Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du jeudi 6 avril 2006

Séance de 15 heures
83ème jour de séance, 194ème séance

Présidence de M. Maurice Leroy
Vice-Président

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à quinze heures.

Retour au haut de la page

gestion des déchets radioactifs (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et déchets radioactifs.

M. Daniel Paul - Les enjeux du débat d’aujourd’hui sont aussi considérables que ceux du débat relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire de la semaine dernière. L’industrie nucléaire n’est certes pas la seule à produire des déchets toxiques, mais c’est elle qui en produit le plus, et leur toxicité peut perdurer pendant des dizaines de milliers d’années. La responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis de nos concitoyens et des générations futures nous oblige à plus de prudence que d’habitude, d’autant plus que le monde de l’énergie est en mouvement. En effet, ce secteur jusqu’alors concentré en grandes entreprises publiques et intégrées est désormais ouvert à la concurrence. Au prétexte que celle-ci est le nec plus ultra économique, la libéralisation de ce secteur pourtant très spécifique va substituer aux monopoles publics des oligopoles privés qui privilégieront la rentabilité. Alors que nous devrons envisager le financement de la prise en charge des déchets, l’étalage des dividendes des actionnaires et les sommes colossales dilapidées dans des opérations d’acquisition – plus de deux cents milliards d’euros ces dernières années, sans aucun impact positif ni sur les prix, ni sur l’emploi – révèlent combien ces groupes détiennent d’énormes capitaux. La fusion de Suez et de GDF ne ferait qu’aggraver la situation. Les processus industriels de la filière nucléaire s’étendent sur de très longues périodes et relèvent de choix de société. Seul l’État peut garantir le respect de nos engagements vis-à-vis des générations futures. Les entreprises concernées doivent rester publiques, et le contrôle des déchets doit, pour rester démocratique, associer les élus, les associations, les salariés, les scientifiques et les citoyens en général. Ces deux exigences sont au cœur de notre débat qui, au-delà des seuls déchets, concerne l’ensemble de la filière.

Les axes de recherches dont l’organisation avait été confiée par la loi Bataille de 1991 au CEA et à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs ont donné des résultats encourageants, notamment en matière de stockage en couche géologique profonde. Pourtant, dans ce domaine, il faut rester prudent, car toutes les propositions de la loi n’ont pas été suivies. Elle prévoyait par exemple la réalisation de plusieurs laboratoires souterrains, mais seul le site de Bure a fait l’objet d’études – qui doivent naturellement se poursuivre. L’absence de comparaison avec d’autres terrains nous empêche de décider aujourd’hui d’un site d’enfouissement géologique, d’autant plus que les conclusions des experts divergent. L’IRSN souhaite poursuivre les recherches, et la commission nationale d’évaluation n’a délivré aucun feu vert définitif, malgré son appréciation positive des études déjà menées dans la Meuse. En outre, ni l’Allemagne, ni les États-Unis ni la Finlande n’ont ouvert de tels sites : à l’étranger aussi, l’enfouissement géologique n’en est qu’à sa phase de recherche. Malgré ces doutes persistants, la faisabilité de cette méthode de gestion des déchets est inscrite dans le texte, qui fixe même la date de mise en exploitation du centre de stockage à 2025. Nous en appelons à la prudence : l’étape décisive de la création d’un tel centre devra faire l’objet d’un nouveau débat, de décisions intermédiaires et démocratiques et d’un vote au Parlement. Le principe de précaution exige que l’on poursuive les recherches et la consultation des populations locales, avec pour objectif la réversibilité à long terme du stockage des déchets en couche géologique profonde.

De même, les incertitudes demeurent quant à l’avenir des procédés de séparation et de transmutation – dont dépend la quantité totale de déchets – même si des résultats encourageants ont, là aussi, été obtenus. Les recherches effectuées par le CEA permettent d’envisager la gestion efficace de différents types de radioéléments. En séparant les matières hautement toxiques de celles que l’on peut réutiliser, on pourrait réduire à 5 % du volume initial les déchets hautement toxiques à vie longue, et récupérer jusqu’à 95 % des combustibles usés. Le CEA admet déjà la plausibilité d’une utilisation industrielle de ces procédés. Toutefois, ces recherches sont liées à la mise en service d’une centrale de quatrième génération le plus tôt possible. Qu’en sera-t-il après l’arrêt du réacteur Phénix à Marcoule ? L’absence d’une véritable filière à neutrons rapides limite largement nos capacités de recyclage de combustible usé sous forme d’uranium de retraitement ou de combustible à base de plutonium. À cet égard, votre texte laisse planer le doute : l’article 4 ne mentionne pas la séparation et la transmutation, éléments pourtant essentiels du plan national de gestion des déchets. En outre, les syndicats déplorent que les financements du CEA consacrés à ces recherches soient insuffisants. Le fonds de recherche de l’ANDRA ne concerne que l’entreposage et le stockage ; les recherches sur la séparation et la transmutation, mission du CEA, échappent ainsi à la contribution financière des producteurs. À ce titre, nous regrettons que ni le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, ni la commission nationale d’évaluation n’aient pour mission de définir les besoins financiers de l’ensemble de la recherche. Il faut préserver la pluralité des choix. Pour chacun des trois axes de recherche prévus par la loi Bataille, le texte doit prévoir les modalités d’évaluation et de financement.

Autre insuffisance du projet de loi : la sécurisation du financement de la gestion des déchets radioactifs, pourtant indispensable. Prévisions et provisions sont nécessaires à long terme, et c’est d’elles que dépend en partie l’acceptation de votre projet par la filière. Jusqu’à présent, la maîtrise publique couplée à une filière intégrée permettait la prise en compte de l’intégralité du cycle de production et le traitement continu et sécurisé des déchets. Grâce aux financement public, le coût du traitement des déchets était pris en compte dans le prix du kilowatt/heure, et la responsabilité du producteur était engagée. Pourtant, vu l’évolution du contexte économique et politique, les dispositions du projet de loi sont insuffisantes. Naturellement, nous approuvons l’application du principe du pollueur–payeur, car les exploitants doivent contribuer au provisionnement du traitement des déchets. Mais l’utilisation de ces provisions constituées par les entreprises est mal garantie. Le contrôle de ces fonds n’implique ni les représentants des salariés, ni les comités locaux d’information et de suivi. Il ne prémunira donc pas contre les dérives qui ont pu être observées par le passé : il faut donner des droits nouveaux aux salariés, aux élus locaux et aux usagers.

En outre, la loi laisse aux producteurs la responsabilité de définir des processus de démantèlement des installations existantes, d’évaluation des coûts futurs et de gestion des actifs dédiés, alors que ces choix concernent la collectivité tout entière. Nous avons adopté la semaine dernière un texte qui rappelle l’importance des enjeux de transparence en matière nucléaire. Le même principe devrait valoir pour la gestion des déchets. Le démantèlement, l'aval du cycle du combustible et la gestion des déchets doivent être soumis à un contrôle public élargi. Il s'agit en effet non d'aléas à couvrir, mais d'activités industrielles à part entière, qui peuvent être planifiées. Ce sont donc les richesses créées par les entreprises qui doivent les financer.

Comment s’assurer, d’autre part, que les exploitants des centrales n'emploieront pas ces provisions à des opérations financières de court terme ? Je ne suis pas convaincu, Monsieur le ministre, par les explications que vous avez données ce matin. Comment être sûr que Ies entreprises exploitantes seront à même, en cas de dépôt de bilan, de financer la gestion des déchets ? Il y a soixante ans, ni GDF ni Suez n’existaient ; aujourd’hui, on murmure que ces deux entreprises pourraient constituer un nouveau groupe qui implanterait des centrales nucléaires dans notre pays. Mais que deviendra-t-il dans soixante ans ? Sera-t-il racheté par un fonds de pension étranger ? De quels moyens disposera l’État si ce fonds décide de se séparer de sa centrale en laissant ses déchets sur notre territoire ?

L'environnement concurrentiel crée donc des incertitudes inacceptables en matière de financement des déchets. Nous voici à nouveau confrontés aux choix que votre majorité a faits en 2004. La gestion des déchets nucléaires requiert des moyens sûrs, sur le long terme, qui sont difficilement compatibles avec les enjeux de court terme des marchés financiers. L'instabilité économique que vous avez créée dans le secteur énergétique, main dans la main avec la Commission européenne, impose d'opter pour une solution qui sécurise les fonds destinés à la gestion des déchets. La meilleure serait de garantir des entreprises à 100 % publiques, mais on sait quel cas vous faites de la propriété des capitaux dans la filière nucléaire.

Les populations doivent être pleinement intégrées dans le débat sur l'avenir des déchets. Dans un secteur qui éveille la défiance, la dynamique des débats publics engagée par la Commission nationale du débat public doit être poursuivie. Il faut en effet un débat dans la durée pour faire partager les connaissances scientifiques et techniques et permettre aux populations de donner leur avis sur des questions qui concernent leur environnement, leur santé, leur avenir et leur territoire de vie. Il n'est pas ni envisageable ni acceptable de cantonner les débats à une sphère d'initiés. L'organisation de consultations des populations, y compris par référendum local, permettrait de répondre en partie à ces défis.

L'émotion suscitée par la réalisation du seul site retenu à ce jour, Bure dans la Meuse, mais aussi la mobilisation des populations locales autour du débat sur l'enfouissement témoignent d'une réelle volonté d'information et de participation. Il ne s'agit certes pas de donner un pouvoir décisionnel au seul échelon local, mais l'État ne peut être seul décideur en la matière. Il faut entendre et comprendre cette émotion si l'on veut que la filière nucléaire civile soit assumée par nos concitoyens. On ne pourra faire l'économie de tels débats, qu'il s'agisse des déchets ou de l’ensemble de la filière nucléaire.

Votre texte manque à la fois de clarté dans les objectifs et les financements, d'ambition démocratique et industrielle et de prudence. Et c'est parce que nous soutenons la filière nucléaire civile, vecteur d'indépendance nationale, élément essentiel dans la lutte contre l'effet de serre, outil de développement industriel et de qualification des hommes, que nous sommes aussi exigeants. Or, beaucoup d'interrogations et de craintes ne sont pas levées, dans un contexte qui n'est plus celui de 1991 et de la loi Bataille. En quinze ans, le monde de l'énergie s’est considérablement libéralisé, et les exigences de citoyenneté sont plus fortes. Nous ne pouvons donc voter ce texte.

M. Jean-Claude Lenoir - Les excellentes interventions matinales du ministre, du président de la commission et du rapporteur rendent inutile une partie de l’intervention que j’avais préparée. Je voudrais néanmoins, au nom du groupe UMP, apporter mon soutien à ce texte et formuler quelques observations.

Pendant longtemps, le nucléaire a été un sujet tabou…

M. Yves Cochet - C’est de votre faute !

M. Jean-Claude Lenoir - …autour duquel les scientifiques entretenaient le secret.

M. Yves Cochet - Quel aveu !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Vous voilà enfin, Monsieur Cochet !

M. Jean-Claude Lenoir - Il a fallu attendre la fin des années 1980 pour que soit enfin abordé dans cet hémicycle un sujet qui est d’abord un débat de société. Les débats de société cachent souvent des fantasmes ou des sujets que l’on ne veut pas évoquer de façon directe.

M. Daniel Paul - Comme le CPE !

M. Jean-Claude Lenoir – Il importe pourtant que l’on puisse les expliciter par un vrai débat démocratique.

Que de chemin parcouru depuis 1991 ! M. Paul nous a parlé de débat démocratique : parlons-en ! Jamais sujet ne fut soumis à un tel débat public, à travers les rapports, les études de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et la participation de la Commission nationale d’évaluation et de l’ANDRA : bref, il y a eu un vrai débat sur le devenir de nos déchets, un vrai processus démocratique et une démarche exemplaire, avec l’éminente contribution du Parlement.

Lorsque la loi Bataille a été votée en 1991, peu nombreux étaient ceux qui croyaient vraiment qu’un projet de loi serait présenté quinze ans plus tard par le Gouvernement, comme prévu. La date de 2006 avait été retenue parce qu’elle était éloignée des échéances électorales prévisibles. Le respect de l’engagement pris est à mettre au crédit du ministre de l’industrie. Les promoteurs du texte de 1991 ne susurraient-ils pas que le Gouvernement ne ferait rien ? Du reste, ces précautions s’avèrent inutiles : la sérénité s’est installée dans ce débat.

M. Christian Bataille - Vos propos n’y contribuent pas !

M. Jean-Claude Lenoir - Nous faisons preuve de volonté et de responsabilité. Notre parc électronucléaire assure 80 % de la production d’électricité : il faut assumer l’aval du cycle et maîtriser les techniques de stockage des déchets nucléaires à haute activité. La facilité eût été de ne rien faire et de léguer aux générations futures le soin de stocker des déchets qui ne rempliraient d’ailleurs qu’une piscine olympique – trois lorsque toutes les centrales nucléaires aujourd’hui en service auront cessé de fonctionner.

On a souvent tendance, lorsqu’on parle du nucléaire, à présenter la France comme un pays seul. Mais un certain nombre de pays utilisent l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité…

M. Yves Cochet - Ils sont une minorité en Europe !

M. Jean-Claude Lenoir - …et la communauté scientifique internationale concourt à la recherche de solutions. Un consensus s’est établi en faveur du stockage en couche géologique profonde des déchets nucléaires à haute activité. Un de nos collègues a rappelé, avec raison, que la loi de 1991 prévoyait la réalisation de deux lieux de stockage. Mais l’ANDRA travaille, non seulement à Bure, mai aussi sur des sites étrangers.

En 1991, nous avions une loi de recherche ; aujourd’hui, nous avons une loi industrielle. Nous sommes passés de l’organisation de la recherche au processus industriel de réalisation d’un centre de stockage des déchets en France. Ce qui fait l’originalité de la France, c’est l’affichage de la réversibilité – qui faisait encore débat en 1991. Le choix est désormais fait ; il impose des obligations quant aux outils dont nous devons être dotés et à la surveillance et au contrôle des installations. Il faudra bien sûr poursuivre les recherches : le dossier est en effet loin d’être clos et chaque jour, nous pouvons améliorer notre connaissance des techniques.

Ce projet de loi, que nous soutenons ardemment, présente plusieurs intérêts. Il met en place un plan national, fixe un programme de recherches, prévoit une évaluation indépendante ainsi qu’une information large et transparente du public, confirme le rôle de l’ANDRA – à laquelle nous donnerons les moyens non seulement financiers mais aussi politiques de remplir sa mission –, définit le régime juridique des installations de stockage et prévoit les financements nécessaires. Sur ce dernier point, plusieurs amendements ont été déposés, contre lesquels certains collègues ont déjà dit leur intention de voter. Attendons le débat, ai-je envie de leur dire ! Ce texte constitue un acte fondateur essentiel. Nous souhaitons l’améliorer encore, et je suis persuadé que nous en trouverons les voies et moyens. Il le faut, s’agissant d’un combustible qui inquiète l’opinion.

Un dernier mot, Monsieur le Président, si je puis solliciter la bienveillance de l’homme originaire du Perche que vous êtes, comme moi – je profite d’ailleurs de cette allusion à notre belle province percheronne pour saluer les maires de ma circonscription présents dans les tribunes. Le nucléaire a fait l’objet d’un débat de société. Le débat doit se poursuivre car il nous faut aujourd’hui assumer nos choix. Le Gouvernement nous offre la possibilité de le faire. Nous assumerons nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Merci, cher collègue, de ce témoignage de solidarité percheronne !

M. Christian Bataille – Ce projet de loi est une étape importante dans une histoire déjà ancienne. Nos gouvernants se sont préoccupés trop tard du dossier des déchets radioactifs, en tout cas après que les décisions ont été prises en matière de nucléaire civil pour la production d’électricité. Le dossier n’a été ouvert qu’a posteriori. Si le problème soulevé par les déchets de faible et moyenne durée de vie peut être considéré comme résolu, il n'en va pas de même pour les déchets à durée de vie longue. Le pouvoir politique, entraîné dans l'impasse par des conseillers scientifiques assez arrogants et sûrs d'eux-mêmes, avait dû, en 1990, reculer devant la mobilisation de la population qui s’expliquait par l’absence de transparence.

Le gouvernement de Michel Rocard avait décrété un moratoire, sollicité l'avis du Parlement qui avait transmis le dossier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. J'avais alors rendu, au nom de l'Office, un rapport qui a inspiré la loi de 1991. La démarche actuelle est donc le fruit d'un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, fait, hélas, inhabituel dans notre Ve République dont le talon d'Achille, l'actualité le prouve, réside parfois dans l’obstination, voire l'autisme, du Gouvernement.

La loi de 1991, que j'ai eu l'honneur de rapporter, posait trois grands principes. Tout d’abord, la responsabilité, en assumant dans notre pays la gestion de nos déchets et en rejetant l'idée, un moment avancé, de les exporter vers des pays pauvres et disposant d'espaces désertiques. Ensuite, la transparence, en rompant avec la culture du secret qui, hélas, n'a pas partout disparu. Enfin, la démocratie, en privilégiant le dialogue avec les communes, les départements et les régions et en prévoyant une consultation puis un vote du Parlement.

Pour répondre à la montée de l'irrationalisme, et parfois de l'obscurantisme, la loi de 1991 a donné la priorité à la connaissance (Rires de M. Cochet) et lancé un programme de recherche de quinze ans dans trois directions : recherche fondamentale sur la séparation-transmutation, entreposage en surface, stockage souterrain – j’insiste sur ce terme de stockage car ceux qui parlent d’enfouissement le font à dessein, pour dévaloriser le projet. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

C'est à la lumière du bilan de la loi de 1991 que le Gouvernement propose aujourd’hui ce texte qui concerne la recherche mais aussi la gestion des déchets à longue durée de vie, lesquels représentent une part minime du volume de déchets radioactifs mais plus de 95 % de leur toxicité. Ce rendez-vous de 2006 est essentiel car on ne peut discuter de l’avenir de l’énergie nucléaire sans avoir résolu le problème de la gestion des déchets.

Ce projet de loi est le fruit de la réflexion de votre administration, Monsieur le ministre, mais aussi du Parlement qui, à travers l'Office, a suivi le programme de recherche. J'ai personnellement remis de nombreux rapports sur le sujet : « L'évolution de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité », dont le tome 1 était consacré en 1996 aux déchets civils et le tome 2 en 1997 aux déchets militaires, « L'aval du cycle nucléaire », dont le tome 1 en 1998 présentait une étude générale et le tome 2 en 1999 traitait des coûts de production de l'électricité, « L'entreposage à long terme des combustibles nucléaires irradiés », paru en 2001, enfin, le rapport que j’ai cosigné avec vous, Monsieur le rapporteur, paru l’an passé et intitulé « Une loi en 2006 sur la gestion durable des déchets radioactifs » – je regrette à cet égard que le terme « durable » ait disparu dans l’intitulé de ce projet de loi.

Le texte qui nous est soumis va dans la direction souhaitée en 1991. Le groupe socialiste souhaite toutefois qu’il soit nettement amélioré. La trentaine d’amendements que nous avons déposés s’inspire directement de la proposition de loi cosignée par l’ensemble des députés du groupe. Nous espérons qu’ils feront l’objet d’une discussion approfondie.

Ils se résument en quatre points. Nous souhaitons tout d’abord avoir la garantie que les trois axes de recherche seront bien poursuivis. Les recherches sur l'entreposage ont besoin de programmes complémentaires. La recherche en laboratoire souterrain à Bure a donné des résultats encourageants mais elle doit être menée à son terme, notamment sur le comportement à long terme des sources radioactives en milieu géologique profond. Les recherches sur la séparation-transmutation sont elles aussi essentielles, indispensables à tout projet de réversibilité du stockage – il est insupportable à cet égard que certains aient pu dire que ces recherches étaient coûteuses et inutiles. Une clarification s’impose enfin en matière de financement : certaines recherches, relevant de la gestion industrielle, sont à la charge des consommateurs d'électricité et donc des producteurs de déchets, tandis que d’autres, fondamentales, relevant de la politique gouvernementale, reposent sur la collectivité nationale. Quinze ans après le vote de la loi de 1991, il est évident que ces trois axes de recherche ne sont pas concurrents mais complémentaires.

Nous souhaitons en deuxième lieu que les réponses nécessaires en matière de gestion industrielle soient apportées et que la date de leur mise en œuvre soit précisée. Un entreposage national, correspondant à des besoins précis auxquels ne répondent pas ceux qui existent déjà, devra être créé d’ici à dix ans et prendre en compte l'entreposage de longue durée des combustibles irradiés non retraités et des MOX usés. L'ANDRA, dont c'est la vocation, doit être chargée de tous les nouveaux entreposages. Un stockage souterrain profond réversible devra, lui, être mis en service d'ici vingt ans, avec d’ici là, la présentation d’un bilan des recherches puis une demande d'autorisation de création présentée par le Gouvernement à l’horizon de dix ans. La mise en œuvre industrielle de la transmutation, enfin, est à prévoir avec la construction de réacteurs de quatrième génération d'ici à 2035-2040.

Nous entendons ensuite que le Parlement soit consulté dans une dizaine d'années sur la création d'un stockage souterrain profond. La loi prévoit déjà que la commission nationale du débat public sera saisie. Il n'en est que plus naturel que le Parlement ait à se prononcer sur cette question par un vote.

Enfin, nous serons très attentifs à la réponse du Gouvernement sur la création d'un fonds externalisé dédié, géré par un comité indépendant, assisté d'un conseil scientifique, et dont la gestion financière serait assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Je reviendrai sur ce point lors de la présentation de la motion de renvoi. Il s'agit en effet de sommes très importantes, acquittées par les consommateurs. Une cohérence générale est donc souhaitable, tant en ce qui concerne le financement des programmes de recherche que celui des installations d'entreposage et de stockage ou encore le versement de la contribution exceptionnelle de développement territorial. Cette disposition est centrale et nous ne comprendrions pas que la majorité usât d’artifices procéduraux, je pense en particulier au redoutable article 40, pour éviter la discussion sur ce point.

Je me réjouis, Monsieur le ministre, que vous ayez renoncé à la procédure d’urgence et je veux dépasser les misérables polémiques entamées par M. Lenoir. Nous souhaitons un débat approfondi qui dépasse les querelles politiciennes. Notre groupe a limité le nombre de ses amendements, mais ceux-ci sont précis et devront être étudiés avec attention.

Il y a quinze ans, le Parlement a sorti ce dossier de l’impasse. À vous, Monsieur le ministre, de nous prouver que vous êtes animés du même état d’esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Gatignol - Respectant le rendez-vous fixé en 1991, vous proposez au Parlement, Monsieur le ministre, un texte rassemblant les éléments d'une gestion à long terme des substances radioactives recensées sur notre territoire. Il se fonde sur une éthique de décision et sur le principe de responsabilité : les générations actuelles, qui bénéficient de l'énergie nucléaire, ont le devoir de mettre en œuvre, en pensant aux générations futures, une gestion sûre, rigoureuse et pérenne.

Pour ce faire, nous n'allons pas à l'aventure, bien au contraire, puisque nous pouvons nous appuyer sur un socle scientifique très riche, constitué par les rapports de la recherche, de l'industrie, du débat public, du Comité économique et social ou de la Commission nationale d'évaluation. Et nous trouvons dans les rapports de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, sous la signature de Claude Birraux et de Christian Bataille, des informations précises et des propositions extrêmement pertinentes.

Le temps de la réflexion – quinze années – a permis d'avancer vers le temps de nouvelles décisions, en l'état des connaissances de l'année 2006. Nous avons ainsi acquis la certitude que la couche géologique d'argile, vieille de 150 millions d'années, étudiée dans le laboratoire créé par l’ANDRA à Bure, a toutes les caractéristiques pour recevoir dans de bonnes conditions des colis de substances radioactives de haute activité et à vie longue. Sur une base scientifique incontestable, la décision politique peut donc être prise de créer un site de stockage souterrain en couche géologique profonde.

Mais les deux autres voies de maîtrise des déchets radioactifs sont également maintenues et font l’objet de programmes de recherches importants. La France se dote ainsi de tous les moyens pour optimiser l'usage de l'énergie nucléaire, de la mine d'uranium au kilowatt/heure, et donne une réponse à la question du tri, du recyclage, de la valorisation des combustibles usés et, enfin, à celle des résidus industriels. La filière française devient vraiment une réalité globale et une référence internationale.

Un consensus se dégage aussi sur la question des délais : dix années de travaux de laboratoire sont nécessaires pour certifier les procédés et acquérir la maîtrise industrielle et dix autres pour aménager un centre de stockage. Nous serons alors en 2025, c'est-à-dire demain à la mesure du temps de vie de certains éléments radioactifs.

La qualité des travaux de l’ANDRA est à souligner. Mais il est souhaitable, alors que nous venons de voter la loi sur la transparence et la sûreté nucléaire, qu'une forte coopération internationale s'instaure en vue d’une harmonisation, source d’une plus large confiance du public. Quels sont vos objectifs sur ce point, Monsieur le ministre ?

Les missions de l’ANDRA, établissement public autonome, sont élargies et précisées. Elles s’étendent au plan national de gestion des matières radioactives, qui sera élaboré, pour la première fois, au 31 décembre 2006. Pour être crédible, cette gestion a besoin d’un financement sûr, individualisé et transparent et elle doit elle-même être une source de valeur ajoutée. Un fonds est ainsi créé au sein de l'ANDRA pour faire face aux charges de recherches et études sur l'entreposage et le stockage profond. Il est alimenté par une taxe spécifique « recherche », additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base. Un second fonds, destiné au financement de la construction et de l'exploitation des installations, provient des contributions des exploitants propriétaires des colis de déchets. Un troisième financement est dédié aux actions de développement dans la zone de proximité.

Il est évident que le lien entre la propriété des substances, leur conditionnement et la gestion des colis est primordial. La responsabilité de l'exploitant-propriétaire doit donc être confirmée, l'État n’ayant pas à s'y substituer : d'ailleurs, là où c'est le cas, aux États-Unis par exemple, cela ne marche pas.

Un regard sur les décennies précédentes nous permet de saluer l'extraordinaire épopée de l'énergie nucléaire au service de la population et de l'économie de notre pays. À ses débuts, les gouvernants de l'époque ont pris des décisions ambitieuses ; des industriels performants ont su appliquer les conclusions des chercheurs. Il a fallu concevoir le bon réacteur et en prévoir les évolutions. Il a fallu maîtriser toutes les procédures. Aujourd'hui, nous avons à l'échelle industrielle un procédé de valorisation-recyclage du combustible usé et une solution validée pour la gestion des résidus. L'ensemble de la filière nucléaire est ainsi reconnue. Les Français peuvent en être fiers.

Ce texte, Monsieur le ministre, était nécessaire pour donner au Parlement, au-delà des considérations techniques et scientifiques, l'expression de son rôle législatif dans le domaine ô combien stratégique de l'énergie : c'est-à-dire la décision politique, au service du développement durable.

M. Yves Cochet - Non !

M. Claude Gatignol - Cette décision est contenue dans ce texte amendé et nous le voterons.(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Dumont - Après le débat sur la sûreté nucléaire que nous avons eu il y a huit jours, nous abordons un autre débat relatif au nucléaire qui nous interpelle tous, collectivement, tant il prépare l’avenir, et qui intéresse tout particulièrement les élus meusiens que nous sommes, M. Dosé et moi.

En 1991, j’ai voté comme beaucoup d’autres la loi Bataille, qui faisait sortir le nucléaire de la chape du silence et du secret d’État pour le faire entrer dans une culture du débat public, de l’information et de la responsabilité. Responsabilité, car si demain la décision était prise d’arrêter la filière électronucléaire, il y aurait tout de même des déchets à traiter et des centrales en fin de vie à démanteler, sans parler du nucléaire militaire, qui reste étrangement absent de nos débats.

Après la loi Bataille, qui organisait la recherche et indiquait les financements à mettre en œuvre pour maîtriser les diverses technologies, nous avons eu le sentiment que les débats étaient de nouveau réservés soit aux anti-nucléaires, soit aux spécialistes, docteurs ès sciences. Pourtant, la décision en ce domaine doit bel et bien relever du politique et du débat public. Sa légitimité repose sur des rendez-vous réguliers ici-même.

Si nous étions nombreux à voter la loi Bataille, nous n’avons été que quelques-uns à aller jusqu’au bout de la démarche, dans un esprit de responsabilité et de solidarité, et à nous porter candidats pour accueillir, sachant que le sol argileux de la Meuse présentait les caractéristiques requises, le site de recherche sur le stockage souterrain. La Meuse s’est comportée en département responsable et solidaire, elle doit être reconnue comme telle et aidée à ce titre. À lire certaines publications, on pourrait croire que le laboratoire se trouve dans le désert de Gobie. Il n’en est rien ! C’est la commune de Bure, la Meuse et dans une moindre mesure le département voisin de la Haute-Marne qui accueillent ce site de recherche à proximité duquel pourrait être installé demain un centre de stockage réversible en couche géologique profonde si l’enfouissement était la solution retenue par le Parlement. Il faudra d’ailleurs déterminer la position exacte de ce futur centre d’un côté ou de l’autre de la frontière départementale afin d’éviter que certains ne se sentent floués.

Rappelons-nous que lorsque la Meuse, volontaire pour accueillir le laboratoire, a vu arriver les premiers escadrons de l’ANDRA venus tester le sol meusien, elle a ressenti beaucoup de mépris de la part des scientifiques. C’est pourquoi je me félicite que la présidence de l’Agence ait été confiée à un élu, M. Gonnot, et non plus à une personne reconnue pour ses seules capacités techniques. Nous y avons beaucoup gagné en capacité d’écoute et en proximité.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Jean-Louis Dumont – Monsieur le ministre, j’espère que cette expérience sera renouvelée. La direction actuelle de l’ANDRA est donc sur le bon chemin. Cependant, les Meusiens n’ont pas oublié qu’on leur a témoigné beaucoup de mépris et que certaines promesses, fussent-elles d’une simplicité biblique, n’ont pas été tenues.

Les élus de la Meuse soutiennent le laboratoire et le stockage réversible en couche profonde, ils peuvent donc se montrer d’autant plus exigeants vis-à-vis du Gouvernement. Nous apprécions d’ailleurs, Monsieur le ministre, que vous ayez pris la peine de visiter le laboratoire de Bure après M. Christian Pierret. Nous exigeons que le stockage soit réversible et que l’on continue d’alimenter les recherches sur les trois axes, y compris sur la transmutation et la séparation. Grâce à la science, nous saurons peut-être demain réutiliser des déchets, considérés ultimes, comme combustibles. Il ne faut donc pas prévoir, comme le faisait initialement le Gouvernement, la fermeture du puits. Nous pouvons stocker mais nous pouvons aussi entreposer les déchets en sub-surface. Certains pensent que le secteur de Bure pourrait également être utilisé à cette fin. Il revient au Parlement d’en décider et au conseil général de la Meuse d’en débattre. Monsieur le ministre, ce dernier a montré qu’il pouvait accepter les évolutions fixées au Parlement, faites-lui donc confiance.

Reste que tout cela doit s’accompagner d’un effort de solidarité. Les terres de Meuse et de Haute-Marne partagent une histoire et des difficultés communes, elles ont été les oubliées de l’histoire après avoir beaucoup donné. Il faut donc mettre en œuvre une véritable politique d’aménagement du territoire et de développement économique. En juin 2005, M. le préfet de la Meuse envoyait aux élus du département un document annonçant une évaluation des interventions économiques de chacun. Ce projet n’a pas été mené à son terme, preuve que beaucoup reste à faire dans ce domaine. Que l’ANDRA distribue quelques subventions aux communes n’est pas suffisant même si certaines communes ont eu ainsi les moyens de faire des investissements. C’est une question éthique et politique. Ces interventions économiques au profit des départements doivent être encadrées. Nous sommes d’ailleurs quelques élus dans la Meuse à avoir prouvé que nous faisions passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers. Le président d’EDF, à votre demande, Monsieur le ministre, après que vous avez rencontré les élus meusiens, a enfin nommé un responsable pour l’aide économique qui a fait bonne impression. Pour une fois, celui-ci ne s’est pas contenté de donner un rendez-vous trois mois après ou d’expliquer que les décisions sont prises à Paris. Les élus meusiens demandent seulement que l’on soutienne les porteurs de projet de leur département pour un développement économique durable. Notre département est couvert de forêts : nous pourrions y développer la biomasse comme cela se fait partout ailleurs en Europe pour produire de l’électricité. EDF serait-il d’accord pour acheter l’électricité ainsi produite et RTE pour la distribuer ? La filière forestière permet de maintenir la population sur notre territoire et d’offrir des perspectives d’avenir aux jeunes. Bref, nous ne demandons pas que Paris distribue de l’argent. Nous demandons simplement que l’on prenne en considération notre territoire, ses richesses et qu’on y crée du développement durable pour qu’il ne reste pas un « territoire poubelle ».

Quand le Parlement se réunira dans une dizaine d’années pour examiner à nouveau le problème de la gestion des déchets nucléaires, la question du stockage réversible en couche profonde à Bure ne se posera peut-être plus, mais encore faut-il que le financement des recherches sur l’entreposage et la transmutation soit assuré. Depuis 1991, beaucoup de chemin a été parcouru et dans dix ans, la science permettra peut-être de répondre à des questions aujourd’hui en suspens. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour dire à EDF, à AREVA et à l’ANDRA que le territoire de la Meuse mérite une attention particulière.

On compte sur le Parlement pour comprendre la démarche des élus meusiens et entendre, s’il le fallait, leurs questions. Que vous soyez pour ou contre, que vous ayez partagé les secrets du nucléaire ou que vous souhaitiez aujourd’hui ouvrir la question au débat public, on compte sur vous pour écouter un territoire qui ne doit pas regretter, un jour, d’avoir accepté ce que la nation lui demandait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe UMP).

M. Yves Cochet - La première chose qui me vient à l’esprit, s’agissant déchets nucléaires, c’est qu’il est urgent de les réduire et donc de sortir du nucléaire. Ce projet de loi ne poursuit naturellement pas cet objectif. Votre choix de relancer le nucléaire, et par conséquent d’accumuler de plus en plus de déchets, introduit donc une contradiction fondamentale dans ce qui est un débat de société, et même un débat de civilisation. Croire qu’au cours du XXIe siècle, on parviendra à maîtriser l’ensemble du cycle nucléaire, et notamment les déchets, parce que la France est championne du monde de la technologie nucléaire et que la démocratie n’y semble pas menacée, c’est ignorer totalement l’histoire humaine ! Considérez donc ce qui s’est passé au XXe siècle : si le nucléaire avait été inventé un siècle plus tôt, nous ne serions sans doute plus là pour en parler ! Parier sur l’angélisme de l’humanité, à long terme, est tout simplement une aberration. Il faut sortir le plus vite possible du nucléaire.

Permettez-moi aussi de m’étonner de la précipitation que vous avez mise à faire entériner par la représentation nationale des lois qui engagent notre pays pour les siècles à venir. Pourtant, nous avions l’espoir que dans ce domaine, le processus démocratique serait respecté.

M. le Président de la commission – Pourquoi n’êtes-vous pas venu en parler en commission ?

M. Yves Cochet – J’ai, comme chacun, des responsabilités… J’espère que cela ne constituera pas votre seul argument tout au long du débat et que vous daignerez me répondre sur le fond.

M. le Président de la commission – J’exprimais seulement un regret !

M. Yves Cochet - Moi aussi, je le regrette, mais comme les rapports de force actuels changeront sans doute l’an prochain, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Vous avez voulu instituer une commission particulière du débat public sur la gestion des déchets nucléaires avant de prendre toute décision officielle. Cela nous changeait singulièrement des faux débats précédents : l’an dernier, c’est après avoir inscrit dans la loi la construction d’un EPR qu’on a réuni une commission du débat pour discuter de l’opportunité d’en construire un ! Mais reste que votre texte diverge singulièrement des conclusions de ce débat public et qu’aucun rendez-vous parlementaire futur n'est prévu, bien que certain amendement pourrait changer cela, s’il est adopté.

M. Claude Birraux, rapporteur de la commission des affaires économiques - Il le sera.

M. Yves Cochet - Vous préjugez du vote de l’Assemblée !

M. le Rapporteur – Je comptais sur vous pour le voter !

M. Yves Cochet – Il est vrai que la majorité a beaucoup à faire sur d’autres dossiers…

Que devient le contrôle démocratique lorsqu’une décision aussi importante que celle de réaliser un site de stockage en couche géologique profonde est prise par décret ?

Nous prenons acte, Monsieur le ministre, de votre décision de ne pas appliquer la procédure d'urgence, qui ne se justifiait en aucune manière. On a déjà pris quinze ans pour réfléchir, et quinze années supplémentaires ne seraient pas de trop pour la communauté scientifique. Nous souhaitons en revanche ne pas attendre aussi longtemps le prochain débat parlementaire qui permettra de faire le point sur les recherches.

Cette loi de programme, qui nous engage pour des centaines d'années et dont nous serons comptables vis-à-vis des générations futures, est censée être le fruit du débat démocratique. Or, force est de constater qu’elle ne respecte pas les conclusions du débat public qui avait fait ressortir la nécessité de continuer les recherches dans les trois voies définies par la loi Bataille : séparation-transmutation, entreposage et stockage en couches géologiques profondes. En effet, il ressort clairement du projet que cette dernière option est considérée comme la solution de référence, les autres étant seulement complémentaires. Vous devez assumer ce choix. Le débat public avait pourtant clairement fait apparaître l'entreposage comme une alternative crédible et beaucoup moins contestée par les populations. En outre, de nombreuses incertitudes pèsent encore sur la méthode du stockage et de nombreuses années de recherche sont encore nécessaires. D’ailleurs, les premiers déchets de haute activité sont encore beaucoup trop chauds et ne pourront être enfouis avant trente ou cinquante ans. Nous avons donc du temps pour réfléchir.

Quant à l’exigence de la réversibilité du stockage, vous la minimisez en prévoyant sa limitation dans le temps. Il est vrai que ce principe ne figurait pas dans les premières options : il a été décidé plus récemment que la loi Bataille, et il a fallu l’imposer.

M. Jean-Louis Dumont - Une bataille que nous avons gagnée !

M. Yves Cochet - Mais si vous êtes pour la réversibilité, pourquoi faut-il creuser aussi profond ? Autant mettre les déchets en surface ou subsurface ! Cela coûterait beaucoup moins cher et ils seraient plus faciles à récupérer si la recherche trouvait une autre solution. Nous sommes favorables à l'inscription dans la loi du principe de réversibilité, mais celui-ci doit être appliqué à la gestion des déchets dans son ensemble : en l'état actuel des choses, il faut rien décider qui interdise un retour en arrière ou un changement d'option en cas d'avancée scientifique. Or, on sent bien que l’hypothèse de la réversibilité vous gêne.

M. le Président de la commission et M. le rapporteur – Mais pas du tout !

M. Yves Cochet – Enfin, qu’est-ce qu’un déchet radioactif ? Cela dépend de la politique industrielle qu’on a. C’est ce qui fausse le débat : il n’existe pas une définition unique. Sont maintenant exclues de la définition de déchets et donc, d’après votre politique, soustraites aux règles les plus contraignantes, des matières aussi dangereuses que le plutonium ou le MOX irradié ! Cela ouvre la porte à tous les abus, et en premier lieu à l’autorisation de stockage de ces matières lorsqu’elles proviennent de pays étrangers, alors qu’elles constituent bel et bien des déchets au sens de la jurisprudence de la cour de cassation et de la Cour de justice de la Communauté européenne. En totale contradiction avec les engagements de la loi Bataille, ce projet de loi redonne à la France les moyens d'être la poubelle nucléaire du monde. Avec un peu de chance, ce ne sera pas concentré dans la Meuse : il y a déjà beaucoup de déchets dans le Cotentin ! Je vous invite donc tous à venir le 15 avril participer à une grande manifestation antinucléaire : nous ne voulons pas de l’EPR à Flamanville. Je vous signale à ce propos qu’il faudra tout de même bien choisir entre l’EPR et la quatrième génération : l’investissement financier est tel que nous ne pourrons pas faire les deux.

Antidémocratique, irréaliste, précipité, ce projet de loi est en contradiction avec les déclarations vertueuses qui l'accompagnent. Au nom de ces générations futures que vous prétendez défendre, je proposerai des amendements. S'ils sont repoussés, je me verrai contraint de voter contre ce texte.

M. Luc-Marie Chatel – Les engagements pris dans la loi de 1991 ont été respectés : il y a eu durant ces quinze années un partenariat constructif entre gouvernements et Parlement, quelles qu’aient été les alternances, qui est bien loin de la pratique courante. De nombreux travaux ont été menés, couronnés par le rapport Birraux–Bataille – et je tiens à saluer le travail assidu de nos deux collègues – qui est à l’origine de ce projet de loi. Quinze ans plus tard, on peut tirer un premier bilan des recherches dans les trois voies d’exploration prévues, même si l’on peut regretter que le deuxième site de laboratoire prévu par la loi, destiné au stockage souterrain, n’ait jamais été construit.

Ce projet de loi effectue certains choix dont l’importance est essentielle. Le premier est celui de la poursuite des trois voies de recherche que sont l’entreposage en surface, le stockage souterrain et la transmutation. Même si l’on n’en est pas au même point dans les trois branches, il est indispensable pour les générations futures que nous continuions à affecter à chacune des moyens financiers afin que, le moment venu, la représentation nationale puisse faire le meilleur choix. Le second est le principe de réversibilité. Considérant les recherches complémentaires qui seront menées d’ici à 2015 et l’éventuelle transformation du laboratoire de Bure-Saudron en centre de stockage, il est essentiel qu’il soit acquis pour une durée longue – au moins une centaine d’années.

M. le Président de la commission – M. Cochet est déjà parti ? C’est comme cela qu’il participe au débat ? C’est incroyable !

M. Luc-Marie Chatel - Troisième élément : l’indépendance des expertises, particulièrement rassurante pour tous. Notre génération est face à ses responsabilités : en tant que parlementaires et pour les générations à venir, nous devons enfin résoudre la question des déchets nucléaires. Elu de la Haute-Marne, je puis affirmer que la population prendra également ses responsabilités, comme les habitants de la Meuse d’ailleurs, si elle adhère entièrement à ce projet. Nous devons pour cela faire preuve de pédagogie et avoir un débat serein nous permettant d’aboutir au consensus le plus large possible sur les décisions à prendre. Nos populations ont besoin de garanties, de transparence et de concertation, que le contrôle du Parlement est sans doute le mieux à même de leur apporter. Nous avons débattu en commission du principe d’un rendez-vous parlementaire à l’issue de la nouvelle étape de recherche à Bure-Saudron. Compte tenu des contraintes constitutionnelles dont a fait part M. le président de la commission, j’ai co-signé un amendement de M. le rapporteur qui constitue une solution provisoire mais nous devrons débattre, à l’occasion de la discussion de ce projet, du meilleur moyen d’organiser cet indispensable rendez-vous. Même si nous sommes conscients des limites d’un référendum départemental, nous devons en outre inventer localement une nouvelle démocratie participative car il faut impérativement prendre en considération l’avis des populations. Le texte améliore certes le fonctionnement du comité local d’information, mais ce qui s’est passé il y a quelques jours en Haute-Marne n’est guère rassurant.

Les populations ont également besoin de garanties en matière d’accompagnement économique. La Haute-Marne, comme la Meuse, seront solidaires sur la question du traitement des déchets radioactifs, mais nos territoires sont enclavés et il ne s’agit pas d’acheter le silence des populations : nous avons besoin d’être aidés. Le rapporteur, en commission, a évoqué le nombre de thèses qui ont été élaborées à Bure. Quelle concentration de matière grise ! Cela constitue certes un atout majeur, mais nous manquons de moyens en matière de recherche et développement. Depuis quinze ans, en effet, nous restons sur notre faim. Certes, les fonds d’accompagnement à destination des GIP ont permis d’investir dans le développement économique, le développement d’infrastructures et le développement local, mais les promesses d’industrialisation – je pense en particulier à l’implantation d’AREVA ou d’EDF – ne se sont pas concrétisées.

Deux pistes, enfin, me semblent essentielles : avec le rapporteur, nous avons déposé un amendement tendant à créer un centre de recherche et de diffusion de la culture scientifique et technique en Haute-Marne et en Meuse. Il s’agit ainsi de s’inspirer de la loi de programmation pour la recherche prévoyant la création de pôles de recherches et d’enseignements supérieur. En outre, la création d’un pôle de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire hors de l’Île-de-France a été annoncée lors du dernier CIACT. La Haute-Marne et la Meuse – comment pourrait-il en être autrement ? – sont évidemment candidates à son implantation.

Nous soutenons donc l’architecture de ce texte équilibré mais des interrogations et des exigences demeurent auxquelles vous devrez répondre, Monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet – Ce rendez-vous est essentiel pour notre politique nucléaire. Il était d’ailleurs prévu par la loi et a été préparé par de nombreux travaux et plusieurs rapports. Notre discussion prend un relief particulier au moment où nous vivons de grandes mutations en matière énergétique : perspective du peak-oil et du peak-gaz

M. Yves Cochet – Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - …aggravation de l’effet de serre, démographie mondiale dynamique conjuguée à l’émergence de nouvelles économies dont les besoins énergétiques sont en forte croissance. La France, forte de son parc électro-nucléaire et de son expérience, a un rôle particulier à jouer. Le monde en est conscient, comme a eu l’occasion de le constater la mission d’information sur l’effet de serre : c’est là un fait, une chance, une responsabilité. En France, 85 % de notre électricité est d’origine nucléaire. Si nous voulons être un modèle, nous devons faire des propositions industrielles – c’est déjà le cas – mais surtout en matière de gouvernance et de transparence ainsi que de gestion des déchets. On dénombre un peu moins de cinq cents réacteurs dans le monde ; leur augmentation prévisible ne sera supportable que si des solutions partagées sont trouvées sur ces deux volets.

Ce texte dessine des perspectives. La transmutation en est une, même s’il ne s’agit pas encore d’une solution, tout comme le stockage réversible en couche géologique profonde, en l’occurrence sur un plan technique mais aussi éthique : le déchet à vie longue n’est pas comme les autres ; sa durée lui confère une forme d’éternité et comme le disait M. le président de la commission ce matin, nous vivons dans un temps qui ne nous appartient pas. Choisir la réversibilité, c’est laisser la porte ouverte aux générations futures – celles que nous évoquions dans la charte de l’environnement, désormais constitutionnelle – pour qu’elles participent à un débat auquel elles ont droit, mais c’est également relever le défi de l’humilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Dosé – La majorité, en commission ou en séance publique, en appelle au consensus. La discussion ouverte sur les amendements, votre décision de lever l’urgence, Monsieur le ministre, facilitent les échanges. Néanmoins, le consensus, loin d’être une obligation, témoigne d’un aboutissement sur un accord sans équivoque quant aux objectifs, aux moyens et aux méthodes. L’expression respectueuse de nos accords et de nos désaccords contribuera plus et mieux qu’un consensus mou à la prise en considération des nécessaires exigences économiques, financières, environnementales, sanitaires, démocratiques qu’attendent nos concitoyens.

Premièrement, le pluriel des laboratoires de la loi de 1991 devient un singulier quinze ans plus tard : honorerons-nous cette obligation législative, et comment ? Si tous les députés sont candidats militants dans leur circonscription, le deuxième laboratoire verra bientôt le jour…

M. Jean-Louis Dumont - On en couvrirait même le pays !

M. François Dosé – Deuxièmement, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution depuis le 28 février 2005. Permet-il d’abandonner la notion de stockage irréversible ?

Troisièmement, le Parlement est au cœur de la décision politique. Sera-t-il in fine le véritable décideur de la création d’un centre de stockage, et non un simple conseiller ?

Quatrièmement, selon la convention d’Aarhus, ratifiée par la France, la consultation des populations concernées doit être prise en considération lors de la décision. Qu’en sera-t-il ?

Cinquièmement, les études doivent se prolonger jusqu’en 2015 sans qu’aucune solution ne soit privilégiée. Les travaux préliminaires dans la zone de transposition seront-ils donc exclus, et financera-t-on à hauteur équivalente les trois axes de recherche ?

Sixièmement, les redevances actuellement versées par les usagers sont une provision indispensable pour les générations futures. Seront-elles protégées des aléas spéculatifs qui affectent des entreprises à géométrie variable ?

Septièmement, enfin,: les territoires concernés expriment des attentes, et leur contribution est nécessaire. Qui fera quoi ?

Telles sont les questions incontournables auxquelles doit répondre ce débat qui, au fond, est moins technique que politique et citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Cornut-Gentille - Face à ce dossier que j’aborde sans a priori, je reste perplexe, voire méfiant. J’entends ici de brillants ingénieurs qui souhaitent la réalisation rapide du stockage en profondeur, et là des associations – parfois politisées – qui posent des questions sans pour autant y proposer des réponses.

M. le Rapporteur – J’ai été l’un des parlementaires à organiser de nombreux débats sur le sujet !

M. François Cornut-Gentille - L’obstacle principal au stockage en profondeur, c’est la volonté de certains de l’imposer sans discussion. Or, forcer la main ne fait que renforcer les soupçons. Tel est pourtant l’état d’esprit de ce projet de loi. Quelques précautions s’imposent donc pour garantir davantage de transparence, et c’est à cela que visent mes amendements.

M. le Rapporteur – N’avez-vous donc pas lu le rapport ?

M. François Cornut-Gentille - Tout d’abord, il faut étudier la réalisation d’un entreposage en faible profondeur. Cette option n’est peut-être pas la bonne, mais refuser d’explorer toutes les pistes reviendrait à jeter le doute sur notre démarche. La recherche est impartiale ; à trop l’orienter, on la dénature. Du reste, l’existence du seul laboratoire de Bure, alors que deux autres étaient prévus, donne la désagréable impression que la décision a été arrêtée avant même la fin des recherches et l’adoption de la loi.

M. Yves Cochet - Eh oui !

M. François Cornut-Gentille - Ainsi, en inscrivant l’entreposage à faible profondeur dans la loi, on préserve l’objectivité de la démarche scientifique.

Ensuite, il faut prendre le temps de poursuivre les recherches sur la durée de réversibilité en matière de stockage en profondeur.

Le Parlement doit pouvoir se prononcer lorsqu’il sera temps de valider cette option. À quoi sert de demander dix années supplémentaires de recherche si l’on considère que le choix est déjà fait ?

Le déplacement des déchets que provoqueront l’entreposage et le stockage impose l’élaboration d’un plan de circulation avant qu’une décision ne soit prise.

Au plan local, l’aide économique prioritaire distingue à juste titre les communes situées dans un rayon de dix kilomètres autour des installations de l’ANDRA, mais les bassins d’emploi concernés par la zone de transposition sont laissés pour compte. L’arbitraire du périmètre kilométrique doit céder la place à une véritable solidarité économique entre les territoires. Ainsi, je souhaite la création dans la Meuse et la Haute-Marne d’une seconde zone prioritaire qui intégrerait les bassins de Bar-le-Duc, Commercy, Saint-Dizier et Joinville.

Enfin, il est indispensable de consulter les populations concernées par le vote de tous les conseils municipaux des deux zones de proximité. Si l’option retenue est scientifiquement indiscutable et si les promesses de développement économique sont tenues, nul n’aura à craindre une telle consultation. Vouloir en restreindre la portée ne ferait que nourrir le camp des opposants.

Telles sont les précautions qu’il faut inscrire dans le projet de loi si nous voulons qu’il comporte toutes les garanties démocratiques et scientifiques qu’attendent les populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie  Je remercie M. le rapporteur d’avoir insisté, dans sa présentation du projet de loi, sur l’accompagnement économique et la sécurisation financière. Il a salué à juste titre la qualité des recherches effectuées qui, sans vouloir faire de forcing d’ingénieur, fournissent de solides bases scientifiques à notre texte. Le président de la commission a rappelé l’importance de ce rendez-vous parlementaire : les assemblées ont en effet joué un grand rôle en votant la loi Bataille de 1991. Le projet de loi prévoit l’information régulière du Parlement en la matière. Certains souhaitent, comme M. Ollier, une nouvelle discussion parlementaire : j’y suis ouvert, à condition qu’elle se déroule dans le respect de nos institutions.

M. Paul a ouvert la discussion en évoquant la très longue durée de la toxicité des déchets nucléaires. Certes, ceux-ci peuvent demeurer toxiques pendant cent ou deux cent mille années, mais les autres produits toxiques, comme l’arsenic, par exemple, le restent ad vitam aeternam ! C’est un paradoxe qu’il est bon de rappeler.

On a évoqué les deux ou trois piscines que rempliraient l’ensemble de nos déchets nucléaires. C’est une quantité à relativiser : il n’y a aujourd’hui que cinq grammes de déchets nucléaires par habitant, contre cent kilos de déchets toxiques ordinaires !

M. Paul a insisté sur la nécessité de poursuivre la recherche dans les trois axes prévus par la loi de 1991. À ce titre, le projet de loi est très clair : ce sera fait. En matière de recherche portant sur la séparation et la transmutation, la réalisation prévue en 2020 d’un prototype de réacteur de quatrième génération permettra de développer les perspectives industrielles de réduction des déchets.

M. Lenoir a rappelé, à raison, que de nombreux pays travaillent également dans ces domaines. Il a également précisé la place du nucléaire dans le coût de l’électricité, alors que certains s’imaginent pouvoir remplacer le nucléaire par d’autres sources. L’électricité nucléaire coûte environ trente euros par mégawatt/heure, contre quarante-cinq pour le gaz, soixante-dix pour l’éolien et quatre cents pour le solaire !

M. Yves Cochet - C’est faux ! Vous citez les prix hors marché ! Et les coûts de l’assurance ?

M. le Ministre délégué – J’en viens bientôt au cas Cochet.

Ai-je vraiment une chance, Monsieur Cochet, d’arriver un jour à vous convaincre si vous mettez systématiquement en doute les chiffres que je vous donne ?

M. Yves Cochet - C’est subventionné ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre délégué – Ou faites-vous tout simplement preuve de mauvaise foi ? Si cela vaut la peine de répondre à vos questions, dites-le nous : je serai heureux d’avoir un dialogue constructif avec vous.

Je remercie Christian Bataille pour tout ce qui a été fait, mais aussi pour l’esprit d’ouverture dans lequel il aborde la discussion, même s’il est l’auteur d’une proposition de loi qui présente, d’ailleurs, un certain nombre de similitudes avec notre projet. Nous ne faisons cependant pas le même choix sur la propriété des déchets : nous considérons qu’il y a une responsabilité du producteur, alors que le groupe socialiste souhaite transférer celle-ci à l’État. Les États-Unis sont le seul État au monde à avoir fait ce choix, qui n’est pas satisfaisant dans la pratique. Le coût est en effet lourd pour l’opérateur final. Je suis du reste persuadé que ce que nous proposons – la constitution par les entreprises d’un fonds interne – répond à l’objectif que vous poursuivez avec ce fonds externalisé.

Vous avez posé la question d’un entreposage d’ici à 2015. Il faut être très pragmatique sur ce sujet.

Je remercie Claude Gatignol d’avoir insisté sur le caractère durable de l’énergie nucléaire, que ce texte va encore conforter.

M. Dumont a parlé à juste titre de responsabilité et de solidarité en Meuse. C’est bien de cela qu’il s’agit, en effet, lorsque les Meusiens soutiennent ce projet. Il a également reconnu que l’ANDRA et moi-même avions fait preuve d’une grande écoute. Nous voulons en effet être à l’écoute des préoccupations de chacun dans ce domaine. Je le remercie enfin d’avoir constaté que le changement arrivait avec EDF. Nous l’attendions depuis longtemps. Pour aller plus vite, j’ai demandé au Premier ministre de créer un groupe de travail de haut niveau où siégeront élus et opérateurs. Je suis heureux que vous reconnaissiez cette avancée.

Vous m’avez aussi interrogé sur les déchets nucléaires militaires. Ils représentent aujourd’hui 12 % du volume des déchets, selon l’inventaire publié par l’ANDRA.

M. Jean-Louis Dumont - Ce n’est pas négligeable.

M. le Ministre délégué – J’en viens à la réversibilité du stockage. Nous avons inscrit dans le projet l’hypothèse d’une réversibilité obligatoire de cent ans. C’est un délai suffisamment long pour assurer une vraie réversibilité tout en se réservant la possibilité de recourir aux nouvelles techniques qui pourraient apparaître. En tout état de cause, le principe de précaution impose que nous fassions du stockage réversible pendant une longue période.

Les études menées sur le site du laboratoire de Bure ont porté sur une certaine couche d’argile, qui présente la caractéristique de ne pas laisser circuler les produits qui y sont déposés, et cela à l’horizon de centaines de milliers d’années. Ces propriétés ne se retrouvent pas à de plus faibles profondeurs. Il serait malhonnête de laisser croire qu’il y a des solutions moins chères ou plus aisées. Le stockage des déchets nucléaires exige une qualité particulière de la géologie, qui existe sur ce site selon les évaluations scientifiques et en fait un site de référence.

À Luc-Marie Chatel, je dirais que nous devons en effet tirer les leçons de la récente expérience de la CLIS. L’information et la communication sur ces questions doivent être irréprochables : il faut certes le rappeler dans la loi, mais il faut surtout faire en sorte qu’il n’ y ait pas de dérapage dans la pratique.

Vous avez insisté sur la nécessaire complémentarité des trois voies, qui est au cœur du projet, et sur l’adhésion des territoires. Notre système doit être à la hauteur des attentes : il ne faut pas seulement l’organiser, il faut aussi le faire fonctionner. Nous y veillerons.

Je remercie Nathalie Kosciusko-Morizet d’avoir insisté sur notre responsabilité ; le choix de la réversibilité en est une déclinaison. Le « défi de l’humilité » qu’elle a évoqué devrait s’imposer à tous ceux qui abordent ce dossier sous l’angle scientifique. Que François Cornut-Gentille n’en déduise pas pour autant que les ingénieurs font le forcing ! Le feraient-ils, que la députée ingénieur Kosciusko-Morizet nous rappellerait que la marque du scientifique, c’est d’abord l’humilité.

J’ai répondu ce matin à un grand nombre des questions posées par François Dosé. Il a raison, il ne s’agit pas d’avoir un débat technique, mais de tracer le cadre politique et citoyen dans lequel nous pouvons rendre intelligible un sujet qui reste ardu.

J’en viens au second laboratoire. Il faut mener beaucoup de travaux sur un site géologique avant de pouvoir le retenir comme un site potentiel. Les études conduites de par le monde sont intéressantes, mais elles ne sont pas nécessairement reproductibles en France.

Sur le rendez-vous parlementaire, nous tâcherons de trouver ensemble la formule appropriée.

Je le redis à François Cornut-Gentille, nous ne craignons pas la réaction locale. Nous sommes à l’écoute : nous avons compris qu’un tel investissement ne peut se concevoir sans l’accord des populations. Cela dit, il y a encore du travail. Le projet présente le programme, les étapes, les moyens et la procédure. Nous ne sommes pas pour autant dans l’étape décisive que redoutent certains.

Nous n’en sommes qu’à un stade où continuent de s’offrir à nous trois voies, qui toutes trois seront explorées. C’est avec humilité que nous abordons le débat, à l’écoute des populations des deux départements concernés par le stockage, mais aussi de celles vivant à proximité d’un site d’entreposage ou d’une manière générale, d’une installation nucléaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Christian Bataille - Si le groupe socialiste vous propose cette motion de renvoi en commission, c’est qu’il souhaite une réflexion plus approfondie sur le sujet. Il souhaiterait notamment que soient entendus des acteurs essentiels comme l’ANDRA qui devrait informer le Parlement sur son programme de recherches, son fonctionnement et ses modalités de financement, EDF, autrefois entreprise publique, désormais simple société de production, de transport et de distribution d’électricité, qui assure le fonctionnement de presque toutes les centrales nucléaires françaises et produit la plus grande partie des déchets, Suez-GDF qui produit d’ores et déjà de l’énergie nucléaire sur notre territoire et en produira peut-être davantage dans les années à venir, le CEA, organisme de recherche et producteur de déchets, AREVA, concepteur des matériels nucléaires et lui aussi producteur de déchets au travers de sa filiale de retraitement, la Cour des comptes enfin qui a consacré un chapitre entier de son dernier rapport au démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets radioactifs. Et cette liste n’est pas exhaustive…

L’histoire qui conduit au texte qui nous est aujourd’hui proposé est longue. Avant 1990, nous avions à sortir de la phase administrative et autoritaire de la gestion de l’industrie nucléaire en France. Notre pays avait, grâce à de multiples talents, développé une industrie nucléaire ambitieuse. Sans remettre nullement en cause la valeur personnelle indéniable des concepteurs de ce programme, force est de constater que, comme il aurait été normal en démocratie, ni les collectivités ni le Parlement n’avaient été associés. Il a fallu que le problème des déchets et les reconnaissances géologiques en vue du stockage, entreprises en plusieurs points du territoire, sèment le trouble, voire suscitent la révolte de la population, pour que le Gouvernement ressente la nécessité de pratiques plus démocratiques, et confie au Parlement l’élaboration d’un rapport. Chargé de ce rapport par l’OPESCT, j’ai pu vérifier sur le terrain, tant auprès des élus que des associations, combien la culture du secret avait prévalu jusqu’alors mais aussi que cette époque était révolue et que la transparence était devenue indispensable. Constater, comme je l’avais fait alors, que la méthode n’était pas bonne ne signifiait pas que l’énergie nucléaire n’était pas utile à notre pays.

La loi de 1991, s’inspirant de mon rapport, visait à sortir de l’impasse en faisant le point sur l’état des recherches dans un esprit ouvert et pluraliste. Cette disposition d'esprit doit demeurer : il faut absolument éviter de revenir à une forme de pensée unique, privilégiant le court terme, la rentabilité et la productivité. À commettre de nouveau ces erreurs, on courrait à coup sûr le risque d’un divorce entre les décideurs et les citoyens. Il faut maintenir un contact permanent avec la population et ne pas négliger son information. Les communes, les départements, les régions doivent aussi être consultées. Quant au Parlement, maillon essentiel de notre démocratie représentative, son vote ne saurait borner son rôle. Qu’il se prononce sur un texte comme celui qui nous est soumis ne signifie pas que le Gouvernement n'a plus de comptes à rendre. Dans un dossier aussi sensible que celui des déchets nucléaires, le Parlement a aussi un rôle de médiation et doit être un lieu de débat.

Les programmes de recherche prévus par la loi de 1991 ont replacé le débat sur la gestion des déchets nucléaires à son véritable niveau scientifique. Les recherches sur la séparation et la transmutation des déchets radioactifs ont redonné à la France une place clé dans ce domaine. La faisabilité de ces techniques a été démontrée. Le travail doit toutefois être poursuivi et approfondi pour démontrer qu'une alternative au stockage est toujours à l'étude, sans que l’on puisse préjuger de l'aboutissement des recherches.

L'industrie française pratique déjà largement l’entreposage. Les installations actuellement en service peuvent être exploitées en toute sûreté pendant une cinquantaine d'années. L’entreposage à long terme, dont l'étude a été voulue en 1991, requiert des sauts conceptuels et technologiques pour être porté à 100-300 ans. Les combustibles irradiés non retraités et les MOX usés, dont la durée de refroidissement est de 80 ans, doivent, quant à eux, faire l'objet d'un entreposage d’un type nouveau qu'il faudra définir.

Le stockage souterrain qui a, depuis le départ, focalisé l'attention et parfois déchaîné les passions, ne doit plus être la seule réponse. Depuis quinze ans, des programmes riches d'enseignements ont été développés par les chercheurs, à Mol en Belgique et au Mont-Terri en Suisse. Le laboratoire de Bure, dans la Meuse a, quant à lui, commencé ses travaux plus tard que prévu. Les premiers enseignements géologiques sont très positifs mais les recherches doivent se poursuivre.

Attentif à tous ces enseignements, le groupe socialiste a déposé une proposition de loi, qui s’inscrit dans le droit fil du texte de 1991, lequel avait à l’époque fait l’objet d’un débat consensuel. Pour des déchets nucléaires dont la durée de vie se compte en centaines de milliers d'années, il faut savoir dépasser les intérêts de court terme et le problème n'était pas plus qu'aujourd'hui de savoir si les théories libérales et les intérêts des entreprises étaient respectés mais, bien plus, de veiller à ce que des décisions d'intérêt public préservent l'avenir. Le gouvernement de gauche de l’époque n'avait pas déclaré l'urgence – je vous remercie à cet égard, Monsieur le ministre, de votre proposition de ce matin – et l'opposition avait eu toute latitude pour s'abstenir en première lecture puis apporter, discrètement, son soutien en dernière lecture. L’objectif final est aujourd’hui, comme en 1991, d’assumer nos responsabilités vis-à-vis des générations futures et de résoudre dès maintenant les problèmes que nous avons nous-mêmes créés.

Puisque les déchets radioactifs existent, il nous faut les gérer avec les moyens dont nous disposons. Dans notre pays, la question des déchets de très faible ou faible activité, qui représentent plus de 90 % du volume total des déchets, est d’ores et déjà résolue. Des installations de stockage définitif fonctionnent à Soulaines et à Morvilliers dans l'Aube.

La gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité demeure une question, même si des solutions sont à notre portée, et exige une réelle volonté politique. C'est ce à quoi s’attache notre proposition de loi dont voici résumé le contenu.

L’article premier précise les conditions générales de la gestion des déchets radioactifs. L’article 2 définit les règles relatives au retraitement des déchets étrangers. L’article 3 prévoit un plan national de gestion des déchets radioactifs élaboré et appliqué par le Gouvernement, et présenté tous les cinq ans au Parlement. L'article 4 crée une commission nationale d'évaluation de la recherche sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité de vie longue. L'article 5 crée un fonds de gestion des déchets radioactifs, établissement public géré par l'État, alimenté par les producteurs de déchets, et dont l'objet est de financer la recherche et la gestion industrielle des déchets. L'article 6 détaille les trois méthodes complémentaires de gestion des déchets de haute activité à vie longue. Les articles 7, 8 et 9 fixent les dates ultimes de mise en service d'un premier réacteur expérimental dédié à la transmutation, d'un centre d'entreposage de longue durée en surface ou en sub-surface et d'un centre de stockage réversible. L'article 10 fixe une obligation de concertation avec les élus pour l'application des articles 7, 8 et 9, l'article 11 prévoyant la création d'un groupement d'intérêt public. L'article 12 établit la contribution versée aux collectivités territoriales concernées par l'application des articles 7, 8 et 9. L'article 13 traite de la propriété des déchets radioactifs. L'article 14 crée un comité local d'information et de suivi des installations de recherche ou de gestion des déchets de haute activité à vie longue. Enfin, l’article 15 a pour objet de compenser les charges éventuelles créées par la proposition de loi.

Nous avons déposé, sur le présent projet, un certain nombre d’amendements, dont je veux rappeler les caractéristiques essentielles : premièrement, maintien de la pluralité des choix, avec la poursuite des recherches sur chacun des trois axes définis par la loi de 1991 ; deuxièmement, retour devant le Parlement au moment de décider du passage éventuel à la mise en œuvre industrielle du stockage souterrain ; troisièmement, sécurisation du financement de la gestion des déchets radioactifs par la mise en place d'un fonds de gestion, placé sous la responsabilité de la Caisse des dépôts et recueillant les contributions des producteurs de déchets radioactifs, ainsi que le transfert de la propriété des déchets à l'ANDRA.

En outre, nous souhaitons approfondir la discussion sur la composition des instances d'expertise et d'information, ainsi que sur les modalités de fixation du montant de la contribution exceptionnelle de développement local et de la taxe professionnelle. Sur toutes ces questions, nous avons eu en commission un échange de vues hélas incomplet. Je n’en salue pas moins, Monsieur le rapporteur, l'avancée que constitue votre proposition de revenir devant le Parlement pour une demande d'autorisation d'ouverture d'un centre de stockage souterrain profond.

Je veux particulièrement mettre l'accent sur l'importance que revêt la création d'un fonds externalisé dédié. Permettez-moi de citer ce que vous avez expliqué devant la commission, Monsieur le ministre : « Le coût prévisionnel de la gestion des déchets est déjà compris dans le prix de l'électricité. La facture moyenne d'électricité d'un foyer s'élève à 600 euros par an ; le coût de la gestion des déchets correspondants représente 10 euros de ce montant. Bien gérées, les sommes ainsi collectées pourront financer, le moment venu, les charges de long terme ».

Depuis longtemps, donc, la longue durée est prise en compte par les exploitants nucléaires qui constituent des provisions pour couvrir les dépenses futures de démantèlement et de gestion de leurs déchets radioactifs. EDF, le CEA et AREVA ont constitué ces provisions. C'est EDF qui détient les plus importantes. Mais l’essentiel, plus que le provisionnement des sommes déjà perçues, c’est une gestion publique transparente des montants à percevoir dans l'avenir. Pour les montants déjà perçus, une restitution progressive se fera en douceur si l'on retient l'idée d'un transfert de propriété à l'ANDRA, moyennant une redevance au fonds externalisé de financement.

Ce fonds externalisé de financement est une donnée essentielle pour que la gestion des déchets à haute activité s'opère dans de bonnes conditions. Dans l'avenir, en effet, ce ne seront plus des entreprises publiques mais des sociétés de droit privé qui assureront la gestion des contributions versées par les consommateurs d’électricité. Comme il s'agit d'une politique de très long terme et que personne ne peut prédire ce que sera le paysage économique national dans cinquante ou cent ans, il faut que la conservation et la gestion des fonds relève des pouvoirs publics. Colbert l'aurait fait ! Le Second Empire l'aurait fait ! La IIIe ou la IVe République l'auraient fait ! Le général de Gaulle l'aurait fait ! Les gouvernements de gauche l'auraient fait ! Nous espérons que vous le ferez !

M. Jean-Louis Dumont - La VIe République le fera ! (Sourires)

M. Christian Bataille - Ce système public de gestion des déchets radioactifs a été privilégié dans de nombreux pays – Japon, États-Unis, Finlande, Suède…

Nous vous demandons donc d'examiner avec une attention particulière notre amendement qui propose de confier la gestion de ce fonds à la Caisse des dépôts, dont c'est le métier et qui est faite pour ça, et de confier la répartition du financement à un conseil d'administration indépendant de tout organisme industriel. La gestion scientifique et technique de ce fonds sera très importante, tant pour le choix des objectifs de recherche et leur programmation que pour la mise en oeuvre des installations industrielles.

Dans son rapport public annuel de février 2006, la Cour des comptes recommande d’instaurer des « systèmes visant à sécuriser les fonds qui auront été dédiés aux charges nucléaires futures » en procédant pour ce faire à « une réforme de niveau législatif ».

Le fonctionnement public du financement sera une garantie supplémentaire de transparence et de démocratie.

Nous proposons d’autre part de clarifier le problème de la propriété à long terme des déchets radioactifs en en transférant la propriété à l'ANDRA, en contrepartie d'une redevance qui sera versée dès leur transfert au centre de stockage ou d'entreposage. En effet, à partir du moment où le nombre des producteurs de déchets est multiple, l'ANDRA se retrouvera, à terme, dépositaire de colis dont on ne pourra peut-être plus identifier les propriétaires, du fait d’éventuelles cessations d'activité, faillites ou fusions... De plus, la France aura des difficultés à faire pression sur des sociétés étrangères dans le cas où, par exemple, un fonds de pension américain serait devenu propriétaire de déchets nucléaires.

Dans un amendement dont j’espère qu’il ne sera pas bloqué par de misérables manœuvres, nous proposons donc d’écrire que « les producteurs de déchets radioactifs et de combustibles irradiés en sont propriétaires et responsables jusqu'à ce que ceux-ci soient transférés à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, moyennant une redevance au fonds externalisé de financement de la recherche et de la gestion des déchets radioactifs, dont le montant sera fixé par décret ».

Monsieur le ministre, vous nous proposez aujourd'hui un texte qui se veut conforme à l'esprit de la loi du 30 décembre 1991. Toutefois, un examen rigoureux de ce projet nous montre que la réflexion et le travail parlementaire peuvent le compléter sur des points essentiels. Si nous pouvons nous retrouver sur un certain nombre d’aspects, le problème crucial du fonds externalisé dédié aurait dû être plus longuement débattu. Il aurait justifié à lui seul un important travail en commission.

Il est un dernier point qui justifie un retour en commission : la fiscalité des installations de stockage souterrain ou d'un entreposage national. Vous nous proposez, Monsieur le ministre, une taxe sur les INB, installations nucléaires de base ; j'ai moi-même proposé une taxe basée sur les revenus des tranches nucléaires de type N4. C'est tout à fait le travail de la commission que de se pencher sur ces dossiers et d'auditionner des spécialistes de la fiscalité. Ce point est déterminant pour le développement du territoire.

En concluant mon rapport sur les déchets nucléaires, en 1990, j'avais insisté sur les notions de responsabilité, de transparence et de démocratie. De responsabilité, car nous devons arbitrer ce dossier maintenant. De transparence, car pour rompre avec la culture du secret, il faut que tous les citoyens reçoivent un maximum d'informations et puissent exprimer leur point de vue. De démocratie, parce que sans un fonctionnement complètement satisfaisant du Parlement, il n'est pas de démocratie réelle.

Voilà les raisons pour lesquelles nous devons approfondir le travail en commission ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre délégué – D’après l’exposé de M. Bataille, on pourrait croire que l’État est responsable et propriétaire des déchets radioactifs partout dans le monde. Or, cette solution n’a été retenue qu’aux États-Unis. Le département de l’énergie y est d’ailleurs en procès avec les producteurs parce que le montage choisi n’est pas opérationnel. En Suède et en Finlande, c’est une filiale des entreprises productrices qui est dépositaire et gestionnaire des déchets. La solution que nous préconisons est donc celle qui a été adoptée dans la plupart des pays.

M. le Rapporteur – Je voudrais, à mon tour, apporter quelques précisions. S’agissant des taxes additionnelles proposées dans le projet de loi, lorsque l’on tient compte de l’ensemble des installations en cours, du montant forfaitaire prévu par le texte – 0,3 million d’euros par installation  –, chaque point de coefficient correspond à un produit de 24,6 millions. Concernant la taxe professionnelle, les quatre réacteurs N4, deux à Civaux et deux à Chooz, ont rapporté 87,1 millions en 2005, soit une taxe professionnelle moyenne par tranche de 21,7 millions, c’est-à-dire un montant inférieur à celui que nous proposons. Par ailleurs, dans le projet de loi, les centres de stockage acquitteront en plus une taxe professionnelle, ce qui n’est pas prévu dans le système exposé par M. Bataille. En outre, pour sécuriser les fonds dédiés, souci que nous partageons avec les socialistes, le texte tend à créer une commission d’évaluation financière chargée de vérifier que les besoins de financements seront satisfaits. Nous n’ignorons pas qu’il existe des problèmes de recevabilité financière mais il n’était peut-être pas utile que la Cour des comptes s’étende aussi longuement sur ces procédures puisqu’il n’est pas possible d’indiquer comment les mettre en œuvre dans le cadre de la législation en l’état actuel des connaissances. Nous avons longuement discuté en commission, continuons donc le débat dans l’hémicycle sans tarder ! Par conséquent, je vous invite à repousser cette motion de renvoi en commission.

M. Jean-Louis Dumont - M. Bataille a brillamment exposé les raisons pour lesquelles le parti socialiste demande le renvoi en commission de ce texte. Tout d’abord, s’il n’existe actuellement qu’un laboratoire à proximité duquel pourrait être construit un site de stockage, c’est parce que d’autres projets, notamment dans le Gard et en Haute-Vienne, n’ont pas vu le jour. Seuls les élus de la Meuse sont donc allés au bout de leur conviction : ils ont voté et appliqué la loi de 1991 ! S’agissant des fonds dédiés, outre les observations de la Cour des comptes, que se passerait-il si l’ouverture du capital d’EDF le faisait tomber demain sous la coupe d’un fonds de pension anglo-saxon ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Il se tirerait avec la caisse ! (Même mouvement) Quand demain Suez, propriétaire d’Electrabel, tombera sous la coupe d’Enel, même chose ! Ces hypothèses doivent être discutées en commission. Cantonner ce fonds dans les comptes d’EDF par peur de l’application de la LOLF, comme vous le proposez, n’est pas satisfaisant car cela reviendrait à gonfler artificiellement les comptes d’EDF pour faire apparaître de bons ratios de performance. Bref, nous vous invitons à adopter cette motion de renvoi en commission.

M. Jean-Claude Lenoir – Le groupe UMP ne votera pas cette motion de procédure. L’opposition semble décidément avoir pris l’habitude d’exploiter toutes les ressources que lui offre le Règlement pour retarder le débat.

M. Jean-Louis Dumont et M. Christian Bataille - Non ! Pour y contribuer !

M. Guy Geoffroy - Ils sont passés maîtres dans l’art de l’obstruction !

M. Jean-Claude Lenoir – Avons-nous consacré le temps nécessaire à l’examen de ce projet de loi en commission ? Certainement ! Et les quelques députés de l’opposition qui y ont participé ont eu tout le temps de s’expliquer. M. le rapporteur a recherché le consensus pour que la loi soit votée dans l’esprit de celle de 1991. C’était insupportable pour M. Bataille.

M. Jean-Louis Dumont - Le mot est un peu fort !

M. Jean-Claude Lenoir - Pour troubler la sérénité de ce débat, il s’est cru obligé de tenir des propos agressifs.

Je vous invite à ne pas tomber dans ce piège. Nous avons une haute idée de nos fonctions et poursuivons un objectif noble, qui ne mérite pas les mots qu’a utilisés Christian Bataille. La majorité et le Gouvernement souhaitent poursuivre l’examen dans les conditions d’écoute et d’échange d’arguments indispensables pour aboutir au meilleur texte possible. La tâche, il est vrai, sera difficile, mais je veux croire que les jours qui viennent seront l’occasion pour mes collègues de retrouver sang-froid et mesure.

J’ai d’ailleurs été surpris de découvrir que la motion de renvoi du groupe socialiste serait défendue par Christian Bataille : il est bien le plus mal placé pour cela ! On dirait un père qui demande à sa femme qui va accoucher d’attendre un petit peu parce qu’il n’est pas prêt ! (Rires) Nous sommes en train de mettre au jour le bébé qu’il a conçu en 1991. Tout ce temps nous a permis d’en faire un superbe sujet… De grâce, réussissons l’accouchement et longue vie au bébé !

Je vous invite à repousser cette motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.
Prochaine séance mardi 11 avril à 9 heures 30.
La séance est levée à 18 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Retour au haut de la page

Ordre du jour
du Mardi 11 avril 2006

NEUF HEURES TRENTE : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de loi (n° 2999) de M. Claude GOASGUEN et plusieurs de ses collègues relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.

Rapport (n° 3011) de M. Claude GOASGUEN, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

QUINZE HEURES : 2E SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs (n° 2977).

Rapport (n° 3003) de M. Claude BIRRAUX, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

© Assemblée nationale