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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 15 février 2007

Séance de 9 heures 30
62ème jour de séance, 140ème séance

Présidence de Mme Hélène Mignon
Vice-Présidente

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

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droit au logement opposable

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Mesdames et messieurs les députés, vous êtes saisis aujourd’hui d’un texte fondamental, qui institue le droit au logement opposable. Ce texte a été adopté par le Sénat le 1er février sans vote contraire. L’avancée majeure que représente le droit au logement opposable acquiert ainsi une force irréversible. Instituer l’opposabilité du droit au logement, c’est-à-dire garantir à chacun un toit décent quelles que soient ses ressources, c’était le combat ultime de la grande figure qui nous a quittés il y a quelques semaines. Quel plus bel hommage rendre à l’Abbé Pierre que de voter largement, pourquoi pas à l’unanimité, ce progrès décisif de notre République sociale ?

En instituant le droit au logement opposable, nous consacrons l’aboutissement d’un long parcours républicain entrepris depuis plus de vingt ans par les gouvernements successifs. Ce texte se situe en effet dans la continuité des efforts précédemment menés, dont la loi Besson du 31 mai 1990 tendant à mettre en œuvre le droit au logement. Sous l’actuelle législature, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin ont placé leur action en faveur du logement dans la perspective du droit au logement opposable, qui figurait notamment dans l’exposé des motifs de la loi adoptée en 2006 portant engagement national pour le logement. Au cours du débat sur cette loi, j’avais proposé que le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par Xavier Emmanuelli, réfléchisse aux conditions de l’opposabilité ; cela a donné lieu à la commande d’un rapport par le Premier ministre, qui lui a été remis à l’automne dernier.

Ce projet de loi répond à la demande formulée par le Président de la République lors de ses vœux aux Français le 31 décembre 2006. L’actualité, la mobilisation d’associations ont contribué à faire avancer le moment de sa présentation au Parlement, et c’est heureux. Pour autant, le texte n’est en aucune façon improvisé, car il prolonge les efforts de la loi portant engagement national pour le logement et s’appuie sur le rapport remis par le Haut comité. Or, cette avancée n’est aujourd’hui possible qu’en raison de l’effort sans précédent réalisé depuis quatre ans.

Lorsque l’Abbé Pierre poussait son cri, en 1954, la France construisait 200 000 logements par an, et 64 % de son parc ne comportait pas les quatre éléments de confort essentiels. Jusqu’en 1980, la production n’a cessé d’augmenter, jusqu’à 600 000 logements. Puis, tout d’un coup, nous avons vécu une chute de plus en plus rapide : de 1981 à 2001, exception faite des efforts menés par Pierre-André Périssol, moins de 300 000 logements ont été construits chaque année. C’est donc 100 000 logements au bas mot qui ont manqué tous les ans pendant vingt ans, soit plus de deux millions au total. Ne nous étonnons donc pas qu’il y ait crise du logement et crise du pouvoir d’achat. Si nous comparons avec la Belgique et l’Allemagne, ou si nous posons une hypothèse a posteriori de 400 000 à 450 000 logements par an sur la période considérée, le pouvoir d’achat des Français serait aujourd’hui de 28 % supérieur. Ce texte répond donc aussi à la nécessité de ne plus jamais accepter, dans notre pays, qu’aussi peu de logements soient construits.

Depuis quatre ans, le redressement a été opéré : 430 000 mises en chantier l’année dernière, soit le meilleur chiffre depuis trente ans. Tous les segments de l’immobilier ont progressé : très social, social… (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Écoutez, quand on sait les années noires que votre législature a représentées pour le logement social, un peu de décence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Dumont - Pas de caricature !

M. le Ministre – Afin d’atteindre l’objectif de lancement annuel de 450 000 logements neufs et de 120 000 logements locatifs sociaux pour le parc public, l’État a décidé de montrer l’exemple en mobilisant ses propres terrains, pour 30 000 logements sur trois ans : fin 2006, 17 500 logements ont déjà été construits, sur 130 terrains.

Entre 2005 et 2009, ce sont 500 000 logements sociaux dans le parc public et 200 000 logements à loyer maîtrisé dans le parc privé qui sont prévus par la loi de programmation de juin 2005 ; une première dans l’histoire des politiques sociales.

En 2006, 144 000 logements à loyer accessible ont été produits, parcs public et privé confondus, soit un triplement par rapport aux chiffres d’il y a cinq ans.

M. Yves Bur – Ils n’aiment pas l’entendre !

M. le Ministre – Dans le seul parc public, 106 000 logements ont été construits, soit le double, et 38 000 dans le parc privé social, contre 8 000 il y a cinq ans, sans compter la production de 50 000 logements d’accès social à la propriété l’année dernière.

Le Sénat et le Gouvernement ont souhaité de surcroît augmenter les prêts locatifs à usage social et les prêts locatifs aidés d’intégration, en augmentant les financements prévus par la loi de programmation en vue d’atteindre cet objectif. Le texte prévoit en outre d’indexer l’aide personnalisée au logement sur l’indice de référence des loyers, qui a été modifié.

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiquesTrès bien !

M. le Ministre – Cela faisait trente ans qu’on l’attendait.

La loi ENL a déjà facilité l’accès au logement locatif social des personnes défavorisées. La commission de médiation prévue dans chaque département voit son rôle renforcé : elle peut désormais être saisie par ceux dont la demande est restée sans réponse au terme d’un délai anormalement long, et peut être saisie sans condition de délai par trois catégories de personnes prioritaires : les personnes menacées d’expulsion sans relogement, celles accueillies dans une structure d’hébergement, celles logées dans des habitations insalubres. Je proposerai en outre un amendement pour intégrer dans la loi le protocole du 8 janvier 2006 prévoyant l’augmentation des résidences relais.

Un amendement vous sera aussi présenté par Michel Piron, président du Conseil national de l’habitat, pour soumettre à la TVA à taux réduit la construction de centres d’hébergement et de réinsertion sociale et la restructuration des centres d’hébergement d’urgence en stabilisation. Cette bonne mesure aidera à atteindre les objectifs du plan d’action pour 2007 : 5 000 places nouvelles d’hébergement de stabilisation et 4 500 places de CHRS.

Sur cette base, le droit au logement opposable deviendra progressivement effectif, en cinq ans. Les résultats obtenus pour relancer toute la chaîne du logement et l’aboutissement de la réflexion du Haut comité permettent en effet, aujourd’hui, d’aller plus loin. Le droit au logement opposable est une obligation de résultats pour offrir un logement décent et indépendant aux personnes dépourvues de ressources suffisantes. Le droit au logement, ainsi placé au même rang que le droit aux soins et à l’éducation, fera de la France l’un des pays les plus avancés en matière de droits sociaux.

Le projet comporte un certain nombre de dispositions fondamentales. L’État est clairement désigné comme le garant du droit au logement, dans la continuité de la loi Besson de 1990 ; après une procédure très encadrée, un recours devant la juridiction administrative sera possible ; le droit au logement opposable sera ouvert, à compter du 1er décembre 2008, aux catégories de demandeurs d’emploi les plus prioritaires visées par la loi ENL, aux personnes privées de logement et aux personnes avec enfants mineurs, logées dans des logements indécents ou trop petits ; il sera étendu, à compter du 1er janvier 2012, aux personnes n’ayant pas reçu de réponse à leur demande de logement social, après un délai anormalement long ; toutes ces personnes pourront saisir la commission de médiation et, en cas d’avis favorable de la commission non suivi d’effet, former un recours devant la juridiction administrative, laquelle pourra dès lors ordonner à l’État de loger le demandeur sous astreinte financière, et, éventuellement, de lui verser des dommages et intérêts.

Des critiques ont été formulées ça et là, laissant entendre que le logement opposable consisterait à distribuer des logements gratuits. Il s’agit seulement de donner un logement décent, compatible avec les ressources des uns et des autres. Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées a salué, à l’unanimité, le projet de loi initial et s’est félicité des améliorations apportées par le Sénat, notamment l’institution d’un comité de suivi.

Outre l’effort déjà considérable entrepris par le Gouvernement, nous proposerons un amendement destiné à augmenter les moyens pour que davantage de logements adaptés aux capacités des demandeurs puissent leur être proposés avant la fin de l’année 2008. Il ne suffit pas de déclarer opposable le droit au logement, mais il est impératif de le faire pour qu’il devienne effectif ! Le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement tendant à accroître la capacité d’engagement de l’Agence nationale de rénovation urbaine, portant son programme de 20 à 35 milliards. Les moyens du plan de cohésion sociale ont été également renforcés : 100 000 logements PLUS et PLAI supplémentaires sont inscrits au titre des exercices 2007-2008-2009, portant à 600 000 logements sociaux les objectifs de réalisation pour la période 2005-2009 dans le parc privé. 120 000 logements locatifs sociaux seront réalisés en 2007 dans le parc public, et plus de 142 000 en 2008 et 2009. Un amendement gouvernemental proposera de mettre en cohérence la programmation financière des crédits et l’augmentation des objectifs de logements sociaux décidée au Sénat, abondant de plus de 850 millions les moyens d’engagement sur la période 2007-2009 pour les logements PLUS et PLAI.

Le Sénat a proposé de mobiliser davantage le parc locatif privé, en votant un amendement visant à étendre l’avantage fiscal « Borloo dans l’ancien » aux cas de location à une association « tampon », pour une sous-location à une personne démunie. Cet amendement, je crois, sera unanimement salué, l’enjeu étant d’inciter le parc locatif privé à participer à la mise en œuvre du droit au logement opposable, en développant la location intermédiaire par les associations d’insertion. Les trois commissions proposeront des amendements pour conforter ce dispositif.

Par ailleurs, ce texte institue la garantie des risques locatifs universelle. Certains ont souhaité la création d’un service public de la caution : cela fait plus d’un an que nous y travaillons avec les partenaires sociaux.

M. Jean-Louis Dumont - Il faut aboutir !

M. le Ministre – Le sujet est crucial. D’un côté, se trouvent des personnes plutôt modestes, possédant un studio ou un deux-pièces – une garantie pour leur retraite –, mais qui craignent un non-paiement des loyers ou l’impossibilité de récupérer ce bien pour eux-mêmes ou un membre de leur famille ; de l’autre, un certain nombre de nos concitoyens, sans emploi, en intérim ou en CDD, étudiants ou jeunes travailleurs ne peuvent accéder au logement privé, faute de caution et de garanties. Pour remettre sur le marché locatif ces logements vacants, estimés à 600 000 par les partenaires sociaux, dans les trois ans qui viennent, la solution consiste à créer une organisation intermédiaire, garantissant aux propriétaires qu’au premier impayé, l’organisme se substituera au locataire pour régler les loyers jusqu’à libération du logement, et qu’il le poursuivra, en tant que tiers garant, s’il s’agit d’une personne de mauvaise foi.

Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – Très bien !

M. le Ministre – Il s’agit de mettre un terme à cette méfiance généralisée. Cette garantie des risques locatifs, que Mme la rapporteure souhaite voir qualifier d’« universelle », sera rendue possible par la création du Fonds de garantie, proposé par le Gouvernement.

M. Jean-Louis Dumont - Quel que soit le bailleur, public ou privé !

M. le Ministre – Certains décrivent ce qu’il faudrait faire, les autres travaillent. Je voudrais rendre hommage au regroupement des assurances françaises, qui, sous pilotage des partenaires sociaux, a travaillé plus de dix-huit mois pour mettre en mouvement cette mécanique fine. Cela permettra de mettre en location 600 000 logements supplémentaires, fera cesser cette spirale infernale des garanties et des cautions, et de surcroît, relancera la production de logements dans le parc privé.

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis Très bien !

M. le Ministre - Le projet de loi contient des mesures complémentaires. Les travailleurs indépendants aux revenus modestes sont ceux qui doivent s’acquitter du plus fort taux de cotisations sociales : il est proposé que ces cotisations soient désormais proportionnelles au chiffre d’affaires.

Un autre article me tient particulièrement à cœur : il concerne nos « chibanis », les « vieux migrants », et je mets dans ces termes toute la tendresse que j’éprouve pour ceux qui ont contribué à construire notre pays. Un certain nombre d’entre eux n’ont pas choisi le regroupement familial et une partie de leur cœur est restée en Algérie, au Maroc, en Tunisie ou ailleurs. Ils ont cotisé de manière sporadique, ne perçoivent pas toujours une retraite pleine, mais ils ont acquis par leur travail le droit à la santé et le droit au minimum vieillesse. De par la loi, ils doivent, pour en bénéficier, passer neuf mois par an en France. Un amendement, voté à l’unanimité par le Sénat, propose de mettre un terme à cette situation anormale, qui les empêche de retourner définitivement au pays et les laisse vieillir loin de chez eux, dans des structures collectives. Cette disposition concernera entre 38 000 et 77 000 personnes. C’est un message de fraternité dont je me félicite, au moment même où sont nominés à Cannes plusieurs acteurs du film Indigènes.

Plusieurs députés socialistes – Il aura fallu un film pour vous faire réagir !

M. le Ministre – J’en viens aux services à la personne. Quoi qu’en disent nos détracteurs, c’est un secteur en pleine révolution – le nombre d’associations et d’entreprises est passé de 4 500 à 14 800 en dix-huit mois, plus de 150 000 emplois non délocalisables et bien répartis ont été crées – où tous les grands réseaux, comme La Poste, interviennent désormais. Un article complémentaire vous propose d’instaurer un crédit d’impôt, c’est-à-dire un véritable financement par l’État pour nos compatriotes qui ne paient pas l’impôt sur le revenu.

Je me félicite de l’union sacrée qui a rassemblé villes, agglomérations, organismes HLM, départements et État pour résorber la crise scandaleuse qui a frappé le logement entre 1981 et 2001. Je tiens à rendre un hommage particulier aux maires, qui participent activement à la construction de logements. Le logement social n’est pas une maladie, bien au contraire : les petits collectifs, les maisons de ville, les logements écologiques sont souvent plus beaux que ce qui se fait dans le privé. En un effort considérable, la famille HLM a triplé la production de logements locatifs sociaux de grande qualité, a pris des engagements écologiques complémentaires ou en faveur des personnes à mobilité réduite. Dans le même temps, elle a piloté avec les municipalités le programme national de rénovation urbaine dans cinq cents quartiers.

M. Yves Bur – Effort extraordinaire !

M. le Ministre – C’est le plus grand projet civil depuis la Libération !

M. Yves Bur – Soutenu par les maires socialistes et communistes !

M. Alain Néri - Quid des maires qui refusent le logement social dans leur commune ?

M. Jean-Pierre Dufau - Comme à Neuilly !

M. le Ministre – En somme, ce grand projet de cohésion sociale est le point d’orgue d’une série de textes élaborés au cours de cette législature. Il fera l’objet d’un suivi régulier dont le Parlement sera tenu informé, afin de l’adapter aux circonstances pour parvenir enfin à garantir un véritable droit au logement. Ainsi, dès le mois de juillet, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées vous proposera des améliorations, notamment pour l’Île-de-France, où des problèmes de gouvernance persistent.

M. Jean-Pierre Dufau - Là comme ailleurs !

M. le Ministre – Quoi qu’il en soit, j’espère que le débat qui s’ouvre portera sur l’essentiel. Urgence ou accession, social ou très social, urbain ou périurbain, le logement est une chaîne solidaire dont il faut cesser d’opposer les maillons. Avec Mme Vautrin, qui a largement piloté ce projet, je suis fier que cette législature s’achève sur un grand texte de cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Louis Idiart - Comme en 1997…

Mme la Rapporteure - Il est des moments magiques qui justifient à eux seuls tous les aléas d’une vie politique. Celui-ci en est un : chacun reconnaît que la gravité de la situation exige d’instaurer l’opposabilité de notre droit au logement. Plus de trois millions de personnes seraient mal logées : c’est inacceptable. Seule une volonté politique concertée peut répondre à l’urgence. C’est ce qu’a compris le Président de la République le 31 décembre dernier.

Plusieurs députés socialistes – Pas trop tôt !

Mme la Rapporteure - Plus qu’une « divine surprise », c’est l’aboutissement d’une longue marche entamée voici cinquante ans par l’abbé Pierre, qui a consacré sa vie aux déshérités. Toute personne doit pouvoir vivre dignement dans un logement décent : c’est une question d’humanité, et la France se doit d’y répondre.

Ainsi, le Sénat vient d’adopter en urgence un projet de loi instituant le droit au logement opposable. Le projet initial comportait neuf articles ; il en compte aujourd’hui une soixantaine. L’abondance de mesures de cohésion sociale ne doit pas brouiller le message essentiel du texte : celui d’une volonté politique forte en faveur du logement. Ne nous y trompons pas : le droit opposable au logement s’imposera au prochain Président de la République. En effet, le présent projet amorce un tournant culturel : face à la pauvreté, tout citoyen doit en effet accepter la construction de nouveaux logements près de chez lui.

M. Alain Néri - Très bien !

Mme la Rapporteure - Nous sommes tous concernés ; l’opposabilité du droit au logement nous rend tous responsables. Chers collègues, soyons aujourd’hui à la hauteur des espérances des milliers de personnes qui vivent la détresse au quotidien !

Il est essentiel de ne pas confondre logement et hébergement.

Ce projet répond avant tout à une question qui persiste depuis quinze ans : le mal-logement. Aujourd’hui, ce phénomène frappe plus de trois millions de personnes, et 48 % des Français redoutent d’en être victimes un jour ou l’autre : la crise est grave. Le mal-logement est au cœur de l’exclusion. Sans logement, on peut difficilement prétendre à certains droits élémentaires : aller à l’école, travailler, se soigner ou encore voter – et je n’oublie pas l’équilibre familial. Pourtant, le Gouvernement a multiplié les efforts en faveur du logement, que ce soit en matière de locatif social avec le financement de 500 000 logements de 2005 à 2009 et l’accessibilité pour les personnes défavorisées, ou en matière de locatif privé avec le dispositif Borloo ou l’extension des compétences de l’ANAH. Citons également le dispositif de garantie des risques locatifs et la revalorisation de 2,8 % de l’APL au 1er janvier 2007.

J’en viens à l’hébergement, que ce texte vise à distinguer clairement du logement. Au nom de notre commission, M. Beaudoin a récemment détaillé la répartition des 90 000 places existantes entre centres d’hébergement d’urgence, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, maisons-relais, places conventionnées en allocation logement temporaire ou encore centres d’accueil des demandeurs d’asile.

Il n’en démontrait pas moins que l’ensemble de notre dispositif est menacé d’embolie. Ces difficultés ne doivent pas occulter les réels efforts consentis par le Gouvernement en matière d’hébergement : plan de cohésion sociale, loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005, plan triennal de renforcement de l’hébergement d’urgence annoncé en avril 2006… Dans le plan renforcé qu’il a annoncé le 8 janvier, il a en outre posé le principe de la non remise à la rue des personnes accueillies dans un centre d’hébergement d’urgence.

Le texte nous propose d’aller plus loin. Le droit au logement est certes apparu dans notre législation il y a une vingtaine d’années – la loi Quilliot a fait du droit à l’habitat un droit fondamental en 1982, et le droit au logement a été consacré par la loi Besson en 1990. Ce projet ouvre aujourd’hui la voie de l’opposabilité – donc de l’effectivité – de ce droit. D’aucuns déploreront peut-être cette longue marche vers la reconnaissance d’un droit au logement opposable. Un regard sur des exemples comparables – droit à l’éducation ou à la santé – nous montre cependant qu’il n’y a pas lieu de s’étonner. L’exemple écossais, souvent invoqué, montre comment a pu être organisée avec succès une forme de progressivité dans la mise en œuvre d’un droit comparable.

Grâce à ce projet, la France peut devenir elle aussi un exemple en Europe, conformément à sa tradition. La maturation de la question au droit au logement doit beaucoup à l’action associative et aux travaux du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Dans son rapport d’octobre 2006, ce dernier suggérait la mise en place d’une double voie de recours, amiable et contentieuse, cette dernière ne devant être employé que comme solution ultime. Ce projet s’inspire de ces propositions. Il en va de notre responsabilité collective de saisir ce moment « magique », car l’enjeu humain est essentiel. L’expression « sans-abri » recouvre en effet une multitude de situations, toutes dramatiques. Il y a tout d'abord les individus littéralement « sans abri », victimes de problèmes personnels – alcoolisme, rupture sociale. Il y a ensuite ceux à qui la précarité de leur situation et le manque de logements interdisent l'accès à un logement digne. Il y a enfin le groupe social des marginalisés, dont la situation doit requérir toute notre attention. Comme me l'ont dit les représentants des Enfants de don Quichotte, ce n'est pas un problème de logement, mais un problème d'êtres humains.

M. Frédéric Dutoit - Tout à fait.

Mme la Rapporteure - Le problème de ceux qui n'ont pas de toit est sans conteste le plus urgent et le plus grave, mais ce n'est pas le seul. Il est à mettre en rapport avec la crise du logement, qui affecte des couches entières de la population – qui ne se trouvent pas toutes en dessous du seuil de pauvreté.

La crise du logement revêt à la fois un caractère quantitatif – il n'y a pas ou pas assez de logements – et qualitatif – ceux qui sont disponibles ne sont pas toujours dignes.

Mme Annick Lepetit - Très bien.

Mme la Rapporteure - C’est un scandale et une nouvelle preuve de l'injuste distribution des biens contre laquelle je milite résolument. La répartition de la richesse devrait être au cœur de nos préoccupations. C'est donc bien de volonté politique qu'il s'agit.

Je tiens donc à infirmer les objections selon lesquelles la filière de la construction ne pourrait assumer la mise en œuvre de ce nouveau droit opposable s'agissant de la production de logements : ces doutes ont été levés par les représentants de la Fédération française du bâtiment que j'ai entendus. Allons-y donc avec enthousiasme !

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis – Très bien !

Mme la Rapporteure - Ce texte vise avant tout à poser le principe de la garantie par l'État du droit au logement décent et indépendant de toute personne résidant sur le territoire français de manière régulière et stable qui ne serait pas en mesure d'accéder par ses propres moyens à un logement ou de s'y maintenir.

Deux procédures de recours sont créées à cet effet. Le texte ouvre d’abord la possibilité de saisir la commission de médiation – prévue aujourd’hui dans chaque département pour les demandeurs de logements sociaux n'ayant pas obtenu d'offre de logement – à deux nouvelles catégories de personnes défavorisées : les personnes dépourvues de logement et les familles avec enfants logées dans des logements indécents ou sur-occupés.

La commission désigne les demandeurs prioritaires dont la demande de logement doit être satisfaite d'urgence. Le préfet a alors obligation d'assurer leur logement, soit par l'intermédiaire des organismes bailleurs, soit directement. Dans le cadre d'une procédure distincte, la commission examine aussi le cas des personnes sollicitant un accueil dans une structure d'hébergement, un établissement ou un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale.

Le projet crée ensuite un recours devant le juge administratif, ouvert à toute personne dont la demande de logement n'a pas reçu de réponse correspondant à ses besoins et ses capacités dans le cadre du recours amiable, dès lors que sa demande a été regardée comme prioritaire et urgente par la commission. Ce recours étant dirigé contre l'État, le juge pourra ordonner sous astreinte le logement, le relogement ou l'accueil dans une structure adaptée.

Le recours juridictionnel sera ouvert à compter du 1er décembre 2008 aux cinq catégories de demandeurs les plus prioritaires et à compter du 1er janvier 2012 aux autres personnes éligibles au logement social dont la demande de logement a été laissée sans réponse durant un délai anormalement long.

Le Sénat s’est longuement interrogé pour savoir à qui incomberait l’obligation de logement dans le cas où le contingent de réservation de logements sociaux préfectoral est délégué par le préfet à une commune ou à un établissement public de coopération intercommunale. Contrairement aux dispositions du texte initial, il a décidé qu'en tout état de cause, il appartiendrait au préfet d’assumer cette responsabilité. Il a toutefois ouvert une possibilité d'expérimentation à titre provisoire, dans certains EPCI volontaires et sous certaines conditions, d'une délégation de l'obligation de logement par l'État.

Le suivi de la mise en œuvre du droit opposable au logement sera assuré par une instance indépendante, dont la composition sera fixée par un décret qui devrait être publié en même temps que la loi. Cette instance serait présidée par le président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Il faudrait qu'elle puisse remettre chaque année un rapport au Président de la République.

Le Sénat – qui a accompli un travail remarquable – a en outre procédé à de nombreuses clarifications du texte.

Ces mesures très nombreuses permettent d'assurer l'accroissement de la production de logements sociaux, de favoriser la mobilisation du parc privé, ou encore d'améliorer la solvabilité des ménages. J'en citerai pour ma part deux qui me paraissent emblématiques : l'indexation des barèmes des aides au logement sur l'indice de référence des loyers – réclamée depuis longtemps, qui est une avancée importante – et la création du fonds de garantie du risque locatif.

D’autres mesures méritent aussi notre attention, qu'il s'agisse du dispositif destiné à inciter certaines communes à créer des places d'hébergement d'urgence ou de l’extension du champ d'application de l'article 55 de la loi SRU.

La seconde partie du texte, consacrée aux dispositions diverses de cohésion sociale, s'est dispersée au Sénat. Nous retiendrons l'harmonisation et la clarification des règles de domiciliation des personnes sans domicile stable, car cette question est au cœur de celle de l'accès aux droits pour les plus défavorisés. Les mesures de cette seconde partie, que le Sénat a peu modifiées, sont également importantes : création de cotisations sociales assises sur le chiffre d'affaires pour simplifier les obligations des micro-entreprises et alléger leurs charges, lutte contre le travail au noir, élargissement du crédit d'impôt remboursable pour les dépenses d'aide à domicile des personnes non imposables, création d'une aide au retour sur laquelle M. Borloo s’est longuement exprimé.

La commission a voulu préserver les acquis du Sénat, tout en les complétant. Elle a poursuivi le travail d'amélioration des procédures, en portant une attention particulière à la mise en place du droit au logement opposable. Je n’ai donc déposé que quelques amendements significatifs. Il s’agit tout d’abord de distinguer les notions de logement et d'hébergement, pour lesquelles deux types de procédures de médiation existent désormais, ensuite de veiller à l'accompagnement social des personnes logées, relogées ou hébergées.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

Mme la Rapporteure - La commission a également imposé au représentant de l'État dans le département, dans le cadre de la procédure de médiation, d'informer par écrit les personnes auxquelles une proposition de logement ou d'hébergement a été adressée.

À l'initiative du groupe socialiste, trois modifications significatives ont été apportées à la procédure de médiation. Les représentants de l'État et des collectivités locales d'une part, ceux des bailleurs et associations œuvrant pour le logement des personnes défavorisées d'autre part, siégeront en nombre égal dans les commissions de médiation. Celles-ci auront la possibilité de demander des informations à d'autres acteurs. Enfin, le Gouvernement présentera chaque année au Parlement un bilan du dispositif dit de « numéro unique » de demande de logement social.

La commission a apporté une garantie nouvelle aux demandeurs de logements sociaux, en imposant la notification par écrit et motivée aux demandeurs de la décision de la commission de médiation.

Je vous fais grâce du chapitre II, qui regroupe en près de trente articles des mesures assez disparates.

Des questions fondamentales demeurent cependant sur l'opposabilité outre-mer. Quelles sont les conditions de permanence sur le sol français ? Une réponse précise du Gouvernement est indispensable. Des décrets sont attendus : il nous tarde d'en connaître le contenu !

Le droit au logement opposable, ce n'est pas de l'assistanat, mais le simple respect d'un droit fondamental. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) C’est l’assurance d’avoir un toit, mais pas la gratuité de l’occupation. En instituant ce droit, la France sera pionnière d’une politique du logement juste et efficace, pour que chacun sache qu’il ne sera jamais à la rue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe socialiste)

M. Georges Fenech, rapporteur pour avis de la commission des lois - Dans notre histoire, les crises du logement ont été récurrentes. À chaque fois, le législateur est intervenu, dans la limite de ses compétences – pendant la première guerre mondiale, par la loi du 1er avril 1926, puis par celle du 1er septembre 1948. À chaque fois, des hommes, des associations, ont dit la souffrance des personnes privées de logement, comme l'abbé Pierre jusqu'à ses derniers instants, et aujourd'hui les Enfants de Don Quichotte, par l'occupation pacifique et digne des berges du canal Saint-Martin.

Si le droit au logement opposable devient possible, c'est aussi que le contexte est favorable. D’abord, dans son discours du 12 octobre 2006 à Périgueux, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, s’est prononcé en faveur d'un tel droit. Puis, à l'occasion de ses vœux, le Président de la République s'est résolument engagé dans cette voie.

Dès lors, la revendication des associations, du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées et de son président Xavier Emmanuelli, devenait accessible, d'autant que le Gouvernement, sous l'impulsion de Jean-Louis Borloo et de Catherine Vautrin, avait entrepris de rattraper dès 2002 le retard considérable accumulé par le gouvernement précédent en matière de construction de logements sociaux.

M. Alain Néri - Il ne faut pas exagérer ! Un peu de modestie.

M. Georges Fenech, rapporteur pour avis - Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nous en sommes à 430 000 mises en chantier en 2006 contre 308 000 en 2000, soit plus 40 % ; à 565 000 permis de construire contre 330 000, soit plus 70 % ; à 97 230 logements locatifs sociaux financés dans le cadre du plan de cohésion sociale, soit, avec les 8 350 financés par l'ANRU, 105 580 logements, contre 42 262 en 2000, et une progression de 130 %. Au total, l'offre nouvelle de logements accessibles a doublé sur cette période. Enfin, la loi portant engagement national pour le logement du 30 juin 2006 a renforcé les mesures facilitant l'accès des personnes défavorisées à un logement locatif social.

D’autre part, s’agissant de l'hébergement d'urgence pour les plus démunis, le nombre de places a augmenté de 50 % depuis 2002 et en 2007, l'objectif de 100 000 places fixé par le plan de cohésion sociale sera atteint.

Ainsi, par une action volontaire, le Gouvernement a travaillé à apporter des solutions concrètes aux quelque 100 000 personnes sans logement, aux 700 000 personnes vivant dans un habitat insalubre ou précaire et aux près de 3 millions qui vivent dans un logement non décent.

La précarité fut si manifeste lors de l'hiver 2006, que consacrer dans la loi un droit au logement garanti pour tous est apparu comme un impératif d'intérêt national. Le Président de la République l'a reconnu et le Gouvernement nous présente donc le présent projet. Il transforme le droit au logement en un véritable droit de créance. C'est une avancée considérable.

L'idée directrice est que le droit au logement, affirmé par le législateur à plusieurs reprises dans les années 1980 et reconnu en 1995 comme un objectif à valeur constitutionnelle, sera garanti dès lors que les personnes dans les situations les plus précaires pourront obtenir, par recours amiable puis, éventuellement, contentieux, un logement décent et indépendant.

L'article 2 crée donc des conditions de saisine élargies de la commission de médiation et dispose que la décision positive de cette dernière devra avoir pour conséquence systématique une offre de logement. Si ce n’est pas le cas, aux termes de l'article 3, les demandeurs reconnus prioritaires pourront exercer un recours contentieux devant la juridiction administrative.

Le Sénat a apporté au texte un certain nombre de modifications et de nombreux ajouts.

Il a ainsi supprimé les dispositions rendant les communes et les EPCI responsables d’assurer le droit au logement dès lors qu'ils auraient reçu la délégation du contingent préfectoral de logements sociaux, préférant, avec raison, confier intégralement la garantie du droit au logement à l'État. En contrepartie, il a adopté un article 5 quinquies, largement inspiré des propositions formulées dans un rapport d'octobre 2006 par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées et qui dispose que les EPCI ayant obtenu la délégation des aides à la pierre pourront expérimenter, pour une durée de six ans, la responsabilité confiée à l'État de garantir à chacun un logement décent et indépendant.

Des magistrats administratifs s’inquiètent du volume du contentieux à venir, soit directement, soit pour demander l'annulation des décisions de la commission de médiation ou en cas d'inexécution des injonctions du juge administratif. Soulignons donc que l’article 3 ne fait pas du recours au juge une panacée, mais un recours ultime quand tout a échoué.

La commission des lois vous propose également que le juge administratif, une fois saisi, n'ait pas à apprécier de nouveau la qualification prioritaire de la demande, afin de ne pas ralentir la procédure.

D'autre part, le Sénat a prévu des modalités de recours distinctes dans les départements où ne sera pas créée une commission de médiation. Il semble nécessaire de supprimer cette disposition qui pose des problèmes d'égalité dans l'accès à la justice des citoyens.

Par ailleurs, la commission des lois propose de distinguer plus clairement le traitement des recours contentieux selon qu’il s’agit d'hébergement ou de logement.

Elle propose également certains amendements identiques à ceux adoptés par les deux autres commissions saisies. Ils prévoient que les décisions des commissions de médiation devront être motivées et écrites, que certains logements du parc locatif privé conventionné avec l'Agence nationale de l'habitat pourront être attribués à des personnes bénéficiant du droit au logement garanti, que les personnes ainsi logées ou hébergées devront être informées des dispositifs d'accompagnement social existants.

Ce projet devrait permettre d'attribuer à chacun un logement décent et indépendant ou un hébergement adapté à sa situation, le recours contentieux ne devant être qu’un aiguillon pour stimuler l'action des pouvoirs publics. Il est la première étape dans la constitution du droit au logement en un véritable droit de créance, mais une étape décisive, et nous pouvons tous être fiers de participer, en cette fin de législature, à l’avancée vers une République généreuse et solidaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis – Ayant été nommé au comité du droit au logement pour les plus défavorisés par Pierre-André Périssol, alors ministre, et le Président de la République, je dois dire à mon tour que c’est avec une intense émotion que je vois aboutir notre combat.

Le droit au logement opposable n’est pas une idée neuve. Louis Besson avait tenté de la faire avancer. Pendant des années, le Haut comité a œuvré avec détermination pour obtenir que, au-delà des déclarations, l’État soit véritablement responsable d’assurer le logement, comme la santé ou l’éducation. Il a fini par être entendu, grâce au ferme soutien du Président de la République, très attentif à ce sujet. Avec les difficultés de l’hiver, les citoyens prirent mieux conscience que la cinquième puissance économique mondiale, le pays des droits de l’homme, ne pouvait accepter que tant de gens soient mal logés ou dorment dans la rue. Traduire cette avancée dans le droit est un moment important dont, tous ici, nous nous souviendrons.

Mme Boutin et M. Fenech ont fort bien exposé le contenu du projet. Il vient à point nommé couronner le travail accompli depuis cinq ans et qui lui donne tout son sens, avec les programmes de rénovation urbaine des quartiers sensibles, le plan de cohésion sociale qui a permis de construire 105 000 logements locatifs sociaux en 2006, et la loi portant engagement national pour le logement qui facilite la mobilisation.

Lors de l’examen de tous ces textes, la commission des affaires économiques, son président et ses rapporteurs ont joué un rôle majeur. S’agissant du projet qui nous est soumis aujourd’hui, une parfaite symbiose s’est faite avec la commission des affaires sociales, la commission des affaires économiques s’attachant plus particulièrement à la question centrale de la production de logements. La crise s’explique d’évidence par l’insuffisance de la construction. Si, au cours de la décennie écoulée, 200 000 logements avaient été bâtis, il y aurait bien moins de sans-logis dans les villes et bien moins, aussi, de jeunes gens contraints, dans les campagnes, de continuer à vivre chez leurs parents…

M. Patrick Braouezec – C’est vrai.

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis - …avec les tensions que cette promiscuité induit, et la tentation de l’inceste – toutes choses que l’on oublie trop souvent.

Les représentants du secteur du bâtiment que nous avons entendus ont expliqué que, si la mobilisation est générale et la volonté politique réelle, on peut construire davantage. Ils ont insisté sur l’écueil que constitue la méconnaissance du marché. Je souhaite, Monsieur le ministre, appeler votre attention sur ce point, et plaider en faveur de la généralisation des observatoires déjà installés par certains départements pour anticiper l’évolution des besoins. Il est en effet surprenant de constater que l’on est actuellement incapable d’établir précisément combien de logements neufs sont nécessaires dans chaque département, ce qui empêche toute planification par les maîtres d’œuvre publics. Considérant que la question est d’ordre réglementaire, la commission n’a pas déposé d’amendements à ce sujet. Nos interlocuteurs ont d’autre part souligné que l’excès de normalisation contribue à renchérir les coûts et, de ce fait, à écarter un nombre croissant de nos concitoyens de l’accès au logement.

S’agissant du projet proprement dit, j’ai proposé, par souci de parallélisme, d’aligner le dispositif prévu à l’article premier bis en matière de logement locatif social, sur celui qu’a institué l’article 55 de la loi « SRU ». J’ai aussi proposé d’étendre la liste des publics pouvant saisir la commission de médiation sans condition de délai aux personnes handicapées, car s’il est une catégorie de population qui doit être considérée comme prioritaire, c’est celle-là…

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, et M. Georges Fenech, rapporteur pour avis – Très bien !

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis - …et ce serait une faute contre l’esprit de ne pas leur témoigner de manière tangible la solidarité à laquelle appelle la loi sur pour l'égalité des droits et des chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Tel est, très succinctement résumé, le point de vue de la commission des affaires économiques sur le très important travail qui commencera avec la promulgation de la loi. J’ajoute qu’à l’initiative de son président, la commission proposera un mécanisme permettant de ne pas pénaliser ceux qui accèdent à un logement et que le prix de l’énergie mettrait dans l’incapacité d’assumer cette charge.

Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires économiques a émis un avis très favorable sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je commencerai, Monsieur le ministre, par saluer votre action et par me féliciter que votre détermination et celle du Président de la République nous permettent de débattre de ce projet avant la fin de la législature. Je vous interrogerai toutefois sur le principe de l’opposabilité, qui fait l’objet d’interprétations différentes par les trois commissions concernées, et sur l’applicabilité du texte.

L’élan de générosité, catalysé par Les Enfants de Don Quichotte, qui a parcouru le pays, rassure sur la permanence des valeurs républicaines de solidarité et de fraternité. Le projet que nous examinons a la même ligne conductrice qu’une série de textes qui l’ont précédé : loi de juin 1982, loi Quilliot sur le droit au logement de juillet 1989, loi Besson de 1990… Avec la loi du 13 août 2004 apparaît la notion de logement « décent et indépendant ». Nous ne sommes donc pas loin du droit opposable – mais encore doit-il devenir réellement opposable, donc susceptible de recours en justice. Je salue tous ceux qui ont fait avancer cette cause, dont M. Paul Bouchet, président d’ATD Quart Monde, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, notre rapporteure, qui avait déposé une proposition à ce sujet en 2005, et notre collègue Patrick Beaudouin.

Je comprends l’émotion qui s’est exprimée, mais je souhaite aussi comprendre les causes de la situation dans laquelle nous nous trouvons pour parvenir à sectionner les racines du mal et faire reculer le « mal logement ». Le contexte n’est plus celui des années 1950, pendant lesquelles l’abbé Pierre en a appelé à l’action en faveur des mal logés. Aujourd’hui, la crise s’explique par le prix du foncier, la chute des constructions et l’augmentation des loyers, mais aussi par celle du nombre des pauvres. En cinq ans, la demande de logement social a augmenté de 222 % ! De plus, il est difficile de distinguer besoin de logement et besoin d’hébergement, mais la commission, à l’initiative de notre rapporteure, a adopté à ce sujet des amendements de clarification bienvenus.

De nombreuses questions restent en suspens, auxquelles nul ne sait répondre avec précision. Combien y a-t-il de travailleurs pauvres en France ? Forment-ils une nouvelle catégorie sociale ? Est-ce acceptable ? Combien de sans-logis relèvent d’un suivi médical continu, et comment mieux les prendre en charge ? Ne faut-il pas envisager, pour certains, des hébergements dans des services de psychiatrie ? Combien d’étrangers, en situation régulière ou irrégulière au nombre des sans-logis ? Comment sont-ils arrivés en France, et quelle image de notre pays avaient-ils avant d’y venir ? Je m’associe aux mots tendres du ministre à l’égard des chibanis.

Il est de notre devoir de trouver une solution pour ceux qui vivent dans la rue, en nombre toujours plus grand, qui choque lorsqu’on vient de l’étranger, comme nous étions nous-mêmes choqués il y a quelques années en marchant dans les rues de certaines métropoles européennes ou américaines.

Le principe d’opposabilité est séduisant, et les citoyens que nous représentons l’attendent. Il reste cependant un degré d’incertitude sur le sens du mot « opposable », terme que je ne suis toujours pas sûr d’avoir totalement compris (Murmures)… On fait souvent appel au modèle écossais, décrit dans plusieurs textes et fruit d’une longue évolution, le premier Housing act datant de 1987 ; mais peut-on comparer la situation écossaise et la crise du logement française ?

Plusieurs députés UMP - Non.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission – En outre, Monsieur Fenech, quel sens donner à la notion de «bonne foi » ? Et comment définir l’opposabilité : à qui le droit au logement sera-t-il opposable ? Quelles sanctions seront appliquées ? Et à qui ?

Mme la Rapporteure - Il faut lire le texte, cher président ! (Sourires)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission  – Quelle est la collectivité qui devra mettre en œuvre le droit au logement garanti par l’État ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur pour avis Nous allons en parler.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission – Plusieurs notions et procédures restent à préciser. Les sénateurs les ont abordées avec leur connaissance des collectivités territoriales. Il nous revient à présent de les approfondir.

Enfin, je me pose la question de l’application de la loi compte tenu du nombre de textes et procédures empilés avec le temps, de la multiplicité des acteurs et de la complexité des circuits de décision, que la loi Besson a encore compliqués, même si elle était très positive. L’ensemble est bien difficile à comprendre pour le non spécialiste !

Par ailleurs, la Cour des comptes a pointé la dégradation de l’efficacité sociale des aides personnelles au logement : APL, ALF et ALS représentent une dépense de 13,8 milliards pour 6 millions de ménages. Quelles conclusions faut-il en tirer ? Il semble indispensable de recentrer les aides sur les personnes qui en ont le plus besoin.

Comment le juge, déjà surchargé, pourra-t-il intervenir ? Quel impact la loi aura-t-elle sur le fonctionnement des tribunaux administratifs ? Peut-on, selon les termes de M. Fenech, considérer le recours juridictionnel comme une simple épée de Damoclès n’ayant jamais vocation à s’appliquer ?

Le vrai problème, c’est le manque de logements en France…

Mme la Rapporteure - Ça, c’est sûr ! (Sourires)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission – Et vous connaissez les solutions, vous, Monsieur le ministre, dont tous les efforts se sont tournés vers la construction de logements sociaux. Je sais que les problématiques de la rue ne peuvent se réduire à la seule question du logement. Et je salue, une fois de plus, l’action du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées…

M. Jean-Louis Dumont - Ça, ça ne coûte pas cher !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission – …ainsi que celle de Xavier Emmanuelli. Les aspects sanitaires, économiques, éducatifs et psychologiques ont leur part dans la complexité de la vie des personnes concernées. Je sais aussi que la loi s’appliquera progressivement. Mais je la considère d’ores et déjà comme une grande victoire contre l’exclusion ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D’irrecevabilité

Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L'exigence vertueuse, en politique, ce n'est pas se contenter de s'enthousiasmer pour un nouveau progrès consolidant l'édifice républicain et social. Non, l'exigence vertueuse, c'est d'abord de s'interroger sur les raisons réelles ou feintes, obscures ou avérées, qui ont empêché pendant des décennies tant de générations d’y accéder. Puis de mesurer, à la lumière des réponses à ces questions, si ce progrès annoncé n'est pas qu'un artifice.

À l'heure où s’achèvent les travaux de la XIIe législature, notre assemblée discute d'un texte dont l'importance aurait dû en marquer l'histoire. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste) Par son objectif, le projet instituant un droit au logement opposable exprime une ambition à la mesure des grandes lois de la République. Garantir un habitat digne à tous nos concitoyens, c'est, tout à la fois, une exigence minimale pour la France du XXIe siècle, et un formidable défi pour la puissance publique. C'est un but, en vérité, qui égale celui du législateur lorsqu'il a choisi d'assurer l'accès de tous aux soins et à l'instruction.

En défendant cette motion de procédure, mon groupe politique n'entend donc en rien contester la pertinence et l'urgence de mettre enfin en adéquation le principe du droit au logement et la réalité quotidienne que vivent nos concitoyens.

Mme la Rapporteure – Merci.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Mais il souhaite alerter notre assemblée, et au-delà, l'opinion publique, sur les graves insuffisances du texte qui, selon nous, peuvent gravement entamer l'idée même d'un droit au logement opposable.

Avant d’évoquer le fond du projet, il me paraît opportun de revenir sur les circonstances incertaines qui l'ont vu naître, car elles livrent une clé de sa radicale imperfection.

Mme Annick Lepetit - Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Si la genèse de la loi portant engagement national pour le logement fut laborieuse – deux années de travail –, celle du présent projet fut au contraire expéditive ! Il n'aura suffi que de deux semaines. Sorti de nulle part…

M. le Ministre – C’est faux ! Le Haut comité avait été saisi dès le mois de juin !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …ou d'ailleurs, à l'occasion des vœux du Président de la République, le 31 décembre 2006, le projet de loi instituant un droit au logement opposable a été bouclé et adopté par le Gouvernement dès le 16 janvier 2007 ! Une telle célérité, mes chers collègues, est la marque d'un pouvoir aux abois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) face à la pression de l'opinion publique. Qualifiée à l'origine de « poudre aux yeux » par certains ministres du Gouvernement,…

M. Manuel Valls - N’est-ce pas, Madame Vautrin ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Je parlais des tentes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …l'initiative conduite par les Enfants de don Quichotte a pourtant rapidement suscité la sympathie et l'adhésion de nos concitoyens. Loin d'être un simple phénomène médiatique, l'opération menée sur les berges du canal Saint-Martin a révélé un profond malaise social. Selon un sondage réalisé en novembre 2006 par l'institut BVA, 48 % des Français estiment en effet qu'ils pourraient un jour devenir sans domicile fixe. Quelle angoisse !

La hâte avec laquelle a été rédigé le projet de loi a inquiété, dès l'origine, les défenseurs du droit au logement opposable. Selon les responsables de la FAPIL « la précipitation, dans le contexte actuel, ne peut que restreindre la portée d'un droit qui se veut fondamental et universel ». Pis, dans le plan d'action proposé par le Haut comité, l'adoption d'une loi devait être précédée, je le cite, de « la création d'une task force, chargée de conduire une concertation nationale des acteurs et de dégager des propositions ».

M. le Ministre – Vous faites de la désinformation. Le Haut comité soutient le projet à l’unanimité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Soucieux d'identifier les besoins, bassin d'habitat par bassin d'habitat, le Haut comité précisait même que cette concertation devrait être « complétée par une concertation spécifique à l'Île-de-France ». Dans la nervosité d'agir, aucune de ces recommandations essentielles n'a été entendue.

M. le Ministre – C’est faux !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiquesIl est moralement condamnable de diffuser de fausses nouvelles !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Rédigé dans la fébrilité, le projet du Gouvernement a donc été – en toute logique – réécrit en profondeur par les sénateurs.

Mme Marylise Lebranchu - Eh oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Alors qu'il ne comptait que 9 articles lors de son passage en conseil des ministres, le texte en comporte aujourd'hui 44 ! Il faut que la copie initiale ait été bien mauvaise pour qu'elle ait provoqué tant d'ajouts et dé corrections !

M. Manuel Valls - C’est incontestable !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Préjudiciable par elle-même, la précipitation du Gouvernement nous paraît d'autant plus suspecte qu'elle l'oblige à une spectaculaire volte-face.

Mme la Rapporteure – Vos arguments ne sont pas à la hauteur de l’enjeu !

M. Marc-Philippe Daubresse - Surtout que la gauche n’a jamais rien fait !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Depuis vingt ans, le droit au logement est au cœur des combats de la gauche. Consacré par la loi Mermaz comme un droit fondamental dès 1989, il a été élevé au rang de devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation par la loi Besson, l'année suivante. En 1998, soit juste un an après son retour aux responsabilités, la gauche a adopté une nouvelle loi contre les exclusions pour dégager des moyens…

Mme la Ministre déléguée - Parlons-en, des moyens !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …en faveur de l'accès effectif de tous au logement. En 2000, la loi SRU a poursuivi cet effort, en créant un dispositif essentiel pour relancer l'offre locative sociale et lever les verrous de l'égoïsme communal. Or, mes chers collègues, chacune de ces lois a été déférée par l'opposition de droite devant le Conseil constitutionnel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Si ces recours furent vains, ils restent révélateurs de réticences idéologiques. Selon les principes du libéralisme, le logement est un bien comme les autres qui doit être soumis aux lois du marché. Toute intervention volontariste de la puissance publique en faveur d'un droit au logement risque de casser le miraculeux équilibre entre l'offre et la demande !

M. Marc-Philippe Daubresse - N’importe quoi !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Plus que méfiante sur le principe d'un droit au logement assuré par l'État, la droite a rejeté sans ambages – et avec dédain – les premières démarches du groupe socialiste en faveur de son opposabilité. Au reste, il a aussi rejeté les tentatives de sa propre majorité ! Dans la discussion sur la loi relative aux responsabilités locales de février 2004, je m'étais inquiété de la dispersion des compétences en matière de logement, au motif qu'elle portait atteinte à une condition essentielle d'un droit opposable. Désormais largement partagée, cette inquiétude était alors restée sans écho au sein de la majorité.

Et, en décembre 2004, à l'occasion des débats sur la loi pour la cohésion sociale, …

M. le Ministre – Texte que vous n’avez pas voté ! (« Très juste ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …lorsque mon groupe a défendu des amendements mettant en place l'opposabilité au 1er janvier 2009, nous nous sommes heurtés à un rejet tout aussi méprisant du Gouvernement et de sa majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). En avril 2006, le même accueil a été réservé aux tentatives des sénateurs socialistes, lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement.

Comment, dans ces conditions, ne pas s'interroger sur les mobiles qui ont conduit le Gouvernement à un retournement aussi brutal ?

Mme Annick Lepetit - La question se pose !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Comment ne pas douter de l'authenticité de sa conversion à l’opposabilité du droit au logement ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Manuel Valls - Nous allons vous ressortir vos propos !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - En vérité, à quelques semaines d'élections décisives, un ralliement aussi précipité à cette revendication relève, avant tout, de la diversion ! Alors qu'une enquête récente de l'institut CSA indique que le logement est devenu la troisième priorité de nos concitoyens après l'emploi et la sécurité, le Gouvernement espère envoyer un signal fort aux Français.

Une telle manœuvre n'est pas honorable, car elle consiste à tirer des chèques sans provision sur l'avenir.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques - C’est ce que vous faites qui n’est pas honorable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Le calendrier fixé par le projet renvoie la responsabilité de la mise en œuvre de l'opposabilité sur la prochaine majorité. En captant cette revendication in extremis, le Gouvernement se donne d'autant plus facilement le beau rôle qu'il est certain de ne pas payer la facture !

Mais cette manoeuvre est surtout inadmissible car elle masque la diminution de l'effort public en faveur du logement enregistrée depuis 2002. Selon les chiffres du rapport de la Fondation abbé Pierre publié le 1er février dernier, les dépenses consenties par l'État pour le logement sont progressivement descendues de 1,36 % du PIB en 2000 à 1,21 % en 2004 et à 1,16 % en 2006. (M. le ministre fait des signes de dénégation)

Les statistiques de ce même rapport établissent que cette baisse globale des engagements de l'État a frappé, au premier chef, les ménages modestes. Alors que les constructions sous plafonds représentaient 66,9 % de l'ensemble des constructions en 2000, elles n'en constituent plus que 41,2 % en 2005.

J'entends déjà les protestations de la majorité ! Mais ces chiffres ne sont pas issus d'un obscur bureau d'études ou d’un argumentaire du parti socialiste : ils émanent d'une institution dont chacun, sur ces bancs, devrait respecter l'objectivité des analyses autant qu'il affirme respecter la mémoire de son fondateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP)

En évoquant d'abord le contexte du présent projet, j'ai souhaité faire écho aux craintes, largement partagées à l'extérieur de notre assemblée, sur la bonne foi de ses auteurs, car elles hypothèquent la pertinence du dispositif législatif qu'ils présentent.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Votre intervention, elle, est un chef d’œuvre de mauvaise foi !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Ces craintes, hélas, ne tiennent toutefois pas tant au contexte qu’au texte lui-même, dont de nombreuses dispositions sont entachées de vices techniques, à commencer par celles relatives à la procédure de médiation, à l’article 2. Certes, des avancées ont été obtenues au Sénat, avec en particulier l’ouverture des commissions de médiation aux associations et la fixation d’un délai pour leurs décisions ; de même, l’amendement créant un droit opposable à l’hébergement spécifique lève certaines craintes relatives à la dilution du droit au logement dans un droit à l’hébergement : comme le rappelle l’UNIOPSS, l’hébergement ne peut être qu’une formule temporaire et non une fin en soi. Droit au logement et droit à l’hébergement sont deux choses différentes, qui ne concernent pas les mêmes publics.

M. Georges Fenech, rapporteur pour avisNous ne disons pas autre chose !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Malgré ces améliorations, l’article 2 reste très défectueux. La procédure de médiation est censée s’appuyer sur des commissions départementales créées en 1998. Or, selon un rapport parlementaire, seuls 55 départements possédaient une telle commission en 2004. Elles seraient 80 aujourd’hui, mais un grand nombre d’entre elles n’ont en réalité aucune activité. Il faudrait donc, pour que l’article 2 ait un sens, obliger chaque département à se doter immédiatement d’une commission opérationnelle.

Leur fonctionnement pose également problème, puisque les décisions qu’elles rendent ne sont pas motivées et qu’il n’est prévu aucune procédure d’appel.

M. Georges Fenech, rapporteur pour avisSi ! C’est dans le texte.

M. le Ministre - Il ne l’a pas lu !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Mais, surtout, nous nous interrogeons sur la faculté accordée à ces commissions de hiérarchiser les demandes selon le critère vague et aléatoire de « l'urgence ». Cette faculté entre en contradiction avec l'universalité du droit au logement et risque d'opposer les personnes en situation précaire aux personnes les plus démunies.

Les vices affectant la procédure contentieuse de l'article 3 sont également nombreux, même si un amendement socialiste, au Sénat, a permis la saisine directe du juge administratif en cas d'absence de commission de médiation, et si la possibilité de faire appel des décisions du juge administratif a ramené la procédure dans le droit commun.

L'absence de dispositions permettant aux requérants de bénéficier de l'aide juridictionnelle ou du soutien d'associations est injustifiable, connaissant les difficultés économiques des publics concernés. Dans une note adressée aux parlementaires, le syndicat de la juridiction administrative considère que la formule « Le président du tribunal administratif ou le juge qu'il désigne statue en urgence » a un caractère purement déclaratoire, puisqu'elle n'est assortie d'aucune contrainte. De même, dès lors que l'État doit se verser à lui-même le montant de l'astreinte, la vocation coercitive de celle-ci devient tout aussi problématique que le caractère exécutoire de l'ordre de relogement.

Une dernière série de défauts techniques frappe l'article 5 quater relatif au comité de suivi. Si nous nous réjouissons du rétablissement de cette structure par le Sénat, l’article ne dit rien ni sur son rôle, ni sur ses moyens. Il faut donc impérativement rappeler que ce comité devra rendre au Gouvernement un rapport, éventuellement assorti de recommandations, sur les modalités de mise en œuvre du droit au logement opposable. En outre, l'article devrait préciser les outils grâce auxquels le comité pourra assurer cette mission ; comme l’UNIOPSS, nous sommes favorables à ce que les préfets lui adressent régulièrement des informations concernant leurs départements.

Ce projet souffre également d'un rédhibitoire manque de moyens et d'ambition. Alors que quatre conditions seraient nécessaires pour concrétiser le droit au logement opposable – construction massive de logements abordables, solvabilisation des ménages modestes, mobilisation de toutes les communes de France, concentration des compétences aux mains d'une seule collectivité publique –, la politique conduite depuis cinq ans contredit chacune d’elles…

M. Marc-Philippe Daubresse – C’est de l’amnésie !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - …sans que ce projet, en dépit des amendements adoptés par le Sénat, ne permette d’inverser la tendance.

En premier lieu, le projet ne rationalise pas le partage des compétences. Depuis l'adoption de la loi relative aux responsabilités locales, en 2004, ces compétences sont pourtant dangereusement dispersées : les départements gèrent les aides du Fonds de solidarité pour le logement ; ce sont les communautés d'agglomération qui versent les aides à la pierre et si elles ne le souhaitent pas, ce sont les départements qui s’en chargent ; les maires peuvent solliciter l'obtention du contingent préfectoral ; l'Agence nationale pour la rénovation urbaine prend en charge les opérations réalisées en zone urbaine sensible... Seuls les juristes les plus chevronnés s'y retrouvent.

Mme Annick Lepetit - Et encore !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Une telle complexité hypothèque gravement la mise en œuvre d'un droit au logement opposable. Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, insistant sur la nécessité de désigner une autorité publique responsable au plan local, estime que cette responsabilité devrait être attribuée aux établissements publics de coopération intercommunale. Si mon groupe se félicite que l'amendement des sénateurs socialistes, créant l'article 5 quinquies, permette de concentrer certaines compétences aux mains des EPCI qui le souhaitent, nous regrettons que ce dispositif n'ait pas été rendu obligatoire.

Ensuite, le projet ne prévoit pas d'effort significatif en faveur de la solvabilisation des ménages. Certes, à l'approche des échéances électorales, les députés socialistes constatent que les revendications qu'ils portent depuis des années en faveur des aides personnelles au logement finissent par être, partiellement, entendues. Ainsi, le seuil de non-versement des APL a été enfin redescendu à quinze euros dans la loi de finances pour 2007.

Mme la Rapporteure - Soyez contents !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Aujourd'hui, c'est le taux de revalorisation de ces APL qui est enfin indexé sur l'indice de révision des loyers. Or, si cette indexation préservera à l’avenir les APL de l'érosion, elle ne permet pas de réparer les dégâts subis depuis 2002, puisque, selon les économistes, elles auraient perdu plus de 10 % de leur pouvoir solvabilisateur sur la période. Leur revalorisation est un objectif incontournable de ces prochaines années.

En troisième lieu, le projet ne met pas en œuvre les dispositifs nécessaires au renforcement de la mixité sociale. Faire porter l'effort de solidarité sur les seules communes dont le parc social est déjà important revient à condamner à l'échec l'opposabilité du droit au logement et à aggraver la ségrégation territoriale. Les dispositions de l'article 55 de la loi SRU, menacées à plusieurs reprises depuis 2002, n'ont pas encore fait l'objet des adaptations qui s’imposent : un tiers des communes ne respectant pas l'obligation de 20 % de logements sociaux n'ont toujours pas commencé à en construire, alors que 90 % du parc social est concentré sur moins de 2 000 communes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Et l'amendement créant l'article 5 bis nouveau reste symbolique : étendre les dispositions de l'article à 250 nouvelles villes ne dissuadera pas les villes riches de préférer l'amende à la solidarité nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Cette faible brèche paraît pourtant encore trop large à certains : au sein de la commission des affaires économiques, les députés de la majorité ont repoussé l'application de l'article 5 bis à l'année 2017, soit dans deux législatures. Chassez le naturel… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Si nous voulons vraiment un droit au logement opposable, il faut adopter des mesures autrement plus volontaristes en matière de mixité sociale, et notamment contraindre les communes déficitaires en logements sociaux à en construire 25 %. Cela aussi, c’est un objectif pour les prochaines années (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Enfin, le projet ne garantit pas les conditions d'un droit au logement opposable, faute de dégager suffisamment de moyens pour créer une offre de logements abordables. Sur ce point, la version initiale du texte était véritablement calamiteuse.

M. Marc-Philippe Daubresse - C’est votre bilan qui a été calamiteux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Elle prévoyait de mobiliser le seul contingent préfectoral. Or d’une part, selon les travailleurs sociaux et les associations, 70 % des personnes sans domicile fixe sont trop désocialisées pour pouvoir intégrer, du jour au lendemain, un logement. Il est donc indispensable de prévoir pour ces personnes un placement en centre d'hébergement, afin qu’elles puissent bénéficier d'un soutien médical et d'un accompagnement social.

Mme la Rapporteure - La commission a adopté un amendement à ce sujet.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - D’autre part, alors que le contingent préfectoral peut offrir 100 000 logements vacants tout au plus chaque année, les cinq catégories prioritaires définies à l'article premier concernent entre 500 000 et un million de ménages, suivant les évaluations. Loin de mettre en place un droit au logement opposable, le projet se bornait donc à gérer la pénurie et à modifier les priorités dans la file d'attente des demandeurs de logements sociaux ! Qui plus est, la rédaction initiale portait atteinte à la mixité sociale en réservant le parc social aux plus démunis et en sollicitant les seules communes disposant d'un nombre significatif de logements sociaux.

L'opposabilité du droit au logement restera un leurre tant que nous n'aurons pas relancé massivement l'offre de logements abordables. Cela passe par le financement annuel de 100 000 logements vraiment sociaux, de type PLUS et PLAI, et par une mobilisation accrue des logements conventionnés du parc privé. Cette exigence est d'autant plus aiguë qu'elle n'a pas été satisfaite depuis près de cinq ans !

M. Marc-Philippe Daubresse - Menteur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Les députés socialistes ont à chaque fois alerté la majorité sur le décalage préoccupant entre les niveaux de loyers de l'offre nouvelle et les ressources de nos concitoyens. Nous n'avons cessé d'expliquer que si l’offre de logements était bien repartie à la hausse, Monsieur le ministre, elle ne répondait pas aux besoins des Français ! Un quart seulement des 430 000 mises en chantier lancées en 2006 produiront des logements accessibles aux deux tiers de nos compatriotes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) ! Monsieur le ministre, vous connaissez ces chiffres !

Depuis la publication du rapport 2007 de la Fondation abbé Pierre, l'aveuglement du Gouvernement sur les résultats de sa politique n'est plus une erreur ; il est devenu une faute ! Non, Monsieur le ministre, la crise du logement n'est pas derrière nous !

Un député UMP - La faute à qui ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Elle ne cessera pas si vous continuez votre politique ! Il est donc impérieux de réorienter l'effort de l'État vers la construction de logements abordables : à l'inverse de ce qui est fait depuis cinq ans, les aides à la pierre doivent profiter aux logements vraiment sociaux, de type PLUS et PLAI !

Mme la Rapporteure – Vous n’êtes pas contents parce que nous avons pris votre sujet, mais nous devrions plutôt travailler ensemble !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - S'agissant du parc privé, il est inacceptable que l'État accorde aux investisseurs 500 millions annuels d'avantages fiscaux, sans contrepartie sociale. Le droit au logement opposable devrait s'appliquer à ces patrimoines, dès lors qu'ils ont bénéficié d'une aide publique !

Mme la Rapporteure - Cessez de jouer la comédie !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Ces évidences ont d’ailleurs inspiré certains amendements au Sénat et certaines propositions de nos rapporteurs. L'article 2, alinéa 13, ouvre désormais au préfet la possibilité de recourir au parc privé. L'amendement socialiste créant l'article premier bis a renforcé sensiblement les obligations en matière de places d'hébergement posées par la loi de 1994. Enfin, l'article 6 A a augmenté la programmation de logements sociaux établie par la loi de cohésion sociale.

Mais si ces avancées témoignent d'une prise de conscience de la gravité de la situation, leur efficience peut être mise en doute. La mobilisation du parc privé, évoquée en des termes vagues à l’article 2, semble relever davantage d'une profession de foi que d'un dispositif contraignant et opérationnel. Dans son avis du 8 février, l’UNIOPSS a d’ailleurs demandé que cette procédure soit précisée, afin d'être effective. En outre, la mobilisation du parc privé doit impérativement s'accompagner de celle des contingents réservés aux maires, aux partenaires sociaux, à l'UESL. Les obligations en matière de places d'hébergement, prévues à l'article premier bis, ont déjà fait l'objet d'un puissant tir de barrage au sein de la commission des affaires économiques : en changeant les règles de calcul des sanctions financières, les députés de la majorité sont parvenus à diviser par dix le montant de celles-ci ! Chassez le naturel...(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques  C’est malhonnête de dire cela !

M. Manuel Valls - C’est pourtant la vérité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Quant à l'augmentation des logements sociaux programmés par la loi de cohésion sociale, tout laisse craindre qu'elle reste une simple déclaration d'intention. Le Gouvernement est plus généreux lorsqu’il s’agit d’ajouter des zéros aux nombres de PLAI et de PLUS que pour en inscrire dans la colonne des crédits !

L'article 6 A fait ainsi passer de 500 000 à 591 000 le nombre de logements sociaux programmés entre 2005 et 2009, opérant un renversement – aussi tardif qu’inespéré – puisqu’il privilégie les logements vraiment sociaux, qui passent de 63 000 à 100 000. Pourtant, ces réorientations stratégiques ne sont malheureusement gagées que sur la crédulité des naïfs ou des laudateurs ! Si l'augmentation des PLAI et des PLUS est indispensable, la partie financière du plan de cohésion sociale, comme le souligne l'USH, doit être modifiée en proportion. Or, aucune modification n'est prévue pour assurer aux bailleurs sociaux les aides financières de l'État nécessaires à la réalisation de ces nouveaux objectifs !

M. le Ministre – Je proposerai des amendements en ce sens.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je vous ai entendu. Voyez-vous, la pertinence de l’opposition trouve parfois écho chez les ministres ! Nous examinerons ces amendements, mais nous compterons !

M. Marc-Philippe Daubresse - Laborieux !

M. Manuel Valls - Brillant, plutôt !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Quand bien même le Gouvernement abonderait les crédits programmés, cette modification ne serait probablement qu'un jeu d'écritures. Qui peut encore croire aux promesses du Gouvernement, quand les engagements programmés pour 2007 n'ont pas été tenus dans la loi de finances ? Les bailleurs ne recevront que 450 millions sur les 600 qui leur étaient promis pour 2007 !

M. le Ministre – C’est faux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Au regard de l’objectif affiché dans ce texte, les moyens disponibles sont dérisoires. Il revient donc aux parlementaires de mettre les seconds en harmonie avec le premier ; le vote du groupe socialiste dépendra de leur succès ou de leur échec sur ce point.

Mme la Rapporteure - La raison vous revient !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - La mémoire de l'abbé Pierre a souvent été évoquée, certains ayant même jugé possible – ou habile – de donner son nom à ce texte. Le respect que l'on doit à l'homme et à son combat empêche, heureusement, toute manœuvre de captation d'héritage.

Mme la Rapporteure - Ce n’est pas la vraie raison, et vous le savez !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Pour ma part, j’espère que son sens de la justice sociale animera chacun d'entre nous. L'abbé Pierre souhaitait, plutôt que des fleurs, que l’on fît figurer sur sa tombe la liste des demandeurs de logements. Pour notre part, qu’y déposerons-nous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Il est indigne d’utiliser ainsi la mémoire de l’abbé Pierre !

Mme Marylise Lebranchu – Non, la démonstration était bonne !

M. le Ministre – J’ai omis de citer, dans mon discours, le communiqué du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, publié le 9 février. Le Haut comité rappelle qu’il avait émis sur le texte initial un avis favorable, sous réserve de la création d’une instance de suivi chargée notamment de faire des propositions, d’ici au 1er juillet, sur les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour la bonne mise en œuvre de l’article premier, dans le respect de l’objectif de mixité sociale. Le Haut comité constate que cette réserve est aujourd’hui levée en raison, d’une part, du courrier adressé par le Premier ministre à Xavier Emmanuelli, et d’autre part, de l’adoption d’un amendement intégrant ce comité de suivi dans le projet de loi.

Le Haut comité tient à saluer la qualité du travail des sénateurs qui a abouti à l’adoption – sans aucune voix contre – du texte et souligne les améliorations qu’ils ont apportées sur les points suivants : renforcement des obligations des communes en matière de création de places d’hébergement ; composition des commissions de médiation ; introduction d’un délai de décision pour ces commissions ; mention du logement locatif privé conventionné parmi les réponses possibles ; octroi des avantages fiscaux du conventionnement dans le cas d’une location à des organismes pratiquant la sous-location ou l’hébergement ; extension des dispositions de l’article 55 de la loi SRU à tous les EPCI de plus de 50 000 habitants comportant une commune de plus de 15 000 habitants ; ouverture aux EPCI délégataires des aides à la pierre de la possibilité d’expérimenter la délégation de la responsabilité du droit au logement opposable ; révision à la hausse des objectifs de production de logements sociaux fixés par la loi de cohésion sociale – particulièrement pour les logements d’insertion – indexation du barème des aides à la personne sur l’indice de référence des loyers…

Mme la Rapporteure - Très important !

M. le Ministre - Enfin, création d’un fonds de garantie des risques locatifs abondé par l’État.

Mme la Rapporteure - Formidable !

M. le Ministre – Voilà l’essentiel de ce communiqué.

Mme Marylise Lebranchu – Nous l’avons lu !

M. le Ministre - Si l’on tient compte de la mise en harmonie des objectifs de production de logements très sociaux et des moyens, des financements supplémentaires consacrés aux résidences relais, il rend bien compte du climat objectif dans lequel doit se dérouler ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Marc-Philippe Daubresse - En deux minutes, tout est dit !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Je n’avais pas prévu de prendre la parole, mais je tiens à répondre à M. Le Bouillonnec. Je souhaite que, sur un tel sujet, règnent sur ces bancs le respect et un minimum de consensus.

Mme Marylise Lebranchu - Et de vérité !

Mme Annick Lepetit - Qu’avez-vous fait pendant cinq ans ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Il serait bon d’éviter les récupérations politiciennes. C’est l’honneur de la majorité de s’engager dans cette action, c’est l’honneur du Gouvernement d’avoir pris ses responsabilités afin de répondre à la souffrance de nos concitoyens. Monsieur Le Bouillonnec, je ne peux accepter que vous laissiez penser à ceux qui nous écoutent aujourd’hui que la majorité a failli à sa mission. C’est vous qui avez voté la loi SRU…

Mme Annick Lepetit - Pas vous ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques …et qui avez imaginé un système de pénalités. Notre commission n’a fait que rendre les pénalités prévues dans le cadre du droit opposable au logement identiques à celles prévues par la loi SRU. Nous voulons une loi juste et équitable ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Nous n’avons pas de leçon de morale à recevoir de vous !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques – C’est la vôtre qui n’est pas fondée !

S’agissant de l’application de la loi SRU dans quelque deux cents communes, nous n’y sommes pas opposés, mais il faut laisser le temps à ces communes d’adapter leurs plans d’urbanisme (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je refuse de vous laisser insinuer que la majorité est malhonnête. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

C’est vous qui avez prévu le délai de vingt ans dans la loi SRU ; nous, nous parlons d’un délai de dix ans ! Nous prenons une mesure juste et adaptée aux exigences du terrain.

Je vous le redis en toute sérénité…

M. Manuel Valls - Avec quel cynisme !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques – …C’est l’honneur de notre majorité d’avoir mené avec enthousiasme et efficacité un combat juste en faveur des personnes en situation précaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Pourquoi avoir refusé tous nos amendements ?

Mme la Présidente - Nous en venons aux explications de vote.

M. Michel Piron - Je suis de ceux que votre récupération de l’abbé Pierre a choqués.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Je ne l’ai pas récupéré !

M. Patrick Braouezec - Certains récupèrent bien Jaurès…

M. Michel Piron - Que d’excès dans vos propos, Monsieur Le Bouillonnec ! Comment pouvez-vous dire de ce texte qu’il est expéditif alors qu’il est l’aboutissement d’un effort de longue haleine ? Que faites-vous de la loi de cohésion sociale et de l’engagement national pour le logement ?

Mme Annick Lepetit - Hélas, nous les connaissons bien !

M. Michel Piron – Que faites-vous de la commission de médiation, de la garantie des risques locatifs et du doublement des logements sociaux ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Non, pas des logements sociaux !

M. Michel Piron - Vous n’avez pas le monopole de la générosité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Puisque vous nous reprochez d’avoir tant attendu, permettez-moi de vous demander ce que vous avez fait de vos années de gouvernement ! En matière de droit opposable au logement, nous, au moins, nous agissons ! C’est pourquoi nous voterons contre votre exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit – Enfin un projet de loi sur le droit opposable, auquel le groupe communiste a toujours été très favorable… Pourtant, ce texte tardif n’est-il pas hypocrite ? S’il faut s’occuper des mal-logés, il faut aussi éviter que d’autres leur succèdent. Or mon groupe avait profité d’une niche parlementaire pour défendre une proposition de loi sur le droit à vivre dans la dignité, dont l’objet était d’interdire les expulsions et les coupures d’énergie lorsque le locataire n’est pas capable de payer. Ni la majorité ni le Gouvernement n’ont accepté d’en discuter les articles. Pourquoi, alors, défendre aujourd’hui à grands cris le droit opposable ? N’est-ce pas en raison de la proximité des élections ?

En matière de logement, les lois de la République ne sont pas appliquées et ce projet opportuniste ne donne aucune garantie supplémentaire qu’elles le seront. Ce n’est pas parce que les gouvernements précédents ont insuffisamment agi en faveur du logement – et j’assume l’action de mon ami Jean-Claude Gayssot – que cela vous exonère de votre responsabilité dans la situation actuelle. C’est parce que nous souhaitons que le droit opposable au logement entre rapidement en vigueur que nous voterons cette motion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme Annick Lepetit - Le groupe socialiste ne conteste en rien la nécessité du droit opposable au logement.

Mme la Rapporteure - Tant mieux : avançons !

Mme Annick Lepetit - C’est d’ailleurs inscrit dans notre programme depuis juin 2006.

Mme la Rapporteure - Pour autant que l’on puisse parler de programme…

Mme Annick Lepetit - Mais M. Le Bouillonnec a énuméré les lacunes de ce texte inapplicable qui discrédite l’idée même du droit opposable.

M. Jean-Pierre Abelin - C’est laborieux !

M. Patrick Braouezec - C’est plutôt la loi qui est laborieuse !

Mme Annick Lepetit - Plusieurs dispositions sont entachées de vices techniques, de la procédure de médiation à celle de contentieux. Pire encore : comment le droit opposable pourra-t-il s’appliquer s’il n’y a même pas de logements pour tous et partout ? Certes, les mises en chantier sont nombreuses, mais pour quels publics ? Parlons de chiffres, puisque vous les aimez : en 2005, moins de 23 % des logements produits étaient destinés à 70 % de la population ; la part des PLS est passée de 7,5 % en 1997 à 9,2 % en 2000, mais à 35,9 % en 2006 !

M. Marc-Philippe Daubresse - Pourquoi ne pas plutôt regarder les chiffres de 2007 ?

Mme Annick Lepetit - On nous accuse de faire fi des lois précédentes. Au contraire, nous avions profité de ces débats pour proposer par amendements d’augmenter le nombre de PLAI et de mieux répartir les logements sur le territoire. Mais, ce n’est toujours pas le cas.

M. Ollier parmi d’autres conteste sans cesse l’article 55 de la loi SRU au motif qu’il faut du temps pour l’appliquer. Que dire alors du droit opposable au logement : comment l’appliquer s’il n’y pas de logements pour les plus démunis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques Cela n’a rien à voir ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Manuel Valls - Quel cynisme !

Mme Annick Lepetit - Nous allons d’ailleurs proposer des amendements visant à renforcer les sanctions de la loi SRU afin d’obliger des villes telles que Neuilly,…

Plusieurs députés socialistes – Au hasard !

Mme Annick Lepetit - …qui n’ont que 3 % de logements sociaux, à en construire davantage.

M. Alain Néri - Votons un contingent spécial pour Neuilly !

Mme la Rapporteure - Ce n’est pas le problème !

M. Patrick Braouezec - Si, c’est une partie du problème.

Mme Annick Lepetit - Mme Boutin disait à juste titre que l’on ne trouve pas forcément de logement avec un CDI. Imaginez donc l’avenir que réserve aux plus démunis de nos concitoyens un contrat unique de type CNE !

Hier encore, de nombreuses associations reprochaient à ce texte de ne pas mettre un terme au drame quotidien que vivent trois millions de personnes mal logées et bien d’autres encore, face aux sommets qu’atteignent actuellement les loyers. Les Enfants de don Quichotte que vous avez tant chouchoutés, Monsieur le ministre, font remarquer que le texte en l’état ne permettra aucune avancée concrète, car le contingent préfectoral de 20 % est limité et sert déjà aux publics défavorisés. Vous savez combien il est difficile de reloger ceux qui dorment encore sous les tentes du canal Saint-Martin ! Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste appelle à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Michel Hunault - Le groupe UDF, lui, votera contre.

M. Jean-Louis Dumont - L’UDF est à droite !

M. Michel Hunault - Ce projet de loi consacre le droit opposable au logement. Je m’étonne du tour polémique que prend la discussion sur un sujet aussi important, qui touche la vie quotidienne de tant de nos concitoyens et mobilise la société civile – dont certains représentants sont aujourd’hui présents dans les tribunes de l’hémicycle.

Il y a moins de quinze jours, nous étions tous réunis pour saluer le courage de l’abbé Pierre, qui a voué sa vie au combat pour le logement des plus démunis. Face à cela, nous avons une responsabilité particulière. Sous l’impulsion du Président de la République, le Gouvernement nous propose de rendre opposable le droit au logement pour tous. C’est une avancée qui devrait nous réunir.

Jamais il n’y a eu autant de logements mis en construction. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Huguette Bello - Pas outre-mer !

M. Michel Hunault - Priorité a été donnée au logement social.

M. Patrick Braouezec - C’est faux !

M. Michel Hunault – Certes, il reste beaucoup à faire et les loyers sont chers. Mais je ne pense pas que le spectacle que nous offrons soit la meilleure réponse à apporter. Sur un tel sujet, nous devrions au contraire savoir dépasser nos clivages.

Si le groupe UDF s’oppose à l’exception d’irrecevabilité, il vous demande cependant de poursuivre votre effort, Monsieur le ministre. Mme Boutin, qui a réuni il y a deux jours les associations, connaît bien la situation de ces familles refoulées à la périphérie des villes. Il faut donc agir, et il faut aussi – et surtout – veiller à l’application des lois que nous votons. Plusieurs de vos prédécesseurs au ministère du logement sont présents dans l’hémicycle et chacun y a œuvré à sa manière. Je vous demande donc instamment de poursuivre l’effort. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

question préalable

Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Patrick Braouezec - Loin de nous l'idée de contester la volonté affichée par ce texte de renforcer la déclinaison législative d'un objectif dont nous avons constamment soutenu l'opportunité, notamment lors de la discussion du projet de loi portant engagement national en faveur du logement.

Le droit au logement est en effet une véritable exigence sociale et républicaine, qui appelle une action durable, loin de la réponse chimérique que vous nous proposez. Élaboré dans la plus grande précipitation, à quelques semaines des échéances électorales, votre projet ne répond en rien aux attentes des personnes en situation de mal-logement.

Comment ne pas s'étonner, d'ailleurs, du retournement de situation – pour ne pas dire de veste – auquel nous avons assisté ces dernières semaines ? Le Gouvernement avait jusqu’ici rejeté toutes les propositions sur le droit au logement opposable défendues par les associations et devant cette assemblée, les jugeant encore prématurées et irréalistes à l'automne dernier.

Pourquoi nous proposer ce texte seulement aujourd'hui, alors que le DAL, ATD Quart Monde, la Ligue des droits de l'homme, Médecins du Monde ou la CNL réclament depuis plus de trois ans des mesures visant la garantie d'un droit au logement effectif pour tous, et que des élus s’en font depuis longtemps l’écho dans cet hémicycle ? Je le fais moi-même depuis dix ans à chaque débat budgétaire.

Comment ne pas voir, dans la brutale accélération de ce dossier en souffrance, autre chose qu'une opération électorale ?

Mme la Rapporteure - Mais non !

M. Patrick Braouezec - Je ne parle pas pour vous, qui défendez vous aussi ce droit depuis plusieurs années.

Nous en voulons pour preuve que le texte entérine certes le principe du droit au logement, en organisant un droit de recours à une commission, mais laisse sciemment de côté l'examen des questions essentielles, au premier rang desquelles celle de l'offre de logement.

Il importe en premier lieu d'établir un diagnostic de la situation du logement dans notre pays. Je vais essayer de le faire sans provocation, mais il est un fait que votre politique n'est pas étrangère à l'aggravation spectaculaire du mal logement ces dernières années. En témoigne l'accroissement du nombre de personnes privées de logement – plus de 100 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile fixe, dont 40 % ont un contrat de travail.

Le nombre de demandeurs de logements sociaux n'a lui aussi cessé de croître. Il se situe actuellement entre 1,3 et 1,4 million, soit 300 000 de plus qu'il y a trois ans.

Ces quelques données ne rendent pas compte du caractère multiforme de la crise du logement, de la situation des victimes de l’insécurité locative, des habitants d'immeubles insalubres ou dégradés, des personnes hébergées, habitant dans des campings à l'année ou vivant dans des squats...

Au total, la crise du logement frappe aujourd'hui, selon la Fondation abbé Pierre, plus de trois millions de personnes. Le premier facteur de cette situation catastrophique est l'explosion de la spéculation immobilière et l'installation d'une crise durable de l'immobilier, caractérisée par une augmentation prohibitive des prix de l'immobilier et des loyers. Ces derniers ont augmenté de 30 % en moyenne ces dernières années, et les contentieux locatifs de près de 40 %. Les prix du foncier ont bondi de 94 % entre 1998 et 2004.

Une flambée largement encouragée par la politique fiscale du Gouvernement. Des dispositifs comme le Robien ou le Borloo populaire – qui n'a de populaire que le nom – contribuent à alimenter la flambée des prix et à assécher le marché foncier, rendant chaque jour plus difficile la construction de logements sociaux. Le dispositif de Robien, qui ne sert qu’à constituer un patrimoine privé, permet ainsi aux particuliers de bénéficier de la même déduction fiscale – environ 22 000 euros – que pour du logement locatif social. De même, le Borloo populaire va coûter à la collectivité entre 20 000 et 40 000 euros par acquisition, alors que ces acquisitions n'ont pas vocation à répondre à des besoins sociaux. Pourquoi ne pas imaginer plutôt un vrai retour à l’aide à la pierre (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste), ou assortir les incitations fiscales de contreparties sociales ?

Le constat s'impose en effet – second facteur de crise – de l'insuffisance criante de la production de logements véritablement sociaux. En 2000, la production immobilière était de 311 000 logements, dont 208 000 sous plafond de ressources, soit 67 %. En 2005, la production globale a été de 410 000 logements – et non pas 500 000 – mais la construction sous plafond est tombée à 169 000 logements, soit 41 %.

Les estimations récentes chiffrent les besoins en logements à 900 000 unités, dont deux tiers de logements sociaux. La France dispose de 4 millions de logements sociaux. Le taux de rotation est inférieur à 10 %. En Seine-Saint-Denis, il est passé de 9 % à 4 %. Le nombre annuel d'attributions s’élève donc à 400 000 – à peine le tiers de la demande. Bref, le problème se situe bien au-delà de la construction de 70 000 ou 80 000 logements sociaux par an ! Pour satisfaire les besoins, il faudrait construire 120 000 à 150 000 logements sociaux par an pendant au moins cinq ans. Cela suppose de faire preuve d’une réelle volonté politique, donc de renoncer aux politiques d'affichage qui ont eu votre faveur depuis cinq ans.

Ce que l'écho médiatique rencontré par les Enfants de Don Quichotte aura en effet révélé, c'est que le voile de vos effets d'annonce ne peut masquer la réalité. Selon un sondage réalisé par le CSA pour l'Union sociale de l'habitat en septembre, 84 % des Français estiment d’ailleurs que les responsables politiques ne s'occupent pas suffisamment des problèmes de logement, et 66 % qu'il n'y a pas assez de logements sociaux.

Mme la Rapporteure - C’est valable pour tous !

M. Patrick Braouezec - Sans doute un peu plus pour certains que pour d’autres… La communauté d’agglomération que je préside compte plus de 50 % de logements sociaux, et jusqu’à 80 % dans certaines communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La priorité de l'action publique doit donc être de proposer une offre suffisante de logements accessibles. Pour répondre à cet objectif, une autre majorité avait fait adopter une loi qui fait encore grincer des dents nombre de nos collègues de la majorité, la loi SRU, qu'il faudrait aujourd'hui renforcer. Dans un contexte tendu, le risque est en effet grand de voir disparaître les disponibilités foncières dont nous avons besoin pour concrétiser le droit au logement et à des conditions de vie décentes. Le risque est tout aussi grand de voir mises en œuvre des politiques de ségrégation contraires à la demande sociale, au motif que celle-ci correspondrait à des plans locaux d'urbanisme conçus dans le secret de quelques services municipaux avec le concours de promoteurs avisés.

Face à l'ampleur de ces enjeux, votre texte reste au milieu du gué, quand il ne fait pas l'impasse sur des mesures essentielles. Conçu dans l'urgence pour répondre à l'urgence, il laisse apparaître des failles dénoncées par la CNL, le DAL ou les Restos du Cœur. Je tiens ici à rendre hommage à l'action des ces associations qui ont toujours refusé, comme l’affirment les Restos du Cœur, « d'être les complices de ceux qui continuent à croire qu'on peut reléguer et concentrer la misère à la périphérie des villes ». Elles s'étaient déjà opposées, au printemps dernier, à la majorité lorsque celle-ci a voulu s'attaquer à l'article 55 de la loi SRU, avec pour seul mot d'ordre : « Ne touchez pas aux 20 % de logement social par commune ».

La revendication qu'elles portaient alors était celle de la nécessité d'une juste répartition du logement social sur le territoire, afin de garantir le maintien du lien des exclus avec leur ville et leur quartier, et aussi une mixité sociale de l’habitat. On comprend dès lors que votre texte les laisse dubitatives. Comme nous, elles soutiennent le droit opposable pour les ménages qui, à raison de leur situation difficile, n'ont pu obtenir de logement. Mais nous partageons aussi avec elles l’idée que le droit au logement ne peut se concevoir sans modifier la politique du logement. L'opposabilité est un outil dont la pertinence s'évalue au regard d'une politique d'ensemble – que vous n'avez pas menée.

Nous nous félicitons des quelques avancées adoptées par le Sénat – indexation des aides au logement à l'indice d'augmentation des loyers, augmentation du nombre des communes soumises aux 20 % de la loi SRU, extension des sanctions SRU aux places d’hébergement, augmentation des objectifs de production de logements sociaux PLUS et très sociaux PLAI, même s’ils restent insuffisants au regard des besoins.

Nous regrettons en revanche que l’État ne puisse imposer le relogement que sur le contingent préfectoral déjà réservé aux ménages défavorisés, soit bien moins de 100 000 logements par an. Dans ces conditions, le droit au logement opposable sera bien peu efficace.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - C’est évident.

M. Patrick Braouezec - Pour nous, il doit s’appliquer sur tous les parcs de logement, sauf bien entendu les propriétés privées individuelles. En effet, spécialiser le parc HLM dans l’accueil des plus pauvres ne ferait qu’accentuer la ségrégation sociale et risquerait, comme le souligne Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation abbé Pierre, de susciter dans les classes moyennes une animosité envers les plus défavorisés, car elles croiraient que l’État n’agit que pour eux. C’est d’ailleurs l’un des arguments de l’extrême droite.

Mme Marylise Lebranchu - Tout à fait.

M. Patrick Braouezec - Aussi est-il impensable de sacrifier la mixité sociale au droit opposable. Il faut assurer les deux. Mais cela demande des moyens importants, et ils sont totalement absents de ce texte.

Il dégage les collectivités locales de leurs responsabilités, qui sont grandes en ce qui concerne les permis de construire, les choix de construction, l’attribution des logements. Or il est inacceptable que 742 communes s’exonèrent en toute quiétude, quand même elles ne s’en vantent pas, de l’obligation légale de construire 20 % de logements sociaux. Les seules solutions efficaces seraient d’aggraver les sanctions et de donner aux préfets le pouvoir de refuser les PLU non conformes. À en juger par les amendements adoptés en commission, vous continuez à faire obstacle à la pleine application de la loi SRU. Nous ne l'accepterons pas, nous n’accepterons pas que le droit opposable serve de prétexte au statu quo.

Il est choquant que ce texte ne comprenne aucune mesure concernant les réquisitions des logements vacants, l'augmentation des moyens budgétaires, la gestion du patrimoine de l'État, que vous cédez au plus offrant, plutôt que de le céder à tarif préférentiel aux communes. Vous clamez votre attachement au droit au logement, mais vous refusez toute entrave à la sacro-sainte fluidité du marché : bel exemple de double langage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Un droit au logement effectif pour tous ne peut se résumer à de nouvelles techniques de gestion de la pénurie. Il ne saurait se concevoir sans un programme de lutte contre la spéculation immobilière ni une politique ambitieuse de revalorisation des revenus. Comment le garantir tant que des gouvernements comme le vôtre alimenteront la précarité et casseront le service public ?

La crise du logement tient aussi au déséquilibre croissant entre l’offre et les ressources des demandeurs. Il faut donc résolument agir sur celles-ci, comme sur les autres leviers disponibles. Un plan d’urgence doit comprendre l'arrêt des expulsions, des coupures d'eau, de gaz et d'électricité, la production massive de logements sociaux, la sécurisation des parcours résidentiels, la fin des incitations à la spéculation immobilière, le recentrage de la dépense fiscale, la revalorisation des aides au logement et la baisse des loyers de façon à ce qu’ils n’excèdent pas 20 % des revenus du foyer. Surtout, il faut créer un grand service public du logement chargé de faire prévaloir le droit sur la loi du marché et assurant la transparence dans l’offre locative. Nous avons déposé des amendements en ce sens. Concernant la seconde partie du projet, on peut se demander ce que viennent faire ici ces mesures pour le moins diverses et dont certaines remettent en cause des droits. Il ne faudrait pas qu’on profite de l’institution d’un droit opposable pour, par ailleurs, porter de nouveaux coups de canif dans notre contrat social !

Ainsi l'article 6 M, introduit par les sénateurs, fait obligation, pour bénéficier de l'ensemble des prestations sociales, d’une élection de domicile, alors que ce n’était le cas que pour le RMI, la CMU, l’AME et en cas de demande d’asile. Cela ne fera que compliquer la vie de nombreuses personnes pour lesquelles elle l’est déjà assez. Pouvez-vous nous garantir que ce ne sera pas une nouvelle source d’exclusion ?

Les associations s’alarment aussi de ce que, à l’article 7, le versement de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants semble entraîner la suspension de l’aide au logement. Pouvez-vous garantir aux retraités qui veulent passer un long séjour dans leur pays d’origine qu’aucune de leurs prestations ne sera suspendue pendant ce temps ?

Refuser, comme le prévoit l’article 9, le bénéfice des prestations sociales à certains ressortissants de l’Union européenne c’est plonger les migrants des pays de l’Est dans la misère. Est-ce ainsi que vous voulez les accueillir ? Je n’oublie pas enfin les exonérations prévues à l’article 6. Nous y reviendrons dans la discussion.

Toutes ces questions justifient largement de poser la question préalable, pour exiger un droit au logement effectif et non celui que vous proposez dans une visée purement électorale. Nous sommes loin de cette « grande victoire » dont se réjouit le président de la commission des affaires culturelles. Tout reste à faire. Nous continuerons donc à porter l’exigence d’un droit au logement pour tous au cours des prochaines années. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme la Présidente - La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Louis Dumont - Et il va prendre des engagements sur la production de logements !

M. le Ministre – Je vais plutôt essayer d’apaiser M. Braouezec…

M. Michel Piron - C’est impossible !

M. le Ministre - …et par là même, je pense, l’un de ses amis proches, membre du Haut comité pour le logement des plus défavorisés.

Monsieur Braouezec, vous ne pouvez expliquer la crise du logement en oubliant le véritable « toboggan » des années 1980.

M. Patrick Braouezec - Je ne l’ai jamais fait.

M. le Ministre – Lorsque l’abbé Pierre poussa son cri de détresse en 1954, la France produisait 200 000 logements par an. Elle progressa encore, pour atteindre 600 000 logements par an à la veille de l’arrivée de M. Mitterrand au pouvoir. Alors, pour de nombreuses raisons, c’est entendu, dont une décentralisation sans contractualisation, …

M. Patrick Braouezec - Ce constat, je le partage.

M. le Ministre - …on en est arrivé à moins de 280 000 logements par an, et ce, pendant vingt ans !

M. Frédéric Dutoit – Et alors ?

M. le Ministre – Alors, si l’on veut bien reconnaître qu’il en fallait 400 000 ou 450 000 au minimum, cela veut dire un déficit de 2 500 000 logements de 1981 à 2001. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Huguette Bello - La responsabilité est partagée !

M. Manuel Valls - Parlons donc de la mairie de Paris !

M. le Ministre – Il y a une chaîne du logement. Si vous voulez de la fluidité, il faut augmenter l’offre. La principale attaque portée contre le pouvoir d’achat, finalement, a été la rareté du logement. Et quand pendant vingt ans on crée deux fois moins de logements que le pays n’en a besoin, il ne faut pas être un grand économiste pour comprendre qu’on crée ainsi la rareté, laquelle empêche la mobilité. C’est de là que viennent tant de drames, de la scolarité à l’emploi. Au milieu des années 1980, il y avait des plans sociaux dans les entreprises du bâtiment !

Inverser la tendance était impératif. Nous l’avons fait, et on peut contester nos méthodes sans doute, mais le résultat, c’est que la production globale de logements a augmenté de 80 %. Je le réaffirme, car, à force de désinformation, on finirait par s’inquiéter.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - À qui le dites-vous !

M. François Scellier - Aux socialistes !

M. le Ministre – Si l’on s’en tient au logement social tel que défini par la loi SRU, il y a eu 42 262 logements sociaux financés en 2000, il y en a 105 580 cette année, 120 000 programmés en 2007. C’est donc un triplement entre 2000 et 2007.

Mais je veux bien vous suivre, Monsieur Le Bouillonnec, lorsque vous demandez qu’on y regarde plus en détail, par type de logements. Vous avez raison, le nombre de PLAI n’est pas suffisant ; mais pour autant je n’accepte pas la façon dont vous présentez les choses. On en était à un petit 4 999 PLAI en 1999, à 5 009 en 2000…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - 8 944 en 2001 !

M. le Ministre - …Non, 5 427. Puis 5 188 en 2002, 6 032 en 2004, 7 502 en 2005, 8 200 en 2006.

Si l’on regarde maintenant les PLUS, on est passé de 33 172 en 2000, 42 224 en 2001, 39 278 en 2002, à 50 580 en 2006 et 80 000 programmés en 2007.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Vous ne nous lisez pas les chiffres de vos services !

M. le Ministre - Je comprends que ce bilan vous gêne, car cette question aurait dû vous préoccuper, mais force est de constater que cela n’a pas été le cas. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Puis-je vous rappeler que nous avons porté de 8 000 à 40 000 euros le plafond de ressources et qu’en matière d’accession sociale à la propriété on est passé de 80 000 à 24 000 en trois ans ? Quant à prétendre que le texte aurait été élaboré dans la précipitation… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Frédéric Dutoit - Alors là !

M. le Ministre – J’avais dit, lors de l’examen de la loi ENL, être favorable à un droit opposable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) mais dit aussi que la mise en œuvre d’un tel droit étant chose compliquée, il convenait d’en définir les contours. Au terme de cette réflexion, le Gouvernement a considéré que la responsabilité de garantir le droit au logement relevait de l’État. Autrement dit, même si la pression des événements, des associations et des citoyens a permis l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de la présente session, le processus était engagé de longue date (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

L’utilisation du patrimoine de l’État a été un sujet récurrent pendant vingt-cinq ans, et pendant vingt-cinq ans rien ne s’est passé, jusqu’à ce que nous installions la délégation interministérielle au développement de l’offre de logement, qui a recensé les lieux permettant la construction de 30 000 logements sociaux. Nous avons alors proposé un texte instituant une décote de 35 % du prix fixé par l’administration du Domaine pour permettre des constructions à des prix conformes aux prix de référence du logement social. Et, vous le savez, l’État compense la différence de prix lorsque les terrains vendus à cette fin appartiennent à des collectivités. La construction de 18 000 des 30 000 logements prévus a démarré ; jamais un tel effort n’avait eu lieu. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Je vous rappelle enfin que le plan de cohésion sociale prévoit une garantie universelle des risques locatifs, acquise dès le premier mois d’impayé et rendue possible par la création d’un fonds de garantie de l’État. Dix-huit mois de travail ont été nécessaires pour en arriver là ! Reconnaissez que tout le monde le souhaitait, puisque tous les experts s’accordent pour attendre de cette mesure l’arrivée sur le marché de quelque 600 000 logements que leurs propriétaires, effrayés par le risque d’impayés, se refusaient jusqu’à présent à louer. Dans le même temps, le scandale des cautions et des loyers exigés d’avance va enfin cesser, et des milliers de jeunes gens, de salariés employés en intérim ou en CDD et d’allocataires des minima sociaux vont pouvoir accéder à un logement digne. S’agissant spécifiquement du maintien des droits des chibanis, le vote unanime du Sénat devrait vous rassurer, Monsieur Braouezec.

Telles sont les mises au point que je tenais à faire. Je souhaite maintenant que, dans un même élan républicain, vous votiez, tous ensemble, ce texte, dont je ne prétends pas qu’il réglera tout – c’est bien pourquoi la création d’un comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement est nécessaire. Il est indispensable de mobiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne de production de logements pour faire de ce droit opposable un droit effectivement universel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme la Rapporteure – Ayant entendu mettre en doute le fait que le ministre se serait prononcé en faveur du droit au logement opposable, je tiens à témoigner de la réalité de cet engagement, clairement exprimé aussi bien pendant des conversations privées que lors d’interventions publiques dont le Journal officiel fait foi. Comme M. Daubresse l’avait fait, M. Borloo s’est déclaré expressément favorable à l’institution de ce droit au terme d’une réflexion nécessaire, qui a été menée pendant de nombreux mois.

Je souhaite que sur un texte aussi important, nous sachions dépasser les clivages et que nous affirmions ensemble la volonté de voir appliquer un droit au logement opposable. Ne croyez pas que ce texte nous est soumis maintenant pour des raisons électorales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) alors qu’il est l’aboutissement d’une réflexion conduite de longue date. Le moment magique est maintenant arrivé où nous pourrions tous nous retrouver. Je vous ne prie, ne l’abîmez pas ! (Exclamations sur les mêmes bancs)

M. Frédéric Reiss - Nul ne peut mettre en doute l’engagement de M. Borloo, de Mme Vautrin et de Mme Boutin. Le texte qui nous est soumis, fruit d’un travail de longue haleine, permet un progrès social certain en instituant le droit au logement opposable. Le ministre a rappelé la chute libre du nombre de logements construits entre 1981 et 2001 et souligné que jamais le nombre de mises en chantier – particulièrement de logements sociaux – n’a été aussi élevé qu’en 2006. Les mesures prévues dans ce texte devraient emporter l’adhésion sur tous les bancs, et je ne comprends pas, Monsieur Braouezec, l’obstination avec laquelle vous vous y opposez, pour d’obscures raisons liées, selon vous, à la spéculation immobilière. (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Un député socialiste - Il n’a jamais dit ça !

M. Frédéric Reiss - Le groupe UMP votera contre la question préalable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – La défense de l’exception d’irrecevabilité et de la question préalable aura permis au groupe socialiste d’abord, au groupe des députés communistes et républicains ensuite, d’exposer clairement leur positions respectives. Je le répète, nous ne nous opposons pas au principe du droit au logement opposable, et personne ne nous culpabilisera. Par nos arguments et nos amendements, nous chercherons à donner une substance à ce qui est proposé. L’opposabilité n’aura de sens que si la politique de l’État permet, sur l’ensemble du territoire, une offre de logements. Là est le problème de fond et moi qui ai bataillé avec vous pendant des années en faveur de ce droit, je n’admettrais pas, Madame Boutin, que vous nous culpabilisiez à chaque fois que nous défendrons un amendement. Ce serait d’ailleurs irrespectueux de ce que doit être le travail parlementaire.

Je ne sais quelle sera l’issue des prochaines élections, mais je puis vous dire que si la gauche arrive au pouvoir, nous mettrons au point un outil de quantification de la politique publique en matière de logement. Il est en effet tout à fait anormal que les chiffres produits par le ministre ne soient pas ceux qui émanent de ses propres services. Dans un mælström qui entretient la confusion, on mélange financements, mises en chantier et livraisons. La seule indication qui vaut n’est-elle pas de savoir combien de logements ont été livrés en 2006 ? Aussi longtemps qu’un outil indépendant n’aura pas été créé, ni le Parlement ni les collectivités ne pourront apprécier la réalité de la politique de l’État en matière de logement.

S’agissant du problème, fondamental, de la réactivité aux demandes urgentes, qu’elles émanent de personnes sans hébergement fixe ou d’étrangers en situation non régulière, chacun sait que l’offre en PLU ou en PLUS ne répond pas à la demande, et que seule une proportion relativement restreinte de cette population peut entrer en PLAI. Au reste, au-delà des personnes en grande difficulté, les logements dits intermédiaires sont déjà difficilement accessibles à une part notable de demandeurs.

Si l’on veut donc mener une véritable politique de puissance publique, il est impératif que l’État concentre ses moyens sur les actions susceptibles de répondre aux besoins du plus grand nombre. Et nous regrettons que tel n’ait pas été le cas jusqu’à présent. Monsieur le ministre, nous ne critiquons ni l’homme que vous êtes ni vos engagements. Ce que nous déplorons, c’est que, volontairement ou non, vous ayez agi selon une inspiration libérale, qui vous a conduit à privilégier les programmes peu coûteux pour l’État ou défiscalisés. À l’heure du bilan, force est d’admettre que l’État n’a pas fait assez pour répondre aux besoins du plus grand nombre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mais si vous nous donnez aujourd’hui l’assurance que tout sera fait pour que l’État s’engage désormais à construire pour ceux dont les besoins sont prioritaires, nous porterons avec vous l’opposabilité du droit au logement. Sinon, vous ne nous trouverez pas à vos côtés pour adopter une demi-mesure et servir à la France une illusion. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Claude Sandrier - Madame la rapporteure, nous ne mettons pas en cause votre sincérité et nous sommes, comme vous, soucieux de la sérénité de nos débats. Mais ce n’est certes pas la première fois qu’est abordée dans cet hémicycle la question du droit au logement, inscrit dans nos principes constitutionnels et dans la Déclaration des droits de l’homme. Nous nous souvenons des questions posées, comme des réponses obtenues ! Lorsque nous réclamions l’opposabilité, nous étions, vous vous le rappelez sans doute, traités d’irresponsables ou d’opposants au droit de propriété…

M. Frédéric Dutoit - Eh oui !

M. Jean-Claude Sandrier – Alors, d’accord pour la sérénité, mais que chacun assume ses responsabilités.

La vérité, c’est que le Gouvernement agit aujourd’hui sous une double contrainte : celle, noble, de l’opinion publique à la suite de divers mouvements, et celle, d’une autre nature, d’échéances électorales particulièrement importantes. Vous faites de nécessité vertu et cela n’échappe à personne ! Et cela vous conduit à aller très vite, au risque de l’imprécision ou de l’insuffisance. Ainsi, l’article 2 dresse une liste acceptable des personnes prioritaires. Mais il prévoit aussi que la commission de médiation puisse désigner des gens « encore plus prioritaires » que les autres : est-ce rigoureux ? Ne faudrait-il pas prendre le temps de mettre au point une rédaction plus claire ?

Enfin, je ne crois pas que quiconque puisse aujourd’hui crier victoire. Tout au long de la législature, vous aurez couru – sans jamais la rattraper – derrière une réalité économique et sociale qui ne cesse de se dégrader. Du fait de la persistance du chômage, du développement de la précarité et de la multiplication des travailleurs pauvres, nous sommes confrontés à une réalité que personne n’aurait osé imaginer il y a vingt ans : d’après un récent sondage, 48 % des Français n’écartent pas totalement le risque de se retrouver, un jour ou l’autre, à la rue ! Pendant ce temps, tout est fait pour engraisser les actionnaires ou servir aux patrons des revenus insultants pour le commun des mortels. Et le Gouvernement ne peut inciter en permanence à compresser les dépenses sociales, puis feindre l’étonnement lorsqu’il découvre les conséquences de ses choix ! Il n’y a aucune victoire à revendiquer. Il faut agir, agir d’urgence, et corriger, autant que faire se peut, les insuffisances d’un texte dont nous soutenons certaines dispositions.

Pour l’heure, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Abelin - Je ne comprends pas ces manœuvres à retardement. Les associations sont unanimes à soutenir ce texte…(Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) En tout cas, elles sont favorables à l’inscription du principe d’opposabilité dans un texte de loi. Oui, le texte doit être enrichi ; oui, il ne suffit pas de voter des enveloppes de prêts sociaux pour répondre à tous les problèmes, mais l’ampleur des programmes de rénovation urbaine témoignent de la volonté d’agir du Gouvernement. Fidèle à l’attitude constructive à laquelle il s’oblige en permanence, le groupe UDF votera contre l’adoption de la question préalable. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 12 heures 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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