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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mardi 12 décembre 2006

Séance de 9 heures 30
40ème jour de séance, 89ème séance

Présidence de Mme Hélène Mignon
Vice-Présidente

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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prévention du surendettement

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin tendant à prévenir le surendettement.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Le sujet dont nous débattons ce matin n’est étranger à aucun d’entre nous, car nous sommes tous confrontés dans nos circonscriptions aux ravages causés par le surendettement, un des principaux facteurs d’exclusion sociale.

Pour en avoir débattu régulièrement depuis quatre ans, vous connaissez bien les remèdes proposés par le groupe UDF. Lors de l’examen du projet d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, notre assemblée avait déjà adopté en 2003 une partie de nos propositions, ensuite rejetées par le Sénat. En septembre de la même année, une centaine de députés UMP avaient signé la proposition de loi de M. Masdeu-Arus, visant à de prévenir le surendettement en créant un fichier « positif ». Le groupe UDF avait enfin proposé, en janvier 2005, une première proposition de loi sur ce sujet.

En adoptant deux des quatre articles de cette proposition de loi, nous avions imposé au prêteur et à l’emprunteur un délai d’agrément de sept jours, afin que les banques aient le temps de vérifier la solvabilité de l’emprunteur et que ce dernier puisse se rétracter sans avoir à rembourser des sommes déjà engagées. Ces articles ont été transmis au Sénat, où ils n’ont pas encore été examinés.

Les deux articles que nous vous proposons d’adopter ce matin tendent à créer un fichier positif et à rendre l’établissement de crédit coresponsable de l’insolvabilité éventuelle du souscripteur en l’absence de vérification. Ces dispositions n’avaient pas été adoptées par notre assemblée en 2005, mais le Gouvernement s’était engagé à poursuivre la réflexion sur ce thème et à nommer un parlementaire en mission. Or, cet engagement n’a pas été tenu, pas plus que celui de présenter un texte sur la prévention du surendettement, formulé deux ans plus tôt, à l’occasion du débat sur la loi du 1er août 2003.

Certes, des mesures de redressement personnel ont été introduites grâce à la loi Borloo, tandis que d’autres dispositions ont permis de renforcer l’information du consommateur. Mais rien n'est prévu en matière de prévention, alors que tous les groupes politiques s’accordent sur le principe. Lors des débats publics de janvier 2005, le président de notre commission, M. Ollier, objectait des difficultés d'ordre technique ou administratif, mais reconnaissait qu’il est nécessaire de faire évoluer la législation et demandait au ministre de prévoir un travail en commun sur ces questions. Or, rien n'est venu.

Ainsi, le projet de loi sur la protection des consommateurs, tant annoncé, ne contient aucune disposition en ce sens. Après s’être prononcé dans un premier temps en faveur du fichier « positif » que nous proposons aujourd’hui, l'orateur du groupe UMP, M. Luc Chatel, avait demandé de poursuivre la réflexion sur ce concept, objectif de moyen terme selon lui. Deux ans plus tard, et même quatre ans après l’amendement adopté en 2003, l’heure n’est-elle pas venue ?

Pendant ce temps, le surendettement a en effet continué à augmenter : 648 500 ménages étaient surendettés à la fin de l'année 2005. Ces ménages sont particulièrement vulnérables : en 2004, il s’agit de personnes seules dans 64 % des cas – taux en progression de 6 points par rapport à 2001 et deux fois plus élevé que dans les années 1990. Par ailleurs, 70 % des surendettés perçoivent des revenus inférieurs ou égaux à 1 500 euros par mois, les ouvriers et employés étant les ménages les plus fréquemment surendettés – 55 % du total –, tandis que la part des chômeurs et inactifs atteint 34 % en 2004, soit une augmentation de deux points.

Les situations de surendettement « passif » restent majoritaires, et progressent même, la perte d'un emploi demeurant le principal « accident de la vie » à l'origine de 31 % des situations de surendettement, loin devant le divorce et la séparation – 15 %. Nombre de personnes frappées par ces accidents de vie souscrivent un crédit en attendant un retour à meilleure fortune, mais l'endettement bancaire et financier joue souvent un rôle déterminant, puisqu’il représente au moins 75 % du montant des dettes dans six dossiers sur dix. La part des crédits à la consommation est par ailleurs en hausse : le nombre de crédits renouvelables dans les dossiers de surendettement augmente de 5 % par rapport à 2001, se concentrant sur un nombre plus faible de dossiers – 63 % en 2004 contre 82 % en 2001 –, mais augmentant dans le même temps : le taux moyen par dossier est ainsi passé de trois en 2001 à six en 2004.

D’autres indicateurs sont également inquiétants : dans 32 %, les commissions constatent une absence totale de capacité de remboursement. Enfin, si l'endettement des ménages français reste globalement inférieur de 30 % à celui des autres ménages européens, il croît plus vite qu’ailleurs depuis 2005, en raison d'une forte progression du crédit à l'habitat. Et surtout, le crédit à la consommation augmente plus vite que les revenus.

Malgré cette situation, le volet préventif reste absent de la lutte contre le surendettement. En 2003, nous avons ainsi instauré une procédure de « faillite civile », venue renforcer les moyens dont disposent les commissions de surendettement, puis nous avons amélioré en amont le dispositif d'information sur le crédit renouvelable et le « crédit gratuit », grâce à la loi Chatel, adoptée en janvier 2005. Si cette dernière loi me semble respectée dans sa lettre, elle ne l’est pas toujours dans son esprit : l'offre de crédit, notamment le crédit revolving, reste trop agressive et peu lisible. L’illettrisme frappant 15 % de la population, surtout parmi les plus démunis, qui peut encore croire que tout le monde a accès à l’information ?

Mais il faut surtout déplorer l’absence de toute mesure de nature à responsabiliser les prêteurs et de toute politique de prévention du surendettement, alors même que le Gouvernement cherche à élargir l'accès au crédit afin de favoriser la consommation, que ce soit par le plan d'action adopté janvier 2006 pour faciliter l'accès de tous les Français aux services bancaires, l’ordonnance de mars 2006 sur le prêt hypothécaire rechargeable et le prêt viager hypothécaire, ou le projet de loi relatif à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé, examiné hier par notre assemblée.

Une telle politique doit impérativement être complétée par des mesures de prévention du surendettement, par ailleurs indispensables pour accompagner le développement du commerce et du crédit sur internet, qui multiplie les tentations et raccourcit les délais de réflexion.

Si le ministère des finances a sans doute raison de chercher à relancer la croissance par le crédit aux ménages, ne finançons pas une croissance non durable par le surendettement de dizaines de milliers de familles françaises. Il en résulterait des conséquences aussi désastreuses socialement qu'économiquement inefficaces.

La prévention du surendettement : tel est l’objectif de cette proposition qui comporte toutes les garanties appropriées. Un fichier positif public permettrait notamment de nous préserver des marchands d’information en évitant le développement de fichiers privés que réclame un lobby insistant, alors que la CNIL a déjà autorisé Cetelem et Cofinoga à recouper leurs informations qui seront, à n’en pas douter, utilisées à des fins commerciales.

On reproche souvent à cette proposition de ne pas faire consensus : et pour cause ! Comment le consensus pourrait-il exister au sein d’établissements de crédit qui se sentent menacés ? Le fichier positif leur permettrait pourtant de disposer d’informations plus fiables sur leurs clients potentiels, sans qu’elles puissent être exploitées pour la prospection. Néanmoins, chacun croyant disposer du meilleur fichier, ils préfèrent s’en tenir au statu quo. À l’étranger, l’utilisation d’un tel répertoire ne pose pas de problèmes : dans l’Union à quinze, seuls la Grèce et le Luxembourg ne disposent d’aucun fichier ; la France, la Finlande et le Danemark n’ont qu’un fichier négatif. Tous les autres pays ont deux fichiers.

Les associations de consommateurs, quant à elles, craignent que le fichier restreigne l’offre de crédit au motif que l’établissement d’un seuil d’endettement fera disparaître l’appréciation personnalisée des emprunteurs. Au contraire : la capacité financière de chacun pourra être précisément évaluée sans que l’examen des dossiers soit soumis à des critères discriminatoires tels que l’âge ou le lieu de résidence. Ainsi, plutôt que de simples statistiques de credit scoring, les emprunteurs seraient considérés comme de véritables clients.

La protection de la vie privée semble également inquiéter les associations. Ces craintes sont exagérées : le dispositif est très encadré, les fichiers existants sont déjà protégés et des améliorations sont encore possibles. Ainsi, la consolidation des données en empêchera toute réutilisation commerciale.

Comme le fichier des incidents de paiement, le fichier positif sera géré par la seule Banque de France. Il ne recensera que les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels et sera alimenté par les établissements de crédit, afin d’éviter toute accumulation de données financières.

Pour éviter toute utilisation commerciale par des tiers, les données financières – que les technologies actuelles permettent de mettre à jour très vite – seront consolidées, de même que les droits d’opposition, d’accès et de rectification. Le fichier sera soumis au droit commun de la loi de 1978, et toute infraction sera punie par des sanctions pouvant atteindre 300 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. Enfin, les mesures d’application devront être détaillées par décret en Conseil d’État, après avis de la CNIL et des parties prenantes.

J’invite l’Assemblée à s’engager clairement sur une question cruciale en adoptant cette proposition, quitte à l’améliorer au cours de la navette parlementaire. Un rejet signifierait qu’elle abandonne pour la troisième fois en quatre ans nos concitoyens aux lois du marché bancaire, et qu’elle ne fait rien pour réduire le surendettement qui touche pourtant 200 000 familles.

Depuis la première initiative du groupe UDF en 2003, 800 000 familles sont entrées en surendettement. Pensez à elles au moment du vote, chers collègues, alors que certains, qui manifestent un accord de principe, vous inviteront pourtant à refuser de discuter ne serait-ce que des articles. Chacun admet que les radars routiers dissuadent les automobilistes de rouler trop vite pour qu’ils sauvent leur famille. Combien de temps accepterons-nous qu’ils la mettent en danger en s’enfonçant trop dans le crédit ?

Mme la Présidente - Nous en venons à la discussion générale.

M. Gilles Artigues - Je prolongerai le propos si pertinent de M. Lagarde en faisant état de quelques chiffres fournis par la Banque de France. Plus de la moitié des dossiers de surendettement concernent des ouvriers et des employés. La part des chômeurs et des inactifs progresse pour atteindre 34 % en 2004. Les revenus des surendettés sont à 70 % inférieurs à 1 500 euros, et à 45 % inférieurs au SMIC. L’endettement est passif, pour l’essentiel : 73 % des cas sont dus à un événement inattendu – maladie, licenciement ou divorce – qui provoque une forte baisse de revenus. La part des crédits immobiliers dans le surendettement a chuté de 15 à 10 % entre 2001 et 2004. Parallèlement, la part des crédits « revolving », véritable piège, augmente : chaque dossier en comporte six en moyenne. En quinze ans, le nombre de dossiers a doublé ; sur les 182 000 dépôts en 2005, 156 000 étaient recevables. Depuis 1990, un million et demi de dossiers ont été déposés : ce sont quatre à cinq millions de personnes que le surendettement a affectées.

La proposition de loi présentée par MM. Lagarde et Morin au nom du groupe UDF vise à renforcer la prévention. Certes, l’arsenal législatif est déjà assez complet en matière d’aide au rétablissement personnel, mais l’augmentation du nombre de dossiers oblige à étoffer le volet préventif. Le fonctionnement des crédits « revolving », souvent incriminés à juste titre, est désormais bien connu. Pourtant, face à la machine de démarchage des organismes prêteurs, l’information fournie aux emprunteurs potentiels est encore trop peu lisible. Ce type de crédit est trop souvent considéré comme un ballon d’oxygène, au point que l’emprunteur a vite fait d’en contracter un nouveau pour rembourser le précédent : l’engrenage est aussi rapide que l’incitation est forte.

Le fichier national des incidents de paiement ne permet d’intervenir qu’après-coup. Quant aux organismes prêteurs, intéressés par leur seule commission, ils ne mènent pas d’enquêtes très poussées sur la capacité de remboursement des emprunteurs. Ceux-ci doivent d’ailleurs être responsabilisés. Tel est l’objet de cette proposition de loi et de celle qui l’a précédée en 2005. Le fichier obligera les prêteurs à s’informer en détail des crédits déjà contractés par l’emprunteur – dont les pratiques parfois compulsives seront ainsi encadrées – et les empêchera de réclamer leur dû en cas de non-remboursement.

Ce dispositif, qui existe déjà ailleurs, ne coûtera rien. Il ne peut qu’aider de nombreux foyers en difficulté. Certains craignent qu’il freine le crédit, et donc la croissance, mais les pertes que fait subir le désendettement à l’État et aux collectivités dépassent largement ces vagues prévisions ! Et quoi de plus sidérant qu’un ministre qui s’y oppose au motif qu’il privilégie une croissance artificielle plutôt que réelle ! En outre, avec l’autorisation préalable obligatoire de l’emprunteur et la gestion exclusive de la Banque de France, c’est un dispositif très encadré.

Le groupe UDF en avait déjà proposé la création lors de la discussion du projet de loi de rénovation urbaine en 2003. M. Borloo avait envisagé sa création, sous une forme ou sous une autre, avant la fin de l’année. En 2005, nous avons profité d’une niche parlementaire pour en refaire la proposition : chacun s’était alors ému des difficultés rencontrées par les Français surendettés. La commission, pourtant, avait refusé l’examen des articles, et M. Borloo avait promis de demander à un parlementaire de mener une réflexion sur le sujet. Un an et demi plus tard, toujours rien : on commence à douter de la parole du Gouvernement !

Aujourd’hui, il faut avancer. Votons cette proposition de loi au-delà de toute considération politicienne, et pensons avant tout aux milliers de personnes vulnérables que nous recevons dans nos permanences. Elles attendent plus qu’uns sincère compassion : ne les décevons pas !

M. Jacques Desallangre - Le surendettement des particuliers augmente depuis de nombreuses années. En 2004, 190 000 dossiers avaient été déposés – contre 145 000 en 2002. C’est un véritable fléau social qui freine la croissance et plonge de nombreuses familles dans la détresse. Le crédit n’a pas bonne presse en France, bien que les choses changent peu à peu. Souvent, les personnes surendettées sont tenues pour responsables de leur situation : elles doivent en supporter le coût.

En tout cas, l'ampleur du phénomène du surendettement a conduit les pouvoirs publics à mettre en œuvre de nouvelles mesures, dont la procédure de rétablissement personnel est l'exemple le plus significatif. La loi Neiertz de 1989 avait été la première à instituer un droit du surendettement, avec la création de commissions ad hoc. Mais les nombreuses réformes qui lui ont succédé restent insuffisantes. Peu d’entre elles se sont attelées à la prévention – elles se concentrent sur le volet curatif. Aucune n’a tenté de juguler une offre de crédit à la consommation prolifique et inconsistante. Si la loi apporte des solutions aux personnes déjà prises dans la spirale du surendettement, elle n’est pas parvenue à stopper la croissance du nombre de dossiers de surendettement.

Près des deux tiers des 200 000 nouveaux cas enregistrés en 2004 sont pourtant directement imputables à la profusion d'offres de crédit à la consommation. Par le biais de publicités alléchantes, des sociétés de crédit peu scrupuleuses offrent des milliers d'euros sans réel contrôle de la capacité de remboursement de l'emprunteur et de l'encours des crédits déjà souscrits. Peu importe que l’on vive du RMI et de l’allocation de solidarité spécifique, on peut obtenir 1 500 ou 2 000 euros sur un simple coup de téléphone.

Ce texte reprend mot pour mot, dans son article premier, une proposition de loi que j’avais déposée en mars 2005. Il a pour objet de responsabiliser les organismes prêteurs, qui devront dorénavant apporter la preuve de leurs démarches visant à s'informer de la situation de solvabilité de l'emprunteur. C'est une mesure de sagesse, mais dont l'efficacité repose sur l'existence d'un régime de sanction des organismes prêteurs. Si ces derniers ne peuvent apporter la preuve qu'ils se sont informés de la solvabilité de l'emprunteur, ils commettent une faute que nous aurions souhaité voir sanctionner par l'interdiction du droit d'exercer toute procédure de recouvrement à rencontre de l'emprunteur défaillant. La même sanction devrait s’appliquer s'il s'avère que le prêteur a accordé un crédit alors que la solvabilité de l'emprunteur était manifestement insuffisante lors de la signature.

Certains craignent que cela restreigne l'offre de crédit et la croissance. Mais une croissance économique saine et durable ne peut se fonder sur le surendettement et la détresse de la population. Il est préférable d’encadrer de façon plus responsable l'offre de crédit.

Nous regrettons également que nos collègues aient omis de s'attaquer à la question du taux de l'usure, dont le niveau et le mode de calcul doivent être révisés. Nombre de crédits à la consommation ou revolving flirtent avec la légalité et s'approchent de l'usure. Certains particuliers payent plus de 15 % d'intérêt et remboursent ainsi pendant des mois, voire des années, des crédits modestes. Le coût de l'argent pour les particuliers est bien trop important au regard du prix des crédits sur le marché interbancaire. Les organismes prêteurs ont un comportement prédateur, car le coût très élevé du crédit leur permet de supporter l'insolvabilité des emprunteurs.

La baisse de la rétribution du crédit permettrait de diminuer le niveau à partir duquel il n'est plus rentable d'accorder des crédits à une population non solvable. Pour maintenir sa rentabilité, le prêteur devrait donc limiter le risque d'insolvabilité des emprunteurs, en se souciant davantage de leur santé financière et de leur capacité de remboursement. La baisse du taux d'usure présenterait donc un bénéfice direct pour les particuliers, mais surtout un bénéfice indirect, celui de contraindre les organismes à la vertu en les détournant des proies les plus fragiles.

Nous proposons donc de baisser ce taux d'usure et de modifier son mode de calcul. L'article L. 313-3 du code de la consommation prend pour référence le taux effectif moyen, qui intègre la multiplication des crédits proches du taux d'usure. Il faut lui substituer, comme je l’ai déjà proposé, le taux moyen des prêts à 12 mois sur le marché interbancaire, auquel on appliquerait un coefficient multiplicateur – entre 2 et 4 – représentant le risque assumé et la plus-value escomptée par le prêteur.

J’en viens au répertoire national des crédits aux particuliers. Ce fichier doit être placé sous la responsabilité directe de la Banque de France, seul organisme légitime et compétent pour connaître de ces situations. La Banque se verra ici confortée dans sa mission de service public.

Nous ne pouvons qu’approuver ce texte, qui reprend une bonne part de la proposition de loi que j’avais déposée en mars 2005. Vous avez fait un pas dans la bonne direction, mais il reste encore du chemin à parcourir. Nous voterons donc le passage à l'examen des articles. Néanmoins, nous restons très réservés sur l'absence de mécanisme de sanction opposable aux prêteurs qui abusent de la faiblesse de trop nombreux consommateurs.

M. Marc Laffineur – C'est la seconde fois que cette proposition de loi, déposée une première fois le 13 janvier 2005, est à l'ordre du jour de notre assemblée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe UDF. Si l'intention de ses auteurs – lutter contre le fléau du surendettement – est louable, ce texte pose cependant davantage de problèmes qu'il n'en résout. Inadapté aux causes réelles du phénomène – 73 % des dossiers de surendettement sont dus à des accidents de la vie et non à un excès de crédits –, il pose des problèmes quant à la protection des données personnelles, à l’accès au crédit pour les plus démunis et au droit de créance. Le Gouvernement et la majorité se sont par ailleurs mobilisés à de nombreuses reprises sur le chantier de la lutte contre l'exclusion financière.

Notre assemblée avait adopté le 25 janvier 2005 deux articles d’une proposition de loi similaire rendant obligatoire un délai de réflexion de   jours avant l'acceptation définitive d'un crédit. Ce texte reprend les deux mesures qui n'avaient pas été adoptées : la responsabilité accrue de l'établissement de crédit qui n'a pas vérifié la solvabilité du souscripteur et l'instauration d'un répertoire des crédits aux particuliers, le « fichier positif ».

À l'issue de la discussion, le Gouvernement avait décidé de lancer une réflexion plus générale sur l'exclusion financière, qui est une réalité dans notre pays. 648 500 ménages seraient aujourd’hui surendettés, cela résultant dans la majorité des cas d'un accident de la vie – perte d'emploi, maladie, divorce. Ce type de surendettement, dit «passif», est en progression. La perte d'emploi en est le principal facteur – 31 % des cas – devant le divorce ou la séparation – 15 % des dossiers déposés. Le surendettement « actif » a en revanche diminué de près de 10 % par rapport à 2001…

M. Jean-Luc Warsmann – Absolument !

M. Marc Laffineur – …et ne représente que 14,6 % des dossiers. Néanmoins, la part des crédits à la consommation dans les situations de surendettement est en constante augmentation : chaque ménage surendetté compte en moyenne six crédits renouvelables ou revolving en 2004, contre quatre en 2001. En 2005, 182 000 dossiers de surendettement ont été déposés devant les commissions ad hoc.

Le Gouvernement et la majorité s’attachent donc depuis 2002 à lutter contre le fléau du surendettement, dans la continuité de la loi Neiertz du 31 décembre 1989 sur la prévention des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles. La loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003 a instauré la procédure de rétablissement personnel ou de la deuxième chance. Inspirée de la « faillite civile » en vigueur en Alsace-Moselle, elle permet aux personnes dont la situation est « irrémédiablement compromise » de bénéficier d'un effacement de la dette après la liquidation de leur patrimoine – 20 000 familles ont déjà bénéficié de cette procédure, soit 10,7 % des dossiers traités par les commissions de surendettement.

La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 prévoit d’autre part que les dépenses de logement, d’alimentation et de scolarité sont intégrées dans le calcul du « reste à vivre », et que les créances locatives ont priorité sur celles des établissements de crédit.

Ce volet de traitement social du surendettement serait cependant incomplet sans prévention et protection des consommateurs. C'est dans ce cadre que s’inscrivent la loi de sécurité financière du 1er août 2003, et surtout la loi du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur, votée à l’initiative de notre collègue Luc Chatel. Elles visent à améliorer l'information du consommateur sur les contrats tacitement reconductibles, à prévenir les risques de surendettement en encadrant mieux le crédit renouvelable et à améliorer l'information sur le crédit gratuit.

D'autres projets sont en cours : nous avons examiné hier le texte sur l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé, et les décrets relatifs à la réforme du crédit hypothécaire viennent de paraître au Journal officiel.

Une réflexion sur l'évolution de la politique de prévention du surendettement a été engagée. Le comité de suivi de la procédure de rétablissement personnel, présidé par M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, et le comité consultatif du secteur financier ont rendu plusieurs avis, qui préconisent notamment la création d'un observatoire ou d'un baromètre du surendettement. Cette réflexion s'inscrit dans une approche plus générale, celle de l'exclusion financière. Comment remédier au fait que 40 % des Français sont exclus du crédit ? C'est tout le sens du développement du micro-crédit. Il paraît donc préférable d'améliorer les outils existants plutôt que d'en créer de nouveaux.

Ce texte pose en effet de nombreux problèmes. La création d'un « fichier positif » inquiète aussi bien les associations de consommateurs que les banques et les établissements de crédit, tant au niveau de la protection des données personnelles que de la restriction de l'accès au crédit pour certaines catégories de la population.

L’article premier, qui institue une obligation pour le prêteur de s'informer de la situation de solvabilité de l'emprunteur, sous peine de se voir interdire la procédure en recouvrement, a de fortes chances d'être déclaré inconstitutionnel. Le Conseil constitutionnel a déjà sanctionné le fait de porter atteinte au droit de créance, en l'assimilant à une atteinte à un droit de propriété.

De plus, cet article est déjà en partie satisfait par un engagement des établissements de crédit du 18 mai 2004 : celui de ne pas accorder un crédit à un nouveau client sans consultation préalable du fichier national des incidents de paiement caractérisés, le but étant d’éviter que certains ménages ne s'endettent de façon excessive.

Quant au « fichier positif » prévu à l’article 2, je ne suis pas entièrement convaincu, d’abord parce que l’expérience similaire tentée en Belgique, à travers une centrale des crédits aux particuliers, ne s'est pas révélée probante, ensuite parce que ce registre sera incomplet : il ne retient pas l'ensemble des dettes, à commencer par les dettes fiscales et les loyers, ni les ressources des clients. Or, l'expérience montre que ce sont ces dettes – loyers, factures d'électricité et de gaz, cantine scolaire, impôts – qui ne sont pas honorées en premier. De plus, compte tenu de l'énormité et de la masse d'informations à collecter et à mettre à jour, il serait presque impossible de le constituer efficacement, au quotidien. J’ajoute que son coût serait de l'ordre de 50 millions d'euros et que ni l'État, ni les établissements de crédit ne veulent le prendre en charge. De ce fait une des solutions de financement passerait par l'augmentation des taux d'intérêt. C'est donc le consommateur qui au final mettrait la main à la poche.

Au-delà de ces considérations pratiques, la constitution d'un tel fichier pose d'autres problèmes d'ordre déontologique. En effet, l'enregistrement de tous les emprunteurs, y compris les « bons payeurs », pourrait ne pas être compatible avec le respect des libertés individuelles – diffusion de données contractuelles, levée du secret bancaire, traitement des homonymies, droit d'accès et de rectification – et, à l'inverse, éloignerait certaines catégories de la population de l’accès au crédit, les banques refusant de prendre un risque avec des personnes présentant un faible potentiel financier. Ce sont en tout cas les réserves émises par la CNIL dans son avis du 13 mai 2004. Enfin, un tel dispositif risquerait d'entraîner des sollicitations commerciales abusives – propositions de rééchelonnement de crédits – et donc de favoriser indirectement le surendettement.

Autrement dit, mieux vaut en rester au « fichier négatif », mais en le modernisant, en le rendant plus réactif et en améliorant la qualité de l'information disponible sur la situation financière globale du consommateur. Le groupe UMP pense donc qu’il faut différer l'examen des articles de la présente proposition de loi et poursuivre la réflexion en tenant compte des avis apportés par diverses entités indépendantes, telles que la CNIL, le comité consultatif du secteur financier, le comité de suivi sur la procédure de rétablissement personnel, afin de réformer le fichier existant dans un sens de prévention du surendettement. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Germinal Peiro - Le sujet d’aujourd’hui nous touche tous, car nous rencontrons dans nos permanences de nombreux concitoyens se trouvant dans des situations financières inextricables. La précarité de cesse de grandir, de même que « le sentiment d'être moins heureux qu'avant », comme le dit un ancien électricien dans un journal du soir. Un tout récent sondage d’Emmaüs France montre même que la moitié de la population se sent aujourd'hui directement menacée par l'exclusion, soit bien plus que les 6,9 millions de personnes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté défini par l'INSEE, à savoir 788 euros par mois. Songez que seulement 17 % des Français estiment qu'être sans-abri « ne leur arrivera jamais ». C'est bien la société de la crainte qui caractérise cette fin de mandature.

Parmi les raisons qui font le plus craindre aux Français de devenir SDF, le surendettement figure en tête, devant les licenciements. De fait, quatre personnes sans domicile sur dix ont des dettes. Comme l’explique M. Xavier Emmanuelli, président du Samu social, l'exclusion s'est diversifiée et représente une ligne de fracture qui traverse toute la société : femmes seules, jeunes en errance, personnes âgées, travailleurs pauvres... Je pourrais ajouter les agriculteurs obligés de s'inscrire au RMI, pour manger, tout simplement.

Ce que l’on voit, ce sont les conséquences de la vie chère, alors même que la société de consommation pousse chacun à vouloir toujours plus. Cette proposition de loi destinée à prévenir le surendettement ne peut donc que susciter l'attention de chacun d'entre nous.

Le développement de la pauvreté est l’un des grands défis sociaux qui attendent le futur gouvernement, puisqu'il n'a pas retenu suffisamment l'attention de la présente majorité. Prévenir le surendettement est l'un des axes qui devrait nous réunir tous. Le médiateur de la République fait d’ailleurs de ce chantier une priorité depuis un an. Jeudi prochain, il organise une conférence de presse sur ce sujet. Nous aimerions que son travail ne reste pas lettre morte, que tout le monde se mette autour de la table et que la majorité entende pour une fois la voix des précaires et des gens de peu plutôt que celle des prêteurs, souvent peu soucieux de la situation dans laquelle ils plongent les clients nécessiteux.

Il y a exactement trois ans, les socialistes avaient défendu ici des amendements sur le surendettement, et Mme Ségolène Royal avait fait une proposition similaire à l'article premier de la présente proposition de loi. Par sa voix, nous avions proposé quelques pistes. Nous demandions que soient moralisés les crédits à la consommation. Nous demandions des sanctions contre les publicités mensongères et, pour protéger les emprunteurs, l'obligation que les modalités de remboursement, les taux d'intérêt et les mensualités figurent en lettres aussi grosses que le montant de l'emprunt. Nous voulions réglementer plus sévèrement les crédits renouvelables, en alignant les conditions de renouvellement sur celles du crédit initial.

Je dois dire que la loi adoptée à l’initiative de M. Chatel a permis quelques avancées. Ainsi, la résiliation des contrats reconductibles a été facilitée. Mais il avait dû en rabattre sur ses ambitions initiales. Autre avancée : hier, l'Assemblée a examiné la question de l’accès au crédit des gens gravement malades.

Mais tout cela reste insuffisant. Le médiateur de la République a ainsi relevé les effets négatifs de la procédure de rétablissement personnel, issue de la loi du 1er août 2003. Les incidents bancaires restent inscrits dans le fichier durant huit à dix ans. C'est trop long et cela peut entraîner l'exclusion bancaire, qui « augure souvent d'une exclusion sociale plus large », nous rappelle le médiateur.

L'endettement des ménages français est passé de 49 % du revenu disponible en 1995 à 64 % en 2005. Il est certes moins élevé que la moyenne européenne, mais l'accélération de l'endettement n’en est pas moins un phénomène préoccupant. C'est pour cela que nous avions demandé, il y a trois ans, que les prêteurs indélicats soient sanctionnés plus sévèrement. Cette idée a fait son chemin. Nous la retrouvons dans l'esprit de l'article premier de la présente proposition. Nous soutiendrons donc celui-ci.

Nous sommes également plutôt favorables à la création d'un fichier positif, à finalité préventive. Un tel fichier fait peur, car les gens n’ont pas envie d’être des numéros répertoriés. Leurs craintes sont légitimes et nous savons les problèmes que pose le croisement des fichiers. Nous connaissons aussi les difficultés de la CNIL et la faiblesse de ses moyens. Si nous acceptions ce fichier, nous exigerions donc des garde-fous. Il n’en reste pas moins qu’un tel fichier serait sans doute l'une des plus fortes réponses au problème du surendettement.

Une telle mesure responsabiliserait les prêteurs, mais aussi les emprunteurs. Il faut dépasser l'accord de principe et entrer dans une phase de construction avec tous les acteurs, notamment la Banque de France, qui peut seule gérer le système. Il nous faut construire un partenariat, comme en Belgique, pour veiller à l'usage des données. Le gouvernement n'a rien fait sur ce sujet, alors qu'il multiplie par ailleurs les fichiers sans contrôle véritable.

Il y a trois ans, nous avions dit qu’il fallait passer des principes aux actes. Nous avons aujourd'hui une possibilité de le faire. Mais il faudrait sans doute plus qu’une niche parlementaire. Le Gouvernement aurait dû prévoir un vrai temps de débat sur cette question, car le répertoire national qui nous est proposé aujourd'hui appelle quelques questions. Ne faudrait-il pas prévoir un suivi non seulement par la Banque de France, mais aussi par des associations de consommateurs ? Nos partenaires belges ont adopté un intéressant système protecteur de la vie privée. Nous pourrions nous en inspirer.

Le fichier que vous proposez, Monsieur Lagarde, est un peu trop calqué sur le modèle anglo-saxon. Nous aurions préféré un modèle continental. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas pour nous de véritable raison technique qui empêche de discuter de tout cela, étant entendu qu’un fichier tel que celui qui est proposé ne serait qu'un instrument de la responsabilisation des prêteurs que nous réclamons. Nous avons besoin d’une analyse globale du « mal-endettement », comme dit le médiateur de la République. On pourrait aussi parler des méthodes de « resolvabilisation » des personnes endettées et du micro-crédit social dont la région Poitou-Charentes est pionnière.

Ce que nous voulons, ce sont des réponses pragmatiques, qui n'excluent pas les personnes en difficulté et qui responsabilisent tout le monde dans la chaîne de l'endettement, du consommateur au prêteur. C’est pourquoi nous voterons le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Luc Warsmann - Je remercie nos collègues d’avoir inscrit ce sujet à notre ordre du jour, le surendettement étant un problème fondamental dans notre pays.

Tout d’abord, on constate de nombreux dévoiements dans la commercialisation des crédits à la consommation. Je ne fustige nullement le système lui-même, qui permet à nos concitoyens modestes d’accéder à des biens et services, mais il est malheureusement devenu de pratique courante de prêter à des taux extrêmement élevés, sans prendre de garanties sur les emprunteurs, et en considérant que les clients qui s’échinent à rembourser vont payer pour ceux qui n’y parviennent pas.

Tous les clignotants sont au rouge : plus de deux millions de nos compatriotes sont inscrits au fichier des incidents de paiement de la Banque de France ; en 2005, 156 000 dossiers ont été déclarés recevables par les commissions de surendettement, et ils contenaient des crédits à la consommation dans 70 % des cas ; la densité des crédits revolving ne cesse d’augmenter – il y en a en moyenne six par dossier. Dans les Ardennes, 1 166 dossiers ont été déposés en 2005, soit plus de 4 pour 1 000 habitants, et pour les neuf premiers mois de 2006 l’augmentation atteint 9 %.

Il faut enfin souligner la gravité des conséquences sociales. Nous voyons tous dans nos permanences des familles qui tombent dans le surendettement parce qu’un crédit en appelle un autre, ou parce qu’un membre du couple a cru résoudre comme cela des problèmes de trésorerie ; et ces familles, pendant plusieurs années, ne peuvent plus faire de projets, ni d’acquisition d’une automobile, ni d’achat immobilier, et vont parfois jusqu’à remettre en cause les études des enfants, qu’elles ne peuvent plus payer.

J’avais moi-même déposé une proposition de loi, qui a été enregistrée le 19 septembre 2006 au bureau de notre assemblée, visant à la fois à faciliter l’accès au crédit et à mieux protéger les consommateurs. Je demande au Gouvernement d’agir pour renforcer leur protection contre le surendettement et contre les abus.

Sur la proposition qui nous est faite ce matin de créer un fichier positif, j’entends beaucoup de critiques, mais il faut raison garder. Dans la quasi-totalité des pays de l’Europe des Quinze, un tel fichier existe. Celui-ci permet d’éviter le crédit de trop. Beaucoup de personnes tombent dans le surendettement à la suite d’un accident de la vie, parce que trop souvent, la première réponse à cet événement est un crédit supplémentaire (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF).

M’étant rendu récemment à la Banque nationale de Belgique avec le médiateur de la République, je puis vous assurer que certains arguments utilisés dans ce débat sont sans fondement. Celui du coût d’abord : en Belgique, le coût annuel est de 4,3 millions, et cela n’a pas renchéri les crédits à la consommation ; ce sont les établissements bancaires qui paient lorsqu’ils consultent le fichier.

On nous dit que les établissements de crédit risquent de se servir du fichier pour trouver de nouvelles cibles commerciales : le comité de suivi belge m’a assuré que non, la loi ayant institué de nombreux verrous, notamment en ne permettant à un organisme bancaire de consulter le fichier que s’il doit remettre une offre à un client, et non pour un démarchage.

La CNIL y opposerait. Soyons clair, je suis contre un fichier positif à caractère privé.

M. le Rapporteur – Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann – Si fichier positif il y a, il doit être géré par un organisme public. Au demeurant, la CNIL a autorisé en novembre 2005 deux grands acteurs du crédit à la consommation, CETELEM et COFINOGA, à échanger leurs informations sur les clients potentiels : qu’est-ce d’autre qu’un fichier privé ? Ce que le législateur n’a pas fait par la loi, des acteurs privés sont en train de s’entendre entre eux pour le faire !

M. le Rapporteur – Sans aucune garantie !

M. Jean-Luc Warsmann – Ils ne sont d’ailleurs pas demandeurs d’un fichier public… Je me suis laissé dire aussi qu’un autre grand acteur national du crédit avait été autorisé en 2005 à laisser ses filiales échanger leurs informations.

Il reste que cette proposition de loi est loin d’épuiser le sujet, car il faudrait un plan beaucoup plus global. Des acteurs de terrain font bouger les choses : le réseau CRESUS en Alsace, les associations passerelles en Champagne-Ardenne. Celles-ci ont été créées par un grand groupe bancaire pour accueillir les personnes en voie de surendettement et les aider à faire le point, afin de les refinancer à des taux normaux sur une durée un peu plus longue, en leur permettant ainsi de rester des acteurs économiques qui font des projets d’avenir.

Je veux insister sur le fait que nos concitoyens sont parfois « mal endettés » ; plutôt que de les faire tomber systématiquement dans la procédure des commissions de surendettement, mieux vaut créer un étage de prévention, supposant un accompagnement social. Dans l’association passerelle, ce sont des retraités du secteur bancaire qui jouent ce rôle.

En conclusion, j’approuve l’initiative de nos collègues. Je n’approuve pas le détail du texte parce que je considère qu’il faut une approche plus globale mais, comprenant le caractère symbolique de la démarche, je donne mon accord (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. William Dumas – Véritable fléau social, le surendettement des familles est en augmentation constante depuis de nombreuses années. En 2005, un peu plus de 156 000 dossiers ont été jugés recevables auprès des commissions de surendettement, soit un triplement en dix ans. C’est bien la preuve qu’il faut modifier le système. Sans aller nécessairement jusqu’au dernier recours qu’est le dépôt d’un dossier devant la commission, plus d'un million de ménages sont confrontés au quotidien à des problèmes de surendettement et d'accumulation de crédits. Alors que le pouvoir d'achat baisse, on leur propose de consommer toujours plus, à grand renfort de publicités tapageuses ; et la loi dite de confiance et de protection du consommateur, adoptée par la majorité le 20 janvier 2005, permet désormais de faire l’apologie du « crédit gratuit » – qui s’accompagne en général d’une majoration du prix de vente.

Le crédit, tout particulièrement à la consommation, peut temporairement donner l'illusion de résoudre des problèmes financiers, mais il mène à des situations de surendettement. Il ne faut évidemment pas généraliser, mais être conscient que les personnes les plus tentées par cet argent facile sont toujours les plus fragiles. Nous ne pouvons pas continuer à laisser des centaines de milliers de familles tomber dans le surendettement sans organiser la responsabilité des prêteurs – très souvent partenaires et complices des temples modernes de la consommation que sont les grandes surfaces –, qui accordent de nouveaux prêts pour rembourser les anciens, à des taux frôlant parfois l’usure.

Nous soutiendrons donc le premier article de cette proposition de loi, considérant qu’il faut exiger des établissements de crédit qu'ils étudient sérieusement la situation financière de leurs clients – faute de quoi ils ne sauraient être autorisés à engager une procédure de recouvrement à l’encontre d’une personne non solvable.

Concernant le fichier, une véritable concertation est nécessaire, notamment avec les associations de consommateurs et les organismes de crédit : nous en discuterons lorsque nous aborderons l’article 2. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La discussion générale est close.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur  La représentation nationale a pris une nouvelle fois l’initiative d’examiner la question du surendettement des ménages, sur laquelle elle revient régulièrement – à juste titre, car il faut en permanence concilier accès au crédit et prévention du surendettement. Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Le Gouvernement souhaite mettre à la disposition des Français des moyens pour financer leurs projets tout en veillant attentivement à la prévention du surendettement. Les outils qui existent à ce propos doivent être mieux connus et surtout mieux utilisés.

Les Français ont des projets, et le Gouvernement souhaite qu’ils disposent d’outils de financement soutenables : on ne peut pas à la fois regretter l’absence d’initiative et de création d’entreprise et ne pas organiser les financements nécessaires. L’accès au crédit est une aspiration économique et sociale profonde. C’est une évidence pour les entreprises, qui doivent financer leurs investissements, mais aussi pour les particuliers, car l’emprunt donne à chacun la faculté de réaliser ses projets personnels et professionnels. L’Observatoire de l’épargne européenne a montré que les Français restent nettement moins endettés que leurs voisins, qu’il s’agisse de crédit à l’habitat ou à la consommation. En 2004, le niveau d’encours moyen des crédits en France était de 11 000 euros par habitant, soit environ 60 % de leur revenu disponible brut : la moyenne européenne était de 16 000 euros, pour un taux de 90 %.

Or, la consommation est un des trois moteurs de la croissance, avec l’investissement et l’exportation. Elle est facteur d’une croissance durable, comme le montrent les exemples de nombreux pays. Elle est également pourvoyeuse d’emplois. Elle est donc une des priorités du Gouvernement, qui œuvre pour diversifier les outils de financement, mais dans un cadre sécurisé. Il favorise ainsi par exemple le développement du micro-crédit, auquel il consacre 73 millions sur cinq ans. La récente convention AERAS, elle, permet aux personnes présentant des risques de santé aggravés d’avoir accès au crédit.

Naturellement, emprunter n'est pas chose aisée pour tous : les banques peuvent être réticentes, par exemple pour les personnes dont les revenus n'ont pas une régularité reconnue. Une étude a montré que si, en 2004, 8 millions de ménages détenaient un crédit à la consommation, 600 000 ménages solvables n'y avaient pas accès. C’est pour cette raison que nous avons mis en place le prêt hypothécaire rechargeable. L'ordonnance de mars 2006 sur les sûretés permet ainsi de mobiliser les actifs que détiennent les Français pour garantir leurs projets – réaliser des travaux d’aménagement par exemple. Des établissements proposent ce type de crédit depuis quelques semaines. Nous avons naturellement veillé à ce que ces nouveaux produits ne viennent pas aggraver le surendettement : les textes prévoient systématiquement des dispositions de protection des consommateurs. En particulier, comme vous le souhaitez, Monsieur le rapporteur, nous avons interdit que des crédits revolving puissent être garantis par ces hypothèques rechargeables.

Mais toutes ces précautions ne suffiront pas à empêcher le surendettement. Nous devons prévenir le mieux possible ces situations et les traiter de la façon la plus humaine lorsqu'elles surviennent.

M. Jacques Desallangre – C’est avant qu’il faut agir !

Mme la Ministre déléguée – La prévention du surendettement repose sur de multiples outils, qui peuvent être améliorés et doivent être mieux connus. Ne plus pouvoir faire face à ses dettes est un drame social et humain que nous devons chercher à éviter à nos concitoyens. Selon la Banque de France, 73 % des personnes surendettées le sont devenues à la suite d’un « accident de la vie » – licenciement, divorce, veuvage… Leurs échéances sont devenues insoutenables à la suite de cet événement personnel. Notre priorité doit être de traiter ce surendettement « passif ». C’est pourquoi Jean-Louis Borloo avait proposé des procédures de rétablissement personnel, qui permettent un effacement des dettes, sous le contrôle du juge, dans les cas où la situation des personnes concernées est irrémédiablement compromise.

Le texte que vous examinez aujourd'hui porte, lui, sur la prévention du surendettement « actif », qui concerne à peine un tiers des cas. Vous attribuez, Monsieur le rapporteur, le surendettement au fait que des crédits sont accordés sans étude approfondie de la situation des bénéficiaires. Je partage pleinement le souci de renforcer la responsabilisation des établissements bancaires et financiers. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Luc Warsmann – Très bien !

Mme la Ministre déléguée – Il n'est pas admissible que des établissements octroient de nouveaux crédits, le crédit de trop, en sachant que les emprunteurs risquent le surendettement. Mais nous disposons déjà d'un arsenal pour lutter contre cela, qui mérite certainement d’être amélioré, mais en tout cas d’être utilisé. Les établissements ont d'abord l’obligation d’éclairer le consentement de l'emprunteur : ils doivent ainsi veiller à son information, dans des conditions strictes, et lui laisser le temps de la réflexion. Les banques doivent réunir des éléments d'appréciation sur la situation de l'emprunteur, sous peine de voir leur responsabilité civile mise en cause en cas de défaillance. Les tribunaux sont extrêmement vigilants sur ce point : ils confèrent aux prêteurs un véritable devoir de mise en garde du demandeur. Des arrêts de juillet 2005 et de mai 2006 reconnaissent leur responsabilité s’ils n'attirent pas l'attention de leurs clients sur les aspects négatifs du crédit qu'ils proposent. Par ailleurs, l’octroi abusif de crédit est sanctionné pénalement : le prêteur qui accorde un crédit sans saisir l'emprunteur d'une offre préalable encourt la déchéance des intérêts ; si l’offre préalable ne respecte pas les formalités prescrites par la loi, il encourt une amende de 1 500 euros ; enfin, les infractions aux règles du code de la consommation sont sanctionnées par une amende de 30 000 euros.

Votre proposition de loi consisterait à mettre en place à la Banque de France un répertoire unique, centralisant les informations sur tous les crédits, dont la consultation serait obligatoire avant l’octroi de tout nouveau crédit. Une réflexion et une concertation ont été engagées depuis avril 2005, au sein du comité consultatif du secteur financier, qui regroupe des parlementaires, des associations de consommateurs et caritatives, des banques et des syndicats. Il en ressort qu’il faut tout d'abord faire appliquer les règles actuelles, en particulier concernant l'information préalable du consommateur. Ces dispositions ont été renforcées au cours des dernières années, notamment à l'initiative de M. Chatel. Il appartient à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de les contrôler, et des instructions lui ont été données en ce sens. Des enquêtes ont régulièrement pour objet de vérifier la bonne application de la réglementation. La dernière, menée au cours du premier trimestre dans 41 départements, a consisté en 405 contrôles, sur différentes catégories d'établissements, et donné lieu à 58 procès-verbaux. Le taux de non-conformité global est de 29 %. La réglementation doit être plus strictement appliquée, et nous allons continuer à oeuvrer en ce sens.

Il faut aussi faire preuve de pédagogie. C’est le rôle des associations de consommateurs, des médias, mais aussi des travailleurs sociaux, auxquels il est nécessaire de faire connaître ces mesures. Il faut enfin améliorer le fonctionnement du fichier des incidents de crédit des particuliers, géré par la Banque de France, que les prêteurs consultent avant chaque octroi de crédit. Il leur est ainsi possible de savoir si leur client a déjà connu des difficultés de remboursement. C'est un outil efficace, qui est en constante amélioration, mais son mode d'alimentation est trop lent et doit être accéléré – cela devrait être fait dans quelques mois. Ces améliorations me semblent préférables à la création du nouveau fichier centralisé que vous proposez. Il ne me semble pas réaliste de mettre en place un nouveau service public qui observerait de façon systématique le comportement de chaque Français, quel que soit son niveau d’endettement, lorsqu'il demande un crédit. Instaurer cette formalité supplémentaire pénaliserait injustement tous ceux qui veulent financer des projets. N'oublions pas que la très grande majorité des emprunteurs ont une solvabilité suffisante : ne créons pas un obstacle supplémentaire à l’initiative !

En outre, pour déceler efficacement les risques de surendettement, ce nouveau fichier devrait répertorier aussi les retards de paiement qui stigmatisent les situations de détresse : électricité, gaz, loyers...

Naturellement, un tel fichier ne permettrait pas de prévenir la principale cause de surendettement, les accidents de la vie. Vous m'objecterez que des fichiers positifs, plus exactement des « centrales de crédit », existent dans plusieurs pays, notamment en Belgique et en Irlande et que dans de nombreux pays européens, les emprunteurs peuvent faire évaluer leur capacité de remboursement par des agences spécialisées. En France, il est déjà possible de procéder à des échanges de données ponctuels. Il reviendrait à la CNIL d'examiner des projets éventuels de « centrales de crédit » plus structurées, alimentées à la demande des clients, avec leur consentement, et qui leur permettraient d’apporter la preuve qu'ils sont de bons payeurs à l’endettement supportable.

Pour conclure, je salue, Monsieur le rapporteur, votre initiative. Vous avez eu raison de raviver l'alerte sur les risques de surendettement, car les chiffres sont inquiétants. Tous les acteurs doivent redoubler d'efforts pour améliorer leurs comportements. Les établissements de crédit doivent mieux respecter leurs devoirs et assumer leurs lourdes responsabilités. Les réseaux doivent sensibiliser les clients aux conséquences des crédits qu'ils souscrivent. Nous devons rester vigilants sur le traitement des personnes exclues du crédit, et surtout éviter de les précipiter dans le surendettement. Le Gouvernement privilégie cette pédagogie des comportements plutôt que le développement de nouvelles règles ou de nouveaux instruments publics. Il rejoint donc la proposition de la commission de ne pas passer à la discussion des articles, tout en s’engageant à poursuivre les efforts pour mieux utiliser les outils dont nous disposons déjà pour prévenir les situations de surendettement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur – Monsieur Desallangre, j’apprécie bien entendu votre souhait de passer à la discussion des articles -ce qui serait déjà un progrès par rapport aux tentatives précédentes où cela n’a, hélas, pas été possible. Je suis d’accord avec vous, il faut instituer une co-responsabilité en matière de crédit. Si l’emprunteur est responsable du prêt qu’il souscrit, le prêteur ne l’est pas moins de celui qu’il consent. Qui verserait une larme sur celui d’entre nous qui prêterait à n’importe qui 10 000 euros, sans avoir fait aucune vérification, s’il n’était pas ensuite remboursé ? Pourquoi les banques et les établissements de crédit échapperaient-elles à la même responsabilité ? Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur Desallangre, la proposition de loi prévoit bien des sanctions en cas de non-vérification des capacités de remboursement de l’emprunteur, puisque le prêteur perd alors sa créance et ses intérêts, et non plus comme aujourd’hui les seuls intérêts. Pour l’instant, les établissements de crédit vertueux qui souhaitent connaître le niveau d’endettement d’un client ne le peuvent pas, sauf à s’en enquérir auprès de lui. Or, nous savons tous ce qu’il en est de la capacité de nombre de personnes, que nous recevons tous dans nos permanences, à évaluer leur niveau d’endettement réel.

La prévention qui existe aujourd’hui en matière d’information est insuffisante. Nous recevons tous des offres de crédit à domicile dans lesquelles le solde disponible proposé s’accroît alors même que l’on n’a pas apporté la moindre preuve de sa capacité à rembourser !

Enfin, Monsieur Desallangre comme Madame la ministre, soyez rassurés : la Banque de France est pour nous le seul opérateur à même de gérer un tel fichier, dans le strict respect des libertés individuelles. Il n’est pas question pour nous de le confier à des opérateurs privés.

Monsieur Laffineur, votre principale objection à cette proposition de loi est qu’elle ne réglerait pas tous les cas. Certes, mais est-il un texte qui pourrait régler tous les cas de surendettement, tant les causes en sont multiples ? 73 % des cas de surendettement, dites-vous, seraient consécutifs à un accident de la vie – ce qui signifie a contrario que 27 % des cas relèvent d’un abus de crédit. Et, quels que soient les chiffres retenus, ce sont en tout cas plusieurs dizaines de milliers de familles qui, souvent par compulsion, entrent chaque année dans la spirale du surendettement. Régler le cas de celles-là serait déjà faire œuvre utile. De toute façon, même pour les victimes d’un accident de la vie, la première tentation est de recourir à un emprunt à la consommation en espérant retour à meilleure fortune, alors que cela ne fait qu’aggraver leur situation. On le constate d’ailleurs dans les dossiers de surendettement : ces personnes sont en moyenne passées de trois à six crédits à la consommation en quatre ans. Éviter à 27 % de familles de se surendetter et à beaucoup d’autres d’aggraver leur situation, n’est-ce pas un objectif suffisant pour que nous nous mobilisions ?

Il faudrait enfin un peu de cohérence : ni la loi Borloo instituant la procédure de rétablissement personnel ni la proposition de loi de notre collègue Chatel sur l’information des emprunteurs – tous textes utiles que j’ai votés ainsi que mes collègues de l’UDF – ne règlent non plus tous les problèmes. Il existe plusieurs outils pour lutter contre le surendettement : celui que je propose n’est que l’un d’entre eux.

Un tel fichier inquiète les banques et les consommateurs, ajoutez-vous, Monsieur Laffineur. Il n’inquiète les banques que parce qu’elles estiment disposer du meilleur fichier clients qui soit et qu’elles ont peur de la concurrence européenne. Preuve en est que dans les autres pays européens elles ne protestent pas alors qu’en France, elles cherchent avant tout à préserver leur situation dominante en tant qu’opérateurs historiques. Ne rien faire leur profite.

Vous avez enfin prétendu, comme Mme la ministre, que la proposition de loi faisait obligation aux prêteurs de consulter le fichier, ce qui n’est pas le cas. Simplement, s’ils ne l’ont pas fait, ils perdent leur créance. Le métier de banquier est de prendre des risques et de les évaluer au mieux, pas de s’appuyer sur des sondages et des statistiques pour déterminer la part de la population qui rembourse le mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Certains assurent qu’il suffirait de perfectionner le fichier des incidents de paiement. Mais ce ne serait pas de la prévention, car lorsqu’on figure dans ce fichier, c’est qu’on a déjà eu une difficulté. Nous voulons, nous, agir en amont. Il est vrai que lorsqu’une personne y est fichée, elle a commencé par ne payer son loyer ou d’autres factures, notamment celles d’électricité en espérant que le CCAS lui viendra en aide, et le premier chèque rejeté est bien souvent celui fait pour rembourser un crédit à la consommation car la personne sait, là, que les relances, voire l’intervention d’un huissier, ne tarderont pas.

Plusieurs d’entre vous, notamment M. Warsmann, ont cité l’exemple belge. Le fichier qui existe dans ce pays n’ayant été mis en place qu’en 2003, il serait prématuré d’en tirer des conclusions sur la solution des cas de surendettement. Mais chacun a pu constater que ce fichier a pu être constitué sans coût supplémentaire et qu’il fonctionne. Les objections techniques, selon lesquelles il serait trop difficile d’entrer les données ou de les actualiser, ne sont donc que mauvais prétextes. Pourquoi ce qui est possible en Belgique ne le serait-il pas en France ?

Enfin, d’une manière générale, le coût des crédits à la consommation intègre le risque d’impayés. C’est d’ailleurs pourquoi notre proposition de loi ne concerne pas que les personnes surendettées, mais tous les emprunteurs. En effet, les banques et les établissements de crédit renchérissent le coût des crédits pour en tenir compte : on évalue de 0,5 % à 3,5 % le coût supplémentaire du crédit de ce fait-là. Quel risque prennent les prêteurs dès lorsqu’ils augmentent le coût du crédit des 98 % d’emprunteurs qui remboursent sans problème, afin d’amortir le coût des 2 % d’impayés ? Des ménages sont entraînés dans la spirale du surendettement, et des drames sociaux qui l’accompagnent, alors que les autres en supportent le coût. N’est-il pas temps d’agir ?

Messieurs Peiro et Dumas, je vous remercie d’avoir signalé que Mme Royal avait eu la même idée que moi à peu près au même moment. Cela m’ouvre des perspectives… (Souries) Vous avez souligné que la gestion du fichier ne posait pas de problème technique particulier et qu’il fallait en finir avec l’idée qu’il suffirait de perfectionner les outils existants, j’en suis d’accord avec vous.

Madame la ministre, plusieurs de vos arguments ne sont pas recevables. Le premier est que les Français seraient moins endettés que le reste des Européens. Certes, ils ont en moyenne 5 000 euros de dettes de moins que leurs voisins, mais il s’agit là seulement de leurs dettes privées, à l’exclusion de la dette publique. Au total, les Français sont au moins aussi endettés que leurs voisins ! Comme le faisait remarquer, il y a deux ans, le gouverneur de la Banque de France, quel sens y a-t-il à se comparer avec des pays dont la dette publique n’a rien d’aussi pharaonique que la nôtre – plus de 22 000 euros par habitant.

Nous sommes tous d’accord pour responsabiliser les prêteurs, Madame la ministre, mais il faut des procédures d’information adéquates. Les organismes prêteurs s’opposeraient à nos propositions, prétendez-vous, mais c’est inexact : le président de Cofinoga m’a ainsi expliqué qu’il avait besoin de procédures pour que ses filiales puissent contrôler l’endettement… Au lieu de laisser se développer des fichiers privés, créons donc des fichiers publics, plus susceptibles de préserver les droits et libertés de nos concitoyens.

Alors que nous refusons d’agir, ergotant sur des taux d’efficacité et des difficultés techniques ignorées en Belgique, ce sont en effet des fichiers privés qui se constituent. Sous la pression de certains lobbys, la CNIL a ainsi autorisé le recoupement des fichiers de Cofinoga et de Cetelem. Les fichiers publics que nous refusons existent donc à titre privé !

Le Gouvernement a certes changé de position, s’engageant aujourd’hui à travailler sur les dispositifs existants, mais n’oublions pas qu’il avait déjà promis, il y a deux ans, de nommer un parlementaire en mission sur ce sujet. En 2003, nous avions même adopté un amendement en ce sens, que Jean-Louis Borloo avait trouvé intéressant et suffisamment précis. Suffirait-il d’améliorer les dispositifs existants, comme vous le prétendez ? Personne ne le pense ici !

Si nous n’établissons pas de fichier public, vous savez cela n’empêchera pas les fichiers privés de se développer encore. Nous devons limiter les recoupements, autoriser seulement la consultation des fichiers à la demande de l’emprunteur, limiter la conservation des données à la durée de l’emprunt, mais aussi interdire le traitement automatisé des données à des fins de démarchage commercial. Voilà l’intérêt d’un fichier positif.

La commission a refusé le passage à la discussion…

M. Jean Dionis du Séjour – À une voix près

M. le Rapporteur – …et je peux concevoir certaines réticences, mais discutons des articles afin d’améliorer le mécanisme proposé. Je suis prêt à renoncer à toute forme de paternité sur ce dispositif ! Je trouverais dommage qu’on ne progresse pas sur un sujet dont nous reconnaissons tous l’importance, pour la seule raison que certains lobbys s’y opposent, dans les banques ou à Bercy.

Voilà pourquoi je vous demande de passer aux articles et d’adopter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Merci d’avoir rappelé que la commission n’avait pas accepté de passer à la discussion des articles. Vous avez plaidé votre cause avec grand talent, Monsieur le rapporteur. On ne peut qu’être sensible à vos arguments, mais la majorité doit être cohérente avec elle-même.

Certaines pratiques de crédit à la consommation sont effectivement inacceptables – vous l’avez rappelé, ainsi que M. Warsmann. C’est pourquoi j’ai demandé la création d’un groupe de travail lors de nos débats en 2005. Vous pouvez faire confiance à la majorité : nous avons nommé la semaine dernière M. Chatel comme rapporteur de la loi sur la consommation, qui viendra en discussion à la fin du mois de janvier. Le Gouvernement a indiqué qu’il apporterait à cette occasion une solution aux problèmes que vous proposez. Loin de vouloir enterrer la difficulté, nous allons nous y atteler dans un texte global sur la consommation, et non à l’occasion d’une simple niche parlementaire.

Je reconnais bien volontiers vos bonnes intentions, Monsieur le rapporteur, mais le remède que vous proposez ne me semble pas bon. On peut craindre que la création de ce fichier fasse prévaloir les choix économiques sur la vie privée. Par ailleurs, n’est-il pas disproportionné de créer un fichier central utile à 60 000 personnes mais concernant 15 à 20 millions de nos concitoyens ? Ne pourrait-on élaborer une solution plus mesurée ? Parmi ces 60 000 personnes, 73 % ne sont pas des acheteurs compulsifs ou impulsifs, mais des victimes d’accidents de la vie, rappelait M. Laffineur. Votre proposition de loi réglerait le problème de 27 % du public concerné, affirmez-vous, mais quid des autres ? Ne les oublions pas ! Ce sont eux que nous devons aider !

M. Louis Giscard d'Estaing – Bien sûr.

M. François Rochebloine – Mais comment ?

M. le Président de la commission – Nous vous présenterons des solutions en janvier ! (Rires sur certains bancs du groupe socialiste). J’espère que vous les voterez ! Un tel sujet ne doit pas faire l’objet de passions politiques, mais d’un véritable travail de fond. Voilà pourquoi je vous demande d’attendre le mois de janvier et de suivre la commission qui a refusé de passer à l’examen des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme la Présidente – La commission n’ayant pas présenté de conclusions, conformément à l’alinéa 14, alinéa 3 du Règlement, l’Assemblée est appelée à statuer sur le passage à la discussion du texte initial de la proposition de loi. Si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion, la proposition ne sera pas adoptée.

Sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi, j’ai été saisie par le groupe UDF d’une demande de scrutin public.

M. Gilles Artigues – Toutes les interventions sont allées dans le même sens : nous souhaitons tous prévenir le surendettement. Les arguments justifiant le rejet de ce texte nous ont semblé bien faibles. J’ai apprécié les propos de M. Warsmann, mais je rappelle que nous ne devons pas nous limiter à une démarche symbolique : face à la gravité de la situation, nous devons passer de la parole aux actes !

La proposition de loi déposée par MM. Morin et Lagarde offre pour cela un dispositif équilibré, avec toutes les garanties nécessaires contre d’éventuelles dérives. Nous demandons de responsabiliser les établissements de crédit en les obligeant à examiner la situation des emprunteurs, ce qui éviterait des drames sociaux handicapants pour notre économie – des centaines de personnes sont en effet durablement exclues de la consommation. Au moment de voter, pensons aux plus fragiles et aux plus vulnérables, à toutes ces personnes que nous recevons régulièrement dans nos permanences. Saisissons cette occasion au lieu de continuer à attendre : cette législature ne doit pas rester inutile pour toutes ces personnes. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera le passage à la discussion des articles, sur lequel nous avons demandé un scrutin public.

M. Jacques Desallangre – Votre argumentation ne nous a pas convaincus, Madame la ministre. Je regrette également la tonalité quelque peu méprisante avec laquelle M. Ollier a évoqué les niches parlementaires.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, les mesures déjà adoptées par cette majorité n’ont rien d’excellent puisque le problème du surendettement n’a rien perdu de son acuité. Il est question d’information, de délai de rétraction, de fichier, mais cela suffira-t-il pour dissuader des personnes au bord du gouffre, qui cherchent dans un endettement supplémentaire une solution illusoire ? Ces personnes ne sont plus en mesure de réfléchir froidement ; elles se jettent sur le nouveau crédit qu’on leur fait miroiter.

Il peut être utile que les établissements de crédit consultent les fichiers de la banque de France, mais que se passera-t-il si aucun incident de paiement n’a été déclaré ? Nous devons imposer une information plus complète et sanctionner tout prêteur qui n’aurait pas pris les mesures nécessaires en lui interdisant de poursuivre un emprunteur défaillant. Ces mesures strictes sont nécessaires pour responsabiliser les prêteurs : seul un risque de pénalisation financière les conduira à la sagesse et à l’exercice honnête de leur métier.

Voilà pourquoi nous voterons le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Marc Laffineur – Le surendettement est un problème grave et très préoccupant, qui a été pris à bras-le-corps par la majorité depuis 2002. Nous avons voté en 2003 une loi sur la faillite personnelle, puis un texte sur l’information du consommateur du consommateur en janvier 2005, et nous avons commencé de nous pencher sur l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé.

Mais nous ne devons pas légiférer en permanence : attendons que les lois votées portent leurs effets avant de les revoir. Voilà pourquoi la commission des affaires économiques nous demande d’attendre le mois de janvier. Le groupe UMP votera contre le passage à la discussion des articles. Il faut parfois savoir attendre si l’on veut être plus efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Germinal Peiro - La discussion de ce matin est l’occasion de dresser le bilan de la mandature. En cinq ans, la détresse sociale s’est aggravée et le pouvoir d’achat a diminué. La majorité en est largement responsable. Il en va de même en matière de surendettement : 64 % des ménages étaient endettés en 2005 ! On nous dit que c’est encore inférieur à la moyenne européenne : pas si l’on y ajoute la dette publique !

En appelant à ne rien faire, Madame la ministre, vous proposez la politique du pire. M. Ollier repousse toute action au mois de janvier : comment peut-on croire que c’est à quelques jours de la fin de nos travaux que le Gouvernement adoptera des mesures qu’il a constamment repoussées depuis cinq ans ?

M. le Président de la commission – Voilà des propos bien audacieux !

M. Germinal Peiro – Aujourd’hui, il y a urgence. La présente proposition permet d’abord d’engager la responsabilité des organismes prêteurs, face aux propositions souvent indéchiffrables que nous recevons tous et qui appâtent les plus vulnérables. Elle permet aussi de protéger les familles en difficulté grâce à la mise en place d’un fichier positif public. À ceux qui en contestent la viabilité, opposons l’exemple belge, comme l’a fait M. Warsmann – je me demande d’ailleurs comment il votera dans un instant…

Cette proposition de loi ne réglera pas tous les problèmes liés au surendettement.

M. le Rapporteur – C’est vrai.

M. Germinal Peiro – Mais elle permettra d’avancer et de se donner les moyens supplémentaires d’y faire face.

M. le Rapporteur – C’est vrai aussi !

M. Germinal Peiro – Enfin, Madame la ministre, faites confiance au travail parlementaire ! En refusant la discussion des articles, vous niez le rôle du Parlement. Toute ambiguïté sur le fichier pourra être levée au cours de la navette. Le groupe socialiste votera donc en faveur du passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

À la majorité de 45 voix contre 31 sur 76 votants et 76 suffrages exprimés, le passage à la discussion des articles est repoussé.

Mme la Présidente - En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 11 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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