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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du jeudi 4 mai 2006

Séance de 21 heures 30
88ème jour de séance, 208ème séance

Présidence de M. Éric Raoult
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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immigration et INTÉGRATION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration.

ART. 8

M. Bernard Roman - L’amendement 275, de suppression, est défendu.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des loisAvis défavorable.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales – Même avis.

L'amendement 275, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 8, mis aux voix, est adopté.

ART. 9

M. Bernard Roman - L’amendement 276 est défendu.

L'amendement 276, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 410 est rédactionnel.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable.

L'amendement 410, mis aux voix, est adopté.

M. Claude Goasguen - L’amendement 128 rectifié est défendu.

L'amendement 128 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 9 modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 10

M. Bernard Roman - L’amendement 277 est défendu.

L'amendement 277, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Jacqueline Fraysse - L’amendement 517 tend à supprimer la mention « dans un métier ou une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement », qui traduit une volonté flagrante d’accepter ou de jeter le travailleur étranger en fonction de la situation du marché.

Une telle gestion à grands coups d’arrêtés, censés prendre en compte les difficultés locales de recrutement, fera en effet de ces travailleurs les victimes de l’instabilité des marchés, alors même que leur situation est déjà bien précaire dans notre pays et qu’ils doivent remplir un nombre incalculable de conditions pour accéder à un titre de séjour.

Cette utilisation abusive de leur seule force de travail nous paraît proprement inhumaine. Elle renvoie à une conception inacceptable de notre société !

M. le Rapporteur – Avis défavorable. L’exposé sommaire de cet amendement dénonce une entrave à l’émigration de travail. Or, celle-ci est fermée dans toutes les régions et dans tous les métiers depuis 1974 !

Reconnaissez donc qu’en introduisant une nette ouverture, cet article représente un progrès, Madame Fraysse, même s’il ne va pas aussi loin que vous le souhaiteriez. Vous proposez en effet de supprimer toute limitation tenant au métier ou à la zone géographique, c’est-à-dire une ouverture générale !

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Je suis surpris que vous demandiez la suppression de cette mesure de bon sens, qui instaure une plus grande souplesse dans les secteurs où existent des pénuries de main-d’œuvre – l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment et les travaux publics et, dans certains cas, l’agriculture – ainsi que dans les zones géographiques ou existent des besoins de recrutement. Avis défavorable.

M. Noël Mamère - Je soutiens l’amendement présenté par ma collègue, car nul ne sait qui, ni comment, ces zones géographiques et ces métiers seront définis. Certes, le projet de loi précise que la liste en sera établie par l’autorité administrative, mais nous aimerions savoir laquelle, et quelle sera la valeur de cette liste, qui devrait prendre la forme d’un arrêté ministériel.

Par ailleurs, quels seront les contours des zones géographiques ? Et selon quelle périodicité les listes seront-elles révisées ? Il s’agit en effet d’un élément décisif pour la durée du séjour !

Enfin, une carte de salarié attribuée sur la base de difficultés de recrutement consignées dans la liste aura toutes les chances d’être retirée en cas de rupture du contrat de travail, étant donné que les employeurs n’hésiteront pas à faire un signalement à l’autorité préfectorale.

Certes, vous avez revu votre copie en revenant sur le retrait de la carte « salarié » en cas de rupture du contrat de travail – la disposition était bien trop voyante dans le contexte de mobilisation contre le CPE –, mais le mécanisme du retrait de titre est tout de même prévu, puisque deux types de cartes – séjour temporaire et « compétences et talents » – peuvent être retirées si leur titulaire cesse de remplir l’une des conditions nécessaires à sa délivrance. La perte du travail peut donc être un motif de retrait. Dans ce cas, le préfet qui, jusqu’ici, n’en était que capable, sera désormais tenu de retirer le titre de séjour. Quant au renouvellement des cartes « salarié », il est plus que précaire, puisqu’il sera refusé si les difficultés de recrutement ont disparu dans les métiers et dans les zones concernées. C’est donc vraisemblablement la carte « travailleur temporaire » qui sera le plus souvent délivrée, car elle est moins contraignante pour les employeurs.

Mme Jacqueline Fraysse - La souplesse pour les employeurs dont nous parle le ministre n’est pas assortie de garanties suffisantes pour les salariés, et ne fera qu’aggraver la précarité dans laquelle ils se trouvent. Conserveront-ils leur carte de séjour en cas de rupture de contrat ?

M. le Président – Je vais donc mettre aux voix l’amendement 517.

M. Noël Mamère - Rappel au Règlement : nous ne sommes pas dans une course de vitesse ! Vous n’avez pas, même en qualité de président temporaire de cette assemblée, à nous imposer votre rythme. Il n’est pas question d’enjamber les articles pour aller plus vite : nous avons à débattre d’un thème important et d’un texte dangereux pour les étrangers.

Plusieurs députés UMP – Mais salutaire pour la France !

M. Noël Mamère - Pour éviter la précipitation, je suis donc prêt à reposer mes questions si le rapporteur et le ministre ne les ont pas entendues.

M. le Président – S’il y a un travail temporaire, Monsieur Mamère, il n’y a pas pour autant de président temporaire.

M. le Rapporteur – Nous avons adopté hier, en tout début de discussion, l’amendement 58 à l’article 2. Il précise très clairement que la carte « salarié » ne peut être retirée s’il y a rupture du contrat de travail, et répond ainsi à vos craintes.

M. Noël Mamère - J’entends bien votre réponse, mais ma question portait surtout sur les métiers et les zones géographiques : qui les définira, et comment ? Selon quelle périodicité sera révisée de leur liste ? Quels seront les contours des zones géographiques ?

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Pour favoriser le recrutement, il faut s’adapter de notre mieux aux exigences du terrain. Ce sont donc les préfets de région qui préciseront les métiers ouverts, sur la base d’une liste nationale qui sera révisée tous les ans.

L'amendement 517, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Jacqueline Fraysse - L’amendement 490 vise à supprimer la mention de la liste établie par l’autorité administrative car elle peut devenir un moyen de fichage ou de pression. D’autre part, pourquoi inscrire cette disposition dans la loi ? Les textes règlementaires ont donné les mêmes résultats !

M. le Rapporteur – Avis défavorable : c’est au Parlement mieux que partout ailleurs que se définit une volonté politique. La loi, en l’occurrence, est donc préférable à une simple circulaire.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Même avis.

L'amendement 490, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 56 vise à imposer la consultation des organisations syndicales d’employeurs et de salariés avant l’élaboration de la liste par les préfets.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable.

L'amendement 56, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 57 vise à donner une base législative à l’ouverture ciblée du marché de l’emploi, depuis le 1er mai 2006, aux ressortissants des dix nouveaux pays membres.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis très favorable : il faut en effet distinguer entre le régime d’accès au marché du travail qui s’applique aux ressortissants des pays tiers et celui qui s’applique à ceux des nouveaux États membres.

M. Noël Mamère - Cet amendement confirmerait-il les mots de M. Raoult, qui préfère « les plombiers polonais aux marabouts et autres laveurs de carreaux » ?

M. le Rapporteur – Il s’agit tout simplement de la préférence communautaire, à laquelle nous souscrivons tous.

M. Noël Mamère - Pourquoi l’inscrire dans la loi, alors que des circulaires et des directives communautaires suffisent à l’affirmer ? Est-ce pour mieux repousser ceux qui viennent de plus loin ?

M. le Rapporteur – J’ai la faiblesse de croire que la loi est la manifestation de la volonté populaire. Je préfère donc une loi issue du Parlement à une circulaire issue de l’administration, que je respecte par ailleurs.

M. Bernard Roman - La loi décide pourtant de faire des circulaires !

M. Claude Goasguen - Les circulaires sont attaquables devant les tribunaux administratifs !

M. Noël Mamère - Vous considérez la loi de manière sélective, Monsieur le rapporteur. Tout à l’heure, on nous disait que la constitution de commissions chargées d’examiner les conditions du vote des étrangers extra-communautaires ne pouvait pas figurer dans la loi. On nous dit maintenant que celle-ci doit supplanter les circulaires pour affirmer la préférence communautaire. Je voudrais être perplexe, mais j’ai peur de trop bien comprendre…

M. Bernard Roman - M. Sarkozy nous l’a dit : il préfère la loi aux solutions règlementaires. Toutefois, la préférence communautaire a été établie bien avant cette loi. D’autre part, le règlement permet d’établir la carte d’emploi avec plus de souplesse que la loi. Enfin, chaque année, on établira cette carte nationale et régionalisée qui conditionnera les attributions de cartes de séjour. Or, l’emploi est mobile et les entreprises – dans le bâtiment, par exemple – peuvent souscrire des marchés sur l’ensemble du territoire national. Dès lors, n’est-il pas étrange de cantonner les titres de séjour à des régions ? C’est aller à l’encontre des mutations de l’emploi et de la mobilité géographique – quelle que soit l’opinion que l’on a sur ces réalités.

J’aimerais être sûr que cette carte régionalisée, consacrée par la voie législative, ne va pas créer de nouveaux problèmes.

M. le Rapporteur – Monsieur Roman, membre comme votre collègue Lambert – qui suit de près ces questions –, de la délégation à l’Union européenne de notre assemblée, je puis témoigner que les nouveaux entrants ont le sentiment que la France les considère en quelque sorte comme des demi-Européens, alors que d’autres États membres, tels le Royaume Uni ou la Suède, leur ont, eux, ouvert leur marché du travail. À cet égard, une disposition législative en leur direction sera donc bienvenue.

M. Serge Blisko - Sincèrement, je suis un peu gêné. Je comprends l’exposé sommaire de l’amendement selon lequel une circulaire, ce n’est pas terrible et qu’il vaut mieux passer par la loi. Sauf qu’à inscrire dans la loi des dispositions trop précises, on risque d’aboutir à certaines incongruités. Sans vouloir paraître plus libéraux que vous, nous plaidons pour plus de souplesse. Dans le BTP, les entreprises sont extrêmement mobiles, au gré des chantiers, des appels d’offres et de la sous-traitance, et on imagine mal que le système soit rigidifié à l’excès du fait d’une approche régionale trop stricte. Quant à la liste des métiers ouverts au 1er mai telle qu’elle figure aux pages 93 à 95 du rapport, elle me semble confiner au délire administratif ! Outre que je serais curieux de connaître la définition du métier de « polymaintenicien », je ne suis pas pleinement convaincu de la nécessité de distinguer les poseurs de revêtements rigides des poseurs de revêtements souples… Quant aux éleveurs – nombreux dans la circonscription de M. Mariani –, pourquoi n’accueillir que les « hors sol » : craint-on à ce point la concurrence du bouvier bulgare ? Je sais que nous sommes nombreux ici à penser, sur tous les bancs, qu’il est des matières où la sur-administration confine au ridicule.

L'amendement 57, mis aux voix, est adopté.

Mme Jacqueline Fraysse - Notre amendement 492 supprime l’alinéa 6 de l’article car il résulte de l’alignement de la durée du séjour sur celle du contrat une subordination excessive du salarié à l’égard de l’employeur, dans la mesure où ce dernier, outre la pression inhérente à toute relation de travail, aura le pouvoir de décider de son maintien sur notre sol. Il est en effet prévu que la carte de séjour soit retirée sitôt le contrat de travail rompu. On imagine toutes les conséquences d’une telle décision.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement tardif mais j’y suis personnellement défavorable, comme je le serai à l’amendement 491, la commission proposant par contre d’accepter les amendements 159 et 160 de M. Mamère qui expriment la même préoccupation.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Même avis.

M. Noël Mamère – Je soutiens sans réserve l’amendement de Mme Fraysse car la rédaction bien trop imprécise du texte est peu contraignante pour l’employeur et ouvre la porte à tous les abus. Depuis la loi du 26 novembre 2003 – dont tous les décrets d’application n’ont pas été pris –, il est déjà possible de retirer la carte de séjour temporaire à tout étranger ne se conformant pas aux obligations décrites au dos du titre et d’assortir l’obligation qui lui est faite de quitter le territoire de l’interdiction de travailler en France pendant trois ans. Comme l’a indiqué Jacqueline Fraysse, la correspondance de durées entre le titre de séjour et le contrat de travail crée un lien de subordination excessive du salarié étranger à l’employeur, lequel disposera, outre des moyens de pression habituels, du pouvoir final de décider du maintien ou non de l’intéressé sur notre sol. C’est la logique de fragilité et de peur du CNE – et de l’ex-CPE – que vous perpétuez, à l’encontre, cette fois, des salariés étrangers. Pour vous, il est clair que le séjour des travailleurs immigrés ne peut être toléré qu’au regard de leur utilité économique, sans aucune considération pour leurs droits.

M. Bernard Roman - Décidément, ce texte ne fait pas converger de manière harmonieuses les logiques économique et juridique ! Dans la sphère économique, vous décrivez la situation des secteurs manquant de main-d’œuvre où les emplois vacants restent non pourvus, faute de volonté des nationaux de les occuper ou parce qu’ils n’ont pas la formation adaptée. D’après les branches professionnelles concernées, il en résulte un recours croissant à une main-d’œuvre clandestine, et, pour y remédier, vous proposez d’assouplir les règles d’accueil d’un salariat étranger. En matière civile, vous arrivez pourtant au constat inverse : pour réduire le nombre de clandestins, il faut, selon vous, durcir le droit des étrangers. Comment expliquer cette contradiction ?

Il y aura désormais trois catégories de cartes de séjour temporaires : mention « salarié » pour les détenteurs d’un CDI, mention « travailleur temporaire » pour les détenteurs d’un CDD, et mention « travailleur saisonnier » pour les saisonniers. Un salarié détenteur d’une carte de séjour « travailleur temporaire » et auquel on propose de transformer son CDD en CDI devra-t-il refuser ce CDI et retourner dans son pays au motif que sa carte n’est plus valable ? La souplesse accordée aux employeurs ne pourrait-elle aussi être envisagée pour les salariés ?

L'amendement 492, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Muguette Jacquaint – Nous proposons, par l’amendement 491, que la carte de séjour portant la mention « salarié » soit délivrée à tous les travailleurs, que leur contrat soit à durée indéterminée ou déterminée. À défaut, on peut penser, et c’est déjà le cas, que les cartes « travailleur temporaire » seront les plus nombreuses parce qu’elles sont moins contraignantes pour les employeurs. Elles rendent pourtant plus précaire la situation des travailleurs et plus difficile l’accès à leurs droits, notamment au logement. Les étrangers autorisés à travailler en France devraient bénéficier d’un statut leur garantissant un minimum de stabilité afin de pouvoir s’insérer dans la société et exercer leur droit à une vie privée et familiale normale. Le dispositif envisagé conduira, au contraire, à fabriquer de nouveaux sans-papiers.

La multiplicité des cartes ne fera que rendre encore plus complexes les choses, pour l’administration comme pour les salariés. Mais, surtout, elle aboutira à hiérarchiser les catégories de travailleurs. En fonction de leurs revenus, de leur apport à notre économie, de leurs compétences, ceux-ci se verront attribuer un statut social différent. La France devient ainsi une terre d’accueil « zonée ».

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Nous tenons à maintenir la distinction entre détenteurs d’un CDI et détenteurs d’un CDD.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Pour que les choses soient bien claires, il existe deux types de cartes : l’une avec la mention « salarié » d’une durée d’un an, renouvelable, délivrée aux personnes qui exercent une activité pour douze mois ou plus ; l’autre avec la mention « travailleur temporaire », d’une durée inférieure à un an, délivrée lorsque l’activité exercée l’est pendant moins de douze mois.

Mme Muguette Jacquaint - Ça, on l’avait compris !

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Ce n’était pas évident dans votre propos. Avis défavorable à l’amendement 491.

M. Noël Mamère - Vous avez parlé tout à l’heure de trois cartes et n’en citez ici que deux ! D’autre part, pour obtenir la carte mention « salarié », il faudra maintenant produire un contrat à durée indéterminée pour un emploi figurant sur une liste établie par l’autorité administrative. Mais sa délivrance reste subordonnée aux dispositions de l’article R. 341-4 du code du travail qui autorise à opposer la situation de l’emploi à tout demandeur d’une autorisation de travail. Deux situations pourront donc se présenter : ou bien le contrat de travail soumis à la préfecture et à la DDTE concerne un métier et une zone géographique figurant sur la liste en question, et l’autorisation de travail pourra être facilement obtenue, ou bien ce n’est pas le cas, et la situation de l’emploi sera systématiquement opposée. Et quand, par miracle, l’autorisation de travail sera donnée, elle pourra encore comporter des restrictions professionnelles ou géographiques qui figureront au dos de la carte de séjour « salarié », comme ce peut déjà être le cas. Quoi que vous en disiez, des limites inacceptables sont bien apportées au droit de travailler.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – Que se passera-t-il pour un salarié en CDI dont la carte de séjour n’est pas renouvelée ? Devra-t-il démissionner ?

M. le Président – Monsieur Roman, vous me demandez la parole. Vous pourrez intervenir sur les autres amendements. Sur celui-ci, un orateur a déjà répondu à la commission, un autre au ministre.

M. Bernard Roman - Rappel au Règlement. Je comprends bien que vous souhaitez accélérer nos travaux. Mais nous ne faisons aucune obstruction, nous souhaitons seulement débattre au fond (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), et il le faut car il y va de l’intérêt des étrangers dans notre pays. Mieux vaudrait nous laisser nous exprimer et avoir un échange approfondi avec le Gouvernement. Ne nous forcez pas à utiliser toutes les ressources de la procédure à la disposition de l’opposition (« Des menaces ! » sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Tous ceux qui étaient inscrits sur les articles avaient le loisir de s’exprimer. Ils y ont renoncé. Lors de la discussion des amendements, le Règlement prévoit que deux orateurs puissent intervenir, l’un pour répondre au ministre, l’autre au rapporteur. Je ne fais qu’appliquer le Règlement. Pour l’instant, je mets aux voix l’amendement 491.

L'amendement 491, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Bernard Roman – Dans ces conditions, je demande une suspension de séance.

M. le Rapporteur – Je vais vous répondre, Monsieur Roman…

M. Bernard Roman - J’ai demandé une suspension de séance.

M. le Président – C’est moi qui préside. Le rapporteur a la parole pour vous répondre. Je ferai droit à votre demande de suspension ensuite (M. Roman se dirige vers la sortie de l’hémicycle).

M. le Rapporteur – Il y a trois catégories de cartes : « travailleur saisonnier » pour les saisonniers, « salarié » pour les titulaires d’un CDI, cette carte étant renouvelée tous les ans tant que le contrat continue, et « travailleur temporaire » pour les salariés dont la durée du contrat est inférieure à un an – je pense aux interprètes, aux mannequins, aux toreros… Et il y a deux listes, l’une nationale, pour les ressortissants de l’Union européenne – je précise à M. Blisko qui a ironisé sur le sujet qu’elle a été établie en concertation avec les partenaires sociaux, et en effet certaines dénominations de métiers sont ésotériques, y compris pour moi –, l’autre, déclinée par région et par métier, valable pour l’ensemble des ressortissants extracommunautaires.

La séance, suspendue à 22 heures 30, est reprise à 22 heures 40.

M. Noël Mamère - L’alinéa 6 de l’article impose, pour l’obtention d’une carte de séjour portant la mention « salarié », la production d’un contrat à durée indéterminée. Un contrat d’une durée d’au moins un an devrait suffire ; c’est ce que je propose par mon amendement 159.

L'amendement 159, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Les amendements 160 et 333 peuvent être soumis à discussion commune.

M. Noël Mamère - Mon amendement 160 est de coordination avec celui qui vient d’être adopté.

M. Bernard Roman - M. Lagarde m’a demandé de défendre son amendement 333. Je le retire pour me rallier à celui de M. Mamère.

L'amendement 333 est retiré.
L'amendement 160, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Bernard Roman - Je défends également volontiers, comme il me l’a demandé, l’amendement 332 de M. Lagarde, qui est dans l’intérêt des étrangers concernés puisqu’il précise que si la rupture du contrat de travail intervient dans les trois mois précédant le renouvellement de la carte, une nouvelle carte est délivrée à l’intéressé pour une durée d’un an.

M. le Rapporteur – Avis défavorable ; en revanche, la commission a adopté l’amendement 58, qui prolonge l’amendement que nous avons voté hier soir à l’article 2. Il dispose que la carte « ne peut pas être retirée à son titulaire en raison de la rupture de son contrat de travail ».

M. Brice Hortefeux, ministre délégué L’amendement 332 est satisfait par l’amendement 58. Je remercie le rapporteur de cette amélioration du texte, en précisant qu’il n’était évidemment pas dans les intentions du Gouvernement de retirer aux étrangers leur carte de séjour en cas de licenciement. Il faut bien évidemment leur offrir la possibilité de retrouver un travail pendant que leur carte de séjour reste valide.

M. Bernard Roman - L’amendement 332 n’est pas totalement satisfait : il visait à ce qu’en cas de rupture du contrat de travail dans les trois mois précédant le renouvellement du titre de séjour, le salarié bénéficie d’un nouveau titre de séjour d’un an !

L'amendement 332 mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Le Gouvernement partage votre préoccupation, Monsieur Roman, qui est d’éviter que des pressions ne s’exercent sur le salarié à l’approche de l’échéance de son titre de séjour, mais le code du travail, dans son article R. 341-3, protège le travailleur de ces dérives en prévoyant que l’étranger privé d’emploi et pouvant prétendre à un régime d’indemnisation chômage peut bénéficier du renouvellement de ce titre.

L'amendement 58, mis aux voix, est adopté.

Mme Chantal Brunel - L’amendement 325 est défendu.

L'amendement 325, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 161 concerne les travailleurs saisonniers. Votre dispositif semble généraliser les contrats saisonniers dits OMI, réservés jusqu’à aujourd’hui aux ressortissants des pays ayant signé une convention bilatérale avec la France, soit le Maroc, la Pologne et la Tunisie. En cela, vous risquez de favoriser les pratiques abusives dans le secteur agricole, largement dénoncées.

Ce titre, permettant d’effectuer des travaux saisonniers n’excédant pas six mois consécutifs par année, sera désormais délivré pour une période de trois ans. Cette prolongation de la durée permettrait ainsi aux employeurs de compter sur un volet de travailleurs saisonniers et, incidemment, allégera leurs démarches administratives.

Vous ajoutez cependant une nouvelle condition, l’exigence de maintenir sa résidence habituelle hors de France, qui nous paraît facteur de moindre protection sociale. Le critère de la territorialité jouant un rôle majeur dans ce domaine, le titulaire pourrait être conduit à séjourner en France durant toute la validité de la carte tout en étant dépourvu de protection durant la moitié de l’année. En outre, comment la préfecture vérifiera-t-elle que la condition de résidence habituelle est respectée ? Il convient donc d’être vigilant sur les droits qui seront ouverts aux travailleurs saisonniers.

M. Patrick Braouezec - Défendant notre amendement 493, je fais miens les arguments de M. Mamère. Si je me souviens bien, M. Mariani m’a indiqué en commission que, sans cette condition de résidence, le saisonnier serait incité à travailler au noir en France les six mois restants. Mais si l’on fait confiance aux étrangers, on peut aussi imaginer que la personne demeure sur le territoire et vive, de manière tout à fait honnête, grâce aux fruits de son travail.

M. le Rapporteur – La création de cette carte de travailleur saisonnier – qui faisait d’ailleurs partie des propositions présentées par Malek Boutih au parti socialiste – est un immense progrès. Actuellement, certains saisonniers se maintiennent illégalement sur le territoire par peur de ne pas obtenir la carte les années suivantes. Pour la première fois, on leur attribue une carte pour trois saisons, ce qui leur permet de revenir chez eux sereins.

Sans l’obligation de résidence hors de France, on sait très bien que les saisonniers travailleront au noir l’autre moitié de l’année. S’ils souhaitent résider l’année entière en France, il passent alors dans une autre catégorie de travailleurs.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Cette initiative provient de travaux menés par la Commission européenne et devrait être adoptée par nombre d’États membres.

M. Mariani a raison : autoriser le séjour permanent en France revient à encourager le travail illégal, ce qui va à l’encontre de l’objectif du texte.

M. François Guillaume - La démonstration de M. Braouezec est théorique et je souscris aux propos du rapporteur et du ministre. Les saisonniers eux-mêmes souhaitent revenir dans leur pays. Il est important de leur laisser cette possibilité : ainsi ne seront-ils pas poussés à travailler illégalement en France, à rester au chômage et à demander le regroupement familial.

M. Bernard Roman - Si le Gouvernement veut éviter le procès en précarisation des immigrés que nous lui faisons, il doit prendre en compte la remarque suivante : l’obligation d’une résidence hors de France conduit à plonger les travailleurs dans la précarité. En effet, les assurés appartenant aux professions à caractère saisonnier ou discontinu ont droit à des prestations lorsqu’ils ont effectué 800 heures de travail. Ceux qui ne seront pas dans ce cas se retrouveront pendant six mois sans protection sociale.

M. Noël Mamère – Quand j’entends M. Guillaume et que je vois le traitement que l’on veut réserver aux travailleurs saisonniers, j’ai l’impression de me retrouver au comité de suivi des intermittents et de lire une sorte de copie du protocole infâme, signé par le Medef, qui a provoqué l’annulation de plusieurs festivals !

À travers ces dispositions applicables aux saisonniers, les plus faibles des travailleurs, vous montrez votre véritable dessein : précariser toujours plus et arriver à l’immigration jetable.

M. Patrick Braouezec - Si un travailleur saisonnier qui a travaillé six mois en France veut ensuite y rester un peu, quinze jours ou bien un mois ou deux, pour des vacances, aura-t-il le droit de le faire ou sera-t-il obligé de repartir aussitôt dans son pays ?

M. le Rapporteur – Oui.

M. Patrick Braouezec – Quelqu’un qui aurait travaillé six mois chez nous et participé ainsi au développement économique de notre pays n’aurait ensuite pas le droit de rester un peu pour vivre des fruits de son travail ? Pour dépenser son argent sur place, ce qui serait d’ailleurs bon pour notre économie ?

M. le Rapporteur – Je vais d’abord répondre à la question de M. Roman : les travailleurs saisonniers bénéficient dès leur mise au travail de l’assurance accidents du travail…

M. Bernard Roman - Je parlais de la maladie !

M. le Rapporteur – Pour bénéficier de la couverture sociale assurance maladie, le travailleur et sa famille doivent normalement résider en France, c’est la condition de territorialité…

M. Bernard Roman – Ah !

M. le Rapporteur – Les dérogations à cette règle dépendent de l’existence ou non de conventions bilatérales et multilatérales de sécurité sociale signées entre la France et certains États. Vous savez très bien que la France a signé un nombre significatif de conventions avec les États dont sont en général issus les travailleurs saisonniers.

M. Patrick Braouezec - Je n’ai pas eu de réponse à ma question. Mais pour en rester à la protection sociale, la réponse que vous venez de faire prouve bien qu’avec ce texte, qui exige que la résidence soit hors de France, le Gouvernement prive les travailleurs saisonniers étrangers de protection sociale, laquelle repose sur une condition de territorialité.

M. le Rapporteur – On ne refait pas ce soir le droit du travail saisonnier. Ce droit, que vous semblez découvrir, existe depuis des années et ne change pas…

M. Bernard Roman - Il n’y avait pas l’exigence de résidence hors de France !

M. le Rapporteur – Dans ma région, les travailleurs saisonniers sont souvent des Marocains. Ils sont très heureux de venir travailler plusieurs mois en France et de retourner ensuite, dès que possible, chez eux, auprès de leur famille, avec de quoi vivre confortablement pour plusieurs mois.

Mme Jacqueline Fraysse - Vous nous avez vraiment convaincus qu’il faut enlever du projet la référence à une résidence hors de France !

M. Noël Mamère - La référence à la résidence hors de France a en effet pour conséquence d’exclure les travailleurs saisonniers des prestations sociales. Avec ce texte encore plus répressif que celui de 2003, vous fragilisez encore davantage cette catégorie de travailleurs. Vous en faites des travailleurs jetables !

Mme Muguette Jacquaint - Je prendrai l’exemple du logement. Normalement, les employeurs ont l’obligation de loger dans de bonnes conditions les travailleurs saisonniers. Dans la réalité, les choses se passent différemment, comme l’ont montré plusieurs actions en Languedoc-Roussillon. On se souvient aussi de cet inspecteur du travail qui s’est fait tuer simplement parce qu’il venait vérifier dans quelles conditions l’employeur logeait et faisait travailler ses travailleurs saisonniers. Avec ce texte, on pourra vraiment les loger dans n’importe quelles conditions.

M. François Guillaume - Cela n’a rien à voir avec le texte !

Les amendements 161 et 493, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Muguette Jacquaint - L’amendement 494 est défendu.

M. le Rapporteur – Rejet, car s’il est possible de travailler douze mois sur douze, ce n’est plus du travail saisonnier.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Même avis défavorable.

M. François Guillaume - La gauche veut transformer les saisonniers en permanents ! C’est toute sa démarche depuis une demi-heure.

Une précision : les six mois s’entendent sur l’année civile. Si un saisonnier vient faire les vendanges, il peut revenir en juin pour les fraises.

M. Patrick Braouezec - Nous proposons dans notre amendement 495 de permettre à un saisonnier de travailler plus de six mois sur l’année, dès lors que ce n’est pas pour le même employeur. Dans le secteur de la restauration, par exemple, quelqu’un peut fort bien se voir proposer de faire la saison d’été, puis dans un autre établissement, la saison d’hiver. Il s’agira bien à chaque fois de travail saisonnier, mais le tout durera plus de six mois. Pourquoi empêcher quelqu’un qui donne satisfaction de travailler quatre mois ici et quatre mois là ? Pourquoi vouloir un « turn over » plus rapide, alors que vous prétendez œuvrer pour l’intégration ?

M. Noël Mamère - Actuellement, le droit au séjour et au travail est fixé à six mois, avec une prolongation possible de deux mois. Le présent texte prévoit, lui, un titre de séjour de trois ans, qui permet à son titulaire d’exercer des travaux saisonniers sur une durée qui ne doit pas excéder six mois sur douze. Cette pirouette permet en réalité aux employeurs de pouvoir compter sur un volet de travailleurs saisonniers sur une période plus longue. Il ne s’agit donc pas de mieux protéger les travailleurs saisonniers mais bien de procurer un nouvel avantage à ceux qui les emploient. Incidemment, vous allégez les démarches des employeurs, qui n’ont plus à réitérer leurs demandes que tous les trois ans. Vous leur donnez donc plus d’avantages qu’aux salariés ! Par exemple, si ces derniers séjournent en France pendant toute la durée de validité de leur carte, ils seront dépourvus de toute protection sociale pendant la moitié de l’année où il leur est interdit de travailler.

Une fois encore, c’est donc au salarié, taillable et corvéable à merci, que vous faites payer les cadeaux que vous accordez aux employeurs.

M. le Rapporteur – François Guillaume a parfaitement résumé votre position : avec cet amendement, vous niez une fois encore la réalité du travail saisonnier en France ! Inspirez-vous plutôt du document interne au parti socialiste intitulé « une nouvelle politique de gestion des flux et des mouvements » et signé par Malek Boutih.

M. Patrick Braouezec - Cela ne vous regarde pas !

M. le Rapporteur – Comment ignorer que cette carte de travailleur saisonnier représente une immense avancée, puisqu’elle permet de revenir pendant trois années de suite ? Si certains s’inscrivent dans une logique d’installation – et nous prévoyons le parcours d’intégration en leur faveur –, d’autres se trouvent en effet dans une logique de mobilité, souhaitant travailler six mois en France, puis passer le reste de l’année auprès de leur famille restée à l’étranger (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Laissez les donc retourner chez eux s’ils le souhaitent !

M. Patrick Braouezec - Mais on les y oblige ! S’ils le souhaitent, il n’y a pas de problème.

M. le Rapporteur – Je cite le texte de M. Boutih: « Un titre de séjour périodique, la « carte bleue », valable cinq ans et renouvelable permettra à des étrangers un séjour et une autorisation de travail pendant six mois cumulés ou non. Les bénéficiaires en seront les travailleurs saisonniers, ce titre ne permettant pas une installation définitive ou régulière sur le territoire ».

Mme Jacqueline Fraysse - Vous ne répondez pas à nos questions !

M. le Rapporteur - Si ceux qui réfléchissent au sein même de votre parti sur les logiques multiples de travail – installation ou mobilité – en arrivent aux mêmes conclusions que nous, c’est sans doute que notre texte répond à un véritable besoin.

M. Patrick Braouezec - Voilà une convergence douteuse !

M. le Rapporteur – À Valréas, dans ma circonscription, je connais par exemple des travailleurs marocains très heureux de venir travailler pendant six mois en France, puis de passer le reste de l’année avec leur famille au Maroc. Ils n’ont aucune envie de changer !

D’ailleurs, ceux qui souhaiteraient rester toute l’année peuvent demander une carte de séjour temporaire, et non une carte de travailleur saisonnier – c’est une autre catégorie.

M. Patrick Braouezec - Le problème, c’est qu’ils ne l’auront pas !

M. Bernard Roman - Selon sa technique habituelle, le ministre de l’intérieur s’est emparé des déclarations de l’opposition, pour clamer qu’il a raison, puisqu’un petit nombre pense comme lui ! Il en profite d’ailleurs pour distribuer bons et mauvais points…

De son côté, M. Mariani a cité un rapport interne au parti socialiste…

M. le Rapporteur – Il figurait pourtant dans Le Monde.

M. Bernard Roman - …qui a le statut de document de travail, ne reflétant pas la position officielle du parti.

S’il apprécie cette méthode, reprenons alors le débat sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, officiellement défendu par le président de l’UMP devant une convention UMP !

M. Claude Goasguen - Cette disposition, bien qu’elle s’inspire de traditions très anciennes, est l’une des plus modernes de ce texte (Signe d’approbation sur les bancs de la commission).

En effet, comment peut-on appeler à l’immigration « partagée » et au « co-développement », tout en refusant que des travailleurs viennent chercher des ressources chez nous sans s’y installer, ce qui est la caractéristique du saisonnier traditionnel et du frontalier – mais ce peut être aujourd’hui un Sénégalais, et aujourd’hui potentiellement tout habitant de la planète, grâce à l’accélération des transports.

Une telle forme de coopération par le travail a le mérite d’être équilibrée, car elle ne défavorise personne et respecte les droits de l’individu. Certes, on peut souhaiter que ceux qui le désirent passent du statut de saisonnier à celui de travailleur, mais il ne faudrait pas refuser obstinément une forme d’emploi à laquelle les moyens de communication et le co-développement promettent un bel avenir.

M. Noël Mamère - La conception du co-développement défendue par M. Goasguen ne manque pas de charme, mais elle est totalement abracadabrantesque ! (Protestations sur les certains bancs du groupe UMP) Notre collègue semble confondre les Sénégalais avec le Paris-Dakar et vous oubliez les Maliens qui traversent le désert pour être accueillis aux portes de Melilla par des fusils !

Et comment pouvez-vous vous référer au co-développement quand ce projet de loi entend rendre taillables et corvéables à merci les travailleurs saisonniers, qui seront privés de protection sociale ? Vous parlez de modernité, mais c’est une véritable régression que vous proposez, bien au-delà du texte de 2003. Vous vous rapprochez dangereusement du texte de 1937, que Vichy avait conservé.

M. Jérôme Rivière - Et que le Front Populaire avait voté !

M. Patrick Braouezec – Bien que nous devrions voter dans un instant, je doute que notre assemblée soit éclairée, car des zones d’ombre persistent. Par exemple, nous voulions supprimer la mention d’une résidence hors de France, qui priverait les travailleurs saisonniers de couverture sociale. (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ce point mérite d’être éclairci – à moins qu’il ne soit que trop clair… J’ajoute que nous ne sommes pas là pour vous entendre déclamer les réflexions du parti socialiste, Monsieur le rapporteur, mais pour écouter vos réponses à nos questions ! Supposons qu’un saisonnier trouve deux contrats de travail de quatre mois chacun. Va-t-on le mettre dehors au bout du deuxième mois de son deuxième contrat, pour le remplacer par un autre ? (Même mouvement) Vous protestez, mais telle sera pourtant la réalité !

En outre, certains d’entres eux peuvent vouloir passer quelques semaines en France, au lieu de rentrer directement dans leur pays. Il y a beaucoup de célibataires parmi les saisonniers. Laissons-les rester en France.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Cette disposition est une avancée importante, car les saisonniers n’auront plus à demander annuellement le renouvellement de leur carte de séjour – et je m’étonne d’ailleurs que vous n’en fassiez pas mention.

Plusieurs députés UMP – C’est qu’ils ne veulent pas l’entendre !

M. Brice Hortefeux, ministre délégué – Ils bénéficieront également d’une garantie nouvelle : celle de pouvoir travailler en France pendant six mois – mais pas davantage, pour ne pas aller à l’encontre de la définition même du travail saisonnier.

D’autre part, Monsieur Braouezec, le travailleur saisonnier sera couvert par l’assurance maladie dès la première minute de travail. Quant à votre deuxième question, je la comprends mal. Vous prenez le cas d’un travailleur saisonnier qui travaillerait d’abord quatre mois, puis à nouveau quatre mois. Et pourquoi pas trois périodes de quatre mois ? Mais dans ce cas, il ne s’agit plus d’un travailleur saisonnier ! La définition doit être précise : au-delà de six mois, ce n’est plus du travail saisonnier. À l’expiration de ce délai, le travailleur peut encore rester trois mois en tant que touriste ; s’il veut prolonger son séjour, il doit faire une nouvelle demande de titre.

L'amendement 494, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Braouezec - L’amendement 495 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis défavorable : deux périodes successives de six mois ne sont plus du travail saisonnier.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Même avis.

L'amendement 495, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – La carte de travailleur saisonnier, pluriannuelle et détenue continuellement par son titulaire pendant trois ans, est un véritable progrès et ne modifie en rien le droit du travail. En contrepartie, le travailleur doit s’engager à résider hors de France au moins six mois. La seule manière de s’assurer du respect de cette limitation de séjour est d’inscrire les dates annuelles de séjour sur la carte même. Celles-ci pourront, d’une année sur l’autre, être modifiées tant que la carte est valide, et ce pour les mêmes périodes. En effet, il est très improbable qu’un travailleur saisonnier passe l’été comme serveur sur la Côte d’Azur avant, l’année suivante, de revenir faire les vendanges ou le ramassage des fraises.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable : cet amendement nous donne les moyens de vérifier que les travailleurs saisonniers étrangers respectent bien la durée de leur séjour, limitée à six mois.

M. Patrick Braouezec - Ce n’est plus du travail saisonnier, mais du travail par saison !

L'amendement 59, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – Le succès de cette carte repose sur l’absence de détournement de la procédure, tant de la part des employeurs que des travailleurs. L’amendement 60 renvoie donc à un décret les modalités permettant à l’administration de contrôler le respect de la condition de six mois de séjour et de travail. En effet, dans l’attente de l’informatisation des autorisations de travail des étrangers, qui ne sera pas effective avant la mi-2007, les directions départementales du travail ne sont pas en mesure d’indiquer à des employeurs si un travailleur a déjà exercé six mois.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable : cet amendement montre combien le Gouvernement veille au respect de la limitation de la durée de séjour.

L'amendement 60, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – Après le travailleur saisonnier, l’article 10 apporte un autre progrès : le statut de détaché en mission.

M. Patrick Braouezec - C’est vrai !

M. le Rapporteur – Il faut renforcer l’attractivité du territoire français, déjà bien placé en matière d’investissements étrangers mais qui souffrait – comme les grands groupes français implantés à l’étranger – de l’absence de ce statut de détaché. La mobilité des cadres au sein d’un groupe doit correspondre à une logique de carrière, plutôt que d’installation durable. Un cadre qui doit cesser de cotiser chez lui pour travailler deux ans en France préfèrera renoncer à l’expatriation. La délivrance d’autorisations provisoires de travail par circulaire, certes possible, est une procédure lourde, restrictive et instable. L’amendement 61 précise donc enfin les conditions du séjour d’un salarié détaché, dont le statut existe depuis 2005 dans le code du travail.

Il faut pourtant veiller à ce que les entreprises n’utilisent pas ce dispositif pour employer de la main-d’œuvre étrangère à bas prix. L’amendement 61 rappelle donc explicitement qu’en matière de droit du travail, c’est la législation française qui s’applique. D’autre part, ce statut est réservé à des personnes gagnant au moins 1,5 fois le SMIC : nous sommes donc loin de la directive Bolkestein. Un exemple : si Renault souhaite s’implanter en Iran et y employer des cadres locaux qui n’ont pas l’intention de s’installer en France mais qui ont besoin d’y venir en mission, le statut de détaché est disponible et le droit social français applicable.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Avis favorable : il faut en effet favoriser la mobilité des salariés au sein d’un même groupe.

M. Patrick Braouezec - Dans un élan du cœur, j’ai d’abord approuvé ; à la réflexion, si ce statut ouvre en effet des droits, ce n’est au fond qu’une adaptation intelligente à la mondialisation du travail. Il s’agit toujours de faciliter la mobilité au niveau mondial : n’est-ce pas pour privilégier le profit aux dépens du travail ?

M. Serge Blisko - C’est le quatrième type de carte : après le CDD, le CDI et le travail saisonnier, voici le statut d’expatrié en mission en France – ou plutôt d’« impatrié ». Vous êtes curieusement mal préparés à cette refonte du droit du travail : à chaque situation, vous créez une nouvelle carte ! C’est peut-être mieux, comme vous le prétendez, mais c’est trop rapide !

M. Jérôme Rivière – De votre côté, vous ne faites aucune proposition !

M. Serge Blisko - Les obstacles sont nombreux : risque de dumping social, harmonisation des conditions de travail et de rémunération – à ce titre, je reconnais qu’il est judicieux de fixer un seuil à 1,5 SMIC. Pourtant, vous démembrez l’unité du droit du travail sur la base de la nationalité.

Avec cette carte, l’« impatrié » aura-t-il le droit de changer d’entreprise ? Aura-t-il le droit de faire venir sa famille ? Au fond, quels droits ce nouveau statut ouvre-t-il, et pourquoi ne pas simplement donner à ces salariés la carte « compétences et talents » ?

L'amendement 61, mis aux voix, est adopté.
L'article 10, mis aux voix, est adopté.

Art. 11

M. Richard Mallié – Tout à l’heure, j’ai parlé des devoirs de l’immigrant ; abordons maintenant la question de ses droits. Nous ne vivons pas dans le monde enchanté d’Alice au pays des merveilles : nombreux sont ceux qui, en leur vendant de la poudre aux yeux, profitent de la détresse des étrangers venus chercher une vie meilleure en France. Ainsi, les « marchands de sommeil » exploitent – le mot est faible – leurs compatriotes candidats à l’immigration en leur louant un couchage par roulement et en rémunérant une poignée de figues un travail qui s’apparente souvent à de l’esclavage.

Je range dans cette catégorie les négriers en situation régulière, qui, contre la promesse d’un avenir meilleur, exploitent les nouveaux arrivants qu’ils ont attirés et les rémunèrent au lance-pierre. Je me réjouis du durcissement des sanctions applicables à tous ces marchands d’illusions, mais je les trouve trop clémentes encore, l’éloignement du territoire pendant une durée limitée étant insuffisant. S’agissant de personnes qui n’ont pas hésité à se livrer aux pires formes d’exploitation de la misère humaine, je suis pour ma part favorable à ce qu’on les rende passibles d’une interdiction définitive du territoire.

M. Noël Mamère - Je n’avais pas prévu d’intervenir mais la nouvelle forme de double peine que propose M. Mallié me force à répondre. D’accord pour être plus sévère à l’encontre de ceux qui exploitent la détresse des sans-papiers, mais n’oublions pas, cher collègue, tous ces employeurs français qui exploitent les travailleurs étrangers de la manière la plus scandaleuse. Notre pays manque cruellement d’inspecteurs du travail…

M. Richard Mallié - On en crée 800 !

M. Noël Mamère - …et nombre d’exploiteurs, parce qu’ils ont la qualité de citoyen français comme vous et moi, jouissent d’une relative impunité et font leurs choux gras de la forme d’esclavage moderne qui s’attache au travail des immigrés clandestins. Faut-il rappeler que plusieurs grands chantiers qui font, dit-on, la fierté de notre pays, ont été réalisés avec le concours massif de sans-papiers sous rémunérés et contraints de travailler dans des conditions indignes ? Je pense notamment au plus grand paquebot du monde, construit à Saint-Nazaire dans des conditions que nul ne peut ignorer. Alors, Monsieur Mallié, plutôt que de s’attaquer toujours aux mêmes, balayons d’abord devant notre porte.

M. le Président – Monsieur Mamère, vous êtes trop attentif au respect de notre Règlement pour ignorer que, dans cet hémicycle, les députés ne se répondent pas entre eux mais s’adressent à l’ensemble de l’Assemblée.

M. Noël Mamère - En effet.

M. Patrick Braouezec - Le problème que soulève M. Mallié pose la question des moyens dévolus au contrôle du travail. Chacun sait que notre pays manque d’inspecteurs du travail pour contrôler les conditions de travail faites aux salariés et la régularité de leurs contrats. Compte tenu de ce que vient de dire notre collègue Mallié, je crains que l’on demande à l’inspection du travail d’être plus spécialement attentive aux agissements des employeurs étrangers, au risque de donner une certaine impunité à nos « bons négriers » français en col blanc ! Je n’ai aucune pitié pour les exploiteurs, quelle que soit leur nationalité, mais je ne vois pas au nom de quoi la répression à l’endroit des étrangers serait plus forte. Proposer l’interdiction définitive du territoire en sus des sanctions pénales ordinaires, c’est rétablir la double peine.

M. Claude Goasguen - Notre groupe n’a déposé aucun amendement en ce sens.

M. Bernard Roman - J’appelle l’attention du Gouvernement sur le caractère particulièrement contradictoire de cet article 11, que notre amendement 278 tend à supprimer. À côté de la vilenie de la loi de 2003, le ministre de l’intérieur se targue d’avoir supprimé – dans les textes au moins, sinon sur le terrain – la double peine. Or le présent article tend à la rétablir sous une nouvelle forme, et je vais illustrer ma démonstration par un fait divers récent.

Dans ma région, il y a quelques jours, une descente conjointe des services de police, du fisc et de l’URSSAF sur le chantier de l’hôpital public d’Arras – confié par appel d’offres à la société Bouygues – a permis de révéler une filière de travailleurs clandestins d’origine indienne, forcés de travailler, pour le compte d’une société sous-traitante, dix à douze heures par jour pour un salaire journalier de l’ordre de 30 euros. À sa tête, deux récidivistes, nés en Inde mais de nationalité française, encourant les sanctions pénales ordinaires pour l’emploi d’étrangers démunis d’autorisations de travail – trois ans de prison et 4 500 euros d’amende –, mais, par définition, pas la sanction administrative que constitue l’obligation de quitter le territoire et l’interdiction de travailler en France que vous vous proposez d’instituer, laquelle sera réservée aux employeurs étrangers. En résumé, l’employeur français est passible d’une sanction pénale,…

M. Jérôme Rivière - Que nous voulons alourdir.

M. Bernard Roman - …et l’employeur étranger d’une double peine, prenant la forme d’une sanction pénale et d’une sanction administrative. Au surplus, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle en France pendant trois ans, c’est peu au regard de certains principes, mais beaucoup si l’on considère que ce ne seront pas les donneurs d’ordres de gros réseaux qui seront visés mais plutôt des petits commerçants : celui qui fait travailler son fils ou son cousin sans avoir accompli toutes les formalités…

M. Richard Mallié - N’importe quoi !

M. Bernard Roman - Nationaux français, les dirigeants de la filière indienne que j’évoquais tout à l’heure sont protégés. S’ils n’avaient pas la nationalité, ils s’exposeraient à des sanctions lourdes. Là, ils sont pratiquement à l’abri !

M. Claude Goasguen - C’est faux.

M. Bernard Roman - La double peine a été formellement supprimée il y a trois ans, ne la rétablissez pas aujourd’hui !

M. le Rapporteur – La commission a repoussé l’amendement 278, car cet article 11 vient utilement compléter le régime des sanctions encourues par les employeurs qui font travailler des étrangers ne disposant pas d’autorisations de travail. Dans une décision de 1997, le Conseil constitutionnel a admis le cumul d’une sanction administrative avec une sanction pénale, dès lors que la sanction administrative prévue n’est pas entachée d’une disproportion manifeste. En ce cas, le Conseil considère qu’il ne lui revient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur. En l’espèce, le cumul de sanctions qui est prévu à cet article – sanctions pénales, obligation de quitter le territoire, interdiction de travailler en France pour une durée limitée – n’est pas disproportionné puisque il existe un lien direct entre la finalité de la sanction administrative créée– qui est de lutter contre le travail illégal – et sa nature – l’interdiction d’exercer une activité professionnelle.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Le Gouvernement a engagé une lutte déterminée contre le travail illégal. Au dernier trimestre de l’année dernière, 601 opérations ont été conduites dans l’ensemble des départements, au cours desquelles 15 390 personnes ont été contrôlées et 611 employeurs interpellés. Pour lutter contre les filières esclavagistes que nous dénonçons tous, nous durcissons les sanctions applicables aux employeurs étrangers de clandestins en prévoyant qu’en sus du retrait de leur titre de séjour, ils puissent être interdits d’exercice d’une activité professionnelle en France pendant trois ans. Et soyez rassuré, Monsieur Roman, nous avons veillé au parallélisme des sanctions à l’encontre des employeurs français de clandestins qui pourront se voir, eux, privés de leurs droits civiques, grâce à l’amendement 402 de MM. Luca et Rivière.

M. Bernard Roman – J’entends bien le souci de fermeté du Gouvernement. Dans ce cas, qu’il interdise de marchés publics tous les donneurs d’ordre faisant appel à des sous-traitants qui emploient de la main-d’œuvre clandestine. Le groupe Bouygues se trouverait totalement interdit de concourir ! Ce ne serait là que mesure de justice vis-à-vis de l’épicier arabe qui devra fermer boutique parce qu’il aura employé son cousin sans le déclarer.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué L’article L. 364-8 du code du travail prévoit déjà cette interdiction de marchés publics.

M. Bernard Roman - Pourquoi n’est-ce jamais appliqué ?

M. Noël Mamère – Notamment parce que notre pays manque cruellement d’inspecteurs du travail. Ce sont toujours les mêmes qui sont sanctionnés, les petites gens, tandis que les grands groupes, eux, continuent de prospérer sur le dos de ces esclaves du monde moderne. À cet instant, permettez-moi, si j’ose dire, un cavalier. Sans doute faudrait-il aussi interdire, comme d’autres pays l’ont fait, que de grands groupes du bâtiment, qui bénéficient de la commande publique, puissent détenir la majorité du capital de grandes chaînes de télévision.

L'amendement 278, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 11, mis aux voix, est adopté.

après l'Art. 11

M. Jérôme Rivière – S’il existe des travailleurs clandestins, c’est qu’il existe des employeurs pour les embaucher. D’où la nécessité d’une extrême fermeté à l’encontre de cette forme de délinquance. L’amendement 402 permettrait aux tribunaux, dans tous les cas où le code du travail prévoit des peines de prison pour l’emploi de main-d’œuvre illégale, de prononcer une peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, civils et de famille. Voilà qui devrait donner satisfaction à M. Roman, qui exprimait tout à l’heure ses préoccupations légitimes quant aux sanctions applicables aux employeurs français de clandestins. Notre amendement présente l’avantage par rapport au 279 du groupe socialiste de ne pas prévoir de peine automatique, le Conseil d’État étant, on le sait, extrêmement réticent quant à l’automaticité des peines.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Comme nous anticipions que l’article 11 ne serait pas supprimé, nous avons en effet déposé un amendement 279 visant à sanctionner avec la même sévérité tous les employeurs de clandestins, qu’ils soient français ou étrangers. Plus de 20 % des procès-verbaux dressés pour emploi de main-d’œuvre illégale concernent le secteur du bâtiment. Tous secteurs confondus, le manque à gagner pour l’État atteint un montant considérable. Tout cela est encore plus scandaleux quand on sait que les travailleurs clandestins sont le plus souvent employés aux travaux les plus pénibles. Nous proposons donc que les employeurs de main-d’œuvre illégale encourent une peine complémentaire automatique de déchéance de leurs droits civiques pendant six ans. Nous tenons à l’automaticité de la sanction, seul gage de son application effective. Qu’on ne nous objecte pas sur ce point l’avis du Conseil d’État : c’est au législateur d’en décider, et seul le Conseil constitutionnel pourrait mettre en cause ses choix.

M. le Rapporteur – Ces deux amendements ont le même objectif de lutter plus sévèrement contre le travail illégal. Tout en jugeant le 279 intéressant, la commission l’a repoussé, au motif que le caractère automatique de la sanction soulève des problèmes juridiques. L’amendement 402, outre qu’il est plus complet puisqu’il comporte l’interdiction de marchés publics, est plus respectueux de l’indépendance des magistrats. C’est pourquoi j’y suis, à titre personnel, plus favorable.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué Je constate un consensus sur tous les bancs pour alourdir les peines à l’encontre des employeurs de main-d’œuvre illégale. Je le souligne, car il n’est pas si fréquent que M. Roman et M. Rivière se retrouvent sur une position commune !

L’automaticité de la peine, prévue par l’amendement 279, serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Nous faisons confiance aux juges. Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement 402.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - L’automaticité vous pose problème dans le cas des employeurs français, mais visiblement pas dans le cas des employeurs étrangers, pour lesquels sont bien prévues des peines automatiques. Le travail illégal est inacceptable : tous ceux qui y recourent, quelle que soit leur nationalité, doivent être sanctionnés de la même façon et de manière automatique.

L'amendement 402, mis aux voix, est adopté.
L'amendement 279, mis aux voix, n'est pas adopté.

Art. 12

M. Noël Mamère - On nous propose avec cet article un nouveau gadget, la carte « compétences et talents » – qu’on avait d’ailleurs d’abord songé à dénommer « capacités et talents ». Cette carte sera attribuée au vu tout d’abord de la capacité du postulant à « participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable, au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité ». Comment les compétences et les talents seront-ils mesurés ? Selon quels critères et par qui ? Même si, en bon prince, on parle de développement ou rayonnement du pays d’origine, il s’agit surtout de procéder à une fine sélection des meilleurs éléments, en les attirant avec une carte à l’intitulé gratifiant. C’est un dispositif conforme aux conceptions libérales du président de l’UMP, par ailleurs ministre de l’intérieur, qui, de discours en discours, ne cesse d’exalter le mérite. La sélection des « talents » sera faite par l’administration, de manière totalement arbitraire et discrétionnaire : le fait du prince devient la règle, le droit à une vie familiale est ignoré. C’est une rupture avec la tradition française de l’immigration et une atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme.

M. Patrick Braouezec - Cet article est sans doute celui qui me choque le plus. Autrefois, on allait chercher une main-d’oeuvre robuste sur les marchés aux esclaves ; maintenant, capitalisme moderne oblige, on va aller chercher ceux qui peuvent apporter leurs compétences et leurs talents : c’est la même démarche.

Vous rendez-vous compte du message qu’on envoie aux personnes qui n’auront pas été jugées comme ayant des compétences ou talents ? Quel mépris pour elles, et pour tous les métiers qui n’auront pas été répertoriés ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

L’article précise que la carte sera attribuée aussi « au vu de la personnalité ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Va-t-on faire passer des tests de personnalité ?

M. Serge Blisko - Je suis, avec mes collègues socialistes, un peu effrayé par cet article. Pour le footballeur ou le chef d’orchestre exceptionnel, on pouvait utiliser d’autres moyens : il suffisait de leur donner une carte de dix ans.

Pense-t-on à tous ces gens qui, parce qu’ils n’ont pas été reconnus comme ayant des « compétences et talents » alors qu’ils en ont autant que d’autres, seront condamnés aux files d’attente dans les préfectures et autres tracasseries, contrairement à ceux qui auront été sélectionnés en fonction de critères extrêmement subjectifs comme « la personnalité et les aptitudes ». Que veulent dire ces mots ?

M. Claude Goasguen - Une personne qui a un prix Nobel, par exemple, a plus de talent qu’une autre qui ne l’a pas : c’est assez simple…

M. Serge Blisko - Retirera-t-on sa carte au footballeur dont on avait reconnu les talents quelques années auparavant, au motif qu’il veut arrêter de jouer ? Va-t-on la retirer au peintre qui est en panne d’inspiration ? Comment une administration peut-elle se permettre de prendre de telles décisions ? Devront-ils passer un examen, durant lequel on estimera leur cote en fonction de leurs passages à la télévision ou des articles de presse qui leur ont été consacrés ? Quel est ce monde nouveau et effrayant que vous nous préparez, où l’administration saura juger de tout, y compris des talents et des compétences ?

Quand bien même vous disposeriez d’une formule magique pour déterminer les talents, allez-vous pomper les meilleurs éléments des pays du tiers-monde en les faisant venir dans des conditions exorbitantes ? Nous avons un passé un peu trouble à ce sujet. En 1934, les Allemands et les Autrichiens chassés de leur pays par le nazisme n’ont pu rester en France, pour des raisons malthusiennes : ils sont allés créer la science moderne aux États-Unis. Utilisons les moyens que nous offre le droit, comme le statut de réfugié, et n’utilisons pas ce dispositif élitiste, de nature à creuser encore davantage les inégalités entre Français et étrangers et entre étrangers eux-mêmes.

M. Noël Mamère - L’article 12, que l’amendement 162 vise à supprimer, institue des discriminations graves.

M. Claude Goasguen - Supprimez le prix Nobel !

M. Noël Mamère – L’un de mes collègues a évoqué le statut des médecins étrangers, sans lesquels les services d’urgence, par exemple, ne pourraient fonctionner. On ne leur demande pas leurs compétences et leurs talents : au contraire, on leur impose des conditions de travail largement au-dessous de leurs savoir-faire.

Les critères qui accompagnent le dispositif sont arbitraires et discrétionnaires ; ils restent flous pour vous permettre, précisément, de sélectionner à la tête du client. Il s’agit d’instituer le fait du prince, qui pourra accorder sa faveur à ces manants, certes plus estimés que les autres, mais qui n’en resteront pas moins des manants.

M. le Rapporteur – Cet amendement remet en cause l’une des innovations de ce texte. Permettez-moi de rappeler l’article 6 d’un texte qui ne vous est pas inconnu : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.» Il s’agit de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

M. Serge Blisko - Il n’existe pas d’article 6 bis qui prévoie que l’administration choisit les plus talentueux !

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - Nous proposons effectivement une immigration choisie, et nous le revendiquons, en attribuant aux personnes hautement qualifiées autre chose qu’un titre de séjour d’un an. D’autres grandes démocraties se sont dotées depuis des années d’un tel dispositif. Nous pourrions d’ailleurs nous interroger sur les raisons de l’expatriation des jeunes Français talentueux qui finissent par faire carrière aux États-Unis, au Canada ou encore au Japon. Je ne vois pas pourquoi la France s’interdirait de mener une politique semblable.

M. Jérôme Rivière - Très bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué Je profite de cet instant pour vous rappeler que l’article 21-18 du code civil distingue pour l’accès à la nationalité les étrangers qui peuvent rendre à la France, par leurs capacités et talents, des services importants. Cette disposition existe depuis 1973 et je suis étonné que la gauche, qui a gouverné si longtemps, ait omis de la supprimer.

Mme Jacqueline Fraysse - Vous avez raison, il faut l’enlever !

M. le Président – Monsieur Roman, peut-on considérer que l’amendement 280 rectifié, identique à l’amendement 162 a été défendu par M. Mamère ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal - Je le défendrai, Monsieur le président.

M. Noël Mamère – Je souhaite faire un rappel au Règlement pour répondre au rapporteur. Celui-ci a oublié de préciser que la déclaration des droits de l’homme fixe l’égalité de tous devant la loi. Or le présent projet de loi organise l’inégalité de traitement.

Pour poursuivre les propos du ministre, 45 000 Français s’expatriaient en 1993 ; leur nombre était trois fois supérieur en 2003. Pourquoi ces Français, souvent jeunes et hautement qualifiés, partent-ils ? Parce qu’ils n’ont pas de perspective en France ! C’est le résultat de votre politique en matière d’emploi. Faut-il vous rappeler, Monsieur le ministre, que des milliers de chercheurs sont descendus dans la rue, alors que le Président de la République, en complète contradiction avec ses actes, rappelait que la recherche est l’avenir d’une nation, et que le ministre de la recherche n’a pas tenu les engagements pris à l’occasion des États généraux de la recherche ?

Plutôt que de nous faire croire à une vague d’immigration, occupez-vous donc des Français qui quittent notre pays. Nous n’avons pas un problème d’immigration, mais d’émigration.

Mme Danièle Hoffman-Rispal – L’amendement 280 rectifié vise à supprimer l’article 12, qui institue une inégalité fondamentale. Cette carte serait délivrée sur proposition des ambassadeurs – tout à fait qualifiés pour connaître les compétences, les talents et la personnalité de chacun… Allons-nous placer des psychanalystes auprès du ministère de l’intérieur ? Comment pourra-t-on évaluer a priori le talent d’un futur grand peintre ? Cet article 12 est révoltant.

Par ailleurs, le travailleur qui disposera d’une carte « salarié » n’aura pas le droit de vivre avec sa femme et ses enfants. Celui dont je ne sais qui aura décidé qu’il a des compétences et des talents pourra venir accompagné de sa famille. La situation des immigrés n’est pas toujours facile : on la rend plus difficile encore en créant des catégories. Vous créez une inégalité qui va vraiment être mal vécue. Cet article est à l’opposé de ce que pourrait être une intégration réussie.

M. le Rapporteur – Rejet.

M. Christian Estrosi, ministre délégué – Même avis.

Les amendements 162 et 280 rectifié, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

Mme Jacqueline Fraysse - L’amendement 498 tend à supprimer l’alinéa 3 de cet article inacceptable. Avec la carte « Compétences et talents », vous voulez en somme distinguer les étrangers « ordinaires » de ceux qui seraient, eux, compétents et talentueux. Vous rendez-vous compte de ce que ce classement en première, deuxième et troisième catégories a de méprisant, de discriminatoire et je dirais même de contraire aux droits de l’homme ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Vous ne pouvez pas instaurer un tel article dans un pays comme le nôtre !

Outre qu’elle vise à organiser un pillage des cerveaux, ce qui est grave, cette disposition complètement fondée sur l’arbitraire me paraît difficilement applicable en droit. Quel recours aura celui dont on aura refusé de remarquer le talent ou les compétences ? Je suis surprise que les têtes pensantes qui ont élaboré ce texte aient pu aller aussi loin dans l’inacceptable ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur – Défavorable.

M. Christian Estrosi, ministre délégué – Défavorable.

M. Patrick Braouezec - Vous êtes bien laconiques !

L'amendement 498, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 62 de la commission est quasi-rédactionnel, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) puisqu’il remplace « est » par « peut être ». La rédaction actuelle pourrait en effet laisser entendre que la carte « Compétences et talents » est un droit, alors qu’il s’agit d’un outil pour une immigration choisie et qu’il faut donc laisser un pouvoir d’appréciation à l’administration.

M. Christian Estrosi, ministre délégué – Favorable.

M. Patrick Braouezec - L’amendement n’est nullement rédactionnel, car la modification proposée renforce l’arbitraire de la démarche. En réalité, le pouvoir laissé aux ambassadeurs et aux consuls sera totalement discrétionnaire. Faudra-t-il d’ailleurs leur allouer des professionnels de toute sorte pour évaluer la personnalité et les talents des uns et des autres ? Voire des chasseurs de têtes ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Effectivement, on en rajoute dans le discrétionnaire ! Le rapporteur a expliqué en commission que cette fameuse carte serait délivrée par le ministre de l’intérieur à partir des propositions faites par les ambassadeurs, mais l’on n’en sait pas plus ! Nous n’avons aucune indication sur la façon dont se fera ce choix.

Je trouve ce texte honteux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Je vais d’ailleurs simplement vous le lire : « La carte de séjour « Compétences et talents » est accordée à l'étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité. Elle est accordée pour une durée de trois ans. Elle est renouvelable.

« Art L. 315-2 - La carte mentionnée à l'article L. 315-1 est attribuée au vu de la personnalité et des aptitudes de l'étranger, du contenu de son projet et en particulier de la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer et de l'intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et pour le pays dont l'étranger a la nationalité. »

M. le Rapporteur – C’est très bien.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Je dédie ce texte scandaleux à ce chirurgien malgache que je connais et qui a fait pendant trente-deux ans fonction d’interne en France, pour 9 000 francs par mois, alors qu’il enseignait auparavant la pathologie à l’université de Madagascar !

M. Claude Goasguen - Ce que vous critiquez au fond, c’est la méritocratie !

M. le Rapporteur – Eh oui !

M. Claude Goasguen - Or, celle-ci n’a pas attendu cette loi pour exister. Je pense par exemple au prix Nobel : voulez-vous le supprimer ? Quand la Convention s’est réunie, une de ses premières décisions a été de donner la nationalité française à Benjamin Franklin et d’autres savants ! A-t-elle eu tort de reconnaître ainsi le talent ? Faut-il selon vous supprimer l’agrégation sous prétexte qu’il y a un premier et un deuxième ?

Quant à votre professeur de pathologie, Monsieur Le Bouillonnec, la carte « Compétences et talents » aurait pu justement aplanir nombre des difficultés qu’il a connues. Faut-il ou non faire en sorte que soient épargnées certaines difficultés quotidiennes aux savants qui vont venir travailler sur ITER et apporter beaucoup à la France ? Faut-il apprécier que les étrangers nous enlèvent nos intellectuels et nous priver, nous, de prendre les intellectuels chez les autres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Vos propos sont ridicules, du niveau de l’école primaire ! Vous ne vous rendez même pas compte de ce que vous dites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère – On n’entend pas beaucoup nos collègues de droite, mais tout à l’heure M. Myard nous a fait une colère artificielle et voici que M. Goasguen nous refait le même coup, mais sans nous convaincre. Nous ne sommes pas à l’école primaire, Monsieur Goasguen, mais à l’Assemblée, et nous avons à débattre, en tant que représentants du peuple, d’une loi dangereuse pour le pays.

Comme l’a fait M. Le Bouillonnec, je vais simplement vous lire le texte infâme par lequel vous justifiez l’article 12 et je vais le faire en pensant à tous ces médecins étrangers que notre pays exploite de façon éhontée : « L'article 12 crée une carte portant la mention « compétences et talents »…

M. Claude Goasguen - Et alors ? Vous auriez préféré « toquards » ?

M. Noël Mamère - …d'une durée de validité de trois ans renouvelable, dont la vocation est de faciliter les conditions d'admission au séjour des étrangers susceptibles de participer de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif, de la France ou de leur pays d'origine. Les bénéficiaires de cette carte seront choisis en prenant en compte la personnalité et les aptitudes de l'étranger, le contenu de son projet, la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer, et l'intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et le pays d'origine…

M. Claude Goasguen - Très bien.

M. Noël Mamère - La carte « Compétences et talents » permettra l'exercice de toute activité professionnelle. Le séjour de la famille du titulaire de cette carte sera facilité par la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ».

Franchement, vous n’honorez pas votre pays en votant pour une telle disposition.

M. Patrick Braouezec - Je ne vais pas me livrer comme M. Goasguen à de la provocation gratuite. Cette disposition n’a rien à voir avec la méritocratie, car le mérite existe pour tous, quelles que soient les activités que l’on a. Elle relève en fait plutôt d’un élitisme mal placé.

M. Claude Goasguen - Supprimons le prix Nobel !

M. Patrick Braouezec – Vous dites en somme à tous ceux qui n’auront pas cette carte qu’ils n’ont aucune compétence et aucun talent ! Vous me renvoyiez tout à l’heure à l’école primaire, Monsieur Goasguen, mais pensez-vous avoir plus de talents et de compétences que l’instituteur que j’ai eu la fierté d’être pendant vingt ans ? Vous ne valez pas non plus davantage qu’un travailleur manuel !

M. Claude Goasguen - L’URSS envoyait ses prix Nobel en prison !

M. le Président – Chers collègues, je vous demande d’éviter de vous prendre à parti les uns les autres !

M. Patrick Braouezec - Je vais relire le nouvel article L. 315-2, que j’aurais gratifié de cette appréciation en CM2 : « Peut mieux faire pour la rédaction. » (Rires sur divers bancs). « La carte mentionnée à l'article L. 315-1 est attribuée au vu de la personnalité et des aptitudes de l'étranger, du contenu de son projet et en particulier de la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer et de l'intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et pour le pays dont l'étranger a la nationalité ». Ne vaudrait-il pas mieux le réécrire avec moins de « et » ?

J’ajoute que votre amendement renforcera l’arbitraire en remplaçant le mot « est » par « peut être », et qu’il ne faudrait pas se leurrer : cette carte ne nous rendra pas attractifs, car elle pourra être retirée si son titulaire ne remplit plus les conditions exigées lors de sa délivrance – si le sportif se casse la jambe par exemple, ou s’il ne devient pas champion du monde, comme on l’escomptait.

M. Serge Blisko – Je citerai à mon tour l’article 12 : les bénéficiaires de la carte seront choisis « au vu de la personnalité et des aptitudes de l'étranger, du contenu de son projet et en particulier de la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer et de l'intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et pour le pays dont l'étranger a la nationalité ».

Voilà une sélection au mauvais sens du terme : c’est de l’eugénisme social et professionnel, digne d’Alexis Carrel ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Goasguen – Ça n’a rien à voir. Alexis Carrel traitait de génétique !

M. Serge Blisko - Qui aura droit à la carte de trois ans ? Qui pourra faire venir son conjoint et ses enfants, et bénéficier d’un bon salaire et de la protection sociale ? Celui qu’on aura choisi parce qu’il est un « être supérieur » ! C’est une honte ! Tous les républicains se sont toujours battus contre de telles conceptions (Même mouvement).

M. Étienne Pinte - Cette carte « Compétences et talents » pourrait être une bonne idée, mais vous n’en tirez pas tout le profit qu’elle pourrait procurer à notre pays et à celui du travailleur étranger.

Comme l’observait un article publié ce soir dans Le Monde par Jean-Baptiste Meyer, chercheur à l’Institut de recherches pour le développement, « cultiver les diasporas, notamment celles d'expatriés hautement qualifiés, dans une stratégie de co-développement : voilà qui pourrait constituer un volet majeur d'une politique migratoire authentiquement française et européenne. L'option du co-développement semble heureusement être prise en considération par le gouvernement français dernièrement ».

Dans cet esprit, pourquoi ne pas avoir inscrit cette notion de co-développement dans l’article 12, qui, en l’état, reste hélas frustrant pour beaucoup d’entre nous ?

M. Claude Goasguen - Elle y figure pourtant !

M. Étienne Pinte - Allons-nous nous contenter de voler à l’étranger des talents, sans permettre leur valorisation au profit des pays d’origine ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué – Je partage totalement les convictions et les valeurs que vous défendez, Monsieur Pinte. Le Gouvernement a d’ailleurs prévu d’aller dans ce sens, puisque l’alinéa 4 de l’article 12 vise à prendre en compte l’intérêt du projet et de l’activité pour la France « et pour le pays dont l'étranger a la nationalité ».

Je précise également que nous accepterons plus tard dans la discussion l’amendement 256 de Mme Boutin, qui conforte encore cet aspect.

L'amendement 62, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 163 est défendu.

L'amendement 163, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Braouezec - L’amendement 363 tend à remplacer l’expression : « de façon significative et durable au développement économique » par : « de façon significative au développement durable ». Le développement économique s’inscrit en effet au sein du développement durable, mais la notion a l’avantage de recouvrir aussi des activités économiques moins classiques, telles que le commerce éthique équitable, ou l’économie sociale et solidaire, que le Gouvernement se targue de promouvoir.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Le développement durable est une notion un peu restrictive : comment y faire entrer les sportifs, les peintres et les musiciens que vous citiez tout à l’heure ?

M. Patrick Braouezec – Ces cas ne sont pas exclus par l’amendement, car la suite de l’article 12 mentionne le « rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif de la France ». Nous ne faisons que remplacer la notion de développement économique par une autre, qui l’englobe et la dépasse.

Mais peut-être faut-il comprendre que vous refusez d’inscrire le développement économique dans le développement durable ? Comment pouvez-vous alors vous targuer de défendre le commerce équitable et l’économie sociale et solidaire ?

L'amendement 363, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 164 est défendu.

M. Patrick Braouezec - De même l’amendement 499.

Les amendements 164 et 499, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Claude Goasguen - L’amendement 327 est soutenu.

L'amendement 327, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Étienne Pinte - L’amendement 63 vise à mentionner le rayonnement « humanitaire » dans l’article 12.

L'amendement 63, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Noël Mamère - L’amendement 320 est défendu.

M. Patrick Braouezec - On n’enlèverait pas grand-chose à la carte « Compétences et talents » et on gagnerait en objectivité en supprimant les termes pour le moins flous de « personnalité et d’aptitudes de l’étranger ».

MM. Bernard Roman et Jean-Yves Le Bouillonnec – Exactement !

M. Patrick Braouezec - Puisque nous travaillons à rendre ce texte le moins mauvais possible – même si la route est longue –, je défends donc l’amendement 364 qui vise à faire disparaître ces notions ne correspondant à rien.

M. le Rapporteur – La notion d’aptitudes est concrète, et doit être conservée ; celle de personnalité, il est vrai, est plus discutable, et peut être supprimée. Rectifiez votre amendement en ce sens, et nous l’accepterons.

M. Patrick Braouezec - Impossible : je vous rends déjà service !

M. le Rapporteur – Je propose donc un amendement 364 rectifié qui supprime la notion de personnalité.

M. le Président – L’amendement 364 rectifié est donc ainsi rédigé : « Dans l’alinéa 4 de cet article, supprimer les mots : ″de la personnalité et″ ».

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Sagesse.

M. Noël Mamère – Je retire donc l’amendement 320.

L'amendement 364 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 64 est défendu.

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Avis favorable.

L'amendement 64, mis aux voix, est adopté.

M. Claude Goasguen - Afin que l’on ne puisse plus critiquer – à juste titre – les choix aléatoires qu’effectue l’administration, l’amendement 329 suggère qu’une commission d’intellectuels et d’artistes de toutes nationalités élabore une série de critères à utiliser par les personnels qui délivrent des visas.

Le monde est divisé en deux parties. Nous avons des devoirs particuliers à l’égard de la francophonie, et la carte « compétences et talents » s’inscrit dans cet esprit de co-développement ; pour autant, il faut, comme nos concurrents, faire partout appel aux chercheurs les plus brillants et aux futurs prix Nobel, et pour cela accroître l’attractivité de notre territoire. Cette distinction faite, que l’on ne vienne pas me dire que je déshabille certains pays, auxquels je suis très attaché !

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Avis très favorable : cette formule consensuelle est tout à fait adaptée.

L'amendement 329, mis aux voix, est adopté.

M. Etienne Pinte - L’amendement 256 vise à imposer aux titulaires de cartes « compétences et talents » originaires de pays en voie de développement de participer à des actions de développement, définies par la France, en faveur de leur pays.

M. le Rapporteur – La commission ne s’est prononcée que sur la forme de l’amendement : le concept de « pays en voie de développement » étant trop peu juridique – les géographes, d’ailleurs, parlent désormais de « pays en développement » –, je propose par le sous-amendement 603 de lui substituer celui de « zone de solidarité prioritaire », qui rassemble une cinquantaine de pays sélectionnés par le comité interministériel de la coopération.

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Avis favorable au sous-amendement 603 et à l’amendement 256. Le ministre d’État a d’ailleurs rappelé combien cette contribution de Mme Boutin était importante.

Le sous-amendement 603, mis aux voix, est adopté.
L'amendement 256 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – J’observe que M. Guillaume, absent, n’a pu défendre son amendement 38 qui visait à supprimer l’alinéa 6 de l’article 12, mentionnant le droit du conjoint et des enfants du titulaire d’une carte « compétences et talents » à bénéficier également d’une carte de séjour. Or, l’article 30 de votre projet de loi porte d’un an à dix-huit mois la durée de séjour nécessaire avant toute demande de regroupement familial. Cherchez l’erreur !

M. le Rapporteur – L’amendement 65 est rédactionnel.

M. Christian Estrosi, ministre délégué - Avis favorable.

L'amendement 65, mis aux voix, est adopté.
L'article 12 modifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Nous en venons à l’article premier, précédemment réservé.

M. Patrick Braouezec - Nous travaillons sur ce texte depuis trois jours dans de très bonnes conditions : d’importantes questions sont abordées, les amendements portent sur le fond et il n’y a pas d’obstruction. Néanmoins, il n’y a pas d’urgence à aborder l’article premier à cette heure déjà tardive.

M. Noël Mamère – Nous ne pouvons pas avancer à marche forcée !

M. le Rapporteur – Il s’agit simplement d’examiner l’article premier qui n’apporte rien de nouveau car il ne fait que coordonner les onze articles déjà votés. Cela nous permettrait d’achever un bloc cohérent.

M. Bernard Roman - Vous le constatez, nous n’avons pas fait d’obstruction : nous avons simplement défendu notre point de vue, différent de celui de la majorité. Afin de garder à nos débats toute leur sérénité, je propose que nous les reprenions demain matin.

M. Christian Estrosi, ministre délégué Comme votre rapporteur, je considère que la cohérence eût commandé de conclure cette séance par l’examen de l’article premier ; mais je tiens avant tout à remercier MM. Braouezec et Roman d’avoir indiqué que ce débat se déroulait dans de bonnes conditions et qu’il permettait d’aborder des questions de fond dans un esprit constructif. En atteste l’adoption à l’unanimité de plusieurs amendements. Si l’Assemblée souhaite interrompre ces travaux à cette heure, le Gouvernement en prend acte, avec le léger regret que nous n’achevions pas l’examen du bloc que forment les douze premiers articles car cela aurait permis d’attaquer la journée de demain sur un nouveau sujet.

M. Patrick Braouezec - Il n’est prévu de défendre qu’une demi-douzaine d’amendements à l’article premier, mais certains des nôtres méritent que l’on s’y attarde un peu et il ne serait pas sérieux de le faire maintenant.

M. Noël Mamère - Contrairement à ce qu’avance le rapporteur, l’article premier n’est pas simplement de portée technique et c’est précisément parce qu’il est cohérent avec ceux qui viennent d’être examinés qu’il faut prendre le temps d’en débattre, à une heure plus raisonnable que deux heures moins vingt-cinq du matin.

M. le Rapporteur – Monsieur le président, nous nous en remettons à votre compétence et à vos talents ! (Sourires)

M. le Président – La séance est levée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, vendredi 5 mai, à 9 heures 30.
La séance est levée à 1 heure 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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ordre du jour
du vendredi 5 mai 2006

NEUF HEURES TRENTE - 1re SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 2986) relatif à l’immigration et à l’intégration.

Rapport (n° 3058) de M. Thierry MARIANI, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

QUINZE HEURES - 2e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

ÉVENTUELLEMENT, VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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