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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mardi 6 février 2007

Séance de 9 heures 30

57ème jour de séance, 130ème séance

Présidence de M. Yves Bur
Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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abrogation du contrat nouvelles embauches

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Jean-Marc Ayrault, François Hollande, Jean Le Garrec et plusieurs de leurs collègues, visant à abroger le contrat de travail nouvelles embauches.

M. Jean Le Garrec, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – Le groupe socialiste n’a jamais cessé de s’élever contre le CNE, en particulier à l’occasion de la proposition de loi sur l’insertion des jeunes, déposée par Jean-Marc Ayrault et Gaëtan Gorce. Si nous souhaitons revenir sur ce sujet, c’est que nous sommes maintenant en mesure d’analyser les résultats de ce contrat. En cette période de débats particulièrement vifs, où l’emploi demeure la première préoccupation de nos concitoyens, nous devons savoir où nous en sommes. Nous mettrons aussi cette séance à profit pour connaître les propositions de la majorité, notamment celles du ministre candidat – mais peut-être faut-il parler de « candidat ministre » ?

M. Patrick Roy – La confusion règne !

M. le Rapporteur – Déposée le 23 juin 2005, après déclaration d’urgence et sans le moindre travail de préparation au Parlement, la loi d’habilitation a été promulguée le 26 juillet et l’ordonnance créant le CNE le 2 août : l’affaire a été bouclée en un temps record, sans aucun respect pour l’engagement solennellement souscrit par le Gouvernement, en particulier dans la loi du 4 mai 2004, de renvoyer à la négociation interprofessionnelle toute réforme de nature législative touchant le droit du travail. Quel mépris du Parlement et des partenaires sociaux ! Le CNE a été adopté à la hussarde, ce qui ne déplaît certainement pas à M. de Villepin, amateur de telles armes de taille et d’estoc !

Et surtout, le CNE démantèle les droits fondamentaux du travail en précarisant les salariés les plus précaires, c’est-à-dire ceux qui travaillent dans les entreprises comptant moins de vingt salariés, où la représentation syndicale est particulièrement faible. Que comprend en effet le CNE ? Période d’essai de deux ans, licenciement sans motivation, une simple lettre recommandée suffisant, pas d’entretien préalable et enfin préavis réduit à quinze jours.

M. Patrick Roy - Quelle régression !

M. le Rapporteur - Selon les premières enquêtes disponibles, 30 % des salariés embauchés en CNE ne travaillaient plus dans l’entreprise concernée au bout de six mois !

Ajoutons que l’ensemble du dispositif est contraire à la convention 158 du Bureau international du travail, qui impose une « période d’essai raisonnable ». Tous ceux qui connaissent le monde de l’entreprise savent bien qu’on n’embauche jamais un salarié sans avoir testé ses qualités et que la période d’essai raisonnable ne dépasse pas trois mois pour un salarié, et six pour un cadre. Il faudrait être un bien piètre chef d’entreprise pour ignorer encore les capacités réelles d’un employé au bout d’un tel délai ! Sur ce point, des recours ont été déposés par les syndicats devant la Cour de justice des Communautés européennes et devant le BIT.

M. Maxime Gremetz – Et ils ont gagné !

M. le Rapporteur – Non seulement le CNE apporte des restrictions exorbitantes aux protections fondamentales dont bénéficient les salariés, mais il n’a surtout en rien amélioré l’emploi. Toutes les études le montrent.

Mme Élisabeth Guigou - Exactement ! Le CNE n’apporte rien !

M. le Rapporteur – Le Gouvernement se référait à la sécurité des entreprises ; or le CNE les expose à une insécurité juridique totale : au 1er juillet 2006, les conseils de prud’hommes avaient déjà à connaître de 370 litiges. Et chaque semaine, le contentieux enfle, les plaignants se fondant généralement sur la convention du BIT. Même la CAPEB, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, a demandé à ses mandants de ne pas utiliser le CNE.

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales - Mensonge ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur – Ces réticences ont du reste provoqué une chute brutale du nombre de CNE signés : après un effet d’aubaine, nous sommes passés de 50 000 à environ 20 000 par mois. Et selon la DARES, seuls 6 % des CNE n’auraient pas été signés sous une autre forme juridique.

M. Maxime Gremetz - Il faut croire que le ministre n’écoute pas la DARES !

M. le Rapporteur – À raison de 20 000 nouveaux CNE par mois et compte tenu des chiffres de la DARES, le CNE ne devrait permettre de créer que 20 000 emplois en 2007 – et je ne déduis même pas les 30 % de CNE interrompus avant six mois ! Une étude de M. Carcillo le confirme.

Mme Élisabeth Guigou - C’est cher payé !

M. le Rapporteur – Pour un impact marginal sur l’emploi, vous avez donc violé les principes fondamentaux du droit du travail. Je ne peux croire que le Gouvernement n’en soit pas conscient. Faut-il incriminer son imprévoyance ? Son impréparation ?

M. Maxime Gremetz - C’est un choix !

M. le Rapporteur – Ou bien faut-il y voir une indication de ce que deviendra le droit du travail avec cette majorité ? Derrière le CNE se cache un projet…

M. le Ministre - …pour l’emploi !

M. le Rapporteur – Pas du tout : c’est le contrat unique qui se profile, ainsi que des abattements supplémentaires sur les heures supplémentaires, dont Pierre Cahuc a pourtant démontré l’inutilité. Derrière le CNE se cache le projet du Medef, qui a inventé ce terme extraordinaire, la « séparabilité », si possible à l’amiable et en tout cas sans protection pour le salarié et sans égards pour les rapports de force.

Une fois encore, vous vous appuyez sur le dogme éternel de la flexibilité et de la réduction des droits des salariés. Nous n’avons pourtant pas vu la couleur des 300 000 emplois promis par Yvon Gattaz, alors président du CNPF, en échange d’un allégement des contraintes pesant sur les entreprises. Il s’agit toujours de laminer les droits des salariés !

Une étude réalisée en Suisse sur l’ensemble des données européennes le démontre bien.

M. le Ministre – En Suisse ? Ce n’est pas un modèle socialiste pourtant…

M. le Rapporteur – Voilà une remarque stupide ! Je n’ai jamais parlé de modèle à propos de la Suisse ! Cette étude sérieuse et impartiale, que je cite dans mon rapport, montre que les indemnités moyennes de licenciement dans les PME sont inférieures en France à ce qu’elles sont en Autriche, en Irlande, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Selon une deuxième étude, la durée du préavis de licenciement obligatoire est inférieure en France à ce qu’elle est en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas et en Belgique. Il faudra bien cesser un jour de remettre en cause, au nom de l’emploi, les droits fondamentaux des salariés. Là, vous pouvez me répondre – pas sur la Suisse ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre – Je vous répondrai.

M. le Rapporteur – Les distorsions sociales nous sautent en effet aux yeux : nous détenons le record européen pour le taux de chômage des moins de 25 ans et de non-employabilité des plus de 55 ans. Là est le vrai débat, et il ne sert à rien de le dissimuler sous les formules à l’emporte-pièce du ministre candidat. Je n’accepte pas qu’on parle de trahison des salariés par la gauche : nous avons l’histoire pour nous, et il est trop facile d’en appeler aux grands hommes de la gauche comme Jaurès ou Blum – qui ont mené ces combats toute leur vie – pour faire croire que c’est vous qui avez la réponse ! « C’est extraordinaire, me disait un jour François Mitterrand, comme la droite aime les grands responsables socialistes lorsqu’ils sont morts ».

M. le Ministre – Il y en a moins aujourd’hui.

M. le Rapporteur – Parlons donc des vrais débats – je vous ai posé des questions. Échec sur la protection des droits fondamentaux des salariés, échec sur l’emploi, et chèrement payés : c’est ainsi qu’on dégrade la conscience collective d’un pays. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gaëtan Gorce – Intervenir après Jean Le Garrec est une tâche difficile. Le Gouvernement aurait d’ailleurs pu répondre à son rapport et faire part de ses intentions, mais il considère que le débat est réglé, alors que nous avons le sentiment qu’il est ouvert devant le pays et qu’il sera au cœur de la campagne électorale.

Nous avons été nombreux à nous étonner que le Gouvernement soit représenté non par le ministre du travail ou de la cohésion sociale, mais par celui des petites entreprises, du commerce et de l’artisanat.

M. le Ministre – Petites entreprises que vous n’aimez pas.

M. Gaëtan Gorce - Monsieur le ministre, les débats dans cet hémicycle sont en général sereins, et le plus souvent policés – surtout le mardi matin. Que le Gouvernement prenne l’initiative de la polémique et des interruptions désagréables, comme vous l’avez fait avec Jean Le Garrec, montre assez la nature de la politique que vous entendez conduire.

M. le Ministre – C’est vous qui avez commencé !

M. Gaëtan Gorce - Elle est à la fois agressive et peu respectueuse de l’opposition, comme elle sera demain peu respectueuse des salariés. Nous avons le souci de l’entreprise. Mais celle-ci se résume pour vous à celui qui la dirige et à ses résultats. L’idée même qu’il puisse y avoir une communauté de travail, une solidarité entre celui qui dirige l’entreprise et ceux qui y travaillent, qu’ils puissent être portés par un objectif commun – créer de la richesse – et qu’il faille pour l’atteindre accorder aux salariés des protections et des rémunérations, vous est étrangère. Si c’est le ministre des petites entreprises qui représente aujourd’hui le Gouvernement, c’est donc parce que vous avez fait un choix, qui se précise à mesure que votre candidat s’exprime dans les médias : appréhender la relation de travail non comme une relation collective, ainsi que cela s’est toujours fait dans notre droit du travail, mais comme une relation exclusive entre l’employeur et le salarié. Vous voulez rétablir entre l’employeur et le salarié une relation injuste et inégalitaire.

M. le Rapporteur – Très bien.

M. Gaëtan Gorce – Vous considérez donc que c’est dans ce seul cadre que doit être réglée la question des salaires.

Vous prétendez résoudre le problème du pouvoir d’achat par l’augmentation des heures supplémentaires. Non seulement vous allez en faire supporter le coût au salarié contribuable, via les exonérations de cotisations et d’impôt sur le revenu – 5 milliards d’euros –, mais vous laissez penser que cela résoudra la question du pouvoir d’achat, alors que le salarié ne décide ni du nombre de ses heures supplémentaires, ni de leur rémunération ! C’est oublier que dans tous les pays socialement avancés, le pouvoir d’achat est un objet légal de négociation entre les représentants des salariés et ceux des employeurs. Bref, ce que vous proposez n’est pas seulement un leurre pour les salariés : c’est une illustration claire de votre conception des rapports entre le salarié et l’employeur – et j’oserai dire une régression, puisque notre système de protection sociale et de relations du travail s’est au contraire construit sur l’idée que les travailleurs doivent s’organiser pour pouvoir négocier et conclure des conventions collectives avec leurs employeurs.

J’appelle donc l’attention de cette assemblée et de nos concitoyens sur la logique qui est à l’œuvre. La même prévaut d’ailleurs dans la manière dont vous abordez l’assistance et le retour au travail. La question ne serait que celle de l’effort individuel et du mérite qu’il faut récompenser, ce qui suppose que celui qui ne trouve pas de travail n’a entrepris aucun effort et ne mérite par conséquent ni considération, ni mobilisation de la collectivité. Comme avec le CPE et le CNE, vous engagez ainsi une « bataille du travail », qui nous permettra de démasquer la réalité de vos propositions. Oui, il faut moderniser nos relations sociales, faire évoluer les rapports entre l’employeur et les salariés et promouvoir une autre vision de l’entreprise. Mais ce n’est pas le XIXe siècle qui doit inspirer ces réformes !

Autre exemple, celui du temps de travail. Vous n’avez de cesse de dénoncer les 35 heures comme la paresse organisée. (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP) M. Fillon, proche collaborateur du candidat Nicolas Sarkozy – qui fait désormais référence aux mânes de la gauche –, ne déclarait-il pas ici même en 2003 que les 35 heures étaient une catastrophe pour l’économie française…

M. Bernard Pousset - C’en est une.

M. Gaëtan Gorce - …comme l’avaient été les 40 heures et le Front populaire, responsables de la défaite de 1940 ? Ce faisant, il instruisait le procès de Riom, celui-là même où Léon Blum se vit accusé d’avoir affaibli la France en créant les congés payés et les représentants ouvriers, en augmentant les salaires et en ramenant la durée du travail à 40 heures. Bref, cette droite qui prétend moderniser nos relations sociales s’inspire en réalité de ce qu’il y a de plus régressif dans notre histoire ! Notre pays a besoin de travailler non pas plus, mais mieux. Pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, il faut encourager l’innovation, la recherche, la qualification et la formation. Parler des 39 heures ou des 40 heures est donc un leurre. Si M. Sarkozy veut revaloriser le travail, la conception qu’il en a ignore les conditions réelles de travail dans notre pays. Vous avez été jusqu’à autoriser, dans une des lois votées par la majorité, l’échange contre rémunération des repos compensateurs accordés pour protéger la santé et la sécurité des salariés ! Cette conception du travail ne réglera ni la question du pouvoir d’achat, ni celle de l’emploi. Elle entraînera au contraire une régression des droits sociaux et des droits du travailleur, dont la dignité est pourtant reconnue par le préambule de notre Constitution.

Le CNE n’est qu’une illustration de cette philosophie. Il inspirera le futur contrat unique – sans pourtant, a tenté de convaincre M. Xavier Bertrand, lui ressembler. Nous avons bien compris que ceux qui peuvent aujourd’hui être embauchés en CDI le seront demain par un contrat unique, qui permettra de les licencier sans conditions, motifs ni délais pendant une période plus longue, et ce au mépris de nos engagements internationaux. Votre façon de valoriser le travail, c’est de répondre par la précarité du travail ! La bataille du travail est engagée. Nous avons bien l’intention de la gagner, et c’est pourquoi nous avons choisi de porter le fer dès ce matin sur le CNE. Nous ne voulons pas de ce monde du travail du XIXe siècle : nous voulons une société moderne, un travail efficace et actif, un salarié reconnu, des syndicats qui s’engagent dans le dialogue social – bref, le contraire de votre projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Maxime Gremetz - Farouchement opposé à sa création, et auteur d'une proposition d'abrogation dès avril 2006, le groupe des députés communistes et républicains réclame évidemment l'abrogation du CNE. Cet OVNI apparu dans le code du travail, cette entorse aux principes communs du contrat de travail dont certains déclarent vouloir s'inspirer pour créer le contrat unique est non seulement inacceptable mais inefficace pour l'emploi. Cette proposition nous donne donc l'occasion de tirer un nouveau bilan du CNE et de dessiner, dans une perspective de progrès, les moyens de favoriser l'emploi stable.

Pour commencer, il est tout à fait surprenant, Monsieur le ministre, que vous n’ayez pas examiné en détail les chiffres de l’emploi de cette Picardie que vous vous apprêtez à déserter pour la Champagne. Dans notre région, qui connaît un des plus fort taux de chômage de France, et le plus fort taux de précarité de l’emploi, vous annoncez 65 000 chômeurs en moins, qui seraient donc devenus invisibles !

Le CNE est inacceptable car il balaye des décennies de droits sociaux fondamentaux : la justification du motif de licenciement et la limitation de la durée de la période d'essai ; l’ensemble du monde du travail s'est indigné de ce bouleversement sans précédent de la norme sociale. À cela s'ajoutent l'inefficacité et l'insécurité juridique du CNE. Les auteurs de ce nouveau contrat ont beau avoir promis qu’il créerait des emplois, il n'en n'est rien. Plutôt que de libérer le marché de travail, le CNE a multiplié les contentieux. Et pour cause : ce contrat de travail dérogatoire, sacrifiant la protection du salarié, ne pouvait fonctionner en raison de l'insécurité juridique dans laquelle il plonge les employeurs, comme la présidente du Medef l’avait elle-même avoué.

Aujourd'hui qu'en est-il ? Écoutez-moi, Monsieur le ministre, avant de contester les chiffres que je vais citer…

M. le Ministre - Je vous écoute.

M. Maxime Gremetz - …qui émanent pourtant de la DARES, que vous ne pouvez taxer d’incompétence et dont les études, indiscutables, démontrent la tromperie que représente le CNE. Selon elle, 35 % des CNE signés l'ont été par des salariés qui travaillaient déjà dans l'entreprise sous d'autres formes d'emploi ! 71 % des entreprises qui ont signé des CNE avouent qu’elles auraient embauché de toute façon – et pour 40 % d’entre elles, en CDI !

M. Jean Le Garrec – Parfaitement.

M. Maxime Gremetz - Autrement dit, vous leur offrez la possibilité de maintenir le salarié dans la plus complète incertitude pendant deux ans.

Une étude du ministère de l'emploi publiée en juin précise même que 90 % des CNE se sont substitués à des CDI et à des CDD, ce qui signifie a contrario que 10 % seulement des contrats signés constituent des créations d'emploi réelles.

M. le Ministre – C’est déjà beaucoup ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Ce sont 80 000 emplois ainsi créés !

M. Maxime Gremetz - Et combien d’aubaines pour les entreprises ? Et combien de salariés plongés dans la précarité ? De plus, l'INSEE révèle que 30 % de ces contrats étaient rompus six mois après avoir été signés. Le bilan véritable du CNE s’établit donc à 10 % des contrats signés, dont 30 % sont rompus dans les six mois ! Combien d’emplois ont-ils été vraiment créés ? Cela vous fait sourire, Monsieur le ministre, parce que vous n’êtes ni employé ni en CDD – ce qui n’empêche que vous êtes sur un siège éjectable…

M. le Ministre – Vous aussi…

M. Maxime Gremetz - Le CNE s’est incontestablement substitué à des contrats de travail plus stables, dans un contexte de l’emploi tel que la part des contrats précaires ne cesse de croître. En Picardie, le chômage a un peu reculé, mais qui parle de l’augmentation concomitante et continue des petits boulots et du travail précaire ? En 2005, près de huit recrutements sur dix ont été faits en CDD et, selon une étude de l'ACOSS, les CDD de moins d'un mois qui concernaient 35 % des intentions d'embauches en 2000, en représentent désormais plus de 50 %. Enfin, l'intérim se développe dans tous les secteurs. Ainsi, tout est fait pour fragiliser le CDI, pour qu'il devienne l'exception et l'emploi temporaire et précaire la norme.

Tout cela alimente la précarité du monde du travail et rend beaucoup moins crédible le discours « ouvriériste » du candidat UMP à l'élection présidentielle…

M. Yves Durand - Discours démagogique !

M. Maxime Gremetz - Certes ! Ses larmes de crocodile et son émotion feinte lors de ses rencontres avec les salariés en lutte pour leur emploi ne trompent personne. Il oublie bien vite la générosité de sa majorité envers le patronat, générosité qui s’est traduite par 65 milliards d'aides publiques versées aux entreprises en 2005 seulement, par le biais de 6 000 dispositifs d'exonérations de charges. Pourquoi ce ministre en exercice attend-il l'élection présidentielle pour demander à Aubade, DIM, Well, Aréna, de rendre des comptes sur les aides publiques perçues ? Que dire de l'assouplissement des 35 heures et des règles du licenciement économique adoptés dans la loi de cohésion sociale ? Que dire du laisser-faire face à la multiplication des restructurations et des délocalisations, que prouve encore le rejet de notre proposition de loi, il y a deux semaines ? Que dire des mesures connexes comme celles qui visent les seuils des effectifs, ou encore les attaques contre la justice prud'homale ?

Tel est le véritable bilan de cette majorité, que le tripatouillage des statistiques ne parvient pas à masquer. Avec cette politique, nos concitoyens sont victimes d'une double peine, condamnés qu’ils sont aux « petits boulots », donc aux petits salaires. Nous voulons rompre avec cette spirale infernale. Nous refusons de nous résigner à l’idée que l'emploi temporaire et précaire deviendrait la seule perspective d'embauche. Ce n’est pas notre projet de société, et nous lui opposons une autre vision. D’autres choix sont possibles que de supprimer les acquis sociaux et de dilapider l'argent public en versant des aides destinées à gonfler un peu plus le portefeuille des actionnaires ! M. Philippe Seguin, premier président de la Cour des comptes, n’établit-il pas lui-même que ces aides ont pour seul effet un effet d’aubaine ?

Trois mesures doivent être prises immédiatement pour relever le défi de l'emploi et des salaires. La première, c’est d’augmenter sans délai toutes les grilles salariales et le SMIC en le portant à 1 500 euros tout de suite. Ainsi augmentera-t-on le pouvoir d'achat, ce qui relancera la croissance atone de ces dernières années. Il faut ensuite que s’engagent, dans chaque entreprise, des négociations tendant à définir des plans de remplacement des départs à la retraite contre embauches. Les générations nées après 1945 partent massivement à la retraite, évolution démographique qui n'est pas sans influence sur la légère décrue des chiffres officiels du chômage au cours de ces derniers mois. Ce mouvement devrait s'accentuer encore pour atteindre un rythme annuel moyen de 600 000 départs jusqu'en 2015. Ce doit être un levier pour consolider le salariat et non pour le précariser, en recrutant des centaines de milliers de personnes. Cela réduira significativement le chômage, particulièrement chez les jeunes, tout en régénérant les capacités d'innovation des entreprises. Nous proposons donc d’inscrire dans le code du travail l'obligation pour l'employeur de soumettre à l'accord majoritaire des représentants des salariés un plan de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches. C’est la philosophie qui sous-tend la convention ARPE.

Il faut enfin légiférer, après négociation entre les partenaires sociaux, pour appliquer un plan de sécurité d'emploi et de formation. Il ne s’agit pas de s’inspirer du modèle danois pour instituer la « flexisécurité » mais de définir un véritable plan de sécurisation des parcours professionnels tout au long de la vie, comme on a institué la sécurité sociale après guerre. La sécurisation des parcours suppose le droit d'occuper un emploi stable et correctement rémunéré et de bénéficier de formation tout au long de la vie. Elle suppose aussi la résorption de toutes les formes d'emploi dégradées et dérogatoires au CDI, l’instauration de droits nouveaux pour les salariés et l’émergence de financements publics alternatifs à la loi de la rentabilité et du profit maxima.

La période qui s’ouvre permettra de faire tomber les masques et de distinguer ceux qui souhaitent alléger encore un peu plus les protections garanties par le code du travail et ceux, qui comme nous, se placent résolument du côté du progrès social, en faveur du monde du travail, pour donner comme perspective une vie meilleure. L’abrogation du CNE participe de cette démarche de changement. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Claude Gaillard - Si j’ai bien compris M. Gremetz, il suffirait, pour tout régler, d’une loi en deux articles, ainsi libellée : « Article premier : obligation est faite d’embaucher » ; article 2 : « Interdiction est faite de licencier » ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Un député socialiste – Caricature !

M. Claude Gaillard - M. Le Garrec, pour sa part, connaît les problèmes des entreprises – les grandes entreprises alors que ma expérience concerne plutôt les PME – et c’est toujours un grand plaisir de débattre avec lui, même si, ce matin, son propos m’a paru excessif.

M. Alain Néri - Il a été très bon !

M. Claude Gaillard – Sur le CNE, chacun peut y aller de ses chiffres. Il semblerait qu’il y en ait aujourd’hui 780 000…

M. Maxime Gremetz - D’après quelles études ?

M. Claude Gaillard - …, soit 80 000 créations nettes d’emploi au minimum. Ainsi, 16 % d’emplois auraient été anticipés grâce au CNE, sans lequel ces créations n’auraient pas eu lieu – c’est la DARES qui le dit –, et 5 à 6 % ont pu être créés rapidement, les employeurs considérant que le CNE leur permettait de prendre des risques.

Je suis fier d’avoir été rapporteur de la loi sur le CNE. En France, la logique de la petite entreprise de moins de vingt salariés n’a rien à voir avec celle de la lutte des classes ou celle des grandes entreprises. Dans notre pays, créer et développer son entreprise reste difficile et aléatoire, alors que le potentiel de création d’emplois réside dans les petites et moyennes entreprises.

M. le Rapporteur – Nous sommes d’accord !

M. Claude Gaillard - Il ne s’agit donc pas de nous réfugier derrière des politiques malthusiennes, mais de voir comment nous pouvons créer de l’activité et de l’emploi.

M. Patrick Roy - Et de la précarité !

M. Claude Gaillard - Écoutez, c’est très désagréable ! Nous avons un débat de fond, ce n’est pas une polémique partisane. J’ai eu, quant à moi, la décence de vous écouter, même si je ne suis pas d’accord en tout avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Avec le CNE, nous avons essayé d’équilibrer la prise de risque, entre le chef d’entreprise et le salarié, pour pouvoir créer ensemble, grâce à un tel partage, des emplois durables. Des mesures ont été prises en faveur des salariés, qui représentent des contraintes tant pour les pouvoirs publics que pour les employeurs. L’employeur, qui connaît chacun de ses collaborateurs, ne licencie pas par plaisir. Il s’agit de l’aider à conserver ses effectifs. Comme nous ne sommes pas certains de réussir, l’expérimentation est la meilleure formule : ainsi, le CNE consiste à adopter sur un périmètre réduit – les entreprises de moins de vingt salariés – une méthodologie nouvelle – un pari sur des choix gagnant-gagnant –, avant d’examiner, au bout de quelque deux années, si cela fonctionne…

M. Alain Néri - Il vous faut deux ans pour voir que ça ne marche pas !

M. Claude Gaillard - …et si davantage d’entreprises et d’emploi ont effectivement été créés. Je regrette que, plutôt que de mettre à profit la campagne présidentielle pour avoir un débat de fond, l’opposition en revienne aux antagonismes dogmatiques d’il y a vingt ou trente ans, fondés sur la lutte des classes.

Dans les grandes entreprises, CDI ou pas, le licenciement ne pose pas de problème ; la difficulté réside dans les petites entreprises, où l’employeur a autre chose à faire. Or, contrairement à ce que vous affirmez, le CNE n’a pas aggravé la précarité, car le nombre de CDI a augmenté sur la période. Le CNE s’est donc substitué au CDD et a bien favorisé la création d’entreprises. En outre, il s’inscrit dans un réforme plus globale de l’emploi, avec la modernisation des services à la personne, de l’orientation des jeunes vers des métiers qui leur plaisent, de l’apprentissage, de l’accompagnement des chercheurs d’emploi.

Notre pays n’est pas naturellement entrepreneurial : il n’y a qu’à voir, dans cet hémicycle, combien viennent de l’entreprise !

M. Maxime Gremetz – Arrêtez ! Vous n’avez qu’à modifier le mode de scrutin.

M. Claude Gaillard – Il est donc essentiel de revaloriser l’image de l’entreprise et notamment ne plus laisser croire que, dans les petites et moyennes entreprises, il s’agisse à tout prix de protéger les salariés contre des chefs d’entreprise qui ne penseraient qu’à les maltraiter ou à profiter d’eux. Aujourd’hui, 70 % des contrats nouvelles embauches signés sont toujours en cours ; parmi les 30 % qui ont été rompus, autant l’ont été par les employeurs que par les employés. Je ne suis pas sûr que les proportions étaient les mêmes il y a deux ans.

Nous avons un rendez-vous en 2008 : pourquoi ne pas nous y tenir ? En fonction du bilan, il conviendra de supprimer, de corriger ou de développer le CNE. Mais je souhaiterais davantage de modestie lorsque nous recherchons le moyen d’aider les gens à prendre des risques et à créer des entreprises pour que la France devienne un pays un peu plus entrepreneurial. À défaut, toutes les contraintes resteront vaines : un chef d’entreprise, à la fin du mois, doit payer son carnet de commande, sinon c’est le dépôt de bilan.

M. Alain Néri - Et le salarié doit payer son loyer !

M. Claude Gaillard - Nous connaissons tous des entreprises qui ont réduit leurs effectifs tout en gagnant autant. C’est pourquoi la recherche doit être collective, pour déverrouiller progressivement et enrichir le contenu des négociations partenariales. Nous avons tous à progresser sur cette question : les 35 heures n’étaient pas précisément un modèle du genre ! Sortons de la lutte des classes ; notre pays en a besoin, car la première précarité est le chômage et la difficulté d’espérer. Je n’accepte pas que nous subissions un chômage élevé à cause de paroles d’un autre temps qui rabaissent le débat.

C’est pourquoi le groupe UMP votera résolument contre cette proposition de loi, tout en restant ouvert…

M. Maxime Gremetz - Ça ne se voit pas !

M. Claude Gaillard - …quant à l’évaluation qui doit venir. Je regrette que l’opposition refuse de faire un bout de chemin avec nous (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Roy - Les salariés apprécieront !

M. Alain Vidalies - Nous vous proposons d’abroger l’ordonnance du 2 août 2005 créant le contrat nouvelles embauches. J’ai trouvé l’intervention du représentant de l’UMP assez étrange. Le CNE n’aurait ainsi été créé – ce qui n’avait jamais été entendu – que pour favoriser la création d’entreprises. Comme si, après le CNE, il n’y avait pas eu le CPE ! Vous ne pouvez pas dire que la situation des petites entreprises était seule concernée, alors que vous avez essayé ensuite, avec le CPE, de généraliser le principe du licenciement sans motif pendant deux ans à tous les jeunes de moins de 26 ans, et que le programme du candidat, ministre et président de l’UMP prévoit de généraliser le modèle du CNE (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez donc, en réalité, tenté d’imposer une certaine idée des relations sociales, dans des circonstances qui bafouent le principe même du dialogue social, violent les engagements internationaux de la France et constituent une véritable régression vers l’ordre juridique qui prévalait au XIXe siècle.

M. Alain Néri - Eh oui ! C’est le retour des maîtres de forge.

M. Alain Vidalies – Les conditions d’adoption de l’ordonnance disqualifient ce gouvernement et sa majorité pour évoquer le dialogue social. Alors que la loi du 4 mai 2004 portait l’engagement solennel de renvoyer à la négociation collective toute réforme du droit du travail, vous avez, pour imposer le CNE, renié cet engagement, qui plus est au cœur de l’été, au moment où l’attention est la moins vigilante. Ce calendrier révèle que vous étiez conscients de votre mauvais coup !

Or, le même jour, vous publiiez une ordonnance tout aussi régressive et pour le moins saugrenue, visant à exclure les salariés de moins de 26 ans du calcul des effectifs pour la création d’institutions représentatives du personnel ; il fallait l’imaginer ! Cette disposition vient d’être sanctionnée par la Cour de justice des communautés européennes.

Le CNE a, quant à lui, échappé à la sanction du juge grâce à une mascarade juridique extraordinaire. À l’évidence, le principe d’une période de deux ans pendant laquelle le salarié peut être licencié sans motif est contraire à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail ratifiée par la France. Et vous êtes tellement convaincus du sort que les tribunaux réserveront à cette ordonnance que vous avez organisé un dispositif proprement rocambolesque. En effet, la Chancellerie ira jusqu’à diffuser deux circulaires, le 28 novembre 2005 et le 8 mars 2006, donnant instruction au ministère public de demander communication de toutes les procédures concernant l’application du CNE. Il n’existe, dans l’histoire de notre République, aucun exemple d’une telle ingérence des parquets dans la procédure prud’homale.

Comme on pouvait s’y attendre, un conseil de prud’hommes a relevé que votre dispositif était incompatible avec le « délai raisonnable » prescrit par la convention 158 de l’OIT. La cour d’appel a été saisie. Mais le Gouvernement a soulevé l’incompétence de l’ordre judiciaire au seul motif que l’ordonnance n’ayant pas été ratifiée, elle restait du domaine réglementaire ! Vous voulez rester dans le champ de compétence des tribunaux administratifs pour tenter de vous soustraire à la sanction du juge judiciaire. Celui-ci a résisté et la cour d’appel de Paris a, le 20 décembre 2006, rejeté, le déclinatoire de compétence du préfet de l’Essonne. Le Gouvernement a alors engagé une procédure devant le tribunal des conflits, avec pour seul objectif d’éviter la sanction du juge judiciaire avant les élections. Selon le terme d’un juriste éminent, c’est une justice baroque. C’est surtout une triste histoire pour la démocratie sociale. La fin de cette ordonnance est programmée. Autant la voter aujourd’hui.

Lorsque vous avez voulu étendre la mesure à tous les jeunes par le CPE, vous avez dû reculer devant une mobilisation sans précédent. Comment proposer, en 2007, un système autorisant le licenciement sans motif pendant deux ans ? Il faut remonter avant le Front populaire pour trouver une telle disposition, dans le code du travail de 1928. Quelle régression ! Comment accepter qu’un salarié soit renvoyé sur un simple mouvement d’humeur, sans aucun contrôle ?

M. Claude Gaillard - Bien sûr, les chefs d’entreprise sont de sales types !

M. Alain Vidalies - Le CNE, c’est l’extrême précarité au travail, mais aussi dans la vie. Ce délai de deux ans n’existe dans aucun pays développé. Il traduit votre conception de la société et de l’entreprise.

M. Richard Mallié - Mieux vaut ne rien faire.

M. Alain Vidalies - Pour vous, c’est le droit du travail qui constitue un frein à l’embauche. C’est, politiquement, du néo-poujadisme, et, idéologiquement, cet ultralibéralisme au nom duquel vous avez, en cinq ans, démantelé le code du travail pour un résultat qui n’est applaudi que dans les congrès de l’UMP.

M. Jean Michel - Et du Front national !

M. Alain Vidalies - Le dernier scandale est votre refus de publier, comme tous les ans, le résultat de l’enquête sur l’emploi de l’INSEE, seul instrument à même de nous donner les chiffres au sens du BIT. Auriez-vous peur que les chiffres ne correspondent pas à ceux qui vous utilisez dans votre propagande ? Les Français s’en rendent déjà compte.

Vous n’avez tiré aucune leçon de la crise du CPE, et votre projet électoral vise à généraliser la précarité. Devant le congrès de la CGPME, le candidat ministre de l’intérieur président de l’UMP a annoncé qu’un contrat de travail unique, inspiré du CNE, serait une bonne occasion de simplifier le droit du travail. Cette question sera au cœur de la campagne électorale. Vous voulez généraliser le CNE. Nous voulons le supprimer. Le mieux serait de le faire dès aujourd’hui. À défaut, les Français le feront par leur bulletin de vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Roy - M. Vidalies a fait un discours royal !

M. le Ministre – Tous les gouvernements ont cherché des solutions au chômage de masse. Pour notre part, nous nous sommes demandé pourquoi, en France, les très petites entreprises ne créaient pas d’avantage d’emplois. De façon très pragmatique, nous sommes allés interroger les artisans, les commerçants, les prestataires de services pour savoir ce qui les déciderait à embaucher. Nous sommes donc allés sur le terrain, au plus près de la réalité. Or, au cours de ce débat, j’ai constaté avec regret que ni M. le Garrec, ni M. Gorce, ni M. Vidalies, ni M. Gremetz ne sont entrés dans ces petites entreprises pour en comprendre le fonctionnement. (vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Roy – C’est affligeant !

M. le Ministre - Je veux rendre justice à ces entreprises de moins de vingt salariés qui représentent 97 % des 2 500 000 entreprises françaises.

M. Richard Mallié - Pour eux, il n’y a que la SNCF.

M. le Ministre - Elles regroupent des salariés, et des chefs d’entreprise – j’espère que vous les connaissez (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – ce sont la plupart du temps d’anciens salariés. Je vous rappelle également…

M. Maxime Gremetz - Ne jouez pas au professeur !

M. le Ministre - …que sur cent entreprises qui se créent, un tiers l’est par des chômeurs. Dès lors, parler comme vous le faites des maîtres de forges, du Medef, du CAC 40, de l’ultralibéralisme, procéder à une assimilation avec les grandes entreprises, traduit une méconnaissance stupéfiante de ce monde.

M. le Rapporteur – C’est caricatural !

M. le Ministre - Aujourd’hui, une petite entreprise vit dans l’incertitude. Quand elle embauche un salarié, elle ne sait pas du tout si, dans un premier temps, elle dégagera le chiffre d’affaires nécessaire pour le rémunérer. Il faut trois ans pour vérifier qu’elle est viable. Toutes ne passent pas ce cap.

M. Alain Néri - Alors vous allez porter le délai de licenciement à trois ans ?

M. le Ministre – Le délai de deux ans ne vise pas à vérifier les capacités du salarié recruté, mais la viabilité économique de l’entreprise. Mettez-vous à la place d’un commerçant, un artisan, un restaurateur, qui a le sentiment qu’il peut développer sa petite entreprise…

Plusieurs députés socialistes – Mettez-vous à la place du salarié !

M. Maxime Gremetz - Et répondez plutôt aux questions !

M. le Ministre – Il n’est sûr de rien. Si on lui permet d’embaucher, mais pas de licencier au besoin, il va s’auto-limiter et un certain nombre d’emplois ne seront pas créés.

J’ai beaucoup de respect pour ces salariés, ces chômeurs, qui ont décidé de créer de l’emploi pour les autres. Vous avez pour ce monde-là un mépris qui me choque. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) J’ai même été stupéfait d’entendre, il y a un an, Mme Ségolène Royal…(Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur – Nous sommes ici au Parlement. !

M. le Ministre – Elle est députée. Elle a dit que les entreprises qui signeraient des CNE seraient privées des subventions de la région Poitou-Charentes.

M. Maxime Gremetz - Et de la région Picardie !

M. le Ministre – Ce n’est plus la République française, c’est la République des socialistes.

M. le Ministre – Si vous pensez socialiste, vous avez droit aux subventions de la région Poitou-Charentes. Mais si vous voulez créer de l’emploi, vous êtes un mauvais citoyen, un mauvais artisan, un mauvais commerçant,

M. Christian Paul - Et vous, vous êtes un mauvais ministre !

M. le Ministre - Et on vous coupe les vivres. Voilà la vision que Mme Royal propose aujourd’hui, et qui rompt avec un principe fondamental de la République, l’égalité devant la loi.

M. Jean-Claude Perez - C’est minable !

M. le Ministre - En 1997, vous avez créé les emplois-jeunes. Selon tous les juristes, ils étaient beaucoup plus précaires que le CNE. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Serge Janquin - Faux, c’est faux !

M. le Ministre - Ils n’ont débouché sur pratiquement aucun emploi stable, contrairement au CNE, ne donnaient pas droit à un régime d’indemnités favorable, n’étaient assortis d’aucune formation. (Mêmes mouvements) L’emploi-jeune, c’était la précarité sans perspective. Le CNE est beaucoup favorable. S’agissant de précarité, je vous renvoie donc à vos œuvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

D’autre part, vous avez eu l’occasion de vous exprimer sur le CNE à de nombreuses reprises,…

M. Maxime Gremetz - Parlez donc de l’étude du ministère du travail !

M. le Ministre - …le projet de loi d’habilitation sur l’emploi en juin 2005, puis la proposition de loi d’avril 2006 sur l’accès des jeunes à la vie active.

L’important c’est que, quand vous avez quitté le pouvoir en 2002, le chômage augmentait chaque mois. Aujourd’hui, il baisse chaque mois. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Hélène Mignon - Les chiffres sont faux !

M. Alain Néri - Et le nombre de érémistes augmente !

M. le Ministre - Je comprends votre dépit d’avoir échoué, c’est humain. Cela ne donne pas droit à sombrer dans l’idéologie la plus étriquée.

M. Patrick Roy - Le Gouvernement a peur de parler du RMI !

M. le Ministre – Avec 360 000 demandeurs d’emploi de moins en 2006, le taux de chômage est de 8,6 %, soit le plus bas depuis six ans. De jour en jour, le chômage recule.

Le CNE y a contribué pour sa modeste part. Si l’on reprend les études de la DARES – chères à M. Gremetz – ce sont au minimum 80 000 emplois qui n’auraient pu être créés sans l’existence du CNE.

M. le Rapporteur - Ça n’est pas comme ça que ça se passe !

M. le Ministre - La bataille pour l’emploi requiert des instruments variés et adaptés à toutes les catégories d’entreprises.

Monsieur le Garrec, sachez que la CAPEB fait partie de l’UPA. Et l’UPA – que vous ne connaissez probablement pas (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et qui réunit trois familles de l’artisanat : la CAPEB, la CNAMS et la CGAD – soutient le CNE. Les artisans, loin d’être les loups-garous que vous avez dépeints, sont suffisamment conscients des problèmes de l’emploi pour le considérer adapté aux TPE.

Contrairement à vos affirmations, le CNE ne s’est pas substitué au CDI, mais l’a complété (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Les employeurs des TPE en ont fait un usage modéré, créant 80 000 emplois. Votre politique, au contraire, consiste à accabler les petites entreprises de charges, d’impôts et de contraintes administratives supplémentaires.

M. le Rapporteur - Mais où avez-vous entendu cela ?

M. le Ministre - Vous assimilez leurs patrons aux maîtres de forge, aux capitalistes prédateurs ou encore aux barons du CAC 40. Aucun boulanger ou maçon français ne peut se reconnaître dans votre discours, et pas davantage leurs salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Votre seule proposition est d’abroger, de supprimer, de retourner en arrière, et finalement, d’empêcher ceux qui veulent créer des emplois de le faire. Vous ouvrez bien large la route au chômage de masse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Je suis très choqué par votre discours. Il est vrai que votre formation d’énarque et de conseiller d’État ne vous a pas préparé à connaître les problèmes des entreprises ! En tant qu’ancien ministre de tutelle de l’ENA – et le seul à avoir été aussi syndicaliste et homme d’entreprise – j’avoue que vous donnez l’image parfaite de ce que je récuse : affirmations gratuites et méconnaissance des problèmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Je rejoins M. Gaillard. On peut avoir des désaccords, mais on doit parler de la même chose. J’ai toujours considéré – par expérience, ce qui n’est pas votre cas – que les petites entreprises et l’artisanat étaient une clé pour l’emploi.

Je suis de ceux qui se sont battus pour que le contrat de plan – que j’ai signé – aide les petites entreprises à se développer. C’est le gouvernement Jospin qui a créé la TVA à taux réduit, permettant à l’artisanat et aux petites entreprises du bâtiment de se développer de manière extraordinaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Ne déformez pas mes propos, Monsieur le ministre ! Je faisais référence à la CAPEB, qui, si elle est membre de l’UPA, conserve son autonomie d’expression. Or elle a jugé « dangereuse l’apparence de facilité conférée au CNE », et reste clairement opposée au CNE !

M. Jean-Paul Charié - Non !

M. le Rapporteur - Quand, dans la sous-traitance, beaucoup de petites entreprises se font payer à 120 jours par les grands donneurs d’ordre, elles sont prises en otages et courent de grands risques financiers.

M. Hervé Novelli - Ça n’a rien à voir !

M. le Rapporteur - Quand, dans la grande distribution, la marge arrière étrangle les petites entreprises, vous pourriez agir. Ce n’est pas en déformant le droit du travail que vous répondrez aux préoccupations des petites entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

M. Vidalies a fait la démonstration éclatante qu’il existe un risque énorme sur le plan juridique et qu’il se vérifiera dans les mois à venir. En outre, si vous considérez la courbe des CNE signés en 2007, si vous prenez en compte les conclusions de la DARES, vous constaterez qu’une fois passé l’effet d’appel des premiers mois, ce seront, au maximum, 20 000 emplois qui seront créés, et cela au prix de l’insécurité juridique et des difficultés pour les petites entreprises, de la fragilité pour les salariés. Nous savons la tentation du ministre-candidat de prendre le CNE pour modèle du contrat unique de travail.

Le ministre du travail, lui, était conscient des risques que le CNE faisait peser sur le code du travail. Vous avez, pour votre part, réfuté toutes les questions que nous vous posions. Mais vous savez pertinemment que nous avons raison pour ce qui est de l’insécurité juridique et des créations d’emplois ! Ces deux raisons suffisent à justitier l’abrogation du CNE. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président – Sur le passage à la discussion de l’article unique, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public. La commission des affaires culturelles n’ayant pas présenté de conclusions, l’Assemblée, conformément à l’article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion de l’article unique du texte initial de la proposition de loi.

Conformément au même article du Règlement, si l’Assemblée vote contre le passage à la discussion de l’article unique, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

explications de vote

M. Claude Gaillard – Pour des raisons de courtoisie républicaine, je ne m’autoriserai pas de critique particulière sur l’énarchie. Notre connaissance de l’entreprise est différente, comme notre volonté politique. Mais je regrette que nous ne soyons pas capables de considérer l’entreprise de moins de vingt salariés sous un autre jour que la grande entreprise.

M. Jean-Paul Charié - Très bien !

M. Claude Gaillard - Les chefs des petites entreprises ne sont pas suffisamment sadiques pour recruter uniquement à seule fin d’avoir le plaisir de licencier ensuite ! Tant de charges pèsent sur leurs épaules que nous devons les aider à créer de l’emploi et les empêcher de mener une politique malthusienne. Dans ce pays si peu entrepreneurial, nous voulons promouvoir une culture expérimentale. Nous avons prévu une évaluation en 2008 : une fois de plus, je regrette que la campagne présidentielle vienne interrompre cette recherche collective, pour des raisons de dogme, d’immobilisme et de conservatisme. Ce débat montre bien ceux qui sont restés vingt-cinq ans en arrière et ceux qui essaient de regarder devant, avec lucidité, courage et optimisme. C’est pourquoi nous voterons contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz – Alors que les grands groupes licencient et délocalisent, les PME et les PMI créent de l’emploi. Mais s’agissant des exonérations de cotisations patronales, faites-vous la différence ?

M. le Ministre – Oui !

M. Maxime Gremetz - Pas du tout ! S’agissant de l’exonération sur les bas salaires, faites-vous la différence ?

M. le Ministre – Oui !

M. Maxime Gremetz - Pas du tout ! Entendez-vous ceux qui, dans les régions, veulent orienter leurs subventions, non pas vers les grands groupes mais vers les PME qui peuvent se développer et créer de l’emploi ?

Je vous fais observer que Mme Parisot – qui est d’ailleurs en train de licencier dans la Somme –, après avoir soutenu le CPE et le CNE, est aujourd’hui pour le contrat unique. Pourquoi, si ce n’est dans l’intérêt des grands groupes ?

Le CNE n’est pas censé aider les PME, puisque le CPE était une étape sur la voie de son extension à toutes les entreprises. Encore la loi des actionnaires, toujours la loi du fric (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) ! Quelle est la part des 65 milliards d’aides publiques qui revient effectivement aux PME, et celle qui revient aux grands groupes que représente le Medef ? Voilà pourquoi nous soutenons l’abrogation du CNE ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault – L’État prend en charge 21 milliards de cotisations sociales payées par les entreprises, quelle qu’elles soient. M. Gaillard nous accuse injustement de ne pas défendre les PME et les entreprises artisanales. C’est une injure gratuite que vous faites à des élus locaux qui savent toute l’importance de ce tissu économique pour l’emploi. Nous voulons passer un pacte spécifique avec ces entreprises, sans nous arrêter à la seule question des cotisations : la formation, la qualification, l’aide à la recherche et à l’innovation, l’accès aux marchés publics, voilà les questions auxquelles les PME sont confrontées !

Faut-il pour autant instaurer un contrat de travail précaire ? Non ! Le ministre candidat, M. Sarkozy, est prompt à tenir de grands discours aux travailleurs en invoquant Jaurès et Blum (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), que la droite a tant critiqués. Quelques heures plus tard, pourtant, il promet à l’assemblée générale de la CGPME de créer un contrat unique inspiré du CNE et du CPE, qu’une majorité de Français a désavoués !

Assumez vos choix. Ils ont abouti au bilan que l’on sait, qui est aussi celui de votre candidat. Pourquoi vous acharnez-vous à refuser la publication du rapport de l’INSEE sur les vrais chiffres du chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Voudriez-vous dissimuler le fait que pendant que les statistiques du chômage baissent, le nombre de érémistes et de travailleurs à temps partiel contraint augmente ? Les familles monoparentales qui ne s’en sortent pas, les travailleurs pauvres qui vont se nourrir aux Restos du cœur : voilà votre bilan, et voilà ce que nous voulons changer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Plusieurs députés UMP - Caricature !

M. Jean-Marc Ayrault - Nous voulons relancer la démocratie sociale en France. Ce n’est pas par ordonnance que l’on doit réformer le contrat de travail, mais par la négociation avec les partenaires sociaux – une négociation qui doit porter non sur la garantie du poste, mais sur le contrat lui-même. La grande réforme du XXIe siècle sera celle de la sécurité du travail, comme la sécurité sociale fut celle de la Libération. Voilà ce qui nous oppose ! Assumez votre refus d’en venir à la discussion des articles, et assumez votre bilan : vous aurez à en rendre compte devant les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

À la majorité de 126 voix contre 93 sur 219 votants et 219 suffrages exprimés, l’Assemblée décide de ne pas passer à la discussion de l’article unique.

M. le Président – En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 11 heures 5.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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ERRATUM

au compte rendu analytique de la 2ème séance du mercredi 31 janvier 2007

Page 3, titre de la question de M. Jean-Pierre Brard, remplacer :

« Chiffres du chômage »

par :

« Aides publiques aux entreprises ».

© Assemblée nationale