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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2005-2006 - 58ème jour de séance, 133ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 2 FÉVRIER 2006

PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON

vice-présidente

Sommaire

      DEMANDE DE SUSPENSION DE SÉANCE 2

      ÉGALITÉ DES CHANCES (suite) 2

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 2

      AVANT LE TITRE PREMIER 17

      TITRE PREMIER 20

      AVANT L'ART. PREMIER 20

      ERRATUM 24

La séance est ouverte à neuf heures.

DEMANDE DE SUSPENSION DE SÉANCE

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je demande une suspension de séance afin de réunir la commission pour examiner des amendements au titre de l'article 91du Règlement.

Mme la Présidente - La suspension est de droit.

La séance, immédiatement suspendue, est reprise à 9 heures 30, sous la présidence de M. Éric Raoult.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

ÉGALITÉ DES CHANCES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'égalité des chances.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Jean-Pierre Brard - Je regrette que M. Accoyer ne soit pas présent pour dénombrer les troupes clairsemées de l'UMP.

M. le Président de la commission - Et celles des socialistes !

M. Jean-Pierre Brard - Leur absence se comprend, après l'incident d'hier !

M. le Président - Il semble, Monsieur Brard, que d'autres groupes ne soient guère représentés ce matin.

M. Jean-Pierre Brard - Oui, mais il m'importe surtout de convaincre ceux qui sont le plus revêches à l'échange et à la discussion.

M. le Président - Il en va de même pour les absents à la messe...

M. Jean-Pierre Brard - Oui, mais du temps de ma jeunesse, au catéchisme, on nous donnait une carte que nous pouvions faire pointer, même en cas de retard à la messe, pour avoir droit à l'entrée gratuite au paradis !

Le Gouvernement affiche soudain une volonté de promouvoir l'égalité des chances, trois mois après la crise que vient de traverser notre pays, présentée dans l'exposé des motifs - de manière euphémique et hypocrite - comme « une épreuve grave », alors qu'elle manifeste une urgence sociale, due à un niveau d'inégalités devenu insupportable. Votre projet ne répond pas à cette situation et c'est pourquoi un renvoi en commission s'impose.

Monsieur le ministre, vous avez beaucoup de talent - vous pourriez ouvrir un magasin de farces et attrapes ! Tôt ce matin, vous avez réussi à faire sortir les élèves du lycée Jean Jaurès de Montreuil dans la froidure : ils ont en effet compris à quelle sauce vous les accommodiez pour les livrer à un patronat sans scrupules, dirigé par Mme Parisot.

Mme Irène Tharin -  - Ils n'ont pas compris !

M. Jean-Pierre Brard - Madame, ne voyez pas les autres à votre image... En effet, ils ont avoué ne pas avoir tout saisi, mais ils m'ont quand même dit : « ce que l'on a compris, c'est qu'on peut être viré pendant les deux premières années, sans explication » ! Vous avez donc, Monsieur le ministre, un vrai talent de pédagogue. Aussi les jeunes seront-ils dans la rue aujourd'hui pour défendre leur avenir, notre pays et les valeurs fondamentales de la République.

Le 17 décembre 2003, à l'occasion d'un discours sur la laïcité, le Président de la République a placé son intervention sous le signe de l'égalité, utilisant ce terme à vingt reprises ! Nous aurions pu croire qu'il conformerait ses actes à ses paroles, quitte à rompre avec la politique inflexible, menée avec entêtement depuis 2002. Sauf à considérer que cette déclaration était sans valeur, votre Gouvernement se devait d'engager sans tarder une véritable politique d'égalité.

Il a pourtant fallu attendre 2006 et quatre ans de pouvoir, pour que l'égalité des chances soit proclamée « grande cause nationale » par le Premier ministre. En réponse aux violences urbaines, celui-ci a annoncé à la presse un ensemble de mesures qui semblaient accéder aux principales demandes des jeunes et des familles : être traités sur un pied d'égalité, comme le veut notre devise, et disposer des moyens de s'en sortir dans la vie. Il est vrai que M. de Villepin, depuis qu'il a découvert que l'on pouvait franchir le périphérique, se rend dans les quartiers et écoute. Mais sa langue n'est pas la même que celle de ses interlocuteurs, car ils appartiennent, l'un à la France des privilégiés, les autres à la France qui trime : entre les deux, il n'existe pas de passerelle.

Non seulement ce projet de loi arrive tardivement, mais, comme le souligne Roland Pfefferkorm, professeur de sociologie à l'Université Marc Bloch à Strasbourg, « Dominique de Villepin a, une fois de plus, mis en valeur la notion d'égalité des chances avant d'annoncer des mesures qui vont accroître les inégalités. »

Il ajoute que cette notion d'égalité des chances n'a guère de rapport avec l'égalité, avant de citer Gerhard Schröder, qui est devenu l'un de vos modèles : « Je ne pense plus souhaitable une société sans inégalités [...] Lorsque les sociaux-démocrates parlent d'égalité, ils devraient penser à l'égalité des chances et pas à l'égalité des résultats ». D'où cette conclusion de l'auteur : « L'égalité des chances est une notion typiquement libérale qui est mise sur le devant de la scène pour justifier l'existence, voire l'accroissement, des inégalités sociales et en aucun cas réduire ces dernières. »

Pour mettre les actes en cohérence avec les propos présidentiels, il serait en effet urgent de mettre fin à la politique de diminution de l'impôt sur le revenu, qui relève le niveau de vie des foyers les plus aisés, mais aussi rétablir l'allocation spécifique de solidarité pour les chômeurs en fin de droits sans condition de durée. En renonçant aux diminutions d'impôt, notre pays aurait ainsi trouvé les moyens d'accroître le budget des zones d'éducation prioritaire ou de doubler d'urgence la construction de logements sociaux.

Or, le Gouvernement prévoit 3,5 milliards de baisse de l'impôt sur le revenu en 2007, soit un gain annuel de 10 000 euros pour un contribuable qui en gagne 20 000 par mois, alors que les crédits du ministère du logement diminuent dans le même temps, en dépit des annonces de votre magicien, Jean-Louis Borloo !

L'urgence est pourtant réelle, car il y va du pacte républicain dans son ensemble. Des milliers de voitures brûlées, des équipements collectifs détruits, l'instauration invraisemblable de l'état d'urgence, près de 4 700 personnes interpellées, plus de quatre cents condamnations à des peines de prison ferme au 25 novembre : le bilan des troubles qui ont secoué la France de la fin octobre à la mi-novembre 2005 est lourd pour notre pays et pour notre Pacte républicain. Il va même bien au-delà des additions comptables !

Toutefois, ce n'est pas à l'automne 2005 que les voitures ont commencé à brûler dans notre pays : 21 500 véhicules avaient déjà été détruits en 2003, soit en moyenne soixante par nuit, et le plus souvent en dehors des violences collectives. Voilà des faits que le ministre de l'Intérieur tente de dissimuler en vue d'enjoliver son bilan !

Et pourtant, l'échec des derniers mois est avant tout celui de votre gouvernement, et en particulier celui du ministre de l'intérieur, qui multiplie les affirmations outrageantes et provocatrices. Ne s'est-il pas aventuré dans une analyse parfaitement et volontairement mensongère qui manipule et travestit les faits, dans le seul but d'accroître le sentiment d'insécurité et de jouer avec les peurs de nos concitoyens ?

Il déclarait ainsi dans L'Express, le 17 novembre dernier, qu'un certain nombre de territoires « sont passés sous le contrôle de bandes parfaitement organisées », qui y « règnent en maîtresses absolues » en utilisant des mineurs. Il fallait selon lui éradiquer le mal en profondeur, car certains auraient pensé que « si on fait reculer les forces républicaines, on aura définitivement la paix. »

Après avoir souligné que son action s'opposait au communautarisme, il ajoutait ceci : « Après toutes les interpellations que nous avons faites, la France ne sera d'ailleurs plus la même.» En quelques phrases, votre collègue de l'Intérieur désignait ainsi les coupables : les jeunes et les musulmans, placés sous le contrôle de bandes organisées et de caïds.

Vous avez donc relancé la machine à stigmatiser, comme pour mieux dissimuler les carences de l'État qui se désengage de nos villes et de nos banlieues depuis 2002, en supprimant les crédits alloués aux associations et la police de proximité, ou en diminuant les effectifs de police - cinquante agents en moins dans la seule ville de Montreuil, et quarante-trois à Noisy-le-Grand ! Vous conjuguez et vous aggravez ainsi l'insécurité publique et l'insécurité sociale.

Un rapport des renseignements généraux, qui met en évidence les mensonges du ministre de l'Intérieur a pourtant été publié le 7 décembre dernier. Ainsi, « aucune manipulation n'a été décelée, permettant d'accréditer la thèse d'un soulèvement généralisé et organisé. Aucune solidarité n'a été observée dans les cités [...]. Les jeunes s'identifient par leur appartenance à leur quartier d'origine et ne se reconnaissent pas dans ceux d'autres communes ».

Selon les renseignements généraux, les islamistes n'ont eu « aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion », car « ils avaient tout intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames ». Le rapport note que la France a « connu une forme d'insurrection non organisée avec l'émergence dans le temps et l'espace d'une révolte populaire des cités, sans leader et sans proposition de programme ».

Poursuivons : « Les jeunes des cités étaient habités par un fort sentiment identitaire [qui] ne repos[ait] pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française : [ils] se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française ».

Vous devriez donner un exemplaire de ce rapport à M. Begag, qui aurait ainsi un écho de la réalité, bien différente des fantasmes qu'il nous a débités hier soir. Il est vrai que les faits importent peu à vos yeux : ce que vous souhaitez avant tout, c'est occuper la tribune afin de ralentir l'examen de ce texte, et ainsi faire avaler votre potion amère pendant les vacances scolaires. Mais c'est faire peu de cas du mouvement populaire qui se lève, et qui obligera à rendre des comptes !

Je vous suggère d'ailleurs de venir battre le pavé avec nous cet après-midi, Monsieur le ministre : si vous vouliez bien écouter et regarder autour de vous, vous pourriez être touché, non par la grâce, mais par la réalité. Cela fait en effet des années que vous avez choisi le registre du spectacle et de la fiction, et que vous essayez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !

M. Gérard Voisin - Mais vous êtes, vous aussi, un grand acteur ! Et n'oubliez pas que vous parlez à un Ministre de la République ! Vos propos sont un pur scandale ! Seriez-vous devenu malade ?

M. le Président - Je vous en prie, pas d'invectives entre collègues. Souvenons-nous des incidents d'hier. Seul M. Brard a la parole.

M. Jean-Pierre Brard - Pour en revenir à l'égalité des chances, les évènements qui se sont produits dans les banlieues ont bien montré qu'elle n'existait pas, et ce n'est malheureusement pas votre politique qui la restaurera.

Contrairement aux affirmations du ministre de l'Intérieur, 62 % des jeunes arrêtés n'étaient pas connus des services de police et n'avaient pas démérité à l'école. Comment ignorer que votre politique d'injustice, d'humiliation et d'aggravation des inégalités sociales condamne bien des Français à fins de mois imbouclables, et qu'elle engendre le ras-le-bol et les jacqueries ?

J'ajoute que selon le rapport des renseignements généraux, les cités sont devenues des « ghettos urbains à caractère ethnique », où les difficultés s'accumulent en raison de l'absence de mixité sociale, de la déscolarisation des enfants et de taux de chômage qui atteignent des records.

Comme l'explique Laurent Bonelli, chercheur en science politique à l'université Paris X Nanterre et auteur d'un article intitulé Révolte des banlieues - Les raisons d'une colère, « les politiques urbaines de ces vingt dernières années, sans en faire des ghettos, ont concentré dans un certain nombre de quartiers périphériques des familles nombreuses, souvent déracinées et subissant de plein fouet les formes de précarité existentielle [...]. Cette crise des milieux populaires est donc profondément sociale. »

Or, voilà bien une réalité que vous ne voulez pas voir, Monsieur le ministre, puisque vous avez préféré invoquer la polygamie, tandis que d'autres accusaient les fractures religieuses. Tout cela est bien sûr parfaitement faux !

Nous avons déjà cité, dans le débat sur le logement, le rapport de l'Atelier parisien d'urbanisme, publié en janvier 2005, qui « met en lumière la forte concentration de l'offre et de la demande de logements sociaux à Paris et dans les vingt-neuf communes limitrophes »., ainsi que la répartition très inégale des logements sociaux car si le seuil de 20 % est dépassé dans trois arrondissements parisiens - 13ème, 19ème, 20ème - et dans 22 communes sur 29, on compte moins de 2000 logements SRU dans dix arrondissements du centre et de l'ouest, ainsi que dans sept communes riveraines, dont Neuilly-sur-Seine, chère à M. Sarkozy, ou Ormesson....Une sorte de périmètre aristocratique qui aurait survécu à nos principes d'égalité, malgré la Révolution.

La détermination affichée d'un certain nombre de nos collègues à encourager la mixité sociale n'est que façade et duplicité - je pense en particulier à ces maires, parfois parlementaires, dont le bilan apparaît dans le tableau réalisé par les services de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, lequel nous apprend de surcroît que sur les 742 communes qui ne respectent pas la règle des 20 % de logements sociaux, 154 n'ont engagé aucune construction sociale de 2002 à 2004. Face à cela, vous ne faites rien ! Vous sanctifiez l'action de ces féodaux qui constituent des ghettos de riches, en les soutenant de votre inertie délibérée.

Pour sortir de cette crise, l'habitat doit être diversifié sur l'ensemble du territoire, afin que nulle part la sélection ne se fasse par l'argent, et que personne ne soit mis au ban du fait de sa naissance ou de sa condition. A cet égard, l'objectif de 20 % de logements sociaux dans toutes les communes est impératif.

Hélas, malgré les appels courageux de l'Abbé Pierre et des militants de nombreuses associations d'insertion et d'aide au logement, vous avez entamé le processus d'émasculation de la loi SRU, et le président de la République est revenu sur ses engagements de ne pas la modifier, du moins pas sans l'accord du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.

En effet, la majorité, avec la connivence du Gouvernement et de l'Elysée, a adopté jeudi dernier un amendement qui modifie en profondeur l'article 55 de cette loi, contre l'avis du Haut comité pour le logement, dont le secrétaire général, Bernard Lacharme, estime que cette réforme, qui « ne va pas dans le sens de la mixité sociale », « affaiblit les obligations » des collectivités locales en matière de droit au logement, et méconnaît les besoins des « ménages les plus pauvres ». C'est certainement ainsi que vous voulez promouvoir l'égalité des chances, que vous invoquez d'autant plus que chacun de vos actes renforce justement les inégalités !

Pour sa part, Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, estime que cette réforme va encourager les maires à privilégier l'accession sociale à la propriété au détriment de la production locative à bon marché, et leur permettre de sélectionner le « haut du panier ».

Votre comportement intolérable ne fait qu'accentuer les clivages sociaux qui rongent notre société. Où est l'égalité des chances quand, comme le relate le Monde Diplomatique d'octobre dernier, une famille algérienne de six personnes, à laquelle la préfecture des Bouches-du-Rhône refuse un titre de séjour, et dont les allocations au titre de la protection de l'enfance ont été suspendues, est expulsée de l'hôtel où elle logeait. La famille cohabite quelques mois avec des proches, mais leurs relations s'enveniment - ils vivent à treize dans un quatre pièces - et elle doit s'installer dans un petit appartement vétuste de Marseille, qu'elle paie 400 euros par mois grâce au travail au noir que le père effectue dans le bâtiment. Quand le propriétaire, inquiété par la justice, lui demande de quitter les lieux, la famille investit illégalement un appartement vide, dont elle est expulsée quelques semaines plus tard. Elle intègre un autre squat, et aujourd'hui ses membres sont toujours « occupants sans droit ni titre ».

Ce n'est pas du Zola, ni un extrait des Misérables, mais les méfaits de votre politique, et les salamalecs dont vous faites assaut lorsque l'Abbé Pierre nous rend visite ne suffisent pas à dissimuler votre dégoûtante duplicité.

M. Gérard Voisin - Quoi ?

M. Jean-Pierre Brard - Si vous écoutiez, plutôt que de papoter parce que le problème de l'égalité des chances ne vous intéresse pas, vous ne seriez pas obligé de me faire répéter.

M. le Président - M. Brard parlait des salamalecs lors de la venue de l'Abbé Pierre.

M. Jean-Pierre Brard - Votre patrimoine sémantique devrait vous permettre de comprendre. Quand l'Abbé Pierre vient, vous faites semblant de communier avec lui, alors que vous êtes dans le rôle de Judas.

M. le Président - Vous allez trop loin, ne les faites pas réagir.

M. Henri Emmanuelli - Mais il a raison !

M. Jean-Pierre Brard - La semaine dernière, vous étiez tous en train d'accomplir vos génuflexions...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission - Gremetz aussi !

M. Jean-Pierre Brard - ..... et vous vous demandiez intérieurement combien de temps il allait rester, car il est votre mauvaise conscience affichée, comme un miroir dans lequel vous vous verriez sous les oripeaux qui dissimulent votre véritable personnalité. Vous n'êtes que les avocats des privilégiés, les fondés de pouvoir de ceux qui veulent siphonner encore davantage les finances publiques pour remplir les coffres-forts ! Par la dernière loi de finances, ne venez-vous pas d'accorder cinq euros de plus par mois aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi, alors que vous rendez 18 000 euros cette année à ceux pour qui vous avez les yeux de Chimène, je veux parler des 14 000 foyers fiscaux les plus riches.

Je suis persuadé que les personnes qui sont dans les tribunes, auxquelles vous dissimulez cette réalité avec habileté, car vous savez utiliser les mots à contresens, ne se doutent pas qu'à côté de ces 5 euros supplémentaires par mois pour les plus modestes, 18 000 euros en plus seront prélevés sur les caisses publiques, alimentés par le Rmiste qui paiera sur sa baguette 5,5 % de TVA ! Vous trouvez cela moral ? Je comprends que l'Abbé Pierre vous fasse faire des cauchemars !

Plusieurs députés UMP - Intervenez Monsieur le Président !

M. le Président - Je vous rappelle que, selon notre Règlement, la liberté d'expression est totale, et que le président ne peut qu'appliquer le Règlement, sans donner son avis personnel sur les propos de l'orateur.

M. Claude Gaillard - C'est dommage.

M. le Président - M. Brard cherche à vous faire sortir de vos gonds...

M. Jean-Pierre Brard - Mais pas du tout !

M. le Président - ...et il y réussit ! M. Brard va peut-être revenir, non pas à la baguette de pain, mais au projet sur l'égalité des chances, mais il peut dire ce qu'il veut s'il ne prend pas à partie ses collègues.

M. Jean-Pierre Brard - Je ne prendrai pas même le président à partie, dont je sens qu'il a une filiation avec Marie-Antoinette, car il ne veut pas que je parle de la baguette de pain ! Il fait partie de ceux qui auraient dit « Qu'ils mangent de la brioche s'ils n'ont plus de pain ». Vous ne fréquentez pas les gens les plus modestes, vous n'avez besoin que de leurs suffrages, le jour des élections. Mieux, qu'ils n'aillent pas voter, pour vous permettre d'accomplir tranquillement vos coups tordus, et faire payer aux plus pauvres les privilèges que vous consentez aux plus riches !

Voulez-vous que je vous sorte les grandes fortunes dont vous favorisez l'émergence ?

M. le Président de la commission - Bernard Tapie ?

M. Jean-Pierre Brard - Bien sûr, Tapie, Tranchant, etc...

M. le Président - Monsieur Brard, respectons tout de même la règle communément acceptée selon laquelle les députés ne prennent pas à partie l'orateur, et l'orateur s'abstient de toute provocation.

M. Jean-Pierre Brard - Je ne fais que restituer la réalité, ce qui est chose rare dans cet hémicycle, car vous conviendrez que lorsque M. Larcher s'exprime à la tribune, ce n'est pas la réalité qu'il nous expose ! Cela me fait penser au mythe de la caverne de Platon, on a l'impression de voir la réalité, mais ce ne sont que des ombres. Cela doit vous rappeler des souvenirs du lycée.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes - Nous étions à Jules Gevelot.

M. Jean-Pierre Brard - Non non, j'étais à Jean Jaurès, c'était prémonitoire.

L'égalité des chances pose la question de la place et des moyens que nous entendons accorder au vivre ensemble. Or, vous, vous voulez créer des ghettos, avec d'un côté les riches - Ormesson, Neuilly-sur-Seine - et de l'autre les pauvres - Le Havre, Bagneux, Gennevilliers, et beaucoup d'autres.

La majorité de notre peuple est constituée de gens qui travaillent dur ou qui voudraient le faire mais sont privés du droit au travail, et qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

Une étude du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations - FASILD, organisme d'État que le Gouvernement veut supprimer, on va comprendre pourquoi -, publiée en août 2004, montre que les classes moyennes issues de l'immigration, en dépit de leur haut niveau de diplôme et de revenu, rencontrent des difficultés particulières pour accéder au logement privé. Cela prouve bien que la pauvreté n'est pas la seule cause des inégalités.

Il est plus que temps que l'ensemble des habitants de notre pays puissent pleinement participer à la vie civique. Or la grande majorité des résidents étrangers d'origine non communautaire sont installés sur notre sol depuis de nombreuses années et accomplissent l'ensemble des devoirs qui leur incombent, mais n'ont aucun droit de regard sur les décisions qui touchent à leur vie quotidienne et à leur avenir. Ils travaillent et paient leurs impôts, élèvent leurs enfants, sont présents dans les instances des établissements scolaires ou universitaires, enseignent, siègent au sein des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, sont délégués du personnel et militants associatifs ; mais ils sont dépourvus du droit de vote, discrimination que beaucoup vivent douloureusement. M. Tapie, Monsieur Dubernard, qui avait été condamné et mis en prison, a désormais recouvré ses droits civiques ; mais le vieux Kabyle qui habite ma bonne ville de Montreuil depuis 1949 et s'est épuisé au travail chez nous ne les mériterait-il pas davantage que ce voleur ?

L'exercice de la citoyenneté est un facteur essentiel d'intégration à la société française. Au cours de notre histoire, des millions d'étrangers ont construit notre pays. Ils sont nombreux aussi à l'avoir défendu au nom de ses valeurs, la liberté et les droits de l'Homme. Et vous osez parler d'égalité des chances quand le droit de participer aux affaires publiques est nié ! La proposition de loi que j'avais déposée en juin 2002, tendant à modifier l'article 3 de la Constitution, lequel définit les conditions pour être électeur, garde toute sa pertinence.

Nous aurions beaucoup à apprendre du gouvernement espagnol, qui a régularisé plus de 500 000 sans-papiers en possession d'un contrat de travail. Monsieur le ministre, ne retenez pas de la politique de M. Zapatero uniquement les côtés qui vous arrangent ! L'objectif, selon M. Rumi, le secrétaire d'Etat à l'immigration et l'émigration est « d'en finir avec l'immigration illégale, de faire affleurer l'économie souterraine et de mettre un terme aux coûts sociaux que provoquent le travail clandestin ».

Cette régularisation remplit les caisses de la Sécurité sociale - mais vous, vous préférez montrer que le trou est impossible à boucher, pour inciter les Français à recourir aux assurances privées... En 2005, les contrats de travail des immigrés régularisés en Espagne ont permis de récupérer 750 millions ; pour 2006, le gouvernement en attend 1,35 milliards, soit 1,6 % du total des cotisations. Le ministère espagnol du travail a été agréablement surpris car il tablait sur des cotisations assises sur un salaire moyen de 800 euros et finalement, celui-ci s'est élevé à 1 050 euros - contre 1 380 pour les travailleurs espagnols. Voilà un bon moyen de lutter contre l'inégalité, et surtout de retirer des mains des marchands de travail clandestin leurs victimes, mais de cela vous ne voulez pas entendre parler !

Chez nous, M. Sarkozy déclare : « Si vous votez des lois, c'est pour qu'elles soient exécutées. Dire que pour quelqu'un qui a fraudé la loi pendant dix ans - en restant sans titre sur le territoire national -, la loi ne s'applique pas, c'est profondément antirépublicain ». Pire encore, selon lui, « rien n'est plus contraire à la générosité que cette idée selon laquelle il faut accueillir toujours davantage de migrants, même si l'on n'a pas les moyens de cet accueil, quitte à priver les pays les plus démunis d'une partie de leurs forces vives et de leur jeunesse ». L'exemple espagnol démontre une fois de plus que M. Sarkozy est dans l'erreur et fait dans le populisme.

Pour un ministre, me direz-vous, qu'y a-t-il de plus normal que de vouloir appliquer la loi ? Mais il faut alors l'appliquer dans tous les domaines. Par exemple, il faut que M. Sarkozy veille à ce que le maire de Neuilly applique la loi SRU ; ou encore, qu'il ne reçoive pas dans son bureau des gens comme Tom Cruise, figure emblématique d'une organisation criminelle, la scientologie, qui pousse à la mort certains de ses adeptes. Notre excellent collègue Georges Fenech, quand il était juge d'instruction, a eu, lui, le courage de faire condamner ceux qui avaient conduit à la mort un jeune homme. Comment voulez-vous enseigner le respect de la loi dans nos cités quand l'exemple vient de si haut ?

En matière d'accès à l'emploi, l'INSEE fait état de taux de chômage considérables pour les 15-24 ans : 41,1 % dans le quartier de la Grande-Borne, à Grigny, contre 27,1 % pour l'ensemble de la commune ; 54,4 % à la Reynerie et Bellefontaine, contre 28,6 % pour l'ensemble de la ville de Toulouse ; 31,7 % à l'Ousse-de-Bois, contre 17 % pour l'ensemble de la ville de Pau ; 37,1 % dans le grand ensemble de Clichy-sous-Bois, contre 31,1 % à Montfermeil ; 42,1 % à Bellevue, contre 28,6 % à Nantes - Saint-Herblain.

A l'échelle du pays, le taux de chômage des hommes de 15 à 24 ans vivant en ZUS atteint 36,2 %, et celui des femmes du même âge 40,8 % - chiffres analogues à ceux des pays en voie de développement. Pour cette même tranche d'âge, mais cette fois en agglomération sans ZUS, le taux de chômage est bien moindre, bien qu'encore trop élevé : 24,1 % pour les femmes et 17 % pour les hommes.

Plus globalement, le taux de chômage dans les quartiers sensibles s'élève à 19,3 % chez les hommes et à 22,4 % chez les femmes, soit plus du double de celui observé en agglomération sans ZUS ou en milieu rural. Par ailleurs, le pourcentage de personnes sans qualification atteint 30 % à 40 % dans ces quartiers, contre 17,7 % en moyenne nationale.

D'après l'INSEE, « cet écart s'explique d'abord par l'effet de la ségrégation urbaine ». C'est dire, Monsieur le ministre, que ce projet ne peut être dissocié de celui dont nous avons débattu la semaine dernière sur le logement. Ces quartiers ont connu le départ massif des couches moyennes, ils concentrent les difficultés sociales, on y trouve des populations ayant plus de difficultés à obtenir un emploi, avec une sur-représentation des catégories populaires, des immigrés, des jeunes et des personnes peu ou non diplômées.

Même si l'on prend en compte ces différents facteurs, l'INSEE estime que le risque de chômage reste très supérieur dans les ZUS - de 4,5 points pour les hommes et de 5,7 points pour les femmes. Et pour tous les niveaux de formation allant du BEPC au bac, les taux de chômage sont environ deux fois plus élevés dans ces zones qu'au niveau national.

Face à cette réalité peu reluisante, le Premier ministre joue de la sémantique pour accréditer l'idée d'un redressement des courbes du chômage. Il omet de préciser que les neuf dispositifs de minima sociaux comptaient, fin 2004, plus de 3,4 millions d'allocataires, soit une progression de 3,4 % par rapport à 2003, et qu'en tenant compte de leurs ayants droit, plus de 6 millions d'individus vivent de telles allocations ! Parmi eux, plus d'un million sont titulaires du RMI et 340 000 de l'allocation spécifique de solidarité, soit deux minima qui ne s'adressent pas à des populations spécifiques, et l'on compte aussi 670 000 personnes âgées, 760 000 handicapés et 176 000 parents isolés. De décembre 1990 à décembre 2004, le nombre de titulaires du RMI est passé de 500 000 à 1,2 million, DOM compris, et l'observatoire des inégalités relève que ce nombre n'a légèrement diminué que dans la période 1997-2001 : depuis 2002, on assiste à une nouvelle montée, qui a atteint 8 % en 2004.

Hier, lors des questions d'actualité, vous avez dit que le chômage baissait. Subterfuges et calembredaines !

M. Gaëtan Gorce - C'est la vue du Gouvernement qui baisse !

M. Jean-Pierre Brard - Ou sa perversité qui augmente !

M. le Président - Monsieur Brard, ne vous laissez pas interrompre par vos collègues.

M. Henri Emmanuelli - Ce n'est pas une interruption, mais un dialogue.

M. le Président - Le Règlement ne l'autorise pas.

M. Henri Emmanuelli - On n'est pas en Seine-Saint-Denis, ici, alors baissez le ton !

M. le Président - Je ne répondrai pas.

M. Henri Emmanuelli - Quand on a dit ce que vous avez dit, on n'a pas sa place ici.

M. Jean-Pierre Brard - Hier donc, Monsieur le ministre, vous nous avez raconté des salades. L'intérêt était que le discours était télévisé et que vous espérez que vos assertions seront crues dans le pays. Hélas pour vous, l'office européen de statistiques tempère l'optimisme de MM. Borloo et Breton : les économistes européens voient en effet essentiellement, dans la baisse du chômage en France, l'effet du traitement social et du nettoyage statistique. On retrouve le concept du Kärcher ! Si l'on ne peut nier votre compétence en matière de nettoyage, Eurostat ne voit aucune lueur d'espoir quant à une reprise d'activité économique susceptible de créer des emplois. Et les économistes de Bruxelles ne sont pas réputés être d'affreux gauchistes !

Dans ce contexte, les annonces faites par Dominique de Villepin sur l'emploi des jeunes ne s'écartent pas de ses principes habituels : toujours moins de droits pour les salariés et toujours plus d'avantages pour les grandes entreprises, sans contrepartie. Ainsi, le nouveau contrat de première embauche, destiné aux jeunes de moins de 26 ans, est doté d'une période dite de « consolidation » de deux ans - nouvelle preuve de la virtuosité avec laquelle notre Premier ministre maîtrise la langue. Quel plaisir d'avoir un Premier ministre aussi lettré !

M. Jean-Marie Le Guen - « Les traits » tirés !

M. Jean-Pierre Brard - Aussi. Mais il faut être objectif : M. de Villepin est tout de même plus lettré que M. Raffarin !

M. Jean-Marie Le Guen - On n'en est plus au CP, mais au CPE !

M. le Président de la commission - Monsieur le Président, vous n'intervenez pas ?

M. Jean-Pierre Brard - Ce qui n'est pas acceptable, c'est que M. de Villepin utilise sa grande culture pour maquiller la vérité. Pour entrer dans ce gouvernement, il faut d'abord être apte au subterfuge et à la dissimulation. Je suis maire de la ville de Georges Méliès, le grand spécialiste du trucage. Ce qui me désole, c'est que cet art ait quitté Montreuil pour se diffuser sous d'autres formes ailleurs, comme à Rambouillet.

M. Jean-Pierre Soisson - Vous êtes expert en la matière !

M. Jean-Pierre Brard - Je pourrais vous montrer des dissimulations à la Méliès, dans les caves de Bourgogne... M. Soisson a été député d'une circonscription où ma bonne ville de Montreuil entretient des centres de vacances, pour aider les enfants dont les familles subissent les mauvais coups de votre politique.

M. le Président - Si nous en revenions à l'égalité des chances ?

M. Jean-Pierre Brard - Mais c'est justement ça ! Je ne devrais pas avoir besoin d'un traducteur pour le faire comprendre !

Pour le CPE comme pour le contrat nouvelles embauches, vous tentez de faire croire que la flexibilité offerte aux entreprises a pour contrepartie de nouvelles garanties accordées aux salariés. Sont ainsi annoncées une allocation forfaitaire en cas de rupture du contrat après quatre mois d'exécution et la prise en compte des stages, CDD ou autres formations en alternance dans la même entreprise dans la période de consolidation. Ces précautions, qui restent volontairement imprécises, ne sont absolument pas de nature à compenser l'extrême précarité du nouveau dispositif.

Cette déstabilisation, qui pèse surtout sur les moins qualifiés, est l'une des transformations majeures que vous apportez à notre société : elle n'a pas que des effets économiques, mais bouleverse également les repères des jeunes. Leur incertitude quant à l'avenir leur interdit de faire des projets à long terme, immobiliers, matrimoniaux ou de loisirs, et les enferme dans le présent et dans une débrouille quotidienne perméable aux petites ou grandes déviances.

C'est dès le plus jeune âge que l'action publique devrait se concentrer afin de prendre le mal à sa racine. Le Premier ministre a certes fort justement déclaré que les enfants devaient bénéficier, tout au long de leur scolarité, d'un soutien adapté, qu'il fallait sortir de la spirale de l'échec et ne laisser personne sur le bord du chemin, mais ce ne sont que des discours ! Dans un des collèges de Montreuil, plus de 85 % des enfants appartiennent aux catégories défavorisées de population. Qu'a fait le Gouvernement pour les aider à s'en sortir, pour leur redonner de l'espérance, pour rendre l'école crédible ? Les familles et les enseignants vous répondent : vous n'avez rien fait ! Lorsque vous avez rempli les coffres de privilégiés, il ne reste plus d'argent pour financer d'autres politiques.

M. Jean-Pierre Grand - Voilà des arguments nouveaux !

M. Jean-Pierre Brard - Je vous invite à Montreuil : comme le sait si bien le président Raoult, même si on n'est pas d'accord, dans cette ville, on discute.

M. le Président - Pas toujours, Monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Vous remontez à la préhistoire !

M. le Président - À dix ans.

M. Jean-Pierre Brard - Vingt !

M. le Président - Dix.

M. Jean-Pierre Brard - Vous ne tenez pas vos fiches à jour et m'attribuez une appartenance qui n'est plus la mienne depuis longtemps. Mais ce qui est essentiel, c'est la fidélité à ses convictions. Mes valeurs ne sont pas cotées au CAC 40, mais chez Rousseau, Montesquieu, Voltaire et Diderot ! Rappelez-vous Jaurès montant à cette tribune pour défendre Dreyfus contre l'injustice infâme qui lui était faite ! Vous voyez que je lutte contre les injustices quels que soient le temps et le lieu !

Le Premier ministre a donc peu de concret à nous offrir. Sa principale disposition, l'apprentissage à quatorze ans - poétiquement nommée pour l'occasion apprentissage junior - nous projette cinquante ans en arrière en remettant en cause l'école obligatoire jusqu'à seize ans. Le dispositif sera réservé aux volontaires et aux jeunes les plus en difficulté. Volontaires pour quoi ? Pour choisir entre une assiette vide et un demi-plat de lentilles ! Vous laissez croire aux jeunes que l'apprentissage version de Villepin est une voie d'excellence qui protège du chômage, mais en 2004 le taux de chômage des anciens apprentis était de 23,5 %, et même de 25 % pour les 15-25 ans !

Votre gouvernement veut rétablir l'apprentissage à quatorze ans pour permettre « aux jeunes qui le souhaitent » dit le Premier ministre, de s'orienter vers les filières professionnelles. Mais comme par hasard, ce sont toujours les enfants de familles défavorisées qui « souhaitent » aller vers les filières courtes, et plus le tri est effectué tôt, plus ils les choisissent, ayant intériorisé leur échec annoncé dans des filières plus réputées. Ce processus inégalitaire est souvent renforcé par les décisions des conseils de classe, comme l'a montré un rapport du haut comité à l'orientation en mars 2004.

C'est même un changement plus large de politique éducative qui se dessine, à partir du principe que la collectivité en a fait assez et que c'est à l'individu de se prendre en mains. Ainsi les parents en difficulté seront sanctionnés par la suspension des allocations familiales. Mme Boutin, femme de convictions, même si elle les défend parfois de façon déraisonnable, en a parlé hier avec humanité, après un numéro de M. Bas qui ne volait vraiment pas haut.

Les élèves qui échouent sont donc ceux qui baissent les bras ou dont les familles démissionnent. Comme les chômeurs, Rmistes et autres titulaires de minima sociaux, ils sont largement responsables de leur situation : du libéralisme appliqué aux adultes au libéralisme appliqué aux enfants.

Dans « Les grands noms de l'éducation », René de la Borderie présente l'inégalité dans l'éducation comme un des résultats les plus fâcheux du hasard de la naissance. En construisant le service public laïc et gratuit, Jules Ferry visait d'ailleurs aussi à réduire les inégalités sociales. A l'inverse, vous instaurez une orientation précoce qui exclura, de facto, les enfants des catégories populaires de l'accès au lycée.

On ne résoudra pas la question scolaire sans réfléchir aux politiques sociales en faveur des familles les plus pauvres. Aujourd'hui, 20 % de adolescents grandissent dans des logements surpeuplés, ce qui augmente de plus de 50 % le risque d'échec scolaire.

M. Richard Cazenave - On se demande ce que la gauche a fait.

M. Jean-Pierre Brard - Vous êtes au gouvernement depuis plus de quatre ans, et vous aggravez encore les inégalités.

M. Richard Cazenave - En construisant 80 000 logements sociaux ?

M. Jean-Pierre Brard - On est bien loin des centaines de milliers qui seraient nécessaires !

M. Richard Cazenave - Avec la gauche, c'était 40 000.

M. Jean-Pierre Brard - Votre malthusianisme traduit votre idéologie. Pour vous, s'ils sont pauvres, c'est leur faute : qu'ils se débrouillent. Comme le disait M. Mer, toujours pertinent, quand il était au Gouvernement, s'il y a des riches, c'est qu'ils ont plus de talents que les autres. Dans son cas, l'Éducation nationale n'avait pas joué son rôle, car il avait oublié le 14 juillet 1789 et la nuit du 4 août !

Si je faisais référence à Jules Ferry, c'est que vous remettez en cause non seulement les acquis de 68, du programme du Conseil national de la Résistance et du Front populaire, mais même les grandes lois de la Troisième République, dans une opération de démantèlement généralisé. Monsieur Dubernard, vous avez un point commun avec M. de Villepin : vous êtes deux chirurgiens de talent. Mais vous, vous réparez, lui il détruit, il ampute et, à la différence de vous, sans anesthésie, à la hache ! Je vois que vous opinez.

M. le Président de la commission - Je suis stupéfait.

M. Jean-Pierre Brard - Pourquoi donc, puisque vous soutenez cette politique ? J'espère que votre stupéfaction débouchera sur une prise de conscience de l'injustice à laquelle vous participez, vous rendra enfin réceptif à l'appel de l'abbé Pierre et vous conduira à faire une autocritique et à œuvrer enfin pour les plus modestes (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Il ne vous reste que 10 minutes, et je sens vos collègues désireux d'aborder la discussion des articles.

M. Daniel Paul - Mais on l'empêche de parler !

M. le Président - A partir de maintenant, plus personne n'interrompra M. Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Merci, Monsieur le Président. Heureusement que vous êtes là pour rappeler à vos collègues de l'UMP le respect que l'on doit à l'orateur (Rires).

J'en viens au volet relatif au droit du travail. Le contrat première embauche, combiné au contrat nouvelle embauche, est une atteinte majeure au code du travail, au terme d'un offensive de longue haleine orchestrée par le Medef, que vous menez sur le mode enjôleur, et Mme Parisot de manière insatiable.

Jean-Marie Harribey, maître de conférences à Bordeaux décrit bien cette patiente entreprise de démolition, qui a été menée en trois temps. Dans les années 1970, le coup de balai dans les vieux secteurs industriels, les dégraissages, l'élimination des « canards boiteux », les premières délocalisations avaient restauré une rentabilité émoussée au fil des ans. Dans les années 1980, le chômage élevé brisa la résistance salariale et avec la liberté totale de circulation des capitaux, la Bourse devint euphorique, les profits mirobolants. Restait le plus difficile : faire adhérer des populations meurtries à ce système dévastateur, pour maintenir une cohésion sociale minimale alors que l'État Providence était laminé. Le Medef eut un coup de génie avec son projet de « refondation sociale » : on allait supprimer la loi et la remplacer par le contrat. Le droit du travail, compromis résultant des luttes sociales, était suranné. Place au contrat entre le salarié et son employeur, égaux comme la poule et le renard, on le sait. Exit le contrat à durée indéterminée, vive le contrat de mission, ou le contrat à durée maximum. Cette refondation sociale rappelle étrangement l'accord multilatéral sur l'investissement de l'OCDE : il s'agit de ligoter les États, de délégitimer toute velléité de régulation. A la place d'une société régie par le droit, on prépare le retour de rapports personnels de seigneur à vassal, « une reféodalisation de la société », selon le juriste Alain Supiot. Ainsi, conclut Jean-Michel Harribey, « la refondation sociale, c'est l'achèvement de la contre-révolution libérale. »

Depuis des décennies, le droit du travail, en protégeant les salariés, rétablissait un équilibre indispensable au fonctionnement harmonieux de notre société. Vous êtes décidés à y mettre fin, quel que soit le coût social. « L'ordre social ne vient pas de la nature. Il est fondé sur des conventions » disait Rousseau. Or, aujourd'hui, ce sont ces conventions, dont le Front populaire, le CNR et de Gaulle lui-même (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ont été les principaux artisans, que vous brisez. Citer de Gaulle est devenu aujourd'hui blasphématoire ! En vérité, cela vous gêne parce que vous piétinez son héritage...

M. le Président de la commission - Diffamations !

M. Jean-Pierre Brard - De Gaulle est une fierté nationale, il avait le patriotisme chevillé au corps !

M. Jean-Michel Ferrand - Citez plutôt Staline !

M. Jean-Pierre Brard - Je suis trop jeune pour avoir été stalinien !

M. Hervé Novelli - Les goulags, vous vous souvenez ?

M. le Président - Monsieur Brard, ne vous laissez interrompre ni par Staline, ni par l'UMP et concluez !

M. Jean-Pierre Brard - Blum, Thorez et de Gaulle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) furent des patriotes contrairement à ceux qui, comme aujourd'hui quittent la France pour échapper à l'instrument de solidarité qu'est l'impôt !

M. Richard Cazenave - Pendant la guerre, Thorez était à Moscou, pas à Londres !

MM. Jean-Michel Dubernard - C'était la fuite des cerveaux ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - De même que sous la Révolution vous étiez du côté des émigrés de Coblence, vous soutenez aujourd'hui les naturalisés belges, suisses et anglais !

Monsieur Cazenave, je vais vous faire une confidence : j'ai attendu 1985 et l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir pour me rendre à Moscou. Vous devriez d'ailleurs mettre à profit la lecture de son excellent livre Perestroïka.

M. Richard Cazenave - Et moi, je vous raconterai l'histoire des FFI !

M. le Président de la commission - Pourquoi ne pas évoquer la mémoire de Georges Marchais, cet excellent patriote ?

M. Jean-Pierre Brard - L'UMP n'a qu'une idole : le baron qui dirige le patronat européen et son clone, Mme Parisot !

M. le Président - Monsieur Brard, en comptant les interruptions, il vous reste cinq minutes pour conclure (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean-Pierre Brard - Pour enfoncer le couteau dans la plaie, je rappelle que Mme Parisot, dans une interview accordée à La Tribune, a contesté l'intérêt de limiter le CNE aux jeunes - selon elle, la jeunesse est une « maladie dont on guérit » - en réclamant l'extension de ce nouveau contrat à tous les salariés et à toutes les entreprises. Sans surprise, M. de Villepin a semblé accueillir cet argumentaire. Dans Le Nouvel observateur du 26 janvier, il annonce « la troisième phase de la bataille pour l'emploi » - comprendre de l'entreprise de démolition -, et envisagé diverses options pour l'avenir du contrat de travail.

M. Hervé Novelli - Très bien.

M. Jean-Pierre Brard - Pour en terminer et que les masques tombent, Mme Parisot s'en prend directement au rôle du législateur en l'accusant d'empiéter sur les prérogatives des entrepreneurs.

M. Hervé Novelli - Juste !

M. Jean-Pierre Brard - M. Novelli est un ultralibéral qui s'assume ! Cela fait plaisir, mais revenons à notre propos. Mme Parisot s'en prend à la façon dont s'applique l'article 34 de la Constitution qui donne pouvoir au législateur de « déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » ! Plus aucun doute, le véritable objectif du Gouvernement, c'est la démolition du code du travail, élaboré au prix de conquêtes sociales dont Jules Ferry, le Front Populaire, le CNR, de Gaulle et les étudiants de mai 68 furent les principaux acteurs. Se souvenant de cette histoire, le Parlement doit refuser la soumission dans laquelle on veut le tenir et le passage à l'esbroufe (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) de ce texte ! Prenons notre temps et renvoyons ce projet de loi en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement. Ce projet de loi soulève la question des jeunes et de l'emploi. Comme nous ne cessons de le répéter depuis le début de ce débat, nous ne pourrons la résoudre que par le retour de la croissance et une politique industrielle volontariste. On ne peut que s'indigner, dans ce contexte, que le ministre de l'économie et des finances, M. Breton, déclare ce matin à propos de l'OPA sur Arcelor que la décision appartient aux seuls actionnaires et non aux États ?

M. Hervé Novelli - Il a raison !

M. Jean-Marc Ayrault - Le Gouvernement se satisfait-il de cette impuissance ?

Plusieurs députés UMP - Et la fermeture de l'usine de Vilvoorde par Renault, sous Jospin?

M. Jean-Marc Ayrault - Le politique a-t-il encore un rôle à jouer dans ce pays ? Pour M. Breton, le rôle d'un ministre de l'économie et des finances se limite à veiller à ce que l'OPA ne porte pas atteinte aux intérêts des actionnaires. Les socialistes ne renonceront pas à défendre Arcelor et les emplois industriels ! Nous tenons à dénoncer l'impuissance du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président de la commission - Revenons à la motion de procédure qui nous occupe...

M. Henri Emmanuelli - Parce que les 25 000 emplois d'Arcelor, ce n'est rien pour vous !

M. Jean-Marie Le Guen - Vous bradez l'emploi !

M. le Président - Monsieur Le Guen...

M. Jean-Marie Le Guen - Vous, il faudrait vous mettre sous tutelle ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - Je suis épaté par les interventions de M. Brard. Je salue sa sémantique, sa verve, la richesse de sa langue, embellie par une diction que l'on dirait sortie du conservatoire...

M. Jean-Pierre Brard - De l'École normale d'instituteurs !

M. le Président de la commission - Langue plus proche de celle du Premier ministre que de celles de certains jeunes ! Mais il y a toujours une certaine aigreur qui transpire de votre discours...

M. Gaëtan Gorce - Êtes-vous bien sûr de parler de l'emploi des jeunes ?

M. le Président de la commission - ...Je réponds à M. Brard. Je trouve chez lui un soupçon d'éthique, voire de paternalisme. Son intervention était belle, mais souvent hors sujet, et malgré sa dimension philosophique, à contresens. Qu'avez-vous proposé sur l'avenir des jeunes ? (Rien ! sur les bancs du groupe UMP) Sur l'égalité des chances ? (Rien ! sur les bancs du groupe UMP)

La commission a tenu cinq réunions, d'une durée totale de 7 heures 35 ; le rapporteur a travaillé, beaucoup, vite et bien ; nous-mêmes avons auditionné les ministres concernés et examiné 400 amendements.

M. Christian Paul - M. Borloo est resté cinq minutes !

M. le Président de la commission - Vous n'étiez pas là ! Vous avez d'ailleurs été très peu présent en commission !

M. Henri Emmanuelli - Vous, je vous ai vu à la buvette plusieurs fois !

M. Christian Paul - Rappel au Règlement ! Fait personnel !

M. le Président de la commission - Nous avons adopté 77 amendements, 53 du rapporteur, 13 du Gouvernement, 5 du groupe UMP, 4 du groupe UDF et 3 émanant d'une députée des Verts, dont je salue la présence assidue en commission.

M. le Président de la commission - Nous avons examiné les amendements gouvernementaux dès mercredi dernier et adopté plusieurs sous-amendements du rapporteur, qui les complètent. La commission a fait son travail. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer le texte.

M. le Président - Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

M. Christian Paul - Rappel au Règlement. Il ne faudrait pas que le président de la commission réécrive l'histoire de cet examen, amené dans l'urgence, dans l'improvisation la plus totale et portant sur des amendements « brûlant » des aspects essentiels du Code du travail.

La commission a eu, en effet, l'insigne honneur d'accueillir quelques minutes M. Borloo : j'y étais, comme beaucoup de mes collègues, Monsieur Dubernard ! Le ministre n'a pas répondu à nos questions, il est parti avant. Nous avons le grand honneur de recevoir aujourd'hui M. de Robien, pour la première fois depuis que le débat sur ce texte a commencé - un texte qui met en cause l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. Ce débat législatif est l'un des plus indignes de la Vè République !

M. Alain Joyandet - J'ai écouté très attentivement M. Brard, moi aussi et je suis d'accord avec M. Dubernard : il s'agit d'un discours de lutte des classes, décalé, caricaturant notre action. Il a fait référence à de nombreux universitaires, comme si c'était une raison suffisante. J'ai entendu l'un d'entre eux proposer, lors d'un débat sur nos institutions, la suppression du suffrage universel au profit du tirage au sort ! Et il est certes arrivé à de brillants universitaires de théoriser le collectivisme, pour le transmettre ensuite pour gestion aux militaires, avec les conséquences que l'on connaît...

Mme Martine David - Quel rapport ?

M. Alain Joyandet - Les jeunes attendent surtout que l'on s'occupe de leur avenir. Aucune de vos réflexions, Monsieur Brard, ne justifie que ce texte soit renvoyé en commission. Le groupe UMP votera évidemment contre cette motion inefficace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Vidalies - Nous débattons d'un projet de loi dont l'un des dispositifs les plus importants est la mise en œuvre du CPE. Or, le rapport ne dit à peu près rien de cette question fondamentale ! Cela est sans précédent dans l'histoire de cette assemblée !

Monsieur Dubernard, comment pouvez-vous prétendre que l'on aurait correctement travaillé sur ce texte, alors qu'un amendement de trois pages a été déposé par le Gouvernement, afin d'éviter la saisine des partenaires sociaux, et le passage en Conseil d'État ! Et vous trouvez cela normal !

Mme Martine David - C'est indigne !

M. Alain Vidalies - C'est la négation de l'existence même de l'Assemblée nationale ! Le rapport rappelle seulement le dispositif, sans présenter de statistiques ou de bilan. Pourquoi changez-vous de politique ? Cela ne nécessite-t-il pas de dresser le bilan de la précédente ? Pourquoi ne publiez-vous pas de statistiques sur le contrat jeune en entreprise, institué il y a quatre ans ? Pourquoi découvrez-vous subitement qu'il faut s'attaquer à cet aspect du code du travail ? Pourquoi, lorsque les ministres parlent de 80 000 CNE, n'expliquez-vous pas qu'il se signe deux millions de contrats de travail par an, soit 170 000 par mois ? Y-a-t-il eu de véritables créations d'emplois grâce au CNE ? Nous ne disposons d'aucune information. Tout cela, c'est de l'esbroufe !

Il est inacceptable que vous vous résigniez à continuer de discuter dans ces conditions. Le renvoi en commission s'impose, car nous devons reprendre sérieusement le travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Daniel Paul - Quel titre ambitieux pour un projet de loi ! Ce texte aurait pour ambition de donner à tous les jeunes les mêmes chances de réussir leur scolarité et d'en sortir avec une qualification professionnelle, puis de réussir à s'insérer professionnellement ! Mais l'on se rend vite compte que, derrière la paille des mots, il y a le grain des choses.

Le CPE vise le même objectif que le CNE : remettre en cause le droit du travail. Parce que vous savez que cela risque de susciter une levée de boucliers, vous précipitez les choses. Nous estimons au contraire qu'il faut faire connaître ce texte, comme nous l'avons fait pour le projet de Constitution européenne ou pour la directive Bolkenstein.

Les jeunes ne s'y trompent pas. Ils ont compris que le CPE, « c'est pour exploiter ». L'un d'entre eux commente : « quand tu es à l'essai pour quelques mois, ou pour deux ans avec le CPE, tu fais profil bas pour garder ton emploi ». Les salariés ne s'y trompent pas non plus, ils voient que votre objectif, celui du MEDEF, c'est la généralisation de ces droits nouveaux attribués aux patrons. Comme nous sommes loin de l'égalité des chances !

Par tous ses pores, votre texte exprime une volonté de remettre en cause des décennies de luttes populaires qui ont permis de rendre la vie plus sûre et plus facile pour tous, même pour les salariés. Des travailleurs soumis, voilà ce que vous souhaitez ! Et vous voulez nous faire croire que tout pourrait se régler par la contrainte financière, en frappant au portefeuille ceux qui n'ont rien !

Qu'il s'agisse du contrat d'apprentissage junior, qui rompt avec nos efforts de valorisation de l'apprentissage, désormais assimilé à l'échec scolaire et personnel, ou de la suppression du FASILD, dont chacun saluait l'action, mais qui sera remplacé par une agence aux contours mal définis, dans un contexte d'assèchement des crédits, tout indique que le Gouvernement ne cherche qu'à adapter notre pays et notre peuple aux exigences d'une économie libérale. Vous mettez à mal les procédures collectives et les protections sociales, et vous vous lancez dans une fuite en avant dangereuse pour les droits sociaux et le code du travail. La présidente du MEDEF a toutes les raisons de se réjouir de la situation, tant nous sommes loin de l'égalité des chances !

Il y a trois mois, la colère et la détresse explosaient pourtant dans bien des quartiers de nos villes, qui se sentaient insultés, oubliés et méprisés. Les jeunes exprimaient ainsi leur révolte, mais ils nous appelaient également à ouvrir les yeux sur les fractures sociales qui se creusent en France. Or, votre texte ne répond nullement à ces défis ; il va au contraire aggraver les difficultés !

Face à l'opposition qu'il a rencontrée, M. de Robien vient de différer son projet de rabougrissement des ZEP...

M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - C'est faux !

M. Daniel Paul - Suivez donc son exemple, et renvoyez ce texte en commission pour que nous puissions faire le point sur les besoins précis de notre société, et non sur ceux du MEDEF.

A la majorité de 74 voix contre 41 sur 115 votants et 115 suffrages exprimés, la motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 58. Je n'ai pas pu répondre aux propos de MM. Joyandet et Dubernard, qui ont prétendu que l'opposition n'avait aucune proposition à défendre.

Il est vrai qu'il ne nous revient pas de choisir entre la pioche et le bulldozer, car c'est vous qui vous lancez dans une entreprise de démolition, avec le soutien d'un groupe de députés qui assume parfaitement une cette ambition diabolique. Pour autant, n'oubliez pas que les partis de gauche et les partenaires sociaux vont se retrouver, le 8 février prochain, afin de définir leur réponse aux mauvais coups que vous portez contre notre pays.

Et soyez sûrs que nous n'imiterons ni M. Sarkozy, qui se contente de compiler les propositions « sexy » des autres, ni les députés UMP, qui guettent les mouvements de cils du Premier ministre dans l'espoir de comprendre dans quel sens ils doivent pencher.

Des États généraux se tiendront ensuite...

M. le Président - Un rappel au Règlement n'est pas un agenda (Sourires).

M. Jean-Pierre Brard - De toute façon, 365 jours ne suffiraient pas pour dresser un tel agenda. Le Gouvernement a tellement démoli qu'il y faudrait au moins un plan quinquennal ! (Sourires) Nous devrons rétablir les droits que vous avez supprimés en matière de santé, de retraite, ou de code du travail. Voilà la tâche à laquelle nous comptons nous atteler, et voilà la solution alternative à laquelle aspirent nos compatriotes.

M. Henri Emmanuelli - Rappel au Règlement. Nous sommes là pour débattre d'emploi, et pourtant le ministre n'a pas jugé utile de répondre sur bien des points.

Notre pays ne peut pas avoir tantôt des visées européennes voire mondiales, puisque le Président de la République vient de brandir l'arme nucléaire, et tantôt donner le sentiment de s'abriter derrière le grand-duché de Luxembourg. Où est la cohérence ?

Le Premier ministre fait par ailleurs des déclarations grandiloquentes, invoquant sans cesse le « patriotisme économique », alors que le ministre de l'économie affirme qu'il n'y a rien faire contre le fonctionnement du marché et des entreprises.

La sidérurgie, ce n'est pourtant pas rien ! N'oublions pas qu'elle était en cessation de paiements à la fin des années 1980, et qu'il a fallu la nationaliser ; puis, M. Mer a cru bon d'opérer des fusions et de transférer son siège social au Luxembourg ; et voilà maintenant ce secteur stratégique à la merci d'une OPA sauvage - et asymétrique, puisque l'un des protagonistes est à l'abri de toute réplique.

Où sont donc passés vos rêves de grandeur ? Non seulement nous avons l'air ridicules, mais ce sont également 27 000 salariés qui sont en danger ! M. Loos nous avait pourtant affirmé hier que le Gouvernement se montrerait ferme, avant que M. Breton dise ce matin qu'il ne pouvait rien faire.

M. Richard Cazenave - C'est faux !

M. Henri Emmanuelli - Pas du tout ! Et je vous mets en garde : les Français et les Françaises accorderont à cette affaire l'importance qui lui revient. Nul ne peut accepter que son destin ne soit plus fixé par des autorités légales et légitimes, mais par des conseils d'administration anonymes et intouchables. Voilà la faille de votre vision de la société. Oui à l'économie de marché, parce qu'elle autorise la concurrence, la compétitivité et l'innovation, mais non à l'aliénation aux puissances de l'argent !

M. le Président de la commission - Et c'est la banque Rothschild qui vous parle ! (Sourires)

M. Henri Emmanuelli - S'il vous reste un peu de dignité, vous devez faire en sorte que la République réagisse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 11 heures 40 est reprise à 11 heures 50.

Mme Marylise Lebranchu - Il règne un grand froid politique depuis quelques jours dans cette assemblée, mais également un froid réel, et c'est avec le sourire, Monsieur le président, que je vous demande de faire appel à nouveau à une société publique d'entretien des chauffages, car la société privée n'a pas fait ses preuves (M. Christian Paul applaudit).

M. le Président - La présidence a pris bonne note de votre remarque, qu'elle avait du reste anticipée. Mais que la société soit privée ou publique, il s'écoulera forcément un peu de temps avant que cette salle ne se réchauffe. Certains ont dit que février serait chaud, faisons en sorte qu'il en soit au moins ainsi dans l'hémicycle.

J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

AVANT LE TITRE PREMIER

M. Rodolphe Thomas - Permettez-moi tout d'abord de saluer la présence du ministre de l'Éducation nationale...

Plusieurs députés socialistes - Enfin !

M. Rodolphe Thomas - Apprendre à apprendre, c'est ce que peut apporter le contrat d'apprentissage à l'ensemble des jeunes. L'apprentissage, lorsqu'il est bien préparé, est une filière par excellence. Les résultats sont là. Près de 90 % des jeunes qui en sortent avec un diplôme sont sauvés de la précarité, parce qu'ils ont trouvé un métier au sein de l'entreprise qui les a accueillis, ou dans une autre. L'expérience qu'ils ont acquise leur permet de mieux s'intégrer dans la société. On ne le répétera jamais assez, la formation en entreprise est un atout unique. L'entreprise a donc vocation à devenir un lieu de formation à part entière, Les régions peuvent favoriser l'émergence de nouvelles filières d'apprentissage, en fonction des demandes des entreprises.

L'apprentissage junior doit être un outil adapté à la motivation du jeune. Ce parcours d'initiation aux métiers comprend des enseignements généraux et technologiques, mais surtout des stages en milieu professionnel. C'est une faculté proposée, et non imposée, aux jeunes et à leurs familles. La formation en alternance est le moment où le jeune passe d'un état passif, à celui d'acteur économique. La vie en collectivité, le travail en équipe, la prise de responsabilités, s'apprennent sur le tas.

Nous devons penser à tous ces jeunes exclus de tout dispositif d'insertion sociale ou professionnelle, et en voie d'être marginalisés parce que déscolarisés. Ce projet répondra à l'attente des familles qui se sentent abandonnées par le système scolaire classique.

J'en viens à l'amendement 455...

M. le Président - Vous aviez semblé défendre jusqu'ici l'amendement 492, mais je crois comprendre que vous voulez en faire une présentation commune avec l'amendement 455.

M. Rodolphe Thomas - Parfaitement. Ce dernier tend à inscrire dans la loi elle-même le principe selon lequel la diversité est l'essence même de la nation qui, une et indivisible, nourrit cette unité par la richesse des apports de l'histoire et rayonne de la diversité des individus qui la composent. C'est en ce sens que la République reconnaît et garantit à tous l'égalité des chances. De ce fait, il est solennellement rappelé que l'égalité des chances est assurée dans l'accès à toute organisation, publique ou privée, collectivité territoriale ou locale, administration centrale ou déconcentrée, association, entreprise, parti politique ou organisation syndicale.

M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Sur ces deux amendements....

M. le Président - Les deux amendements étant assez différents, je propose que l'on reste sur le 455.

M. le Rapporteur - Tout d'abord, cet amendement est satisfait par la Constitution, et notamment le préambule de 1946. Par ailleurs, les motifs de discrimination évoqués ne représentent qu'une partie de ceux énumérés par l'article du code du travail qui vise à assurer l'égalité dans le monde du travail. Vous risqueriez d'amoindrir la portée de cet article. Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - Le Gouvernement partage l'avis de la commission. Monsieur Thomas, vous avez parlé d'orientation : c'est bien ce à quoi, avec Gilles de Robien, nous souhaitons travailler. L'orientation se fait d'abord au niveau de la formation initiale, mais elle doit aussi pouvoir se faire tout au long de la vie. L'égalité des chances, ce n'est pas simplement pour les jeunes, et les contrats de professionnalisation doivent y contribuer, y compris pour les seniors.

M. Yves Durand - Je voudrais d'abord me féliciter de la présence du ministre de l'éducation nationale, au moment où nous allons aborder l'un des points essentiels de ce projet, à savoir la fin de la scolarité obligatoire à seize ans. Son absence prolongée était inadmissible. J'avais, sans succès, demandé son audition en commission, puis sa présence dans l'hémicycle mardi après-midi. Mais mieux vaut tard que jamais !

M. Christian Paul - Il avait d'autres soucis depuis quelque temps !

M. Yves Durand - J'avoue ne pas avoir très bien compris le rapport entre cet amendement et sa présentation. Je ne peux en tout cas laisser dire que l'entreprise est le meilleur lieu de l'orientation : selon notre conception de l'égalité des chances, c'est à l'école qu'il revient de donner à tous les mêmes chances d'apprentissage des connaissances, et par là même d'une véritable orientation, non pas d'une orientation par l'échec ou par défaut, mais d'une orientation choisie. Ne demandons pas à l'entreprise ce qui n'est pas sa mission ; l'orientation dans l'entreprise répondra nécessairement à ses propres besoins à court terme, et elle engagera le jeune sur une voie qui ne sera pas adaptée à l'ensemble de sa vie professionnelle. On sait bien que le problème n'est plus désormais de se former à un métier, mais d'acquérir la capacité d'en changer. Voilà pourquoi j'ai proposé de créer un véritable service public de l'orientation.

Cet amendement me paraît donc à la fois flou et dangereux, et j'aimerais obtenir quelques éclaircissements.

M. Francis Vercamer - Cela tombe bien : étant l'auteur de cet amendement, je vais tenter de vous en apporter, même si je ne doute pas un seul instant qu'en mon absence Rodolphe Thomas l'ait fort bien défendu.

Il me paraissait important de commencer un texte sur l'égalité des chances par la reconnaissance de la diversité au sein de notre République, dans un nouveau titre que j'intitule « Principes généraux en faveur de l'égalité des chances ». Il s'agit de rappeler que notre société est fondée sur la diversité culturelle et sociale, et partant d'affirmer que toute organisation reflète la diversité de la nation - faute de quoi il y a présomption de discrimination. Cela permettra à la HALDE de s'appuyer sur la loi.

M. Daniel Paul - Il faut surtout des moyens !

M. Francis Vercamer - Le Président Dubernard, en évoquant hier les Etats-Unis, a oublié de dire que ce pays avait pris ce type de dispositions. J'espère qu'il votera l'amendement, qui va dans le sens qu'il souhaitait !

M. Victorin Lurel - Le débat commence comme il doit commencer, par les fondements philosophiques sur lesquels doit reposer ce projet. Je me réjouis d'entendre le groupe UDF parler de diversité ; celle-ci s'illustre bien dans les tribunes, d'où nous regardent des jeunes de toutes les couleurs, échantillon représentatif de notre société. Or, cette diversité n'est pas inscrite dans nos textes fondamentaux. Vous présentez un projet de loi pour l'égalité des chances sans commencer par la définir.

Beaucoup, à droite comme à gauche, affirment que la diversité menacerait l'unité de la République. Pour ma part, je reste persuadé qu'il faut prendre exemple sur ce qu'ont fait nos ancêtres dans cet hémicycle : Aristide Briand a su reconnaître que la société française était devenue multiconfessionnelle et faire adopter par ses collègues la très belle loi de 1905 sur la laïcité, qui reconnaît à chaque individu la liberté de conscience et la liberté de pratiquer un culte. De même, nous pouvons aujourd'hui reconnaître à chaque individu le droit à son identité culturelle et le droit à l'égalité des chances, laquelle commence dès le plus jeune âge. C'est le sens de cet amendement, que, Français d'outre-mer, je soutiens sans réserve.

M. le Président - Nous en arrivons au vote.

Mme Marylise Lebranchu et M. Yves Durand - Nous voudrions expliquer notre vote.

M. le Président - Il n'y a pas d'explications de vote sur les amendements.

M. Christian Paul - Ne soyez pas désagréable !

M. le Président - Je ne fais qu'appliquer le Règlement.

M. Yves Durand - Alors, le texte de l'amendement que vient d'expliquer M. Vercamer, est fort différent de l'exposé qui en avait été fait par M. Thomas. Je n'y suis pour rien ! Nous reviendrons sur le problème de l'orientation. En ce qui concerne le principe de diversité, et même s'il figure dans l'article L.122-45 du code du travail, il n'est pas inutile de le rappeler dans le présent texte. Je soutiens donc l'amendement 455.

M. Rodolphe Thomas - Si j'ai pu vous induire en erreur, je le regrette. Mais je croyais avoir été clair.

L'amendement 455, mis aux voix, n'est pas adopté.

TITRE PREMIER

M. François Rochebloine - L'amendement 492 vise à inscrire dans l'intitulé même que ce texte est exclusivement relatif à l'emploi des jeunes.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Les dispositions relatives aux contrats de professionnalisation et aux zones franches urbaines concernent les adultes.

L'amendement 492, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

AVANT L'ART. PREMIER

M. Christian Paul - Nous commençons la discussion sur un des points essentiels du texte : le droit à l'éducation, et nous allons enfin entendre, je l'espère, le ministre de l'éducation nationale. Ce projet de loi, qui a pour origine la crise des banlieues, menace clairement l'obligation scolaire dans notre pays. L'amendement 371 vise donc à rappeler que la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans, conquête de la République, doit demeurer le lot de l'ensemble des jeunes Français.

Depuis des années existait une volonté très largement partagée de revaloriser l'enseignement technique et de faire de l'enseignement par alternance une voie d'excellence. Alors que, dans les 24 régions sur 26 que nous dirigeons, nous nous efforçons de construire l'alternance, le Gouvernement entreprend, à la faveur d'une crise sociale, de faire de l'apprentissage une réponse à l'échec, un remède à la déscolarisation. L'école renonce à traiter l'échec scolaire : elle va le sous-traiter. Cela a été une profonde surprise et une réelle indignation, au moment où des actes de violence dans de nombreux quartiers révélaient la crise sociale et la perte de repères des jeunes, d'entendre le Premier ministre déclarer que la principale réponse était l'apprentissage à quatorze ans et donc la remise en cause de l'obligation scolaire.

Il y avait d'autres stratégies possibles. On pouvait notamment refonder l'éducation prioritaire, mais vous avez préféré réduire inexorablement les moyens des ZEP. Comme vous le faites depuis 2002 en matière d'emplois aidés, on casse d'abord, puis on fait semblant de reconstruire. Les coupes à la hache dans les postes entraînent la suppression de BEP, de bacs professionnels, d'IUT et de BTS : en deux ans, en Bourgogne, plus de 500 postes ont été supprimés dans le secondaire, d'abord dans les filières techniques et technologiques ! À la faveur de cette loi, vous vous apprêtez à procéder à un transfert massif depuis l'éducation nationale vers l'apprentissage précoce. C'est une nouveauté politique détestable dont vous devez rendre compte devant la représentation nationale. L'alternance, qui commençait à être une filière d'excellence, va devenir une filière d'exclusion. C'est rendre à la jeunesse française un très mauvais service. Le groupe socialiste s'efforcera de démontrer que vous faites fausse route.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. L'amendement est déjà satisfait : le droit à la formation tout au long de la vie est consacré par le code du travail depuis la loi du 4 mai 2004, que vous n'avez pas votée, et la scolarité obligatoire par l'article L.131-1 du code de l'éducation. Il n'est pas utile de réécrire ces lois, ni d'ailleurs de refaire le débat sur l'école.

M. le Ministre - Cet amendement a pour seul objet de dire que le droit à l'éducation et à la formation tout au long de la vie est garanti à chacun sur l'ensemble du territoire : il est fort éloigné de votre argumentaire, qui aborde toute la politique de l'éducation nationale. L'article L. 111-1 du code de l'éducation garantit déjà le droit à l'éducation et il dispose que la formation scolaire favorise l'épanouissement de l'enfant, lui permet d'acquérir une culture et le prépare à la vie professionnelle et à l'exercice de ses responsabilités d'homme et de citoyen. L'amendement est donc largement satisfait. Avis défavorable.

M. Yves Durand - Il est évident qu'à l'occasion de ce titre premier, nous parlerons de l'avenir de l'école : nous considérons que votre texte remet en cause le principe fondamental de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans - sans le dire, bien sûr, mais le résultat est le même. L'apprenti junior n'est qu'une formule commerciale qui cache le retour à la sélection précoce et la fin, de fait, de la scolarité obligatoire pour tous. Si, à chaque fois que nous vous démontrons que votre texte contredit le code tel qu'il est, vous nous répondez que nous n'avons pas à refaire le débat sur l'éducation, il n'y a plus guère de discussion possible ! Disons d'ores et déjà qu'il n'est plus utile de parler de l'école, puisque cela a été fait à l'occasion d'une loi tronquée et discutée en urgence.

Sur ce problème de fond, nous voudrions obtenir des réponses aussi sérieuses que les questions que nous posons, et non pas qu'on nous dise que « c'est dans le code de l'Éducation ». Nous ne nous contenterons pas de réponses par circulaires.

M. le Président - Par souci de pluralisme, je donnerai la parole à un orateur de tous les groupes qui le souhaitent.

M. Victorin Lurel - En tant que député, je légifère pour toute la nation. Mais je suis aussi président de la région Guadeloupe, et lorsqu'on nous dit que, dans cet amendement, nous énonçons des évidences, je pense à ces milliers de jeunes de la Guadeloupe, mais aussi des quartiers défavorisés d'ailleurs, qui sont démobilisés, déscolarisés, désocialisés. Il y a des possibilités de formation tout au long de la vie, nous répond-on. Mais lesquelles, dans leur cas ? J'ai dû créer une école de la seconde chance sur les seuls fonds de la région, sans dotation de l'État.

Dans votre projet, vous ne définissez pas l'égalité des chances, mais vous procédez à une réorientation complète de la politique éducative, sans évaluation ni étude d'impact, dans une vision libérale où les individus sont atomisés. Or, l'égalité des chances n'est pas assurée de la même façon sur l'ensemble du territoire, elle ne l'est pas pour les jeunes des DOM, ni pour ceux issus de l'immigration. Il faut travailler à mieux prendre en compte cette diversité.

M. Daniel Paul - Un droit, Monsieur le ministre, dans l'éducation comme ailleurs, ne vaut que si l'on donne les moyens de le faire respecter. Laissez-moi prendre l'exemple de ma région du Havre, qui souffre plus que d'autres du chômage, de la précarité et de l'échec scolaire. Sur les neuf collèges de ma circonscription, sept étaient classés en ZEP - c'est tout dire. Dans le premier projet du rectorat, on n'en maintenait que trois. Sans tenir compte de la réalité économique et sociale, il s'agissait simplement de récupérer des moyens. L'apprentissage ensuite, lorsque je gérais un CFA municipal, était une voie normale de la réussite ; vous allez le transformer en chemin vers l'échec, en y poussant des jeunes sans leur donner les moyens nécessaires. Enfin, les classes d'intégration scolaire, qui accueillent des enfants en grande difficulté, doivent être maintenues, simplement parce qu'il n'y a pas assez d'enseignants formés pour les accueillir dans les classes ordinaires, malgré ce que prévoit la loi sur le handicap que nous avons votée : là encore, les moyens ne suffisent pas. Donc, ne nous répondez pas que des droits sont inscrits dans les textes, si le refus des moyens nécessaires leur ôte toute réalité.

M. Alain Joyandet - M. Durand nous appelle au débat de fond. C'est ce que je ferai au nom de mon groupe. En réalité, nos objectifs ne sont pas éloignés. Nul ne remet en cause la scolarité jusqu'à seize ans (Si ! sur les bancs du groupe socialiste). Nul ne souhaite priver les apprentis des savoirs fondamentaux. Simplement, beaucoup de jeunes quittent l'école sans diplôme et en même temps, il y a beaucoup moins de jeunes en préapprentissage qu'il y a une vingtaine d'années. Il s'agit donc de favoriser l'apprentissage, qui est positif, sur la base du volontariat, avec possibilité de retour à l'école.

M. Christian Paul - C'est un mythe !

M. Alain Joyandet - C'est dans le texte. Selon les études, dont celle de l'INSEE, l'apprentissage, qui s'est beaucoup développé, y compris pour les diplômes d'ingénieurs, est le cursus qui permet le mieux de trouver un emploi..

M. Christian Paul - Mais pas à quatorze ans !

M. Alain Joyandet - ... et d'obtenir un contrat stable. Dans son excellente étude, Mme Tharin fait des recommandations qui vont également dans ce sens. C'est ce que fait le Gouvernement. Nous souhaitons tous élever le niveau d'instruction des jeunes. Simplement, nous voulons que les jeunes en grande difficulté, qui sont volontaires, qui pourront revenir en arrière, aient plus tôt la possibilité d'entrer dans la vie active et de s'intéresser à un métier. Nous soutenons donc cette politique qui, j'en suis sûr, portera ses fruits.

M. Bernard Accoyer - En application de l'article 61, alinéa 2, sur l'amendement 371, je demande un scrutin public avec vérification du quorum. Nous souhaitons en effet que l'Assemblée cesse de piétiner et aborde enfin le texte. Or, depuis 48 heures, l'opposition a multiplié les manœuvres grossières d'obstruction... 

M. Daniel Paul - Quatre ministres sont intervenus !

M. Pierre Cardo - Mais vous en vouliez même un cinquième : le Premier ministre.

M. Bernard Accoyer - Elle a multiplié les motions de procédure, les rappels au règlement non fondés pour bloquer les travaux. Et cette opposition n'avance aucune contre-proposition (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Durand - Vous n'étiez pas là !

M. Christian Paul - Vous êtes un intermittent du débat !

M. Bernard Accoyer - Chacune des motions de procédure a été défendue durant une heure et demie !

Mme Martine David - C'est le temps de parole réglementaire ! Vous faisiez de même lorsque vous étiez dans l'opposition !

M. Christian Paul - Il faut bien que nous exposions nos arguments, le débat n'a pas eu lieu en commission !

M. Bernard Accoyer - J'ajoute qu'hier M. Brard n'a pas voulu défendre la motion de renvoi en commission et l'opposition s'est rassemblée pour exiger la suspension des travaux près d'une heure et demie avant la fin de l'heure prévue.

M. Didier Migaud - Cinéma !

M. Christian Paul - Bravo pour le débat de fond !

M. Bernard Accoyer - C'est une question de fond ! Avec trois motions d'une heure et demie chacune, nous assistons à une dérive des travaux parlementaires. M. Brard s'est plaint de s'exprimer ce matin devant un hémicycle vide et déserté par ses amis (Brouhaha sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) mais il a jugé bon de s'absenter en cette fin de séance !

M. Henri Emmanuelli - Vous n'étiez pas là de toute la matinée !

M. Pierre Cardo - Évitons les attaques personnelles !

M. Bernard Accoyer - Je demande la vérification du quorum dès ce matin pour que les socialistes ne puissent pas utiliser cette procédure ce soir afin de retarder nos travaux (« Voilà ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Migaud - L'aveu ! Manœuvrier !

Mme Marylise Lebranchu - C'est petit !

M. Bernard Accoyer - Les socialistes, non contents de tenir des propos déplacés envers un membre du Gouvernement hier soir, et de demander de nombreuses interruptions de séance sans raison, ne proposent qu'une solution complètement inadaptée aux réalités : des emplois publics sans débouchés, sans formation et sans indemnité de chômage pour les jeunes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Paul - Quel salmigondis !

M. le Président - Le scrutin est annoncé.

M. Henri Emmanuelli - Monsieur Accoyer, contrairement à vous, nous étions dans l'hémicycle ce matin pour écouter M. Brard (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous n'êtes donc en rien habilité à demander la vérification du quorum. Il est vrai que votre rôle de président du groupe UMP de l'Assemblée vous laisse peu de repos...

Sur le fond, la gauche n'est pas hostile à l'apprentissage et à l'alternance. Elle n'ignore pas non plus que de nombreux jeunes sortent du système scolaire sans qualification. Mais au lieu de résoudre cette question, vous institutionnalisez la régression !

M. Pierre Cardo - Certainement pas !

M. Henri Emmanuelli - Vous revenez sur une avancée sociale : l'allongement de la scolarité obligatoire à seize ans. Or, la bataille se livrera désormais sur le terrain du savoir et tous les travailleurs, qu'ils soient manuels ou intellectuels, devront emmagasiner des compétences pour entrer dans la compétition. Au fait, avec l'apprentissage junior, vous créez une sous-catégorie ! Il est vrai que, sur les bancs conservateurs, on a toujours rêvé d'une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci. Et moins elle sera instruite, plus elle sera malléable !

M. Pierre Cardo - Vous dévalorisez l'apprentissage !

M. Henri Emmanuelli - Ce n'est pas en excluant les jeunes en difficulté dès quatorze ans que vous faciliterez leur intégration dans la république ! D'ailleurs, vous avez imaginé cette mesure pour les enfants des autres (Protestations sur les bancs du groupe UMP), non pour les vôtres. M. Accoyer nous accuse de manoeuvres dilatoires - en lesquelles il était passé maître lorsqu'il était dans l'opposition - mais il commence par bloquer les travaux de l'Assemblée durant une heure ! Chacun appréciera la cohérence de la démarche.

Nous n'avons tenu aucun propos discourtois envers les ministres hier soir. Je me suis simplement permis d'indiquer à l'un d'entre eux qu'il ne fallait pas réécrire l'histoire. D'ailleurs, quand la majorité s'avise de le faire, cela se termine mal... Pour preuve, l'amendement sur les effets positifs de la colonisation. Mais, si la gauche, pas plus que la droite, n'a le monopole de la lutte contre les discriminations, c'est elle qui s'est battue pour les droits de l'homme (Protestations sur les bancs du groupe UMP), ceux de la femme (Même mouvement) et qui a manifesté pour que l'on se souvienne de Malik Oussekine jeté à la Seine. La droite a toujours été du côté de la matraque ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Cazenave - Minable !...

M. Henri Emmanuelli - Bref, on ne doit pas réécrire l'histoire pour convenances personnelles !

M. Daniel Paul - L'attitude de M. Accoyer s'explique fort bien. Il tente d'accélérer les débats, car, comme le Gouvernement, il craint que les manifestations de mardi prochain ne rassemblent un nombre croissant de salariés et de jeunes qui auront pris conscience du danger que représente le CPE.

Hier soir, M. Brard n'a pas défendu la motion de renvoi en commission tout simplement parce qu'on ne lui a pas donné la parole. Quatre ministres sont intervenus. Commencer l'examen d'une motion à minuit, ce n'est pas travailler dans des conditions normales. Mieux valait le renvoyer à la séance de ce matin.

M. Pierre Cardo - Il nous est arrivé de travailler bien plus tard. Nous avons terminé l'examen de la loi Borloo un samedi à 6 heures du matin !

M. Daniel Paul - Ce texte constitue une rupture avec l'histoire sociale, culturelle et économique de notre pays. Avec le CPE, vous voulez mettre fin...

M. Richard Cazenave - ...Au chômage !

M. Daniel Paul - Non, aux garanties sociales arrachées par les salariés au fil du XXe siècle. Certes, vous faites la preuve aujourd'hui que la politique peut changer les choses, mais dans le mauvais sens. Vous soutenez une minorité - les patrons - face au peuple ! Vous bâillonnez l'Assemblée nationale ! Vous présentez un amendement de trois pages qui n'a pas été débattu en commission ! Vous institutionnalisez la précarité avec le CPE !

À la question du chômage des jeunes et de l'emploi, nous voulons apporter notre contribution. Tout au long de ce débat, nous défendrons l'idée d'une nouvelle sécurité de la vie professionnelle parce qu'aujourd'hui, comme à la Libération avec la sécurité sociale que vous démolissez également, il faut mettre en place de nouvelles protections pour le salarié. Nous ne vous laisserons pas casser le code du travail au profit du contrat individuel. Nous voulons sécuriser les parcours professionnels.

M. Richard Cazenave - Sécuriser le chômage plutôt !

M. Daniel Paul - Pour la présidente du Medef, Mme Parisot, « comme la vie, comme l'amour, le travail devrait être précaire ». Ce n'est pas notre vision !

M. le Président - Je suis saisi, par le président du groupe UMP, d'une demande de vérification du quorum en application de l'article 61 du Règlement, avant de procéder au vote de l'amendement 371. Je constate que le quorum n'est pas atteint. Compte tenu de l'heure, le vote de l'amendement 371 est reporté à la séance de cet après-midi.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

            La Directrice du service
            du compte rendu analytique,

            Catherine MANCY

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 1ère séance du mardi 31 janvier 2006.

p.20, à la troisième ligne du troisième alinéa de l'intervention de M. Joël Beaugendre,

lire : « ...promouvoir 85 % d'adjoints et 15 % d'agents administratifs. »...


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