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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 30 janvier 2007

Séance de 21 heures 30
55ème jour de séance, 126ème séance

Présidence de M. René Dosière
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heure trente.

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modernisation de la diffusion audiovisuelle et télévision du futur

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi adopté par le Sénat, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication – Le texte que j’ai l’honneur de défendre ce soir vous invite à préparer la télévision du futur en la propulsant dans l’ère numérique. Son adoption fixera le cadre législatif du basculement de l’analogique au numérique, qui s’achèvera le 30 novembre 2011 au plus tard, et les conditions du lancement de la télévision en haute définition et de la télévision mobile personnelle.

Le président de la République souhaite que la France devienne l’un des pays les plus avancés dans le domaine numérique, et cela au bénéfice de tous. Nous avons déjà remporté de nombreux défis technologiques, de la télévision numérique terrestre à la numérisation des archives de l’INA ou au lancement de France 24, par exemple. Avec ce texte, tous nos concitoyens pourront recevoir dix-huit chaînes gratuites en qualité numérique d’ici 2011, avant que l’offre ne s’enrichisse encore.

Afin d’en garantir le pluralisme, ce projet de loi repose sur quatre piliers. Tout d’abord, le basculement vers le numérique n’a de raison d’être que si tous les Français en sont informés et ont accès à la TNT.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Très bien !

M. le Ministre – Les chaînes dites historiques couvriront d’ailleurs 95 % du territoire en numérique hertzien ; loin d’être archaïque, ce vecteur est en effet le mode de diffusion le plus simple et le moins coûteux. D’autre part, le pluralisme de l’information profitera de l’apparition de plusieurs nouvelles chaînes gratuites. Ensuite, avec le doublement du nombre de ses chaînes, la télévision publique pourra diversifier son offre. Enfin, alors que la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle – dans laquelle la France a joué le rôle pionnier que vous savez – entre bientôt en vigueur, ce projet de loi garantit que l’innovation technologique bénéficiera à la création audiovisuelle et cinématographique. Voilà qui est essentiel à l’emploi et au rayonnement culturel de notre pays dans le monde – un thème cher à tout ministre de la culture.

L’Assemblée, éclairée par les remarquables travaux des deux commissions qu’elle a saisies et dont les propositions seront très utiles au basculement vers le numérique, est consciente de ces enjeux.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Merci, Monsieur le ministre !

M. le Ministre – Témoin des attentes de nos concitoyens en matière de nouvelles technologies audiovisuelles, la réussite spectaculaire de la TNT – en passe de devenir la Télévision Numérique pour Tous – tient aux décisions du Gouvernement et du Conseil supérieur de l’audiovisuel, auquel je tiens à rendre hommage. En effet, cette autorité de régulation indépendante remplit sa mission d’intérêt général de manière exemplaire.

Lancée en mars 2005, la TNT est déjà reçue par plus de sept millions de foyers. La numérisation passe aussi pour certains par le câble, le satellite ou l’ADSL. Parce que les Français ne comprendraient pas qu’on leur refuse une offre gratuite plus riche, ce texte nous permettra de cesser la diffusion analogique dès mars 2008 et de basculer dans l’ère numérique d’ici novembre 2011. Ce calendrier ambitieux mais réaliste s’inscrit dans une démarche européenne d’extinction de l’analogique – nos partenaires y procèderont tous d’ici 2012. La France, pionnière en la matière, ne doit prendre aucun retard.

Après un échange approfondi avec les deux assemblées, le Premier ministre a donc choisi la procédure d’urgence, afin que la loi entre en vigueur dès les prochaines semaines. À l’été 2007, les Français pourront donc recevoir dix-huit chaînes gratuites par satellite, la télévision en haute définition et la télévision en mobilité, ainsi que les chaînes locales analogiques existantes (M. Frédéric Dutoit s’exclame).

L’urgence se justifie : ni la diversification de l’offre, ni le développement d’un tel atout pour notre création – et les emplois qu’elle induit – ne peuvent attendre. J’ajoute que le Conseil d’État a considéré qu’il appartient au Parlement d’autoriser l’extinction anticipée de la diffusion analogique. Aussi, ce projet de loi est-il le fruit d’une large concertation consensuelle.

M. Christian Paul – Incroyable !

M. le Ministre – En effet, voici un texte qui concerne l’intérêt général. Je souhaite qu’il nous rassemble tous, au-delà des clivages.

M. Christian Paul – Vous ne faites rien pour cela !

M. le Ministre – Le Sénat ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en adoptant plusieurs amendements à l’unanimité : les points de vue convergent pour que ce projet profite à tous nos concitoyens.

Je le répète : le basculement vers le numérique ne peut avoir lieu que s’il concerne tous les Français. À ce titre, je remercie vos commissions d’avoir renforcé le dispositif prévu par le texte. La couverture satellitaire est un complément indispensable à la réception de la télévision numérique par l’ensemble de la population, notamment dans les zones montagneuses, par exemple. Il n’y aura aucun laissé-pour-compte : j’en fais une priorité.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Très bien.

M. Christian Paul – Vous aviez déjà dit cela pour Internet et la téléphonie mobile. Et pourtant…

M. le Ministre – Il y va de la cohérence de l’aménagement de notre territoire.

Comme le souligne le rapport, tous les citoyens doivent pouvoir recevoir la télévision numérique. Pour les plus démunis, un fonds d'aide sera donc créé, avec pour objectif une égalité tant sociale que géographique, puisque l’aide sera modulée en fonction du coût de l'équipement. Dans certains territoires en effet, comme les zones de montagne, seule l'offre satellitaire gratuite permettra dans un premier temps de recevoir la télévision numérique. Le fonds d'aide prendra donc en compte le fait que le coût d’une parabole est plus élevé que celui d'un simple adaptateur. Oui, il s’agit bien d’un texte d'équité.

Didier Mathus – Avec quel financement ?

M. le Ministre – L'information est une des clefs de la réussite du passage d'une technologie à l’autre. Il est donc essentiel que les acheteurs de postes de télévision soient systématiquement informés de l'équipement nécessaire à la réception de la TNT.

M. Michel Françaix – Il serait temps !

M. le Ministre – Le projet de loi instaure l’obligation, pour les industriels et les distributeurs, d'informer de façon détaillée et visible les consommateurs sur la capacité du récepteur de télévision à recevoir la TNT. Une campagne nationale de communication sera aussi lancée cette année sur le basculement de la télévision analogique vers la télévision numérique. J'approuve la préoccupation de votre rapporteur sur ce point essentiel : ce dispositif d’information sera soigné, car nous voulons que la loi profite à chacun de nos concitoyens. Il ne sera pas question de tomber sur une sorte de répondeur automatique, mais sur un interlocuteur qui pourra répondre à chaque question particulière.

Toutes les conditions doivent être réunies pour faciliter la transition vers le numérique. Vos commissions des affaires culturelles et des affaires économiques ont proposé que, dès cette année, tous les téléviseurs vendus sur le territoire national intègrent un adaptateur pour la réception de la TNT, et qu’à chaque signature de contrat de location d’appartement, le bailleur fournisse une information sur les modalités de réception de la télévision dans l'immeuble. Ces avancées sont primordiales pour un grand nombre de Français. C’est un progrès majeur pour leur vie quotidienne. Mais il n’y aura pas de France à deux vitesses : ces progrès concerneront chacun de nos concitoyens, et nous nous préoccuperons prioritairement de ceux pour lesquels les évolutions technologiques ne sont pas immédiatement compréhensibles.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Quelle belle ambition !

M. le Ministre – Le numérique et la télévision personnelle mobile permettent de multiplier les sources d'information, et ainsi d’améliorer le pluralisme. L’offre d'information sera plus nombreuse et plus diversifiée. Au-delà des effets de manche de cette période de pré-campagne électorale, il serait paradoxal de s'opposer au projet de loi au nom du pluralisme.

M. Christian Paul – Nous y voilà !

M. le Ministre – En effet, en plus de l'offre d'information des chaînes historiques, les téléspectateurs pourront désormais avoir accès à deux chaînes d'information en continu ainsi qu'aux chaînes parlementaires, chaînes civiques dont la TNT a multiplié l’audience et qui font mieux connaître le Parlement à l'ensemble des Français. Notre démocratie s’en trouve renforcée. J’ajoute que le CSA tiendra compte de l’offre en matière d'information des services de télévision mobile personnelle avant de leur donner son autorisation.

M. Christian Paul – Il est opposé à la loi !

M. le Ministre – Mais le progrès du pluralisme s’obtiendra aussi, et je sais combien la représentation nationale y est attentive, en confortant la place de la télévision publique dans le nouveau paysage audiovisuel.

M. Frédéric Dutoit – De qui se moque-t-on ?

M. le Ministre – Je suis, tant par mes fonctions que par mes convictions, le garant du service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J’ai contribué à l’élargir, avec la création de France 4 et de France Ô, sans compter la diffusion 24 heures sur 24 de France 5 et d'Arte. Ceux qui veulent nous donner des leçons sur ce sujet n’auront jamais fait autant pour le pluralisme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains, applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'offre satellitaire gratuite permettra en outre aux Français de recevoir les éditions régionales de France 3, ce qui n'était pas possible jusqu'à présent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Vous le savez, le service public ne dépend pas du cadre défini par le projet de loi pour les appels à candidature que le CSA lancera pour la télévision du futur, mais les fréquences qui lui sont nécessaires sont directement préemptées par l'exécutif. Le Gouvernement préemptera ainsi l'un des deux ou trois canaux qui seront disponibles, dès l'an prochain, pour la diffusion de chaînes gratuites en haute définition, et un second dès qu'il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en haute définition. Je suis fier d’avoir pris cette responsabilité de l’exécutif, car je suis le garant du rayonnement de l’audiovisuel public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Il importe que toutes les chaînes gratuites de la TNT puissent se développer et que le projet de loi pose des garanties pour leur avenir. À ce propos, le caractère homogène et cohérent de l'offre des chaînes est essentiel. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé un amendement, que le Sénat a voté, afin de garantir la place des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre dans l'offre, et de renforcer le rôle du CSA en matière de régulation : il devra veiller à ce que la numérotation des chaînes soit équitable, transparente, non discriminatoire et homogène. Des blocs cohérents et thématiques de chaînes seront créés. Par ailleurs, je rappelle que l'offre satellitaire gratuite prévoit la numérotation logique des chaînes de la TNT.

Ce projet organise également le lancement de la télévision du futur. En premier lieu, il s’agit de la télévision mobile personnelle, qui s'inscrit pleinement dans la révolution des usages que nous sommes en train de vivre. Comme c'est le cas déjà en Corée du Sud et au Japon, la télévision mobile personnelle, reçue sur des supports dédiés ou des téléphones, offrira une vingtaine de chaînes. Cette révolution est comparable au passage de la TSF au transistor, qui a fait de la radio un média personnel et portable. Le texte ne préjuge pas du modèle économique qui émergera, puisqu’il y aura certainement des évolutions, mais permet d'offrir aux Français aussi bien les chaînes dont ils ont l'habitude que les programmes plus innovants induits par ce mode de consommation nomade. Mais la télévision du futur, c’est aussi la télévision en haute définition, dans le contexte d’un équipement rapide des foyers en écrans plats. Il s'agit de multiplier par quatre la définition des images, ce qui sera particulièrement utile tant pour les grands événements sportifs que pour des programmes culturels ambitieux. Ici aussi, l'objectif est de lancer ces services dès l'été – dès le prochain Tour de France. Le processus de mise en place a déjà été engagé par le Gouvernement et par le CSA.

L'enjeu de tout cela – le progrès technologique n’étant qu’un vecteur, et non une fin en soi – est avant tout culturel. Il est essentiel que l'innovation technologique bénéficie à la création. Je suis le ministre de la culture et de la communication !

M. Christian Paul – Quel chemin de Damas !

M. le Ministre – Le basculement au numérique devant avoir lieu en 2008, les chaînes qui avaient été autorisées à diffuser en mode analogique plus longtemps – jusqu'à 2012 pour TF1 et M6 et 2010 pour Canal Plus – auront droit à une chaîne supplémentaire, en compensation du préjudice subi. Ce choix est un choix réfléchi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Didier Mathus – Et scélérat !

M. Frédéric Dutoit – Un gros cadeau à vos amis !

M. le Ministre – Que n'aurait-on dit si l'État avait fait le choix d'une indemnisation financière ? Les chaînes compensatoires, qui entreront en jeu lorsque la diffusion analogique sera terminée, seront assujetties à des « obligations particulières de soutien à la création audiovisuelle et cinématographique », selon l'expression de votre commission des affaires culturelles. Ces dispositions, la gauche en 2000 ne les avait pas prises !

M. Michel Françaix – Heureusement !

M. le Ministre – Les chaînes supplémentaires affectées n’avaient pas donné la moindre contrepartie en termes de création audiovisuelle et cinématographique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je demande donc aux donneurs de leçons d’avoir un peu de mémoire.

Je tiens à rappeler que la création audiovisuelle et cinématographique est aujourd'hui intégralement financée par les trois chaînes privées historiques, qui ont investi en 2005 plus de 485 millions…

M. Michel Françaix – Avec ce qu’ils reçoivent en publicité, c’est la moindre des choses !

M. le Ministre – …alors que les nouveaux entrants de la télévision numérique terrestre consacrent en tout moins de 16 millions à la production française. J’espère que cela changera. L'extinction de la diffusion analogique ne peut se traduire en France par une réduction du financement de la production. C'est une question de diversité culturelle.

C'est aussi une question d'emplois dans ce secteur emblématique de notre rayonnement culturel et artistique dans le monde. Le CSA tiendra compte, pour l'autorisation des services de télévision mobile personnelle, de leurs engagements en matière de production et de diffusion d'œuvres, ainsi que d’une offre de programmes adaptée à ce support. Par ailleurs, télévision mobile comme télévision en haute définition participeront au financement de la création audiovisuelle et cinématographique par une majoration de la taxe acquittée par les chaînes de télévision et affectée au compte de soutien à l'industrie des programmes. C’est là que se forge le lien entre audiovisuel et création. Enfin, l'une des clefs de la vitalité de notre production cinématographique et audiovisuelle réside dans l’action du Fonds de soutien du Centre national de la cinématographie, qui finance la production d'oeuvres françaises ou européennes à valeur artistique, culturelle et patrimoniale, grâce à une contribution assise sur des programmes de tous genres et de toutes nationalités. En contrepartie de cette contribution à la production, les recettes perçues auprès des spectateurs ou téléspectateurs sont soumises à des taux réduits de TVA.

L'accès à certains programmes – films, dessins animés ou documentaires notamment – constitue un motif essentiel pour souscrire à une offre par satellite, par câble ou par Internet. Les distributeurs de ces services numériques développent fortement leur activité et leur chiffre d'affaires. Or, les plateformes satellitaires, opérateurs du câble et fournisseurs d'accès à Internet ne sont pas soumis à une contribution à la production. Votre commission des affaires culturelles propose donc d’étendre la contribution au Fonds de soutien, qui ne porterait pas sur les activités de réseau mais uniquement sur la distribution des services de télévision. Les distributeurs pourront donc bénéficier du taux de TVA réduit. Ils aideront le secteur à se développer. Ils assureront son alimentation en œuvres européennes et bénéficieront du compte de soutien.

Affirmer que la réforme serait un nouvel impôt Internet, payé par les consommateurs, n’est rien d’autre que de la désinformation. Il n’est pas question d’une taxe sur les internautes, sachez-le ! Ceux qui affirment cela oublient par ailleurs de mentionner qu'ils bénéficient d'un taux réduit de TVA. Si la TVA passait au taux plein, le coût serait supporté par les consommateurs, qui devraient payer beaucoup plus cher leur abonnement à Internet. Il est donc essentiel de préserver le taux réduit en l'assortissant d'une contrepartie légitime en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique française – à la charge des distributeurs, et non des consommateurs. Tel est le sens de la réforme proposée. La nouvelle assiette de cette contribution au compte de soutien, car il s'agit bien d'une nouvelle assiette et non d'une nouvelle taxe, respecte totalement le principe d'équité et de non-discrimination entre diffuseurs et distributeurs de programmes de télévision. Je salue tout particulièrement le travail accompli à ce sujet par votre commission des affaires culturelles.

La création audiovisuelle et cinématographique française n'existe que grâce à un système de financement spécifique organisé par l'État. C'est pourquoi il est vital d'adapter ce modèle à l'ère numérique, de contribuer au financement des œuvres multimédia notamment. Il serait paradoxal de ne pas agir dès aujourd'hui, alors que notre modèle est une référence pour tous les pays soucieux de préserver la diversité culturelle, et qu'il vient d'être validé par la Commission européenne pour les supports traditionnels.

Ce projet de loi renforce la diversité culturelle pour les auteurs et tous ceux qui contribuent à la création et à la production des œuvres. Ces dispositions s'inscrivent dans le droit fil de l'ensemble de ma politique au service de cette diversité – je pense notamment aux crédits d'impôt qui ont permis de « relocaliser » des tournages dans notre pays et ont contribué à soutenir l’emploi. Je souhaite que le crédit d'impôt en faveur de la création de jeu vidéo, qui vous est proposé par le président et le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, soit adopté pour soutenir cette nouvelle forme de création culturelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ce texte permettra à tous les Français d'avoir accès à la télévision numérique.

M. Michel Herbillon – Très bien !

M. le Ministre – Il élargira leur offre d'information et leur garantira un plus grand pluralisme. Il apportera enfin de nouvelles ressources pour notre création audiovisuelle et cinématographique à l'heure du numérique. Je compte sur vous pour nous permettre de tenir ces engagements. Il y va non seulement de la diversité culturelle, mais aussi de la cohésion sociale, d'un meilleur fonctionnement de notre démocratie et de la place de la France au sein de la société de l'information, dans l'ère numérique qui s’est ouverte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur de la commission des affaires culturelles – Ce projet de loi, examiné par le Sénat du 20 au 22 novembre dernier, crée le cadre juridique nécessaire pour assurer le basculement total de l’analogique vers le numérique avant le 30 novembre 2011 et fixe les conditions du développement de la télévision haute définition et de la télévision mobile personnelle. Il répond à l’objectif fixé par le président de la République de faire de la France un pays phare dans le domaine des technologies de la télécommunication – ADSL, haute définition, et, demain, très haut débit, téléphonie de troisième génération et télévision mobile personnelle. Il concerne de très nombreux acteurs, issus du monde de la culture, de l’audiovisuel, des télécommunications et des nouvelles technologies.

Très attendu, il fait globalement consensus, comme j’ai pu le constater au cours des 54 auditions que nous avons menées conjointement avec le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et qui étaient ouvertes à l’ensemble des membres des deux commissions. Nous avons entendu plus de 130 personnalités qui, toutes, ont souligné l’importance de ce texte pour l’avenir de l’audiovisuel et le développement des nouvelles technologies dans notre pays.

Son enjeu est triple : démocratique, culturel et industriel. Démocratique tout d’abord. Comme l'a rappelé le ministre devant la commission, le basculement complet ne sera possible que si chaque Français peut recevoir la TNT, ce qui exige un effort en matière de couverture du territoire et d’équipement. Vingt-deux mois après son lancement, la TNT est déjà un formidable succès. Selon le groupement TNT, de mars 2005 à janvier 2007, près de sept millions de récepteurs ont été vendus ou mis à disposition, si bien qu’en janvier 2007, 19 % des foyers français peuvent recevoir les chaînes de la TNT. Afin d’éviter toute fracture numérique, il importe que tous les citoyens, quels que soient leurs revenus, puissent recevoir la TNT. Cette légitime exigence impliquera un soutien financier modulé au bénéfice des téléspectateurs les moins aisés.

L’enjeu culturel ensuite. Le passage au numérique sous toutes ses formes doit préserver les grands équilibres économiques du monde de l'audiovisuel : la TNT, la TVHD et la TMP doivent en particulier contribuer au développement de la création audiovisuelle et cinématographique. Tel était déjà l'objectif des dispositions initiales du texte, notamment de la majoration de la taxe affectée au compte de soutien à l'industrie des programmes, acquittée par les chaînes de télévision et assise sur leurs recettes publicitaires pour les services en TMP et en TVHD. Le Sénat les a largement améliorées et je compte également faire des propositions en ce sens. Avec mon collègue Dominique Richard, je plaide pour une réforme ambitieuse du compte de soutien qui prenne mieux en compte les nouveaux acteurs du secteur, que sont notamment les fournisseurs d'accès à Internet. Par ailleurs, le développement des offres de programmes en HD doit contribuer à la préservation de la diversité culturelle. Il convient de se mobiliser en ce sens car les offres de programmes documentaires en HD tendent aujourd'hui à se concentrer autour des acteurs américains, Discovery et National Geographic. La France doit retrouver un rôle moteur dans ce secteur.

L’enjeu industriel enfin. Le projet de loi apporte le cadre juridique nécessaire au développement de nouveaux services en TVHD et TMP. La TMP permettra demain au spectateur, où qu'il se trouve, de regarder la télévision sur son téléphone ou sur tout autre terminal de poche. Les perspectives commerciales et industrielles sont encourageantes : la TMP pourrait générer en Europe un marché de plus d'un milliard d'euros de revenus dès 2010. La France doit pouvoir, elle aussi, développer ses capacités techniques et créatives dans ce secteur. Dans le domaine de la TVHD, les industriels européens sont bien positionnés pour profiter du nécessaire renouvellement de la chaîne de fabrication des contenus.

Alors que le projet de loi initial comportait 18 articles, il en compte 29 après son examen au Sénat. La Haute Assemblée a créé une commission du dividende numérique, comprenant des parlementaires et chargée de veiller à la réaffectation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique, après transfert des services existants en numérique. Il a ouvert la possibilité d'une diffusion intégrale et simultanée en analogique et en numérique dans des conditions simplifiées pour les télévisions locales, qu’il faut aider. Il a porté la couverture de la TNT à 95 % du territoire. Il a obligé tous les éditeurs de chaînes de la TNT à mettre leur offre en commun à disposition d'un distributeur de services par voie satellitaire.

M. le Rapporteur – Le Sénat a également conditionné l'attribution d'un canal compensatoire aux éditeurs historiques à des engagements particuliers en matière de diffusion et de production cinématographique et audiovisuelle d'expression originale française et européenne.

M. Christian Paul – Quelle arnaque !

M. le Rapporteur –  Il a prévu que les nouvelles chaînes ne pourront commencer à émettre qu'à compter du 30 novembre 2011. Il a obligé les industriels et les distributeurs d'équipement électronique grand public à informer, de manière détaillée et compréhensible, les consommateurs sur la capacité des récepteurs à recevoir des signaux numériques, notamment en HD. Il a prévu une campagne nationale d’information des consommateurs sur les conséquences de l'extinction de la diffusion analogique. Il a supprimé la priorité accordée aux chaînes de la TNT en TMP. Il a prévu qu'en cas de diffusion d'événements d'importance majeure – finales de grands événements sportifs, Jeux olympiques,… –, aucun contrat d'exclusivité ne pourra faire obstacle à la reprise intégrale et simultanée du service sur un autre réseau de communications électroniques. Il a défini la notion d'œuvre audiovisuelle, en précisant que la contribution des éditeurs de services au COSIP doit comporter une « part significative » dans la production d'œuvres de fiction, d'animation, de documentaires de création et de captation ou de récréation de spectacles vivants. Enfin, il a confié au CSA un pouvoir de régulation en matière de numérotation des chaînes, et plus largement, la mission de veiller au caractère « équitable et homogène » de l'exposition des services de télévision sur les offres des distributeurs.

Avant de faire état des améliorations que notre commission propose à son tour, je tiens à souligner le rôle majeur du CSA, d'une part, dans la modernisation de la diffusion audiovisuelle, d'autre part, dans la mise en œuvre de la télévision du futur. À cet égard, je m'inquiète de la stagnation de ses moyens financiers et humains. Ses missions, nombreuses, ne cessent de croître depuis quelques années, comme le souligne régulièrement notre collègue Martin-Lalande dans ses rapports budgétaires sur la mission « Médias ». Le décalage est grand entre les attentes grandissantes à l'égard de cette autorité indépendante et le caractère limité de ses moyens budgétaires. Entre 1992 et 2007, les dotations du CSA sont passées de 30,38 à 33,94 millions d'euros, soit une progression de 11,7 % en euros courants, mais une baisse de près de 15 % en euros constants ! Ce décalage entre les missions et les moyens du CSA risque de s'aggraver encore après l'adoption du présent projet de loi, qui accroît encore son rôle. Il conviendrait d’adapter en conséquence ses moyens humains et financiers, afin qu'il puisse remplir pleinement et efficacement son rôle.

Les amendements adoptés par la commission, dont certains l'ont été à l’unanimité, visent principalement à mieux distinguer les décisions que le Premier ministre devra prendre dans le cadre, d'une part, de la réutilisation du dividende numérique, à laquelle sera associée la représentation nationale, d'autre part, du schéma national d'arrêt de la diffusion analogique, qui obéissent à des calendriers distincts. Un de ces amendements renvoie au CSA le soin d’établir le calendrier et de définir les modalités selon lesquelles les éditeurs de services de télévision analogique nationaux en clair devront couvrir, en numérique, 95 % de la population française. Je préciserai, pour ma part, que les programmes de toutes les chaînes de la TNT devront être accessibles sur une même offre par satellite. Je lèverai également une ambiguïté en permettant à tout type d'opérateur satellitaire de proposer cette offre, en ne la limitant donc pas aux seuls distributeurs de services actuels.

Je vous proposerai de clarifier le dispositif qui permettra au bouquet satellitaire d'assurer la réception de l'ensemble des programmes régionaux de France 3.

Un amendement précisera également que les chaînes compensatoires auront des engagements plus importants dans le domaine de la production et de la diffusion d'œuvres que les chaînes actuellement autorisées.

Dans le domaine du « service antenne » assuré par les câblo-opérateurs, la commission a instauré une obligation d'information en assemblée générale de copropriété, ainsi que des propriétaires par les syndics et des locataires par les propriétaires.

Il a également été prévu que tous les téléviseurs commercialisés douze mois après la promulgation de la loi devraient être compatibles avec la réception de la TNT.

Je souhaite aussi encourager, par la création d'une labellisation spécifique, la réception sur les terminaux de la TMP des services gratuits de radio numérique diffusés selon une norme différente de celle retenue pour la TMP.

S'agissant du débat autour des « écrans noirs », un amendement précisera qu'un service de télévision diffusé en hertzien classique ne peut se voir opposer des droits d'exclusivité qui feraient obstacle à sa diffusion simultanée, en intégralité et sans changement, en TMP, quel que soit l'opérateur du réseau de TMP.

S'agissant de la définition de l'œuvre, la commission a décidé d'intégrer les vidéo-musiques dans le sous-quota des œuvres définies comme patrimoniales.

Enfin, sur proposition conjointe de Dominique Richard et de moi-même, la commission a décidé de refondre le calcul de la taxe affectée au COSIP en la répartissant entre éditeurs et distributeurs de services de télévision, ce qui permettra notamment de faire participer les fournisseurs d'accès à Internet au développement de la création dans notre pays.

Ce projet constituant une base solide pour le développement de la télévision et des services dans notre pays, la commission vous invite à l’adopter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Ce projet de loi revêt une grande importance, parce qu’il concerne une technologie d’avenir, la diffusion hertzienne en mode numérique, et qu’il touche, avec la télévision, à un élément essentiel de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le basculement vers la télévision numérique terrestre d’ici à 2011 doit concerner tous les Français, conformément aux vœux du président de la République. La télévision de haute définition et la télévision mobile personnelle, si elles s'inscrivent dans des perspectives de déploiement moins immédiates, sont appelées elles aussi à se développer. La découverte par le consommateur du confort visuel procuré par la haute définition rehaussera ses exigences quant à la qualité de diffusion et incitera les chaînes à s'aligner sur la haute définition. La télévision mobile personnelle, de son côté, occupera une place comparable à celle du transistor, en permettant de suivre des programmes malgré les déplacements.

Ce projet de loi prépare donc deux vagues d'innovation technologique qui doivent, l’une après l’autre, finir par toucher tous les Français. Toucher tous les Français, cela veut dire d'abord toucher toutes les générations ; à cet égard, une action de soutien envers les personnes âgées me paraît essentielle au succès de la TNT. Les personnes âgées constituent une population à la fois très consommatrice de télévision et peu accessible aux opérations pratiques de mise à niveau de leurs équipements. Il faut donc absolument que le langage des structures de pilotage de ces évolutions – le schéma national d'arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique, le groupe d'intérêt économique chargé de mettre en œuvre les mesures d'accompagnement, le fonds d'aide pour l'acquisition d'équipements de réception –, leur consacrent une attention particulière.

Il est essentiel également que ces nouvelles vagues technologiques ne créent pas, une nouvelle fois, des laissés-pour-compte dans les territoires ruraux. Dans le passé, les différentes chaînes de la télévision analogique ont mis longtemps à atteindre les campagnes. Plus récemment, il a fallu soutenir une bataille volontariste pour que la téléphonie mobile et l'Internet à haut débit soient accessibles dans les zones à faible densité de population. La fracture du haut débit s'est réduite grâce à des dispositifs spécifiques et à la mise à contribution des collectivités territoriales ; je saluerai à cet égard la réussite du conseil général de la Corrèze dans la réduction de ses zones blanches. (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Les territoires ruraux doivent être dès l’origine au cœur du projet de déploiement de la TNT. Notre commission soutient un objectif de couverture de 100 %, qu’elle a souhaité inscrire dans un article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986. Pour cela, tous les moyens disponibles doivent être utilisés. La diffusion hertzienne terrestre restera le moyen principal ; le Sénat a assigné aux chaînes historiques en clair un objectif de couverture national d'au moins 95 %. La voie satellitaire assurera un complément utile dans toutes les zones où les habitants sont déjà équipés de paraboles. Mais il serait dommage de ne pas recourir aux autres solutions techniques disponibles, notamment à la distribution par voie filaire. Notre commission a donc voulu tenir compte de l'expérience menée par certaines collectivités territoriales en vue de compenser l'absence d'offres de raccordement au haut débit sur leurs territoires en créant un service public local de communications électroniques ; il s’agit de reconnaître ce canal pour la diffusion la TNT.

Il est ainsi souhaitable que la technologie du « triple way », qui permet de fournir un service de télévision sur la base d'une connexion Internet à débit suffisant, puisse être utilisée, si elle est disponible, pour fournir un accès à la TNT. Les zones enclavées vis-à-vis du haut débit étant souvent des zones difficiles à desservir par voie hertzienne terrestre, il importe que les opérateurs amenés à intervenir dans le cadre de services publics locaux de communications électroniques ne puissent se voir opposer un refus de reprise de leurs services par les chaînes hertziennes en clair.

Toujours avec le souci des territoires ruraux, notre commission a également pris position sur la reprise des déclinaisons régionales de France 3. Les informations régionales contribuent fortement à la vie des territoires, assurant ainsi une forme de service public local. C’est pourquoi la plate-forme satellitaire, installée pour assurer un complément de couverture à la TNT, doit être utilisée pour assurer une diffusion sur toute la France de l'ensemble des vingt-quatre déclinaisons régionales de France 3 ; et nous souhaitons à cet égard aller plus loin que le dispositif adopté par le Sénat, qui garantit les moyens nécessaires dans « chaque zone concernée » seulement.

L'importance des émissions régionales pour les populations rurales justifie d’étendre les possibilités d'accès aux déclinaisons régionales de France 3 en élargissant à leur profit les diverses possibilités de reprise sur les plates-formes disponibles. Ainsi, notre commission a adopté un amendement ouvrant la voie à une négociation avec les différents distributeurs, en particulier CanalSat. Ce dispositif complète le mécanisme de transport obligatoire institué par la loi de 1986, qui restera réservé aux huit chaînes publiques nationales.

La révolution technologique portée par ce projet de loi bénéficie effectivement au monde des campagnes et milite pour que soit réservée une place aux télévisions locales.

M. Michel Françaix – Il y a du boulot !

M. le Rapporteur pour avis – Notre pays connaît, en matière de télévisions locales, un retard important. Alors que 25 chaînes locales hertziennes sont aujourd'hui autorisées en France, elles sont près d'un millier en Espagne, 600 en Grande-Bretagne ou en Italie. Or, si l'article 5 du projet prévoit, pour les chaînes locales hertziennes analogiques, un droit de diffusion intégrale et simultanée en mode numérique, il ne garantit aucune reprise en réception mobile. Pourtant, permettre aux télévisions locales d'être présentes sur ce nouveau créneau, c'est offrir à la télévision de proximité une possibilité de combler en partie son retard. La mobilité va de pair avec la proximité, et l'association des deux peut donner naissance à des services novateurs en matière d'information pratique ou de production d'émissions concourant au renforcement du lien social ou au désenclavement. La TMP peut être également un outil d'alerte en cas de risques – alertes météo, catastrophes naturelles, disparitions de personnes… –, dans des territoires peu peuplés où l'information circule moins facilement. D’ailleurs, il est prévu que les collectivités territoriales puissent mener des expérimentations de télévision de proximité dont l'un des vecteurs de diffusion sera la télévision mobile personnelle.

À la faveur des évolutions technologiques, les deux mondes de l'audiovisuel et des télécommunications découvrent qu'ils doivent travailler ensemble. Les opérateurs de communications électroniques ont besoin des contenus audiovisuels pour valoriser leur offre, tandis que les producteurs de l'audiovisuel ont besoin des supports nouveaux de communications électroniques pour élargir leurs perspectives commerciales. Ce projet de loi représente la première occasion d'approfondir cette découverte réciproque. Le dialogue s'est effectué dans un climat serein, et il convient de saluer les deux rapporteurs du Sénat, MM. de Broissia et Retailleau, pour avoir su désamorcer toutes les tensions, notamment autour de l'article 10 relatif au « multiplex » de la TMP.

M. Christian Paul – Il n’y a donc plus de problèmes !

M. le Rapporteur pour avis – Avec mon collègue Hamelin, nous estimons nécessaire la promotion de la norme Mpeg-4 par les pouvoirs publics, afin que chacun puisse recevoir tous les programmes de la TNT, y compris en haute définition.

L'examen de ce projet de loi est l'occasion d'une double réconciliation : celle des territoires ruraux avec les nouvelles technologies ; celle des professionnels des télécommunications avec ceux de l'audiovisuel. Je suis convaincu que cette double occasion de progrès permettra de convertir en succès la mise des technologies numériques au service de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

EXCEPTION D’irrecevabilité

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Christian Paul – Organiser la télévision du futur était l’ambition de ce texte. Je cite rarement Bill Gates dans cet hémicycle, mais puisque Nicolas Sarkozy cite Jaurès, je peux pratiquer le contre-pied.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires sociales – Le maire de Lyon est un grand ami de Bill Gates !

M. Christian Paul – « La télévision que nous connaissons aujourd'hui nous fera bien rire dans cinq ans », a déclaré à Davos le prophète de Microsoft, augurant ainsi de la formidable mutation en cours. Et il n’a pas tort, cette fois-ci.

Dans ce projet, comme dans d'autres avant celui-ci, le Gouvernement démontre que le lyrisme technologique peut se doubler d'une vision politique archaïque et contestable. Accompagner le passage de la France aux technologies numériques aurait pu constituer une très belle aventure industrielle et culturelle. Mais les choix qui nous sont proposés recèlent de telles erreurs d'appréciation, un tel déficit d'avenir qu'ils appellent une opposition déterminée de notre part.

Loin de donner le signal d'une nouvelle diversité audiovisuelle, loin de pérenniser le financement de la création et de tracer les contours de la télévision du futur – une télévision à la demande, bien moins verticale et linéaire, beaucoup plus déconcentrée –, votre projet promeut des avancées purement technologiques. La télévision que vous défendez doit être zappée dès le générique d'ouverture !

Il serait aisé de faire porter la critique sur la procédure d'urgence. Plusieurs sujets que nous allons aborder auraient mérité d'être évoqués bien plus tôt au cours de cette législature. Comme souvent, quand des choix de société s'additionnent à des débats techniques complexes, vous choisissez l'urgence. Nous avons tous en mémoire un redoutable précédent : la discussion du projet sur les droits d'auteur dans la société de l'information, au cours de laquelle vous aviez prétendu que les plates-formes de vente en ligne verrouillées allaient sauver la musique. Un an plus tard, la réalité a dépassé cette conception bien étroite de l'accès à la culture…

Or, les modèles uniques de pensée conduisent toujours aux mêmes échecs. À force de vous concentrer sur la défense à court terme des modèles dominants, vous faites l'impasse sur les nouveaux usages de l'image, en particulier sur Internet, si bien que vous n’accordez aux chaînes de télévision traditionnelles qu’une sécurité bien illusoire. En refusant d'écouter et de regarder la société, en cédant à quelques lobbies, le Gouvernement emprunte une bien mauvaise voie. Favoriser le passage au numérique, à la TNT et à la TMP, n’a rien de condamnable, bien au contraire. Mais si nous vous suivions, la télévision resterait un média unidirectionnel, contrôlé par quelques grands groupes qui cantonnent le service public à un simple rôle de figurant.

La convergence à l'âge numérique n’étant pas seulement une réalité technique, mais aussi une mutation sociétale et culturelle, il ne suffira pas d’uniformiser les normes et les standards. Alors que le standard analogique protège encore la télévision, les canaux de diffusion et les terminaux se multiplient, tandis que les contenus audiovisuels migrent peu à peu vers les réseaux de l’Internet. Selon le rapporteur de ce texte au Sénat, 36 % des adaptateurs TNT seraient déjà intégrés aux ordinateurs et aux boîtiers des fournisseurs d'accès pour leurs offres « triple play »… La convergence entre les mondes de l'Internet et de la télévision se produit donc sous nos yeux à toute vitesse.

Il vous appartient, Monsieur le ministre, de rendre ce mariage technologique heureux et durable, profitable à tous, en particulier aux industries du cinéma et de l'audiovisuel, qui sont les fers de lance de l'exception culturelle. Comme hier avec le projet de loi sur les droits d'auteur, nous sommes malheureusement bien loin du compte, même si quelques amendements déposés au Sénat ont permis de donner un certain relief à un texte bien aseptisé.

Ce que la musique a vécu depuis cinq ans, l'image, l'audiovisuel et la télévision vont le vivre au cours des dix prochaines années, qui verront Internet devenir le média de référence. Or, nous connaissons tous le potentiel de déstabilisation des modèles économiques que cela comporte. Ce matin encore, nous avons appris que la publicité avait augmenté de 48 % sur Internet en 2006, contre 9 % sur les chaînes de télévision…

N’oublions pas non plus que le rapprochement technologique entre la télévision traditionnelle et l'Internet n'est qu'une apparence, les réseaux concernés divergeant fondamentalement. La télévision demeure en effet linéaire et concentrée entre quelques mains pour des raisons économiques et physiques – la rareté du spectre des fréquences ; elle est également suivie passivement par des millions de récepteurs. À l’inverse, l'Internet fonctionne par essence de pair à pair : chaque nœud est théoriquement égal aux autres, étant à la fois émetteur et récepteur.

Avec le développement de YouTube et de DailyMotion, nous avons vu au cours des derniers mois les prémices de la télévision du futur : des millions d'individus produisent, avec des moyens réduits, mais souvent avec grand talent, des courts métrages qui sont ensuite diffusés en ligne. Voilà un formidable moyen d'expression, auquel tous les partis politiques recourent déjà intensément pour la campagne électorale qui commence. Mais ce n'est qu'un début, car l'étape suivante se dessine déjà à travers Joost, c’est-à-dire avec la télévision en P2P. Si Joost dépend encore de serveurs centraux de diffusion, nul doute qu’il apparaîtra bientôt des systèmes de diffusion audiovisuels recourant exclusivement au P2P. Il en résultera une onde de choc aussi puissante que celles qui ont été déclenchées par SkyPe et Kazaa. Nous ne pourrons pas endiguer une telle vague, pas plus que nous ne pourrons limiter les autres utilisations du P2P…

Nous pouvons en revanche canaliser toutes ces évolutions, notamment en définissant de nouvelles rémunérations qui seront prélevées sur de nouveaux acteurs. À l’exemple des autres distributeurs de télévision, les fournisseurs d'accès Internet doivent contribuer au financement des comptes de soutien à la création. Encore faut-il pour cela de la concertation et de la pédagogie.

M. Dominique Richard – Elle a eu lieu, cette concertation !

M. Christian Paul – En brûlant toutes les étapes, vous avez réussi à faire croire aux internautes qu'ils allaient devoir acquitter une nouvelle taxe.

M. le Ministre – Vous savez bien que c’est faux !

M. Christian Paul – Nous attendions du gouvernement qu'il règle les problèmes du court terme tout en anticipant les mutations en cours. Comment pouvez-vous tout miser, une fois de plus, sur le contrôle des éditeurs de services de télévision ? Ils ne seront plus nécessairement localisés sur notre territoire, et ils risquent d’être en grand nombre, même si quelques grands canaux de masse surnageront probablement, comme toujours… Faisons plutôt le pari du soutien à la production française et européenne de qualité dans tous les nouveaux formats ! Il faut de toute urgence rendre les aides à la production accessibles au plus grand nombre, que les œuvres soient créées en vue d'une diffusion en salle, à la télévision ou sur Internet. Voilà ce que le groupe socialiste vous proposera.

En menant une telle politique, nous soutiendrions en outre la diversité culturelle, tout en favorisant la création de nouvelles « chaînes locales ». Il reste en effet long et coûteux de diffuser localement une chaîne de télévision traditionnelle, tandis que le développement d’une WebTV réduit drastiquement les coûts. Il revient donc au Parlement d'adapter le cadre réglementaire en ce sens. Saisissons toutes les occasions de soutenir la diversité. Comme les sénateurs l’ont parfaitement compris, le bilan très contrasté de la TNT en matière de nouvelles productions françaises et européennes nous y engage.

Vous qui disposez des moyens de l’État, il vous appartenait, Monsieur le ministre de la culture, de voir plus grand, de penser en termes plus globaux et de présenter un véritable plan, propre à stimuler la diversité et transférer progressivement les points de contrôle des éditeurs aux distributeurs. Vous avez au contraire choisi d'octroyer, en créant des chaînes bonus, une prime exorbitante à quelques grands opérateurs commerciaux historiques, au risque de violer les principes de notre Constitution.

C'est en effet une décision totalement opportuniste que vous proposez à la majorité, s’il en est une pour voter ce texte. Il n’existe aucune forme de consensus sur ce sujet, le CSA ayant émis des doutes sur « la proportionnalité des avantages prévus en faveur des chaînes nationales analogiques et [sur] le respect des principes constitutionnels de pluralisme et d'égalité », tandis que l'ARCEP s'est élevée contre la libéralité que vous proposez : « offrir une chaîne bonus aux chaînes existantes aurait pour effet de renforcer la préemption du dividende numérique ». Ajoutons que le Conseil d'État a pudiquement fermé les yeux sur ce point…

M. le Rapporteur – Pas du tout ! Il a émis un avis favorable.

M. Christian Paul – Il n’a aucunement indiqué que l’attribution de trois chaînes bonus était nécessaire à l’équilibre de ce texte. Rapporteur du Sénat, Louis de Broissia indiquait que le passage au numérique ramènerait les coûts annuels de diffusion d'une chaîne d'environ 52 à 8 millions d'euros : la corbeille des mariées était donc loin d’être vide… Il ne faut pas non plus oublier que les chaînes historiques disposent déjà de moyens bien supérieurs à ceux des nouvelles chaînes de la TNT.

Pour toutes ces raisons, j’appelle la majorité à se révolter contre une décision aussi critiquable et aussi entachée du soupçon de complaisance. Que nous proposez-vous, sinon de violer les principes d'égalité et de pluralisme ? Au moment où il est beaucoup question de «République irréprochable », il faudrait que le gouvernement commence par se montrer équitable et impartial. À la veille d'élections nationales, vous vous apprêtez à distribuer des canaux de télévision comme on distribue des caramels en vue de s'attirer des faveurs. Votre seule innovation est d’inventer le soutien aux positions dominantes !

M. Michel Français – Très bien.

M. Christian Paul – N’est-ce pas là une rupture flagrante du principe d'égalité ? Vous vous abritez derrière la compensation du coût engendré par l'extinction de la diffusion analogique et par les investissements nécessaires, tous arguments réfutables : après avoir déjà reçu une chaîne bonus en 2005 lors du lancement de la TNT, les chaînes historiques bénéficient d’une prorogation de cinq ans des autorisations de diffusion en mode numérique ; les opérateurs dominants sont mieux armés que quiconque, notamment pour des raisons purement financières, dans leur migration vers le numérique ; le principe d'égalité s'apprécie à situation identique et selon le caractère « historique » des acteurs présents sur un marché ; la surcompensation que vous instaurez laisse de côté l'opérateur public.

Il reviendra au Conseil constitutionnel de se prononcer le moment venu, puis les autorités européennes apprécieront la distorsion de concurrence que vous allez introduire au profit des opérateurs les plus puissants du marché, mais tout indique que vous comptez accorder, de façon intentionnelle, un avantage disproportionné et un privilège discriminatoire.

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a maintes fois rappelé que la « la délivrance des autorisations de diffusion reste subordonnée à l'exigence de pluralisme », le groupe socialiste a donc déposé des amendements anti-concentration, ainsi qu’un amendement destiné à rétablir l'indépendance des chaînes à l'égard des groupes prospérant grâce à la commande publique.

Considérant que le fait du prince n'a pas sa place à l'Assemblée nationale, nous déplorons que ce gouvernement cherche à disposer du bien commun de façon discrétionnaire, dans le seul but de satisfaire des intérêts particuliers. C'est une expropriation du bien public que vous nous proposez.

Notre patrimoine audiovisuel, déjà constitué des fréquences hertziennes, dont l’attribution a fait l’objet de batailles au début des années 1980, s’enrichit grâce à la libération des fréquences avec le passage de l’analogique au numérique : le « dividende numérique ». Or, s’il y a dividende, tous les Français en sont détenteurs ! Reconnaissons la qualité de bien commun à cette notion immatérielle. Avant que des décisions irréversibles soient prises, il aurait fallu mener un véritable débat national : que devons-nous faire de ces fréquences ? Quid de la télévision numérique, de la téléphonie mobile de 3e ou 4e génération, mais aussi de la télévision mobile et du Wimax, urbain ou rural ?

Le dividende numérique a ceci de particulièrement précieux qu'il comprend des fréquences dites « en or », c’est-à-dire celles qui offrent les meilleures conditions de propagation. Alors que de grandes parties du territoire national sont encore des zones de téléphonie mobile « blanches » – aucun opérateur ne les couvre – ou « grises » – elles sont couvertes par un seul opérateur – et que l'Internet haut débit est loin d'être une réalité pour l'ensemble de nos concitoyens, il est inconcevable de gaspiller la précieuse ressource spectrale pour des chaînes bonus, en échange de bons procédés pendant la campagne présidentielle. Cette ressource serait bien mieux utilisée pour assurer la couverture universelle du territoire par au moins un réseau de téléphonie mobile et un réseau de communication électronique haut débit. Je vous proposerai d’ailleurs de graver cet objectif dans la loi même si je sais bien que c’est nous qui devrons le faire, plus tard.

La fracture télévisuelle frappe également certaines régions frontalières, pourtant densément peuplées et bien desservies par les réseaux de communication fixes. Afin de tirer partie de tous les réseaux à notre disposition pour acheminer la télévision, et plus particulièrement de permettre aux fournisseurs d'accès Internet d'intégrer les chaînes hertziennes gratuites à leur offre sans négocier pendant des années, nous proposerons d'inscrire dans la loi une interdiction pour les services de télévision à accès libre diffusés en clair de s'opposer à la reprise intégrale et simultanée de leur offre de programmes. Elle permettra à tous les internautes des zones où le spectre est trop encombré de recevoir la télévision dans de bonnes conditions.

Réduire les fractures numériques, assurer l'égalité des citoyens devant l'accès à l'Internet haut débit devrait être l'une des priorités du Gouvernement. Alors qu'une incroyable effervescence créatrice se déploie sur l'Internet, il est particulièrement choquant que les territoires les plus isolés – qui sont souvent aussi les moins bien dotés financièrement – doivent eux-mêmes financer le développement de réseaux haut débit.

S’il est louable de mettre en place un fonds d'aide à l'achat d'équipements de réception par les plus modestes, son abondement n’est en rien garanti. Une fois de plus le Gouvernement se défausse de ses charges sur les collectivités – et ces charges seront très lourdes, notamment pour les collectivités de montagne qui devront subventionner l'achat massif d'équipements de réception satellitaire. Qu’il est facile d'être généreux avec l'argent des autres !

L’interopérabilité est un principe fondateur pour la civilisation numérique. Vous aviez déjà amplement démontré la conception réductrice que vous en avez à l'occasion de l'examen du projet sur les droits d'auteur. Vous faites aujourd'hui un pas de plus, mais en arrière, en proposant de la supprimer pour la télévision payante et la télévision mobile personnelle, alors que l'interopérabilité, c'est la garantie que les données sont représentées d'une manière connue de tous et que le développement d'outils de lecture et d'écriture est accessible à tout un chacun ! Défendre l'interopérabilité, c'est aussi défendre les droits de lire, de s'exprimer et de proposer de nouveaux produits innovants compatibles ! Au lieu de l’affaiblir, il faut la renforcer. La loi de 1986 n'impose que l'utilisation de technologies accessibles dans des conditions « raisonnables et non discriminatoires », ce qui empêche les développeurs de logiciels libres de proposer des produits compatibles impliquant le plus souvent un paiement de licence ou le respect d'un engagement incompatible avec la nature du logiciel libre. Nous ne voulons pas que la télévision favorise l'instauration de nouveaux monopoles abusifs. Pour garantir l'interopérabilité, nous proposerons donc que des standards ouverts soient dorénavant utilisés en matière de télévision.

Je ne partage pas toutes les conclusions du rapport Lévy sur l'économie immatérielle mais il a le mérite d'alerter sur le risque d’affecter les fréquences et, demain, le dividende numérique aux services télévisuels sans fonder cette répartition sur une analyse objective des différents usages. La régulation du spectre des fréquences réclame une vraie stratégie nationale.

Voilà donc un projet focalisé sur des enjeux techniques alors que les enjeux sociétaux sont importants ! Il vise en outre à détourner au passage une ressource rare : les fréquences. Non seulement ce texte ne propose aucune vision d’avenir mais il met à mal des principes essentiels de notre Constitution tout en renonçant à des objectifs fondateurs de la civilisation numérique. Je vous demande donc, au nom du groupe socialiste, de voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Brard – Quel talent !

M. le Président – Je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public sur cette exception d’irrecevabilité.

M. le Ministre – Le respect de la Constitution est essentiel à mes yeux et je n’aurais jamais présenté un projet qui s’inscrirait là contre…

M. Jean-Pierre Brard – Certains exemples passés montrent que vous étiez « limite ».

M. le Ministre – J’ai entendu M. Paul faire de la politique, pas du droit : il n’a pas donné une seule raison justifiant le vote de cette motion. Je prends acte que l’opposition renonce à défendre les métiers culturels et artistiques mais également les sociétés de l’audiovisuel, considérant sans doute qu’elles n’ont plus d’avenir. Tel n’est pas mon avis. J’essaie de faire en sorte que le « dividende numérique » propose certes de nouveaux services mais qu’il permette également de conforter le rôle de l’audiovisuel public et privé tout en favorisant le développement de la création.

M. Christian Paul – Autant de lignes Maginot !

M. le Ministre – Je vous rappelle en outre que certaines dispositions ont été votées unanimement au Sénat, preuve que, sur ce sujet, le consensus est possible.

M. Jean-Pierre Brard – Vous avez circonvenu les sénateurs !

M. le Ministre – Je demande bien entendu à la majorité de ne pas voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Richard – Toute la profession – distributeurs, éditeurs, producteurs, réalisateurs – demande que ce texte soit rapidement adopté.

M. Patrick Bloche – C’est faux !

M. Dominique Richard – Le parti socialiste, lui, veut priver les Français d’un accès généralisé et rapide à la haute définition et à la TMP. Déclarer ce texte irrecevable, c’est le renvoyer aux calendes grecques…

M. Jean Bardet – Quelle exégèse !

M. Dominique Richard – …et ainsi faire prendre un retard irréparable à nos professionnels, notamment par rapport aux grands groupes européens. C’est parce que nous ne le voulons pas que l’urgence s’impose. Nous reviendrons sur les contrevérités que vous avez assénées dans le cadre de l’examen des articles, mais venons-en au fond !

M. Jean-Pierre Brard – D’où vous ne remonterez pas !

M. Dominique Richard – L’UMP veut débattre rapidement et ne votera donc pas cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Dionis du Séjour – L’UDF aurait souhaité un projet consensuel. Si l’exception d’irrecevabilité est souvent le prétexte à des considérations politiques, la question du respect de notre Constitution, en l’occurrence, se pose vraiment. Le « canal bonus » fait l’objet d’une plainte de la part des nouveaux entrants devant le conseil de la concurrence depuis le 10 janvier 2007.

M. Christian Paul – Et M. le ministre qui parle de consensus !

M. Jean Dionis du Séjour – La dimension constitutionnelle du problème est bien réelle, notamment s’agissant de la proportion entre le préjudice pour les chaînes historiques diffusées en analogique et la compensation que le texte prévoit. M. Bayrou viendra lui-même exposer le point de vue de l’UDF (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) .

M. Jean-Pierre Brard – On l’attendait !

M. Jean Dionis du Séjour – La diffusion en analogique doit s’arrêter le 30 novembre 2011 alors que les licences des chaînes historiques courent jusqu’au 30 avril 2012. Faisons coïncider ces deux dates, et le préjudice disparaîtra ! Qu’est-ce qui nous en empêche ? La Commission européenne ? Que nenni, puisque elle-même évoque le début de 2012 ! La maturité technique de l’offre ? Que nenni, les problèmes sont très nombreux à régler et à plus forte raison si l’on veut que la TNT couvre l’ensemble des foyers ! Alors qui ou quoi ? Rien ni personne ! Si M. le ministre maintient la date du 30 novembre 2011, une compensation sera nécessaire mais la Constitution ne permet pas une utilisation exorbitante de l’argent public en la matière. Quelle compensation sera donc équitable ? Celle qui par exemple prendrait la forme d’une durée d’autorisation de diffusion numérique pour les chaînes historiques et non celle de trois chaînes bonus bouleversant le paysage concurrentiel de la publicité audiovisuelle sur la TNT et préemptant des ressources rares dont tout le monde aura besoin !

Comme il existe deux autres risques de contentieux…

M. Christian Paul – Cela va exploser !

M. Jean Dionis du Séjour – …l’un devant le Conseil constitutionnel, l’autre devant la justice européenne, le groupe UDF votera cette exception d’irrecevabilité.

M. Christian Paul – Très bien.

M. Frédéric Dutoit – Le groupe communiste votera bien entendu cette exception d’irrecevabilité pour les raisons excellemment exposées par M. Paul. Je m’arrête néanmoins sur deux d’entre elles en particulier. D’abord cette loi « sur la télévision du futur » est déjà en retard sur l’évolution probable des technologies. Ensuite, le Gouvernement, au mépris de l’égalité des droits garantie par la Constitution, veut faire des cadeaux royaux à des chaînes privées – TF1, Canal Plus et M6 – qui bénéficieront non seulement de chaînes bonus mais d’un traitement de faveur quant aux mannes financières qui sont générées par la publicité. Il est paradoxal que ce soit le groupe communiste qui défende la concurrence libre et non faussée !

M. Jean Dionis du Séjour – Excellent. La grâce descend sur le groupe communiste…

M. Didier Mathus – Dans son exposé argumenté, Christian Paul a tout dit. Mais le silence du Gouvernement et du groupe UMP me laisse un peu interloqué. Le ministre semble avoir honte de défendre ce texte. Il est vrai qu’accorder des chaînes bonus à quelques amis ne suffit pas à faire un projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Celui-ci est inconstitutionnel. On dit que pour prévoir l’avenir, il faut l’inventer. Ce texte n’invente rien, il propose des dispositions patrimoniales…

M. Jean-Michel Dubernard – Quelle démagogie préélectorale !

M. Didier Mathus – …comme si la télévision était un gâteau qu’il faut partager. Pour notre part, nous voulons qu’on pense d’abord aux citoyens. C’est pourquoi je vous invite à voter cette motion.

À la majorité de 50 voix contre 13 sur 63 votants et 63 suffrages exprimés, l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.

question préalable

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Didier Mathus – L’examen de ce texte est prématuré. D’abord, pourquoi l’avoir soumis en urgence, en fin de législature alors que se bousculent à l’ordre du jour des sujets sensibles comme le droit opposable au logement, et que le Gouvernement retire le projet sur la consommation ?

M. Christian Paul – C’est scandaleux.

M. Didier Mathus – Mais il semble plus urgent de légiférer pour attribuer quelques chaînes bonus aux amis de la famille. Rien ne justifiait une telle précipitation. On pouvait attendre quelques mois et des études plus précises pour arrêter le numérique, et la TVHD pouvait démarrer dans le contexte existant. L’urgence n’a de sens que pour permettre l’attribution, inattendue, d’une chaîne bonus aux opérateurs historiques. Il s’agit bien d’un cadeau de départ de la majorité UMP à ceux envers lesquels elle semble avoir de sérieuses dettes. Envisager une telle opération en dit long sur les liens qui vous unissent à certains opérateurs.

D’autre part, le nom de « télévision du futur » convient bien mal à un projet qui ignore la fantastique révolution des modes de consommation de la télévision, en se limitant à la diffusion hertzienne. Les nouveaux outils liés à la révolution numérique permettent de rompre le lien univoque entre l’opérateur et le spectateur. C’est la fin de la consommation passive, grâce aux podcasts, aux liens RSS, aux magnétoscopes à disque dur, aux contenus agrégatifs qui permettront demain à chacun de fabriquer sa propre télévision. C’est là qu’est l’urgence. Dans ce contexte, quelles seront les missions du CSA ? Quelles règles déontologiques s’imposeront ? Vous n’en parlez pas, car tout ce qui intéresse le Gouvernement, c’est le meccano financier pour partager la rente entre les grands acteurs.

Surtout, la vraie raison de ce projet est le cadeau invraisemblable fait aux opérateurs dits historiques. L’idée de leur donner une compensation en raison du passage de l’analogique au numérique est saugrenue. Il se fera d’ici 2012 partout en Europe, mais il n’y a qu’en France, où l’UMP à la Sarkozy est devenue le parti de la rente, qu’on a pu songer à une pareille idée. En réalité, les opérateurs historiques ont déjà obtenu leur fameuse compensation dans la loi d'août 2000 sous forme d’un canal supplémentaire et d’une prolongation automatique de leur autorisation d'émettre. Cela ne les avait pas empêchés de multiplier les manœuvres pour faire échouer le lancement de la Télévision Numérique Terrestre qui mettait en péril leur position dominante sur le marché publicitaire, dont TF1 et M6 captent 75 %. Et alors que la diffusion numérique leur fera gagner des dizaines de millions par rapport à la diffusion analogique, vous les récompensez d’avoir tenté de faire obstacle à la loi... Vous mettez en avant le Conseil d’État. Mais il a simplement observé qu’une compensation pouvait s’envisager, sans en proposer la forme. Quant aux obligations complémentaires dont a parlé le ministre, nous avons vu ce qu’il est advenu du « mieux-disant culturel » qui accompagnait la privatisation de la première chaîne publique en 1986 !

Cela pose la question de fond de la concentration dans un domaine aussi sensible. Certes, nous avons besoin de groupes puissants pour stimuler la création et la production. Mais nous avons à la fois les situations dominantes les plus marquées dans le monde démocratique et les performances les plus médiocres en matière de production de fiction ou de documentaire. N’y a-t-il pas là un lien de cause à effet ? L'asphyxie du système par des mastodontes appuyés sur des conglomérats financiers a appauvri la création audiovisuelle dans notre pays.

Comment se présente le paysage audiovisuel français ? Une chaîne commerciale, issue de la première chaîne publique absorbe à elle seule 55 % du marché publicitaire et dicte la loi audiovisuelle dans ce pays. Une autre chaîne est désormais en situation de monopole pour toute la télévision payante. Et les principaux groupes dans ce secteur sont les géants du BTP et de l'armement vivant pour une bonne part de la commande publique. Face à cela, tout gouvernement un tant soit peu soucieux de l'intérêt général devrait s’employer à préserver le pluralisme et donc à élargir l'offre. Même les pays les plus libéraux ont été intransigeants sur ces questions face aux intérêts privés.

C’est ce qui guidait la précédente majorité, et le projet de télévision numérique pour tous nourrissait, sous la législature précédente, de grandes ambitions que vous n'avez pas su ou voulu défendre.

M. Patrice Martin-Lalande – Ce n’est même pas le Gouvernement qui avait déposé les amendements sur la TNT !

M. Didier Mathus – Il s'agissait bien alors, d'accroître le nombre d'éditeurs de contenu pour favoriser le pluralisme et la diversité culturelle, de soutenir notre service public, d'accueillir les télévisions locales et associatives, de créer un cercle vertueux de la création audiovisuelle. Enfin, il y avait quasi-gratuité puisqu'il suffisait de s'équiper d'un simple décodeur TNT pour en recevoir les chaînes. Force est de constater que le résultat est aujourd'hui bien loin de ce que préconisait la loi d'août 2000.

Le Gouvernement et les opérateurs existants auront tout tenté pour différer l'avènement de la TNT. Mais le succès populaire a été au rendez-vous. Et aujourd'hui, au lieu de consolider l'émergence de nouveaux opérateurs pour garantir le pluralisme, votre seul souci est de venir à la rescousse de ceux qui sont en position dominante. Singulière conception de l'intérêt général !

Mais vous avez le mérite de la constance. Dès juin 2002, M. Aillagon le disait clairement. Au cours de cette législature, vos deux préoccupations ont été d’affaiblir le service public et de protéger les oligopoles.

M. Dominique Richard – C’est tout le contraire !

M. Didier Mathus – Dès 2002 vous avez supprimé le milliard destiné au développement numérique de France Télévisions, interdit la chaîne publique d’information en continu et multiplié les commandes de rapports accusateurs pour la télévision publique. Dans le même temps, vous prêtiez main forte aux manœuvres dilatoires contre la TNT. Pour la chaîne à vocation internationale, vous avez piétiné les conclusions du rapport d’information parlementaire sur le regroupement autour de France Télévisions, pour confier le dispositif au groupe Bouygues dans des conditions extravagantes. Il est vrai qu’on connaît les liens entre M. Sarkozy et le patron de ce groupe.

M. le Rapporteur pour avis – C’est une caricature.

M. Didier Mathus – Dans ce projet, vous vous concentrez sur les flux financiers, en faisant l’impasse sur l’enjeu démocratique que représente la télévision du futur. Nous soutiendrons par nos amendements une toute autre conception. La télévision n’est pas qu’un marché. Elle fabrique du lien social et touche aux questions centrales de l’information, de l’éducation de la démocratie. Nous essaierons donc d’introduire un minimum de garanties sur la démocratie audiovisuelle. D’abord, comment accepter que le CSA, chargé de veiller au pluralisme, soit aux mains d’un seul parti ? Nommer à sa tête l’ancien directeur de cabinet du Premier ministre est une provocation. C’est donner au pyromane la direction de la caserne de pompiers ! Il faut réformer les règles de désignation du CSA…

M. le Rapporteur – C’est vous qui les avez faites, pas nous !

M. Didier Mathus – …pour le rendre pluraliste, comme c’est le cas dans toutes les grandes démocraties. Nous proposerons un amendement en ce sens.

En second lieu, la France se singularise par une concentration excessive, malsaine et dangereuse pour la démocratie. Nous proposerons donc un amendement inspiré des recommandations de la commission Lancelot, mise en place par le président de la République qui s’était lui-même inquiété de cette concentration anormale des médias. Alors que le Gouvernement a choisi d’ignorer les conclusions de cette commission, nous suivrons, nous, ses recommandations et proposerons un amendement visant à limiter la concentration par les seuils d’audience, comme l’ont fait plusieurs pays pourtant libéraux tels que l’Allemagne. La domination de trois grands groupes risque en effet d’empêcher toute offre équilibrée, qui réserverait notamment une place aux chaînes non marchandes ou associatives, et ce d’autant que la concentration s’accélère depuis quelques mois, comme l’illustrent la fusion de Canalsat avec TPS et le rachat d’AB par TF1. À ce titre, je salue les efforts méritoires du CSA pour garder la tête dans le sable et refuser de constater la modification substantielle des conditions d’autorisation d’émettre. Rien d’inattendu à cela ; mais le résultat est clair : on contourne la loi de 2000.

D’autre part, la France est bien la seule à jouer ainsi avec le feu en consolidant la position de groupes qui financent une bonne part de leurs autres activités – armement et bâtiment par exemple – grâce aux marchés publics. Quelle est cette démocratie où le patron de Paris-Match est licencié par le groupe Lagardère pour avoir publié une couverture qui a déplu au ministre de l’intérieur ?

M. Patrice Martin-Lalande – C’est de la polémique politicienne !

M. Didier Mathus – Chacun connaît pourtant l’ardeur qu’a déployée le même ministre, alors en poste à Bercy, pour régler les problèmes de succession dudit M. Lagardère !

M. Michel Françaix – Amalgame scandaleux !

M. Didier Mathus – Pour mettre fin à ces pratiques indignes et limiter strictement la confusion des genres, nous proposerons un amendement interdisant à tout groupe détenant plus de 10 % d’un opérateur de télévision de se porter candidat à un marché public. Je remarque que l’actuelle majorité de droite en Grèce a pris une disposition semblable, mais plus stricte encore.

M. Christian Paul – Très bon exemple !

M. Didier Mathus – En somme, votre texte est bâclé. Trop de questions graves ont été négligées. Ce passage en force, à quinze jours de la fin de nos travaux, n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Ainsi, avec l’arrêt de la diffusion analogique, les foyers possédant plusieurs téléviseurs devront acheter plusieurs adaptateurs ; contraints de renouveler rapidement leur matériel souvent ancien, ce sont les plus modestes qui auront à consentir l’effort le plus important. Vous prévoyez bien un fonds d’aide, mais de façon si vague que les collectivités doivent s’attendre à régler la note.

M. le Ministre – Non !

M. Didier Mathus – S’agissant de la télévision mobile, comment trouver l’équilibre entre les usages à venir et la diffusion de programmes hertziens classiques ? Comment répartir ces rares fréquences entre les chaînes traditionnelles, numériques et thématiques ? Comment arbitrer la concurrence naissante entre éditeurs et diffuseurs ? Où, dans le texte, est défendu l’intérêt des créateurs, et celui des téléspectateurs ?

Faute de concertation, ces questions restent sans réponse. Attribuer par avance, les canaux de la TMP, à l’aveuglette et pour satisfaire tel ou tel lobby, n’est pas travailler utilement. De même, la numérotation logique des chaînes – c’est-à-dire identique sur tous les supports – pourrait au moins valoir pour les chaînes bénéficiant d’une autorisation du CSA.

M. Dominique Richard – Les chaînes conventionnées doivent-elles donc passer à la trappe ?

M. le Ministre – Et les chaînes indépendantes ?

M. Didier Mathus – Le débat s’impose : il s’agit de l’accessibilité de nouveaux médias tels que la TMP ou le bouquet ADSL ! Et la question des chaînes indépendantes n’a pas non plus été examinée.

M. le Ministre – C’est faux !

M. Didier Mathus – Bref, les lacunes de ce projet sont innombrables. Comment parler de la télévision sans même évoquer les chaînes associatives et locales, délibérément sacrifiées au culte du marché ?

Enfin, la présentation d’un tel texte à ce moment du calendrier est illégitime et a tout d’un abus de pouvoir. Serions-nous revenus à la République des copains et des coquins ? Parce que l’examen de ce projet doit être repoussé, le groupe socialiste appelle à adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Ministre – Vous prétendez qu’il n’y a pas lieu de débattre sur ce texte « archaïque ». Je ne reviendrai pas sur les questions de fond que j’ai déjà abordées. Accordons-nous d’emblée sur la définition du terme « archaïque » : diversifier l’offre de chaînes gratuites, étendre le progrès technologique aux régions les plus isolées, diffuser les programmes régionaux sur l’ensemble du territoire, mettre le développement technique au service de la création audiovisuelle, si tout cela est archaïque pour vous, alors oui, je revendique le qualificatif ! Mais, l’archaïsme consiste bien plutôt à refuser le mouvement. Selon vous, tout est à différer. La France devrait donc refuser le rendez-vous que se sont fixé nos partenaires européens et renoncer à un progrès considérable ? Au fond, c’est vous qui renoncez à défendre l’univers des contenus – c’est-à-dire le travail de celles et ceux qui créent ou éditent des programmes (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. Christian Paul – C’est grossier !

M. Patrick Bloche – Procès d’intention !

M. le Ministre – Vous vous souciez des 3,5 % de Français qui possèdent quatre postes de télévision ou plus : c’est tout à votre honneur. Quant à moi, je me préoccupe plutôt des 60 % de foyers qui n’en possèdent qu’un seul, et des 85 % de téléspectateurs qui ne regardent que six chaînes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le fonds d‘aide à l’équipement des ménages ne sera alimenté ni par les collectivités locales, ni par la redevance, mais bien par le budget de l’État, afin que le progrès profite à chacun (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Il n’y aura pas de France à deux vitesses : le Gouvernement fera en sorte que l’offre nouvelle soit accessible à tous et partout.

Vous avez abordé certains points en des termes qui ne vous ressemblent pas. S’agissant du CSA, dont je rappelle qu’il fut créé en 1989, alors que M. Mitterrand était président et M. Rocard premier ministre…

M. Michel Françaix –  On revenait de loin !

M. le Ministre – Au CSA, donc, chacun des membres exerce sa mission avec une déontologie irréprochable. Je suis choqué que, par principe, vous accusiez de partialité un conseiller d’État, haut fonctionnaire expérimenté et très au fait des questions de droit audiovisuel. De même, cessez de croire que la composition du capital commande le comportement des journalistes. Ceux-ci sont les garants du pluralisme : réjouissons-nous en ! J’ajoute que c’est notre majorité qui a maintenu le pluralisme dans la presse écrite, grâce au crédit d’impôt ou à des mesures en faveur du financement par les lecteurs. La réalité était pourtant complexe !

M. Michel Françaix – Un peu de modestie…

M. le Ministre – C’est d’ailleurs pourquoi j’ai confié à M. Tessier mission de réfléchir à la façon dont la presse écrite pourra s’adapter à l’ère numérique.

En matière de concentration, les règles applicables ne seront pas remises en cause. Ainsi, lors de la fusion entre TPS et Canal Plus, nous avons veillé à ce que le pluralisme soit préservé. Ne soyez pas injuste. Nous devons expliquer à nos concitoyens que le maintien du pluralisme exige l’engagement d’investisseurs. Je rappelle d’ailleurs que le gouvernement de M. Jospin, dont Mme Royal était membre, n’avait, lors de l’attribution de chaînes en 2000, prévu aucune contrepartie pour ces investisseurs que vous pointez aujourd’hui du doigt. Or, à l’occasion du basculement au numérique, l’État a une obligation juridique d’offrir une compensation à ceux des opérateurs dont l’autorisation de diffusion est raccourcie. Que n’auriez-vous pas dit si nous avions envisagé une compensation financière ! Nous lui avons préféré un dispositif équilibré, qui renforce le soutien à la création audiovisuelle tout en diversifiant l’offre accessible à nos concitoyens. Je vous demande donc de ne pas voter la question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Kert – L’exposé de M. Mathus présentait un sympathique caractère d’archéosocialisme ! Le voilà qui nous dit que nous sommes face à une véritable révolution, mais que nous allons trop vite et qu’il n’y a pas nécessité de se presser. C’est bien la première fois qu’il n’est pas nécessaire de réagir à une révolution ! M. Mathus donne le sentiment de regarder la télévision moins sur un téléviseur que dans un rétroviseur… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Le voilà qui s’en prend aussi à ce qu’il appelle le cadeau des chaînes bonus. Mais en 2000, défendant sa loi sur la liberté de communication, la ministre – Mme Trautmann – avait préconisé un bonus d’un canal supplémentaire pour tout éditeur d’un service national autorisé pour une diffusion analogique et M. Mathus, alors rapporteur, ne s’y était aucunement opposé ! Il n’y avait pourtant aucune contrepartie : voilà un véritable cadeau ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP – Et voilà !

M. Christian Kert – M. Mathus nous accuse aussi d’affaiblir le service public et de porter atteinte à la démocratie. Il sait bien que c’est de la mauvaise foi. Nous confortons le service public. Nous assurons la réception de l’ensemble des programmes régionaux de France 3, ce à quoi vous n’aviez même pas songé. Nous veillons à maintenir la qualité de l’offre de programmes. Et en assurant cet accès aux informations de France 3, nous confortons la démocratie locale. Nous sommes les défenseurs du service public, pas ses censeurs ! Et, pour parler des marchés publics et de la télévision du futur, fallait-il nous référer à la une de Paris Match ?

M. le Président de la commission des affaires culturelles – C’est triste !

M. Christian Kert – La télévision du futur est un autre enjeu !

Enfin, vous avez beau nous taxer d’archaïsme, je vous rappelle que votre excellente ministre Mme Trautmann a découvert la télévision numérique à la faveur d’un amendement que nous avions déposé !

M. Christian Paul – C’est très élégant !

M. Christian Kert – Voilà pourquoi nous ne voterons pas cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Dionis du Séjour – Le titre « télévision du futur » a fait naître des espoirs que ce débat décevra forcément. La télévision du futur sera celle qu’annonce Bill Gates, avec des réservoirs de contenus et des moteurs de recherche performants qui permettront aux spectateurs de composer leur sélection, mais son horizon est encore à moyen terme. Pour l’heure, ce projet aurait gagné à un peu plus de prosaïsme et d’humilité. Il concerne, et ce n’est déjà pas rien, la mise en œuvre de la télévision numérique terrestre et de la télévision mobile personnelle. Le débat est honorable, il est attendu et l’UDF donne acte au Gouvernement de sa volonté de traiter le problème au cours de son mandat. La TNT mérite en effet une action forte et immédiate et le débat est nécessaire. Mais reste le déséquilibre, le malaise créé par le canal bonus. Pour cette raison, l’UDF s’abstiendra sur cette motion.

M. Michel Françaix – J’ai connu M. Kert plus méthodique et plus élégant. Mais, même s’il nous a reproché d’avoir été maladroits, son intervention a eu le mérite de rappeler que, nous sommes à l’origine de la TNT. Voilà qui devrait éviter au ministre de répéter encore que c’est lui qui a tout fait. Les trois quarts du dossier avaient été bouclés par nous, et son action a plus contribué au gel du dossier qu’à son avancement.

M. le Ministre – Zut alors !

M. Michel Françaix – M. Kert a également rappelé que c’est la gauche qui avait créé le bonus. Oui, mais : un bonus, ça va, deux bonus, bonjour les dégâts ! Le premier bonus avait un sens, une logique, une cohérence. Le second relève d’une relation amicale avec certains médias, ce qui ne correspond pas vraiment à notre vision de la démocratie.

M. le Président de la commission des affaires culturelles – Vous nous avez habitués à moins de platitude.

M. Michel Françaix – Avec vous, plus il y a de télés, moins il y a de choix. Elles appartiennent toujours aux mêmes, et elles débitent toutes les mêmes choses. Nous ne pouvons pas accepter cela et c’est pourquoi nous voterons cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. Frédéric Dutoit – La loi du 30 septembre 1986, qui a succédé à une cascade de textes éphémères, apparaît comme un point d'ancrage durable de notre droit de la communication audiovisuelle. Nous sommes amenés aujourd'hui à en modifier quelques articles, et je voudrais donc rappeler quelques principes qui me tiennent à cœur.

Selon l'article 2 de cette loi, on entend par communication audiovisuelle « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, écrits, images, sons ou messages qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ». Cette définition se fonde donc sur la destination des contenus. Une circulaire du 17 février 1988 a tenté de la préciser en posant trois critères : le message délivré est destiné indifféremment au public en général ou à des catégories de publics ; son contenu n'est pas fonction de considérations fondées sur la personne du destinataire ; le message est mis à la disposition de tous les usagers du service, gratuitement ou non.

La ressource numérique étant un bien public, donc commun, aucune décision ne saurait être prise que dans l'intérêt général, c’est-à-dire avec le souci de la diversité des contenus, de l'exception culturelle, de l'accessibilité pour tous et du pluralisme. Parce que l'image occupe une place toujours grandissante dans notre société, ce projet de loi aura indiscutablement des effets sur la vie de tous les jours de nos concitoyens. Certes, les nouvelles technologies sont un atout incontestable : les dénigrer, les sous-estimer serait une grave erreur. Mais tout dépend de qui les possède, des finalités qu’elles servent. L’aspect technique ne doit pas masquer les conséquences considérables – culturelles, politiques, éthiques, économiques – qu’a leur emploi, conséquences dont le législateur doit tenir compte.

Ce projet de loi prévoit un basculement complet de la télévision analogique vers la télévision numérique, débutant en mars 2008 pour s’achever au 30 novembre 2011. Si, à la première lecture, il en ressort une impression de bon sens,…

M. le Ministre – Merci !

M. Frédéric Dutoit – …on s’aperçoit vite qu’il conforte immensément le poids des puissants. De rachats en fusions, le secteur des médias et des industries culturelles connaît un phénomène accéléré de concentration. Le texte lui fait de nombreux cadeaux : canal supplémentaire, émettant sur tout le territoire, pour les trois opérateurs historiques privés TF1, Canal Plus et M6 ; accès automatique au futur réseau de télévision mobile personnelle pour les nouveaux entrants de la TNT, dont les chaînes des groupes Bolloré, Bertelsmann-RTL, Lagardère-Hachette et Canal Plus-TPS ; marché de la haute définition offert aux industries de l'électronique grand public et aux installateurs – un marché réservé de millions de personnes ! – marché de la télévision mobile personnelle offert aux trois grands opérateurs de télécommunications Orange, filiale de France Télécom ; SFR, filiale de Vivendi et donc liée à Canal Plus, et Bouygues Télécom, intimement liée à TF1.

Pourtant, et alors que chacun sait que le monopole, dans le domaine des médias, constitue un réel danger pour la démocratie, le texte est quasiment dénué de verrous anti-concentration. Or, les pouvoirs publics doivent garantir le droit des citoyens d'informer et d'être informés indépendamment d’audiences moyennes calculées en fonction de critères strictement marchands, au mépris de la diversité des publics, de la déontologie des journalistes et de la qualité de l’information. Ces cadeaux plus que discutables se font en outre sans aucune contrepartie réelle quant au contenu de l'offre de programmes, qui va se transformer en profondeur, surtout avec la télévision mobile personnelle. La multiplication même des canaux de diffusion pose pourtant avec acuité cette question fondamentale des contenus, qui devrait être au cœur même de toute politique audiovisuelle digne de ce nom.

Ensuite, le projet de loi ignore totalement le service public, dont on sait pourtant la fragilité. On aurait pu imaginer que l'État apporte une vraie contribution au nouveau paysage audiovisuel qui se construit. Or, non seulement l’État ne donne rien, mais ce texte ne prévoit rien de public sur les futurs canaux de la TMP.

Nous ne le répéterons jamais assez, le droit à l’information suppose un véritable pluralisme dans les médias. La première urgence est donc d’empêcher la mainmise de quelques groupes financiers sur l’ensemble du paysage audiovisuel européen, et de mettre un frein à la concentration verticale que je viens de dénoncer. Il faut parallèlement encourager l’audiovisuel public et tenir compte de ses missions spécifiques, le mettre en mesure de remplir ses fonctions de service public. Il convient pour cela de démocratiser plus largement son animation et sa gestion, mais aussi d’y libérer la créativité des enjeux commerciaux, qui incitent les chaînes à concurrencer les médias privés avec les mêmes programmes. La télévision de service public n’est pas prête à affronter les défis liés à la modernisation des modes de diffusion. Or comment imaginer une télévision du futur sans un service public fort, offensif, capable de rivaliser avec les moyens colossaux des grands groupes privés et des opérateurs de télécommunications ?

M. Dominique Richard – Il y a huit chaînes publiques.

M. Frédéric Dutoit – Sans volonté politique forte, le groupe France Télévisions risquerait d’être marginalisé. Il possède pourtant de réels atouts, au nombre desquels l’attachement d’une majorité de nos concitoyens au service public audiovisuel et un inestimable savoir-faire dans la production de contenus à haute valeur ajoutée culturelle et artistique.

Votre texte, Monsieur le ministre, oublie les télévisions de proximité et les télévisions associatives, lesquelles n’ont été jusqu’ici que peu aidées, mais auxquelles le numérique offre un fort potentiel de développement. Chacun sait leur rôle clé dans la vitalité démocratique d’un espace public décentralisé et pluriel. À l’heure où l’on parle tant de décentralisation, le développement de ces télévisions devrait être une priorité. Il devrait s’accompagner de la création d’un fonds de soutien afin de renforcer leur place dans notre paysage audiovisuel. Ce serait un gage de diversité culturelle mais aussi de pluralité des modèles économiques de chaînes.

Du 5 au 8 mai dernier, les Rencontres de Marseille des médias associatifs et indépendants ont réuni près de 150 médias français, en présence d’une vingtaine de représentants de médias européens et internationaux de même nature, ainsi que de représentants des Rencontres de Grenoble des médias alternatifs de la région Rhône-Alpes, qui s’étaient tenues en avril. Elles ont permis de constater qu’à côté des secteurs privé et public, il existe un vaste tiers secteur, constitué d’une multitude de médias « non alignés » qui, tous, sont à but non lucratif et partagent les mêmes valeurs d’indépendance, de laïcité, de pluralisme, de respect de la déontologie des journalistes et des droits des créateurs. La diversité assumée de ses objectifs, de ses contenus, de son fonctionnement, de son mode et de sa zone de diffusion, de ses approches du local qui fait parfois écho au planétaire, et de son rapport au public, participe de la richesse de ce tiers secteur.

Il faut aussi déplorer que la radio soit totalement absente de ce projet de loi. Nous espérons que, dans ce domaine, un texte spécifique précisera rapidement les modalités de passage au numérique. Regrettant cette segmentation de l’ensemble radio-télévision, nous relayons ici la légitime inquiétude des radios libres, indépendantes et de proximité.

Ce que nous demanderons avec force à travers nos amendements, c’est qu’on établisse un droit d’accès au numérique, qu’on garantisse une solidarité, une éthique et une responsabilité particulières. Nous souhaitons aussi un projet éducatif, et une charte qui fasse place à des créations originales profitant de la diversité des outils désormais disponibles.

Il faut enfin regretter que ce projet n’anticipe en rien les évolutions futures de la diffusion par Internet, laquelle offre pourtant des possibilités considérables. Permettant l’interactivité, elle autorise une participation active des citoyens. Il y a dès lors fort à parier que votre texte sera obsolète d’ici peu, peut-être dès 2011. Sans doute la déclaration d’urgence ne vous a-t-elle pas permis d’engager une véritable réflexion de fond, mais de cela, vous êtes coutumier. Il n’est que de se souvenir de la fameuse loi DADVSI, déjà obsolète.

Traitant de la télévision du futur, c’est aussi à la qualité et aux conditions de création du patrimoine audiovisuel futur que nous devons veiller. C’est un enjeu de société et un défi majeur afin de consolider l’exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois du marché.

Vous l’aurez compris, il y a de très fortes chances que nous votions contre ce texte qui ne répond pas à nos attentes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Dominique Richard – Vingt ans après la loi fondatrice du 30 septembre 1986, votée à une époque où l’offre télévisuelle se limitait à cinq chaînes gratuites et une payante, le paysage audiovisuel français a profondément changé et se trouve à la veille de nouveaux bouleversements.

La multiplication du nombre de chaînes, l'arrivée du numérique hertzien, la diffusion via Internet ou le téléphone ont transformé la place de la télévision devant laquelle nos concitoyens passent trois heures et demie par jour lorsqu’ils ne disposent que d’une offre limitée et près de quatre heures s’ils bénéficient d'une offre élargie.

Dans ce contexte, la législature qui s'achève aura été particulièrement féconde. Elle aura permis, sous votre autorité, Monsieur le ministre, de mettre en place la télévision du troisième millénaire. Permettez-moi de rappeler les principales étapes que nous avons franchies ensemble.

Tout d'abord, la réforme de la perception de la redevance audiovisuelle, dont je salue l'inspirateur, Patrice Martin-Lalande, qui, en la modernisant, a permis d’en optimiser les recettes. Cette réforme constitue une réelle avancée au profit d'une gestion toujours plus rigoureuse de nos ressources publiques. Pour autant, nous savons qu’il nous faudra, sous la prochaine législature, revoir le financement de l'audiovisuel public, au regard de la triple exigence d'offre de programmes, d'avancées technologiques et de soutien à la création.

La législature qui s'achève aura également vu de nombreux progrès pour ce qui est du soutien à la création cinématographique et audiovisuelle. Ainsi a-t-on abondé la taxe alimentant le COSIP par les nouvelles recettes issues des SMS et du parrainage, et, dans le cadre de ce projet de loi, par la contribution des distributeurs de chaînes, qui consacre à la fois le principe de neutralité technologique et rappelle que, pour nous, le contenu l'emportera toujours sur le contenant (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). L’amendement à ce sujet, qui a fait l'objet d'une concertation sans précédent, recueille un large accord, aussi bien des professionnels de la télévision que du monde de la culture, et a été adopté à l'unanimité par la commission.

Cette législature a également vu l’adoption de dispositifs d'incitation à la « relocalisation » des tournages et aux tournages en région. Avec les trois crédits d'impôt cinéma, audiovisuel, distribution et un accès facilité pour les tournages dans les monuments historiques, des progrès considérables ont été accomplis, qui ont permis de faire travailler davantage nos artistes et nos techniciens. Les premiers effets s'en font déjà sentir dans toute la filière puisque d'un peu plus de 6 600 jours de tournage d'œuvres audiovisuelles en 2004, nous sommes passés à 9 500 en 2006. Tous les genres – fiction, animation, documentaire… – en ont profité et notre pays a ainsi pu passer de la cinquième à la troisième place des producteurs européens de fiction et conforter sa première place dans le cinéma.

Cette législature aura aussi, grâce à la loi du 11 février 2005, imposé la généralisation du sous-titrage d’ici à 2010, de façon à rendre notre télévision totalement accessible aux malentendants.

Elle aura également été celle du renforcement de notre audiovisuel extérieur avec les progrès considérables de TV5 Monde, qui est devenue la deuxième chaîne la mieux distribuée au monde, et l'avènement de France 24 qui, quelques semaines seulement après son lancement, est déjà accessible dans plus de 90 pays.

Mais de toutes les avancées de cette législature, celle qui aura le plus profondément bouleversé l'offre télévisuelle pour trois quarts de nos concitoyens, c'est la réussite, au-delà de toutes les espérances, de la TNT avec ses 18 chaînes gratuites. Cette nouvelle offre, alliant chaînes « mini-généralistes », d’information, de jeunesse, civiques ou musicales, et le succès que lui réservent nos concitoyens, sont la meilleure des réponses au mauvais procès parfois intenté sur la concentration des médias.

Le présent projet de loi nous permettra de franchir une nouvelle étape, décisive. Il permettra que notre pays soit non seulement à l'avant-garde technologique mais aussi celui qui préserve la diversité culturelle grâce à un soutien à toute sa filière de création.

Après son examen au Sénat et les modifications encore apportées par notre commission, nous sommes, je le crois, parvenus à un texte équilibré qui devrait satisfaire la très grande majorité de la filière et bénéficie en effet d’une large approbation.

Je ne soulignerai ici que quelques points importants sur lesquels nous reviendrons lors de l'examen des articles.

Les missions de service public de France Télévisions doivent être garanties et l'ensemble des téléspectateurs doivent pouvoir avoir accès à leur programme régional. Plusieurs amendements vont en ce sens. Je souhaite que vous nous confirmiez, Monsieur le ministre, que l'État s'engagera dans ce sens au moyen d'une compensation financière car il serait déraisonnable d'imposer une obligation supplémentaire de transport.

Si ce texte ne concerne que la télévision numérique, il est indispensable, Monsieur le ministre, que vous nous assuriez que la radio numérique sera accessible sur la TMP, et ce pour toutes les stations, qu’elles soient nationales, associatives, indépendantes, locales ou thématiques.

L'évolution du paysage audiovisuel et l'avènement de nombreuses chaînes d'information, généralistes ou sportives, pose aussi la question du droit à l'information au regard de la multi-diffusion, sans oublier la question des détenteurs de droits.

S’agissant des « écrans noirs », la commission a voté un amendement qui va plus loin que la proposition du Sénat puisqu’il les interdit purement et simplement.

Nous ne pourrons plus éluder longtemps la question de la fluidité des droits, essentielle pour le développement d'un second marché permettant à la fois de mieux amortir les productions et de diffuser plus largement des œuvres françaises et européennes, mais aussi pour les chaînes conventionnées qui, plus que toutes autres, sont garantes de la diversité culturelle.

Elles ont d'ailleurs besoin, comme les entrants de la TNT, d'un minimum de sécurité quant au canal sur lequel elles seront proposées au téléspectateur. Si je partage votre avis consistant à les placer dans l'offre payante, parmi des blocs thématiques, nous devons, je le crois, leur assurer qu’elles ne pourront pas être déplacées, sans leur accord, d’un bloc à un autre, comme cela a pu être le cas par le passé.

Enfin, parmi les mesures que nous nous apprêtons à intégrer au texte, je suis particulièrement fier de celle qui placera sur un pied d'égalité les distributeurs de chaînes au regard de leur contribution au COSIP. En contrepartie d'un taux garanti de TVA à 5,5 % sur les services audiovisuels, les distributeurs pourront proposer une offre attractive et bénéficier du COSIP. La modernisation dont celui-ci fait l’objet lui assure de pouvoir continuer à remplir sa mission au service de la production, et à travers elle, de la création française.

L’amendement adopté par le Sénat définissant l’œuvre audiovisuelle, auquel nous souhaitons adjoindre les vidéo-musiques, participe du même combat que celui, victorieux, mené par la France à l’UNESCO avec l'adoption de la convention pour la diversité culturelle. C’est une avancée, que devra concrétiser le décret d’application qui permettra aux chaînes d’augmenter progressivement leurs quotas de diffusion, en fonction de leurs conventions et de manière à éviter une banalisation de l’offre de programmes. D’ailleurs, l’octroi d’un canal compensatoire aux chaînes privées préexistant à la TNT, qui sont, avec les chaînes publiques, les premiers financeurs de programmes, a été fort opportunément subordonné à des engagements de qualité, contrairement aux dispositions de la loi d’août 2000.

M. Patrice Martin-Lalande – C’est la différence !

M. Dominique Richard – Nous avons devant nous un projet de loi fondateur pour la télévision du vingt-et-unième siècle.

M. Michel Françaix – Et même du vingt-deuxième siècle !

M. Dominique Richard – Il doit permettre à chaque Français d’avoir accès, dans les meilleures conditions technologiques, à une offre culturelle riche et correspondant à ses aspirations.

Monsieur le ministre, le groupe UMP vous soutiendra, car nous avons la conviction que notre majorité aura permis, au cours de cette législature, de franchir les étapes décisives pour une offre de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Gouriou – Le passage à l’ère numérique invite le législateur à préparer les adaptations nécessaires à l'évolution de notre paysage audiovisuel. Toutefois, on peut s'étonner que le Gouvernement déclare l'urgence sur ce texte, alors que la renégociation de la directive européenne « Télévision sans frontières » est engagée : n'aurait-il pas été plus pertinent d'attendre le résultat de ces discussions, afin de pouvoir transposer ces dispositions dans notre droit ? Faute de l’avoir fait, il est plus que probable qu'il faudra revenir sur ce texte.

En fait le calendrier électoral a poussé le président de la République et le Gouvernement à faire voter au plus vite un projet dont la finalité essentielle est de conforter les positions de quelques groupes amis de votre majorité.

M. le Ministre – Non !

M. Alain Gouriou – Certes, la TNT et la télévision de haute définition améliorent grandement la qualité de la réception. Grâce aux efforts et au talent des chercheurs, se dessinent ainsi de nouveaux services, recourant notamment aux réseaux de fibre optique. J'en veux pour preuve la qualité des projets dans le cadre du pôle de compétitivité « Images et réseaux » qui, en Bretagne, associe laboratoires de recherche et entreprises.

Priorité doit être donnée à la couverture du territoire. Il ne nous paraît pas envisageable d'opérer un basculement vers le numérique tant que n'est pas assurée une couverture numérique intégrale. Or, nous sommes sceptiques quant à la possibilité d'atteindre un taux de couverture de 95 % de la population française par voie hertzienne en mode numérique. En mode analogique, sur de nombreux points du territoire, la réception des chaînes historiques gratuites est encore médiocre, souvent limitée à trois ou quatre chaînes. En ce qui concerne le GSM, la téléphonie mobile ou l'Internet haut débit, de nombreuses zones blanches ou grises subsistent, pour la résorption desquelles les collectivités locales ont dû financer des infrastructures de communications électroniques.

Une couverture à 100 % par voie hertzienne ne semble pas réaliste. Aucun pays européen n'y prétend ; le Royaume-Uni et l'Espagne visent 98 %. Mais même le taux de 95 % que vous avez fixé nécessitera, dans nombre de zones, des installations complémentaires. Ces financements sont-ils prévus ? Les collectivités locales seront-elles sollicitées ?

Enfin, là où la voie hertzienne s'avérera impraticable, force sera de recourir au mode de diffusion satellitaire ou à la diffusion par ADSL. Pour assurer la réception par voie satellitaire, le coût des adaptations techniques pour le passage au numérique sont estimés à 535 euros par foyer ; et l’adaptation à la TNT, à 115 euros par foyer.

Votre projet prévoit que nos concitoyens aux revenus modestes pourront bénéficier d'une aide financière pour réaliser ces adaptations. Il est hautement souhaitable que le service satellitaire de substitution puisse assurer gratuitement la diffusion des dix-huit chaînes gratuites sur un même satellite. Par ailleurs, de nombreuses associations de consommateurs expriment, en raison des risques d'obsolescence rapide de certains récepteurs, le souhait de voir organiser une vaste campagne d’information. On ne peut imaginer qu’une partie de nos concitoyens se trouvent face à un écran noir au moment du basculement vers le numérique !

La gestion du dividende numérique est le second point important. La réaffectation des fréquences nous paraissait offrir une occasion intéressante de développer les télévisions locales et associatives et de donner un second souffle au service public. La compensation offerte aux opérateurs historiques, TF1, Canal Plus et M6 – prorogation automatique de cinq ans de l'autorisation de diffusion, puis attribution d'une chaîne bonus à partir de 2011 –, apparaît tout à fait injustifiée, lorsqu'on sait que ces opérateurs historiques ont déjà bénéficié d'une chaîne bonus avec le lancement de la TNT en 2005, qu’ils réaliseront, avec le passage au numérique, une énorme économie sur les coûts de diffusion, et qu’ils perçoivent l'essentiel des recettes publicitaires. Quel préjudice ces compensations viennent-elles donc réparer ?

Du reste, le CSA et l'ARCEP ont émis les plus grandes réserves sur cette nouvelle chaîne bonus, soulignant les risques de déséquilibre de l'offre TNT et d’affaiblissement du pluralisme. En outre, en juillet 2006, la Commission européenne a adressé au gouvernement italien une lettre de mise en demeure pour avoir accordé aux opérateurs analogiques passant au numérique des avantages injustifiés. Enfin, les nouveaux entrants de la TNT s’inquiètent des possibilités qu’ils auront de se développer dans ces conditions et s’inquiètent d'autant plus que ces chaînes sont éparpillées sur les plans de service de certains opérateurs du câble et du satellite entre les numéros 30 et 220, alors que les chaînes historiques sont diffusées sur les canaux 1 à 10. Il importe en effet, afin que les téléspectateurs ne soient pas perdus, que les chaînes gratuites gardent le même numéro, quel que soit le mode de diffusion choisi : TNT, câble, satellite ou ADSL.

La télévision mobile personnelle est sans aucun doute promise à un développement comparable à celui des téléphones portables. La question de ses effets culturels, éducatifs et sociaux est cependant posée : on peut craindre que ce nouveau marché soit accaparé par quelques grands groupes. Je souhaiterais donc savoir dans quelles conditions le CSA et l'ARCEP exerceront leurs responsabilités dans ce domaine.

Sur ces différents points, notre groupe a déposé des amendements qui vont dans le sens d'une plus grande justice et d'une meilleure qualité de notre paysage audiovisuel. En l'état, nous ne pouvons voter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président – Avant le prochain orateur, je me permets de souhaiter un très bon anniversaire à notre collègue Bernard Mazouaud, ici présent (Applaudissements).

M. François Bayrou – La question est, au fond, très simple : les avantages consentis par votre projet de loi à des opérateurs de télévision dominants sont-ils justifiés ? Satisfont-ils à l’exigence d’équité comme l’on est en droit de l’attendre dans une République impartiale ? Notre réponse, qui est celle de tous ceux qui ont regardé le texte d’un peu près, est que votre décision est partiale, que ces avantages sont accordés injustement, et qu’ils heurtent le bon sens et l’équité.

Une fois encore, le Gouvernement a déclaré l’urgence sans aucune justification. Quelles sont en effet les échéances prévues ? Votre propre texte fixe pour terme le 30 novembre 2011, tandis que la directive européenne renvoie à 2015. Dans de telles conditions, un Gouvernement respectueux des droits du Parlement ne déclarerait pas l’urgence, et un Parlement soucieux de ses prérogatives n’accepterait pas un tel abus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Ce gouvernement est malheureusement coutumier de telles dérives...

À cela s’ajoute votre mépris pour l’avis rendu le 11 juillet dernier par le CSA, qui avait pourtant fait preuve d’une sévérité sans précédent. Vous prévoyez en effet d’octroyer des avantages disproportionnés aux opérateurs dominants, au risque de handicaper les chaînes locales.

Comme tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1986, vous violez en outre le principe d’attribution des fréquences après appel à candidatures et pour une durée limitée, initialement fixée à dix ans. En 1994, la loi Toubon avait déjà prévu une reconduction simplifiée, sans appel à candidatures, dans la limite de deux fois cinq ans ; puis la loi Tasca avait permis à TF1 de bénéficier d’une première reconduction simplifiée à compter de 2007 ; la loi d’août 2000 avait enfin étendu la durée de la seconde reconduction à dix ans, en contrepartie d’un engagement de diffusion sur la TNT.

Or, voilà que vous nous proposez deux nouvelles reconductions simplifiées de cinq ans en faveur des opérateurs historiques, ce qui portera le terme de leur autorisation d’émettre à 2022, soit trente-cinq ans sans appel à candidature. Est-ce conforme aux principes qu’un gouvernement républicain devrait défendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Autre anomalie : chacun aura remarqué que certaines chaînes tireront avantage de cette loi alors qu’elles comptaient parmi les plus farouches adversaires de la TNT. Nous jouerons donc à fronts renversés : pourquoi accorder de nouveaux avantages à ceux qui ont combattu la TNT ? Est-ce logique ?

En dernier lieu, et c’est sans doute le plus grave, vous allez accorder des chaînes bonus alors que la date que vous fixez pour l’extinction de l’analogique ne précédera que de peu la date limite fixée par la convention antérieure. Seules quelques semaines séparent en effet ces deux dates : 30 novembre 2011 et 15 avril 2012.

M. Dominique Richard – Pas du tout ! L’extinction doit commencer en 2008 !

M. François Bayrou – En quoi un décalage de quatre mois et demi justifie-t-il l’octroi de chaînes bonus ? Cela justifie-t-il une violation du principe d’équité ? Il ne faudrait pas oublier les mises en garde du CSA : « le renforcement de la position des acteurs historiques de l’analogique pourrait fragiliser la situation économique des nouveaux entrants et provoquer des effets induits de concentration sur le marché de la télévision gratuite ». Le principe de pluralisme, que nous avons jadis défendu ensemble, s’oppose donc à l’adoption de ce texte.

M. Jean Dionis du Séjour – Mais où sont passés les libéraux ?

M. François Bayrou – Votre projet ne correspond pas à notre conception des libertés et du paysage audiovisuel français.

En commettant de tels manquements à tous les principes reconnus, vous vous exposez à une condamnation du Conseil de la concurrence, déjà saisi de l’attribution des chaînes bonus, mais aussi à un refus de la Commission européenne, qui a toujours combattu l’octroi de droits exclusifs en matière de services de communication. À cela s’ajoute la disproportion entre les préjudices subis et les avantages accordés par ce texte, sujet dont le Conseil constitutionnel aura à connaître (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Les chaînes bonus ne sont pas des compensations, mais des cadeaux ! C’est que vous n’avez pas su résister à l’influence exercée par les opérateurs historiques…

Nous voudrions que le gouvernement de la République n’ait pas manqué à son devoir d’impartialité et de pluralisme, et qu’il y ait une majorité capable de s’opposer à de tels manquements. Voilà pourquoi nous voterons contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Yves Bur – Quel donneur de leçons !

M. Christian Kert – J’espère que mon accent du Sud-Est sera plus doux à certaines oreilles que celui du Sud-Ouest…

Si nous sommes si attentifs à ce texte de nature technique, c’est que nous devons faire en sorte que la TNT arrive dans tous les foyers français dans les meilleures conditions possibles. C’est à cette préoccupation démocratique que le législateur doit répondre, le spectateur étant au cœur de ce texte même si nous ne le mentionnons guère directement dans nos débats.

Le paysage audiovisuel connaît des bouleversements sans précédent grâce aux nouveaux entrants privés et aux avancées technologiques. Ce projet tient compte de cette nouvelle donne mais il est essentiel que le service public ait la place qu’il mérite. Nous devions fixer une date d’arrêt de l’analogique et 2011 me semble tout à fait satisfaisant.

M. Jean-Christophe Lagarde – Voilà la véritable date, Monsieur Richard !

M. Christian Kert – Les dispositions du projet, compte tenu de l’enrichissement apporté par le travail parlementaire, devraient permettre de garantir à toutes les chaînes un traitement non discriminatoire.

L’exigence démocratique implique également que l’information des Français soit la plus complète possible. M. le rapporteur Hamelin, dont je salue le travail, a intégré cette notion dans la nouvelle rédaction de l'article 7 bis, qui dispose que le consommateur devra obligatoirement savoir si son récepteur peut ou non recevoir des signaux numériques. Il est quand même étonnant que l'offre TNT intégrée ne soit pas systématique et j’approuve l'obligation nouvelle selon laquelle, six mois au maximum après la promulgation de la loi, seuls les téléviseurs intégrant un adaptateur numérique pourront être vendus en France.

Autre exigence : l'accès de tous les Français aux programmes régionaux de France 3. En clarifiant le dispositif qui permet au bouquet satellitaire d'assurer la réception de l'ensemble des programmes régionaux de France 3, notre majorité affirme le principe d'une démocratie locale.

L'exception culturelle française a toujours fait partie de mes préoccupations et notre service public en a été un acteur décisif. Le maintien d'une offre de programmes variée demeure primordiale. France Télévisions a toujours respecté cette exigence et continuera à le faire bien que nous n’ayons pas donné suite à la demande d'une modification de ses règles publicitaires. Certains critiquent l’octroi d'un canal supplémentaire aux chaînes historiques…

M. Michel Françaix  – Ils sont nombreux !

M. Christian Kert – …mais il ne s’agit en rien d’un cadeau (Rires sur les bancs du groupe UDF) .

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est une offrande ! (Sourires)

M. Christian Kert – La mesure est assortie de contraintes encore plus grandes dans le domaine de la production et de la diffusion des œuvres.

M. Jean Dionis du Séjour – N’en fais pas trop !

M. Christian Kert – Une telle disposition bénéficiera d’ailleurs à l'ensemble de la création française grâce aux obligations, sur le plan du contenu, dont le CSA devra apprécier la teneur et la portée.

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est sympathique pour le service public !

M. Christian Kert – Dois-je rappeler qu'en 2000, le gouvernement Jospin n'avait exigé aucune contrepartie à l'attribution de chaînes aux mêmes opérateurs privés que ceux visés par les critiques d’aujourd'hui ?

M. François Bayrou – C’est vrai ! Les mêmes causes produisent les mêmes effets !

M. Christian Kert – L'attribution de ces fréquences n’étant pas automatique, comment peut-on critiquer cette amélioration des aides à la création ?

J’approuve, enfin, le cadre juridique mis en place pour accompagner le développement des nouveaux services de télévision en haute définition et de la TMP. Comme d’autres, j’étais soucieux d’éviter la multiplication des écrans noirs et l’opposabilité des droits exclusifs, surtout dans le domaine des événements sportifs. Voilà qui justifie que nous votions ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Françaix – Il faut rendre à César ce qui est à César. Même si je partage bien des propos de M. Bayrou, il y a eu un appel à candidatures en 1987.

M. Jean-Christophe Lagarde – Pour La Cinq ?

M. Michel Françaix – Certains ont pensé qu’il était un peu simplifié…

M. Michel Herbillon – Réduit à la portion congrue, oui !

M. Michel Françaix – …mais il a été bien réel.

La TNT servait trois objectifs essentiels : élargir le nombre des acteurs pour assurer plus de pluralisme et plus de diversité,…

M. Dominique Richard – C’est fait.

M. Michel Françaix – …laisser un rôle majeur au service public qui devait être le fer de lance de cette mutation,…

M. Dominique Richard  – C’est fait.

M. Michel Françaix – …favoriser le développement des télévisions locales et associatives.

M. Dominique Richard – Ce sera fait.

M. Michel Françaix – Un défi colossal nous était lancé : comment anticiper, gérer et accompagner les évolutions de toutes les technologies de l'environnement de l'image pour aider les Français à évoluer dans cet univers ? Ne devions-nous pas, dans le cadre d’un débat, éclairer plus encore le téléspectateur et montrer les enjeux qui influenceront sa vie quotidienne ? Ne le nions pas : l'écran conditionne notre vie. À l'heure où les citoyens souhaitent s'impliquer dans de nombreux débats, vous avez pourtant choisi, Monsieur le ministre, la politique du « pas vu pas pris » en déclarant l’urgence.

Nous avons vu lors du projet DAVDSI combien les internautes se sont impliqués.

M. le Ministre – Les auteurs ne vous oublient pas !

M. Michel Françaix – Il fallait organiser un vrai débat national qui ne se serait pas réduit à l'intervention de quelques technocrates et des lobbies économiques mais aurait été l'occasion pour des sociologues, des philosophes et tous les citoyens de faire part de leurs idées. Il est vrai qu’ils interviennent peu dans les cénacles où se décide l'attribution des chaînes bonus !

De plus, quelques mois supplémentaires n'auraient pas été inutiles pour affiner normes et dispositifs techniques. D'ailleurs, face à de tels bouleversements, le service public de l'audiovisuel est-il prêt ? Le maintien de sa qualité est une priorité absolue. Face à des opérateurs privés de plus en plus puissants, il est fondamental de donner à France Télévisions et à ARTE les moyens de se battre.

L'engouement pour la TNT montre le besoin de nouveaux espaces de liberté, mais comment justifierez-vous que ceux qui se sont le plus battus pour qu’elle ne voie pas le jour en soient aujourd'hui très largement récompensés par l'attribution de chaînes dites supplémentaires ? Mais favoriser les opérateurs privés les plus puissants, est-ce une surprise sachant que les patrons propriétaires de deux des groupes hégémoniques dans les médias se targuent d'être les meilleurs amis de votre candidat à la présidentielle ?

Où sont les espaces de liberté que nous appelions de nos vœux en 1981 ? Où sont les notions de pluralisme, d'égalité ? Le CSA lui-même s'est interrogé sur « la proportionnalité des avantages prévus en faveur des chaînes nationales analogiques », l'Arcep a renchéri en estimant qu’offrir une chaîne bonus aux chaînes existantes a pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit de ces seuls éditeurs. Et vous, Monsieur le ministre, vous restez droit dans vos bottes pour défendre un avantage totalement disproportionné.

M. le Ministre – Vingt chaînes gratuites pour tous les Français !

M. Michel Françaix – Chacun sait comment certains groupes, à la veille des élections de 2002, ont joué sur les peurs des Français et comment ce monopole sur les médias d'une pensée dominante constitue un réel danger pour la démocratie.

M. Dominique Richard – Respectez les journalistes !

M. Michel Françaix – La télévision joue un rôle majeur dans les désordres que connaissent nos sociétés et nous en sommes aussi responsables quand nous travaillons sur des projets bâclés.

À l'inverse, quels atouts donnons-nous aux nouveaux entrants de la TNT et aux chaînes indépendantes pour se développer et surtout pour survivre dans un environnement publicitaire féroce ? Lorsque vous évoquez les 465 millions dépensés pour la création…

M. le Ministre – 485 millions !

M. Michel Françaix – …par les opérateurs historiques contre 16 millions pour les nouveaux entrants, que ne mettiez-vous en parallèle les recettes publicitaires et autres revenus des uns et des autres, que ne rappeliez-vous que les chaînes historiques captent 75 % de la manne publicitaire ?

Quels avantages pour les nouveaux entrants ? Comment soutenons-nous leur politique de créativité ?

M. le Ministre – C’est nous qui les avons fait entrer !

M. Michel Françaix – Dans la course à l'audimat et par conséquent aux budgets publicitaires, ils partent avec un handicap qui ne les incite pas à investir lourdement dans des productions créatives. Qu'en sera-t-il avec la TMP, la multiplication des canaux et des supports n'engendrant pas automatiquement la qualité et la diversité des contenus ?

Nos collègues sénateurs ont renforcé les engagements des futurs candidats en matière de production et de diffusion sur ces nouveaux supports.

M. le Ministre – En effet.

M. Michel Françaix – Il est d'ailleurs regrettable que nous ne puissions dialoguer car les sollicitations dont nous avons été l’objet montrent à quel point ce texte dépasse les simples enjeux technologiques : le vrai débat se situe sur le plan culturel, économique, éthique, sociétal.

M. le Ministre – Tous les auteurs, tous les créateurs sont avec nous !

M. Michel Françaix – On ne rencontre pas les mêmes !

Les télévisions locales sont les grandes oubliées de la première vague de la TNT. Nous attendons toujours que le CSA lance les appels aux candidatures supplémentaires pour les services locaux en TNT sur le plan national. J’ai préconisé dans un rapport le financement de ces télévisions par la publicité de la grande distribution ; or, la manne de ce nouveau marché publicitaire, estimée à 250 millions, ira pour 80 % à TF1 ! Comme le souligne notre rapporteur, les télévisions locales sont moins développées chez nous qu’à l’étranger. Pourquoi ? Il faut créer un fonds de soutien comparable à celui existant pour l'expression radiophonique.

L'un des avantages de l'extinction de l'analogique était la libération de fréquences. L'occasion était rêvée de faire entrer de nouveaux venus, de renforcer le service public, de laisser enfin une place aux télévisions locales. Mais où ai-je la tête ? Comme, en arrivant au pouvoir, vous aviez ratiboisé les chaînes du service public sur la TNT, vous favorisez de nouveau TF1, M6 et Canal Plus en leur donnant d'office un canal supplémentaire !

M. Michel Herbillon – Caricature !

M. Michel Françaix – En clair, on favorise les riches, peut-être en espérant un renvoi d’ascenseur, au risque de fragiliser les nouveaux entrants et d’accentuer encore la concentration sur le marché de la télévision gratuite. Accroître le poids des puissants, oublier le service public, ignorer les télévisions locales ou associatives, ce n’est pas faire de la régulation, mais de la régularisation du droit des affaires. Une fois de plus, ce gouvernement cède aux pressions des grands groupes, au premier rang desquels TF1.

Il est inquiétant que les groupes qui ont bénéficié pour se développer d’une ressource publique rare et gratuite, le hertzien de terre, puissent penser que leur position est un droit acquis. La télévision du futur est pourtant plus une question de contenu que de vecteurs. Votre projet s’enferme dans une optique tantôt financière, tantôt technicienne. Je ne suivrai pas le rapporteur dans son ébriété technologique. Le ministre parlait d’archaïsme.

M. le Ministre – C’est vous qui l’êtes !

M. Michel Françaix – Je rêvais d’un audiovisuel qui n’impose pas l’uniformité. Mais une fois de plus, vous laissez la technique l’emporter sur le contenu, le commerce sur la pensée. Votre hâte est celle d’un gouvernement qui fait des soldes avant fermeture. Comme l’écrivait Apollinaire, « il est grand temps de rallumer les étoiles » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur – Les producteurs soutiennent ce texte.

M. Michel Herbillon – Ce projet fera date, même si l’on n’ose parler de réforme historique, tant la rapidité des évolutions dans le secteur audiovisuel contraint à adapter constamment le cadre législatif. D'autres réformes suivront donc bien évidemment.

Néanmoins, celle-ci marquera une étape décisive car elle traduit l’ambition fixée par le président de la République : celle de placer la France au tout premier rang dans les technologies numériques.

Le basculement complet vers le numérique dans un délai court et le développement de la télévision du futur dès 2007 auront des conséquences considérables et très positives en matière industrielle mais également pour la promotion de la diversité culturelle.

Une évolution de cette importance suppose cependant de prendre des garanties en matière de pluralisme et quant à l'égalité de traitement entre nos compatriotes et entre nos territoires.

Ce texte prend en compte l'ensemble de ces exigences. La large consultation que vous avez organisée, Monsieur le ministre, au printemps, auprès de tous les professionnels du secteur, y a sans doute grandement contribué.

L’aspect le plus positif est sans conteste d'offrir à tous nos compatriotes l'accès gratuit aux 18 chaînes de la TNT d’ici à 2011. En complément, l'ensemble des chaînes en clair seront diffusées dès l'été prochain par satellite, ce qui assurera la couverture de l’ensemble du territoire, y compris les zones de montagne.

En permettant que la TNT devienne ainsi la télévision numérique pour tous, ce texte contribuera à réduire la fracture numérique. Mais, pour que le passage au numérique soit un succès, il est indispensable d'engager une politique active d'information auprès des consommateurs. Les pouvoirs publics, mais aussi les industriels et distributeurs d'équipements électroniques doivent s'engager pleinement dans cette démarche dès l'adoption de la loi.

Il est également impératif de veiller à ce que les plus démunis puissent accéder à cette technologie. Le fonds d'aide, qui a été consolidé par le Sénat, sera pour cela un instrument décisif.

Le second point positif de cette réforme est que l'innovation technologique profitera au service public audiovisuel et au pluralisme de l'information.

Contrairement à ce que l'on entend parfois, le service public n'est pas pénalisé par le passage au numérique. Sa place est même confortée. D'ores et déjà, il compte sur le numérique deux fois plus de canaux qu'auparavant. Un septième canal lui sera prochainement affecté sur la TNT. Nous avons aussi l'assurance d’une diffusion de toutes les éditions régionales de France 3 par l'offre satellitaire gratuite. Enfin, le Gouvernement a pris l'engagement de préempter au bénéfice du service public une chaîne sur les deux ou trois canaux qui seront libérés en 2008, pour la diffusion de chaînes gratuites en haute définition. Un second canal sera attribué ensuite à France Télévisions dès qu'il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en HD.

Le pluralisme sera de même renforcé car l'accès gratuit à 18 chaînes au lieu de 6, à deux chaînes d'information en continu et aux chaînes parlementaires, le développement de la télévision mobile personnelle concourent à diversifier les vecteurs d'information.

Enfin, le projet offre des moyens supplémentaires à la création audiovisuelle et cinématographique. Le Sénat a eu raison de renforcer les obligations faites en la matière aux chaînes de compensation attribuées aux opérateurs historiques. De même, je me félicite de ce que le CSA tiendra compte des engagements en matière de production et de diffusion d'œuvres audiovisuelles et cinématographiques pour accorder les autorisations de service de télévision mobile. Enfin, la télévision mobile personnelle comme la télévision en haute définition contribueront au financement de la création par une taxe qui viendra abonder le compte de soutien à l'industrie des programmes.

Cette réforme crée les conditions permettant de faire du passage au numérique un succès populaire, et de dynamiser l'innovation technologique et la création dans notre pays. Alors, de grâce, ne sombrons pas, en cette période de campagne électorale, dans la démagogie et la caricature ! Regardons l'essentiel, et soutenons cette réforme qui va dans le sens d'un progrès pour tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, mercredi 31 janvier, à 9 heures 30.
La séance est levée à 0 heure 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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