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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 9 mai 2006

Séance de 21 heures 30
90ème jour de séance, 214ème séance

Présidence de M. Yves Bur
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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immigration et intégration (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration.

ART. 73 (suite)

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois L’amendement 449 rectifié est rédactionnel.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer - Avis favorable.

L'amendement 449 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 533 est de coordination.

L'amendement 533, accepté par le Gouvernement , mis aux voix, est adopté.
L'article 73, modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 74

M. Patrick Braouezec - L’amendement de suppression 594 est défendu.

L'amendement 594, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 450 vise à lever une ambiguïté rédactionnelle.

L'amendement 450, accepté par le Gouvernement , mis aux voix, est adopté.
L'article 74 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 75

M. Noël Mamère – Le projet entend réformer le Code civil et mettre en place un dispositif inédit de contestation de reconnaissances de paternité effectuées sur le seul territoire de Mayotte. La reconnaissance d'un enfant devant un officier d'état civil doit théoriquement coïncider avec la vérité biologique - c'est ce qu'affirment les manuels de droit de la famille - mais il existe des réalités sociologiques dignes d'être prises en considération qui priment sur les liens du sang. Ainsi, il peut être de l'intérêt de l'enfant d'être reconnu par un père non biologique. Actuellement, l'officier d'état civil ne peut pas se faire juge de la sincérité d'une reconnaissance.

Concernant les risques réels de fraude, on peut s'interroger sur la nécessité de prévoir une procédure de contrôle a priori, reposant uniquement sur des indices, qui se révèlera humiliante et injuste pour les personnes de bonne foi alors qu'il existe déjà une procédure d'annulation a posteriori plus fiable et respectueuse des droits des personnes. Quels « indices sérieux » cherchera en priorité l'officier d'état civil pour conclure à un risque de fraude, sinon la situation irrégulière de l'un des parents ? Les cas de reconnaissance en dehors de tous liens biologiques sont nombreux et personne n'y trouve à redire. Ce projet ne vise d’ailleurs sûrement pas à y mettre fin. Seuls les étrangers en situation irrégulière, à qui l'on prêtera toujours les pires intentions, seront liés au strict droit du sang. Ainsi, les femmes comoriennes venant accoucher à Mayotte et suspectées de rechercher un Mahorais prêt à accepter de reconnaître la paternité de l'enfant sont explicitement ciblées. Cette mesure a donc un caractère discriminatoire condamnable. Vous voulez en fait instaurer un nouveau délit, celui de la paternité de complaisance. L’amendement 219 vise donc à supprimer cet article.

M. Jérôme Rivière - Mais quelles sont donc vos propositions ?

M. Patrick Braouezec – L’amendement 595 vise également à supprimer cet article. Nous proposons d’en rester à la loi en vigueur.

M. Jérôme Rivière - L’échec est patent, et il ne faudrait rien changer !

M. Patrick Braouezec – Je partage les propos de M. Mamère : c’est la chasse aux pères de complaisance et la suspicion a priori que vous instaurez ! Des moyens matériels et humains supplémentaires éviteraient d’avoir recours à un tel dispositif.

M. le Rapporteur – Avis défavorable aux deux amendements. Il ne s’agit pas que de suspicion : en 2001, on dénombrait 882 reconnaissances de paternité, en 2004, 4 146, en 2005, 5 423. En cinq ans, elles ont été multipliées par 6,5. Ce projet institue une procédure spécifique de contrôle des reconnaissances d’enfants d’apparence frauduleuses, selon nous nombreuses à Mayotte. Une telle mesure est constitutionnelle car les règles d’accès à la nationalité à Mayotte ne sont en rien remises en cause : il s’agit simplement de mieux contrôler leur respect. J’ajoute que la procédure reste entièrement placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Enfin, il ne s’agit évidemment pas d’interdire les reconnaissances d’enfants hors de tous liens biologiques : les juges utiliseront un faisceau d’indices pour se déterminer, mais le père s’occupant effectivement de l’entretien et de l’éducation de l’enfant pourra bien sûr s’en déclarer le père.

M. le Ministre – Même avis. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on compte à Mayotte un peu plus de 160 000 habitants et le nombre de clandestins est évalué à 45 000, soit 30 % environ de la population. Il faut en outre tenir compte de l’insincérité de l’état civil évoquée par M. Dosière. Je rappelle que Mayotte connaît une très forte croissance démographique de l’ordre de 6 % par an ; que 80 % des accouchements à la maternité de Mamoudzou sont le fait de femmes étrangères en situation irrégulière ; et, enfin, que le nombre de reconnaissances de paternité a en effet augmenté de l’ordre de 300% en cinq ans. Chacun sait bien qu’il existe à Mayotte une forte pression pour que des Français reconnaissent la paternité d’enfants de femmes en situation irrégulière, moyennant finance d’ailleurs. L’officier de l’état civil peut donc saisir le procureur qui, au nom de la puissance publique, diligentera l’enquête nécessaire. J’ajoute que le texte est équilibré puisqu’il comporte une capacité juridique d’ester et que le père peut assurer pleinement l’éducation de l’enfant reconnu. Ces dispositions s’inspirent d’ailleurs des préconisations du rapport de la commission présidée par M. Dosière.

M. Mansour Kamardine – Apparemment, certains n’ont pas écouté M. Dosière. Il se produit des actes innommables dans ces affaires de reconnaissance. Ceux qui invoquent les droits de l’homme, faute d’autre argument, doivent savoir que ces reconnaissances se font moyennant finance ou rétribution en nature. Pour vouloir le maintien de ce dispositif, il faut méconnaître totalement la réalité ou avoir décidé de fermer les yeux. Nous devons mettre un terme à cette situation.

Pour ma part, je suis allé au centre hospitalier de Hombo, à Anjouan. Les médecins locaux m’ont dit que Mayotte, à cause de la gratuité, déstabilisait les Comores et leur système de santé. Vouloir supprimer l’article ne rendrait pas service à ces femmes qui viennent accoucher à Mayotte. La solution, esquissée par M. Dosière, c’est, dans la perspective de l’accord entre les gouvernements français et comorien d’avril 2005, d’aider les Comores à se développer sur le plan médical. Nous avons des coopérants pour cela. Mais Mayotte, avec 160 000 habitants, a la maternité la plus importante de France, où ont lieu 7500 naissances par an. Rien ne justifie de supprimer l’article.

Les amendements identiques 219 et 595, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – Les amendements 116, 117, 118 rectifié et 119 rectifié corrigent des erreurs matérielles.

Les amendements 116, 117, 118 rectifié et 119 rectifié, acceptés par le Gouvernement, successivement, mis aux voix sont adoptés.

M. le Rapporteur - L’amendement 120 corrige une erreur matérielle, et surtout apporte certaines précisions notamment sur le sursis à l’enregistrement de la naissance et son renouvellement. Il rédige plus clairement ce nouvel article du code civil.

M. le Ministre – Avis favorable.

L'amendement 120, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Les amendements 121 rectifié, 122 rectifié et 123 rectifié sont rédactionnels et de précision.

Les amendements 121 rectifié, 122 rectifié et 123 rectifié, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.
L'article 75, modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 76

M. Noël Mamère - L’amendement 220 de suppression est défendu.

M. le Président – L’amendement 596 est également de suppression.

Les amendements identiques 220 et 596, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.
L'article 76, mis aux voix, est adopté.

après l'Art. 76

M. Mansour Kamardine - Les amendements 241 et 232 rectifié sont retirés. Nous revoyons la rédaction et y reviendrons au cours de la navette.

M. le Président – L’Assemblée dispose de l’amendement 243 2ème rectification. Je suspends la séance quelques instants pour la laisser prendre connaissance de la troisième rectification.

La séance, suspendue à 21 heure 55, est reprise à 22 heures.

M. Mansour Kamardine - Cet amendement 243 3ème rectification est capital. Il reprend une des recommandations présentées par la mission d’information parlementaire après qu’elle a pris connaissance de la situation de l’état civil à Mayotte. Selon les chiffres de l’administration, un millier de personnes nées françaises alors que Mayotte appartenait encore au territoire des Comores n’ont jamais pu établir leur filiation, ce qui n’a pas empêché un grand nombre d’entre elles de rester longtemps inscrites sur les listes électorales. Aujourd’hui, on pourrait les qualifier d’apatrides car elles ne sont ni françaises ni comoriennes. Par cet amendement 243 3ème rectification, nous suggérons de les régulariser à condition qu’elles soient nées à Mayotte, majeures au 1er janvier 1994 – c’est-à-dire avant l’indépendance des Comores et la constitution de Mayotte comme collectivité territoriale avec la loi de 1976 –, et enfin de justifier d’une résidence continue à Mayotte depuis dix ans. Ces trois conditions cumulatives permettront de parer aux éventuels abus tout en rendant possible la régularisation de personnes qui se considèrent comme françaises, et ce à juste titre, puisqu’elles ont contribué à l’élaboration de la démocratie à Mayotte en participant à tous les scrutins électoraux depuis trente ans.

M. René Dosière - Comment est-il possible que des personnes aient été inscrites sur les listes électorales sans être françaises ?

M. Mansour Kamardine – Monsieur Dosière, vous avez pu constater qu’on rencontre de nombreuses personnes dans ce cas, y compris dans les communes gérées aujourd’hui par les socialistes.

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. le Ministre – Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. Je comprends l’esprit de cet amendement. Il faudra seulement prendre garde de ne pas alimenter des réseaux de faux actes d’état civil.

M. René Dosière – Je voudrais relever deux points qui illustrent bien la complexité de la situation à Mayotte. Tout d’abord, je précise que je suis favorable à cet amendement qui permettra de régulariser des personnes dans des situations difficiles. Il est si rare qu’on fasse sur les bancs de la majorité de telles propositions que je ne me priverai pas de le soutenir. M. Kamardine a noté que ce millier de personnes, bien que n’étant pas officiellement françaises, étaient inscrites sur les listes électorales et votaient. J’espère que c’étaient à peu près les seules personnes dans ce cas !

Par ailleurs, M. le Ministre a dit à juste titre qu’il ne faudrait pas que ce dispositif donne lieu à l’établissement de faux actes d’état-civil. En effet, les problèmes de l’immigration à Mayotte, je le répète, ne sont liés ni aux difficultés d’application du droit du sol sur l’île ni à la maîtrise de l’immigration, mais exigent la reconstitution d’un état civil fiable. Je profite de cette occasion pour soulever le cas d’autres compatriotes français qui peinent à obtenir une carte d’identité. Il s’agit de personnes installées à la Réunion depuis longtemps et qui, pour étudier en métropole, ont besoin de papiers parce qu’elles ont égaré leur carte d’identité. Désormais, ces personnes doivent en faire la demande auprès d’une commission chargée de reconstituer les pièces d’état civil, et il leur faut attendre trois ans avant d’en obtenir une réponse, ce qui les empêche de venir étudier en métropole. Par ailleurs, on leur demande des pièces justificatives qu’elles ne parviennent pas à produire. Voilà une catégorie inédite : des Français sans-papiers !

M. Jérôme Rivière - Tout à l’heure, M. Dosière a dressé de Mayotte un tableau tout à fait poignant, qui doit être réaliste puisqu’il est conforme à la description qu’en fait M. Kamardine. Pour autant, qu’il s’érige en tantôt en censeur tantôt en moralisateur n’est pas acceptable.

M. Patrick Braouezec – Il n’est pas le seul !

M. Jérôme Rivière - Ce n’est pas à lui de décerner des bons points au Gouvernement ou aux membres de la majorité. Ce que nous constatons c’est qu’il ne propose rien d’autre que des amendements de suppression.

M. René Dosière - Vous dites n’importe quoi !

M. Jérôme Rivière - Il n’a aucune proposition à faire, c’est pathétique ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) S’il existe des divergences au sein de l’UMP sur les questions de l’immigration, nous essayons au moins de discuter et d’avancer. Le plus important pour notre Assemblée, c’est d’être dans l’action comme M. Kamardine nous le propose, et non dans les palabres.

M. René Dosière - La proposition de M. Kamardine s’inspire des travaux de la mission ! Vous n’avez pas lu le rapport !

M. Mansour Kamardine - Je remercie M. Dosière de soutenir mon amendement.

M. Patrick Braouezec - Dites-le à M. Rivière ! Visiblement, il ne l’a pas compris !

M. Mansour Kamardine - Toutefois, il faut éviter les amalgames malhonnêtes. Mayotte, française depuis 1841, a évolué au gré des statuts que la République lui a accordés. Entre 1946 et 1976, lorsque Mayotte, avec les autres îles de l’archipel, était un territoire français, les Mahorais étaient des électeurs français, inscrits sur les listes électorales. Après l’indépendance des Comores en 1976, ils n’ont pas été radiés des listes. C’est la défaillance de l’état-civil qui a rendu impossible leur régularisation, notamment à travers le droit du sol, du reste longtemps inapplicable à Mayotte. Nous proposons aujourd’hui de leur reconnaître la qualité de Français.

La situation des Mahorais de la Réunion n’est en rien comparable.

M. René Dosière - Je n’ai pas dit le contraire !

M. Mansour Kamardine – Là, le problème s’est posé quand il a fallu renouveler les papiers de Mahorais installés depuis longtemps à la Réunion. Il leur a été demandé de se présenter devant la commission d’état civil pour mettre leur acte de naissance en conformité avec la législation actuelle. Évitons de rapprocher des situations qui n’ont rien à voir !

M. Noël Mamère - Je regrette que M. Rivière se soit livré à un exercice de politique politicienne (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) alors que le débat est de bonne tenue.

M. René Dosière - Venant de vous, c’est un compliment !

M. Noël Mamère - Nos amendements sont de suppression parce que nous combattons ce projet. Les propositions alternatives viendront en leur temps quand les Français auront choisi (Même mouvement). Nous soutiendrons l’amendement de M. Kamardine car c’est bien la première fois depuis le début de cette discussion que l’on ne refuse pas l’étranger dans les rangs de la droite…

Plusieurs députés UMP - Nous parlons de personnes qui étaient françaises avant vous !

M. Noël Mamère - Je rappelle que nous avons longuement débattu de l’article 24, et notamment de la suppression de la régularisation de plein droit après dix ans de séjour en France. Nous avons donc refusé à quelque 3 000 personnes ni régularisables ni expulsables en raison de l’empilement des lois sur l’immigration depuis 1997 ce que nous acceptons maintenant pour un millier d’individus. Ce qui est bon pour Mayotte l’est également pour la métropole !

M. Patrick Braouezec – Il ne faudrait pas que M. Rivière fasse un amalgame entre tous les membres de l’opposition. En effet, M. Dosière n’a pas présenté d’amendements de suppression sur cette partie du texte, amendements que je revendique comme M. Mamère, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout.

Je note toutefois, Monsieur Kamardine, qu’il ne s’agit pas de régularisation, puisque nous redonnons la nationalité française à des personnes qui la possédaient déjà (Signes de dénégation de la part de M. Mansour Kamardine). Il faudrait s’entendre : vous nous disiez qu’elles étaient françaises avant nous !

J’ajoute qu’il existe également en métropole des étrangers que l’évolution législative a placés en situation irrégulière, et auxquels vous déniez le droit d’être régularisés !

M. le Rapporteur – La commission a émis un avis favorable sur cet amendement qui tend à régulariser la situation de nombreux Français sans papiers.

Evitons tout amalgame avec l’article 24, dont nous avons déjà débattu pendant plus de huit heures ! Il s’agit en effet de personnes nées sur notre territoire avant 1976 et dont la situation n’a aucun rapport avec celle d’étrangers arrivés plus récemment en France.

Je rappelle également que la mission d’information, a reconnu le caractère pervers de la situation actuelle à Mayotte et émis un avis favorable sur ces mesures.

M. René Dosière - Comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser au début de nos débats, Monsieur Rivière, je ne peux qu’être favorable aux propositions du Gouvernement issues du rapport de la commission et adoptées à l’unanimité par celle-ci. Ne m’obligez pas à le répéter à chaque fois !

M. Éric Jalton - Je voudrais me réjouir de cette proposition inspirée par un sentiment d’humanité. Je regrette toutefois que ces Français sans papiers, ignorés depuis si longtemps par la République, n’aient pas figuré d’emblée dans le projet de loi initial.

L'amendement 243, 3e rectification, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – A l’unanimité.

M. Dominique Tian – Si nous avons déjà dit que les naissances sont à Mayotte très supérieures à la moyenne, il en est de même en Guyane. Pour 25 000 habitants, il naît ainsi 1800 enfants à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, où un grand nombre de mères originaires du Brésil et du Surinam se rendent pour accoucher.

La loi est certes plus difficile à modifier qu’à Mayotte, puisque nous sommes sous l’empire de l’article 73 de la Constitution, mais il me semble que les critères requis - « des caractéristiques ou des circonstances particulières » - sont réunis. Il existe en effet des effets d’aubaine pour les femmes qui viennent accoucher gratuitement, situation difficilement acceptable localement. D’où mon amendement 3.

M. le Rapporteur – Avis défavorable pour les raisons constitutionnelles déjà évoquées au sujet de l’amendement 2. Rien ne démontre la spécificité de la situation, qu’exige le principe d’assimilation législative posé pour les DOM par l’article 73, si bien que la censure du Conseil constitutionnel serait inévitable pour cette disposition spéciale.

M. François Baroin, ministre – Même avis, pour les mêmes raisons. Etant donné que nous nous trouvons dans le cadre de l’article 73, le risque constitutionnel est avéré. Certes, l’évolution de l’immigration clandestine est effectivement plus que préoccupante en Guyane et en Guadeloupe, mais nous devons respecter les articles de la Constitution relatifs à l’outre mer ainsi que la réalité du terrain. Or, l’ampleur des reconnaissances fictives de paternité n’est pas suffisamment avérée en Guyane.

M. Dominique Tian - Je retire mon amendement, même si l’immigration incontrôlée rend la situation très difficile à contrôler en Guyane, comme l’a reconnu le ministre.

M. Mansour Kamardine - Pour accélérer nos débats, compte tenu des votes déjà intervenus, je retire mes amendements 233, 234, 235, 238, 239, 240, 242 et 244. Il reste à débattre de mes amendements 237, 236 et 231.

L’amendement 237, tout d’abord, tend à donner à l’administration les moyens de s’assurer de l’authenticité des actes produits à Mayotte. Selon une législation remontant à la monarchie, un acte établi à l’étranger doit en effet faire l’objet d’une authentification par les autorités consulaires françaises afin d’être reconnu comme valable.

Or, bien des personnes viennent aujourd’hui demander des titres de séjour ou la scolarisation de leurs enfants en présentant des actes non authentifiés. En classe de CM2, on rencontre par exemple des jeunes gens barbus qui viennent vous expliquer qu’ils ont douze ans ! Les enfants mahorais ont besoin que l’égalité des chances soient respectées, et ne doivent être scolarisés qu’avec des enfants de même âge qu’eux. Voilà pourquoi nous proposons cet amendement.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, car cette précision législative ne présente qu’un faible intérêt. Mieux vaudrait augmenter les moyens dont disposent sur place la commune et la commission de révision de l’état civil.

M. François Baroin, ministre – Avis défavorable, pour des raisons tenant à la forme et non au fond. En effet, nous allons prochainement discuter des dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre mer, cadre plus pertinent pour ce débat.

M. Mansour Kamardine - Le Gouvernement faisant preuve d’une grande ouverture, je retire mon amendement.

L'amendement 237 est retiré.

M. Mansour Kamardine - L’amendement 236 tend à préciser que l’enfant doit faire l’objet d’une reconnaissance. Si la dation de nom existe à Mayotte, comme elle existait en métropole sous la Seconde République, il s’agit d’une hérésie juridique à laquelle nous préférons une autre solution : la reconnaissance des enfants nés hors mariage, comme partout ailleurs en France. Nous rétablirions ainsi l’égalité entre tous les enfants nés sur le territoire de la République.

Alors que les plus grands spécialistes du droit constitutionnel ont longtemps dit que toute réforme était impossible sur ce point, sous peine de porter atteinte au droit local reconnu par l’article 75 de la Constitution, un rapport datant de 2000 et établi sur place a démontré le contraire, le grand cadi ayant déjà ordonné de 18 reconnaissances. Il a été également été établi que la jurisprudence traditionnelle selon laquelle « le voleur n’a pas d’enfant » n’est valable que si la mère est tenu par un lien marital.

En adoptant l’amendement 236, nous donnerons à tous les enfants de la République les mêmes droits.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement, qui lui a paru mélanger le statut personnel de droit commun et le statut personnel de droit local, ce qui n’est pas conforme à l’article 75 de la Constitution. Si la mère de l’enfant est étrangère ou soumise au droit commun, l’enfant doit relever du droit commun.

M. le Ministre – Avis défavorable pour d’autres raisons. Cet amendement est un cavalier. Nous pourrons mieux débattre de ce sujet quand nous examinerons – prochainement, je l’espère - les dispositions statutaires institutionnelles.

M. Mansour Kamardine - Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. René Dosière - Je suis en accord avec le rapporteur et le ministre…

M. Mansour Kamardine - Cela commence à devenir suspect !

M. René Dosière - Appliqué à l’état civil, le droit local, c’est-à-dire le droit musulman, est une source de difficultés et de confusion, qui favorise d’ailleurs l’immigration clandestine. Je suis pour la liberté de culte, mais je le dis clairement, contrairement à la commission qui n’a pas pris position sur ce point : il est hautement souhaitable que le droit musulman cesse de s’appliquer à l’état civil, et ce même si cette application remonte à la deuxième République ou à la Restauration ! Nous sommes en 2006 !

M. Mansour Kamardine - Nous nous rejoignons sur le désir de moderniser, mais nous proposons de le faire dans le cadre de l’article 75 de la Constitution. Cela étant, si vous êtes partants pour travailler à une autre rédaction de l’article 75, je suis d’accord !

Mais puisque le ministre dit que nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet, je retire l’amendement 236.

M. le Président – Retirez-vous le 231 ?

M. Mansour Kamardine - Non. D’après une ordonnance de février 2000, pour qu’un mariage religieux de droit local soit valide, il faut qu’il soit célébré en présence d’un officier d’état civil, en plus du cadi. Il faut savoir qu’il est très difficile de réunir tout le monde en un même lieu, surtout quand il n’y a qu’un seul cadi par village, que quinze mariages ont lieu en même temps, que les gens sont allés voir le même marabout, lequel a recommandé de célébrer tous ces mariages à cinq heures du matin ! Par mon amendement 231, je propose donc de bien distinguer le mariage religieux du mariage civil. Le premier sera célébré par le cadi et sera sans effet sur l’état civil. Les mariages civils, eux, le seront par l’officier d’état civil, qu’ils relèvent du droit local ou du droit commun. L’officier d’état civil aura ainsi un bloc de compétences et les choses seront plus claires.

M. le Rapporteur – Nous étions tout à l’heure tous d’accord pour clarifier l’état civil. Cet excellent amendement, qui confie à l’officier d’état civil plutôt qu’au cadi la célébration des mariages de droit local, va tout à fait en ce sens. Avis favorable.

M. le Ministre – En logique pure, la démonstration du député Kamardine est implacable. Mais je ne peux que l’encourager à faire preuve de beaucoup de pédagogie pour expliquer l’amendement à la population mahoraise si la représentation nationale, dans sa grande sagesse, adopte cet amendement.

M. René Dosière - Lorsqu’un mariage religieux est célébré par le cadi, il ne peut avoir d’effet en droit que s’il est transcrit à l’état civil. Mais comme l’a expliqué M. Kamardine, ces mariages religieux de droit local ont parfois lieu à deux ou trois heures du matin, éventuellement le dimanche, et l’officier d’état civil ne peut donc s’y rendre, si bien que dans la pratique, la transcription se fait ultérieurement, sur la base des indications – pas toujours exactes – envoyées par les personnes qui se sont mariées religieusement. Il y a donc là encore une source de confusion.

L’amendement de M. Kamardine va dans le bon sens, mais il faudrait aussi préciser que la célébration du mariage se fait à l’hôtel de ville ou à la mairie. Si l’on veut vraiment découpler mariage civil et religieux, il faut qu’ait d’abord lieu à la mairie un mariage civil célébré par l’officier d’état civil, les époux étant ensuite libres d’aller, munis des pièces nécessaires, célébrer un mariage religieux où et quand ils veulent.

M. Mansour Kamardine - Je suis tout à fait d’accord pour que cette précision soit apportée, mais je voudrais rappeler que le cadi est un fonctionnaire recruté par le préfet sur la base d’un concours…

M. René Dosière - Comme les curés avant 1905 !

M. Mansour Kamardine - …après avis du procureur général et du premier président de la cour d’appel. Ne parlez donc pas de droit musulman ! Ce droit local est en fait un droit de la République. Que celle-ci ait tardé à faire évoluer les choses, j’en conviens tout à fait, mais ce sont bien des textes républicains qui assoient ce droit local !

Depuis l’ordonnance de février 2000, les mariages célébrés par le cadi doivent l’être, pour produire des effets en droit, en présence de l’officier d’état-civil.

M. René Dosière - Vous savez bien que ce n’est pas ce qui se passe.

M. Mansour Kamardine - Nous souhaitons distinguer les deux : le mariage religieux sera célébré par le cadi et le mariage civil se fera en mairie, comme le proposait M. Dosière.

M. René Dosière - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Personne n’est obligé de se marier civilement, sauf à vouloir bénéficier des effets de droit.

M. le Président – Je vais donc mettre aux voix l’amendement 231 dans lequel seront rajoutés les mots « en mairie ».

L'amendement 231, ainsi rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – A l’unanimité (Mme Boutin applaudit).

Art. 77

M. Noël Mamère - Au prétexte de renforcer les moyens de contrôle de l’emploi illégal à Mayotte, l’article 77 détourne la mission des inspecteurs du travail – qui ont déjà des difficultés à accomplir leurs tâches – en leur attribuant un rôle de contrôle des étrangers travaillant sans autorisation – et donc de la nationalité – qui n’est pas le leur. C’est à d’autres services – la police de l’air et des frontières, par exemple – de s’en charger. L’amendement 221 vise donc à supprimer cet article.

M. Patrick Braouezec - L’amendement 597 est identique. Nous sommes naturellement favorables au renforcement des moyens de contrôle de l’emploi illégal, mais il faut, en l’occurrence, tenir compte de la position de l’intersyndicale des inspecteurs du travail. Rien n’oblige ce corps à accomplir ces tâches : c’est à d’autres services spécialisés de s’en charger.

M. le Rapporteur – Avis défavorable sur ces deux amendements. Le travail clandestin à Mayotte a pris une ampleur inquiétante qui justifie cette mesure. Il faut, d’une part, étendre le respect du droit du travail aux employés de maison et, d’autre part, faciliter, sous contrôle de l’autorité judiciaire, l’accès aux domiciles dans lesquels travaillent fréquemment les employés en situation irrégulière.

Nous venons de discuter plusieurs amendement qui visent à renforcer la lutte contre le travail clandestin : vous devriez vous en féliciter !

M. Patrick Braouezec - C’est ce que nous faisons !

M. le Rapporteur – La mission des fonctionnaires se définit au Parlement. L’article 77 est donc parfaitement justifié.

M. le ministre – Même avis : on ne peut pas dire tout et son contraire, vouloir lutter contre le travail clandestin et refuser cet amendement pourtant très utile face à une pratique non seulement inacceptable, mais aussi immorale. Ceux qui ont visité Mayotte le savent : outre une majorité de la population qui emploie des clandestins, il y a aussi les gens qui, une fois leur maison construite, dénoncent leurs employés illégaux à la police pour qu’ils soient expulsés. Vous ne pouvez pas accepter le statu quo, quels que soient les arguments d’une organisation syndicale à propos d’un code qu’il appartient à la représentation nationale de définir. C’est ce que nous faisons pour Mayotte ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. René Dosière - Je ne peux que souscrire à cet article, issu des travaux de notre commission. Toutefois, il faut renforcer le corps des inspecteurs du travail sur place, ainsi que celui des officiers de police judiciaire.

En outre, il y a à Mayotte de très nombreux fonctionnaires, qui exercent dans les conditions financières de l’outre-mer – est-il besoin d’en dire plus ? Or, une très large majorité d’entre eux emploie de la main d’œuvre clandestine sous-payée dans des conditions épouvantables. Les sanctions pénales à leur égard ne suffisent pas : il faudrait recommander leur rapatriement immédiat. On ne peut pas accepter que des fonctionnaires de l’Etat emploient des clandestins alors que leur rémunération leur permet largement de payer des charges salariales.

Il existe aussi une autre catégorie de population mahoraise qui emploie des clandestins : des élus. Certains s’en sont même vantés en séance publique du conseil général devant le préfet ! Là aussi, la sanction pénale est insuffisante. Une peine d’inéligibilité semblerait justifiée. Vous m’objecterez que l’on ne peut distinguer Mayotte de la métropole en la matière. Soit : appliquons donc la disposition à l’ensemble du territoire, puisqu’elle ne trouvera presque jamais à s’appliquer en métropole, alors qu’elle concerne de nombreux élus mahorais.

Ces deux dispositions permettront de lutter efficacement contre le travail clandestin qui bénéficie encore d’une trop forte adhésion de nombreux Mahorais. Nous devons rompre ce cercle, et chacun en porte la responsabilité. Que l’on cesse enfin de considérer que le clandestin à expulser est celui d’à côté, et non le sien !

M. Mansour Kamardine - Nous touchons au cœur du dispositif de lutte contre l’immigration clandestine. Plutôt que de supprimer cet article, il faut l’adopter, et vite ! Il ne s’agit pas de demander aux inspecteurs du travail de vérifier la nationalité d’employés, mais la légalité de contrats de travail. Le SMIG atteint 647 euros à Mayotte, mais les différentes mesures d’allégement fiscal ramènent la charge totale de l’employeur à 300 euros. Or, personne n’utilise ce dispositif, car les clandestins, eux, sont payés 80 euros ! En proposant de supprimer l’article, Monsieur Braouezec, vous cautionnez implicitement ces pratiques inhumaines. En le votant, nous protègerons les clandestins en obligeant leurs employeurs à les déclarer.

M. Patrick Braouezec - Je ne peux pas laisser dire que je suis complice d’un phénomène que je dénonce comme vous. Je conteste simplement le fait d’attribuer à certains fonctionnaires un rôle qui n’est pas le leur, alors que d’autres pourraient s’en charger.

Les amendements 221 et 597, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Mansour Kamardine - L’amendement 124 vise à toucher au portefeuille là où ça fait mal en portant de cent à mille fois le SMIG les amendes pouvant être infligées aux employeurs de clandestins.

L'amendement 124, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 451 est rédactionnel.

L'amendement 451, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 452 est de précision.

L'amendement 452, accepté par le Gouvernement , mis aux voix, est adopté.

M. Mansour Kamardine - Je retire l'amendement 245.

L'article 77 modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 78

M. Éric Jalton - Puisque nous arrivons au terme du débat sur le titre VI relatif à l’outre-mer, je voudrais donner mon sentiment général.

Je regrette que ce projet consacre la notion d’immigration choisie, en vertu de laquelle nous pourrions rejeter les sans grade, les sans titre, les sans gloire, et dérouler le tapis rouge pour les meilleures intelligences et compétences. Nous n’avons pas manifesté d’opposition frontale au volet relatif à l’outre-mer, mais nous aurions aimé qu’il fasse l’objet d’un projet de loi spécifique, ce qui aurait permis d’aller plus au fond des choses ; nous avons voté certains articles, nous nous sommes abstenus sur d’autres, et nous regrettons que suite n’ait pas été donnée à certaines réserves que nous avions formulées, notamment sur l’article 63.

Le grand absent de ce projet, y compris dans son volet relatif à l’outre-mer, est le co-développement. Le congrès des élus régionaux et départementaux avait fait à cet égard des propositions intelligentes, tirées notamment du rapport de Régis Debray, en particulier en matière d’annulation de la dette et de coopération régionale.

Par ailleurs, quel que soit l’arsenal juridique, nous avons avant tout besoin de moyens matériels pour l’appliquer : il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Or ce projet répond avant tout à un objectif électoraliste : on veut afficher une politique répressive au moins en apparence, afin de glaner quelques voix, sans pour autant donner les moyens de l’appliquer.

Je ne formulerai pas d’objection particulière sur l’article 78, d’autant qu’il s’agit d’une expérimentation limitée dans le temps.

M. le Rapporteur – L’amendement 453 rectifié est de précision.

L'amendement 453 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 454 est de coordination.

L'amendement 454, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 78 modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 79

M. Mansour Kamardine - Je voudrais à mon tour tirer les conclusions de l’examen de ce titre VI. Je remercie le Gouvernement de doter enfin Mayotte des moyens juridiques nécessaires mais j’attends votre réponse, Monsieur le ministre, sur le volet matériel et humain. Il faudrait un doublement des effectifs et nous avons besoin en urgence d’un radar, ainsi que de bateaux.

M. Louis-Joseph Manscour - Il fallait commencer par là…

M. René Dosière - Je ne peux que me réjouir du fait que dans ce projet, Monsieur le ministre, vous vous soyez très largement inspiré des propositions formulées par la mission. Celle-ci nous a permis de constater que le problème de l’immigration à Mayotte n’avait que très peu de rapport avec le droit du sol. Je me réjouis que les amendements de M. Kamardine aient été finalement retirés car ils proposaient des modifications anticonstitutionnelles en matière d’acquisition de la nationalité française à Mayotte.

Les dispositions que nous votons devront être complétées non seulement par des moyens, comme l’a rappelé M. Kamardine, mais aussi par une politique très forte de remise en ordre de l’état-civil, faute de quoi tout ce travail ne servirait à rien. Le Gouvernement connaît désormais la réalité de la situation à Mayotte et les mesures qu’il convient de prendre pour stopper l’immigration clandestine.

M. le Ministre – Je voudrais remercier tous les parlementaires pour leur contribution à ce débat, que j’avais provoqué en septembre, en conscience. Monsieur Dosière, vous savez fort bien qu’un débat existe entre les constitutionalistes sur l’application de l’article 74 et vous connaissez la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis 1993 ; vous savez aussi quels ont été mes écrits. L'outre-mer étant loin, il faut parler fort pour se faire entendre… La mission que vous avez présidée a utilement travaillé, elle a formulé des propositions que nous avons reprises. Dans le respect de notre Constitution, nous devons trouver les voies et moyens pour adapter nos politiques à des situations particulières qui sont explosives. C’est ainsi que Mayotte disposera d’une législation particulière. La situation en Guadeloupe nous préoccupe également au point que nous avons aussi proposé des mesures législatives adaptées – notamment eu égard à l’instabilité politique d’Haïti. Il en est de même en Guyane où des représentants des forces de l’ordre ont été frappés récemment dans l’exercice de leur mission. Mais nous avons également besoin d’une politique coordonnée en matière de développement, pour permettre à ces migrants de ne plus considérer la France comme l’Eldorado qu’elle n’est pas. Enfin, nous devons mener une action diplomatique vigoureuse lorsque c’est nécessaire et possible.

M. Patrick Braouezec – L’amendement 598 vise à supprimer cet article. En effet, cette extension à huit heures du temps pendant lequel une personne peut être retenue pour vérification d'identité est contraire au code de procédure pénale, qui précise en l’occurrence qu’une personne ne peut être retenue que quatre heures. Rien ne justifie cette dérogation.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement mais j’y suis à titre personnel défavorable. La géographie de Mayotte et sa situation particulière justifient cette adaptation législative, prise dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. Il s’agit en outre d’une proposition de la mission d’information sur la situation de l’immigration à Mayotte. Les forces de l’ordre, en effet, ne parviennent pas à transporter en quatre heures les clandestins débarqués au sud de l’île jusqu’au centre de rétention administrative situé au nord, où leur identité peut être vérifiée.

L'amendement 598, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 79, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 79

M. René Dosière – Le projet du Gouvernement reprend en partie les préconisations de la mission d’information, mais je propose, par l’amendement 319 qui correspond précisément à la proposition 3 du rapport, de l’améliorer encore. Il s’agit de montrer que nous considérons la remise en ordre de l’état civil comme une priorité. En effet, les conditions dans lesquelles celui-ci se met en place sont particulièrement chaotiques et ceux qui s’en occupent travaillent dans un contexte très difficile, au point de s’interroger parfois sur la valeur de leur travail. Afin de les encourager, je propose qu’un quart de la dotation consacrée par l’Etat à Mayotte soit dévolue à l’achat de matériel informatique. En outre, je propose que l’Assemblée soit régulièrement informée par le Gouvernement, de l’évolution de la situation – nous avons constaté, hélas, que le Garde des Sceaux lui-même l’ignorait, alors qu’elle est pourtant de son ressort.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement mais j’y suis à titre personnel défavorable, même si je partage une partie de l’analyse de notre collègue. Il existe certes un problème d’équipement informatique des communes à Mayotte, mais pour bien gérer l’état civil, il ne faudrait pas que le redéploiement des crédits proposé par cet amendement se fasse au détriment de la formation des fonctionnaires qui en sont chargés, non plus que de la sécurisation des locaux, les fichiers d’état civil et les ordinateurs étant souvent volés.

M. le Ministre – Avis défavorable car cet amendement est déjà partiellement satisfait.

M. Mansour Kamardine - Cet amendement me chatouille… (Sourires).

Mme Christine Boutin - Ou il vous gratouille ? (Sourires)

M. Mansour Kamardine – MM. Dosière, Quentin et les autres collègues qui les ont accompagnés ont été, je le sais, impressionnés par les chatouilleuses (Sourires), mais il s’agit ici d’autre chose… !

M. le Président – Vous en avez trop dit ou pas assez ! (Sourires)

M. Mansour Kamardine – De fait, l’état civil, à Mayotte, a besoin d’équipements informatiques. Cet amendement me donc semble intéressant. Certes, les moyens proposés sont me semble-t-il déjà inscrits dans le budget, de sorte que la charge serait minime mais le rapport demandé permettrait de vérifier que l’équipement progresse.

L'amendement 319, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Christine Boutin – Quelque chose me chatouillait également dans ce texte, (Sourires)…

M. le Président – N’en rajoutez pas, Madame Boutin ! (Sourires)

Mme Christine Boutin - … je veux parler de l’absence de propositions en faveur du co-développement. De nombreuses régions du monde connaissant l’instabilité, il n’est pas étonnant que les plus pauvres cherchent à fuir vers une terre nouvelle qui puisse leur offrir la dignité et la paix. C’est là la migration des désespérés, souvent jeunes, qui n’ont pas d’autre choix que de quitter leur pays. La mondialisation accélère le flux des capitaux et les échanges de biens et de services, mais elle influe également sur les déplacements humains. Dans le cadre d’une économie ouverte et sans règles, le fossé entre pays émergents et pays perdants se creuse de plus en plus : les premiers disposent des capitaux et des technologies qui leur permettent de jouir des ressources de la planète ; les seconds n’ont pas un accès facile aux ressources nécessaires à un développement humain correct et manquent parfois même de moyens de subsistance. Écrasés par leur dette et déchirés par des divisions internes, ils finissent par dissiper dans la guerre le peu de richesses qu’ils possèdent. J’ai donc déposé quatre amendements qui ont pour point commun de viser à favoriser le partage et le développement. Le premier, le 246, tend à encourager les entreprises qui investissent dans les pays d’immigration en les faisant bénéficier d’exonérations fiscales.

M. le Rapporteur – Nous sommes tous convaincus de la nécessité d’une vraie politique de co-développement. La commission n’a pas examiné ces quatre amendements mais j’y suis à titre personnel défavorable, non sur le fond, mais sur la forme : en effet, dans leur rédaction actuelle, ils semblent inapplicables.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - Je comprends les préoccupations de Mme Boutin. Aujourd’hui, l’épargne que les migrants installés en France transfèrent dans leurs pays d’origine s’élève chaque année à 2,6 milliards et nous devons en effet réfléchir aux moyens de la transformer en investissement productif pour ces États. C’est dans cet esprit que M. le ministre d’État a confié une mission au président des caisses d’épargne, M. Charles Milhaud. Nous attendons ses conclusions, qui nous permettront de réexaminer cette question lors du débat au Sénat. Je vous propose, Madame Boutin, de participer aux travaux de ce groupe et de bien vouloir retirer votre amendement en attendant.

M. Patrick Braouezec – Je ne voterai pas cet amendement, d’une part parce qu’il est trop flou – de quelle exonération fiscale s’agit-il ? – et d’autre part parce que les entreprises bénéficient déjà de nombreuses exonérations. Néanmoins, les trois autres me semblent intéressants. J’apprécie que certains d’entre nous proposent de favoriser le co-développement : M. le rapporteur assure que ce n’est pas le moment, mais avec lui, cela ne l’est jamais alors que la politique répressive, elle, ne cesse de se perfectionner. Ainsi avec cette loi, qui a en outre le grand défaut de ne pas prendre en compte les raisons des migrations.

Je souhaiterais savoir si la mission confiée à M. Milhaud intègre les associations de personnes d’origine étrangère, notamment celles des Maliens, qui envoient beaucoup d’argent dans leur pays. Il ne faudrait pas que cette épargne, qui permet à nombre d’autochtones de rester chez eux, soit dévoyée. Dans le cadre des opérations de coopération décentralisée, nous nous apercevons en effet que ce que nous préconisons ou ce que préconisent les immigrés diffère parfois de ce que souhaitent ceux qui sont restés au pays. Nous serons donc vigilants sur cette question.

En tout cas, les amendements de Mme Boutin sont un apport bienvenu à cette réflexion. J’aimerais aussi y participer si possible mais il faudrait en tout cas y associer les associations qui, en France, travaillent à mobiliser l’épargne des immigrés.

M. Serge Blisko - Même si leur rédaction n’est pas suffisamment précise, les amendements de Mme Boutin ont le mérite de mieux définir ce que pourrait être concrètement le co-développement, en mentionnant l’aide à l’économie informelle, ainsi que le microcrédit, popularisé par Mme Novak et par la Banque des pauvres, et qui est un succès, y compris pour ce qui est du taux de remboursement. Comme l’a souligné M. Braouezec, il faut agir en partenariat avec les multiples associations « villageoises » d’immigrés qui, grâce à leurs liens avec le village d’origine, financent avec succès des projets qui permettent de sortir de la spirale du sous-développement. Il faut aussi y associer les nombreux groupements de solidarité locaux, fruit de l’engagement citoyen de jeunes, ou de retraités comme ceux de « retraités sans frontières ».

S’il faut encourager cette action, il faut aussi l’évaluer, la guider, car trop de bonnes volontés s’égarent et il faut leur indiquer les erreurs à ne pas commettre. J’aimerais qu’on fédère les initiatives. Les amendements de Mme Boutin permettraient un plus grand professionnalisme sans dirigisme.

J’insiste enfin, pour l’avoir constaté à Bamako, sur le très bon travail accompli par certaines missions de coopération auprès de nos ambassades. Il faut développer les postes de chargés de relations avec les associations, qui n’existent pas partout.

M. René Dosière - Ces amendements très utiles font apparaître a contrario le co-développement comme le grand absent de ce texte sur l’immigration, alors que la solution de cette question passe, à long terme, par la réduction des inégalités entre pays riches et pays pauvres.

Dans la Caraïbe ou l’océan indien, il suffirait que le Gouvernement applique la loi sur l’outre-mer et laisse les collectivités territoriales mener la coopération avec d’autres collectivités ou des Etats. Le conseil régional de la Réunion, par exemple, est prêt à s’y investir, si on ne lui oppose pas que l’action extérieure est la prérogative de l’État central, alors que le ministère de la francophonie ne participe pourtant guère à l’effort de développement.

Mme Christine Boutin – Compte tenu de ce qu’a dit le ministre, je retire l’amendement 246.

En revanche, je maintiens l’amendement 249 qui demande au Gouvernement de concentrer ses aides publiques de coopération internationale sur le secteur de l’économie informelle, des micro-entreprises et des institutions de micro-finance. Peut-être la rédaction n’en est-elle pas parfaite, mais il a le mérite de montrer que l’Assemblée s’intéresse à ce problème essentiel quand on parle d’immigration. Depuis des années, les pays riches envoient vers les pays en développement beaucoup d’argent utilisé de façon, disons, suspecte. Ce n’est pas la bonne formule. Il faut revoir les conditions d’attribution des aides publiques avec les associations qui sont liées à un village, à un quartier, et encourager les microprojets, les projets de proximité, qui sont ceux qui réussissent.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué - D’abord, je suis surpris que ces amendements soient présentés à cet endroit du texte. Nous avons déjà débattu du co-développement et fait adopter quelques mesures utiles comme la carte d’étudiant et la carte « compétences et talents ».

M. Patrick Braouezec - Cela n’a rien à voir.

M. le Ministre délégué - J’ai bien entendu les propos qui viennent d’être tenus. Il faut en effet que la démarche engagée, à l’initiative du ministre d’État, par le président des caisses d’épargne, soit bilatérale – il ne saurait de toute façon y avoir de décision unilatérale en ce domaine – et nous lui demanderons de consulter les associations d’immigrés et toutes celles que vous avez mentionnées. Cependant, nous souhaitons aussi que la mission aboutisse rapidement, pour pouvoir faire des propositions concrètes lors de l’examen de ce texte au Sénat. Nous réfléchissons ainsi à un compte épargne développement. Dans le prolongement de son amendement précédent, les trois amendements de Mme Boutin visent à orienter l’action vers des projets de petite dimension. J’y suis favorable, mais leur rédaction n’est pas assez aboutie pour que je puisse donner un avis positif. Je lui demande donc d’accepter de les retirer et de participer aux travaux engagés sous l’autorité du président des caisses d’épargne afin que nous puissions faire des propositions concrètes au Sénat.

Mme Christine Boutin - Je suis embarrassée : le ministre me demande de retirer mes amendements avec une telle gentillesse. Et je reconnais qu’ils ne sont pas d’une précision absolue. Mais quand même, on ne peut parler d’immigration sans parler de co-développment – et si je le fais à cet endroit, c’est qu’il n’y en avait pas vraiment d’autre.

Il faut lancer le débat, je maintiens mes amendements.

M. Patrick Braouezec - Je comprends l’embarras de Mme Boutin : il est difficile de faire des propositions sérieuses et concrètes sur le co-développement dans ce texte qui, par certains de ces aspects, organise plutôt le pillage des pays émergents. Ces amendements, malgré leur manque de précision dont leur auteur convient, sont intéressants en ce sens qu’ils visent des secteurs sur lesquels nous devrions nous appuyer pour construire une politique publique d’aide au développement. Ils permettraient notamment de reconnaître l’économie informelle, ce qui n’est pas rien. C’est la raison pour laquelle je les soutiendrai.

L'amendement 249, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Christine Boutin - Je précise que ces amendements relatifs au co-développement ont été co-signés par des parlementaires de l’UMP, dont M. Pinte. Les amendements 250 et 251 visent à créer une chaîne de réassurance des risques pour les pays en développement. J’ai bien conscience que cette idée doit être précisée. Elle constitue le pendant de la création d’un mécanisme de dividende universel dans notre pays. De quoi s’agit-il ? La vulnérabilité est au cœur de l’aide au développement. Les efforts des pays émergents en matière de développement doivent être sécurisés afin que les pays riches acceptent d’investir. Or l’organisation des assurances dans ces pays est naturellement très fragile car leurs moyens sont faibles. Pourtant, ces populations, très démunies, subissent au quotidien de multiples aléas, notamment dans le domaine de la santé, qui, s’ajoutant les uns aux autres, les handicapent fortement. La banque mondiale avait lancé, conjointement avec le Bureau international du travail, un programme de recherche visant à réassurer les structures locales sur des secteurs ciblés tels que celui de la santé, programme qui s’est révélé très positif. Si le développement durable consiste à mieux prendre en compte les personnes, il passe donc par une consolidation des revenus au moyen de la réassurance du risque au niveau mondial. Un tel dispositif est actuellement expérimenté en Afrique du Sud et en Inde au niveau régional. La réserve mondiale de réassurance est un moyen de mobiliser la finance pour assurer les risques les plus importants, comme ceux liés au terrorisme ou au climat. Pourquoi ces financements, publics et privés, ne pourraient-ils pas servir réassurer les pays émergents ? Je suis convaincue que, si nous réfléchissions à cette formule, nous serions en mesure de nous attaquer à la pauvreté qui est la cause principale de l’immigration dans les pays riches.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué– Je vous invite à retirer ces amendements.

Mme Christine Boutin - Je les maintiens.

Les amendements 250 et 251, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. René Dosière - Il est scandaleux que les députés de l’UMP repoussent ces amendements !

M. le Président – Monsieur Braouezec, les amendements 369 et 370 de M. Brard sont-ils défendus ?

M. Patrick Braouezec - Non, parce qu’avant de créer un livret d’épargne destiné à mobiliser l’épargne des migrants, il aurait fallu consulter leurs associations !

Mme Christine Boutin - L’amendement 35 est défendu.

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre délégué – Je remercie Mme Boutin de l’intérêt qu’elle porte à la question du co-développement…

M. Patrick Braouezec - C’est bien la seule à droite !

M. le Ministre délégué – …et je me réjouis de l’adoption de son amendement à l’article 12 qui prévoit que les détenteurs d’une carte « compétences et talents » soient tenus de participer à une action de co-développement. Les amendements qu’elle vient de présenter auraient d’ailleurs trouvé meilleure place dans cette partie du texte.

M. Patrick Braouezec - Certainement pas, elle s’en est d’ailleurs expliquée !

M. le Ministre délégué – En revanche, que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel sur le co-développement n’est pas nécessaire puisque le rapport annuel sur les orientations de la politique de l’immigration, aux termes de l’article 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, rend déjà compte des actions entreprises avec le pays d’origine pour mettre en œuvre une politique d’immigration fondée sur le co-développement et le partenariat. C’est la raison pour laquelle je demande le retrait de cet amendement. Pour information, je rappelle que la France mène aujourd’hui une politique de co-développement dynamique : l’aide publique au développement, qui représentait 0,62 % du revenu national brut en 1994, mais 0,31 % en 2000, est remontée à 0,42 % en 2004.

M. Bernard Roman - Le périmètre a changé !

M. le Ministre délégué – Nous atteignons aujourd’hui 0,47 % et nous nous sommes fixé pour objectif d’atteindre 0,5 % en 2007. Notre contribution au développement des pays émergents est donc largement supérieure à la moyenne de l’OCDE, qui n’est que de 0,26 %.

Mme Christine Boutin - Monsieur le Ministre, n’y voyez pas volonté d’être désagréable, mais je rappelle que le Président de la République a longuement insisté sur la nécessité de l’aide au développement. En tant que parlementaire français, je ne peux me satisfaire que la France n’honore pas son engagement de porter l’aide au développement à 0,7 %. Tant mieux si sa contribution est supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE et si ces chiffres montrent que cette majorité a réussi à faire mieux que la précédente, mais tout cela reste insuffisant. Vous m’avez convaincue que mes amendements manquaient de précision et étaient mal placés mais vous ne m’avez pas enlevé de la tête que l’immigration s’explique par la fracture mondiale entre les pays émergents et les pays qui ont de l’argent ! Cela étant dit, je retire l’amendement 35.

M. Patrick Braouezec - Je le reprends !

M. René Dosière - Revenons un instant sur les chiffres de l’aide au développement que M. Estrosi vient de répéter pour la dixième fois.

M. le Ministre délégué – Ce n’est que la deuxième fois, Monsieur Dosière, vous ne savez pas compter.

M. René Dosière – Faut-il encore rappeler que le périmètre a changé et que l’on ne peut comparer ces pourcentages ? Il existe une ministre de la coopération et du développement dans ce Gouvernement, me semble-t-il. Que Mme Girardin vienne s’expliquer ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Chiche !

M. Patrick Braouezec – Je reprends l’amendement 35 de Mme Boutin. En effet, un rapport sur le co-développement serait bien utile. Au-delà des chiffres, nous aimerions savoir comment l’argent est utilisé. Sert-il à financer directement des microprojets dans l’économie informelle ou est-il versé aux États ?

M. Noël Mamère - La question posée par M. Braouezec est intéressante. Où va l’argent consacré au co-développement ? Sert-il à encourager le commerce équitable qui ne représente que 0,01 % des échanges mondiaux ? Rien n’est moins sûr. Le Gouvernement vient d’en limiter le développement en favorisant la grande distribution qui impose des conditions dictatoriales quant au cheminement des produits.

Deuxième question : l’aide française, dont le ministre vient de nous annoncer qu’elle avait beaucoup augmenté, a-t-elle permis au continent africain de vivre moins mal ? Je rappellerai seulement que 40 % des Africains vivent avec moins d’un dollar par jour, alors qu’une vache européenne en a 2,5 grâce aux subventions communautaires ! Peut-on donc vraiment dire que les politiques européennes favorisent le co-développement ?

Par ailleurs, les gouvernements successifs ont-ils empêché certaines grandes entreprises françaises de dévaster les forêts primaires d’Afrique pour que nos concitoyens puissent aménager leurs piscines ou leurs appartements avec du bois non certifié, dilapidant les ressources et la culture des populations qui vivent de la forêt ?

Et le Président français œuvre-t-il en faveur du co-développement quand il salue la victoire de M. Omar Bongo au Gabon, de M. Foré Eyadéma au Togo ou de M. Idriss Déby au Tchad, dictateur auquel il va jusqu’à fournir l’aide militaire française pour se maintenir au pouvoir ? La réponse est évidemment négative !

J’ajoute que les montants transférés dans leur pays par les immigrés maliens qui résident en France sont bien supérieurs au budget que nous allouons au développement de l’ensemble de l’Afrique. Cessez donc d’affirmer que l’aide au co-développement progresse !

M. Étienne Pinte - Je persiste à penser que le rapport sollicité par Mme Boutin serait utile pour recenser non seulement les aides de l’Etat, mais également les initiatives prises par les associations et les collectivités territoriales en matière de co-développement et de coopération décentralisée. Cela fait par exemple dix ans que ma ville investit au Cambodge, au Niger, au Liban et au Mali.

M. le Rapporteur – Cet amendement a déjà été satisfait voilà trois ans par l’adoption d’un amendement déposé par M. Goasguen. Aux termes de l’article L. 111-10 du Ceseda, un rapport précise désormais chaque année « les actions entreprises avec les pays d'origine pour mettre en oeuvre une politique d'immigration fondée sur le co-développement et le partenariat ».

La meilleure preuve que ce que vous proposez existe déjà est le chapitre consacré au « co-développement » dans le rapport annuel remis par le Premier ministre. Vous le trouverez à la page 75.

M. Patrick Braouezec - Jusqu’à quelle page ?

M. le Rapporteur – Jusqu’à la page 82.

M. Patrick Braouezec - Seulement ? Je m’en doutais !

M. le Rapporteur – Il n’y aura pas plus de pages avec cet amendement ! L’essentiel, c’est que, depuis 2003, le Gouvernement rend compte aux parlementaires. Vous trouverez ainsi à la page 81 le détail des nouveaux programmes.

L'amendement 35, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Juliana Rimane - L’amendement 229 a pour objet d'empêcher ou de détruire les constructions érigées par des étrangers en situation irrégulière sur les domaines public et privé des collectivités locales de Mayotte et de Guyane.

M. le Rapporteur – Cet amendement a été repoussé par la commission, compte tenu du risque de censure par le Conseil constitutionnel. En effet, on ne peut procéder à la destruction de locaux d’habitation que sous le contrôle du juge judiciaire.

M. René Dosière - Et il vous manque des bulldozers pour cela!

M. le Ministre – Il y a en effet un risque d’inconstitutionnalité. Mme Rimane pose certes un problème pertinent d’urbanisme, de salubrité et à d’occupation sans droit ni titre, mais il convient d’encadrer cette proposition : le juge judiciaire doit jouer pleinement son rôle étant donné le risque d’atteintes au droit essentiel de la propriété.

M. Mansour Kamardine - Nous sommes sensibles à cet argument de fond.

M. Claude Goasguen – Sans compter qu’il est possible d’exproprier !

M. Mansour Kamardine - Pas du tout, car l’expropriation présuppose un titre de propriété, inexistant dans cette hypothèse. Certaines personnes arrivent en pleine nuit, puis érigent au petit matin des constructions dont la stabilité n’est pas assurée, ce qui peut mettre en jeu la responsabilité des pouvoirs publics.

Face à cela, vous ne pouvez pas vous contenter de nous renvoyer aux problèmes d’inconstitutionnalité ! Puisque vos juristes semblent les plus compétents, il serait bon que vous nous proposiez un texte qui échappe à la censure du Conseil. Si je suis d’accord pour prendre en compte le risque d’inconstitutionnalité, il faudrait tout de même que vous donniez aux collectivités publiques les moyens les moyens d’assurer leur droit de propriété.

Cela étant, je veux bien retirer cet amendement si Mme Rimane en est d’accord.

L'amendement 229 est retiré.
La séance, suspendue à 0 heure 10, le mercredi 10 mai, est reprise à 0 heure 20.

Mme Christiane Taubira - Rappel au Règlement. Ayant demandé la parole avant le retrait de l’amendement, je regrette de ne pas l’avoir eue. Mentionnant cela, je ne mets nullement en cause votre présidence, Monsieur le Président, car je trouve au contraire que vous animez nos travaux de façon exemplaire, à la fois avec rigueur et humour. Mais la question était grave et je ne pouvais pas ne pas réagir à la revendication indigne qui a été faite.

Il est bon de rappeler que nous devons, en tant que parlementaires, être les premiers à respecter les contraintes de l’État de droit. Il y a des procédures, des administrations responsables, des instruments juridiques et aussi des sanctions prévues en cas de non-respect des règles d’urbanisme. La tendance à introduire systématiquement des exceptions outre-mer a des effets pervers considérables, dont celui d’amener certains à ignorer les dispositions juridiques et les remparts institutionnels qui existent, tant et si bien que l’on en arrive à ce qu’il soit presque demandé dans cet hémicycle de brûler sinon des paillotes, du moins des carbets !

Art. 30

M. le Président – Nous en revenons aux articles 30 et suivants.

M. Bernard Roman – Je m’exprimerai en une seule fois sur ces trois articles relatifs au regroupement familial. Tout démontre qu’ils relèvent d’une pure volonté d’affichage.

Dans un livre qu’il a publié il y a moins de cinq ans, M. Sarkozy tenait un discours très louangeur sur l’immigration familiale, faisant valoir à juste titre que l’on ne peut imaginer d’immigration réussie pour un homme privé de sa femme et de ses enfants.

M. Claude Goasguen - Il n’a pas changé.

M. Bernard Roman - Le regroupement familial est, disait-il, l’un des droits de l’homme sur lesquels on ne peut transiger, sauf à se renier. C’est pourtant bien un durcissement des conditions du regroupement familial qui nous est proposé aujourd’hui, et ce y compris pour les immigrés dits « choisis » que l’on veut faire venir pour remplir certains emplois. Mettre des barrières au regroupement familial pour ces milliers de travailleurs, n’est-ce pas se renier ?

Et pourquoi vouloir freiner les regroupements familiaux alors que leur nombre est très stable depuis sept ou huit ans ? En 2004, 25 000 personnes étaient concernées, contre 23 000 en 2001. Pourquoi, sinon par volonté d’affichage ?

La loi de 2003 avait déjà durci les conditions du regroupement familial. Elle n’a eu aucun effet, et pour cause ! La circulaire d’application n’a été publiée qu’il y a un peu plus de trois mois ! Et, au moment même où vous prépariez le texte dont nous discutons aujourd’hui, cette circulaire n’existait même pas puisque ces 96 pages n’ont été adressées aux préfets qu’en mars dernier, sans qu’aucun bilan ait été dressé de la loi de 2003 qui devait réduire une immigration familiale pourtant déjà stabilisée. Qu’importe : vous légiférez à nouveau pour durcir encore les critères !

Enfin, M. Sarkozy nous dit que l’immigration familiale fait entrer en France des immigrés non qualifiés et peu insérés, qui obèrent le marché du travail des étrangers. C’est faux ! Bercy vient de publier un rapport – commandé par… M. Sarkozy lui-même, alors ministre de l’économie – qui démontre que l’immigration familiale constitue la part principale de la main-d’œuvre immigrée. Ainsi, lorsque vous nous parlez d’immigration choisie au prétexte que seuls des travailleurs qualifiés doivent être recrutés dans les secteurs demandeurs, vous nous trompez : ces postes sont occupés par des immigrés venus grâce au regroupement familial !

M. Claude Goasguen - Mais non ! Pas dans l’hôtellerie, ni dans la restauration !

M. Bernard Roman - Cette loi inutile et populiste n’est que le fruit d’une nauséabonde volonté de communication. Elle n’empêchera pas les hommes de vouloir vivre avec leurs femmes et leurs enfants, ni les enfants de vouloir rejoindre leurs parents. Elle incarne une politique dangereuse qui ne fera que grossir les rangs des immigrés illégaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Braouezec - Je citerai pour ma part le Président de la République, qui disait, au lendemain des événements qui ont secoué notre pays à l’automne, que les enfants et les adolescents ont besoin de repères et d’autorité parentale et que les familles doivent prendre leurs responsabilités, car le respect de la loi et la politique d’intégration en dépendent. Ce constat vaut pour tous les pays, et pour le nôtre en particulier, car la vie familiale y est un droit.

Or, les articles 30, 31 et 32 visent précisément à empêcher ceux qui ont choisi la France de vivre avec leurs familles, en modifiant les conditions du regroupement familial : allongement du temps de présence exigé sur le territoire, durcissement des conditions de ressources exigées et autres dispositions, plus floues, relatives au respect de nos valeurs républicaines.

Ils sont d’autant plus contestables que les chiffres n’annoncent en rien « l’invasion » que certains redoutaient autrefois sur ces bancs. Avec 21 000 personnes en 2000, on pouvait envisager l’entrée de 30 000 personnes aujourd’hui grâce au regroupement familial. On en est loin : environ 25 000 en 2004 et sans doute autant en 2005. Il n’y a ni inflation, ni invasion ! Comment justifier aujourd’hui votre refus de permettre le regroupement familial alors que certains, dans vos rangs, le défendaient hier ? Nous proposerons donc, la suppression de ces articles qui ne favorisent en rien la vie familiale et l’intégration des personnes concernées.

M. Claude Goasguen - La question du regroupement familial est ancienne : elle est régie par une convention internationale intégrée au droit français en 1974. Or, la situation de l’emploi et de l’immigration a bien évolué depuis : il est donc normal que la loi s’adapte à son tour. Vous nous accusez de ne pas respecter le regroupement familial ; je vous rassure : il reste du domaine de la loi. Nous ne dérogeons en rien à la convention internationale, qui prévoit qu’un travailleur immigré salarié peut faire venir sa famille dans la mesure des dispositions de la loi. De ce point de vue, les articles 30, 31 et 32 du projet de loi sont juridiquement inattaquables. Nul ne peut affirmer que le regroupement familial est remis en cause.

Dès lors, pourquoi en modifier les règles ? Par pur bon sens, d’abord. Mais aussi parce que le regroupement familial ne correspond plus vraiment à son objectif initial. D’une part, il est devenu une immigration de travail qui concerne les moins qualifiés et ne répond pas aux besoins de l’emploi en France. D’autre part, le chômage dans les secteurs qu’il concerne est nettement supérieur à la moyenne nationale : il n’a donc pas réglé le problème.

Tel qu’il est pratiqué actuellement – et associé à d’autres titres tels que la carte « vie privée et familiale » –, le regroupement familial provoque un flux migratoire qui doit être régulé. Trop de chômeurs sont aujourd’hui assistés. C’est la loi Chevènement qui a supprimé toute condition de ressources et de logement.

M. Bernard Roman - C’est faux !

M. Claude Goasguen - Pas du tout : je connais la loi Chevènement mieux que M. Chevènement lui-même !

M. Julien Dray - Ce n’est pas difficile !(Sourires)

M. Claude Goasguen - Elle a créé une situation extraordinaire où des personnes dépendaient de la solidarité nationale pour faire venir leur famille qui, une fois arrivée, en dépendrait à son tour. Or, la logique initiale du regroupement familial est bien différente : il s’agissait d’aider à l’amélioration du travail.

Vous faites des amalgames trompeurs. Oui, nous voulons réguler des flux d’immigration non maîtrisés !

M. Patrick Braouezec - En quoi ne le sont-ils pas ?

M. Claude Goasguen - Il s’agit de stabiliser, voire, dans certains secteurs, de diminuer ces flux. Ce n’est ni une invasion, ni la fin du regroupement familial : c’est une autre politique que nous inventons et que nous défendrons !

M. Noël Mamère - Ces articles 30, 31 et 32, qui constituent d’une certaine manière le corps du projet, révèlent une imposture : on voudrait faire croire que l’immigration est un tsunami auquel il faudrait résister, et que ce projet serait ferme et juste. Il est certes ferme, mais particulièrement injuste puisqu’il s’attaque au regroupement familial, présenté comme une immigration subie.

M. Goasguen nous a expliqué qu’il s’agissait d’agir sur les flux. Or, pendant plusieurs années, le nombre de personnes arrivant en France dans le cadre du regroupement familial a augmenté de façon régulière. Etant passé de 21 404 en 2000 à 27 267 en 2002, il aurait pu être d’environ 30 000 en 2004, mais il est retombé à 25 420, pour la moitié des conjoints et pour l’autre des enfants. Le ministre veut néanmoins braconner sur les terres de la droite extrême… Il porte donc d’un an à dix-huit mois la durée de séjour nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial, exclut des ressources prises en compte certaines allocations – dans le but de montrer que les étrangers sont une charge pour les finances publiques –, et il durcit les conditions de logement. S’agissant des « conditions d’intégration » envisagées dans l’avant-projet, le ministre de l’intérieur a contourné l’avis négatif du Conseil d’État en proposant que le regroupement familial puisse être refusé si « le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française » ; mais quels sont ces principes ? Comment l’autorité préfectorale va-t-elle procéder pour vérifier cela ? La marge de manœuvre qui lui est laissée est trop grande ; on en revient, fil rouge de ce projet, à l’arbitraire laissé à l’administration, en particulier aux préfets.

Enfin, en cas de rupture de la vie commune entre les époux, le délai pendant lequel le conjoint entré par la voie du regroupement familial peut se voir retirer sa carte de séjour est porté de deux à trois ans.

Il s’agit à l’évidence d’une loi d’affichage, destinée à satisfaire une partie de l’électorat. Elle a été précédée par la circulaire infâme du 21 février 2006, qui autorise à aller chercher des sans-papiers jusque sur leur lit d’hôpital (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Tout cela ne va faire que faire grossir le nombre de clandestins ni expulsables, ni régularisables. La situation que vous nous laisserez sera ingérable… Quand les Français nous auront donné la majorité, nous abrogerons cette loi !

M. Jérôme Rivière - Je ne peux pas laisser M. Mamère dire cela sans réagir. Il ne s’agit nullement d’interdire le regroupement familial, mais de mieux l’encadrer afin que cela ne soit pas une contrainte pour la société française.

M. Noël Mamère - Mon amendement 179 de suppression de l’article 30 est défendu.

M. Étienne Pinte - Je défends l’amendement 266 de Mme Boutin. Si en effet l’on peut admettre les conditions posées quant aux revenus et au logement, en revanche je ne comprends pas très bien pourquoi on allonge de six mois le délai nécessaire pour bénéficier du regroupement familial.

M. Serge Blisko - Je défends notre amendement 294 car il est hautement contestable de présenter l’immigration familiale comme une immigration subie.

Le regroupement familial est un élément essentiel du droit des personnes et des familles ; c’est aussi pour un immigré la meilleure façon de réussir son intégration. Allonger les délais, c’est augmenter l’angoisse et l’insécurité des personnes immigrées, et c’est ternir l’image de notre pays en accréditant l’idée qu’il est très compliqué de se faire sa place en France.

Cet article est contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

MM. Jérôme Rivière et Claude Goasguen – Mais non !

M. Serge Blisko - Il est également contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant ; je vous renvoie à l’article 10 de la version à l’usage des enfants, qui est particulièrement clair. Pour nous, le droit de vivre en famille est imprescriptible, et ne saurait donc être tributaire d’une politique de contrôle des flux migratoires.

M. Patrick Braouezec – Je rejoins M. Pinte, d’autant qu’actuellement, alors que le délai est de douze mois, il faut déjà attendre dix-huit mois à deux ans pour que le regroupement familial soit effectif.

M. Goasguen dit que ces articles ont pour but de maîtriser l’immigration. Mais en quoi le permettent-ils ? Des règles existent, la possibilité du regroupement familial demeure. En fait, vous voulez réduire le nombre d’immigrés. En faisant accroire que certains étrangers seraient un danger pour notre société, vous montrez votre vrai visage.

Par l’amendement 528, nous proposons donc de supprimer l’article 30.

M. le Rapporteur – Nous ne multiplions pas les obstacles : nous multiplions les garanties d’une bonne intégration.

M. Claude Goasguen - Mais oui !

M. le Rapporteur – Faire venir sa famille en France implique de souhaiter une installation durable. Il est donc normal de réserver cette procédure à des personnes présentes sur notre territoire depuis plus d’un an et ayant obtenu un premier renouvellement de la carte de séjour temporaire, élément indiquant la probabilité d’un séjour durable. Cette disposition empêchera d’accorder le regroupement familial trop rapidement. L‘allongement du délai de séjour requis pour demander ce regroupement est quant à lui conforme à la Constitution. Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel avait ainsi accepté que pour l’ouverture du droit au regroupement familial, le législateur exige une durée de séjour préalable et régulière en France de deux années. Il importe en outre, précisait-il, que la demande de regroupement puisse être formulée avant l’expiration de ce délai pour que ce droit soit effectivement susceptible d’être ouvert à son terme. J’ajoute que d’après l’article L.421-4 du CESEDA, le préfet dispose de six mois pour statuer sur la demande de regroupement.

M. Bernard Roman - Il faut compter avec le temps nécessaire à l’obtention d’un visa !

M. le Rapporteur – Cela fait donc une période de deux ans.

L’article 8 de la directive du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial, enfin, pose une règle équivalente de deux années.

Avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Bernard Roman - Vous vivriez deux ans sans vos enfants, vous ?

M. le Ministre délégué  Nous avons une seule ambition : mieux encadrer pour mieux accueillir. Dès lors qu’un étranger travaille régulièrement sur notre territoire depuis 18 mois et qu’il désire faire venir sa famille, cela signifie, Monsieur Pinte, qu’il souhaite installer sa famille durablement en France. La volonté du Gouvernement est claire: il s’agit de fixer des règles pour que cette famille vive dans les conditions les plus décentes possible.

Depuis le commencement de nos débats, certains cherchent à faire dire au livre de M. Sarkozy, Libre, ce qu’il ne dit pas, mais en évoquant une « immigration voulue et acceptée », M. le ministre d’Etat annonçait précisément l’immigration choisie et la maîtrise de l’immigration familiale.

25 000 personnes issues chaque année du regroupement familial, ce ne serait pas suffisant ? Nous sommes quant à nous fort réservés face à l’accroissement de ces chiffres : 15 535 personnes en 1997, 21 404 en 2000, 25 420 en 2004.

M. Bernard Roman - 80 000 en 1978 !

M. le Ministre délégué  Vous avez également cité des chiffres concernant l’insertion. Le taux de chômage des étrangers, en France, s’élève à 19% : voilà qui suffit à résumer la situation ! Que l’on ne prétende pas que les étrangers venus au titre de l’immigration familiale sont bien insérés !

Nous proposons donc trois modifications en matière de regroupement familial. S’agissant de la demande des familles tout d’abord, une résidence depuis 18 mois sur notre territoire sera nécessaire. Le parcours d’intégration, ainsi, sera bien commencé – comment, après l’adoption du contrat d’accueil et d’intégration, ne pas fixer des délais permettant de s’y engager effectivement ? Il faut également avoir le temps d’obtenir le renouvellement de la carte de séjour temporaire. Les conditions de ressources, de plus, doivent être maintenues au niveau du SMIC et ne pas prendre en compte les revenus de l’assistance sociale. Enfin, l’étranger devra se conformer aux principes républicains, tant en matière de laïcité que d’égalité entre les sexes par exemple.

Le Gouvernement reste ouvert à des enrichissements du texte, notamment concernant les conditions de logement – je pense à l’amendement présenté par M. le rapporteur permettant de mieux tenir compte des disparités régionales en matière d’offres – et de ressources – le Gouvernement est favorable à la proposition de MM. Mariani et Lagarde consistant à calculer les ressources en tenant compte de la taille de la famille.

Notre texte est donc conforme aux exigences constitutionnelles de protection de la vie familiale comme il est conforme à la directive du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial. Celle-ci permet, par son article 8, d’exiger que le « regroupant » vive en France depuis deux ans à la date de demande du regroupement ; en son article 7, elle prévoit la possibilité d’exiger que celui-ci dispose de ressources propres et n’ait pas besoin de recourir à l’aide sociale. Alors que le nombre de salariés venant chaque année dans notre pays n’a cessé de diminuer, la stabilité des chiffres du regroupement familial n’est pas satisfaisante. Des détournements de procédure existent, contre lesquels le Gouvernement se doit de lutter.

Enfin, M. Mamère, toujours excessif, nous accuse de braconner sur les terres de l’extrême droite. Je lui conseille d’acheter demain matin un grand hebdomadaire qui fournit quelques indications sur l’état d’esprit des Français : ceux-ci jugent-ils que le contrat d’accueil et d’intégration est justifié ? Oui, à 76 %.

M. Bernard Roman - Ce n’est pas la question !

M. le Ministre délégué  73 % estiment en outre justifié de demander à un immigré souhaitant faire venir sa famille en France qu’il remplisse des conditions de ressources et de logement adaptées…

M. Bernard Roman - C’est la loi de 1998 !

M. le Ministre délégué - .. et parmi eux, 71 % partagent plutôt vos idées. Une immigration choisie, Monsieur Mamère, c’est une chance pour la France. Une immigration subie, c’est une chance pour l’extrême droite.

M. le Président – Sur les amendements 179, 266, 294 et 528, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. Julien Dray - Il est faux de dire que la loi Chevènement ne prévoyait pas de conditions de ressource. Elle en prévoyait même expressément le montant. Tout le débat portait sur l’inclusion ou non des prestations familiales, et la loi de 1999 les a exclues du calcul.

Quant au sondage, dont je m’attendais tout à fait à ce qu’il en soit fait une utilisation abusive, il n’y manque qu’une question : souhaitez-vous que la population étrangère en France respecte les lois de la France ? Vous aurez 100 % de oui ! Ces questions sont de celles sur lesquelles tout le monde est d’accord. Mais il ne s’agit pas de savoir s’il faut de bonnes conditions pour le regroupement familial, mais comment vous les définissez. L’utilisation d’un sondage du Figaro qui vient opportunément à l’aide du Gouvernement…

M. Bernard Roman - Ce n’est pas dans le Canard enchaîné qu’on trouverait ce sondage !

M. Julien Dray - …n’est pas un argument d’autorité.

Pour en revenir au regroupement familial lui-même, à vous entendre, il apparaît bien que vous voulez mettre des conditions supplémentaires pour le limiter, notamment en allongeant les délais. Pourtant, on sait que les préfectures n’accordent déjà pas facilement les autorisations de regroupement.

Bref, ce que vous essayez de faire passer pour une nouvelle politique s’inscrit strictement dans le prolongement des lois Pasqua. Les chiffres montrent bien qu’il y a stabilité du regroupement familial. Rien ne justifiait donc ces mesures draconiennes, sauf votre volonté de le limiter, ce qui aura les conséquences que l’on sait : les délais plus longs entraîneront des détournements de procédure, au lieu d’une immigration choisie, on aura une utilisation des visas de tourisme pour faire venir femme et enfants qu’il faudra régulariser après quelques années de présence. Chaque nouvelle barrière que vous érigez est contournée. L’immigration choisie, c’est la continuité de ces politiques des gouvernements de droite qui ont échoué et ont créé à chaque fois des immigrés clandestins qu’il a fallu régulariser dans les pires conditions.

M. Noël Mamère - Effectivement, vous proposez une machine à fabriquer des clandestins. Vous érigez tellement de barrières qu’il n’y aura pas d’autre solution que de les contourner.

Quant à ce sondage opportun que vous évoquez, vous oubliez de dire qu’interrogés sur la phrase de M. Sarkozy « Si vous n’aimez pas la France, quittez la », une majorité le désapprouve. Pour le reste, on se demande si les questions ont été élaborées en coopération avec le ministère de l’Intérieur. Ce sont des questions « fermées » qui créent un rideau de fumée. Au fond, vous n’êtes que des camelots de la politique, mais ce qu’il y a dans votre vitrine ne sent pas bon.

M. le Ministre délégué - M. Mamère lit les chiffres à l’envers. A la question de savoir si dire que « les immigrés qui n’aiment pas la France peuvent la quitter » correspond à ce qu’ils pensent, 51 % disent oui, 41 % non.

M. Etienne Pinte - Monsieur le ministre, vous avez dit que le Conseil d’État avait validé votre texte au titre des conventions internationales que nous avons signées. Pour autant, ce n’est pas lui qui aura à l’appliquer. Je vous soumets le cas d’un jeune turc, qui a épousé une compatriote qui habitait en France depuis l’âge de deux ans. Ils ont un enfant. Comme il était en situation irrégulière, on l’a renvoyé dans son pays. Le Conseil d’État lui a reconnu le droit de vivre en France avec sa famille. Or, le consul à Ankara lui refuse le visa de long séjour, au prétexte qu’il doit entrer dans la procédure du regroupement familial…

M. Bernard Roman - La main dans le sac !

M. Etienne Pinte - …alors que le Conseil d’État a dit qu’il devait rejoindre immédiatement sa femme et son fils.

M. le Rapporteur - Ce cas entre tout à fait dans les dispositions que nous avons adoptées à l’article 2, avec des amendements qui indiquent que le visa est de droit pour l’épouse et aussi pour l’enfant.

Par ailleurs, Monsieur Dray, j’en ai assez d’entendre que ce sont les lois que la droite vote qui créent les sans papiers. C’est inverser le raisonnement que de dire : vous votez des lois pour restreindre l’accès au territoire, donc s’il y a des clandestins, c’est de votre faute !

M. Julien Dray - Vois lois sont inapplicables !

M. le Rapporteur - Suite à la circulaire du 24 juin 1997 de M. Chevènement, 150 000 dossiers de régularisation avaient été déposés.

M. Julien Dray - Et plus après.

M. le Rapporteur – Le bilan des lois Pasqua, c’est donc 150 000 à 160 000 régularisations. Mais aujourd’hui, on a bien plus de clandestins. On est passé de 120 000 à 130 000 attestations d’accueil en 1998 à 720 000 en 2002, soit 600 000 de plus en cinq ans. C’est là le principal moyen d’entrer légalement sur le territoire et de s’y maintenir irrégulièrement. C’est la principale raison du grand nombre de sans papiers.

M. Julien Dray - Cela n’a rien à voir !

M. Claude Goasguen – Depuis le début de ce débat, vous nous dites qu’en faisant des lois, nous suscitons la fraude. Ce que vous dites de l’immigration peut s’appliquer à n’importe quelle loi. Si on vous écoutait, on n’en ferait pas du tout !

Mais si tout était si facile pour le regroupement familial, pourquoi la loi Chevènement prévoyait-elle un délai ? Après tout, on aurait pu se contenter d’appliquer la loi internationale et permettre le regroupement familial tout de suite. Ensuite, la loi Chevènement emploie le terme de « ressources » mais n’en précise pas la nature. La loi Pasqua prévoyait qu’il fallait le SMIC et on avait abrogé cette disposition, donnant à des étrangers qui dépendaient de l’assistance le droit au regroupement familial.

M. Patrick Braouezec - Les attestations d’accueil ont quintuplé en quelques années, mais il faut aussi rappeler qu’aujourd’hui des gens font faire cinq ou six attestations d’accueil successives pour obtenir leur visa, tant c’est devenu difficile. N’utilisez donc pas des chiffres qui ne veulent rien dire en eux-mêmes !

M. Julien Dray - Très bien !

M. Bernard Roman - Monsieur Goasguen, il était écrit dans la loi de 1998 que « le demandeur justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint, indépendamment des prestations familiales. L’insuffisance de ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ». La référence au SMIC n’avait pas disparu de la loi Chevènement !

D’autre part, je me demande si aucune loi récente autre que celle que nous examinons institue une inégalité entre les hommes. Nous avons, il y a deux jours, simplifié le regroupement familial pour les titulaires de la carte « compétences et talents », qui pourront faire venir leur famille tout de suite. Depuis quand le respect des droits de l’homme dépend-il des compétences et des talents des individus ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le Conseil constitutionnel appréciera l’inégalité introduite par la loi !

A la majorité de 25 voix contre 11 sur 36 votants et 36 suffrages exprimés, les amendements 179, 266, 294 et 528, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Jérôme Rivière – L’amendement 211 est retiré.

M. le Rapporteur – L’amendement 372 de Mme Morano est défendu. La commission a émis un avis favorable.

M. le Ministre délégué - Même avis.

L'amendement 372, mis aux voix, est adopté.
L'article 30, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 10 mai, à 15 heures.
La séance est levée à 1 heure 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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ordre du jour
du mErCREdi 10 mai 2006

QUINZE HEURES : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 2986) relatif à l’immigration et à l’intégration.

Rapport (n° 3058) de M. Thierry MARIANI, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

3. Éventuellement, discussion du projet de loi (n° 2276 2e rectifié), adopté par le Sénat, sur l’eau et les milieux aquatiques.

Rapport (n° 3070) de M. André FLAJOLET, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

Avis (n° 3068) de M. Philippe ROUAULT, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

© Assemblée nationale