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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 46ème jour de séance, 103ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 15 DÉCEMBRE 2005

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

Sommaire

      PRÉVENTION ET RÉPRESSION
      DES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE (suite) 2

      ART.5 2

      APRÈS L'ART. 5 3

      ART. 5 BIS 14

      APRÈS L'ART. 5 BIS 16

      ART. 6 16

      APRÈS L'ART. 6 16

      TITRE 17

      EXPLICATIONS DE VOTE 17

      DROIT DE PRÉEMPTION
      ET PROTECTION DES LOCATAIRES
      EN CAS DE VENTE D'UN IMMEUBLE
      (deuxième lecture) 19

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PRÉVENTION ET RÉPRESSION DES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.

ART.5

Mme Muguette Jacquaint - J'ai déploré à plusieurs reprises l'insuffisance des lieux d'accueil destinés aux femmes subissant des violences conjugales. Ceci étant, il serait injuste d'asseoir une politique de prévention uniquement sur l'éloignement de la victime. Préparer ces femmes à noter les numéros de téléphone importants, à identifier les personnes capables de les aider, à informer les enfants, à préparer un sac de départ et à mettre en lieu sûr leurs papiers importants, ne suffit pas. Pourquoi la victime devrait-elle quitter son foyer pour un lieu d'hébergement impersonnel ? Ce départ renforce bien souvent son sentiment de détresse, d'isolement et d'abandon.

Si les femmes avaient conscience que c'est l'agresseur qui doit partir, elles seraient davantage enclines à porter plainte et ne vivraient pas si longtemps dans la terreur et la culpabilité. Eloigner l'agresseur du domicile est donc un moyen de renverser le rapport des forces. C'est à la fois une mesure de prévention et de protection.

L'article 138 du code de procédure pénale, dans sa rédaction actuelle, permet déjà d'imposer à l'agresseur de ne pas se rendre dans certains lieux, de s'abstenir de rencontrer certaines personnes et de s'éloigner du domicile conjugal. Reste qu'en pratique les juges hésitent à prononcer de telles interdictions car il n'est pas expressément mentionné qu'elles peuvent s'appliquer à la personne propriétaire ou locataire en titre du logement. Il convient de mettre fin à cette ambiguïté. Ainsi, les juges pourront prononcer de manière plus systématique l'éviction du domicile conjugal et, surtout, prendre des mesures de protection de la victime durant cette période.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - Cet article 5 est d'importance, il explique notre présence dans l'hémicycle aujourd'hui.

Dans le texte initial adopté par le Sénat, il visait à renforcer les mesures d'éloignement du conjoint prévues par le code civil. Or l'Assemblée a pris l'initiative de reprendre ce dispositif dans la proposition de loi sur le traitement de la récidive à l'article 35. En commission mixte paritaire, le Sénat a souscrit à cette proposition mais s'est interrogé sur le devenir de la présente proposition de loi qui semblait vidée d'une partie de sa substance. Attachant de l'importance à ce texte, nous l'avons fait inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée dès la première occasion. Jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a validé la proposition de loi sur le traitement de la récidive et ses dispositions seront bientôt applicables. Afin d'en tenir compte, nous vous proposons, par l'amendement 20, de réécrire l'article 5 plutôt que de le supprimer en renforçant le contrôle judiciaire. Cette mesure, ordonnée par le juge d'instruction, est efficace pour lutter contre les violences conjugales. Mais, quand elle est prononcée par le procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention et le tribunal correctionnel, les possibilités de révocation du contrôle judiciaire ne sont pas expressément prévues par la loi. Cet amendement vise à corriger cette imperfection juridique.

S'il est adopté, il constituera avec l'article 35 de la loi sur le traitement de la récidive, un dispositif complet, cohérent et efficace.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Avis favorable.

L'amendement 20, mis aux voix, est adopté et l'article 5 ainsi rédigé.

APRÈS L'ART. 5

M. Pierre-Christophe Baguet - L'amendement 32 vise à étendre aux couples non mariés l'interdiction du domicile conjugal à l'auteur de violences, quand ce couple a en commun un enfant mineur. Cette disposition de protection a été introduite par la loi Perben sur le divorce mais ne s'applique actuellement qu'aux couples mariés. Or 40 % des premiers enfants naissent dans des couples non mariés. Il serait injuste qu'une femme, subissant les violences de son concubin, ne puisse pas rester dans le domicile conjugal.

M. le Rapporteur - Avis défavorable car l'article 220-1 du code civil que vous voulez modifier figure dans le chapitre concernant les devoirs et droits relatifs des époux. Or, les concubins ne sont pas des époux. Cette fragilité juridique empêche que nous acceptions cet amendement, par ailleurs satisfait par l'article 35 de la loi sur le traitement de la récidive.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement soulève de nombreuses difficultés juridiques. La question de l'extension aux couples non mariés de la procédure d'éviction a été longuement débattue lors de l'examen de la loi sur le divorce du 26 mai 2004 à l'occasion d'un amendement de Mme Pecresse. Cette dernière l'avait finalement retiré. En effet, quand un couple n'est pas marié, il n'existe pas de domicile conjugal au sens juridique. C'est le régime commun qui s'applique et il varie selon l'identité du propriétaire ou du titulaire du bail. Par ailleurs, si le juge des divorces peut attribuer le domicile conjugal à l'un des époux pendant la procédure de divorce aux termes de l'article 220-1 du code civil, il ne peut le décider avant que cette procédure ne soit engagée. Dès lors, l'attribution de la jouissance exclusive d'un logement à l'un de ses membres sans considération de l'identité du propriétaire ou du locataire en titre ne peut se concevoir. Enfin, l'article 220-1 du code civil dispose que ces mesures sont caduques si aucune demande en divorce n'est présentée après quatre mois. Une telle disposition ne peut s'appliquer aux couples non mariés. Pour toutes ces raisons, Monsieur Baguet, je vous invite à retirer cet amendement.

M. Pierre-Christophe Baguet - L'amendement 32 est retiré.

Mme Muguette Jacquaint - Certes, les incertitudes juridiques existent, mais cet amendement, que nous reprenons, règle des situations catastrophiques où une femme concubine ou pacsée est victime de violences.

M. Jacques Brunhes - Vous avez raison, Monsieur le Garde des Sceaux : ce texte, juridiquement fragile, est imparfait. Mais n'est-ce pas précisément au législateur de l'améliorer ? Tout le monde constate un problème réel : à nous de le résoudre !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - J'ai déjà fait part, lors de la discussion générale, de l'intention du Gouvernement d'amender au Sénat le texte sur la récidive, adopté avant-hier, de manière à étendre l'éloignement des « ex » coupables de violences.

L'amendement 32, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Bloche - Notre effort législatif n'aura de sens que s'il est assorti de mesures d'accompagnement et d'un travail de sensibilisation dès le plus jeune âge. L'amendement 57 rectifié vise à intégrer les problématiques de violence à l'enseignement de l'éducation civique de telle sorte que les enseignants puissent former leurs élèves au respect des autres et leur expliquer toutes les conséquences néfastes qu'ont les actes de violence au sein des familles.

M. Pierre-Christophe Baguet - En effet, on ne peut bien vivre ensemble sans respect mutuel. L'amendement 30 vise donc à enseigner aux jeunes adolescents - qui sont les adultes responsables de demain - le respect de l'égalité entre hommes et femmes, et à les sensibiliser aux actes de violence et aux propos sexistes.

Mme Martine Billard - Loin d'imposer le contenu des livres ou d'obliger les enseignants à prendre parti, l'amendement 48 demande que soient assurées une formation au respect de l'égalité et une sensibilisation aux actes et propos sexistes.

Les femmes de ma génération ont pu croire à un recul de telles violences. Pourtant, nous sommes aujourd'hui dans une période de régression : les violences sexistes reprennent, notamment chez les jeunes. Le législateur doit traiter cette question en permettant non seulement aux adolescents, mais aussi aux enfants d'apprendre à se respecter. Ce n'est pas parce qu'on utilise ses poings qu'on est plus viril, bien au contraire : c'est en respectant l'autre que l'on devient citoyen.

Tous les pays n'ont pas cette préoccupation, et certains se fondent même sur l'inégalité entre les sexes. Pourtant, le refus des violences sexistes et le respect de l'égalité entre hommes et femmes sont essentiels à la construction d'une société égalitaire, et sont inscrits dans notre Constitution : il est donc important d'y insister dans le droit.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Personne ne conteste le bien-fondé de vos propositions. La volonté du législateur restera inefficace si elle n'est pas accompagnée par l'action règlementaire du Gouvernement et par l'ensemble de la société.

Toutefois, ces dispositions, aussi importantes qu'elles soient, sont de nature règlementaire : M. le ministre pourra nous confirmer sa volonté de prolonger ce texte de loi par les décisions qui relèvent de sa compétence.

En vertu du devoir de suite imposé au rapporteur depuis la modification de notre règlement intérieur, je publierai dans six mois un rapport sur l'application de cette loi auquel j'intègrerai une évaluation corollaire de la mise en œuvre des dispositions règlementaires qui l'auront complétée.

Cela dit, s'il faut, en effet, envisager une formation, il faudrait aussi inviter les acteurs à prendre connaissance du texte par eux-mêmes. Je suggère donc au Gouvernement de publier au plus tôt cette loi - ainsi que nos débats parlementaires, très éclairants - et de la remettre à tous les professeurs principaux ainsi qu'aux délégués de classe de nos collèges et lycées, qui pourraient ensuite engager d'utiles discussions sur le sujet au cours des heures de vie de classe, par exemple. En effet, c'est à l'adolescence que les relations entre jeunes gens et jeunes filles doivent être éclairées par des textes de loi tels que celui que nous nous apprêtons à voter.

M. Jean-Pierre Brard - En des termes pédagogiques, et non énarquiens !

Mme la Ministre déléguée - Même avis. Plutôt que d'ajouter des éléments supplémentaires au texte, ne faut-il pas privilégier la transmission de l'information ? La question principale est donc celle des conditions d'application de la loi. J'ai écouté vos remarques avec intérêt, Monsieur le rapporteur, et je vous propose de travailler avec le ministre de l'éducation nationale pour diffuser dans une plaquette le texte et les débats le concernant (Approbations sur le banc de la commission).

M. Patrick Bloche - Puisque ces amendements sont accueillis aussi favorablement par le rapporteur et la ministre, il serait dommage de les retirer. Il ne s'agit pas de donner un mandat impératif aux enseignants, ni de charger la loi, mais de nous servir de sa vertu pédagogique pour mener une politique de prévention et mobiliser toute la communauté scolaire. Donnons un signe de la volonté du législateur en adoptant au moins l'un de ces amendements.

M. Pierre-Christophe Baguet - Je suis sensible aux propositions de M. Geoffroy, mais si une campagne de sensibilisation est toujours la bienvenue, elle reste ponctuelle et ses effets retombent. Pour pouvoir inscrire notre action dans la durée, nous devons utiliser la force pédagogique du code de l'éducation. Je maintiens l'amendement.

Mme Martine Billard - Je maintiendrai moi aussi l'amendement des Verts, même si je suis sensible aux propositions du rapporteur et de la ministre. Nous devons en effet penser à l'avenir et agir sur le long terme - nos codes contiennent des dispositions qui peuvent dater de 1804, ce qui prouve qu'une législation bien faite peut perdurer.

Mme Chantal Brunel, rapporteure de la délégation aux droits des femmes - La mise en œuvre d'actions spécifiques en milieu scolaire a été recommandée à l'unanimité par la délégation aux droits des femmes.

Mme Muguette Jacquaint - Nous devons prévenir les comportements sexistes entre filles et garçons dès le plus jeune âge. En Seine-Saint-Denis, des représentants de l'Observatoire national des violences faites aux femmes et du planning familial se rendent régulièrement dans les collèges et les lycées pour faire réagir les élèves sur ces sujets. Cette initiative, réclamée par les professeurs et les associations, est très bien vue des élèves. L'Education nationale doit se saisir de ces questions, et je soutiens ces amendements.

M. Jacques Brunhes - Pourquoi les violences familiales seraient-elles abordées dans le seul cadre de l'enseignement d'éducation civique ? Le système éducatif dans son ensemble ne devrait-il pas appréhender cette question ?

Par ailleurs, le Garde des Sceaux et le rapporteur déplorent la nature règlementaire de ces amendements mais, comme nous en avons déjà débattu, la frontière entre le législatif et le règlementaire est très fragile, et je trouve malséant de nous censurer nous-mêmes - même si je ne suis pas de ceux qui souhaitent introduire trop de dispositions règlementaires dans la loi.

L'article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de l'enseignement. Pourquoi les problématiques de violences familiales n'en feraient-elles pas partie ? Puisque tout le monde est d'accord sur le principe, adoptons ces amendements, quitte à en débattre à nouveau si un problème se pose.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois - La commission des lois est garante de la qualité des textes adoptés. Nous sommes interpellés tous les jours par des personnes indignées de l'inflation législative et du manque de lisibilité de nos textes, source d'insécurité juridique. Nous nous promettons chaque jour d'y remédier, mais rien ne change !

Sur le fond, nous approuvons ces amendements, mais il existe d'autres moyens d'atteindre ces objectifs, comme l'a rappelé Mme la ministre. Arrêtons de voter des circulaires plutôt que des lois !

M. Jean-Pierre Brard - Voilà ce qui aurait pu être du Pierre Mazeaud dans le texte !

M. le Président - C'est un hommage !

M. Jean-Pierre Brard - Absolument !

Comment en sommes-nous arrivés là ? C'est que les députés, de droite comme de gauche, ne font pas confiance au Gouvernement pour prendre les mesures nécessaires à l'application des textes que nous votons.

Par ailleurs, comme l'a dit M. Geoffroy, l'école est capitale. Malheureusement, Mme la ministre n'a pas assez évoqué les jeunes, alors que nous ne pouvons nous adresser de la même manière aux professeurs et aux élèves, fussent-ils délégués de classe. Nous devons mener un travail pédagogique spécifique, qui, actuellement, n'est pas bien assuré par l'Education nationale.

M. le Président de la commission - Monsieur Brard, nous sommes d'accord : il s'agit bien là d'une mesure règlementaire. Vous prétendez que ce serait un moyen de lutter contre l'inertie du Gouvernement, mais je vous rappelle que l'article 86 notre Règlement accorde au rapporteur un droit de suite sur l'application de loi, et je crois que nous pouvons faire confiance à M. Geoffroy, particulièrement actif.

M. Jean-Pierre Brard - C'est un Pierre Mazeaud en devenir !

M. le Président de la commission - Si le Gouvernement ne tient pas ses engagements, nous pourrons intervenir à nouveau dans le cadre de ce droit de suite dont nous souhaitons, tout comme le président de l'Assemblée, qu'il soit de plus en plus régulièrement exercé.

M. Christian Decocq - Il ne faut pas distinguer entre postures prétendument gratifiantes ou ingrates. Jusqu'à l'intervention de M. Houillon, j'aurais voté ces amendements, mais, comme disait Max Weber, un homme politique se doit de concilier éthique de conviction et éthique de responsabilité : c'est en l'occurrence la loi, ici, que nous faisons.

L'amendement 57 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté non plus que les amendements 30 et 48.

Mme la Rapporteure - La violence conjugale présente des caractéristiques spécifiques en raison du lien entre l'agresseur et la victime. Celui-ci peut d'ailleurs perdurer, notamment lorsque le couple a des enfants. Une politique seulement répressive ne peut résoudre tous les problèmes.

La médiation pénale n'est pas très appropriée dans les cas de violences conjugales car elle entraîne le plus souvent le retrait de la plainte et elle induit une dépénalisation de la procédure. Le problème de couple supplante alors le phénomène de délinquance. In fine, la médiation entérine le rapport de force entre le conjoint violent et celui qui subit les violences au lieu d'y mettre un terme. Le ministère de la justice, dans son guide de l'action publique relatif à la lutte contre les violences au sein du couple, insiste d'ailleurs sur le fait que la médiation pénale n'est pertinente que dans quelques cas bien circonscrits. Si une première médiation pénale ne produit aucun résultat, il est inopportun d'en tenter une seconde. Tel est le sens de l'amendement 28.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement mais j'y suis, à titre personnel, plutôt favorable car la médiation pénale, en la matière, peut avoir, en effet, des effets pervers. Même si l'objet de cet amendement relève plutôt de la politique pénale, donc d'une circulaire, même si le guide de l'action publique attire l'attention des magistrats sur la vigilance particulière à avoir quant aux décisions de médiations pénales ordonnées en cas de violences conjugales, le législateur doit donner un signe fort.

M. le Garde des Sceaux - Nous sommes tous d'accord sur cette préconisation de bon sens mais elle relève en l'occurrence d'une circulaire. Je vous prie donc de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la Rapporteure - Je le retire mais je précise que toutes les associations sont favorables à la suppression de la médiation pénale.

Mme Muguette Jacquaint - Je reprends l'amendement. En effet, toutes les associations et tous les travailleurs sociaux sont hostiles à la médiation. Comment une femme victime de violences pourrait-elle avoir envie de se retrouver face à son bourreau ? C'est impensable !

Mme Martine Billard - Quand un homme frappe une femme pour la première fois, c'est un tabou qui se brise. Soit il se rend compte de son acte et il ne recommencera jamais, soit il recommencera, mais la loi ne doit pas laisser entendre qu'il serait possible de frapper sa femme, même une seule fois, et que ce serait moins grave que de frapper quelqu'un d'autre !

M. Jacques Brunhes - M. le rapporteur est juridiquement très subtil : nous sommes tous d'accord sur cette question, le problème peut être réglé de façon règlementaire, mais pour témoigner de notre volonté commune, une inscription dans la loi s'impose. Cela confirme parfaitement mes propos sur la fragilité du distinguo entre les domaines législatif et règlementaire. Le Garde des Sceaux nous demande de nous censurer...

M. le Garde des Sceaux - Mais non ! Puisque nous faisons du droit, utilisez des mots précis !

M. Jacques Brunhes - ...au prétexte qu'une circulaire sera prise. Je sais comme vous qu'un grand nombre de lois ne sont pas appliquées et que nombre de circulaires ne sont jamais prises. Nous traitons d'un sujet de fond et il y unanimité ! Il faut en tenir compte !

M. le Président - Nos débats doivent maintenant s'accélérer.

M. le Garde des Sceaux - Ils s'éternisent pour le seul plaisir de parler.

M. Jean-Pierre Brard - Les députés ne sont pas à votre image, Monsieur le ministre.

Je suis d'accord sur ce qui vient d'être dit à propos de la médiation. Ne rien changer, c'est maintenir les femmes victimes sous la pression de leurs conjoints violents, d'autant plus que ce texte n'offre guère de moyens pour que les femmes puissent rapidement quitter le domicile conjugal non plus que pour développer l'aide juridictionnelle. M. le ministre excipe en l'occurrence du domaine règlementaire, mais votons donc cet amendement car si la circulaire est rédigée pendant la navette, il sera toujours temps d'alléger le texte !

M. le Garde des Sceaux - Vous savez bien que la loi doit être votée avant de prendre une circulaire.

M. Jean-Pierre Brard - Je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je touche du doigt (Sourires).

L'amendement 28, mis aux voix, est adopté.

Mme Muguette Jacquaint - Ce texte méritait un grand débat, comme en témoigne la mobilisation des associations, des féministes et des travailleurs sociaux.

Les victimes de violences en gardent parfois de lourdes séquelles. Selon l'OMS, leur espérance de vie diminue de quatre ans. L'amendement 45 propose que la victime de violences conjugales puisse bénéficier d'une indemnisation, au même titre que les victimes d'attentats, d'accidents de la route ou de chasse.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Outre que cette liste est fort disparate, des indemnisations sont déjà prévues lorsque les violences ont entraîné une incapacité permanente ou une ITT supérieure à un mois.

L'amendement 45, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteure - L'amendement 29, qui traite de la polygamie, est important. La polygamie est interdite en France, mais elle existe et nous voyons tous, de ce fait, des femmes en situation de semi-esclavage et des enfants en souffrance. Dans ce contexte, les prestations familiales sont souvent captées par le père polygame, qui en fait un instrument de pression sur les femmes.

Le but de cet amendement, qui tend à ce que le juge des enfants ordonne dans ce cas que les prestations soient versées à un tuteur extérieur à la famille, par exemple un membre d'association ou l'assistante sociale de la mairie, n'est pas de faire une quelconque économie sur les prestations sociales mais de redonner aux femmes concernées leur dignité, de leur permettre de sortir de la cohabitation et de faire vraiment servir les prestations familiales à l'éducation des enfants.

Mme Martine Billard - Je me retrouve tout à fait dans cette critique de la polygamie, mais je crois que la meilleure manière d'aider ces femmes qui se font avoir est de leur donner une carte de séjour et de favoriser leur accès au logement. Si tel était le cas, je ne pense pas que beaucoup resteraient dans une situation de cohabitation.

Je comprends bien l'esprit de l'amendement, mais cela me rappelle de vieux débats, quand les femmes se demandaient comment empêcher leur mari de dépenser toute sa paie au bistrot. Je veux dire par là qu'il y a toujours des cas où les femmes ne peuvent pas contrôler l'argent du ménage. Ce qui me gêne dans cet amendement, c'est qu'il mette systématiquement les familles polygames sous tutelle.

C'est pourquoi je propose, par mon sous-amendement 60, une autre solution : qu'en cas de polygamie, les prestations soient obligatoirement versées aux femmes après ouverture d'un compte bancaire ou postal personnel.

M. Jean-Pierre Brard - Je ne pense pas que les femmes victimes de la polygamie se « fassent avoir ». En réalité, elles ne prennent en général pas la moindre part à la décision, qui est prise par le réseau familial. Il arrive que le mari ne soit pas davantage consulté. Personnellement, je serais pour que l'on retire leur titre de séjour aux maris polygames et pour qu'on en donne un aux femmes victimes de la polygamie.

Mon sous-amendement 59, qui tend à ce que les prestations ne soient versées qu'à la mère, rejoint tout à fait celui de Mme Billard. Ces sous-amendements évitent une mise sous tutelle de la famille mais reconnaissent aux femmes concernées un droit à l'indépendance économique. Si nous les adoptons, nous donnerons un formidable point d'appui à toutes ces femmes qui vivent la polygamie et qui en souffrent en silence.

M. le Président - On ne peut pas adopter les deux sous-amendements. Il faut choisir.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné les sous-amendements, arrivés trop tardivement, et elle a repoussé l'amendement, car il serait dangereux que la loi semble reconnaître, fût-ce indirectement et fût-ce en prétendant la combattre, la polygamie. La question est importante et doit être traitée, mais le risque est là.

M. le Garde des Sceaux - Nul n'ignore que le problème existe et nous sommes tous d'accord pour ne pas le négliger. Mais l'argument juridique que vient de donner le rapporteur est incontournable. J'ajoute que l'amendement est en partie satisfait, puisque l'article 552-6 du code de la sécurité sociale dispose déjà que le juge peut désigner un tiers pour gérer l'argent. Mme Brunel dit, elle, qu'il « doit » le faire, ce qui lui retire sa liberté d'appréciation et nuit à la recherche de solutions au cas par cas.

Quant aux sous-amendements, je m'interroge, car, je le vois bien dans la communauté turque de mon département, certaines femmes n'ont pas du tout l'habitude de gérer un compte bancaire. Et en supposant qu'elles l'aient, le risque n'est-il pas que cette situation devienne une source de conflit familial, voire de violences ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Je réfléchis tout haut avec vous, simplement, sur la piste que vous ouvrez. Donnons-nous donc le temps d'y réfléchir d'ici à la CMP.

Mme la Rapporteure - L'article 552-6 vise les cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants, mais pas les situations de polygamie. Le rapporteur nous dit qu'en parler dans la loi serait une forme de reconnaissance. Mais la polygamie existe, dans les faits, avec des mariages qui se font selon la coutume du pays, évidemment et pas devant Monsieur le maire en France. Alors comment traite-t-on le problème ?

La Délégation aux droits des femmes avait envisagé la solution préconisée dans les sous-amendements, à savoir que les prestations ne soient versées qu'aux mères, mais a préféré, après discussion, la formule du recours à une tutelle, compte tenu de l'incapacité de certaines de ces femmes à faire face aux complexités de notre administration, ne serait-ce que parce qu'elles ne maîtrisent pas complètement notre langue. Leur dépendance vis-à-vis de leur mari est dans ce cas telle que celui-ci risque de récupérer aisément l'argent de la prestation. Mais cette disposition peut néanmoins aider certaines femmes. C'est pourquoi, soucieuse de progresser dans la lutte contre la polygamie, je voterai le sous-amendement de Mme Billard.

M. Patrick Bloche - Je me réjouis que nous abordions la question de la polygamie sans esprit de polémique. Mais je suis surpris par la réponse de la commission et du Gouvernement, car si l'article cité du code de la sécurité sociale était suffisant, cela se saurait et nous ne serions pas confrontés, en tant qu'élus locaux notamment, à certaines situations problématiques.

Il est proposé, pour lutter contre la pratique de la polygamie, qui est interdite sur le territoire français, de frapper là où cela fait mal, c'est-à-dire en essayant de tarir la source financière qu'elle peut représenter pour le père. Le rapporteur nous répond que parler de cette pratique dans la loi, équivaut à la reconnaître.

C'est pour le moins surprenant. En somme, il serait plus raisonnable de passer sous silence une pratique manifestement contraire à toutes nos lois plutôt que de la combattre ouvertement ! Quant aux prestations familiales, elles n'ont pas vocation à procurer un revenu supplémentaire aux parents mais à couvrir les dépenses d'éducation des enfants. Ce qui prime, c'est l'intérêt de l'enfant, et Mme Aurillac peut témoigner que la mission d'information sur la famille s'attache en permanence à faire émerger les propositions tendant à mieux garantir les droits de l'enfant. A ce titre, nous ne pouvons qu'être favorables à l'amendement de Chantal Brunel, utilement complété par les sous-amendements de Martine Billard et de Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Il est normal que nous n'ayons pas tous la même approche de ce problème. En tant que maire de Montreuil, vous me permettrez de penser que je connais mieux que d'autres les souffrances liées à la polygamie. Et croyez bien, chère collègue Aurillac, que je ne vise personne... (Sourires) Pour avoir tenté de sensibiliser une juge aux affaires familiales de Bobigny sur le drame de l'embrigadement des enfants dans les sectes les plus dangereuses, je puis témoigner que nombre de magistrats conduits à prendre de très lourdes décisions ne connaissent rien de certains problèmes de société, tels que la dérive sectaire ou la polygamie. Alors, Monsieur le Garde des Sceaux, il ne s'agit pas d'invoquer je ne sais quel esprit des textes et moins encore de reconnaître la polygamie, mais de poser une première balise législative sur la longue route du combat contre ce phénomène inacceptable. Je ne puis imaginer que votre rejet témoigne d'une quelconque soumission au machisme spoliateur qui conduit à la polygamie. Et je n'ai pour ma part aucun doute sur la capacité des femmes à gérer un compte bancaire. Dans ces cas là, nécessité fait loi et l'on ne peut mettre en avant la soumission forcée des femmes pour se convaincre de l'opportunité de ne rien faire. Je veux aussi témoigner des violences insupportables qui découlent des liens de subordination entre co-épouses, la plus jeune d'entre elles exerçant souvent sur les autres - et sur leurs enfants - une tutelle extrêmement sévère. Il convient d'en tenir compte, car les enfants des premières épouses sont parfois soumis à des traitements que rien ne peut justifier. Ne revient-il pas au législateur français de rappeler en toute occasion que tous les enfants ont les mêmes droits, quel que soit le contexte familial dans lequel ils sont élevés ?

Le Garde des Sceaux a indiqué que la question pourrait être tranchée en CMP. Dès lors, rien ne nous empêche d'adopter l'amendement, enrichi de nos sous-amendements, et de parfaire le texte au cours de la navette, avec l'aide du Gouvernement. Parce que nous connaissons bien le problème, nous sommes, Chantal Brunel et moi-même, en plein accord sur ce sujet. Il est urgent de dire à notre société que le législateur ne fermera plus les yeux sur l'atteinte intolérable aux droits de l'homme que constitue la polygamie.

Mme Martine Billard - Consciente des difficultés d'application pratique du dispositif, je propose de compléter mon sous-amendement 60 en précisant que : « Les conditions d'application sont fixées par décret. ».

M. le Président - Le sous-amendement 60 est ainsi rectifié.

Mme Martine Billard - Par ailleurs, ne pourrait-on pas modifier l'amendement 29 pour préciser que l'état de polygamie est illégal ? (« Impossible ! » sur divers bancs)

Je signale enfin que je n'ai guère été convaincue par l'argument tenant à l'incapacité des femmes à gérer un compte. Je doute que tous les maris soient de parfaits gestionnaires...

M. Jean-Pierre Brard - Cela se saurait !

Mme Martine Billard - ...et que leur maîtrise du français soit très supérieure à celle de leurs épouses ! Au surplus, l'on pourra toujours s'appuyer sur le réseau associatif pour aider les femmes dans les premiers temps de leur émancipation.

M. le Garde des Sceaux - En voulant être plus constructive encore qu'elle ne l'est habituellement, Mme Billard met en évidence les difficultés pratiques d'application de ses propositions. Je le répète : je souscris aux objectifs de Mme Billard et de M. Brard, mais il faut mettre à profit le temps de la navette pour en parfaire la mise en forme. Par contre, je renouvelle mon avis défavorable à l'amendement de Mme Brunel car les dispositions du code de la sécurité sociale le satisfont.

M. le Rapporteur - Nos échanges montrent que pour intéressantes qu'elles soient, ces propositions ne sont pas mûres et que la commission était fondée à demander leur retrait. Suivons la sage recommandation du Garde des Sceaux de se donner le temps de peaufiner leur formalisation.

M. Pierre-Christophe Baguet - C'est la sagesse !

Mme la Ministre déléguée - N'oublions pas non plus que nombre de femmes concernées par la polygamie sont en situation irrégulière et que cela commande de prendre certaines précautions dans la manière de légiférer. Profitons aussi de la réunion, en janvier prochain, du comité interministériel de l'intégration pour envisager le problème dans toutes ses composantes et mettre fin à ce phénomène intolérable dans les meilleures conditions possibles.

M. Pierre-Christophe Baguet - Très bien !

Mme la Rapporteure - Je veux dire à mes collègues de l'UMP que les situations de polygamie, auxquelles je suis souvent confrontée dans ma circonscription, ont des conséquences vraiment dramatiques. Dans plusieurs établissements scolaires dont je suis l'activité, l'ensemble du corps enseignant demande au législateur d'intervenir car la polygamie porte une atteinte intolérable à l'image de la femme, qui rejaillit sur le comportement des enfants. Le vote des sous-amendements et de mon amendement montrerait que nous nous sommes saisis de la question et que nous sommes, aujourd'hui comme par le passé, très attachés à la défense de la dignité humaine. Tous ceux qui connaissent bien la question savent que la polygamie, fondée sur les mariages forcés, constitue une forme de violence conjugale particulièrement atroce. Sa répression trouve donc naturellement sa place dans le présent texte.

Le sous-amendement 60 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

Le sous-amendement 59, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Bravo ! Vous admettez la polygamie !

M. Christian Decocq - Allons ! C'est la gauche qui l'a encouragée !

M. le Président - Je vous en prie. Evitons les provocations inutiles.

L'amendement 29, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - Sans doute serai-je amené à retirer mon amendement 49 car il relève plutôt du domaine réglementaire, mais je souhaitais qu'une sensibilisation au respect de l'égalité femmes-hommes et au rejet des violences sexistes soit assurée durant les journées d'appel et de préparation à la défense.

M. le Rapporteur - Défavorable, pour la raison que vous avez vous-même évoquée.

M. le Garde des Sceaux - L'article L.114-3 du code du service national vous donne satisfaction, en disposant qu'est diffusée à l'occasion de la JAPD une information sur l'égalité des sexes.

M. le Président - L'amendement 49 est donc retiré.

Mme Martine Billard - Mon amendement 52 vise à interdire à un employeur de procéder à un licenciement au motif d'absences liées à des violences conjugales.

M. le Rapporteur - La commission l'a repoussé car, même s'il faut évidemment se préoccuper - et l'UNEDIC le fait - de la situation de ces femmes qui, du fait de certaines absences, peuvent avoir des difficultés avec leur employeur, on risquerait des détournements de procédure, du fait du problème de la preuve.

Mme la Ministre déléguée - Même avis, d'autant que la jurisprudence est constante sur le fait que les absences justifiées ne constituent pas un motif de rupture du contrat de travail.

Mme Martine Billard - La jurisprudence a le défaut de n'intervenir qu'a posteriori, soit environ trois ans après le licenciement s'il a fallu faire appel après le jugement par le tribunal des prud'hommes... Et vous avez modifié la loi de telle sorte qu'il n'y a plus, en cas de licenciement abusif, obligation de réintégration dans l'entreprise, mais seulement obligation d'indemnisation !

Mme Muguette Jacquaint - On sait bien que l'indépendance financière est la première des conditions pour que les femmes qui ont été victimes de violences puissent se sortir des mains de leur bourreau. Le fait qu'une plainte ait été déposée - et pas simplement une main courante, qui n'a aucune valeur juridique - devrait être considéré comme un cas de force majeure interdisant le licenciement.

Mme la Ministre déléguée - Je ne reviens pas sur cet amendement mais, étant comme vous extrêmement sensible au problème de l'autonomie financière des femmes, je suis tout à fait prête à expérimenter le point 7 des propositions de la Délégation, à savoir le versement en urgence, à la demande du procureur, des prestations à caractère social et familial.

Mme Martine Billard - On crée de l'assistanat...

L'amendement 52, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Nous allons accélérer le débat car nous avons un deuxième texte à examiner ce matin.

Mme Martine Billard - Je participerai à ce deuxième débat, mais on ne saurait minimiser celui-ci : c'est la première fois qu'on parle au Parlement français des violences contre les femmes... Quel dommage, d'ailleurs, que nous ne discutions pas d'une loi-cadre !

Mon amendement 50 vise à donner au CSA la possibilité d'intervenir contre les publicités propageant une vision dégradante des femmes allant jusqu'à l'incitation à la violence. Nous autres femmes avons le souvenir d'une certaine publicité sur une crème fouettée... Il faut absolument qu'une réflexion ait lieu sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Vous avez raison sur le fond, mais les moyens juridiques existent déjà pour combattre ce que vous dénoncez : l'article premier de la loi de 1986 relative à la liberté de communication rappelle que l'exercice de la liberté de communication doit se faire dans le respect de la dignité de la personne humaine, ainsi que dans le souci de la protection de l'enfance et de l'adolescence. Pour cette raison, avis défavorable.

Mme la Ministre déléguée - Même avis : les textes existent, faisons-les appliquer. Dans ce but, je vais rencontrer les responsables du Bureau de vérification de la publicité et je vais écrire au Président du CSA.

M. le Rapporteur et Mme Martine Billard - Très bien !

L'amendement 50 est retiré.

M. Jean-Pierre Brard - Par notre amendement 47, nous proposons que la France dénonce dans un délai d'un an les dispositions figurant dans les conventions ou traités qui contredisent ou font obstacle aux droits des femmes tels qu'ils sont établis par la Constitution et les lois françaises.

Notre Délégation aux droits des femmes, dans son rapport publié la semaine dernière, décrit très bien la mécanique juridique perverse qui peut enfermer les femmes, particulièrement celles issues des immigrations maghrébine, africaine et turque, dans une nasse conjugale et communautaire : « La France a signé avec de nombreux pays des conventions bilatérales qui imposent aux tribunaux français d'appliquer des codes de la famille discriminatoires envers les femmes. Contraires au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, les normes appliquées par les juges français conformément à ces conventions sont en conflit, non seulement avec notre système légal interne, mais encore avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. » La Délégation ajoute que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a invité les Etats membres à refuser de reconnaître les codes de la famille étrangers et les lois relatives au statut personnel qui violent les droits des femmes et à cesser de les appliquer, en soulignant que par exemple, pour les femmes marocaines résidant en France, il est possible d'être unilatéralement répudiées par leur mari ou de se voir supprimer la garde de leur enfant de plus de 7 ans.

De telles conventions maintiennent dans une insécurité juridique inacceptable non seulement certaines femmes immigrées, mais encore des jeunes filles ou jeunes femmes nées en France de parents étrangers. En effet, comme l'a rappelé le Haut conseil à l'intégration, « les femmes françaises d'origine maghrébine ignorent souvent que la nationalité marocaine, algérienne ou tunisienne, transmise par le père, ne se perd pas et qu'elles seront donc considérées dans le pays d'origine comme des ressortissantes soumises à la loi du pays. En tant que Françaises, elles auront la possibilité de demander l'application de la loi française en France. Certaines conventions bilatérales ont cependant établi des dispositions particulières qui excluent le privilège de juridiction, comme la convention franco-marocaine du 10 août 1981. » C'est très grave ! Par là, nous reconnaissons que toutes les femmes ne sont pas égales dans notre pays puisque, pour certaines d'entre elles, c'est la loi étrangère qui s'applique. Accepterions-nous que cette loi étrangère s'applique aux femmes et non aux hommes alors que les uns et les autres sont citoyens français ?

M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement car il est contraire à l'article 52 de la Constitution aux termes duquel « le Président de la République négocie et ratifie les traités ». Cet amendement constitue une injonction au pouvoir exécutif qui n'est pas acceptable.

M. le Garde des Sceaux - Monsieur Brard, vous avez toute satisfaction. Je ne sais quel est le juriste qui vous a inspiré cet amendement ! En premier lieu, le droit international privé interdit l'application d'une loi étrangère contraire à notre droit. Ensuite, la France est signataire de la Convention européenne sur les droits de l'homme. Partant, toute disposition qui en constituerait une violation est inapplicable en France. Enfin, les conventions internationales, avant qu'elles ne soient ratifiées, font l'objet d'un contrôle de conformité, par le ministre des affaires étrangère et le Garde des Sceaux, avec les autres textes auxquels nous sommes parties, dont la Convention européenne sur les droits de l'homme. Peut-être, ce travail est-il mal fait mais pouvez-vous citer un exemple précis ? Je vous invite à retirer cet amendement. Si vous vous y refusez, je donnerai un avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Garde des Sceaux, je n'aurais jamais imaginé un tel angélisme de votre part ! Vous savez comme moi qu'il existe des conventions internationales, que celles-ci sont appliquées dès lors que, par le père, des citoyens français sont expropriés de leur citoyenneté française lorsqu'ils se trouvent sur la terre de leurs ancêtres ! Quant au juriste qui m'aurait inspiré, s'il n'est pas aussi brillant que vous-même, il n'est pas le seul à avancer cette argumentation puisque la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée l'a reprise. Après avoir mis en doute l'aptitude des femmes à gérer un compte bancaire, voici que vous laissez entendre que les femmes de cette assemblée auraient moins de compétences intellectuelles que leurs collègues masculins !

M. Christian Decocq - Pas d'amalgames !

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas moi qui ai mis en doute la capacité des femmes à gérer un compte ! M. Clément se prépare à faire acte de contrition, ce dont je suis fort aise !

M. le Garde des Sceaux - C'est inadmissible ! Monsieur Brard, retirez ces propos ou je quitte l'hémicycle ! J'ai dit tout à l'heure combien je souhaitais que l'on évite la stigmatisation dans ce débat et, à la première occasion, vous stigmatisez mes propos !

M. Jean-Pierre Brard - Que vos propos soit inacceptables, c'est probable. Tout à l'heure, avez-vous, oui ou non, douté de l'aptitude des femmes turques de votre circonscription à gérer un compte bancaire ?

M. le Garde des Sceaux - Sortir des propos de leur contexte est le signe d'une grande malhonnêteté intellectuelle...

M. Christian Decocq - Très bien ! (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Garde des Sceaux - Monsieur Brard, vous dites toujours n'importe quoi en séance. Je veux rétablir la vérité sinon on finira par vous croire ! J'ai dit que si sur le plan pratique la mesure en question était applicable, j'y serais favorable. C'est exactement le contraire de ce que vous laissez entendre ! Cessez de répandre votre mauvaise foi dans cet hémicycle !

M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Garde des Sceaux, vous vous êtes pris les pieds dans le tapis et vous ne savez plus comment vous en sortir...

M. le Garde des Sceaux - Qu'il arrête !

M. Jean-Pierre Brard - Faites amende honorable !

M. le Garde des Sceaux - Vous êtes vraiment malhonnête ! On ne peut pas travailler avec vous ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 11 heures 20 est reprise à 11 heures 25.

L'amendement 47, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Bloche - Le groupe socialiste tient particulièrement à cet amendement 58 rectifié qui permet de rétablir au sein de cette proposition de loi un équilibre entre la répression, tout à fait nécessaire, et la prévention. Si nous voulons réellement faire régresser les violences au sein du couple, il faut davantage y sensibiliser les professionnels qui sont en contact direct avec elles - le personnel médical et paramédical, les travailleurs sociaux, les magistrats, les agents de la police et de la gendarmerie nationale - qu'il s'agisse de formation initiale que continue. C'était d'ailleurs l'une des préconisations du rapport Henrion remis en février 2001. La formation de ces personnels, notamment à recueillir la parole des victimes, est indispensable : elle permettra de rendre nos dispositifs de prévention, de dépistage et de protection des victimes plus efficaces.

Mme Muguette Jacquaint - En effet, les femmes victimes de violences rencontrent souvent des difficultés pour aller porter plainte ou voir un médecin. Il n'est pas toujours facile de franchir la porte d'un commissariat, par exemple, pour exposer une situation de violence. Certes, les assistants sociaux font un important travail de coordination, mais tous les personnels concernés - médicaux, sociaux, psychologues et policiers - doivent recevoir une formation adéquate : c'est le but de l'amendement 38.

M. Pierre-Christophe Baguet - Subir la souffrance est terrible ; s'en ouvrir à un tiers est très difficile. Les professionnels doivent pouvoir déceler, fût-ce dans un regard, l'appel des victimes. Loin de porter un jugement sur leur compétence, l'amendement 31 vise à leur assurer une formation à laquelle le groupe UDF est très attaché.

M. le Rapporteur - La commission a rejeté ces trois amendements, non parce qu'elle ignore l'importance de la formation des personnels, mais parce qu'ils sont d'ordre réglementaire. Il revient au Gouvernement de faire que les choses se passent au mieux, et de nombreuses dispositions existent déjà dans ce domaine - le guide de l'action publique, par exemple. Le débat sénatorial a rappelé l'ensemble des actions engagées et à poursuivre en la matière.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. Le Gouvernement est très attentif à la question de la formation, mais elle relève du domaine règlementaire.

L'amendement 58 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que les amendements 38 et 31.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 39 rectifié est défendu.

L'amendement 39 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Pierre-Christophe Baguet - L'amendement 35 vise à attirer l'attention sur le manque de lieux d'accueil et d'hébergement dans nos départements. Le Gouvernement s'est engagé au Sénat à remettre un rapport sur ce sujet, mais il est fondamental de pouvoir soulager les douleurs vécues dans l'intimité par ces femmes en lançant un grand plan national de construction de lieux d'hébergement.

L'amendement 35, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 51 porte sur le statut personnel. Je n'ai pas été convaincue par ce qui a été dit tout à l'heure. Le droit international privé est parfois en contradiction avec les conventions que la France a signées avec d'autres pays, par exemple en matière de droit patrimonial pour des femmes algériennes ou marocaines. Je demande que le Gouvernement dresse un bilan sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. C'est une question importante mais délicate, qui relève du domaine règlementaire. En outre, nous avons, dans ce texte, pris le parti de ne stigmatiser personne. Il n'est donc pas souhaitable de traiter cette question en insistant sur les femmes étrangères.

M. le Garde des Sceaux - Même avis. En effet, le droit international privé s'oppose à l'application de conventions contraires à notre droit. Il faut donc faire un inventaire des situations de fait et les combattre, mais ce n'est pas le droit qu'il faut changer.

Mme Martine Billard - Voilà pourquoi nous demandons un rapport !

M. le Ministre - Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée.

L'amendement 51, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 40 revient sur le sujet discuté trop rapidement tout à l'heure des moyens consacrés à l'hébergement des femmes victimes de violence. On fait état des besoins de logements et de centres. Je reste sceptique sur les familles d'accueil - qui manquent déjà pour les enfants - d'autant que cette mise sous tutelle n'est pas à la hauteur du courage des femmes concernées. Comme le demande depuis longtemps la Délégation aux droits des femmes, nous réclamons, par l'amendement 40, que le ministère de l'intérieur édite des statistiques sexuées dans son recensement des crimes et délits.

M. le Rapporteur - Avis défavorable, pour les raisons qui ont motivé le rejet de cet amendement au Sénat : le Gouvernement a rappelé que serait mis en œuvre, avant la fin 2006, un nouveau traitement informatique des infractions, et l'Observatoire national de la délinquance devra produire une analyse sexuée des violences.

Mme la Ministre déléguée - En effet, le nouveau système de traitement des informations que met en place le ministère de l'intérieur produira des analyses sexuées : votre amendement est donc satisfait, et je vous propose de le retirer.

J'ai fait faire un bilan précis de la situation en matière d'hébergement.

M. Pierre-Christophe Baguet - En aurons-nous connaissance ?

Mme la Ministre déléguée - Naturellement. Aujourd'hui, 71 départements ont déjà donné leur réponse : sur 20 000 places d'hébergement d'urgence, les femmes disposent de 5 000 places, dont 400 spécifiquement dédiées aux victimes de violences. 17 000 places d'insertion dans les CHRS, dont 800 pour les victimes de violences, sont à leur disposition et sur 750 hébergements d'insertion, 109 ciblent ces victimes.

L'effort doit être poursuivi. La famille d'accueil n'est qu'une solution alternative. En outre, le référent « hébergement violence » a été mis en place dans tous les départements. Il faut que les commissariats aient quotidiennement connaissance du nombre exact de places disponibles.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 40 est retiré.

ART. 5 BIS

M. le Rapporteur - L'amendement 21 vise à établir la périodicité du rapport que le Gouvernement doit déposer sur le Bureau des assemblées à deux ans - un rythme annuel aurait été trop rapide.

M. le Garde des Sceaux - Sagesse.

L'amendement 21, mis aux voix, est adopté.

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 42 vise à assortir les mesures d'accueil de mesures de soins.

M. le Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. le Ministre - Sagesse.

L'amendement 42, mis aux voix, est adopté.

Mme Martine Billard - L'amendement 54 tend à ce que le rapport établi par le Gouvernement sur la politique nationale de lutte contre les violences conjugales s'intéresse à tout le parcours vers le logement des victimes, et ne se limite pas à l'hébergement, d'autant que toutes les femmes ne sont pas prêtes à aller dans des CHRS.

Quant à l'amendement 55, il vise à ce que ce même rapport aborde la question de l'accès des victimes à un revenu autonome de solidarité et celle de leur accès à l'emploi.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à l'amendement 54, car il serait prématuré de parler de logement. Tous ceux qui travaillent sur le terrain savent que cette question vient bien après celle de la prise en charge immédiate, et donc de l'hébergement.

Mme la Ministre déléguée - Sagesse.

L'amendement 54, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 55.

M. le Rapporteur - Nous devons nous préoccuper du parcours des auteurs de violences...

Mme la Ministre déléguée - Bien sûr !

M. le Rapporteur - ...aussi l'amendement 22 tend-il à ce que le rapport du Gouvernement aborde les modalités de la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique des auteurs des faits.

M. le Garde des Sceaux - Je suis plutôt défavorable à cet amendement qui obligerait les juridictions, déjà surchargées, à rendre des statistiques pour chacune de leurs actions en matière de lutte contre les violences conjugales.

L'amendement 22, mis aux voix, est adopté.

Mme Muguette Jacquaint - Grâce à la création, en Seine-Saint-Denis, de l'Observatoire des violences faites aux femmes, nous avons pu disposer d'un réseau de professionnels qui a travaillé pendant trois ans avec les associations pour mener des campagnes de sensibilisation, former les professionnels, prévenir les violences. L'amendement 43 tend à ce que cette initiative, saluée par tous, soit étendue à l'ensemble des départements, ce qui permettrait d'établir ce rapport dans les meilleures conditions. Certes, cette mesure a un coût, mais elle a fait la preuve de son efficacité.

M. le Rapporteur - Nous devons faire confiance au Gouvernement pour que, dans le cadre de son action déconcentrée, il permette aux préfets et aux fonctionnaires, d'agir au mieux. Avis défavorable.

Mme la Ministre déléguée - Comme Mme Jacquaint, je souhaite qu'il y ait dans chaque département une structure ou un lieu d'accueil. Pour autant, même si je salue le travail réalisé en Seine-Saint-Denis, et notamment la campagne menée contre les hommes violents, nous devons, en évitant de disperser les crédits de fonctionnement, nous assurer qu'il y ait partout une commission ou un observatoire. Je recense en ce moment les commissions mises en place dans les départements, et je prendrai les mesures qui s'imposent. Avis défavorable.

L'amendement 43, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 5 bis modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 5 BIS

M. le Rapporteur - L'amendement 23 tend à renforcer la lutte contre l'excision et les autres mutilations sexuelles. Il vise, par dérogation, à réprimer l'excision commise à l'étranger sur une victime mineure résidant habituellement en France, à lever le secret professionnel comme cela est déjà autorisé en cas d'atteinte sexuelle, et à porter la prescription à vingt ans à compter de la majorité de la victime, comme c'est déjà le cas en matière d'inceste.

Mme la Ministre déléguée - Je suis extrêmement favorable à cet amendement qui, à l'instar de celui sur l'âge nubile des femmes, représente une avancée considérable.

L'amendement 23, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Afin de lutter contre le tourisme sexuel, l'amendement 25 tend à permettre à la juridiction de jugement de prononcer l'interdiction de quitter le territoire national lorsque de tels fait sont commis sur des mineurs.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement, qui répond à une attente des praticiens, renforcerait l'efficacité de l'arsenal juridique en matière de lutte contre le tourisme sexuel. Avis très favorable.

L'amendement 25, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 24 rectifié tend à transposer en droit français la directive-cadre du Conseil de l'Union européenne du 23 décembre 2003 relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, transposition qui doit être réalisée avant fin janvier 2006.

M. le Garde des Sceaux - Avis très favorable.

L'amendement 24 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 26 tend à permettre au procureur de la République d'inscrire au fichier national les empreintes génétiques d'une personne de nationalité française ou étrangère, mais résidant habituellement sur le territoire national, et condamnée par une juridiction étrangère pour des infractions de nature sexuelle.

L'amendement 26, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

ART. 6

L'article 6, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Sur le vote de l'ensemble de la proposition de loi, j'ai été saisi d'une demande de scrutin public par le groupe communistes et républicains.

APRÈS L'ART. 6

Mme Muguette Jacquaint - L'amendement 46 vise à ce que le Gouvernement crée une commission chargée de proposer sur les violences en général et non pas seulement les violences conjugales une loi-cadre qui aborderait tous les aspects de la question.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Tout d'abord, si cet amendement était adopté, nous en arriverions à ce que la loi prescrive une autre loi, ce qui serait surprenant. Par ailleurs, depuis le début de nos travaux, nous avons tous tenté de passer du syndrome du verre à moitié vide à celui du verre à moitié plein. Nous savons que le Gouvernement veillera au suivi et au renforcement des mesures que nous venons de prendre. Certes, il est toujours possible de penser qu'une loi-cadre aurait été préférable, mais outre qu'elle aurait pu être envisagée depuis longtemps, nous avons en l'occurrence porté haut et fort les préoccupations des Français à travers un texte qui comporte des avancées considérables.

Avis défavorable.

Mme la Ministre déléguée - Même avis. J'ajoute qu'il est en effet si urgent de discuter que j'ai convié la commission nationale contre les violences à une réunion de travail le 31 janvier. Nos textes de loi devaient être complétés, nous l'avons fait, et nous avancerons également d'un point de vue règlementaire. L'amendement de Mme Jacquaint est partiellement satisfait.

L'amendement 46, mis aux voix, n'est pas adopté.

TITRE

M. le Rapporteur - Les violences au sein du couple touchent certes les femmes, mais également les enfants. Des amendements ont ainsi permis de lutter contre l'excision, la pédopornographie et le tourisme sexuel. L'amendement 56 vise donc à élargir le nom de la proposition de loi en précisant qu'elle concerne également les violences « commises contre les mineurs ».

M. Pierre-Christophe Baguet - Je comprends l'esprit de cette modification mais le titre risque dès lors d'être moins lisible et moins fort : il s'agit avant tout de la prévention et de la répression des violences commises au sein du couple, même si je soutiens évidemment les amendements de lutte contre la pédopornographie et le tourisme sexuel. Il ne faudrait pas, formellement, diminuer l'impact de cette proposition.

Mme Martine Billard - Je suis d'accord avec M. Baguet. Nous avons pour la première fois légiféré sur les violences commises au sein du couple et il importe de ne pas amoindrir formellement la loi. J'ajoute que la formule concernant les violences « commises contre les mineurs » est si vague que l'on identifiera mal l'objet même du texte.

L'amendement 56, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Patrick Bloche - Je suis d'accord avec M. Baguet et Mme Billard. Cette proposition de loi, déposée à l'initiative des sénateurs socialistes et communistes, traite enfin des violences faites aux femmes au sein du couple. Nous n'avons parlé que de ce sujet, et si, à la fin du débat, M. le rapporteur a proposé certes de bons amendements pour lutter contre le tourisme sexuel et la pédopornographie, je ne pense pas pour autant qu'il soit nécessaire de modifier le titre.

Le groupe socialiste regrette la méthode législative employée, même s'il ne s'agit évidemment pas de stigmatiser l'initiative parlementaire : c'est une grande loi-cadre qui aurait due être présentée par le Gouvernement après un grand débat national, comme ce fut le cas en Espagne, où je me suis d'ailleurs rendu avec Mme Pecresse et M. Baguet dans le cadre de la mission d'information sur la famille et le droit des enfants. Nous regrettons également que ce texte soit déséquilibré : certes, le volet répressif est nécessaire, mais nous aurions souhaité que nos amendements visant à renforcer la prévention soient retenus ; je pense en particulier à la formation initiale et continue des magistrats et des policiers, indispensable pour recueillir la parole des victimes.

Néanmoins, cette proposition comportant des avancées, notamment en ce qui concerne la lutte contre les mariages forcés ou le relèvement de l'âge de mariage pour les jeunes filles, nous la voterons. J'ajoute que les mesures d'accompagnement sont essentielles et que le rôle des associations, auxquelles je rends hommage, est fondamental. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Absolument.

M. Pierre-Christophe Baguet - Nous sommes tous unis pour lutter contre les violences conjugales : ces moments sont d'ailleurs suffisamment rares pour le souligner. Je me réjouis de l'espoir que nous apportons à toutes les victimes qui souffrent depuis tant d'années. Si l'on peut regretter que cette proposition arrive si tard et que l'on ait perdu neuf mois entre sa discussion au Sénat et son inscription à l'ordre du jour de notre Assemblée, j'insiste pour que l'on suive de très près son évolution. L'UDF est convaincue de la nécessité de légiférer sur ce sujet depuis longtemps. Je salue donc les avancées que comporte cette loi et les importants amendements qui ont été adoptés, en particulier concernant la lutte contre les mariages forcés suite aux travaux de la Délégation aux droits des femmes et de la mission sur la famille et les droits des enfants.

Mais l'UDF souhaite aller plus loin et nous rappellerons à nouveau au Gouvernement nos propositions : sensibilisation des élèves aux violences conjugales et au sexisme, formation spécifique pour les personnels médicaux et paramédicaux, les magistrats, les policiers, coopération accrue entre les différents acteurs de la lutte contre les violences conjugales, obligation de soin pour les auteurs de violences conjugales, programme de construction de services et d'établissements assurant l'accueil, l'hébergement et le soin des victimes.

Les violences conjugales n'appellent pas seulement des réponses juridiques : nous avons besoin d'un véritable changement des mentalités. Dans un pays où la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est inscrite au fronton de tous les édifices publics, comment pouvons-nous tolérer la violence contre les femmes, qui est l'un des plus grands scandales de notre époque ? Même si je regrette la modification in extremis du titre de la loi, car c'est d'abord à l'intention des 10 % de femmes battues que nous avons légiféré, le groupe UDF la votera.

Mme Muguette Jacquaint - Je m'exprime également au nom de Mme Billard puisque nous avons défendu les mêmes amendements. Nous voterons cette proposition de loi, en regrettant néanmoins que neuf mois se soient écoulés depuis le débat initial au Sénat. Nous avons adopté des amendements nécessaires en ce qui concerne la répression des violences, mais il aurait été aussi important de discuter de façon plus approfondie de la prévention. Certes, des réponses sont apportées contre les mariages forcés, le harcèlement, le viol au sein du couple, la polygamie, mais quid de la formation de l'ensemble des publics intervenant auprès des femmes ?

Je rejoins la proposition faite par les collègues socialistes et par Mme Billard de regarder ce qui se passe dans les autres pays européens, en particulier en Espagne, qui a adopté une loi-cadre sur le sujet. Vous me direz que l'on vient de voter une loi et que l'on ne va pas en revoter une autre tout de suite après, mais cela arrive suffisamment souvent pour que, s'agissant d'un sujet aussi important, on n'exclue pas cette possibilité. Puisqu'une commission est créée, elle peut réunir les professionnels concernés, les parlementaires intéressés, la Délégation aux droits des femmes, et faire en sorte que nous puissions prochainement examiner une loi plus globale.

Mme Chantal Brunel - Le groupe UMP votera avec une grande satisfaction ce texte, qui a été présenté dans le cadre de sa « niche parlementaire » et qui est le résultat du travail important mené par la Délégation aux droits des femmes, la mission Famille et la commission des lois.

Il contient des mesures importantes pour lutter conter les violences faites aux femmes et pour aider ces femmes à s'en sortir. On aurait bien sûr pu aller encore plus loin, mais le groupe attache beaucoup d'importance à l'engagement pris par le Gouvernement de mettre l'accent sur la formation des personnels appelés à connaître de ces drames et sur la sensibilisation des jeunes, dans les écoles, à ces questions. Nous serons attentifs aux mesures prises pour aider les femmes dans le monde du travail comme celles qui ne travaillent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

A l'unanimité des 33 votants et des 33 suffrages exprimés, la proposition de loi est adoptée.

La séance, suspendue à 12 heures 20, est reprise à 12 heures 30.

DROIT DE PRÉEMPTION ET PROTECTION DES LOCATAIRES
EN CAS DE VENTE D'UN IMMEUBLE (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Rappel au Règlement. Cela fait deux ans que l'on parle de ces questions et nous nous heurtons maintenant à un problème de temps. Nous veillerons à ne pas allonger le débat sur des amendements qui ont déjà été vus et revus, mais le sujet est suffisamment important pour que nous prenions le temps d'en discuter vraiment.

M. le Président - J'ai dit plusieurs fois dans la matinée, mais tout le monde n'y a pas été attentif, que plus l'on faisait durer le débat sur le texte précédent, plus on retardait l'examen de celui-ci.

M. Christian Decocq, rapporteur de la commission des lois - Nous examinons, en deuxième lecture, une proposition de loi déposée par Martine Aurillac et votée par notre Assemblée le 16 juin 2005. Le Sénat l'a ensuite adoptée le 13 octobre dernier, après l'avoir modifiée conformément aux conclusions de sa commission des lois. Les deux assemblées du Parlement ont donc manifesté leur souci commun de résoudre le problème spécifique que posent les ventes d'immeubles par lots dans les plus grandes agglomérations françaises, et, plus particulièrement, à Paris.

La perspective de l'adoption d'une loi sur le logement n'écarte pas la nécessité de répondre au problème des ventes par lots. Adopté par le Sénat en première lecture le 26 novembre dernier, le projet de loi portant engagement national pour le logement va bientôt nous être soumis. Cependant, s'il résout plusieurs problèmes liés au logement social, il ne règle pas celui de la vente par lots. De ce fait, la présente proposition de loi conserve toute son utilité et sa pertinence, notamment en ce qu'elle agit en amont et en aval de l'opération de vente.

En amont, l'article premier vise à empêcher les ventes en bloc successives à visées spéculatives. Dorénavant, la vente en totalité et en une fois ne sera possible que si l'acquéreur s'engage à proroger les contrats de location en cours, de sorte que chaque locataire puisse disposer de son logement pour une durée minimale de six ans. Si cet engagement n'est pas respecté, le locataire pourra exercer un droit de préemption. Telle est la première mesure forte de ce texte.

En outre, le Sénat a amélioré cet article en portant de deux à quatre mois, après notification de la vente, le délai de réflexion donné au locataire pour exercer son droit de préemption, en étendant le dispositif aux cessions de parts ou actions de sociétés - notamment de sociétés civiles immobilières - en vue d'éviter tout contournement des règles par ce biais, et en améliorant l'information des locataires, afin que ceux-ci puissent exercer leurs nouveaux droits en pleine connaissance de cause.

Le Sénat a également introduit dans l'article premier deux dispositions relatives au droit de préemption urbain, afin de permettre aux maires qui le souhaitent d'agir plus efficacement. Ainsi, dans tous les cas, le maire sera informé du prix et des conditions de la vente en bloc projetée et l'exercice du droit de préemption urbain par la commune devra se fonder sur le seul motif du maintien dans les lieux des locataires. Il s'agit d'une autre mesure phare du texte.

La proposition de loi agit aussi en aval, en prenant plusieurs dispositions relatives à la vente par lots d'un immeuble. L'article 2 dispose que le droit d'opposition à l'extension par décret d'un accord collectif de location ne trouvera à s'exercer qu'à la majorité de l'ensemble des organisations représentatives des locataires et des organisations représentatives des bailleurs - et non à la majorité de l'un des deux collèges seulement - en vue de surmonter les blocages empêchant d'étendre les accords collectifs de location relatifs aux congés pour ventes par lots, particulièrement protecteurs pour les locataires.

Adopté sans modification par le Sénat, l'article 2 bis dispose que si, dans le cadre d'une vente par lots, le congé intervient moins de deux ans avant le terme du bail, celui-ci doit être reconduit de telle sorte que le locataire puisse rester dans les lieux au moins pendant deux ans. Ces deux articles permettent d'améliorer sensiblement la situation des locataires ne se portant pas acquéreurs de leur logement.

En outre, le Sénat a adopté un article additionnel présenté par le Gouvernement en séance publique. Cet article premier bis crée une incitation fiscale visant à favoriser le maintien dans les lieux du locataire en place. Lorsque l'acquéreur s'engagera à proroger le contrat de bail, il pourra bénéficier de l'application d'un taux réduit de la taxe additionnelle à la taxe de publicité foncière perçue par la commune, que le conseil municipal pourra fixer librement entre 1,2 % et 0,5 %. Dans l'examen des amendements, je reviendrai sur le détail des différentes incitations fiscales envisagées, en vue de proposer quelques aménagements marginaux.

Enfin, le Sénat a amélioré l'article 3 du texte en rendant obligatoire l'annulation du congé pour vente venant sanctionner le non respect d'une disposition obligatoire d'un accord collectif de location et en ajoutant la mention explicite de la nullité du congé pour vente si celui-ci est délivré en violation de l'engagement de maintenir le locataire dans les lieux pendant au moins six ans.

Le dispositif s'est donc enrichi à chaque étape de son examen, et votre rapporteur ne peut que se féliciter de la volonté ainsi manifestée d'apporter une réponse équilibrée et pertinente au problème des ventes par lots.

Il convient cependant d'apporter quelques corrections au texte qui nous revient du Sénat, afin que le dispositif gagne encore en efficacité. Il faut notamment préciser les cas dans lesquels le nouveau droit de préemption créé en faveur des locataires s'appliquera aux cessions de parts sociales. Parallèlement, le dispositif fiscal doit être amélioré, en vue de sanctionner plus efficacement l'inexécution par l'acquéreur de ses engagements et de traiter les problèmes posés par le décès, le départ volontaire du locataire ou la revente du logement. Enfin, il faut veiller à ce que son application ne soit ni trop coûteuse ni trop complexe pour l'administration fiscale.

Au bénéfice de ces modifications, votre commission des lois vous invite à adopter ce texte. Chers collègues, le travail parlementaire - votre travail ! - a fait son œuvre . Conçu dans l'émotion bien compréhensible suscitée par la situation de locataires perturbés dans leurs choix de vie, dans un contexte éminemment spéculatif dominé par un marché sans état d'âme, le présent texte introduit plus de justice. Il renforce le droit des locataires et combat la spéculation. Souhaitons lui d'atteindre son but. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Martine Aurillac - Nous sommes nombreux à nous être émus depuis plusieurs mois d'un phénomène malsain, qui n'est certes pas nouveau mais qui s'est particulièrement développé dans les grandes villes. Appelé « vente à la découpe », il est pratiqué par les investisseurs institutionnels - compagnies d'assurances et banques - et par certaines municipalités telle celle de Lyon. Il consiste à vendre un immeuble en bloc, souvent au terme d'un appel d'offres, à un intermédiaire qui agit en marchand de biens et revend à un autre intermédiaire, parfois dans un délai très court... et ainsi de suite jusqu'à la phase finale que constitue la revente au détail - dite « à la découpe ». En l'état du droit, les locataires « vendus » avec l'immeuble, ne sont souvent même pas informés et ne disposent pas du droit de préemption prévu par la loi du 31 décembre 1975 modifiée en 2000, sauf dans la phase ultime et au prix exorbitant qu'atteint alors le bien qu'ils occupent. Bien entendu, beaucoup doivent renoncer à acheter !

Face à ce fléau, qui frappe les familles, les personnes âgées, et de façon plus générale, les classes moyennes, j'ai déposé dès janvier dernier une proposition de loi cosignée par plus de 150 collègues et reprise par le groupe UMP. Parallèlement, le Gouvernement, soucieux de laisser une large place au dialogue social, avait engagé les partenaires à négocier une convention de protection des locataires - fort utile au demeurant - dont les termes tendent à atténuer sensiblement la rigueur de la vente. Las, l'accord du 16 mars 2005 qui en a découlé a finalement été dénoncé.

Il fallait donc légiférer selon des principes clairs : supprimer autant que faire se peut les plus-values purement spéculatives, étendre l'accord de protection sociale du 16 mars, renforcer les sanctions, favoriser l'accession à la propriété et protéger ceux qui ne peuvent pas acheter. L'exercice était difficile, car les mesures doivent être équitables et équilibrées. Et il est d'autant plus malaisé que nous ne pouvons pas nous affranchir des principes constitutionnels liés au droit de propriété et à la non rétroactivité des lois.

Notre commission s'est donc mise au travail et notre rapporteur a rappelé les principales avancées proposées : information des locataires, maintien du statut locatif pour une durée donnée, droit de préemption sans faire obstacle aux opérations d'aménagement urbain, ni attenter aux droits des petits propriétaires, application des mesures de la convention de protection des locataires, délai supplémentaire de maintien dans les lieux de deux ans dans tous les cas. Encore une fois, l'équilibre était délicat puisqu'il fallait permettre d'étendre le droit de préemption mais sans empêcher un institutionnel de réaliser une partie de son patrimoine s'il l'estime nécessaire - ce qu'autorisait la proposition socialiste qui nous a été soumise le 10 mai dernier, laquelle bloquait le jeu du marché en rigidifiant un système dont la fluidité est absolument nécessaire.

M. Guy Geoffroy - Elle est indispensable !

Mme Martine Aurillac - D'accord pour protéger les locataires, pas pour défendre des rentes de situation !

La version du texte qui nous revient du Sénat conserve largement ces différents éléments. L'information du maire - et du maire d'arrondissement - est tout à fait bienvenue. Permettre au locataire - ou à l'occupant de bonne foi - de disposer de son logement pendant six ans ne nous a pas paru changer l'esprit de la loi. Et ne nous ne nous opposerons pas davantage au deuxièmement de l'article 2, qui redonne un droit d'opposition aux organisations représentatives, même s'il ne nous semble pas gagner en efficacité en rendant obligatoire le recours au décret d'extension. Enfin, l'article premier bis - qui institue une incitation fiscale que nous avions vivement souhaitée - a dû être réécrit, pour pouvoir être appliqué tant par les communes que par les départements.

Pour nécessaire qu'il soit, ce texte ne résoudra pas la crise du logement. N'oublions pas que la pénurie, outre la flambée des prix, en est l'une des causes principales. Beaucoup a déjà été fait : prêt à taux zéro, prêt locatif Robien, plan Borloo de 500 000 logements en cinq ans, ce qu'aucun gouvernement socialiste n'avait jamais fait... Une étude sur le prêt hypothécaire devrait aussi être engagée. Je rappelle aussi que les PLI sont indispensables, notamment à Paris...

M. Jean Tiberi - Tout à fait !

Mme Martine Aurillac - ...car ils représentent l'un des seuls moyens de garder nos jeunes familles, si souvent obligées de partir en banlieue. L'engagement national pour le logement, qui nous sera bientôt présenté, doit ouvrir des pistes d'action très positives sur ces différents points. En attendant, il était urgent d'enrayer un phénomène pervers en prenant un texte protégeant les locataires sans figer le marché, tout en favorisant l'accès à la propriété de son logement, si vivement souhaité par tant de nos concitoyens. Il est, Madame la ministre, très attendu...

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - J'en suis parfaitement consciente.

Mme Martine Aurillac - ...et nous souhaitons que le Sénat puisse, à son tour, statuer au plus vite. Sous le bénéfice de ces observations, le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Braouezec - Un amendement tendant à modifier le titre de la loi sur les violences conjugales a été défendu tout à l'heure : je pourrais faire de même pour ce qui est du présent texte, en proposant qu'il s'intitule désormais « loi relative à la protection des propriétaires éventuels », puisqu'en fait, tel est bien l'objectif poursuivi.

Nous avons déjà eu l'occasion, au printemps dernier, aussi bien lors de l'examen de la proposition de loi de nos collègues socialistes relative à la protection des locataires victimes de vente à la découpe que de la première lecture du présent texte, d'exposer notre point de vue et nos propositions. Nous nous étions notamment déclarés plus que jamais favorables à un renforcement du rôle des collectivités territoriales, lesquelles doivent pouvoir défendre l'intérêt général et exercer l'entier de leurs prérogatives en s'opposant aux opérations spéculatives qui portent le plus atteinte à la mixité sociale, et, en particulier, aux ventes à la découpe. C'est en ce sens que nous proposions - et cela reste pour nous un axe essentiel de réflexion - de créer un véritable « permis de diviser », comme il existe un permis de construire. L'argument opposé, selon lequel une telle mesure porterait atteinte au droit de propriété, n'est pas recevable.

Je rappelle, en effet, que le droit au logement et à des conditions de vie décentes a valeur constitutionnelle, au même titre que le droit de propriété, et qu'il est reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel. Or, nul ne peut nier que les opérations de vente à la découpe, qui se sont multipliées dans la période récente, imposent aux locataires qui ne peuvent acheter des contraintes disproportionnées. Nombre d'entre eux sont ainsi obligés de renoncer à se maintenir dans les lieux, ce qui remet en cause leur projet de vie, leur vie familiale et, dans les cas les plus graves, leur emploi.

Nous sommes, en outre, porteurs de l'exigence que soient menées des politiques plus volontaristes, soucieuses de solidarité et de justice sociale. De ce point de vue, l'argument du droit de propriété...

M. Guy Geoffroy - C'est un droit fondamental !

M. Patrick Braouezec - ...derrière lequel se retranchent souvent la majorité et le Gouvernement pour justifier leur inaction s'apparente plutôt à un droit de prédation, le droit pour quelques-uns de s'enrichir sur le dos de ceux qui n'ont d'autre ressource que le fruit de leur travail. Pour nous, la politique a vocation à protéger la liberté des uns contre les appétits des autres ; or si cette proposition de loi apporte quelques améliorations, elle ne vise que les locataires qui souhaitent acquérir leur logement et n'est donc pas à la mesure des enjeux. Au lieu de revenir sur les allégements fiscaux consentis aux sociétés foncières, vous vous contentez de mesures de replâtrage - ce qui prouve que la philosophie de votre action reste inchangée.

Lors de notre débat du 10 mai dernier, Madame Aurillac, vous nous aviez d'ailleurs éclairés sur vos intentions en affirmant qu'il était « pervers », de prendre des mesures « de nature à bloquer le marché de l'immobilier » et vous aviez souligné qu'il fallait rechercher « la fluidité du marché ». Tout est dit : qu'importe que les locataires soient condamnés à subir les effets de la spéculation immobilière, si les bailleurs y trouvent leur compte ! On se contente de petits arrangements entre « honnêtes gens » pour mieux préserver le statu quo.

Pour notre part, nous restons convaincus de la nécessité de mesures fiscales et sociales ambitieuses. Il convient de revenir sur le dispositif de Robien, qui n'a permis que d'assurer la rentabilité de l'investissement locatif privé au détriment des besoins sociaux, mais aussi sur les dispositifs d'exonération des droits de mutation sur les opérations hautement spéculatives, telles que les ventes par lots. Ces mesures contribuent à priver l'Etat des moyens financiers d'une véritable politique de maîtrise foncière et d'aménagement urbain favorisant la mixité sociale.

Il faudrait avoir l'ambition de faire du droit au logement un droit enfin effectif et opposable. Constatant l'absence de mesures fortes protégeant véritablement les locataires et s'opposant radicalement à la spéculation immobilière, nous voterons bien évidemment contre cette proposition de loi.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Dès l'automne 2004, à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances, le groupe socialiste avait alerté le Gouvernement sur les proportions prises par le phénomène des ventes à la découpe. En dépit de nos multiples sollicitations, le Gouvernement n'a pas cru devoir agir directement et a renvoyé aux associations de bailleurs et de locataires la responsabilité de trouver les solutions. Malgré l'échec de la concertation entre ces associations, le Gouvernement et sa majorité ont à nouveau, en mai dernier, dédaigné d'examiner les articles de la proposition de loi du groupe socialiste. Et le texte dont nous débattons en deuxième lecture ce matin sera, dans le meilleur des cas, publié au Journal officiel au printemps 2006, soit plus d'un an et demi après que nous avons alerté le Gouvernement... Pire, M. Borloo a déclaré en octobre devant le Sénat que s'il s'avérait que ce texte ne réglait pas la situation, « il ne serait pas interdit de revenir devant le Parlement » !

De tels retards dans l'action sont coupables. Ils livrent sans défense des milliers de locataires au jeu des spéculateurs, qui les contraignent à quitter leur logement.

Les débats tenus au Sénat ont permis de timides avancées au profit des locataires, qui rejoignent, voire reprennent, des propositions socialistes que l'Assemblée nationale avait rejetées. Malheureusement, la majorité sénatoriale s'est, chaque fois, arrêtée au milieu du gué...

En réécrivant intégralement l'article premier, les sénateurs ont ainsi posé l'obligation de joindre à la notification de la vente adressée aux locataires les « résultats d'un diagnostic technique » sur l'état de l'immeuble. Le dispositif retenu est pourtant entaché de plusieurs insuffisances : la qualité du diagnostic serait mieux assurée s'il était contradictoire ; en outre, les sénateurs n'ont pas prévu que le propriétaire ou son mandataire prennent à leur charge les travaux dont le diagnostic aurait révélé la nécessité. Nous défendrons donc, à nouveau, notre amendement exigeant la réalisation d'un audit contradictoire à la charge du vendeur.

De même, les sénateurs ont accepté d'allonger de deux à quatre mois le délai donné au locataire pour réfléchir à l'offre de vente qui lui est faite. Mais là encore, ils ne sont pas allés au bout de la logique car il aurait fallu allonger également le délai prévu pour la réalisation de la transaction entre le locataire et le vendeur. Nous défendrons donc à nouveau un amendement tendant à le porter de quatre à six mois.

Les sénateurs ont par ailleurs prévu de diminuer le montant des droits de mutation pour inciter l'acquéreur d'un immeuble en bloc à conserver le statut locatif des logements. Cette disposition ingénieuse figurait dans la proposition de loi du groupe socialiste que l'Assemblée a rejetée en mai dernier ; mais contrairement à ce que nous proposions, les sénateurs n'ont pas souhaité compenser la perte de recettes des collectivités locales qui diminueraient les droits de mutation par une majoration de la DGF versée par l'Etat. Ce refus réduit presque à néant l'intérêt de la mesure : les communes pauvres, celles précisément qui ont le plus besoin de maintenir un parc locatif accessible, ne pourront jamais se permettre de réduire encore leurs faibles ressources... Elles le pourront d'autant moins que le produit des droits de mutation leur sert souvent à financer la construction ou l'acquisition de logements sociaux. Nous défendrons donc à nouveau un amendement prévoyant une compensation financière de l'Etat.

Enfin, comme les députés socialistes l'avaient demandé en première lecture, les sénateurs ont rétabli, à l'article 2, un pouvoir d'opposition au sein de la commission nationale de concertation. Mais les règles qu'ils ont retenues pour calculer la majorité au sein de cette instance sont défavorables aux associations représentant les locataires. Avec ces nouvelles règles, l'accord du 6 mars dernier, rejeté par une majorité d'associations représentant les locataires, aurait reçu l'aval de la CNC... Ce tripatouillage n'honore pas le législateur. Nous défendrons donc à nouveau un amendement rétablissant pleinement les droits de cette commission, tels que la loi les avait fixés en 1986.

Au fond, une seule disposition adoptée par le Sénat nous donne pleinement satisfaction : la reconnaissance, à l'article premier, de la nullité de la vente lorsqu'elle n'a pas été notifiée aux locataires. En consolidant ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation, les sénateurs ont également confirmé le bien-fondé des arguments que nous avions défendus en première lecture.

Cette seule véritable avancée ne saurait faire oublier les inacceptables lacunes du texte transmis par le Sénat.

Tout d'abord, si l'article premier permet à certains locataires d'acquérir leur logement dans des conditions financières convenables, aucune disposition n'améliore la protection des deux tiers de locataires qui n'en ont pas les moyens. Il ne suffit pas de renvoyer à une prochaine extension par décret de l'accord du 16 mars 2005, car les protections qu'il instaure peuvent être trop facilement contournées par les spéculateurs : si un premier acheteur en bloc revend l'immeuble à un second, celui-ci n'a plus aucune obligation à l'égard des locataires qui ne peuvent acheter... Pour les protéger efficacement, il est impératif d'interdire purement et simplement le congé vente pendant six ans dès lors que l'immeuble a été acheté en bloc. Si le congé vente est un droit pleinement légitime pour des bailleurs, il devient une arme gravement préjudiciable lorsqu'il tombe aux mains des spéculateurs.

Par ailleurs, nous regrettons que ni cette proposition de loi ni le projet « Engagement national pour le logement » ne contiennent, comme l'avait pourtant promis le Gouvernement, des dispositions pour lutter contre les travaux abusifs et toutes les formes de pression exercée sur les locataires pour les contraindre au départ ou à l'achat.

En deuxième lieu, aucune mesure efficace n'a été prévue pour permettre aux maires de protéger la mixité sociale de leurs communes en enrayant l'éviction des habitants issus des classes moyennes et populaires. La majorité sénatoriale se prévaut d'avoir explicitement autorisé les maires à recourir au droit de préemption dans l'hypothèse de ventes à la découpe ; mais il a déjà eu l'occasion d'être utilisé de nombreuses fois - le maire de Cachan vous parle d'expérience ! Et surtout, ce droit reste trop souvent un outil inefficace car beaucoup de communes n'ont pas les moyens d'acheter. Il faudrait reconnaître aux maires le droit de suspendre la mise en copropriété si, à la suite d'une sollicitation d'un tiers des locataires, une enquête publique conclut que c'est nécessaire.

En troisième lieu, rien n'est prévu pour encadrer l'activité des professionnels de la spéculation immobilière. Le logement n'est pourtant pas un bien comme les autres : trop de choses en dépendent pour qu'il soit soumis, au même titre que les biens de consommation, aux seules lois du marché. M. Borloo rappelle souvent que le premier dessin fait par un enfant est celui d'une maison...

Non seulement les moins scrupuleux des marchands de biens mettent des locataires dans des situations inextricables, mais ils contribuent à déstabiliser le marché immobilier en alimentant la flambée des prix. Lors de notre débat, tous les intervenants avaient reconnu la nécessité de trouver des solutions - y compris vous, Madame la ministre, et M. Borloo l'a confirmé au Sénat. Il ne faut pas sans cesse remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même... Nous défendrons donc à nouveau nos amendements à ce sujet.

Enfin, aucune disposition ne répond aux problèmes posés par les procédures en cours. Cette lacune laisse pantois quand ce sont précisément ces procédures qui avaient suscité la mobilisation du législateur. Par ailleurs, les manœuvres dilatoires du Gouvernement et de la majorité sont responsables du retard de l'intervention du Parlement. L'exemple des lois sur le logement de 1982 et 1989 montre que l'argument de la non-rétroactivité de la loi n'est pas recevable. Parce qu'il est indécent de laisser sans secours les locataires en cours d'expulsion, Il faut d'évidence prévoir un moratoire visant les procédures en cours.

Le groupe socialiste ne pourra voter ce texte très insuffisant à la lumière des attentes de nos concitoyens concernés par ce phénomène - qu'ils veuillent se porter acquéreur de leur logement ou en rester locataire - à moins qu'il ne soit profondément amendé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Bloche - Cela fait plus d'un an que l'Assemblée s'est saisie du problème des ventes à la découpe en adoptant à l'unanimité un amendement, dont j'étais l'auteur, au projet de loi de finances pour 2005. Je salue la majorité et M. Carrez d'avoir alors soutenu ma proposition. Cela fait plus de sept mois que les socialistes ont pris l'initiative d'apporter une solution législative à cette difficulté.

Dans ce contexte, comment comprendre que la majorité traîne les pieds, voire « freine des quatre fers » ? Il y a pourtant urgence à légiférer sur le sujet, non timidement comme le propose l'UMP, mais de manière efficace en s'attachant à proposer des solutions aussi bien aux locataires qui peuvent acheter leur logement qu'aux autres car ces derniers représentent les deux tiers des locataires.

Nul besoin de rappeler les conséquences sociales désastreuses de ces pratiques spéculatives qui déstabilisent des quartiers entiers, fragilisent les commerces de proximité et les services publics et portent gravement atteinte à la mixité sociale. Je dénoncerai aujourd'hui le rôle que jouent certains investisseurs institutionnels, tel la Caisse des dépôts, dans ces ventes à la découpe.

En effet, le groupe de la Caisse des dépôts, via ses multiples filiales, intègre tous les acteurs de la vente à la découpe et, selon le rapport de M. Decocq, sa filiale de commercialisation, la société Gemco, figure parmi les plus gros découpeurs de France avec 1 000 logements découpés vendus en 2004 ! La multiplication des sociétés intervenant dans une vente à la découpe - le marchand de biens faisant souvent office de société écran - rend souvent le processus opaque mais, dans le cas de l'immeuble du 39 bis rue de Montreuil, devenu emblématique des problèmes de vente à la découpe, nous avons pu le reconstituer.

Début 2004, la société Sorege 3 rachète cet immeuble, construit avec des fonds du 1 % logement et destiné à servir de logement social intermédiaire pour les classes moyennes. L'investisseur était la société HLI, dont deux filiales de la Caisse des Dépôts - la CNP Assurances et le GFF - sont actionnaires, sachant que GFF est également le constructeur du 39 bis et en a assuré la gestion jusqu'en 2004.

Avant 2004, le 39 bis appartenait à la société Soclim, filiale du Crédit Foncier, lui-même détenu par la Caisse d'épargne dont la Caisse des Dépôts est l'actionnaire stratégique et sans l'autorisation de laquelle la décision de vendre n'a pu être prise.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - On le suppose !

M. Patrick Bloche - Sorege 3, la société qui a racheté l'immeuble en 2004, est détenue à 50 % par le même Crédit foncier dont le président est également gérant de la société Gestrim Transactions et directeur général adjoint de Foncier Conseil Développement qui appartiennent au Crédit foncier. Quant aux sociétés Gemco, chargée de la commercialisation du 39 bis, et Gestrimelec, responsable de la gestion de l'immeuble depuis son rachat, elles appartiennent toutes deux au groupe Perexia, filiale du Crédit foncier.

Derrière le Crédit foncier, c'est bien le groupe Caisse des dépôts qui est au coeur de cette vente à la découpe. C'est inacceptable !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Très bien !

M. Patrick Bloche - Quant au comportement des marchands de biens oeuvrant pour le compte du groupe Caisse des dépôts, il est inqualifiable. La société Sorege 3, à Paris comme à Cachan, a agi avec le plus grand mépris envers les habitants, a manqué de respect envers les municipalités en revenant sur la parole donnée et elle a violé les règles de protection des locataires qui doivent être améliorées et rendues plus contraignantes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Juste !

M. Patrick Bloche - Le groupe Caisse des dépôts, dont l'évolution vers une logique purement financière ne cesse d'inquiéter, ne peut nier plus longtemps sa responsabilité sociale. Que dire de ces 25 000 « déconventionnements » de logements sociaux en banlieue parisienne qui augurent de futures ventes à la découpe ? Ces pratiques doivent être condamnées. La vocation de la Caisse des dépôts n'est pas d'imiter le comportement des fonds de pension.

Cet exemple montre combien l'intervention du législateur est urgente, non seulement pour encadrer la pratique des ventes à la découpe et l'activité des marchands de biens, mais aussi pour renforcer les protections des locataires. Si ce texte a été globalement amélioré par le Sénat après avoir été adopté dans l'improvisation à l'Assemblée nationale, il reste très insuffisant et ne permet pas de maintenir la mixité sociale, objectif que certains semblent redécouvrir après les événements dans les banlieues.

Pour être juste, la loi devrait protéger tous les locataires...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Exactement !

M. Patrick Bloche - ...et pas seulement ceux qui peuvent acheter. Pour être efficace, la loi devrait donner aux maires la capacité d'agir en créant un permis de diviser ou en rendant possible le recours à l'enquête publique en cas de demande citoyenne ou associative. Pour répondre à l'urgence sociale, la loi devrait s'appliquer aux opérations en cours, ce qui est possible sans aucune rétroactivité comme l'a démontré la loi de 1989 validée par le Conseil constitutionnel. N'oublions pas que pendant ces débats, les opérations de vente à la découpe se poursuivent ! J'ajoute que l'argument de la rétroactivité ne peut être pertinent qu'au regard de dispositions pénales, or la loi n'en comporte aucune. J'en profite également pour rappeler que le Maire de Paris a demandé un moratoire et que le Gouvernement ne lui a jamais répondu.

Madame Aurillac, il est vrai que l'adoption de votre proposition de loi aura le mérite de fixer un premier cadre législatif aux ventes à la découpe mais sur ce dossier d'urgence social, il faut aller plus vite et plus loin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Tiberi - Cette proposition de loi est un bon texte. Elle comporte certes des imperfections mais aucun gouvernement, de droite ou de gauche, n'a voulu toucher à l'équilibre des relations entre propriétaires et locataires. A l'instar de M. Quilliot en 1982, restons prudents ! Cette proposition de loi permet de lutter contre des pratiques spéculatives que je condamne fermement et de mieux protéger les locataires et les classes moyennes à Paris.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. Jean Tiberi - Vaste chantier qui préoccupe peu le maire actuel ! Je félicite le rapporteur...

M. Guy Geoffroy et Mme la Ministre déléguée - Excellent rapporteur !

M. Jean Tiberi - ...d'avoir enrichi la proposition de loi de Mme Aurillac. Quant il s'agit de textes aussi importants, il est nécessaire que nous puissions faire le point sur leur application.

M. Guy Geoffroy et Mme la Ministre déléguée - C'est prévu dans six mois !

M. Claude Goasguen - Juste avant les municipales !

M. Jean Tiberi - Pour toutes ces raisons, je voterai ce texte avec conviction et détermination (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Martine Billard - Voilà plus d'un an que le scandale des ventes à la découpe est sur la place publique : des investisseurs institutionnels ayant acquis des immeubles indivis construits grâce au 1 % logement cherchent aujourd'hui à les revendre au meilleur prix - les sociétés d'assurances ont ainsi vendu la moitié de leur patrimoine. En outre, les fonds de pension arrivent massivement sur le marché du logement en profitant du dispositif fiscal voté en leur faveur en novembre 2002. Du coup, leurs bénéfices ont explosé pendant que s'accéléraient les opérations de spéculations dans nos villes.

Les locataires victimes de ces ventes spéculatives nous l'ont dit à maintes reprises : il est urgent de légiférer - pourtant, on a pris son temps ! Il ne suffit pas de pleurer en chœur : il faut agir. A écouter certains orateurs de l'UMP, on aurait presque l'impression que les ventes à la découpe ne concernent que les classes moyennes.

M. Jean Tiberi - Mais non ! Il ne faut pas se fier aux impressions...

Mme Martine Billard - N'oublions pas que les locataires à plus petits revenus sont également mis en danger.

Certes, ce texte esquisse une distinction entre bailleurs traditionnels et découpeurs spéculatifs, mais il ne prend pas la mesure de la vague d'opérations engagées ou à venir : près de 30 000 familles sont actuellement concernées, et plus de 10 000 congés-vente ont été délivrés pour la seule ville de Paris au cours des dix-huit derniers mois. Les associations de locataires sont déçues, car cette proposition de loi ne règlera que très peu de cas. Vous faciliterez l'achat de leur logement à quelques dizaines de familles - tant mieux pour elles - mais les deux tiers des locataires n'en auront pas les moyens. Or, le logement est un besoin vital, que l'on ne peut livrer à des spéculateurs sans scrupules qui détruisent le tissu social.

Ce texte ne répond pas non plus à la nécessité de maintenir un secteur locatif en ville. Il ignore deux mesures de protection générale immédiatement applicables à tous les locataires - le permis de diviser et l'interdiction du congé-vente dans les six ans d'une acquisition en bloc ou d'une division. En outre, le non-respect d'un accord collectif rendu obligatoire par décret doit entraîner, sans contestation possible, la nullité du congé-vente et de la notification de l'offre de vente - à cet égard, la rédaction du Sénat est floue. Les mesures de protection des locataires, définies par les accords collectifs, doivent être effectives et opposables, y compris en cas de ventes en cascade. Je déposerai donc des amendements sur tous ces points.

Les travaux abusifs fréquents - qui harcèlent moralement les locataires « découpés » et dégradent leur qualité de vie - ne sont sanctionnés que dans les baux « loi de 1948 ». Je propose de les étendre aux baux « loi de 1989 », bien plus nombreux. Plus grave encore : sous prétexte d'assouplir les négociations collectives, l'article 2 déstabilise les règles de représentation des locataires.

Au fond, s'il faut permettre aux locataires de conserver leur logement, il faut aussi maintenir un parc locatif dans nos villes. Le mythe selon lequel tout Français sera propriétaire n'est pas crédible : tous n'ont pas accès au crédit, et la précarité de l'emploi provoque de nombreux déplacements. La location est donc parfois la plus adaptée, y compris pour ceux dont les revenus ne le permettent pas parce que certaines communes ne construisent pas assez de logements sociaux. Au nom des députés Verts, je voterai donc contre ce texte.

La discussion générale est close.

Mme la Ministre déléguée - Nous examinons en seconde lecture un texte élaboré à l'initiative de députés très mobilisés autour de Mme Aurillac, et qui a fait l'objet d'un excellent travail du rapporteur. Ne stigmatisons personne, Monsieur Bloche : c'est l'ensemble des acteurs qui sont visés par notre texte. S'il faut naturellement dénoncer certaines pratiques, n'oublions pas la cause principale du phénomène de ventes par lots : la crise du logement. La vente par lots est incontestablement spéculative, et la spéculation est fille de la rareté !

M. Guy Geoffroy - Il est bon de le rappeler !

Mme la Ministre déléguée - Or, cette crise du logement vient de la faiblesse de la construction, surtout au cours des années 1997-2002 !

M. Guy Geoffroy - Et oui !

Mme la Ministre déléguée - Vous avez raison, Madame Billard : les chiffres parlent d'eux-mêmes ! En 2005, nous dépasserons les 400 000 mises en chantier : c'est dire combien les grues sont présentes sur notre territoire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Et les logements sociaux ?

Mme la Ministre déléguée - Nous avons dépassé 70 000 logements sociaux en 2004, contre 42 000 en 2000 !

Le Gouvernement continue à privilégier les accords collectifs, qui apportent des solutions. Toutefois, l'obstruction de certaines organisations...

M. Claude Goasguen - Les socialistes !

Mme la Ministre déléguée - ...à l'extension par décret de l'accord du 16 mars 2005- pourtant plus protecteur que celui de 1998 - ont imposé le recours à la loi pour enrayer le phénomène de vente à la découpe et protéger les locataires, sans pour autant remettre en cause le droit de propriété ou l'équilibre entre locataires et propriétaires. En effet, Madame Billard, il faut une offre complémentaire. Certains veulent accéder à la propriété, d'autres souhaitent rester locataires.

Ce texte offre à tous un réel droit d'opposition à l'extension par décret des accords collectifs de location. Ce sont donc les mauvais accords qui se heurteront à la solution équilibrée qu'a trouvée le Sénat, dans le respect des principes de la démocratie sociale. Le Parlement s'est également soucié de la force légale des accords collectifs généralisés par décret, et a posé le principe de l'annulation des congés-vente abusifs.

La mesure-phare de ce texte est l'ouverture d'un droit de préemption pour les locataires, pour mettre fin aux reventes successives d'immeubles entiers tout en offrant aux locataires la possibilité d'acheter leur logement. A ce titre, le Sénat a proposé des dispositions donnant aux locataires le temps de trouver des solutions : maintien sous six ans du statut locatif, transmission obligatoire aux occupants du règlement de copropriété et du diagnostic et élargissement du droit de préemption aux cessions par des SCI pour éviter que les propriétaires bailleurs peu scrupuleux ne le contournent. Ainsi, le nouveau droit de préemption offre une meilleure sécurité aux locataires victimes de découpages, dès lors qu'ils sont en mesure d'acheter leur logement.

Reste le cas de ceux qui doivent quitter leur appartement : le texte leur apporte également des protections supplémentaires. Le maire de la commune est destinataire des informations sur la vente en bloc des immeubles soumis au nouveau droit de préemption. La commune peut exercer son droit de préemption sur des immeubles d'habitation dès lors que l'objectif est de maintenir les locataires dans les lieux. Lors de la phase de vente au détail, communes et départements peuvent abaisser fortement les droits de mutation sur les appartements occupés si l'acquéreur final s'engage à maintenir le statut locatif pendant six ans. Cette incitation fiscale, qui ouvre un droit de suite aux locataires ne pouvant pas acheter leur logement découpé, manquait à l'équilibre général de la proposition de loi, et votre commission vous en suggèrera une réécriture qui la rend plus opératoire.

C'est bien l'équilibre entre le respect du droit constitutionnel de propriété, la nécessité de l'investissement institutionnel dans le secteur locatif et l'obligation de faire le plus grand cas de tous les locataires, acquéreurs ou non, qui a guidé le débat parlementaire. Vous avez raison, Monsieur Tiberi : tous les locataires doivent être protégés dans leurs droits et accompagnés dans leurs démarches.

Ainsi, nous assurons aux occupants des immeubles découpés une protection efficace, sans pour autant remettre en cause l'équilibre de la loi de 1989. Je remercie les parlementaires pour leur implication et la manière dont s'est déroulé le débat. Après la loi sur la rénovation sociale, le plan de cohésion sociale et l'engagement national sur le logement que vous examinerez bientôt, le Gouvernement aura élaboré un ensemble de textes qui, en matière de logement, donnent à nos concitoyens les vraies réponses qu'ils attendaient depuis dix ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Par lettre adressée au Président de l'Assemblée nationale, le ministre délégué aux relations avec le Parlement a fait connaître que le Gouvernement a décidé, en application de l'article 48, alinéa premier, de la Constitution, d'inscrire la suite de la discussion de la présente proposition de loi en tête de l'ordre du jour de la prochaine séance.

En conséquence, la suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures 30.

                La Directrice du service
                du compte rendu analytique,

                Catherine MANCY


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