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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 27 juin 2006

Séance de 15 heures
108ème jour de séance, 254ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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décès d’un député

M. le Président – C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue Édouard Landrain, député de la cinquième circonscription de la Loire-Atlantique. En hommage à notre collègue, j’invite l’Assemblée à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence) Je vous remercie.

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questions au gouvernement

L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

eads

M. Gérard Bapt - Le groupe socialiste a participé avec émotion à cette minute de silence à la mémoire d’Édouard Landrain, que nous regretterons sur tous ces bancs. (Applaudissements sur tous les bancs)

Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. La situation du groupe EADS, fleuron de l’industrie aéronautique nationale et européenne engagé dans le projet de grande ampleur de l’Airbus A380, ne laisse pas d’inquiéter dans un contexte de concurrence féroce avec Boeing. Les enjeux économiques sont considérables, mais nos concitoyens sont aussi profondément choqués par le comportement du groupe Lagardère et de son premier actionnaire, qui se désengagent en optimisant leurs intérêts financiers, et par celui de dirigeants d’EADS qui ont vendu, dans une situation industrielle déjà troublée, des paquets d’actions lorsque leur cours était au plus haut. L’Autorité des marchés financiers enquête ; mais dans la mesure où vous aviez pesé dans la nomination de l’actuel co-président français d’EADS, je souhaite savoir si vous conservez votre confiance aux actionnaires et au management français de l’entreprise.

La crise d’EADS est morale ; elle est aussi industrielle. M. Breton a déclaré ici même, la semaine dernière, que des évolutions du pacte d’actionnaires et des structures managériales pourraient être envisagées avec nos partenaires allemands – et ce dans les soixante-douze heures ! Quelle est au juste la position du Gouvernement ? Est-il opportun de remettre en question, dans un contexte délicat pour le partenaire français, le subtil équilibre franco-allemand au sein d’EADS, dont l’avenir industriel doit être préservé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Les propos que j’ai tenus ici la semaine dernière ne sont pas tout à fait ceux que vous me prêtez… Airbus et EADS sont une grande réussite européenne. Il n’en est pas moins vrai que l’entreprise traverse aujourd’hui des difficultés industrielles, notamment dans la réalisation du plus gros porteur au monde, l’Airbus A380. Je rappelle que l’État français est actionnaire à hauteur de 15 % dans l’entreprise, à travers un pacte d’actionnaires négocié sous le gouvernement Jospin, qui lie l’État et l’actionnaire industriel, Lagardère, en conférant aux actionnaires industriels – Lagardère et Daimler – la responsabilité des choix opérationnels, l’État ne pouvant qu’approuver ou refuser leurs propositions. J’ai rencontré, à la demande du Premier ministre, les deux actionnaires industriels, qui sont en train de finaliser des solutions qu’ils annonceront eux-mêmes, conformément au pacte d’actionnaires. Airbus et EADS ont un bel avenir devant eux ! Quant aux problèmes de personnes, je vous incite à la plus grande prudence. L’AMF a diligenté une enquête : attendez ses conclusions pour tirer les vôtres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

politique familiale

M. Yvan Lachaud – Une décision qui vient d’être prise met en péril la politique familiale de notre pays : la Caisse nationale d’allocations familiales a décidé de diminuer, à compter du 1er juillet 2006, la part versée aux communes pour le financement des centres aérés, des crèches et des haltes-garderies (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste) Jusqu’à présent, le taux de participation, fixé entre 50 % et 70 %, s’élevait plutôt à 60 % ou 70 %. Il a été décidé de le ramener à 55 %, ce qui représente une perte moyenne de 1,3 million d’euros par département. Cette décision pénalise les communes qui ont investi dans une politique familiale et dans les équipements de la petite enfance. Elle est d’autant plus injuste que l’État s’était engagé, comme le rappellent les conventions signées par les communes et les caisses d’allocations familiales, à pérenniser ses engagements. Pour l’UDF, comme pour tous les parlementaires attachés à une politique familiale, il est impensable que les familles fassent les frais du désengagement de l’État. Que comptez-vous faire pour préserver notre politique familiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Le Gouvernement a fait de la famille une de ses priorités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) L’année dernière, nous avons enregistré 807 000 naissances. Nous avons le taux de natalité le plus élevé d’Europe continentale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), mais aussi un taux d’activité des femmes qui compte parmi les plus élevés. Le travail des femmes n’est donc pas l’ennemi de la natalité ; au contraire, il y contribue, car il est toujours mieux d’avoir deux salaires pour élever des enfants. (Mêmes mouvements)

Bien sûr, il faut développer les services aux familles, et il faut que les familles puissent y accéder. Sur proposition de M. Jacob, vous avez voté la prestation d’accueil du jeune enfant, qui bénéficie à 250 000 familles de plus que l’ancien système. Pour un couple de smicards, l’aide est passée de 164 à 254 euros par mois et par enfant (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), soit une augmentation de 54 %. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Nous aurons augmenté le nombre de places en crèche de 72 000 entre 2002 et 2008 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En 2000, Ségolène Royal en avait ouvert 264 ; l’année dernière, nous en avons ouvert 7 850, et cette année, nous en ouvrirons plus de 10 000 ! Je me suis engagé à augmenter les crédits pour les crèches de 7,5 % par an pendant quatre ans et cette promesse sera tenue. En accord avec les partenaires sociaux, nous avons également pris des mesure de bonne gestion pour éviter l’inflation des dépenses. Cependant, je tiens à vous rassurer : après application de ces mesures, 75 % du coût de la place de crèche resteront pris en charge par les CAF…

M. Michel Delebarre - C’est faux !

M. le Ministre délégué – Nous n’avons certes pas à rougir de cette priorité donnée à la famille et nous sommes bien décidés à continuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

familles étrangères ayant des enfants scolarisés

M. Patrick Braouezec – Je souhaite revenir sur la situation des enfants et des jeunes migrants scolarisés qui sont arrivés très tôt en France ou qui y sont nés, dans des familles contraintes à l'exil par la guerre, la répression ou, tout simplement, par la misère économique. Rien ne les distingue des autres élèves, sinon leur situation administrative et la pression quotidienne qu'ils subissent. Beaucoup d'entre eux sont décrits par les équipes enseignantes comme de bons éléments faisant preuve d'une véritable volonté d'apprendre et de réussir. Depuis quelques mois, nous assistons partout dans le pays à une résistance citoyenne et républicaine d'un genre nouveau : organisée par le réseau Éducation sans frontières, elle a su fédérer de manière exceptionnelle parents d'élèves, associations, enseignants, syndicats, élus et citoyens pour s'opposer aux expulsions programmées par le Gouvernement via les services préfectoraux dès la fin de cette semaine. Nous avons même pu entendre, dans cet hémicycle, M. Pinte, ou encore Mme Boutin, demander d'humaniser une loi « liberticide ».

Or, la circulaire du 6 juin ne règle en rien la situation de ces élèves et de leurs parents, lesquels nous saisissent dans nos circonscriptions, quelle que soit notre appartenance politique. Cette circulaire fixe en effet un certain nombre de critères cumulatifs. C'est donc au nom d'une certaine idée de la République française, et, surtout, au nom de Liwei, 20 ans, chinois, de Sergyi, 18 ans, ukrainien, d’Anifa, 12 ans, congolaise, de Nemanja, 10 ans, yougoslave, et de centaines d'autres enfants que je demande au Gouvernement de régulariser leur situation et celle de leurs familles, afin de respecter l'esprit et la lettre de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et de répondre au principe fondamental du droit à l'éducation.

M. Bernard Roman - Très bien.

M. Patrick Braouezec – Au moment où le Président de la République et le Gouvernement revendiquent la bonne santé économique et sociale de notre pays et son influence dans le monde, est-il inimaginable d'offrir des conditions de vie décentes aux quelque 8 000 personnes concernées, déjà présentes sur notre sol ? Est-il vrai, comme l’indique un avocat dans la presse d’aujourd’hui, que les services préfectoraux ont fait savoir à ceux qui se massaient aux portes de leurs bureaux que les familles devaient obligatoirement signer le formulaire d'acceptation de retour au pays d'origine pour obtenir un rendez-vous à la préfecture en vue d'une hypothétique étude ultérieure de leur dossier de régularisation, alors même qu'accepter de signer un tel document interdit tout recours? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire - Le sujet est suffisamment sensible pour qu’on ne le traite pas dans un esprit polémique…

M. Patrick Braouezec - Ma question ne l’était pas.

M. le Ministre d’État – Pourquoi en est-on arrivé là ? En six ans, entre 1997 et 2002, le nombre des demandeurs d’asile est passé de 20 000 à 80 000 par an. Il n’y a pas eu, dans cette période, plus de dictatures dans le monde qu’auparavant et cette évolution est donc le résultat d’une démission et d’une volonté de laxisme. C’est le laxisme qui a conduit à la misère et aux situations ingérables auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Alors, que faire ? Il n’y a que trois solutions et les Français doivent les connaître. La première, soutenue par l’extrême droite, consiste à vouloir expulser tout le monde, à ne régulariser personne et à ne faire preuve d’aucune humanité. Cette solution conduit à une impasse, elle est contraire à ce que nous entendons faire et ne correspond en rien aux principes de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La deuxième solution, si elle est républicaine, est aussi irresponsable que la première. Elle consisterait à dire à toutes les familles de ces enfants : « vous êtes régularisées ». Mais si l’inscription dans nos écoles est un droit, elle ne peut entraîner le droit automatique à la régularisation. Sinon, on créerait une nouvelle filière d’immigration légale que plus personne ne pourrait maîtriser (Même mouvement). À l’arrivée, cela ferait augmenter le racisme et la xénophobie.

Enfin, la troisième solution consiste à traiter tous ces cas avec fermeté et humanité. J’ai donc demandé qu’on étudie chaque situation une par une et que ceux qui sont en France depuis longtemps puissent être régularisés. Les préfets ont tous les pouvoirs pour traiter chaque cas et, pour être sûr que, dans chaque département, ces situations soient traitées de façon humaine, je nommerai demain un médiateur national, chargé d’harmoniser la politique dans l’ensemble des départements. Ferme, mais humain, voilà la seule façon d’agir.

Monsieur Braouezec, vous n’avez pas été polémique ; ma réponse ne l’est pas non plus. Et je suis sûr que le parti socialiste, qui a très largement contribué par son laxisme à créer cette situation (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste), ne se permettra pas de donner des leçons : en la matière, il en a beaucoup à recevoir et aucune à donner ! (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Bernard Roman - Cet homme est dangereux !

délinquance des mineurs

M. Pierre Lang – Monsieur le ministre d’État, depuis 2002, la majorité conduit une action déterminée contre toutes les formes d’insécurité, et le succès de cette politique est incontestable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La délinquance baisse : en quatre ans, les faits constatés par les services de police et de gendarmerie ont diminué de 8,8 %, alors qu’ils avaient augmenté de 14,5 % entre 1998 et 2002. Au reste, nos concitoyens sont bien conscients des résultats efficaces de l’action que vous menez en tant que ministre de l’intérieur et chacun se sent plus en sécurité (Rires sur les bancs du groupe socialiste), dans les transports, dans les quartiers et à l’école, alors que ce droit fondamental avait été bafoué sous le gouvernement Jospin.

Cependant, comme l’a rappelé hier soir le Président de la République, il reste encore beaucoup à faire. À ce titre, la lutte contre la délinquance des mineurs constitue une priorité. Les actes de violence sont le fait d’une toute petite minorité, mais ces délinquants sont de plus en plus jeunes, ce qui appelle des réponses adaptées en matière de prévention et de sanction. Notre arsenal législatif semble parfois dépassé, face à la violence de certains mineurs multirécidivistes. D’autres phénomènes apparaissent, comme les agressions filmées tendant à assimiler la violence à un jeu. Il faut donc réagir avec fermeté pour rappeler les règles de la vie en société. À cet effet, vous présenterez demain au Conseil des ministres un projet de loi de prévention de la délinquance… (« Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste) Quelles sont les grandes orientations de ce texte et les mesures concrètes que vous préconisez pour répondre au défi de la délinquance des mineurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire - La délinquance des mineurs n’est pas un sujet tabou ni un sujet réservé à quelques organisations syndicales minoritaires. Il concerne la nation dans son ensemble et le Président de la République a bien fait de l’évoquer hier comme une priorité. Le texte qui y sera consacré viendra devant le Parlement dès la session extraordinaire de septembre.

Avec le Garde des Sceaux, nous voulons individualiser les réponses données aux mineurs, toutes les réponses. Quand un mineur casse, il est normal qu’il soit condamné à réparer. Un certain nombre de solutions de substitution à l’enfermement – telles que les internats – doivent être mises en place. Surtout, il faut réagir rapidement, car si un mineur récidiviste n’est convoqué que sept mois ou deux ans plus tard devant un tribunal, la sanction perd beaucoup de sa valeur pédagogique. La composition pénale sera donc dans le texte que nous présenterons.

Enfin, je demande que l’on puisse débattre de l’excuse de minorité. On sait que celle-ci divise par deux la peine. La question doit être posée à la société. L’excuse de minorité ne doit plus être appliquée systématiquement à un mineur récidiviste entre 16 et 18 ans. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Face à quelqu’un qui ne veut pas comprendre, la société est en droit d’appliquer une sanction plus sévère ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

SMIC et prime pour l’emploi

Mme Marcelle Ramonet - Le Gouvernement a fait le choix de mobiliser toutes les énergies pour gagner la bataille de l’emploi. Cette bataille se mène sur plusieurs fronts : emploi des jeunes et des seniors, nouveaux contrats, services à la personne… Mais elle se joue aussi sur la question du niveau des salaires. Le Gouvernement s’est donc attaché à mettre un terme à la multiplicité des SMIC, que nous avaient léguée la gauche et les lois Aubry. Notre majorité aura ainsi établi l’égalité des salariés.

En 2003, 2004 et 2005, le SMIC a de plus été revalorisé. Il devrait connaître le 1er juillet prochain une nouvelle augmentation. Pouvez-vous nous le confirmer, Monsieur le ministre de l’emploi, nous dire de combien sera cette hausse et nous expliquer les effets que vous en attendez ? Pouvez-vous d’autre part nous confirmer la revalorisation de la prime pour l’emploi ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Après la grande période dite de « modération salariale », le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a voulu égaliser les SMIC par le haut. Pendant quatre ans, cet effort de convergence s’est traduit pour les SMIC les plus bas par une hausse de 17 %.

La convergence est maintenant achevée et nous avons donc enfin un SMIC unifié national. Comme tous les ans, au 1er juillet, il faut arrêter son niveau. On tient compte pour ce faire de l’inflation – en l’occurrence, 1,9 % – et de l’évolution des salaires. Vous vous rappelez que la réponse du Gouvernement aux manifestations de mars 2005 avait été une relance, pilotée par Gérard Larcher, des négociations par branches professionnelles. Celles-ci ont permis des hausses de 4 % sur les salaires minimaux, de sorte que le salaire moyen ouvrier a augmenté de 3 %. Tout cela nous amenait à une hausse de 2,7 % du SMIC. Le Gouvernement veut aller au-delà : c’est donc une revalorisation de 3,05 % qui sera proposée demain en conseil des ministres. Cela fait 15 000 euros par an et 1 254,28 euros par mois en temps plein.

Si l’on continuait pendant cinq ans à ce rythme, cela ferait un peu plus que les promesses de M. Fabius. Il n’y a d’ailleurs jamais eu autant d’augmentation depuis les accords de Grenelle de 1968. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz – 32 % !

M. le Ministre - Je vous confirme d’autre part que la prime pour l’emploi passera en septembre de 500 à 700 euros.

Convergence des SMIC, revalorisation du SMIC, prime pour l’emploi et projet sur la participation : on voit que nous faisons clairement le choix de l’augmentation du pouvoir d’achat, quand d’autres avaient fait celui de la « modération » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

information sur les retraites

Mme Christine Boutin - Monsieur le ministre de la santé et des solidarités, en 2003, avec lucidité et courage, le Gouvernement a réformé les retraites afin de les sauver. Fondée sur le principe d’équité, cette indispensable réforme préservait à la fois le système de répartition et le lien si fragile entre les générations. Avec la retraite minimum, la majorité avait fait aussi le choix de la solidarité : garantir à tous la dignité après une vie de travail.

Il était prévu d’autre part que l’on donnerait à chacun la possibilité de savoir quand il pourrait prendre sa retraite et quel serait le montant de sa pension. Cette possibilité d’information est une innovation capitale qui permettra à chacun de s’organiser en connaissance de cause. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous préciser le calendrier et les modalités des décrets d’application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités La réforme de 2003 contenait effectivement une avancée importante : le droit à l’information sur la retraite. La Suède s’était montrée pionnière en ce domaine avec la fameuse « enveloppe orange ». La France est maintenant au même niveau.

Depuis la semaine dernière, chacun peut trouver sur le site internet info-retraite toutes les informations dont il a besoin pour répondre aux trois questions : quand ? comment ? combien ? Il y a déjà eu 207 000 connexions et 205 900 simulations ont été effectuées. Cela montre bien que ce que vous avez voté correspondait à un besoin, lequel devait être couvert par un service public. Longtemps, c’étaient des sociétés privées qui proposaient cette prestation, en l’accompagnant de diverses offres. Aujourd’hui, c’est la responsabilité de la puissance publique que d’offrir ce service.

Avant, lorsque vous aviez travaillé sous plusieurs régimes – public, privé, indépendant –, c’était le parcours du combattant pour avoir les renseignements auprès de toutes les caisses. Aujourd’hui, c’est ce portail unique qui fait le travail à la place de l’assuré social. À partir du 1er juillet 2007, nous irons plus loin : les salariés et les indépendants recevront à leur domicile, à 50 ans et à 58 ans, tous les éléments leur permettant de savoir à quoi s’attendre pour leur retraite.

Nous allons ensuite descendre en âge jusqu’en 2010 pour qu’à 35 ans, il soit possible de disposer de ces informations. C’est là l’une des avancées de la réforme des retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

fusion d’Arcelor et de Mittal steel

M. Michel Liebgott - Ça y est, c’est fait ! Mittal Steel et Arcelor ne forment plus qu’un seul groupe. Les actionnaires en ont décidé ainsi. Il est vrai qu’en cinq mois, ils auront gagné autant qu’en deux ans. Mais ce n’est pas tant cette issue, prévisible, qui est surprenante, incompréhensible et inquiétante, que la volte-face du Gouvernement.

Il y a à peine trois semaines, ne répondiez-vous pas à notre collègue Montebourg que le projet Severstal était amical, que l’industrie ne se résume pas à des batailles boursières, mais qu’elle concerne des emplois et permet la création de richesses ? Quel revirement ! La plus haute autorité de l’État et vous-même affirmez aujourd’hui que cette décision est fondée sur une garantie, en ce qui concerne l’emploi et le maintien des centres de recherche.

Les 27 000 salariés français du groupe et les élus locaux concernés aimeraient partager votre optimisme et être informés de ce qui le fonde. Vous affirmez qu’il existe un projet de groupe, respectant la gouvernance des deux entreprises. Qu’en est-il ? Comment pouvez-vous être certain que les rendements financiers ne seront pas les seuls à décider de tout à l’avenir ? Soyez transparents et communiquez-nous les informations dont vous disposez ; il est vrai que votre gouvernement est désormais habitué à nous cacher la vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Sans vouloir polémiquer, qui a vendu les actions d’Arcelor ? C’est vous ! Qui a négocié le pacte avec Lagardère, que vous dénoncez aujourd’hui ? C’est vous ! Qui n’a pas préparé l’avenir de GDF en laissant les tarifs augmenter de 30 % en 2000 ? C’est vous ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) S’agissant des affaires industrielles, vous êtes partisans du « On laisse faire et on verra plus tard » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Paul Giacobbi - C’est grotesque !

M. le Ministre - Le Gouvernement préfère certes des concertations et des opérations amicales, qui s’appuient sur des projets industriels. Cela dit, nous constatons qu’après plusieurs mois de discussions, une offre amicale a été proposée et approuvée par le conseil d’administration d’Arcelor (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pendant cette période, l’État a joué son rôle, en rencontrant à plusieurs reprises les partenaires pour les interroger sur la nature du projet industriel (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Celui-ci figure désormais sur le site internet du ministère (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Nous avons fait le travail et il appartient désormais aux actionnaires de se décider. Cependant, vous avez raison, Monsieur le député : il faut prendre les actions industrielles au sérieux et ne jamais laisser les affaires se dérouler sans intervenir, ce que vous avez pourtant fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

sommet France-océanie

M. Michel Buillard - Le deuxième sommet France-Océanie s’est tenu hier à l’Élysée. Il a réuni, autour du Président de la République, les chefs d'État ou de gouvernement des seize États membres du Forum du Pacifique sud et les collectivités françaises du Pacifique. Avec l’ouverture du Musée des arts premiers du Quai Branly, cet événement montre que la France accorde une grande attention aux populations de l'Océanie et que sa présence, en retour, est reconnue et appréciée dans la région.

Je tiens solennellement à réaffirmer l'attachement de nos peuples à la République et à souligner le rôle majeur joué par notre pays afin d'assurer la stabilité politique, économique et sociale de la région Pacifique. En effet, dans le domaine politique, comme dans celui de l’environnement, des menaces réelles existent : à cet égard, les mesures de protection face au réchauffement climatique – la montée des eaux menace plusieurs îles du Pacifique – ne sont pas envisagées.

Témoin de la gratitude exprimée par ces pays envers la France et l'Union européenne, je souhaite demander au Gouvernement les initiatives qu’il compte prendre pour adapter les aides nationales et européennes aux besoins particuliers des nations du Pacifique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Baroin - Ce sommet important répondait à la promesse formulée par Jacques Chirac, chez vous, à Papeete. Il a été l’occasion de mettre en perspective l’importance du développement économique de cette zone et d’en mesurer toutes les conséquences sur le plan politique, économique et environnemental.

La présence de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande – les grandes puissances de la région –, des micro-États et de nos collectivités territoriales justifie le renforcement de la coopération, après une période où les relations diplomatiques étaient plus froides. C’est là l’un des grands enseignements de ce sommet.

Par ailleurs, cette zone est dopée par le développement économique de la Chine et de l’Inde, fournissant à ces pays les matières premières dont ils ont besoin, comme en témoigne l’importance des enjeux autour du nickel de Nouvelle-Calédonie. Nous souhaitons donc poursuivre le renforcement de l’intégration de nos collectivités territoriales, par la signature d’accords, tel celui signé hier entre le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, la situation environnementale de ces États est connue : la plupart étant des îles, ils sont les premiers à être concernés par une élévation du niveau de l’eau. C’est la raison pour laquelle la ratification et le renforcement de l’application du protocole de Kyoto, souhaitée par le Président de la République, font partie des priorités. La France et l’Union européenne prendront des initiatives en ce sens.

Je souhaite conclure en rappelant les mots du Premier ministre de Papouasie Nouvelle-Guinée, faisant office de guide lors de la visite du département océanien du Musée du Quai Branly : il a déclaré que c’était là le plus beau message de paix que la France pouvait offrir au monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

chiffres du chômage

Mme Josette Pons - Depuis plus de douze mois consécutifs, le chômage recule dans notre pays.

M. Paul Giacobbi - C’est le Gouvernement qui recule !

Mme Josette Pons - Le taux de chômage est passé sous la barre des 10 %. Le chômage des jeunes et le chômage de longue durée refluent. Le plan de cohésion sociale, la relance de l’apprentissage et le développement des services à la personne illustrent la mobilisation du Gouvernement en faveur de l’emploi. Les contrats d’avenir, d’accompagnement vers l’emploi et « nouvelles embauches » sont un succès. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, confirmer les chiffres du chômage et de l’emploi salarié dans le secteur concurrentiel récemment publiés par la DARES et l’INSEE, et nous en livrer votre analyse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Je les confirme : 200 000 chômeurs en moins et 200 000 emplois en plus !

M. Alain Vidalies - Et le RMI ?

M. le Ministre – Voilà la réalité, et tant pis pour ceux qui tentent de désinformer l’opinion ! (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP) Ces chiffres sont-ils le résultat du hasard ? Non : c’est le résultat de l’action du Gouvernement, déterminé à s’occuper individuellement des demandeurs d’emploi, à rapprocher l’offre et la demande et à améliorer l’orientation. Contrats d’apprentissage et contrats de professionnalisation, maisons de l’emploi et dossier unique du demandeur d’emploi sont en plein essor. Les services à la personne sont à la veille d’une révolution : dès septembre prochain, les salariés qui en bénéficient grâce à l’aide de leur entreprise seront aussi nombreux que ceux qui utilisent des tickets restaurant.

Je vous le confirme donc formellement : nous sommes enfin sortis du chômage de masse et entrés dans un cercle vertueux qui nous amènera à 8,9 % puis 7 % de chômage dans les meilleurs délais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

bilan de l’action gouvernementale

M. Didier Migaud – « Inadéquation persistante des hypothèses de croissance », « finances publiques fortement dégradées », « déficit structurel très élevé », « dynamique de dégradation », « la situation de la France s’aggrave alors que celle de nos voisins s’améliore »… (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Ces jugements sont tirés du rapport de la Cour des comptes, présidée par M. Séguin – l’un de vos anciens responsables politiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

À en croire le Président de la République, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes et le Gouvernement remplirait sa mission. Quel décalage avec la réalité que vivent nos concitoyens ! Comment comprendre cette autosatisfaction aveugle alors que tous les indicateurs économiques et sociaux se sont dégradés depuis 2002 ? Le déficit public s’est aggravé, la dette publique a explosé de près de dix points de PIB, le nombre d’allocataires du RMI a progressé de 20 %, les impôts ont augmenté de 17 milliards d’euros. Le pouvoir d’achat stagne et le chômage est supérieur à son niveau de juin 2002, malgré le traitement statistique que vous en faites et la réactivation tardive des contrats aidés que vous aviez supprimés. La culture de résultat qu’implique la LOLF vous impose de rendre compte de vos actions et de les assumer. Vous en êtes loin ; au contraire, vous rejetez la responsabilité de vos échecs sur vos prédécesseurs alors que l’UMP est au pouvoir depuis quatre ans ! La mauvaise polémique que vous avez déclenchée en donnant un chiffrage farfelu du projet socialiste (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ne peut pas vous exonérer de la responsabilité que vous portez dans la dégradation de nos finances publiques.

M. Jean-Michel Fourgous - Parlez-nous du chiffrage des trente-cinq heures !

M. Didier Migaud - Comment pouvez-vous contester le triste bilan dressé par la Cour des comptes, et vous satisfaire du vôtre, alors qu’il ne comprend pas un seul indicateur plus favorable aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État - Vous oubliez de citer une phrase du rapport de la Cour des comptes : « les comptes 2005 sont réguliers » ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Blazy - Encore heureux !

M. le Ministre délégué – Ils sont donc conformes au droit.

M. Augustin Bonrepaux - C’est bien le moins !

M. le Ministre délégué – Vous avez passé tant de temps à lire le rapport de la Cour des comptes que vous n’avez pas lu celui d’Eurostat, qui note pourtant que, des quatre grands pays européens, seule la France a ramené son déficit en deçà de 3 % du PIB !

La dette se serait accrue, dites-vous. La semaine dernière, nous avons pourtant évoqué notre stratégie de désendettement fondée sur la baisse de la dépense publique et la modernisation de l’État.

M. François Hollande - Pour après 2007 !

M. le Ministre délégué – Vous-mêmes, qui prétendez nous donner des leçons de bonne gestion, n’avez consacré entre 1997 et 2001 que neuf des soixante-dix milliards de plus-value fiscale au désendettement ! Les temps ont changé, le Gouvernement aussi : aujourd’hui, c’est chaque euro supplémentaire de plus-value fiscale que l’on y consacre !

Enfin, vous m’incitez à revenir sur le projet farfelu de votre parti. Nous pourrons en débattre à votre convenance. Le fait est que vous proposez 115 milliards de dépense publique supplémentaires ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany - Pourquoi pas 500 milliards ?

M. le Ministre délégué - Quelle différence avec le projet que nous avons pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

charte des stages

M. Francis Falala – En avril dernier, le Gouvernement a mis en place une Charte des stages, très attendue par l’ensemble des étudiants, qui pose pour la première fois les règles encadrant le déroulement du stage – désormais une étape-clef du parcours d’acquisition des connaissances. Différentes mesures ont ensuite été annoncées afin d’optimiser l’encadrement et la rémunération des stages au-delà de trois mois.

L’été arrive. Les étudiants partent en stage. Quelles garanties pouvez-vous leur apporter, Monsieur le ministre délégué, et où en est-on de l’adoption des décrets d’application ?

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche Le stage est un élément essentiel du rapprochement entre l’université et l’emploi. Découverte de l’entreprise et première expérience professionnelle, il est un moment déterminant du parcours pédagogique. Encore faut-il qu’il s’agisse de vrais stages, et non d’emplois au rabais ! Vous avez donc, pour la première fois, donné un statut aux stages et aux stagiaires dans la loi pour l’égalité des chances. M. Larcher et moi-même avons signé avec les représentants des employeurs, des universités et des étudiants une charte des stages qui prévoit une convention obligatoire et l’inscription du stage au sein du parcours de formation. Loin d’être des emplois au rabais, les stages feront donc partie intégrante des parcours pédagogiques.

À cet effet, la charte aura valeur obligatoire dès les prochains jours, et le décret paraîtra au cours du mois du juillet : à compter de cet été, les étudiants en stage bénéficieront donc des nouvelles dispositions que vous avez adoptées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Solidarité entre les générations

M. Bernard Perrut – En vous accueillant mercredi dernier dans ma circonscription du Rhône, j’ai pu mesurer à quel point vous étiez bien le « ministre des âges de la vie », Monsieur Bas ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) L’enfance, la famille, les personnes handicapées et âgées sont en plein cœur des engagements et des priorités du Gouvernement. Face aux défis que pose la longévité, nous devons en effet modifier notre modèle social afin d’améliorer concrètement la vie de nos aînés.

Alors que le plan « vieillissement et solidarité » a permis de faire considérablement avancer la prise en charge depuis 2003, la prochaine conférence de la famille sera consacrée dans quelques jours à la solidarité entre les générations. Elle devrait notamment reconnaître le rôle des « aidants » familiaux et donner toute sa place au « nouvel âge actif ». Nous devons en effet favoriser toutes les actions qui renforcent la solidarité entre les générations, à commencer par le bénévolat et la vie associative.

Puisque vous avez présenté ce matin les grands axes du plan « solidarité grand âge », nous souhaiterions avoir des précisions sur les priorités que nous éprouvons sur le terrain : la lutte contre les maladies du grand âge, en particulier les affections neurodégénératives, le maintien des personnes âgées dans leur cadre de vie, notamment grâce au renforcement de l’offre de soins à domicile, et enfin l’adaptation de notre système de santé, qui doit désormais comprendre une véritable filière gériatrique offrant des places de court séjour, mais aussi de soins de suite et de réadaptation.

Comment comptez-vous, Monsieur le ministre, améliorer l’accueil des personnes dépendantes ? Il faut tout à la fois créer de nouvelles places, augmenter le taux d’encadrement et moderniser nos établissements ! Expliquez-nous votre vision de la maison de retraite de demain.

La solidarité envers nos personnes âgées est une valeur forte sur les bancs de l’UMP, Monsieur le ministre. Nous vous apportons tout notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la familleJe connais votre engagement en faveur des personnes âgées, Monsieur Perrut.

Le 26 mai dernier, Dominique de Villepin a annoncé le plan « solidarité grand âge », dont j’ai présenté le détail aujourd’hui même. C’est à une véritable vague de fond, un tsunami, que nous allons être confrontés : dans dix ans, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans aura doublé – il s’établira à plus de deux millions. Nous devons nous y préparer dès maintenant sans perdre de vue un fil directeur : qu’il s’agisse des hospitalisations ou de l’entrée en maison de retraite, nous devons éviter les ruptures, qui sont autant de causes de déstabilisation accélérant la dépendance.

Premier axe du plan « solidarité grand âge » : le libre choix de la personne âgée dépendante. Ainsi, le nombre de places d’hospitalisation à domicile doublera presque d’ici à 2010 ; les places offertes en soins infirmiers à domicile passeront de 87 000 à 120 000 ; enfin, les autres services à domicile seront encouragés dans le même esprit.

Il nous faut par ailleurs inventer la maison de retraite de demain, qui devra tisser des liens avec le domicile, au lieu de lui tourner le dos comme elle le fait aujourd’hui : la famille qui s’occupe d’une personne âgée dépendante bénéficiera ainsi d’un « droit au répit », rendu possible par l’accueil de jour et l’hospitalisation temporaire. En outre, les maisons de retraite géreront elles-mêmes des services de soins à domiciles afin de familiariser les personnes âgées avec leur personnel, et ainsi dédramatiser l’entrée éventuelle en maison.

Enfin, nous devons créer une véritable filière de gériatrie à l’hôpital : 70 % des malades traités aux urgences sont en effet des personnes âgées, pour lesquelles l’hospitalisation est la première cause de dépendance. Si l’on traite aujourd’hui l’organe ou la fracture, on oublie la personne dans toute sa fragilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de Mme Mignon.
PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON
vice-présidente

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remplacement d’un député

Mme la Présidente - J’ai reçu en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral une communication de M. le ministre de l’intérieur en date du 26 juin 2006 m’informant du remplacement de notre collègue Édouard Landrain par M. Robert Diat.

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adhésion de la bulgarie et de la roumanie à l’union européenne

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  En saluant la présence de Mme Boagiu, ministre roumaine à l’intégration européenne, je tiens à témoigner particulièrement de l’amitié de la France à l’égard de la Roumanie.

Il y a trois ans, le Parlement français approuvait l’entrée de dix nouveaux États membres dans l’Union européenne. Il vous est demandé aujourd’hui d’achever ce cinquième élargissement de l’Union en lui permettant d’accueillir prochainement la Bulgarie et la Roumanie. Comme l’a confirmé le Conseil européen des 15 et 16 juin, ces deux pays devraient pouvoir adhérer à la date prévue du 1er janvier 2007 à condition de répondre à un certain nombre de conditions précises. Avec ces deux adhésions, l’Union européenne achèvera la perspective ouverte au lendemain de la chute du Mur de Berlin en permettant aux pays d’Europe centrale et orientale de rejoindre la famille européenne. Cette étape majeure a scellé la fin de la Guerre froide et marqué la réconciliation du continent européen avec son histoire. En étendant à de nouveaux partenaires les « solidarités de fait » nées de la construction européenne, l’élargissement renforce la paix et la prospérité sur le continent. En contribuant à l’union des peuples européens, il renforce le poids de l’Europe dans le monde et rend chacun de ces États plus fort et plus influent. Cette perspective d’adhésion ouverte à Copenhague en 1993 s’est déjà réalisée depuis le 1er mai 2004 pour les dix nouveaux États membres et je vous propose aujourd’hui, avec ma collègue Mme  Colonna, d’achever cette étape historique.

Cet élargissement a été réalisé en défendant plusieurs exigences, et tout d’abord quant à la qualité du processus lui-même. La Roumanie et la Bulgarie ont déposé leur demande d'adhésion en 1995 et ont décidé d'accélérer le rythme des réformes pour se rapprocher de l'Europe. Les négociations avec ces pays, reconnus candidats en 1997, ont été ouvertes en 2000. Au moment où l'Union concluait en décembre 2002 ses négociations avec les dix nouveaux États membres, elle a décidé de les poursuivre avec la Bulgarie et la Roumanie. Ces pays ayant alors un chemin important à parcourir, ce n'est qu'en décembre 2004 que les négociations ont été achevées, après que des garanties suffisantes eurent été obtenues. La date prévue pour leur adhésion a été fixée au 1er janvier 2007 mais l'Union s'est réservée la possibilité de la reporter d'une année si leur préparation n’était pas suffisante. Au total, il aura donc fallu près de cinq ans de négociations pour déterminer les modalités de l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie et aboutir à la signature du traité d’adhésion, le 25 avril 2005 à Luxembourg.

La France a été particulièrement vigilante. Nous avons notamment veillé à ce que ces pays assurent un haut niveau de contrôle à leurs frontières, qu'ils réforment leur système judiciaire, qu'ils luttent efficacement contre la corruption, le crime organisé et la traite des êtres humains. Si des progrès considérables ont été réalisés dans ces domaines, certaines difficultés persistent et des dispositions exigeantes en matière de sécurité alimentaire, de protection de l'environnement et de sécurité nucléaire ont également été introduites à la demande de l'Union. Il ne s'agit pas, en effet, de sacrifier l'acquis communautaire au nom d'une réconciliation historique ou de l’intérêt géopolitique, mais de renforcer l'Europe par la diffusion des principes politiques qui sont au cœur du projet de ses fondateurs.

Deuxième exigence : le respect de l'intégrité de la construction européenne. Tout au long de ces cinq années, les candidats ont dû accepter les avantages mais aussi les contraintes de leur participation à l'Union européenne. Dès le premier jour de leur adhésion, la Bulgarie et la Roumanie devront appliquer près de 90 000 pages d'acquis communautaire.

M. Jacques Myard - Un scandale !

M. le Ministre - Pour cela, les deux adhérents ont entrepris des réformes considérables afin d'adapter leurs économies et de se doter d'une administration et d'une justice capables d'appliquer la législation européenne. MM. Myard et Lambert, qui se sont rendus respectivement en Roumanie et en Bulgarie, l'ont d'ailleurs constaté.

M. Jacques Myard - C’est vrai.

M. le Ministre - Le traité de Luxembourg garantit que ces deux nouveaux États devront, dès le premier jour, remplir l'ensemble des obligations qui incombent à un État membre. Des périodes de transition ont cependant été prévues dans des secteurs sensibles comme la libre circulation des travailleurs. Ces pays ne pourront en outre adhérer à la zone euro et à l'espace Schengen qu'une fois remplies les conditions requises. Enfin, des mesures de sauvegarde pourront être prises si des perturbations se faisaient jour.

Troisième exigence : veiller à ce que l'Union ait la capacité d'accueillir ces deux nouveaux membres. La Bulgarie et la Roumanie participeront à l'ensemble des politiques communes, selon les mêmes principes que ceux qui ont été appliqués aux dix nouveaux États membres. Elles bénéficieront ainsi progressivement de la politique agricole commune et de la politique régionale. Le coût de leur adhésion a, par ailleurs, été strictement encadré. Ce choix de l'élargissement n'est pas celui de la facilité ou de la convenance : c’est celui de la raison. Nous suivrons avec une très grande vigilance la préparation de ces pays à l'adhésion. Le Conseil européen a soutenu les conclusions du rapport de la Commission du 16 mai dernier selon lequel ces deux pays devraient pouvoir adhérer à l'Union le 1er janvier 2007, sous réserve de remédier aux dernières difficultés qui ont été identifiées, notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. La Commission confirmera au plus tard début octobre le maintien ou le report de cette date. Les deux pays ont adopté des plans d'action pour résoudre à temps ces difficultés. Le Conseil européen est d’ailleurs convaincu que, s'ils font preuve de la volonté politique nécessaire, ils devraient en venir à bout d'ici le 1er janvier 2007. C’est parce qu’il en est également persuadé que le Gouvernement a décidé de vous soumettre dès à présent ce projet.

À 27, l’Europe comptera désormais plus de 480 millions d'habitants et sera la première puissance économique du monde. Plus qu'une péninsule confinée dans un rôle exclusivement moral, l'Union européenne pourra se flatter d'être un ensemble politique uni et rassemblé. L'Europe s’apprête à accueillir deux partenaires avec lesquels nos relations politiques et culturelles sont anciennes et denses. Je pense en particulier aux liens qu'entretiennent plus de 800 communes, institutions et associations françaises avec leurs homologues roumains.

Pays de langue latine, la Roumanie entretient depuis toujours avec la France des relations d'amitié : le théâtre d'Eugène Ionesco, les travaux de Cioran ou de Mircea Eliade, ont beaucoup apporté à la littérature et à la connaissance des cultures européennes.

L'élargissement à la Bulgarie et à la Roumanie, qui connaissent une croissance économique soutenue, est aussi une opportunité pour les entreprises européennes. Le processus d'adhésion a déjà eu un impact positif sur nos exportations et nos investissements : nos échanges avec la Bulgarie ont plus que doublé depuis six ans ; ils ont triplé avec la Roumanie dans les quatre dernières années. Les entreprises françaises sont déjà bien implantées dans ces pays où elles ont investi massivement, principalement dans les activités de service. La France est ainsi l'un des premiers investisseurs en Roumanie. Cette tendance ne pourra que se confirmer avec l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans le grand marché unique. Leur participation à la politique régionale offrira de nouvelles opportunités à nos entreprises, qui pourront répondre à de nombreux appels d'offres financés sur fonds communautaires. Elles sont en effet très compétitives dans les secteurs concernés – travaux publics, gestion de l'eau, de l'énergie et des déchets –, comme en témoignent les investissements en Pologne ou en Slovaquie, États intégrés à l'Union en 2004.

Enfin, l'Europe à 27 sera plus forte pour peser sur les affaires du monde. La diversité linguistique et culturelle de l'Europe sera renforcée par l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, comme le sera la place du français, puisque nombre des citoyens de ces deux États membres de la francophonie parlent notre langue. La Roumanie accueillera ainsi en septembre prochain le onzième Sommet de la francophonie.

Permettez-moi, pour conclure, de revenir sur la stratégie d'élargissement de l'Union. Nos concitoyens ont exprimé, lors de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel, des préoccupations quant à la poursuite de l'élargissement, son rythme, son périmètre, mais aussi quant à l'impact des nouvelles adhésions sur le projet européen. Ils ont parfois eu le sentiment que ce processus leur échappait et prenait l’allure d’une fuite en avant. Une chose est certaine : L'Europe ne se fera plus sans les peuples.

M. Jacques Myard - Il est temps !

M. le Ministre - S'il s'agit de relancer le processus de construction, il faut le faire avec les peuples. Les élargissements ne doivent plus être vécus comme des choix imposés, mais comme des résolutions partagées. C'est pourquoi notre pays a décidé de les soumettre désormais à référendum. Il est aujourd’hui indispensable de répondre à cette « fatigue de l’élargissement » évoquée par le commissaire européen à l'élargissement. Il convient aussi de renforcer le contrôle politique de ce processus. C'est dans cette perspective que la France a demandé – et obtenu – que cette réflexion soit désormais privilégiée dans le débat européen. Le Conseil des 15 et 16 juin a engagé un débat de fond sur la stratégie d'élargissement et sur la capacité de l'Union à accueillir de nouveaux membres. C'est un point auquel nous accordons une importance primordiale : l'élargissement ne concerne pas seulement les pays candidats, mais aussi l'Union elle-même. Il a des conséquences sur sa nature, son identité et sur son fonctionnement.

Afin que ce processus reste maîtrisé, il importe que le rythme de l'élargissement tienne compte de la capacité d'assimilation de l'Union et que l'Europe réponde aux questions concrètes qui se posent à l'ensemble de ses citoyens : quelles doivent être les politiques communes, le budget, le financement, les institutions d'une Union élargie ? Comment s'assurer du soutien et de l’association des citoyens européens à ce processus ? L'ensemble de ces points a été entériné, à notre demande, par le Conseil européen des 15 et 16 juin, qui a souligné la nécessité d'approfondir ce débat lors du prochain Conseil européen, qui se tiendra en décembre. Dans cette perspective, la Commission rendra à l'automne un rapport spécial sur la « capacité d'assimilation » de l'Union.

Si vous donnez aujourd'hui votre accord à ces adhésions, le cinquième élargissement de l'Europe sera pleinement achevé. N’oublions pas, en effet, que la Bulgarie et la Roumanie font partie intégrante de ce cinquième élargissement : elles se sont vu reconnaître une perspective européenne en même temps que les dix nouveaux États membres ; elles ont commencé leurs négociations en même temps qu’eux, et se sont vu appliquer les mêmes principes et conditions. Le cinquième élargissement de l'Union ne pourra donc être pleinement achevé qu'avec leur adhésion. L'Europe est prête à les accueillir. Je suis convaincu que ces deux pays sauront remédier aux difficultés qui subsistent, pour pouvoir entrer dans la famille européenne dès le 1er janvier 2007. Je suis persuadé qu'ils sauront contribuer à la poursuite du projet politique européen, un projet fondé sur des valeurs fortes, profondément respectueux de l'identité des peuples et résolument moderne, où les nations décident librement de faire prévaloir ce qui les unit sur ce qui les divise.

L'Europe n'est pas seulement le fruit d'un héritage, elle est aussi le produit de notre volonté collective et de notre capacité à nous projeter dans l'avenir. C'est avec cette conviction que le Gouvernement continuera à agir pour faire avancer l'Europe politique, mais aussi pour unir les hommes et les citoyens à partir de liens renforcés entre les États. Le devoir qui s'impose à nous, intimement lié à la question de l'élargissement, est de créer un lien social et politique de plus en plus fort au sein de l'espace européen...

M. Jean-Pierre Dufau - Enfin du social !

M. le Ministre - …pour assurer au projet européen toute sa cohérence, et pour permettre à chacune de nos nations de se développer au sein d'une communauté pleinement assumée et mutuellement bénéfique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé de Charrette, rapporteur de la commission des affaires étrangèresLa question qui nous est posée est simple : souhaitons-nous que la Bulgarie et la Roumanie deviennent les 26ème et 27ème membres de l'Union européenne ? Disons-le d'emblée, la commission des affaires étrangères vous invite à y répondre par l’affirmative.

Permettez-moi d’éclairer cette position par plusieurs considérations. La première concerne la situation de crise dans laquelle l'Europe se trouve plongée depuis l’échec du référendum français de mai 2005 sur le traité constitutionnel. Ce nouvel élargissement intervient donc dans un contexte franchement défavorable. La crise est si profonde et la paralysie des institutions européennes est telle qu'il serait raisonnable de suspendre tout nouveau projet d'élargissement à plusieurs conditions qui sont loin d'être réalisées. Il faudrait que soit fixée une doctrine commune aux États membres s'agissant des frontières extérieures de l'Union – qui ne peut pas être un processus permanent et indéfini d'élargissement vers l'Est ; que les institutions aient été réformées, de sorte que l'Union retrouve une capacité à prendre des décisions dans des conditions démocratiques et respectueuses du poids des États membres ; que l'Union parvienne à exprimer une appréciation partagée et réaliste sur l'avenir du projet européen.

Or c'est tout le contraire qui se produit. Le projet européen est au point mort ; la question turque jette un trouble qui ne cesse de croître dans la vie quotidienne de l'Union ; les États membres sont divisés sur le concept même de l'élargissement, de sorte qu’aucune doctrine claire ne s’exprime à l'égard des Balkans occidentaux et de l'Ukraine. Dans la confusion générale, les représentants de la Commission se permettent même de faire connaître leur point de vue sur un sujet qui ne relève pas de leur compétence.

Ma conviction est donc que poursuivre l'élargissement de l'Union serait aujourd’hui contraire à l'intérêt du projet européen. S'il en va différemment pour la Roumanie et la Bulgarie, c'est qu'il s'agit d'achever un processus entamé au bénéfice de l'ensemble des pays de l'Europe centrale et orientale lors du sommet de Copenhague les 21 et 22 juin 1993. L’Europe de l'Ouest avait alors tendu la main à cette autre Europe, celle des dictatures communistes qui venait de retrouver la liberté. L'Union a fixé un cap et pris des engagements. Le traité qui vous est soumis n'est que l’ultime étape de ce processus et d'un cycle marqué par la réconciliation de l'Europe avec elle-même.

Si la commission vous propose d'autoriser la ratification du traité d'adhésion de ces deux pays, c'est au bénéfice de cette observation fondamentale : il ne s'agit pas de poursuivre la marche folle de l'élargissement perpétuel, mais de mettre le point final à un processus spécifiquement destiné à l'Europe centrale et orientale.

Ma deuxième observation concerne l'état de préparation de ces deux pays. Lors du sommet de Copenhague, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé que tous les pays d'Europe centrale et orientale avaient vocation à adhérer à l'Union et fixé des critères dits « critères de Copenhague ». Les pays candidats doivent avoir des institutions démocratiques stables et obéir aux prescriptions de l'État de droit, en particulier le respect des Droits de l'homme et des droits des minorités ; ils doivent avoir une économie de marché viable et être en mesure d'affronter les conséquences de l'entrée dans l'Union ; ils doivent enfin avoir intégré dans leur droit la totalité des directives et règlements de l'Union et souscrire à ses objectifs politiques, économiques et monétaires.

C'est parce que la Roumanie et la Bulgarie ne remplissaient pas ces critères que le Conseil Européen les a séparées des dix autres pays – pour lesquels les négociations ont été achevées fin 2002 – et n'a accepté d'ouvrir la négociation avec elles qu'à la fin de l’année 2002. Clôturée fin 2004, la négociation a débouché sur le traité qui vous est soumis, signé à Luxembourg le 25 avril 2005. Il fixe la date de l'adhésion au 1er janvier 2007, soit près de douze ans après que ces deux pays aient fait acte de candidature. Ce traité contient le même dispositif que celui concernant les dix États précédents, et, en particulier, des clauses concernant l’adhésion future – et obligatoire – à la monnaie unique, des « clauses Schengen » maintenant les contrôles aux frontières actuelles de l’Union et limitant, pour une durée maximale de sept ans, la liberté d’établissement et des clauses de sauvegarde permettant – pendant trois ans – de suspendre le versement des aides agricoles ou régionales en cas de non respect de leurs obligations par les pays candidats.

S’y ajoute un dispositif supplémentaire, conçu spécialement pour la Roumanie et la Bulgarie et qui marque la crainte de l’Union devant les retards pris par ces deux pays. Le traité prévoit en effet que la date d’adhésion peut être reportée d’un an – soit au 1er janvier 2008 –, sur proposition de la Commission. La décision finale revient au Conseil européen, statuant à l’unanimité pour la Bulgarie ou à la majorité qualifiée pour la Roumanie. C’est dire si la négociation a été menée avec sérieux et entourée d’un luxe de précautions. Au final, elle aura été sensiblement plus exigeante que celle appliquée aux Dix.

Enfin, la clôture de la négociation et la signature du traité, en avril 2005, ont été suivies d'une période de près de deux ans durant laquelle les deux pays devaient achever leurs préparatifs sous le contrôle de la Commission, à laquelle il revient désormais de dire si, oui ou non, l'adhésion peut avoir lieu au 1er janvier 2007 ou si elle propose au Conseil le report d'un an prévu dans le traité.

Dans ce cadre, la Commission a remis un premier rapport le 25 octobre 2005, dans lequel elle sonne l'alarme, après avoir constaté que la situation était gravement préoccupante dans plusieurs domaines importants : le piratage et la contrefaçon, le contrôle des frontières extérieures de l'Union, la corruption, la sécurité vétérinaire, l'insuffisance des structures administratives appelées à gérer les fonds de la PAC et les fonds structurels. La Commission a donc reporté au 16 mai 2006 son avis sur l’état de préparation des deux candidats. Sans être conclusif, ce nouveau rapport est encourageant. D'un côté, il note les progrès importants accomplis ; de l'autre, il constate que la situation reste préoccupante en Bulgarie pour ce qui concerne la lutte contre la corruption, la criminalité organisée et le contrôle financier des fonds européens. La situation en Roumanie est jugée nettement meilleure. La Commission a donc décidé de reporter à l'automne l'avis qu'elle doit donner.

C'est dire la pression tout à fait exceptionnelle qui est exercée sur les deux pays. J'ai reçu dernièrement une délégation de parlementaires bulgares et ils ont évoqué le plan d'action que leur pays va décliner pour être prêt au 1er janvier prochain. La mobilisation des forces politiques et du gouvernement bulgares est évidente.

Il en est de même en Roumanie, où je me suis rendu en janvier dernier avec nos collègues Geneviève Colot, Jean-Pierre Dufau et Philippe Folliot. Nous avons tous été marqués, à cette occasion, par l'engagement des autorités roumaines dans la lutte contre la corruption.

On peut donc raisonnablement estimer que la Roumanie et la Bulgarie ont mobilisé beaucoup d'énergie pour mener avec succès leur projet d'adhésion et qu'ils seront prêts, autant qu'ils peuvent l'être, pour cette grande échéance. Ratifier le traité est donc possible et souhaitable. Au reste, la ratification laisse entière la question de savoir si la clause de report doit ou non être mise en œuvre.

L'application de cette disposition suppose évidemment la ratification du traité par les 25 États membres. Mais sa mise en œuvre ne sera pas, en tout état de cause, soumise aux parlements nationaux. Nous n'aurons donc pas l'occasion d'en débattre, puisqu’il s'agit d'un pouvoir conféré au Conseil, via la Commission. C'est en octobre que cette question devra être tranchée et il serait souhaitable, Monsieur le ministre, que, le moment venu, le Gouvernement consulte le Parlement selon les procédures existantes avant de se prononcer.

J’en viens aux conséquences prévisibles de l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'Union européenne, lesquelles seront institutionnelles, économiques, financières et géopolitiques.

S’agissant des institutions communautaires, la Roumanie et la Bulgarie disposeront d'un commissaire chacun, ce qui va obliger le président de la Commission à réorganiser le collège des commissaires. Le Parlement européen accueillera 18 députés bulgares et 35 députés roumains jusqu'en 2009, puis 17 et 33 à compter de 2009. Au conseil, la Roumanie disposera de 14 voix et la Bulgarie de 10 voix sur un total de 345 – pour mémoire, la France en compte 29, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie. Bien entendu, les deux pays seront représentés dans les autres instances communautaires : Cour de justice, Cour des comptes, Banque centrale européenne. Tout ceci résulte du traité de Nice et témoigne de ce que nos institutions sont véritablement « encalminées » par l'élargissement.

L'impact économique pour l'Union est, quant à lui, difficile à évaluer. La Bulgarie et la Roumanie bénéficient d'une croissance annuelle en moyenne supérieure de 3 % par rapport à celle des 25, ayant atteint près de 6 % l'an passé – soit le double de la moyenne européenne : cela ne peut qu'être favorable aux autres membres de l'Union, avec lesquels ces pays entretiennent des relations commerciales intenses.

Au plan budgétaire, l'intégration de ces deux pays est réglée depuis 2004. Pour la période 2007-2009, ils bénéficieront de 16 milliards d'euros, dont près des trois quarts pour la Roumanie. Ce sont 5,4 milliards d'euros qui seront consacrés à l'agriculture, avec une montée en puissance très progressive du dispositif ; 8,2 milliards iront à la politique régionale et 1,3 milliard aux politiques internes et transitoires.

Quel sera, enfin, l'impact géopolitique de l'entrée de ces deux pays ? On peut en attendre plusieurs effets. D'abord, nous voyons bien qu'une fois la Roumanie et la Bulgarie dans l'Union, le prochain objectif sera d'assurer la stabilisation durable des Balkans. Ces deux pays peuvent y contribuer, grâce aux liens qu'ils ont noués avec les États de la Région ; mais il faudra aussi se méfier de leur propension prévisible à plaider en faveur de l'adhésion des États balkaniques, laquelle ne parait nullement souhaitable pour le moment. Par ailleurs, l'Union sera désormais présente en Mer Noire, ce qui représente un nouvel atout, s'agissant d'un espace stratégique de premier plan, notamment en matière énergétique…

M. Jacques Myard - Bof !

M. le Rapporteur - Enfin, il est prévisible que tant les Bulgares que les Roumains maintiendront des liens privilégiés avec les États-Unis. Comme la plupart des pays d'Europe centrale, les deux États ont de l'Europe une vision plutôt économique et c'est vers l'Alliance atlantique et les États-Unis qu'ils se tournent pour leur sécurité et leur défense. Cependant, les deux souhaitent nouer avec la France une relation forte, qu'il nous appartient d'encourager. C'est vrai de la Bulgarie. Et c'est encore plus vrai de la Roumanie, où la présence française est importante : de nombreuses entreprises y ont investi, la langue française est largement développée parmi les élites et, à l'automne prochain, Bucarest recevra le sommet de la Francophonie.

L'intérêt bien compris de la France et de l'Europe est d'accueillir ces pays dans l'Union européenne. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères vous invite à adopter le présent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères – Il y a plus de quinze ans que le Mur de Berlin est tombé. L'Europe a changé. D'une communauté économique à douze, elle est passée à une Union à vingt-cinq, bientôt vingt-sept, dont la vocation est aussi politique. Le grand élargissement de 2004 s'achève et l’Union européenne s'apprête à s'ouvrir à deux nouveaux États : la Bulgarie et la Roumanie. Pour ces deux pays, l'entrée dans l'Union refermera une trop longue parenthèse. En votant le projet de loi autorisant le traité d'adhésion, signé le 25 avril 2005, notre Assemblée va contribuer à cette réunion historique de l'est et de l'ouest de l'Europe. Je forme d'ailleurs le vœu que la Roumanie et la Bulgarie rejoignent l'Union sans tarder, dès le 1er janvier prochain. Ces pays ont en effet accompli de très grands progrès. Ils ont parcouru le chemin qui leur incombait, même si quelques efforts demeurent attendus. En les accueillant, nous aurons, de notre côté, tenu notre promesse.

Reste à l'Europe à faire face à toutes ses responsabilités.

Il s'agit de construire une Union forte de ses valeurs et capable de faire prévaloir ses intérêts, et non un simple espace de libre échange, ouvert à une mondialisation dénuée de règles et aux trafics de tous ordres. À quelles conditions cet objectif peut-il être atteint?

L'Union européenne doit se réformer pour fonctionner efficacement et surmonter la paralysie. Pour cela, elle doit cesser, pour un long moment, de s'élargir. Cela peut paraître injuste pour les pays qui sont aujourd'hui candidats, mais c'est l'intérêt de tous. Serait-ce d'ailleurs rendre service aux futurs candidats que de les accueillir dans une Europe incapable de surmonter la crise ? Il faut regarder la réalité en face. Après la Roumanie et la Bulgarie, l'Union ne sera plus, et pour longtemps, en mesure d'accueillir de nouveaux candidats.

D’abord, pour des raisons institutionnelles. Peut-on imaginer que les institutions de l'Union puissent fonctionner, en l'état, avec six – voire sept – nouveaux pays des Balkans, avec la Turquie ou l'Ukraine, qui comptent respectivement 71 et 50 millions d'habitants ? Nous savons bien que le fonctionnement d'une Commission européenne à 27 posera déjà de réelles difficultés ; comment imaginer qu'elle puisse agir avec efficacité avec plus de trente commissaires ? Et que dire d'un Parlement pléthorique ou d'un Conseil des ministres où l’unanimité est encore largement la règle ?

Récemment, j’ai proposé qu’un débat ait lieu sur deux questions incontournables : l'extension du domaine du vote à la majorité qualifiée, laquelle suppose le rééquilibrage du poids de chaque État membre au sein des institutions européennes en fonction de sa population et de sa capacité économique, et celle des rôles respectifs du Conseil et de la Commission. Pour ma part, je suis favorable au passage à la majorité qualifiée dans un grand nombre de situations et partisan d'une certaine prééminence du Conseil, en tant qu’organe capable d’engager politiquement l'Union. Il est indispensable, avant tout nouvel élargissement, de trancher ces questions.

L'Union doit aussi marquer une pause dans l'élargissement pour des raisons budgétaires et financières. En accueillant dix nouveaux membres en 2004, l’Union européenne a gagné 15 % en population et 20 % en superficie, mais son PIB s'est accru de moins de 5 %. En effet, la richesse moyenne des Dix était inférieure à la moitié de celle de l'Union à 15. L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ne modifie pas cet état de fait. L’on compare souvent l'entrée des pays de l'Europe centrale et de l'est à celle de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal. Mais rappelons que ces trois pays avaient, lors de leur adhésion, un PIB correspondant à 60 % de la moyenne communautaire. En outre, l'acquis communautaire à appliquer aujourd'hui est bien supérieur à celui qu'ont dû assimiler la Grèce, l'Espagne et le Portugal. C'est dire si les efforts que devront encore accomplir les douze nouveaux membres sont considérables.

C'est dire aussi les efforts que l'Union devra consentir pour permettre à ces pays de se rapprocher de notre niveau de vie. Dans le budget de l'Union, 46 milliards d'euros ont été prévus en crédits d'engagements pour les dix nouveaux membres, dans la période 2004-2006. Pour l'intégration des seules Bulgarie et Roumanie, il est prévu, pour la période 2007-2009, 16 milliards de crédits d'engagements.

En outre, l'Union ne supporterait pas financièrement de nouveaux élargissements, alors qu'elle a eu tant de mal à s'accorder sur son budget pour 2007-2013. Or, compte tenu de l’état des finances publiques de plusieurs États membres, il ne saurait être question d’envisager une augmentation significative du prélèvement sur les budgets nationaux au profit de l’Europe…

Enfin, tout nouvel élargissement semble impossible tant que l'Union n'aura pas surmonté la crise morale dans laquelle elle est plongée. Le rejet du traité constitutionnel me paraît, à cet égard, plus un symptôme qu'une cause de cette crise… (MM. Jean-Claude Lefort, Marc Dolez et Jean-Pierre Dufau donnent des signes d’approbation) Nos concitoyens s'interrogent toujours sur le sens de la construction européenne et ils perçoivent bien qu'un élargissement irréfléchi représenterait une fuite en avant, risquant de faire perdre les principaux acquis, obtenus grâce à leurs efforts depuis plus de cinquante ans.

Lors du dernier Conseil de Bruxelles, notre pays a obtenu que la question de la « capacité d'absorption » – cette notion méritant du reste d’être précisée – fasse rapidement l'objet d'un débat au plan européen. Si nous souhaitons que l’Europe devienne réellement cette union des peuples sans cesse plus étroite qu’évoquent les traités, nous devons savoir dire non à une fuite en avant qui nous plongerait dans l’incertitude.

Je suis donc tout à fait partisan de l’entrée rapide de la Roumanie et de la Bulgarie, mais tout à fait hostile, vous l’avez compris, à ce que l’on aille plus loin avant d’avoir résolu les problèmes fondamentaux qui se posent à nous. On nous a beaucoup dit lors du dernier référendum qu’il fallait que la politique européenne tienne mieux compte du désir des peuples. Manifestement, les peuples ne souhaitent pas des élargissements complémentaires avant que certains problèmes importants n’aient été résolus. Je conclus donc en souhaitant que le Gouvernement entende et comprenne les aspirations des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Lefort – Nous sommes réunis aujourd’hui pour effectuer un acte solennel : donner ou non notre accord, par un vote, à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne. Mais comme le dernier Conseil européen a considéré qu’un délai supplémentaire d’un an serait sans doute nécessaire pour que cette adhésion soit effective, on nous demande en réalité de ratifier le principe de l’adhésion et non pas une adhésion de fait. Procédure tout à fait surprenante !

Cela n'a rien à voir avec la révision constitutionnelle qui était nécessaire pour la tenue du référendum. Ce dernier a eu lieu et son résultat fut sans appel. S'il devait y avoir similitude, ainsi que cela a été évoqué en commission des affaires étrangères, entre l'exercice auquel on se livre aujourd'hui et la procédure que nous avons suivie à propos du projet de traité constitutionnel, alors je crains très fort pour ces deux pays.

Je crains d'autant plus que l'article premier du traité d'adhésion de ces deux pays indique clairement que ceux-ci deviennent parties du traité constitutionnel ; et précise que si ce traité n'est pas ratifié à la date d'adhésion de ces deux pays, les dispositions du protocole adjoint au traité de leur adhésion seront annexées aux traités actuels mais ne seront pleinement appliqués que quand le traité portant Constitution sera ratifié. Autrement dit, certains ne désespèrent pas de faire ratifier ce traité constitutionnel. Il faut pourtant que nos amis le sachent : ce traité est mort !

Le traité d’adhésion prévoit qu’« avant le 31 décembre 2007, la Bulgarie et la Roumanie procèdent chacune à l'élection au suffrage universel direct du nombre de représentants de leur peuple au Parlement européen ». Cela n'a aucun sens si l’adhésion de ces deux pays doit intervenir de fait le 1er janvier 2008. Vont-ils voter pour des députés européens avant d’adhérer ? Et veut-on vraiment que nous votions pour un texte en total décalage avec la réalité ? Cela n'est pas sérieux ni responsable. On ne devrait pas s'amuser de la sorte avec des traités internationaux et nous demander de ratifier des clauses qui ne seront pas tenues ou qui sont obsolètes !

Tout ce bâclage renforce nos craintes pour ces deux peuples. Nous craignons en particulier que l'aide financière qui leur sera accordée soit très insuffisante. Il est dit dans le traité d'adhésion que ce sont les mêmes critères qui ont été pris en compte pour ces deux pays que pour les dix nouveaux membres de l'Union. On recommence donc les mêmes erreurs que lors du dernier élargissement. Tout cela aboutit à tirer l'ensemble des peuples vers le bas. Ce n'est bon ni pour les vingt-cinq peuples européens, ni pour ces deux peuples amis, ni pour l'idée européenne elle-même.

D’aucuns profitent de ce contexte pour reposer la question des institutions de l'Union. Et, suivez mon regard, on nous ressort l'idée d'un nouveau traité concentré sur ces seules questions institutionnelles. La ficelle est un peu grosse ! Faut-il redire ici que le vote des Français avait d'abord trait aux finalités de l'Europe et non au fait de savoir s'il fallait plus ou moins de commissaires ? Et sait-on que le Parlement européen a refusé, le 14 juin dernier, un amendement disant que « pour pouvoir être appliqué, le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé à Rome le 29 octobre 2004 devait être unanimement ratifié » ? Cette idée toute simple, mais fondamentale, qu'il faut l'unanimité pour qu'un traité soit adopté, les députés des deux grandes familles du Parlement européen ont voté contre ! C'est dire l'entêtement et l'autisme des « ouistes » !

M. Marc Dolez - C’est vrai.

M. Jean-Claude Lefort - C'est dire aussi les dangers qu'ils font courir à l'Europe en foulant ainsi aux pieds le droit et le suffrage universel. Les peuples roumains et bulgares, tout comme les autres peuples européens, n'ont rien à attendre de bon d'une Europe ultra- libérale.

D’ailleurs, 70 % des Européens trouvent que l'Union européenne est trop technocratique et plus de 40 % des Français se demandent pourquoi notre pays est membre de l'Europe. Une immense majorité d'Européens considèrent que la mondialisation est un danger contre lequel l'Europe ne les protège pas. Décidément, il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre ! Ces sourds sont ceux qui veulent la reprise à l'identique du projet de Constitution ou un traité institutionnel qui rendrait plus aisée et plus rapide la mise en œuvre de la politique libérale de l'Union.

Inutile de dire que ce chemin ressemble à celui qui mène à l'enfer. Les citoyens français comme ceux d'autres pays ne manqueront pas de le dénoncer lors des prochaines échéances électorales.

Dans ces conditions, si nous réitérons notre accord pour l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'Union, les conditions juridiques incongrues de cette vraie fausse ratification, d'une part, et les volontés ultralibérales qui s'arc-boutent pour empêcher que l'Europe change de voie, d'autre part, nous amènent en signe de solidarité avec les peuples bulgares et roumains à ne pas prendre part au vote. Ces deux peuples retiendront ainsi qu'ils ont en France des amis sincères et déterminés, qui leur tendent la main !

Comme le dit un proverbe bulgare, « la vie est une échelle, les uns montent, les autres descendent. » C'est ce qui se passe dans l'Europe actuelle et c'est cela que refuse la majorité des Français. Comme le dit cette fois un proverbe roumain, « on balaie un escalier en commençant par le haut ». Voilà le travail qui est devant nous aujourd'hui : balayer l'Europe de son libéralisme en commençant par le haut ! Bienvenue donc à la Roumanie et à la Bulgarie pour aller dans cette voie !

M. Marc Dolez - Très bien.

M. Marc Laffineur - Deux ans et demi après le plus grand élargissement auquel l'Europe ait été confrontée, nous voici en passe d'achever la réunification de notre continent avec l'adhésion au 1er janvier 2007 de la Roumanie et de la Bulgarie. Un an après le rejet par référendum de la Constitution européenne par le peuple français, cette adhésion montre que l'année 2006 a aussi été une année utile pour l'Europe : en effet, même si le processus de ratification de la Constitution européenne a connu une pause, l'Europe continue néanmoins de se construire au quotidien tandis qu'un effort d'explication de l'Europe en direction des peuples s'est fait jour. En témoigne l'initiative du Gouvernement d'organiser au sein de la représentation nationale un débat préalable à la tenue de chaque Conseil européen.

Mais il nous faut encore relayer sur le terrain ce besoin d'Europe. Il nous reste six mois pour expliquer à nos concitoyens que l'Union européenne comptera à partir du 1er janvier prochain deux États supplémentaires. Sur l'ensemble des bancs de cette assemblée, nous devons nous unir pour convaincre les Français que cet élargissement est juste et nécessaire, parce que c'est un devoir de l'ancienne Europe de l'Ouest envers l'ancienne l'Europe de l'Est que de refermer une blessure de presque cinquante ans, provoquée par la deuxième guerre mondiale puis la guerre froide, parce que c'est aussi une opportunité pour l'Europe d'être plus forte et plus unie dans le monde de demain, parce que ce sont enfin de nouveaux marchés qui s'ouvrent à nos industries.

M. Jean-Claude Lefort - Ah, les marchés !

M. Marc Laffineur - Mais cet élargissement ne doit pas nous éloigner de ce qui doit être notre principale préoccupation des années à venir : la réforme de notre architecture institutionnelle pour des institutions plus efficaces, plus transparentes et plus démocratiques. Tant que le chantier institutionnel ne sera pas achevé, nous ne pourrons aller plus loin dans la construction européenne. C'est l'avenir même de l'Europe qui est en jeu.

L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie parachèvera la réunification du continent européen, avant que nous engagions une pause durable du processus d'élargissement. Elle répond à une promesse de réconciliation, sur laquelle nous ne pouvons revenir sans nous déconsidérer et nous trahir. L'Europe est un héritage que nous avons tous en partage : les nations fondatrices ne peuvent se l’approprier ni le confisquer.

Le Conseil européen des 15 et 16 juin a réaffirmé l'objectif de l'Union d'accueillir la Roumanie et la Bulgarie au 1er janvier 2007. Les rapports de Jacques Myard et Jérôme Lambert, au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, vont largement dans ce sens et se prononcent pour une adhésion dès l'année prochaine de ces deux pays francophones, renonçant à mettre en œuvre la clause de sauvegarde générale qui autorise la Commission à reporter d'un an leur adhésion.

M. Jacques Myard - Excellente lecture !

M. Marc Laffineur - En effet, la Roumanie et la Bulgarie ont accompli d'énormes efforts en matière de lutte contre la corruption, d'intégration et de protection des minorités, de surveillance des frontières extérieures de l'Union, d'indépendance de la justice, tous points litigieux sur lesquels les différents rapports d'étape demandaient une accélération des réformes.

Un report d’un an serait d'autant moins justifié que de tels problèmes ne peuvent se régler en si peu de temps. En outre, une telle mesure ne pourrait être appliquée de la même manière aux deux pays, les règles de vote étant différentes. Enfin, la Roumanie a désormais rattrapé son retard sur la Bulgarie. En revanche, rien n'empêche les États qui le souhaitent d'établir des clauses de sauvegarde sectorielles.

Le débat d’aujourd'hui doit donc être distingué de celui relatif aux frontières de l'Europe. Le dernier Conseil européen vient d'ailleurs d'avaliser parmi les conditions d'élargissement la « capacité de l'Union d'absorber de nouveaux membres » : toute acceptation de nouvelle candidature devra tenir compte de la préservation de la cohésion et de l'efficacité de l'Union. De cette condition dépendra la perception de l'élargissement par les citoyens.

À cela, la France a ajouté des garde-fous : la réforme constitutionnelle du 1er mars 2005 dispose que toute nouvelle adhésion d'un État à l'Union européenne – après celles de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie – sera soumise à référendum. Les citoyens pourront ainsi s'exprimer et prendre en main leur destin dans l'Europe. Il appartiendra au peuple français de décider en dernier recours de la candidature des États des Balkans occidentaux – comme le Monténégro.

En ce qui concerne la Turquie, manifestement en dehors des frontières de l'Europe, les négociations d'adhésion ont officiellement débuté en octobre dernier. Si le groupe UMP est ouvert à un partenariat privilégié, il est opposé à une adhésion pleine et entière.

Doter l'Europe de frontières et rénover son architecture institutionnelle, voilà les deux priorités qui doivent être les nôtres avant d'engager tout nouvel élargissement et tout nouvel approfondissement des politiques communautaires. Où s'arrête l'Europe ? Quels pays ont vocation à y entrer, quel type de relation privilégiée doit-on nouer avec les autres ? Cette question est d'autant plus urgente à trancher que le monde s'accélère et ne nous attend pas.

M. Jacques Myard - Exact !

M. Marc Laffineur - Il nous appartient donc de la résoudre en toute indépendance, sans tenir compte des pressions, et rapidement, car l'incertitude peut donner le sentiment à notre voisinage immédiat que nous tergiversons.

La question des frontières de l'Europe dépend aussi de la nature – Europe politique ou simple zone de libre échange – que nous entendons donner au projet européen. Si les Français ont dit non à l'Europe telle que proposée par la Constitution, je suis intimement persuadé qu’ils ne sont pas hostiles à une Europe politique : ils lui demandent juste d’être plus protectrice et plus proche de leurs préoccupations quotidiennes.

Cette demande n'est pas incompatible avec la nécessité d'engager au plus tôt une réforme de nos institutions car ce sont des institutions fortes et efficaces qui garantissent le fonctionnement de l'Europe et la protection des citoyens. Nous ne pouvons donc l’éviter et ce n'est pas revenir sur le vote des Français que de reprendre à notre compte les principales innovations institutionnelles apportées par le titre I du projet de Constitution.

M. Jean-Claude Lefort - Si ! Attention au retour du boomerang !

M. Marc Laffineur - Nous savons tous que les institutions actuelles, satisfaisantes pour un fonctionnement à 6 ou 9, ne le sont plus dans une Europe à 25 et encore moins demain à 27, puis à 28. Aussi, avant même d'engager un débat sur l'élargissement, nous devons nous mettre d'accord sur des institutions plus stables, plus efficaces, plus proches des citoyens : c’est le cas d'une présidence stable, d'un ministre des affaires étrangères, d'une Commission réduite et collégialement responsable devant le Parlement, d'un Parlement européen et de Parlements nationaux aux pouvoirs renforcés.

Le groupe UMP est donc favorable à l'adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie, mais estime qu’à cet élargissement doit succéder une longue pause. La réflexion doit se déplacer sur la question des frontières de l'Europe, toute capacité d'absorption nouvelle étant liée à l'environnement institutionnel que se donnera l'Europe. Le principal enjeu des prochaines années consiste à approfondir les politiques existantes, à réformer l'architecture institutionnelle, à définir nos relations avec nos voisins et à inventer de nouveaux types de partenariats, à mi-chemin entre accord d'association et adhésion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne - La Délégation pour l'Union européenne a donné un avis favorable à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne, comme vont l'indiqueront nos rapporteurs, Jérôme Lambert pour la Bulgarie et Jacques Myard pour la Roumanie, qui ont suivi depuis le début de la législature le processus d'adhésion de ces deux pays. Je tiens ici à saluer l’excellent rapport d’Hervé de Charette.

En procédant à la ratification du traité d'adhésion, la France – l’un des plus fermes soutiens à ces candidatures – respecte son engagement et permet à ces deux pays amis de réintégrer la famille européenne. Parallèlement, l'Union poursuit, avec succès, la réunification du continent.

Le traité d'adhésion a été signé le 25 avril 2005 et doit être ratifié par les 25 États membres. La décision finale devrait être prise lors du Conseil européen du 20 octobre, sur recommandation de la Commission, qui peut encore activer la clause de sauvegarde générale. Elle a publié régulièrement un rapport de suivi et a su faire preuve d'objectivité, et même de fermeté. D'ici là, les deux pays doivent encore fournir des efforts.

La Roumanie a effectué des progrès considérables dans des domaines aussi essentiels que la réforme de la justice, la lutte contre la corruption de haut niveau et la criminalité organisée. Des améliorations sont encore à fournir dans des domaines techniques, relevant surtout de la capacité administrative. À cet égard, on peut saluer la coopération menée depuis deux ans entre l'Assemblée nationale et la Chambre des députés de Roumanie dans le cadre d'un programme Phare de préadhésion.

En Bulgarie, la Commission a relevé des insuffisances dans le domaine judiciaire et dans la lutte contre la corruption. Néanmoins, les autorités politiques bulgares se sont engagées et le procureur général, homme clé de l'organisation judiciaire, a été changé.

Pour les deux pays, le processus d'adhésion ne se terminera pas le 1er janvier 2007 : il devra donner lieu à des adaptations continues aux règles européennes, notamment dans le domaine agricole. Les exploitations, nombreuses, n’ont pas une compétitivité correspondant au marché actuel.

En ratifiant aujourd'hui le traité d'adhésion, nous espérons que les derniers États membres qui ne l'ont pas encore fait suivront notre exemple. L'idéal serait que le processus soit achevé avant le sommet de la francophonie qui se tiendra à Bucarest à la fin du mois de septembre 2006.

Un cycle s'achève. L'Union doit maintenant prendre son temps avant d'intégrer les autres pays de la famille européenne et s'atteler à la réforme de ses institutions, pour éviter la paralysie. Lors du dernier Conseil européen des 15 et 16 juin, les chefs d'État et de gouvernement ont reconnu qu'il n'était pas possible d'en rester au traité de Nice. Il faut saluer la décision franco-allemande d’élaborer d’ici 2008 de nouvelles propositions. L'Union doit aussi définir un modèle de relations privilégiées avec son voisinage. Pour moi, cela doit viser la Turquie, qui ne souhaite toujours pas reconnaître Chypre, pourtant membre de l’Union européenne, et dont l’entrée est incompatible avec les exigences de l'union politique. Je suis favorable à la réunification de l’Europe, mais non à l’élargissement pour l’élargissement, qui est contraire à l’ambition française d’une Europe politique. Les Balkans ont évidemment vocation à intégrer l’Union, mais l’Europe a le droit et le devoir de décider d’une pause, afin de changer les institutions, de se renforcer et de définir un partenariat privilégié (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jérôme Lambert - La ratification du traité d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne marque le terme d’un processus vieux de dix ans. Une nouvelle fois, le visage de l’Europe va changer de contours. Avec l’intégration de ces deux pays balkaniques, notre continent poursuit son union. Des Européens rejoignent d’autres Européens pour construire un projet politique commun.

La Roumanie et la Bulgarie comptent trente millions d’habitants, soit 6 % de la population européenne. Leur poids économique est faible mais leur développement manifeste, avec un taux de croissance trois fois supérieur au nôtre.

Au milieu de la morosité et du scepticisme ambiants, leur adhésion nous rappelle que la foi en l’Europe perdure. N’oublions pas tout ce qu’elle nous a apporté et les espoirs qu’elle continue d’incarner. Comment nos pays pourraient-ils affronter seuls les problèmes que pose une économie libérale sans cesse plus affranchie de l’intérêt des peuples et gouvernée par le profit ? Notre histoire et notre culture communes sont les piliers sur lesquels nous devons édifier un nouvel avenir.

Certes, l’imparfaite construction européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins. Pourtant, que les peuples des marges de l’Union souhaitent y adhérer prouve que nous avons eu raison de mener cet effort depuis un demi-siècle. Notre nombre n’est pas un obstacle à la réussite, car l’union fait notre force. La réflexion nécessaire et audacieuse qui doit s’engager sur notre avenir commun doit permettre à chacun de trouver sa place dans un monde plus harmonieux.

La Roumanie et la Bulgarie souhaitent participer à cet avenir. Européennes par la géographie et par la culture, ces deux nations manifestent une forte volonté d’adhésion, tant populaire que politique. Le processus engagé est évident et inéluctable.

L’Europe politique d’aujourd’hui est loin de ressembler à celle des fondateurs, et ne peut en être le simple prolongement. Le projet de Constitution européenne, qui s’en inspirait, a montré ses limites : les peuples de deux pays fondateurs l’ont rejeté. L’Europe actuelle est loin d’être aussi homogène que celle des années 1950 : aux problèmes nouveaux, il faut répondre par des solutions nouvelles.

Bienvenue à la Roumanie et à la Bulgarie. Notre proximité historique et culturelle avec ces deux nations amies doit nous encourager à y développer nos investissements.

D’aucuns voient une menace dans cet élargissement qu’ils souhaitent reporter. À ce titre, je regrette que le débat en cours à la Commission européenne interfère avec la ratification du traité, qu’il ne remet pas en cause. Ce processus d’adhésion, acté par un traité et approuvé par le Parlement européen, a d’ailleurs déjà été ratifié par dix-sept États membres. La Commission discute de mesures d’accompagnement de l’adhésion, comme le gel des accords européens dans certains domaines en cas de difficultés persistantes. De telles clauses de sauvegarde particulières existent déjà pour les dix membres entrés en 2004, en matière d’installation de leurs ressortissants dans l’Union et de politique monétaire ou douanière, par exemple. Les exceptions temporaires n’empêchent pas l’Union de fonctionner. Je ne peux me résoudre à croire à l’hypothèse d’une clause de sauvegarde générale, qui reviendrait de facto à reporter les adhésions roumaine et bulgare d’un an. Une telle mesure entraverait le retour du climat de confiance indispensable aux réformes qui s’imposent. En tout état de cause, les propositions auxquelles travaille activement la Commission devront être unanimement approuvées par le Conseil européen, en association avec notre Parlement et le Gouvernement.

Le débat, pourtant, n’est pas technique. Aujourd’hui, la représentation nationale doit voter solennellement l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie au sein de l’Union européenne, et les y accueillir comme il se doit, compte tenu des liens historiques, linguistiques et culturels qui nous unissent à elles et qu’il faudra encore renforcer. (Applaudissements de M. Jacques Myard et sur les bancs du groupe socialiste)

M. Philippe Folliot – L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ne peut que profiter à l’Union européenne. Ces deux pays ont déjà bénéficié d’importantes aides de pré-adhésion pour intégrer l’acquis communautaire : 3,53 milliards pour la Bulgarie et 6,8 milliards pour la Roumanie. S’ils sont des partenaires économiques importants, des efforts restent encore à fournir en matière de consolidation de la démocratie et de contrôle des frontières. En outre, alors que la crise politique frappe l’Europe, le groupe UDF est attaché à privilégier l’approfondissement des institutions plutôt que l’élargissement de l’Union.

L’adhésion de ces deux pays n’en est pas moins positive pour la France et pour l’Union. La constitution d’un grand marché unique de 480 millions d’habitants permettra à la France de dynamiser ses échanges avec la Roumanie et la Bulgarie, dont elle est respectivement le troisième et le sixième partenaire avec un solde commercial positif. De nombreuses entreprises françaises se sont déjà implantées en Roumanie et Bulgarie, employant environ 78 000 personnes dans des secteurs aussi stratégiques que la banque, les télécommunications, l’eau, l’énergie, la grande distribution, les biens d'équipements, l'industrie pharmaceutique et agroalimentaire, ou encore le textile. Avec 11 % du stock des investissements directs étrangers, la France est ainsi devenu un des plus importants investisseurs en Roumanie.

Tout aussi fondamental est l'enjeu géopolitique de l'intégration de ces deux pays, la Bulgarie étant membre de l'OTAN, et remplissant – comme d’ailleurs la Roumanie – un rôle de stabilisateur dans la zone des Balkans.

Soulignons enfin l'importance que revêtent ces deux pays pour la francophonie, dont le Xle sommet se déroulera en septembre prochain en Roumanie, pays où près de 20 % de la population parlent le français. Lors du déplacement de la délégation parlementaire en Roumanie, les rencontres successives avec les responsables nationaux se sont ainsi presque exclusivement déroulées en langue française.

J’ajoute que la France cultive de nombreux partenariats avec la Roumanie, notamment au titre de la coopération décentralisée, dans des domaines aussi variés que l'éducation, la protection de l'enfance, la gestion locale ou la coopération intercommunale. L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie serait donc un véritable atout pour notre langue, dont l'influence au sein de l'Union européenne n'en sera que renforcée.

Il n’en reste pas moins que des problèmes subsistent. Le rapport de la Commission européenne, remis le 25 octobre 2005, démontre ainsi que des efforts doivent encore être fournis dans la lutte contre le blanchiment des capitaux, dans le domaine de la pêche et de l'environnement, mais aussi de la politique sociale. Ces deux pays ont également accumulé d’importants retards en matière d'application des politiques communautaires relatives aux visas et à la lutte contre la drogue. Par ailleurs, les mécanismes de coopération judiciaire européenne ne sont pas assez intégrés, ce qui pourrait fragiliser la sécurité intérieure de l'Union.

La commission a enfin identifié des secteurs « particulièrement préoccupants » dans lesquels les candidats doivent impérativement redoubler d'efforts – le piratage et la contrefaçon, les structures d'accueil de la PAC, la sécurité vétérinaire, le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, la corruption, les capacités de contrôle et d'absorption des fonds européens, ou encore la criminalité organisée s'agissant de la Bulgarie.

Compte tenu de l’importance de ces sujets pour la stabilité de la zone Europe, des réserves importantes s’imposent et je vous invite, Monsieur le ministre, à prêter la plus grande attention à ces préoccupations.

Le rapport de la commission des affaires étrangères du Parlement européen a de même souligné que les progrès n'ont pas été suffisants dans de nombreux domaines. Faisant état de « retards persistants » dans la lutte contre la corruption et dans l'application de la législation dans les domaines de l'agriculture, des marchés publics et de l'environnement, la commission parlementaire invite la Roumanie à prendre des mesures immédiates afin de pouvoir adhérer à l'Union le 1er janvier 2007.

Les députés ont déploré également les mesures discriminatoires qui subsistent dans les lois électorales roumaines et qu’a repris le projet de loi sur les minorités, réclamant l'adoption dans les plus brefs délais possibles d’une législation conforme aux critères de Copenhague.

N’oublions pas non plus la problématique du peuple Rom, ou tzigane, qui représente une importante communauté en Bulgarie et en Roumanie, mais aussi dans d'autres pays d'ex-Yougoslavie et de l'ancien bloc communiste. Rappelons que le droit de se déplacer dans l’Union européenne n’est pas un droit à l’installation.

Certes, l’adhésion de ces deux pays n'est plus contestable et un report d'une année supplémentaire serait peu acceptable, mais je voudrais profiter de ce vote pour souligner l'urgence d’une réflexion sur l'identité européenne et l’élargissement.

Une fois que la Roumanie et la Bulgarie auront intégré l'Union européenne, il faudra en effet se concentrer sur la réussite de leur intégration et la coordination de leurs systèmes internes avec ceux des autres États membres. Espérons que la transition de cinq ans qui leur est accordée pour certaines politiques communes leur sera salutaire. Afin d’éviter tout dumping, nous devons ainsi veiller à l’intégration de la politique sociale et à l’harmonisation des politiques fiscales.

L'adhésion de ces nouveaux pays n’ira pas sans provoquer des blocages au sein du fonctionnement institutionnel européen. Compte tenu des difficultés qu'a suscitées l'adhésion des dix pays d'Europe centrale et orientale en mai 2004, nous devrons également réformer en profondeur le mode de fonctionnement des institutions européennes.

L'Union européenne traverse en effet une grave crise politique depuis le rejet du traité constitutionnel. Depuis longtemps, l'UDF souhaite que soit posée la question de l'identité de l'Europe et de ses frontières : si la Bulgarie et la Roumanie ont vocation à rentrer dans l'Europe, il n'en va pas de même pour tous les pays candidats, pour certains desquels des partenariats privilégiés constitueraient une solution plus satisfaisante. Si l'Europe doit s'approfondir, elle doit d'abord se définir en tant que telle et réformer ses institutions pour devenir un espace social et politique réussi.

Je rappellerai enfin le souhait de l'UDF que le Parlement soit désormais consulté sur les futurs élargissements avant toute ratification par référendum. J’ajoute que seul un vote solennel à l'Assemblée aurait été à la hauteur de la volonté et du besoin d’Europe des nouveaux États membres. Il y va de l'avenir de nos citoyens, et il paraît légitime que leurs représentants soient associés.

Sous ces réserves, le groupe UDF approuvera le projet et souhaite la bienvenue à la Roumanie et la Bulgarie dans l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs de la commission)

M. Christian Philip - Je crois à l'idée européenne, à une Europe forte qui rendra plus forte la France en son sein. Je crois en une Europe élargie, facteur de paix et de démocratie. Nous ne pouvons refuser l'adhésion de pays incontestablement européens même s'ils sont éloignés du nôtre, car l'Europe ne se limite pas à l'Europe de l'Ouest.

Oui, je crois à l'idée européenne : j’ai consacré à son étude et son enseignement toute ma vie professionnelle, et cette conviction est la source de mon engagement politique aux côtés de Raymond Barre. J’ai vécu le 1er mai 2004 comme une fête, un moment historique, car l'élargissement fut une réunification, l'aboutissement d'un combat de cinquante ans pour mettre fin à la coupure de l'Europe issue de la seconde guerre mondiale. Vous imaginez combien j’ai été déçu que nous ne sachions pas faire partager à nos compatriotes de tels sentiments.

La présence de la Bulgarie et de la Roumanie à la table européenne me semble si incontestable que je devrais me réjouir que ces deux États puissent rejoindre ceux qui sont entrés il y a deux ans. Je le devrais d'autant plus que ces deux pays ont avec la France des liens étroits, au point que c'est à Bucarest que se tiendra à l’automne le sommet de la Francophonie. Mais parce que je crois à l'idée européenne, je ne peux que m'interroger sur le moment et les conditions de la ratification de ces deux traités d'adhésion.

Le moment me semble en effet bien mal choisi, car nous n'avons pas organisé en 2004 de débat public sur l’élargissement, ce qui nous aurait pourtant permis de convaincre nos compatriotes que ce défi était une chance à saisir. En votant « non », les Français n'ont pas refusé l'idée européenne, mais ils ont dit clairement qu'ils ne comprenaient plus ce qu'était devenue l'Europe d'aujourd'hui : où va-t-elle et avec qui ?

En l’absence de tout « plan B », les Français attendaient, et attendent toujours, qu'on leur explique pourquoi nous avons besoin d'un nouveau traité constitutif, et avec quels pays nous entendons bâtir l’Union, c’est-à-dire selon quelles frontières. Hélas, nous n’avons pas su répondre à cette double interrogation.

M. Jérôme Lambert - Ils ont la réponse, il suffit de les écouter !

M. Christian Philip – Et pourtant nous décidons d'ouvrir des négociations d'adhésion avec deux nouveaux pays, dont l'un n'appartient pas à l'Europe d’après la majorité de nos concitoyens, et nous ratifions aujourd'hui l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie…

Dans la bouche de mes étudiants et de mes électeurs, j’entends les mêmes interrogations : l'Union ayant décidé de marquer une pause de réflexion sur le traité constitutionnel, même si l’on a demandé à l'Allemagne de préparer une relance du processus à la fin de sa présidence, n’aurait-il pas été logique de marquer la même pause en matière d'élargissement ?

Parce que nos compatriotes pensent que l'Europe refuse de comprendre le « non » de l'an dernier, ils s'écartent encore davantage de cette Europe : si nous soumettions aujourd'hui à référendum ces deux traités d'adhésion, la réponse des Français serait incontestablement « non ». Notre ratification sera donc incomprise et elle n’aidera pas les Français à se réapproprier l'idée européenne !

L’Europe ne peut plus se faire sans les peuples, nous a déclaré le ministre. Il a raison mais je regrette que nous l’oubliions encore ce soir. Certes, je n’ignore pas les promesses faites à la Bulgarie et la Roumanie, ni les engagements pris, ni le processus déjà engagé. Je sais qu’un refus n’aurait pas été compris, et je sais que ces deux pays espèrent que l’entrée dans l’Union accélérera le règlement de leurs problèmes institutionnels et leur développement économique.

Je sais également que la responsabilité d'un Gouvernement et celle du Parlement n'est pas de suivre nécessairement l'opinion, mais d'apprécier la décision à prendre en fonction de l'intérêt de la France. Je sais qu’un refus n'aurait pas été accepté par nos partenaires et qu’il aurait ouvert avec deux pays amis et francophiles une crise dont nous serions les premiers perdants. Mais le moment est mal choisi !

Les conditions de ratification des traités d'adhésion ne sont pas plus satisfaisantes. Certes, ces deux pays ont fait d’importants progrès depuis le refus de 2004, mais ils ne suffisent pas. Les conditions fixées n’ont pas été remplies. La Commission ne l’ignorait pas lorsqu’elle a donné un avis favorable à la conclusion des négociations, ni le Conseil quand il a autorisé la signature des traités, mais le courage a manqué pour repousser encore l’adhésion. La Commission a certes reporté à octobre son avis définitif, mais qui peut encore penser qu’elle osera demander un report à quelques semaines de l'échéance, une fois que les 25 auront ratifié les traités ? Et qui peut douter que le Conseil se réfugie derrière cet avis pour donner son aval ? Tout au plus demandera-t-on la mise en œuvre de quelques clauses de sauvegarde pour donner l'impression de ne pas céder. Ce sera reconnaître de fait que la Roumanie et la Bulgarie ne sont toujours pas prêtes. En tout cas, c’est ce que l’opinion publique retiendra, comme elle retiendra que nous serons contraints de refaire ce que nous faisons aujourd’hui avec les autres pays qui frappent à la porte de l’Union, dont la Turquie. Elle a compris que le processus, une fois engagé, est irréversible. Certes, la révision constitutionnelle introduisant le référendum changera les choses, mais si l’on se montre insuffisamment ferme aujourd’hui, qui croira qu’on le sera davantage demain ? Nous préparons ainsi une nouvelle crise.

Voilà pourquoi, même si j’ai envie de souhaiter la bienvenue à la Roumanie et à la Bulgarie, j’avoue mon hésitation. Ni dire oui ni dire non à la ratification ne me satisfera. Pendant longtemps, je me suis convaincu que, militant européen et député français, je devais voter cette ratification parce que la Bulgarie et la Roumanie sont évidemment des pays européens et parce qu’il serait injuste d’en faire les victimes de la crise actuelle. Mais parce que je crois à l’Union, j’ai aussi de plus en plus conscience que nous ne pouvons pas laisser se creuser davantage un fossé entre les Français et l’Europe. Il faut dire à nos compatriotes que nous entendons leur message. Nous devons leur proposer d’urgence un nouveau contrat avec l’idée européenne. Il faut que la déclaration prévue pour le 25 mars 2007, cinquante ans après la signature du traité de Rome, ne constitue pas une nouvelle déclaration sans contenu mais énonce nos objectifs communs pour l’avenir.

Finalement, avec tristesse, mais parce que je crois à l’Europe, parce que nous ne poursuivrons pas notre combat pour l’Europe contre les Français et parce que l’Europe doit se ressaisir, je ne voterai pas la ratification. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Dufau – Par un heureux hasard de calendrier, j’étais ce matin à Bucarest. Président du groupe d’amitié franco-roumain, j’ai eu l’honneur de clôturer le programme de jumelage européen Phare qui vise à former les parlementaires et les hauts fonctionnaires roumains. Vous imaginez l’impatience des autorités roumaines et bulgares concernant notre vote, comme vous mesurez leur espérance !

La ratification est de fait un moment décisif. Il s’agit tout d’abord de l’aboutissement d’un engagement réciproque entre la Bulgarie, la Roumanie et l’Union. L’adhésion n’est pas « un long Danube tranquille ». La Bulgarie et la Roumanie sont liées à la communauté européenne depuis les accords européens entrés en vigueur en février 1995, l’année de leur candidature à l’adhésion. Les négociations ont été ouvertes le 15 février 2000 pour aboutir le 25 avril 2005 au traité de Luxembourg signé par les deux pays comme par les vingt-cinq États membres actuels de l’Union. Pendant cette période, les crédits européens de pré-adhésion distribués dans le cadre des programmes Phare, Ispa, Sapard ont atteint 3,5 milliards pour la Bulgarie et 6,8 milliards pour la Roumanie. Enfin, le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004 a entériné la conclusion des négociations et confirmé l’adhésion au 1er janvier 2007. Conformément au traité de Luxembourg, les 27 États concernés doivent se prononcer avant le 31 décembre 2006. Tous les observateurs reconnaissent les efforts considérables et les progrès sensibles accomplis par la Bulgarie et la Roumanie sur les 31 chapitres ayant fait l’objet des négociations. Tout n’est évidemment pas parfait pour autant, mais la situation de ces pays est comparable à celle d’autres États déjà membres. Non seulement attendre le 1er janvier 2008 n’apporterait rien d’essentiel mais ce serait une suprême humiliation qui susciterait rancœur et ressentiment. Il faudra toutefois accompagner pendant plusieurs années la Bulgarie et la Roumanie dans leur développement économique certes mais également dans leur développement social. Peut-être a-t-on d’ailleurs eu tort de considérer l’Union simplement comme un grand marché.

La Commission européenne a choisi de différer sa décision au mois d’octobre. J’y vois une ultime pression pour que la Bulgarie et la Roumanie ne relâchent pas leurs efforts, mais je ne doute pas de la décision finale, qui pourrait être assortie de clauses de sauvegarde générales – même si je n’y crois pas – ou particulières. L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie au 1er janvier 2007 et dans un même élan me paraît probable, et il me paraît certain qu’il faudra mettre en place un suivi de ces pays après leur adhésion, pour contrôler notamment la pertinence de l’utilisation des fonds structurels.

La Bulgarie et la Roumanie ont toujours entretenu des relations privilégiées avec la France. Les liens historiques sont connus, spécialement avec la Roumanie. « C’est la famille ! », disait le général Berthelot au maréchal Foch lors du passage d’un détachement roumain pour le défilé du 11 novembre 1919. Je n’oublie pas non plus ce que nous devons à Ionesco ou à Cioran. Aujourd’hui, la France est le troisième partenaire économique de la Roumanie et nos entreprises occupent une place importante dans l’industrie automobile ou la grande distribution. Vingt pour cent des Roumains sont francophones et le français est la deuxième langue étrangère enseignée en Roumanie. Ces pays, dont la croissance oscille entre 4 % et 8 % ces dernières années, offrent des débouchés importants pour nos entreprises. Le sommet de la francophonie qui rassemblera 63 délégations en septembre prochain à Bucarest, constituera un moment fort. La ratification du traité par notre Assemblée en fera un traité historique et aura un impact décisif, compte tenu de la situation géopolitique et géostratégique de ces deux pays.

L’Union a appliqué à la Bulgarie et à la Roumanie le dispositif des périodes transitoires sur la libre circulation des travailleurs. Compte tenu de la situation de son marché de l’emploi, la France appliquera aux travailleurs de ces deux pays son système d’autorisation administrative, pendant cinq ans après l’adhésion. Gardons-nous donc de tout fantasme à ce sujet. D’autre part, une fois devenues États membres, la Bulgarie et la Roumanie n’intégreront pas de façon automatique l’espace Schengen. Les contrôles aux frontières intérieures de l’Union entre ces deux pays et les États de l’espace Schengen seront maintenus. Leur entrée future dans cet espace sera subordonnée à l’application des critères adéquats et à une décision unanime des États membres. Mais la Bulgarie et la Roumanie constitueront la frontière extérieure de l’Union aux confins de l’Ukraine, de la Russie et du Proche-Orient.

Ainsi, renforcer les liens entre la France et ses alliés francophones n’est pas anodin. L’axe politique et diplomatique Paris–Bucarest–Sofia sera très important. C’est d’autant plus vrai qu’après l’élargissement de l’Union à la Roumanie et à la Bulgarie, il convient de marquer une pause dans le processus d’élargissement afin de réfléchir aux institutions européennes ainsi qu’à l’harmonisation fiscale et sociale : la concurrence libre et non faussée ne constitue pas, en effet, une valeur suffisante pour fonder l’Europe. Je regrette à ce propos la timidité des États membres pour doter l’Union du budget dont elle a besoin : ce n’est pas avec 1,049 % du PIB des États membres que l’Europe pourra relever les défis de l’emploi et du progrès social !

On ne peut laisser la Roumanie et la Bulgarie au milieu du gué. Ces pays ont besoin de l’Europe et la France se doit de leur ouvrir la porte. Responsable et lucide, le groupe socialiste votera donc en faveur de la ratification du traité d’adhésion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Chantal Brunel - C'est à titre personnel que je vous fais part, Monsieur le ministre, de mes réserves sur l’adhésion à l’Union de la Roumanie et de la Bulgarie au 1er janvier 2007. C'est en effet trop tôt pour trois raisons : ces pays ne sont pas prêts, cela alourdira le fonctionnement de l'Europe et les Français n'y sont pas favorables.

Ces pays ne sont pas prêts. Le rapporteur à l’élargissement a constaté de graves manquements aux règles communautaires dans les domaines de la criminalité organisée et de la lutte contre la fraude, la corruption et le blanchiment d'argent pour la Bulgarie, et dans la gestion des fonds structurels pour l'agriculture, pour l'environnement et pour la sécurité alimentaire pour les deux pays – sans parler des droits de l’homme. Nul ne peut par ailleurs ignorer les problèmes que nous rencontrerons en matière de fraude avec des États dont l'ossature juridique et administrative est insuffisante.

Le fonctionnement d'une Europe à 25 est déjà chaotique. Qu'adviendra-t-il d'une Europe à 27 où chaque État a le même pouvoir de blocage et le même souci de défendre ses intérêts ? Pourquoi accueillir si vite deux nouveaux pays, alors que l’on déplore déjà chez certains États membres des pratiques de dumping fiscal ou social et le refus de respecter les droits de propriété industrielle et commerciale ? Le refus d'un élargissement non maîtrisé – et insuffisamment préparé lors du passage à 25 – a d'ailleurs été une des causes du rejet par les Français du projet de constitution européenne. Il aurait fallu se doter de cette constitution avant de procéder à un nouvel élargissement. Le traité constitutionnel apportait certes des améliorations par rapport au traité de Nice, mais nos concitoyens ne sont pas entrés dans ces subtilités. Ils ont considéré que la France allait se diluer dans un ensemble incertain et mouvant. Il est donc indispensable d'aboutir sur le plan des institutions avant d’admettre de nouveaux États membres.

Beaucoup de Français ne sont pas favorables à l'élargissement. Il y a bien sûr la grande peur des délocalisations, mais aussi la crainte de la compétition au « moins-disant social ». Avant d'admettre de nouveaux membres, il faut donc se mettre d'accord sur des objectifs et sur un calendrier d’harmonisation sociale et fiscale. Certes, les travailleurs bulgares et roumains ne bénéficieront pas de la libre circulation des personnes pendant une période transitoire, qui peut aller jusqu'à sept ans. Mais les contrôles seront-ils efficaces ?

Si des promesses ont été faites, nous nous devons de privilégier la solidité de l'édifice qu'est la construction européenne. L'Europe doit trouver un consensus sur ses frontières, ses institutions, son budget, sa vision du social et de l’économique. Nous devons être intransigeants quant aux conditions d'admission de nouveaux membres et veiller à ce que les élargissements ne provoquent aucun déséquilibre. Après la Bulgarie et la Roumanie, viendra le problème de l'adhésion de la Turquie. Certes, le chef de l'État s'est engagé à demander aux Français de se prononcer par référendum. Mais là aussi, des promesses ont été faites et des négociations engagées ; on nous expliquera qu'il est difficile de refuser un pays qui a commencé à se réformer. L'entrée dans l'Union est une source d'enrichissement et de développement pour ces pays, mais pour beaucoup de nos concitoyens, cette Europe, synonyme de mondialisation et d'ultralibéralisme, menace nos emplois et nos acquis sociaux.

Je suis donc convaincue qu'en reportant à 2008 l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, et en mettant à profit cette période, nous servirons la cause européenne. Il ne s'agit pas de frilosité ; il s'agit d'avancer de manière réaliste et acceptable pour nos concitoyens.

M. Jean-Louis Bernard - Très bien !

M. François Loncle - Il va de soi que, pour notre part, nous ratifierons le traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne, pour les raisons évoquées par mes collègues Jérôme Lambert et Jean-Pierre Dufau et pour celles que mentionnent les excellents rapports de Jérôme Lambert, Jacques Myard et Hervé de Charette.

L’élargissement à l’Est concernait à l’origine douze pays. Dix d’entre eux, dont huit appartenaient à l’ancien bloc soviétique, ont rejoint l’Union le 1er mai 2004. La Bulgarie et la Roumanie auront attendu trois années de plus. Cependant, beaucoup d’entre nous l’ont vérifié, le travail accompli dans ces deux pays est considérable. Parce que l’identité européenne y est forte, parce que ce sont des pays du sud du continent, dont nous avons besoin pour assurer un équilibre au sein de l’Union, et parce que leur appartenance à la francophonie est incontestable, ils conforteront notre Union. Cet élargissement s’impose donc, mais il doit ouvrir la voie à une réflexion sur le devenir de l’Europe.

La géographie fait souvent l’histoire : les pays de l’ex-Yougoslavie ont aussi vocation à nous rejoindre, comme l’a fait la Slovénie en 2004 et comme le fera la Croatie, dont le niveau de préparation est comparable à celui de la Bulgarie et de la Roumanie. Bien des progrès doivent certes être accomplis, et il faudra démontrer à nos peuples que l’Europe se construit par le haut. En attendant, il faut mener une vraie réflexion sur les frontières ultimes et l’organisation future de notre continent. Nous ne pouvons plus continuer dans l’incertitude et dans l’ambiguïté. Se borner à décréter une pause dans l’élargissement n’est pas davantage acceptable. S’il faut mieux prendre en compte les intérêts et les capacités de l’Union, il faut surtout débattre et informer. En 1991, la commission des affaires étrangères, présidée alors par Michel Vauzelle, avait lancé un travail approfondi sur les limites géographiques, à partir d’un rapport de l’excellent géographe Michel Foucher. Quinze ans plus tard, la question est pourtant toujours taboue. Or, l’attentisme conduit à la pire des situations, celle que nous vivons depuis quelques années en Europe, faute de volonté politique : la fuite en avant. Les élargissements permanents et le refus de répondre aux interrogations des citoyens ont participé du rejet français et néerlandais de la construction européenne. Comme l’écrivait récemment Hubert Védrine, « ce que les Français et les Néerlandais ont clairement rejeté, c’est une forme de construction européenne telle qu’elle a été progressivement imposée aux peuples et aux nations depuis plusieurs années : prédominance du seul marché comme système de régulation sociale, nivellement bureaucratique des spécificités nationales, obstacles à la libre circulation, élargissements successifs et rapides mal préparés, diluant la possibilité d’une Europe politique, éloignement des décisions et sentiment partagé d’une tromperie de la part des défenseurs du « oui », qui continuaient à affirmer que l’Europe protège un modèle social en fait miné de l’intérieur… Derrière ce rejet d’une forme politique, s’est exprimé le refus d’admettre que ce qui fait l’identité de la nation soit devenu illégitime sous prétexte que l’intégration européenne postule l’effacement des nations. »

Pour sortir de la crise et promouvoir une Europe ambitieuse et harmonieuse, « différenciée », pourquoi ne pas revenir à l’Europe des trois cercles imaginée par François Mitterrand, Laurent Fabius et bien d’autres ? Au centre, on trouverait les pays les plus « euro-volontaires » – par exemple la zone euro –, unis autour de projets communs et partageant la même conception de leur actions dans la mondialisation ; au-delà, les États membres de l’Union, et à la périphérie, ceux avec lesquels un partenariat privilégié s’impose – Turquie, Ukraine, pays de la zone méditerranéenne. Bref, oui au traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie – c’est le sens de l’histoire ; non à la fuite en avant ; et oui à un grand débat sur les finalités de l’Union ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Myard - J’ai eu le privilège d’effectuer, pour la Délégation pour l’Union européenne, deux missions en Roumanie, en décembre 2003, puis en mars 2006. J’atteste qu’entre ces deux dates, ce pays a accompli des progrès économiques et politiques considérables. Il n’y a donc aucune raison de différer son entrée dans l’Union européenne. Dans son rapport du 16 mai dernier, la Commission européenne a d’ailleurs admis que la Roumanie satisfait désormais aux critères d’adhésion et qu’elle dispose d’une économie de marché viable. Quant à la reprise de l’acquis communautaire, elle reconnaît que ce pays a atteint un niveau très élevé d’alignement de sa législation, et je sais qu’elle a atteint la même conclusion pour ce qui concerne la Bulgarie.

À mes yeux, la Roumanie est qualifiée pour entrer dans l’UE au 1er janvier 2007. Toutefois, la Commission a pris prétexte de quelques points techniques et secondaires pour différer à octobre sa recommandation d’entrée. Elle souligne notamment des insuffisances en ce qui concerne l’agrément d’organismes payeurs opérationnels pour la PAC, le système intégré de contrôles dans l’agriculture ou la mise en place d’installations d’équarrissage… C’est en effet vital pour la survie de l’Union ! À l’évidence, le paroxysme d’une vision technocratique est atteint dans ces remarques : décalées par rapport aux enjeux, elles posent le problème de la place de la Commission. En décembre dernier, à cette tribune, le président Balladur disait qu’il fallait la placer sous l’autorité du Conseil et, à l’évidence, la mesure s’impose !

Les enjeux de l’adhésion des deux candidats sont politiques et géostratégiques. L’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie s’inscrit dans la logique de la reconstruction du continent européen après la chute du Mur de Berlin. L’enjeu est là, pas dans une vision technocratique et réductrice. Cela ne signifie pas que tout va être réglé au 1er janvier 2007. Les deux pays ont encore beaucoup à faire pour se mettre à niveau, comme nous d’ailleurs ! Et je me fais souvent la réflexion que, si on nous avait obligés au strip-tease auquel on contraint les États candidats, il n’est pas sûr que nous aurions été qualifiés dans tous les domaines ! (Sourires)

Il est de notre intérêt politique de faire entrer ces pays dans l’Union. Au plan national, la Roumanie est l’un des États des Balkans qui cultivent depuis toujours des liens avec la France. « Saluez, Foch, c’est la famille ! » L’apostrophe lancée le 11 novembre 1919 sur les Champs-Élysées par le général Berthelot est restée ancrée dans la mémoire populaire roumaine.

Pays éminemment francophone, la Roumanie accueillera à l’automne le sommet de la francophonie. J’en profite pour rappeler, Monsieur le ministre, qu’il est parfaitement inadmissible que la Commission ait imposé l’anglais comme langue des négociations. J’en ai fait la remarque à la Commission et je regrette que le gouvernement français n’ait pas protesté officiellement. La multiplicité des langues est source d’enrichissement. Il ne faut pas accepter de s’en remettre à un « globish » décalé et aliénant. J’attends sur ce point quelques explications.

Au plan économique, la France est le premier investisseur en Roumanie, et aussi en Bulgarie, selon les secteurs et les années. C’est dire combien les liens qui nous unissent sont intenses et globaux.

L’adhésion des deux pays représente une chance pour l’organisation du continent. Cet élargissement – cela a été regretté par ceux qui refusent la réalité du monde – fait suite à l’entrée de dix autres États, il y a peu. Et j’espère que cette nouvelle entrée va ramener un peu de raison dans la construction européenne. Il y a là une occasion historique d’arrêter la dérive d’une construction européenne que rejette le peuple lui-même. Jusqu’à présent, on a raisonné en effet en termes d’« intégration » : c’était la formule magique, une sorte de credo intégriste tendant à inclure l’ensemble des nations européennes dans une superstructure supranationale omnipotente. Tout devait être régi selon les mêmes normes, non plus de Dunkerque à Tamanrasset, mais d’Helsinki à Salonique… L’esprit jacobin centralisateur avait gagné Bruxelles ! Mais ce qui est envisageable dans un cadre national devient incongru au-delà. C’est pourquoi il faut cesser de penser l’Europe comme un bloc et de rêver, cher Christian Philip, à des chimères comme l’Europe puissance… La réalité démontre chaque jour que cette idéologie est obsolète car elle correspond à l’époque révolue du monde bipolaire, à celle de la conférence de Messine, où l’on voulait voir dans l’Europe un nouveau bloc à même de concurrencer les deux Grands.

Aujourd’hui, il nous appartient de repenser l’Europe en fonction des réalités, en refusant l’esprit de système qui conduit à proposer un modèle pour contraindre les réalités nationales. Partir des réalités, c’est d’abord prendre conscience que le quantitatif pose un problème qualitatif. L’Europe à 27 est inéluctable et ne peut fonctionner comme celle des Six. Il y a quelques années, j’avais rédigé un article intitulé : « l’Europe doit s’élargir et s’amaigrir ». Nous avons franchi la première étape. Il convient d’engager la seconde avant que tout ne soit frappé d’apoplexie !

Un chiffre : il y a deux ans, la Roumanie devait intégrer 80 000 pages d’acquis communautaires ; deux ans après, nous en sommes déjà à 90 000 pages, et la machine à mouliner les textes continue de fonctionner.

L’Europe doit s’en tenir à l’essentiel. Le principe de subsidiarité doit prévaloir. La montée de la réglementation européenne doit être endiguée. L’autre élément d’évidence à prendre en compte – et je ne suis pas persuadé que cela ait pénétré beaucoup d’esprits –, c’est la globalisation, laquelle transcende la construction européenne en effaçant les frontières et les distances. Dans le village planétaire, nous sommes, maintenant, dans nombre de domaines, aussi proches des Américains et des Japonais que nous l’étions jadis des Belges ou des Allemands ! Le projet européen ne peut plus être exclusif de tous les autres. Lorsque il fallu se marier, Renault a choisi la geisha Nissan, Snecma General Electric, et Daimler Chrysler…

Du point de vue politique aussi, il faut regarder les choses telles qu’elles sont. Lors de la crise irakienne, le France a trouvé plus d’alliés hors d’Europe que parmi les États membres, la plupart d’entre eux s’alignant sur la position américaine. En redessinant la carte des Goethe Institut, l’Allemagne redéploie ses intérêts en Asie, là où sont les marchés émergents les plus porteurs pour elle. Tout cela prouve bien que nos intérêts – tout en étant européens – sont aussi mondiaux. Le système européen ne saurait être l’alpha et l’oméga de notre avenir. Nier ces réalités, c’est échouer à coup sûr. Il est donc évident que le projet européen doit s’adapter au monde, car ce n’est pas le monde qui s’adaptera à l’Europe.

Pour ma part, il n’existe pas une seule solution, mais plusieurs. Il y a d’abord les relations transnationales, en particulier dans le domaine économique : sans doute faut-il établir une certaine préférence communautaire, aujourd’hui dissoute dans le processus de globalisation. Il est patent que des normes doivent régir ces relations, sous l’autorité politique du Conseil, chargé par ailleurs de définir la politique industrielle qui fait aujourd’hui défaut. Un autre niveau est celui des États souverains. Il y a place, sur ce marché régulé, à une réelle union d’États, ayant vocation à développer les coopérations en tant que de besoin, entre Européens mais sans exclure les autres. Cette union d’États devra, à moyen terme, tendre à jouer le rôle d’une sorte de Conseil de sécurité européen, en incluant la Russie, Monsieur le ministre. Car la Russie participe de l’équilibre européen : rien de stable, rien de durable ne peut se faire sans elle, dans le cadre d’un système beaucoup plus souple que le dogme de l’intégration européenne.

Telles sont les raisons qui militent pour l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dès le 1er janvier 2007. L’Europe intégriste de papa est morte. Elle a été rejetée par les peuples parce qu’elle ne correspond plus à la réalité. Seule une Europe des nations, des coopérations multiples et des projets permettra de répondre à la nécessité de développer le dialogue entre tous les États du monde, dans le cadre d’une mondialisation maîtrisée et dans le respect de la libre souveraineté des peuples.

M. Christian Kert – L’essentiel de la mécanique de l’intégration ayant été parfaitement décrit, il n’est nul besoin d’y revenir, sauf pour rappeler que cette double adhésion obéit à une logique d’ensemble d’élargissement de l’Union européenne, envisagée au terme d’un travail long et rigoureux.

Je tiens à insister en premier lieu sur l’ancienneté de nos liens avec ces deux pays. Dans son excellent rapport, Hervé de Charette rappelle que la Bulgarie – ancienne Thrace, citée déjà par Homère – jette un pont vers le monde slave. Au moins aussi fort est l’ancrage de la Roumanie à l’Europe en général et à la France en particulier. En effet, la Roumanie est plus francophile encore qu’elle n’est francophone, et c’est avec raison qu’ont été rappelés les liens culturels séculaires qui nous unissent. La diffusion de notre langue en Roumanie remonte au XVIIIe siècle, lorsque les élites roumaines se formaient en Sorbonne. Dans le domaine politique, nos liens privilégiés découlent du rôle joué par Napoléon III dans la création du jeune État roumain – et Philippe Séguin se souvient encore avec émotion de l’accueil qui lui fut réservé à Bucarest, lorsqu’il vint y présenter son ouvrage consacré à cet empereur.

Sous le régime communiste, les liens ont persisté en dépit de tout, grâce, notamment, à la visite du général de Gaulle, en 1968, alors que beaucoup tournaient le dos à la Roumanie et ignoraient les souffrances de son peuple. Les événements de décembre 1989 ont scellé nos retrouvailles, en ces instants inoubliables où un peuple recouvrait sa liberté cependant que nous découvrions, médusés, que les Roumains, amoureux du français, le parlaient à la perfection.

M. le Ministre – Absolument.

M. Christian Kert - Parce que l'histoire explique le présent et l'avenir, parce que l'histoire guide les faiseurs de paix, notre histoire commune nous fait exigence de vivre ensemble l'avenir.

Sur le plan économique, la Roumanie est déjà dans l'Europe, puisqu'elle exporte 70 % de ses produits vers les pays de la Communauté. La France peut s'en réjouir, elle qui est déjà le troisième partenaire économique de ce pays et qui a participé à la recréation de son tissu industriel.

Le second argument, c'est celui de nos frontières. Contrairement à certains pays qui frappent à la porte de l'Europe sans avoir avec elle de continuité territoriale certaine, Bulgarie et Roumanie ne sont pas à nos frontières, elles sont nos frontières.

La Roumanie entend assumer un nouveau rôle au plan international avec comme objectif prioritaire de faire prendre en compte les problèmes de la région élargie de la Mer noire dans l'agenda euro-atlantique ; elle entend également instituer des relations de partenariat avec la Moldavie. Plus au nord, les relations nouvelles organisées sur le modèle franco-allemand laissent espérer un apaisement entre Roumanie et Hongrie.

Par ses relations privilégiées avec les États-Unis, par ses relations respectueuses avec la Russie et par le rôle qu'elle entend jouer dans la stabilisation des Balkans, la Bulgarie me paraît quant à elle susceptible d’aider l’Europe à asseoir le territoire d’une communauté apaisée.

En poussant plus loin les frontières d'une Europe pacifiée, l'entrée de ces deux pays nous incite à une autre réflexion sur les frontières. Cette entrée, l'une des dernières à s'organiser sans référendums nationaux, nous laisse penser qu'un temps de pause dans l'élargissement est désormais nécessaire. L'Europe aura bien travaillé, ces dernières années, aux processus d'intégration, mais les résultats du référendum sur le traité constitutionnel et les inquiétudes nées de la perspective de certaines entrées annoncées doivent nous inciter à un travail de réflexion sur l'avenir. Cette réflexion n'exige pas de geler les perspectives ; elle exige de savoir donner du temps au temps.

Le troisième argument est celui de la réponse à des inquiétudes nées des problèmes spécifiques aux pays entrants.

C'est probablement l'afflux d'immigrés en provenance de Bulgarie et de Roumanie qui aura suscité le plus d'inquiétude dans la population, alors que les décideurs politiques se sont plutôt émus des questions de stabilité intérieure, de lutte contre la corruption, de défense commune et de respect des accords Schengen. D’autres avant moi ont déjà dit le travail qu’ont effectué ces deux pays dans tous ces domaines, ainsi que dans d’autres, tels la lutte contre les discriminations ou l’amélioration de la sécurité sanitaire.

En améliorant les conditions de vie, en confortant les droits de l'homme et en sécurisant les populations, l'intégration dans la communauté européenne sera vraiment de nature à enrayer une immigration que les mauvaises conditions de vie, notamment celles faites aux minorités – et l'on pense ici à la minorité Rom – avaient favorisées.

Plus largement, on peut espérer que l'intégration européenne enrayera un autre mouvement, celui de la fuite des jeunes cerveaux, une fuite qui a pris à la fin des années 90 une tournure préoccupante. L’Europe nouvelle n’a pas le droit de se priver de ces intelligences.

Alors que nous étions quelques parlementaires à participer il y a trois ans, à Bucarest, à une session de formation, nous avions vu des étudiants déployer une banderole sur laquelle ils avaient écrit en grandes lettres bleues et en français : « J'ai fait un rêve, il s'appelle Europe ». Cela ne doit d’ailleurs pas nous faire oublier le recul de la pratique du français dans les jeunes générations. Le Sommet de la francophonie de septembre prochain arrive à point nommé pour enrayer le processus qui se développe depuis quelques années avec l’apparition de très nombreuses chaînes de télévision étrangères et la quasi-absence de programmes français. L’avènement de la future chaîne internationale française aidera peut-être à l’indispensable reconquête, Monsieur le ministre.

« J’ai fait un rêve, il s’appelle Europe », disaient donc les étudiants. Nous sommes heureux, au groupe UMP, de participer aujourd'hui, à la réalisation d'un rêve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Je vous remercie tout d’abord de la qualité de vos interventions, qui témoignent de votre engagement pour l’Europe, engagement à la fois chaleureux et exigeant.

L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie permet d’achever le cinquième élargissement, qui a débuté avec l’entrée de dix nouveaux États membres, le 1er mai 2004. Avec cet élargissement qui scelle l’unification du continent, l’Europe trouve sa géographie politique.

Les conditions d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ont été définies de façon rigoureuse. Les efforts consentis par ces deux pays ont été considérables. En Roumanie, la coalition issue du changement de majorité qui a eu lieu à la fin des années 2004 a mené une politique de réforme entièrement axée sur l’achèvement de sa préparation à l’adhésion. Je salue d’ailleurs le travail remarquable accompli par les ministres roumains de la justice et de l’intérieur, ainsi que l’action de mon homologue et de la ministre de l’intégration européenne. En Bulgarie, le Gouvernement issu du changement de majorité d’août 2005 a déclaré d’emblée que l’adhésion était sa priorité absolue et a su maintenir les efforts de l’équipe précédente. Sa détermination est forte, comme l’a montré sa réaction immédiate aux remarques de la Commission européenne du 16 mai. Un plan d’action a en effet été aussitôt arrêté pour régler d’ici la fin de l’année les six questions les plus importantes.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué les lacunes qui persistent en matière de lutte contre la corruption, la fraude et le crime organisé. Le rapport de la Commission du 16 mai montre effectivement que la Bulgarie doit encore obtenir des résultats dans ces domaines, tandis que la Roumanie doit consolider ses avancées.

Comme vous le savez, les ressortissants bulgares et roumains ne sont plus soumis depuis 2002 à une obligation de visa pour entrer sur le territoire de l’Union européenne. Une fois que ces deux pays seront entrés dans l’Union, les règles strictes sur la circulation et le séjour de leurs ressortissants continueront de s’appliquer. Les travailleurs bulgares et roumains souhaitant exercer une activité salariée se verront appliquer une période transitoire. Leur accès à notre marché du travail sera régi par notre droit du travail.

La Bulgarie et la Roumanie ne seront pas dès leur adhésion membres de l’espace Schengen. Les contrôles aux frontières seront donc maintenus entre ces pays, d’une part, et les pays membres de l’espace Schengen, d’autre part. La Bulgarie et la Roumanie devront néanmoins assurer un niveau élevé de sécurité aux futures frontières extérieures de l’Union.

L’ensemble des orateurs, et tout particulièrement M. Balladur et M. de Charette, ont évoqué le calendrier de l’élargissement. Un report de l’adhésion au 1er janvier 2008 peut intervenir si la Commission le propose et que le Conseil l’approuve. La Commission a réaffirmé à plusieurs reprises qu’elle n’hésiterait pas, si nécessaire, à proposer ce report, conformément au rôle que lui confère le traité d’adhésion. Elle se fondera pour cela sur une évaluation précise de l’état de préparation de ces pays. Je rappelle cependant, Monsieur Myard, que ce n’est pas la Commission qui décidera in fine de la date d’adhésion, mais bien les États membres.

Une seconde série de remarques me conduit à insister sur la chance que représente cet élargissement, tant pour les deux pays concernés que pour la France et l’Europe.

Le coût de leur adhésion est connu et parfaitement encadré. Le traité d’adhésion prévoit en effet que, dans les trois premières années suivant leur entrée dans l’Union, la Bulgarie et la Roumanie se verront allouer un peu plus de 16 milliards d’euros. Lors du Conseil européen de décembre 2005, nous avons veillé à une juste répartition de cet effort de solidarité, comme l’illustre la réduction du chèque britannique.

Au-delà des arguments économiques et de la chance que représente l’entrée de ces deux pays pour la croissance européenne, l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie sont aussi une chance pour la conception de l’Europe que nous défendons, qu’il s’agisse de notre attachement à la diversité culturelle ou de notre attention à la place du français. La Roumanie a en effet 20 % de sa population qui parle le français. Plus de la moitié des élèves y apprennent notre langue. La Bulgarie se place quant à elle au deuxième rang des pays d’Europe centrale et orientale enseignant le français.

Ces adhésions viennent en outre conforter notre conception de la place de l’Europe dans le monde. Je pense en particulier à notre conception de la défense. La Roumanie et la Bulgarie ont engagé une profonde restructuration de leurs forces armées. La France y participe par une coopération très importante.

J’évoquerai aussi notre conception de la nécessité d’une Europe agricole forte, que vient conforter l’adhésion de ces deux pays.

S’agissant de l’usage du français dans les instances européennes, Monsieur Myard, si les documents de travail sont le plus souvent rédigés initialement en anglais au niveau de la Commission, le groupe « élargissement », à Bruxelles, utilise le français et l’anglais, et ces deux langues seulement. Dans les réunions intergouvernementales, les langues officielles sont utilisées et les documents sont disponibles dans toutes les langues de l’Union. Soyez assuré que le Gouvernement veille scrupuleusement à ce que la place du français soit respectée. Je suis d’ailleurs certains que nos partenaires roumains et bulgares nous y aideront.

Monsieur le Premier ministre Balladur, vous avez rappelé les questions qui se posent aujourd’hui concernant l’élargissement, le vote à la majorité qualifiée et les rôles respectifs du Conseil et de la Commission. Une réforme du cadre institutionnel européen est plus que jamais nécessaire, voire, avec l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, obligatoire. Il reviendra à la présidence allemande de faire des propositions et à la présidence française d’obtenir des décisions à la fin du second semestre de 2008, comme l’a rappelé M. Lequiller.

S’agissant de l’avenir des politiques communes et de leur financement, nous aurons en 2008-2009, et sur la base du rapport de la Commission, un nouveau rendez-vous dans l’organisation duquel la future présidence française prendra une part active.

Ce débat est appelé à se poursuivre lors du Conseil européen de décembre. La Commission rendra un rapport spécial sur la capacité d’assimilation, dont M. Balladur a rappelé l’importance : elle est une condition essentielle pour l’adhésion et comporte trois aspects. Un aspect institutionnel, puisque l’Union doit se doter d’institutions adaptées à 27 États membres ; un aspect politique et financier, puisqu’il s’agit du contenu des politiques communes ; une dimension démocratique enfin, comme l’a rappelé M. Loncle, l’élargissement ne pouvant se poursuivre que s’il recueille l’assentiment des opinions publiques.

Permettez-moi de conclure en soulignant que ces deux adhésions, qui permettront de sceller l’unification du continent, ne rendent que plus indispensable la réforme des institutions selon le calendrier décidé lors du dernier Conseil. Enfin, les élargissements futurs dépendront de la capacité d’absorption : le Gouvernement, qui a contribué à faire reconnaître cette notion les 15 et 16 juin, continuera de la défendre. C’est ainsi seulement que les Français pourront se réapproprier l’idée européenne, comme l’ont rappelé MM. Balladur et Philip (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente - J’appelle l’article unique du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

L'article unique, mis aux voix, est adopté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe UDF).

M. Jérôme Lambert - Très bien !

La séance, suspendue à 19 heures 5, est reprise à 19 heures 10, sous la présidence de M. Warsmann.
PRÉSIDENCE de M. Jean-Luc WARSMANN
vice-président

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rendements des vins

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Antoine Herth, relative à la fixation des rendements des vins à appellation d’origine contrôlée pour la campagne 2006-2007.

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Permettez-moi de saluer la mémoire de René Renou, décédé le 19 juin et auquel la profession viticole a rendu un dernier hommage aujourd'hui. Président du Comité national des vins et eaux-de-vie de l'INAO, il a su défendre les appellations d'origine française, œuvrant pour que nos vins soient l'expression d'un terroir, et que leur qualité progresse vers l'excellence. Son sens des responsabilités l'a poussé, lors de la réunion du comité national des 1er et 2 juin, à faire adopter une résolution préconisant le maintien des rendements plafonds pour la campagne 2006-2007.

La viticulture française connaît une situation difficile, dans un contexte de surproduction mondiale. En 2005, le revenu agricole moyen par actif a baissé de 6,5 % en raison de cette crise et les stocks d’invendus augmentent, menaçant de déséquilibrer le marché. Les raisons de la crise sont multiples : augmentation des importations de vins du Nouveau monde ; baisse tendancielle de la consommation ; difficulté d'adapter les produits au goût fluctuant du consommateur et variabilité des rendements. Il devient impératif de réagir pour sauver un pan essentiel de notre économie agroalimentaire, pourvoyeuse d'emplois.

Les mesures européennes d'élimination des stocks par la distillation, appliquées lors de la dernière campagne et reconduites pour cette année, n’ont pas, bien que fortement encouragées par le Gouvernement, produit tous leurs effets. Une nouvelle récolte excédentaire fragiliserait encore la viticulture sous appellation d'origine, alors que la Commission européenne propose une réforme radicale et, sur bien des points, inacceptable.

Dans la perspective des négociations futures, qui s'annoncent serrées, la France serait en position de faiblesse si ses AOC devaient être atteintes. Ce contexte a motivé le dépôt de cette proposition de loi, et je veux remercier le Président de l'Assemblée nationale, le ministre chargé des relations avec le Parlement, et le président de la commission des affaires économiques de nous permettre de l'examiner dès aujourd'hui. Je remercie aussi le ministre de l'agriculture d’être présent.

C’est l'INAO qui fixe chaque année les rendements plafonds de chaque appellation, le Gouvernement entérinant cette décision sans avoir la possibilité légale de diminuer le rendement proposé. La présente proposition de loi comble cette lacune et anticipe les dispositions qui seront prises dans le cadre de l'ordonnance sur les signes officiels de qualité, dont le principe a été voté dans la loi d'orientation agricole.

Les débats en commission ont essentiellement porté sur la bonne articulation entre l’action du Gouvernement et celle de l'INAO. Le législateur souhaite le renforcement du rôle des organisations professionnelles et de l'Institut et la mise en œuvre de cette disposition ne peut se concevoir sans une étroite concertation entre le ministère et les professionnels concernés. Nous attendons du ministre qu’il nous éclaire sur ce point.

Je vous remercie d’accorder à cette proposition de loi toute l’attention qu’elle mérite : grâce à elle, le Gouvernement pourra désormais garantir que l’effort demandé aux différents bassins soit équitable et contribuer en amont au rétablissement d’une viticulture efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Feneuil - Je reviens à l’instant des obsèques de René Renou, président de l’Institut national des appellations d’origines. Nous étions amis – et meilleurs ennemis parfois. Ses idées, dont nous devrons nous inspirer, ont ouvert une voie nouvelle à notre viticulture. Je lui rends hommage.

La loi que nous allons voter aujourd’hui offre au Gouvernement les moyens de fixer, à titre exceptionnel, les rendements pour les vins à appellation d’origine contrôlée et, le cas échéant, de les limiter dans les régions qui n’auraient pas respecté les quotas de distillation. Cette mesure suscite ma tristesse : la crise jette dans le désespoir de nombreux vignerons qui aiment leur vigne et leur vin. Mais elle illustre également une détermination à assainir le marché avant même les prochaines vendanges et à assurer le succès de la distillation. La France montre ainsi sa volonté de sortir de la crise.

M. Patrice Martin-Lalande – Ce n’est pas une crise, mais une mutation !

M. Philippe Feneuil - Le vignoble communautaire est le premier au monde. Pourtant, alors que la consommation mondiale de vin augmente, elle diminue en Europe et en France. Conscient de la valeur du vin comme patrimoine culturel et comme richesse économique, le Gouvernement français a agi avec détermination face à la crise. Vous avez, Monsieur le ministre, récemment lancé le « plan viticulture » qui comporte des réformes structurelles et des aides financières – trente-huit millions pour les actions de restructuration et quarante millions pour les prêts de consolidation. La Commission européenne a, de son côté, consenti à la demande de la France de recourir à un mécanisme de distillation de crise, dans la limite pour notre pays de trois millions d’hectolitres également répartis entre vins de qualité et vins de table. Elle a également proposé que les producteurs recourant à cette mesure reçoivent trois euros par degré hectolitre pour les vins de qualité et 1,914 euro pour les vins de table.

Le Gouvernement a renforcé ce dispositif en consacrant quinze à vingt millions d’euros complémentaires aux viticulteurs qui y souscriront avant la fin du mois d’août. Ainsi, l’aide accordée aux vins de table sera de 2,9 euros par hectolitre avec un plafonnement à 5 000 euros par viticulteur pour une souscription ne portant pas sur plus de 450 hectolitres, et l’aide accordée aux vins de qualité se montera à 3,35 euros par hectolitre avec le même plafonnement.

Toutefois, le succès de la distillation et son impact sur les volumes excédentaires dépendent en grande partie de la participation de tous les producteurs concernés. Il faut donc un outil garantissant le succès de la distillation de crise, et c’est précisément l’objet de cette proposition de loi, qu’il faut voter dès ce soir, car les vendanges n’attendront pas la rentrée parlementaire.

À titre personnel, je souhaite revenir sur plusieurs points. Tout d’abord, en l’état actuel du droit, les plafonds de rendement pour les vins à appellation d’origine contrôlée sont fixés par l’INAO. Le Gouvernement peut accepter ou refuser ses décisions, mais non les modifier. Pourtant, ce système a montré ses limites lors de la dernière campagne. La fixation des rendements n’est pas un acte anodin ! Cette proposition de loi a donc un caractère extraordinaire car, jusqu’à présent, les rendements étaient définis par la qualité de la récolte, sans nécessairement tenir compte de la situation des marchés. Or, des rendements trop bas font croître les coûts de production et brident la capacité de commercialisation des exploitations les plus dynamiques. La nature ayant horreur du vide, il est à craindre que certains de nos collègues européens ou internationaux ne s’engouffrent dans cette brèche en la comblant avec leurs propres vins.

Le groupe UMP et les professionnels soutiennent cette mesure.

M. André Chassaigne - Pas tous les professionnels !

M. Philippe Feneuil - Il ne s’agit pourtant pas d’un dossier politique !

M. André Chassaigne - Si !

M. Philippe Feneuil - Alors je ne comprends plus rien à la politique ! Au fond, peut-être est-ce préférable lorsque, face à la crise, on veut prendre des mesures radicales. J’ai donc déposé un amendement afin que la décision soit soumise à l’avis de l’INAO. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. André Chassaigne - L’amendement est intéressant, car il révèle un problème !

M. Kléber Mesquida - Au nom du groupe socialiste, je tiens à mon tour à rendre un hommage appuyé à M. Renou, propriétaire attaché à la terre du Languedoc comme à l’ensemble de la viticulture.

Le Parlement est enfin saisi d’une proposition de loi visant à résoudre les problèmes de mévente et de surstocks qui contribuent à la crise viticole. Je regrette que son examen soit à la fois tardif et précipité.

Plusieurs députés UMP - Fallait-il attendre la rentrée ?

M. Kléber Mesquida - En effet, lors des deux dernières campagnes, la distillation n’a pas atteint le niveau permis par l’Europe : avec des mesures coercitives, nous aurions pu éviter un manque à distiller de deux millions d’hectolitres. En outre, la diminution du rendement implique une conduite de la vigne qui entraîne un surcoût global. D’autre part, comment les producteurs vont-ils pouvoir s’organiser afin de distiller dans de si brefs délais, alors qu’ils ont déjà des problèmes de stockage ?

Sur le fond, nous sommes d’accord : une mesure contraignante s’impose pour éviter, comme cela s’est produit, que certains bassins attendent quand d’autres distillent à leur place. Pourtant, la baisse des rendements fera-t-elle remonter les cours ? À cet égard, une expérience négative a déjà été menée dans la vallée du Rhône.

Quelles seront les instances que le Gouvernement consultera avant d’imposer la baisse de rendement dans une région ? Toutes les régions seront-elles concernées ? Autant de questions qui font que le groupe socialiste se déterminera en fonction des engagements que vous prendrez afin d’inciter à la distillation d’une manière équitable, notamment vis-à-vis de certains bassins qui ont déjà consenti de larges sacrifices.

Les incidences d’une telle mesure peuvent être inégales selon les régions. Vos services ont, par exemple, intégré les Côtes du Rhône et les Costières de Nîmes dans le domaine Languedoc-Roussillon, alors qu’elles relèvent du champ de compétences inter-Rhône. En Languedoc-Roussillon, le surstock représente environ 3 % de la production, soit 40 000 à 45 000 hectolitres de distillation. Or, fin 2004, 61 % des exploitations étaient dans une situation difficile ; elles étaient 72 % fin 2005, et seront vraisemblablement 89 % à la fin de cette année ! Ces chiffres, publiés lundi par votre ministère, corroborent les estimations concernant la baisse des revenus, qui est de 56 %.

Par ailleurs, s’il existe aujourd’hui une disproportion entre la production et la demande, n’oublions pas que l’hémisphère sud exporte près de 34 % de sa production, contre seulement 7,5 % pour l’Europe. La part des exportations en provenance de l’hémisphère sud est ainsi passée de 1,7 % au début des années 1980 à 21 % en 2005 !

Nous sommes hélas les principales victimes de cet effort d’exportation, les vins français ayant enregistré un recul de 6,5 % en volume et en valeur. Nous exportons certes 28 % de notre production, mais cela reste insuffisant compte tenu de nos stocks. Selon le rapport de la commission, ceux-ci vont en effet de 9 à 39 % de la production – ils s’élèvent par exemple à 33 % des récoltes en Languedoc-Roussillon, malgré une baisse de 11 % de l’offre.

Sur ce point, la profession était favorable à la distillation, mais elle espérait qu’elle serait plus massive et offrirait aux exploitants des prix décents !

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche Nous l’espérions également !

M. Kléber Mesquida – Or, si la France avait demandé que nous puissions distiller deux millions d’hectolitres d’AOC et autant de vins de table, contre une rémunération de 4 et 2,5 euros le litre, elle n’a obtenu que deux fois 1,5 million d’hectolitres, payés respectivement 3,35 et 2,90 euros. Au total, l’opération comblera sans doute en partie la trésorerie des exploitants, mais au prix de pertes nettes.

Pour vous défendre, vous avez déclaré, Monsieur le ministre, que Bruxelles ne vous avait pas entendu : les exigences italiennes et espagnoles l’auraient emporté. Mais peut-être n’avez-vous pas crié assez fort !

M. le Ministre - Je me suis égosillé !

M. Kléber Mesquida - Je ne mets pas en cause votre pugnacité, mais il aurait fallu taper plus fort sur la table !

Compte tenu de notre part dans les plantations en Europe, le plan d’arrachage de 400 000 hectares proposé par l’Union européenne aboutirait à la suppression de 120 000 hectares en France, alors que nous en avons déjà perdu 240 000 en vingt ans, dont 120 000 en Languedoc-Roussillon, où la moitié des exploitations a disparu. Ces 120 000 hectares représentent 30 000 emplois, dont 10 000 en Languedoc-Roussillon, qui compte 30 % du vignoble français. Espérons seulement que l’arrachage touchera prioritairement les 68 000 hectares de vignobles non autorisés dans notre pays !

J’ajoute qu’il faudrait analyser l’impact de l’arrachage sur les charges des exploitations, qui ont déjà subi une chute de leur valeur foncière, de 40 % en deux ans. De plus en plus, l’arrachage devient malheureusement un traitement social, qui améliore la trésorerie au prix d’une perte de patrimoine.

Sachez seulement que, dans le département de l’Hérault, plus de 300 bénéficiaires du RMI et 400 personnes éligibles au fonds de solidarité départementale viennent du monde viticole…

N’oublions pas non plus l’impact de l’arrachage sur les paysages, l’aménagement du territoire et les risques d’incendie. Qui aidera les collectivités et les vignerons à en assumer le prix ?

D’autre part, pourquoi diaboliser le vin en France, alors que nous jouissons d’une excellente réputation mondiale ? Comment accepter que nos campagnes nationales d’information laissent entendre à l’étranger que nous avons des craintes sur nos propres produits ? Si la modération s’impose, notre communication sur le vin doit rester positive.

Signalons également les retards pris dans le paiement de la distillation et des primes de plantation en 2005, retards qui ne font qu’aggraver les difficultés de trésorerie des exploitants.

S’agissant enfin de la réglementation, pourquoi interdire en France des produits phytosanitaires autorisés en Espagne ? Ne peut-on instaurer des contrôles aux frontières ? Et pourquoi les vins introduits en Europe sont-ils automatiquement considérés comme européens ? Nous continuons à importer des vins et des moûts qui ne feront qu’accentuer la surproduction !

Sur tous ces points, il faudrait que vous lanciez une véritable concertation avec les producteurs et les distributeurs français, au lieu de vous réfugier derrière le projet de la Commission. Rien n’a été fait par le Gouvernement pour promouvoir une véritable politique européenne coordonnée.

M. le Ministre – Mais nous l’avons fait !

M. Kléber Mesquida – L’Europe ne doit pas être une variable d’ajustement sur le marché mondial, pas plus que la France en Europe, le Languedoc-Roussillon en France, ni le vignoble dans notre pays !

Ne nous voilons pas la face : la crise actuelle a bien des points communs avec les révoltes de 1907. Nous devons donc élaborer ensemble un plan ambitieux pour la reconquête des marchés, Monsieur le ministre, et retrouver la cohésion dont a besoin la profession viticole. Ce n’est pas la charité qu’elle attend, car elle ne souhaite que vivre de sa production.

Or, la désespérance est aujourd’hui à son comble et la colère monte. Prenons les décisions nécessaires avant que l’irréparable survienne. C’est pourquoi je vous demande d’organiser au Parlement un débat de fond sur l’avenir de notre viticulture. Nous y sommes prêts, Monsieur le ministre, et nous y apporterons notre contribution dans un esprit positif.

M. Philippe Folliot - Cette proposition de loi touche à l'un des symboles de notre pays : la viticulture, qui fait notre fierté.

Deux conceptions s’affrontent aujourd’hui : le vin est tantôt considéré comme un simple produit, tantôt comme une question de traditions et de terroirs, conception que nous défendons naturellement. Cependant, en dépit de son enracinement dans notre culture, la filière vitivinicole connaît aujourd'hui une crise sans précédent dont l'issue pourrait bien être dramatique.

Sur le marché intérieur européen, comme sur le marché mondial, l'offre croît en effet sans que suive la demande. Les chiffres sont inquiétants : la consommation de vin baisse de 750 000 hectolitres par an dans l’Union européenne, et nous n'exportons que 7,5 % de notre production, alors que nous accueillions 10 % des exportations en provenance des pays dits du « nouveau monde ». Face à une telle situation, les stocks ne peuvent qu'augmenter. Ils sont aujourd'hui estimés à 15 millions d'hectolitres, soit 8,4 % de la production communautaire.

Les raisons de ce déclin sont nombreuses. Certains pointent du doigt la concentration de la distribution dont pâtit toute l'agriculture en général et face à laquelle la filière vitivinicole semble parfois peu ou mal organisée, et inutilement complexe. N’oublions pas non plus le changement des modes de vie, l’alcool étant de plus en plus stigmatisé, tantôt dans le cadre des campagnes pour la sécurité routière, devenue priorité nationale, tantôt dans le cadre des campagnes pour la santé et pour les économies d’assurance maladie. Or, la consommation modérée de vin présente bien des vertus – les Anglo-saxons ne parlent-ils pas à ce propos de « French paradox » ?

Les difficultés viennent également de l'ouverture des marchés et de la très forte concurrence de pays comme l'Argentine, l'Afrique du Sud ou l'Australie, qui exportent des quantités croissantes de vins de qualité. La part de marché à l'exportation des pays de l'hémisphère sud est ainsi passée de 1,7 % au début des années 1980 à 21 % aujourd'hui.

En conséquence, les stocks s'accumulent dans tous les vignobles – 39 % de hausse en Rhône-Alpes ! Les prix baissent, mais aussi les revenus.

Face à une telle crise, le groupe UDF avait demandé dès décembre 2005 la création au sein de la commission des affaires économiques d'une mission d'information sur la crise viticole. La singularité du phénomène nécessite en effet que soit établi un constat précis sur ses causes avant d'envisager des mesures de soutien. Cet état des lieux devrait être réalisé en étroite collaboration avec les professionnels du secteur et les responsables politiques, d'autant qu'il s'agit bien plus que d'une crise sectorielle : les difficultés du monde viticole ont des conséquences lourdes sur les économies locales. Élu du Tarn, où se trouve le vignoble de Gaillac, je ne peux qu’en mesurer la gravité. Malheureusement, après quelques péripéties, cette mission d'information, qui aurait dû associer plusieurs députés de différentes régions et de différentes tendances, s'est réduite à un simple rapport, remis par un député, certes brillant, mais qui aurait pu bénéficier du soutien de certains de ses collègues. Le groupe UDF en tout cas aurait souhaité être associé à ce travail et nous regrettons que cela n’ait pas été le cas. Il est important néanmoins que ce constat soit enfin établi et qu’il serve de base à des propositions concrètes. Des mécanismes de régulation du marché existent sur le plan communautaire mais ils se révèlent insuffisants pour remédier aux difficultés des producteurs, comme nous le constatons avec la proposition de réforme de l'OCM vin faite par la commissaire européenne à l'agriculture, Mme Fischer Boel : il n'y est question que d'arrachage et d'aides à la reconversion. Est-ce vraiment la solution ? Comme vous, Monsieur le Ministre, nous ne le pensons pas. Il s'agit de rendre notre vin plus compétitif et de lui donner les moyens de s'adapter aux évolutions du marché mondial.

Si l’ouverture d'une distillation de crise constitue une solution permettant de réguler le marché, celle-ci doit rester néanmoins exceptionnelle. La faiblesse du prix proposé par la Commission a d’ailleurs poussé le Gouvernement à organiser le versement d'aides complémentaires, afin que les viticulteurs soient réellement incités à distiller.

C’est dans cet esprit que s'inscrit cette proposition de loi. M. Herth propose une procédure exceptionnelle qui doit permettre d'utiliser au mieux ce mécanisme exceptionnel. Choisir de recourir à la distillation de crise reste facultatif et l’on constate de réelles disparités en la matière, la discipline collective n'étant pas partout respectée. Dans une situation aussi grave, il faut utiliser tous les moyens dont nous disposons pour s'assurer que les niveaux de rendements qui seront proposés soient adaptés et pour que le marché retrouve progressivement un fonctionnement plus sain.

Nous vous suivons sur ce chemin, mais un point très important reste à éclaircir : procédure exceptionnelle ou pas, il ne nous semble pas justifié de se passer d'un avis de l'INAO. En commission, il y a eu un débat sémantique sur la différence entre « avis » et « consultation ». Nous espérons vous entendre à ce sujet, Monsieur le ministre, afin que soit retenu le meilleur des termes, mais, quoi qu'il en soit, l'essentiel est que les ministres qui disposeront du pouvoir de fixer les rendements pour les campagnes à venir puissent agir en toute connaissance de cause c'est-à-dire en s'appuyant sur des éléments concrets fournis par les professionnels. À eux, ensuite, de suivre ou non les conseils donnés, mais il est très difficilement concevable de se passer des experts. Cet avis permettant de responsabiliser les professionnels et de conserver leur rôle dans la gestion du marché est donc aussi utile que nécessaire. Nous devons absolument le réintroduire dans la procédure. Ainsi précisée, la proposition de loi sera alors un outil tout à fait bienvenu pour notre filière viti-vinicole. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

M. François Liberti - Cette proposition visant à permettre au Gouvernement de baisser les rendements autorisés par les organismes de filières pointe du doigt les AOC qui, dans certaines régions, notamment en 2005, n'ont pas distillé suffisamment et n’ont donc pas contribué à assainir le marché de manière solidaire.

M. le Ministre - C’est exact.

M. François Liberti – Selon certains, ce texte suscitera des divisions en opposant les appellations. De plus, donner à l’État la maîtrise de la fixation du rendement à la place des organismes interprofessionnels soulève des problèmes dans la mesure où cette mise à niveau peut s'inscrire demain dans les projets de liquidation de la viticulture nourris par l’Union européenne.

Les députés communistes et républicains sont réservés vis-à-vis de cette proposition pour deux raisons. Tout d'abord, parce que ce texte divise le monde viticole. Pour assainir le marché du vin, il faut que la distillation soit attractive grâce à des mesures incitatives : il ne s’agit pas de recourir à la sanction des rendements adaptés. Si l’on ne perd pas de vue la position de Bruxelles préconisant la suppression de la distillation, l’assainissement du marché risque de se faire par la réduction des rendements et la France disposera d’une loi pour qu’il en soit ainsi. De plus, cette proposition me paraît être en contradiction avec le rapport Paumel qui propose la création d'un conseil national de la viticulture, lequel aurait en charge les réflexions, les observations, les propositions, la coordination et les arbitrages entre les dix comités de bassin.

Deuxième raison qui justifie nos réserves : cette proposition ne règle pas les problèmes de fond. Le mercredi 7 juin, lors de la séance des questions au Gouvernement, j'ai rappelé que la viticulture connaissait la crise la plus grave de son histoire. En refusant un volume de distillation suffisant à un prix rémunérateur pour assainir le marché, Bruxelles a témoigné d'un profond mépris pour la viticulture. Non seulement le volume accordé ne permettra pas d’assainir le marché avant la prochaine campagne, mais le prix fixé ne permettra pas non plus de rémunérer le travail – il risque même de tirer vers le bas le prix du marché avec, comme perspective, son effondrement.

Les mesures d'accompagnement que vous avez annoncées, Monsieur le ministre, ne sont pas à la hauteur des enjeux et suscitent nombre d'interrogations. Les subventions par exploitation sont bloquées à 3 000 euros et beaucoup de viticulteurs qui ont bénéficié ou vont bénéficier des premières mesures ne pourront choisir l'offre de distillation. La crise n'est pas technique mais politique. Elle résulte des choix ultralibéraux qui, de l'OMC à la PAC, ne visent qu’à assurer la rentabilité des groupes financiers.

Mme Chantal Brunel - Ce n’est vraiment pas le sujet !

M. François Liberti - Les viticulteurs, attachés à leur terre, sont des bâtisseurs. Ils ont fait de cette culture ancestrale un fleuron de la France. Là où l’on arrache, c'est la friche, les incendies, la spéculation foncière et l'urbanisme débridé qui prospèrent. Le projet de réforme de l'organisation commune des marchés du vin qui vise à supprimer la distillation, qui préconise l'élimination des exploitations en difficulté, mais également le plan d'arrachage fixé à 400 000 hectare de vignes sur cinq ans, ressemble au plan de liquidation de la sidérurgie appliqué il y a vingt ans. Cet arrachage massif vise officiellement les exploitations les moins « compétitives », les viticulteurs à l’approche de la retraite, mais également les jeunes qui ont investi et qui doivent faire face aux emprunts. Ce ne sont plus des mesures qualitatives : c'est un véritable dépeçage à la tronçonneuse ! La fin de la viticulture est programmée si l’on courbe l’échine.

Le projet élaboré par Mme Fischer Boel dessaisit le Conseil des ministres européen de ses compétences sur les étiquetages et les pratiques œnologiques pour les transférer à la Commission. Cette disposition, tout comme la volonté de lever l'interdiction de vinifier les moûts importés et de mélanger les vins communautaires avec les vins non communautaires, ouvre grande la porte à la fraude et aux trafics. Faut-il crier « Vive le vin coca-cola ! » pour assurer le meilleur taux de rentabilité aux groupes financiers qui investissent et plantent sans contrôle dans les pays dits émergents ?

Dans la région Languedoc-Roussillon, la viticulture pèse un milliard d'euros. Les viticulteurs devraient pouvoir en vivre dignement, ce qui n'est pas le cas. Ils ne veulent pas que leur travail soit jeté aux orties, réduit à néant par la libéralisation des marchés, par l'arrogance de la grande distribution, par le laisser-faire des institutions aux niveaux européen et mondial, ou par la loi d'orientation agricole française qui s'attaque au statut du fermage, aux structures collectives et à l'exploitation familiale. Il est urgent de construire une politique agricole commune qui garantisse un revenu rémunérateur aux viticulteurs, comme il est utile d'investir dans l'aide à la pérennisation des exploitations et à l’installation des jeunes. Il faut que la France assume ses responsabilités !

Enfin, il est impératif de réformer en profondeur les règles qui régissent la production et le commerce mondial en s'attaquant aux tabous de la finance, en ne confondant pas échanges économiques et marchandisation des produits de la terre, en respectant la dignité de celles et de ceux qui la travaillent. C’est cela que les élus communistes et républicains vous demandent de faire pour que vive la viticulture ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jacques Bascou – Cette proposition vise à contraindre les producteurs à souscrire à la distillation au titre de l'article 30, pour assainir le marché avant la campagne 2006-2007. L'objectif est louable, mais je crains qu'un texte ne suffise pas et, en l’occurrence, qu’il arrive trop tard. La crise est sans précédent, notamment en Languedoc-Roussillon, où des vignerons qui ont investi sont en faillite. Ce retard est certes imputable à la Commission européenne qui n'a répondu que le 7 juin à votre demande de décembre 2005, mais le manque de réactivité du Gouvernement est également en cause.

Depuis plus de deux ans, avec mes collègues du Languedoc-Roussillon, nous vous alertons. On ne compte plus les colloques, les livres blancs, les nominations de « M. Vin », les créations de conseils – conseil de la modération, conseil national de la viticulture, conseils de bassins de productions –, les plans Bussereau, les rapports et les missions d'information parlementaires. Certes, des mesures sociales et fiscales ont été prises, mais elles se sont révélées insuffisantes. Il est vrai que lors de la dernière campagne, moins d'un million d'hectolitres – dont seulement 180 000 dans le Bordelais – ont été distillés alors que la Commission européenne avait ouvert une distillation pour 1,1 million d'hectolitres, et que la profession doit utiliser les instruments qu’elle réclame. Ce texte devrait permettre au Gouvernement d'agir.

Dans la mesure où elle n'est pas obligatoire, la distillation n'est efficace que si elle porte sur un volume important et si elle s'opère à un prix incitatif. Or, vous n'avez pas obtenu de Bruxelles ce que vous aviez demandé pour les AOC, une distillation à 4 euros minimum pour 2 millions d'hectolitres. Le prix de 3,35 euros reste faible ; pour une appellation comme le Corbières, qui est dans la spirale de baisse des prix, on se situe quasiment au prix de la distillation. Cela laisse mal augurer des négociations sur l'OCM viti-vinicole. Il est évident, en effet, que l'arrachage de 400 000 hectares proposé touchera en priorité les régions qui font appel à la distillation. Je rappelle que le Languedoc-Roussillon a arraché ces dernières années 100 000 hectares, quand 140 000 hectares étaient plantés de manière illicite en Europe. Organisations professionnelles, pouvoirs publics et élus s'élèvent aujourd’hui contre les propositions de Mme Fischer Boel ; mais certains ont déjà été contraints de cesser leur activité et 5 000 hectares ont été arrachés cette année dans l'Aude.

Des dispositions sociales doivent permettre à ceux qui le souhaitent de partir dignement. Je m'étonne à cet égard que le Gouvernement n'ait inscrit aucune ligne budgétaire dans le Plan de développement rural pour les pré-retraites de l'OCM.

Outre l'abandon de la distillation, la Commission européenne propose la vinification de jus et moûts provenant de pays tiers ou le coupage des vins, qui sont la marque du vin industriel, contraire à notre tradition viticole et à l'intérêt des consommateurs.

Vous vous opposez, dites-vous, à la Commission. Mais n'avez-vous pas ouvert la voie en refusant de vous opposer au Wine Accord signé par l'Union européenne et les États-Unis, qui reconnaît des pratiques comme le mouillage, l'aromatisation ou l'utilisation de copeaux ?

Si je reconnais la qualité du rapport de notre collègue Herth, je regrette qu’il ne mentionne pas l'augmentation de la consommation du vin dans le monde et les potentialités de croissance. Car si la crise en Europe est due à la surproduction, elle est aussi due à la sous-commercialisation ! Contrairement à l'Espagne ou à l'Australie, qui consacrent des crédits importants à la promotion et au soutien à l'exportation, l’État français ne soutient pas la viticulture. Le budget de promotion des vins de la région Languedoc-Roussillon est supérieur à celui l’État ! Or la conquête de nouveaux consommateurs, si elle passe par une meilleure organisation de la profession, exige un soutien national. Plus que la distillation et l'arrachage, c’est ce que les viticulteurs vous demandent.

La discussion générale est close.

M. le Ministre - Je me félicite que nous débattions aujourd’hui de cette proposition de loi importante pour la viticulture. Il s'agit en effet de nous donner les moyens d'accompagner le mouvement de restructuration qui a été lancé. Je remercie donc Antoine Herth, dont la mobilisation en faveur de l'agriculture de notre pays est sans faille.

Tous les orateurs l’ont dit, l'économie des marchés viticoles français est très dégradée. Le léger mieux constaté en début d'année ne s’est pas maintenu. Depuis quelques semaines, les prix recommencent même à baisser dans certains vignobles. Ceux des vins de table, qui étaient de 3 euros par degré et par hectolitre en janvier, ont recommencé à baisser. La majorité des transactions se fait désormais autour de 2,80 euros par degré et par hectolitre, ce qui est en effet insuffisant, Monsieur Mesquida, pour couvrir les coûts de production.

Pour les appellations, la situation peut être très contrastée à l’intérieur même d’un vignoble. Certaines d'entre elles tirent leur épingle du jeu avec un millésime 2005 de très bonne qualité. Mais, pour la plupart, les prix et les volumes restent à la baisse, ce qui se répercute sur l'ensemble des marchés.

Les producteurs ne couvrent donc plus leur coût de revient, et nous avons le devoir d’éliminer les stocks excédentaires pour éviter une nouvelle chute des prix et une campagne 2006 catastrophique.

Tous les orateurs l’ont rappelé, une distillation de crise a été obtenue en 2005 pour 1,5 million d'hectolitres. Malheureusement, elle n'a été souscrite que pour un peu plus d’un million d'hectolitres. Nous avons obtenu une nouvelle distillation de crise pour 2006 : 1,5 million d'hectolitres pour les AOC et autant pour les vins de table. La Commission a en effet réagi trop tard : elle attendait d’avoir les dossiers de nos voisins italiens et espagnols pour prendre sa décision.

Pour assurer le succès de cette distillation, le Gouvernement apportera une aide en trésorerie complémentaire aux exploitations, afin d'aboutir à une souscription correspondant à 3,35 euros par degré et par hectolitre pour les vins d'appellation – contre 3 euros assurés par la Commission – et à 2,90 euros par degré et par hectolitre pour les vins de table – contre 1,91 euro assuré par la Commission. Pour les vins de table, le prix offert à la distillation est suffisant pour remplir le contingent. En revanche, il ne l’est pas pour les vins d'appellation : il représente environ la moitié du prix de vente actuel des appellations régionales. Le phénomène de l'année dernière risque donc de se reproduire : plutôt que de distiller, certains producteurs préféreront vendre à prix cassés sur le marché, entraînant une spirale à la baisse.

Il n'était pas possible d'augmenter le prix de la distillation, ni d'accorder des aides de trésorerie suffisantes. Il faut cependant assurer le succès de la distillation pour assainir le marché. L'échec de l'an dernier ne doit pas se reproduire. Nous irons d’ailleurs au-delà des minima prévus pour les aides en trésorerie.

Il faut maintenant que toutes les régions livrent des volumes importants, de façon à aborder la campagne 2006 sur de bonnes bases. Nous avons évalué les stocks excédentaires et transmis aux grands bassins les volumes à distiller. Ces chiffres, connus du rapporteur et de la commission, ont été communiqués à la filière viticole le 14 juin.

Que faire pour assurer le succès de la distillation ? Les interprofessions ont un grand rôle à jouer : je les ai invitées à user de tous les moyens juridiques dont elles disposent. Je me suis rendu mardi dernier à leur assemblée générale, et j’ai demandé aux présidents des interprofessions de tout faire pour favoriser la distillation. Je pense notamment à la constitution de réserves qui seraient libérées en cas de baisse des stocks. Les appellations de Bordeaux ont pris à cet égard des initiatives courageuses.

Le Gouvernement a fait un effort financier pour encourager la distillation. Nous prévoyons 24 millions d'euros supplémentaires si les 1,5 million d'hectolitres de vins de table et les 1,5 million d'hectolitres de vins d'appellation sont souscrits.

Il fallait aller plus loin, et je rends hommage à l’initiative d’Antoine Herth, qui vise à donner au Gouvernement le pouvoir de fixer les rendements de certaines appellations au-dessous du rendement de base.

M. André Chassaigne - Une initiative téléguidée !

M. le Ministre – Quand le Parlement et le Gouvernement œuvrent ensemble, toutes tendances confondues, à aider des producteurs en difficulté, il ne s’agit que de bon sens et d’intelligence politique ! Si la Conférence des présidents accepte d’inscrire ce texte à l’ordre du jour d’une dernière semaine déjà chargée, c’est qu’il y va de l’intérêt général (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Il ne s'agit pas d'user de ce pouvoir exceptionnel de manière générale, mais de suivre avec attention la procédure générale de fixation des rendements qui se déroule à l'Institut national des appellations d'origine et d’intervenir si les décisions prises pour certaines appellations risquent d'aggraver la crise. Les débats sur les rendements ont déjà commencé : au Comité national vins et eaux de vie de mars, les syndicats et les comités régionaux de l'INAO ont fait leurs propositions, qui ont été examinées au Comité national des 1er et 2 juin. Plusieurs appellations avaient maintenu leurs rendements au niveau de 2005, mais d'autres souhaitaient augmenter les leurs. Le débat a été rapide : sous l'impulsion courageuse de René Renou, dont je salue la mémoire, le Comité national vins et eaux de vie a voté une motion indiquant qu'il refuserait toute augmentation des rendements par rapport à l'année précédente, sauf dans des cas exceptionnels, si la bonne santé économique de l'appellation était démontrée. Les appellations qui n'ont pas de problèmes de vente ne seront pas touchées par la mesure.

L’objet de ce texte est de permettre au Gouvernement de s'assurer que ces orientations seront bien respectées et d'intervenir si besoin est. Dans les bassins où il y a excédent de l'offre, nous interviendrons si les appellations concernées ne font pas de propositions de rendements de nature à équilibrer le marché. Nous fixerons alors les rendements en fonction de la participation à la distillation, de l'état des stocks, du niveau des prix, de l'abondance de la récolte attendue. Notre objectif est d'éviter des stocks pléthoriques qui déséquilibreraient le marché pour les années à venir.

La Commission européenne a raison, il faut réformer l’OCM viti-vinicole. Mais ce n’est pas en proposant l’arrachage de 400 000 hectares et en réduisant les financements que l’on trouvera des solutions. Nous avons élaboré avec l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal un mémorandum qui comporte des propositions constructives. La Commission a préféré jeter un pavé dans la mare, au risque de créer un état d’esprit peu propice. Bien entendu, la France continuera cependant de participer à la réflexion sur l’opportunité d’une réforme.

Pour l’heure, il importe de faire en sorte que les vendanges se déroulent dans de bonnes conditions et je remercie par avance tous ceux qui soutiendront l’excellent outil que constitue ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – J’appelle à présent l’article unique de la proposition de loi, dans le texte de la commission des affaires économiques.

ARTICLE UNIQUE

M. Philippe Feneuil – Je voudrais dire à nos collègue de l’opposition que, s’ils n’avaient pas refusé de s’associer aux groupes de travail qu’anime notre collègue Martin, ils seraient plus au fait des attentes des professionnels, lesquels, on le sait bien, ne sont pas tous des soutiens inconditionnels du Gouvernement ! (Sourires) Le présent texte va dans le bon sens et permet à chacun de prendre ses responsabilités. La crise n’est pas de droite ou de gauche, non plus que la défense de la viticulture française. J’ai pour ma part la chance d’appartenir à une région qui n’est pas en crise, mais je me soucie des intérêts de tous les viticulteurs français et je me réjouis que l’on propose des solutions pour les aider.

Un mot, que l’on pourra trouver un peu dur, à l’endroit des viticulteurs du Languedoc-Roussillon en général et de l’Hérault en particulier. Notre collègue Liberti a dit que la distillation n’était jamais payée assez cher pour être vraiment incitative. Soyons pragmatiques : s’il y a des excédents, ne faudra-t-il pas entrer, un jour, dans une logique de distillation obligatoire, pour faire redémarrer le secteur sur des bases solides ? Il faut écouter les professionnels. Chacun en tirera un grand profit.

M. André Chassaigne - Ce texte ne va pas résoudre les problèmes de fond de la viticulture française…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Tel n’est pas son objet.

M. André Chassaigne - Et, pour tous ceux qui ne sont pas élus du Bordelais, il ne propose aucune solution durable…

M. Patrice Martin-Lalande – Personne n’a prétendu le contraire. Il s’agit d’un dispositif temporaire.

M. André Chassaigne - Quant à saluer l’initiative de notre collègue Herth… Plusieurs déclarations du ministre de l’agriculture au cours des derniers mois démontrent qu’il était prévu de longue date que les présentes dispositions viennent en discussion avant la fin de la session parlementaire. Au reste, cela pose un problème de méthode car le ministre avait annoncé l’installation, avant le 1er juillet, d’un Conseil national de la viticulture française, lequel aurait été mieux fondé à prendre l’initiative en la matière. Certes, la présente proposition de loi vaut mieux que l’ordonnance qui a été prise en vue de réformer l’INAO, mais nous ne pouvons approuver la voie retenue par le Gouvernement.

M. Jacques Bascou - M. Feneuil nous reproche de politiser le débat : puis-je lui rappeler qu’avant 2002, l’ensemble des élus de régions viticoles étaient reçus sans distinction à Matignon et au ministère ? Depuis lors, tel n’est plus le cas…

M. André Chassaigne - Eh oui ! Il faut montrer patte blanche !

M. Jacques Bascou - Dans l’Aude, tous les élus étant socialistes, la porte du ministère nous est rarement ouverte, alors que dans l’Hérault, tel député de la majorité aime à se présenter comme le premier interlocuteur du ministre et n’hésite pas, situation inédite, à accompagner les professionnels dans leurs entrevues avec le Gouvernement.

En outre, si nous avons refusé de participer à un énième groupe de travail, c’est que les viticulteurs, dans un contexte qui conduit certains au suicide, veulent autre chose que des colloques, des livres blancs, des rapports ou des mesures gadgets comme la nomination d’un M. Vin, dont j’ai oublié le nom. Ils attendent que des décisions soient prises avant les vendanges, pour que la région Languedoc-Roussillon ne soit pas, une fois de plus, injustement montrée du doigt. Jusqu’à présent, les manifestations sont restées pacifiques. Proposons collectivement des solutions concrètes et non partisanes pour qu’elles ne dégénèrent pas.

M. Hugues Martin - Je présente l’amendement 1 rectifié, bien que je déplore que l’exposé sommaire tende à présenter la région de Bordeaux comme le mauvais élève… Gardons-nous, en toute occasion, de mettre au pilori telle ou telle région. Cet amendement, adopté par la commission, vise, pour ce qui concerne la fixation des rendements, à ne pas passer outre la consultation de l’INAO.

M. Philippe Feneuil - En sortant du TGV, j’ai appris que la commission était revenue sur le consensus qui s’était dégagé en son sein la semaine dernière et qui tendait à ce que soit recueilli l’avis – et non à organiser une simple « consultation » – de l’INAO. Je maintiens donc mon amendement 2, en précisant qu’il ne s’agit évidemment que d’un avis simple.

M. le Président de la commission – Garant de la qualité du travail de notre commission, je me dois de dire à M. Feneuil que sa présentation des choses ne correspond pas à la réalité. Votre amendement 2, Monsieur Feneuil, a été rejeté par la commission dans sa séance de jeudi dernier…

M. Philippe Feneuil - On m’a prié de le représenter.

M. le Président de la commission – Dès lors, il ne pouvait être représenté dans le cadre de la réunion tenue au titre de l’article 88 de notre Règlement, la commission a alors adopté l’amendement 1 rectifié de M. Hugues Martin, lequel retient le principe d’une consultation de l’INAO.

M. le Rapporteur – Il ne s’agit évidemment pas de stigmatiser telle ou telle appellation mais simplement d’aider un ministre courageux à sortir la viticulture française de la crise. La commission a donné un avis favorable à l’amendement 1 rectifié de M. Hugues Martin et propose de le sous-amender en tenant compte des remarques de M. Feneuil, c’est-à-dire en écrivant « pour avis » après le mot consultation. La consultation doit en effet déboucher sur un avis, mais cet avis n’a pas à être un avis conforme qui empêcherait le ministre d’intervenir sur les rendements.

M. le Ministre – Le rapporteur sait faire intelligemment les synthèses ! J’approuve totalement la consultation pour avis.

M. le Président – M.Feneuil se rallie-t-il à cet amendement ainsi sous-amendé ?

M. Philippe Feneuil - Oui. On aurait pu aussi écrire : « après concertation ».

M. le Président – Je considère donc que l’amendement 2 est retiré.

M. Philippe-Armand Martin - Je suis ravi que le ministre accepte « pour avis ». Il a bien compris le souci des professionnels et nous ferons passer un message fort avec cet amendement de synthèse.

M. Kléber Mesquida - Il me semble que parler de « consultation pour avis » est pléonastique, car lorsque l’on consulte, c’est bien pour avoir un avis. J’aurais pour ma part préféré que l’on parle d’avis motivé de l’INAO, étant entendu qu’un ministre peut réfuter les motifs avancés.

M. Philippe Folliot - En tant que représentant d’une circonscription dans laquelle il n’y a pas un pied de vigne, je serai bref, d’autant que l’hémicycle va bientôt être atteint de « mondialite » aiguë. La proposition du rapporteur me semble empreinte de sagesse. On ne peut que l’approuver.

M. André Chassaigne – Chacun a bien compris qu’il fallait que le ministre ne soit pas trop lié par l’avis de l’INAO, mais il aurait été plus simple d’adopter l’amendement de M. Feneuil. C’est pourquoi je le reprends. J’en profite pour poser une question : quel est le rôle, dans cette affaire, du conseil national de la viticulture ?

M. Robert Lecou - Ce débat est à la fois passionné et mesuré. Passionné, car le vin est un sujet qui mérite la passion. Mais aussi mesuré, car la crise actuelle appelle des solutions techniques. La proposition du rapporteur me paraît parfaitement bienvenue. Restons-en à ce bon consensus. Au-delà des mesures conjoncturelles, il faut l’union sacrée pour que le vin français gagne des parts de marché, en particulier à l’exportation.

M. Philippe-Armand Martin - La proposition qui nous est faite vaut pour la récolte 2006-2007. Que se passera-t-il ensuite ?

M. le Ministre – Il y aura une ordonnance qui réglera le problème. Elle n’est pas encore prise, car vous aviez souhaité, lorsque vous avez examiné la loi d’orientation, que nous prenions le temps de consulter. Mais elle sera prise et ratifiée par le Parlement d’ici à la récolte de l’an prochain.

Le conseil national de la viticulture, Monsieur Chassaigne, regroupe les comités de bassin et a un rôle de coordination, mais n’a pas les pouvoirs exécutifs de l’INAO.

M. Philippe Feneuil - Je ne pense pas que vous soyez plus têtu que moi, Monsieur Chassaigne. Or, je me rallie à la consultation pour avis.

Le sous-amendement 3, mis aux voix, est adopté.
L'amendement 1 rectifié, ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Par conséquent, l’amendement 2 tombe.

L'article unique du projet de loi, modifié, mis aux voix, est adopté.
Prochaine séance, demain, mercredi 28 juin 2006, à 10 heures.
La séance est levée à 20 heures 40.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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oRdre du jour
du MeRcreDI 28 JUIN 2006

DIX HEURES – 1re SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de résolution (n° 3107) de M. Philippe VUILQUE et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs.

Rapport n° 3179) de M. Georges FENECH, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

QUINZE HEURES - 2e SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Discussion du projet de loi (n° 3134) de modernisation de la fonction publique.

Rapport (n° 3173) de M. Jacques-Alain BÉNISTI, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE -3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

© Assemblée nationale