Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2006-2007)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mardi 23 janvier 2007

Séance de 9 heures 30
52ème jour de séance, 118ème séance

Présidence de M. Yves Bur
Vice-Président

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Retour au haut de la page

lutte contre les délocalisations

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jacques Desallangre et plusieurs de ses collègues tendant à lutter contre les délocalisations et à favoriser l’emploi.

M. Jacques Desallangre, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire Les plans sociaux se suivent et se ressemblent, quelle que soit la conjoncture. L’Humanité a récemment cartographié la tourmente des 25 000 emplois supprimés et 20 000 autres menacés sur notre territoire. En 1977, 70 % des actifs de moins de 25 ans avaient un emploi stable ; ils ne sont plus que 55 % aujourd’hui.

Les délocalisations, fruit de la course effrénée au moins-disant social et fiscal que se livrent des patrons de tous pays – que certains ont même qualifié de voyous – y sont pour beaucoup. Hélas, rien n’a encore été fait pour lutter contre le déménagement d’entreprises dans des pays à bas salaires, que les économistes s’obstinent à ignorer.

Plutôt que de renoncer devant une prétendue fatalité, les responsables politiques doivent prendre des mesures courageuses. « Subir ou réagir » : tel était d’ailleurs le titre du rapport rendu par Mme Brunel au nom de la mission d’information sur les délocalisations. Rien dans l’ordre du jour n’indique pourtant que notre Assemblée entende se saisir du problème.

Les salariés menacés attendent plus qu’une compassion hypocrite et des effets d’annonce. C’est pourquoi j’ai déposé cette proposition de loi, comme je l’avais déjà fait en 1999 après l’affaire Michelin-Wolber, premier exemple de licenciement pour convenance boursière qui avait jeté 451 salariés de ma circonscription sur le pavé. En 2003, mon groupe avait également proposé d’encadrer la notion de licenciement économique : voyez la constance de notre engagement en la matière.

Si l’impact des délocalisations est encore largement sous-estimé, c’est parce que nous ne disposons d’aucun indicateur statistique fiable. Fondées sur une définition trop restrictive, les études économiques ne présentent qu’un phénomène marginal, en oubliant la sous-traitance. La non-localisation n’est pas non plus à négliger, comme l’illustre le projet d’Axa – entreprise prétendument citoyenne – d’économiser 75 millions en embauchant au Maroc ou ailleurs pour remplacer un tiers des futurs retraités.

Les signaux d’alarme ne manquent pourtant pas. Les importations industrielles en provenance des pays émergents ont presque doublé en dix ans. Entre 1995 et 2002, 40 % des entreprises et le tiers des effectifs du secteur de l’habillement ont disparu, tandis que les importations progressaient de 67 %. Les délocalisations récentes chez Dim, Well, Arena ou Aubade prouvent que le phénomène n’a pas cessé, loin de là. Si les grands groupes délocalisent, ce n’est pas faute de bénéfices : les 32 entreprises non financières du CAC 40 ont diminué la part de leurs effectifs en France de 50 % à 35 %, mais leurs chiffres d’affaires cumulés ont augmenté de 70 % entre 1997 et 2002 !

L’inaction ne fera qu’aggraver les choses : chacun emboîtera le pas de l’autre pour rester dans la course. Or, les délocalisations affectent gravement les pays développés et ne sont qu’un mirage dans les pays en voie de développement, où elles peuvent être remises en cause du jour au lendemain, tandis que l’exploitation de la main d’œuvre y est à la mesure des lacunes du droit du travail.

Le Gouvernement n’a su répondre aux délocalisations que par une politique onéreuse de réduction des charges sociales – qui a coûté 20 milliards en 2005 et suscité les critiques tant de la Cour des comptes que du président de notre commission des finances –, ou par une concurrence fiscale avec nos voisins. Au contraire, notre proposition de loi tend à rappeler les entreprises à leur responsabilité sociale et territoriale en précisant la notion de licenciement économique, en réaffirmant que le licenciement doit être le recours ultime d’une entreprise en difficulté et en prévoyant deux cas où il est sans fondement, car fondé sur le seul profit : le licenciement boursier, lorsque l’entreprise a réalisé des bénéfices, et le transfert d’activité à l’étranger. Les entreprises devront alors procéder à la réintégration des salariés, ainsi qu’à une restitution sociale égale à la masse salariale des emplois supprimés et aux préjudices territoriaux, due jusqu’à ce que les salariés retrouvent un poste et versée à un fonds géré par la Caisse des dépôts qui la redistribuera aux salariés, aux organismes sociaux et aux collectivités locales. L’obligation de revitalisation sociale est déjà prévue dans notre code du travail mais elle ne vise que les grandes entreprises et ne fixe aucune contribution financière minimale pour les entreprises de taille moyenne.

En outre, nous proposons de responsabiliser les grands groupes en les rendant solidaires du versement de la restitution imposée à leurs filiales ou sous-traitants contraints de les suivre. Nous proposons aussi de rétablir la commission des aides publiques afin d‘en améliorer le contrôle – comme le préconise la mission d’information. Enfin, il faut introduire une dimension sociale et éthique dans les négociations commerciales en taxant les pays qui pratiquent le dumping social au mépris des droits fondamentaux. Ainsi, la proposition de loi tend à créer un prélèvement sur les importations, calculé en fonction de la différence des coûts salariaux. En effet, les écarts salariaux sont si considérables – de 1 à 30 avec la Chine, de 1 à 10 avec la Roumanie – que seule une action volontariste permettra de les combler à terme. En rétablissant une concurrence loyale, ce prélèvement social permettra à nos entreprises de lutter à armes égales et déclenchera un cercle vertueux où les délocalisations n’auront plus grand intérêt. Ses recettes seront redistribuées aux organismes sociaux ainsi qu’aux programmes d’aide au développement, afin notamment de faciliter un compromis commercial lors des négociations de l’OMC. Un tel dispositif, d’ailleurs, ne vaut que s’il est supranational. C’est pourquoi le texte prévoit la remise d’un rapport au Parlement sur les initiatives prises par le Gouvernement auprès des organisations internationales pour le promouvoir.

Les délocalisations ne sont pas une fatalité. Grâce à ces mesures fortes, la croissance des pays émergents se fera dans un cadre plus juste. Elles ne dispensent naturellement pas d’une politique industrielle et de recherche qui soit volontariste. En commission, certains collègues les ont jugées irréalistes et incompatibles avec nos engagements communautaires. Mais alors, que penser de l’avenir de la taxe carbone que le Gouvernement souhaite, comme nous, imposer aux pays qui refusent le protocole de Kyoto ? Même si l'objet est différent, la philosophie et le dispositif sont comparables, puisqu’à l’instar de la taxe carbone, je propose d'appliquer un coefficient de correction à tous les biens provenant de pays qui sous-paient et sous-protègent leurs salariés. C’est ainsi que l’on protégera nos salariés et nos entreprises, qui doivent pouvoir compter sur des conditions de concurrence rééquilibrées.

Enfin, je rappelle que, lors du référendum de 2005, nos concitoyens ont fait savoir que la liberté de circulation et l’harmonisation des conditions sociales étaient pour eux indissociables, en rejetant une Europe fondée sur la seule concurrence. Dans la mesure où l'Europe n'est pas capable d'endiguer les délocalisations, le principe de subsidiarité doit permettre au législateur national d'agir. En effet, le constat de carence nous donne toute compétence pour lutter contre ce fléau et nous ne pouvons accepter l'apathie communautaire. Adopter ce texte enverrait donc un signal fort en direction de l'Union européenne, afin de la rappeler à ses responsabilités en matière sociale.

Compte tenu de la gravité des menaces que font peser les délocalisations sur notre économie et notre modèle social, je ne peux que vous inviter à adopter ce texte. L'acuité des détresses liées aux licenciements boursiers et aux délocalisations doit, au moins, nous conduire à accepter d’en débattre, et je regrette que notre commission des affaires économiques ait choisi ne pas procéder à l'examen des articles et ne pas formuler de conclusions. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Bocquet - Monsieur le président, compte tenu de la mobilisation des députés de la majorité, je propose que nous passions tout de suite au vote ! (Sourires)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Monsieur le rapporteur, la lutte contre les délocalisations représente un enjeu de la plus haute importance et je partage vos inquiétudes (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). C’est pourquoi j’ai souhaité que notre commission consacre à ce thème une mission d’information, présidée par M. Bignon et dont Mme Brunel a été la brillante rapporteure. Je lui laisserai du reste le soin de présenter les conclusions et les recommandations de cette mission – à laquelle votre collègue Mme Jambu a du reste participé avec assiduité. Nous avons donc la même volonté de trouver une solution à ce problème, mais vous proposez de mauvais remèdes (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur – Je n’en attendais pas moins de vous !

M. le Président de la commission - …en privilégiant un schéma idéal, fortement teinté d’idéologie et totalement déconnecté des réalités économiques. Pis, vous diabolisez les entreprises, alors qu’il faudrait les encourager toujours plus vivement puisque ce sont elles qui créent les emploi et concourent, par leurs contributions solidaires, à l’efficacité de notre politique sociale.

Inadaptée, votre approche l’est aussi en ce qu’elle enverrait – si nous vous suivions – un signal catastrophique à nos partenaires étrangers, et risquerait même de les dissuader d’investir chez nous alors que nous avons tant besoin d’eux.

M. le Rapporteur – Vous l’affirmez sans le démontrer !

M. le Président de la commission – Il est vrai que vos propos ne sont pas plus irresponsables et dissuasifs que ceux qu’a tenus ce matin encore la candidate socialiste !

M. Alain Bocquet - Cela n’a rien à voir avec nous !

M. le Président de la commission – En définitive, votre proposition tend à interdire purement et simplement les licenciements économiques…

M. Gilbert Biessy - Qui s’en plaindra ?

M. le Président de la commission - Comme si les chefs d’entreprise licenciaient de gaieté de cœur ou pour satisfaire un caprice !

M. Alain Bocquet - Ce que nous contestons, c’est qu’ils usent de l’emploi comme d’une simple variable d’ajustement.

M. le Président de la commission – La réalité, c’est que les entreprises sont contraintes de s’adapter à un environnement de plus en plus concurrentiel. C’est pour elles une question de vie ou de mort !

M. Jean-Claude Sandrier - Mais elles n’oublient pas de s’enrichir sur le dos des salariés !

M. le Président de la commission – Si votre proposition était adoptée, les chefs d’entreprise n’oseraient plus procéder au moindre recrutement et les investisseurs étrangers – qui nous ont permis de maintenir plus de 30 000 emplois en 2005 – se détourneraient de notre pays. Quant aux salariés, ils seraient condamnés à enchaîner des CDD, au risque de s’installer durablement dans la précarité…

M. Frédéric Dutoit - Ne le font-ils pas déjà ?

M. le Président de la commission – Permettez-moi simplement d’essayer de vous mettre sur la bonne voie car vos propositions, si elles trouvaient à s’appliquer, auraient des conséquences à l’exact opposé de ce que vous attendez ! (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur – Démontrez le !

M. le Président de la commission – Inadéquate, votre proposition l’est encore au regard des mesures de rétorsion que créerait l’application unilatérale d’une taxation sociale, alors que les exportations – vitales pour notre économie – ont représenté 26 % du PIB en 2005 ! En outre, elle exigerait – excusez du peu ! – que la France se retire et de l’Union européenne, et de l’OMC ! Vous avez feint d’ignorer que nous étions, aux termes des articles 23 et 26 du TUE, engagés dans une union douanière fondée sur un tarif extérieur commun, ce qui nous interdit naturellement d’édicter un droit de douane unilatéral ou toute mesure d’effet analogue.

Enfin, votre proposition est sans doute inconstitutionnelle, si l’on se réfère à la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale, censurée pour atteinte excessive à la liberté d’entreprendre.

M. Gilbert Biessy - Prenons le risque !

M. le Président de la commission. – Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas dire que le Gouvernement et sa majorité seraient restés inactifs face aux délocalisations. Je rappelle que nous avons créé les pôles de compétitivité ; voté dans le collectif un dispositif fiscal favorable aux entreprises qui s’installent dans un bassin d’emploi en perdition ; constitué un groupe de travail (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) chargé de rendre un rapport sur une mondialisation plus responsable, loyale et durable ; augmenté les aides à la mobilité géographique destinées aux salariés ; relevé le plafond du crédit d’impôt recherche ; promu les « gazelles » ; créé le dispositif « France investissement » en vue d’augmenter les fonds propres des PME, et la liste n’est pas exhaustive !

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques a décidé de ne pas passer à la discussion des articles de cette proposition de loi et j’invite l’Assemblée à l’imiter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Frédéric Dutoit - Nous n’avons entendu aucun argument de fond !

Mme Marie-George Buffet – Dim, Well, Aubade, Metzeler, Dalphimétal, Nestlé, Thomé-Génot, ECCE, JDC : la liste est longue des entreprises victimes, au cours de ces derniers mois, de délocalisations brutales ou de ruptures abusives des contrats par lesquels les tenaient leurs donneurs d’ordres. Et elle pourrait, hélas, me tenir lieu de discours. En effet, ce sont des dizaines de milliers d’ouvriers et d’employés que les marchés financiers vouent ainsi au chômage. Ce sont autant de vallées et de villes promises à une mort lente, du fait de la disparition de l’usine qui faisait vivre tout le canton. Jamais, on le sait bien, la croissance des services ne pourra remplacer ce que représente aujourd’hui une unité industrielle pour laquelle travaillent tous les habitants d’un site. Les plus jeunes partent, ceux qui restent tentent de survivre… Et le pire est sans doute que le Gouvernement et la majorité acceptent comme une fatalité cette hécatombe industrielle. Vous ne prenez pas d’autre initiative que celle de constituer une mission d’information ! Alors, bien sûr, je connais vos excuses, serinées depuis des années. Ce serait la faute à la mondialisation, qui, telle une tempête, balaierait les vies et les territoires. Et l’avenir, ce seraient les services et le partage des tâches avec la Chine ou l’Inde : à nous les emplois à haute valeur ajoutée, à eux les ateliers.

Le problème, c’est que la mondialisation n’est pas tombée du ciel. Elle a bien été décidée par les gouvernements d'Europe et des États-Unis. Vous avez fait le choix de libéraliser la circulation des capitaux et d’organiser l'économie mondiale autour d'une seule valeur : la rentabilité financière. Aujourd’hui, ce sont les salariés qui paient les pots cassés.

On nous dit aussi que c’est le coût du travail en Chine qui crée les délocalisations. Or, 40 % du commerce international de la France s'effectuent entre une multinationale et sa filiale à l'étranger : ce chiffre méconnu montre bien que ce ne sont pas les entreprises chinoises qui menacent nos emplois, mais bien plutôt les multinationales françaises qui délocalisent pour accroître leur rentabilité financière et suscitent la concurrence entre ouvriers français et chinois.

L'avenir serait aux services ? Mais les services aussi délocalisent ! Regardez les centres d'appel, regardez Axa ! Quant au partage des tâches avec la Chine ou l'Inde, vous savez bien que ces pays ne souhaitent pas rester de simples ateliers. Ils aspirent légitimement à maîtriser leur développement, et, pour cela, font ce que la France ne fait plus : soutenir l’innovation et investir dans la recherche.

Quant à votre dernière excuse, le coût du travail, elle ne tient pas davantage que les précédentes. Aucun salarié français ne peut être compétitif si l'on ne compare que les montants des salaires. Dès lors, pourquoi s'entêter à faire baisser le coût du travail, alors qu’il serait plus efficace de miser sur les autres atouts, immenses, que détient la France ?

Devant votre indifférence à ce problème, il faut bien agir, et même réagir. Les salariés le font, avec énergie et courage. Avec eux, les habitants des sites concernés et les élus locaux cherchent à bloquer ou infléchir les décisions. Parfois, ils gagnent, comme les Nestlé de Marseille ; souvent, ils se heurtent au refus de négocier des entreprises, voire aux compagnies de CRS que le Gouvernement envoie, comme aux Thomé-Génot !

En réalité, la majorité agit comme si rien ne devait entraver la liberté des financiers, des banques, des LBO ou des fonds de pension de détruire, briser, ravager la vie des hommes et des femmes de ce pays. Ce que demande notre groupe, c'est que l'État relaie les luttes de ces hommes et ces femmes. C'est qu'il prenne enfin conscience de la gravité des licenciements boursiers et des délocalisations. Qu’il comprenne enfin le caractère stratégique du développement de l'industrie française.

La proposition de loi de Jacques Desallangre propose un dispositif particulièrement efficace pour stopper l’hémorragie d’emploi. Comprenez, Monsieur Ollier, que notre souci est de défendre les entreprises…

M. le Président de la commission – Le nôtre aussi ! Et nous, nous agissons !

Mme Marie-George Buffet – Et l’on ne vaincra pas le fléau du chômage et des délocalisations sans donner, dans la gestion des entreprises, davantage de pouvoirs aux salariés et aux élus locaux. Pourquoi se voiler la face ? À partir du moment où les nouveaux actionnaires refusent d'investir dans le développement de la production et ne recherchent plus que la rentabilité financière de l'entreprise, il n’y a rien à espérer à leur laisser le pouvoir, sinon de nouveaux licenciements boursiers et leur cortège de drames humains.

Pour développer l'industrie et les services, et donner corps à l'idée de responsabilité sociale des entreprises, il faut que les salariés puissent participer à la définition des stratégies et des investissements, par l'intermédiaire notamment des comités d'entreprise.

Cette responsabilité sociale, il faudra aussi la reconnaître pour les donneurs d'ordre et la grande distribution à l'égard des entreprises sous-traitantes et de leurs salariés. Chacun d’entre nous, pour avoir eu à en connaître dans sa circonscription, sait à quel point les sous-traitants sont pressurés par les donneurs d'ordre. Il faut leur donner, ainsi qu’à leurs salariés les moyens de se protéger, et donc d’intervenir dans les choix des donneurs d’ordre.

Au-delà de leur responsabilité sociale, les entreprises ont également une responsabilité territoriale : la vie de régions entières peut être en jeu quand une poignée d'hommes, au sein d'un conseil d'administration, choisit d'augmenter encore la rémunération des actionnaires. On ne peut donc faire l’impasse sur les pouvoirs d'intervention de l'Etat et des collectivités locales. L’utilisation des aides publiques aux entreprises devrait être contrôlée, afin de s'assurer qu'elles servent bien l'emploi, la formation, la recherche et l'investissement. D’une manière plus large, les collectivités devraient aussi soutenir les investissements socialement utiles. Tel est le sens de notre proposition de créer un fonds national régionalisé pour l'emploi.

Tout cela démontre la nécessité, pour l'État de définir une véritable politique industrielle et de services, d’en préciser les objectifs et d’en fixer les moyens. Ce point dépasse notre compétence de législateur, et donc le contenu de notre proposition de loi. Mais il est essentiel.

En effet, en France et dans l'Union européenne, la concurrence est un dogme, le soutien à la rentabilité financière des entreprises un tabou. Le terrible bilan de ces positions, qui ont conduit à fragiliser un joyau industriel comme Airbus, impose de changer radicalement de politique industrielle. Il est temps que les institutions européennes permettent aux pouvoirs publics de soutenir et d'orienter des projets industriels stratégiques. Il est urgent également de lutter contre les politiques de dumping fiscal et de réorienter la politique de la Banque centrale européenne. Ce n'est que sous contrôle démocratique que celle-ci pourra développer une politique du crédit favorable à la recherche, à l'emploi, aux salaires et à la formation.

De même, c'est à l'Union européenne qu'il incombe de remettre en question, au sein des institutions internationales comme l'OMC, le modèle de concurrence « libre et non faussée » à l'échelle mondiale, qui détruit l'emploi industriel dans les pays du Nord, mais aussi maintenant dans les pays intermédiaires, tout en conduisant à la surexploitation des salariés des pays du Sud ou de l’Est.

En France, le Gouvernement a la responsabilité de soutenir le développement de l'industrie et des services. Il devrait créer un pôle financier public, organisé autour de la Caisse des dépôts, de la Poste et des Caisses d'épargne, qui donnerait à l’État les moyens d'orienter les investissements et de favoriser le développement de l'industrie et des services, par le biais d'une politique de crédit sélective.

Il a également la responsabilité d'imposer d'autres critères de gestion que la seule rentabilité. Tous les pôles de compétitivité sont aujourd'hui contrôlés par de grandes multinationales, à la recherche exclusive de la rentabilité financière. Dans ces conditions qu’en attendre ? Si l'on veut que se développent en France des filières industrielles de pointe, s’appuyant sur les avancées de la recherche les plus récentes, il faut les transformer en pôles de coopération et les placer sous le contrôle conjoint des chercheurs, des enseignants, des comités d'entreprise, des syndicats, des associations et des élus. Seules de telles coopérations, construites dans le temps et non à court terme, peuvent favoriser l'essor de nouvelles activités, riches en emplois et utiles aux territoires.

Il est urgent d’agir contre les délocalisations et les licenciements boursiers. Le Gouvernement ne peut plus faire la sourde oreille devant un phénomène d'une telle ampleur. Les députés communistes et républicains vous soumettent, dans cette proposition de loi, des mesures sérieuses et concrètes. Attendre serait accepter que d'autres licenciements fassent l'actualité, ces prochaines semaines, ces prochains mois. Refuser le débat serait le signe d'un terrible mépris de la majorité pour la vie de tous ces salariés. J'espère que, pour une fois, vous saurez entendre l'appel de ceux et celles qui agissent pour défendre leur emploi et l'industrie de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Chantal Brunel – Cette proposition de loi a pour objectif de lutter contre les délocalisations et de favoriser l’emploi. Qui ne le partagerait ? Les délocalisations sont un phénomène grave, encore mal appréhendé et sous-estimé, comme je l’ai montré dans un récent rapport sur le sujet. Leurs conséquences directes sur les salariés et les territoires concernés sont pourtant souvent dramatiques. Au-delà de leur incidence directe, elles sont également source d’une angoisse diffuse.

Les solutions de M. Desallangre ne sont, hélas, pas adaptées. L’article premier de sa proposition interdirait de facto tout licenciement, sauf aux entreprises au bord de la faillite. S’il existe en effet des licenciements boursiers choquants, interdire tout licenciement pénaliserait l’emploi, les entreprises refusant alors d’embaucher ou recourant, plus encore qu’aujourd’hui, à l’intérim et aux contrats précaires. Trop de protection tue la protection. La vie économique est faite d’aléas et empêcher les entreprises d’y faire face, c’est les empêcher de respirer, c’est-à-dire les condamner.

Je ne crois pas pour autant que l’on ne puisse rien faire. Il faut trouver le moyen de concilier compétitivité économique et protection sociale, en s’inspirant de ce qui se fait en Scandinavie où l’on conjugue une grande liberté pour les entreprises à une sécurisation des parcours professionnels des salariés. La CFDT et la CFTC ont d’ailleurs mené d’intéressantes réflexions sur le sujet. Cela passe par un nouveau mode de financement de la protection sociale, mettant moins les entreprises à contribution. D’où l’idée d’une TVA sociale (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), qui respecte le droit européen et les règles de l’OMC. L’Allemagne vient ainsi d’augmenter de trois points son taux de TVA.

M. le Rapporteur – Savez-vous que M. Madelin est contre une telle mesure ?

Mme Chantal Brunel - Les entreprises françaises sont actuellement les plus taxées au monde. Pour un salaire brut de cent euros, le salarié ne touche en France que 80 euros de salaire net, alors que l’employeur paie au total 145 euros du fait des charges sociales.

M. Jean-Claude Sandrier - Entendez-vous la voix du Medef ?

Mme Chantal Brunel – Pour un même salaire brut de cent euros, les entreprises anglaises paient 120 euros et leurs homologues allemandes 130.

M. Michel Vaxès - Vous trafiquez les chiffres.

Mme Chantal Brunel - Non, ces données sont incontestables. En France, les entreprises financent les deux tiers de la protection sociale, notamment les prestations familiales.

M. le Rapporteur – C’est le travail des ouvriers qui finance la protection sociale !

Mme Chantal Brunel - J’ai donc proposé dans mon rapport d’augmenter le taux de TVA d’un point à des fins sociales, augmentation qui serait compensée à l’euro près par un abaissement des charges des entreprises, et d’apprécier les conséquences de cette mesure.

M. le Rapporteur – Les entreprises bénéficient déjà de 20 milliards d’euros d’exonérations, sans aucun résultat en matière d’emploi.

Mme Chantal Brunel – Tous les pays du monde se livrent aujourd’hui à une concurrence fiscale sévère, et qui va durer, d’autant qu’elle rencontre l'assentiment des douze nouveaux entrants dans l'Union Européenne. Abaisser les charges des entreprises ne constitue pas un « cadeau » mais un moyen d’améliorer leur compétitivité, de développer l’emploi et de maintenir notre protection sociale.

M. Jean-Claude Sandrier - Généralisons les paradis fiscaux !

Mme Chantal Brunel - Pour ce qui est de l'article 2 de la proposition de loi, l'article L. 321-17 du code du travail fait déjà obligation aux entreprises, au-delà des mesures d'accompagnement, de prendre des mesures de revitalisation lorsqu'elles procèdent à des licenciements collectifs affectant, par leur ampleur, l'équilibre des bassins d'emploi dans lesquels elles sont implantées. Ce dispositif ne concerne certes que les entreprises d'au moins mille salariés. Leur contribution ne peut être inférieure à deux fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Le préfet, dans le cas de licenciements importants effectués par des entreprises d'au moins 50 salariés, peut également engager un plan en ce sens, auquel l'entreprise peut prendre part selon des modalités arrêtées d'un commun accord. Aller au delà reviendrait à décourager de créer des emplois en France, comme l’a rappelé le président Ollier.

Par ailleurs, la proposition de loi tend à financer ces mesures par une augmentation à due concurrence de l’impôt sur les sociétés, au risque de pénaliser les entreprises restées sur le sol national.

Je me sens plus proche de l'article 3 (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), ayant moi-même récemment déposé une proposition de loi dont l'objet n'est pas très éloigné. Je suis favorable au contrôle des aides publiques, qui suppose au préalable de recenser l’ensemble des aides.

M. Daniel Paul - Vous avez supprimé la loi adoptée à l’initiative de Robert Hue !

Mme Chantal Brunel - Je suis également favorable à ce que les aides publiques ne soient accordées qu’en contrepartie d’engagements de maintien de l'emploi.

M. le Rapporteur – Vous le découvrez un peu tard !

Mme Chantal Brunel - Pour autant, je ne crois pas nécessaire de créer de nouveaux organismes. Il serait préférable que les régions, qui ont déjà un rôle de coordination, recensent les aides au niveau régional. Le conseil d'orientation pour l'emploi synthétiserait les informations qui lui seraient transmises par les conseils régionaux, et s'assurerait du respect des engagements sur la création ou le maintien d'emplois liés à l’octroi de ces aides. Il serait également chargé d'identifier les secteurs particulièrement menacés par les délocalisations, afin d'en faciliter la reconversion. Nos vues ne sont pas très éloignées sur ce sujet.

Elles diffèrent en revanche sensiblement sur le rétablissement du protectionnisme, la sortie de l’Union européenne et de l’OMC, mesures radicales que prône le chapitre II de la proposition de loi. L'article 4 instituerait en effet un « prélèvement sur les biens importés », ce qui serait contraire à l'article 23 du Traité européen, lequel prévoit, pour les marchandises « l’adoption d'un tarif douanier commun avec les pays tiers », de même qu’à l'article 26 qui prévoit que le tarif douanier commun est fixé par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission.

Par ailleurs, même si l'Union Européenne revenait sur ses positions concernant le libre-échange, ce qui actuellement est impensable, au vu des positions de ses membres, encore faudrait-il que les augmentations de droits soient compatibles avec les règles de l'OMC qui obligent à accorder des compensations sous forme de réduction des droits sur d'autres marchandises –, ce qui n'irait pas dans le sens recherché par cette proposition de loi. Celle-ci serait également contraire à la disposition de ce même article 23 interdisant, entre États membres, pour l'ensemble des marchandises, la mise en place de « droits de douane à l'importation et à l'exportation et de toutes taxes d'effet équivalent ». L’application de ces mesures contraindrait donc de facto la France à quitter l'Union européenne et l'OMC.

À titre accessoire, il serait intéressant de savoir comment serait calculée la part des « coûts salariaux dans le prix de revient » des biens concernés, car cela ne va pas de soi. Le calcul serait encore plus compliqué si le bien avait transité par plusieurs pays, comme c’est fréquent pour les produits textiles ou informatiques. Par rapport à quel pays calculerait-on le taux de la taxe ? Je suis, pour ma part, radicalement opposée à toute fermeture autarcique de la France.

Pour autant, tout n’est pas parfait dans le meilleur des mondes. Oui, l'intensification de la concurrence au plan mondial est créatrice de richesses, mais également de profondes inégalités. Oui, les conditions de concurrence sont parfois inéquitables. Non, tout n'est pas imputable, loin de là, à un extérieur menaçant.

Sur le premier point, ne nous leurrons pas. L'Union européenne est aujourd'hui profondément hostile à toute mesure teintée de protectionnisme, que ce soit par intérêt ou par conviction. Les polémiques au sujet des importations chinoises ont mis en lumière de nombreuses divisions, mais les élargissements rapides de l’Union européenne ont fait radicalement basculer son axe politique. On évoque souvent, à juste titre, les mesures prises par les États-Unis au titre de la législation anti-dumping, et l’on reproche à la Commission de ne pas s’en inspirer, mais il faut dire, à sa décharge, que les divisions entre États membres rendent sa tâche difficile : les États-Unis parlent d'une voix, l'Europe est une cacophonie.

M. le Rapporteur – C’est bien de le reconnaître.

Mme Chantal Brunel - Il faudrait pourtant avoir une vision moins doctrinaire ou moins naïve de l'intérêt européen. Je ne suis pas défavorable à une certaine forme de préférence communautaire, à l'image des États-Unis. Nicolas Sarkozy a d'ailleurs déclaré : « Je défends l'économie de marché, la liberté, mais l'Europe a été construite pour protéger, pas pour être le cheval de Troie d'une concurrence déloyale. » J’ai ainsi dénoncé dans mon rapport une ouverture asymétrique des marchés publics européens, l'Europe laissant ouverts ses marchés à des pays qui lui refusent la réciprocité.

Il convient aussi d'aborder la question de l'environnement. L'Union européenne est en pointe en la matière, comme en témoignent la directive Reach ou la mise en place d'un système de droits d'émission. La Commission a, de plus, proposé d'intégrer les transports aériens dans le système communautaire d'échange de droits d'émissions. En même temps, il convient de trouver un équilibre de manière à ce que l'Europe ne devienne pas un continent plus pur, mais dépourvu d’emplois.

Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux problèmes qui nous sont entièrement imputables, tels que le faible taux d'emploi : l'État doit-il nécessairement continuer à financer des préretraites au lieu d'investir cet argent dans des plans de revitalisation ? On peut citer encore le faible effort d'innovation, le développement insuffisant des PME, la fiscalité sur le travail trop écrasante. Redonner à notre pays une compétitivité économique forte pour assurer nos emplois de demain, ce sera la première tâche de la prochaine législature !

Si le groupe UMP est inquiet face aux délocalisations et souhaite que de nouvelles mesures soient prises, il n'approuve pas néanmoins les dispositions de cette proposition de loi.

M. le Rapporteur – Pourquoi, si ce n’est par idéologie !

M. François Liberti - Il est urgent de laisser faire !

M. François Dosé – Député de Lorraine ou pasteur de bonté, l’abbé Pierre n’avait pas limité ses appels en faveur du seul logement : « Devant toute humaine souffrance, selon que tu le peux, emploie-toi non seulement à la soulager sans retard mais, encore, à détruire ses causes. » Appliqué au domaine économique, ceci constitue une double invitation : à l’élaboration d’une protection sociale efficace pour les pays développés sans oublier de tisser des solidarités internationales ; à la destruction des causes des désordres constatés. Il faut être fou ou député pour croire qu’une loi adoptée dans le cadre d’un État-Nation, parmi les deux cents du monde, entravera les effets négatifs de la mondialisation mais nous serions coupables de nous interdire tout droit à la parole ou toute volonté de changement, si modeste soit-il.

En proposant de lutter contre les délocalisations, M. Desallangre et ses collègues du groupe communiste et républicain souhaitent prévenir et corriger les effets néfastes de la mondialisation, d’une part, en proscrivant les licenciements économiques pour ajuster les effectifs après les délocalisations, d’autre part, en empêchant les pratiques de dumping fiscal et social. Une telle ambition ne peut nous laisser indifférent.

Il est juste qu’après la publication, en décembre 2006, du rapport d’information de Mme Brunel, nous tentions de répondre à un phénomène qui risque de s’accélérer, réduisant la France à un choix simple : subir ou réagir. Il est non moins juste d’avouer au rédacteur de cette proposition que la texture même de certains articles ne nous satisfait pas. Le temps de l’analyse, les travaux en commission, la rédaction d’amendements peuvent néanmoins nous conduire à prendre des initiatives urgentes et nécessaires. La bonne gouvernance des marchés internationaux s’impose comme l’un des cinq enjeux majeurs des prochaines décennies. Osons en parler et osons introduire dans nos prochains débats les problématiques démographique, climatique, la question des compatibilités entre l’efficacité de gestion et les solidarités mais également celle de l’adéquation entre liberté et autorité, droits et devoirs, initiatives privées et intérêt commun, et, enfin, la problématique de la mondialisation, entre choc des cultures et inégalités croissantes des marchés internationaux. Ne repoussez pas l’étude d’un texte qui, même si son approche est partielle, implique une réflexion sur la nouvelle donne des échanges internationaux ! Ne la repoussez pas pour des motifs partisans et idéologiques ! Il est particulièrement insupportable d’accuser les autres d’idéologie quand vous ne cessez de décliner la vôtre, celle du libéralisme financier !

Trois périmètres doivent être pris en compte : celui de l’Union européenne – il est navrant que cette communauté de destin n’entrave pas les délocalisations internes – ; celui des pays qui, tout en frappant aux portes de l’Union européenne, « s’offrent » à ces délocalisations ; celui, enfin, qui se situe au-delà des frontières européennes. La semaine dernière, en Lorraine, Arcelor-Mittal a menacé de se délocaliser en Ukraine si les quotas de CO2 et la tarification des taxes n’étaient pas revus. La dernière recommandation inscrite au dos du rapport concernant les délocalisations nous presse : l’avenir ne s’attend pas, il se prépare ! D’un côté, des intérêts financiers démesurés, de l’autre des salaires dérisoires, des fiscalités refuges, des conditions environnementales indignes – hier, la pollution des fleuves bulgares souillés par la sidérurgie, aujourd’hui, des rejets dans l’atmosphère non assujettis aux taxes sur le CO2 !

Tout cela appelle des initiatives législatives. Nos collègues communistes nous la proposent : ne la refusons pas et discutons des sept articles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Claude Darciaux - Licenciements boursiers, restructurations, transferts d'activité... La désindustrialisation se poursuit à grand pas avec des fermetures d'entreprises synonymes de suppression d'emplois ou de départs anticipés à la retraite. Dans le capitalisme mondialisé du XXIe siècle, nous avons le sentiment d'une domination irrépressible de l'actionnaire sur le salarié, de la finance sur la production. Pendant ces dix dernières années, ce sont bien les actionnaires qui ont accaparé la baisse des taux d'intérêt, le salarié n’étant qu’une simple variable d'ajustement au nom du sacro-saint principe de rentabilité !

M. Frédéric Dutoit - Changeons le monde !

Mme Claude Darciaux - Le phénomène des délocalisations est omniprésent et aucun secteur n'est à l'abri. Cette désindustrialisation est particulièrement préoccupante dans des secteurs où la France avait un rang mondial enviable. Notre pays, aujourd’hui, ne dispose plus d'entreprises fabriquant des ordinateurs. Le site de Thomson, dans ma circonscription, employait 1 200 salariés en 2000, il n'en compte plus aujourd’hui que 660. Thomson n'a plus de stratégie industrielle et n'a ni voulu ni su anticiper les mutations technologiques. De plus, les délocalisations servent souvent de moyens de pression en matière de droit du travail et de salaire. Les exigences de rentabilité des entreprises, les fonds spéculatifs, les fonds de pensions – souvent américains – ne peuvent que nous inquiéter. Les opérations de rachats d'entreprises avec effet de levier financier ou LBO – Picard, Cégélec, VVF, Printemps, Weill, Aréna, Aubade – menacent notre cohésion économique et sociale.

Les premières victimes sont les salariés. Dans ma circonscription, une entreprise de peinture, où travaillaient 200 salariés en 2000, n'en compte plus que 162 aujourd'hui. Le groupe a, en France, perdu 476 emplois en trois ans. Rachetée par un fonds de pensions américain, elle voit aujourd'hui une partie de sa production transférée à l'étranger ; 80 % des salariés sont actuellement en grève pour protester contre le refus de la direction d'envisager une augmentation des salaires de 1,5 % au 1er janvier et de 1,5 % au 1er juillet, alors même que 82 millions ont été versés aux actionnaires. Les salariés, qui produisent la richesse de l'entreprise, souvent au détriment de leur santé parce qu’ils manipulent des produits cancérigènes dénoncés par la directive « Reach », ne reçoivent rien. Comment peut-on vivre avec deux enfants à charge et un salaire de 960 euros par mois ? On dévalorise le travail, et l'employeur organise lui-même le chômage. Une salariée me disait : « Avec de tels salaires, mieux vaut rester chez soi : plus de frais de garde, plus de frais de transports. » Comment accepter une telle logique ?

Les délocalisations ne sont pas une fatalité. La mission d'information sur les délocalisations, présidée par Mme Brunel, a réalisé un travail important, tentant d'établir un diagnostic du phénomène et de formuler des propositions. Mais ces dernières resteront largement inefficaces à défaut de mesures plus contraignantes. Chaque restructuration devrait comporter un volet territorial visant à redynamiser les sites touchés en recréant les emplois détruits et en compensant financièrement l'impact pour la collectivité.

Face à ces délocalisations brutales et injustifiées, nous devons pouvoir disposer d'outils législatifs pour renforcer l'intervention publique. Nous demandons que le débat se poursuive, face aux forces du marché, face à une concurrence européenne, fiscale et sociale entre territoires, totalement dévastatrice. Après le mythe de la société post-industrielle et celui de la nouvelle économie, ne succombons pas au mythe du « tout délocalisable » au moindre coût. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Michel Liebgott - J’ai entendu avec satisfaction notre collègue François Dosé donner quelques exemples concrets de ce que fait actuellement le Gouvernement et de ce que nous souhaiterions faire, si nous revenions au pouvoir. Nous avons le sentiment qu’il n’y a plus dans ce pays de politique industrielle, ni de volonté publique. Nous nous alignons sur toutes les politiques ultralibérales, en particulier celles menées aux Etats-Unis, dont nous voyons pourtant sur quoi elles débouchent : « irakisation » du monde au nom d’intérêts pétroliers ; quotas pour protéger le marché américain ; refus de signer le protocole de Kyoto… L’essentiel, c’est que les États-Unis dominent le monde ; et le candidat de l’UMP, rendant visite au président américain, ne se gêne pas pour dire que son objectif est de faire mieux – c’est-à-dire, à nos yeux, pire : plus de libéralisme, davantage de suppressions d’emplois !

M. Jacques Godfrain - Si on parlait de la Chine et de Tien An Men ?

M. Michel Liebgott – Je prendrai un exemple concret, celui de la sidérurgie française, que vous allez petit à petit, sauf revirement, enterrer, faute d’interventionnisme, ou plutôt à cause d’interventions mal à propos. Il y a quatre ou cinq ans, lorsque vous êtes arrivé aux affaires, Monsieur le ministre, les députés socialistes vous ont interrogé sur l’avenir de la sidérurgie française, Arcelor venant d’annoncer des suppressions d’emplois en 2008. J’avais fait part de notre indignation devant cette annonce de la disparition d’une filière stratégique. Il est vrai que cela arrangeait tout le monde : il n’y aurait pas de licenciements : les salariés partiraient à la retraite, et les intérimaires, qu’Arcelor embauchait en masse, ne poseraient pas de problème de licenciement. L’entreprise passait alors pour un saint-bernard : comme il n’y avait pas de licenciement, elle n’était obligée à aucun plan de revitalisation ; tous ses efforts témoignaient de sa bonne composition, disiez-vous. Eh bien, le Gouvernement a eu tout faux !

Nous défendons une vision industrielle dynamique, comme elle est pratiquée au Luxembourg, qui intervient, reprend des territoires, transforme des friches, crée des emplois.

Monsieur le président Ollier, je vous ai demandé de réunir la commission à nouveau, rapidement, pour que nous sachions quel coup bas le Gouvernement prépare contre Mittal-Arcelor. Arcelor avait prévu d’arrêter sa production en 2008-2009, tandis que le nouveau groupe souhaite continuer de produire en France. Il conviendrait donc d’aborder la question de leurs quotas de CO2, pour conjuguer politique industrielle et politique environnementale.

L’Europe va enregistrer les décisions françaises, mais celles-ci ne sont pas favorables à l’industrie. Je demande solennellement au Gouvernement de revoir son plan ou, en tout cas, de définir une politique industrielle a minima, pour éviter des milliers de suppressions d’emploi. Sinon, vous aurez la peau des derniers sidérurgistes ! Je regrette que nous n’ayons pas ce débat ; cette lacune a obligé Mittal-Arcelor à s’adresser au Président de la République, qui n’est pas pourtant pas compétent, aux termes de la Constitution, pour conduire la politique économique de la France en direct.

On ne nous propose pas rien d’autre que le libéralisme tous azimuts (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qui s’est déjà installé petit à petit, conduisant à des suppressions d’emplois successives, au renvoi des pauvres sur les départements, qui n’en peuvent plus, et au transfert de la politique économique vers les régions, dont vous prenez un malin plaisir à rappeler qu’elles augmentent les impôts alors que, si elles le font, c’est parce qu’elles ont une politique industrielle volontariste, contrairement au Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains.)

La discussion générale est close.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes - Les délocalisations sont un sujet important aux yeux du Gouvernement. Ministre de l’emploi, c’est aussi être ministre des restructurations. C’est être dans les Vosges, aux côtés du président Poncelet, pour accompagner les salariés et les entreprises du textile.

M. François Liberti - Pour accompagner les licenciements !

M. le Ministre délégué – C’est être à Mérignac auprès des salariés de Sogerma. C’est être à Romans-sur-Isère après la liquidation et la mise en redressement judiciaire de deux entreprises célèbres de la chaussure.

M. Alain Bocquet - 500 licenciements pour le premier, 300 pour le second.

M. le Ministre délégué - Je ne suis pas de ceux qui relativisent le phénomène des délocalisations, mais je considère que les formules faciles adaptées à la circonscription de tel ou tel ne suffisent pas pour régler le problème (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).

J’ai examiné cette proposition de loi avec une grande ouverture d’esprit, mais j’estime qu’elle pose des problèmes juridiques et, quant au fond, qu’elle va à l’encontre de son objectif, qui est de protéger l’emploi.

M. Jean-Claude Sandrier - Quel culot !

M. le Ministre délégué – Je ne reviendrai pas sur l’incompatibilité des articles 4, 5 et 6, instituant un prélèvement sur les biens importés, avec nos engagements communautaires ainsi que vis-à-vis de l’OMC (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), ni sur le risque d’inconstitutionnalité des articles 2 et 3 : l’avis du Conseil constitutionnel sur la loi de modernisation sociale de janvier 2002 doit être encore dans les esprits.

Je préfère me concentrer sur le fond. Le titre du premier chapitre ne convient pas : seule la dernière mesure de l'article 2 traite des délocalisations, les autres ne visant qu’à durcir juridiquement et alourdir financièrement le licenciement économique…

M. le Rapporteur – Le licenciement boursier !

M. le Ministre délégué - …empêchant ainsi toute restructuration. Madame Buffet, les services du ministère du travail ont recensé 1 200 restructurations en 2006. Ce nombre important n’est toutefois pas en hausse, puisqu’on en comptait quelque 1 400 en 2003, accompagnées de 300 000 licenciements économiques.

Ces restructurations ne se résument pas à des liquidations judiciaires sauvages menées par des fonds financiers vautours qui mettent du jour au lendemain la clef sous la porte en ayant vendu au préalable les actifs des entreprises. Certes, ces cas existent et le Gouvernement agit, comme cela a été le cas pour Thomé Génot, Sublistatic, Energiplast (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Je ne prends que quelques exemples récents pour répondre à Mme Buffet. Ces liquidations sauvages, qui occupent la scène médiatique, ne constituent fort heureusement qu'une petite partie des 1 200 restructurations – et le Gouvernement les poursuit.

M. Alain Bocquet - Les licenciements n’en ont pas moins lieu !

M. le Ministre délégué - Si les restructurations peuvent être des désastres sociaux, territoriaux et même économiques, Il est des restructurations dynamiques, qui – encadrées par un dialogue responsable entre partenaires sociaux, représentants des salariés et élus – conduisent à un nouveau développement économique. Empêcher cette adaptation serait mortifère pour l'entreprise et l'emploi. La logique protectionniste qui sous-tend votre proposition, Monsieur le rapporteur, le repli sur soi et l'immobilisme sont un discours d'un autre âge.

M. le Rapporteur – Eh bien voilà !

M. le Ministre délégué - Le gouvernement a adopté une toute autre stratégie, ni protectionniste ni ultra libérale (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), qui, loin de se limiter à réduire les charges sociales, vise à renforcer l'attractivité de nos territoires et développer l'innovation de nos entreprises.

Ce gouvernement a amorti le choc des mutations économiques grâce à plusieurs dispositions de la loi de cohésion sociale, qui ont rendu obligatoire la négociation de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences dans les entreprises de plus de 300 salariés, ainsi que le financement par les grandes entreprises qui restructurent d'actions de revitalisation des territoires.

M. Jean-Claude Sandrier – Baratin !

M. le Ministre délégué - À ce jour, plus de 70 accords de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences ont été signés, ainsi que 220 conventions de revitalisation, qui mobiliseront 190 millions d’euros. Monsieur le rapporteur, vous le voyez : M. Borloo et moi-même avons poursuivi, au nom du Gouvernement, le même objectif que vous – rendre les entreprises plus responsables – mais de manière plus efficace.

M. Alain Bocquet - Combien d’emplois créés ?

M. le Ministre délégué - Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, opérationnel depuis le 1er janvier, créé à la demande du Président de la République à la suite de la restructuration d’Hewlett Packard, a dégagé une enveloppe de 500 millions d'euros. Nous y avons fait appel pour préparer les hommes et les territoires aux évolutions dans la filière automobile. Notre action se fonde aussi sur la politique des pôles de compétitivité et sur la création de l’Agence d’innovation industrielle, véritables outils anti-délocalisation.

Les mesures que propose Mme Brunel dans son excellent rapport sont concrètes et pratiques. Je pense notamment au suivi des délocalisations et aux investissements dans les secteurs stratégiques. N’oublions pas qu’il existe aussi des relocalisations, dont on ne parle jamais.

M. le Rapporteur – Elles se font surtout à l’Est !

M. le Ministre délégué – C’est le cas de Samas, à Noyon – pas loin de chez vous, Monsieur le rapporteur – d’Atoll, qui vient de se réinstaller dans le Jura, ou encore d’entreprises textiles, dans le Nord (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Le Monde a fait état hier d’une étude qui en recense une cinquantaine.

Si le premier axe de notre politique est d’adapter l’économie, nous devons aussi mettre en place une nouvelle régulation sociale à l’échelle européenne et mondiale. C’est pourquoi la France s’est engagée, au côté du directeur général du Bureau international du travail, à ce que la dimension sociale de la mondialisation soit prise en compte, aussi bien dans les accords commerciaux de l’Union – dont beaucoup seront prochainement renégociés – que dans le cadre de l’OMC. Le Président de la République a été, avec le Président Lula, l’un des acteurs majeurs de cette prise de conscience. Plutôt qu’en se recroquevillant sur l’hexagone, c’est bien dans la dimension sociale de la politique économique et sociale de l’Europe que nous devons situer le débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) !

M. le Président – La Commission n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94 alinéa 3 du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément au même article, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

vote sur le passage à la discussion des articles

Consultée par un vote à mains levées, l’Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

M. le Président – En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

La séance, suspendue à 10 heures 55, est reprise à 11 heures.

Retour au haut de la page

retraite des personnes invalides

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Daniel Paul et plusieurs de ses collègues relative à la revalorisation des pensions de retraite pour les personnes invalides.

M. Daniel Paul, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales Notre groupe a souhaité consacrer sa niche parlementaire à la question des retraites, qui préoccupe d’autant plus les Français que les lois Balladur de 1993 et Fillon de 2003, loin de résoudre le problème de leur financement, ont dégradé le service des pensions et abaissé leur montant jusqu’à remettre en cause le niveau de vie même des retraités. Un nombre croissant d’entre eux se trouvent désormais proches ou en dessous du seuil de pauvreté, que l’INSEE situe à 650 euros par mois pour une personne seule.

Le temps imparti dans le cadre de la niche parlementaire ne nous permettant pas de présenter des propositions de réforme d’ensemble de l’assurance vieillesse, nous avons choisi de traiter un problème particulier, celui des nombreux retraités invalides dont les pensions vieillesse de base sont inférieures à la pension d’invalidité qu’ils touchaient jusqu’à leurs soixante ans, avant leur départ à la retraite. Ces 600 000 retraités se voient ainsi infliger une double peine.

M. Alain Bocquet - Tout à fait.

M. le Rapporteur – Non seulement leur invalidité les a privés d'une carrière normale et a réduit leurs gains, mais les conditions de calcul de leur pension de vieillesse dégradent encore davantage leur situation au moment de leur départ à la retraite.

Mon rapport montre que les titulaires d'une pension d'invalidité, qui sont aujourd’hui 700 000, subissent de plein fouet les règles féroces de détermination du salaire annuel moyen qui sert à calculer le montant de la pension vieillesse de base. Ces règles retiennent en effet la moyenne des salaires annuels soumis à cotisation perçus pendant les vingt-quatre – en 2007 – puis vingt-cinq - à partir de 2008 - années où ils ont été les plus élevés. Lorsque les assurés ont droit au taux plein, ce qui est le cas des titulaires d’une pension d'invalidité, leur pension annuelle est égale à la moitié de ce salaire annuel moyen, minorée en cas de durée d'assurance insuffisante – il faut 40 ans aujourd'hui, mais bientôt 41 ans - et proratisée par rapport à la durée d'assurance ayant donné lieu à cotisation dans le régime liquidateur. Or les titulaires d'une pension d'invalidité ayant vu leurs revenus salariaux amoindris, nombre de leurs « meilleures années » sont devenues des années médiocres. En portant de dix à vingt-cinq le nombre des années civiles retenues pour le calcul du salaire annuel moyen, la loi Balladur a considérablement aggravé leur situation.

Quand on sait qu’un nombre croissant de travailleurs débutent leur vie active par des stages sous-rémunérés ou des contrats précaires, qu'ils perçoivent des salaires proches du SMIC et subissent des interruptions de carrière pour cause de chômage ou des arrêts définitifs pour cause d'invalidité ou d'inaptitude au travail, on comprend que la règle de calcul en vigueur revient à retenir non pas les « vingt-cinq meilleures années » mais les « vingt-cinq années de moindre pauvreté ».

Ce texte tend donc à rétablir la règle en vigueur jusqu'au 31 mai 1983, selon laquelle les pensions de retraite de base du régime général ne pouvaient être inférieures au montant de la pension d'invalidité perçue par l'assuré avant de partir en retraite. Les majorations de pensions en résultant seraient financées par le Fonds de solidarité vieillesse, dont la mission est justement de financer les avantages vieillesse à caractère non contributif. Pour abonder ses ressources en conséquence, nous proposons de créer une contribution sociale assise sur les revenus financiers, à l'exception des revenus des placements à caractère social ou d'épargne populaire.

Comme je l'ai expliqué en commission, les pensions de base des anciens titulaires d’une pension d'invalidité ne sont pas toutes liquidées à un niveau inférieur à celui de celle-ci. Selon les statistiques de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la pension moyenne servie à un ancien titulaire d'une pension d'invalidité est même supérieure à la pension de base moyenne des retraités du régime général. Mais cette moyenne arithmétique ne rend pas compte de situations individuelles très contrastées selon la catégorie d'invalidité et surtout selon l'âge auquel on est mis en invalidité. La situation d’un travailleur mis en invalidité vers 53 ou 55 ans est radicalement différente de celle du travailleur reconnu comme invalide avant ses quarante ans, particulièrement problématique puisque la pension d'invalidité est elle-même calculée sur les dix meilleures années antérieures à l'ouverture du droit et revalorisée selon les modalités applicables aux prestations sociales. Mon rapport cite plusieurs exemples dans lesquels la chute de revenu au moment de la substitution de la pension de retraite de base à la pension d'invalidité a atteint jusqu'à 50 %. Des pensions d'invalidité de 700 ou 800 euros mensuels peuvent ainsi être remplacées par des pensions de retraite de base de 400 euros. Et la pension de retraite complémentaire ne permettra guère de venir au secours de ces retraités.

Il n'appartient pas au législateur de prendre en compte les pensions de retraite complémentaires. C’est certes l’un de vos arguments, Monsieur le ministre.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille - Oui.

M. le Rapporteur – Mais les modalités de liquidation et de calcul de ces pensions relèvent de la compétence des partenaires sociaux. Ainsi, le calcul des droits à pension selon un système de points, règle fondamentale des régimes complémentaires, ne résulte pas d'une disposition législative. La loi se borne à définir le statut des institutions de retraite complémentaire et à donner un caractère obligatoire à leur affiliation. Déroger à cette règle, c’est ouvrir la voie, comme en Allemagne, à un dysfonctionnement : la prise en compte pour les comparaisons de revenus non seulement de la retraite de base, mais aussi de la retraite complémentaire et même des revenus tirés de la contribution à des fonds de pension.

J'invite donc mes collègues à ne veiller qu'à l'équilibre entre les pensions d'invalidité et les pensions de retraite de base. La règle de non-recul en vigueur jusqu'au 31 mai 1983 s'appliquait du reste aux pensions de base servies par le régime général.

La réunion de la commission a donné lieu à un débat intéressant et constructif. Chacun a convenu que le problème soulevé était réel. Beaucoup d'entre nous ont été confrontés dans leur permanence à des situations personnelles difficiles, et tous sont sensibles à la situation de ces personnes fragiles. Le président de la commission vous a même écrit à ce sujet, Monsieur le ministre, et je sais que vous avez prêté une certaine attention à ces sollicitations. Les réponses argumentées que vous y avez apportées ne nous ont cependant pas convaincus, d’où cette proposition de loi.

Mes collègues Perrut, Giro, Fagniez et Geveaux, tout en se déclarant soucieux d’aider les retraités ex-invalides se retrouvant dans une situation de nécessité, ont fait valoir que mieux valait attendre le rendez-vous de 2008 prévu par la loi Fillon pour discuter de notre proposition.

M. Alain Bocquet - Trop tard !

M. le Rapporteur – Mais quand on perçoit 600 euros par mois, on ne peut se permettre de perdre 200 euros par mois ou plus pendant un an !

Aux termes de l’article 5 de la loi du 21 août 2003, ce rendez-vous doit permettre au Gouvernement de présenter un rapport évaluant les mesures à adopter au regard de l'évolution du taux d'activité, de la situation financière des régimes de retraite, de l'évolution de la situation de l'emploi et des paramètres de financement des régimes de retraite. Il ne s'agit donc pas de revoir la loi, mais de poursuivre dans la logique financière et comptable des réformes Balladur et Fillon. Je ne saurais accepter cette démarche.

L'exemple des retraités anciennement titulaires d'une pension d'invalidité montre que c'est vers une réforme d'ensemble du système des retraites qu'il faut tendre. Les leviers utilisés depuis quinze ans pour relever le défi démographique et consolider le régime général ont démontré leur inefficacité : les variables d'ajustement qu'ont constitué la durée d'assurance, la proratisation des trimestres cotisés, le mode de calcul du salaire annuel moyen, l'âge de départ à la retraite, la pénalisation des départs anticipés hors longue carrière ou handicap et l'incitation à la prolongation de l'activité au-delà de soixante ans, voire soixante-cinq ans, ont abouti au résultat que l'on connaît.

Le dernier rapport du conseil d’orientation des retraites confirme du reste que ces méthodes comptables n’assureront pas l’équilibre du financement des pensions jusqu’en 2020, contrairement à ce que M. Fillon avait promis pour faire avaler la pilule de sa réforme. Cessez de vous entêter dans l’échec ! C’est une remise à plat complète qui s’impose. Il faut non seulement reconsidérer tous les facteurs du régime des retraites, mais aussi engager une ambitieuse politique de l’emploi et du pouvoir d’achat.

En matière de retraites, le régime par répartition doit être consolidé sans renvoyer comme à votre habitude – mais je crains que vous n’y dérogiez pas non plus aujourd’hui –aux retraites complémentaires ou privées, inégalitaires par nature. Le pouvoir d’achat et le niveau des pensions doivent être au cœur de toute réflexion sur les retraites. Les pensions de base du régime général devraient assurer un haut niveau de remplacement, et le départ à 60 ans doit être préservé. La mise à contribution des revenus financiers et surtout l’inclusion de la valeur ajoutée dans la réforme des cotisations sociales patronales – dont le Président de la République, reconnaissant l’essoufflement du dispositif actuel, a admis le principe – permettront de financer cette nouvelle politique. Les parlementaires communistes préfèrent à toute hausse de la CSG ou à une TVA sociale une refonte du mode de calcul de la cotisation sociale patronale.

Seule une politique de l’emploi dynamique, propre à résorber le chômage en créant des emplois stables et justement rémunérés, permettra de financer notre système de retraites. Avec les départs massifs, le renouvellement actuel de la main d’œuvre est une occasion historique de consolider le salariat, plutôt que de le précariser.

Tels sont les axes essentiels d’une réforme que devront compléter des dispositions sur le handicap et les pensions multiples, mais aussi la formation, les interruptions de carrière ou encore la pénibilité du travail. En somme, c’est l’ensemble de la réforme de 2003 qu’il faut revoir, afin de préparer au mieux la troisième partie de l’existence de nos concitoyens. Dans l’immédiat, nous vous proposons une mesure de justice sociale et de solidarité. La commission a décidé d’en suspendre l’examen mais, à titre personnel, je maintiens qu’en refuser l’adoption est une erreur et un mauvais signal envoyé à tous ceux qui vivent aujourd’hui de petites pensions. Voilà qui augure bien mal de ce que la majorité fera si, par malheur, elle reste aux commandes. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Jacqueline Fraysse - La revalorisation des retraites pour les titulaires d’une pension d’invalidité, impérative et applicable immédiatement, concerne plus de 700 000 personnes, dont beaucoup sont en proie à de graves difficultés. Depuis la réforme de 2003, les pensions de base se sont dégradées. Les personnes invalides en sont doublement victimes : d’abord lorsqu’elles sont soudain contraintes de restreindre, voire d’interrompre leur activité, puis par le mode de calcul inique des pensions d’invalidité, qui ne suffisent pas à remplacer le revenu de travail. Calculé sur 25 ans, le salaire moyen annuel de certaines personnes se réduit à peu de choses, surtout si l’invalidité intervient assez jeune : à 40 ans, c’est-à-dire en milieu de carrière, les conséquences d’une invalidité sur la retraite sont dramatiques. La prise en compte de ces 25 meilleures années, qui sont autant d’années de moindre pauvreté, entraîne cette double peine qui hypothèque assurément l’avenir des personnes concernées.

Certes, le Gouvernement a tenté d’en limiter les effets en garantissant le taux plein et l’absence de décote, mais l’impact en est d’autant plus limité que vous avez renoncé à revoir le mode de calcul du salaire annuel moyen, qui explique pourtant le décrochage. Il est indispensable de revenir aux dix meilleures années pour tous les salariés, comme le propose sans relâche le groupe communiste et républicain.

Selon vous, les retraites complémentaires atténuent la dégradation des pensions de base. L’argument est fallacieux : tandis que celles-ci sont réparties entre plusieurs éléments, la pension d’invalidité est une prestation globale et unique. À calculer ainsi malhonnêtement, vous pourriez prendre en compte l’ensemble des ressources du pensionné jusqu’au plan épargne retraite individuel !

Qu’il s’agisse de cas exceptionnels n’est qu’une raison supplémentaire pour répondre immédiatement à ceux qui sont frappés le plus durement. Pourquoi rejeter cette simple mesure de justice sociale ? Ce serait pourtant un jalon encourageant avant le rapport d’étape de 2008, qui sera l’occasion de dresser le bilan des dispositions de 1993 et 2003. La représentation nationale montrerait ainsi qu’elle en a compris l’inefficacité et qu’elle est décidée à résoudre un problème majeur qui affecte notamment les plus faibles de nos concitoyens, notamment les veufs et les veuves, les personnes inaptes au travail ou encore celles dont les carrières professionnelles sont courtes ou hachées.

Une simple niche parlementaire ne suffisait pas à régler ces problèmes. Nous avons choisi une catégorie de pensionnés dont la situation appelle une réponse urgente, mais c’est une réforme d’ensemble qui s’impose. Face à vos échecs successifs en la matière, nous proposons un projet cohérent et alternatif. Ne pas modifier le mode de financement du régime et s’en tenir au relèvement de l’âge de la retraite, comme vous le faites, n’est pas seulement inefficace ; c’est aussi à mille lieues des aspirations de nos concitoyens. Au contraire, il faut une politique de l’emploi qui allie sécurité et formation. Il faut également des plans de gestion prévisionnelle dans les entreprises, qui permettront de tirer le plus grand avantage des départs massifs. Enfin, il faut réformer le financement de notre protection sociale.

Malgré l’urgence, vous persistez à ne rien faire jusqu’à l’étape de 2008.

M. Alain Bocquet - Ce sera trop tard !

Mme Jacqueline Fraysse - Il faudra alors consolider le lien entre le financement de la protection sociale et la production de richesses dans les entreprises, afin de garantir la pérennité de notre système par répartition et d’assurer un haut niveau de pension, quelles que soient les situations sociales. Cette proposition de loi est un premier pas dans cette voie, même si elle ne corrigera qu’une faible part des difficultés auxquelles sont confrontés tant de retraités.

Aurez-vous le cœur de refuser cette proposition de loi au moment où chacun salue la mémoire de l’abbé Pierre ?

M. Alain Bocquet - Il aurait voté pour !

Mme Jacqueline Fraysse – Ce sont à leurs actes que l’on juge les hommes, et l’adoption de ce texte rendrait plus crédibles toutes les belles paroles que l’on entend aujourd’hui ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Bernard Pousset - La proposition de loi de notre collègue Daniel Paul traite d’un sujet important, qui touche la vie quotidienne de nombreux Français puisque les personnes bénéficiant d’une pension d’invalidité représentaient, en 2005, près de 20 % des liquidations de retraite. La manière dont notre législation sociale prend en compte les accidents de la vie concerne beaucoup de monde, et nous sommes souvent interpellés à ce sujet dans nos permanences…

M. Alain Bocquet - Eh oui !

M. Bernard Pousset - L’examen de ce texte nous donne aussi l’occasion de rouvrir le débat sur l’avenir de notre système de retraite, au moment où le conseil d’orientation vient de remettre le rapport destiné à faire un point d’étape de la réforme de 2003 et à proposer des orientations, dans la perspective de la clause de revoyure de 2008.

L’objet du texte est donc d’instaurer une majoration de pension de vieillesse pour les personnes titulaires d’une pension d’invalidité qui liquident leur retraite à l’âge de 60 ans, en vue de garantir que ce passage n’entraîne pas une diminution de leurs revenus. La préoccupation qu’il exprime n’est pas nouvelle : en effet, la prise en compte des périodes d’invalidité dans le régime général fait déjà l’objet de mesures spécifiques, inscrites dans le code de la sécurité sociale au titre de dispositions dérogatoires au droit commun.

Ainsi, les trimestres de perception d'une pension d'invalidité sont validés sans contrepartie de cotisations, et assimilés à une période d'assurance. L’avantage qui en découle est important car il permet, en moyenne, aux personnes invalides de disposer d'une durée d'assurance plus importante que les valides, soit, respectivement, 163 trimestres au lieu de 156. La pension de vieillesse est liquidée au taux plein de 50 % dès 60 ans, quelle que soit la durée d'assurance vieillesse de l'assuré et, à la différence du droit commun, aucune décote n’est appliquée. La pension peut être portée au minimum contributif grâce au bénéfice du taux plein, le montant du minimum contributif ayant du reste été augmenté de 9 % par le Gouvernement dans le cadre de la réforme des retraites, pour faire en sorte qu'au 1er janvier 2008, aucune pension pour une carrière complète ne puisse être inférieure à 85 % du SMIC. Dès 60 ans, la pension de vieillesse peut se voir portée, sous conditions de ressources, au montant du minimum vieillesse, alors que le droit commun n'accorde cet avantage qu'à 65 ans.

M. le Ministre délégué – Très juste.

M. Bernard Pousset - Ces dispositions favorables ont été encore enrichies par l'action menée par la majorité et le Gouvernement au titre du grand chantier présidentiel consacré à l'amélioration des droits des personnes en situation de handicap. Dès lors, je regrette que M. Paul ait caricaturé notre bilan. Contrairement à ce que vous affirmez, non seulement la réforme de 2003 n'a en aucune façon pénalisé les personnes invalides…

M. le Rapporteur – Allez les en convaincre !

M. Bernard Pousset - …mais elle a, au contraire, créé le droit au départ anticipé à la retraite dès 55 ans pour les personnes ayant travaillé malgré un lourd handicap, sous réserve que leur taux d'invalidité atteigne 80 % : 2 100 pensions de retraite anticipées ont ainsi été attribuées en deux ans. Cette disposition a été complétée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, laquelle a étendu ce droit à la fonction publique et introduit une majoration de pension équivalente à une augmentation de 33 %.

L'ensemble de ces dispositions permet aux personnes invalides de bénéficier d'une pension de vieillesse dont le montant moyen est supérieur à celle des personnes valides, comme l’attestent les chiffres de la CNAV : en 2005, le montant annuel moyen de la pension de vieillesse d'un homme ayant perçu une pension d'invalidité est de 9 100 euros, contre 7 730 euros pour un assuré valide ; ces chiffres sont respectivement de 7 870 euros et de 5 700 euros pour une femme. Le fait que la retraite des personnes invalides soit liquidée à taux plein dès 60 ans explique pour partie cette situation.

Bien entendu, cette moyenne recouvre des situations différentes et il est quelques cas où le passage à la retraite peut se traduire par une diminution des revenus de certaines personnes invalides. Je pense en particulier aux personnes touchées assez tôt dans leur carrière par une situation d’invalidité : même si la durée de perception de la pension d'invalidité est prise en compte dans la durée d'assurance, le fait de passer d'une pension d'invalidité calculée sur les 10meilleures années à une pension de vieillesse calculée sur les 25 meilleures années peut être défavorable.

M. le Rapporteur – Merci de le reconnaître !

M. Bernard Pousset - Toutefois, votre proposition de loi soulève plusieurs difficultés majeures qui rendent son adoption inopportune. (Murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

La première tient à son financement. Le coût de la mesure n’a donné lieu à aucune évaluation sérieuse. (Même mouvement)

M. le Rapporteur – Lisez le rapport !

M. Bernard Pousset - Or, comme l'a rappelé le conseil d'orientation des retraites dans son rapport, il n'est pas acceptable de faire financer par le régime général des hausses de prestations, sans en prévoir le financement. De ce point de vue, faire supporter par le fonds de solidarité vieillesse le coût financier de cette majoration, n'est pas envisageable, la situation financière du fonds restant très fragile.

M. Jean-Claude Sandrier - Il faut prendre l’argent où il est. Je rappelle que les profits du CAC 40 ont été supérieurs à 100 milliards !

M. Bernard Pousset - Quant à la création d'une taxe sur les capitaux, elle procurerait – par définition – une recette fluctuante, donc inadaptée.

Une deuxième critique tient au champ des bénéficiaires puisque seuls les salariés du secteur privé sont concernés par cette mesure : quid des autres ?

Troisième critique : l'absence de concertation. Les partenaires sociaux, gestionnaires de l'assurance vieillesse, n'ont pas été consultés alors que c'est à eux qu'incomberait, in fine, le financement de la mesure.

M. Alain Bocquet - Allons bon ! Un groupe parlementaire a tout de même le droit de déposer une proposition de loi !

M. Bernard Pousset - Enfin, la prise en compte des accidents de la vie et, plus généralement, des accidents de carrière professionnelle doit faire l'objet d'un examen d'ensemble…

Mme Jacqueline Fraysse - Quel argument ! Décidément, il est dur de s’opposer à notre proposition !

M. Bernard Pousset - …et ne peut être traitée indépendamment d'une réflexion globale sur les moyens d'améliorer l'équité dans notre système de retraites, laquelle devra être abordée en 2008.

Le 10 janvier dernier, a été remis au Premier ministre le rapport du COR dressant un bilan de la réforme de 2003 et présentant les grandes orientations dans la perspective du rendez-vous fixé de 2008. Premier constat : le COR confirme la justesse des hypothèses de la réforme des retraites de 2003, donc son efficacité… (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Alain Néri - On croit rêver !

M. Bernard Pousset - La situation financière dégradée que connaît actuellement la CNAV ne remet pas en cause les hypothèses de la réforme de 2003. Ce déficit est en effet conjoncturel et largement imputable au succès des départs anticipés pour carrière longue, mesure que nos collègues communistes n’avaient cessé de réclamer sous le gouvernement Jospin et qui leur avait toujours été refusée. À la fin de l’année dernière, elle bénéficiait déjà à 350 000 personnes et la mesure doit encore monter en charge jusqu'en 2008. Son coût devrait ensuite diminuer.

Le deuxième facteur d'augmentation des dépenses n'est pas une surprise, puisqu’il tient à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom. En 2020, le COR confirme que le besoin de financement de nos régimes de retraites sera réduit de moitié par rapport à ce qu'aurait été la situation sans réforme.

M. Jean Le Garrec - Où avez-vous lu cela ?

M. Bernard Pousset - Dans le rapport du Conseil !

M. Jean Le Garrec - Allons ! Je l’ai sous les yeux !

M. Bernard Pousset - Selon le scénario de base, le besoin de financement serait de 0,8 point en 2020 contre 1,7 point en l'absence de toute réforme. En prenant en compte les recettes nouvelles prévues en 2003 - liées au transfert de cotisations chômage vers les cotisations vieillesse permis par la baisse du chômage -, le besoin de financement en 2020 est couvert.

Deuxième constat : la réforme des retraites doit être poursuivie…

M. le Rapporteur – On sait qu’on va dans le mur, mais on accélère !

M. Bernard Pousset - L'augmentation de la durée d'activité est la condition indispensable pour préserver un haut niveau de pension vieillesse. Tous ceux qui prétendent le contraire mentent aux Français.

M. Jean-Claude Sandrier - Et si l’on touchait plutôt à l’assiette ?

M. Bernard Pousset - Il n'y a pas d'autre solution crédible et c’est du reste le choix retenu par l'ensemble des pays européens.

M. Alain Bocquet - Attention au suivisme !

M. Bernard Pousset - Les Français ne sont pas dupes face à la démagogie du programme du parti socialiste,…

M. Alain Néri - Vous n’êtes pas dans un meeting de campagne !

M. Bernard Pousset - …lequel indique qu'il supprimera la réforme de 2003 en cas de victoire électorale. Ils mesurent bien toutes les conséquences d’un tel retour en arrière : suppression de la possibilité de départ anticipé pour longue carrière, fin de l'égalité de traitement entre les salariés du privé et ceux du public… Revenir en arrière, c'est prendre le risque de faire exploser le pacte générationnel qui est au coeur de notre système par répartition, en faisant peser sur les actifs une charge insupportable. Les grands perdants seraient évidemment les Français les plus modestes, ceux qui n'ont pas la possibilité d'épargner pour leur retraite. Augmenter la durée d'activité implique de favoriser le maintien dans l'emploi, et, en particulier, d'augmenter le taux d'emploi des seniors.

M. Alain Néri - Dites-le aux patrons qui licencient les « quinquas » !

M. Bernard Pousset - Le COR insiste sur cette nécessité et salue la mise en œuvre du plan national en faveur de l'emploi des seniors. Il appelle également à une plus grande équité entre les régimes, et pose la question de l'adaptation des régimes spéciaux, non concernés par la réforme de 2003.

M. le Rapporteur – Allons-y, tirons tout le monde vers le bas !

M. Bernard Pousset - Nous abordons le rendez-vous de 2008 dans de bonnes conditions grâce à deux évolutions structurelles encourageantes. D’abord, la forte réduction du chômage depuis 18 mois…

M. Alain Néri - Et si vous nous parliez de l’évolution des effectifs d’érémistes ?

M. Bernard Pousset - …va faciliter le redéploiement progressif d'une partie des cotisations d'assurance chômage vers le financement du régime général. En outre, elle augmente la masse salariale, donc les recettes de l'assurance vieillesse.

M. Jean-Claude Sandrier - Il faut remercier les travailleurs pauvres !

M. Bernard Pousset - Le second facteur encourageant est lié à la natalité. Selon la dernière étude de l'INSEE, la France est désormais championne d'Europe de la fécondité en 2006.

Grâce aux mesures prises par le Gouvernement – je pense notamment à la mise en place de la PAJE et à la création de nombreuses places de crèche –, notre pays connaît une santé démographique bien meilleure que celle de ses voisins. L’INSEE a dû revoir ses prévisions à la hausse : alors qu’on estimait en 2002 qu’il y aurait à l’horizon 2050 1,1 cotisant pour un retraité, on évalue aujourd’hui ce ratio à 1,4 pour un. Cela encourage d’ailleurs à poursuivre une politique familiale ambitieuse.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP juge prématurée cette proposition de loi et votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Bocquet - Nous le dirons aux invalides !

M. Jean Le Garrec – Pour notre part, nous soutenons cette proposition sans aucune réserve. Nous avions nous-mêmes déposé un amendement allant dans le même sens lors de l’examen du projet de loi de finances, hélas déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

Il serait paradoxal en cette fin de législature, avant des échéances électorales majeures, de ne pas évoquer la question des retraites. L’intervention de M. Pousset m’ôte d’ailleurs tout scrupule à ce sujet, tant il a proféré de contre-vérités et déformé les remarquables travaux du Conseil d’orientation des retraites (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Nous ne pourrons pas échapper à une remise à plat totale de la loi de 2003, qui a été un échec total…

M. Alain Néri - Il faut le dire en effet.

M. Guy Geoffroy - Quel sens de la nuance !

M. Jean Le Garrec - …comme en témoignent les déficits, en progression exponentielle. Cet échec tient au fait que cette loi se fondait essentiellement sur l’allongement de la durée de cotisation. Je me souviens avoir fait valoir à l’époque que ce ne pouvait être la solution dans un pays qui détenait le triste record d’Europe du plus fort taux de chômage des moins de 25 ans et des plus de 55 ans. Nous avions dit alors que l’horizon de quarante années de cotisation était « indépassable » : les évolutions prouvent que nous avions raison. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre moyen de jours de chômage d’un homme de 55 ans atteint 365 et 40 % des salariés sont au chômage lorsqu’ils demandent leur retraite. La durée de la vie de travail est supérieure de trois à quatre ans en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède à ce qu’elle est en France, et la durée de chômage pour les plus de 55 ans y est de 10 % à 40 % inférieure. La situation française est donc aberrante. Si quelques progrès ont été enregistrés dans les PME, il n’y en a eu aucun dans les grandes entreprises. Quant au plan gouvernemental en faveur des seniors, il n’a pas encore fait sentir ses effets, qui ne joueront de toute façon qu’à la marge.

Plus grave, les salariés de notre pays ont intériorisé cette situation, en même temps que s’instituait peu à peu une discrimination par l’âge. Les salariés qui exercent des métiers difficiles commencent à considérer qu’à plus de 55 ans, ils « sont finis ». Cette tendance sera extrêmement difficile à inverser. Ce sera l’une de nos tâches une fois que nous serons revenus aux responsabilités. Le vocabulaire même est éclairant, qui cherche à camoufler la réalité : on ne parle plus ainsi de chômeurs âgés, mais de « seniors ». À cela s’ajoute qu’en dépit des protestations de tous les syndicats, le Medef s’est refusé à aborder la grave question des accidents du travail et des maladies professionnelles –comme la loi de 2003 le prévoyait pourtant. L’absence de réflexion réaliste sur la durée de la vie de travail, l’absence de volonté ferme d’en finir avec ces discriminations par l’âge qui amènent les salariés à considérer que de toute façon il n’y a plus de travail pour eux au-delà de 55 ans, conduit au blocage actuel, que nous avions pressenti dès 2003.

Nous n’avons pas été assez vigilants aussi, je le reconnais, sur les effets dévastateurs des décrets Balladur faisant calculer la retraite non plus sur les dix, mais sur les vingt-cinq meilleures années, et indexant les pensions sur les prix, et non plus sur les salaires. Les syndicats sont en effet unanimes à redouter une paupérisation des retraités percevant les retraites les plus basses, en particulier les femmes. Ainsi pour une personne isolée, laquelle est le plus souvent une femme, la retraite minimale est inférieure de 10 % au seuil de pauvreté.

M. Alain Néri - C’est inacceptable.

M. Jean Le Garrec - Si dans les années 60-70, un gros effort a été fait pour améliorer la situation des plus âgés, travail auquel l’abbé Pierre avait d’ailleurs largement pris part, la tendance aujourd’hui s’inverse et la situation financière des personnes âgées ne fera que s’aggraver, avec l’augmentation de la dépendance. Il nous faudra tenir compte de tout cela et engager les réformes nécessaires une fois revenus aux affaires.

M. Pousset, qui a vanté les succès de la réforme de 2003, considère-t-il comme un succès que le Fonds de réserve des retraites n’ait pas été abondé depuis plus de quatre ans ?

M. Alain Néri - Que répond le Gouvernement à cela ?

M. Jean Le Garrec - Voilà un autre sujet qu’il nous faudra prendre à bras-le-corps. Je pense que la totalité du prélèvement de 10 % opéré sur les revenus du capital devra être affecté à ce Fonds, et non pas seulement 0,9 % comme aujourd’hui.

Un autre point devrait être abordé concernant les retraites, qui ne l’est étrangement pas du tout, notamment par le groupe majoritaire, et ce non sans force hypocrisie. Toutes les analyses démontrent que, quelles que soient les hypothèses retenues, notamment de natalité, on devrait avoir une immigration de travail de 100 000 à 150 000 personnes par an. Cet apport est indispensable pour assurer l’équilibre de notre régime de retraite à l’horizon 2020-2050. Que peut être dans ce contexte « l’immigration choisie » ? Comment demander à des femmes et des hommes étrangers, jeunes pour l’essentiel, de nous fournir leur force de travail s’ils ont le sentiment, au travers du discours dominant à droite, sans même parler de l’extrême droite, d’être rejetés, déconsidérés et discriminés en raison de leur appartenance ethnique ? Si l’on ne veut pas que se reproduisent les catastrophes des années 55-60 où l’on a fait venir de l’étranger jusqu’à 200 000 personnes par an dans une impréparation totale, avec les dégâts que l’on sait, il faut donner de notre pays une autre image, changer radicalement de discours sur l’immigration, nous ouvrir à ces populations et engager avec elles le dialogue, enfin développer les capacités d’accueil qui nous font aujourd’hui défaut. Nul, dans les rangs de la droite, n’évoque pourtant ce problème capital.

M. Guy Geoffroy – Voilà que ceux qui n’ont rien fait viennent nous donner des leçons !

M. Jean Le Garrec - Nous avions explicité les raisons de votre échec : nous y sommes et vous ne pouvez pas le nier !

M. Guy Geoffroy - Vous n’avez rien fait !

M. Alain Néri - Vous êtes au pouvoir depuis cinq ans !

M. Jean Le Garrec – Nous parlons, Monsieur Geoffroy, d’une loi que vous avez votée. Il faudra trouver de nouveaux moyens de financement. Nous avions soulevé cette question en 2003 et il faut la poser à nouveau aujourd’hui. On peut par exemple concevoir qu’une partie des cotisations sociales patronales sur l’emploi soit dévolue au financement des retraites. A mon sens, ce ne sera d’ailleurs pas suffisant et il faudra sans doute réfléchir à l’institution d’une taxe sur la valeur ajoutée. Quoi qu’il en soit, la retraite par répartition est un enjeu fondamental : de la solidarité intergénérationnelle dépend la construction d’un espace social digne de ce nom. Que l’on ne parle pas d’épargne individuelle ou complémentaire !

M. Guy Geoffroy - Donneur de leçons !

M. Jean Le Garrec – À la différence de M. Pousset, je n’en donne pas, Monsieur Geoffroy ! Le COR, créé par M. Jospin, permettait lui de dialoguer de façon apaisée et ses données sont incontournables.

Les syndicats font preuve d’une extraordinaire maturité en acceptant de tout mettre sur la table, y compris les régimes spéciaux, à condition de ne pas profiter de ce débat pour diviser le monde du travail en désignant à la vindicte de ceux qui souffrent ceux qui souffrent un peu moins. Ce serait une très grave erreur politique. Les problèmes doivent être posés dans un esprit de responsabilité et de solidarité. C’est un enjeu considérable ! Les retraites par répartition sont la base sociale d’une solidarité entre les générations qu’il faudra sauver : j’espère que nous serons aux responsabilités pour le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – La discussion générale est close.

M. le Ministre délégué – Notre discussion portait initialement sur la proposition de loi déposée par le groupe communiste et républicain mais l’opposition en a fait un prétexte pour instruire le procès de la réforme des retraites de 2003. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Le Garrec - Arrêtez ! C’est M. Pousset qui a évoqué cette question !

M. le Ministre délégué – C’est d’autant plus malvenu…

M. Jean Le Garrec - Mais enfin !

M. le Ministre délégué - …que les vrais défenseurs de la retraite par répartition sont ceux qui ont pris les initiatives législatives qui s’imposaient afin d’assurer son avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ils l’ont fait…

M. Alain Néri - Sans résultat !

M. le Ministre délégué - …en se souciant des plus démunis. C’est précisément à eux que vous avez refusé de répondre quand vous étiez au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Claude Sandrier - C’est faux et démagogique !

M. Guy Geoffroy - Vous n’avez rien fait ! Zéro pointé !

M. le Ministre délégué – Vous avez d’ailleurs été sanctionnés par les électeurs et sans doute devriez-vous vous montrer plus modestes ! L’immobilisme n’est jamais récompensé.

M. Alain Néri - Votre politique sera sanctionnée !

M. Jean-Claude Sandrier - C’est un formidable recul de société !

M. le Ministre délégué – La réforme de 2003 a porté ses fruits, comme le COR lui-même, institution indépendante, en convient.

M. Jean-Claude Sandrier - Elle a été très mauvaise !

M. le Ministre délégué – Selon le COR, se sont 50 % des besoins de financement de la retraite par répartition qui seront assurés à l’horizon de 2020 ! Le rendez-vous de 2008 permettra quant à lui de faire le point avec les partenaires sociaux sur l’application de la réforme. Notre politique ayant également porté ses fruits en matière d’emploi… (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Rapporteur – La précarité s’accroît !

M. le Ministre délégué - …et le chômage ayant baissé de plus de 10 % pendant cette législature, une partie des cotisations d’assurance chômage pourra en outre être affectée au financement des retraites.

M. Alain Néri - Les RMistes sont de plus en plus nombreux !

M. le Ministre délégué – Nous avons également renforcé notre politique familiale…

M. Jean-Claude Sandrier - Les salariés, eux, sont sous-payés et exploités !

M. le Ministre délégué - …grâce à la PAJE, au développement de l’offre de garde et au nouveau statut des assistantes familiales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) .

M. Alain Néri - Parlez-nous plutôt du désengagement de la CAF !

M. le Ministre délégué – En 2000, Mme Royal, qui aujourd’hui fanfaronne, a financé 264 places de crèches supplémentaires quand nous en avons financé 8 500 en 2005, 10 000 en 2006 et 12 000 en 2007 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

M. Alain Néri - Qui paie ?

M. le Ministre délégué – Tout cela est financé par les crédits d’action sociale et familiale des CAF. Les résultats ne se font pas attendre : plus d’actifs, c’est également plus de cotisations.

M. Jean Le Garrec - Monsieur de La Palice !

M. le Ministre délégué – L’INSEE a également revu de manière positive les hypothèses de 2003 puisque à l’horizon de 2050, nous aurons 1,4 actif pour un retraité.

S’agissant de l’emploi des seniors, Monsieur Le Garrec, je vous invite à regarder les chiffres.

M. Jean Le Garrec - Oh ! Vous vous foutez de moi !

M. le Ministre délégué – Depuis un an, le chômage des seniors a diminué au même rythme que le chômage des autres classes d’âge. L’emploi des seniors n’est d’ailleurs pas l’ennemi de l’emploi des jeunes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) comme vous l’avez cru en 1981 puisque vous aviez encouragé le départ en retraire des salariés de plus en plus tôt en espérant que le taux de chômage des jeunes baisserait et qu’il n’en a rien été ! La France détient le record du chômage des jeunes ! Le Gouvernement, lui, applique le plan de l’emploi des seniors car c’est l’ensemble de notre économie qui en a besoin.

M. Jean Le Garrec - Ta ! Ta ! Ta !… Vous n’y connaissez rien !

M. Alain Néri - Ce sont vos amis du MEDEF qui licencient les seniors !

M. le Ministre délégué – Nous pouvons être fiers de notre politique pour sauver la retraite par répartition, faire baisser le chômage et accroître la natalité, puisqu’il qu’il y a eu, en 2006, 830 900 naissances. Un tel chiffre n’avait pas été atteint depuis trente ans.

Venons-en, enfin, à la situation des invalides, qui est une préoccupation constante du Gouvernement.

On n’a jamais, par le passé, porté une telle attention aux personnes invalides. Je pense aux retraites anticipées, que le Gouvernement Jospin avait constamment refusées, pendant cinq ans, malgré l’obstination du groupe communiste, qui déposait chaque année un amendement en ce sens au projet de loi de financement de la sécurité sociale ; c’est que le gouvernement socialiste n’avait pas réalisé la réforme des retraites, qui lui aurait permis un telle avancée. Nous l’avons fait : 360 000 personnes entrées très tôt dans la vie active ont ainsi pu partir en retraite anticipée, et les invalides en ont pleinement bénéficié.

En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 permet aux titulaires d’une pension d’invalidité en incapacité de travail de bénéficier d’un complément d’allocation à hauteur de 80 % du SMIC, comme pour les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés, depuis la loi du 11 février 2005.

La France peut s’enorgueillir de dispositions relatives à la retraite particulièrement favorables aux invalides. C’est à son honneur de porter une attention particulière à ceux qui n’ont pas, ou plus, la capacité de subvenir à leurs besoins. Les réformes de 1993 et de 2003 ont renforcé ces mesures : la possibilité de partir plus tôt à la retraite, à partir de 55 ans, la majoration, jusqu’à 33 %, de la retraite ont toutes deux été ouvertes tant aux fonctionnaires qu’aux assurés du régime général.

La modification de la législation, jugée si inique par les députés communistes, remonte à 1983, date à laquelle les communistes appartenaient au Gouvernement. Comment, dès lors, ont-ils pu accepter cette mesure ?

M. le Rapporteur – C’est pour cela que nous ne sommes pas restés !

M. le Ministre délégué – Et pourquoi avoir attendu vingt ans pour la dénoncer ?

La pension des personnes invalides est en moyenne supérieure de 25 % à celle des autres assurés.

M. le Rapporteur – En moyenne !

M. le Ministre délégué – Vous présentez quelques exemples censés démontrer une diminution des revenus. Je reviendrai sur deux d’entre eux. Vous comparez la pension d’invalidité de Mme Marie-Hélène R. avec sa pension de vieillesse versée par la Caisse nationale. Pourtant, cette personne, ayant travaillé la moitié du temps comme salariée agricole, perçoit donc une pension de la Mutualité sociale agricole, que vous n’avez pas comptée.

M. Jean-Pierre H. a, lui aussi, mené une double carrière, comme salarié et artisan. Le montant de sa pension d’invalidité était de 676 euros. Sa pension de base à l’assurance vieillesse était en 2006 de 383 euros, sa pension de base artisan de 350 euros, soit un total de 733 euros. Si l’on ajoute les complémentaires, qui sont en France obligatoires, le montant est même 1,7 fois supérieur à la pension d’invalidité.

Vous comparez donc ce qui ne peut l’être, et en ne retenant que la retraite du régime général, en omettant les autres ainsi que les complémentaires, obligatoires, vous ne rendez pas compte de la réalité. Le raisonnement est biaisé.

S’agissant des assurés invalides, les partenaires sociaux ont adopté des dispositions qui neutralisent les effets de l’invalidité avec l’attribution de points gratuits. Et contrairement à ce que vous indiquez, les pensions complémentaires sont servies aux personnes invalides, comme pour le régime général, à compter de l’âge de 60 ans, et non de 65 ans.

M. le Rapporteur – Nous n’avons pas dit le contraire !

M. le Ministre délégué – Les régimes de retraites complémentaires représentent 40 % de la retraite moyenne d’un non-cadre. Dans votre logique, les comparaisons entre le niveau des retraites du privé et celles d’autres catégories devraient s’effectuer sans les pensions complémentaires. Cela n’a pas de sens : le Conseil d’orientation des retraites tient toujours compte des régimes complémentaires, de même que les retraités eux-mêmes lorsqu’ils calculent leurs revenus.

Au fond, votre proposition de loi aboutirait à créer deux inégalités nouvelles. Tout d’abord, les retraités invalides percevraient des retraites très supérieures à celles des personnes valides (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Ensuite, les retraités percevant plusieurs pensions seraient très avantagés, puisqu’ils conserveraient le montant de la pension d’invalidité du régime général avec, en outre, les pensions des autres régimes de base, tout en cumulant avec la pension du régime complémentaire.

M. le Rapporteur – Vous traitez les invalides de privilégiés !

M. le Ministre délégué – J’invite donc l'Assemblée nationale à repousser cette proposition, source d’inégalités, qui méconnaît l’apport de la réforme des retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – La commission n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Nous en venons aux explications de vote.

explications de vote

M. Alain Bocquet - Monsieur le ministre, vous vous êtes exprimé comme si vous étiez dans une salle de meeting, vantant les mérites qui seraient ceux de la réforme des retraites.

M. Guy Geoffroy - Il a eu raison !

M. Alain Bocquet - Or, le fait que 600 000 invalides voient leurs revenus affectés par leur arrivée à la retraite est incontestable. Notre collègue de l’UMP a lui-même reconnu qu’il recevait, dans sa permanence, des personnes touchées par ce problème. Pourtant, vous écartez cette proposition d’un revers de main, en prétendant que tout irait bien en France. Vous oubliez que sept millions de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que, contrairement à ce que montrent les statistiques, le chômage ne diminue pas : on compte quatre millions de salariés sans emploi. À l’époque de l’abbé Pierre, qui, s’il était encore vivant, voterait certainement cette proposition (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), il y avait 2 000 sans-abri ; ils sont 100 000 aujourd’hui. En même temps, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 218 % entre 1993 et 2005, et les exonérations de cotisations sociales sont passées d’un milliard à 23 milliards.

Un député communiste – Honteux !

M. Alain Bocquet – Or, cette proposition de loi, si elle était adoptée, coûterait 150 000 euros par an. Comparez avec les 23 milliards de cadeaux au grand patronat ; on pourrait proposer 150 fois notre réforme ! Le refus de cette mesure de justice pour 600 000 Français vulnérables montre bien la morgue de ce Gouvernement, hostile à la justice sociale et à l’équité.

Monsieur le Président, compte tenu de l’importance de ce texte, et comme nos collègues de l’UMP ne viennent siéger que quelques minutes avant le vote, nous demandons la vérification du quorum, conformément à l’article 61, alinéa 2, du Règlement.

M. Alain Néri - Stupéfaits, nous voyons le ministre, comme dans Le Cid, « par un prompt renfort », essayer de se tirer d’affaire ; il est tout de même curieux que nos collègues de la majorité s’intéressent subitement au sujet en discussion, à midi trente, alors que nous allons voter…

Il ne se passe pas un jour sans que le Gouvernement ne parle d’égalité des chances. Mais lorsqu’une occasion se présente, il se défile ! Qui peut nier que les conditions de travail créent des discriminations entre nos concitoyens ?

On sait bien que ceux qui exercent les métiers les plus pénibles ont une espérance de vie plus réduite. Il est intolérable, au XXIe siècle, que des hommes et des femmes usent leur santé au travail et vieillissent prématurément. L’écart entre l’espérance de vie d’un cadre et celle d’un ouvrier, qui est de sept ans, se creuse : on ne peut rester insensible à cette injustice, inhumaine et insupportable.

C’est pourquoi Xavier Bertrand, alors rapporteur pour avis du projet de loi portant réforme des retraites, avait défendu l’article 12, qui disposait que, dans un délai de trois ans suivant la promulgation de la loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives seraient invitées à ouvrir des négociations interprofessionnelles. Or les réunions sont bloquées depuis le 2 mai 2006. Quelles mesures avez-vous prises, Monsieur le ministre, pour remédier à cette situation ? Avez-vous invité le Medef à les réouvrir ?

Les dispositifs de départ anticipés existants montrent que l’exigence de réparation est plus que jamais légitime, tant les inégalités entre secteurs sont considérables. C’est le cas notamment du bâtiment. Le nombre d’allocataires en invalidité a bondi de plus de 20 % ces trois dernières années. Des mesures prenant en compte la pénibilité et les risques du travail sont plus que jamais nécessaires pour ajuster l’âge du départ à la retraite.

Vous avez eu l’occasion, Monsieur le ministre, de résoudre ce problème lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’avais en effet déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement demandant que les personnes invalides voient leur pension de retraite améliorée. Votre majorité ne l’a pas voté. Vous avez une chance de vous rattraper avec cette proposition de loi, que nous approuvons pleinement.

M. Guy Geoffroy - Où est donc Mme Royal ? Quel est son avis sur cette question ?

M. Alain Néri - Les personnes invalides, arrivées à l’âge de 60 ans, sont nombreuses à voir leurs revenus chuter brutalement, en raison des modes de calcul issus de la loi portant réforme des retraites de 2003, laquelle consacre un grand recul social.

Si vous estimez que les seniors ne peuvent pas aller aussi loin qu’ils le souhaitent dans l’exercice de leur activité professionnelle, demandez donc à vos amis du Medef de ne pas les licencier prématurément !

Les personnes invalides sont doublement pénalisées, car après avoir vu leurs ressources diminuer lors de leur passage de l’activité salariée à la pension d’invalidité, leur revenu peut chuter de 60 % lorsqu’elles atteignent l’âge de 60 ans. Après avoir repoussé l’amendement que j’avais déposé, qui proposait de garantir aux titulaires d’une pension d’invalidité un niveau de pension de retraite au moins identique, j’espère que la majorité de cette assemblée réparera cette injustice !

M. le Président – Je suis saisi par le président du groupe des députés communistes et républicains d’une demande faite en application de l’article 61 du Règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur le passage à la discussion des articles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Je voudrais attirer l’attention de M. le président Bocquet sur le fait qu’à l’issue de ce quorum, je lèverai la séance. Le groupe communiste ne disposant plus de niche parlementaire d’ici à la fin de la session, il n’y aura pas de vote sur ce texte.

M. Alain Bocquet - Sur quel article du Règlement vous fondez-vous, Monsieur le président ?

M. le Président – Cette séance, réservée aux groupes parlementaires, est levée de droit à 13 heures, et votre groupe ne disposera pas d’autre séance.

M. Alain Bocquet - Ne peut-on procéder au vote après les questions au Gouvernement ?

M. le Président – Non, la Conférence des président ne l’ayant pas prévu.

M. Alain Bocquet - Dans ce cas, je demande un scrutin public.

À la majorité de 49 voix contre 25 sur 74 votants et 74 suffrages exprimés, l’Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

M. le Président - En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Prochaine séance cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 40.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

© Assemblée nationale