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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du jeudi 14 décembre 2006

Séance de 15 heures
42ème jour de séance, 96ème séance

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde
Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

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formation et responsabilité des magistrats
modification de la loi sur le médiateur
équilibre de la procédure pénale

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats, du projet de loi modifiant la loi du 13 janvier 1973 instituant un médiateur et du projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

M. le Président – La Conférence des présidents a décidé que ces trois textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Michel Hunault - Je voudrais faire un rappel au Règlement basé sur l’article 58-1. La réforme de la justice est une question essentielle. Je ne peux donc que regretter que nous en commencions l’examen dans un hémicycle quasiment désert. La commission d’enquête qui a travaillé pendant six mois, avec acharnement, sur ce sujet a réussi à dépasser ses clivages pour faire émerger des propositions unanimes. Cela méritait une meilleure organisation de la discussion.

M. le Président – La conférence des présidents a fixé l’ordre du jour ainsi. L’important n’est pas tant le nombre que la qualité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice  Il y a un peu plus d'un an, le drame d'Outreau créait une onde de choc dans notre pays. Il a entraîné une réelle crise de confiance en notre justice. Chacun a pu se demander : et si c'était moi ? Mais il faut aussi rappeler combien il est difficile de rendre la justice : s'il y a eu un Outreau, des milliers de décisions sont aussi rendues chaque année par des magistrats exemplaires, assistés de fonctionnaires passionnés et compétents – le procès des pédophiles d'Angers, à bien des égards comparable à celui d'Outreau, le montre bien.

Les travaux de votre commission d'enquête, suivis par des centaines de milliers de téléspectateurs, ont suscité un intérêt sans précédent. Les Français ont ainsi découvert la complexité des procédures judiciaires et la difficulté de faire reconnaître son innocence. À la suite de ce drame, ils attendent une réflexion à long terme sur l'avenir de notre système judiciaire – qui incombera à la prochaine législature, sur la base des propositions unanimes de la commission d'enquête, car une telle réforme nécessite du temps. Mais ils attendent également des réponses immédiates aux principaux dysfonctionnements constatés, afin qu’ils ne puissent se reproduire : solitude du juge d'instruction, recours excessif à la détention provisoire, opacité de la procédure, insuffisance du contradictoire, non respect des procédures de recueil de la parole de l'enfant. Ce drame a également suscité des interrogations sur la formation des magistrats et leur régime de responsabilité.

Les projets que je vous présente aujourd'hui répondent point par point à ces difficultés : ils mettent en place des pôles de l'instruction, instaurent un véritable contrôle de la chambre de l'instruction sur les détentions provisoires, assurent la transparence de la procédure avec l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires et la publicité des débats sur la détention provisoire, améliorent le contradictoire – notamment pour les expertises – et rendent obligatoire l'enregistrement de l'audition de la victime mineure. Ils améliorent également la formation des magistrats, précisent leur régime disciplinaire et mettent en place une nouvelle voie de recours pour les justiciables : le médiateur de la République. Il ne s'agit que d'une première étape dans la rénovation de notre justice, mais qui me semble indispensable pour éviter d'autres Outreau. Cette réforme pragmatique s’appuie très largement sur les propositions de votre commission d'enquête, puisqu'elle reprend, en tout ou partie, 21 des 32 propositions législatives du rapport. Comme toute synthèse, elle a suscité un certain nombre de critiques : elle ne serait pas assez ambitieuse, ou alors irréaliste. J'ai cependant la conviction qu'elle est constitue le premier pas qui permettra aux Français de retrouver la confiance dans leur justice.

Le projet de réforme de la procédure pénale apporte des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements de l'affaire d’Outreau, dont le plus frappant a peut-être été la solitude du juge d'instruction, qui a pu paraître enfermé dans ses certitudes. C’est pourquoi je souhaite faire travailler les juges d'instruction au sein d'une équipe. Les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes ne seront plus instruites par un magistrat isolé, mais par un ou plusieurs juges d'instruction réunis au sein d'un pôle. Le succès du pôle antiterroriste de Paris et des juridictions interrégionales spécialisées… (M. Alain Marsaud approuve) m'a convaincu que les dossiers complexes devaient faire l'objet de ces regards croisés. À propos de ces instances, personne ne parle d’usine à gaz, mais de grande réussite !

De manière plus générale, je souhaite que ces pôles conduisent les juges d'instruction à acquérir la culture du travail en équipe. Les co-saisines, c’est-à-dire la désignation de plusieurs juges d'instruction sur un même dossier, seront plus faciles et pourront désormais être imposées par le président de la chambre de l'instruction, même sans l'accord du magistrat initialement saisi. Elles permettront de faire travailler des juges peu expérimentés avec des magistrats confirmés. Sans attendre l'adoption de ce dispositif, j'ai demandé que les postes de juge d'instruction soient, autant que faire se peut, pourvus par des magistrats expérimentés, et non sortant de l'école. Les pôles auront en général un ressort départemental mais, compte tenu des particularités locales, on pourra instituer un pôle pour plusieurs départements ou plusieurs pôles par département. Ce système ne remet aucunement en cause la carte judiciaire actuelle : chaque tribunal de grande instance conservera en effet un juge d'instruction, chargé des affaires correctionnelles simples, et les affaires instruites au sein des pôles continueront à être jugées par la juridiction territorialement compétente.

Pour faciliter cette réforme, je souhaite que les frais de déplacements supplémentaires des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l'instruction soient pris en considération. Pour assurer un accès en temps réel aux dossiers, j'ai aussi décidé d'accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales : d'ici à la fin de l'année, une centaine de tribunaux de grande instance sur 181 devraient en faire l’expérience. Enfin, pour limiter les déplacements chaque fois que c'est possible, j'ai demandé à ce que l'on utilise la visioconférence. Tous les tribunaux de grande instance en seront équipés d'ici la fin de l'année.

Ces pôles constituent la première étape vers la collégialité de l'instruction proposée par votre commission d'enquête, à laquelle je suis tout à fait favorable.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale Très bien !

M. le Garde des Sceaux C'est pourquoi je soutiendrai l'amendement de la commission des lois inscrivant dans la loi le principe d'une instruction collégiale. Mais la pyramide des âges de la magistrature et les départs à la retraite massifs prévus à l'horizon 2010, s’ajoutant aux moyens humains nécessaires pour une telle réforme – il faudrait environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffe supplémentaires – nous obligent à en rester dans un premier temps aux pôles de l'instruction.

Le projet de loi propose aussi des dispositions permettant d'éviter une détention provisoire injustifiée. Il renforce son caractère exceptionnel en restreignant l'utilisation du critère de trouble à l'ordre public, qui ne pourra plus être employé, en matière correctionnelle, pour la prolongation ou le maintien en détention. Ce critère est en revanche maintenu pour le placement initial en détention qui peut être nécessaire dans certaines circonstances, notamment en matière de violences urbaines.

Limiter la détention provisoire, c’est aussi mieux assurer la défense de la personne mise en examen. Le projet de loi prévoit la présence obligatoire d’un avocat lors du débat sur la détention provisoire – ce qui n’a pas, semble-t-il, toujours été le cas dans l’affaire d’Outreau. Il permet par ailleurs au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat pour favoriser le recours au contrôle judiciaire. Enfin, mesure essentielle pour limiter la durée des détentions provisoires, le projet de loi instaure une audience publique de la chambre de l’instruction, permettant d’examiner de façon contradictoire tous les éléments de la procédure en cours dès lors qu’une personne est détenue. Cette audience permettra à la chambre d’avoir une vision globale du dossier – vision qui a cruellement fait défaut dans l’affaire d’Outreau et aurait sans doute permis d’éviter d’aller devant la juridiction de jugement pour faire reconnaître l’innocence des personnes mises en cause.

Votre commission a souhaité que ce réexamen de l’ensemble de la procédure puisse avoir lieu au bout de trois mois au lieu de six comme initialement prévu. Je me range volontiers à ce nouveau délai qui permettra un contrôle approfondi du dossier au début de l’instruction. Le contrôle des chambres de l’instruction sur les cabinets des juges d’instruction sera renforcé grâce à la mise en place d’assesseurs permanents au sein de ces chambres à compter de septembre 2007, lorsque leur activité le justifie.

La crédibilité de la justice passe par une plus grande transparence des procédures. Deux mesures essentielles y pourvoiront : la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d’instruction en matière criminelle. On considère souvent, à tort, qu’un tel enregistrement traduit une défiance à l’égard des policiers et des magistrats. Il s'agit au contraire de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l'objet ces interrogatoires. L'enregistrement, qui pourra être consulté en cas de contestation, sécurisera les procédures. J'ai pu constater en Angleterre et en Italie combien ces mesures étaient appréciées, bien qu'elles aient fait l'objet de longs débats au moment de leur adoption. Dans une société de plus en plus transparente, la justice ne peut pas refuser les garanties que peuvent apporter les nouvelles technologies.

Le caractère contradictoire de l'instruction, qui a fait défaut dans l'affaire d’Outreau, sera également renforcé. La mise en examen pourra être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et des confrontations individuelles pourront être demandées. Votre commission a souhaité faire de la confrontation individuelle un principe que le juge ne pourra écarter que par une décision spécialement motivée. Je suis d'autant plus favorable à cette modification que les difficultés rencontrées lors de l’affaire d’Outreau proviennent en partie de l'absence de confrontations individuelles.

Le caractère contradictoire des expertises sera également renforcé : information des parties de la décision du juge d’ordonner une expertise, sauf si cette information nuit à l'efficacité des investigations, possibilité pour les parties de désigner un co-expert de leur choix, suppression du filtre du président de la chambre de l'instruction en cas d'appel de refus d'une contre-expertise.

Enfin, le règlement des informations sera plus contradictoire, puisque le juge statuera au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties qui, chacun, auront pu répliquer à ces réquisitions ou observations, et l'ordonnance de renvoi – c'est une disposition à laquelle je tiens beaucoup – devra préciser les éléments à charge et à décharge pour chacune des personnes mises en examen.

Enfin, le projet de loi rend obligatoire l'enregistrement des auditions des mineurs victimes, alors qu'actuellement celui-ci peut être écarté par simple décision motivée du procureur ou du juge d'instruction. Par ailleurs, le mineur victime devra obligatoirement être assisté d'un avocat, le cas échéant commis d'office.

La crédibilité de la justice passe aussi par sa célérité, ce qui exige de limiter, autant que faire se peut, les informations injustifiées, afin de permettre aux juges d'instruction de ne traiter que les affaires réellement complexes. Comment un juge d’instruction pourrait-il consacrer son temps et son énergie à des affaires difficiles et sensibles comme celle d'Outreau quand son cabinet est encombré d'informations dilatoires qui se terminent toutes, au bout de quelques mois, par un non-lieu ? Ainsi, près des trois quarts des informations ouvertes sur plainte avec constitution de partie civile à Paris font l'objet d'un non-lieu.

Il ne s'agit pas d'empêcher le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile, mais d'éviter que cette procédure ne soit détournée de son objet et, de fait, paralyse le fonctionnement de la justice. Reprenant les conclusions du rapport du président Magendie, le projet de loi maintient la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l'état lorsque l'action civile est engagée en réparation du dommage causé par l'infraction, mais la supprime dans les autres cas, revenant ainsi à l'application qui était celle de cette règle avant que la jurisprudence ne l’étende. Ainsi, une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l'employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement aux prud'hommes n'aura plus l'effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile, et donc d'informations.

De la même manière, le projet de loi vise à éviter l'ouverture d'une information lorsqu'une affaire peut être résolue plus rapidement et plus efficacement par une brève enquête du parquet. Ainsi, en matière délictuelle, avant de pouvoir déposer plainte avec constitution de partie civile, il faudra avoir saisi le parquet. Ce n’est qu’à l'issue d'un délai de trois mois, si le parquet n'agit pas ou refuse de poursuivre, que la plainte deviendra recevable.

Ces deux séries de mesures visent à ce que les juges d'instruction disposent de plus de temps pour instruire les affaires complexes. Les associations de victimes les ont accueillies favorablement, conscientes qu’elles permettraient de réduire la durée des instructions. J'y suis, pour ma part, très attaché, car je pense qu'elles auront une incidence concrète sur le fonctionnement quotidien des cabinets d'instruction.

Le coût de l’ensemble de la réforme a été estimé à 30 millions d'euros pour le ministère de la justice. Il sera nécessaire de créer 70 postes nouveaux de magistrats et 102 emplois de fonctionnaires de greffe. Les postes de magistrats seront pourvus par redéploiement. Un recrutement supplémentaire de fonctionnaires devra également être organisé. Ce financement ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépend du périmètre définitif de la loi et du calendrier de sa mise en œuvre. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement abondera en tant que de besoin les crédits du ministère.

Je crois par ailleurs venu le moment de moderniser en profondeur la formation et le régime disciplinaire des magistrats, comme l'a souhaité la commission d'enquête. Conçus il y a près de cinquante ans, ils ne sont plus adaptés à la société actuelle. Je vous propose donc des mesures concrètes destinées à améliorer la formation et à préciser le régime disciplinaire des magistrats.

Un bon magistrat est un magistrat, qui, avant de décider, écoute, doute et examine tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en examen. Il n'est pas d'autre moyen de vérifier qu'un futur magistrat y est apte qu'en lui faisant effectuer un stage préalable obligatoire avant toute nomination. Or, tous les magistrats aujourd'hui en poste n'ont pas été soumis à cette formation indispensable. C'est pourquoi je propose de donner, pour toutes les voies d'accès à la magistrature, un caractère probatoire obligatoire à la formation préalable à la nomination dans les premières fonctions.

Ce n'est pas la seule modification de la formation des magistrats à laquelle je suis attaché. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, je me suis fixé comme objectif d'ouvrir l'École nationale de la magistrature vers le monde extérieur. À ma demande, un changement radical de la pédagogie a déjà été engagé. Désormais, une trentaine d'élèves avocats suivent à Bordeaux la même scolarité que les élèves magistrats. Il faut absolument éviter qu'une coupure ne se crée entre les deux corps, et il n'est pas de meilleur moment pour l’éviter que la période de formation des uns et des autres. Les manuels de droit nous apprennent que les avocats sont des auxiliaires de justice. Ce concept fondamental ne doit pas rester lettre morte. Cette évolution rejoint d'ailleurs l'objectif de l'amendement de votre commission prévoyant d'allonger la durée du stage qu’effectueront les auditeurs de justice au sein des cabinets d'avocats.

Désormais, les enseignants de l'ENM ne sont plus uniquement des magistrats. Des avocats, des universitaires, des psychologues y enseignent. L’enseignement de la déontologie fait aussi dorénavant l'objet de cours spécifiques à l’ENM, aussi bien en formation initiale qu'en formation continue. En proposant de confier au Conseil supérieur de la magistrature le soin d'élaborer un recueil des obligations déontologiques des magistrats, la commission des lois s'inscrit parfaitement dans cette ligne.

Je souhaite, pour ma part, aller plus loin encore en instaurant, lors de l'examen de sortie de l'ENM, une épreuve portant spécifiquement sur la déontologie. Cette épreuve sera un nouvel outil à la disposition du jury pour déterminer l'aptitude d'un candidat à exercer les fonctions de magistrat.

Au-delà de leur formation, il faut également modifier le recrutement des magistrats, en diversifiant les voies d'accès à la magistrature. La justice étant rendue au nom du peuple français, les juges doivent être issus d'horizons plus variés. Ils doivent également, au cours de leur carrière, pouvoir aller travailler au sein d'autres institutions, dans des entreprises ou des associations, pour confronter leurs méthodes, leurs convictions et parfois leurs certitudes, à d'autres réalités.

Pour ces raisons, je soutiendrai les amendements de votre commission visant à accroître significativement le recrutement de personnes ayant déjà exercé une activité professionnelle et instaurant une mobilité obligatoire des magistrats avant que ne leur soient confiées les fonctions les plus importantes. Ainsi, un magistrat qui souhaite postuler aux fonctions de conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation pourra utilement effectuer une mobilité de deux ans au sein de la direction des ressources humaines d'une entreprise.

Adapter le statut de la magistrature de 1958 à la France de 2006 suppose également d’adapter le régime disciplinaire des magistrats aux exigences de notre société. Je n’ignore pas qu’il s’agit là d’une question extrêmement sensible, car liée à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Recherchant l’efficacité, je souhaite que les modifications proposées puissent effectivement entrer en vigueur, sans risque de censure par le Conseil constitutionnel. La commission d'enquête avait proposé de « faire sanctionner par le CSM la méconnaissance des principes directeurs de la procédure civile et pénale ». Je suis bien entendu pleinement d’accord avec cette proposition et souhaite qu'elle entre en vigueur. Il n’en faut pas moins nous conformer aux observations du Conseil d'État.

Je défendrai donc un amendement proposant de sanctionner « la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive ».

M. Alain Marsaud – Alors, ce n’est pas pour demain !

M. le Garde des Sceaux  Pourquoi « une violation intentionnelle » ? Parce qu'il faut être sûr que c'est en toute conscience que le magistrat n'a pas respecté les règles de procédure.

Pourquoi « une violation grave » ? Parce que les conditions matérielles actuelles contraignent parfois les magistrats à ne pas respecter certaines règles de procédure, tout en le sachant. Je pense notamment à ces audiences qui devraient être tenues en présence d'un greffier et qui ne peuvent l'être parce que, en dépit des efforts considérables consentis depuis 2002, nos juridictions n’ont toujours pas assez de greffiers. La présence de ceux-ci est pourtant une garantie essentielle. Ne pas la respecter, c’est violer intentionnellement une garantie essentielle des droits des parties. Est-ce pour autant grave ? Je ne le crois pas. Pour moi, une violation grave est une violation qui fait grief à une partie, qui la prive d'un moyen de défense, qui met en cause l'impartialité du juge.

Pourquoi les « garanties essentielles des droits des parties » ? Parce qu'il faut éviter la paralysie de la justice qui résulterait de l'engagement abusif d'actions disciplinaires à l'encontre de magistrats.

Pourquoi « dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive » ? Parce que le Conseil d'État a considéré que l'absence de cette mention introduisait un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire ; il a clairement indiqué que le CSM ne pourrait statuer en matière disciplinaire qu'une fois la procédure judiciaire close, afin d’éviter que la voie disciplinaire ne soit utilisée pour déstabiliser un magistrat dans le cadre d'une instance en cours.

La rédaction que je vous propose respecte les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire, et me paraît éviter le risque de censure par le Conseil constitutionnel.

Les événements récents ont démontré que tous les magistrats ne sont pas aptes à exercer toutes les fonctions. Je vous propose donc de créer une nouvelle sanction disciplinaire, l'interdiction, pour une durée maximale de cinq ans, d'exercer des fonctions de juge unique – juge d'instruction, juge de l'application des peines, juge des enfants, juge d'instance, mais aussi juge aux affaires familiales, ou juge présidant une audience correctionnelle à juge unique.

Enfin, lorsqu'un magistrat a un comportement pathologique, alors qu’actuellement seule la voie disciplinaire est possible dans l'attente d’une suspension décidée par une commission médicale, je vous propose de donner au garde des Sceaux la faculté, sur avis conforme du CSM, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, lequel sera tenu de statuer dans un délai de six mois.

Enfin, votre commission d'enquête a mis en lumière la nécessité de développer les contrôles externes à la justice.

Aucune autorité extérieure à l'institution judiciaire n’est actuellement habilitée à recueillir, examiner et donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats. J’ai donc proposé de conférer au médiateur de la République la possibilité d'être saisi des réclamations d’une personne mettant en cause le comportement d'un magistrat. Votre commission des lois a utilement renforcé les pouvoirs du Médiateur, en lui permettant de saisir les chefs de cour afin qu’ils lui donnent toutes les informations nécessaires pour déterminer si une réclamation est sérieuse ; dans ce cas, il transmettra la requête au garde des Sceaux, qui aura l'obligation de faire procéder à une enquête à l'issue de laquelle il décidera si des suites disciplinaires doivent ou non être données. La réponse du garde des Sceaux au Médiateur sera motivée et publiée au Journal officiel.

Une disposition permettant au Médiateur de saisir directement le CSM en cas de faute disciplinaire caractérisée risquerait d’être annulée pour inconstitutionnalité, puisqu'elle pourrait être considérée comme portant atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire, en entraînant une augmentation des contestations de décisions de justice en dehors des voies de recours légales. Ce serait aussi donner au médiateur un pouvoir concurrent, voire supérieur à celui du garde des Sceaux, puisqu’il pourrait passer outre le refus de ce dernier de saisir le CSM.

La réforme qui vous est soumise illustre la volonté de ne pas laisser l'affaire d’Outreau sans réponse. C’est une avancée notable dans le rééquilibrage de notre procédure pénale – dont l’architecture n’est cependant pas modifiée – et dans l'approfondissement de la responsabilité des magistrats. Je tiens à remercier chaleureusement le président Philippe Houillon et les rapporteurs Guy Geoffroy et Xavier de Roux, qui ont largement contribué à améliorer les dispositifs proposés.

Seul le temps permettra de savoir si l'on ne s'est pas trompé, mais nous sommes au moins tous convaincus d'une chose : la justice, rendue au nom du peuple français, doit aussi l'être au bénéfice du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois et rapporteur pour le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats – Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez raison : si plusieurs millions de Français ont partagé l'émotion communiquée par les acquittés d'Outreau, s'ils ont suivi les travaux de la commission d'enquête parlementaire, c'est parce qu'ils ont réalisé que cela aurait pu leur arriver, réalisé qu'on pouvait être innocent, le crier et être placé malgré tout près de trois ans en détention provisoire. Et ils ont entendu, effarés, dire jour après jour aux députés de la commission d’enquête que tout avait été fait normalement, que la loi avait été respectée.

Ils ont entendu dire, à tort ou à raison, que des affaires d’Outreau, il y en avait tous les jours ; ils ont entendu parler des conditions de la garde à vue, des perquisitions, des conditions carcérales, des expertises, avec en point d'orgue cette déclaration ahurissante d'un expert, selon laquelle tant que l’on paierait les expertises au prix des femmes de ménage, on aurait des expertises de femmes de ménage...

Ils ont vu, ces jours-ci à Lille, des jeunes gens qui avaient été renvoyés devant le tribunal pour insultes et violence à policiers être relaxés par le hasard et la grâce d'un enregistrement vidéo qui démontrait, semble-t-il, que ces affirmations étaient fausses.

Tout cela n'est pas très rassurant… Heureusement, on ne saurait résumer notre justice à l'affaire d'Outreau, et vous avez raison, Monsieur le garde des Sceaux, de citer l'exemplaire procès d'Angers, comme vous avez raison de souligner la qualité globale de la magistrature de notre pays et des fonctionnaires qui l'assistent.

La fonction de juger, qui demande beaucoup de qualités techniques et humaines, est une fonction cardinale dans notre société, faite de rapports complexes réglés par le droit, et donc par la justice qui l'applique et le fait respecter. Les magistrats qui la rendent, et qui ont donc entre leurs mains la liberté, l'honneur, le sort de la famille, de l'emploi et du patrimoine de nos concitoyens, ont un rôle parmi les plus importants de notre République, rôle qui ne supporte pas l'à-peu-près et qui rend légitimes les exigences que l’on peut avoir à leur égard – comme le sont les exigences des magistrats concernant leurs conditions de travail.

Les travaux de la commission d'enquête ont eu une extraordinaire vertu démocratique : ils ont permis à nos concitoyens de s'approprier leur justice – et il faut s'en réjouir. La conséquence quasi mécanique, c’est qu'ils attendent une réforme d'ampleur et constructive de notre système judiciaire, qui devra occuper la prochaine législature.

Cette réforme, il faut d’abord en définir les axes. Le rapport que j'ai rédigé au nom de la commission contient, en quatre-vingt propositions, une base de discussion. Il faut ensuite en définir la méthode, qui passera par des évaluations sans a priori – de la carte judiciaire, des ressources humaines –, par une large concertation, puis, naturellement, par des choix politiques – par exemple sur la séparation, ou non, du siège et du parquet. Il faut enfin en définir le calendrier, y compris, bien sûr, en ce qui concerne l'indispensable augmentation des moyens.

Mais je lis certains communiqués, je constate les conservatismes et les oppositions, il m'arrive même de me demander si l’affaire d’Outreau a changé quelque chose… Les plus hautes autorités de l'État ont présenté leurs excuses aux acquittés au nom de l'institution judiciaire ; ne nous excusons pas maintenant de tenter une réforme ! Évitons un combat d'arrière-garde, qui risquerait d’entraîner une nouvelle affaire d’Outreau, empêchant ensuite de travailler dans la sérénité et le dialogue.

Monsieur le Garde des Sceaux, vous avez choisi de répondre à l'attente de nos concitoyens en nous proposant une première étape.

Lors des auditions de notre commission d'enquête, on nous a fait part d'une apparente contradiction : tantôt, nous a-t-on dit, les politiques demandent plus de fermeté, plus de répression, se plaignent du laxisme de la justice lorsqu'un récidiviste libéré commet une nouvelle agression ; tantôt, à l'inverse, ils montrent du doigt l'aveuglement de la justice et dénoncent les mises en détention injustifiées. En réalité, ce n'est pas une contradiction mais une équation : plus la demande de fermeté et de répression existe, plus les droits des parties doivent être garantis.

C'est à cette équation que le Gouvernement s'est efforcé de répondre en nous proposant trois textes : l'un de procédure pénale, renforçant les garanties et le contradictoire, avec une avancée significative concernant l'enregistrement vidéo des gardes à vue ; le deuxième concerne la possibilité pour les justiciables de saisir le médiateur de la République non seulement de dysfonctionnements du système judiciaire, comme c'est déjà le cas, mais également de réclamations mettant en cause le comportement d'un magistrat ; le troisième concerne la formation et la responsabilité des magistrats. Vous avez abandonné, pour poursuivre la concertation, un quatrième texte concernant la réforme de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, dont on nous parle depuis longtemps, la commission d'enquête ayant quant à elle suggéré d'instaurer une parité entre magistrats et non magistrats, conformément aux recommandations européennes.

Le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats est organisé autour de trois grands sujets : la formation initiale des magistrats, la gestion des carrières, le régime disciplinaire.

Sur les deux premiers points, la commission des lois a adopté plusieurs amendements destinés à ouvrir davantage la magistrature sur l'extérieur, notamment en développant les stages en cabinets d'avocats, dont elle vous propose de porter la durée à huit mois au lieu de deux ; je rappelle que notre commission d'enquête avait souhaité porter cette durée à un an. Il est essentiel que les jeunes magistrats acquièrent une connaissance des justiciables en dehors de la relation d’autorité. Par ailleurs, ce stage améliorera les relations entre avocats et magistrats.

La commission, souhaitant également ouvrir la magistrature à un nombre plus important de professionnels expérimentés, vous propose de relever les plafonds de recrutement sur titre et par intégration directe au corps judiciaire, toujours conformément aux recommandations de la commission d’enquête.

Un autre amendement institue une mobilité statutaire pour accéder aux emplois hors hiérarchie, inspirée de celle que doivent effectuer les fonctionnaires issus de l'ENA. Cette mobilité leur permettra d'exercer d'autres fonctions pendant au moins deux ans, que ce soit dans des administrations, des organisations internationales ou des entreprises. Pour éviter tout conflit d'intérêt, il est prévu que, dans cette dernière hypothèse, la mobilité soit approuvée par le Conseil supérieur de la magistrature et se déroule à l'extérieur du ressort des juridictions où le magistrat a exercé.

Le régime disciplinaire des magistrats, ensuite, est une question essentielle. Les justiciables ont le sentiment que la responsabilité des magistrats n'est pas suffisamment lisible, alors même que leurs importants pouvoirs juridictionnels leur imposent des devoirs particuliers dont la violation doit pouvoir être sanctionnée. La définition actuelle de la faute disciplinaire est à la fois vague et peu cohérente. Elle ne fait pas référence au serment, utilise même des notions qui n'y figurent pas. À partir d'un serment archaïque faisant référence à des comportements religieux et, d’autre part, de l'ordonnance de 1958 portant statut des magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature a édicté un certain nombre de règles déontologiques dont le non-respect entraîne l’une des sept sanctions prévues par l'ordonnance de 1958, allant de la réprimande à la révocation.

Très peu de sanctions sont en réalité prononcées : 31 cessations de fonctions depuis 1958, soit moins d’une par an, alors qu’en Italie, par exemple, c’est une centaine chaque année. Et, lorsque des sanctions sont prononcées, elles concernent pour l'essentiel des comportements personnels déviants, et non des comportements professionnels.

La réforme du droit disciplinaire et de la responsabilité aurait pu s'articuler autour de quatre thèmes. Tout d’abord, le serment des magistrats aurait pu être réécrit en reprenant les obligations déontologiques définies par le Conseil supérieur de la magistrature. Cette démarche n'est d'ailleurs guère révolutionnaire, puisqu'elle figurait dans le projet de Mme Guigou en 1999 et qu'elle fut reprise par la commission Cabannes en 2004. La commission des lois avait adopté un amendement à ce sujet, mais devant la levée de boucliers des syndicats de magistrats, vous l'avez convaincue d'y renoncer. Il y aurait eu, a-t-on dit, coexistence de deux serments, l'ancien et le nouveau, et donc de deux régimes disciplinaires. À suivre un tel raisonnement, il ne sera jamais possible de modifier le serment, ce qui est absurde. Le serment des magistrats de la Cour des comptes a été modifié il y a peu, sans difficulté de ce genre.

Disparaît également la corrélation de la faute disciplinaire aux obligations nées du serment réécrit. Nous ne discuterons donc que du soin confié au Conseil supérieur de la magistrature d'établir un code de déontologie, et de la création d’une passerelle entre responsabilité de l'État et responsabilité disciplinaire.

Le projet de loi présente trois mesures modifiant l'échelle des sanctions disciplinaires. Il est ainsi proposé de créer une sanction nouvelle : l'interdiction d’assumer des fonctions de juge unique pendant une durée maximale de cinq ans. L'instance disciplinaire pourra imposer la collégialité aux magistrats qui se sont montrés inaptes aux fonctions de juge unique. Il faudra toutefois veiller à ce qu’aucune collégialité ne soit composée uniquement de tels juges, ce qui pourrait arriver.

Par ailleurs, les possibilités d'assortir une sanction disciplinaire d'un déplacement d'office sont élargies. Enfin, il est prévu d'interdire à un magistrat mis à la retraite d'office de se prévaloir de l'honorariat. Tout ceci reste donc très modeste.

Le Gouvernement a toutefois déposé un amendement inspiré des conclusions de la commission d'enquête et sanctionnant la violation des garanties essentielles des droits des parties, sans toucher à la décision juridictionnelle elle-même, ce qui n'est de mon point de vue pas souhaitable. Encore faudra-t-il que cette faute disciplinaire puisse être effectivement mise en œuvre. En l'occurrence, la violation doit être grave et intentionnelle, et commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive. Si on peut s'accorder sur la pertinence de la notion de gravité, l'intention sera plus difficile à démontrer. Il faudra en outre attendre quelques années pour faire valoir une telle violation, pour autant qu'elle ait résisté au filtre des décisions successives.

Reste la question de la responsabilité civile. L'action récursoire, qui fait partie de notre droit, est tombée en désuétude, faute d’être utilisée. Le projet de loi ne l'aborde pas du tout, que ce soit pour l’abandonner définitivement ou au contraire en préciser le régime.

Au total, ce projet comporte des avancées réelles sur la formation et le recrutement, et permet d’engager la réflexion sur le thème de la responsabilité, qu'il conviendra d'aborder plus en profondeur après les échéances de 2007. C'est pourquoi je vous propose de l'adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi modifiant la loi du 3 janvier 1973 instituant un médiateur – « À quel saint faut-il se vouer ? », se demandaient les accusés d’Outreau. La Charte du Conseil de l’Europe sur le statut des juges reconnaît à toute personne le droit de soumettre sa réclamation sur le fonctionnement de la justice à un organisme indépendant. Or, en France, il n’existe aujourd’hui aucune autorité indépendante chargée d'assurer le respect de ce droit. Pour remédier à ce vide juridique, qui alimente la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de la justice, le Gouvernement propose de confier au Médiateur de la République le soin d’examiner les plaintes des justiciables, et de leur donner suite.

Le Gouvernement n’a pas souhaité donner aux justiciables la possibilité de saisir directement l'instance disciplinaire, ce qui risquerait de déstabiliser l'institution judiciaire. Accorder au justiciable la possibilité de mettre directement en cause la responsabilité disciplinaire des magistrats reviendrait à créer une nouvelle voie de recours, et aboutirait à une multiplication des mises en cause personnelles, de nature à porter atteinte à l’indépendance de la magistrature. Il est évident que, dans un procès où l’un gagne et l’autre perd, le juge risque d’être perpétuellement mis en cause. Mais la question reste entière : l'indépendance des magistrats a-t-elle pour conséquence leur irresponsabilité ? Notre réponse n’est actuellement pas satisfaisante.

Il faut donc instituer un filtre capable de faire le tri entre les plaintes qui relèvent des voies de recours traditionnelles et celles qui justifient l'ouverture d'une procédure disciplinaire.

Selon certains, dont les plus hauts magistrats de la République, ce filtrage pourrait être confié à une chambre des requêtes spécifique, instituée sur le modèle de la commission des requêtes placée auprès de la Cour de justice de la République pour statuer sur la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Cette commission, chargée d'ordonner soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisir la Cour de justice de la République, est composée de trois magistrats du Siège hors hiérarchie à la Cour de cassation, de deux conseillers d'État et de deux conseillers maîtres à la Cour des comptes, désignés pour cinq ans.

Mais plutôt que de créer sur ce modèle une chambre des requêtes ad hoc, le Gouvernement a prévu de confier ce rôle au Médiateur, chargé de recevoir les réclamations concernant le fonctionnement des administrations. Cette autorité reçoit les réclamations portant sur des litiges opposant les personnes physiques ou morales au service public de la justice, et traite donc déjà des dysfonctionnements de l'administration judiciaire.

Ce faisant, le Gouvernement reprend une proposition de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau et s’inspire de plusieurs exemples étrangers. Ainsi, en Italie, le médiateur de la République peut signaler une plainte au ministre de la justice, qui requiert une action disciplinaire auprès du procureur général près la Cour de cassation. De même, le defensor del pueblo espagnol peut engager d’office ou sur demande d’une personne physique ou morale une enquête visant des actes ou décisions de l’administration publique – justice comprise.

Cependant, le présent projet de loi encadre strictement les pouvoirs d’investigation du Médiateur : il lui est explicitement interdit d’utiliser ses moyens usuels pour examiner une réclamation. Il ne peut donc interroger les chefs de cour sur les plaintes qui lui sont transmises. Mais comment pourra-t-il statuer sur le sérieux d’une réclamation si l’autorité judiciaire ne lui fournit pas les informations adéquates ? C’est pour lever cette difficulté que la commission des lois a prévu d’inscrire le dispositif d’examen des réclamations dans le statut de la magistrature. L’amendement qui vous sera proposé à cet effet autorise le médiateur à interroger les chefs de cour pour déterminer si la plainte peut recevoir une qualification disciplinaire. Le Garde des Sceaux, de con côté, sera tenu de diligenter une enquête via l’inspection générale des services judiciaires. Il devra aviser le médiateur des suites qu’il réserve à la réclamation et motiver toute décision de ne pas engager de poursuites, auquel cas le médiateur sera libre de porter l’affaire devant le public en publiant un rapport. Enfin, l’amendement donne au magistrat toutes les garanties de procédure, en prévoyant que les pièces lui seront obligatoirement communiquées.

Voilà qui permettra de prendre en compte les plaintes légitimes des justiciables, qui reprochent souvent à la justice son trop long silence. Brisons-le ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Je connais votre intérêt pour les questions de justice, Monsieur le Président, et je suis certain que nos débats, sous une égide de cette qualité, progresseront sereinement.

M. le Président – Je vous remercie.

M. Christophe Caresche – Que ne faut-il pas faire pour séduire l’UDF !

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Ce projet de loi n’est ni une réformette, ni une révolution ; c’est la première étape d’une réforme nécessaire. Les membres de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau le savent mieux peut-être que les autres : l’écho de cette triste affaire ne s’est pas encore éteint. Nos concitoyens refusent d’être les victimes de la délinquance, qu’il faut prévenir et réprimer au mieux, mais aussi de la justice, qui semble parfois capable de les broyer.

Outreau n’est que la partie émergée d’un immense iceberg. La détention provisoire est un drame que connaissent trop d’innocents, longtemps retenus à tort derrière les barreaux. Jugez plutôt : les acquittés d’Outreau en ont cumulé 25 années, et l’ensemble des citoyens mis en cause l’an passé avant d’être innocentés, plus de cinq siècles !

De surcroît, Outreau n’est pas une erreur judiciaire. Aucun des coupables n’a échappé à la justice et tous les innocents ont été acquittés. Précisément ! C’est parce que la vérité a été rétablie qu’il fallait nous emparer de ce drame, pour qu’il ne se reproduise plus.

Je salue le travail de la commission d’enquête créée à cet effet : elle a fait l’honneur de notre Assemblée, et nos concitoyens ont reconnu sa qualité.

M. Jean Leonetti – Très bien !

M. Guy Geoffroy, rapporteur – L’ensemble de ses membres, MM. Vallini et Houillon en tête, ont mis toute leur détermination à écouter et à analyser. Les Français jugeront.

Il fallait que le travail de cette commission ait des suites. Il eut été inconcevable de ne rien faire avant la fin de la législature. Les projets de loi que nous présentons aujourd’hui à l’Assemblée sous l’impulsion du Garde des Sceaux, sont un premier pas, au service de la France et de la justice.

La commission d’enquête n’était en aucune manière une insulte à l’égard des magistrats. Bien au contraire : nous avions le droit de la réunir, sans pour autant nuire à l’indépendance de la justice, et nous en avions même le devoir. Les représentants du peuple étaient tenus de comprendre les dysfonctionnements d’une justice qui doit dire le droit et la vérité au nom du peuple.

Le projet de loi relatif à l’amélioration de l’équilibre de la procédure pénale comporte plusieurs mesures lucides et nécessaires, qui ouvrent la voie aux progrès futurs. En effet, la responsabilité de la prochaine mandature, quelle qu’elle soit, sera de ne pas laisser en jachère le terrain couvert par la commission d’enquête, mais plutôt d’y construire une justice plus juste.

Et d’abord, la solitude du juge. Elle ne peut à elle seule expliquer la différence entre Outreau et Angers. Cependant l’affaire d’Angers était plus complexe, les enfants victimes et les adultes coupables plus nombreux. Si elle a été si bien résolue, c’est en partie parce que la co-saisine a eu lieu dès le début. À Outreau, le refus de la co-saisine par le juge en cours d’instruction est sans doute l’une des clefs du drame. Proposer la collégialité de l’instruction dès la création des pôles de l’instruction est une première étape très attendue, notamment par l’Assemblée. À l’issue de nos débats, elle sera à n’en pas douter instituée dans les meilleures conditions.

Deuxième question : la détention provisoire, dont il est d’ailleurs significatif qu’on ait cessé de l’appeler « préventive ». Elle est la solution ultime lorsque les mesures de contrôle judiciaire sont insuffisantes pour la manifestation de la vérité. Ce projet tire les conséquences de cette idée, en ouvrant des fenêtres nouvelles pour la révision de la détention préventive. Le Gouvernement avait en l’occurrence prévu une révision au bout de six mois avec une durée d’examen de deux mois par la chambre d’instruction. Nous avons quant à nous souhaité une révision au bout de trois mois et que la chambre d’instruction bénéficie d’un mois supplémentaire. Toute personne incarcérée pourra demander une audience publique au cours de laquelle l’ensemble du dossier sera étudié, y compris la question du maintien ou non de la détention. Je rappelle que l’un des acquittés d’Outreau n’a pas eu d’avocat pendant un an environ et qu’il était seul face à plusieurs accusateurs lors de son unique audition devant le juge.

Vous proposez également de renforcer le caractère contradictoire de la procédure par la contestation de la mise en examen et par la possibilité de demander à tout moment à passer du statut de mis en examen à celui de témoin assisté. D’autres propositions ont trait à l’expertise ou à la formulation d’observations écrites après avoir pris connaissance des réquisitions du procureur avant la clôture de l’instruction. Nous nous souvenons du juge bouclant son instruction – reprenant pour l’essentiel les conclusions du procureur – et transmettant le dossier à un nouveau juge n’ayant reçu aucun des mis en examen incarcérés, n’ayant procédé à aucun acte nouveau et renvoyant des personnes aux assises sans avoir pu prendre la pleine mesure de la complexité du dossier – le tout respectant parfaitement les formes légales…

Dernier objectif : la réduction du délai de traitement des affaires pénales, objet des articles 11 à 13. La commission a en particulier souhaité supprimer, à travers un amendement, la procédure préconisée par le II de l’article 12, inefficace et trop complexe selon nous. L’un des amendements les plus importants de la commission des lois organise en outre d’ici cinq ans la collégialité de l’instruction. Il n’est pas possible, pour d’évidentes raisons de formation des juges – qui dure plus de trente mois – d’aller plus vite. La phase intermédiaire des pôles de l’instruction et de la co-saisine n’en sera que plus pertinente. M. Marsaud a également défendu un amendement tendant à inscrire l’échevinage dans les juridictions correctionnelles. La commission l’a adopté dans le but de poser le problème ; elle sait que cet amendement ne pourra être voté, faute d’être accompagné des amendements de coordination nécessaires, et en raison d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelant que la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire dans les formations correctionnelles de droit commun.

Cette loi n’est ni insuffisante, ni révolutionnaire. Elle tient compte des deux tiers des propositions législatives de la commission d’enquête et je regrette que certaines corporations la jugent néfaste alors qu’elle vise à réaliser ce nécessaire équilibre vers lequel il faut tendre. La voter, avec les deux autres projets, c’est œuvrer en ce sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

question préalable

M. le Président – Sur le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats, j’ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. André Vallini – 1er décembre 2005 : les six derniers accusés d'Outreau sont innocentés en appel. Le soir du verdict d'acquittement, vous présentez « vos excuses au nom de l'institution », Monsieur le Garde des Sceaux, et vous assurez vouloir tirer tous les enseignements de cette affaire. Quatre jours plus tard, les treize acquittés sont reçus à Matignon par le Premier ministre puis reçoivent une lettre personnelle du Président de la République. Le 7 décembre, à l’initiative des présidents Debré et Houillon, l'Assemblée nationale vote à l'unanimité la création d'une commission d’enquête parlementaire qui, pendant six mois, soulèvera un intérêt sans précédent : acquittés, travailleurs sociaux, policiers, magistrats, experts, avocats, journalistes viennent devant nous décrire une machine judiciaire qui s'est emballée au mépris des droits de la défense. Faut-il supprimer le juge d'instruction ou celui des libertés ? Séparer les magistrats du parquet et du siège ? Comment limiter la détention provisoire ? Comment recueillir la parole des enfants ? Quelle formation donner aux juges ? Pourquoi le budget de la justice est-il si faible ? Toutes ces questions qui agitaient depuis des années le seul monde judiciaire monopolisent soudain les titres des journaux et les conversations des Français. Le 7 juin, la commission d'Outreau présente 80 propositions adoptées à l'unanimité et saluées par l'ensemble des milieux judiciaires et de la presse. Cinq mois plus tard, nous examinons une réforme de la justice critiquée de tous côtés et qui a même réussi à semer la zizanie au sein du Gouvernement et du groupe UMP. Mme Pelletier, ancien ministre et ancien membre du Conseil constitutionnel, le dit elle-même : « Que peut-on attendre des quelques mesures annoncées ? Certainement pas une amélioration significative du fonctionnement de la justice, qui se dégrade d'année en année ». M. Debré voulait un débat national au Parlement sur la base du rapport de la commission Outreau et il avait raison. J’ai proposé quant à moi des états généraux sur la justice au cours desquels nous aurions expliqué ensemble aux Français qu'à quelques mois de 2007, le Gouvernement n'avait pas le temps de mener à bien des réformes de grande ampleur. Or, vous avez décidé de procéder autrement.

Jean-Denis Bredin s’exprimait ainsi en juillet 2006 dans Libération : « L'affaire d'Outreau fut un exemple édifiant. Cette opinion publique qui ne cesse de réclamer des détentions nécessaires ou exemplaires, voici qu'elle s'intéressait soudain à des innocents qui avaient, un temps, été tenus pour des coupables. Que faut-il réformer ? D'abord les esprits. Quand nous faisons le procès du juge, c'est aussi le nôtre que nous devrions faire. Dans un droit dominé par l'appétit de sécurité et la montée en puissance de la victime, la soif de châtiment n'a cessé d'envahir nos mentalités. Il faudrait, bien sûr, modifier notre procédure d'instruction mais modifier aussi notre idée du procès pénal, renoncer à notre très “secrète” déclaration des droits où la présomption d'innocence ne tient aucun rôle, dont l'article premier dispose que “tout suspect est présumé coupable”, l'article 2 que “mieux vaut un innocent en prison qu'un coupable en liberté” et l'article 3 “la défense de la société est placée au-dessus de toute valeur morale”. Plus encore que nos lois, c'est notre conception des droits de l'homme et de la démocratie qui est en cause. »

M. Houillon a évoqué les droits de la défense. J’ai eu l’occasion, il y a un an, de souligner le paradoxe qu’il y a à se récrier face aux atteintes à la présomption d’innocence et aux droits de la défense quand depuis 2002 les lois les ont précisément fait reculer. Je suis d’accord avec M. Houillon lorsqu’il estime que plus de répression doit impliquer également plus de garanties, mais alors, après avoir voté les lois Sarkozy, pourquoi avoir voté les lois Perben II ? Alors, que faire ? Changer les esprits ? Faire évoluer les mentalités ? Cela prendra du temps. Remettre à plat toute la procédure pénale ? Oui, sans doute, en commençant par reprendre les propositions de la commission d’enquête. Il est vrai que vous en reprenez quelques-unes, Monsieur le Garde des Sceaux, dont l'enregistrement des gardes à vue qui constitue une avancée, et pour les justiciables, et pour les policiers qui au lieu d'y voir une mesure de défiance à leur égard doivent y trouver une garantie contre les accusations sans fondement portées parfois contre eux. Les policiers britanniques, initialement hostiles à cette mesure, n'y renonceraient aujourd'hui pour rien au monde.

M. le Garde des Sceaux  Assurément.

M. André Vallini – Toutefois, votre nouveau dispositif attribue un rôle trop important au parquet en cas de gardes à vue simultanées puisque c'est le procureur qui sera chargé de dresser la liste des personnes dont les interrogatoires ne seront pas enregistrés. Il aurait fallu aller plus loin et notamment prévoir que l'avocat puisse être présent à tous les interrogatoires effectués pendant la garde à vue, dès le début de la garde à vue, même si le dossier de la procédure ne lui serait communiqué qu'à partir du moment où la garde à vue ferait l'objet d'une prolongation.

En ce qui concerne la détention provisoire, les mesures proposées vont dans le bon sens, mais restent en retrait par rapport à ce que souhaitait la commission d’enquête : je déplore en particularité l’absence de durées butoirs, le fait qu’on ne rappelle pas le caractère exceptionnel de la détention provisoire, ou le maintien de la référence au critère du trouble à l’ordre public.

De semestrielle, l’audience devant la chambre de l’instruction devient trimestrielle. C’est bien, mais il est dommage que cela reste une possibilité laissée à la discrétion du président de la chambre. Les multiples exceptions à la publicité que vous avez prévues risquent d’ailleurs d’avoir raison de cette mesure – qu’un amendement de la commission prévoit d’évaluer.

Il est indispensable de conserver le juge des libertés et de la détention – et je vous remercie de l’avoir fait contre l’avis du groupe UMP, Monsieur le ministre.

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Nous étions très partagés !

M. André Vallini – Il faut même renforcer son statut. Nous sommes cependant très réservés sur la possibilité que vous lui donnez de décider d'un placement en détention provisoire pour procéder aux vérifications nécessaires sur la situation personnelle de l'intéressé. Cela relève plutôt du rôle du magistrat instructeur, et l’avocat pourrait du reste fournir ces éléments.

J’en viens à la collégialité, que la commission d’enquête avait préconisée pour remédier à la solitude et à l'inexpérience de certains juges d'instruction. Les pôles de l'instruction que vous proposez à la place sont si compliqués à mettre en œuvre que les députés de la majorité les ont supprimés en commission. M. Fenech y voit une « usine à gaz » n'instaurant pas « une vraie collégialité », M. Marsaud, « une fausse bonne idée » et M. Bénisti une réforme « contre-productive ». Je n’aurais pas pu être plus sévère ! Vous avez ajouté in extremis et après moult contorsions un amendement disant que la collégialité a « vocation » à entrer en vigueur dans cinq ans. Ce n’est pas ainsi qu’on fait la loi ! M. de Roux a dit hier en commission des lois qu'il s'agissait « d'une annonce relevant d'un programme électoral et non d'un texte normatif » Quant à M. Goasguen, il a parlé « d'un lamentable rafistolage et d'une annonce électoraliste ». Je ne saurais mieux dire...

J’en viens maintenant à la formation des magistrats. La réponse du juge Burgaud devant la cour d'assises de Saint-Omer – « le travail qui m'est demandé est purement technique » – aurait pu sortir de la bouche de tous les magistrats qui, du haut au bas de la hiérarchie judiciaire, ont fait leur travail en toute bonne foi et n’en ont pas moins concouru à la débâcle d'Outreau. Ils ont tous été « techniquement » irréprochables. Des vies ont été brisées, des familles disloquées, des honneurs salis, mais le code a été scrupuleusement respecté. L'École nationale de la magistrature forme aujourd'hui de parfaits mécaniciens du droit. Elle enseigne à ouvrir des codes, à rédiger des jugements, à prononcer des réquisitoires, à gérer des flux et des stocks. Chacun sait tourner la plupart des boulons, sans toujours connaître la machine sur laquelle il travaille ni l'objet qu'il fabrique. L'essentiel a été oublié, et le résultat est parfois tragique.

L'affaire d'Outreau a révélé les bases auxquelles devrait revenir la formation à l’ENM. D'abord la défense permanente des libertés publiques, mission première assignée au juge par la Constitution et qui devrait se traduire quotidiennement, par un véritable attachement à la présomption d'innocence, par la culture du doute, par l'utilisation réfléchie et modérée de la détention provisoire et par un usage raisonné et motivé de l'emprisonnement. Ensuite le respect scrupuleux de tous les justiciables, chaque fois que le juge entre en contact avec eux : l'interrogatoire, l'audition, l'entretien judiciaire doivent faire l'objet d'un véritable enseignement. Enfin, l'attachement farouche à l'indépendance, qui est sans doute l'apprentissage le plus difficile. Respecter la loi, certes ; connaître l'état du droit, évidemment ; mais aussi apprendre à penser par soi-même, savoir dire non quand tous les autres ont dit oui : voilà ce qui a cruellement manqué dans l'affaire d'Outreau.

Nous voterons les propositions qui vont dans le bon sens, et nous proposerons des amendements pour compléter celles qui sont insuffisantes, avec l’idée qu’en matière de justice, il faut apprendre d’abord à mettre la technique au service de l'être humain et de sa dignité.

L'affaire d'Outreau a jeté sur la place publique la question de la responsabilité des magistrats. Ce débat se nourrit depuis longtemps de l'exaspération des citoyens face à leur justice, les sondages montrant un mécontentement grandissant quant au fonctionnement de l'appareil judiciaire, surtout chez ceux qui y ont été confrontés.

Vous avez heureusement renoncé, Monsieur le ministre, à votre idée initiale de sanctionner « les erreurs grossières et manifestes d'appréciation », qui vous avait sans doute été soufflée par votre collègue de l’intérieur.

M. le Garde des Sceaux  Je vous rassure : absolument pas !

M. André Vallini – M. Sarkozy est en effet encore plus sommaire : il veut faire payer les juges pour leurs fautes.

Votre projet de loi comporta ensuite une disposition qui s'inspirait du rapport de la commission d'enquête et consistait à sanctionner la « violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale ». Le Conseil d'État a estimé qu’il y avait là un risque d'atteinte à la séparation des pouvoirs et de confusion avec le rôle des juridictions d'appel et de cassation.

Je réaffirme que nous sommes fermement hostiles à l'appréhension du « mal jugé » par le droit disciplinaire. Le recours doit être la seule voie de contestation d’une décision juridictionnelle. Toute autre solution favoriserait une autocensure des pratiques judiciaires et pèserait sur celles qui comportent une « prise de risques » – remise en liberté, retour d'un enfant placé dans sa famille. La solution de facilité pour le magistrat serait alors de ne prendre que des risques minimaux, au détriment des libertés individuelles et du pari qu’il est amené à faire sur l'évolution d'une personne.

Dans une décision disciplinaire du 8 février 1981, le CSM a rappelé que les motifs et le dispositif des décisions de justice ne peuvent être critiqués que par l'exercice des voies de recours, tout en retenant que « ce principe trouve sa limite lorsqu'il résulte de la chose définitivement jugée qu'un juge a, de façon grossière et systématique, outrepassé sa compétence ou méconnu le cadre de sa saisine, de sorte qu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle. » D'autres décisions du CSM ont retenu la responsabilité disciplinaire de magistrats à raison de négligences chroniques dans le suivi des affaires. Mais, comme il l'a rappelé, une telle responsabilité ne peut être envisagée qu'en ce qui concerne une décision juridictionnelle définitive, c'est-à-dire insusceptible de recours.

Certains estiment qu’une nouvelle définition de la faute disciplinaire n'est pas nécessaire. L'accroissement des poursuites disciplinaires ces dernières années et la poursuite que vous avez engagée devant le CSM contre le juge d’instruction et le procureur d'Outreau, contre l'avis de l’Inspection des services judiciaires, en seraient autant de preuves. La notion de faute pourrait ainsi faire l'objet d'une jurisprudence plus précise du CSM, sans qu'il faille une loi. Il suffirait de créer à la Chancellerie un bureau spécialisé dans le recueil des plaintes des justiciables, composé de personnalités indiscutables.

Le corps des magistrats et les syndicats sont partagés sur ce point. Les magistrats se remettent d'autant moins volontiers en cause qu’ils pensent n'avoir à rendre de compte qu'à leur conscience, et leur réponse est souvent : « Donnez-nous davantage de moyens et nous aurons une meilleure justice. » Il est vrai que la responsabilité du magistrat doit aussi s'apprécier en fonction des moyens mis à sa disposition. Il serait à cet égard utile de prévoir dans toute réforme une disposition identique à celle introduite dans le code pénal par la loi Fauchon du 10 juillet 2000, et selon laquelle la responsabilité d'une personne est appréciée en tenant compte du pouvoir et des moyens dont elle disposait. La responsabilité du magistrat s'apprécierait donc en fonction des moyens mis à sa disposition.

Vous proposez de permettre au Médiateur de donner suite à des réclamations concernant le service public de la justice et mettant en cause le comportement d'un magistrat. Aux yeux de certains, le choix du Médiateur est une erreur qui va réduire la portée de la réforme, cette institution n’ayant pas suffisamment acquis le statut de défenseur des libertés. Ils préféreraient créer une commission nationale de recours des justiciables, semblable à celle que nous avions envisagée en 1998 dans une réforme qui a été bloquée.

D’abord réticent, je me suis rallié à l'idée du Médiateur. Il ne faut pas que le justiciable se serve de cette procédure comme d'un nouveau degré de juridiction. De ce point de vue, votre choix est pertinent : ce sont bien les dysfonctionnements du service public de la justice qu'il s'agit d'examiner, et non les décisions juridictionnelles. Mais votre projet est en retrait sur le rapport de la commission d’enquête, puisque vous prévoyez un filtrage du Garde des Sceaux. Cela aurait peut-être posé un problème constitutionnel, mais il suffisait de réviser la Constitution.

M. le Garde des Sceaux  Ah !

M. André Vallini – Il faudra de toute façon le faire pour réformer le CSM et le doter de moyens d'investigation par la mise à disposition – ou le rattachement – d'inspecteurs des services judiciaires, afin qu’il devienne un vrai Conseil supérieur de la justice. Il faut aussi modifier sa composition pour que les représentants des magistrats n'y soient plus majoritaires, et que le mode de désignation des personnes extérieures au corps judiciaire évolue – je propose une désignation par le Parlement, ou par l'Assemblée nationale seule, tant que le Sénat n’est pas réformé – à la majorité des trois cinquièmes.

M. Philippe Houillon, rapporteur - Vous supprimez le Sénat ?

M. André Vallini – Certes non : je suis un farouche partisan du bicamérisme, mais je pense qu’il faut réformer le Sénat. C’est une proposition que je défendrai dans les prochains mois.

Il ne faut plus que le CSM soit présidé par le Président de la République. Imaginez un instant M. Sarkozy président du CSM ! Le Garde des Sceaux ne doit plus en être membre.

J’en viens aux moyens. Des audiences sans greffier, des juges qui siègent plus de neuf heures d'affilée, des gardes à vue prolongées par télécopie, des juges d'instruction débordés, des avocats excédés : la justice va mal. Lundi prochain, avocats et magistrats seront à nouveau mobilisés pour dire leur colère, pour la deuxième fois en un mois. C'est sans précédent et cela dénote un profond malaise.

La France ne consacre pas assez d'argent à la justice, avec 2,3 % du budget. Même en augmentation, le budget de la justice française par habitant est de 28 euros par an – c'est le niveau de la Croatie – contre 55 euros pour l'Allemagne et 63 pour la Belgique. Dans notre chapitre consacré aux moyens, nous avons proposé de hisser le budget de la justice à 3 % du budget de l'État, soit 40 euros par an et par habitant. Mais en attendant, Monsieur le ministre, je dois à nouveau vous poser la question du financement de la réforme : une fois cette loi votée, si elle est promulguée, ce qui est moins sûr, et surtout mise en œuvre, ce qui l’est encore moins, comment pourrez-vous la financer, puisque rien n’est prévu au budget pour 2007 ? Vous me répondrez que vous procéderez par abondement, en tant que de besoin. Mais où prendrez-vous l’argent, sur quel chapitre ? Ou même sur quel ministère ? Cela ne veut rien dire ! À moins que cette loi ne soit qu’un texte d’affichage, ce que je ne veux pas penser.

Au-delà des clivages partisans et loin des polémiques inutiles, la commission d'enquête parlementaire, une première dans son genre, a contribué à réhabiliter le travail parlementaire. Ses travaux ont suscité une grande attente. Mais après le temps de l’espérance en un changement profond de la justice est venu celui du désenchantement. La déception est générale, même sur les bancs de la majorité, où elle est mal dissimulée. Notre justice traverse une crise de confiance sans précédent : 70 % des Français estiment qu’elle fonctionne mal et 53 % – une majorité ! – disent la redouter. C’est très grave. Lorsque la justice devient à ce point suspecte aux yeux des citoyens, c’est le pacte social qui se fissure et tout l'édifice républicain qui est menacé.

Le 29 juin, les membres de la commission d'enquête se sont rendus à Outreau pour remettre officiellement leur rapport aux acquittés. Ils ont prêté le serment, par ma voix, de veiller, quelles que soient les alternances politiques, à la réalisation des réformes qu’ils ont proposées. Cet engagement, il nous appartiendra de le tenir après 2007 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Leonetti – Cette motion avait plus les apparences d’une intervention de discussion générale que d’un plaidoyer pour empêcher la discussion. La commission d'enquête d’Outreau, comme d’autres qui ont réuni des députés de tous les groupes, telle celle qui s’est constituée autour de l’affaire Humbert, a travaillé de manière sereine et dans le sens de l’intérêt général. Il est normal que, quitte à dénoncer parfois des insuffisances, M. Vallini relève des points positifs, puisque le Garde des Sceaux a repris bon nombre des propositions de cette commission, concernant la transparence, l’encadrement de la détention provisoire ou la collégialité par exemple. Lorsqu’il souligne que la conception qu’a le juge Burgaud de son travail, « purement technique », dénote une vision extrêmement parcellaire d’un métier essentiellement humain, exercé par un humain pour d’autres humains, qu’ils soient innocents ou coupables ; lorsqu’il appelle à une réforme d’une grande ampleur, après un débat dans l’ensemble du pays et une confrontation avec les professionnels, nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui.

Mais la question qu’il pose reste la suivante : rien est-il mieux que trop peu ? De notre point de vue, compte tenu de l’émotion qu’a suscitée l’affaire d’Outreau chez tous les Français – qui n’estiment plus simplement que leur justice est lointaine et lente, mais aussi dangereuse pour eux-mêmes ! –, l’inaction n’est pas acceptable. Si chacun d’entre nous sait qu’il ne s’agit que d’un premier pas – et il y a eu, c’est vrai, de nombreux débats au sein de la majorité –, c’est une étape indispensable pour renouer la confiance. Il était facile de traiter le problème en affirmant de façon péremptoire que la jeunesse du juge, et peut-être son inexpérience et sa solitude, étaient seules causes, qu’il était seul coupable. Mais cette réforme, qui vise notamment à améliorer la formation des magistrats et à imposer des sanctions – comme pour toute profession à responsabilités – le fait dans un respect extrême du juge, de son dévouement et de sa compétence.

Lorsqu’on subit une injustice, on a recours à la justice. Mais que fait-on lorsque c’est la justice qui produit l’injustice ? La procédure de saisine du Médiateur, équilibrée et respectueuse de nos institutions, apparaît comme un grand progrès. Par ailleurs, il était indispensable que les dispositions décidées soient certaines, et donc financées. La facilité aurait été de faire une immense réforme, à laquelle trois fois plus de juges n’auraient pas suffi, et d’attendre tranquillement que la nouvelle majorité ait à la mettre en œuvre. C’est l’honneur de ce Gouvernement d’avoir fait en sorte que ce premier pas puisse réellement être accompli.

Monsieur Vallini, qui avez tant travaillé sur ce sujet qui ne touche rien moins que la justice et le contrat social, je sais que nous sommes d’accord sur le fond. Le serment que vous avez fait à Outreau est dans tous les cœurs et dans tous les esprits. Mais aujourd’hui, ne renonçons pas à faire ce pas, pour ne pas avoir à regretter une autre affaire semblable. Si nous nous contentions de gloser sans rien faire, c’est un autre débat qui serait ouvert : celui de la confiance entre les citoyens et leurs représentants. C’est la dignité et l’honneur du Parlement que d’accomplir ce premier pas. Le groupe UMP ne votera donc pas cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Anne-Marie Comparini - Pour répondre aux ravages de l’affaire d’Outreau et aux souffrances endurées par des innocents, pour répondre aux attentes de l’opinion publique, il faut refonder notre justice fragilisée. Pour cela, vous proposez, Monsieur le Garde des Sceaux, des améliorations – mais minimales. Je regrette que vous n’ayez pas choisi de reprendre toutes les propositions de la commission d'enquête, ce qui pourrait mettre fin aux espoirs suscités par le débat sur le pouvoir judiciaire – un débat ouvert dès les commissions Delmas-Marty ou Viout. Je regrette que les trois projets soient discutés à marche forcée, ce qui risque d’anéantir le dialogue qui doit exister entre le législateur et le juge – il n’y a après tout pas deux jours que nous discutions ici de la modernisation du dialogue social, en affirmant son caractère indispensable avant tout réforme. Je regrette enfin que ce texte risque de rester sans suite : la question du fonctionnement de la justice et de son indépendance ne peut être dissociée de celles de ses moyens et du statut des magistrats. La France est perfectible dans ce domaine ! Malgré quelques progrès, notre budget de la justice reste très insuffisant comparé à celui de nos voisins.

Mais, si je fais le même constat que le président Vallini, je n’en tire pas les mêmes conclusions. À lire rapidement les trois textes, on pourrait croire que tout est réglé. Un examen approfondi montre qu’il n’est est rien. C’est pourquoi je ne voterai pas cette motion : il faut aborder le débat. Il faut peser et soupeser chaque changement, car ne pas prendre en considération toutes les conséquences de chacun serait, en matière de justice, inacceptable. Il faut aussi affiner le calendrier d’application de chaque disposition.

M. le Garde des Sceaux  Je voudrais d’abord remercier André Vallini de sa contribution à ce débat, car je comprends bien que cette motion de procédure, exercice obligé, n’était qu’un moyen de traiter du fond. Cette réforme a le mérite de répondre aux questions que se sont posées les Français après Outreau. Elle ne prétend pas réformer l’architecture de notre justice. D’aucuns estiment que celle-ci devrait être revue de fond en comble, d’autres la souhaitent à moindre échelle. Il appartiendra à la prochaine législature de conduire cette réflexion – sans jamais oublier que dix ans ont été nécessaires pour réformer notre code de procédure pénale ! Je ne puis donc qu’appeler de mes vœux une certaine lenteur dans ces projets.

La France est un vieux pays, dont le système judiciaire ne peut être mis cul par-dessus tête sans un énorme risque. Beaucoup d’efforts ont été nécessaires pour trouver un consensus sur des réponses ponctuelles aux difficultés rencontrées par les accusés d’Outreau. Je n’ose imaginer ce qu’auraient dû être ces efforts s’il s’était agi de réformer toute l’architecture de notre justice !

L’un des gros problèmes dans notre pays est la détention provisoire, qui demeure beaucoup trop importante, même si le nombre de détenus en préventive dans nos prisons est passé de 40 à 30 %. Il fallait trouver des solutions. Notre code de procédure pénale fixe des limites, de la position desquelles on peut bien sûr débattre, mais là n’est pas, me semble-t-il, l’essentiel. Il réside dans le rôle de la chambre de l’instruction, qui n’a jamais bien fonctionné en France. S’il était un seul point de notre réforme sur lequel je devais braquer les projecteurs, ce serait celui-là : la chambre de l’instruction va enfin jouer son rôle dans notre pays.

J’en profite pour signaler un point qui ne figure pas dans la loi car il relève de ma seule autorité : toutes les chambres de l’instruction disposeront maintenant d’assesseurs à plein temps, de façon à assurer un vrai suivi des cabinets des juges d’instruction, ce qui limitera le risque d’erreurs judiciaires. Cette mesure, à elle seule, constitue une révolution. Nous, juristes, savons toute l’importance de ce point, qui peut paraître accessoire à l’opinion.

Je suis heureux de constater que, si nous avons du mal à nous mettre d’accord sur l’ampleur de la réforme, nous sommes en réalité d’accord sur ses points précis. Et là est bien l’essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La question préalable sur le projet de loi relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats, mise aux voix, n’est pas adoptée.
La séance, suspendue à 17 heures 5, est reprise à 17 heures 20.

M. Christophe Caresche – Monsieur le ministre, en souhaitant tirer les conclusions de l’affaire d’Outreau avant la fin de la législature, vous vous livrez à un exercice difficile.

Vous nous présentez un texte incomplet par rapport aux propositions faites par la commission d’enquête. Ce faisant, vous prenez un double risque : d’une part, celui de ne pas être à la hauteur de l’émoi que cette affaire a suscitée, et des nécessités de réforme qu’elle a révélées en faisant apparaître la justice comme un pilier fragilisé de la République ; d’autre part, celui de rompre le consensus qui avait pu naître au sein de la commission d’enquête, consensus lui aussi fragile parce que fruit de compromis. En ne reprenant qu’une partie des propositions formulées dans le rapport et en ajoutant d’autres dispositions, vous créez des dissensions, et d’abord dans votre majorité ; vous rouvrez des débats qui avaient été tranchés par les membres de la commission d’enquête.

Bref, vous nous proposez une réforme non seulement incomplète – et que vous nous présentez d’ailleurs comme telle, en parlant de première étape –, mais qui ne satisfait personne. Peut-être n’aviez-vous pas d’autre solution, sauf à renvoyer les choses après les élections présidentielle et législatives. Je le regrette néanmoins car sur les questions de justice, ce n’est pas la première fois qu’un consensus se forme. La commission Truche, la commission Delmas-Marty avaient elles aussi élaboré des propositions qui rassemblaient les responsables politiques, mais qui n’ont pas finalement pas abouti : on se souvient notamment de la réforme interrompue du CSM. Ce scénario maléfique semble se reproduire : les propositions formulées par la commission d’enquête risquent d’apparaître comme une parenthèse. Il appartiendra à ses membres de continuer à les faire vivre.

Avant d’en venir au contenu de vos projets, plus particulièrement en ce qui concerne la procédure pénale, je voudrais indiquer les leçons que je tire de l’affaire d’Outreau – en me référant au livre d’Antoine Garapon et Denis Salas, dont je partage l’analyse. Qu’on le veuille ou non, cette affaire pose le problème du système inquisitoire français.

M. Georges Fenech – Mais oui !

M. Christophe Caresche – Cela ne veut pas dire qu’il faut supprimer le juge d’instruction, Monsieur Fenech, ne vous réjouissez pas trop vite ! Mais c’est un fait, confier au juge d’instruction le soin de faire apparaître la vérité, c’est lui donner une responsabilité exorbitante, surtout à un moment où les affaires deviennent de plus en plus complexes.

Mais, surtout, notre système inquisitoire est marqué par une culture de l’aveu, qui a été omniprésente dans l’instruction de l’affaire d’Outreau. Une machine judiciaire s’est mise en marche, non pas tant pour rassembler des éléments de preuve que pour conforter la thèse des magistrats, selon laquelle on était face à un réseau pédophile qu’il fallait dévoiler.

Les réponses sont multiples. Cela passe, en effet, par la responsabilité des juges. Celle-ci existe déjà. Sans doute n’est-elle pas suffisamment mise en œuvre, l’institution qui la contrôle participant dans une certaine mesure, du fait de sa composition, des mêmes intérêts corporatistes. Mais nous ne croyons pas que cette question soit centrale. L’autre réponse suggérée consiste en la collégialité : pour mieux contrôler le travail du juge, on demandera à d’autres magistrats de le seconder. Ce n’est pas un choix anodin. La collégialité améliore effectivement les choses, mais, là encore, est-ce la solution ? Non.

En réalité, cette solution passe principalement par le renforcement de la défense. Le plus important, c’est de procéder à un rééquilibrage entre la procédure pénale et la phase d’enquête en introduisant davantage de contradictoire, mais aussi davantage d’audience.

M. Guy Geoffroy, rapporteurLe texte le prévoit.

M. Christophe Caresche – Il faut que la procédure entre le plus rapidement possible dans une phase contradictoire, dans la confrontation des différents points de vue. Dans cet esprit, nous présenterons un certain nombre d’amendements, qui s’inspirent, pour l’essentiel, des conclusions de la commission d’enquête.

En ce qui concerne la garde à vue, il s’agit ainsi de notifier à l’intéressé les faits qui lui sont reprochés, de l’informer qu’elle a le droit de ne pas répondre aux questions des enquêteurs et, six mois après la fin de la garde à vue, le droit d’interroger le procureur de la République sur les suites données à la procédure, de permettre à la défense de participer à tous les interrogatoires, de ménager un espace contradictoire dans les enquêtes du procureur, d’informer le Parlement des mesures de garde de vue dans un rapport annexé au projet de loi de finances…

En ce qui concerne l’instruction, la formule proposée, à savoir la collégialité mais dans cinq ans, pour des motifs budgétaires,…

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Non : pour ménager le temps de la formation !

M. Christophe Caresche – …, n’est pas satisfaisante et est d’ailleurs largement mise en cause sur les bancs de la majorité.

Nous voulons compléter le texte également sur la détention provisoire. Le constat est unanime : il faut que la détention provisoire soit limitée, au profit des autres formes de contrôle de la personne mise en examen. Il s’agit, en somme, de faire en sorte qu’elle ne soit plus la règle, mais l’exception. La détention provisoire est le laboratoire de l’aveu ; elle est le moment où s’exerce une pression pour faire avouer la personne. On l’a vu clairement dans l’affaire d’Outreau : ceux qui ont avoué sont sortis assez rapidement de détention provisoire, tandis que les autres ont été retenus très longtemps.

Telles sont les propositions que nous formulerons pour en revenir à l’esprit de la commission d’enquête. Nous regrettons que le consensus qui s’est fait jour sur Outreau n’ait pas débouché sur un texte plus riche. Vous prenez le risque de décevoir, au moment où nos concitoyens attendent que nous leur redonnions confiance en la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Anne-Marie Comparini – Depuis le début de la législature, notre assemblée a examiné sept lois relatives à la procédure pénale. Cette redoutable inflation législative témoigne du profond malaise dans lequel est plongé notre pays. Toute affaire judiciaire défrayant la chronique appelle immédiatement la rédaction d’une loi ; ainsi en est-il après les drames humains d’Outreau.

Dans ce contexte, vous nous dites, Monsieur le Garde des Sceaux, que les rapports présentés ne prétendent pas répondre de manière globale aux problèmes de la justice, qu’il ne s’agit que d'une étape, définie par le président de la commission comme ce qui est faisable immédiatement, en attendant une réforme plus profonde après les élections de 2007.

Faisabilité immédiate ? En admettant que votre proposition relative au Médiateur soit constitutionnelle, il faudra constituer une équipe. Or, vos services instruisent 17 000 plaintes par an, via les parquets généraux. A-t-on les moyens de faire face ? Ne faudra-t-il pas plutôt attendre le budget complémentaire, en juillet 2007 ?

De même, les magistrats doivent exercer leur fonction dans le respect d’exigences déontologiques particulièrement contraignantes, sans exemple dans les autres corps de fonctionnaires. Les sanctions prévues par l'article 45 de l'ordonnance de 1958 sont nombreuses et lourdes. Une lecture rapide de l’amendement gouvernemental donne l'impression qu’un vide devait être comblé. Mais l’examen approfondi de cet amendement, non soumis pour consultation aux organisations syndicales, nous amène à vous interroger : inclut-il le « mal jugé » ? La faute doit-elle être volontaire ? Doit-elle être simple ou réitérée ? Quel est le délai de prescription ?

Ces questions ne se traitent pas à la va-vite. Il importe de ne pas désarmer, ni déstabiliser la justice. Nous veillerons donc à ce que cette modification législative n'introduise pas l'acte juridictionnel lui-même dans le périmètre disciplinaire, la procédure naturelle pour contester une décision juridictionnelle devant rester l'exercice du recours.

J’en viens à la collégialité. L’UDF défend depuis longtemps une orientation des jeunes magistrats vers les fonctions collégiales, dès leur sortie d’école, plutôt que vers les tribunaux d’instance ou les fonctions d’instruction. À cet égard, vous prévoyez une formation probatoire et un stage en juridiction, mais aussi la création de pôles d’instruction permettant de confier les affaires criminelles et complexes à des juges expérimentés. M. Houillon déclarait ce matin même que la collégialité est inenvisageable sans moyens appropriés et que, de ce fait, elle ne pourra être instaurée que dans cinq ans. La co-saisine et les pôles, qui coûtent moins cher, assurent la transition.

Dont acte. Cependant, ces pôles auront-ils les moyens de fonctionner correctement ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur Oui !

Mme Anne-Marie Comparini - Le Garde des Sceaux lui-même estime les besoins à 70 magistrats et 110 greffiers. Cela n’affectera-t-il pas d’autres juridictions qui attendent des renforts ? Aucune information ne nous est par ailleurs fournie sur le nombre et la répartition des pôles. L’affaire est pourtant sérieuse : c’est faute des trois cents magistrats nécessaires que la collégialité votée en 1985 n’a jamais été appliquée !

Quant à la détention provisoire réaménagée, elle est souhaitée par tous. Vous proposez la limitation du recours à la notion de trouble à l’ordre public, la présence de l’avocat lors du débat contradictoire de placement en détention et, surtout, l’examen complet par la chambre de l’instruction tous les trois mois. Pouvez-vous, dès lors, garantir que les chambres, dont la charge est déjà importante, seront bien renforcées, que les avocats pourront remplir cette nouvelle mission et que les enquêteurs seront soumis à un calendrier strict ? Pouvez-vous préciser les solutions alternatives que vous préconisez, telles que le bracelet ou l’assignation à résidence ?

Au vu de ces quelques observations, je me demande si nous n’avons pas là un énième changement conforme à la règle d’or selon laquelle toute affaire suscite une loi. Ce n’est pas votre procès que je dresse, Monsieur le Garde des Sceaux, mais le nôtre, celui du Parlement ! Je crains que le pouvoir politique, en faisant croire qu’il agit rapidement, ne songe qu’à se disculper.

Nous avons le devoir de réformer une justice fragilisée, en proie au doute. Cette réforme doit être pérenne, pour en finir avec les innombrables modifications de ces dernières décennies. Avant 2002, alors que l’on envisageait déjà de renforcer la présomption d’innocence et de maîtriser la détention provisoire, mes collègues de l’UDF s’étaient battus pour que les droits de la défense soient mieux exercés et que la détention provisoire ne soit ordonnée que lorsqu’elle permet de protéger les témoins ou de garantir le bon déroulement du procès. Après 2002, ces avancées ont été mises en cause au nom d’une idéologie sécuritaire réductrice, au point que les magistrats ont raison, aujourd’hui, de nous demander ce que nous voulons !

Pérenne, la réforme doit aussi permettre de traiter les plaintes de nos concitoyens avec efficacité et de responsabiliser les magistrats sans en faire des boucs émissaires. À ce titre, la création d’une chambre des requêtes au sein même du Conseil supérieur de la magistrature vaut mieux que l’extension du rôle du Médiateur. De même, l’UDF préfère réactiver le régime de circulation de l’information sur les questions éthiques et déontologiques et favoriser la détection de situations à risques, plutôt que de créer un nouveau manquement. Le premier président de la Cour de cassation a aussi suggéré, à raison, d’instituer des groupes sur les bonnes pratiques professionnelles.

Enfin, la réforme doit remédier à la lenteur des procédures et à l’encombrement des greffes, augmenter le taux d’exécution des sanctions, garantir la meilleur réinsertion possible et améliorer l’état des structures, tant pour les majeurs que pour les mineurs.

Tout cela aura un coût. Malgré les progrès que vous avez obtenus, Monsieur le Garde des Sceaux, la justice est encore loin d’avoir un budget suffisant. Son indépendance en dépend pourtant ! Aujourd’hui, elle vit au rythme de lois conjoncturelles, dictées par les affaires, sans disposer des moyens adéquats – il y a cinq fois plus de fonctionnaires de la justice en Allemagne qu’en France !

Pour autant, la réforme doit être conduite sans retard, mais aussi sans précipitation. Échappant aux clivages traditionnels, elle doit être le fruit d’un dialogue confiant entre le législateur, le juge et le peuple.

M. Michel Vaxès – Les trois projets que nous présente aujourd’hui le Gouvernement sont le premier prolongement législatif de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, qui a engagé un débat de fond auquel nos concitoyens se sont beaucoup intéressés. Les attentes étaient grandes, et chacun espérait une réforme à la hauteur des enjeux.

Hélas, elle n’aura pas lieu. Les professionnels et les justiciables seront déçus, comme à chaque fois que le calcul électoraliste prend le pas sur l’intérêt général. En présentant dans l’urgence une réforme minimale, le Gouvernement renonce au rendez-vous historique d’un projet ambitieux, pourtant nécessaire après Outreau. Et un tel sujet mériterait que la représentation nationale se mobilise plus qu’elle ne le fait aujourd’hui : l’hémicycle est presque vide.

Cette affaire, au fond, est moins le fruit d’un dysfonctionnement de la justice que d’une crise idéologique, qui fragilise toutes nos institutions, et d’une insécurité sociale généralisée. Au lieu de promouvoir la cohésion sociale ou de lutter contre l’injustice et la misère culturelle, les gouvernants ont trop longtemps voulu rassembler le peuple autour d’un consensus sécuritaire, afin de calmer ses peurs. Ce populisme pénal a nourri une inflation législative. Au fil de lois de circonstance suscitées par de simples faits divers, on a sacrifié le procès équitable, la présomption d’innocence, la culture du doute, les droits de la défense et les libertés individuelles. Outreau, pourtant, est impensable hors de son contexte : la culture du doute pouvait-elle survivre à la découverte de réseaux pédophiles ? Dans l’indignation ambiante, on s’est mis à préférer un innocent en prison à un coupable en liberté. Dès lors, le drame n’était-il pas inévitable ?

L’affaire d’Outreau a surtout révélé deux problèmes : celui de la détention provisoire et celui des moyens de la justice – dont l’indigence interdit une collégialité pourtant indispensable si l’on ne veut pas que de telles affaires se reproduisent. Néanmoins, toute institution étant perfectible, les propositions d’améliorations avancées par la commission d’enquête méritent d’être concrétisées. Un service public de la justice de qualité, garantissant le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, tel devrait être l’objectif d’une réforme ambitieuse. Si nous accueillons favorablement certaines dispositions proposées, nous regrettons que les trois projets manquent d'ambition et que des pans entiers de ce que devrait être une véritable réforme aient été ignorés : organisation et composition du CSM, organisation de la police judiciaire, défense des plus démunis.

Le premier projet concerne la formation et la responsabilité des magistrats. Les quatre premiers articles traitent plus spécifiquement de leur formation mais n’introduisent qu’un changement mineur. La formation et le recrutement des magistrats étant des conditions essentielles pour une justice de qualité, il aurait fallu faire en sorte de diversifier leur recrutement, afin de remédier à l'uniformité sociale et culturelle de la magistrature, mais également d’améliorer le contenu de la formation initiale et continue en vue de dépasser son caractère purement « technique » et juridique. Tel est le sens des amendements de la commission qui visent à rééquilibrer l'importance respective des différentes voies d'accès à la magistrature judiciaire au profit des candidats bénéficiant déjà d'une autre expérience professionnelle dans le domaine juridique. Nous les soutiendrons.

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Très bien.

M. Michel Vaxès – S’il en est de même de l’amendement prévoyant une obligation de formation continue, nous souhaitons que notre proposition d'introduire dans les concours d'accès une épreuve de sciences humaines soit retenue.

L’article 5 crée une nouvelle sanction disciplinaire avec l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pendant une durée maximale de cinq ans. Si nous comprenons l'esprit de cette disposition qui vise à empêcher un magistrat fautif d'exercer seul, il serait regrettable qu'elle aboutisse à dévaloriser la collégialité.

Un amendement de la commission avant l'article 5 modifie le serment des magistrats et sa violation constituera une faute disciplinaire. Nous l’adopterons, mais à condition que vous acceptiez le sous-amendement que nous défendrons. Dans le cas contraire, nous nous y opposerons, mais il serait sans doute préférable que vous retiriez cette mesure.

L'indépendance est une notion fondamentale en matière de justice. Le parquet, selon nous, ne peut rester totalement soumis au pouvoir exécutif. S'il est envisageable qu’il demeure lié à la chancellerie afin de garantir une bonne conduite de la politique pénale de la nation, il est indispensable de mieux garantir l'indépendance du statut personnel du parquetier. En effet, distinguer son statut fonctionnel – qui le lierait à la chancellerie pour ce qui est de ses missions d'administration et de politique pénale – et son statut personnel – qui serait calqué sur le statut des magistrats du siège – permettrait d'assurer une indépendance au regard des contingences politiques. Nous aurions également aimé que ce projet supprime toutes possibilités d'instructions particulières du Garde des Sceaux. De même, les rapports de politique pénale établis chaque année par les procureurs de la République et les procureurs généraux devraient être présentés au Parlement. La démocratisation d'une institution qui juge au nom du peuple français exige que les citoyens, par l'intermédiaire de la représentation nationale, aient une meilleure connaissance de notre politique pénale.

Votre réforme ignore également les problèmes liés à l’actuelle composition du CSM. Nous aurions pourtant pu reprendre le projet de loi constitutionnelle adopté en 1998 et qui n’a pas été promulgué. Nous aurions alors proposé d’en faire sortir le Président de la République et le Garde des Sceaux, et d’instituer une présidence tournante, faisant alterner tous les deux ans un président choisi parmi les magistrats et un non-magistrat. Ce CSM rénové aurait pu se voir confier la gestion des services judiciaires et l'inspection des magistrats, une inspection assurée par un service créé auprès du CSM dont le chef et les membres seraient choisis hors du CSM, mais par le CSM. Un tel service pourrait être chargé d'examiner les plaintes des justiciables et éventuellement de la saisine du CSM. Le Gouvernement a préféré soumettre un projet qui modifie la loi sur le Médiateur en créant une nouvelle procédure d'examen des réclamations relatives au fonctionnement de la justice. D'ailleurs, l'article unique de ce texte a été supprimé par la commission pour être intégré dans le projet relatif aux magistrats et trouver place dans l'ordonnance de 1958. Dans le dispositif proposé, le Médiateur, saisi par un parlementaire de la plainte d'un justiciable, transmet la réclamation au Garde des Sceaux s'il estime qu'elle est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Nous vous proposerons par un amendement de permettre au médiateur de saisir le CSM s'il considère, au vu des résultats de l'enquête, que l'instance disciplinaire mérite d'être saisie malgré la décision du ministre de la justice de ne pas engager de poursuites disciplinaires.

Le dernier projet tend à renforcer l'équilibre de la procédure pénale. Nous sommes d’accord sur la plupart de ses dispositions, mais nous proposerons un certain nombre d'amendements visant à l’améliorer. L’un deux tend permet aux parquets et aux juges d'instruction de travailler avec quelques officiers de police judiciaire qui seraient détachés de leur administration d'origine. Dans le respect de l'esprit du texte, nous proposerons aussi une série d'amendements visant à conserver un caractère exceptionnel à la détention provisoire.

Enfin, nous reprendrons une proposition faite par Maître Soulez-Larivière pour la création d'un « internat » du barreau. Nous ne pourrons discuter de notre amendement détaillant le dispositif – venu s'ajouter à la longue liste des victimes de l'article 40 –, mais nous vous proposerons de réfléchir à cette proposition en examinant un amendement demandant un rapport à ce sujet. Aujourd'hui, l'aide juridictionnelle traverse une crise sans précédent et mobilise de nombreux avocats dans l'ensemble des barreaux. Sa revalorisation ne suffira pas à résoudre cette crise, mais un internat du barreau, où exerceraient des avocats sélectionnés sur concours, et se consacrant exclusivement à la défense des personnes éligibles à l'aide juridictionnelle, pourrait garantir une défense efficace pour les plus démunis. Les auditions réalisées devant la commission d'enquête ont montré en effet que la défense n'est pas la même pour tous. Si le Gouvernement s'était donné le temps indispensable à l'élaboration d'une réforme ambitieuse de la justice, peut-être ne serait-il pas passé à côté de cette question primordiale.

On peut craindre en effet que la précipitation ne conduise à l'adoption d'un texte imparfait qui décevra les professionnels comme les citoyens. Les débats en commission des lois le prouvent : nous sommes dans l'urgence et les dispositions proposées ne pourront être appliquées faute de moyens. L'idée de créer des pôles d'instruction n'était pas mauvaise même si nous pensons qu'il aurait été préférable de mettre en place une véritable collégialité.

M. Guy Geoffroy, rapporteur – C’est ce que prévoit le texte.

M. Michel Vaxès – C'est d'ailleurs pourquoi la commission des lois a proposé la suppression du premier article. Les faits sont têtus : nous pouvons voter des dispositions pleines de bonnes intentions mais elles ne seront jamais appliquées faute de moyens. M. le Garde des Sceaux a certes estimé que nous ne pourrions pas former les magistrats nécessaires à l’application des réformes mais depuis 2002 nous n’avons cessé quant à nous de réclamer une hausse du budget de la justice et une formation en nombre des magistrats.

C'est dans un esprit constructif que nous abordons cette discussion en espérant que vous examinerez nos amendements de la même manière.

M. Jérôme Bignon – L’onde de choc provoqué par l’affaire d’Outreau a été un révélateur, amplifié par les remarquables travaux de la commission d’enquête. Ceux-ci ont suscité passions et attentes. Comme l’écrit Jules Romains dans Les Hommes de bonne volonté : « Au jour où les sociétés ont accueilli une goutte de justice, on pouvait prévoir qu’il n’y aurait plus de repos tant que la goutte n’aurait pas tout retravaillé, tout transformé, tout amené à l’état de justice. » Pour autant, fallait-il un grand soir de la justice ? M. le Garde des Sceaux a choisi une démarche pragmatique, rapide et efficace. Cette première étape montre que le Gouvernement inscrit sa réponse à l’affaire d’Outreau dans le cadre d’un long processus en faveur de la justice, et c’est la bonne méthode. Redonner aux Français confiance dans leur justice est un vrai défi tant la conviction que le pot de fer l’emporte toujours sur le pot de terre est ancrée dans nos esprits. Les réformes considérables intervenues depuis 1958 concernant la procédure pénale n’y ont pas suffi.

Les temps ont pourtant changé depuis mes débuts d’avocat, où j’étais plus souvent terrorisé par le juge d’instruction que mon client, qui connaissait la musique, où l’accès restreint au dossier nous contraignait à recopier à la main les centaines de pages de la procédure, et où les droits de la défense étaient réduits à portion congrue. Il fallait à l’époque une énergie peu commune pour lutter contre le juge et son allié, le parquet. Les réformes entreprises n’ont permis ni de modifier la perception culturelle que nos compatriotes ont de leur justice, ni d’éviter Outreau, affaire dans laquelle ont joué à la fois l’effroi suscité par les faits reprochés et l’effet de bascule quand l’incroyable enchaînement des dysfonctionnements a été mis au jour.

D’un horrible malheur est cependant née une vraie prise de conscience. La forêt d’Outreau – si j’ose dire – ne cache plus les dizaines d’arbres qui sont pourtant une réalité. Quelque 20 000 personnes sont placées chaque année en détention provisoire, ce qui fait de la France l’un des champions européens en la matière. Or, 5 % d’entre elles bénéficient d’un non-lieu ou d’un acquittement. C’est donc une cinquantaine d’Outreau qui se produisent chaque année. Cela fait frémir quand on imagine le déshonneur et le choc familial et professionnel que cela représente pour chacun de ces hommes et de ces femmes. En ayant assisté de nombreux, j’en parle avec gravité : c’est à eux que je pense en m’adressant à vous.

Le groupe UMP apprécie, Monsieur le ministre, votre démarche pragmatique. Nos compatriotes ne connaissent pas intimement le fonctionnement de la justice, mais ils ont compris que quelque chose n’allait pas. Vous vous êtes efforcé de leur répondre avec ces trois textes, dont la commission des lois a fait deux projets – l’un organique, qui touche au statut des magistrats, l’autre ordinaire, qui concerne la procédure pénale.

Vous avez d’abord résolu d’améliorer la formation des magistrats. L’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, doit être confiée à des magistrats sérieux, compétents, respectueux d’une déontologie, capables d’impartialité et d’humanité. Or, cela s’apprend – et de nombreux magistrats ont reconnu avec intelligence les imperfections du système actuel. La diversification du recrutement reste marginale et la formation initiale demeure étroitement juridique. La formation continue, non obligatoire, est très inadaptée. Il faut, enfin, mieux valoriser l’expérience. La réforme proposée met l’accent sur la formation probatoire. Les magistrats devront en outre acquérir une expérience à l’extérieur du corps judiciaire. La fonction « ressources humaines » devient essentielle dans votre administration. La formation continue devrait devenir, comme pour les avocats, obligatoire.

Le malaise d’Outreau ne tenait pas cependant à la seule formation des magistrats. L’opinion a mal compris l’insuffisance du régime disciplinaire : les fautes sont peu lisibles et les sanctions peu appliquées, les trois quarts d’entre elles restant faibles. Ce sentiment de quasi-impunité heurte nos compatriotes.

Les mesures que vous proposez sont respectueuses d’une autorité judiciaire dont les membres souffrent parfois d’entendre mettre en cause leurs qualités professionnelles. En précisant les devoirs qui incombent aux magistrats, en améliorant la détection des fautes, en revoyant les sanctions disciplinaires et en modifiant la définition de la faute disciplinaire, vous ouvrez la voie d’une modernisation de la justice.

En modifiant d’autre part le point d’équilibre de la procédure, vous renforcez les droits de la défense – et l’avocat que je suis ne peut qu’y être sensible. Vous voulez rendre l’instruction plus objective en favorisant la collégialité, faire instruire et juger dans de meilleurs délais en luttant contre les recours dilatoires et les procédures abusives, renforcer les droits des parties, limiter la détention provisoire pour mieux respecter la présomption d’innocence et faire du contrôle judiciaire – comme dans bien des pays européens – la mesure principale. Les placements en détention provisoire devront être examinés de façon plus complète et plus fréquente. Vous renforcez le caractère contradictoire de la procédure, à la fois pour l’expertise, les échanges entre le juge et le parquet et les mises en examen. Combien de fois ai-je vu des ordonnances de renvoi qui n’étaient que la copie conforme des réquisitions du parquet, sans qu’un mot de la défense ne soit pris en compte ?

Vous faites œuvre de transparence en élargissant la publicité des débats, en organisant progressivement l’enregistrement des interrogatoires en matière criminelle et en assurant avec plus de délicatesse le recueil de la parole des mineurs.

On pouvait certes espérer aller plus loin, plus vite et plus fort, avec davantage de moyens. Mais vous avez rendu le souhaitable possible, en inscrivant vos propositions dans un calendrier compatible avec les moyens dont vous disposez. Charles Péguy écrivait à la veille de 1914 que tout point de justice, tout point de revendication de droit, est en lui-même et instantanément un point de rupture d’équilibre. C’est cette rupture d’équilibre qui crée une dynamique. Vous avez accepté, après Outreau, de remettre en cause l’équilibre existant. Cette rupture d’équilibre garantit la dynamique de cette première étape que soutient le groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Georges Fenech – J’exprime d’abord un regret face à cet hémicycle quasiment vide. Nous sommes à peine une dizaine de députés présents – un seul sur les bancs des socialistes. L’affaire d’Outreau avait soulevé une telle émotion dans le pays que nous aurions dû être bien plus nombreux. Quel contraste avec le Palais de justice de Paris, qui vient de rendre dans l’affaire Seznec une décision qui m’a profondément attristé. Sans remettre celle-ci en cause au fond, j’observe que la justice n’a prononcé que six révisions depuis le début du XXe siècle, et ce malgré la réforme de 1998, qui permet de se fonder sur un simple doute, sans avoir à démontrer l’innocence. Malgré la saisine de l’un de vos prédécesseurs, Mme Lebranchu, malgré les réquisitions de l’avocat général, quatre-vingts ans de combat d’une famille, d’une région et de tout un peuple viennent d’être anéantis.

Ce clin d’œil de l’histoire nous ramène à la triste affaire d’Outreau. Vos projets de réforme ont en effet pour ambition de répondre à l'immense émotion soulevée par le désastre judiciaire d'Outreau, vécu par quatorze hommes et femmes dont l'un est décédé en détention. Ce fiasco judiciaire est remonté au plus haut sommet de l’État puisque, le 5 décembre 2005, le Président de la République écrivait aux acquittés en ces termes : « au nom de la Justice, dont je suis le garant, je tiens à vous présenter regrets et excuses devant ce qui restera un désastre judiciaire sans précédent ».

Fait également sans précédent, une commission d'enquête a été constituée à l’initiative de notre président Jean-Louis Debré et du président de la commission des lois, Philippe Houillon. Les Français ont suivi ses travaux de bout en bout. Ce voyage au cœur de la justice et de la démocratie a abouti à la formulation de 80 propositions.

Vous avez accordé tout votre appui à ce travail parlementaire, Monsieur le Garde des Sceaux, avant de préparer un ensemble de textes qui couvre l’essentiel des champs de réforme que nous avions identifiés : formation et responsabilité des magistrats, garde à vue, détention provisoire, renforcement du caractère contradictoire de la procédure pénale et du contrôle des chambres d’instruction, protection des mineurs. Cependant, vous avez choisi d’améliorer le système plutôt que d’en changer la nature inquisitoriale, vous préférez donner une nouvelle chance à la fonction qui personnifie le système tout entier – celle du juge d’instruction.

Une réforme d’ampleur ne peut certes – vous l’avez dit – s’envisager à quelques mois d’échéances électorales majeures. Comment vous contredire sur ce point ? En déposant en novembre 2005 – avant même l’examen en appel de l’affaire d’Outreau – une proposition de loi portant suppression du juge d’instruction, je n’ai pas un instant songé que pareil texte puisse entrer en vigueur sans que d’autres réformes soient conduites. Je reste cependant convaincu qu’à terme, notre système judiciaire sera construit selon le schéma en vigueur dans la plupart des grandes démocraties. Au parquet, doté d’un statut rénové et séparé du siège, jouissant d’une plus grande autonomie, de diriger l’enquête à charge et à décharge, dans le cadre de bureaux d’enquête – qui existent déjà dans les grandes juridictions. À la défense d’exercer pleinement ses droits, grâce à des moyens procéduraux strictement équivalents à ceux du parquet et de moyens d'investigation spécifiques, qui pourraient être mutualisés. Au juge de l'instruction ou de l'enquête, enfin, sous le contrôle d'une chambre de la cour d'appel, d'assurer un rôle d'arbitre. À lui d’autoriser ou de refuser les actes portant atteinte aux libertés individuelles tels que la détention provisoire. Voilà la révolution judiciaire tranquille que j’appelle de mes vœux.

Je comprends qu’une telle rupture bouscule l'idée d'une « exception française », mais il n’est, dans mon esprit, nullement question de copier un quelconque modèle étranger : nous devons construire notre propre système original. M. Perben avait d’ailleurs commencé à élargir progressivement les moyens du parquet, qui peut désormais faire procéder, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, à des actes qui autrefois nécessitaient l’ouverture d’une information. Il convient d'ailleurs de rappeler que 95 % des enquêtes pénales sont aujourd’hui diligentées par le parquet.

Ma proposition de loi avait été signée par 80 députés de la majorité et soutenue par des membres éminents des professions judiciaires, dont le bâtonnier de Paris. La procédure pénale contradictoire peut désormais être considérée comme une éventualité – et je suis convaincu que c’est l’option de l’avenir. Vous avez préféré, Monsieur le ministre, rester dans un système inquisitoire, mais en proposant un instruction collégiale, à terme, et des pôles de l'instruction transitoires. Je vous le dis tout net : je ne crois pas à la collégialité de l’instruction. Elle ne pourra en rien éviter d’autres Outreau. En renonçant à s’attaquer aux racines du mal, nous passons à côté d'une chance historique de doter notre justice, à la suite de nos grands voisins européens, d'une procédure fondée sur l'échange contradictoire des preuves, sous le contrôle d’un juge, arbitre indépendant, seul à même de garantir l'impartialité, l'équité et l’efficacité des enquêtes pénales.

Malgré quelque quarante réformes de procédure en quarante ans, notre système reste toujours fortement imprégné d’une procédure inquisitoire d'un autre temps, fondée sur l'écrit, le secret et l'aveu – sur la confusion des rôles entre l’enquêteur et le juge, l’accusation et le jugement. Dans ce système vieillissant, le juge d'instruction, solitaire ou en équipe, ne peut être ni un véritable enquêteur, ni un véritable juge. Ce n’est pas le nombre de juges qui rend un système plus performant : ainsi que l’a dit un des acquittés d’Outreau, s’il avait été en face de deux juges Burgaud, sa situation n’en aurait pas été meilleure ! La collégialité de l'instruction montrera vite qu'elle n’est qu’une concertation de façade, voire qu’elle engendre un nouveau type de contentieux, qui opposera les juges entre eux. D'ailleurs, le rapport Viout a mis en évidence que la co-saisine, qui existe déjà, ne correspond parfois à aucune réalité concrète. Bref, il est prévisible que la création du collège de l’instruction conduise à un alourdissement de la procédure.

Plutôt que de s’ingénier, comme tous les ministres de la justice depuis Robert Badinter, à conserver un système dépassé, sous prétexte de ne pas déchirer les forces du corporatisme – car il s’agit bien de cela – ou de ne pas contrarier une culture établie, mieux aurait valu remettre les acteurs judiciaires à leur place et, selon la formule d’un avocat des acquittés d'Outreau, réécrire la partition judiciaire, avec cet objectif simple : aux enquêteurs d’enquêter, au parquet de diriger la police judiciaire et d’exercer les poursuites, et au juge de juger. Je voterai ces projets de réformes, parce qu’ils contiennent d’indéniables avancées, mais je veux ici prendre rendez-vous avec les Français. Qu’ils ne désespèrent pas : la grande réforme de la justice verra le jour, c’est inéluctable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Hugon – Permettez moi d'aborder le sujet du point de vue du député, membre de la commission d'Outreau, qui a vécu pendant six mois une expérience législative et humaine exceptionnelle, mais aussi de celui du simple justiciable, qui découvre un monde inconnu, parfois inquiétant, et qui veut garder confiance en la justice de son pays. L’affaire d'Outreau, outre une immense émotion, a suscité de nombreuses interrogations, que nous avons tous entendues : comment cela est-il possible, dans un pays comme le nôtre ? Cela peut-il m'arriver ? Pourquoi les juges ne répondent-ils pas de leurs actes ? Sans compter tous ces « mini-Outreau » qu’on est venu nous dénoncer… Ce drame a été le révélateur du divorce entre les Français et la justice qui est prononcée en leur nom.

Je suis persuadé que la première partie de notre rapport analyse bien la chaîne qui a conduit à ce désastre et qu’il était important de faire ce travail, mais ce n'est pas cela que nos compatriotes retiendront. L’audition publique des acquittés, l’impressionnante dignité avec laquelle ils ont raconté leur terrible épreuve resteront dans toutes les mémoires. Pour ma part, je n'oublierai jamais ni Pierre Martel rapportant qu’il avait eu l'impression que le juge avait « droit de vie et de mort » sur lui, ni Odile Marécaux racontant sa garde à vue, ni Alain Marécaux menotté aux obsèques de sa mère, ni Daniel Legrand fils, inventant le meurtre d'une petite fille pour pouvoir être libéré. Sans parler de Thierry Dausque, resté quatorze mois dans sa cellule sans voir un avocat. Voilà ce qui est possible, aujourd'hui, en France, la patrie des droits de l’homme.

Bien sûr, ces « dysfonctionnements », comme l’on dit pudiquement, ne doivent pas porter ombrage au travail remarquable de l'immense majorité de ceux qui rendent la justice des hommes. Le premier devoir du législateur est de faire en sorte qu’ils puissent le faire sereinement, dans les meilleures conditions possibles. Mais il doit aussi, et la tâche n'est pas aisée, rendre aux citoyens confiance dans la justice de leur pays. L’innocent, suspecté, doit être convaincu qu’il ne risque rien puisque c’est à la justice de prouver qu’il est coupable, au lieu de penser qu'il devra prouver lui-même son innocence pour ne pas être condamné ! Ce que les Français veulent faire respecter, ce n’est rien d’autre que le principe de la présomption d'innocence.

M. Guy Geoffroy, rapporteur – Eh oui !

M. Jean-Yves Hugon – Le calvaire des acquittés d'Outreau nous oblige à mener un débat technique, de spécialistes. C’est indispensable. Mais il faut que tout citoyen puisse aussi y trouver des réponses concrètes à ses interrogations, car celui qui légifère est, comme celui qui rend la justice, au service du peuple.

La deuxième partie de notre rapport comporte 80 propositions, signées par l’ensemble des membres de la commission, que pratiquement tout le monde s'accorde à trouver courageuses et ambitieuses. Les textes que vous nous proposez aujourd'hui vont certes dans le bon sens. Ils sont un début de réponse, mais ils ne peuvent en aucun cas satisfaire l’immense espoir suscité par la création de notre commission. Je les voterai donc, mais en attendant une réforme plus ambitieuse, qui devra intervenir après les échéances de 2007 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Vannson – La dramatique affaire d'Outreau, a permis de révéler au grand jour les imperfections de notre système judiciaire. L'idée d'une réforme est loin d’être nouvelle, mais il existe désormais un consensus sur la nécessité de rendre confiance en la justice. Nous vous félicitons, Monsieur le Ministre, pour votre détermination à oeuvrer dans cette voie, afin que de telles situations ne se reproduisent pas.

Il est important de garder à l’esprit les conclusions du rapport fait par M. Houillon au nom de la commission d'enquête, dont j'ai eu l'honneur d'être membre. Les propositions qui y figurent doivent nous servir de guide pour remédier aux carences de notre système judiciaire, et certaines ont déjà été reprises dans les trois textes qui nous sont soumis. C’est le cas des dispositions relatives à la formation et à la responsabilité des magistrats : les conséquences désastreuses du manque d'expérience, voire de l'incompétence d'un magistrat sur la vie d'un justiciable appelaient des évolutions, tant en matière de formation et d'évaluation que de sanction. Le projet apporte un début de réponse en renforçant la formation de l'ensemble des magistrats, quel que soit leur mode de recrutement, au moment de leur entrée en fonction et tout au long de leur carrière. Je soutiens aussi les propositions visant à créer une formation continue des magistrats et à allonger la durée du stage à la sortie de l’École nationale de la magistrature. Enfin, il faut mieux contrôler l'aptitude à exercer des fonctions judicaires.

En ce qui concerne la question du juge unique, la collégialité et le travail en équipe ne sont certes pas des remèdes miracles, mais ils permettent néanmoins d'éviter bien des erreurs, notamment lorsque le juge est peu expérimenté. Il faut donc mettre en place une véritable collégialité dans l'instruction. Cela question fait l'objet d'un grand débat, et il serait souhaitable que la discussion débouche sur une solution efficace – qui pourrait consister à associer le juge des libertés et de la détention à l'ensemble de la procédure d'instruction. Il faut également évoluer vers une responsabilisation accrue des magistrats. Cela passe par le développement d'une culture de contrôle interne, ainsi que par des contrôles externes. Notre proposition de donner au Médiateur de la République à connaître des réclamations sur le fonctionnement de la justice s'avère, dans cette optique, particulièrement intéressante.

La réforme de la justice ne se fera pas sans une évolution des règles de procédure pénale : il apparaît fondamental de rééquilibrer les rapports en faveur de la défense en renforçant le caractère contradictoire de la procédure pénale, notamment lors des expertises. L'enregistrement audiovisuel des personnes gardées à vue dans le cadre d'affaires criminelles et le renforcement de la présence de l'avocat aux côtés de la victime s'inscrivent dans cette logique.

L’affaire d'Outreau, après d’autres, a mis en lumière le problème du recours abusif à la détention provisoire. La durée maximale légale des détentions provisoires apparaît excessive, eu égard au principe, constamment réaffirmé dans notre droit, de la présomption d'innocence. Bien souvent, le placement sous contrôle judiciaire pourrait lui être préféré. La restriction des critères de la détention provisoire va donc dans le bon sens, de même que l'ensemble des dispositions visant à réduire la durée de l'instruction et à éviter l’encombrement des juridictions, notamment celles qui permettent de revenir sur la règle selon laquelle « le pénal tient le civil en l'état ».

Je tiens à renouveler mon soutien à la démarche que vous menez, Monsieur le ministre, depuis que vous êtes aux responsabilités. Rappelons au passage que le budget de la justice a augmenté de 38 % depuis 2002 et que la loi de finances pour 2007 prévoit encore une augmentation de 5 %.

M. le Garde des Sceaux  Très bien.

M. François Vannson - Cela ne suffira certes pas à éradiquer l’ensemble des maux dont souffre notre système judiciaire. De nombreux problèmes restent à régler, comme le traitement de la parole des enfants, la place des rapports d’expertise, ou encore, et surtout, le rôle des médias durant les procédures pénales.

Les trois textes qui nous sont proposés constituent un « premier pas » dans la réforme de notre justice. Je formule le vœu que nos débats permettent de les enrichir et de surmonter certaines divergences. Il importe qu’ils aient lieu dans un climat serein et constructif. Le sujet est trop grave pour prêter à la polémique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Marsaud – Aucun d’entre nous – y compris vous-même, je n’en doute pas, Monsieur le Garde des sceaux-, ne sera totalement satisfait de cette réforme de la justice. Pour certains, elle intervient trop tard, pour d’autres trop tôt ; d’aucuns estiment qu’elle ne va pas assez loin et d’autres qu’elle va trop loin. Vous-même, comme nous-mêmes et de nombreux magistrats, aurions souhaité qu’on tienne différemment compte de l’histoire récente de notre pays. Cette histoire a en effet récemment déraillé au travers de l’une de nos institutions les plus emblématiques, la justice, pénale en particulier.

Quelle émotion ne fut pas la nôtre, et celle de tous nos concitoyens, lors de l’audition de celles et ceux qui furent atteints dans leur chair et dans leur âme, par l’injustice, qui les abattit comme l’aurait fait un coup de masse irréfléchi, presque mécanique et les fit désigner à la vindicte la plus irresponsable, la plus abjecte, la plus meurtrière même, puisque l’un d’eux y a laissé la vie ? Représentants du peuple qui toujours demande justice, pouvions-nous rester sourds, comme si nous n’avions pas été ébranlés, et nous contenter de dire : « il n’y a rien à faire » ? Non, car nous avons des devoirs à l’égard du peuple de France, notamment celui d’éviter que se reproduisent de tels drames, nés de l’injustice la plus inexcusable, tant elle est banale.

Vous aurez porté, Monsieur le Garde des Sceaux, des éléments d’une réforme qu’il faudra achever car nous perdrions sinon notre honneur. J’ai bien compris qu’il vous avait fallu slalomer entre les impératifs politiques, les corporatismes, les suspicions de toute nature et les discours de ceux qui réclament de tout changer en souhaitant dans leur for intérieur que rien ne change. Nous sommes nombreux à avoir souhaité intégrer dans cette réforme ce que certains tiennent peut-être pour des chimères, mais en lesquelles nous croyons et que nous regrettons de n’avoir pas vu retenues.

Vous connaissez ma réserve à l’égard des la création de pôles de l’instruction, mais rêvons très fort qu’ils permettent de remédier à la solitude du juge d’instruction. J’aurais préféré, pour ma part, qu’on replace celui-ci là où il devrait être, c’est-à-dire en maître de l’enquête, débarrassé des pouvoirs juridictionnels qui le font parfois trébucher. Mais j’ai l’impression d’être bien seul à défendre cette approche….

Nous n’aborderons qu’imparfaitement le débat sur l’échevinage au travers d’un amendement d’appel que j’ai fait adopter à la quasi-unanimité par la commission. Si votre ambition, Monsieur le Garde des Sceaux, est vraiment de donner des moyens à l’institution judiciaire et de la débarrasser de ses corporatismes, il faudra accepter de rendre la justice pénale au peuple, car c’est en son nom qu’elle est rendue. Je vous sais d’ailleurs ouvert à cette réflexion, dont je regrette que nous ne puissions pas la mener à bien aujourd’hui.

S’agissant de la chambre de l’instruction, je propose d’aller plus loin encore : elle devrait avoir l’obligation de réexaminer les situations à la requête des parties. Laisser le président de chambre en décider seul n’est pas suffisamment protecteur.

Enfin, il y a le doute, ce fameux doute, oublié dans l’affaire d’Outreau, ce doute qui paraît une faiblesse à certains magistrats, quand il devrait être érigé en vertu. Il faudrait institutionnaliser le concept de « doute raisonnable », tel qu’il existe dans le droit anglo-saxon et qui, dans le nôtre, devrait se substituer à la notion de charge constitutive de l’infraction et à la notion d’intime conviction. Ce « doute raisonnable » conduirait le juge d’instruction à inverser son raisonnement puisqu’il lui faudrait éliminer le doute avant toute prise de décision. Les juges et les procureurs seraient ainsi libérés du travail forcené qu’exige l’accumulation de charges et du poids si lourd de l’intime conviction, bien souvent artificiels. Si vous ne deviez pas me suivre dans cette voie, en tout cas faites enseigner dès demain la vertu du doute à l’ENM.

Enfin, pour mettre fin à une dernière injustice, reprenez à votre compte ma proposition de revenir sur l’interdiction de se marier pour les magistrats exerçant au sein d’une même juridiction. Cette prohibition – qui n’exclut d’ailleurs ni le concubinage ni des relations très personnelles – n’existe ni dans les juridictions administratives, ni dans les chambres régionales des comptes, ni au Conseil d’État ni ailleurs. Pourquoi empêcher les membres d’une profession qui se féminise, d’accéder tout simplement à une vie conjugale harmonieuse ? Si Outreau a semé le malheur, commençons au moins par ce biais à imaginer, voire à planter le bonheur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Monsieur Marsaud, si les magistrats risquent de ne pas apprécier votre diatribe sur les corporatismes de la justice, ils seront sensibles au souci que vous prenez de leur bonheur. (Sourires)

La discussion générale est close.

M. le Garde des Sceaux Monsieur Marsaud, cette chute ne me déçoit pas, venant de vous... (Sourires)

De l’intervention de M. Caresche, je ne retiendrai que le positif. Vous en avez convenu, j’ai souhaité apporter une réponse immédiate. Qu’aurait dit l’opinion si nous n’avions rien fait et que par malheur, se reproduise un autre Outreau ? Comment auriez-vous pu expliquer à vos électeurs, en pleine campagne législative, que le Parlement réfléchissait encore ? Croyez-vous qu’ils ne nous auraient pas reproché d’être restés inactifs ? En revanche, si c’est d’une révolution dont vous rêvez pour l’institution judiciaire, prenez votre temps. Il le faudra d’ailleurs tant il est difficile de trouver un consensus sur ces sujets. Pour le reste, c’est bien le juge qui doit contrôler le juge, et c’est dans cet esprit-là que nous étendons leur régime de responsabilité. L’enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des audiences chez le juge d’instruction doit être considéré comme une aide par les policiers et les magistrats, surtout pas comme une marque de défiance.

Madame Comparini, vous avez souligné que certaines mesures ne s’appliqueraient pas immédiatement. C’est vrai : ainsi les enregistrements audiovisuels ne commenceront-ils que dans quinze mois. Mais ne soyez pas inquiète : les moyens de cette réforme, dont le coût est estimé à trente millions d’euros, existent. C’est en effet peu de chose par rapport aux 6,2 milliards du budget total de la justice. Aujourd’hui, si le nombre de magistrats a été porté à un niveau suffisant, nous manquons toujours de greffiers, et ce pour une année encore – du fait de l’allongement de leur scolarité. Il nous aura fallu cinq ans pour combler ces manques d’effectifs. Sur ce point, il faut d’ailleurs être conscient que l’amendement allongeant la scolarité à l’ENM, auquel le Gouvernement est favorable, retardera d’autant l’arrivée attendue de magistrats dans les juridictions. L’institution judiciaire, comme d’ailleurs l’ensemble de l’administration, va être confrontée à des départs massifs en retraite à compter de 2007, et surtout de 2010 – ne le perdons pas de vue.

Je ne reviens pas sur la définition de la faute précisant que la violation des règles de procédure doit être « grave et intentionnelle ». En revanche, cette faute n’a pas, et c’est logique, à être réitérée pour donner lieu à sanction.

Monsieur Vaxès, je ne renonce à aucun « rendez-vous historique », je n’en avais d’ailleurs pas la moindre prétention. J’ai souhaité répondre aux questions précises et concrètes que les Français se sont posées après l’affaire d’Outreau sur la solitude du juge d’instruction, le recours à la détention provisoire, le recueil de la parole des enfants… La possibilité donnée à tout justiciable qui s’estime victime d’un dysfonctionnement grave de la justice de saisir le Médiateur de la République constitue une réforme extrêmement novatrice. Cela va bien au-delà de l’affaire d’Outreau, et sans doute est-ce l’avancée la plus significative que retiendra l’Histoire.

Monsieur Bignon, je vous remercie de votre soutien. J’y suis particulièrement sensible, ne cachant pas que mener à bien cette réforme n’a pas été chose facile entre les propositions très ambitieuses de la commission d’enquête et les moyens limités, humains et financiers, dont je disposais. Loin des tentations irresponsables qui peuvent naître en fin de législature, j’ai tenu à faire des propositions réalistes, qui pourront être mises en œuvre à relativement brève échéance. Les dispositions que je propose éviteront les détentions injustifiées, mais il faut garder raison : si demain un crime atroce est commis, la détention provisoire sera réclamée par l’opinion publique. Elle doit donc exister, mais dans des cas suffisamment importants pour qu’elle ne soit pas contestée. Cette contestation doit néanmoins être possible : elle le sera, ce qui est nouveau, devant la chambre d’instruction, non de façon ponctuelle mais pour l’ensemble du dossier. J’avais proposé un délai de six mois, que le rapporteur souhaite ramener à trois, ce que j’accepte bien volontiers. Quant à la grande réforme appelée de leurs vœux par certains, je n’y crois pas.

Monsieur Fenech, je ne puis que rendre hommage à votre connaissance intime de la matière, puisque vous appartenez au corps des magistrats. Vous lancez une idée très intéressante, qui a été accueillie favorablement par de nombreux experts, et notamment par des personnalités éminentes du Barreau : vous souhaitez que le juge d’instruction devienne le juge de l’instruction et se trouve en position d’arbitre entre les parties, ce qu’il n’est pas aujourd’hui même s’il instruit à charge et à décharge – j’ai souhaité, notez-le au passage, que l’ordonnance de renvoi soit aussi à décharge.

Mais la création d’un juge de l’instruction implique, tout d’abord, que les parties apportent leurs preuves, fassent venir leurs experts ; or ce que l’on reproche à la justice accusatoire, c’est bien son coût. Ensuite, elle implique que le parquet, qui est l’une des parties, ne soit plus relié à l’autorité politique, qui est pourtant sa justification démocratique. Le système actuel, qui est à mes yeux excellent, assure la totale indépendance des juges mais fait présider le Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République, élu au suffrage universel, et donne la maîtrise de la politique pénale au Garde des Sceaux, lui-même issu d’une majorité parlementaire résultant d’élections. En revanche, si le juge d’instruction est un arbitre, il faut que le parquet soit indépendant ; ce serait une véritable révolution de notre système judiciaire, dont personnellement je ne veux pas. Je ne suis pas sûr d’avoir raison – on peut d’ailleurs avoir raison aujourd’hui et tort après-demain –, mais si on fait un jour un telle réforme, ce devra être parce que tout le monde en est d’accord.

Monsieur Hugon, vous avez rappelé le calvaire des acquittés d’Outreau, ces vies brisées, ces familles éclatées. Je vous remercie d’avoir souligné que j’ai voulu apporter des réponses concrètes, et non point idéologiques, aux questions que cette affaire a posées.

Monsieur Vannson, merci de votre soutien. Vous avez raison, il fallait faire quelque chose : sinon, comme je le disais, qu’aurions-nous dit dans quelques semaines à nos électeurs en cas de nouvelle affaire d’Outreau ? Quant à la collégialité, elle existera – je renvoie M. Caresche à l’amendement présenté par la commission – car il vaut mieux être plusieurs que seul pour prendre des décisions difficiles. En revanche, tant qu’elle n’existe pas – avec au moins trois magistrats –, il ne peut être question de supprimer le juge des libertés et de la détention.

Merci, Monsieur Marsaud, vous qui connaissez bien la matière également, d’avoir rappelé l’importance, pour les magistrats, de la culture du doute. Le directeur de l’École nationale de la magistrature que j’ai nommé, M. Dobkine, en est un fervent défenseur, et l’enseignement va être infléchi pour lui donner toute sa place, afin de tirer, là aussi, les conséquences de l’affaire d’Outreau. Un examen sera dédié à cette matière, afin de s’assurer que les futurs magistrats considèrent bien que le fait d’avoir réussi un concours ne leur donne pas l’assurance d’avoir raison, et qu’il convient d’écouter toutes les parties avec la même ouverture d’esprit et de cœur.

Vous ne réalisez pas de révolution judiciaire, me dit-on. Comment aurais-je pu le faire ? Je ne partage pas les positions exprimées par M. Fenech ou d’autres ; pour moi, il faut une maturation progressive. Aucune grande décision n’a été prise dans le domaine judiciaire sous le coup de l’émotion : les grandes réformes de la justice ont pris des années. Il faut donc continuer à réfléchir, mais néanmoins apporter immédiatement des réponses aux questions posées par l’affaire d’Outreau, pour que cela ne recommence pas. M. Bignon a rappelé que, jeune avocat, il devait prendre des notes dans le bureau du juge d’instruction parce qu’il ne disposait d’aucun autre moyen ; depuis, il y a eu de grands progrès pour les droits de la défense, et nous faisons de nouveaux pas aujourd’hui. A eux seuls, ces droits nouveaux devraient justifier le même consensus que celui que vous aviez su trouver à la commission d’enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
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