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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 15 juin 2006

Séance de 9 heures 30
104ème jour de séance, 244ème séance

Présidence de M. Maurice Leroy
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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majoration de la retraite des fonctionnaires handicapés

L'ordre du jour appelle le discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - La présente proposition de loi, adoptée par le Sénat, reprend une disposition que vous avez déjà votée et qui accorde aux fonctionnaires handicapés le même droit dont jouissent déjà les travailleurs du secteur privé d’accéder à la retraite anticipée. En effet, la réforme des retraites de 2003 a non seulement permis de sauvegarder notre régime par répartition, mais aussi d’accorder à nos compatriotes qui ont commencé très tôt l’exercice de métiers pénibles le droit de partir à la retraite avant soixante ans dès lors qu’ils ont cotisé le nombre nécessaire d’années. Cet avantage, dont bénéficieront plus de 300 000 personnes avant la fin de l’année, avait été régulièrement refusé entre 1997 et 2002, malgré les demandes de l’opposition d’alors, dont je salue la persévérance. Il a fallu notre réforme des retraites pour satisfaire cette juste revendication.

Le dispositif applicable aux travailleurs valides avait alors été assoupli pour les travailleurs handicapés du secteur privé, dont la carrière est souvent discontinue, mais non pour les fonctionnaires. L’insertion de ce légitime alignement au sein de la loi sur l’égalité des chances ayant été invalidée par le Conseil constitutionnel, il a fallu l’initiative sénatoriale de MM. About et Leclerc pour que le Sénat adopte la proposition de loi qui vous est aujourd’hui présentée, que l’excellent rapport de Mme Lévy décortique parfaitement et qui, je l’espère, suscitera votre approbation unanime. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – La proposition de loi dont nous sommes saisis fait appel à une exigence de solidarité nationale. La réforme des retraites de 2003 a permis aux travailleurs handicapés relevant du régime général ou des régimes assimilés de liquider leur pension sans décote dès l’âge de 55 ans, à condition d’être en incapacité à 80 %. L’article 28 de la loi sur l’égalité des chances de 2005 étend cette mesure aux fonctionnaires et accorde à l’ensemble des travailleurs handicapés une majoration de pension compensant la brièveté relative de leur carrière. Ainsi, les assurés relevant du régime général bénéficient d’une majoration d’un tiers du nombre de trimestres cotisés, tandis que les fonctionnaires atteints d’une incapacité permanente d’au moins 80 % et souhaitant une retraite anticipée bénéficient d’une pension à taux plein : cette différence de traitement est due au fait que la distinction entre trimestre cotisé et trimestre validé n’existe pas dans le code des pensions civiles et militaires de retraite.

Néanmoins, l’application de cet article 28 a révélé plusieurs ruptures d’égalité, entre public et privé d’abord, mais aussi entre les fonctionnaires prenant leur retraite à l’âge légal de 60 ans et ceux qui partent en retraite anticipée. Après concertation avec les organisations représentatives des handicapés, le Gouvernement a donc proposé d’appliquer aux fonctionnaires handicapés une majoration de durée d’assurance semblable à celle des assurés du régime général. Pour cela, il fallait modifier la loi.

Ce fut fait au mois de mars, lors du vote de la loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, dont l’article 31 a cependant été invalidé par le Conseil constitutionnel pour des motifs de forme.

Saisissant les possibilités offertes par l’ordre du jour complémentaire du Sénat, M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, a déposé une proposition de loi reprenant les termes mêmes de l'article 31 de la loi relative à l'égalité salariale invalidé par le Conseil constitutionnel. À cette occasion, le Gouvernement a levé le gage financier figurant à l’article 2 de la proposition de loi.

Votre commission vous demande d'adopter ce texte conforme, ce qui permettra de remédier à des situations difficiles : la suspension de la publication du décret d'application de l'article 28 de la loi du 11 février 2005 empêche les fonctionnaires handicapés de prendre une retraite anticipée en raison du désavantage financier qu'entraînerait le calcul d'une pension au pur prorata de la durée de service accompli. De nombreux fonctionnaires handicapés retardent donc depuis un an leur départ en retraite en dépit de leur état physique. Le décret d'application du dispositif est prêt et je souhaite qu’il soit transmis au Conseil d'État dès que la loi aura été votée, je l’espère unanimement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pierre-Louis Fagniez – Je me réjouis que le groupe UMP ait inscrit l’examen de ce texte dans le cadre de sa « niche » parlementaire. Cette loi de justice sociale s'inscrit pleinement dans la politique volontariste appliquée en faveur des personnes handicapées depuis 2002. Est-il acceptable que les salariés handicapés relevant de la fonction publique ne bénéficient pas d'un dispositif similaire à celui mis en œuvre dans le secteur privé ? Peut-on faire attendre plus longtemps ceux qui souhaitent légitimement bénéficier de ce dispositif depuis plus d'un an ? Non. Je me félicite que dans un calendrier parlementaire chargé, ce texte, adopté au Sénat à l'initiative de Nicolas About il y a un mois, ait été aussi rapidement inscrit à l’ordre du jour de notre Assemblée : c'était une gageure !

Dans un souci de justice sociale, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait octroyé aux salariés lourdement handicapés le droit à une retraite anticipée dès 55 ans, c'est-à-dire la possibilité de liquider leur pension de retraite avant l'âge légal de 60 ans, sans application d’une décote. Ce fut une avancée importante car celles-ci, jusqu’alors, ne bénéficiaient en cas de départ anticipé que du régime des pensions d'invalidité, guère favorable. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis une nouvelle avancée en étendant ce dispositif de retraite anticipée aux fonctionnaires handicapés; elle a en outre introduit un principe général de majoration de pension servie en cas de départ anticipé à la retraite. Il semble en effet normal d'ouvrir un tel avantage aux personnes lourdement handicapées qui disposent rarement des capacités physiques pour se maintenir jusqu’au terme de leur carrière. Comme l'a expliqué notre rapporteure, le législateur avait prévu des systèmes de majoration différents entre secteur public et privé pour tenir compte des spécificités de chacun de ces régimes. Le système appliqué dans le secteur privé n'a pas soulevé de problème : le décret du 30 décembre 2005, qui prévoit une validation gratuite d'un trimestre supplémentaire pour quatre trimestres réellement cotisés, est appliqué. En revanche, la rédaction du dispositif législatif applicable aux trois fonctions publiques s'est révélée injuste à plusieurs titres. Il n’a pu, fort heureusement, faire l’objet d'un décret d'application : ce système, en effet, crée une double inégalité, entre les salariés handicapés de la fonction publique et ceux du secteur privé, et entre les fonctionnaires handicapés eux-mêmes selon leur âge de départ en retraite. C'est cette malfaçon que cette proposition entend corriger afin de permettre enfin aux personnes handicapées travaillant dans la fonction publique de bénéficier d'une retraite anticipée.

Le Parlement avait tenté de corriger cette erreur de rédaction en introduisant au Sénat un amendement au projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Celui-ci avait été invalidé par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Nous ne pouvons donc que saluer l'opiniâtreté des sénateurs et de notre collègue Nicolas About en particulier. Ce texte, qui a fait l'objet d'une large concertation avec les associations représentatives des personnes handicapées et le conseil consultatif des personnes handicapées, reprend très exactement l'amendement invalidé. Il propose un dispositif similaire à celui des salariés du secteur privé et renvoie à un décret le soin de moduler la majoration de pension accordée aux fonctionnaires handicapés en fonction de leur durée réelle de cotisation. Je crois que ce décret est prêt et a déjà été soumis à la concertation. J'espère que vous pourrez nous confirmer, Monsieur le ministre, que sa publication interviendra dans les meilleurs délais car c'est bien là l'enjeu de la proposition: permettre aux fonctionnaires handicapés de bénéficier le plus vite possible du dispositif de majoration en cas de départ anticipé.

Comme Mme la rapporteure, dont je salue l’excellent exposé, je souhaite, au nom de l’UMP, que ce texte soit voté conforme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. François Rochebloine - Ce texte aborde un sujet important : l'égalité entre les travailleurs handicapés des secteurs privé et public en matière de retraite. Avant 2004, un travailleur handicapé qui souhaitait prendre une retraite anticipée demandait, en attendant le versement de la liquidation de sa pension de retraite à soixante ans, le versement d'une pension d'invalidité. Le montant de cette dernière ne permettait pas de compenser l'effet de la décote, ce qui était injuste. L'article 24 de la loi du 21 août 2004 sur les retraites corrigea en partie cette situation. Un travailleur handicapé pouvait partir en retraite anticipée sans qu’une décote soit appliquée s’il relevait du régime général d'assurance vieillesse ou des régimes assimilés, s’il liquidait sa pension dès 55 ans et si son incapacité atteignait 80 % au moins. L'article 28 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances a permis d'étendre l'acquis de la loi sur les retraites aux fonctionnaires lourdement handicapés et, pour ces derniers comme pour l'ensemble des travailleurs handicapés, elle a majoré les pensions servies en cas de départ anticipé à la retraite. Le législateur a alors retenu deux systèmes de majoration différents pour les secteurs public et privé, disparité qui créa une inégalité excessive entre les salariés du privé et les fonctionnaires mais également entre les fonctionnaires handicapés eux-mêmes selon la durée de leur carrière et l'âge de leur départ en retraite : le même taux de liquidation était applicable, quel que soit leur nombre d'années de cotisation. Une modification de la loi semblait donc nécessaire afin de rééquilibrer la situation. Celle-ci fut effectuée lors du vote du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 mars 2006, a invalidé l'article 31 de cette loi qui était un « cavalier législatif ». Le sénateur UDF About, en reprenant les termes mêmes de cet article, nous permet de rétablir cette disposition permettant de mettre fin à nombre de situations difficiles. Je remercie le groupe UDF d’avoir utilisé ainsi la « niche » parlementaire dont il disposait.

La suspension du décret d'application de l'article 28 de la loi du 11 février 2005 empêche donc les fonctionnaires handicapés de prendre une retraite anticipée en raison des désavantages financiers qu'entraîne le calcul d'une pension au pur prorata de la durée de service accompli. Beaucoup d'entre eux, depuis un an, retardent leur départ en retraite. J’attire à ce propos votre attention sur le titre de cette proposition, qui pourrait laisser croire que nous accordons une majoration de pension spécialement aux fonctionnaires handicapés, ce qui n'est pas le cas : ce texte nous permet seulement d'aligner les droits des fonctionnaires handicapés sur ceux des travailleurs salariés du secteur privé. Je note que le conseil consultatif des personnes handicapées a rendu un avis favorable sur cette proposition, laquelle sera transmise au Conseil d'État dès sa promulgation. Ce dernier fixera « le quantum de la majoration et la durée d'assurance minimale exigée pour bénéficier de cet avantage ».

Le groupe UDF a toujours défendu les intérêts et les droits des personnes handicapées, notamment dans le monde du travail. Nous voterons cette proposition de loi et je souhaite que l’Assemblée, unanimement, fasse de même (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

Mme Paulette Guinchard – Vice-présidente de la mission de contrôle des comptes de la sécurité sociale qui se réunit en ce moment même, je dois rapidement retourner participer à ses travaux mais je suis très heureuse de débattre avec vous d’une question aussi importante. De nombreuses associations, en effet, attendent que nous corrigions une erreur de formulation de la loi relative à l’égalité salariale grâce à cette proposition que le groupe socialiste votera, comme il l’a fait au Sénat. Cette erreur est d’ailleurs significative des difficultés liées à l’application de la loi Fillon sur les retraites. Le principe du « bonus malus », si je puis m’exprimer ainsi, fragilise encore plus les personnes en difficulté.

Dès lors qu’on applique un « malus » aux personnes qui ne travaillent pas assez, on pénalise en effet toutes celles qui sont en situation de fragilité, que ce soit les personnes handicapées, les femmes ou les personnes qui exercent des métiers pénibles. Les associations de handicapés ont su poser très clairement le problème en ces termes ; il faudra, puisque nous n’avons pas été capables de le faire jusqu’à présent, nous attacher à le régler dans son ensemble : je souhaite profondément qu’on n’entre pas dans une logique de saucissonnage. Cette proposition de loi ne concerne que les personnes handicapées de la fonction publique, mais elle est symbolique d’une problématique beaucoup plus large.

Ma deuxième observation portera sur l’application de la loi. Je n’ai pas pu participer hier aux travaux de la commission des affaires sociales sur le sujet, mais je voudrais vous faire part de quelques remarques.

Nous devons certes travailler sur la durée : les changements qui ont été décidés par la loi prennent du temps. Néanmoins plusieurs questions se posent.

Tout d’abord, nous sommes régulièrement interpellés au sujet de la nouvelle prestation de compensation du handicap, laquelle, et c’est un problème fondamental, n’est pas appliquée de façon homogène sur tout le territoire.

Ensuite, il y a le problème de l’engagement financier. Quels seront les moyens de la CNSA ? Leur niveau sera-t-il suffisant pour répondre aux objectifs de la loi, ou nous faudra-t-il, comme pour les personnes âgées, avoir un débat public avec les Français sur le financement ? Vous savez fort bien, Monsieur le ministre, que les 2 milliards que rapportent la journée de solidarité ne sont pas encore complètement affectés, ou en tout cas pas dépensés sur le terrain.

M. le Ministre délégué - Mais si !

Mme Paulette Guinchard - Non, l’argent n’est pas encore arrivé aux maisons de retraite, en tout cas pas dans mon département !

Que ce soit pour la prestation de compensation ou pour l’application des autres dispositions de la loi, la question de la sécurité du financement est posée. En outre, la journée de solidarité est un système inégalitaire puisqu’il ne fait participer qu’une partie de la population.

M. François Rochebloine - 42 %.

Mme Paulette Guinchard - La CSG est un système de financement beaucoup plus égalitaire. En ce qui concerne l’APA, nous avions dit clairement qu’il fallait l’utiliser ; en 2003, il aurait suffi de l’augmenter, mais le Gouvernement a fait un autre choix.

M. le Ministre délégué - Que ne l’avez-vous fait en 2001 ? Vous aviez peur des élections !

Mme Paulette Guinchard - En 2001, nous n’en avions pas besoin !

Par ailleurs, comme le dit clairement le rapport de la Cour des comptes, la création de la CNSA, même si elle a un aspect positif en termes de structuration de la réflexion, a accru la complexité de notre organisation de financement.

Le problème des moyens se pose évidemment aussi pour l’intégration scolaire, à propos de laquelle on a fait naître de grandes espérances.

Sur l’AAH, on a fait illusion : on a dit qu’on l’augmentait, mais les critères retenus sont tels que finalement, très peu de personnes ont droit à cette augmentation.

Bref, il nous faut mener un travail de fond sur le problème de financement. Je souhaite que les élections qui viennent soient l’occasion d’un débat public sur le sujet. Il faut notamment s’interroger sur le rôle des départements : tous n’ayant pas les mêmes moyens, il y a risque d’inégalité entre les personnes selon l’endroit où elles habitent ; par exemple, certains départements ont créé des maisons du handicap, d’autres ne l’ont pas fait. Les départements doivent rester les gestionnaires de proximité, pour les personnes handicapées comme pour les personnes âgées, mais il faudra faire en sorte d’assurer l’égalité sur tout le territoire.

Cette proposition de loi qui répare une erreur est donc symbolique des questions que nous avons à régler, tant en matière de retraite des personnes les plus fragiles que d’organisation de la prise en charge de la dépendance, ou plutôt de la perte d’autonomie. Cela étant, le groupe socialiste la votera.

M. le Ministre délégué - Quelques mots pour vous répondre, Madame le ministre, avant que vous ne quittiez l’hémicycle pour remplir vos autres obligations.

Nous ne serions pas réunis aujourd’hui pour discuter de ce texte si la loi de 2003 réformant les retraites n’avait pas permis des départs à la retraite anticipée ; ce n’est pas votre majorité qui l’a fait, mais la nôtre ! Il y a des leçons que je peux entendre, mais d’autres que je n’admets pas de recevoir.

Quant à l’application de ces dispositions aux personnes handicapées – pour qu’elles puissent partir à partir de 55 ans à la retraite quand elles ont commencé à travailler très tôt –, c’est la loi sur les personnes handicapées adoptée en 2005 qui le permet. Aucune de ces lois n’a été votée par votre groupe…

S’agissant des questions financières, l’APA a été sauvée du naufrage par la mise en place de la journée de solidarité. Quant à l’augmentation de la CSG, la majorité à laquelle vous apparteniez s’est bien gardée de la décider ! Il est bien facile de parler pour le futur…

Mme Paulette Guinchard - Vous ne m’avez pas écoutée.

M. le Ministre délégué - Moi, je préfère que la solidarité s’exerce en enrichissant la France par un surcroît de travail et de production, plutôt qu’en appauvrissant les Français par des prélèvements supplémentaires. Cette solidarité ne fait pas seulement appel aux travailleurs et aux entreprises, puisqu’il y a aussi un prélèvement de 0,3 % sur les revenus du patrimoine. S’agissant d’artisans, de commerçants, d’entrepreneurs individuels ou de professionnels libéraux qui travaillent souvent plus de 60 heures par semaine – soit près du double des salariés que vous avez fait passer aux 35 heures –, je crois que chacun peut comprendre qu’on ne leur ait pas demandé de participer autrement que via les revenus de leur éventuel patrimoine.

L’APA a donc été sauvée du naufrage. S’agissant de la prestation de compensation du handicap, ce gouvernement et son prédécesseur ont choisi de mobiliser les crédits nécessaires à son financement avant de la mettre au point. Que ne vous êtes-vous inspirés de la même méthode quand vous avez créé l’APA ! Dans le cadre de la PCH, les départements ont d’ores et déjà dégagé 580 millions au titre de l’ACTP. Grâce à la journée de solidarité et à la loi de 2005, nous rajoutons 500 millions, ce qui représente un quasi doublement des crédits dévolus à la compensation des situations de handicap.

Tels sont, Madame la ministre, les éléments de réponse que je tenais à vous transmettre avant que vous ne quittiez l’hémicycle.

M. Daniel Paul – Je suis d’autant plus satisfait de voir venir ce texte en discussion que j’avais déposé, en avril dernier, une proposition de loi analogue sur le Bureau de notre Assemblée…

M. François Rochebloine - Il fallait utiliser la niche parlementaire de votre groupe !

M. Daniel Paul - Permettez-moi aussi de dire au ministre, compte tenu de la réponse qu’il vient de faire à notre collègue Paulette Guinchard, que ce n’est pas parce que nous refusons, à l’étape ultime de sa discussion, de voter un texte que nous contestons le bien-fondé de chacune de ses dispositions.

Situons, en premier lieu, le chemin chaotique parcouru par la disposition qui nous intéresse aujourd'hui. Par une décision en date du 16 mars, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution, pour des raisons de forme, l'article 31 du projet de loi pour l'égalité salariale des femmes et des hommes, relatif à la majoration de pension pour les fonctionnaires handicapés. Évidemment, il aurait été plus judicieux de traiter cette question dans la loi de février 2005.

Cette décision avait provoqué une véritable déception chez les fonctionnaires concernés, lesquels attendaient cette mesure depuis bien longtemps. Nous estimions donc que le Parlement devait se saisir au plus vite de cette question. Mais l'heureuse initiative d'aujourd'hui ne dissipe pas toutes les inquiétudes en suspens.

Un tel parcours démontre à quel point nous avions raison de dire que la loi sur l'égalité des chances n’était pas satisfaisante. Lors des débats, j’avais souligné combien, en déposant au dernier moment, après un passage en commission à la dernière minute et sans avis du CNCPH, nombre d’amendements essentiels, vous aviez témoigné de l'impréparation, voire de l'improvisation, de ce texte. Si ce n'était que cela ! La publication des décrets d'application de la loi de février 2005 a provoqué de nombreuses levées de boucliers. À cet égard, le nombre impressionnant de courriers en provenance des associations a conduit notre groupe à déposer de nombreuses questions écrites, dont un grand nombre reste toujours sans réponse. La liste est longue, et je profiterai de ce débat pour vous demander toutes les précisions qui s'imposent et je ne manquerai pas de faire part de vos réponses aux personnes concernées.

Pour commencer, parlons des maisons départementales du handicap. Alors que leur installation est prévue dans la loi de février 2005, deux tiers seulement des départements disposaient d'une telle structure au 1er janvier, date d'entrée en vigueur de l'essentiel de la nouvelle loi.

M. le Ministre délégué – C’est faux.

M. Daniel Paul - Parfois même, dans certains départements, l'accueil se limite à un numéro de téléphone et la commission des droits et de l'autonomie ne fonctionne pas. Au surplus, la mise en place des équipes pluridisciplinaires chargées d'évaluer les besoins de la personne en fonction de son projet de vie se heurte à bien des difficultés : les équipes sont trop restreintes et peu – ou pas – formées au changement de culture qu’appelle la prise en compte de l'expression de la personne ; quant aux outils d'évaluation, ils demeurent, le plus souvent, inadaptés.

Regardons à présent de plus près la mise en place de la prestation de compensation. Depuis le 1er janvier 2006, les enfants en situation de handicap sont privés de la prise en charge des aides techniques auxquelles ils avaient droit auparavant et le tarif de remboursement par la sécurité sociale des aides techniques demeure notoirement insuffisant. Par exemple, un fauteuil roulant électrique multipositions destiné à un enfant de dix ans coûte 25 000 euros, alors que le tarif de remboursement de l'assurance maladie s’établit à 5 187 euros. Après avoir perçu l'aide de leur complémentaire santé, les parents doivent payer la différence, soit entre 15 000 et 17 000 euros ! Où trouver des aides complémentaires ?

Jusqu’en 2005, cette différence pouvait être compensée par le fonds d'intervention de l'État, destiné aux aides individuelles, dans le cadre du dispositif pour la vie autonome – DVA. Avec la loi du 11 février, le DVA est intégré à la prestation de compensation du handicap, laquelle exclut diverses catégories : tous les handicapés âgés de plus de 65 ans, beaucoup de personnes handicapées âgées de 60 à 65 ans, les enfants et les jeunes handicapés de moins de 20 ans, pour ce qui concerne les aides techniques. Pis, s’agissant des handicapés qui présentent un taux d'incapacité inférieur à 80 % – soit la plupart des sourds –, la situation est ambiguë et les droits risquent fort de varier selon les départements.

Selon certaines déclarations ministérielles, la fusion de la prestation des enfants avec celle des adultes n'aura lieu que dans trois ans, ce qui signifie que les enfants handicapés devront attendre trois ans avant de pouvoir disposer des fauteuils roulants qui leur sont absolument nécessaires. Monsieur le ministre, que répondez vous aujourd'hui à ces personnes ?

Poursuivons avec la scolarisation des enfants sourds et malentendants. Grâce aux pôles étudiants, le nombre d'étudiants sourds et malentendants est passé de 39 recensés en 1990, à plus de 450 en 2005. La palette des filières suivies s'est considérablement élargie et l'accès aux deuxième et troisième cycles des universités est devenu possible. Or la loi du 11 février prévoit la prise en charge financière de ces pôles par l'État, et non plus par l'AGEFIPH, comme c'était le cas jusqu'à présent. Alors que les relais annoncés par l'État devaient être prêts en janvier, cela n'est toujours pas le cas. De surcroît, le dispositif des auxiliaires de vie scolaire – les AVS – se révèle inefficace, d'une part, car la pratique du codage et de la langue des signes demande des compétences spécifiques et d’un apprentissage long ; d'autre part, parce que certains enfants ont besoin d'une prise en charge plus globale, qu'ils ne trouveront pas – et, on peut le craindre, avant longtemps – au sein de l’Éducation nationale. Quid du droit à la scolarisation en milieu ordinaire ? Et je ne prends l'exemple – au demeurant restreint – que d'un seul type de handicap.

Mais ce n'est pas tout : les conditions pour prétendre au complément de l'AAH, soit la possibilité de percevoir 80 % du SMIC, demeurent trop restrictives, si bien que de nombreuses personnes ont vu leurs ressources baisser depuis l'application de la loi. Pour ne rien changer à cette situation, les bénéficiaires d'une pension d'invalidité sont exclus de cette majoration, même s'ils ne perçoivent pas la majoration pour vie autonome. Cela signifie que le fait d'avoir exercé une activité professionnelle et d'avoir été contraint de l'abandonner en raison d'un handicap est particulièrement discriminant. Là aussi, nous vous avions mis en garde, et, une fois encore, les faits confirment nos craintes.

S’agissant des personnes bénéficiant d'une pension d'invalidité, je viens de déposer une proposition de loi relative à la revalorisation des pensions de retraite, et je serais très heureux si un collègue de l’UMP prenait l’initiative d’accélérer le processus, quitte à me faire doubler dans la dernière ligne droite ! Les personnes invalides sont victimes d'une « double peine » inacceptable. Après avoir subi une incapacité de travail en raison d'une maladie, elles sont pénalisées pour leur retraite. En effet, se substitue à leur rémunération salariée une pension d'invalidité qui entraîne une baisse de leur niveau de pension de retraite, en raison des modes de calcul issus de la loi portant réforme des retraites de 2003.

Ainsi, une première chute brutale intervient au moment du passage de l'activité salariée à la pension d'invalidité, puis une nouvelle quand vient le temps de la pension de retraite. À leur invalidité s'ajoute cette iniquité : ces personnes, à l'âge de 60 ans, voient leurs ressources diminuer de pratiquement de 60 %. Cette proposition de loi propose donc de répondre à des situations dramatiques qui touchent des centaines de milliers de personnes en apportant une première réponse immédiate et concrète. Il s'agit de garantir au titulaire d'une pension d'invalidité un niveau de pension de retraite au moins identique à cette pension si sa carrière professionnelle ne lui permet pas d'avoir une pension de retraite servie par la sécurité sociale supérieure à sa pension d'invalidité. En d'autres termes, il s’agit d’en revenir aux principes de la loi de 1983, lesquels garantissaient le maintien du niveau de pension entre invalidité et retraite.

Pour conclure, je souhaitais profiter du débat d'aujourd'hui pour proposer un amendement relatif à la majoration de pension de retraite des travailleurs handicapés du privé. Il s’agissait de prévoir une application de la majoration de pension à l'ensemble des bénéficiaires de la retraite anticipée, quelle que soit la date de prise d'effet de leur pension. Contrairement à ce qui a pu être dit lors du débat en première lecture au Sénat, il ne s’agissait pas de prévoir une nouvelle liquidation des pensions, mais de permettre l'octroi d'une majoration lors de la retraite anticipée, sans que ces bénéficiaires puissent y prétendre pour une période antérieure à son entrée en vigueur. La commission des finances l’ayant refusé, nous reviendrons sur cette question à l’occasion de la prochaine campagne électorale.

Monsieur le ministre, le temps me manque pour faire état de toutes les déceptions et de l'exaspération des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, celles-ci s'estiment souvent trahies, et parfois même méprisées, par un gouvernement incapable, malgré la loi, de répondre à leur besoin de compréhension, de reconnaissance et de respect.

Convaincu cependant que la modeste proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui répondra – pour une infime part – à leurs attentes, nous la voterons.

M. Jean-François Chossy - Si notre collègue Paulette Guinchard a parlé de son bonheur d’être là ce matin, je ne bouderai pas le mien ! Je suis heureux de l’examen de ce texte et particulièrement satisfait d’être face à un ministre qui assume toutes ses responsabilités. J’ai plaisir aussi à saluer les jeunes qui sont dans les tribunes, même si la question des pensions de retraite ne les préoccupe sans doute guère ! (Sourires) Je ressens aussi le bonheur de travailler sur un texte préparé avec efficacité et promptitude.

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause les intentions du législateur sur les pensions de retraite des travailleurs handicapés, non plus que de débattre sur le bien-fondé de la courageuse réforme des retraites de 2003. Il s’agit, plus modestement, de résoudre le problème causé par le formalisme pointilleux, mais légitime, du Conseil constitutionnel.

En effet, l’article 28 de la loi du 11 février 2005, qui prévoyait la possibilité pour les travailleurs handicapés du secteur privé comme de la fonction publique d’accéder à une retraite à taux plein dès l’âge de 55 ans, a été sanctionné en raison d’une erreur rédactionnelle. Le législateur a été alors contraint de reprendre cette disposition et de l’inclure, par voie d’amendement, dans le projet de loi relatif à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Cette démarche a été à son tour censurée par le Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier.

Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage ! Je veux saluer la constance du sénateur Nicolas About, toujours attentif aux difficultés rencontrées par les personnes handicapées, qui a déposé cette proposition de loi.

Ce nouveau texte répond aux attentes convergentes des associations de personnes handicapées et des organismes de retraite. Le départ anticipé est une réponse donnée à ceux qui, du fait de leur handicap, ont rarement la capacité d’exercer une activité professionnelle jusqu’à l’âge de la retraite.

Permettez-moi de revenir sur la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, voulue par le Président de la République comme une temps fort de son quinquennat. Cette loi a permis une évolution culturelle importante, en changeant le regard sur les handicaps, mais aussi le vocabulaire : on parle désormais d’« accompagnement » plutôt que de « prise en charge », de « scolarisation » plutôt que d’« intégration scolaire ».

Elle s’adresse à ceux qui sont dans le désarroi en leur apportant des réponses concrètes. En s’appuyant sur la loi de 2002, elle a mis en exergue le projet de vie des personnes, et plus encore, donné les moyens pratiques de sa mise en œuvre : prestation de compensation, Maisons départementales des personnes handicapées, accès à tout pour tous, CNSA.

La prestation de compensation permet d’atténuer les conséquences du handicap et, grâce à l’aide humaine, technique, animalière ou financière, de réaliser son projet de vie. Les maisons départementales des personnes handicapées, guichets uniques qu’il faudra peut être un jour prochain baptiser « Maison de l'autonomie », rassemblent en un même lieu toutes les compétences et sont des lieux d'écoute, d'accueil, d'accompagnement, d'information et de conseil. On doit y recevoir les réponses les plus simples aux questions les plus compliquées.

L’accessibilité n’est plus seulement envisagée dans sa dimension physique, mais elle concerne l’accès à l’école, au travail, aux transports, à la culture, aux sports et aux loisirs, à l'information et aux nouvelles technologies. Enfin, la création de la CNSA permet de vérifier le respect de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Cet organisme contribue au financement de la perte d'autonomie à domicile et en établissement et constitue un outil d'évaluation et d'expertise pour l'élaboration des schémas nationaux et des programmes interdépartementaux d'accompagnement du handicap.

Au delà de notre discussion sur cette proposition de loi – à laquelle le groupe UMP donne son accord plein et entier, eu égard au travail exemplaire de notre collègue Geneviève Lévy et des administrateurs de la commission – je souhaite recueillir, Monsieur le ministre, votre avis sur la mise en place de l'article 79, relatif au plan des métiers, qui doit mettre en évidence de nombreux emplois nouveaux. Je souhaiterais aussi savoir comment sera appliqué l’article 67, qui prévoit des places en quantité et en qualité suffisante dans les établissements pour les jeunes handicapés de plus de 20 ans.

Enfin, même s’il est vrai que lors de votre récente audition, vous avez su apaiser nos craintes quant à l’élaboration et la publication des décrets de la loi du 11 février 2005 encore en attente, je souhaiterais savoir dans quel délai sera pris le décret prévu par la présente proposition de loi. Je sais la force de votre engagement et la qualité du travail de vos collaborateurs, j’ai confiance dans l’aboutissement de ce dossier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Ministre délégué - Je voudrais répondre à la question essentielle que m’ont posée MM. Fagniez et Chossy : quand pourra-t-on bénéficier de ces nouveaux droits ? J’ai le plaisir de vous confirmer que le texte du décret est déjà prêt, et que sitôt pris en Conseil d’État, au courant de l’été, il entrera en vigueur.

Monsieur Paul, je reçois moi aussi des lettres. Mais elles sont différentes de celles que vous lisez, car elles expriment beaucoup de satisfaction. En effet, nous avons permis que 20 000 enfants supplémentaires soient accueillis dans les établissements scolaires, et les personnes handicapées dans l’incapacité de travailler ont vu leur AAH portée à 80 % du SMIC. Par ailleurs, tous les groupements d’intérêt public en charge de la gestion des MDPH – créées grâce au fruit de la journée de solidarité – ont été mis en place au 1er janvier de cette année : c’est la fin du parcours du combattant pour les personnes handicapées. Il faut certes attendre que ces maisons atteignent leur rythme de croisière – je suis moi-même sur le terrain une à deux fois par semaines pour constater les avancées – mais beaucoup de personnes handicapées se réjouissent d’ores et déjà de voir ces institutions s’installer et devenir rapidement opérationnelles. Nous serons naturellement très attentifs à ce que l’élan donné par les pionniers ne retombe pas.

Par ailleurs, la prestation de compensation n’est pas attribuée simplement en fonction d’un barème et d’un taux, elle doit permettre la réalisation d’un projet de vie. Vous avez également mentionné le problème des enfants. L’allocation d’éducation spéciale a été réformée récemment, mais la loi a prévu que, dans quelques années, elle ne ferait plus qu’une avec la prestation de compensation. Dans cette attente, nous avons institué dans chacune des MDPH un fonds de compensation afin que les aides techniques nécessaires puissent être prises en charge.

Monsieur Chossy, il y avait effectivement, au 31 décembre 2004, 4 836 jeunes adultes demeurant dans des établissements pour enfants, faute de place. Nous réglons cette difficulté par un programme de création de places sans précédents dans l’histoire de la République. Nous aurons créé en cinq ans 40 000 places, soit le double de ce qui a été fait pendant la législature précédente ! À chaque fois que nous créons une place pour adulte, nous libérons une place pour les enfants.

S’agissant du « plan métiers », volet très important de la loi du 11 février 2005, des travaux préalables sont menés et une mission a été confiée à l’Association française de lutte contre les myopathies sur les métiers d’accompagnement des personnes les plus lourdement handicapées, souhaitant conserver une vie autonome.

Comme je vous l’ai proposé en commission, je souhaiterais que vous puissiez, Monsieur Chossy, continuer à travailler avec moi sur ce sujet.

Je remercie chacun des orateurs et chacun des groupes, dont je me félicite qu’ils soutiennent unanimement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. le Président – J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Article premier

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – L’article 2 a été supprimé par le Sénat.

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – À l’unanimité.

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures.
La séance est levée à 10 heures 45.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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