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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 6 février 2007

Séance de 21 heures 45
57ème jour de séance, 132ème séance

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.

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commission nationale consultative des droits de l’homme

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la commission nationale consultative des droits de l’homme.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie – Après les barbaries sans précédent du second conflit mondial, les États réunis au sein de la nouvelle Organisation des nations unies ont voulu proclamer leur idéal de paix. Ils ont adopté une charte dans laquelle les Nations unies affirment les droits fondamentaux de l'homme, la dignité et la valeur de la personne humaine.

Pour faire vivre cet idéal, la France a pris plusieurs initiatives. Dès 1947, René Cassin, juriste du général de Gaulle à Londres, et compagnon de la Libération, mettait à l'étude une déclaration universelle des droits de l'homme, laquelle fut adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations unies réunie au Palais de Chaillot à Paris. Dans le même temps, un arrêté du ministre des affaires étrangères du 27 mars 1947 créait la « Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et devoirs des États et des droits de l'homme », placée sous la présidence de René Cassin et qui fut vite appelée « Commission consultative des droits de l'homme ». Cette commission œuvra pour la création d’une Commission des droits de l'homme au sein des Nations unies et en devint l’un des premiers relais nationaux.

René Cassin, devenu vice-président du Conseil d'État et prix Nobel de la paix, continua à animer la Commission jusqu'à sa mort en 1976. La Commission fut réorganisée en 1984 afin d'assister le ministère des relations extérieures dans son action en faveur des droits de l'homme dans le monde, et particulièrement au sein des organisations internationales : un décret du 30 janvier 1984, se substituant aux anciens arrêtés, fixa ses compétences et son organisation, et ses compétences furent étendues en 1986 au domaine national. Enfin, elle est directement rattachée depuis 1989 au Premier ministre. La Commission nationale consultative des droits de l'homme est aujourd'hui une institution unique dans notre République. C'est un lieu privilégié d'échanges entre des hommes et des femmes d'expériences diverses : représentants d'ONG et de syndicats, parlementaires, experts... Tous ont, comme le dit le président de la Commission Joël Thoraval, l'ambition de faire partager un idéal universel où chaque citoyen du monde a sa place. La Commission peut ainsi éclairer le droit par les exigences du terrain.

Il est aujourd'hui proposé de consacrer cette institution par la loi, pour répondre à l’évolution du système institutionnel des Nations unies : le Conseil des droits de l'homme de l’ONU, qui s'est substitué à l’ancienne Commission des droits de l'homme, souhaite réévaluer les institutions nationales de protection des droits de l'homme en vue de leur délivrer une accréditation, leur permettant notamment de participer à ses travaux. Ce réexamen se fera au regard des principes dits de Paris, affirmés dans la résolution 48/134 adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 décembre 1993, et selon lesquels l'existence des instances nationales de protection des droits de l'homme et les principales garanties dont elles jouissent doivent être consacrées par un texte de valeur constitutionnelle ou, à tout le moins, législative. Le présent projet de loi, dont le médiateur de la République a souligné à maintes reprises l'importance, entend permettre à la Commission de bénéficier de cette accréditation. L'attente est forte, car il est tout à fait probable qu’elle soit l'une des premières institutions accréditées, et que le texte français apparaisse comme un modèle à suivre pour d'autres pays.

Le présent projet de loi consacre les garanties de fonctionnement de la Commission, assurant sa totale indépendance. La définition de ses missions, les principes qui régissent sa composition, ainsi que les garanties essentielles dont bénéficient ses membres dans l'accomplissement de leur mission, s'inspirent de l'économie du décret du 30 janvier 1984. Le rôle de conseil et de proposition dont la Commission jouit dans le domaine des droits de l'homme, du droit humanitaire et des garanties fondamentales des libertés publiques est solennellement réaffirmé. Il est surtout précisé que la Commission peut se saisir elle-même d'une question entrant dans son domaine de compétence et qu'elle peut entrer directement en contact avec le Parlement.

Le projet énumère aussi les principales catégories de membres qui composent la Commission, et qui assurent sa complète indépendance : représentants des organisations non gouvernementales spécialisées dans les droits de l'homme, personnalités qualifiées et experts siégeant dans les organisations internationales compétentes dans ce même domaine, représentants des principales confédérations syndicales, ainsi que le médiateur de la République, un député, un sénateur et un membre du Conseil économique et social. Pour garantir l’indépendance de la Commission, les mandats de ses membres ne sont pas révocables. En outre, les représentants du Premier ministre ou des ministres intéressés, lorsqu'ils participent aux travaux de la Commission, n’y disposent pas d’une voix délibérative.

Le projet prévoit que la loi sera mise en oeuvre par un décret en Conseil d'État. C’est une garantie nouvelle, puisque le Conseil d'État n'avait pas eu à connaître du décret du 30 janvier 1984. Ce décret précisera la composition et définira les conditions d'organisation et de fonctionnement de la Commission. Enfin, le projet précise que l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions législatives n’affectera pas les mandats en cours, qui se poursuivront jusqu'à leur terme selon les dispositions applicables au moment de la désignation des intéressés.

Ce projet répond aux engagements de la France auprès des Nations unies. Il nous permettra de conserver le rôle moteur qui nous est reconnu en matière de droits de l'homme. Plus de deux siècles après la déclaration de 1789, près de soixante ans après la déclaration universelle de 1948, la France est ainsi fidèle à son idéal et à ses valeurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Liliane Vaginay, rapporteure de la commission des lois Le projet de loi relatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, dont l'objet est essentiellement technique, doit être adopté définitivement avant la fin de la session parlementaire pour permettre à la France de se conformer à un engagement international. Le texte qui régit actuellement la Commission est un décret de 1984, plusieurs fois modifié, fixant les règles relatives à ses missions, à sa composition et à son fonctionnement. Or, à la suite de la réforme des institutions onusiennes de protection des droits de l'homme, le Haut Commissariat de Genève a décidé de modifier les règles d'accréditation des institutions nationales de protection des droits de l'homme, exigeant désormais que leur texte fondateur soit de nature constitutionnelle, ou pour le moins législative ; d'où la nécessité qu'une loi soit très vite adoptée pour permettre à la commission française de conserver son accréditation dans les prochaines semaines.

C'est au sortir de la guerre, en 1947, que naît la « Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et devoirs des États et des droits de l’homme », placée sous la présidence de René Cassin. Très vite appelée « commission consultative de droit international », puis « commission consultative des droits de l’homme », elle était alors composée de diplomates, de magistrats, d'avocats et d'universitaires. Après la mort de René Cassin en 1976, la Commission perdit de son influence et il fallut attendre 1984 pour qu'elle soit réactivée sous la présidence de Mme Nicole Questiaux.

Le décret du 30 janvier 1984 institua la Commission consultative des droits de l'homme, placée sous la tutelle du ministre des relations extérieures et chargée de l'assister de ses avis pour tout ce qui se rapporte à la défense des droits de l'homme dans le monde, en particulier dans le cadre des institutions internationales. En 1993, la Commission devint indépendante et prit le nom qu'on lui connaît aujourd'hui, avec l'ajout du terme « nationale ». En 1996, son champ de compétences s'élargit à l'action humanitaire.

La Commission joue un rôle majeur dans le domaine des droits de l'homme et de l'action humanitaire, entendus au sens large, qu’il s’agisse de la protection des libertés individuelles, civiles et politiques ou de la défense des droits économiques, sociaux et culturels. Son action s'étend aussi aux nouveaux domaines ouverts par les progrès sociaux, scientifiques et techniques, au droit humanitaire et aux situations d'urgence dans le monde.

La Commission a une double fonction de vigilance et de proposition. Elle l’exerce en amont de l'action gouvernementale, lors de l'élaboration des projets de loi ou des décrets, et en aval, pour vérifier l'effectivité du respect des droits de l'homme dans les pratiques administratives ou dans les actions de prévention. Commission indépendante, elle donne des avis consultatifs au Gouvernement et peut agir soit sur saisine du Premier ministre ou des membres du Gouvernement soit par autosaisine. Elle remet par ailleurs chaque année un rapport au Gouvernement sur la lutte contre le racisme et la xénophobie et décerne le « Prix des droits de l'homme de la République française ».

La composition de la Commission vise à assurer l'information réciproque de l'État et de la société civile dans le domaine des droits de l'homme et à garantir le pluralisme de ses membres. En sont membres des représentants des ONG spécialisées dans le domaine des droits de l'homme, des personnalités qualifiées, des experts siégeant dans les organisations internationales compétentes dans le domaine des droits de l'homme, des représentants des principales confédérations syndicales, le médiateur de la République, un député et un sénateur. La participation de l'État est assurée par des représentants du Premier ministre et de dix-sept ministres «principalement concernés » ; ils n’ont pas voix délibérative.

Le respect des engagements internationaux de la France rend nécessaire une modification du texte instituant la Commission. En effet, la réorganisation du système des Nations unies en matière de protection des droits de l'homme conduit à la modification du système d'accréditation des institutions nationales. À l'occasion de la réforme de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, transformée en « Conseil des droits de l'homme » par une résolution adoptée le 15 mars 2006, le Haut commissariat de Genève a décidé de revoir son système d'accréditation des institutions nationales de protection des droits de l’homme. L'accréditation, nécessaire pour participer aux travaux du Conseil des droits de l'homme, ne sera délivrée qu'après évaluation des institutions nationales attestant de leur qualité et du respect des « principes de Paris », rédigés en 1991, pour partie à l'initiative de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et repris en 1993 dans une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies. En vertu de ces principes, l'existence des instances nationales de protection des droits de l'homme et les principales garanties dont elles jouissent doivent être contenues dans un texte de valeur constitutionnelle ou, au minimum, législative.

La situation de la Commission est paradoxale, puisque c'est pour se conformer à des critères élaborés à Paris, en partie à son initiative, qu'elle doit faire évoluer son statut. On ne peut en effet envisager que la première institution nationale de protection des droits de l'homme créée dans le monde se voie cette année refuser son accréditation par le Haut Commissariat des Nations unies !

Le projet, dont l'élaboration a fait l'objet d'un suivi attentif de la part de M. Delevoye, médiateur de la République, consacre donc l'existence législative de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et les garanties dont bénéficient ses membres dans l'accomplissement de leur mission. Il comporte deux articles qui fixent le champ de compétence de la Commission, sa composition et les garanties accordées à ses membres, et qui renvoient à un décret en Conseil d'État la fixation des modalités précises de son fonctionnement. Il prévoit également un régime transitoire pour les membres actuels, qui continueront de siéger à la Commission jusqu'à l'expiration de leur mandat.

Ce projet vise à répondre aux engagements pris par la France auprès des Nations unies et à lui permettre ainsi de conserver le rôle moteur qui lui est reconnu en matière de défense et de protection des droits de l'homme. Je vous invite donc à le voter, sous réserve de l’adoption des six amendements rédactionnels de la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Frédéric Dutoit - Le projet qui nous est soumis se justifie par des arguments formels. Il est en effet destiné à donner un statut législatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ce qui est supposé garantir ses fonctions face au pouvoir de l'exécutif. La question est d'actualité, car le pouvoir politique peut être une source de violation des droits de l'homme. En France, les étrangers, par exemple, semblent être exclus de la protection juridique dont bénéficient les citoyens français. Cette volonté qui transparaît dans les lois successives adoptées sous l'impulsion du ministre de l'intérieur constitue une atteinte manifeste aux droits de l'homme. Ou serait-ce que l’on considère qu’il existerait des citoyens de seconde zone, comme le laisse à penser la politique gouvernementale en matière d'immigration et d'insécurité, deux thèmes insidieusement confondus ?

Le respect de l’État de droit est un enjeu permanent. La garantie des droits de l'homme n'est pas acquise ; elle suppose la vigilance permanente des citoyens et de leurs représentants. Sur le plan national, les tentations liberticides du Gouvernement donnent lieu à une régression sociale généralisée et à la chasse aux enfants de sans-papiers. Faut-il le rappeler ? Un État démocratique peut violer les droits de l'homme. Cela amène à poser la question difficile de savoir quelles limites acceptables la loi peut imposer aux droits de l'homme.

Notre regard doit porter sur notre propre société et au-delà de nos frontières car l'humanité est tout entière concernée. Alors que la violation du droit international des droits de l'homme est source d'injustices et d'agressions sur des populations entières, nous devons, en notre qualité de citoyens du monde, nous sentir concernés par le sort de nos semblables.

Notre groupe communiste et républicain soutient le développement des textes internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme. Incontestablement, de sensibles progrès ont été réalisés depuis 1945, avec le développement des garanties juridiques et la codification des droits de la personne dans deux pactes adoptés en 1966. Tout aussi remarquables sont les conventions relatives aux droits des femmes, des enfants ou des migrants.

L'évaluation statutaire de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme s'inscrit dans un mouvement plus général, celui de l’évolution des Nations unies en cette matière. Comme on le sait, en mars 2006, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies s’est substitué à la Commission des droits de homme, décriée pour sa « politisation ». Si ces critiques méritent d'être prises en compte, le bilan de la Commission est loin d'être négatif. Elle a d'abord été un formidable instrument d'élaboration des normes, au premier rang desquelles la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948.

Le Haut commissariat aux droits de l'homme, souhaitant réévaluer les institutions nationales de protection des droits de l'homme avant de leur délivrer l’accréditation attestant de leur qualité et leur permettant de participer à ses travaux, ce projet s’imposait. Dans la mesure où le texte renforce le statut de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, notre accord sur le principe est concevable. Notre groupe a toujours soutenu l'idéal de justice et de promotion des droits de l'homme sur les plans national et international.

Même s’il est difficile d’imaginer que la Commission puisse échapper à toute influence extérieure, y compris gouvernementale, il est souhaitable de voir ses pouvoirs renforcés. Certes, la Commission n’est pas la voix de la France dans le monde, mais elle doit influencer le Gouvernement pour empêcher les dérives dont il pourrait être capable. Ce rôle devrait la conduire à éclairer les positions françaises dans les négociations multilatérales portant sur les droits de l'homme, mais aussi à appeler l'attention de la diplomatie française sur les graves violations de ces droits dans le monde. Sa fonction consultative mérite donc d'être renforcée, notamment en lui reconnaissant la faculté de contrôler les termes des négociations commerciales de la France avec des États ou des multinationales qui violeraient les droits de l'homme, y compris, bien sûr, les droits des travailleurs.

Sur le plan national, la Commission devrait faire preuve de beaucoup plus de vigilance face à la politique répressive du Gouvernement à l'égard des jeunes des quartiers populaires et des sans-papiers, enfants compris ; elle doit dépasser son statut de caution gouvernementale en matière de droits de l'homme. Notre attente est d'autant plus forte que le climat délétère suscité par les politiques agressives du Gouvernement fait poindre un péril…

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois – Il gâche tout !

M. Frédéric Dutoit – Parce que le projet renforce la Commission nationale consultative des droits de l'homme, les députés communistes et républicains, dans un esprit optimiste et constructif, le voteront. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Président de la commission – Et moi qui m’apprêtais à vous applaudir !

M. Patrick Delnatte - On ne peut examiner le texte qui nous est soumis aujourd'hui sans le replacer dans une perspective historique. Il s'inscrit en effet dans l'évolution du système institutionnel des Nations unies en matière de droits de l'homme, marqué dernièrement par la transformation de la Commission des droits de l'homme en Conseil des droits de l'homme. Les étapes de cette évolution tendent à donner plus de corps au concept de droits de l'homme, ce dont on ne peut que se réjouir.

La France est à l’origine de ce concept. C’est elle, aussi, qui a créé, dès 1947, sous la houlette de René Cassin, une instance chargée de donner à ce concept une vocation d'universalité ; le même René Cassin est à l'origine du projet de déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nation unies, et il en est considéré comme le père spirituel. C'est lui encore qui participa à la création de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, dont l'une des premières déclinaisons nationales fut la Commission consultative française. Mais ce n’est qu'avec le décret du 30 janvier 1984, trois fois modifié ensuite, qu’ont été véritablement définies les compétences de la Commission. Celles-ci s’étendaient à la totalité du champ des droits de l’homme – libertés individuelles, civiles et politiques, droits économiques, sociaux et culturels – mais également aux domaines ouverts par les progrès sociaux, scientifiques et techniques. Depuis sa création, la commission nationale consultative des droits de l’homme a été un lieu privilégié d’échanges et de réflexions. Grâce à son souci d’écoute et d’ouverture, elle peut « éclairer le droit par les exigences du terrain », selon sa propre formule. C’est ce qu’elle a d’ailleurs fait récemment pour des textes examinés par notre assemblée.

Dans leur souhait constant de renforcer la défense des droits de l'homme, les Nations unies ont franchi une nouvelle étape en 1993, en grande partie à l'initiative de la France, en édictant les « principes de Paris », dont l’objectif est d'encadrer plus strictement les institutions nationales vouées à la défense des droits de l'homme. Renforcer la procédure d'accréditation ne peut qu'influer sur la légitimité, la crédibilité et l'image de ces institutions. Il est clair que la France, patrie des droits de l'homme et premier pays à avoir créé une institution nationale vouée à leur protection, a un devoir d'exemplarité. Il nous appartient donc, peut être encore plus qu'à d'autres, de nous mettre en conformité avec les principes que nous avons nous-même édictés. Mme Louise HARBOUR, Haut Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, dont je salue la présence aujourd'hui même à Paris, est très attentive aux évolutions que nous apporterons à notre CNCDH et souhaite que notre exemple sensibilise d'autres pays. Nous examinons d’ailleurs ce texte, et c’est significatif, à l’occasion de l’ouverture à Paris de la convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Ce projet répond à l'impératif d'une consécration législative de l'existence de la CNCDH et c'est bien le moins qu'on puisse faire tant le statut actuel de l'institution reste fragile – il ne repose que sur un simple décret qui pourrait être annulé très facilement. La fragilité de ce statut pourrait en outre donner l'impression regrettable d'une institution qui n'est pas totalement exempte de pression externe. Une loi est d'autant plus nécessaire qu'elle doit permettre de préserver l'institution des vicissitudes de la vie politique et conserver à la France sa valeur de modèle.

Doit-on cependant se contenter de transposer sous forme législative les dispositions du décret de 1984 et y réaffirmer les garanties que ce texte offrait déjà ? Non, car on ne peut séparer la question de la conformité aux principes de Paris de celle de l'efficacité. Outre le fait que ce texte reconnaît l'existence même de la Commission, comme l'exigeaient les principes de Paris, il précise certains points de manière plus satisfaisante que le décret de 1984 : possibilité pour la Commission de se saisir de certains sujets afin d’appeler l'attention du Parlement et du Gouvernement – et non plus simplement des « pouvoirs publics » ; composition élargie qui permet explicitement la représentation d'ONG oeuvrant dans le domaine de l'action humanitaire ; création d'un siège pour un membre du Conseil économique et social ; irrévocabilité des membres clairement précisée par la loi. Par ailleurs, l’application de la loi est renvoyée à un décret en Conseil d'État, ce qui lui confère une garantie supplémentaire dans la mesure où le décret de 1984 n'était qu'un décret simple.

Soyons en bien conscients : les attentes sont nombreuses. Il faudra que le décret prenne en compte certaines préoccupations renvoyant d'ailleurs aux principes de Paris lorsque ceux-ci mettent l'accent sur l'indépendance des institutions nationales des droits de l'homme. Il en va ainsi de la question des nominations, qui doivent être aussi transparentes que possibles. Ne serait-il pas préférable qu’elles soient le fait du Président de la République ? Actuellement, la CNCDH compte plus de 140 membres, et cela constitue un obstacle à son bon fonctionnement. L'efficacité impliquerait de réduire ce nombre, et à commencer par celui des représentants du Gouvernement, qui sont actuellement 37, représentent 16 ministres. Il est vrai que le projet ne leur donne pas voix délibérative.

Il faut poser aussi les questions de la durée du mandat et de la limitation de son renouvellement. Sur le plan financier, le décret doit prévoir que la CNCDH reçoit les crédits ainsi que le personnel nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Enfin, on peut souhaiter que la CNCDH pèse davantage dans notre société civile et politique : force est de constater que cette institution reste méconnue de nos concitoyens, l'absence de publicité de ses avis y étant sans doute pour quelque chose.

Faisons confiance au Conseil d'État pour prendre en compte ces impératifs d'indépendance, d'équilibre, d'assiduité et d'efficacité ! Soyons également vigilants pour que la publication du décret intervienne dans des délais raisonnables : au regard des obligations qui incombent à la France, le contraire serait d'un effet déplorable. Souvenons-nous enfin des objectifs que fixait René Cassin lors de l'adoption de la déclaration universelle des droits de l'homme : « À présent que nous possédons un instrument capable de soulever ou adoucir le fardeau d'oppression et d'injustice dans le monde, nous devons apprendre à l'utiliser ». Il en va ainsi de notre CNCDH.

Parce qu'il ouvre des perspectives nouvelles et que les droits de l'homme restent un combat de tous les jours, le groupe UMP votera ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - Très bien.

M. Philippe Folliot – Ce projet s’inscrit dans le droit fil d’une continuité historique depuis ce 26 août 1789 où la représentation nationale adopta la première déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est un long et difficile chemin qui a été accompli pour que ces principes s’incarnent enfin. Ce texte permettra en outre à la patrie des droits de l’homme de s’inscrire dans le cadre des orientations déterminées par les Nations unies. Nous le voterons et nous ne pouvons que nous féliciter de son adoption.

Grâces soient rendues à l’action courageuse, volontaire, dynamique de René Cassin, qui a tant œuvré pour l’universalité de la déclaration des droits de l’homme de 1948 ! Nous en sommes tous d’accord : la France doit toujours être en première ligne en la matière.

Il est certes possible de s’interroger sur la fonction de cette commission : si son rôle est fondamental, nous ne devons pas néanmoins considérer qu’elle nous dédouane de nos responsabilités : non seulement le Parlement a un rôle pivot à jouer mais il a un devoir d’exemplarité. La défense de ces principes universels ne peut reposer sur le seul travail d’une commission, si essentiel soit-il, et nous devons tous nous retrouver pour assumer cette mission collective : depuis 1789, nous sommes en effet les dépositaires des principes universels de liberté, d’égalité et de fraternité.

M. Christophe Caresche – Très bien.

M. Philippe Folliot - Nous devons être également vigilants lorsque l’Assemblée permet à certains responsables étrangers de s’exprimer à cette tribune alors qu’ils ont failli dans la défense des droits de l’homme. Il faut savoir faire preuve de fermeté. Pour ma part, j’ai eu mal à la France quand a été reçu ici même le président chinois, invité à venir s’exprimer devant la représentation nationale. Comment n’être pas interpellé quand on connaît son passé en matière de droits de l’homme ? Je ne soutiens pas que la France ne devrait avoir de relations diplomatiques, institutionnelles et économiques qu’avec les seules démocraties, mais l'Assemblée nationale est tout de même un lieu emblématique qu’il importe de préserver. En aucun cas, elle ne doit servir de tribune à ceux qui bafouent la démocratie comme les droits de l’homme et du citoyen.

Chacune et chacun d’entre nous peut et doit apporter sa contribution pour faire progresser l’un des plus beaux objectifs que peut s’assigner notre pays, à savoir que chacun sur la planète puisse vivre en démocratie, dans le respect des droits humains fondamentaux et des principes de liberté et d’égalité.

M. le Président – Aujourd’hui, en tout cas, vous n’aviez pas de bâillon ! (Sourires)

M. Christophe Caresche – Le groupe socialiste votera ce projet de loi qui ne soulève pas de problème particulier, conférant seulement une existence législative à la CNCDH, ce qui est nécessaire pour obtenir une accréditation auprès du nouveau Conseil des droits de l’homme créé au sein des Nations unies. En donnant ce soir force législative à la CNCDH, instituée par décret du 30 janvier 1984, nous réaffirmerons son utilité dans notre pays et lui permettrons d’être reconnue sur le plan international.

Le décret de 1984 reconnaissait son indépendance et définissait précisément ses compétences. La CNCDH rend des avis au Premier ministre et à tous les ministres concernés sur les questions générales concernant les droits de l’homme, aussi bien dans le champ des libertés individuelles, civiles et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels. S’y sont ajoutés des domaines nouveaux ouverts par les progrès sociaux, scientifiques et techniques, ainsi que le droit et l’action humanitaires. En 1989, la CNCDH a acquis la faculté de s’autosaisir et en 1990, la loi contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie lui a confié la tâche de réaliser un rapport annuel sur les discriminations. Par une circulaire du 22 octobre 1999, le Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, avait marqué son attachement à la saisine systématique de la CNCDH et du suivi de ses recommandations dans chaque département sur toute une série de textes, ce qui avait donné lieu à des dialogues fructueux, parfois passionnés.

Nous ne pouvons donc qu’être d’accord entre républicains, sur tous les bancs, pour voter ce projet de loi. Pour autant, les grandes déclarations ne suffisent pas. Il revient aux gouvernements en place de démontrer dans les faits, en sollicitant et en suivant les avis de la CNCDH, que les droits de l’homme sont respectés dans notre pays. Or, force est de constater que l’État a parfois traité cette institution avec quelque désinvolture. Et il semble, hélas, que notre pays, patrie des droits de l’homme depuis 1789, ne soit plus absolument un modèle du genre, ce qui doit d’ailleurs nous inspirer de la modestie vis-à-vis des autres pays. Le président de la Commission, Joël Thoraval, souligne d’ailleurs ce paradoxe avec d’un côté, des droits de l’homme, profondément enracinés dans notre histoire et notre culture, dans la vie politique et la conscience collective de la nation, et d’un autre côté, des réalités nouvelles comme le terrorisme, l’augmentation des flux migratoires, le sentiment d’insécurité, le communautarisme, la victimisation, autant de problématiques émergentes qui doivent être prises en compte par la CNCDH.

Face à ces réalités qui menacent les droits de l’homme, le rôle de la CNCDH n’en est que plus précieux. Nous voulons que cette institution soit reconnue et respectée tant sur le plan national qu’international.

La discussion générale est close.

Article premier

Mme la Rapporteure – L’amendement 1 rectifié apporte une précision. Le droit international humanitaire est un droit spécifique qui ne se confond pas avec celui des droits de l’homme. Il convient donc de le mentionner expressément dans le champ de compétence de la CNCDH. Le texte de l’amendement est plus conforme au rôle effectif de la CNCDH, commission compétente en matière de droit humanitaire en France.

Mme la Ministre déléguée - Avis favorable.

L'amendement 1 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteure - L’amendement 3 est rédactionnel.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteure - L’amendement 2 rectifié introduit une précision.

L'amendement 2 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteure - Les amendements 4 rectifié et 5 sont tous deux de précision.

Les amendements 4 rectifié et 5, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.
L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

Art. 2

Mme la Rapporteure - L’amendement 7 apporte une précision.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article 2, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.
L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.
Prochaine séance demain, mercredi 7 février, à 15 heures.
La séance est levée à 22 heures 40.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale