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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 2 mai 2006

Séance de 15 heures
86ème jour de séance, 202ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de députés camerounais, conduite par le président du groupe d’amitié, M. Jean-Bernard Ndongo Essomba. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent).

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. Alain Bocquet – Monsieur le Premier ministre, votre politique à marche forcée, guidée par les intérêts financiers des grands groupes, se heurte de plus en plus au rejet. En témoigne la mobilisation populaire, notamment celle de la jeunesse, qui a eu raison de votre fameux CPE. La guerre ouverte à la tête de l'Exécutif gangrène l’État républicain et provoque dans le pays un sentiment d’écoeurement.

L'actualité de la pitoyable affaire Clearstream ajoute au climat délétère qui prévaut à tous les niveaux de nos institutions, déjà rongées par une crise profonde. L'image de la France dans le monde s’en trouve ternie et notre démocratie durement malmenée. Derrière ce rideau de fumée nauséabond et les règlements de compte au sommet de l'État UMP, la question sociale frappe plus que jamais à la porte : refus de la précarité et du chômage, exigence d'en finir avec le CNE – qu'un conseil de prud’hommes vient de remettre en cause –, protestation contre l'augmentation insoutenable des carburants et du gaz, quand vous vous obstinez à privatiser Gaz de France pour le livrer aux appétits de la Bourse, loi d'immigration profondément inhumaine et contraire à toute notre tradition… Notre peuple étouffe sous le poids de votre politique ultralibérale, dictée par le Medef.

Les députés communistes et républicains continueront de s'opposer fermement à tout recul de civilisation et d'agir pour l’alternative de progrès que portait, il y a un an, le non au référendum. La question n'est pas de savoir qui d’un tel ou d'une telle va obtenir le pouvoir pour le pouvoir, mais, plus que jamais, de rendre le pouvoir au peuple. Il est temps que ça change vraiment !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre  Monsieur le Président Bocquet, cela fait trente ans que je sers mon pays…

M. Arnaud Montebourg - Bien mal !

M. le Premier ministre - …et j’ai été la victime, au cours des derniers jours, d’une campagne de calomnies et de mensonges ignobles,…

M. Henri Emmanuelli - De la part de qui ?

M. le Premier ministre - …qui m’a profondément choqué et blessé. Trop, c’est trop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Comment accepter que, dans notre pays, on puisse être mis en cause personnellement, sur la base d’informations tronquées…

Plusieurs députés socialistes – Par qui ? Il est où ?

M. le Premier ministre – Comment accepter que des personnalités, de droite comme de gauche, soient injustement citées dans une affaire ? Comment accepter que le débat politique soit pris en otage par des accusations mensongères et des manipulations ?

Un député socialiste – Qui manipule qui ?

M. le Premier ministre – Je le dis solennellement devant vous : rien ne me détournera de mon devoir de Premier ministre. Nos compatriotes ont des attentes, en matière de pouvoir d’achat, d’emploi et d’éducation… (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) …et nous y répondrons ! (« Oh non ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Nous avons du reste des résultats, qui sont le fruit, sur le terrain, de notre travail et des efforts des Français. Le chômage baisse, la croissance repart, l’innovation se développe et nous continuerons dans cette voie tout au long des prochains mois. Les Français peuvent compter sur nous. Quant à moi, je ne me laisserai à aucun moment écarter de ma mission, que j’assume au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Un député socialiste – Ça sent le sapin !

BAISSE DU CHÔMAGE

M. Marc Laffineur – Monsieur le Premier ministre, depuis un an, vous avez mobilisé l’ensemble de votre gouvernement contre le chômage, problème majeur des Français depuis plus de vingt ans. Alors que le climat politique actuel, sous l’effet de rumeurs en tous genres, devient difficile, on oublie que ce combat a permis d’enregistrer une baisse quasi continue du chômage…

M. Augustin Bonrepaux - Et une augmentation du nombre de Rmistes !

M. Marc Laffineur – La croissance, comprise cette année entre 2 % et 2,5 % alors que tous les analystes la situaient à moins de 2 %, a permis de faire baisser de 200 000 le nombre des chômeurs, diminution à laquelle a aussi concouru l’ensemble des mesures que votre majorité a votées sans faille, notamment le CNE…

Un député socialiste – N’oubliez pas le CPE !

M. Marc Laffineur - En mars, la baisse a été de plus de 30 000 demandeurs d’emploi. Pouvez-vous nous dire si ce résultat concerne l’ensemble des Français et si les perspectives sont encourageantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Oui, le chômage baisse enfin dans notre pays. Au mois de mars, nous avons connu la baisse du chômage la plus forte depuis cinq ans. Il y a eu, en un an, près de 200 000 chômeurs de moins dans notre pays…

M. François Liberti - Personne n’y croit !

M. le Premier ministre – Cela prouve que la mobilisation sans précédent de notre majorité et du Gouvernement porte ses fruits. Je pense aux outils que nous avons mis à la disposition des petites entreprises, tel le CNE : plus d’un demi-million de contrats signés, soit autant d’emplois nouveaux qui n’auraient jamais été créés autrement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je pense aux contrats d’apprentissage et de professionnalisation, aux contrats aidés qui mettent le pied à l’étrier à des milliers de jeunes en difficulté et à l’accompagnement personnalisé des chômeurs par le service public de l’emploi. Désormais, tout demandeur d’emploi bénéficie d’un entretien mensuel, dans le cadre d’un suivi permanent : c’est un changement fondamental !

Cette baisse du chômage prouve aussi que notre politique de croissance donne des résultats : la croissance, l’investissement, le moral des entreprises, la consommation repartent et, de cela, je me demande parfois pourquoi l’on parle si peu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Nous mobilisons sans relâche les pôles de compétitivité et l’Agence de l’innovation industrielle, dont le Président de la République vient d’indiquer quels dossiers elle aura à traiter, au bénéfice de notre politique industrielle. Tout indique que la croissance, contrairement à toutes les prédictions, sera supérieure à 2 % cette année (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Les Français constatent aujourd’hui que le chômage, contrairement à ce que vous aviez prétendu, n’est pas une fatalité et que tout n’a pas été essayé. La détermination de notre gouvernement et de notre majorité paie. Ce que vous n’avez pas su faire, nous le faisons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Affaire clearstream

M. le Président – La parole est à M. François Hollande (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. François Hollande – Notre pays traverse une crise d’une exceptionnelle gravité, dont chacun doit ici prendre la mesure. Après les émeutes des banlieues en novembre dernier, la crise du CPE durant plusieurs semaines, voilà maintenant l’affaire Clearstream ! En attendant son dénouement judiciaire, que nous espérons tous rapide car il faut que la lumière soit faite, cette affaire révèle un climat détestable au sommet de l’État : manœuvres, manipulations, suspicions, règlements de comptes, tout y est ! Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui obligé de nier avoir diligenté une enquête contre le numéro deux de votre propre gouvernement et une procédure engagée par ce même numéro deux aboutit à vous mettre en cause ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) Plus grave encore, les services de renseignements sont utilisés, que dis-je, instrumentalisés à des fins qui n’ont que peu à voir avec leurs missions ; le bureau de la ministre de la défense est perquisitionné ; de hauts commis de l’État sont interrogés au risque de perdre toute crédibilité ; pis encore, vous allez vous-même, Monsieur le Premier ministre, être bientôt entendu par la justice. Quelle image pour la France ! Quelle autorité pour l’État ! (Huées sur les bancs du groupe UMP) Comment l’État a-t-il pu tomber aussi bas à cause de vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées persistantes sur les bancs du groupe UMP) La responsabilité de tout cela est collective. Elle appartient d’abord au Président de la République et nul ne peut ici comprendre son silence ; elle vous appartient également, Monsieur le Premier ministre, car vous êtes le chef du Gouvernement qui a conduit la France à cette situation ; elle appartient aussi au président de l’UMP et à toute la majorité car elle soutient ce gouvernement et ces pratiques. Monsieur le Premier ministre, je n’ai qu’une question à vous poser : quand allez-vous tirer les conséquences de cette situation ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Décidément, Monsieur Hollande, vous n’avez pas beaucoup d’expérience (Interruptions et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste). Vous n’avez jamais exercé de responsabilité à quelque niveau que ce soit de l’État : cela se voit et cela s’entend ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; brouhaha croissant sur les bancs du groupe socialiste) Toutes les démocraties connaissent des épreuves. Dois-je vous rappeler que notre pays est régulièrement affecté par les affaires, tout particulièrement dans l’année qui précède l’élection présidentielle ?

J’accepte les critiques, les désaccords, les différends, mais jamais je n’accepterai, ni aujourd’hui ni demain, ni pour moi ni pour personne, que la calomnie, la dissimulation, le mensonge l’emportent sur la vérité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), parce que cela est ignoble et parce que cela fragilise l’État de droit et la démocratie. Face à cela, il n’est qu’une seule réponse : la vérité et la transparence (« La démission ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste où persiste le brouhaha) Pour ma part, je suis prêt à apporter tout mon concours à la justice et à lui fournir tous les éclaircissements qu’elle jugerait utiles.

Plusieurs députés socialistes – Démission !

M. le Premier ministre – J’appelle ici chacun à prendre ses responsabilités (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Ce n’est pas en cherchant des boucs émissaires – ce qui ne vous grandit pas, Monsieur Hollande –, que nous renforcerons notre démocratie. Je regrette de devoir vous rappeler que votre propre famille politique a eu son lot d’affaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). N’en avez-vous donc tiré aucune leçon ? Multiplier les accusations indignes, comme cela a été fait ces derniers jours, ne peut que faire le jeu des extrêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C’est au contraire – et c’est cela la maturité démocratique – en respectant les institutions et les règles qui s’imposent à tous, en laissant la justice accomplir sereinement son travail, en privilégiant l’action et en apportant des réponses concrètes aux Français, que notre pays sera fidèle à lui-même. Monsieur Hollande, vous vous laissez emporter (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Perte de sang-froid ? Inexpérience ? Vous vous laissez abuser (Mêmes mouvements). Rien ne sert jamais de hurler avec les loups (« Hou ! » moqueurs sur les bancs du groupe socialiste). Nos compatriotes sont las des faux procès. Nous leur devons la dignité, la vérité, la justice…

M. Henri Emmanuelli - De dignité, il n’y en a plus !

M. le Premier ministre – Voilà, en dépit de vos insinuations, mon engagement et celui de toute ma majorité au service des Français et de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste).

affaire clearstream

M. Jean-Christophe Lagarde – Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Après trois mois de crise sociale qui ont abouti au retrait du CPE, voilà la France désormais plongée dans les méandres nauséabonds de l'affaire clearstream. Elle découvre avec effroi et révolte comment on peut, au sommet de l'État, fomenter des coups tordus entre membres d'un même gouvernement en instrumentalisant les services secrets ainsi que des militaires et des fonctionnaires dévoués à la défense du pays et à l'intérêt national. Cette nouvelle affaire s’ajoute à bien d'autres que la Ve République a fait subir à notre pays. On se souvient des écoutes téléphoniques commandées par l'Élysée sous François Mitterrand ou encore de l'affaire des dossiers fiscaux (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Ceux qui vous applaudissent aujourd'hui criaient alors au scandale. Et certains de ceux qui donnent maintenant de royales leçons de morale étaient à l’époque conseillers techniques à l'Élysée…

Monsieur le Premier ministre, peu importent vos dénégations d'aujourd'hui qui seront peut-être contredites la semaine prochaine. Vous l’avez dit vous-même, il ne s’agit pas de votre personne, mais il ne s’agit pas non plus, comme vous l’affirmez, d'un problème de déontologie, ni même des travers d'une fin de règne qui n'en finit pas de finir. C’est le pouvoir absolu et sans véritable contrôle que la Ve République confère au Président de la République et au Gouvernement qui, mécaniquement, a suscité ce type d'affaires sous toutes les majorités.

Quant à la présente affaire, elle montre que le risque d’instrumentalisation des services secrets est grand. En France, contrairement aux États voisins, ces services ne font l’objet d’aucun contrôle parlementaire. Aucun pays occidental n’est privé à ce point des institutions d’une démocratie moderne.

Oui, c’est bien d’une crise du régime qu’il s’agit ! Nos institutions n’empêchent pas les gouvernements successifs de céder à la tentation trop naturelle d’abuser de leurs fonctions et la succession des affaires depuis des décennies ruine la confiance que les Français devraient placer en ceux qui les dirigent. De cette crise de régime, il faudra sortir. Monsieur le Premier ministre, à défaut du grand changement institutionnel dont notre pays a besoin et que vous avez écarté ce matin, envisagez-vous de soumettre les services secrets à un véritable contrôle parlementaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  Je m’étonne qu’un député de l’UDF attaque le Gouvernement en s’appuyant sur des indiscrétions et des éléments tronqués. Jusqu’à preuve du contraire, le secret de l’instruction doit être préservé (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Cette manœuvre est choquante de votre part ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Et ce d’autant plus que la personne à l’origine de ces indiscrétions s’est déjà démentie par deux fois ! (Même mouvement)

Je vous remercie cependant de cette question qui me fournit l’occasion d’annoncer que ce gouvernement vient de déposer un projet de loi visant à créer une délégation de contrôle sur les services de renseignements, ce qui est une première !

Enfin, Monsieur Lagarde, vous qui appelez au respect des institutions, commencez donc par respecter le secret de l’instruction et l’indépendance de la justice ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP)

emploi des jeunes

M. Jean-Claude Mignon – Les étudiants ont enfin repris le chemin de l’université et tentent de préparer leurs examens dans des conditions parfois difficiles, si l’on en juge par le montant des dégradations auxquelles les établissements vont devoir faire face. Pour autant, nous ne devons pas oublier le traumatisme des semaines précédentes et les inquiétudes qu’ils ont exprimées sur leur capacité à s’insérer dans la vie professionnelle. Les entreprises doivent prouver qu’elles ne sont pas ce que certains individus, qui souvent d’ailleurs n’y ont jamais mis les pieds, ont voulu faire croire. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, nous avons la responsabilité collective de montrer aux étudiants qu’ils ont la possibilité d’entrer dans l’entreprise et d’y réussir. Quelles initiatives fortes allez-vous prendre dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche - Monsieur le député, comme vous l’avez souligné, les rentrées universitaire et lycéenne se passent dans des conditions tout à fait satisfaisantes. Pour autant, nous avons le devoir d’apaiser les inquiétudes des jeunes, notamment sur ce qu’il est convenu d’appeler la professionnalisation des parcours universitaires. Tout d’abord, il ne faut pas tout noircir : rappelons que les filières juridiques et médicales ou encore les instituts universitaires de technologies, qui préparent depuis quarante ans aux métiers d’aujourd’hui, offrent de bonnes perspectives professionnelles. Ensuite, pour permettre aux étudiants d’avoir une vision plus claire des débouchés professionnels offerts par les filières universitaires qu’ils empruntent, M. Goulard prépare un portail internet d’information, qui sera ouvert dès la prochaine rentrée universitaire.

Enfin, pour améliorer encore l’accompagnement des étudiants, le Premier ministre a installé en Sorbonne, la semaine dernière, la commission Université–Emploi qui rendra un rapport d’étape au mois de juin avant de délivrer ses conclusions définitives en octobre. Ses travaux permettront d’apporter des réponses dès la rentrée universitaire en matière d’orientation, d’harmonisation du système LMD et enfin d’apprentissage et de formations en alternance. Cette commission travaillera en concertation avec l’ensemble des acteurs universitaires et économiques, tant au niveau local que national (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

(M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur, entre dans l’hémicycle sous les huées de la gauche.)

M. Henri Emmanuelli - Ah, la partie civile est enfin arrivée !

Lutte contre le cancer

M. Pierre Amouroux – Le Président de la République a fait de la lutte contre le cancer l’un des trois grands chantiers de son quinquennat. Chaque année, en France, près de 150 000 personnes meurent du cancer. Lutter contre le cancer, c’est soutenir les chercheurs mais aussi améliorer les soins et développer la prévention. Des efforts considérables ont été faits pour généraliser le dépistage du cancer du sein, à l’origine de 11 000 décès par an, ainsi que le dépistage des cancers du colon et du col de l’utérus, pour améliorer les procédures d’agrément des services de cancérologie afin que chaque Français soit soigné de la meilleure manière et pour faire respecter les droits des malades sur tout le territoire. Jeudi dernier, le Président de la République, tirant le bilan de ces avancées, a indiqué les nouvelles priorités de la politique de lutte contre le cancer : améliorer les dépistages et lutter contre les addictions. Monsieur le ministre de la santé, comment cela se traduira-t-il concrètement ?

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités Les résultats de ce grand chantier présidentiel qu’est la lutte contre le cancer sont là au bout de trois ans. Mais, comme l’a indiqué le Président de la République, lui-même, l’heure n’est pas au bilan mais aux perspectives. Concrètement, cela signifie que nous devons nous mobiliser autour de trois nouveaux objectifs. Premièrement, la lutte contre toutes les addictions. Pour mieux aider les malades, chaque CHU régional doit disposer d’un service d’addictologie et des consultations doivent être mises en place dans chacun de nos hôpitaux. Pour cela, il faut accroître le nombre des praticiens hospitaliers.

Deuxième priorité : le dépistage, car nous devons faire mieux encore : si le dépistage du cancer du sein est un droit, il doit également devenir une réalité pour toutes les femmes, et tous les acteurs du système de santé doivent nous y aider. Il en va de même pour le cancer de l’utérus, du colon – dont le dépistage doit être généralisé – et pour celui de la prostate, comme l’a indiqué le Président de la République.

Il faut enfin, et même surtout, que la vie reprenne ses droits, grâce à un soutien plus fort des malades et de leur famille sur le plan médical, mais aussi psychologique et social. Nous devons changer le regard sur la maladie et les malades. Conformément aux souhaits du Premier ministre, il faut que nous améliorions l’accès à l’assurance et au crédit, de façon à ce que les malades qui ont survécu au cancer puissent, s’ils le souhaitent, acheter une maison ou une voiture comme tout un chacun.

Dès la semaine prochaine, le Gouvernement entamera donc des négociations avec l’ensemble des acteurs concernés – banquiers, assureurs et associations de patients. Nous sommes tous mobilisés, car il n’est pas encore question de dresser un bilan, mais au contraire de relever de nouveaux défis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

affaire Clearstream

M. Christophe Caresche – Ni vos déclarations ni les réponses que vous venez de faire à l'instant, Monsieur le Premier ministre, n'ont dissipé les interrogations des Français sur votre rôle dans l'affaire Clearstream – loin s’en faut ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

La justice devra établir clairement les responsabilités des uns et des autres, comme l’a justement indiqué le Garde des Sceaux, et elle devra faire la lumière sur ce dossier de dénonciation calomnieuse, dans lequel toutes les manipulations semblent possibles. Votre réponse, au lieu de clarifier la situation, ne fait que la rendre plus confuse !

Mais votre responsabilité politique est aussi engagée, car vous êtes le Premier ministre du Gouvernement de la République. À ce titre, vous devez être le garant d'un État impartial, dont la seule mission est d'agir au service de l'intérêt général, et non au service d'intérêts partisans ou personnels (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Ce que nous exigeons, c'est que la vérité, toute la vérité, soit faite sur cette affaire qui est bien autre chose qu'un « pétard mouillé », mais sans doute une affaire d'État. C'est pourquoi vous devez à la représentation nationale des réponses aussi précises que possible.

Tout d’abord, pourquoi le ministre des affaires étrangères que vous étiez s'est-il mêlé de cette affaire en janvier 2004, alors qu’elle ne relevait à l'évidence que des ministres de l'intérieur et de la défense ? Vos explications sont peu convaincantes, comme demeure surprenante la constante présence de ce personnage à multiples facettes qu’est votre ami Jean-Louis Gergorin.

Pouvez-vous, en outre, nous assurer que vous avez alerté la justice en temps et en heure en transmettant les éléments d'information dont vous disposiez, semble-t-il, et qui attestaient d'une manipulation ?

Enfin, pouvez-vous affirmer en conscience que les moyens de l'État, en particulier les services de renseignement, n'ont pas été détournés de leur objet pour évaluer l'implication de personnalités de droite et de gauche dans cette affaire ?

Monsieur le Premier ministre, alors que la situation du pays a rarement été aussi dégradée (Protestations sur les bancs du groupe UMP), cette affaire donne le sentiment que ce Gouvernement n'a d'autre boussole que la rivalité qui vous oppose au ministre de l'intérieur. Le pays n’en peut plus de votre affrontement fratricide !

M. le Président – La parole est à Monsieur le Garde des Sceaux (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Je voudrais dire à M. Caresche, qui est membre de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, ce qui est le plus inquiétant à nos yeux et à ceux des juristes : c’est qu’une affaire donne lieu à sanction médiatique avant d’être jugée et que l’opinion publique prenne pour la vérité des faits qui ne sont pas établis par la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Alors que vous avez réfléchi pendant près de deux cents heures, avec vos collègues de la commission d’enquête, sur les raisons de l’emballement médiatique d’Outreau, qui a conduit à une erreur judiciaire en première instance, vous commettez la même erreur sur le plan politique, en fonçant tête baissée dans une affaire dont vous ignorez tout.

Vous avez par ailleurs la mémoire un peu courte : dois-je vous rappeler l’affaire des « paillotes », dans laquelle les conseillers du Premier ministre avaient été interrogés, ou celle d’un député trésorier – et cette fois, c’est M. Jospin lui-même qui avait été entendu ? Faisons donc tous preuve de prudence dans cet hémicycle ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Aujourd’hui, une affaire semble concerner la droite, après que la gauche l’a été hier. En tout cas, n’affaiblissons pas l’État, ni ses services, ni la France ! Pour un petit gain politicien, ne mettez pas en péril nos institutions ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

grippe aviaire

M. Michel Voisin - Ma question s’adresse au ministre de l’agriculture, même si elle concerne également d’autres membres du Gouvernement. Grâce aux mesures énergiques qui ont été prises, la propagation de l’influenza aviaire a pu être contenue à la Dombes, et le reste du territoire préservé.

Alors que la période de migration des oiseaux est aujourd’hui derrière nous, le prix à payer est lourd : malgré les indemnisations, la filière avicole éprouve beaucoup de difficultés à repartir de l’avant. En raison de l’hypermédiatisation de ce qu’une certaine presse a qualifié de « marais pestiféré », la Dombes est devenue un désert : restaurants, hôtels, musées, lieux de culte ont été abandonnés, et les activités liées au tourisme ont chuté de 70 % en mars et avril.

En outre, l’épidémie demeure. Le cygne étant son principal vecteur selon les experts, interdiction a été faite d’approcher les étangs, ce qui a fait chuter dramatiquement l’activité piscicole. Il semble pourtant nécessaire de laisser subsister, mais au prix d’une forte régulation, une espèce qui demeure la meilleure sentinelle « naïve » contre cette épidémie.

Le Premier ministre ayant indiqué au cours de sa visite que la solidarité nationale devait jouer dans tous les domaines en faveur de la Dombes, pouvez-vous nous indiquer, Monsieur le ministre, quelles sont les mesures prévues afin de maintenir et d’améliorer les compensations des pertes d’activité, et celles destinées à promouvoir ce territoire ?

Quelles mesures de régulation pour les cygnes et les cormorans…

Plusieurs députés du groupe socialiste – Et les corbeaux !

M. Michel Voisin - …envisagez-vous également, compte tenu des dernières mesures annoncées, qu’il s’agisse par exemple de Natura 2000 ou du tir à base de grenaille d’acier ?

C’est toute une partie de notre territoire qui est en train de crever, et qui se moque bien des polémiques dont M. Caresche vient de se faire l’écho ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  La Dombes a en effet subi le plus gros de l’épizootie dans notre pays : 64 des 65 animaux sauvages touchés en France provenaient de cette zone, où se situe également la seule exploitation contaminée, celle de M. et Mme Clair à Versailleux.

Je voudrais vous remercier, de même que l’ensemble des élus du département de l’Ain, pour la formidable leçon de civisme que vous nous avez donnée : en appliquant strictement toutes les mesures de prévention et de sécurité, vous avez évité l’extension de l’épizootie, hormis un cas décelé en Camargue – et j’espère d’ailleurs que nous en resterons là par la suite.

Le Premier ministre l’a rappelé : la solidarité nationale jouera à plein, pour les éleveurs – trois millions d’euros permettront de dédommager ceux de l’Ain qui n’ont pas pu vendre – comme pour l’ensemble de la filière. Toutes les mesures nécessaires seront prises et votre territoire, le plus touché, sera prioritaire.

risques sanitaires liés à certains régimes amaigrissants

Mme Françoise de Panafieu - Le XVIIe arrondissement de Paris, dont je suis députée-maire, connaît une douloureuse affaire : 153 personnes possèdent ou ont consommé des gélules amaigrissantes produites à base d’extraits thyroïdiens par une pharmacie. L’une d’entre elles est décédée et quatorze autres sont hospitalisées, dont cinq en réanimation. Vos services, Monsieur le ministre de la santé, ont aussitôt lancé l’alerte : une enquête administrative a été diligentée, les services de l’Inspection ont été saisis, ainsi que le Conseil de l’Ordre des médecins et celui des pharmaciens. Le pharmacien concerné a été mis en examen pour homicide involontaire et sa pharmacie provisoirement fermée. L’enquête judiciaire établira les responsabilités de chacun.

Plus que jamais, il faut revoir la règlementation régissant les régimes amaigrissants qui utilisent des médicaments, car ils peuvent créer des problèmes sanitaires et psychologiques. La course à la minceur peut menacer la vie des adultes comme des adolescents, qui subissent une forte pression. Il faut donc trouver la voie médiane entre la prévention de l’obésité et la minceur extrême. Quelles mesures comptez-vous prendre après cette triste histoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités Dans cette affaire, nous avons deux priorités. Tout d’abord, retrouver tous ceux à qui l’on a prescrit ce médicament : outre les 153 personnes déjà identifiées, il faut s’assurer que les autres, s’il y en a – et les longues files d’attente dans cette pharmacie semblent l’indiquer – cessent leur traitement et se fassent suivre par leur médecin. Un numéro de téléphone et une plateforme d’écoute ont été mis en place à cette fin.

Ensuite, il faut renforcer les règles de sécurité sanitaire afin qu’un tel drame ne se reproduise pas. J’ai demandé à l’AFSSAPS de se prononcer sur l’intérêt que présentent les extraits thyroïdiens dans les préparations magistrales, dont il faudra peut-être même modifier le cadre règlementaire. J’ai également saisi la Haute autorité de santé sur les réponses que peuvent donner les médecins aux patients qui souhaitent faire un régime amaigrissant. On touche là au débat sur l’image du corps. Nous devons pouvoir établir avec certitude l’efficacité d’un traitement, alimentaire ou médicamenteux. Il faut également mieux contrôler les allégations, et bien faire la différence entre pression sociale et besoins de santé réels – les seuls qui nous intéressent vraiment. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

augmentation du coût de l’énergie

M. François Brottes - Pendant que tout – sauf l’arrogance – se déchire au sommet de l’État, la vie chère, elle, poursuit son chemin, avec son lot de dégâts collatéraux. On l’entend souvent au marché du dimanche et dans nos permanences : « Qui paie, finalement ? C’est nous ! ». La hausse du prix de l’énergie provoque de nombreux drames : ici, une jeune femme célibataire qui touche le SMIC et que l’augmentation des charges pousse à retourner chez ses parents ; là, un chômeur que le prix de l’essence oblige à refuser l’emploi qu’on lui propose loin de son domicile ; là encore, une papeterie doit fermer à cause de l’envolée des prix de l’énergie – plus de 50 % d’augmentation ces derniers mois, jusqu’à 80 % pour certaines PME. Beaucoup d’entreprises consacrent plus d’argent à l’énergie qu’aux frais de personnel !

Les réponses de votre gouvernement – telles que le CNE, qui n’entraîne que la précarisation des salariés – sont à côté de la plaque. Il faut s’attaquer d’urgence aux vrais problèmes : la flambée du prix du gaz – 29 % d’augmentation depuis janvier 2005, en vue de la privatisation – comme de l’essence – que favorise votre refus psychorigide de restaurer la TIPP flottante – ou de l’électricité – au profit de la seule cotation en bourse, fondée non plus sur le coût de production, mais sur le prix du marché. La désindustrialisation, l’explosion des charges locatives et le coût de la vie ne semblent pas beaucoup vous émouvoir…

Dans ce contexte de fragilisation économique, continuerez-vous, Monsieur le Premier ministre, de faire comme si de rien n’était, de jouer au monopoly en privatisant GDF malgré les engagements de M. Sarkozy, ou de ne pas maintenir la réglementation des tarifs après l’ouverture à la concurrence ?

M. Maxime Gremetz - Vive la Bolivie !

M. François Brottes – Quelles initiatives allez-vous prendre, dans les prochains jours, pour enrayer cette hausse de l’énergie qui favorise l’exclusion et la fermeture de nos entreprises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie - Quel mélange ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Vous souvenez-vous qui a augmenté le prix du gaz de 7 % en mai, de 13 % en novembre puis à nouveau de 9 % au mois de mai suivant ? C’était le gouvernement Jospin, en 2000 ! (Huées sur les bancs du groupe UMP) Je vous plains de ne découvrir qu’aujourd’hui que la France, qui n’en produit plus, est obligée d’acheter son gaz sur le marché international !

M. Augustin Bonrepaux - Et la privatisation, vous y êtes obligés aussi ?

M. le Ministre délégué – Nous sommes parfaitement conscients de ce que cette situation implique pour notre économie et pour l’ensemble des foyers. Nous avons demandé à des analystes indépendants de vérifier s’il existe un lien entre le prix du pétrole sur les marchés internationaux et le prix du gaz que paient nos concitoyens et nos entreprises.

M. Henri Emmanuelli - Et les bénéfices de GDF : 1,7 milliard !

M. le Ministre délégué - Leur étude révèle que ce lien existe bien et que la hausse de 5,8 % du prix du gaz – jugée insuffisante par la commission de régulation de l’énergie – est juste. Elle recommande qu’il n’y ait pas d’autre hausse avant le 1er juillet 2007 : ce sera le cas.

Aujourd’hui, deux attitudes sont possibles : la responsabilité et la démagogie. Je regrette que l’opposition ne se montre pas plus responsable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Lutte contre l’immigration illégale en guadeloupe

Mme Gabrielle Louis-Carabin - Suite à mes interventions auprès des ministres de l’outre-mer – Mme Girardin, puis M. Baroin – et de vous-même, Monsieur le ministre de l’intérieur, je voudrais rappeler, à quelques instants du débat sur l’immigration, la perméabilité des côtes de l’archipel guadeloupéen. Fuyant leur terre d’origine où perdurent l’instabilité politique et la misère, des hommes, des femmes et des enfants entrent illégalement en Guadeloupe sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. Par pure démagogie, certains élus affirment à mes compatriotes que l’État se désengage et que leur collectivité peut financer vedettes et radars. Puisqu’il est de la compétence de l’État de mettre en œuvre une politique de régulation efficace des flux migratoires, je souhaite que vous précisiez, devant la représentation nationale, si vous disposez des moyens nécessaires à une meilleure protection des côtes de mon archipel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire L’immigration non maîtrisée, grave problème pour la métropole, est un drame pour l’outre-mer, où le pacte social est plus fragile qu’ailleurs et où le sentiment d’exaspération grandit devant une immigration non maîtrisée et constante. C’est pourquoi je dénonce l’irresponsabilité d’hommes politiques qui prônent la régularisation de tous les clandestins (Applaudissements et huées ; « Fabius ! » sur les bancs du groupe UMP) et qui font courir à notre pays le risque d’attirer des femmes et des hommes à qui nous n’avons à offrir ni logement, ni travail. Le ministre de l’outre-mer présentera lui-même le volet de lutte contre l’immigration clandestine spécifique à l’outre-mer du projet de loi sur l’immigration. En effet, on ne lutte pas de la même façon contre les réseaux criminels qui exploitent la misère du monde en Guadeloupe, dans tous nos départements et territoires d’outre-mer et en métropole.

Dès le mois de juillet, une deuxième vedette surmotorisée viendra renforcer, avec un équipage spécialement formé, les moyens affectés à la Guadeloupe. Quant aux radars, une étude technique a été demandée, et l’État est prêt à les financer. L’objectif qui a été assigné au préfet de la Guadeloupe est d’augmenter de 40 % le nombre des reconduites à la frontière. Que les choses soient claires : sans papiers, on n’a pas vocation à demeurer en France, que ce soit en Guadeloupe ou en métropole ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Il faut choisir. C’est l’application de la loi pour tous qui est la politique du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

recherche

M. Pierre-Louis Fagniez - En écho aux états généraux de la recherche de 2004, la loi promulguée le 18 avril a profondément revu, Monsieur le ministre délégué à la recherche, l’architecture de la recherche française, pour permettre à nos laboratoires et à nos entreprises d’occuper la place qui leur revient : la première. Cette loi comporte deux volets : un volet de programmation et un volet d’orientation. Dans le premier, l’État consent un engagement financier sans précédent. Nous avons pris acte, lors d’un débat très digne marqué par l’écoute mutuelle, que cet engagement financier s’entend en euros constants, que l’allocation de recherche atteindra bientôt 1,5 SMIC et que des mesures spécifiques seront prises en faveur des jeunes chercheurs. Quant au volet d’orientation, il remet l’université au centre des dispositifs, notamment au travers des pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Le Haut conseil de la science et de la technologie, placé auprès du Président de la République, définira les grands axes de notre recherche ; l’Agence d’évaluation garantira, notamment grâce au contrôle a posteriori, lisibilité et qualité. Pouvez-vous nous préciser le calendrier d’application de cette loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche - Le Pacte pour la recherche, que nous avons présenté en novembre dernier avec Gilles de Robien, et la loi de programmation et d’orientation, que vous avez votée au début de cette année, sont d’une grande importance pour l’avenir de notre pays. La loi comporte en effet un volet programmation, pour donner des moyens à la recherche, et un volet orientation, pour lui donner de l’efficacité. Les moyens sont dans le budget 2006 ; les crédits sont alloués aux organismes de recherche et aux universités ; les emplois sont aujourd’hui créés et au service de la recherche française. En ce qui concerne l’orientation, des dispositifs nouveaux donnent plus d’efficacité à notre recherche. Je vous confirme que le Haut conseil de la science et de la technologie, qui permettra aux pouvoirs publics de mieux affirmer les priorités de la recherche, sera mis en place avant l’été prochain. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, si importante pour bien affecter les moyens, sera quant à elle opérationnelle à l’automne, et les nouveaux outils de coopération scientifique seront créés dans les prochains mois. En ce qui concerne la carrière des chercheurs, des mesures statutaires ont d’ores et déjà été prises au 1er janvier ; elles seront reconduites au 1er janvier prochain. Oui, cette loi a un objectif et un seul : faire en sorte que la France appartienne au premier cercle des grands pays de la recherche, parce que notre avenir en dépend (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20.

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immigration et intégration

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et l’intégration.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire Depuis cinq semaines, le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration est entre vos mains. Je voudrais vous dire dans quel état d’esprit j’en aborde la discussion.

Ma conviction est que, dans une démocratie moderne, l’immigration n’est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d’Europe, elle est considérée pour ce qu’elle est : un sujet de société, une question politique majeure qui engage l’avenir d’une nation ; il est permis d’en débattre sans avoir à s’en excuser ; et il est permis d’agir, en ne craignant pas, s’il le faut, de remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier. Ainsi, le gouvernement socialiste de Tony Blair a réformé à quatre reprises la législation britannique sur l’asile et sur l’immigration ; l’Espagne a changé trois fois sa loi depuis 2000 ; une profonde réforme du système allemand, conçue par le gouvernement socialiste et vert de M. Schröder, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

Dans ces grands pays européens, la réforme de l’immigration a donné lieu à une confrontation de projets, à un vrai débat d’idées, à la fois passionné et rationnel, pleinement démocratique et pleinement politique. Ce débat sur l’immigration, je veux qu’il ait lieu dans notre pays car les Français l’attendent, l’exigent même ; et quand les partis républicains, à gauche comme à droite, n’ont pas le courage de traiter de ce qui préoccupe les Français, il ne faut pas se plaindre que les extrêmes prennent la place qu’ils ont désertée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Les Français nous demandent de regarder la réalité en face. Jamais le fossé n’a été aussi grand entre le discours de certaines élites et la réalité telle qu’elle est perçue par nos compatriotes. D’après un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005, 63 % des Français pensent qu’il y a trop d’immigrés en France ; c’est également le cas de 50 % des électeurs de gauche. Plutôt que de reprocher à des Français ce qu’ils pensent, mieux vaut essayer de comprendre pourquoi ils le pensent et de leur apporter des réponses ! Je suis convaincu que, dans leur immense majorité, les Français ne sont ni racistes ni xénophobes, qu’ils exècrent même le racisme et la xénophobie ; mais reconnaissons que pour beaucoup d’entre eux, l’immigration est une source d’inquiétudes, pour leur sécurité, pour leur emploi et pour leur mode de vie. Les Français qui pensent de la sorte sont aussi respectables que les autres ; il faut comprendre les attentes de cette majorité silencieuse, pour qui l’immigration est d’abord une réalité quotidienne.

Les Français savent que l’immigration présente d’immenses avantages pour la vie de la cité. Dans l’échange avec le migrant, il y a l’apprentissage de la diversité, le goût de la différence, le sens de la tolérance.

M. Jean-Pierre Brard - Comme à Neuilly !

M. le Ministre d’État - Il y a le meilleur, mais il y a aussi le pire, produit par trente années d’une immigration non gérée : les cités-ghettos, les squats qui brûlent, les phénomènes de bandes et les violences urbaines. Ne pas tenir compte de cette réalité, c’est accepter que l’extrême-droite soit dans notre pays depuis vingt-cinq ans à un niveau qu’aucun autre pays démocratique ne connaît (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF).

Les Français savent que les violences qui ont éclaté dans nos banlieues à l’automne dernier ne sont pas sans rapport avec l’échec consternant de la politique d’immigration et d’intégration, lequel se traduit par le fait que des enfants nés en France se sentent moins Français que leurs grands-parents qui étaient pourtant étrangers. Cette réalité douloureuse, nous devons la regarder en face et en tirer toutes les conséquences : notre système d’intégration ne fonctionne plus !

La vérité, c’est que les vingt-sept nuits d’émeutes d’octobre et de novembre sont directement le produit de la panne de notre système d’intégration, qui n’intègre plus personne.

M. Patrick Roy – Le produit du chômage !

M. le Ministre d’État – La vérité, c’est que les étrangers les plus récemment arrivés dans notre pays sont les premières victimes de notre incapacité collective à maîtriser l’immigration. Je pense, bien sûr, aux incendies dramatiques survenus à Paris en août dernier, dans lesquels vingt-quatre personnes d’origine africaine ont perdu la vie. Je n’oublierai pas ces moments, où en présence du maire et des élus de la capitale, nous avons contemplé ces corps d’enfants allongés sur des civières. Nous les croyions endormis : ils étaient morts, asphyxiés, au terme de leur parcours de misère. Qui osera prétendre que ces squats où s’entassent des familles sans avenir témoignent d’un modèle d’intégration réussie ?

Est-il logique, le système qui conduit à refuser des gens qui trouveraient chez nous du travail et à laisser entrer ceux qui ne trouveront ni emploi ni logement ? Telle est pourtant la réalité qui a prévalu trop longtemps, et elle n’est glorieuse pour personne. Dans ces taudis, les enfants ne peuvent pas faire leurs devoirs et ils se trouvent trop souvent laissés à eux-mêmes, ce qui compromet naturellement leurs chances. Face à de telles réalités, les Français ne supportent plus un discours d’opposition politicienne entre la droite et la gauche. Sur de tels enjeux, les oppositions frontales n’ont pas de sens…

M. Jean-Pierre Brard - Pourtant, vous n’hésitez pas à en faire commerce ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre d’État – Parce qu’elles sont toutes deux détestables, je refuse les deux positions extrêmes qui prônent respectivement l’immigration zéro et l’immigration totale.

L’immigration zéro est un mythe dangereux que je rejette, au nom du Gouvernement, de la manière la plus nette (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Il se nourrit du poncif de l’extrême droite tendant à affirmer que certaines cultures sont impossibles à intégrer. À tous égards, l’immigration zéro est en outre contraire à notre histoire et aux traditions qui ont forgé l’identité française. Enfin, je note qu’au cours de l’histoire, toutes les sociétés qui se sont effondrées sont mortes de consanguinité et de fermeture, plutôt que d’avoir pratiqué la politique de la main tendue (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). La France n’a pas vocation à se replier derrière l’on ne sait quelle ligne Maginot.

Mais je n’accepte pas pour autant les doctrines – tout aussi extrémistes – de l’immigration totale, ne serait-ce que parce que l’existence de frontières demeure légitime et qu’il ne saurait être question de faire table rase de notre passé. Je veux dire de la manière la plus claire que je suis opposé à toute opération de régularisation massive des sans-papiers, telles que celle que la France a subies par trois fois en quinze ans sous des gouvernements de gauche, en 1981, 1990 et 1997 (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Ne nous y trompons pas : ce sont bien ces trois opérations qui ont abouti aux désastres que nous avons aujourd’hui à gérer ! (Même mouvement)

M. Bernard Roman - Allons ! C’est vous qui avez fabriqué des illégaux !

M. le Ministre d’État – Une régularisation massive est un appel d’air. Elle favorise la constitution de filières d’immigration clandestine, le signal que « la frontière est ouverte » ayant tôt fait de passer ! Cela a abouti au scandale de Sangatte et au déferlement de misère dans le Calaisis…

M. Noël Mamère – Ne faites pas croire que vous avez réglé le problème !

M. le Ministre d’État – En Espagne, la régularisation de quelque 570 000 clandestins, intervenue au premier trimestre 2005, a précipité des milliers de ressortissants des pays de l’Afrique sub-saharienne vers les barbelés de Ceuta et Mellila. Telle est la réalité : la régularisation suscite la migration clandestine. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Et les Italiens savent bien, eux aussi, quelles difficultés suscite la logique du toujours plus de régularisations ! En France, les vagues de régularisation ont contribué aux désordres auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés et je me réjouis qu’un homme politique de la qualité de M. Strauss-Kahn ait écarté la proposition irresponsable de ceux qui, comme Laurent Fabius, entendent renouer avec de telles pratiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La France est trop fragile pour subir une telle épreuve. Dans le cours du débat, j’aurais cependant l’occasion de préciser que je ne suis pas hostile à toute régularisation. Mais je refuse les fausses solutions dictées par l’aveuglement !

Pour la première fois sous la Ve République, un ministre est responsable de l’ensemble des questions relatives à l’immigration. Chargé de coordonner les différentes administrations compétentes – intérieur, affaires étrangères, affaires sociales –, j’ai ainsi pu préparer , depuis juin dernier, le texte équilibré qui vous est soumis aujourd’hui. Équilibré, parce que ferme à l’endroit de ceux qui ne respectent pas les règles, mais juste pour ceux qui se conformeront aux règles d’admission sur notre sol…

Mme Janine Jambu - C’est un texte inhumain !

M. le Ministre d’État – C’est du reste cette exigence de justice qui me conduira à refuser toute remise en cause des dispositions relatives au séjour des étrangers malades. Je n’accepterai aucun amendement visant à modifier la législation équilibrée qui est aujourd’hui la nôtre en la matière, même s’il convient, bien entendu, de combattre certains abus et fraudes particulièrement choquants.

S’il était besoin de prouver le caractère équilibré de ce texte, je me référerais aux critiques qu’il suscite, tant de la part de l’extrême droite – qui m’accuse de laxisme -, que dans certains milieux de gauche qui me taxent de xénophobie…

M. Jean-Pierre Brard - Parlez-nous donc de Mgr de Béranger !

M. le Ministre d’État – La réalité, c’est que, depuis quatre ans, le Gouvernement a redressé la barre d’un navire à la dérive. Dois-je rappeler la situation dramatique dont nous avons hérité en 2002 et les ravages créés par une gestion hasardeuse de l’immigration ? En cinq ans, les demandes d’asile avaient plus que quadruplé : 20 000 en 1997, 82 000 en 2002. La zone d’attente de Roissy débordait littéralement et aucun ministre socialiste n’avait jugé utile de visiter le symbole du chaos migratoire français que représentait le hangar de Sangatte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Quant aux flux d’immigration régulière, ils avaient augmenté d’un tiers : 120 000 entrées en 1997, 160 000 à la fin de la législature.

En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez doté notre pays de nouveaux outils de lutte contre l’immigration irrégulière. Je n’en dresserai pas le bilan,…

M. Jean-Pierre Brard - Et pour cause !

M. le Ministre d’État – …Thierry Mariani ayant évalué les effets de ce texte dans un remarquable rapport. Je me borne à rappeler que le nombre de reconduites à la frontière a doublé en trois ans, en passant de 10 000 en 2002 à 20 000 l’année dernière…

M. Bernard Roman - Dont la moitié outre-mer !

M. le Ministre d’État – Disons-le nettement : un étranger en situation irrégulière n’a pas vocation à séjourner en France : il est censé retourner dans son pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) L’augmentation du nombre des opérations d’éloignement a été rendu possible par la construction de centres de rétention administrative et par l’allongement de la durée de rétention. En outre, je n’ai pas craint de fixer des objectifs quantitatifs de décisions d’éloignement, et mois après mois, préfecture par préfecture, je suis ces indicateurs avec la plus grande attention…

Mme Maryse Joissains Masini - Bravo !

M. le Ministre d’État – J’entends que l’administration se conforme à la volonté politique telle que l’a exprimée le législateur en 2003 : il ne lui revient pas de conduire la politique de l’immigration mais bien plutôt de l’appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Richard Mallié - Très bien !

M. le Ministre d’État – Autre mesure phare de notre action, la généralisation des visas biométriques. Dans les pays d’origine, nos consuls délivrent chaque année 1,9 million de visas de court séjour. À l’évidence, nombre d’entre eux sont détournés et les données biométriques permettent de dévoiler l’identité de ceux qui, opportunément, ont perdu tout à la fois leurs papiers et la mémoire… Étendu à tous les consulats avant la fin 2007, ce système facilitera les mesures d’éloignement. Au surplus, une action diplomatique vigoureuse a été engagée pour établir un lien entre les visas que nous accordons et la délivrance par certains pays des laissez-passer nous permettant de renvoyer chez eux leurs ressortissants.

Autre résultat encourageant, le flux global de l’immigration régulière est stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre de premiers titres de séjour délivrés – hors ressortissants communautaires – a même légèrement baissé en 2005 en s’établissant à 164 234 titres. En outre, la réforme du droit d’asile que vous avez votée a eu des effets très positifs. Respectueuse de notre tradition d’accueil et préventive des abus, elle a notamment conduit à une réduction sensible des délais de réponse, ramenés de plus de deux ans en 2002 à 8 mois aujourd’hui. Parallèlement, le nombre de demandeurs diminue continûment : 82 000 en 2002, 65 000 en 2004, 60 000 en 2005 et 15 000 de moins cette année – par rapport à l’année dernière – si la tendance du premier trimestre se confirme. L’asile, c’est fait pour les réfugiés politiques, pas pour les personnes déboutées des autres procédures.

Sans verser dans un triomphalisme qui n’a pas lieu d’être, je considère que nous avons remis de l’ordre dans un système migratoire que les gestions précédentes avaient rendu chaotique.

Pour autant, les flux demeurent élevés et extrêmement déséquilibrés. L’immigration pour motif familial occupe une place prépondérante puisque que près de la moitié des cartes de séjour sont délivrées à ce titre – 82 000 en 2005. Chez nos partenaires européens, le niveau de l’immigration familiale est sensiblement inférieur : 66 000 en Allemagne, 35 000 au Royaume Uni. Comprenez-moi bien : je ne dis pas qu’un immigré ne doit pas avoir le droit de faire venir sa famille en France…

M. Bernard Roman - Encore heureux !

M. le Ministre d’État – …car je suis très attaché à notre tradition humaniste…

M. Jean-Pierre Brard - Tu parles !

M. le Ministre d’État – Décidemment, Monsieur Brard, votre vulgarité ne connaît pas de limites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je suis trop attaché au principe constitutionnel de protection de la vie familiale, trop respectueux aussi de nos engagements européens pour contester à un père le droit de vivre avec sa femme et ses enfants (« Encore heureux ! » sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Vous l’interdisez de fait.

M. le Ministre d’État – Mais c’est au Gouvernement et au législateur qu’il appartient de définir dans quelles conditions s'applique en France le droit à la vie privée et familiale. Il ne saurait y avoir, pour toutes les familles de par le monde, un droit absolu et inconditionnel à s'installer en France, sans projet d'intégration, sans travail, sans logement décent, sans perspectives.

L’immigration pour motif de travail, pour sa part, demeure marginale dans notre pays, avec seulement 11 500 cartes de séjour délivrées à ce titre en 2005 – preuve que nous ne sommes pas capables d'accueillir en France des migrants pourvus d'un emploi et contribuant à la croissance. La répartition des flux migratoires dans notre pays est totalement paradoxale depuis trente ans. Au prétexte de protéger l'emploi national, on a verrouillé, par un système de contrôles a priori effectués par l'administration du travail, l'entrée en France d'étrangers pourvus d'un emploi. Dans le même temps, contre toute logique, on accepte un flux croissant d'immigration familiale, qui déséquilibre fortement le marché du travail, puisque la plupart des étrangers qui entrent dans notre pays sont très peu qualifiés. C’est le contraire de ce qu’il faut faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Ce système absurde est, je le crois, une source essentielle du malaise français. Toute mon ambition est d'en sortir au plus vite en transformant en profondeur notre politique d’immigration.

Je le dis à ceux qui me reprochent de présenter un deuxième projet de loi, la loi de 2003 n'a été qu’une première étape. En 2003, ministre de l’intérieur, je vous ai demandé de voter de nouveaux instruments de lutte contre l'immigration clandestine. J'en ai fait, depuis lors, un usage déterminé. Aujourd’hui, comme je l’ai dit, désormais chargé de toutes les composantes de l'immigration, je vous propose de fonder une nouvelle politique.

Au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, des idées innovantes ont été expérimentées et mises en œuvre, dont j’ai souhaité tenir compte. Il ne s’agit pas de copier tel ou tel système étranger, mais de retenir les expériences qui me semblent pouvoir être adaptées à notre pays. L'histoire et la géographie ont façonné notre rapport à l'immigration. Nous ne sommes ni un État-continent comme le Canada, ni une île comme l'Angleterre, mais un État méditerranéen, qui entretient des liens particuliers avec l'Afrique et regarde au loin, vers l'outre-mer et les terres francophones. Il ne s'agit donc pas pour nous de transposer un exemple étranger, mais de définir, ensemble, un nouveau modèle français de l'immigration.

Ce modèle pourrait reposer sur trois principes : l'immigration choisie, l’affirmation d’un lien entre immigration et intégration, le co-développement.

L’immigration choisie, tout d’abord. Je revendique cette expression qui n’est pas de moi : c’est celle qu’a retenue la Commission européenne, laquelle recommande à tous les États membres d’avoir une même politique de « l’immigration choisie ». Ceux qui condamnent une telle politique ne peuvent donc pas se prétendre européens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Arnaud Montebourg - Misérable politicien !

M. le Ministre d’État - Ma conviction est que, comme toutes les grandes démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir le nombre de migrants qu'elle accueille, pour quels objectifs et dans quelles conditions.

L'immigration choisie, c'est le contraire de l'absence d'immigration. C'est aussi le contraire de l'immigration subie, subie par les Français et subie par des migrants condamnés à l’échec. L'immigration choisie, c'est d'abord la possibilité pour l'État de fixer des objectifs quantifiés d'immigration et de déterminer la composition des flux migratoires, dans l'intérêt de la France comme dans celui des pays d'origine. L'immigration choisie, c'est le refus de la fatalité et la volonté déterminée de lier l'immigration aux capacités d'accueil de notre pays. L'immigration choisie, c'est un système aux règles claires et prévisibles, pour les Français comme pour les migrants. C'est un système où le candidat à l'immigration en France doit être autorisé à venir s'y installer, avant son entrée sur notre territoire. Rien de plus logique à ce que pour venir étudier, travailler ou rejoindre sa famille dans notre pays, la République doive en être d'accord et signifie clairement au migrant, dans son pays, qu'elle est prête à l'accueillir.

L'immigration choisie n'est pas un système élitiste où ne seraient acceptés en France que des étrangers extrêmement qualifiés. C’est une immigration régulée, qui sera d'autant mieux acceptée par nos compatriotes qu'ils auront conscience de sa contribution positive à la vie de notre nation. Et elle ne sera réussie que si les immigrés parviennent à s'intégrer à notre société qui les accueille.

D’où le deuxième principe de cette réforme : l'affirmation d'un lien étroit entre intégration et immigration. Je souhaite, à cet égard, rompre avec des décennies de faux-semblants. Des experts, ou prétendus tels, osent encore affirmer que les questions d'immigration et d'intégration doivent être dissociées. Pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants, nous dit-on, il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les prendre en compte, au mieux, dans le cadre de la politique de la ville. Cela n'a aucun sens et explique d’ailleurs pourquoi la politique de la ville a connu tant d’échecs.

Immigration et intégration sont deux enjeux étroitement liés. En effet, faire entrer en France un grand nombre de migrants sans se donner les moyens de les accueillir, de leur permettre de s’intégrer dans notre société ne peut que conduire à des situations explosives.

L'intégration est un processus long, complexe, coûteux, qui met en jeu les équilibres de notre pacte social. Nous voulons donc obliger les étrangers désireux de s'installer durablement ou définitivement en France à se donner le mal indispensable pour s'intégrer. La société d’accueil ne saurait être seule à devoir faire des efforts (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Comment espérer s'intégrer en France, comment y trouver un travail, élever ses enfants, avoir une vie sociale, sans parler un mot de français ? C'est impossible ! C’est pourquoi désormais, pour obtenir un droit au séjour durable, il faudra manifester sa volonté de s'intégrer en faisant l'effort d’apprendre notre langue. Il faudra aussi, c'est bien le moins, s'engager à respecter les lois et les valeurs de notre République. Si l’on ne souhaite ni apprendre le français ni respecter les lois et les valeurs de la France, on n’a pas vocation à y être accueilli et à s’y installer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Si les étrangers ont des droits, ils ont aussi des devoirs. Et le premier de ces devoirs est d'aimer le pays qui les accueille. Rien n’oblige celui qui n’aime pas notre pays, n’apprécie pas ses valeurs et ne respecte pas ses lois à y rester (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Le troisième principe de cette réforme est que notre politique d'immigration doit s'inscrire dans une stratégie de co-développement. Nous devons construire de véritables partenariats avec les pays d'origine. Ce serait une erreur stratégique majeure que de définir notre politique d'immigration de manière isolée, sans prendre en compte les problèmes ni les besoins des pays d'origine.

M. Jean-Pierre Brard - Quel cynisme !

M. le Ministre d’État - Les migrants sont poussés vers notre pays par l'espoir d'une vie meilleure, convaincus qu’ils n’ont pas d’avenir dans le pays où ils sont nés. J’ai pleinement conscience que l’on n’émigre pas par plaisir mais le plus souvent par nécessité (« Quand même ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Je voudrais répondre, par avance, à l’objection selon laquelle ce projet de loi encouragerait la fuite des cerveaux des pays les plus démunis («Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Il n'en est rien.

Aujourd'hui, les migrants les plus compétents partent vers le continent américain tandis que les moins formés viennent en Europe. D'après une étude de la Commission européenne, 54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, titulaires d'un diplôme universitaire, résident au Canada et aux États-Unis, tandis que 87 % de ceux qui n'ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se trouvent en Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je ne me résous pas à cette situation. Il serait irresponsable de la laisser perdurer.

Je souhaite, pour ma part, renouer avec la tradition d'accueil par notre pays des élites des pays du Sud, fondée sur le dialogue et l'intérêt mutuel. Je vous propose donc de faciliter la venue en France d'étudiants et de personnalités qui pourront apporter à notre pays leurs talents et acquérir, en retour, une expérience utile à leur pays d'origine. Mon ambition est de développer la circulation des compétences, dans l'intérêt même des pays en développement. Il faut, pour cela, faire des choix d'immigration différents selon les zones géographiques. Cela suppose des outils permettant d'agir de manière souple, intelligente, réactive, adaptée aux réalités de la France et des différents pays d'origine.

Accueillir en France quelques ingénieurs chinois ou informaticiens indiens ne ralentira certainement pas la croissance phénoménale de ces deux pays, les plus peuplés de la planète. Je ne vois donc pas au nom de quoi il faudrait s'interdire d’en recruter !

M. Jean-Pierre Brard - Vous allez faire votre marché !

M. le Ministre d’État - Et il n'est nullement besoin de conditionner ce recrutement à un retour de ces personnes dans leur pays d’origine après quelques années de séjour en France.

En revanche, je suis résolument hostile, par exemple, à toute forme d'immigration définitive des médecins et professionnels médicaux en provenance des pays les plus pauvres d'Afrique, qui ont tant besoin d'eux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mon objectif est de contribuer à former les élites des pays en développement dans la perspective d'un retour. Ceux qui viendront faire leurs études en France devront donc s’engager à retourner dans leur pays d’origine pour y satisfaire les besoins de développement (Mêmes mouvements).

Si ce projet de loi vise à organiser cette circulation des compétences, j’ai conscience qu'il ne dote pas notre pays, à lui seul,de tous les outils nécessaires à une politique de co-développement ambitieuse. En ce domaine, il faut agir de manière pragmatique, par la voie législative bien sûr, mais aussi en mobilisant des instruments diplomatiques et financiers.

Les expériences lancées au Mali en 2003 ont ainsi permis à plusieurs centaines d'immigrés, revenus dans leur pays, d’y lancer une activité et d’y créer des emplois. Nous devons nous doter de nouveaux outils de co-développement (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Il est essentiel par exemple de mobiliser l'épargne des migrants au bénéfice de l’investissement productif dans les pays d’origine. Les migrants installés en France transfèrent en effet chaque année 2,6 milliards d’euros vers leurs pays. Nous devons faire preuve d'imagination pour construire de véritables partenariats avec les pays d'origine, sans craindre d'aborder avec eux, de manière directe et franche, la question des migrations.

Nous avons besoin des nouveaux instruments juridiques définis par le projet de loi. Nous avons été très attentifs au respect des exigences constitutionnelles. Ce projet de loi a été approuvé par l’assemblée générale du Conseil d'État. C'est donc qu’il ne méconnaît ni les droits fondamentaux ni les libertés publiques !

M. Jean-Pierre Brard - Ce n’est pas ce que dit Monseigneur de Béranger ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Francis Delattre - Ah ! Les apôtres du goulag !

M. le Ministre d’État - Il poursuit cinq objectifs. Le premier, c’est la maîtrise quantitative de l’immigration. Pour y voir clair, il faut d'abord prévoir. C'est pourquoi le Gouvernement définira chaque année dans un rapport au Parlement des objectifs chiffrés sur le nombre des migrants que la France souhaite accueillir, en distinguant les grandes catégories de titres de séjour, par motifs : travail, études, séjour familial. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel nous interdit d’inscrire dans la loi ces objectifs car ils sont prévisionnels et non normatifs. Au nom du Gouvernement, je prends donc devant la représentation nationale l’engagement solennel que le prochain rapport au Parlement comprendra pour la première fois ces objectifs. D’ailleurs, il est parfaitement anormal que le Parlement ait été tenu écarté de la politique d’immigration de notre pays depuis des décennies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des loisTrès bien !

M. le Ministre d’État - Il ne s'agit pas de définir des plafonds qui s'imposeraient à chaque consul ou à chaque préfet. Cette rigidité n'aurait guère de sens. Définis en fonction de la situation démographique de la France, de ses perspectives de croissance, des besoins du marché de l'emploi et de ses capacités d'accueil, ces objectifs constitueront un tableau de bord utile qui permettra aux administrations de disposer de références opérationnelles. Les ambassadeurs en feront l'un des éléments de leur dialogue avec les gouvernements des pays d'origine.

Dans le même esprit, la délivrance d'un visa de long séjour par un consulat deviendra la condition préalable à l’obtention d’une carte de séjour (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Par conséquent, j’entends réformer les conditions dans lesquelles un étranger qui n'a pas obtenu de visa et qui se maintient illégalement en France peut, exceptionnellement, obtenir un titre de séjour. Je vous propose d'abroger le système des régularisations automatiques après dix ans de séjour illégal (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Cette prime à la clandestinité, introduite par les lois de 1997 et de 1998, revient à récompenser une violation prolongée de la loi de la République (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Lemasle - Vous allez créer des sans-papiers !

M. le Ministre d’État - Elle est d'autant plus absurde que la durée de dix ans n'est pas un critère de régularisation pertinent.

Plusieurs députés socialistes – C’est une honte !

M. le Ministre d’État - J'aurai l'occasion d'expliquer que la suppression des régularisations automatiques n'interdit pas de pratiquer des régularisations au cas par cas pour tenir compte des situations humanitaires et des intérêts de notre pays.

M. Jean-Pierre Brard - Vive l’arbitraire et M. Nicolas III !

M. Francis Delattre - C’est mieux que les bulldozers à Vitry…

Plusieurs députés UMP - …ou Staline !

M. le Ministre d’État - Notre deuxième objectif, c’est de redéfinir l’immigration familiale en réformant tout d’abord les règles du rapprochement familial.

M. Jean-Pierre Brard - Vous condamnez au célibat ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre d’État - Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, durée indispensable pour préparer l'arrivée de son conjoint et de ses enfants. Il devra prouver qu'il se conforme aux principes qui régissent la République française et faire la preuve de sa volonté d'intégration.

Plusieurs députés socialistes – Comment ?

M. le Ministre d’État - Il devra être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail et non des allocations familiales et des prestations sociales (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF). Il devra aussi disposer d'un logement décent, dans les mêmes conditions qu'une famille française comparable.

Cette réforme n’aurait pas de sens si nous ne modifions pas les autres voies d’immigration familiales. Les conditions de délivrance des cartes de séjour pour motifs de « vie privée et familiale » seront donc précisées. L'étranger présent dans notre pays devra justifier de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France ainsi que de son insertion dans notre société. De même, je vous propose de mieux lutter contre les mariages de complaisance. Il ne s'agit pas d'interdire à un Français d'épouser un étranger, même en situation irrégulière, mais de supprimer le lien automatique entre mariage et droit au séjour.

M. Patrick Lemasle - Vous savez bien que le mariage n’est pas toujours durable !

M. le Ministre d’État – Pour cela, trois mesures. Tout d'abord, l'exigence d'un visa de long séjour pour le conjoint de Français qui demande à obtenir une carte de séjour. Ensuite, l'allongement à trois ans de la durée de vie commune à partir de laquelle le conjoint de Français pourra obtenir une carte de résident de dix ans, s'il fait la preuve de son intégration. Enfin, l'allongement à quatre ans de la durée de vie commune requise avant de devenir Français. De la sorte, nous redéfinirons le parcours qui conduit du mariage mixte à l'acquisition de la nationalité.

Plusieurs députés communistes et républicains – Parcours du combattant !

M. le Ministre d’État - Nous ne découragerons pas ceux qui ont la véritable volonté de se marier et nous écarterons ceux qui n'ont d'autre objectif que d'obtenir des papiers.

M. Jean-Pierre Brard - Quelle conception radicale du mariage !

Plusieurs députés communistes et républicains – En pratique, les mariages mixtes ne seront plus possibles !

M. le Ministre d’État - Le troisième objectif est de mieux accueillir les étudiants, les talents, les actifs qui désirent venir en France. La logique de l'immigration choisie et celle du co-développement se rejoignent ici. Pour chaque mesure, nous devons nous efforcer de trouver le bon équilibre entre l'intérêt de la France et celui des pays d'origine. Pour cela, je propose la création d'une carte de séjour « compétences et talents », d'une durée de trois ans. Elle sera délivrée à des personnes dont la présence est une chance pour la France mais n'est pas vitale pour leur pays d'origine. Par exemple, elle sera accordée aux informaticiens indiens, mais pas aux médecins béninois que j’évoquais tout à l’heure. Ensuite, il faut simplifier l'accueil en France des étudiants qui ont été choisis dans leurs pays d'origine. Les jeunes diplômés étrangers pourront également bénéficier d'une autorisation de séjour pour chercher un travail. Pour ceux qui viennent d'un pays en développement, ce sera une première expérience professionnelle utile avant le retour dans leur pays. Enfin, je propose un assouplissement des conditions de recrutement à l'étranger dans des secteurs et des bassins d'emploi qui souffrent de pénuries de main-d'œuvre, comme l'hôtellerie et la restauration ou le bâtiment (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Les organisations professionnelles et les syndicats seront associés à la définition et à la mise en œuvre du nouveau dispositif. C’est la meilleure façon de lutter contre le travail au noir.

Notre quatrième objectif est de réussir l'intégration des immigrés en définissant un vrai parcours d'intégration, de l'arrivée en France jusqu'à l'installation durable. Toutes les personnes qui entrent légalement en France afin d'immigrer de manière durable auront l’obligation de souscrire un contrat d'accueil et d'intégration. Celui-ci ne sera pas un papier que l'on signe et que l'on oublie. Par lui, l'étranger prendra l’engagement d’apprendre la langue française et de respecter les lois et les valeurs de la République. En contrepartie, le contrat comportera les engagements de l'État à l'égard de l'étranger : formation linguistique et civique, première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française. Lorsque l'étranger demandera après plusieurs années en France à bénéficier d'une carte de résident de dix ans, il devra prouver qu'il s'est bien intégré. Cette condition d'intégration, vérifiée par les préfets après avis des maires, comprendra trois éléments : l'engagement personnel de l'étranger à respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de notre langue. Le parcours d'intégration comprendra donc plusieurs rendez-vous : le contrat d'accueil et d'intégration à l'arrivée en France, et la vérification de l'intégration effective avant la délivrance de la carte de dix ans. Ce système permettra de sauver des femmes à qui le mari refuse de faire apprendre le français et qui sont tenues scandaleusement cloîtrées dans leur appartement ou leur communauté. Si l’épouse n’est pas intégrée à la société française, le mari se verra retirer ses papiers ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Le projet de loi comporte un cinquième objectif, maîtriser l'immigration outre-mer, que M. François Baroin vous présentera dans un instant.

Au total, ce projet de loi nous dotera d’instruments pour transformer concrètement notre politique d'immigration…

M. Jean-Pierre Brard - …et remporter les élections présidentielles ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Mallié - Ce n’est pas en donnant le droit de vote aux immigrés et en procédant à des régularisations que vous gagnerez !

M. le Ministre d’État - Je souhaite que ce texte soit enrichi. J'ai écouté les propositions et j'ai entendu certaines critiques. Les églises chrétiennes sont dans leur rôle quand elles insistent sur l'exigence du respect de la dignité des personnes. J'en suis, bien sûr, totalement d'accord. En dialoguant avec les représentants des églises, je me suis efforcé de lever des malentendus.

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez visiblement échoué !

M. le Ministre d’État – J’ajoute que la France a le droit de choisir les personnes qu’elle accepte sur son territoire comme l’Église a le droit de saisir le ministre de l’intérieur pour expulser les sans-papiers qui se sont installés dans ses bâtiments ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

J'ai d'ores et déjà accepté d'amender le projet de loi pour tenir compte de certaines remarques. L'allongement du délai de recours des étrangers contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français de quinze jours à un mois me semble nécessaire, de même que la mention expresse dans la loi que la carte de séjour délivrée aux salariés ne leur sera pas retirée en cas de rupture du contrat de travail.

Je ne me sens pas propriétaire de ce texte. Je le soumets à la discussion parlementaire en ayant la conviction qu'il peut être amélioré. Je suis notamment ouvert à deux idées qui me paraissent très pertinentes. Premièrement, des rapports de travail confiants entre les pouvoirs publics et la société civile me paraissent essentiels pour réussir le nouveau modèle français d'immigration. Dans cet esprit, je crois utile de créer un Conseil national de l'immigration et de l'intégration, qui réunira des responsables publics et des représentants de la société civile…

Plusieurs députés socialistes – Encore un Conseil !

M. Jean-Pierre Brard - C’est du plagiat !

M. le Ministre d’État - Je souhaiterais lui confier deux missions. Tout d’abord, l’établissement en toute impartialité des statistiques de l'immigration. Nous avons beaucoup progressé depuis la création du Haut conseil à l'intégration, dont l'observatoire statistique apporte une contribution utile. Il faut sortir définitivement des controverses sur les chiffres, évaluer de manière objective l'immigration illégale, fixer de manière la plus précise les chiffres de l'immigration légale. Cette nouvelle instance sera également chargée de suivre la mise en oeuvre de la politique d'immigration et d'intégration, en faisant des propositions au Gouvernement. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris pourquoi certains trouvent choquant que l’on répertorie en France les catégories de population selon leur origine. Ce n’est pas faire preuve de racisme ou de discrimination.

M. Jean-Pierre Brard - Si !

M. le Ministre d’État – Si l’on veut réguler l’immigration, il faut la comprendre. Pour la comprendre, il faut la connaître. Si l’on refuse de connaître la composition de la société française, comment pourrons-nous intégrer ceux à qui l’on nie leurs spécificités et leur identité ! Cela n’a aucun sens ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le racisme n’est pas dans le diagnostic mais dans les idées nauséabondes que l’on met derrière ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés socialistes – En l’occurrence, le diagnostic nourrit le racisme !

M. le Ministre d’État – Deuxièmement, l’idée de créer une commission dont l'objectif sera de veiller à l'harmonisation des pratiques préfectorales en matière de régularisation me semble excellente. Je souhaite en effet que les régularisations au cas par cas soient pratiquées en fonction de critères homogènes sur la totalité du territoire de notre République. Il s'agit non seulement de tenir compte d'exigences humanitaires, mais aussi d'autoriser des régularisations ponctuelles d'étrangers, dont la présence en France peut être une chance pour notre pays.

Je fais pleinement confiance à la représentation nationale pour être imaginative et constructive. J'ai en effet lu avec grand intérêt les différents travaux que l'Assemblée nationale a récemment réalisés, et je voudrais rendre hommage à votre rapporteur, M. Thierry Mariani, qui a su, sous l’autorité du président de la commission, M. Houillon, préparer le débat de manière très approfondie, en apportant aux travaux de la commission des lois une contribution remarquable.

Je tiens à vous dire d’emblée que je suis favorable aux quatre-vingt-dix amendements adoptés par la commission des lois, qu'il s'agisse de renforcer le droit au séjour des travailleurs étrangers licenciés, de mieux prendre en compte la situation des femmes victimes de violences conjugales, de créer une facilité de séjour pour des étrangers souhaitant participer à des missions humanitaires, ou d'allonger le délai de recours offert aux étrangers contestant les décisions d'obligation de quitter le territoire.

Je suis de même convaincu que la définition de la carte « compétences et talents » pourra être affinée, et je voudrais marquer mon plein accord avec trois amendements présentés par votre rapporteur. Outre sa proposition d’un meilleur contrôle du respect du contrat d'accueil et d'intégration, je voudrais saluer son apport à la réforme du regroupement familial et, en particulier, des exigences de logement, qui doivent être les mêmes que celles d'une famille française comparable vivant dans la même région. Enfin, je partage totalement sa suggestion d'instituer des « cérémonies d'accueil dans la citoyenneté », en préfecture ou en mairie, pour les personnes venant d'acquérir la nationalité française (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Je me réjouis également que la commission ait adopté un amendement présenté par le rapporteur et par M. Jean-Christophe Lagarde, visant à préciser que le montant des ressources exigées du demandeur de regroupement familial doit tenir compte de la taille de sa famille.

Une fois n’est pas coutume, je voudrais enfin remercier M. Patrick Braouezec et les membres du groupe communiste pour un amendement qui conforte le choix du Gouvernement de proposer une aide au retour volontaire aux étrangers ayant fait l'objet d'un refus de séjour.

Mon seul regret est que le parti socialiste ait été dans l’incapacité de proposer des mesures positives sur un sujet aussi essentiel, se bornant à présenter des amendements de suppression. Certes, j’ai bien entendu que quelques voix raisonnables avaient fait des propositions au sein du parti socialiste : j’ai ainsi pris connaissance avec grand intérêt des travaux inventifs de M. Malek Boutih, membre de la direction du parti socialiste et partisan d'une régulation quantitative de l'immigration, et j’ai également écouté les propos très raisonnables de M. Manuel Valls et de M. Bruno Le Roux. Je regrette que leurs voix n'aient guère porté jusqu'à la rue de Solférino !

M. Arnaud Lepercq - La censure règne !

M. le Ministre d’État - Le débat qui commence sera déterminant pour façonner le visage que la France aura dans les trente ans qui viennent.

M. Jean-Pierre Brard - Elle ne vous ressemblera pas !

M. le Ministre d’État - Le moment est venu d'assumer sans tabou un véritable choix de société. Je vous propose de définir un nouveau modèle, celui de l'immigration choisie, afin de réussir l'intégration et de renforcer la cohésion de notre pays (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP ; plusieurs députés du groupe UMP se lèvent pour acclamer le ministre d’État).

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer – L'immigration clandestine en outre-mer est à l’évidence un sujet complexe et délicat, en raison notamment des caractéristiques des territoires concernés.

Le soleil lointain d'outre-mer voile souvent des réalités humaines tragiques. Alimentée par des filières clandestines, l’immigration irrégulière déstabilise des territoires fragiles et bouleverse les équilibres sociaux et économiques ultramarins. Mais il est également de notre devoir d’assurer le respect de la dignité humaine en accueillant des populations sur des territoires très exigus. C’est donc un juste équilibre que nous devons trouver entre l’exigence d’humanisme et une fermeté renforcée.

L'insularité des territoires, mais aussi l'exiguïté provoquée par une forte densité de population et un taux de chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, exacerbent malheureusement les tensions, et rendent la pression migratoire plus difficile à accepter.

Sur une population de 160 000 habitants, on estime ainsi à 45 000 le nombre de personnes en situation irrégulière à Mayotte, ce qui représenterait 18 millions d'étrangers en situation irrégulière en métropole ! Aujourd’hui, de misérables embarcations se transforment en tombeaux pour des Comoriens qui voyaient notre pays comme un Eldorado, et des femmes mahoraises refusent la scolarisation de petits anjouanais. Que reste-t-il donc de notre pacte social ? Que reste-t-il des fondements de notre République et du vouloir-vivre ensemble ?

Par son ampleur, l'immigration clandestine à Mayotte pose également la question de notre souveraineté. Elle affaiblit en effet notre pacte républicain outre-mer, ainsi que l'image de la France – sa générosité, son ouverture, sa solidarité et sa tolérance. C'est au nom de cet idéal humaniste que nous avons le droit, et même le devoir, d'adresser des messages forts et clairs.

Si la liberté est la règle au sein de la République française, il n'y a pas de liberté sans règles : voilà ce que nous disons à toutes celles et tous ceux qui souhaitent vivre sur notre territoire. Ces règles, qui visent à préserver notre cohésion sociale, sont celles que je vous présente aujourd'hui avec le ministre d'État, et qui s'imposent au regard de la situation que nous vivons outre-mer.

Ces propositions sont le fruit du travail mené par le Comité interministériel de contrôle de l'immigration présidé par le Premier ministre, des propositions de vos collègues Louis-Carabin et Beaugendre ainsi que des propositions de la mission d'information sur l'immigration à Mayotte, dont je voudrais saluer le président, M. Dosière, et le rapporteur, M. Quentin. Je voudrais rendre hommage au travail de cette commission, qui s’est rendue sur place à ma demande, et a constaté que nous devions mieux encadrer et mieux contrôler la situation dans le respect de nos valeurs.

Pour les départements et les régions d'outre-mer, ces mesures législatives s'inscrivent dans le cadre de l'article 73 de la Constitution, qui permet d'adapter notre législation aux « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Pour ce qui est de Mayotte, l’article 74 exige l’élaboration d’une législation conforme à ses intérêts propres au sein de la République. J’ajoute qu’au nom du principe d'identité législative, l'intégralité du projet de loi – pour ses titres I à V – s'appliquera naturellement aux départements d'outre-mer ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il vous est enfin proposé, conformément à l'article 38 de la Constitution, d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à l'application des dispositions de ce projet de loi dans les collectivités d'outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les terres australes et antarctiques françaises. Soucieux de préserver le consensus nécessaire à la vie politique et sociale outre-mer, nous organiserons naturellement une consultation préalable des assemblées délibérantes en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française et dans les îles Wallis-et-Futuna.

Dans le même esprit, le Gouvernement vous demandera de ratifier un certain nombre d'ordonnances relatives aux conditions d'entrées et de séjour des étrangers ainsi qu’au droit d'asile.

À l’évidence, notre pays n'a pas assez anticipé la proportion des flux migratoires auxquels il a à faire face aujourd'hui en outre-mer, et n’a donc pas réagi à temps. Il faut être conscient de la situation : ni l'armée française ni la police ne suffiront à surveiller l'ensemble si vaste que forment les côtes et les fleuves de Guyane, et l’on ne pourra pas ériger des barrières autour de la Guadeloupe, de la Martinique ou de Mayotte ! Et la tentation de venir en France, pour tant de Comoriens ou tant de Haïtiens, sera toujours aussi forte, précisément parce que c'est la France. Nous ne pourrons donc pas lutter efficacement contre l'immigration irrégulière sans réévaluer nos outils de coopération avec les pays au niveau de développement inférieur au nôtre. Parce qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine, ces actions prendront bien sûr du temps : il faudra des années par exemple, avant que disparaisse l'écart de PIB par habitant entre Mayotte et les Comores, actuellement de un à neuf. Ne nous étonnons donc pas que les demandes d’accès au territoire français soient en augmentation constante à Mayotte depuis vingt-cinq ans, et qu’une reconduite à la frontière sur quatre y soit prononcée !

Il faudra veiller à mieux coordonner nos différents instruments d'intervention – chantier majeur pour les années à venir, à mener de pair avec une action diplomatique vigoureuse. C’est en effet l'honneur de notre pays que de conduire des politiques de développement qui ne peuvent se résumer à abonder des fonds dans un puits qui n’en a pas…

Il s'agit en premier lieu de faciliter la recherche et l'interpellation des clandestins, en luttant contre les filières organisées. Des contrôles d'identité seront désormais permis dans une bande terrestre bien déterminée en Guadeloupe et Mayotte, mesure qui sera expérimentée pour une durée de cinq ans, au terme de laquelle un bilan sera effectué. Des contrôles sommaires des véhicules pourront en outre être effectués dans des conditions similaires.

Afin d’intensifier le combat contre l’immigration irrégulière, les forces de l'ordre disposeront d'un fondement juridique pour détruire en Guyane les embarcations fluviales non-immatriculées et pour immobiliser les véhicules terrestres autres que particuliers servant à transporter illégalement des clandestins en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte.

Pour tenir compte des particularités géographiques de Mayotte, le projet de loi vise à porter de quatre à huit heures le délai dont disposent les forces de l'ordre pour procéder aux placements en centre de rétention administrative.

Ce projet de loi modernise également notre droit, de façon à rendre nos procédures administratives plus efficaces. Il s'agit de se donner les moyens de faire face à la pression migratoire, de gérer avec plus de cohérence les mesures d'interdiction du territoire et d'expulsion, ainsi que d'adopter une démarche volontariste de lutte contre le travail clandestin.

C’est pourquoi le projet étend à toutes les communes de la Guadeloupe le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière. Cette mesure, expérimentée sur une durée de cinq ans, permettra d'éloigner rapidement les étrangers en situation irrégulière.

Il est en outre prévu d’étendre à l'ensemble du territoire de la République les mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion qui sont prononcées outre-mer, et de limiter l'autorisation de travail accordée à un étranger sur le fondement d'un titre de séjour au seul département pour lequel elle a été délivrée.

Enfin, j’ai souhaité prendre des mesures efficaces contre le travail clandestin qui mine l’économie ultramarine et renforce les filières clandestines. La pratique de l’emploi non déclaré de personnels de maison, tolérée à Mayotte…

M. René Dosière - Plus que tolérée !

M. le Ministre – ...s’est banalisée et doit cesser. On ne peut clamer sa vertu et dénoncer l’immigration clandestine tout en y recourant pour son propre usage…

M. Didier Quentin - Très juste !

M. le Ministre - …voire la dénoncer une fois le travail au noir effectué, comme cela se produit parfois.

M. Jérôme Lambert - On évite ainsi de payer !

M. le Ministre - Ce projet de loi rend donc les mesures de contrôle contre le travail dissimulé prévues par le code du travail de Mayotte applicables aux employés de maison. Les officiers de police judiciaire seront autorisés, sous contrôle du juge, à effectuer des visites domiciliaires, des perquisitions et des saisines de pièces à conviction.

Enfin, à l’issue d’un débat utile et vigoureux, nous vous proposons de modifier les règles de reconnaissance de paternité à Mayotte.

M. Didier Quentin - Très important !

M. le Ministre – Les travaux de la commission de révision de l’état civil seront prolongés pour cinq ans. Dans les communes mahoraises, mon ministère prend également en charge, à hauteur de 300 000 euros par an jusqu’en 2008, la mise aux normes de sécurité des locaux, la formation du personnel et la maintenance du matériel informatique.

Pour lutter contre les reconnaissances de complaisance, nous proposons de mettre à la charge du père ayant reconnu un enfant les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Les reconnaissances de paternité sont en effet passées de 882 en 2000 à 3 752 en 2002 !

M. Richard Mallié – Simple hasard, nous dira la gauche !

M. le Ministre – De même, la procédure de « dation de nom », qui connaît également une forte augmentation, doit être réformée.

En outre, le projet de loi renforce les pouvoirs du procureur qui pourra désormais s’opposer à la reconnaissance de paternité ou demander une enquête lorsque des indices sérieux laissent présumer qu’elle est frauduleuse. Enfin, les sanctions pénales à l’encontre de ces reconnaissances frauduleuses seront renforcées. Ce débat a suscité des polémiques ; aujourd’hui, nos propositions permettront de réduire enfin le nombre de reconnaissances de paternité fictives, choquantes à plus d’un titre.

Il y a encore quelques mois, en métropole, on ne parlait que peu de l’immigration irrégulière outre-mer : on n’en connaissait ni l’ampleur, ni les conséquences. Je me réjouis de l’intérêt qu’a suscité ce débat, que j’ai lancé en conscience, pour ce petit bout de France qu’est Mayotte. Je me réjouis que l’on s’intéresse enfin aux difficultés de la Guyane et de la Guadeloupe, et que les mesures législatives que nous allons prendre complètent l’action entreprise par le ministre d’État, sous l’autorité du Premier ministre, pour mieux lutter contre l’immigration clandestine. Aujourd’hui, c’est à la représentation nationale de prendre ce problème à bras-le-corps, et je resterai attentif à ses propositions. Je tiens à remercier M. Mariani pour son rapport précis et documenté. La plupart des collectivités concernées ont approuvé ce projet. Je souhaite, Mesdames et Messieurs les députés, que vous puissiez aboutir au consensus que souhaitent nos concitoyens ultramarins, et je suis sûr que la diversité de l’outre-mer, réunie au sein de l'Assemblée nationale, y contribuera largement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République Au cours des prochains jours, nous allons bâtir ensemble la première étape d’une véritable politique migratoire. Là comme ailleurs, la rupture s’imposait.

Pour en avoir été le rapporteur et en avoir suivi l’application, je peux vous assurer que la loi relative à la lutte contre l’immigration clandestine, votée à raison par l’Assemblée le 26 novembre 2003, a été féconde : pour 10 000 reconduites en 2002, 20 000 ont eu lieu en 2005 et 25 000 sont attendues cette année.

Cette maîtrise préalable de l’immigration clandestine était la condition sine qua non du lancement d’un véritable projet d’immigration. Nos capacités d’accueil ne sont pas infinies, et ce n’est pas rendre service aux immigrés que de les laisser venir sans leur proposer de perspectives d’avenir.

Nous pourrions continuer à faire croire aux Français que l’on peut se protéger derrière nos frontières.

M. Richard Mallié - Quel angélisme !

M. le Rapporteur – Ce serait vain et dangereux ! Nous pourrions aussi faire croire, comme le font certains socialistes, que la France peut accueillir tout le monde. Ce serait irresponsable !

M. Bernard Roman - Quelle caricature !

M. le Rapporteur – C’est pourtant votre seule proposition : allez-vous enfin nous en dire plus aujourd’hui ?

La plupart de nos partenaires se sont donné les moyens de définir leur politique migratoire en fonction de leurs besoins et de leurs capacités. Pourquoi pas nous ? En 2005, la France a délivré environ 160 000 premiers titres de séjour. Pour l’essentiel, il s’agissait d’une immigration de droit, ne relevant d’aucune stratégie, d’aucune volonté.

M. Richard Mallié - C’est scandaleux !

M. le Rapporteur – Loin de remettre en cause le droit de séjour des personnes entretenant un lien fort avec la France, il faut pourtant constater l’absence de politique migratoire et l’existence d’une immigration subie, plutôt que choisie. Il est temps que l’immigration devienne, en France, un sujet de débat politique, au sens le plus noble. Je tiens à remercier le ministre d’État de permettre que le Parlement soit le lieu de ce débat.

Mais il faut aller plus loin encore, et permettre un débat annuel sur nos orientations. Les contraintes constitutionnelles empêchent actuellement le Parlement de le rendre obligatoire et de fixer lui-même les objectifs à atteindre par catégorie de titre de séjour. Pour autant, vous vous êtes engagé, Monsieur le ministre d’État, à nous fournir des objectifs quantitatifs annuels pour chaque catégorie de titre de séjour : vous fixez ainsi un cap clair que nous attendions.

Quelles sont ces orientations ? Tout d’abord, il faut réformer l’immigration de travail. La France cumule un très fort taux de chômage et des besoins de main-d’œuvre non satisfaits dans de nombreux secteurs. Pourtant, l’immigration de travail n’a concerné, en 2005, que 11 500 personnes – soit 7 % du flux total. Il est urgent de permettre à notre économie d’accueillir ceux dont elle a besoin.

L’absence de politique migratoire nuit à notre compétitivité. Les entraves à l’immigration, loin de réduire le nombre global d’entrées, ont pourtant réussi à dissuader les migrants les plus qualifiés. La Commission européenne souligne que 54 % des immigrés originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et possédant un diplôme universitaire résident aujourd’hui en Amérique du Nord. Au contraire, 87 % de ceux qui n’ont pas achevé leur études primaires ou secondaires vivent en Europe. La France, elle aussi, a le droit d’accueillir les cadres dirigeants, les chercheurs et les étudiants les plus brillants.

Une politique de co-développement est indispensable au retour dans leur pays d’origine des cerveaux formés en France. Ainsi, même en choisissant les meilleurs, nous tenons compte de l’intérêt des pays d’émigration ; c’est l’une des conditions de délivrance de la nouvelle carte de séjour « compétences et talents ».

Le projet de loi que je vous rapporte aujourd’hui est relatif à l’immigration, mais aussi à l’intégration, condition essentielle du succès de notre politique de l’immigration.

Or, nos faiblesses en la matière sont évidentes, au point que de jeunes Français, comme l’ont montré les événements de l’automne dernier, se sentent parfois, hélas, plus étrangers que leurs parents qui ont pourtant conservé leur nationalité d’origine. Sans intégration, l’immigration conduit à l’échec.

Jusqu’à la création, en 2003, du contrat d’accueil et d’intégration, la France ne disposait d’aucun outil spécifique pour les primo-arrivants – contrairement à la plupart de nos partenaires. Là encore, la rupture s’impose. La signature d’un tel contrat ne doit pas être un simple engagement sympathique, mais une ardente obligation. La délivrance d’une carte de résident doit être réservée à ceux qui choisissent de respecter les valeurs de notre pays, et d’en apprendre la langue.

Tels sont les objectifs que ce projet de loi novateur nous permettra d’atteindre. Il comporte cinq axes d’action principaux.

Tout d’abord, la promotion d’une immigration choisie. Cette expression, souvent critiquée, ne fait pourtant l’objet d’aucune proposition alternative. À la différence de l’opposition, le Gouvernement a donc choisi d’agir.

Il faut rendre l’enseignement plus attractif pour les meilleurs étudiants étrangers. Leur nombre est certes important en valeur absolue – environ 255 000 en 2004-2005, soit 11,3 % de l’effectif total – mais le fort taux d’échec, voire d’évaporation avant les examens, et la concentration sur le premier cycle et certaines disciplines révèlent la faiblesse de notre système. Le projet de loi prévoit donc de réduire les formalités administratives imposées aux meilleurs étudiants.

Il propose également de lever le principal obstacle à l’immigration de travail. Dans les régions et les secteurs – agriculture, bâtiment, hôtellerie-restauration – qui souffrent d’une pénurie structurelle de main-d’œuvre, il sera désormais possible de recruter des travailleurs étrangers sans se voir opposer la situation de l’emploi. Les employeurs des métiers « en tension » n'auront plus à démontrer qu'ils n'ont pas réussi à recruter via l'ANPE avant de pouvoir embaucher un étranger qui veut travailler. Dans les secteurs qui ne sont pas « en tension », en revanche, l'évaluation au cas par cas de la situation de l'emploi sera maintenue. Les règles de renouvellement de la carte de séjour « salarié » n’étant par ailleurs pas modifiées, il est particulièrement malhonnête d’affirmer que la réforme privilégie une « immigration jetable ». La commission des lois a adopté deux amendements qui lèvent définitivement les doutes qui subsistaient sur ce point.

Pour répondre aux problèmes spécifiques du recrutement dans l'agriculture ou la restauration, un effort particulier est consenti en faveur des travailleurs saisonniers, avec la création d'une nouvelle carte de séjour temporaire de trois ans qui permet à son titulaire de séjourner et de travailler en France six mois par an.

Pour accueillir des migrants qui contribueront au rayonnement de notre pays en même temps qu'au développement du leur, le texte crée une carte renouvelable « compétences et talents » d'une durée de trois ans. Cette carte sera attribuée en fonction de la personnalité des demandeurs, ce qui permettra d’attirer les meilleurs profils. Les conditions de délivrance de la carte seront déterminantes pour la réussite du dispositif ; c’est pourquoi un amendement proposera la mise en place d'un guichet unique.

Deuxième axe du projet : redonner à la France les moyens de définir sa politique migratoire. La délivrance d'un visa de long séjour devient ainsi la condition nécessaire de l'immigration en France, puisqu’il sera dorénavant exigé préalablement à la délivrance d'un premier titre de séjour.

En matière de lutte contre l'immigration clandestine, nous devons affirmer avec force notre volonté de faire appliquer les règles d'entrée et de séjour des étrangers. Il fallait donc mettre fin à la « prime à l'illégalité » que constituait l’octroi d’un droit au séjour à toute personne ayant réussi à se maintenir irrégulièrement sur le territoire pendant plus de dix ans.

M. Richard Mallié - Un scandale !

M. le Rapporteur - Ce système est injustifiable. S’il faut laisser aux préfets la possibilité – que maintient le projet – de régulariser dans un but humanitaire, il est inconcevable de récompenser une violation des lois de la République.

Les procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière sont par ailleurs simplifiées. Le droit des étrangers est devenu le premier contentieux devant les tribunaux administratifs, passant de 16 % à 24 % des affaires enregistrées entre 2000 et 2005. Le texte propose une réforme de bon sens. Aujourd'hui, nous informons l'étranger du refus de son titre de séjour et l'invitons à quitter le territoire dans un délai d'un mois, avant de lui adresser par la poste un arrêté de reconduite à la frontière valable un an. Désormais, le refus d'un titre de séjour sera couplé avec une obligation de quitter le territoire dans le délai d'un mois – OQTF – valant arrêté de reconduite à la frontière pendant un an. Pour aller jusqu'au bout de cette réforme, la commission vous proposera de supprimer définitivement les arrêtés de reconduite à la frontière par voie postale.

Les deux principales modifications proposées en matière de droit d’asile ne portent en rien atteinte à celui-ci. Il s'agit de réduire l'attente des demandeurs d'asile, en confortant l'existence de la liste nationale des pays d'origine sûrs, et d'améliorer les conditions d'hébergement, actuellement difficiles, en donnant un fondement législatif aux centres d'accueil pour demandeurs d'asile – CADA.

Pour tenir compte de nos engagements européens, le texte transpose la directive du 29 avril 2004, qui oblige les États membres à laisser les ressortissants communautaires et leur famille circuler et séjourner librement sur leur territoire, et celle du 25 novembre 2003, qui accorde aux étrangers non européens un droit au séjour privilégié dans l'Union européenne lorsqu'ils ont séjourné plus de cinq ans dans un État membre. Permettez-moi, sur ce point, de vous informer que le dernier rapport de la Délégation pour l'Union européenne comporte pour la première fois en annexe, à la demande de son président, Pierre Lequiller, toutes les directives européennes sur l'immigration.

Troisième axe du projet, l'encadrement de l'immigration familiale. Si la Constitution de 1958 affirme le droit de chacun à mener une vie familiale normale, le Conseil constitutionnel a reconnu que le législateur pouvait subordonner l'exercice de ce droit à des conditions. Le texte fait ainsi passer de douze à dix-huit mois la durée de présence en France nécessaire pour pouvoir bénéficier du regroupement familial. En outre, le demandeur doit être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail. En revanche, les conditions de logement, fixées par décret et qui permettent aujourd'hui à une famille de sept personnes de vivre dans un logement de 61 m², ne sont pas modifiées. La commission a voté un amendement inspiré de la directive communautaire, qui précise que ces conditions seront désormais fixées par les préfets. Une condition est ajoutée : le demandeur doit se conformer aux principes qui régissent la République française, ce qui semble le minimum exigible !

Alors que le regroupement familial est stable, le nombre de cartes de séjour délivrées sur le fondement des liens personnels et familiaux est passé de 2 800 en 1998 à 13 200 en 2005. Cette catégorie, qui avait vocation à être subsidiaire, est devenue un moyen d'obtenir un titre de séjour sur des critères pour le moins flous. Désormais, l'étranger devra justifier de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France, de ses conditions d'existence dans notre pays ainsi que de son insertion dans notre société.

Le quatrième axe de la réforme est l'amélioration des dispositifs d'intégration. Le contrat d'accueil et d'intégration – CAI –, créé en 2003 sur la base du volontariat, devient obligatoire pour tout migrant entrant en France pour s'y installer durablement. Il comporte des engagements de l'État – formation linguistique et civique, bilan de compétences professionnelles... en contrepartie desquels le migrant s'engage à suivre les formations qui lui sont prescrites. Le respect du contrat sera le critère décisif d'obtention de la carte de résident. Sa mise en œuvre exigera un effort de suivi du respect de ses obligations par l'étranger. La signature du CAI ne doit plus se réduire à un engagement sympathique : elle doit devenir une ardente obligation. La commission a adopté de nombreux amendements en ce sens.

Alors que le droit de résider durablement en France appelle un effort d'intégration, le bénéfice de la nationalité doit venir couronner un processus d'assimilation à la société française. Le texte étend donc à quatre ans – au lieu de deux – la durée de vie commune dans le mariage exigée pour que le conjoint étranger puisse devenir français. Ceci permettra de lutter contre les détournements auxquels donne lieu ce volet du droit de la nationalité – on ne peut expliquer autrement que le nombre de mariages mixtes ait plus que triplé depuis 1997.

Il est important de marquer solennellement l'appartenance de tous les nouveaux Français à la nation. Plusieurs amendements vous proposeront de généraliser la cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française, qui est actuellement facultative et ne concerne que les personnes ayant acquis la nationalité par naturalisation.

Le projet adapte enfin les modalités de la lutte contre l'immigration clandestine aux spécificités de l’outre-mer. La situation est en effet particulièrement inquiétante : la population clandestine était estimée en 2004 à environ 45 000 personnes à Mayotte – près de 30 % de la population –, 35 000 en Guyane et 5 000 en Guadeloupe. Conformément aux articles 73 et 74 de la Constitution, le texte adapte donc à la situation particulière de ces collectivités diverses dispositions législatives, qui concernent les conditions de recherche et d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, les modalités des contrôles et vérifications d'identité et la lutte contre les reconnaissances de paternité de complaisance et le travail illégal à Mayotte.

Ce projet prend bien en compte la problématique migratoire dans toute sa diversité, et apporte de nombreuses réponses concrètes. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter, à l’instar de notre commission, ce texte qui pose les bases d'une politique migratoire rénovée pour la France de demain, une politique ferme mais juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D’irrecevabilité

M. le Président - J’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement. Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

M. Jérôme Lambert - C’est un scandale !

M. le Président – C’est la décision de la Conférence des présidents, et nous la respecterons.

M. Bernard Roman - Six mois après les graves évènements qui ont secoué nos banlieues, et au lendemain des manifestations étudiantes qui vous ont conduit à retirer le CPE, voici, Monsieur le ministre d'État, que vous nous soumettez un nouveau texte qui, sous couvert d'intégration, durcit encore les conditions de vie des immigrés dans notre pays. II s'agit du second texte en trois ans sur le même sujet, d’un deuxième tour de vis, comme si vous souhaitiez rythmer ainsi votre parcours ministériel. Une nouvelle fois, vous prétendez répondre à une urgence. Mais quelle urgence ? Par ce mélange de propos radicaux et de modernisme bravache que vous affectionnez, vous cherchez à susciter un nouveau réflexe de défiance vis-à-vis d'une population qui connaît certes des difficultés, mais qui enrichit aussi la France de sa diversité, comme l'ont fait les immigrations italienne, espagnole ou polonaise.

Cette nouvelle loi précarise un peu plus une population qui ne souhaite pourtant que s'intégrer. Jetés hors de chez eux par la force des événements ou des circonstances économiques, ces hommes et ces femmes ont choisi notre pays, et vous pourriez, si vous dialoguiez avec eux sans cordon de CRS et hors du champ des caméras, les entendre exprimer leur attachement à la France.

M. Eric Raoult - Ils votent pour nous !

M. Bernard Roman - Vous n’y répondez que par une nouvelle accumulation d'interdits.

Ma conviction est que vous présentez aujourd'hui le texte de trop. Un texte qui, sans convaincre l'électorat réactionnaire que vous visez, suscite l'inquiétude d'une majorité de la population et des réactions dont vous ne percevez pas encore toute l’acuité, qui montrent que la France est plus généreuse, plus fraternelle et plus républicaine que vous semblez le penser. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Bernard Roman - Renoncez à ce projet, le plus destructeur du pacte républicain depuis la Libération ! (Rires sur les bancs du groupe UMP) II est une honte pour la République française, une insulte à notre histoire, une blessure pour les valeurs de la France que nous aimons. Vous êtes le seul ministre de l'intérieur à légiférer deux fois en trois ans sur l'immigration. Pourquoi une deuxième loi, déjà ? Pourquoi une loi sur l'immigration, encore ? Faut-il y voir l'aveu de l'échec de la loi de 2003 ? L’évaluation de cette dernière est difficile : certains décrets d'application viennent juste d'être publiés, d'autres ne le sont pas encore.

M. René Dosière - Parmi les plus importants !

M. Bernard Roman - Vous voulez combattre l'immigration clandestine. Devons- nous en déduire que sous ce quinquennat, au cours duquel vous aurez été deux fois ministre de l'intérieur, elle aurait augmenté de manière alarmante en dépit de vos discours et de vos consignes de fermeté ?

La commission d'enquête du Sénat a conclu à l’impossibilité de chiffrer l’immigration clandestine et reconnu que le problème concerne principalement l’outre-mer. Lors de son audition le 20 décembre dernier, Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, avec qui vous entretenez des rapports réguliers, a expliqué non sans humour : « l'immigration irrégulière est un phénomène très difficile à évaluer, puisque nous avons déjà du mal à produire des statistiques fiables sur l'immigration légale. Les chiffres diffusés sur les étrangers en situation irrégulière ne sont que des estimations, et comme je viens de jurer de dire toute la vérité, je me garderai bien d'en donner aucun. »

S’agit-il alors, comme vous le dites, d’ouvrir davantage l’immigration de travail ? Certes, elle a diminué depuis que vous êtes en fonction, Monsieur le ministre, malgré les objectifs que vous avez affichés en 2003 : selon le Haut conseil à l’intégration, elle est passée de 8 800 personnes en 2001 à 6 700 en 2004. Mais si c’est là votre objectif, un nouveau texte n’est nullement nécessaire ; le Gouvernement peut, par simple instruction ou circulaire, organiser l’arrivée de travailleurs étrangers. Nous l’avions fait en 1998 pour permettre aux entreprises françaises de recruter des informaticiens étrangers afin de prévenir le bug de l’an 2000. Depuis le 16 juin dernier, c’est même vous, ministre de l’intérieur, qui avez autorité sur les services qui délivrent ces autorisations de travail.

Votre intention est donc ailleurs. Il s’agit pour vous de faire une nouvelle offre électorale aux électeurs d’extrême droite (Protestations sur les bancs du groupe UMP), sous forme de restrictions sans précédent du droit au regroupement familial et du droit d’asile. Nous dénonçons cette confusion des genres. Vous utilisez vos responsabilités ministérielles pour vous tracer des perspectives électorales ; cela ne facilitera pas, l’année prochaine, votre argumentation sur la rupture… Vous aurez du mal à convaincre l’opinion que vous êtes vierge du bilan de ce gouvernement, après avoir autant contribué à sa boulimie législative !

Nous sommes là dans le nauséabond, mais aussi dans la législation d’affichage dénoncée par le président du Conseil constitutionnel.

« Oui, je cherche à séduire les électeurs du Front national, j’irai même les chercher un à un », annonciez-vous dans Le Parisien du 29 mars ; et vous avez ouvertement repris devant vos admirateurs le 22 avril les slogans de l’extrême droite, eux-mêmes transposition d’anathèmes venant des États-Unis lors de la guerre du VietnaM. Pour un homme qui se veut l’incarnation de la rupture, vous n’innovez pas !

M. Claude Goasguen - Vous non plus ! Où est l’exception d’irrecevabilité ?

M. Bernard Roman - Déjà il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua affirmait que les valeurs de la droite étaient les mêmes que celles de l’extrême droite. Quelques années plus tard, les commentaires sur « les bruits et les odeurs » ont placé l’immigration au cœur de la campagne présidentielle de 2002 (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Et puisque cela plaît, pourquoi se gêner, comme vous le dites si souvent ? Vous ne faites rien d’autre que marcher dans les pas de vos pères spirituels. Cessez donc de vous présenter comme un homme nouveau alors que vos idées sont éculées ! Ce sont celles de la droite française la plus conservatrice, et dans ce domaine comme dans les autres, votre bilan est un échec.

M. René Couanau - Parlez-nous un peu du fond…

M. Bernard Roman - Vous présentez un texte non seulement qui ne s’imposait pas, mais que beaucoup regrettent ; vous le sauriez si vous aviez procédé aux concertations nécessaires. Les critiques émanent même de vos rangs : le Président de l'Assemblée nationale s’est ainsi montré circonspect, en soulignant la nécessité « de ne pas courir après l’électorat le plus extrémiste » et en appelant à un devoir « d’humanité envers des gens qui souffrent et sont hélas obligés de quitter leur pays alors qu’ils voudraient y rester » ; notre collègue Etienne Pinte laisse entendre que ce projet n’était pas nécessaire, sauf à vouloir, dit-il, instrumentaliser le thème de l’immigration à des fins électoralistes. Plus de 500 organisations se sont regroupées au sein d'un « collectif contre l'immigration jetable » pour défendre les droits fondamentaux menacés par votre texte et combattre votre volonté de réduire l'étranger à sa force de travail. La plupart des syndicats dénoncent votre approche utilitaire et sécuritaire de l'immigration. Le Conseil des Églises chrétiennes, ému par l'inhumanité de ce texte, regrette « la perspective utilitariste de cette réforme » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Vous raillez, chers collègues, mais rappeler que derrière ce débat, il y a des hommes, des femmes et des enfants est utile !

Ce projet est dangereux car il est anti-républicain (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La France s'honore d'incarner des valeurs morales et politiques depuis le Siècle des Lumières. Elle est historiquement une terre d'immigration et d'asile. Elle risque aujourd’hui, dans un monde ouvert et au sein d’une Europe vivante, d’apparaître comme décalée en faisant de l’immigration un question franco-française, échappant à une réflexion globale et internationale.

M. Claude Goasguen - Regardez les législations européennes !

M. Bernard Roman - Le concept d'« immigration choisie » est très choquant.

M. Alain Marsaud – Il est européen…

M. Bernard Roman – M. Abdou Diouf s’est dit « heurté par un projet politiquement et moralement inacceptable ». Ne pouvant accepter que « la France dise unilatéralement : je choisis les immigrés diplômés de telle catégorie, et tous les autres, je n'en veux pas », il a déclaré préférer une immigration « régulée » à une immigration « choisie ».

Quant à la malheureuse expression d'« immigration subie », si elle a disparu de votre projet, elle n'a pas disparu de vos commentaires. Vous l'avez revendiquée récemment dans la presse, en affirmant : « Nous ne voulons plus d'une immigration subie, nous voulons une immigration choisie, voilà le principe fondateur de la nouvelle politique de l'immigration que je préconise ». Vous avez à cette occasion, comme vous l’avez fait tout à l’heure, renvoyé dos à dos « deux intégrismes », celui du Front national et celui des « laxistes », sans paraître considérer que le premier est plus choquant… Du reste, personne ne refuse que l’immigration soit contrôlée, personne ne prétend que la France doit accueillir tout le monde ; en revanche, nous disons que la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit pas conduire à l’injustice et peut se faire dans le respect des valeurs qui fondent notre République.

Or, vos déclarations montrent bien que votre but est de semer un vent xénophobe.

M. Claude Goasguen - C’est inadmissible !

M. Bernard Roman - Dès l’exposé des motifs, le ton est donné. Je sais bien que vous subissez la pression de certains de vos amis, qui flirtent avec le nationalisme le plus obtus. Voici ce que déclarait récemment un député UMP dans la presse : « Trente ans d'immigration massive, à flot continu, encouragée par la complaisance de la gauche et la tétanisation de la droite, ont fait sauter les digues de notre identité nationale. Un peuple qui ne sait plus ce qu'il est, d'où il vient, n'a plus de destin ». Sans doute aura-t-il bu du petit lait en entendant certaines de vos paroles…

Cette logique nationaliste et xénophobe n’est pas celle de la France que nous aimons, fière de son histoire et de sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Vous nous proposez un tri sur des critères élitistes entre « bons » et « mauvais » immigrés, et des quotas – rebaptisés « objectifs quantitatifs pluriannuels. Quant au concept d'« immigration subie », humainement inacceptable, il conforte le communautarisme et l'individualisme.

Nous refusons d'entrer dans un débat dont les termes sont ainsi posés. C'est le sens de nos motions de procédure.

M. Claude Goasguen - Rien à voir avec la Constitution, tout ça…

M. Bernard Roman – Avec votre texte, vous combattez le droit de vivre en famille.

Certes, les migrations pour motif familial ont proportionnellement augmenté depuis l'arrêt de l’immigration de main-d'oeuvre en 1974, mais elles n’ont aucun caractère excessif. Selon le rapport annuel de la Direction de la population et des migrations, rendu public mercredi dernier, si l'immigration pour motif familial est en hausse, le regroupement familial stricto sensu décroît : 25 400 personnes en ont bénéficié, contre 26 700 en 2003 ; et on en comptait 80 000 chaque année dans les années quatre-vingts…

Entre une politique angélique et une politique de la peur, il y a la place pour une politique respectueuse des valeurs de la France, et néanmoins responsable. C'est celle que nous défendons.

Le titre II de votre projet bafoue des droits essentiels. J’en retiendrai trois.

La liberté de se marier, d’abord, à laquelle vous attentez alors qu’elle constitue un droit fondamental. Le véritable parcours du combattant que vous entendez imposer aux futurs conjoints est scandaleux. Nous ne contestons nullement que le droit du mariage soit parfois détourné, mais le phénomène ne prend pas le caractère massif que certains dénoncent. Dans son rapport de mars dernier, M. Mariani parle de la progression « irrésistible » des mariages mixtes. Soit, mais est-il illégitime que, dans nos sociétés modernes, de telles unions se multiplient ? Et doit-on reprocher aux enfants d’immigrés arrivés dans les années 1980 de vouloir, en se mariant dans leur pays d’origine, marquer leur attachement à leurs racines ? Doit-on leur reprocher de vouloir maintenir des liens dans toutes les cultures qui forment leur identité ? Le seul discours à leur tenir est-il vraiment : « aimez la France ou quittez la » ? En outre, en ne délivrant plus de titre de séjour au bout de trois ans de mariage d’un couple mixte, ce n’est pas seulement le conjoint étranger que vous allez stigmatiser mais aussi le citoyen français. Quant à l’exigence de visa, elle n’existe nulle part en Europe et la France va, en cette matière comme en d’autres, faire figure d’exception peu glorieuse.

Deuxième illustration de votre volonté d’installer le soupçon et la précarité, la remise en cause du droit au regroupement familial, laquelle se justifie d’autant moins que le nombre de personnes concernées n’a cessé de diminuer. Il est particulièrement inadmissible de prétendre imposer une condition de ressources hors prestations familiales, (Murmures sur les bancs du groupe UMP) et de toute façon illusoire de croire que l’on va réussir à séparer des familles qui veulent vivre ensemble. C’est du reste contraire à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, et votre politique n’aboutira finalement qu’à multiplier le nombre des personnes en situation de ni-ni – ni expulsables, ni régularisables. Enfin, le critère d’intégration à la République demeure bien trop imprécis pour être opposable juridiquement.

Troisième atteinte aux droits fondamentaux que porte votre projet, la suppression du dispositif de régularisation individuelle permanente au terme de dix ans de présence sur le territoire. Ce qui frappe d’emblée, c’est la disproportion entre le problème à traiter et le dispositif que vous proposez : au cours des dix dernières années, ce ne sont pas plus de 2 500 à 3 000 personnes qui, chaque année, ont été régularisées à ce titre. Si l’on considère que les étrangers représentent 2 % à 2,5 % de la population française, je vous laisse apprécier ce que représentent ces 3 000 cas ! Ensuite, vous parlez de prime à la clandestinité prolongée, alors qu’il ne s’agit que d’appliquer la prescription, laquelle relève des principes généraux du droit. La suppression des droits sociaux qui en découlera risque d’avoir des conséquences dramatiques. Enfin, je crois que l’on peut considérer qu’un immigré – certes entré de manière irrégulière – qui a réussi à se maintenir sur le territoire national pendant dix ans a donné des gages d’intégration. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) On peut difficilement le soupçonner de ne pas maîtriser notre langue ou nos règles de vie !

M. Claude Goasguen - Quel argument ! Et le respect de la loi ?

M. Bernard Roman - Pourquoi revenir sur ce point alors que vous ne l’avez pas fait en 2003 ? Pourquoi M. Sarkozy a-t-il changé d’avis ? Et ne nous dites pas que les autres pays européens ne le font pas, certains délivrant des titres de séjour au bout de sept ans seulement, notamment pour des raisons humanitaires.

Plus généralement, je rappelle que si la gauche a pris des décisions de régularisation massive, c’est aussi parce que les gouvernements précédents – dont celui de M. Pasqua – avaient créé des stocks de personnes en situation atypique, ni régularisables selon le droit ordinaire, ni expulsables en l’état, au regard notamment de la convention européenne des droits de l’homme. Nos partenaires allemands et italiens sont arrivés, je le rappelle, aux mêmes conclusions.

Aucun socialiste ne pense que l’on peut régulariser sans appliquer certains critères…

M. Éric Raoult - Si, Fabius !

M. Bernard Roman - Laurent Fabius a estimé qu’il serait nécessaire de procéder à une régularisation massive, ne serait-ce que pour donner des droits à tous ceux auxquels vous aurez refusé des papiers alors qu’ils sont inexpulsables ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Et, je vous le demande, est-il de l’intérêt de la France de condamner des personnes à une situation d’illégalité à perpétuité ? Si les Français nous donnent leur confiance en 2007, nous tiendrons nos engagements en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Ce texte est superflu, dangereux et inefficace. Tous les spécialistes de l’immigration s’accordent sur le fait que la nouvelle législation génèrera une quantité croissante de personnes en situation de ni-ni, condamnées à une précarité perpétuelle, à moins qu’une loi ultérieure plus juste leur permette de retrouver un statut. En attendant, ce sont des familles entières qui verront leurs conditions de vie durcies et les conjoints séparés continueront, soyez en sûrs, de se regrouper, fût-ce dans l’illégalité.

Le dispositif qui nous est soumis est juridiquement inopérant. Mme Wihtol de Wenden, directeur de recherche au CNRS, a démontré que l’on développait de l’illégalité en durcissant la règle et – autre paradoxe apparent – que les migrants se stabilisent dans le pays de destination lorsque celui-ci ferme ses frontières, alors que les flux de circulation restent plus fluides lorsque les frontières sont ouvertes. L’histoire a montré que les lignes Maginot étaient inefficaces, et, bien plus près de nous, la présentation du présent texte montre bien que la loi de 2003 n’a pas eu tous les effets escomptés.

Par ailleurs, la politisation des enjeux de l’immigration et toutes les polémiques auxquelles donne lieu leur exploitation partisane ne grandissent personne. Sempiternellement présentée comme un problème, l’immigration se situe aujourd’hui, en proportion de la population française, au même niveau qu’en 1960…

M. Éric Raoult - C’est faux !

M. Nicolas Perruchot - C’était alors une immigration de travail.

M. Bernard Roman - Et ce ne sont pas les méthodes « musclées » de la majorité actuelle qui vont régler les problèmes en suspens. En témoigne le fiasco de la fermeture du centre de Sangatte. À l’intérieur, les conditions de vie étaient déplorables ; hors de ce centre, elles sont, pour les migrants, devenues catastrophiques ! Sur place, les élans de solidarité de la population calaisienne se multiplient, et l’on a même vu certains de nos concitoyens encourir des poursuites pénales pour avoir porté assistance aux mendiants qui se pressent aux abords de l’ancien centre ! Je pourrais vous parler aussi des employés de la ville de Calais, traumatisés par les conditions de vie des personnes entrées irrégulièrement dans les squats de fortune qu’ils occupent, parmi les rats et les détritus, dans des conditions d’hygiène qui posent un problème de santé publique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Et vous proposez quoi ?

M. Bernard Roman - C’est à vous que je le demande, puisque le ministre de l’intérieur s’était formellement engagé à ce que les personnes concernées par la fermeture de Sangatte soient prises en charge par des services spécialisés.

Ce que vous ne voulez pas voir, c’est qu’un homme ou une femme déterminé à fuir son pays, fût-ce au prix de sa vie, ne sera pas stoppé par un mur imaginaire. On n’endigue pas la misère et la volonté d’un avenir meilleur par des barbelés. Faire barrage à l’immigration par la contrainte est à la fois illusoire et moralement condamnable. Aux États-Unis, les églises se mobilisent pour contrer certaines dérives. En France, nous n’en sommes pas là, mais le mur juridique que vous vous proposez d’édifier sera contreproductif. Le choix du tout répressif signe l’échec de votre démarche et de votre impuissance à nouer les partenariats qui permettraient d’aborder ces questions de manière tout ensemble plus humaine et plus efficace. Dans notre monde ouvert et interdépendant, l’heure est aux politiques concertées d’aide au développement. C’est avec les pays sources qu’il convient de poser des règles communes justes et démocratiques, découlant d’une volonté politique clairement affirmée. C’est à cette démarche de longue haleine qu’il faut s’atteler, plutôt que de se contenter de renvoyer ceux dont le seul tort est de ne pas être né du bon côté de la planète…

M. Claude Goasguen - Décidemment, nous sommes bien loin d’une exception d’irrecevabilité !

M. Bernard Roman - Votre loi va diviser là où il faudrait rassembler. En la proposant, vous mettez en danger la République. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Est-ce le rôle d’un ministre de l’intérieur ? Voilà pourquoi je demande à mes collègues, au nom du groupe socialiste, d’adopter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - Je ne répondrai bien sûr pas à l’outrance de vos affirmations totalement gratuites et indécentes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés socialistes – Mais où est donc Sarkozy ?

M. le Ministre délégué – Vous ne pouvez pas nous accuser de xénophobie quand tout le projet du Gouvernement consiste précisément à pratiquer une immigration choisie pour mieux réussir l’intégration. Alors que vous avez, pendant des années, encouragé l’immigration subie qui alimente la xénophobie, je comprends que vous soyez déçu qu’aujourd’hui un ministre de l’intérieur…

MM. Bernard Roman et Bernard Derosier – Mais où est-il ?

M. le Ministre délégué - …se soucie d’apporter des réponses équilibrées et justes. Mais nous saurons entretenir votre déception pour que reviennent dans la famille républicaine un certain nombre de ceux qui s’en étaient éloignés.

Nous aurons l’occasion, article après article, de démentir vos critiques infondées mais aussi de montrer que vous n’avez aucune proposition (« Rien ! » sur les bancs du groupe UMP). Pour l’heure, comme vous n’avez à aucun moment abordé l’éventuelle inconstitutionnalité du texte, j’invite la représentation nationale à voter contre cette exception d’irrecevabilité.

Voyez-vous, Monsieur Roman, avec l’extrême droite, ce sont les barbelés, avec vous, un terrain ouvert à tous les vents, avec nous, un portique de sécurité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur – J’ai vraiment eu l’impression d’être retourné trois ans en arrière en vous entendant dénoncer des mesures prétendument xénophobes, excessives et injustifiées.

M. Bernard Derosier - C’est toujours fondé.

M. le Rapporteur – Nous serions xénophobes parce que nous proposerions des quotas d’immigration. Mais, Monsieur Roman, pour qui « des quotas seront établis par une cellule d’analyse et de prévision des flux migratoires qui publiera régulièrement un rapport déterminant le nombre d’immigrés (…) » ?

M. Éric Raoult - Malek Boutih !

M. le Rapporteur – Malek Boutih en effet, secrétaire national du parti socialiste ! Je n’aurai pas la cruauté de poursuivre. Monsieur Roman, l’honnêteté exigerait de ne pas considérer la fixation de quotas ou de plafonds comme l’expression d’une xénophobie quand c’est nous qui la proposons et comme l’expression d’une générosité quand c’est M. Malek Boutih. Vous avez vous-mêmes failli un temps le proposer. Mais vous n’avez plus aujourd’hui de politique de l’immigration.

Vous parlez encore, comme il y a trois ans, de mesures excessives. Souvenez-vous, vous dénonciez comme une atteinte aux libertés individuelles, une ignominie, la proposition de Nicolas Sarkozy de porter de 12 à 32 jours la durée maximale de placement en centre de rétention. Or, une directive européenne propose aujourd’hui de la porter à six mois, preuve, s’il en était besoin, que notre politique, simplement ferme et humaine, est tout à fait modérée.

Les mesures proposées seraient également, dites-vous, injustifiées. Mais enfin, les mariages de complaisance sont-ils une vue de l’esprit quand un mariage sur trois est un mariage mixte dans notre pays alors que seulement un enfant sur dix naît d’un tel mariage ? Les chiffres eux-mêmes apportent la preuve qu’il existe bel et bien des détournements de procédure.

Ce projet de loi n’est ni xénophobe, ni excessif, ni infondé. Il est ferme et humain, et c’est pour cela que nous le soutenons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

Mme Françoise de Panafieu – Ce projet de loi marque un tournant dans la politique d'immigration menée depuis de nombreuses années. Pour la première fois, nous nous donnons la possibilité de lui donner du sens. Au-delà de la question du nombre d’immigrants, nous nous demandons avec qui nous avons envie de vivre et comment.

Celles et ceux qui, comme moi, exercent des responsabilités locales savent que la réalité du terrain, vécue quotidiennement par nos compatriotes, s'oppose souvent aux discours de salon sur l'immigration. Ce projet de loi vise à répondre concrètement à ces difficultés.

Le concept d'immigration choisie veut allier fermeté et humanité, sans renier l'universalisme au fondement même de notre modèle républicain, qui exige le respect de la personne, mais aussi de l'égalité des droits et des devoirs.

Notre pays ne peut plus accueillir toute la misère du monde, comme le disait à juste titre un ancien premier ministre socialiste.

M. René Dosière - Citez sa phrase en entier. Ne dénaturez pas ses propos !

Mme Françoise de Panafieu - Il n'y a d'ailleurs pas de fatalité à subir des flux migratoires incontrôlés. La politique que vous avez menée depuis 2002, Monsieur le ministre…

Plusieurs députés socialistes – Il n’est pas là !

Mme Françoise de Panafieu - …le prouve, qui tranche singulièrement avec celle de vos prédécesseurs comme avec les vagues promesses formulées ici ou là par l'opposition.

La régularisation des sans-papiers, erreur déjà commise à deux reprises, provoque inévitablement un appel d'air sans pour autant assurer à ceux qui en bénéficient de bonnes conditions de vie sur le territoire national.

Devenir français doit être un engagement fort, une promesse de respecter nos valeurs. Vous recommandez, Monsieur le ministre, que des cérémonies soient organisées à cette occasion. J’ai, pour ma part, été la première élue nationale à organiser, en tant que maire, de telles cérémonies, depuis maintenant quatre ans (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP). Dans ma mairie d’arrondissement, nous accueillons les nouveaux Français devant les policiers, les avocats et les magistrats du tribunal d’instance, tous en tenue, ainsi que devant les présidents d’associations (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je ne saurais trop inviter les uns et les autres à organiser de telles cérémonies. Elles donnent l’occasion de saluer ces nouveaux Français, de leur rappeler la chance que nous avons de vivre dans un pays qui donne des droits mais aussi des devoirs à ses citoyens, un pays évolué et de grande culture, un pays enfin qui, par la citoyenneté française, confère également la citoyenneté européenne. Acquérir la nationalité est un acte majeur, politique et affectif.

Nous devons être en mesure d'accueillir et d'intégrer les immigrants dans des conditions dignes et humaines. C'est tout le sens de ce projet de loi.

M. Patrick Braouezec - Ce n’est pas une explication de vote, mais une intervention de discussion générale !

Mme Françoise de Panafieu - J'ai encore en mémoire, les images des incendies meurtriers de l'été dernier à Paris, au cœur même de la « ville lumière », forte d'une tradition d'accueil, d'ouverture et de tolérance. Ces drames ont révélé que la France n’était plus en mesure d'intégrer dans des conditions décentes ceux qu’elle accueille… parce que nous avons trop cédé par la passé à la tyrannie des bons sentiments.

La diversité est une chance pour notre pays à condition que nous puissions la faire accepter grâce à des conditions de séjour qui garantissent l’épanouissement des personnes. Contrairement aux démagogues qui prônent l'immigration zéro, comme à ceux qui font fi des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens, nous croyons, nous, à une immigration maîtrisée, choisie, gage d'une intégration réussie et d'une diversité enrichissante.

C’est au nom de cette profonde conviction que je vous demande de repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Rudy Salles - Une fois encore, nous débattons d'un projet de loi sur l'immigration. Pour les uns, ce texte va permettre de régler tous les problèmes. Pour les autres, il est inacceptable. Pour ma part, je suis navré que le débat s’ouvre dans un tel contexte, ce qui n’est, hélas, pas la première fois. Depuis une trentaine d’années, le sujet de l’immigration empoisonne le climat politique dans notre pays. Pour les uns, il faut ouvrir toutes grandes les portes de notre pays et régulariser à tout-va les clandestins.

M. René Dosière - Qui dit cela ?

M. Rudy Salles - Pour les autres, il faut créer, pour empêcher toute nouvelle immigration, une ligne infranchissable qui se révèle être une ligne Maginot.

Pour ma part, je regrette que l’on ne recherche pas à rassembler les Français sur ce sujet. Car l'immigration, phénomène mondial, est un défi majeur pour la France et pour l'Europe. Il y a en effet d’un côté les pays riches, qui connaissent certes des difficultés, mais n’en restent pas moins riches et donc attractifs, de l'autre, les pays pauvres qui cumulent les handicaps – pauvreté extrême, pandémies, absence de démocratie, corruption,... Y a-t-il place pour un débat droite-gauche dans notre pays sur un sujet aussi grave qui va dessiner l'avenir du monde ? Je ne le crois pas. J'en veux pour preuve l'exemple d’autres pays, comme l'Allemagne, qui essaient de trouver des solutions consensuelles sur le sujet. Je déplore qu’il n’en aille pas de même chez nous.

Une politique d'immigration a besoin de clarté et de long terme. Or, en France, elle est remise en question à chaque alternance, ce qui fragilise la position de notre pays. De plus, l’échelon national n’est plus aujourd'hui le niveau pertinent pour régler ces questions. Il faut au moins agir au niveau européen.

Pour ce qui est de l'intégration, chacun sait qu’elle est devenue un problème avec la dégradation de la situation économique et sociale de notre pays depuis une trentaine d'années. La fracture sociale si largement évoquée en 1995 s'est accentuée jusqu'à conduire à la crise des banlieues de novembre dernier.

Il est heureux que l'on insiste aujourd'hui sur la nécessité de donner une formation renforcée de langue française aux immigrés qui souhaitent s'installer chez nous. Mais il faut le faire également et d'abord à l'école, dans les quartiers sensibles. Les moyens des ZEP ne suffisent pas dans ce domaine et les enfants qui ne maîtrisent ni notre langue, ni nos us et coutumes, se retrouvent très vite en situation d'échec. Combien de générations sacrifiées ne peuvent s'intégrer parce qu’une formation de base leur fait défaut ! Il est heureux aussi que l'on donne de la solennité à l'acquisition de la nationalité française. J’avais en vain proposé à Mme Guigou, lorsqu'elle était Garde des Sceaux, qu’une cérémonie d’accueil officielle soit organisée à cette occasion. J’avais été qualifié d'affreux nationaliste alors que ma proposition était généreuse !

En revanche, je regrette que l’on parle d'immigration et d'intégration sans évoquer les questions de la coopération et du développement. Prétendre régler les conséquences sans traiter les causes est une aventure vouée à l'échec, comme l’ont été toutes les politiques de l'immigration depuis trente ans. Le meilleur moyen de dissuader les candidats à l'immigration, c'est de leur donner les moyens de vivre dans de bonnes conditions chez eux, d’y encourager l'instauration de régimes démocratiques, d’y lutter contre la corruption, de faire en sorte que l'aide internationale arrive à destination et d’engager des efforts gigantesques pour enrayer les pandémies. Malheureusement, c’est moins payant sur les plans médiatique et politique que la lutte contre l'immigration ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Les problèmes d'immigration et d'intégration s’ajoutent aux problèmes que notre pays connaît depuis vingt-cinq ans. La gauche et la droite sont responsables de cette situation. Les événements récents donnent le sentiment que notre pays ne marche plus sur ses deux pieds. Même les Français de souche doutent. Dans un tel contexte, la mission d'accueil et d'intégration devient pratiquement impossible. Pour autant, l’immigration n'est que le miroir grossissant des carences de notre société.

En définitive, ce dont ce débat a besoin, ce n’est pas d’idéologie mais de pragmatisme, de réalisme, d'humanisme et d'efficacité. Je crains que nous ne passions, une fois encore, à côté de ces valeurs en privilégiant un débat purement politicien. Le groupe UDF, refusant tant la posture d’opposant que le rôle de béni-oui-oui, privilégiera donc une attitude constructive. Pour commencer, nous nous opposerons à cette exception d'irrecevabilité (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) dont le but est d’empêcher le dialogue en dressant une frontière entre droite et gauche. C'est une pratique répandue dans cet hémicycle, dont les Français sont las et que nous voulons condamner ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jérôme Lambert – Comme la semaine dernière en commission, je voudrais rappeler que je fais partie de ces nombreux Français qui ont choisi de se marier avec une personne d’origine étrangère (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre-Louis Fagniez - Ce n’est pas une MST !

M. Jérôme Lambert – Depuis une quinzaine d’années, je vis donc au milieu d’étrangers dont je connais les difficultés.

Mme Sylvia Bassot - On se fiche de votre vie privée !

M. Jérôme Lambert – Ma vision de l’immigration est donc nourrie par une expérience concrète et quotidienne. Par ailleurs, je suis membre du groupe d’amitié France-Algérie, dont j’assure la vice-présidence après en avoir été le président. À ce titre, je pense être en droit d’affirmer que ce texte ne constitue pas un véritable progrès pour l’intégration des étrangers ou des personnes d’origine étrangère. Comme M. Roman l’a démontré, il créera de nombreux problèmes en prétendant apporter des solutions.

Aucun député du parti socialiste ne demande la régularisation par principe de tous les clandestins.

Plusieurs députés UMP - Et Fabius ?

M. Jérôme Lambert - Vous avez mal compris ! Nous pensons que la régularisation peut être nécessaire pour régler des problèmes insurmontables. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Certains députés de la majorité ont l’air d’ignorer qu’il existe en France des dizaines de milliers de personnes en situation irrégulière que l’on ne peut pas expulser. Celles-là doivent être régularisées.

Comme M. Salles l’a souligné, une approche européenne de l’immigration est nécessaire. Mais, cela ne signifie pas, contrairement à ce que le ministre de l’intérieur suggère, qu’il faille obéir aux injonctions de la Commission européenne. Nous devons élaborer des règles en fonction de nos propres critères républicains.

En conclusion, ce texte ne comporte que de vieilles idées, contraires à certains de nos principes d’intégration. Si les modifications que l’on nous propose avaient été adoptées, je n’aurais pas pu épouser ma femme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Ce texte est également contraire au principe d’égalité puisque ce sont des critères subjectifs qui sont retenus. Cela n’est pas fraternel. Je crains que le groupe UMP légitime les thèses de l’extrême droite et concoure au développement de son influence dans la population française sans parvenir à gagner des électeurs. J’en appelle donc à votre raison et je vous demande de voter cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Muguette Jacquaint – Alors que les décrets de la loi de 2003 ne sont pas encore parus, vous nous proposez un nouveau texte sur l’immigration. Faut-il qu’à un an des élections présidentielles,…

M. Jean-Marc Roubaud – Parce que les élections ont lieu dans un an, on ne pourrait plus rien faire ?

Mme Muguette Jacquaint – …on agite la peur ? Le ministre de l’intérieur a évoqué la délinquance et les mouvements des banlieues. C’était, qu’il le veuille ou non, suggérer que les immigrés en sont responsables. Le chômage et la précarité, ce serait la faute des immigrés. Faut-il rappeler que des milliers de famille en France vivent mal ? Et M. Balkany ose prétendre que la pauvreté n’existe pas en France. Mais où vit-il ? Les difficultés sociales sont le résultat de votre politique libérale en France comme en Europe. Les immigrés servent de bouc émissaire !

Plusieurs députés UMP – Le grand capital aussi !

Mme Muguette Jacquaint - Pendant qu’on s’en prend à eux, vous pouvez poursuivre votre politique. Les Français ne s’y trompent plus. Il y a quelques semaines, ils sont descendus dans la rue pour protester contre le CPE. Le présent projet de loi va aggraver la précarité, le chômage et la clandestinité et, surtout, il ne respecte pas les droits de l’homme. Il ne doit pas être voté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures.
La séance est levée à 19 heures.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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