurer la terreur afin de mettre à mal les libertés.

Ainsi, depuis fort longtemps la Grande Bretagne s'est équipée de millions de caméras de vidéosurveillance. Elles n'ont pas empêché l'attentat du métro londonien.

M. Eric Raoult - Mais elles ont permis de retrouver les auteurs.

M. Michel Vaxès - En revanche, comme le relève la CNIL dans son avis du 10 octobre dernier, elles sont attentatoires aux libertés individuelles. Les articles 3, 4, , 6 et 7 ont, de la même façon, fait l'objet de critiques sévères parce qu'ils portent atteinte aux droits fondamentaux sans pour autant assurer une réelle efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Nous exprimons donc nos plus vives inquiétudes face à une évolution législative qui malmène notre démocratie alors que notre dispositif pénal, nos services de renseignement et d'investigation ont prouvé leur efficacité. Un renforcement significatif de leurs moyens techniques et humains aurait sans doute été la meilleure garantie pour améliorer la prévention d'attentats sur l'ensemble du territoire national. La mise en échec de la tentative d'attentat de Strasbourg est un argument en ce sens.

Peut-être pourrions nous nous retrouver sur le diagnostic. Mais certainement pas sur les réponses que vous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Thierry Mariani - Entendre le parti communiste s'ériger en défenseur des libertés, est toujours un moment marquant (Rires sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Louis Idiart - Vous n'êtes pas le mieux placé pour en parler !

M. Thierry Mariani - Nous abordons un sujet grave qui mériterait le consensus. En effet, menacés par une forme de terrorisme que nous n'avons jamais connue, nous ne pouvons que nous féliciter des dispositifs novateurs que le ministre d'Etat nous propose.

Les majorités successives, de gauche comme de droite, nous ont donné des instruments pour rechercher efficacement les auteurs d'actes terroristes. Mais sanctionner les coupables ne suffit pas : ce qui importe aujourd'hui, c'est de les empêcher de tuer.

Nous avons encore tous en mémoire les images terribles des attentats du 11 septembre 2001, de Madrid ou de Londres : le terrorisme a changé de nature. La Jordanie il y a peu, l'Irak au quotidien prouvent qu'il est urgent de s'en préoccuper.

Auparavant, les terroristes utilisaient les attentats pour ouvrir des négociations et satisfaire des revendications. Les meurtriers d'aujourd'hui n'ont pas de revendications. Auparavant, comme l'ETA le fait encore de temps à autre, ils prévenaient qu'une bombe allait exploser. Les terroristes islamistes n'ont jamais prévenu. Ils sont en guerre totale et ne souhaitent qu'une chose, que le monde soit débarrassé de ceux qui ne croient pas en leur Dieu. Mais ne tombons pas dans l'amalgame. Entre les terroristes radicaux islamistes et la majorité des musulmans qui pratiquent sereinement leur religion, il n'y a rien de commun.

Face à cette menace diffuse, face à ces nébuleuses d'organisations sans chef commun ni hiérarchie, nous ne pouvons plus agir comme à l'époque où nous connaissions nos ennemis et leurs revendications. Comme dans d'autres domaines, la rupture s'impose.

Les terroristes d'aujourd'hui sont des kamikazes, qui meurent avec leurs victimes même lorsque ce suicide n'est pas utile à l'accomplissement de leur projet. Et juger des cadavres ne sert à rien.

Il faut donc repenser notre dispositif de lutte contre le terrorisme. Premièrement, nous devons utiliser tous les moyens pour arrêter les terroristes avant qu'ils ne meurent en tuant nos concitoyens. Deuxièmement, nous devons renforcer notre législation afin d'arrêter ceux qui ont organisé ou soutenu financièrement l'organisation d'un attentat terroriste.

Avec ce projet, vous nous démontrez une fois de plus qu'il convient d'agir avec pragmatisme. Certains collègues de l'opposition vont crier à l'atteinte aux libertés.

M. Noël Mamère - Elle est réelle.

M. Thierry Mariani - Dans ce domaine comme dans d'autres, inconscients des réalités, ils ne savent qu'exposer des idées, pas trouver des solutions efficaces.

J'en viens au texte pour lequel le groupe UMP m'a désigné porte-parole.

Au vu des enseignements opérationnels des attentats les plus récents, il faut adopter de nouveaux instruments juridiques, en respectant l'équilibre entre les exigences de la sécurité et celles des libertés.

Afin de mieux prévenir les attaques terroristes, il convient de développer la vidéosurveillance, le contrôle des échanges téléphoniques et électroniques et l'exploitation des données.

Le chapitre premier encadre le recours à la vidéosurveillance dans les principaux lieux accueillant du public et les installations sensibles. Mais seules les personnes morales exposées à des risques d'actes terroristes pourront déployer des caméras filmant la voie publique aux abords immédiats de leurs bâtiments. Des enquêteurs spécialisés et individuellement habilités pourront accéder aux images prises par les systèmes de vidéosurveillance dans les centres commerciaux, les stades ou les musées, indépendamment de toute infraction, afin de mieux détecter la préparation d'actes de terrorisme. Qu'y a-t-il en cela de « liberticide » ? D'ailleurs, après cinq ans, on vérifiera que les motifs ayant justifié la mise en place de caméras demeurent pertinents.

Le projet autorise l'autorité publique à prescrire la vidéosurveillance de cibles potentielles du terrorisme comme les centrales nucléaires, les grandes installations industrielles, les aéroports ou les gares. Pour respecter les libertés individuelles, le public sera informé de l'installation des caméras. En outre, l'accès aux images sera encadré.

Le chapitre II renforce les possibilités de contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste. Il inclut parmi les opérateurs de communications électroniques les personnes offrant au public à titre professionnel une connexion permettant une communication en ligne. Et il autorise les services de police et de gendarmerie spécialisés dans la prévention du terrorisme à se faire communiquer dans un cadre administratif certaines données techniques détenues par ces opérateurs.

Le chapitre III définit les dispositions relatives à des traitements automatisés de données à caractère personnel dont la mise en œuvre est nécessaire à la prévention du terrorisme. Les services de police pourront ainsi mieux exploiter les données sur les voyageurs. Il renforce le dispositif de surveillance automatique des véhicules dans certaines zones à risques et accroît les possibilités pour les services anti-terroristes de consulter certains fichiers administratifs du ministère de l'Intérieur.

Afin d'arrêter ceux qui ont organisé ou soutenu financièrement l'organisation d'un attentat, le chapitre IV permet de réprimer plus fermement l'association de malfaiteurs à des fins terroristes - lorsque celle-ci a pour objet la préparation des crimes d'atteintes aux personnes - en la punissant de vingt ans de réclusion, et de trente ans lorsqu'il s'agit de leurs dirigeants et organisateurs. Il prévoit de centraliser auprès des juridictions de l'application des peines de Paris le suivi des personnes condamnées pour terrorisme.

Sortant quelques instants de mon rôle de porte-parole du groupe UMP, je voudrais m'arrêter, à titre personnel, sur certains amendements.

M. Jean-Marc Ayrault - C'est le moment de nous raconter votre voyage avec Didier Julia.

M. Thierry Mariani - M. Ayrault oublie plus facilement les collègues de son groupe !

En ce qui concerne l'allongement du délai de garde à vue, essayons pour une fois d'éviter les débats politiciens ! En matière de terrorisme, il est des affaires où quatre jours de garde à vue sont insuffisants : lorsque des risques sérieux d'une action terroriste imminente existent, par exemple, ou que la coopération internationale est nécessaire. Avant de crier au liberticide, permettez-moi de rappeler qu'avec une durée maximale de garde à vue de six jours, nous resterions bien en deçà de nos voisins d'outre Manche, où elle peut déjà atteindre quatorze jours !

Par ailleurs, il est nécessaire pour l'Etat de réduire les frais de justice, et notamment d'écoute téléphonique. Réduire les écoutes elles-mêmes priverait nos services d'un outil indispensable. Il faut donc réduire les prix, et essayer de les ramener à un niveau raisonnable. L'identification du titulaire d'une ligne téléphonique coûte 9,15 euros si l'on a le numéro, plus cher si l'on n'a que le noM. La liste détaillée des appels entrants et sortants est facturée 54,88 euros par Orange et 22,87 par Bouygues pour les trois derniers mois. L'identification des numéros appelés ou appelant coûte un forfait de 9,15 euros, beaucoup plus si la commande dépasse 50 numéros... Bref, il faut compter au minimum 100 à 150 euros pour n'obtenir rien d'autre que la copie d'une facture détaillée et d'une partie de l'annuaire ! Avec la localisation du téléphone ou la mise sur écoute par exemple, il faut compter plusieurs milliers d'euros par affaire ! Manifestement, les opérateurs de téléphonie facturent bien plus qu'une juste rémunération. Des amendements visent à les obliger à baisser leurs tarifs.

Enfin, un amendement du rapporteur vise à créer une commission parlementaire du renseignement. Au moment où nous nous apprêtons à donner un cadre à l'action préventive des services antiterroristes, il est légitime d'ouvrir une réflexion sur leur contrôle. La France est presque le seul pays démocratique occidental à ne pas avoir de structure parlementaire de contrôle des services de renseignement. La généralisation de l'option inverse fait douter que l'existence d'une telle commission soit un frein à l'action des services de renseignement !

Pour en revenir au texte, le chapitre V porte de dix à quinze ans les délais permettant d'engager la procédure de déchéance de la nationalité française à l'encontre de personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation pour un acte portant une atteinte manifeste aux intérêts fondamentaux de la nation, un acte de terrorisme ou un acte incompatible avec la qualité de Français et préjudiciable aux intérêts de la France. Franchement, Monsieur Vaxès, à voir ces conditions, on ne comprend pas pourquoi la déchéance ne se justifierait pas ! Le chapitre VI prévoit enfin des dispositions relatives à la lutte contre le financement des activités terroristes, qui permettent au ministre de l'économie de geler des avoirs.

Oui, il y avait urgence à agir. Ce texte tire les conséquences des derniers attentats. Les Français ne nous pardonneraient pas l'inaction. Monsieur le ministre d'Etat, en tant que porte-parole du groupe UMP, je vous assure de tout notre soutien pour ce texte qui vise à mieux assurer la sécurité de nos concitoyens dans le respect des libertés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Muguette Jacquaint - Ça nous étonne !

M. le Président - La parole est à M. Jacques Floch.

M. Eric Raoult - Il va nous parler des écoutes de Carole Bouquet !

M. Jacques Floch - Les démocraties sont confrontées à une forme de conflit que seules les dictatures devraient connaître : le combat clandestin armé, qui n'affronte pas les pouvoirs à armes égales mais utilise les destructions ciblées et l'exécution sommaire de responsables politiques, économiques, médiatiques ou religieux, avec l'idée constante en outre de terroriser les populations pour annihiler sa résistance ou l'obliger à prendre parti. On peut parler de guerre, comme vous l'avez fait, Monsieur le ministre d'Etat, mais cette expression permettrait aux terroristes d'exiger l'application des règles de la guerre qu'eux-mêmes ne respectent pas. Dans ce combat, les mots ont leur poids.

Les combats contre les dictateurs ont très souvent obligé les défenseurs des libertés à utiliser des méthodes semblables : nombre de dictatures sont tombées après un combat clandestin armé. D'autres se sont d'ailleurs installées de même. La différence essentielle est leur manière d'éviter cette forme de conflit. Les dictatures renforcent leurs moyens liberticides et c'est toujours par la terreur qu'elles imposent leur férocité. Les démocraties, elles, ne peuvent répondre que par l'usage du droit, de la précaution et de la diplomatie.

La France est dans cette situation. Notre première exigence est d'assurer la sécurité de nos concitoyens et la première des sécurités est le droit à la vie libre dans un espace de démocratie. Mais la sécurité seule n'est pas suffisante : les dictatures peuvent assurer un semblant de sécurité ! Et nos concitoyens n'accepteront pas, sous le prétexte d'une meilleure sécurité, des limites à leurs libertés. Alors, que faire ? Faire savoir à ceux qui seraient tentés par un acte terroriste que leurs projets seront voués à l'échec et que des sanctions majeures les attendent ? L'efficacité sera nulle face à des ennemis qui ne veulent rien craindre et qui acceptent le risque majeur. Améliorer le contrôle des populations dans le cadre du respect des droits fondamentaux ? Le problème est que l'on ne sait pas définir les limites à ne pas dépasser en matière de liberté de circulation des personnes, des biens et de l'information, de protection de la vie personnelle, professionnelle ou sociale, de confidentialité des communications ou d'accès aux divers fichiers de la vie moderne.

Il nous faut donc renforcer le rôle et les possibilités des forces de sécurité : police, gendarmerie et douanes, mais aussi des services financiers de l'Etat et des services de protection sanitaire. Cela passe par la recherche de l'information et donc l'entrée dans les réseaux susceptibles de porter atteinte à la nation. Les forces de sécurité, dont il faut bien connaître les missions et les conditions de travail, doivent bénéficier d'une reconnaissance spécifique lorsqu'elles agissent dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il faut éviter les amalgames : le terrorisme étant multiforme, il ne doit pas conduire à accentuer notre regard sur d'autres actions délinquantes. Il est vrai aussi que la lutte contre le terrorisme permet de rencontrer toutes les sortes d'actions criminelles : trafics en tous genres, délinquance financière, vol à main armée, immigration clandestine... L'infiltration d'agents dans les organisations doit être entreprise avec les moyens les plus soignés, car les spécialistes considèrent que c'est la méthode la plus efficace. Mais les agents dont les actions sont particulièrement dangereuses doivent bénéficier en permanence du contrôle et de la protection du législateur et du juge. Le législateur doit donc pouvoir évaluer les actions des services de renseignements et d'informations concernés.

La lutte contre le terrorisme, est-il besoin de le dire, est de caractère national et doit donc emporter l'aval de la grande majorité de la nation. Elle ne peut tolérer aucune instrumentalisation, de qui que ce soit, et ne peut d'ailleurs laisser entendre qu'il faudrait essentiellement se défendre contre l'étranger. Les terroristes de Londres étaient nés en Angleterre et avaient reçu une instruction britannique. Ils ont été happés et endoctrinés par des manipulateurs dont certains étaient étrangers mais d'autres citoyens britanniques. Les contrôles frontaliers doivent donc être considérés comme un outil parmi d'autres, parfois efficace, mais parfois aussi dérisoire.

Nos services de renseignements sont depuis longtemps reconnus comme étant de grande qualité, parce qu'ils savent analyser au mieux l'ensemble des informations qu'ils recueillent par infiltration, recoupements de fichiers, suivis de déplacements ou utilisation des données des systèmes de communication. Il nous faut leur faciliter l'ensemble de ces possibilités, comme par exemple l'utilisation des multiples fichiers qui existent dans tous les domaines. Nous avons très heureusement une commission nationale capable de reconnaître une utilisation abusive et d'assurer la protection des libertés individuelles. Renforçons son rôle ! Il est anormal que des enquêteurs désignés par le juge ne puissent pas avoir accès à des fichiers administratifs ! Ils doivent pouvoir faire leur travail en toute sécurité juridique. Nos concitoyens seront protégés contre les utilisations abusives par un contrôle a posteriori, dont ils doivent être parfaitement informés. Les utilisations abusives devront être sanctionnées par une décision judiciaire et pas seulement administrative.

La loi qui nous est soumise, malgré la forte médiatisation dont elle a fait l'objet, doit rester une loi ordinaire, tant dans son contenu et son exposé des motifs que dans sa durée, car son but est de nous protéger en préservant nos libertés fondamentales. Point n'est besoin de se référer plus que nécessaire à des pratiques extérieures : notre droit a depuis longtemps su assurer un équilibre. C'est pourquoi il n'est pas utile de répéter dans ce texte ce qui existe déjà dans notre code civil et notre code pénal. La répétition n'est pas un élément de protection supplémentaire.

Depuis le 11 septembre 2001, trois textes ont été adoptés pour améliorer prétendument la sécurité des Français : la loi sécurité quotidienne, la loi sécurité intérieure et la loi sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Cette dernière contient déjà des mesures d'exceptions pour lutter contre le terrorisme : l'infiltration des réseaux, les écoutes téléphoniques, la sonorisation des locaux privés, la prolongation de la garde à vue, les perquisitions de nuit. Mais, en juin 2005, notre collègue Jean-Luc Warsmann constatait que ces dispositions servaient très peu. Par exemple, on ne connaît qu'une seule infiltration utilisée pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue.

M. Jean-Paul Garraud - C'est déjà bien.

M. Jacques Floch - De même, le décret prévu à l'article 29 de la loi « sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001 - obligeant les opérateurs de communication à conserver les éléments permettant d'identifier les numéros de téléphone composés à partir des mobiles, pour une durée maximale d'un an - n'est toujours pas sorti, faute d'accord avec les opérateurs, dont les prix sont particulièrement abusifs. Le Garde des Sceaux s'en est ému au point de souhaiter une mise en garde du législateur dans le cadre du budget 2006, mais qu'il m'autorise à douter de l'efficacité de textes dont on s'efforce aujourd'hui de réécrire le contenu !

Force est de constater que nous avons un problème de méthode : le livre blanc que le Premier ministre, M. Raffarin, nous avait annoncé il y a plus d'un an pour évaluer la pertinence de notre dispositif législatif, policier et sanitaire face au terrorisme ne nous a toujours pas été soumis ! Je suppose que ses conclusions seront conformes à ce projet...

Deux éléments de celui-ci attirent plus particulièrement notre attention.

D'abord, les dispositions sur la vidéosurveillance. On laisse entendre en effet que la multiplication du nombre de caméras, tant dans les lieux publics que dans les lieux privés, permettrait de prévenir les actes de terrorisme, alors qu'à Londres les caméras ont seulement permis - et c'est important - d'arrêter les coupables. Tous les spécialistes m'ont affirmé qu'une caméra ne peut en aucun cas empêcher l'action de terroristes déterminés. Par ailleurs, même si cela peut paraître terre à terre, je souligne que le projet ne précise pas quelles compensations financières seront accordées aux personnes ou sociétés privées, voire publiques, que la loi obligerait à installer un système de vidéosurveillance - alors que cette compensation est une exigence posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 2000 relative aux opérateurs de réseaux de télécommunications.

Autre point : la durée de la garde à vue. Il est un peu curieux que dans le pays des droits de l'Homme, l'on admette aussi facilement que quelqu'un puisse être privé de ses libertés fondamentales. En cas de flagrance de crimes ou de délits, j'admets une prolongation si elle est utile ; mais dans tous les autres cas, l'enquêteur doit travailler sous l'autorité réelle du juge. Nous avons déjà assuré la prolongation de la garde à vue dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme, le trafic de drogue et le terrorisme, point n'est besoin d'en rajouter. La proposition de la commission me semble satisfaisante, les spécialistes que nous avons rencontrés nous ayant assuré qu'un bon policier, un bon gendarme étaient capables de faire leur travail dans le délai imparti aujourd'hui.

Si l'on ne veut pas d'une simple loi d'affichage, mais d'un texte efficace respectant un juste équilibre entre sûreté et liberté, évitons tous les amalgames. De la discussion qui va suivre dépendra le positionnement final du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Hunault - Le groupe UDF partage les objectifs du Gouvernement, mais il convient de concilier sécurité, prévention et respect des libertés individuelles. Seriez-vous d'accord, Monsieur le ministre, pour qu'un contrôle parlementaire s'exerce sur l'application des dispositifs proposés, et plus généralement sur les services de renseignement ? Le respect de la légalité et des droits de l'Homme est en effet un exigence suprême.

Le terrorisme, qui se développe sur le terreau de la pauvreté et de la frustration, est un défi au monde. Il ne connaît pas de frontières, aussi la lutte contre ce fléau doit-elle avoir une dimension internationale et reposer sur une approche politique globale. Par ailleurs, notre nation doit montrer qu'elle ne capitulera pas et qu'elle défendra les valeurs démocratiques, l'Etat de droit et les libertés fondamentales : nous ne devons en aucun cas, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, porter atteinte à la liberté fondamentale d'aller et venir, au droit à un jugement équitable ou à la présomption d'innocence.

J'évoquerai successivement le problème du financement du terrorisme, le cadre légal de la lutte et la nécessaire coopération internationale.

Priver le terrorisme de financement est un moyen essentiel de prévention. A cet égard, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, en janvier et septembre 2005, ont réactualisé la convention et la directive de lutte contre le blanchiment de l'argent des trafics, en y incluant la lutte contre le financement du terrorisme ; ils ont élaboré des règles nouvelles visant à assurer la traçabilité des mouvements financiers. Il est d'ailleurs inacceptable que certains de leurs pays membres acceptent des centres off-shore, des paradis fiscaux ou des sociétés écrans servant à blanchir l'argent d'organisations criminelles.

Une difficulté supplémentaire vient de ce que de l'argent d'origine licite peut être utilisé à des fins terroristes, alors que dans une opération de blanchiment classique, c'est le produit d'activités criminelles qui est recyclé.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez déjà eu le souci de coordonner les actions des différents services de l'Etat chargés de la sécurité, et le bilan des groupements d'intervention régionaux est flatteur. Mais pour accroître notre efficacité, le groupe UDF vous demande aussi de faire avaliser rapidement par le Parlement la convention du Conseil de l'Europe relative à la prévention et au financement du terrorisme de mai 2005 et la directive de septembre 2005.

Deuxième point : le cadre légal de la lutte contre le terrorisme.

Nous devons montrer notre attachement aux idéaux auxquels s'attaquent les terroristes. Il est certes tentant, au regard de l'horreur des actes, d'exiger une répression sans limite, mais c'est la grandeur de l'Etat de droit que de garantir un jugement et un traitement équitables. Les images des camps de Guantanamo, les révélations récentes sur l'existence de camps sur le territoire européen ne peuvent être tolérées.

Comment retenir la qualification juridique d'actes préparatoires à une action terroriste si leur définition n'est pas parfaitement encadrée ? Il ne sert à rien d'arrêter des personnes pour les relâcher quelques jours après... Par ailleurs, nous veillerons à assurer la présence effective de l'avocat et à garantir la présomption d'innocence.

Dans la lutte contre le terrorisme, l'Etat doit prohiber les procédures arbitraires, les traitements discriminatoires ou racistes et bien sûr l'utilisation de la torture. Il doit respecter les garanties juridiques encadrant l'arrestation, la garde à vue et la détention provisoire, garantir à chacun le droit à un procès équitable, enfin s'interdire d'extrader une personne vers un pays où elle risque une condamnation à mort. D'une manière plus générale, il doit veiller au respect de la convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui s'inspirent des conventions du Conseil de l'Europe et des Nations unies. Nous souhaitons, pour notre part, que la consultation des fichiers et des données électroniques soient motivées et se fassent sous le contrôle de la Commission nationale des interceptions de sécurité.

La coopération internationale est indispensable pour lutter efficacement contre le terrorisme. Les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice doivent agir en étroite concertation, entre eux bien sûr, mais aussi avec leurs homologues européens. Il est urgent, à cet égard, de mettre en place un véritable espace judiciaire européen et un espace de sécurité commune. Comment être efficace en effet lorsque les infractions et les actes préparatoires sont définis différemment d'un pays à l'autre, lorsque les juges se heurtent à des commissions rogatoires non suivies d'effet ou se voient opposer le secret bancaire ?

Jamais le besoin de sécurité n'a été aussi grand, jamais la démocratie et le droit n'ont été si violemment attaqués, jamais les populations civiles de nos démocraties n'ont été aussi cruellement meurtries que ces derniers temps. Face à ce constat, une majorité de l'opinion est prête à admettre les mesures de votre projet de loi qui, je l'espère, permettront de prévenir les actes terroristes. Pour autant, Monsieur le ministre d'Etat, n'y voyez pas une confiance aveugle. Au contraire, le soutien et le consensus dont vous allez bénéficier, vous oblige, nous oblige !

Au-delà de ce texte, il convient aussi de lutter sans merci contre les causes bien connues du terrorisme : la haine, l'ignorance, la pauvreté l'incompréhension, terreau sur lequel il prospère. Le Conseil de l'Europe a, à deux reprises, élaboré une convention rappelant l'ardente nécessité de lutter contre le terrorisme tout en respectant les droits de l'homme, au premier rang desquels les libertés fondamentales, et invitant à lutter contre tout ce qui nourrit le terrorisme. Cette lutte ne saurait justifier ni les juridictions d'exception, ni l'affaiblissement de la présomption d'innocence et des droits de la défense. Il faut au contraire encourager l'entente, la tolérance, le respect, l'éducation. Le comité des ministres du Conseil de l'Europe, a proposé en septembre, dans une résolution intitulée « Combattre le terrorisme par la culture », un programme d'éducation aux droits de l'homme et au dialogue interculturel destiné à la jeunesse.

Vous avez tout à l'heure, Monsieur le ministre d'Etat, parlé de l'islam. C'est parce que je connais votre attachement personnel à la défense de la laïcité et au respect de toutes les croyances, que je vous demande de veiller à éviter tout amalgame. Lutter contre le terrorisme exige sérénité et respect d'autrui, respect de l'homme. C'est aussi choisir de promouvoir la justice, la fraternité, la paix. Ce qui nous rassemble ici ce soir est un combat pour l'humanité où l'homme est la valeur suprême.

Mme Muguette Jacquaint - Tout à fait.

M. Michel Hunault - Pour terminer, je tiens à saluer votre action, Monsieur le ministre d'Etat. Le groupe UDF veillera à ce que les libertés individuelles et l'état de droit, quelles que soient les menaces et en toutes circonstances, soient préservés et garantis. Jamais peut-être la mission d'assurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays n'a été aussi difficile. Face aux menaces terroristes, nous devons certes nous rassembler sur les objectifs. Pour autant, et cela fait toute la grandeur du Parlement, nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes que les dépositaires d'un idéal de liberté qui s'est forgé au fil des siècles et qui doit guider notre action.

M. Pierre Lellouche - Je tiens à saluer, Monsieur le ministre d'Etat, la cohérence et la continuité de vos efforts en matière de lutte contre le terrorisme. Après la loi de mars 2003 sur la sécurité intérieure, le présent texte remédie à certaines lacunes de notre droit, apparues, hélas, à la lumière, des attentats de Londres. Réglementation de la vidéosurveillance qui, appelée à se développer doit être encadrée par l'Etat, renforcement des contrôles aux frontières, conservation des données relatives aux connexions par téléphone mobile et par internet et possibilité pour les services compétents de les consulter, gel des avoirs financiers suspects, autant de mesures qui vont dans le bon sens et méritent un soutien unanime au sein de cette Assemblée.

La lutte contre le terrorisme soulève, dans une démocratie comme la nôtre, attachée au respect de l'état de droit, des questions de fond, qu'il importe d'avoir présentes à l'esprit en légiférant. La première est de savoir jusqu'à quel point une démocratie peut, dans le but légitime de protéger ses citoyens, limiter, voire suspendre, certaines des libertés fondamentales. Aller trop loin, c'est risquer de pervertir le cœur même de la démocratie et d'en faire triompher les ennemis, les terroristes, qui précisément cherchent à la détruire. L'équilibre est délicat à trouver.

C'est d'autant plus difficile que l'avènement, depuis le 11 septembre 2001, du terrorisme de masse djihadiste a ouvert une ère radicalement nouvelle par rapport aux vagues terroristes que l'Europe a connues dans les années 70 et 80. Les terroristes basques, irlandais, kurdes, palestiniens, tout comme ceux d'extrême-gauche de la Rote Armee Fraktion, des Brigades Rouges ou d'Action Directe, avaient ceci de commun de viser des objectifs politiques précis et limités. Les terroristes cherchaient à terroriser la population par des opérations spectaculaires pour faire plier le gouvernement en place, de sorte que ce terrorisme-là était une forme, je le concède bien particulière, de négociation avec les autorités politiques. La violence de masse contre les populations civiles, commanditée par Al Qaida, dont le cancer ne cesse de métastaser, est d'une tout autre nature. Les terroristes ne recherchent nulle négociation. Leur but avéré est de faire basculer le monde dans une guerre globale entre les tenants de l'islamisme radical et l'Occident, auxquels les réseaux d'Al Qaida assimilent les régimes arabo-musulmans modérés, également visés. Ces mouvements ont bel et bien déclaré la guerre aux démocraties. Leurs membres cherchent à acquérir des armes de destruction massive et tôt ou tard, ils y parviendront. C'est en ce sens-là que l'on doit parler de situation de guerre, d'une guerre certes radicalement différente de toutes celles que nous avons connues par le passé, une guerre sans Etats ni uniformes, mais tout aussi cruelle. La difficulté pour les démocraties est, comme nous le voyons en France, de conserver pour l'essentiel les normes du temps de paix en matière de libertés publiques, sans baisser la garde face à ceux qui sont déterminés à nous détruire.

Le problème est rendu encore plus complexe par la mondialisation, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication et, bien sûr, l'intrication des Etats du fait de la construction européenne. Ainsi, comment contrôler les transmissions de données sur la Toile ? Comment brouiller ou interdire des télévisions appartenant ou liées à des groupes terroristes - j'ai beaucoup travaillé sur le sujet d'Al Manar -, sachant que les signaux sont diffusés par des stations situées à l'étranger et relayées par satellite sur les régions voisines ? Comment contenir l'immigration, réprimer les transferts de capitaux suspects et le trafic de drogue sans une coopération internationale prenant spécifiquement en compte le risque terroriste ? Une structure comme le GAFI, efficace pour lutter contre la criminalité organisée « classique », l'est-elle encore contre le terrorisme, alors que l'une des difficultés tient à son financement par des organisations caritatives islamiques basées au Moyen-Orient et au fait que des attentats, au demeurant peu coûteux, sont financés localement par des actions délictueuses de droit commun ?

Certaines grandes démocraties occidentales alliées ont choisi une logique de guerre, comme les Etats-Unis après le 11 septembre, le Président Bush ayant déclaré publiquement la guerre au terrorisme. On en connaît les conséquences, en Afghanistan, puis en Irak, mais également outre-Atlantique, où l'on a entendu justifier le recours à la torture, le refus d'appliquer la convention de Genève relative aux prisonniers de guerre et vu s'ouvrir des camps de détention, notamment à Guantanamo, échappant au droit et où les détenus n'ont donc pas droit à une défense. Ces dérives ont entraîné des réactions, notamment de la part du Congrès américain, qui sont à l'honneur de ce pays. Les sénateurs américains ont, le mois dernier, soutenu massivement un amendement proposé par John Mc Cain, lui-même ancien prisonnier de guerre au Vietnam, précisant les techniques d'interrogatoire autorisées et celles interdites, prohibant expressément l'usage de la torture et de toute forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Plus récemment, au Royaume-Uni, le Parlement a refusé de porter à 90 jours, comme le souhaitait M. Blair, la durée de la garde à vue pour les suspects d'association terroriste, n'acceptant de l'étendre que de 14 à 28 jours.

Dans ce contexte, et malgré la menace terroriste réelle qui pèse aujourd'hui sur notre pays, vous avez choisi, Monsieur le ministre d'Etat, de prendre des mesures de police administrative dans le strict respect des libertés publiques fondamentales. Loin d'être liberticide, votre projet de loi se borne à des mesures de bon sens, strictement encadrées, parmi lesquelles le développement de la vidéosurveillance afin de mieux protéger les lieux accueillant du public et les installations sensibles ; le renforcement des contrôles aux frontières ; la préservation des données techniques des connexions téléphoniques et électroniques, y compris à partir des cyber-cafés ; le renforcement des sanctions pénales en cas d'association de malfaiteurs terroristes ; la centralisation du suivi de l'application des peines, indispensable compte tenu du risque de récidive ; la possibilité d'allonger, dans ce cas seulement, le délai permettant d'engager la déchéance de la nationalité française ; le gel des avoirs suspects enfin.

Contrairement aux pays anglo-saxons, la France s'en tient à une approche médiane. Souhaitons n'avoir pas à aller au-delà, face à des fanatiques qui n'hésiteront pas, s'ils en ont les moyens, à nous frapper, y compris avec des armes beaucoup plus dangereuses que les explosifs classiques utilisés jusqu'à présent.

Je souhaiterais maintenant évoquer la situation particulière de Paris. Cela ne vous étonnera pas de la part d'un élu du quartier de la gare Saint-Lazare et des Champs-Elysées, qui compte beaucoup de grands magasins et est donc une cible privilégiée pour les terroristes. Ce débat devrait être l'occasion de revenir sur le statut singulier du maire de Paris, issu de la fameuse loi Paris-Lyon-Marseille. Celle-ci, née des flambées révolutionnaires de la Commune et de la méfiance historique des Rois de France à l'égard des habitants de la capitale, n'est, hélas, pas du tout adaptée à la situation actuelle où il paraît difficile que le maire de Paris meure sur la touche, impuissant. Lors de mes nombreuses visites à New York, j'ai été frappé par l'attention que portent les autorités municipales à la sécurité. Sans nous calquer sur le système américain, il serait indispensable que le maire de Paris, élu par les Parisiens, soit pleinement associé à la prévention des actes terroristes, mais aussi à la mise en place des dispositifs de secours et de défense civile. Cela suppose d'abroger les dispositions dérogatoires de la loi PLM. 

Tel est le sens de mon amendement, même si j'ai bien conscience que le terrorisme exige une action régalienne fortement coordonnée par les services spécialisés de l'Etat et qu'à ce titre, le débat pose problème ; il mérite néanmoins d'être ouvert.

D'autre part, le souci du débat démocratique impose que le Parlement soit directement associé aux opérations de nos services de renseignement. J'ai déposé à ce sujet un amendement parallèle à celui du rapporteur et rejoins les propos de M. Hunault.

Je conclurai sur les victimes, qui souhaitent trois choses.

Avant tout, la reconnaissance : la loi de 1991 leur accorde un statut de victimes civiles de guerre - signe que nous ne sommes pas en temps de paix - mais je regrette que ces vies brisées ou marquées à jamais ne suscitent que si peu de compassion parmi les médias et les pouvoirs publics. C'est choquant : qu'en pensez-vous, et que ferez-vous ?

Ensuite, la justice : la loi de 1990 leur permet de se considérer partie civile dans les procès pénaux afin d'aider à punir les coupables et leurs commanditaires, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie d'un Etat. Or, l'actuelle jurisprudence française interdit de mettre en jeu la responsabilité pénale de chefs d'Etat étrangers, protégés par ce que le Quai d'Orsay appelle « l'immunité traditionnelle ». Curieuse frilosité, alors qu'il faudrait, là comme ailleurs, faire reculer l'impunité ! Ne pourrait-on pas étendre la compétence de la Cour pénale internationale ?

Enfin, l'indemnisation : la loi du 6 juillet 1990 institue un fonds de garantie financé par une contribution forfaitaire de 3,3 euros prélevée sur chaque contrat d'assurance. C'est bien, mais pour respecter l'équité, les ayants droit étrangers doivent également être indemnisés : je soutiens sans réserve l'amendement du rapporteur dont c'est l'objectif.

En outre, le système d'assurances risque d'être saturé en cas d'attentat majeur où les victimes seraient très nombreuses. A défaut d'obtenir une réponse immédiate, il faut au moins poser la question : la résolution 1566 du Conseil de sécurité des Nations unies prévoyait la création d'un groupe de travail chargé d'envisager un fonds international d'indemnisation des victimes d'actes terroristes et de leurs familles financé par des contributions volontaires et, pour partie, par les avoirs confisqués des organisations terroristes. Ce groupe de travail n'a toujours pas vu le jour : quelles sont vos intentions ?

Je vous assure, Monsieur le ministre, de mon soutien entier dans la course de vitesse désormais engagée entre les terroristes et la puissance publique. Les Français ne comprendraient pas que nous tardions à prendre les mesures nécessaires à leur protection. Je vous remercie de la détermination, de l'énergie et de la lucidité avec lesquelles vous y travaillez (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République a décidé de se saisir pour avis des articles 4, 6, 9 à 19 et 22 du projet de loi adopté par le Sénat relatif aux offres publiques d'acquisition.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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