Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session extraordinaire 2001-2002)

 

ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 1ER AOÛT 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mercredi 31 juillet 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT

1.  Justice. - Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation et de programmation, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence «...».

EXCEPTION D'IRRECEVABILITE «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. André Vallini, Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois ; Rudy Salles, Jean-Marc Ayrault, Gérard Léonard, Michel Vaxès. - Rejet.

Rappel au règlement «...»

MM. Jean-Marc Ayrault, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
QUESTION PRÉALABLE «...»

Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Julien Dray, le rapporteur, Claude Goasguen, Pierre Albertini, Mme Élisabeth Guigou. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Pierre Albertini,
Patrick Braouezec,
Claude Goasguen,
Jean-Jack Queyranne.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle «...».
3.  Dépôt d'une proposition de résolution «...».
4.  Dépôts de rapports «...».
5.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.)

1

JUSTICE


    Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation et de programmation, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence.
    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n°s 154, 157).

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. André Vallini, pour une durée qui, comme il le sait, ne peut excéder une heure trente.
    M. André Vallini. Je souhaiterais vous dire en préambule, monsieur le ministre de la justice, qu'un texte touchant à des questions de cette importance méritait mieux que ce débat précipité, un 31 juillet, au coeur de l'été, et dans l'urgence de surcroît.
    Un texte d'orientation pour la justice, ce n'est pas rien. Or qui peut croire un instant que vous avez eu le temps nécessaire depuis votre nomination, récente, de procéder avec vos collaborateurs, vos services et, surtout, les partenaires du monde judiciaire, et ils sont nombreux, à un véritable travail de fond sur ce que pourrait être la justice en France dans les années qui viennent ?
    En fait, monsieur le ministre, vous inaugurez bien mal votre fonction avec ce texte bâti à la va-vite, ce texte fourre-tout, qui ne dit rien en fait sur votre vision prospective de la justice dans notre pays.
    Et qui peut affirmer, en dépit des déclarations péremptoires de notre rapporteur, que notre assemblée a eu le temps de procéder à un véritable travail de fond sur un texte qui est long, dont nous n'avons pris connaissance qu'il y a deux jours dans la version adoptée par le Sénat ?
    Pour autant, et en dépit de cette précipitation que vous nous imposez, nous avons beaucoup de choses à dire sur votre texte, et je vais, pour ma part, m'attacher à en démontrer l'irrecevabilité, dans ses trois grands volets : la justice des mineurs d'abord ; la procédure pénale ensuite ; et, enfin, les juges de proximité.
    S'agissant des mineurs délinquants, votre texte ignore l'idée fondamentale sur laquelle repose l'ensemble de notre droit concernant les mineurs : l'enfant, ou l'adolescent, même délinquant, ne saurait être considéré comme un adulte en miniature, il est avant tout un être en devenir et à ce titre il faut le traiter de façon spécifique. C'est ce qui fonde, vous le savez, l'ordonnance du 2 février 1945, lorsqu'elle affirme la primauté de la réponse éducative - et non pas préventive comme le disait tout à l'heure le président de la commission des lois - sur la réponse pénale.
    Certes, cette ordonnance a aujourd'hui cinquante ans, et, c'est vrai, la délinquance des mineurs n'est plus la même : plus violente, plus fréquente, plus précoce aussi. Mais, avant de considérer que le droit positif n'est plus adapté aux besoins actuels, encore faut-il lui donner tous les moyens de s'appliquer pleinement. Or l'ordonnance de 1945 offre un large éventail de possibilités, vous l'avez dit vous-même, que les services de la PJJ n'ont jamais eu les moyens de mettre en oeuvre totalement, même si des progrès importants ont été accomplis sur le plan des moyens lors de la législature précédente.
    M. Gérard Léonard. Ah bon, des progrès importants ? Quel culot !
    M. André Vallini. J'ai les chiffres à votre disposition, si vous le souhaitez !
    M. Gérard Léonard. Non, on a vu les résultats !
    M. André Vallini. Cela dit, pourquoi ne pas réformer ce texte, qui ne saurait, pas plus que les autres, être inscrit pour l'éternité dans le marbre de la loi, d'autant que l'ordonnance de 1945, et vous ne le savez sans doute pas, a déjà été réformée une vingtaine de fois, mais jamais au risque de tourner le dos à ce principe essentiel selon lequel le traitement pénal des mineurs répond à des règles spécifiques, à une procédure individualisée, à l'instauration d'un dialogue personnalisé entre l'institution judiciaire et le jeune délinquant.
    Je prendrai quatre exemples pour montrer que votre texte est donc irrecevable sur le fond, et qu'il présente en plus des caractères sérieux d'inconstitutionnalité.
    D'abord, la responsabilité pénale des mineurs. Vous proposez de l'abaisser de treize à dix ans, ce qui revient en fait à demander à un préadolescent, à un enfant, de mesurer le risque pénal de ses propres actes. Or cela ne correspond nullement, et vous le savez, au développement mental de cet âge.
    Vous prévoyez aussi de banaliser la garde à vue des mineurs de dix à treize ans, puisqu'elle pourra être prononcée, en cas d'indices graves ou concordants, et non plus graves et concordants, pour un délit puni non plus de sept, mais de cinq ans d'emprisonnement, et pour une durée passant de dix à douze heures, renouvelable une fois.
    Ainsi, monsieur le ministre, un enfant de dix ans pourra passer jusqu'à vingt-quatre heures en garde à vue pour la plupart des délits. Autant dire que ce type de rétention va perdre de son caractère exceptionnel, et que des enfants vont se retrouver de plus en plus souvent dans des locaux encore trop souvent sordides où sont gardés des majeurs auteurs de toutes sortes d'infractions, et nous pouvons imaginer d'ici le choc de ces rencontres. Comment éviter alors que la garde à vue ne transforme ce qui n'aurait pu être qu'un accident de parcours en un véritable basculement dans la spirale de la délinquance ?
    Vous introduisez aussi pour les mineurs des sanctions éducatives, qui ressemblent en fait aux mesures de sûreté prévues par le code de procédure pénale à l'encontre des majeurs, faisant mine d'ignorer qu'on pouvait déjà les mettre en liberté surveillée ou prévoir une réparation.
    Toutes ces modifications contreviennent en fait à la convention internationale des droits de l'enfant, et c'est là un motif sérieux d'irrecevabilité de votre texte.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Tiens donc !
    M. André Vallini. Arrivons-en à la procédure de jugement à délai rapproché que vous proposez d'étendre aux mineurs pour lutter, dites-vous, contre le sentiment d'impunité et pour apporter une réponse rapide aux actes de délinquance. Pourquoi pas ? Mais, attention, monsieur le ministre, car la rapidité est toujours dangereuse en matière juridictionnelle et votre projet va permettre le jugement d'un mineur à l'aide d'éléments de personnalité recueillis à l'occasion d'une procédure antérieure de dix-huit mois. Je sais que le rapporteur s'en inquiète, il nous en parlera sans doute tout à l'heure.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous avons trouvé la solution.
    M. André Vallini. En tout cas, on sait à quel point on évolue vite à cet âge de la vie, et votre texte va priver l'institution judiciaire d'informations essentielles non seulement pour évaluer ses propres procédures et leur impact, mais aussi pour mesurer l'évolution du mineur en dix-huit mois.
    Quant au jugement à délai rapproché lui-même, c'est évidemment là aussi une proposition qui va à l'encontre de la spécialisation de la justice des mineurs, et elle est donc contradictoire avec ce qui fonde notre procédure pénale concernant les mineurs depuis la loi du 12 juillet 1912, l'ordonnance de 1945, mais aussi le pacte international sur les droits civils et politiques ou encore la convention internationale des droits de l'enfant dont j'ai parlé tout à l'heure et qui invite à « promouvoir l'adoption de lois de procédure, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infractions à la loi pénale ».
    J'en viens au contrôle judiciaire et à la détention provisoire des mineurs. De treize à seize ans, le placement sous contrôle judiciaire concernera des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement, au lieu de sept actuellement, et, en cas de non-respect du contrôle judiciaire, le mineur à partir de treize ans pourra être placé en détention provisoire pour une durée pouvant aller jusqu'à deux mois, y compris en matière correctionnelle et plus seulement en matière criminelle.
    Quant aux mineurs de seize à dix-huit ans, votre projet prévoit un alignement du régime de la détention provisoire sur celui des adultes.
    Ces mesures, qui vont à l'évidence aggraver encore la tendance actuelle à l'incarcération des mineurs, sont en contradiction avec l'article 37 de la convention internationale sur les droits de l'enfant selon lequel l'emprisonnement d'un mineur ne doit être qu'une mesure de dernier ressort et d'une durée aussi brève que possible.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce sera exactement le cas.
    M. André Vallini. Votre texte est donc là aussi irrecevable, et il est surtout à l'opposé de ce que vous recommandent tous les spécialistes et tous les professionnels de la délinquance juvénile, à savoir éviter à tout prix l'incarcération des mineurs.
    M. René Dosière. Très bien.
    M. André Vallini. Cela m'amène à vos fameux centres éducatifs fermés, où les mineurs de treize à dix-huit ans pourront être placés dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve, avec l'obligation d'en respecter les conditions et le règlement sous peine d'être eux aussi placés en détention provisoire avant le jugement ou emprisonnés après jugement.
    Votre projet est à vrai dire assez flou. Il ne permet pas de savoir ce que seront vraiment ces centres fermés, entre les prisons pour mineurs que vous voulez créer et construire et les centres éducatifs renforcés que le gouvernement Jospin avait fortement développés.
    M. Claude Goasguen. Avec deux ans de suspension !
    M. André Vallini. Ils avaient été créés par M. Toubon. Lorsque nous sommes arrivés en 1997, il y en avait neuf, il y en a aujourd'hui cinquante-quatre, dont le succès est reconnu puisque le taux de récidive qu'on observe à leur sortie est deux fois moins élevé qu'à la sortie de prison. Et c'est cela le plus important.
    M. René Dosière. Très bien.
    M. Gérard Léonard. Quel hommage à Jacques Toubon !
    M. André Vallini. La clef de ce succès est simple. Elle réside dans le pari éducatif et dans le suivi personnalisé de chaque mineur au sein de groupes de travail restreints.
    Ignorant ce début de solution, vous préférez fonder votre démarche sur une logique d'enfermement. Or, le sens commun nous le dit, l'histoire nous le prouve, l'actualité nous le montre, l'illusion carcérale est une illusion dangereuse, qui laisse intactes les causes profondes de la violence des jeunes et qui les renvoie dans la société, à l'issue de leur peine d'emprisonnement, totalement déstructurés et n'ayant d'autre choix que la récidive.
    Songez à la situation de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, où l'emprisonnement des mineurs n'a en rien permis de juguler la délinquance, mais a plutôt conduit à son aggravation.
    M. Patrick Labaune. Il faut aller le dire à Tony Blair !
    M. André Vallini. A contrario, voyez les pays qui évitent le plus possible la prison pour mineurs comme le Canada, la Hollande ou l'Espagne de M. Aznar qui, depuis janvier 2001 a totalement interdit l'incarcération des mineurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Concernant les mineurs, votre projet est donc condamnable quant à son esprit. Il est aussi irrecevable au regard des engagements internationaux de la France que j'ai cités.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Peu convaincant !
    M. André Vallini. Bien loin de votre réponse qui consiste à substituer à la démarche éducative la menace d'un enfermement, puis l'enfermement lui-même, c'est sur des mécanismes conduisant des mineurs de plus en plus jeunes à basculer dans la délinquance qu'il faut agir avec force : renforcer l'autorité parentale, développer les dispositifs d'aide aux parents, clarifier le rôle de l'aide sociale à l'enfance des conseils généraux et renforcer les services de la protection maternelle et infantile, mettre en place une politique d'éducation aux médias,...
    M. Michel Terrot. Voilà tout ce que vous n'avez pas fait !
    M. André Vallini. ... repérer dès l'école les enfants violents ou en souffrance, renforcer les personnels médico-sociaux dans les écoles,...
    M. Michel Terrot. Tout ce que vous n'avez pas fait !
    M. André Vallini. ... - psychologues, infirmières, assistantes sociales -, développer aussi les internats pédagogiques renforcés et les classes relais, ce que nous avons fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Estrosi. Quel aveu d'échec !
    M. Gérard Léonard. Et quel réquisitoire contre le gouvernement précédent !
    M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Vallini continuer.
    M. André Vallini. Bref, autant de pistes, monsieur le ministre, que vous auriez pu privilégier dans une politique gouvernementale associant vos collègues des affaires sociales, de l'éducation nationale, de la famille, mais aussi de la jeunesse et des sports, pourquoi pas de la culture ou de la ville.
    Sans penser que, lorsqu'on cherche à expliquer la délinquance, on ne cherche pas forcément à l'excuser.
    Expliquer, c'est vouloir comprendre. Et vouloir comprendre, c'est pouvoir mieux agir. Mieux agir sur les causes autant que sur les conséquences, sur les racines du mal autant que sur ses sympômes. Tout en sachant, bien sûr, que dans un contexte équivalent certains basculent dans la délinquance et d'autres non, et qu'il faut punir les premiers aussi sévèrement que nécessaire - ne serait-ce que pour ne pas décourager les seconds -, mais en faisant aussi en sorte qu'ils ne recommencent pas aussitôt après.
    M. Patrick Labaune. Que ne l'avez-vous fait ?
    M. André Vallini. Vous préférez des mesures rapides, spectaculaires sans doute,...
    M. Richard Mallié. Mais il y a urgence !
    M. André Vallini. ... électoralement payantes, sans aucun doute, mais qui pourraient bien se révéler inefficaces et même dangereuses. L'expérience de la violence des jeunes nous a en effet appris une chose, et depuis longtemps : face à des politiques qui ont pour seul objet la répression, les jeunes vont toujours jusqu'au bout de leur révolte. Et plus notre message - je veux dire le message des adultes - est stigmatisant, plus leur révolte se croit légitime. Et lorsque vous arrêterez un délinquant ou une bande de délinquants et que vous les enfermerez mais que dès le lendemain, le surlendemain ou la semaine suivante, une autre bande de délinquants aura pris le relais dans le même quartier pour recommencer la même chose, à quoi auront pu servir ces textes que vous-même, et M. Sarkozy il y a quinze jours, vous nous présentiez en urgence ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Donc il ne faut rien faire !
    M. Claude Goasguen. Que proposez-vous, monsieur Vallini ?
    M. le président. Chers collègues, laissez M. Vallini s'exprimer !
    M. André Vallini. Rien n'est plus légitime que de vouloir combattre la violence et la délinquance, et nous le voulons autant que vous. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Richard Mallié. La preuve ? Cinq années de laxisme !
    M. André Vallini. Encore faut-il apporter des réponses qui ne soient pas uniquement judiciaires,...
    M. Gérard Léonard. Oui, la bonne méthode, c'est d'employer des sucres d'orge.
    M. André Vallini. ... mais qui soient aussi politiques. Et prenez garde, monsieur le ministre, de ne pas générer une surviolence par une surpénalisation.
    J'ajoute enfin, mesdames, messieurs de la majorité présidentielle - présidentielle -, que lorsque l'Etat tient un discours très fort sur le respect de la loi, l'exemple, plus que jamais, doit venir de l'Etat lui-même et de ceux qui le représentent jusqu'au plus haut niveau.
    M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !
    M. André Vallini. A cet égard, on ne dira jamais assez combien les affaires politico-financières (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    M. Jean Marsaudon. Ces propos sont scandaleux !
    M. Richard Mallié. Non, M. Vallini pense à Mitterrand !
    M. le président. Mes chers collègues !
    M. André Vallini. ... sans parler de l'irresponsabilité pénale de certains, ont fait de mal à l'esprit civique dans notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Et pas seulement chez les adultes : chez les jeunes aussi, et dans les cités comme ailleurs, où l'on sait aussi bien qu'ailleurs décoder l'actualité.
    M. Jean-Louis Idiart. Très bien !
    M. Christian Vanneste. Vous légitimez la délinquance !
    M. André Vallini. J'en viens maintenant, et c'est mon deuxième point, à la réforme de la procédure pénale. La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes a permis à la France de se mettre enfin en harmonie avec ses engagements européens, au regard notamment des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous nous souvenons tous en effet que, jusque-là, notre pays était régulièrement condamné par les juges de Strasbourg, de la Cour européenne des droits de l'homme, surtout - mais pas seulement - à cause des abus de la détention provisoire. Et je me permets de rappeler à mes collègues de la majorité d'aujourd'hui, que lorsqu'ils siégeaient dans l'opposition, ils considéraient que ce texte n'allait pas assez loin dans le sens de la présomption d'innocence, justement.
    M. Jean-Louis Idiart. Eh oui !
    M. Claude Goasguen. Vous voyez bien que nous ne sommes pas des terroristes !
    M. André Vallini. M. Houillon, par exemple, regrettait de ne pas être en présence « d'un grand texte historique, car en retrait par rapport aux dispositions du droit européen ».
    M. Claude Goasguen. Absolument, il avait raison !
    M. André Vallini. M. Blessig, quant à lui...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Quelqu'un de très bien, M. Blessig !
    M. André Vallini. ... s'estimait déçu par une loi qui « reste en deçà de ce qu'il espérait en matière de garantie des droits de la personne ». Quant à M. Devedjian, il aurait souhaité « un grand texte de liberté, moins frileux et plus audacieux ».
    M. Jérôme Rivière. Nous sommes des humanistes !
    M. André Vallini. Ces temps semblent bien révolus...
    M. Claude Goasguen. Mais non, vous n'avez rien compris !
    M. André Vallini. ... puisque vous soutenez aujourd'hui, messieurs Devedjian, Houillon, Blessig, un projet de loi qui va mettre à bas des pans entiers de la présomption d'innocence et qui risque de faire à nouveau de la détention la règle et de la liberté l'exception.
    M. Richard Mallié. La première des libertés, c'est la sécurité !
    M. André Vallini. Là où la loi sur la présomption d'innocence instaurait un référé-liberté, vous proposez un référé-détention qui va permettre au parquet, je dis bien au parquet, de faire appel d'une ordonnance de mise en liberté...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Et alors ? C'est une insulte, le parquet ?
    M. André Vallini. ... alors que seul, monsieur le rapporteur, seul un juge judiciaire saurait être compétent en matière de privation de liberté...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mais c'est bien le cas selon ce texte !
    M. André Vallini. ... comme le veut, tout simplement, l'article 66 de notre Constitution, la Constitution de 1958 que vous révérez (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), ou encore la Convention européenne des droits de l'homme, à laquelle la France est partie.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mais c'est un magistrat du siège qui décide de la mise en liberté !
    M. André Vallini. Non, c'est le procureur qui va pouvoir s'opposer à la mise en liberté, et le procureur n'est pas un magistrat du siège que je sache !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le procureur pourra faire appel. On n'a pas le droit de faire appel ?
    M. André Vallini. Là où la loi sur la présomption d'innocence supprimait la notion de trouble à l'ordre public, du fait des abus auxquels elle donnait lieu, vous vous en servez au contraire, monsieur le ministre, pour prolonger la détention provisoire, au mépris de ce même article 66 de la Constitution qui rappelle que « nul ne peut être arbitrairement détenu ».
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Où est le scandale ? C'est un juge qui décide : alors, où est l'arbitraire ? On ne peut pas mentir à ce point, il y a des limites !
    M. André Vallini. Autant de reculs graves de la présomption d'innocence. Tout comme l'est l'obligation faite au juge d'instruction de motiver son refus d'incarcération. Tout comme l'est l'abaissement à trois ans du seuil de la peine encourue pour ordonner ou prolonger la détention provisoire. Tout comme l'est l'allongement d'un an de la durée de la détention provisoire pour les délits comme pour les crimes. Tout comme l'est l'allongement des délais pour les demandes de mise en liberté « au fur et à mesure qu'évolue la situation pénale de la personne concernée du fait des condamnations successives prononcées contre elle », comme on peut le lire dans l'exposé des motifs.
    M. Michel Terrot. Eh oui, ce n'est pas de l'eau tiède !
    M. André Vallini. Je crois même savoir, monsieur le ministre, que votre avant-projet prévoyait que la présomption d'innocence puisse aller s'amenuisant au fil des condamnations successives non définitives. Mais, monsieur le ministre, la présomption d'innocence, elle est totale ou elle n'est pas. C'est une règle, plus encore, un principe. Ce n'est pas quelque chose que l'on adapte cas par cas.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Un peu de modestie, monsieur Vallini. On ne donne pas ainsi des leçons comme cela !
    M. André Vallini. Vous devriez relire les grands textes, monsieur le ministre,...
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Oui, je les connais. Un peu de modestie, monsieur Vallini !
    M. André Vallini. ... notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui, en son article 9, affirme que « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Vous devriez relire aussi...
    M. Claude Goasguen. Allons, allons ! Pas de leçons !
    M. André Vallini. ... le Pacte international sur les droits civils et politiques ou la Convention européenne des droits de l'homme qui nous disent que « toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été largement établie ».
    C'est cela, la présomption d'innocence. C'est aussi simple et limpide que ça !
    M. Michel Terrot. C'est exactement ce que dit notre texte !
    M. André Vallini. J'ajoute que vous prévoyez aussi de supprimer le droit pour le mis en examen de demander une investigation complémentaire en présence de son avocat. En fait, vous avez une culture qui vous empêche de vous défaire de l'idée selon laquelle droits de la défense et instruction sont incompatibles. Encore un peu et vous alliez nous proposer de faire disparaître l'avocat de la garde à vue, peut-être même du cabinet d'instruction.
    M. Christian Jeanjean. Allons donc !
    M. André Vallini. Enfin, concernant l'extension de la procédure de comparution immédiate à tous les faits passibles de six mois à dix ans d'emprisonnement, voire vingt ans concernant les trafics de stupéfiants, contre un à sept ans actuellement, cela revient, même pour des faits très graves, à considérer l'instruction comme inutile, superflue et à développer cette fameuse justice d'abattage tellement dénoncée, y compris d'ailleurs, du point de vue des victimes. Vous vous gargarisez de ce mot : « Défense des victimes » en insérant quelques articles dans votre projet de loi alors que le nôtre, celui sur la présomption d'innocence, comportait plus de vingt articles consacrés aux victimes. Puisque vous vous intéressez autant aux victimes, pensez à leur sort lorsqu'il y a une comparution immédiate, lorsque le jugement est trop rapide et que la victime est encore sous le choc, voire hospitalisée. Imaginez que la victime ne puisse pas se défendre dans ce cas-là ! Pensez aux victimes plus que vous ne le faites en apparence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Dosière. Très bien !
    M. Claude Goasguen. On envoie un avocat. C'est fait pour ça, un avocat !
    M. André Vallini. En conclusion, sur ce deuxième volet, je dirai que, pour la victime comme pour l'accusé, la grande loi sur la présomption d'innocence de juin 2000, cette grande loi à laquelle Mme Guigou peut être fière d'avoir donné son nom... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)
    Mme Elisabeth Guigou. Absolument !
    M. André Vallini. ... cette grande loi de liberté a fait progresser les droits fondamentaux dans notre pays...
    M. Michel Terrot. Vous ne vous arrangez pas, monsieur Vallini !
    M. André Vallini. ... conformément aux principes fondateurs de notre République, et dans le respect des engagements internationaux de la France.
    Au lieu de veiller à la bonne application de cette loi, au lieu d'accroître les moyens budgétaires déjà engagés par le gouvernement précédent pour qu'elle s'installe dans notre procédure pénale, vous proposez une réforme qui, sous couvert de simplification, n'apporte en réalité que des reculs.
    Et quelle tristesse de constater que, deux ans à peine, monsieur le ministre, mesdames et messieurs de la majorité, deux ans à peine après avoir avancé tous ensemble sur la voie de la démocratie, vous vous apprêtez aujourd'hui à régresser, mais seuls cette fois, sur la voie de la démagogie où, bien sûr, nous refusons de vous suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    J'en viens, pour terminer, au troisième volet qui concerne les juges de proximité.
    Non content de provoquer sur ce volet de votre texte, comme sur les autres d'ailleurs, la réserve unanime des professionnels, et notamment des magistrats, vous avez réussi à vous attirer les foudres du Conseil d'Etat, qui vous oblige, et heureusement, à recourir à une loi organique pour la création et le recrutement de ces nouveaux juges, conformément à l'article 64 de la Constitution que vous avez, semble-t-il, oublié de relire lui aussi et qui concerne pourtant - mais c'est peut-être accessoire à vos yeux - l'indépendance de l'autorité judiciaire. Vous êtes donc contraint de légiférer en deux temps, ce qui est une preuve supplémentaire de votre précipitation et de l'improvisation de ce texte.
    En attendant cette loi organique qui nous est promise pour l'automne, vous demandez aujourd'hui à notre assemblée de créer de nouveaux juges - ce qui n'est pas rien -, dont nous ne connaissons ni le statut, ni les garanties d'indépendance et d'impartialité mais dont nous savons seulement qu'ils seront des vacataires non professionnels, compétents aussi bien au civil qu'au pénal. Et quand je dis « compétents », c'est au sens juridique du terme, je ne parle pas du fond de leurs compétences, évidemment. Mais je vais y revenir.
    Au pénal, pour des délits tels que le vol simple, l'outrage ou la rébellion, ce fameux juge de proximité pourra infliger des sanctions portant atteinte aux libertés et qui toucheront en tout cas la vie quotidienne des justiciables et de leurs familes. Et bien que vous ayez exclu, heureusement, tout délit susceptible d'emprisonnement, il est clair, là encore, que le prononcé de sanctions pénales ne peut revenir qu'à des magistrats de l'ordre judiciaire, notamment et surtout à l'égard des mineurs, dont la délinquance, je l'ai dit tout à l'heure, exige une connaissance et une formation très spécifiques, très spécialisées qu'à l'évidence n'auront pas ces nouveaux juges.
    Au civil, je vous rappelle d'abord, monsieur le ministre, que les litiges que vous qualifiez de « petits » portent sur des montants correspondant parfois à un salaire mensuel moyen. Je veux vous rappeler, surtout, que la justice de proximité existe déjà, que nous l'avons beaucoup développée, notamment avec la conciliation,...
    M. Richard Mallié. Un conciliateur, ce n'est pas un juge ! Il n'a pas de pouvoir de contrainte.
    M. André Vallini. ... avec la médiation, avec les maisons de la justice et du droit.
    M. Michel Terrot. Bref, ne changeons rien !
    M. André Vallini. Elisabeth Guigou comme Marylise Lebranchu ont beaucoup développé cette justice de proximité qui donne de bons résultats.
    M. Claude Goasguen. Mais non, ce n'était pas une vraie justice !
    M. André Vallini. Ce qu'il faudrait, c'est bien sûr renforcer ces modes alternatifs de résolution des conflits qui sont, eux, la vraie justice de proximité.
    Vous n'inventez donc rien de nouveau. Nous aussi, nous voulons une justice plus lisible, plus rapide, plus proche des citoyens. Mais attention : justice de proximité ne veut pas forcément dire juges de proximité ! Tout le problème est là, car le rôle du juge, ce n'est ni de concilier, ni d'arbitrer, ni même de conseiller, c'est de juger en professionnel averti, expérimenté, solide, compétent,...
    M. Jean-Marc Roubaud. Syndiqué !
    M. André Vallini. ... ce que ne saurait être quelque notable choisi sur quelques vagues critères.
    Je vais revenir sur les syndicats de magistrats dans un instant, ne vous inquiétez pas. (« Ah ! » Sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Votre texte indique que lorsque, en matière civile, le juge de proximité se heurtera à une difficulté juridique sérieuse, il pourra renvoyer l'affaire au tribunal d'instance qui statuera alors en tant que juridiction de proximité. Si ça, ce n'est pas un aveu de carence anticipé, ça y ressemble beaucoup. Et quelle meilleure façon, finalement, de reconnaître que seul le juge professionnel peut apporter des garanties, y compris sur les litiges modestes ? Or cette mission, les juges d'instance s'en acquittent déjà très bien et c'est vers eux qu'il fallait vous tourner, monsieur le ministre, pour une vraie justice de proximité, en donnant des moyens supplémentaires pour renforcer les tribunaux d'instance qui sont présents sur tout le territoire.
    Une question pour terminer sur ce volet : comment expliquer aux justiciables que le recours contre une décision rendue par un juge de proximité, statuant à juge unique de surcroît, ne pourra se faire que devant la Cour de cassation où, comme vous le savez, beaucoup de temps, beaucoup de patience, beaucoup d'argent sont nécessaires ? On sera alors très loin de la justice de proximité...
    En conclusion sur ce point, monsieur le ministre, la création de ce cinquième ordre de juridiction, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit, va venir s'ajouter à la mosaïque déjà difficilement lisible par nos concitoyens, cette mosaïque de la justice française qui ne va être que plus compliquée encore à cause de cette création. En réalité, ce que vous souhaitez, c'est augmenter à moindre frais la capacité de la machine judiciaire qui, c'est vrai, est encore trop engorgée aujourd'hui...
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Ah, quand même !
    M. André Vallini. Oui, trop engorgée. Mais elle l'est moins qu'il y a cinq ans, car nous avons consacré beaucoup de moyens à la justice.
    M. Lucien Degauchy. Vous ne manquez pas d'air !
    M. André Vallini. Ecoutez, je voulais éviter les chiffres, mais je vois que vous êtes impatients de les connaître : 30 % d'augmentation en cinq ans avec Mme Guigou et Mme Lebranchu (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), soit plus que dans les trente dernières années.
    M. Jean Marsaudon. Finalement, vous avez tout fait. Et dire qu'on ne l'avait pas vu !
    M. André Vallini. Pendant cinq ans, plus 30 % d'augmentation de la justice, 1 310 postes de magistrats créés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Sous la Ve République, on n'avait pas fait autant.
    M. Jean Marsaudon. C'est de cela que les Français vous ont remercié !
    M. Lucien Degauchy. Les Français, eux, savent compter, monsieur Vallini !
    M. le président. Chers collègues, seul M. Vallini a la parole. Poursuivez, monsieur Vallini.
    M. André Vallini. En réalité, ce que vous souhaitez, c'est augmenter à moindres frais la capacité de la machine judiciaire et, pour cela, vous allez mettre en oeuvre une justice au rabais, une sorte de justice à deux vitesses qui va bien évidemment, sans doute au profit des Français d'en bas, à l'encontre du principe d'égalité énoncé par l'article 4 de la Déclaration de droits de l'homme et du citoyen.
    M. Claude Goasguen. Faites un recours !
    M. André Vallini. En conclusion, monsieur le ministre, je souhaite évoquer d'un mot la situation déplorable, honteuse pour la République, des prisons françaises. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Richard Mallié. La faute à qui ?
    M. Jean-Marc Nudant. Et quel aveu !
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Vous ne manquez pas d'air !
    M. Christian Estrosi. Voilà le bilan Guigou - Lebranchu !
    M. le président. Chers collègues, laissez M. Vallini continuer son intervention sur les prisons.
    M. André Vallini. Je souhaite évoquer, disais-je, la situation déplorable et honteuse pour la République des prisons françaises, dont le taux d'occupation dépasse aujourd'hui, ce soir, à l'heure où je parle, 120 %, avec 55 000 détenus pour 47 000 places.
    M. Claude Goasguen. A qui la faute ?
    M. André Vallini. A nous tous. Sur ce point, à nous tous. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Yves Bur. C'est un peu facile !
    M. André Vallini. Une grande loi pénitentiaire était prête.
    M. Claude Goasguen. Et les moyens ? Vous avez été cinq ans au gouvernement.
    M. André Vallini. Le sort des urnes ne nous a pas été favorable, mais une grande loi pénitentiaire était prête, une loi qui donnait du sens à la peine, une loi qui traitait de la récidive. Mme Lebranchu avait préparé cette loi après plus d'un an de concertation. Nous attendons la loi pénitentiaire de M. Perben.
    En tout cas, cette situation n'aura pas changé d'ici un mois, quand votre loi deviendra applicable et qu'elle enverra donc encore plus de gens dans les prisons. Je voulais vous le dire pour prendre date.
    Je voulais vous dire aussi, monsieur le ministre, que vous n'avez pas pu ne pas remarquer que votre projet fait quasiment l'unanimité contre lui dans les milieux judiciaires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux !
    M. Jean Marsaudon. C'est vrai : en un sens, M. Vallini veut parler des milieux judiciaires de gauche !
    M. Christian Estrosi. Seul le peuple compte !
    M. André Vallini. Les magistrats, d'abord, et notamment leurs organisations syndicales,...
    M. Jean Marsaudon. Le Syndicat de la magistrature !
    M. Claude Goasguen. Les Français sont avec nous !
    M. Christian Estrosi. C'est le peuple qui compte, et non pas les magistrats !
    M. André Vallini. ... le Syndicat de la magistrature, qui vous est si cher, mais aussi l'Union syndicale des magistrats, l'Union syndicale des magistrats administratifs, le Syndicat de la juridiction administrative, ou encore des organisations représentatives comme l'Association des magistrats de la jeunesse et de la famille qui se sent évidemment très concernée par ce projet.
    Les avocats ensuite.
    M. Christian Estrosi. Le lobby des avocats !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ah ? Intéressant !
    M. André Vallini. ... le Syndicat des avocats de France, l'Union des jeunes avocats, la Confédération nationale des avocats...
    M. Jean Marsaudon. Les avocats de gauche, quoi !
    M. André Vallini. ... la conférence des bâtonniers, le Conseil de l'ordre de Paris et son bâtonnier, le Conseil national des barreaux,...
    M. Lucien Degauchy. Vous oubliez Mgr Gaillot !
    M. André Vallini. ... ainsi que des barreaux de province, comme celui de Grenoble, qui m'est cher. Il faut y ajouter les personnels pénitentiaires - l'Union fédérale autonome pénitentiaire, la CGT pénitentiaire,...
    M. Lucien Degauchy. Et Marina Vlady, elle est pour ou contre ?
    M. André Vallini. ... et les professionnels de l'éducation spécialisée - le Syndicat national des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. Et puis, il y a les défenseurs des droits de l'homme,...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. José Bové !
    M. André Vallini. ... à commencer par la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui fait sourire M. Estrosi,...
    M. Christian Estrosi. Oui, énormément !
    M. André Vallini. ... l'Observatoire international des prisons,...
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. A gauche !
    M. André Vallini. ... la Ligue des droits de l'homme, Amnesty International,...
    M. Jean Marsaudon. Les défenseurs des droits de l'homme de gauche, en somme !
    M. André Vallini. ... sans oublier les défenseurs des droits des enfants. Je pense, notamment, que vous avez tous reçu le courrier du Conseil français des associations pour les droits de l'enfant, le COFRADE, qui regroupe plus de 130 associations de défense des droits de l'enfant. Vous souriez moins, là ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Tous sont opposés à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Bref, monsieur le ministre, vous êtes nommé depuis moins de trois mois et vous avez déjà réussi l'exploit de vous mettre à dos, de vous aliéner quasiment tous les partenaires de la place Vendôme. (Exclamations sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean Marsaudon. Enfin, ça bouge !
    M. André Vallini. Vous allez me répondre, certains l'ont déjà fait, que le Gouvernement, soutenu par une majorité de la représentation nationale,...
    M. Christian Estrosi. Par la majorité des Français !
    M. André Vallini. ... et sur ce texte il le sera, à n'en pas douter - il sera peut-être même débordé -, que le Gouvernement, donc, soutenu par la représentation nationale, détient seul la légitimité politique et qu'il peut, à ce titre, gouverner comme il l'entend. Certes, mais pensez-vous, monsieur le ministre, qu'on peut avoir raison contre tout le monde ? Et comment expliquer alors votre attitude sinon par le souci majeur, le souci premier, le souci prégnant qui est le vôtre, de donner avant tout un signal à l'opinion publique ? C'est ce même souci d'affichage qui a inspiré le texte de M. Sarkozy il y a quinze jours, à une différence près et elle est de taille : votre texte, monsieur le ministre, remet en cause, lui, des principes fondamentaux de la République.
    M. Patrick Labaune. Qui la défend la République ? C'est Chirac, pas Jospin !
    M. André Vallini. Et au fond de vous-mêmes, mesdames et messieurs de la majorité, êtes-vous absolument certains que c'est là une façon sérieuse de traiter le problème que nous connaissons tous ?
    M. Jean Marsaudon. Il est grand temps d'agir !
    M. André Vallini. Et je dis bien : que nous connaissons tous. Car cessez de penser que vous seuls seriez porteurs du message entendu sur le sacro-saint « terrain ». Ce terrain, nous le connaissons comme vous. Nous l'arpentons autant que vous. Nous l'entendons aussi bien que vous.
    M. Lucien Degauchy. Vous entendez ce que vous voulez entendre !
    M. André Vallini. Et nous avons été élus comme vous. Mais nous savons, nous, que, sur ces questions, il faut se garder de tomber dans la facilité du populisme. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Car, au fond, quelle est la vocation du Parlement ? Quel est le rôle des députés que nous sommes ? Est-ce de faire la loi qu'attend le plus grand nombre ou de faire la loi qui sera utile au plus grand nombre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Arnaud Montebourg. Petite leçon à méditer !
    M. André Vallini. Et la question n'est pas nouvelle de savoir où est la grandeur de la politique. Est-ce de suivre une opinion parfois abusée par le simplisme des discours démagogiques...
    M. Lucien Degauchy. Ce mot vous va si bien : simplisme !
    M. André Vallini. ... ou est-ce de lui proposer des solutions courageuses à des problèmes complexes ?
    M. Jean Marsaudon. Vous avez manqué de courage !
    M. André Vallini. Vous avez choisi la première voie, nous préférons la seconde,...
    M. Claude Goasguen. Laquelle, précisément ?
    M. André Vallini. ... mais je suis certain que l'avenir nous donnera raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de notre collègue André Vallini et je voudrais réagir sur plusieurs points qu'il a évoqués.
    Monsieur Vallini, vous êtes hostile aux sanctions éducatives pour les jeunes de dix à treize ans. Visiblement, nous avons une conception différente des choses.
    Nous pensons quant à nous que la sanction fait partie de l'éducation.
    M. Lucien Degauchy. Exactement !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous pensons que, lorsqu'un mineur de douze ans commence à déraper, il est normal qu'un juge puisse prendre une décision pour l'arrêter sur le chemin de la délinquance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jacques Myard. C'est impératif !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Votre appréciation est différente, et je vous en donne acte. Mais vos arguments ne m'ont pas convaincu.
    Vous avez critiqué la comparution à délai rapproché. Pour notre part, nous considérons que, pour qu'une sanction soit efficace, elle doit être prononcée à une date assez proche de celle à laquelle l'infraction a été commise.
    Monsieur Vallini, je ne sais si vous avez des enfants mais, si tel est le cas, j'espère que vous n'attendez pas une semaine pour rappeler à l'un d'eux qu'il n'est pas bien de dire de gros mots, par exemple...
    M. Jean-Marie Le Guen. Combien de temps durera la comparution immédiate ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Quand on veut qu'une remarque porte, il faut la faire rapidement (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française),...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Cela n'a rien à voir !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. ...sinon, l'enfant n'établit plus le lien entre la remarque et ce qu'il a fait.
    La comparution à délai rapproché s'adressera à des mineurs qui, moins de douze mois auparavant, auront eu affaire à la justice et pour lesquels des enquêtes de personnalité auront été diligentées.
    Prenons le cas d'un mineur qui a déjà commis une infraction et qui recommence moins de douze mois plus tard. Jugez-vous scandaleux que la justice « marque le coup » en prononçant une sanction dans un délai de dix jours à un mois ? Nous, non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous considérons que, si l'on veut qu'elle soit éducative, si l'on veut qu'elle rappelle au mineur où est la ligne blanche, il faut que la sanction soit prononcée dans des délais suffisamment brefs.
    M. Lulien Degauchy et M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous vous satisfaites de la situation actuelle dans un grand nombre de départements où l'on attend un an, voire plus, pour prononcer les sanctions. Nous, non !
    M. Jean-Louis Idiart. Caricature !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur Vallini, vous vous êtes opposé aux centres éducatifs fermés.
    Aujourd'hui, nous avons des centres éducatifs. Lorsque des jeunes sont placés dans ces centres et lorsqu'ils ne jouent pas le jeu, c'est-à-dire, par exemple, qu'ils fuguent, qu'ils retournent chez eux, que se passe-t-il ? Nous ne disposons alors plus d'aucun moyen pour agir et nous laissons ces jeunes continuer de récidiver. Trois ou quatre ans plus tard, lorsqu'il ont dix-sept ans, ils sont à nouveau présentés devant le juge avec à leur actif vingt, trente ou quarante délits. Que fait alors le juge ? Estimant que la situation est inacceptable pour la société, il condamne ces jeunes à deux, trois ou quatre années de prison.
    Au mois de septembre dernier, il y avait 597 mineurs dans les prisons. Au mois de juillet, ils étaient 901. Et ce n'est la faute ni de la loi Perben ni du gouvernement Raffarin ! Quelle est la cause de cette augmentation ? Elle est simple : nous ne pouvons pas actuellement apporter suffisamment de réponses éducatives. Nous laissons ainsi ces jeunes à la dérive accumuler les délits et nous n'avons plus d'autre solution, trois ou quatre ans plus tard, que de les condamner à un emprisonnement.
    Pourquoi souhaitons-nous des centres éducatifs fermés ? Pour offrir une deuxième chance à ces jeunes afin qu'ils ne puissent être condamnés à la prison ferme trois ou quatre années plus tard. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Oui, les centres éducatifs fermés sont un moyen de lutter contre la prison pour les mineurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Vous avez ensuite expliqué que vous n'approuviez pas les dispositions relatives à la détention provisoire.
    La loi du 15 juin 2000 a établi deux seuils : une personne ne peut risquer la détention provisoire que si elle encourt une sanction d'au moins trois années de prison ferme pour une atteinte aux personnes ou une sanction d'au moins cinq années de prison ferme pour une atteinte aux biens. Quelques mois après le vote de la loi sont apparues dans tous les départements des situations qui n'étaient plus tenables. Alors, vous avez essayé de rattraper les choses avec une proposition de loi qui, pour les atteintes aux biens, a fait appel à la notion de « réitération », notion tellement complexe qu'elle n'a pu être appliquée.
    En ce qui nous concerne, nous nous faisons le choix de la simplification et de la clarté, en introduisant notamment un seuil de trois ans, qui sera, lui, applicable.
    Lors de la discussion de la loi du 15 juin 2000, ne vous avais-je pas averti, mes chers collègues ? Vous prétendiez interdire par la loi, pour un certain nombre d'actes graves, le recours à la détention provisoire, mais je vous prédisais qu'une fois rentrés dans vos circonscriptions vous défileriez, votre écharpe bleu, blanc, rouge en bandoulière, à la tête de manifestants qui trouveraient scandaleux que la justice ait laissé rentrer chez eux sans les sanctionner des délinquants le soir même de leurs méfaits.
    M. Lucien Degauchy. Vous auriez l'air malin !
    M. Jacques Myard. Quelles hypocrisie !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous critiquez d'autre part le référé-détention.
    De quoi s'agit-il ? Lorsqu'un juge du siège décidera une mise en liberté, le procureur de la République, c'est-à-dire le parquet - et il n'est pas insultant d'être membre du parquet, monsieur Vallini...
    M. Arnaud Montebourg. Cela dépend : si l'on protège Tiberi, c'est une insulte !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Les magistrats du parquet seront ravis d'apprendre que, pour certains députés de l'opposition, il peut être insultant de faire partie du parquet.
    Mais revenons au sujet : nous voulons que, lorsqu'un magistrat décide une mise en liberté, le magistrat parquetier, qui représente la société, puisse faire appel sans que cet appel soit suspensif. Pourquoi ? Parce qu'autrement on risque tout simplement de ne pas retrouver la personne trois ou quatre jours plus tard, quand le juge du fond aura tranché. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lucien Degauchy. M. le rapporteur a raison !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il ne sert à rien de renouveler l'incarcération d'un récidiviste si celui-ci a fui à l'étranger. Pour être utile, le référé-détention doit donc être suspensif. C'est une simple question de bon sens.
    M. Bernard Schreiner et M. Jacques Myard. C'est évident !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous avez aussi critiqué vivement la justice de proximité, affirmant qu'aucun de nos concitoyens, à l'exception des magistrats professionnels, n'a les compétences nécessaires pour participer au rendu de la justice en France. C'est votre avis, mais ce n'est pas le mien. En France, un certain nombre de juridictions, auxquelles participent nos concitoyens, fonctionnent très bien : je pense notamment aux assesseurs des tribunaux pour enfants, qui jugent des mineurs, et aux conseils de prud'hommes, formés de juges élus représentant les salariés et les employeurs. Ce n'est donc pas la première fois que nous associons tout en prenant un certain nombre de garanties, certains de nos concitoyens au rendu de la justice.
    M. Jacques Myard. Bravo !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous avez tout autant critiqué les dispositions prévues en matière d'appel des décisions du juge de proximité. Mais ce sont exactement les mêmes que celles qui régissent l'appel de décisions de juges qui connaissent aujourd'hui des mêmes affaires : quand il s'agit d'une affaire évoquée devant le tribunal d'instance civil, c'est la Cour de cassation qui est concernée et, dans le cas d'une petite affaire pénale évoquée devant le tribunal de police, on peut faire appel en saisissant la cour d'appel. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Vous avez reconnu que l'ancienne majorité avait fait des choses, et qu'elle avait, entre autres, augmenté les budgets. Je ne le nie absolument pas : l'ancienne majorité a effectivement augmenté les budgets de la justice.
    M. Christian Paul. Enfin !
    M. Lucien Degauchy. Le problème est qu'elle n'avait par l'argent nécessaire !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En déduisez-vous que la situation s'est améliorée ? Permettez-moi de vous citer quelques chiffres.
    Si le budget de la justice et le nombre de magistrats ont augmenté, qu'en est-il des délais de jugement des tribunaux d'instance ?
    Pour l'année 2000, on en était à 5,1 mois, alors qu'en 1997 la moyenne s'établissait à 5 mois. Concernant les tribunaux de grande instance, le délai pour 2001 était de 9,3 mois alors qu'il était en 1997 de 9,1 mois. La situation s'est donc dégradée.
    S'agissant des cours d'appel, le délai moyen de jugement était en 2001 de 17,8 mois, contre 16,6 mois en 1997.
    Il s'est donc passé quelque chose, monsieur Vallini : ce qui a été fait n'a pas vraiment fonctionné.
    M. Lucien Degauchy. On a décidé de moyens sans moyens !
    M. Jean-Marie Le Guen. Et maintenant ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Sans engager de polémique, je reconnais que vous avez, certes, apporté des moyens supplémentaires à la justice, mais vous avez fait voter des lois qui ont consommé des crédits et entraîné une charge de travail supérieure aux moyens que vous aviez prévus.
    M. Lucien Degauchy. Des moyens sans moyens !
    M. Jean-Marie Le Guen. Et vous, qu'allez-vous faire ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Résultat : vous avez consacré de l'argent à la police mais la qualité du service public de la justice s'est dégradée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Marie Le Guen. Qu'allez-vous faire ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La situation s'est également dégradée pour ce qui concerne la durée moyenne des procédures pénales, puisque, de 10,3 mois en 1997, elle est passée en 2000 à 10,8 mois.
    Monsieur Vallini, je vous ai précédé à la tribune et j'ai dû parler un peu moins longtemps que vous, une demi-heure environ. Pendant mon intervention, je n'ai pas passé mon temps à critiquer l'action du gouvernement précédent. Je vous ai même donné acte que des choses avaient été faites car je suis convaincu que, si l'on veut aujourd'hui faire de la politique raisonnablement, rien ne sert de caricaturer les adversaires ni de polémiquer : ce que nos concitoyens attendent, c'est une attitude beaucoup plus constructive. Ce qu'ils attendent, c'est que l'on essaie d'apporter des réponses aux questions qu'ils se posent.
    M. Lucien Degauchy. Bravo !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Tout à l'heure, monsieur Vallini, j'ai dit que nous étions très humbles, que nous ne prétendions pas détenir la solution absolue, mais que nous essayions simplement d'améliorer les choses.
    M. Arnaud Montebourg. Il est immodeste et prétentieux que de se prétendre humble !
    M. Jean-Luc Warsmann, rappporteur. Aussi, je vous demande de faire preuve d'un peu plus de respect et de sens de l'écoute.
    Enfin, et je conclurai par là, vous nous avez reproché de travailler d'une manière précipitée. La semaine dernière, la commission des lois a procédé à plus de quarante auditions, mais j'ai le regret de dire, monsieur Vallini, que l'on ne vous a vu à aucune d'entre elles. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe UDF.
    M. Rudy Salles. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en soutenant une exception d'irrecevabilité, on veut démontrer que le projet de loi en discussion n'est pas conforme à la Constitution. Moi, je crois que ce qui n'est pas conforme à la Constitution, ce n'est pas le texte qui nous est proposé par le garde des sceaux, mais la situation telle qu'elle existe sur le terrain.
    M. Vallini s'est d'abord référé à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui fait partie de notre « bloc constitutionnel ». Je citerai pour ma part l'article 34 de la Constitution. Celui-ci dispose que « la loi est votée par le Parlement » et qu'elle « fixe les règles concernant [...] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ». Nous sommes en l'occurrence dans le cadre de l'article 34 et nous nous conformons à ce que prévoit la Constitution.
    J'ajoute qu'en son article IV la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
    Je précise que la philosophie de ce texte se trouve confirmée dans les articles V, VI, VII et VIII de la même Déclaration.
    Monsieur Vallini, à chaque fois que je réponds à une motion de procédure défendue par la gauche, j'ai toujours envie de vous renvoyer un peu les compliments. En effet, vous nous avez affirmé que la situation n'était pas bonne. Mais oserai-je vous rappeler que vous avez été au pouvoir pendant cinq ans et que, par conséquent, nous sommes obligés de gérer votre héritage que nous avons reçu il y a peu de temps. Vous ne pouvez donc pas faire grief à la nouvelle équipe gouvernementale de ce que vous lui avez laissé en héritage.
    En vous écoutant, j'ai eu l'impression que vous nous parliez d'un monde virtuel, qu'il s'agisse de la justice ou de la sécurité des Français.
    M. Christian Paul. Et nous sommes des élus virtuels, peut-être !
    M. Rudy Salles. Je me revois sur le terrain, face à des électrices et des électeurs désespérés, qui viennent s'adresser à leur député en dernier recours et qui déplorent que ni la police ni la justice ne puissent rien faire. Mais qui dont peut faire quelque chose ?
    M. Jacques Myard. Les socialistes sans doute !
    M. Rudy Salles. C'est en partant de ce constat que nous devons aujourd'hui agir là où vous n'avez pas agi.
    Le moment n'est pas à la polémique : il importe de constater que vous n'avez pas agi en conséquence.
    Bien sûr, tout cela est aussi une question de budget, mais ce n'est pas que cela. Le projet de loi prévoit 3,55 milliards d'euros sur cinq ans et plus de 10 000 emplois permanents, soit une augmentation de 15 %. C'est très important, mais cela ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est aussi une volonté politique et une nouvelle orientation politique, que vous contestez.
    Mais il importe également, monsieur Vallini, que les Français soient d'accord. Or il y a quelques semaines, ils vous ont dit qu'ils n'étaient pas d'accord avec votre politique, pas plus avec celle que vous avez énoncée à la tribune qu'avec le bilan de Mme Lebranchu ou avec celui de Mme Guigou. (Encore moins ! sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Mieux vaudrait parler d'un dépôt de bilan !
    M. Rudy Salles. Il faut savoir en tirer les conséquences. Il y a aujourd'hui un nouveau gouvernement et une nouvelle majorité, qui sont là pour faire une nouvelle politique.
    Nous sommes tous sur le terrain. Nous rencontrons, nous écoutons et nous sommes parfois victimes. Il y a quatre mois, j'ai moi-même été agressé dans ma voiture en plein jour dans ma circonscription. (« Chouchou » ! sur les bancs du groupe socialiste.)
    Voilà qui n'arrive peut-être pas à Mme Guigou, mais cela arrive à un député de base ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Patrick Braouezec. Mme Guigou n'est pas un député de base, peut-être ?
    M. Jean-Louis Idiart. C'est un délit de sale gueule !
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président...
    M. Rudy Salles. Je vois que Mme Guigou est outrée, elle ne le savait pas ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Scandaleux ! Odieux !
    M. Rudy Salles. Lorsque j'ai été agressé...
    M. Jean-Louis Idiart. Les propos de M. Salles sont honteux !
    M. le président. Chers collègues, laissez terminer M. Salles !
    M. Patrick Braouezec. Qu'il arrête de dire des bêtises !
    M. le président. Monsieur Salles, revenez à votre explication de vote, je vous prie.
    M. Rudy Salles. Mme Guigou aurait d'ailleurs dû être informée de ce qui se passait à Nice à l'époque...
    M. Jean-Pierre Kucheida. Scandaleux !
    M. le président. Laissez parler M. Rudy Salles !
    M. Rudy Salles. ... non par rapport à moi car le fait qu'un député soit agressé dans sa voiture à quinze heures...
    M. Jean-Pierre Kucheida. Fais ton boulout Raoult !
    M. le président. Monsieur Kucheida, c'est moi qui préside et je vous demande un peu de respect !
    M. Rudy Salles. ... n'a aucune importance.
    M. Patrick Braouezec. Et lorsqu'une députée est agressée au Parlement ?
    M. Jean-Pierre Kucheida. Nous ne sommes pas à Nice, ici !
    M. Rudy Salles. Mais lorsque j'ai été agressé, je me suis mis à la place de ceux qui le sont réellement tous les jours, à la place de ces femmes et de ces enfants qui, eux, ne bénéficient pas de la protection que nous avons. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle - « Honteux ! honteux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président... (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Louis Idiart. La mise en cause de Mme Guigou est honteuse !
    M. Rudy Salles. Dans sa voiture de fonction ministérielle, Mme Guigou ne risquait absolument rien.
    M. le président. Mes chers collègues, si Mme Guigou veut faire un rappel au règlement, je lui donnerai la parole après les explications de vote.
    Mme Elisabeth Guigou. C'est entendu.
    M. le président. Rasseyez-vous, madame Guigou ! (« Assise ! assise » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Monsieur Salles, continuez votre propos !
    M. Rudy Salles. Nous avons suffisamment subi le mépris de cette opposition qui était à l'époque la majorité pour que nous puissions nous exprimer dans le calme et que celle-ci accepte d'écouter nos arguments.
    Je sais bien, mesdames, messieurs, que le sujet vous dérange parce que vous avez échoué et que les Français vous ont sanctionnés. Mais de grâce...
    M. Jean-Pierre Dufau. Un peu de politesse ! Cela vous changera.
    M. Rudy Salles. Je vous en prie, mon cher collègue. Veuillez vous exprimer dans cet hémicycle en d'autres termes.
    M. Jean-Pierre Dufau. Je m'exprime en des termes adaptés !
    M. Rudy Salles. M. Vallini a dit que M. le garde des sceaux « se coupait » des partenaires de la place Vendôme. J'ignore si c'est le cas, mais je souhaiterais que nous ne nous coupions pas des Français car c'est aujourd'hui cela le problème. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes aujourd'hui réunis en session extraordinaire et que nous sommes obligés de travailler rapidement sur ce texte, eu égard au retard. Vous n'avez pas fait ce qu'il était nécessaire de faire et nous sommes obligés de prendre des mesures.
    C'est pourquoi le groupe UDF votera contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, M. Vallini a été mis en cause par M. Warsmann...
    M. Patrick Labaune et M. Jacques Myard. C'est le contraire !
    M. Jean-Marc Ayrault. Le rapporteur a reproché à M. Vallini de ne pas avoir assisté aux auditions qu'il avait organisées. Or la décision de ne pas assister à ces auditions était collective. Le groupe socialiste avait décidé de ne pas se prêter à une mascarade d'auditions (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Jacques Myard. Démago !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... car, face à l'émotion suscitée par le projet du Gouvernement, la commission et le rapporteur ont pris conscience qu'il fallait faire quelque chose. Ils ont donc décidé d'organiser des auditions.
    M. Christian Paul. A l'abattage !
    M. Jean-Marc Ayrault. Mais ces auditions ont eu lieu, de vingt minutes en vingt minutes, dans ces conditions très peu propices à un véritable dialogue.
    Nous-mêmes avons organisé nos propres auditions et pris le temps d'écouter longuement les groupes et les personnes que nous voulions rencontrer et qui souhaitaient nous renconter pour évoquer cette question difficile et grave.
    M. Jean-Luc Warsmannn, rapporteur. Parfait, vous avez donc eu le temps de travailler sur le projet de loi !
    M. Jean-Marc Ayrault. Nous avons pu constater, monsieur le rapporteur, que l'impression que vous aviez laissée par votre organisation des auditions ne convainquait pas. Elle a eu au contraire un effet tout à fait déplorable.
    La démonstration de notre collègue Vallini est implacable. (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lucien Degauchy. Incapable plutôt !
    M. Jean-Marc Ayrault. Elle démontre de façon brillante la gravité des décisions que vous vous apprêtez à prendre, vous la majorité présidentielle, vous la majorité parlementaire.
    Il y a quelques jours, monsieur le président, j'ai déjà eu l'occasion de dire, dans un rappel au règlement, que la majorité aurait été bien inspirée de reporter de quelques mois sa réforme de la justice.
    M. Robert Lamy. Cinq ans ont déjà été perdus !
    M. Jean-Marc Ayrault. J'ai fait une proposition parfaitement respectueuse de la volonté d'engager des réformes qui anime la majorité. C'est son droit,...
    M. Richard Mallié. C'est son devoir !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... mais elle ne doit pas le faire sur un sujet aussi difficile, aussi sensible, aussi grave, dans l'urgence et dans de telles conditions.
    Vous ne mesurez pas, mes chers collègues, les conséquences, dans la durée, des décisions que vous vous apprêtez à prendre.
    M. Lucien Degauchy. Et les conséquences de votre politique, vous les avez mesurées ?
    M. Jean-Marc Ayrault. La délinquance des mineurs et la violence nous préoccupent tous.
    M. Bernard Schreiner. Alors pourquoi n'avez-vous rien fait ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Mais nous n'avons pas, monsieur Rudy Salles, à exposer ici des témoignages particuliers nous concernant, aussi douloureux soient-ils, car quel député, quel élu local - beaucoup parmi nous le sont - n'a jamais vécu, dans sa commune ou sa circonscription, des situations pénibles, insupportables...
    M. Christian Estrosi. A Avignon ?
    M. Jean-Marc Ayrault. ... de violence et de délinquance des mineurs ?
    M. Lucien Degauchy. Vous n'avez pas l'air d'en avoir vécu beaucoup !
    M. Jean-Marc Ayrault. Et, sur les bancs du groupe socialiste, en tout cas, vous n'en trouverez pas un qui soit laxiste, qui accepte l'irrespect de la loi et du règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues.
    M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'en trouverez pas un non plus qui accepte que la sanction ne soit pas appliquée. Par conséquent, nous n'avons aucune leçon à recevoir...
    M. Lucien Degauchy. Vous n'avez pas non plus à en donner !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... et nous ne nous laisserons pas culpabiliser par un prétendu échec de notre politique.
    Certes, nous sommes loin d'avoir atteint tous nos objectifs,...
    M. Hervé Novelli. C'est sûr !
    M. Jacques Myard. Mea culpa !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... mais ne croyez pas que le thème de la délinquance et de la violence des mineurs soit de droite ou de gauche. C'est un défi pour la société tout entière et vous ne résoudrez rien en réformant ainsi, à la hâte, des pans entiers de notre code de procédure pénale, de notre code pénal, ou encore l'ordonnance de 1945.
    Peut-être, dans les jours, les semaines, les mois qui viennent, allez-vous recueillir un certain assentiment, une certaine popularité, parce que ces sujets sont sensibles et l'opinion publique est en attente de résultats.
    M. Robert Lamy. Il y a déjà longtemps qu'elle attend !
    M. Jérôme Rivière. Il fallait agir !
    M. Jean-Marc Ayrault. C'est vrai, quand un mineur récidiviste est relâché, la population proteste - nous connaissons tous ces situations -, mais cela ne doit pas nous inspirer une réforme dangereuse pour notre droit, pour notre liberté, pour les principes éducatifs : vous allez semer bien des désillusions.
    M. Gérard Hamel. Et vous, qu'avez-vous semé ?
    M. Lucien Degauchy. Pensez un peu aux victimes !
    M. Jean-Marc Ayrault. L'opinion publique croira peut-être, pendant quelque temps, que vos mesures auront un effet sur les auteurs de tags, de crachats et de brutalités dans les cages d'escalier. En réalité, vous ne réglerez aucun de ces problèmes.
    M. Lucien Degauchy. Et vous, les avez-vous réglés ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Car ils demandent des solutions globales, conjuguant l'éducation, la prévention, la répression (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. Jean Marsaudon. Cela ne marche pas !
    M. le président. Chers collègues, laissez terminer M. Ayrault.
    M. Lionnel Luca. Il a dépassé ses dix minutes !
    M. Jean-Marc Ayrault. ... mais aussi la volonté de s'attaquer aux causes sociales, aux causes de l'exclusion, aux causes de la misère, aux causes de la constitution de quartiers ghettos. Telle est la vérité, vous le savez bien.
    M. Richard Mallié. Les quartiers ghettos ? Quinze ans de socialisme !
    M. Jean-Marc Ayrault. Je vous croyais plus prudent, monsieur le garde des sceaux. Vous êtes en train de vous engager dans un piège, au-delà, peut-être, de ce que vous pouvez imaginer. Si vous tombiez seul dans ce piège, ce ne serait pas grave, mais vous y entraînerez notre droit, nos grands principes, nos libertés.
    M. Lucien Degauchy. N'en faites pas trop !
    M. Jean-Marc Ayrault. Et vous remettez aussi en cause des acquis fondamentaux auxquels vous aviez vous-mêmes contribué, comme l'a rappelé M. Vallini : la loi sur la présomption d'innocence, grande avancée pour notre droit et nos libertés, avait certes quelques défauts, mais nous les avons corrigés après la mission confiée par M. Jospin à notre collègue Julien Dray. Au demeurant, même ces quelques défauts n'auraient pas justifié la quasi-abrogation de l'ensemble de la loi sur la présomption d'innocence à laquelle vous vous livrez.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mensonge !
    M. Jean-Marc Ayrault. Si tant de professions juridiques et judiciaires, si tant de mouvements associatifs de défense des droits de l'enfant s'opposent à votre texte, c'est parce qu'ils sentent bien que vous vous apprêtez à commettre l'irréparable. Mais il est encore temps : ressaisissez-vous, votez l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Sur l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Nous poursuivons les explications de vote. La parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe UMP.
    M. Gérard Léonard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en écoutant M. Vallini, j'avoue avoir éprouvé des sentiments contradictoires, et tout d'abord une certaine compassion.
    M. Jean-Marie Le Guen. Il s'en passera très bien !
    M. Gérard Léonard. En effet, il ne m'écoute pas.
    M. Richard Cazenave. Il s'en moque !
    M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de rejoindre vos places en silence. Vous avez la parole, monsieur Léonard.
    M. Gérard Léonard. En écoutant M. Vallini, je me disais donc, dans un élan de compassion, qu'il doit être bien difficile de siéger dans l'opposition, pour les socialistes, qui n'arrivent pas à se départir d'une belle assurance dogmatique et d'une réelle arrogance partisane.
    M. Jean-Pierre Kucheida. N'importe quoi !
    M. Julien Dray. Il sait de quoi il parle...
    M. Gérard Léonard. Il est en effet difficile d'expliquer ce qu'il faudrait faire aujourd'hui quand on ne l'a pas fait hier,...
    M. Jean-Pierre Kucheida. Vous faites du remplissage ?
    M. Gérard Léonard. ... quitte à se livrer à un véritable réquisitoire vis-à-vis des gouvernements précédents - je pense en particulier...
    M. Julien Dray. A Chirac !
    M. Gérard Léonard. ... au caractère très désobligeant des propos de M. Vallini à l'égard de Mme Guigou, concernant l'état de nos prisons.
    Qu'il est difficile aussi de revendiquer sans rougir des initiatives que l'on n'a cessé de vilipender, les centres d'éducation renforcée, par exemple.
    M. Alain Gest. Très bien !
    M. Gérard Léonard. M. Vallini leur a reconnu tous les mérites du monde. Pourtant, je me souviens du débat sur la loi Toubon qui créait ce que l'on appelait alors les « unités éducatives renforcées ». Et je me souviens également que Mme Guigou, dès son arrivée à la Chancellerie, a supprimé ces centres, pour les remettre en place une année plus tard, promettant même d'en créer une centaine. En fait, elle s'est limitée à quelques dizaines à peine, et, aujourd'hui, notre rapporteur l'a rappelé, ils sont au nombre de 54.
    Qu'il est difficile, surtout, de renier les engagements du candidat socialiste à l'élection présidentielle. Je me permettrai tout de même de vous lire quelques bonnes pages. A propos de la délinquance des mineurs et de l'ordonnance de 1945, voici ce qui était écrit en toutes lettres, dans le programme de M. Jospin : « Mais ce texte, d'ailleurs modifié à de nombreuses reprises depuis son adoption, ne doit pas être considéré comme tabou. »
    M. André Vallini. Je suis d'accord.
    M. Gérard Léonard. Je poursuis : « Il devra être adapté, pour tenir compte d'un contexte social profondément modifié. »
    M. René Dosière. C'est ce qu'a dit Vallini !
    M. Gérard Léonard. La suite est encore plus intéressante : « A cet effet, les procédures de comparution immédiate seront étendues. » C'est ce que vous avez préconisé, monsieur le rapporteur. « Pour prévenir la récidive, il faudra également développer l'accueil des mineurs dans des structures fermées. » C'est écrit en toutes lettres dans le programme de M. Jospin ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Alors, comment voulez-vous qu'à la compassion ne succède pas une certaine exaspération ? Exaspération de constater un tel aveuglement vis-à-vis des réalités.
    M. le ministre l'a rappelé, en politique, une exigence fondamentale consiste à examiner la situation avec lucidité ; en aucun cas, l'aveuglement idéologique, le dogmatisme, le sentimentalisme ne doivent brouiller le regard que nous portons. Ce regard lucide, le Gouvernement le jette sur une situation devenue intolérable et entend prendre les mesures qui permettront d'y remédier.
    Monsieur le président, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les excellents propos de notre rapporteur, sinon pour insister sur les deux façons dont l'on peut envisager le terrain. La première consiste à s'appuyer sur des dogmes pour prétendre que les Français, que nous côtoyons et que nous entendons exprimer leur exaspération, ont tort. La seconde est d'être attentifs à ces préoccupations, de considérer qu'elles ne sont pas idiotes, qu'elles décrivent une réalité cruelle, vécue quotidiennement.
    Et, par-dessus tout, puisque M. Vallini a invoqué les grands principes, je voudrais le rappeler à quelques grands principes qui doivent tous nous gouverner : ceux de la République.
    M. Jérôme Rivière. Très bien !
    M. Gérard Léonard. Personne n'a oublié le vote des électeurs du 21 avril, qui exprime une véritable exaspération, voire une véritable angoisse, en tous les cas, une attente très forte.
    M. Jérôme Rivière. Tout à fait !
    M. Gérard Léonard. Nous serions totalement irresponsables si nous n'arrivions pas à y répondre. Certes, l'action que nous menons n'est pas facile. Elle s'exerce dans un domaine sensible, avec des acteurs dont nous n'avons pas la maîtrise parfaite. Mais invoquer les grands principes sans rien faire serait totalement irresponsable pour l'avenir et pour la pérennité des valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe communiste votera l'exception d'irrecevabilité. Notre collège Vallini a produit un certain nombre d'arguments, de fond et je suis de ceux qui pensent que la majorité, même si elle n'est pas convaincue, serait bien inspirée de les entendre.
    Les questions qui viennent en débat sont importantes, complexes. A travers l'organisation de sa justice, elles engagent le devenir de la société française. Certaines réponses, caractérisées par leur manque d'humilité, sont donc assez attristantes. Nous avons besoin de faire la clarté, dans cet hémicycle, sans doute, mais aussi, au-delà, pour l'opinion publique.
    Bien sûr, tout acte éducatif suppose la contrainte et la sanction,...
    M. Claude Goasguen. Surtout en Union soviétique.
    M. Michel Vaxès. ... mais il faut distinguer sanction pénale et privation du dessert par le père de famille. Ne pas le faire, c'est nourrir un amalgame, c'est tromper ceux qui nous écoutent. J'aurai l'occasion de revenir sur ces questions, qui sont au centre de ce projet de loi.
    Je le répète, le groupe communiste votera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je vais mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   225
Nombre de suffrages exprimés   225
Majorité absolue   113
Pour l'adoption   52
Contre   173

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

    M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement. En vertu de l'article 58, alinéa 4, je suppose ?
    M. Jean-Marc Ayrault. En vertu de l'article 58, alinéas 1, 3 et 4, monsieur le président. Mme Guigou, tout à l'heure, avait d'ailleurs déjà demandé la parole pour un rappel au règlement.
    En tant que président du groupe socialiste, je voudrais vous dire combien nous sommes choqués par la manière dont notre collègue Rudy Salles a mis en cause Mme Guigou. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Chers collègues, laissez terminer M. Ayrault.
    M. Jean-Marc Ayrault. Merci monsieur le président. Je m'adresse à vous, puisque vous êtes le garant du bon ordre de nos débats, mais aussi à vos collègues de la majorité. MM. le président de l'Assemblée nationale, le Premier ministre et le Président de la République ont pris l'engagement d'écouter l'opposition, d'accepter sa contribution au débat démocratique. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lucien Degauchy. L'opposition n'a rien à dire d'intéressant !
    M. Jean-Marc Ayrault. En ce début de législature, serait-il possible que nous nous exprimions sans susciter systématiquement invectives, interruptions, voire insultes ?
    M. Richard Cazenave et M. Lionnel Luca. Souvenez-vous, pendant cinq ans, qu'avez-vous fait ?
    M. Jean-Marc Ayrault. La qualité de nos débats et la dignité de l'Assemblée nationale ne pourront qu'y gagner.
    J'émets donc une protestation très vive, au nom de mon groupe, après l'interpellation de M. Rudy Salles dont Mme Guigou a fait l'objet, et je demande une suspension de séance de vingt minutes pour réunir mon groupe. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Richard Cazenave. Obstruction !
    M. le président. Monsieur le président Ayrault, il est vingt-deux heures vingt-cinq et, vous le savez, nous devons encore entendre la question préalable de notre collègue Julien Dray. Je vous propose donc une suspension de dix minutes. Nos travaux reprendront à vingt-deux heures trente-cinq.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt-cinq, est reprise à ving-deux heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

Question préalable

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est M. Julien Dray, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.
    M. Julien Dray. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues : 22 à 10, cela pourrait être un score honorable pour un match de rugby de l'équipe de France... Mais c'est exactement le résultat du vote des sénateurs en faveur du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Vingt-deux sénateurs se sont donc prononcés pour ce texte vendredi soir, à l'orée du mois d'août. Vingt-deux seulement !
    Il n'y aurait pas lieu d'insister pour un texte relevant de l'exercice parlementaire traditionnel, mais, aujourd'hui, il ne s'agit pas d'un projet anodin, et lorsqu'on discute de sujets aussi fondamentaux que ceux que vous voulez aborder, monsieur le garde des sceaux, il y a pour le législateur un devoir de précaution. Cette précaution qui s'impose, c'est que la réflexion soit menée jusqu'à son terme et se déroule dans la sérénité, non dans l'urgence. C'est là le seul moyen de ne pas aboutir à des mesures de circonstance.
    Convenez-en, les conditions dans lesquelles nous devons débattre de ce projet de loi sont loin d'être faciles. Et qu'on ne vienne pas m'opposer ici l'impératif de l'action, l'urgence de la situation, car, en matière de justice, le devoir de raison s'impose plus qu'ailleurs.
    Afin de pallier ces difficultés et d'éviter les reproches de précipitation, il a fallu tout le talent de notre rapporteur pour essayer de donner le sentiment que tout le monde avait été entendu, que tous les points de vue avaient été pris en compte. Mais malgré ce travail, il subsistera pour beaucoup d'entre nous, je vous le dis d'emblée, une impression de malaise.
    Avoir recours à la procédure d'urgence, dans le cadre d'une session extraordinaire, au coeur de l'été, pour un texte touchant à des domaines aussi fondamentaux, révèle la précipitation dans laquelle ce projet de loi a été élaboré et l'empressement avec lequel on voudrait nous le faire adopter. Nombre de ses dispositions, nous le savons, vont bouleverser l'ordre juridique. Or, l'histoire nous l'a appris, la justice a besoin de sérénité, elle n'a pas besoin de révolution permanente (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jacques Myard. C'est un expert qui parle !
    M. Julien Dray. Merci, monsieur Myard, au moins vous connaissez vos classiques !
    M. Xavier de Roux. Dray contre la révolution permanente, on aura tout vu !
    M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dray.
    M. Julien Dray. Pourtant, monsieur le garde des sceaux, vous nous présentez un texte fourre-tout mêlant à la fois moyens supplémentaires pour la justice et corrections, que j'appellerai pour ma part régressions, de la loi sur la présomption d'innocence. A cela s'ajoute l'amélioration de notre justice administrative, la création d'une nouvelle juridiction, des mesures destinées aux victimes, des décisions concernant l'administration pénitentiaire et, comme le dit la formule, last but not least (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française) rien moins qu'une révolution de la justice pour les mineurs.
    Résultat : nous aurons forcément une discussion qui partira dans tous les sens, mélangeant l'utile et l'accessoire, l'indispensable et le dangereux.
    Evidemment, je ne veux pas dire par là qu'il y aurait des sujets tabous. Il n'existe pas de texte si sacré qu'il ne puisse être remis en question. Mais quelle urgence y avait-il à légiférer sur de tels sujets sans concertation, bâclant ainsi des réformes dont, je vous l'accorde, certaines sont nécessaires ? (« Ah ! » sur les mêmes bancs.) Encore ne fallait-il pas confondre vitesse et précipitation.
    Votre collègue Nicolas Sarkozy a préféré une démarche plus modeste, privilégiant les dispositions de programmation financière. Il s'est ainsi laissé le temps de la réflexion et du débat pour les orientations globales de sa politique de sécurité intérieure. Si vous aviez opté pour une démarche identique, monsieur le garde des sceaux, moi-même et les membres du groupe socialiste aurions pu tenir à cette tribune les mêmes propos que nous avions adressés à M. Sarkozy.
    M. Christian Estrosi. Pas tous !
    M. Julien Dray. Comme pour la police, vous nous trouveriez à vos côtés s'il s'agissait d'obtenir des moyens supplémentaires pour l'institution judiciaire. Et nous serions prêts, loyalement, à discuter de la meilleure façon d'utiliser ces crédits pour rendre notre système judiciaire plus efficace et plus juste.
    Nous aurions donc pu comprendre que, dans l'urgence, en ce début de mois d'août, vous vous « contentâtes » (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. Bernard Schreiner. Dray à l'Académie !...
    M. Julien Dray. ... de demander à notre assemblée de voter les crédits nécessaires à la justice française. Personne ne vous en aurait fait grief, ni la précédente majorité, grâce à laquelle, rappelons-le, vous ne partez pas de rien en la matière de budget pour la justice, ni les Français, conscients du cruel manque de moyens de la justice de leur pays, ni même les professionnels de la justice envers qui vous avez une dette particulière au regard du retard accumulé sous les précédentes législatures de droite.
    M. Bernard Schreiner. Non, par vous !
    M. Julien Dray. Mais, monsieur le ministre, vous avez voulu aller plus loin et plus vite que votre collègue de l'intérieur, si vite que les crédits supplémentaires que vous promettez à la justice et qui auraient pu être salués comme un effort louable prennent l'allure d'une occasion gâchée. Vous auriez pu faire vos premiers pas de garde des sceaux, adossé à ces crédits supplémentaires. A partir de là, les conditions auraient été idéales pour ouvrir une réflexion profonde sur les réformes nécessaires.
    Malheureusement, dans votre précipitation, dont les causes me sont encore mystérieuses,...
    M. Lionnel Luca. Ah bon ?
    M. Julien Dray. ... vous avez pris le risque de minimiser la concertation. Pourtant, les réactions de la grande majorité des organisations de magistrats, de policiers, d'avocats, d'éducateurs ou encore de défenseurs des droits de l'homme montrent qu'une véritable réflexion n'aurait pas été superflue et que la hâte et la précipitation ne peuvent qu'engendrer l'incompréhension et la crispation.
    Si vous avez négligé l'avis des acteurs de la justice, vous n'avez pas non plus pris en considération l'importance des travaux du Parlement. Dans votre texte, on ne trouve aucune trace de la bonne réflexion, transcendant les clivages politiques, menée par notre assemblée sur l'univers carcéral.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Mais si !
    M. Julien Dray. On n'y retrouve pas non plus les réflexions issues du rapport sénatorial sur la délinquance des jeunes. La Haute assemblée, qui avait entamé ce travail avec beaucoup de certitudes, avait été amenée à en corriger certaines. C'est donc un esprit d'équilibre intelligent, dans lequel beaucoup d'entre nous se reconnaissent, qui animait ce rapport, un esprit qui n'est pas présent dans votre texte.
    M. Gérard Léonard. Si, et largement !
    M. Julien Dray. Le travail parlementaire, vous lui tournez également le dos en revenant sur la loi renforçant la présomption d'innocence à laquelle le Parlement avait beaucoup travaillé, pour son élaboration comme pour son évaluation. Quelle urgence y avait-il à revenir sur cette loi entre un débat sur les moyens et un autre sur la justice administrative ? Quelle est cette urgence qui nous imposerait de revenir, après quelques heures de débat, sur l'esprit même d'une grande loi adoptée, je le rappelle, à la quasi-unanimité, deux ans auparavant, élaborée dans la durée, évaluée et complétée en conséquence un an plus tard ?
    M. Gérard Léonard. Corrigée, dites-le !
    M. Julien Dray. Je comprends d'autant moins cette urgence, monsieur Léonard, que jamais l'esprit de cette loi n'avait été contestée. La principale critique qui lui avait été adressée était le manque de moyens pour qu'elle puisse être appliquée jusqu'au bout. Pourquoi donc, monsieur le garde des sceaux, choisir de remettre en cause son esprit même, alors que l'Assemblée aurait pu vous accorder les crédits qui vous auraient permis de la mettre pleinement en oeuvre ? Vous ratez là une belle occasion politique.
    Vous remettez donc en cause les principales dispositions de la loi renforçant la présomption d'innocence, soit. Pourtant, j'ai encore le souvenir des commentaires des représentants de l'opposition d'alors. Pour nous rafraîchir la mémoire à tous, permettez-moi de citer ici quelques-uns de leurs propos.
    Ainsi, M. Houillon, pour justifier ses fortes réserves, expliquait :« Nous restons encore très loin de la Déclaration européenne des droits de l'homme. La culture de l'aveu, de la détention, de l'inquisition et d'un accusateur au-dessus de la défense cantonnée dans un rôle timide, n'est pas en concordance avec ce que doit être le pays des droits de l'homme. »
    Je me souviens encore de MM. Goasguen et Albertini ferraillant dans cet hémicycle...
    M. Pierre Albertini. Parfaitement !
    M. Julien Dray. ... pour obtenir la présence d'un avocat tout au long de la garde à vue, réclamant que cette loi aille encore plus loin dans les droits de la défense.
    Je citerai enfin M. Devedjian, qui reprochait au projet de loi de Mme Guigou « de ne pas aller jusqu'au bout de sa logique avec de vrais droits pour la défense ». Et il ajoutait : « Il faut que la gauche s'habitue à voir l'opposition faire de la défense de la liberté sa priorité, et pas seulement en matière économique. »
    M. Jacques Myard. La liberté des victimes !
    M. Julien Dray. Mais j'imagine, monsieur le ministre, mes chers collègues, que vous aurez à coeur de me sortir de ma perplexité en m'expliquant les raisons profondes de cet empressement soudain à vouloir revenir sur des dispositions que vous trouviez trop modérées il y a deux ans à peine.
    Ainsi, vous revenez sur la collégialité, qui est pourtant une garantie fondamentale des libertés publiques. La collégialité exprime la volonté de rendre une justice plus équitable et donc mieux comprise. Elle limite les risques d'erreur judiciaire, ce qui est particulièrement important en matière de privation des libertés. Surtout, elle est une garantie supplémentaire donnée à l'autorité de la décision. Tout le monde dans cet hémicycle partageait d'ailleurs cette analyse lors des débats relatifs à la loi sur la présomption d'innocence. Je rappelle une fois de plus aux députés de la majorité qu'ils trouvaient à l'époque le projet d'Elisabeth Guigou trop timide. Vous aviez ainsi, messieurs, défendu un amendement qui, sur la base des conclusions de la commission Truche, visait à remplacer le juge de la liberté et de la détention par une formation collégiale.
    Alors, la question se pose : y a-t-il une vérité avant le 5 mai et une autre vérité après ? Je ne peux le croire au regard de la qualité des auteurs de ces propos et du respect que je leur dois.
    M. Lionnel Luca. Quel talent d'acteur !
    M. Julien Dray. Vos dispositions, je le dis, vont vider la loi sur la présomption d'innocence de sa substance. L'instauration du référé-détention, l'abaissement à trois ans du seuil de la peine d'emprisonnement encourue pour permettre la détention provisoire, le rétablissement du critère de trouble à l'ordre public, l'allongement des délais butoirs de détention provisoire, le recours accru à la procédure de comparution immédiate, tout cela...
    M. Gérard Léonard. C'est très bien ! Il était temps !
    M. Julien Dray. ... mis bout à bout, n'aura qu'un effet : accroître à nouveau considérablement le nombre de personnes emprisonnées. En conséquence, la détention provisoire va redevenir la règle...
    M. Gérard Léonard. Pour les délinquants !
    M. Julien Dray. ... alors que nous voulions qu'elle soit l'exception. C'est en ce sens que, malgré vos dénégations, vous toucherez au coeur même de cette loi.
    Ce faisant, vous revenez sur le consensus auquel nous avions abouti : l'urgence de limiter la détention provisoire, l'impérieuse nécessité que la France ne soit plus montrée du doigt, condamnée par la Cour européenne pour violation de la convention européenne des droits de l'homme.
    M. Lionnel Luca. Ça, c'est vrai !
    M. Julien Dray. Cette situation n'était pas tolérable, particulièrement pour un pays qui, selon l'expression de Michelet, devrait être « l'idéal moral du monde ». La loi sur la présomption d'innocence avait commencé à y remédier. Ce mouvement sera stoppé net.
    Il y a quelques mois encore, nous dressions pourtant le constat accablant de la politique du tout carcéral : son caractère criminogène, la surpopulation qui mélange les assassins à tous ceux dont la peine devrait simplement relever de la réparation, les peines inadaptées, la récidive, l'enfermement de la misère sociale. Dans de trop nombreux cas, l'incarcération ne sert ni la victime, ni la société, ni la personne détenue. Ce constat n'était pas celui de rêveurs soixante-huitards, c'était le vôtre, c'était le nôtre.
    C'est pourtant ce chemin du recours à l'enfermement que vous semblez à nouveau prendre, probablement parce qu'il a l'apparence de la facilité. Mais vous risquez fort de vous voir entraîner dans la politique du puits sans fond. Une fois qu'il aura été constaté que la délinquance continue d'augmenter malgré le recours accru à des solutions d'enfermement, la pente naturelle sera de vous dire que de meilleurs résultats seront obtenus si on vous accorde encore davantage de moyens carcéraux. Je considère, pour ma part, que l'enfermement ne peut être considéré comme la clef de voûte du système pénal d'un pays moderne. Par conviction, mais aussi par souci d'efficacité.
    J'espère, monsieur le ministre, que vous profiterez de votre réponse pour nous démontrer que vous ne vous situez pas dans cette logique, même si j'en doute au vu des dispositions que vous nous proposez. Vous pourrez, par exemple, commencer à le faire en nous éclairant sur un point précis. Vous annoncez, dans votre projet de loi, la réhabilitation de 4 000 places de prisons et la construction de 7 000 autres. La question qu'on est en droit de poser est de savoir si ces 7 000 places supplémentaires vont servir à améliorer les conditions d'emprisonnement actuelles, dont la commission d'enquête sur les prisons a montré le caractère indécent. Dans ce cas, nous vous soutiendrons.
    Nous ne pourrions que nous féliciter d'une telle décision. Mais cette mesure n'aurait pas de sens sans l'établissement d'un numerus clausus. Sans être véritablement préconisée, cette possibilité avait été largement débattue pendant nos travaux parlementaires. Elle est, je crois, la seule solution à l'inflation carcérale. Car sans un tel numerus clausus, les 7 000 nouvelles places annoncées ne pourront se traduire que par des milliers de détenus supplémentaires. Et comme le disait si justement Mark Twain : « celui qui ouvre une prison doit savoir qu'on ne la fermera plus ». (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Si l'on accepte cette logique d'enfermement comme clé de voûte de notre système judiciaire, il convient au moins de s'interroger sur le problème fondamental du système pénitentiaire français : que se passe-t-il à la sortie de la prison ? S'est-on donné les moyens réels pour éviter la récidive ?
    Puisque vous semblez choisir cette solution, nous serions au moins en droit d'attendre de vous que vous fassiez des propositions nouvelles pour permettre au système pénitentiaire de répondre à cette question.
    Ainsi, allez-vous créer, par exemple une plate-forme locale d'insertion auprès de chaque établissement pénitentiaire réunissant les employeurs locaux, les missions locales, les intervenants sociaux et pouvant mobiliser pour les sortants de prison les ressources locales de nature à permettre une réinsertion sociale à même de prévenir efficacement la récidive ?
    En ce qui concerne les mineurs, vous dirigez-vous vers la nomination d'un adulte référent pour chaque mineur en prison afin d'assurer une vraie prise en charge éducative préparant la réinsertion comme cela existe, par exemple, au Canada ?
    Ces propositions ne figurent malheureusement pas dans votre projet. L'absence de telles mesures de réinsertion continue à donner le sentiment que l'enfermement est une fin en soi. En voulant aller vite, en cherchant à se donner les apparences de l'inflexibilité, on ne gagnera même pas en efficacité ce que l'on a perdu en garantie des droits.
    M. Gérard Léonard. On verra !
    M. Julien Dray. En l'occurrence, la hausse de l'incarcération qui va découler du recours plus fréquent à la détention provisoire aura toutes les apparences de ce que toutes les familles politiques avaient considéré sur ces bancs comme une fuite en avant et surtout comme un aveu d'impuissance à juguler sérieusement la montée de la criminalité.
    Par-delà les questions légitimes que nous sommes en droit de nous poser au regard des libertés individuelles, c'est ce même souci d'efficacité qui me pousse à vous interroger sur les mesures que vous proposez concernant la justice des mineurs.
    Y avait-il urgence à réformer cette justice par la loi ? (« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) On ne peut répondre sérieusement à cette question qu'après s'être accordé sur la réalité de la délinquance des mineurs.
    M. Robert Lamy. Parce que vous la mettez en doute ?
    M. Julien Dray. A en croire tous les commentateurs, celle-ci serait devenue explosive, atteignant même pour certains un point de non-retour. Je ne veux pas nier ici une réalité vécue avec difficulté par nombre de nos concitoyens.
    M. Lionnel Luca. Quand même !
    M. Julien Dray. Mais cette augmentation de la délinquance des mineurs, contrairement à ce que j'entends parfois avec insistance, n'est pas un phénomène apparu en 1997. Si certains avaient le goût de la polémique, je me permettrais de leur livrer un élément de réflexion tiré des froides statistiques officielles que personne n'a contestées à ce jour. Du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1997, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 41,25 %. Du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2001, il a augmenté de 3,04 %. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jacques Myard. Et pour cause ! Le laxisme régnait !
    M. Lionnel Luca. On peut interpréter cela comme on veut !
    M. Julien Dray. Voilà, j'espère, qui permettra d'éviter que les seuls arguments échangés se résument à la fermeté proclamée des uns et au laxisme supposé des autres.
    Ce que montrent les chiffres que je viens de vous livrer, c'est une explosion de la délinquance des mineurs au début des années quatre-vingt-dix qui nous a tous pris au dépourvu. Mais de nouvelles réponses ont été progressivement apportées qui ont su freiner ce phénomène.
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis. Mais non !
    M. Bernard Schreiner. Ce n'est pas vrai !
    M. Julien Dray. C'est ce que montrent les chiffres. Il n'y aurait rien de pire que de nier cette réalité parce qu'on fragiliserait alors les outils précieux mais encore insuffisants qui ont été forgés au cours de cette période. Je dis cela pour éviter que dans les débats actuels la majorité se prive de l'expérience acquise ces dernières années.
    L'augmentation de la délinquance des mineurs est une réalité qui mérite mieux que des positionnements ou des arguments réducteurs. Il ne faut jamais oublier que derrière ces actes de délinquance il y a des victimes qui souffrent mais aussi des auteurs qui gâchent leur vie en étant entraînés dans la voie de la violence.
    Nous connaissons tous ces noyaux durs, terme que je préfère à celui de caïds...
    M. Lionnel Luca. Qu'est-ce que ça change ?
    M. Julien Dray. ... qui, souvent connus de tous, agissant au vu et au su de tout le monde, terrorisent tout un quartier et n'hésitent pas à aller exporter leur violence dans nombre de lieux publics. Ces comportements doivent être sanctionnés car c'est le meilleur service que l'on puisse rendre à ces jeunes que de leur montrer l'impasse que représente l'affichage de leur force et son caractère éphémère. Pour ceux-là s'impose la nécessité d'une sanction qui passe par la rupture avec leur milieu et une prise en charge éducative lourde.
    M. Lionnel Luca. Vous êtes en progrès !
    M. Gérard Léonard. Quelle conversion !
    M. Julien Dray. Les centres d'éducation renforcée remplissent ce rôle avec des résultats extrêmement encouragenats, la prison devant rester la solution pour ceux qui ont commis les fautes plus graves, même si nous devons savoir que, pour certains d'entre eux, la prison ne leur fait plus peur et fait même partie d'un code d'honneur.
    C'est d'ailleurs pour éviter cette situation, qui voit les bandes agissant dans les cités se reconstituer dans les quartiers pour mineurs, que la solution ne peut résider que dans de petites unités avec des traitements très individualisés.
    M. Richard Cazenave. C'est ce qu'on va faire !
    M. Julien Dray. Il ne s'agit pas de créer des nurseries mais d'isoler l'individu pour qu'il soit enfin confronté à une autorité et que cette confrontation l'amène à remettre en cause son comportement. Nous n'aurions aucun problème, pour notre part, à vous soutenir dans la mise en mouvement de moyens nouveaux pour aller dans ce sens.
    Mais la masse des délits, la multitude des agressions qui exaspère quotidiennement des milliers de nos concitoyens, les insultes, les crachats, les tags, les dégradations, les petits vols, tout cela n'est pas que l'oeuvre de ces noyaux durs. Cette délinquance systématique passe, dans la majorité des cas, à travers les mailles du filet de la justice. Elle ne peut être jugulée que par une véritable justice de la réparation.
    Or, avouons-le, notre chaîne pénale n'a pour l'instant pas su mettre en place avec efficacité une telle logique de réparation systématique. Lors du premier délit, la sanction est fréquemment inexistante ou virtuelle. Rien ne s'oppose donc à ce que le mineur en commette un deuxième, puis un troisième, s'installant ainsi dans le personnage du délinquant.
    Quand les délits se répètent et deviennent plus importants, les réponses sont alors inadaptées pour l'auteur du délit et incompréhensibles pour la victime. Je pense notamment à ce que certains de nous ont vécu au travers de l'admonestation prononcée par certains délégués du procureur. Nous nous étions tous accordés pour dire qu'il fallait à la fois renforcer ces processus et leur donner un sens plus efficace et plus lisible, pour le délinquant comme pour la victime. Mais nous ne sommes pas dans cette situation avec votre texte.
    Le jeune délinquant n'étant pas confronté à une autorité réelle, il ne subira aucune sanction sérieuse et aura le sentiment qu'il peut toujours aller plus loin, que tout cela n'est pas grave. Il s'installera dans une sociabilité délinquante en attendant la seule solution que vous proposez, celle de l'enfermement.
    M. Richard Cazenave. N'importe quoi !
    M. Julien Dray. La sanction apportée ne permettra pas la rupture avec le comportement délinquant, parce qu'elle ne constitue pas une véritable justice de réparation. L'enfermement, que vous préconisez comme seule solution, n'empêchera pas l'endurcissement dans la délinquance et donc une récidive importante : celle-ci atteint, je vous le rappelle, un taux de 80 % chez les mineurs qui ont connu la prison.
    La situation actuelle est donc bien problématique. D'un côté, nous avons l'impunité, ou le sentiment d'impunité puisque, quand la justice est intervenue, sa décision manque souvent de lisibilité ; de l'autre, les solutions d'enfermement. Les termes de cette alternative sont les deux faces d'une même médaille : celle d'un système qui doit être réformé pour permettre aux mineurs de rompre avec le parcours délinquant conduisant au multirécidivisme endurci.
    Ce tableau, dont beaucoup de nos collègues de la majorité et de l'opposition, confrontés quotidiennement à ces problèmes, reconnaitront la réalité, nous conduit évidemment à constater l'inadaptation de votre projet de loi au regard du défi auquel nous devons faire face. Ce défi, c'est M. Rosenczweig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, qui l'a formulé : « La question est de savoir comment éviter que de nouvelles vagues, encore plus violentes que les précédentes, ne déferlent sur nos sociétés. »
    M. Claude Goasguen. Eh oui !
    M. Julien Dray. C'est pourquoi on ne peut réduire le phénomène auquel nous sommes confrontés à quelques noyaux durs qu'il suffirait de mettre hors circuit pour restaurer la sécurité de nos concitoyens. Ce serait se concentrer sur les aspects les plus visibles sans prendre en considération la totalité du problème et n'apporter qu'une réponse étroitement judiciaire à un énorme défi éducatif.
    Seule une coordination entre ces différents maillons que sont l'école, les parents, les travailleurs sociaux, la justice et la police, seule cette mobilisation générale contre la violence des jeunes permettrait d'agir, selon trois principes essentiels que notre expérience nous a permis de dégager et que nous proposions de mettre en oeuvre.
    M. Philippe Folliot. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
    M. Julien Dray. Ces principes sont résumés par une formule : la précocité, l'intensité et la continuité.
    La précocité est en effet une donnée fondamentale du problème auquel nous sommes confrontés. Il s'agit d'intervenir en amont des comportements violents en remettant sur pied une politique de prévention en direction des jeunes et des familles pour éviter l'installation de ceux-ci dans la délinquance. Il y a nécessité d'agir le plus tôt possible, dès la première alerte, en apportant tout de suite une réponse.
    M. Claude Goasguen. Très bien !
    M. Julien Dray. A cet égard, l'expérience canadienne est intéressante. A la fin des années quatre-vingt-dix, le pays avait le plus fort taux d'incarcération des mineurs au monde. A partir de ce constat, les autorités canadiennes ont été amenées à reconsidérer le traitement de cette forme de délinquance. En effet, pour 80 % des mineurs détenus, le dossier judiciaire faisait apparaître qu'il ne s'était rien passé au moment du premier passage à l'acte. L'ensemble de la politique de traitement de la délinquance des mineurs a alors été revue en mettant l'accent sur ce premer passage à l'acte.
    M. Lionnel Luca. C'est bien ce qu'on fait !
    M. Julien Dray. Dans la semaine qui suit l'interpellation, le juge réunit un conseil composé d'enseignants, de parents, de la victime et du jeune délinquant. (« Usine à gaz ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Ce conseil établit alors si le mineur reconnaît les faits, s'il comprend la gravité de son acte et, adossé à ce diagnostic, prononce la sanction : mesure éducative ou mesure de réparation. Ce système a toutes les chances d'être efficace parce qu'il assure la solennité du premier rendez-vous avec la justice et parce qu'il apporte une réponse adaptée et d'autant mieux comprise par le mineur qu'elle intervient immédiatement après la commission de l'infraction.
    A cette notion primordiale de précocité s'ajoute celle de l'intensité de la réponse apportée. La justice n'est pas la seule institution face aux jeunes mineurs délinquants : elle peut mobiliser autour d'elle les parents, l'éducation nationale, les éducateurs. Le partenariat ainsi institutionnalisé conduit à ce que le jeune soit accompagné par un environnement construit autour de lui, qui fait que, du parent au professeur en passant par le policier, tous lui disent la même chose.
    Enfin le troisième principe que nous proposions, essentiel, était celui de la continuité, qui consiste à agir dans la durée. Il s'agit de prendre en charge, sur des trajets de vie, chaque situation, d'inscrire les réponses apportées sur des temps longs pour éviter la récidive, et non de se donner bonne conscience en se contentant d'infliger une sanction lourde, sans se donner les moyens d'en connaître les conséquences.
    Cette continuité ne peut trouver de sens que si l'on fournit aux collectivités locales les éducateurs professionnels qui pourront assurer le suivi permanent de ces jeunes afin de leur éviter la récidive.
    Pour illustrer cette notion, je vais prendre l'exemple d'une situation que nombre de nos collègues connaissent. Beaucoup d'instituteurs et d'éducateurs disent pouvoir repérer très tôt chez les enfants des troubles de comportement et des souffrances qui, s'ils ne sont pas traités, risquent de se traduire plus tard par des comportements violents. Pour éviter cela, nous avons commencé à créer des cellules de veille éducative, associant le corps enseignant, la médecine scolaire, le pédopsychiatre, la protection maternelle et infantile, et qui, dès la détection de tels comportements chez un enfant, en en identifiant les causes, assurent le suivi des préconisations qui sont délivrées. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Hunault. Bla bla !
    M. Patrick Labaune. Baratin !
    M. Julien Dray. A travers cet exemple de cellule de veille éducative, qu'il faudra généraliser, nous voyons certes l'importance d'un traitement précoce, mais également celle de la nécessaire coordination des acteurs.
    Monsieur Marsaudon, puisque ce que je viens de dire est du baratin (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Michel Hunault. Au contraire ! On vous dit que vous auriez dû le faire plus tôt !
    M. Patrick Labaune. Ce n'est pas lui qui l'a dit, de toute façon !
    M. Julien Dray. ... puisque cela est du baratin, monsieur Marsaudon, je saurai m'en souvenir dans les semaines qui viennent...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Des menaces ?
    M. Julien Dray. ... lorsque vos collègues, maires de communes de l'Ile-de-France, viendront demander les subventions nécessaires à la mise en place de cellules de veille éducative, et je leur rappellerai ce que vous venez de me dire. Je ne vois pas pourquoi l'argent du contribuable francilien serait consacré à du baratin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - « Chantage ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Chers collègues, et cela vaut autant pour M. Marsaudon que pour M. Dray, nous ne devons pas nous prendre à partie dans l'hémicycle : l'orateur comme les intervenants s'adressent au président.
    Essayons d'éviter les incidents tels que nous avons pu en voir tout à l'heure.
    M. Julien Dray. Monsieur le président, je ne prends personne à partie ; j'évoque simplement une situation que je vis. Le dispositif que je décris ici, qui est en train d'être mis en place et que nous voulions généraliser, est demandé par des collègues de droite comme de gauche,...
    M. Gérard Léonard. Ça, c'est vrai !
    M. Julien Dray. ... par des maires confrontés à cette expérience, et qui voient l'utilité d'une intervention précoce pour éviter que l'enfermement ne devienne la seule solution.
    M. Richard Cazenave. Justement, c'est ce que nous allons faire !
    M. Julien Dray. Mais non, vous n'allez pas le faire ! Cela n'est pas proposé dans vos textes de loi ; aucun moyen n'est dégagé dans ce but ; et pour l'instant, les seuls intervenants que nous avons entendus sont le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice. Le silence du ministre de la ville, comme du ministre de l'éducation est assourdissant sur ces problèmes qui les concernent pourtant au premier chef. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Gérard Léonard. C'est un faux procès !
    M. Julien Dray. En vous appuyant sur les trois notions de précocité, d'intensité et de continuité, vous vous seriez engagés dans une démarche plus efficace. Car vous auriez ainsi été amenés à élaborer une grande loi concernant la justice des mineurs, en construisant une échelle cohérente et graduée de sanctions lisibles et effectives à chaque étape, pour la victime comme pour le jeune délinquant.
    M. Lionel Luca. C'est fait !
    M. Julien Dray. Plutôt que d'évoquer, au détour de votre texte, l'importance des mesures de réparation éducative, vous auriez dû, à travers une telle échelle, situer la gradation : mesure éducative, réparation, éloignement et enfin enfermement. Vous auriez ainsi disposé à la fois d'une échelle de sanctions et d'une méthode efficace d'intervention. Mais vous avez refusé cela, vous engageant dans un choix partisan, le choix de l'affichage de la fermeté à travers un enfermement revendiqué.
    Si vous aviez mis en place une telle échelle des sanctions, je vous le dis, ici, nous vous aurions soutenu. Mais ce n'est pas la démarche choisie.
    M. Richard Cazenave. Mauvaise foi !
    M. Julien Dray. Car le seul aspect qui se dégage de votre texte - tous nos débats le montrent - reste l'enfermement des mineurs. Vous manquez donc là l'occasion de construire une véritable justice de réparation qui doit être le fondement de la justice pour les mineurs car elle garde son caractère éducatif.
    M. Bernard Schreiner. Si vous aviez agi...
    M. Julien Dray. Cette justice de réparation se donne pour but d'écarter, certes, mais aussi de réinsérer. Car c'est là le fondement de l'ordonnance de 1945 que nous voulons défendre. Par-delà telle ou telle disposition qui peut être revue ou corrigée, un mineur reste un mineur. Quelle que soit la violence des actes commis par le mineur, la société doit permettre à travers la sanction qu'elle prononce de le rééduquer et, ainsi, de le réinsérer. Cette absence de mise en place d'échelle des sanctions est renforcée par le rôle particulier que vous assignez au juge de proximité.
    Avant de développer ce point, je voudrais formuler une remarque. C'est en effet la première fois qu'il ne sera plus la peine d'être juge pour juger. Si tout le monde s'accorde sur le principe d'une justice de proximité...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est nouveau !
    M. Julien Dray. ... je tiens à dire avec force qu'une telle justice doit être une justice de qualité, rendue par des professionnels formés pour cela, c'est-à-dire tout simplement de vrais juges.
    M. Claude Goasguen. Et les assises ?
    M. Julien Dray. Avec votre projet, nous risquons d'aller vers une justice « à la bonne franquette » ou à la tête du client. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.) En effet, face à des juges non professionnels, la confiance de nos concitoyens dans cette forme de justice sera minée dès le départ. Quant aux personnes condamnées, elles risquent de ne pas trouver cette forme de justice légitime, ce qui, dans le cas des mineurs, s'avérera particulièrement problématique.
    Enfin, la nature des juges de proximité posera le problème de leur responsabilité. En effet, alors que celle des personnes rendant des jugements doit être, à mon sens, renforcée, concevez-vous, monsieur le ministre, de voir reconnue celle de personnes qui n'auront pas reçu la formation de juge ?
    M. Claude Goasguen. Et les assises ?
    M. Julien Dray. Je me permets d'en revenir au fait que la justice de proximité, telle que vous la concevez, constituera un verrou à la mise en place d'une véritable échelle de sanctions.
    En effet, l'objectif affiché de la justice de proximité est de traiter la masse des petits délits. Mais, en ce qui concerne les mineurs, les petits délits - je l'ai montré - sont justiciables de mesures de réparation qui sont essentielles dans la rupture avec les comportements délinquants, parce qu'une réponse immédiate, intelligente et pédagogique est apportée au délit commis par tel ou tel jeune. Or, avec votre projet, le juge de proximité ne pourra pas prononcer de peines de réparation.
    Pourtant, des collègues de votre majorité avaient travaillé sur cet aspect du problème. Permettez-moi de revenir sur le rapport du Sénat qui montre que le taux de réponse de la justice par rapport à la délinquance des mineurs est de 80 %, ce qui est très élevé. Toutefois, le développement des alternatives aux poursuites - admonestations, convocation des parents... - qui sont du ressort du parquet, a un effet pervers, celui de différer la rencontre avec le juge pour enfants qui ne sera sollicité que lorsque les délits auront atteint une certaine gravité.
    A entendre les conclusions de la commission d'enquête du Sénat il faut développer la justice de réparation, la réparation étant « la mesure la plus pédagogique à l'égard d'un mineur. Il s'agit aussi d'une mesure visible et compréhensible par la victime et la société. Il apparaît donc indispensable que la France se dote à grande échelle de maisons de réparation ». Pourquoi ne pas être engagé dans cette logique ?
    Dans cette assemblée même, M. Leonetti avait conduit un travail riche et intéressant. Il avait même déposé une proposition de loi qui visait à instaurer un conseil de la réparation. Si nous ne l'avions pas votée à l'époque, chacun s'était accordé pour dire que c'était dans ce sens qu'il fallait effectivement aller. En effet, la présence d'un conseil de la réparation dans chaque ville, présidé par un magistrat et associant des éducateurs, des enseignants, des personnalités qualifiées, aurait permis de mettre en place une justice de réparation à grande échelle que la justice, dans son organisation actuelle, ne peut pas assumer.
    M. Michel Hunault et M. Bernard Schreiner. Il fallait le faire !
    M. Julien Dray. Un tel conseil aurait par ailleurs pu être présidé par un juge pour enfants pour le cas où l'auteur du délit aurait été un mineur. Cela aurait permis de garantir l'unité de la justice pour mineurs que la création de la justice de proximité telle que vous l'envisagez met à mal.
    Au lieu de cela, vous mettez en place une structure contestable et qui ne sert même pas à la mise en place d'une justice de réparation de masse. Vous aurez beau inscrire dans le code pénal ou dans n'importe quelle annexe de n'importe quel projet de loi que la réparation est une notion importante, cela ne sera d'aucune prise sur la réalité des phénomènes délinquants. En effet, la question posée n'est pas de faire figurer de bons principes sur le papier mais de mettre en place les structures permettant de rendre effective et lisible cette justice de réparation. Or, tel n'est pas le cas dans votre texte.
    En ne vous dotant, à travers ce projet de loi, ni d'une véritable échelle de sanctions ni d'une justice de réparation massive, vous ne répondez pas au problème posé : comment casse-t-on le parcours délinquant dans lequel des jeunes se sont engagés ?
    Vous proposez, certes, dans votre texte des durcissements de la législation mais ces durcissements, fruits d'une analyse erronée de la nature de la délinquance des mineurs, seront sans portée pratique. Sans valeur pédagogique aux yeux des mineurs concernés, ils risquent malheureusement d'empirer le mal et donc de ne pas briser l'enfermement dans la délinquance.
    Ainsi, dans les articles 9, 10 et 11, vous instaurez des sanctions éducatives pour les mineurs de dix à treize ans. Néanmoins, un problème apparaît immédiatement. En fait de mesures éducatives, il s'agit de permettre la confiscation de l'objet ayant servi à la commission de l'infraction, l'interdiction de paraître dans certains lieux, l'interdiction de rentrer en relation avec la victime et l'obligation d'accomplir un stage de formation civique. Le dernier point excepté, vous conviendrez, monsieur le garde des sceaux, que le terme de « sanction éducative » est ici quelque peu galvaudé, d'autant que ces mesures renvoient, pour l'essentiel, aux mesures de sûreté prévues pour les majeurs par le code de procédure pénale.
    On pourrait vous faire remarquer d'ailleurs qu'avec ces nouvelles sanctions vous avez déjà fait un pas vers la pénalisation des mineurs de dix à treize ans.
    Si votre intention était véritablement de construire une justice de réparation et de garder le caractère éducatif des sanctions pour mineurs, vous auriez, là encore, gagné à prendre sérieusement en compte les fruits des travaux parlementaires antérieurs. Ainsi, depuis la loi du 10 juin 1983, les mineurs de seize à dix-huit ans peuvent être condamnés à des travaux d'intérêts généraux.
    M. Patrick Labaune. Cela n'a servi à rien ! C'est du baratin !
    M. Julien Dray. La valeur reconnue par tous de ce dispositif méritait qu'il soit renforcé, puisque chacun s'accorde à dire qu'il est insuffisamment utilisé. En effet, en 2000, 2 554 mesures de TIG ont été prononcées pour les mineurs alors que, dans le même temps, 10 402 condamnations à des peines de prison avec sursis étaient décidées. La valeur de ce dispositif commanderait plutôt de l'amplifier et de s'appuyer sur ce modèle pour mettre en place des travaux d'intérêt éducatif pour les jeunes de treize à seize ans.
    Au lieu de s'orienter dans cette voie, l'article 13 de votre projet ouvre la porte, en matière correctionnelle, à la détention provisoire des mineurs entre treize et seize ans. Or, d'ores et déjà, 80 % de mineurs détenus sont des prévenus. Cela va donc augmenter le nombre de mineurs en détention provisoire.
    Cette mesure, malgré les verrous prévus, présente un risque manifeste de fuite en avant, car la solution de facilité consistera bien souvent, pour l'institution judiciaire, à placer le jeune en détention provisoire plutôt que de rechercher des mesures alternatives à l'enfermement.
    C'est d'ailleurs la droite qui, sur la base de ce constat avait, à travers le loi Chalandon du 30 décembre 1987...
    M. Claude Goasguen. Une bonne loi !
    M. Julien Dray. ... interdit la détention provisoire des mineurs de moins de seize ans en matière correctionnelle. Personne ici n'osera dire que la majorité parlementaire de l'époque versait dans un quelconque angélisme.
    M. Patrick Labaune. La délinquance était différente !
    M. Julien Dray. Elle avait seulement été amenée à tirer d'un bilan lucide la conclusion que nous devions à tout prix limiter le recours à la détention provisoire pour les mineurs.
    Le placement accru en détention provisoire des mineurs pose plusieurs problèmes.
    D'abord, ne nous voilons pas la face : la peine prononcée à l'encontre du mineur servira souvent à couvrir la durée passée en détention provisoire. Cette réalité existe aussi chez les adultes, mais elle est particulièrement grave chez un mineur pour lequel le contact avec l'institution judiciaire n'aura eu alors aucune valeur pédagogique. Imaginez ainsi ce qui peut se passer dans la tête d'un mineur placé en détention provisoire pendant deux mois, sans savoir combien de temps il va y rester, puis jugé et condamné à deux mois de prison. N'aura-t-il pas alors le sentiment que ce n'est pas sa faute qui a été jugée, mais qu'il est simplement la victime d'une machine administrative ?
    Ensuite, l'augmentation des possibilités de placement en détention provisoire nous confronte à la réalité de l'univers carcéral dont on connaît le caractère criminogène, particulièrement pour les mineurs.
    Enfin, je me permets de soumettre à votre attention une réalité peu glorieuse. Ainsi, les mineurs détenus reçoivent en moyenne entre dix et douze heures d'enseignement hebdomadaire. Conçoit-on alors, sans autre forme de procès, d'augmenter fortement le nombre de mineurs placés en détention provisoire au regard de cette réalité, d'autant que cette augmentation concernera des mineurs qui sont tous soumis à l'obligation scolaire ?
    Avant d'aborder la question des centres fermés, je voudrais revenir sur les dispositifs d'éloignement qui sont évoqués dans votre texte.
    Pour évaluer ces dispositions, il nous faut partir du bilan de l'expérience des cinq dernières années.
    M. Patrick Labaune. C'est plutôt un dépôt de bilan !
    M. Julien Dray. C'est en effet dans cette période qu'ont été mis en place, à grande échelle, des centres de placement, ce qui a contribué à donner à la justice des mineurs des outils dont elle manquait cruellement et permis de casser - bien que très insuffisamment - l'alternative entre impunité et enfermement.
    Ainsi, quarante-trois centres de placement immédiat et cinquante et un centres d'éducation renforcée ont été créés, alors que M. Toubon, lui, n'avait créé qu'une seule unité d'éducation renforcée.
    Quel bilan pouvons-nous aujourd'hui en tirer ? Il y a une réussite manifeste des centres d'éducation renforcée qui, grâce à des séjours suffisamment longs, à la qualité des activités proposées et à la compétence de l'encadrement, assurent un taux de récidive très faible, moins de 20 %, chiffre à comparer avec les 80 % de récidive des jeunes sortant de prison.
    M. Gérard Léonard. Reconnaissance tardive ! Vous les aviez combattus à l'époque !
    M. Julien Dray. Les centres d'éducation renforcée contribuent donc à l'aspect essentiel de la lutte contre la délinquance que représente la rupture avec le comportement délinquant. Dans la continuité de l'action entreprise par l'ancienne majorité, vous prenez d'ailleurs l'engagement, dans votre projet de loi, d'augmenter le nombre de places en centres d'éducation renforcée. Cette mesure, réclamée avec insistance par les juges pour enfants, est bienvenue puisqu'elle permettra de généraliser une structure qui a prouvé son efficacité. En revanche, je m'étonne de votre silence sur les centres de placement immédiat. Ceux-ci ont pourtant toute leur place dans le panel des réponses dont dispose la justice pour enfants. Par l'établissement d'un bilan complet des jeunes qui y sont placés et par la réorientation des jeunes vers d'autres structures ou le prononcé de suivis spécifiques adossés à ce bilan, les centres de placement immédiat remplissent une mission appréciable. Toutefois, des problèmes de fonctionnement sont apparus à l'expérience. Nous les avions pointés.
    Ainsi, les centres de placement immédiat, en étant situés à proximité des lieux d'habitation des jeunes qui y sont placés, sont confrontés au problème suivant : en raison de l'absence d'un véritable règlement intérieur et de l'insuffisance des activités obligatoires qui y sont proposées, les mineurs n'hésitent pas à retourner, en pleine journée, dans leur quartier, venant en quelque sorte parader au vu et au su de leurs victimes en ayant l'impression qu'ils sont plus forts que la société.
    Nous pouvons facilement imaginer, par la suite, non seulement l'effet produit sur le quartier - qui voit revenir régulièrement ceux dont on leur avait dit qu'ils étaient soumis à une mesure d'éloignement - mais également les difficultés que cela engendre pour les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, confrontés à des mineurs persuadés que l'autorité de ces éducateurs est, de fait, inexistante.
    Il s'est ainsi produit une confusion que vous avez entretenue à dessein en évoquant en permanence le taux de fugue dans ces centres d'éducation renforcée. Mais celui-ci reste inférieur à 4 %. Alors pourquoi créer des centres d'éducation renforcée fermés qui correspondent, selon vos dires, à la nécessité de mettre un terme à ces fugues alors que telle n'est pas la réalité des centres d'éducation renforcée ? En revanche il y a effectivement un problème pour les centres de placement immédiat. Là, il y avait nécessité d'apporter des réponses, comme celle que nous avançons, en termes de règlement intérieur ou d'activités obligatoires, mais ce n'est pas ce que vous faites. Vous mettez en avant les centres d'éducation renforcée fermés pour faire croire que vous répondez à cette situation alors que vous ne créez pas les conditions d'une meilleure efficacité des centres de placement immédiat.
    Je pense que l'instauration de telles dispositions concernant les centres de placement immédiat aurait été plus utile que la mise en place de centres éducatifs fermés. Mais vous préférez céder à une mode qui consiste à voir dans les solutions d'enfermement une réponse adaptée à la délinquance des mineurs ; mais, fort heureusement d'ailleurs, cette mode n'a pas franchi la barrière sémantique, comme l'ont fait remarquer à juste titre le Conseil d'Etat et la commission nationale consultative des droits de l'homme.
    En effet, en quoi ces centres seront-ils fermés ? Parce qu'il y aura un règlement intérieur et des activités obligatoires ? Mais alors, quelle différence avec les centres d'éducation renforcée dont les sénateurs ont noté, avec insistance, l'utilité ? Au demeurant, plus le débat avançait au Sénat, plus il est apparu que cette notion de centre fermé était vide de sens.
    Vous avez alors avancé le prétexte des fugues auquel j'ai répondu. Pourtant, et je vous l'ai dit, ce sont principalement les centres de placement immédiat qui sont confrontés à ce problème des fugues.
    Plutôt que de créer des centres fermés qui resteront ouverts, le Gouvernement aurait fait oeuvre plus utile en se concentrant sur une structure qui intervient en amont de la chaîne pénale, à savoir les classes-relais qu'il faudrait maintenant transformer en véritables internats éducatifs comme nous avions commencé à le faire en concevant des séjours plus longs. Ces classes-relais ont d'ores et déjà montré toute leur utilité en permettant à des jeunes de quitter un milieu qui risquait de les amener sur la voie de la délinquance. Ces classes-relais, ces internats peuvent donc jouer un rôle utile en évitant, par une attention précoce portée aux jeunes concernés, qu'ils ne s'engagent dans un parcours délinquant.
    Plutôt que de se lancer dans des constructions de nouveaux centres au statut mal défini, le Gouvernement aurait pu annoncer la hausse du nombre des classes-relais. Il aurait même pu y trouver un élément de satisfaction sur le plan financier, puisque le coût journalier d'un jeune est de seulement 30 euros dans une classe-relais contre 300 euros dans un centre d'éloignement. Là encore, vous avez préféré ignorer ces dispositifs.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux ! Complètement faux !
    M. Julien Dray. En donnant ou en répondant à ces situations, vous auriez sans doute montré que vous aviez une compréhension de la réalité du parcours délinquant. Au contraire, vous êtes resté enfermé dans une logique sur laquelle beaucoup de pays, à l'expérience, sont revenus, je pense notamment à l'Angleterre. Même si cette logique reste sous-jacente dans votre texte, elle existe bel et bien et se borne à considérer que le traitement de la délinquance des mineurs passera en grande partie par un recours accru à des solutions d'enfermement.
    En conclusion (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), je vous exprimerai mon regret de vous voir rater une double occasion.
    La première est celle du consensus qui se serait dégagé sur votre projet de loi si vous vous étiez limité à l'annonce de moyens supplémentaires accordés à la justice. Mais vous avez voulu placer dans le train des crédits supplémentaires beaucoup trop de passagers clandestins.
    La deuxième occasion est celle de l'ouverture d'une véritable et profonde réflexion sur notre justice, appuyée sur le travail que nous avons effectué et qui avait permis d'apporter des réponse jugées aujourd'hui positives. Nous aurions pu les amplifier et créer les conditions d'un nouvel élan pour apporter des solutions encore plus efficaces à la justice pour les mineurs.
    Malheureusement, vous avez tourné le dos à ces propositions. Vous vous êtes engagés dans une logique purement et essentiellement idéologique à vocation d'affichage afin de donner le sentiment, en cet été, que vous agissez.
    Mais les actions que vous proposez ne sont en rien une solution et c'est pour cela que nous vous proposons de voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je me bornerai à formuler quatre remarques.
    Pour la première, qui concerne les travaux préparatoires, je donne bien volontiers acte à M. Ayrault, du fait que le groupe socialiste a procédé à de très larges, très longues et très intéressantes consultations. Je considère donc que la polémique engagée à ce sujet est close et qu'on ne peut plus faire de reproches sur la rapidité de la procédure puisque le groupe socialiste a eu le temps de faire de longues et larges consultations. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    J'indique aussi à M. Ayrault que si je respecte le travail du groupe socialiste, je regrette qu'il n'ait pas souhaité participer à celui de la commisssion des lois.
    M. Claude Goasguen. En effet ! Quel mépris pour le Parlement !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La commission des lois et des services ont pourtant organisé des auditions comme cela a toujours été fait, sous toutes les législatures. Elles ont permis à chacun de s'exprimer.
    M. Julien Dray. Vingt minutes !
    M. Richard Cazenave. On se souvient comment c'était de votre temps !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Il est une valeur que nous souhaiterions plus présente dans notre pays et dans l'hémicycle, celle de respect. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous avons donc procédé à ces auditions, comme la tradition le veut, et chacun a pu s'exprimer. De nombreuses organisations ont d'ailleurs ajouté des contributions écrites. S'il y a eu trois auditions de vingt minutes, c'est parce que les syndicats catégoriels Force ouvrière de l'administration pénitentiaire n'ont pas souhaité être entendus ensemble. Nous les avons donc reçus l'un après l'autre. Les autres auditions ont une durée conforme aux durées habituelles sous toutes les législatures.
    Vous n'avez pas voulu y participer. Dans ces conditions, il vous est difficile de les critiquer. Pour cela, il aurait mieux valu y participer. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Deuxième remarque : j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de M. Dray. L'argument qui revenait comme un leitmotiv était que le projet de loi prône le tout carcéral pour les mineurs. Vraiment, monsieur Dray, nous n'avons pas lu le même projet de loi. Il prévoit de créer 1 200 éducateurs en cinq ans, ce qui correspond exactement à ce qu'a fait la majorité précédente. Je ne vois pas pourquoi on nous accuse d'être pour le tout répressif alors que le projet prévoit pour les cinq prochaines années des moyens identiques à ceux déployés ces cinq dernières années.
    M. Julien Dray. Ils n'étaient pas destinés à des centres d'éducation fermés !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L'analyse que nous faisons de la situation est la suivante : il y a aujourd'hui une insuffisante gradation des mesures prévues pour les mineurs. Nous avons les mesures éducatives, les placements en centre de placement immédiat et les placements en centre éducatif renforcé. Et, entre le centre éducatif renforcé et la prison, il n'y a rien.
    Pour avoir moins recours à l'enfermement, nous souhaitons créer un maillon supplémentaire avant la prison. C'est le centre éducatif fermé. Comme je l'ai dit tout à l'heure avec beaucoup d'humilité, nous ne pensons pas que ce sera la solution pour tous les multirécidivistes, mais ce pourra l'être chaque année pour quelques dizaines, voire quelques centaines de jeunes à qui nous donnerons une deuxième chance.
    Troisième remarque : vous avez parlé de la prison. Pour avoir fait partie, moi aussi, de la commission d'enquête parlementaire sur les prisons, je puis vous dire que ce projet de loi contient plusieurs avancées souhaitées sur tous les bancs de l'Assemblée nationale.
    La plus importante concerne les mineurs. C'est la première fois qu'un ministre de la justice annonce devant l'Assemblée nationale un plan de création de petites structures pénitentiaires réservées aux mineurs. Le risque qui existe dans l'ensemble de nos prisons de « contamination » de mineurs à certains moments de la journée, par des majeurs n'existera pas. Qui plus est, le ministre de la justice vient de nous expliquer que, dans ces établissements pour mineurs, les jeunes seront soumis à un régime de détention différent de celui qui existe actuellement et qu'il y aura des éducateurs.
    Dans le cadre des travaux de la commission d'enquête parlementaire je suis allé, - et je m'en souviendrai toute ma vie - visiter une prison. C'était en fin de matinée. Alors que le directeur de la prison et moi-même parcourions un couloir, je lui ai demandé de me faire visiter une cellule. Il a ouvert une porte et j'ai alors vu six mineurs qui, à onze heures trente du matin, étaient étendus, en train de regarder la télévision.
    Pour éviter des périodes de détention qui ne servent à rien sur le plan de la réinsertion, il n'y a pas d'autre solution que la séparation des mineurs d'avec les majeurs et un travail éducatif. C'est dans cette voie que nous nous engageons.
    Quatrième et dernière remarque : l'expression de « juge à la bonne franquette » que je viens d'entendre m'a extrêmement choqué. Je vous le répète, il existe en France un grand nombre de juridictions qui ont recours à certains de nos concitoyens pour rendre la justice.
    Premier exemple : le tribunal pour enfants qui juge la délinquance des mineurs, mes chers collègues, est constitué d'un juge professionnel et de deux assesseurs qui sont de simples citoyens.
    M. Julien Dray. Ce ne sont que des assesseurs.
    M. René Dosière. Je l'ai été !
    M. André Vallini. Cela n'a rien à voir.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le juge professionnel est minoritaire. Il est assité de deux assesseurs choisis pour l'intérêt qu'ils portent aux problèmes de l'enfance. Voilà une juridiction qui fonctionne.
    Deuxième exemple, les conseils des prud'hommes sont entièrement formés d'élus des salariés et d'élus des employeurs, donc de citoyens qui manifestent un intérêt pour la justice et qui la rendent.
    M. André Vallini. Cela n'a rien à voir.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Voilà deux exemples qui fonctionnent dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Qualifier ces nouveaux juges, alors que l'on s'entoure de toutes les précautions et qu'il est prévu qu'une loi organique définisse précisément les conditions de leur recrutement et de leur formation, de « juges à la bonne franquette » relève véritablement, je suis désolé de le dire, du procès d'intention.
    Pour le reste, mes chers collègues, nous n'avons pas entendu beaucoup d'arguments nouveaux. Le temps est venu maintenant d'entrer dans le vif du débat. Pour cela, je vous propose, bien évidemment, de rejeter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aux termes du règlement de l'Assemblée nationale, quand on pose une question préalable, c'est pour demander à l'assemblée de statuer sur la question fondamentale suivante : « Y a-t-il lieu à délibérer sur le sujet ? » A cette question vous avez répondu, monsieur Dray, par la négative. En ce qui me concerne, j'aurais tendance, sans forcer la réalité, à considérer que les Français y ont déjà répondu, ce qui rendrait presque inutile le vote sur cette question. Il apparaît, en effet, de manière aveuglante, et vous le savez bien d'ailleurs, que le débat sur la justice et sur la sécurité a été véritablement au centre de la campagne électorale présidentielle et législative.
    Contrairement à vous, j'affirme donc que c'est bien le moment de délibérer sur la question. Je me fie en cela à ce qui a été la préoccupation majeure dans la campagne électorale et à ce qui a conduit à la victoire de la droite et du centre.
    Le temps de l'action est en effet venu. Or, sur le sujet de la délinquance, vous n'avez réussi à faire que des rapports, des tables rondes, des lois non appliquées. Ce temps-là est fini ! Il faut maintenant délibérer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Vous avez l'air de considérer que nous ne sommes pas mûrs et pas suffisamment informés pour parler ce soir des problèmes de délinquance des mineurs...
    M. Julien Dray. Dans le XVIe arrondissement, il ne doit pas y en avoir beaucoup !
    M. Claude Goasguen. ... et de procédure. Mais cela fait dix ans, en réalité, que le problème sur la délinquance des mineurs est posé aux gouvernements successifs de droite et de gauche. Cela fait dix ans que des propositions de loi s'accumulent, que des amendements sont proposés, que des lois comme celle sur la présomption d'innocence sont votées. Pendant cinq ans, nous avons parlé sans arrêt de ce sujet. Nous n'avons fait d'ailleurs qu'en parler et rédiger des rapports des débats que nous avons eus. Et brusquement, après les élections présidentielles et législatives, nous ne serions pas suffisamment informés, comme si, pendant ce temps, il y avait eu une parenthèse, entraînant une amnésie !
    Mes chers collègues, tout cela n'est pas sérieux ! Vous savez très bien que, si l'on réunissait tous les papiers qui ont été publiés sur le sujet,...
    M. Arnaud Montebourg. Surtout vos paroles !
    M. Claude Goasguen. ... il y aurait de quoi remplir la bibliothèque du Parlement Par conséquent, nous sommes en mesure de délibérer.
    D'ailleurs, les auditions qui ont été menées par la commission des lois, auxquelles vous n'avez pas assisté pour des raisons fallacieuses que vous avez invoquées tout à l'heure, n'ont fait que confirmer les positions des uns et des autres. Car il n'y a pas une association de magistrats, de juges, d'avocats ou de parents qui n'ait son opinion faite...
    M. André Vallini. Contre votre texte !
    M. Claude Goasguen. ... sur la question de la délinquance et de la procédure.
    Nous sommes vraiment en état de délibérer : non seulement nous sommes en mesure de le faire, mais les Français nous le demandent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
Et ils nous le demandent parce que vous n'avez rien fait dans ce domaine ! (« C'est vrai ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Le discours de M. Vallini et celui de M. Dray m'ont d'ailleurs confirmé dans l'idée que nous avons depuis plusieurs années : vous êtes en réalité profondément divisés sur les questions de sécurité et de délinquance. (« C'est vrai ! » sur les mêmes bancs.)
    M. Vallini nous a tenu le discours classique de l'opposition que nous avions déjà entendu sur la sécurité et qui semble désormais être le discours majoritaire de ceux qui n'ont rien compris de la campagne électorale.
    Le discours de M. Dray était un peu différent mais il est vrai que nous avons quelque estime pour M. Dray (« C'est vrai ! » sur les mêmes bancs.) parce qu'il a eu le courage l'an dernier de poser quelques questions fondamentales.
    Entre les deux discours, il y a ceux qui nous disent : « vous n'avez rien compris » - alors qu'en réalité, ce sont eux qui n'ont rien compris - et ceux qui, par solidarité, sont contraints de suivre ce discours absurde mais qui, en réalité, peuvent sur un certain nombre de sujets aborder le dialogue en d'autres termes.
    Ces discours contenaient des éléments positifs et vous le savez bien parce que, chez vous, la question est posée, et est centrale.
    Vous êtes au début de votre temps d'opposition. Nous l'avons vécu pendant cinq ans. Croyez-moi, vous avez le temps de réfléchir. Nous vous y aiderons mais pas par des rapports parce que nous, nous allons agir.
    Qu'avez-vous fait sur l'ordonnance de 1945 ?
    M. Jean-Marc Nudant. Rien !
    M. Claude Goasguen. Vous vous êtes enfermés dans le conservatisme car, en réalité, ce qui a caractérisé votre politique pendant cinq ans, c'est-à-dire la politique de la France, c'est le conservatisme le plus consternant !
    Vous n'avez pas voulu choquer les juges des enfants et ceux-ci ont interprété l'ordonnance de 1945 comme ils le souhaitaient. Vous n'avez pas voulu leur rappeler qu'il fallait unifier la jurisprudence. Je peux citer certaines de vos déclarations. Je le ferai tout à l'heure dans le débat général.
    Mais vous saviez très bien que l'ordonnance de 1945 basculait du côté de la prévention, en oubliant celui de la sanction.
    M. Jean-Jack Queyranne. Caricature !
    M. Claude Goasguen. Vous l'avez d'ailleurs reconnu à plusieurs reprises dans les débats précédents. Mais vous ne vouliez pas gêner les associations de la protection de la jeunesse dont, par ailleurs, la Cour des comptes dénonçait l'impéritie. Vous ne vouliez pas vexer les juges des enfants. Vous ne vouliez rien faire pour ne pas bousculer le conservatisme ambiant.
    Entre la première et la deuxième lecture de la loi sur la présomption d'innocence, il n'y a pas eu qu'une différence quantitative mais bien une différence qualitative. De la présomption d'innocence, vous vouliez bien parler, mais, l'appliquer, c'était tout autre chose !
    Vous nous dites que nous sommes en pleine contradiction mais vous ne pouvez pas nous accuser à la fois d'être sécuritaires et d'avoir poussé vers le libéralisme un certain nombre de dispositions de la loi sur la présomption d'innocence.
    Nous ne renions rien. Nous vous avons poussés à faire une loi que vous ne vouliez pas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Voilà la vérité ! D'ailleurs, vous ne la vouliez tellement pas que vous ne l'avez pas appliquée et que les premières mesures que vous avez prises ont été de la réviser en prenant des dispositions qui n'honorent pas votre morale ni les droits de l'homme. Nous y reviendrons tout à l'heure.
    En matière de sécurité, comme vous ne savez pas de quoi vous parlez, vous avez été comme le hanneton dans la bouteille.
    M. Arnaud Montebourg. Le masque du cynique tombe !
    M. Claude Goasguen. Vous avez voté le témoin sous X ! Qu'est-ce donc sinon une atteinte terrible aux droits de l'homme et à la procédure pénale ? C'est vous qui l'avez proposé et c'est vous qui nous accusez maintenant d'être contre les droits de l'homme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean Marsaudon. Ça fait mal, hein !
    M. Claude Goasguen. Enfin, mes chers collègues, il vous fallait poser la question préalable. Elle signifie en effet pour vous : « Il n'y a pas à délibérer, parce que nous n'avons rien à dire. »
    Eh bien, si vous ne voulez pas délibérer, nous, nous avons à parler et à agir. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre votre question préalable. Les Français ont besoin d'une politique de sécurité et d'une justice qui fonctionnent pour agir et non pas pour faire des rapports. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Julien Dray. M. Goasguen était meilleur doyen que député !
    M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe UDF.
    M. Pierre Albertini. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons d'un sujet sérieux et important. Au-delà de la polémique ou de la recherche des responsabilités respectives des uns et des autres, il faut d'abord constater que nous sommes, depuis dix ans en matière de délinquance des mineurs, dans une situation d'échec collectif. Je le dis à mes amis de droite comme à ceux qui ont exercé le pouvoir ces cinq dernières années. Nous sommes confrontés à un problème d'importance majeure, qui touche d'ailleurs à la cohésion nationale et à l'unité de notre pays et nous avons assez largement, les uns et les autres, échoué.
    Plus que de savoir qui est responsable de l'aggravation de telle ou telle situation, ce qui nous importe, maintenant, après plusieurs campagnes successives, c'est de nous donner les moyens de remédier enfin à une situation qui n'est pas une fatalité.
    La délinquance des mineurs a toujours existé dans notre société, mais elle a atteint des paroxysmes au cours de la dernière centaine d'années.
    Extrêmement forte à la fin du xixe siècle et au début du xxe, elle a été dénoncée très fermememnt au moment des débats sur la loi de 1901 sur la liberté d'association. Mais, de 1914 aux années 1970, elle a été très largement contenue.
    Il n'y a donc pas de fatalité et l'on ne doit pas se résigner devant l'explosion de celle-ci depuis quelques années.
     En dépit de son talent et de son sens de la formule, Julien Dray ne nous a pas convaincus que l'on devait adopter sa question préalable. Il a d'ailleurs fait une analyse assez sélective du contenu du projet de loi.
    D'abord, il nous a invités à reconnaître qu'en ce qui concerne la programmation des moyens, il y avait une certaine urgence à délibérer. J'en prends acte très volontiers et ce, malgré les efforts qui ont été accomplis par les gouvernements précédents de 1998 à 2001. Il est vrai que ces progrès ont été tardifs et qu'ils ont été loin du compte. La justice, en France, n'a jamais été jusqu'à présent reconnue comme une véritable priorité de l'action publique.
    M. Jean-Marc Nudant. En effet !
    M. Jacques Myard. Ça change !
    M. Pierre Albertini. Il est urgent de donner de nouveaux moyens à la justice et, sur ce point, M. Dray s'est déclaré prêt à soutenir M. le garde des sceaux.
    Il a axé sa démonstration sur deux aspects : d'une part, la vitesse et la précipitation avec lesquelles, selon lui, le projet de loi est débattu, et, d'autre part, la réforme du droit pénal des mineurs.
    Je répondrai d'abord sur la précipitation. Mes chers collègues, je participe aux débats sur la justice depuis cinq ans dans cette assemblée. Ce ne sont pas des sujets nouveaux. Nous les avons périodiquement versés à notre discussion collective. Chacun recherche une forme de solution. La pire des choses est la démagogie ou l'imposture idéologique ou dogmatique car, quelle que soit notre appartenance politique, nous avons une responsabilité devant le pays et les électeurs qui nous ont choisis.
    Or, la délinquance des mineurs porte atteinte à la cohésion nationale. Pourquoi ? Parce qu'elle touche prioritairement les plus démunis d'entre nous. Elle concerne d'abord les jeunes. N'oubliez pas que la délinquance des mineurs a d'abord pour victimes les mineurs eux-mêmes, ceux qui fréquentent les collègues ou les lycées. Elle frappe, ensuite, les personnes les plus âgées, les plus fragilisées, celles dont l'autonomie est la plus limitée. Elle s'exerce enfin contre les familles les plus modestes de nos quartiers difficiles.
    Pour être le maire d'une ville qui compte 20 % de sa population dans des quartiers dits sensibles - façon agréable de désigner des quartiers où la situation est très difficile, pour ne pas dire problématique - je peux vous dire que c'est là où la délinquance des mineurs est ressentie en premier.
    Dans ces conditions, dire qu'il n'y a pas lieu à délibérer, est une vaste plaisanterie !
    L'ordonnance de 1945 sur les mineurs a été modifiée déjà une dizaine de fois. Quant à la réforme de la procédure pénale, on compte au moins une vingtaine de retouches successives dont la plus importante a été la loi du 15 juin 2000, à l'élaboration de laquelle j'ai d'ailleurs participé. Je ne renie rien de ce que j'ai dit sur le sujet car, entre l'efficacité de la répression nécessaire et le respect des droits de la défense qui n'était pas assuré dans notre pays, il y a un équilibre à trouver. Nous sommes encore assez loin du compte, je vous l'accorde.
    Ce n'est pas en durcissant l'arsenal répressif qu'on obtient nécessairement les meilleurs résultats en matière de lutte contre la délinquance, sous tous ses aspects. Si c'était le cas, nous le saurions depuis fort longtemps. Or nous avons constaté que c'était l'inverse qui se produisait et ce seul constat devrait nous inciter, mes chers collègues, à une forme d'humilité.
    Enfin, j'ai retenu de la démonstration de Julien Dray, la nécessité d'une mobilisation générale et la constitution d'une chaîne « police - justice - protection judiciaire de la jeunesse - éducation nationale - services sociaux, collectivités locales. La volonté politique d'une telle mobilisation doit s'affirmer. C'est l'occasion d'en parler tout en sachant que les résultats seront beaucoup plus difficiles à obtenir.
    M. Dray a regretté que l'on n'apporte pas un traitement plus rapide au premier acte de la délinquance et que l'échelle des sanctions ne soit pas plus diversifiée. Ce sont autant de raisons pour nous interroger sur la meilleure façon de traiter le sujet.
    J'ouvre une parenthèse. M. Dray a mentionné les centres de placement immédiat. Il aurait dû le faire avec davantage de nuance. En effet, le bilan de ces centres décidés, en 1998-1999, après le Conseil de sécurité intérieure est plutôt mitigé. Un rapport remis en janvier 2002 au garde des sceaux révèle un fonctionnement assez ambigu : ces centres sont souvent utilisés par les magistrats pour se défaire de situations ingérables.
    Ce sont donc des remèdes tout à fait passagers. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Nous avons tout intérêt à expérimenter des solutions pour résoudre un problème qui concerne les fondements même de notre société : l'autorité parentale au premier chef, mais aussi l'autorité de l'éducation nationale et sa capacité à être un véritable vecteur d'intégration et de promotion dans la société.
    Bref, abordons ce débat tranquillement, posément, sereinement, ce qui est tout à fait conforme à l'oeuvre de justice. Nous rejetterons donc la question préalable défendue par M. Dray. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Je suis totalement d'accord avec M. Albertini lorsqu'il réclame un débat serein sur un sujet de cette importance. Il faut permettre à chacun de s'exprimer, éviter les simplismes de la démagogie, admettre avec objectivité l'échec collectif auquel nous sommes confrontés et étudier ce que nous devrions faire pour y remédier. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Christian Estrosi. C'est votre échec !
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Assumez !
    Mme Elisabeth Guigou. J'ai également noté certaines différences entre les propos de M. Albertini et d'autres entendus précédemment. Alors que M. Goasguen croyait sentir des divergences au sein du groupe socialiste (Rires et exclamations sur les mêmes bancs)...
    M. Claude Goasguen. Non, il n'y en a pas du tout !
    Mme Elisabeth Guigou. ... je vois, au sein de la majorité de l'Assemblée nationale, non des nuances, mais bien des fossés. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Claude Goasguen. Pour l'instant, c'est vous qui y êtes, dans le fossé !
    Mme Elisabeth Guigou. En effet, il n'y a rien de commun entre la position que vient de défendre M. Albertini et certains propos que nous avons entendus tout à l'heure.
    M. Richard Cazenave Hors sujet !
    Mme Elisabeth Guigou. D'ailleurs, lors du débat sur la loi du 15 juin 2000, qui, je le rappelle, a duré quatorze mois, nous avions déjà perçu ces différences.
    Si nous avons opposé cette question préalable ce soir, ce n'est évidemment pas parce que nous considérerions qu'il ne faudrait pas délibérer de cette importante question de la sécurité collective. En effet, nous avons tous beaucoup travaillé sur ce sujet majeur, avec certes des optiques différentes et des résultats également différents.
    M. Gérard Léonard. Ça, c'est sûr !
    Mme Elisabeth Guigou. Nous avons présenté cette notion de procédure parce que nous considérons que soumettre au Parlement, en urgence, en deux jours, au creux de l'été, un texte qui affiche une telle ambition sur un sujet dont tout le monde a reconnu l'importance, est inacceptable.
    M. Claude Goasguen. M. le garde des sceaux aurait dû faire faire un rapport !
    Mme Elisabeth Guigou. Votre texte, monsieur le garde des sceaux, aborde à peu près tous les sujets. Je dis « à peu près », parce qu'il en oublie tout de même quelques-uns qui me paraissent pourtant dignes d'intérêt, comme la réforme des tribunaux de commerce, pourtant prête - n'est-ce-pas ? -, ou la réforme de la carte judiciaire dont on sait à quel point elle sera déterminante pour l'affectation des moyens de la justice. Mais passons sur ce que vous avez laissé de côté et voyons ce que vous proposez.
    Vous avez déclaré que vous présentiez ce texte en urgence parce qu'il était urgent d'augmenter les moyens de la justice. Nous pourrions admettre ce point de vue si vous aviez également déposé un collectif budgétaire pour accroître ses dotations par rapport à celles que nous avions inscrites. Mais il se trouve que vous annoncez simplement la reconduction de ce que nous avons déjà fait. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Mais si ! Vous ne partez pas de rien et vous n'annoncez rien de plus que ce que nous avions prévu ! Puisque vous le contestez, je vais vous rappeler quelques chiffres que je viens de vérifier avec Marylise Lebranchu qui m'a succédé à ce poste durant la précédente législature. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Chers collègues, laissez terminer Mme Guigou !
    Mme Elisabeth Guigou. En ce qui concerne d'abord la protection judiciaire de la jeunesse, je me souviens très bien que, lorsque je suis arrivée à la chancellerie en 1997, M. Toubon avait prévu la création de trente postes d'éducateur alors que, pendant les années précédentes, on avait arrêté les recrutements, comme on avait d'ailleurs stoppé le recrutement de greffiers. Ainsi, l'école nationale des greffes avait été fermée en 1996 et 1997 parce qu'il n'y avait aucun greffier à former.
    M. Gérard Léonard. Vous avez supprimé les UER !
    M. Richard Cazenave. Il y avait un héritage financier socialiste très lourd !
    Mme Elisabeth Guigou. Dès 1998, nous avons porté à 100 le nombre de postes.
    M. Christian Estrosi. Pour quels résultats ?
    Mme Elisabeth Guigou. Ensuite, à l'issue d'un conseil de sécurité intérieure au cours duquel nous avons décidé de donner un coup d'accélérateur à la lutte contre la délinquance des mineurs, le Premier ministre Lionel Jospin a décidé de créer 1 000 postes sur trois ans pour la protection judiciaire de la jeunesses,...
    M. Christian Estrosi. Quelle erreur !
    Mme Elisabeth Guigou. ... c'est-à-dire 350 postes par an, ce qui a été fait. J'observe donc que votre proposition de créer 1 250 postes en cinq ans marque plutôt une tendance à ralentir le rythme. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Cela représentera en effet 250 postes par an alors que nous avons tenu un rythme de 300 à 350 postes par an.
    M. Serge Poignant. Quelle mauvaise foi !
    Mme Elisabeth Guigou. Pour ce qui est des centres éducatifs renforcés, évoqués par M. Warsmann et M. Léonard, je rappelle que lorsque nous sommes arrivés en 1997, il existait neuf projets de ce que l'on appelait les unités à encadrement renforcé, mais dont un seul fonctionnait réellement ; M. Warsmann l'a rappelé.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je n'ai jamais dit ça !
    Mme Elisabeth Guigou. En revanche, six projets étaient en perdition parce que les dossiers avaient été mal ficelés. Quand nous avons décidé de créer les centres éducatifs renforcés - sur le modèle de ces UER, je le reconnais -...
    M. Claude Goasguen. Quand ?
    M. Jacques Myard. Trois ans après !
    Mme Elisabeth Guigou. ... nous avons réussi à faire émerger une cinquantaine de projets qui, eux, ont tenu la route, parce que nous avons doté la protection judiciaire de la jeunesse de moyens supplémentaires, notamment matériels, et accentué l'effort consenti.
    Puisqu'il a beaucoup été question de la justice de proximité, je veux souligner qu'on ne peut qu'y être favorable. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.) Mais ne faites pas comme si, avec les juges de proximité que vous proposez de créer, c'est vous qui l'inventiez ! Il existe déjà une cinquantaine de maisons de la justice et du droit (Protestations sur les mêmes bancs.)...
    M. Claude Goasguen. Ce ne sont pas des juges !
    Mme Elisabeth Guigou. ... au sein desquelles des sanctions sont prononcées immédiatement, dès le premier acte de délinquance. (« C'est faux ! » sur les mêmes bancs.)
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Julien Dray a dit l'inverse !
    Mme Elisabeth Guigou. Je souligne que 80 % des jeunes jugés selon ces procédures ne récidivent pas. Ne faites donc pas comme si cela n'existait pas. Je déplore d'ailleurs qu'il n'y ait pas un mot sur les maisons de la justice et du droit dans le projet de M. Perben.
    M. Richard Cazenave. Le ministre en a parlé !
    Mme Elisabeth Guigou. De même, les juges d'instance ne sont-ils pas des juges de proximité ? Les juges des enfants ne sont-ils pas de juges de proximité ? Les délégués du procureur ne sont-ils pas des juges de proximité ? (« Non ! Non ! » sur les mêmes bancs.)
    M. Richard Cazenave. Ce ne sont pas des juges !
    Mme Elisabeth Guigou. Les citoyens que nous avons décidé de nommer pour organiser l'échevinage dans les tribunaux de commerce ne sont-ils pas une forme de justice de proximité ? Ne nous cachons donc pas derrière les mots !
    Monsieur Perben, vous démarrez avec un héritage conséquent. Vous décidez de prolonger cet effort, fort bien ; mais vous ne faites pas davantage.
    M. Christian Estrosi. Votez le texte !
    Mme Elisabeth Guigou. Néanmoins, je dois formuler une remarque : pour l'instant, vous n'en êtes qu'à l'effet d'annonce. Il vous reste à démontrer pendant les cinq prochaines années - si vous restez cinq ans (Protestations sur les mêmes bancs) - que vous ferez aussi bien que nous ; car nous, nous avons tenu cet effort pour l'ensemble du budget de la justice, qu'il s'agisse des magistrats, des greffiers, de l'administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, durant les cinq ans où nous avons été aux responsabilités.
    M. Guy Drut. Que les Français sont ingrats !
    Mme Elisabeth Guigou. Je ne veux pas vous faire un procès d'intention, monsieur Perben, mais je n'ai pas oublié que, lorsque M. Méhaignerie a fait voter une loi de programmation qui ressemblait beaucoup à la vôtre, dès l'année suivante elle n'a pas été respectée. Dans de telles conditions, que devient ce respect dont M. Warsman a parlé, ce respect que l'on doit au Parlement, alors qe l'on ne suit pas les lois d'orientation que l'on a présentées ?
    Nous verrons à l'usage, car je n'ai nullement l'intention de vous donner un blanc-seing, monsieur Perben. Certes vos intentions sont louables, mais nous verrons, budget après budget, si vous tenez effectivement les engagements que vous avez pris. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Schreiner. C'est long !
    M. le président. Mme Guigou...
    Mme Elisabeth Guigou. Je conclus.
    Madame, nous pensons donc qu'il n'y avait pas lieu de délibérer dans l'urgence d'un texte qui affiche de si grandes ambitions.
    Nous avons d'abord déploré qu'il n'y ait pas eu de véritable concertation.
    Ensuite, nous savons que les principales dispositions de ce texte ne pourront être appliquées rapidement ; il faudra compter plusieurs mois pour les centres fermés, et plusieurs années pour les nouvelles prisons, comme M. Bédier l'a dit en commission.
    M. Christian Estrosi. D'où l'urgence !
    Mme Elisabeth Guigou. Dès lors, pourquoi faire voter ce texte en urgence, alors que nombre de ses mesures essentielles ne peuvent entrer rapidement en application ?
    M. le président. Veuillez conclure, madame Guigou ! Il y a quelques instants, vos collègues du groupe socialiste m'ont demandé d'interrompre M. Goasguen, qui avait dépassé de cinq minutes son temps de parole : vous venez de dépasser le vôtre de sept minutes.
    Mme Elisabeth Guigou. Je termine, monsieur le président, en rappelant que nous devons à certains collègues de la majorité sénatoriale d'excellents rapports : je pense à celui de M. Schosteck qui concluait en sens inverse du projet de loi de M. Perben...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux !
    Mme Elisabeth Guigou. ... ou encore à celui de M. Cointat. D'excellents spécialistes ont aussi mené d'excellentes études. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Vous auriez pu vous en inspirer davantage, d'autant qu'ils appartiennent à votre majorité.
    M. le président. Madame Guigou, veuillez conclure.
    Mme Elisabeth Guigou. Je ne veux pas citer nos propres spécialistes au Sénat, même si je tiens à rendre hommage aux débats qu'ont menés dans l'autre assemblée - nous tâcherons de faire aussi bien ici - M. Badinter, M. Mermaz et M. Dreyfus-Schmidt. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix la question préalable.
    (La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Albertini, premier orateur inscrit.
    M. Pierre Albertini. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, que la justice ait besoin de moyens supplémentaires pour fonctionner, c'est une évidence. Nous y souscrivons tous sur l'ensemble des bancs de cet hémicycle. Il est vrai que des efforts ont été accomplis ces dernières années - il faut le souligner - dans l'augmentation des moyens humains et logistiques de la justice. Néanmoins, ils étaient à la fois tardifs et, malgré tout, insuffisants, compte tenu du retard accumulé et de la dégradation progressive que l'institution avait subie.
    D'ailleurs, l'image que les Français ont de leur justice depuis une vingtaine d'années est peu flatteuse puisqu'elle est ressentie à la fois comme trop complexe, trop lente, et trop coûteuse. Les statistiques qu'a rappelées notre collègue M. Warsmann sont tout à fait éloquentes à cet égard. Il est donc indéniable qu'il faut consentir un effort de programmation en faveur de la justice dans ses différentes composantes : magistrats, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse ou programme immobilier. Il est en effet indispensable d'améliorer le fonctionnement des prisons, de créer des centres éducatifs renforcés supplémentaires, voire, même si cela est plus discutable, des centres éducatifs fermés. Nous en sommes tous d'accord.
    Toutefois, ce n'est pas parce que nous voterons une loi de programmation, même pour cinq ans - 2003-2007 - que nous aurons ensuite les moyens de l'appliquer avec la cohérence et la volonté initialement annoncées.
    M. François Bayrou. Très bien !
    M. Pierre Albertini. Quelques expériences récentes et assez fâcheuses ont même démontré qu'il y avait souvent un certain hiatus entre la volonté initiale et le résultat obtenu. Lorsque, pour reprendre l'expression utilisée cet après-midi par le Premier ministre, il faudra passer au scanner les arbitrages budgétaires et les économies, sachez, monsieur le garde des sceaux, que nous serons derrière vous pour soutenir votre effort et pour maintenir, quoi qu'il arrive - ce qui serait déjà tout à fait avantageux -, les prévisions que vous avez faites pour les années 2003 à 2007.
    Il est d'ailleurs assez paradoxal que l'annualité budgétaire continue de contraindre aussi fortement des efforts aussi longs, aussi durables que ceux en faveur de la justice ou de l'éducation nationale, pour prendre quelques exemples célèbres.
    M. François Bayrou. Très bien !
    M. Pierre Albertini. Il faudra également faire preuve d'une grande volonté politique. Or il convient de souligner que, depuis quelques années, la justice n'a jamais totalement consommé les crédits qui lui étaient alloués. Il est donc indispensable d'aller vite, plus fort et plus loin. Pourtant je constate que, dans vos propres prévisions, seulement la moitié du 1,8 milliard d'euros prévus pour le programme d'investissement figure en crédits de paiement. Autrement dit, vous tablez d'emblée sur un taux de consommation des crédits d'investissement de 50 %. A ce sujet, vous avez d'ailleurs répondu au Sénat que, dans ce domaine, les premières années étaient surtout consacrées à des études, à la conception de projets et que l'on ne commençait à consommer vraiment les crédits qu'au bout de quatre ans -, ce qui prouve, s'il en était besoin, les limites de l'exercice.
    Quoi qu'il en soit, nous vous accorderons volontiers des moyens pour la justice dans toutes ses composantes et nous vous soutiendrons dans les efforts que vous entreprendrez pour bénéficier des arbitrages nécessaires du Premier ministre, voire du Président de la République, sur des sujets aussi sensibles.
    Cela étant, une loi de programmation qui alloue des moyens supplémentaires permettra-t-elle de réussir la réforme de la justice et d'en améliorer substantiellement le fonctionnement ? Là encore, l'expérience récente montre qu'il peut y avoir un certain écart entre l'octroi de moyens supplémentaires dans une institution profondément malade et les résultats obtenus réellement sur le terrain. Cela me fait penser à cette image de l'enfant, découvrant que le sable absorbe l'eau sans fin, qui se demande pourquoi la quantité d'eau qu'il déverse régulièrement dans le trou qu'il a creusé disparaît comme par miracle.
    Pour réussir à améliorer le fonctionnement de la justice, il faut non seulement octroyer des moyens supplémentaires - condition nécessaire mais non suffisante -, mais aussi avoir une vision de la justice. C'est sans doute pourquoi vous avez également traité de nombreux points relatifs au fonctionnement même de l'institution judiciaire. J'en retiendrai essentiellement deux : le principe d'une justice de proximité et le droit pénal des mineurs.
    La justice de proximité est une idée que l'UDF a beaucoup développé ces dernières années. Nous sommes en effet favorable à une justice que, par une forme de snobisme, on veut appeler la justice de proximité. Prenons garde toutefois aux contrepoints que cette expression risque de susciter : y aurait-il, par exemple, une justice de l'éloignement ? Je pense donc qu'il ne faut pas systématiser cette expression.
    Pour ma part j'aurais préféré que l'on revienne à une formule très simple, celle de la justice de paix, supprimée en 1958 mais qui avait largement fait ses preuves dans notre pays depuis l'époque révolutionnaire. Je proposerai d'ailleurs que l'on choisisse l'expression de « juge de paix » plutôt que celle de « juge de proximité », parce qu'il faut se méfier des modes et des simples effets de langage. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Oui à une justice de proximité, mais à condition que les juges eux-mêmes soient en état de la rendre, non pas des juges au rabais, sous tutelle, enfermés dans un rôle trop restrictif, et là, monsieur le garde des sceaux, je trouve votre texte beaucoup trop timide.
    Il l'est d'abord dans la fixation du seuil. Limiter la compétence des juges dits de proximité à 1 500 euros est assez dérisoire. Par ailleurs, vous avez vous-même prévu que la procédure applicable serait celle du tribunal d'instance.
    Nous n'avons cessé de vous dire que la procédure devait être simplifiée, allégée, et qu'elle devait être singulièrement différente de celle suivie devant le tribunal d'instance. Si vous vous calquiez, comme votre texte le propose, sur la procédure du tribunal d'instance, vous auriez une sorte de dédoublement de cette justice de proximité, ce qui ne permettrait pas d'obtenir les résultats que nous recherchons.
    M. Nicolas Perruchot. Absolument !
    M. Pierre Albertini. Enfin, vous avez prévu vous-même et organisé le dessaisissement du juge de proximité en imaginant, en cas de difficulté juridique sérieuse soulevée par le juge lui-même ou par l'une des parties, ce qui est le moyen de le récuser, de le contourner, la possibilité de shunter le juge de proximité et de rendre au tribunal d'instance une fonction qu'il exercera alors en dévaluant considérablement la justice de proximité que vous voulez créer.
    Nous avons donc des amendements sur ce point, visant à accroître le seuil de compétence, à ne pas permettre le dessaisissement total du juge de proximité...
    M. Nicolas Perruchot. C'est bien !
    M. Pierre Albertini. ... et à prévoir qu'il devra se prononcer dans un délai de deux mois, car deux mois suffisent pour un jugement raisonnable, compte tenu de la fonction ainsi dévolue à ce premier niveau de juridiction, car c'est un cinquième niveau de juridiction que, d'une certaine manière, vous créez dans notre ordre juridique.
    J'en viens à l'aspect le plus controversé, la réforme du droit pénal des mineurs. C'est un sujet complexe, difficile, qui devrait engager à beaucoup d'humilité, ce qui ne signifie pas un défaut d'ambition ou de volonté : c'est tout simplement faire le constat que la recherche et la mise en oeuvre des solutions ne sont pas tout à fait aussi évidentes qu'on veut bien le dire dans un discours ou dans une campagne électorale.
    Il y a plusieurs formes de délinquance des mineurs. Il y a d'abord une délinquance de désoeuvrement : perte des repères, absence de sens du bien et du mal. Il y a une délinquance d'exclusion, qui conduit un certain nombre de jeunes à pratiquer des trafics en tous genres, et notamment celui de la drogue, qu'il faut bien considérer comme étant l'un des facteurs majeurs de la délinquance des mineurs aujourd'hui. Et il y a une délinquance de provocation, qui, elle, est assez nouvelle dans notre société. C'est celle qui pousse les mineurs à se heurter à l'autorité, quelle qu'elle soit, par principe, par volonté de marquer sa différence, de rompre avec la société. C'est la violence qui s'exerce à l'égard des forces de police, mais aussi à l'égard des pompiers, quelquefois à l'égard des médecins, des infirmières, des services publics ou des équipements qui sont pourtant mis à la disposition des jeunes.
    Alors vous comprendrez que, face à cette explosion de la délinquance des mineurs depuis une dizaine d'années, nous essayions nous-mêmes de nous référer à quelques grands principes, deux essentiellement, auxquels l'UDF tient particulièrement.
    Le premier, c'est qu'il faut donner la priorité absolue aux activités et non pas aux murs si l'on veut traiter efficacement la délinquance des mineurs.
    Le désoeuvrement, la passivité de l'enfermement, quel que soit le terme - prison ou centre éducatif fermé - si les réponses éducatives étaient insuffisantes, ce que l'on peut craindre, l'oisiveté, sont des facteurs largement criminogènes et entretiennent les jeunes dans cette fonction initiatique de caïds qu'ils deviennent, de chefs de bande enfin reconnus : « oui, je suis allé en prison. » Ça peut paraître étrange, cette vertu qui est accordée aujourd'hui à la prison, mais cela montre le profond état de dégradation dans lequel se trouvent un certain nombre de jeunes qui sont tout à fait détachés, déconnectés de la société.
    Le second principe, après la priorité donnée aux activités parce qu'elles permettent de structurer la personnalité du jeune, de la mettre en rapport avec la vie, avec les autres, de composer avec les autres, de travailler avec d'autres, c'est évidemment le principe selon lequel l'enfermement doit demeurer un recours exceptionnel. Les résultats évoqués à plusieurs reprises ici, notamment ceux obtenus au Canada, démontrent à l'évidence que, lorsqu'on est capable de substituer une échelle de sanctions graduées, rapides, diversifiées, individualisées à la dichotomie absurde l'éducatif-le répressif, on obtient des résultats significatifs.
    Mme Marylise Lebranchu. Tout à fait !
    M. Pierre Albertini. Il faut s'inscrire dans cette perspective qui a été soulignée par plusieurs orateurs, essayer de trouver une réponse fondée le plus possible pour le jeune sur une obligation de faire et non pas sur une attente passive que son enfermement se termine, ce qui lui permet de retouver allègrement, hélas, la carrière de délinquant dans laquelle il s'est enfermé lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe socialiste.) Il faut sortir de l'idée du tout éducatif. C'est vrai que l'éducation suppose la sanction au sens le plus élémentaire du terme, non seulement celle du père de famille, mais celle du juge, de l'éducateur, qu'il soit de la PJJ ou qu'il soit professeur de collège, peu importe. C'est donc à une véritable mobilisation collective que nous appelons en ce qui concerne la délinquance des mineurs.
    Il n'y a pas aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, de stratégie ambitieurse en matière de lutte contre la délinquance des mineurs. Il y a une succession d'institutions qui campent sur leurs territoires respectifs,...
    M. Jean-Jack Queyranne. Exact.
    M. Pierre Albertini. ... les magistrats d'un côté, la protection judiciaire de la jeunesse de l'autre, profondément malade et vous savez que le hiatus entre les deux n'a cessé de s'aggraver ; les services sociaux du conseil général, vers lesquels on envoie un certain nombre de mineurs délinquants sans que les structures soient capables de les accueillir, ni ne comportent elles-mêmes des éducateurs pour les éduquer ; l'éducation nationale qui, en dépit de tout ce qu'on veut bien dire, ne concourt que très faiblement à la détection et à la prévention de la délinquance des mineurs. Il faudrait parler aussi de la famille, de l'association des collectivités locales, pour cette stratégie d'ensemble afin d'essayer enfin de provoquer la mobilisation générale que Julien Dray appelait de ses voeux.
    C'est dans cette direction qu'il faut travailler, et c'est beaucoup plus difficile que de donner des moyens supplémentaires à la justice, fussent-ils absolument nécessaires, car la justice doit sortir de son isolement et ce n'est pas la seule institution qui doit combattre la délinquance des mineurs. C'est là aussi une évidence.
    Mais pourquoi faut-il que les solutions de bon sens soient aussi difficiles à mettre en oeuvre dans notre pays ? Probablement, mes chers collègues, parce que la déliquescence d'un certain nombre d'institutions est très profonde (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et appelle des solutions de grande ambition et de longue, très longue, haleine.
    M. François Bayrou. Très bien.
    M. Pierre Albertini. Un mot sur la énième réforme de la procédure pénale. Je ne suis pas sûr, monsieur le garde des sceaux, que votre effort de simplification permette de simplifier vraiment. Lorsque la procédure pénale est ainsi retouchée, de proche en proche, une vingtaine de fois en dix ans, nous avons à gérer ensuite une espèce de monstre compliqué et les magistrats se préoccupent d'abord de respecter les délais, les procédures, les formes et consacrent l'essentiel de leur énergie à rester dans les clous alors qu'ils devraient consacrer tous leurs efforts à l'investigation, à l'identification des auteurs et évidemment au suivi individualisé de la délinquance. Sur ce plan-là, je suis donc sceptique sur les résultats.
    Je crois qu'on aura besoin de réfléchir encore à un modèle de procédure pénale. La loi du 15 juin 2000, que je ne renie absolument pas, personnellement, marquait un progrès, et il serait bon d'ouvrir une discussion très simple pendant les deux ou trois ans qui viennent sur la façon de rendre encore plus efficace et de simplifier encore notre procédure pénale, mais en le faisant dans la sérénité que suppose l'oeuvre de justice, c'est-à-dire en laissant un peu de temps au temps. C'est très nécessaire, surtout si nous ne voulons pas que l'Europe abandonne les principes auxquels nous tenons et nous en impose d'autres. Si nous voulons jouer encore un rôle dans le modèle judiciaire de l'Europe, il faut probablement que nous nous attelions à cette tâche.
    Deux mots sur l'aide aux victimes.
    Monsieur le ministre, votre texte contient à ce sujet des avancées significatives. Vous avez d'ailleurs rencontré à Rouen des associations de victimes qui vous ont exprimé leur grande satisfaction à l'annonce des mesures que vous leur présentiez. Notre procès pénal doit, en effet, réserver une place essentielle à la victime, alors qu'il l'a longtemps superbement ignorée, et nous avons tout intérêt à travailler sur ce point.
    Reste enfin le problème les prisons, qui sont, il faut bien le reconnaître, un sujet d'indignité nationale : surpeuplement, impossibilité d'isoler complètement les mineurs des adultes, mélange des genres, insuffisance des soins médicaux et psychiatriques, en dépit de quelques progrès récents.
    Si vous parvenez à utiliser rapidement les crédits d'équipement prévus pour l'application de votre loi, nous aurons tous un peu contribué à améliorer la situation des détenus, et donc leur capacité de s'amender, car la prison n'est pas une fin en soi, je vous le rappelle, elle a aussi pour objectif de réintégrer chaque fois que c'est possible les condamnés, chacun ayant droit dans notre société à une deuxième chance.
    M. le président. Veuillez conclure !
    M. Pierre Albertini. Nous sommes face à un problème de société, que je simplifierai, faute de temps, de manière un peu caricaturale.
    Il y a, d'un côté, l'exacerbation de l'individualisme et des droits individuels, des droits subjectifs, qui s'est développée ces vingt, trente ou quarante dernières années et, de l'autre, une conception insuffisante de la solidarité et de la cohésion nationale.
    Il est temps, mes chers collègues, de réfléchir, à une façon de rééquilibrer l'aspiration légitime au surcroît de libertés que nos concitoyens revendiquent dans une société de l'information, et la nécessaire volonté de les rendre conscients de leur devoir. Bref ! c'est tout le couple liberté/responsabilité qu'il faut tenter d'organiser et de réconcilier.

    Nous aurons besoin d'y travailler et d'y réfléchir ensemble. La responsabilité des élus est écrasante. J'ai parlé de déliquescence des institutions. Notre responsabilité d'élu, si nous avons conscience, sur l'ensemble des bancs, de devoir répondre à nos concitoyens, nous impose de travailler le plus efficacement possible à résoudre ces problèmes qui dépassent à l'évidence le cadre de la justice.
    Le groupe UDF votera le texte que vous avez proposé, monsieur le ministre, mais, dans le débat, il soulèvera plusieurs questions qui expriment notre doute, et notre volonté de contribuer à une réflexion collective. Tel est en tout cas le ton qui devrait convenir à la énième réflexion sur la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Mes chers collègues, nous avons des contraintes horaires dans la mesure où il y a une séance demain matin. Je demande donc à chacun des orateurs de respecter son temps de parole, de façon que puisse intervenir ce soir un orateur par groupe.
    La parole est à M. Patrick Braouezec pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation sur la justice, nous poursuivrons l'exercice déjà entamé par le projet de loi de M. Sarkozy, et cet exercice me semble de mauvaise foi.
    Le Gouvernement, en effet, insiste et communique beaucoup sur sa volonté d'agir, de voir la peur changer de camp. Il veut frapper vite et fort. Trop vite, avec, comme l'ont souligné un grand nombre d'entre nous, un débat expédié en huit jours, au coeur de l'été, sur des enjeux très graves tels que la détention provisoire dès l'âge de treize ans.
    Il s'agit aussi d'un débat truqué. Vous voulez faire croire que vous êtes les seuls à considérer comme intolérables et répréhensibles les arrachages de sac, les voitures brûlées, les vols de portable ou les violences à l'endroit des faibles.
    Monsieur le ministre, nul sur ces bancs ou dans la société n'est bien sûr favorable à de tels délits, personne ne nie la réalité de ces problèmes, mais il est malsain et dangereux d'en faire l'objet de dérives politiciennes, démagogiques et populistes.
    Le clivage n'est pas sur la volonté de répondre aux aspirations légitimes à une meilleure sécurité des biens et des personnes mais bien sur les moyens d'y parvenir, qui résident notamment dans une meilleure protection des mineurs en danger et la réinsertion des délinquants.
    Les mesures contenues dans ce projet peuvent paraître spectaculaires, mais, parce qu'elles sont conjoncturelles et porteuses de violence, elles seront inefficaces et dangereuses. Sur ce terrain, nous n'avons pas le droit de jouer aux apprentis sorciers. Vous allez créer de nouvelles désillusions car vous ne vous attaquez pas aux causes des problèmes.
    L'accentuation de la répression et de l'enfermement nous prépare des réveils douloureux. A leur sortie, nous aurons affaire à des personnes endurcies et aguerries, en rupture plus grave avec la société. Vous nous engagez dans une spirale de violence.
    Bien sûr, comme élus locaux, nous connaissons tous des situations d'échec, de récidive incessante, alors que beaucoup a été tenté. Mais ces cas sont très rares, leur existence ne justifie pas les atteintes que vous portez à la spécificité de la justice des mineurs. Dire la vérité, c'est expliquer que la tolérance zéro ou le zéro déviance ne sont que mythes ou démagogie au mieux, totalitarisme ou début du fascisme au pire.
    Mais notre quotidien, c'est aussi tel ou tel jeune homme que l'on connaît pour des délits plus ou moins grands et dont, avec le temps, on célèbre le mariage ou dont on traite la demande de logement après son accès à l'emploi. Rien n'est figé. Votre projet marque un recul de la notion d'éducabilité et d'amendement. La répression que vous proposez ne fait qu'enfermer une partie de la jeunesse dans l'attitude qu'on lui prête, ne fait que fournir à ces adultes en devenir la seule identité de délinquant.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux.
    M. Patrick Braouezec. En clair, vous nous invitez à déclarer irrécupérable une part grandissante des adolescents de ce pays.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est exactement l'inverse !
    M. Patrick Braouezec. Là où les parents, l'école, les associations font déjà un travail difficile et reconnu dans leur mission d'éducation, là aussi où l'ensemble du monde adulte est en échec, faute de moyens mais surtout faute de perspectives, vous proposez non pas de conforter ces parents, ces éducateurs, ces associations dans l'exercice de leurs responsabilités, mais de confier ce travail à la prison.
    La prison est criminogène, chacun le sait. Les statistiques sont sans appel : 70 % des mineurs incarcérés récidivent dans les mois qui suivent leur remise en liberté. Une société qui met toujours plus de ses enfants en prison n'a pas d'avenir.
    Votre gouvernement et votre majorité entretiennent le mythe du laxisme et de l'impunité qui seraient dus à l'ordonnance de 1945. C'est dangereux et faux. Contrairement à votre message, l'ordonnance de 1945 n'organise en rien l'impunité des mineurs.
    Comme d'autres l'ont dit, le nombre des condamnations et des décisions les concernant a plus que doublé, passant de 35 000 sanctions en 1990 à 75 000 en 2001, avec un flux de 4 000 mineurs incarcérés au cours de l'année, soit deux fois plus qu'en 1990. En 1999, on recensait quatre fois plus de mesures décidées par le juge pour enfants qu'en 1995.
    Le défi actuel n'est pas tant d'en augmenter toujours le nombre en mettant l'accent comme vous le faites sur le début de la procédure avec les poursuites systématiques ou le traitement en temps réel, mais bien d'en améliorer l'application. Vous allez faire du chiffre, pour la galerie, mais, derrière, ça ne suit déjà pas et ça ne suivra pas plus demain. D'ores et déjà, des milliers de mesures éducatives ne sont pas mises en oeuvre, et une grande partie des 7 600 peines de prison ferme prononcées en  2001 contre des mineurs n'ont pas été exécutées.
    En matière de droit pénal des mineurs, votre projet tend à rapprocher le traitement des plus jeunes de celui des majeurs. Cette option va à contresens de toutes les évolutions contemporaines, tant nationales qu'internationales, en faveur des droits des enfants. Le principe de spécialisation de la justice des mineurs est un des principes fondamentauix de notre droit pénal, acquis dès le début du xxe siècle et consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1993. Il est également inscrit dans les textes internationaux régulièrement ratifiés par la France, notamment à l'article 14-4 du Pacte international des droits civils et politiques qui dispose que « la procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l'intérêt que présente leur rééducation ».
    Si le projet définitif a finalement renoncé à ce non-sens qui consistait à confier les premières infractions commises par les mineurs au juge de proximité, la logique de la déspécialisation perdure, particulièrement à l'article 17. Telle qu'elle est conçue, la procédure de jugement à délai rapproché s'aligne sur la procédure de comparution immédiate des majeurs.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux !
    M. Patrick Braouezec. Il en va de même de la possibilité nouvelle de mettre en détention provisoire les mineurs de treize à seize ans en attente d'être jugés.
    La spécificité de la justice des mineurs n'est pas que de principe, elle est aussi pragmatique et de bon sens. Les mineurs sont des adultes en devenir, en formation. Cette spécificité est le gage de l'efficacité et non le résultat de je ne sais quel angélisme. Réduire cette spécificité, c'est se condamner à l'échec. La force de la juridiction des mineurs, c'est la possibilité offerte au jeune de rompre avec la délinquance par une relation personnalisée avec son juge ou son éducateur.
    La répression s'est lourdement accentuée ces dernières années. La montée de la délinquance n'a pas pour autant été enrayée. Vous proposez d'en rajouter dans cette logique. Depuis 1993, le nombre de mineurs incarcérés a doublé. Environ 900, vous l'avez encore souligné, monsieur Warsmann, sont en ce moment en prison,...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !
    M. Patrick Braouezec. ... dans des conditions souvent dignes de Charles Dickens, pour reprendre l'expression des rapporteurs du Sénat, membres de votre majorité.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Oui, et ce n'est pas l'effet de la loi Perben.
    M. Patrick Braouezec. Nous réfutons votre volonté d'augmenter l'incarcération des mineurs. Les priorités devraient être d'abord d'agir en amont pour limiter au contraire le nombre d'incarcérations, et ensuite d'améliorer les conditions de détention en ouvrant des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs, indépendants de ceux des majeurs, avec une véritable prise en charge éducative, professionnelle et médicale.
    Il est vrai que votre projet préconise l'augmentation de 25 % du nombre d'éducateurs et des effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse. Mais il nous faudra attendre les lois de finances pour voir se concrétiser cet engagement, que nous voterions alors bien volontiers et qui prolongerait l'effort amorcé par le précédent gouvernement. Mais nous n'oublions pas que vous avez réduit ces effectifs lors de l'exercice des responsabilités que vous avez assumé entre 1986 et 1995. L'expérience incite donc à la prudence quant à votre vraie volonté de réaliser cette promesse.
    En clair, les mesures répressives sont pour tout de suite, et pour les communiqués de presse. Les éducateurs et les conditions humaines de détention favorisant la réinsertion, c'est, peut-être, pour les cinq ans qui viennent, voire au-delà. Entre-temps, les dégâts seront énormes. Des milliers d'adolescents nouveaux auront été exposés en prison à la violence physique et morale et à la promiscuité avec des délinquants plus aguerris. Vous encourrez le risque de fabriquer des criminels.
    M. Claude Goasguen. Allons, monsieur Braouezec, allons !
    M. Patrick Braouezec. Eh oui ! De même, votre projet de centres éducatifs fermés ne facilitera pas un véritable travail éducatif. dont l'objet principal est d'évoluer vers des relations normales avec la société et les institutions. La menace de l'incarcération en prison ne peut être de nature à restaurer une relation de confiance indispensable, entre l'adolescent et ses éducateurs. Ici, je veux citer Denis Salas et Thierry Baranger, tous deux juges pour enfants, qui, évoquant leur expérience de la violence des jeunes, considèrent que « face à des politiques qui ont pour seul projet l'enfermement et la répression, les petits adultes iront jusqu'au bout de leur révolte. Plus le message sera stigmatisant, plus on produira des hors-la-loi et plus leur révolte se croira légitime ».
    Le tout répressif que vous proposez est sans fin. Il y a en France 900 jeunes en prison, mais 3 500 en Grande-Bretagne sans que le processus de violence y soit enrayé. Avec votre projet, nous pourrons atteindre le même niveau en chiffre, mais avec la même absence de résultat sur le fond. Les Etats-Unis battent tous les records d'incarcération mais battent aussi tous les records en matière de violence. Ils ont même clairement choisi de criminaliser la misère pour compléter l'insécurité salariale et sociale. Le système carcéral est le troisième employeur, outre-Atlantique. Avec ce projet, vous faites un pas dans ce sens.
    La voie libérale est tracée qui, d'un côté, glorifie le moins d'Etat pour ce qui relève des services rendus au public, du contrôle de l'utilisation de la main-d'oeuvre, qui permet de donner libre cours à la précarité et qui, de l'autre, milite pour plus d'Etat quand il s'agit de masquer, contenir ou réprimer les conséquences sociales de cette dérégulation du travail et de la détérioration de la protection sociale.
    Vos orientations libérales ne permettront pas de répondre durablement à la délinquance et encore moins d'en résoudre certaines causes. On signale trop peu que l'économie parallèle et la petite délinquance que vous semblez fustiger ne sont qu'une sous-traitance du libéralisme. Le philosophe Cornelius Castoriadis remarquait que le capitalisme s'était développé grâce à des valeurs animant des fonctionnaires intègres, des éducateurs civiques, des entrepreneurs inventifs, voire des clercs désintéressés, valeurs que le système marchand n'est plus capable d'inspirer et finit par dissoudre. Nous en sommes là. Le libéralisme ne fait pas société. Il s'accommode très bien de quartiers relégués, de petits revendeurs de marques, de voleurs de portables ou de détaillants d'un commerce bien organisé dans d'autres lieux, de substances blanchies dans les paradis fiscaux ou dans les sociétés-écrans.
    La vérité, c'est que votre gouvernement est incapable d'offrir une perspective à une part grandissante de sa jeunesse. Le fait que vous veniez de voter un projet prévoyant d'autoriser l'emploi des moins de 25 ans sans qualification en les payant au SMIC, en supprimant l'ensemble des cotisations sociales à la charge des employeurs, et ce, sans obligation de formation, est symbolique de cette dérive d'une société vieillissante qui n'accorde ni sa chance ni sa confiance à la jeunesse.
    Le chômage et la précarité, qui touchent d'une manière inégalitaire nos concitoyens, s'accompagnent d'une crise de l'autorité, garante de toute mission éducative due aux enfants par l'ensemble du monde adulte. Face à cette vraie question, qui n'épargne aucun milieu, votre seule ambition est celle du contrôle social des plus modestes. Dans les milieux favorisés, la difficulté se résout le plus souvent dans le cabinet d'un psychologue. Lorsque ces difficultés concernent les jeunes des milieux populaires, vous allez proposer la garde à vue, le tribunal, voire la prison.
    Cette logique de contrôle social, et non d'investigation pour démanteler les réseaux, est confortée, je voudrais le rappeler, par des opérations de police spectaculaires dans les fameuses zones dites « de non-droit », stigmatisées par le ministre de l'intérieur. Il existait déjà une lourde tendance à ne pas traiter d'une manière égalitaire les habitants, et plus spécialement les jeunes, selon leur quartier de résidence. Que dire de cette descente de police dans une cité de Nanterre, qui n'a rien à voir avec l'attente des citoyens, dont vous vous réclamez pourtant ? Ces opérations, démonstrations de force, sont à l'opposé de leur souhait d'une véritable police d'investigation et d'une justice ayant les moyens de régler les problèmes auxquels ils sont confrontés. Imaginez un seul instant pareille opération de police, avec les 300 policiers et gendarmes, avenue Foch ou dans la bonne ville de Neuilly chère à notre ministre de l'intérieur ! D'ailleurs, la saisie aurait peut-être été plus fructueuse que celle réalisée voilà quinze jours à Nanterre, avec ses 235 grammes de cannabis ! Mais je sais qu'en disant cela je tombe dans un préjugé de classe inverse.
    Je reviens sur le texte pour souligner que les majeurs ne sont pas davantage épargnés par votre ambition répressive. Vous engagez un plan de construction de 11 000 places de prison, 4 000 rénovées et 7 000 nouvelles.
    Le fait que votre gouvernement, soucieux de communication et de messages, ait créé un secrétariat d'Etat en charge de la construction des prisons et supprimé le secrétariat d'Etat au logement constitue à mes yeux tout un symbole.
    Alors que ces dernières années l'essentiel du débat public et des travaux parlementaires ont porté sur l'amélioration des conditions de détention de nature à favoriser la réinsertion, sur les conditions de travail en prison, sur la réduction de la population carcérale...
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis. Plus 13 % en un an !
    M. Patrick Braouezec. ... et la dénonciation des violences et des trafics qui sévissent dans les prisons, votre texte ne retient que la stricte nécessité d'augmenter les places de prison et la répartition des détenus en fonction de leur profil. C'est un fait : plus on construit, plus on remplit.
    La population carcérale a augmenté de plus 40 % ces vingt dernières années en France, pour atteindre 57 000 détenus. La commission d'enquête parlementaire sur les prisons soulignait que « les exemples étrangers démontrent, si besoin était, que toujours plus de prisons ne dissuadent pas le criminel : le taux d'incarcération constaté aux Etats-Unis, de l'ordre de deux millions de détenus, n'a pas ainsi jugulé la violence de la société américaine. A l'inverse, la baisse sans précédent de la population pénale en Allemagne n'a pas eu pour conséquence une recrudescence de la criminalité ».
    Sur un autre plan, la mise en place de ce que vous nommez les juges de proximité constitue un autre aspect important de votre projet.
    Vos déclarations en faveur du désengorgement des tribunaux, du rapprochement de la justice des citoyens, ne peuvent que faire l'unanimité.
    De fait la justice en France manque de juges, de greffiers, de personnels de l'administration pénitentiaire. Plutôt que de mettre en cause le prétendu laxisme des magistrats, qui ne toucherait d'ailleurs que la justice pénale, nous préférerions nous attacher aux moyens de garantir pleinement la libre et sereine appréciation des juges, qu'il s'agisse des instances pénales ou civiles.
    Le recours à des juges non professionnels exerçant à temps partiel ne répond qu'à des soucis d'économie et non d'efficacité. Par nos amendements, nous défendrons le recrutement massif de magistrats professionnels, confortés par le fait d'entourer, et non de remplacer, un magistrat professionnel par des assesseurs non professionnels. Les structures existantes sont tout à fait à même d'améliorer les conditions d'une meilleure réponse judiciaire en termes de rapidité, mais aussi de qualité, à condition de leur en donner les moyens. Le corps des magistrats au sein des tribunaux d'instance remplit les garanties de formation et d'indépendance vis-à-vis des enjeux et des pouvoirs locaux.
    Au lieu de renforcer leur nombre et leurs moyens, au lieu d'accélérer la révision d'une carte judiciaire obsolète, de généraliser la création des maisons de la justice et du droit, votre projet crée une justice à part, une justice à deux vitesses, qui suscite beaucoup d'inquiétude.
    Vous nous demandez de nous prononcer sur la création d'une justice de proximité dont les garanties ne seront examinées qu'à l'automne. Cela n'est pas acceptable.
    En outre, l'amélioration de l'aide juridique est complètement absente de votre projet. Elle apparaît pourtant indissociable de la mise en place d'une justice de proximité en tant que levier social pour l'accès de tous à la justice et au droit. L'amélioration de la rémunération des avocats, décidée par le précédent gouvernement, devrait se traduire par un meilleur service rendu aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. Il reste à engager le relèvement des plafonds de ressources préconisé par le rapport Bouchet pour augmenter le nombre d'ayants droit.
    Il s'agit d'une avancée indispensable vers une logique de service public de la justice. Trop de personnes modestes ne sont pas aujourd'hui à même de connaître leurs droits, d'en jouir et de le faire respecter. La conquête d'un véritable Etat de droit pour chacun, quelle que soit sa situation sociale, économique ou culturelle, est loin d'être achevée.
    Enfin, même si nous soutenons le renforcement des droits des victimes, nous savons bien que les procédures expéditives ne leur sont pas favorables, parce qu'elles n'ont souvent pas la possibilité de se constituer partie civile. Là encore, la répression est immédiate et l'amélioration de l'indemnisation, de la réparation et de l'accompagnement dus aux victimes est remise à plus tard.
    Monsieur le ministre, parce que votre projet ne propose que des réponses spectaculaires et à courte vue, parce qu'il n'améliorera pas la protection des biens et des personnes et l'accès à une justice de qualité, notamment pour les plus modestes, parce que sa dimension répressive est vouée à l'échec et ne fera qu'engendrer d'autres violences, plus extrêmes, le groupe communiste votera contre ce texte et ses orientations. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s) communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
    M. Claude Goasguen. Je voudrais d'abord dire à M. le garde des sceaux combien sa venue rapide dans cet hémicycle doit être saluée par l'ensemble de la représentation nationale. Car la situation qu'il trouve est difficile à plus d'un titre. Après les longs débats que nous avons connus ces dernières années, ces derniers mois et ces dernières semaines, concernant les problèmes de la délinquance, de notre justice et de notre sécurité, il a eu l'immense mérite de travailler vite et bien, et de répondre avec célérité et justice à la profonde interrogation des Français, à l'interpellation qu'ils nous adressent sur un système judiciaire dont ils ne comprennent plus, à vrai dire, les tenants et les aboutissants. Nous avons tous été frappés, au cours de nos campagnes électorales, par ce mot terrible qui venait à nos oreilles : le sentiment d'impunité. Il y a quelques semaines, en parlant de l'insécurité, nous posions la première pierre d'une politique visant à répondre à l'essentiel des critiques que nous avions entendues. Aujourd'hui, nous posons la deuxième, qui est le corollaire de la première.
    Les Français ne voient plus désormais dans leur justice l'assurance de la sanction, ils voient au contraire poindre, avec la délinquance qui foisonne, une impunité qui crée, bien entendu, l'insécurité.
    Je voudrais donc, monsieur le garde des sceaux, au nom du groupe majoritaire de cette assemblée, saluer votre venue rapide en vous disant très brièvement, mais très fermement, à quel point notre groupe vous appelle à être courageux...
    M. Gérard Léonard. Il l'est !
    M. Claude Goasguen. ... à l'avenir, comme vous avez été courageux en venant dans cet hémicycle.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Mais c'est son rôle !
    M. Claude Goasguen. Il vous faudra être courageux, monsieur le garde des sceaux, parce que vous devrez continuer à donner la parole aux Français, en traduisant dans notre législation et dans notre réglementation, non pas ce que l'on peut lire dans une certaine presse, mais les aspirations profondes d'une France qui souffre de cette impunité.
    S'il vous faudra être courageux, c'est aussi pour une autre raison. On aurait pu penser, à la lecture des programmes de l'opposition et de la majorité, qu'elles se différenciaient assez peu. L'opposition actuelle reconnaissait elle-même que peu de différences la séparaient, dans le domaine de la sécurité et de la justice, de ce qui allait devenir la majorité. On aurait pu penser, donc, qu'un consensus se dégagerait aujourd'hui autour de l'idée qu'il faut faire cesser l'insécurité et l'impunité. Or, nous constatons qu'il n'en est rien : l'opposition, au contraire, est en train de revenir à une attitude négative. Et loin du consensus que nous aurions souhaité et que nous recherchons, nous sommes face à des attitudes qui sont des attitudes du passé, peu soucieuses de comprendre les préoccupations des Français.
    Je regrette qu'une certaine opposition attende, de manière malsaine, presque avec fébrilité, la première « bavure » qui lui permettra d'invoquer les droits de l'homme pour dire qu'il faut arrêter toute la politique engagée et en revenir au système passé que, par ailleurs, elle n'hésitait pas à condamner il y a quelques semaines.
    M. Michel Hunault et M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. Claude Goasguen. Il vous faudra aussi beaucoup de courage, monsieur le garde des sceaux, pour lutter contre le conservatisme de notre droit car au-delà de l'agitation législative - et à cet égard, M. Albertini a eu raison de souligner à quel point la multiplication des lois en matière pénale et en matière de procédure pénale contribuait à la déstabilisation de notre justice, de par la complexité des textes - au-delà, donc, de cette agitation législative, ce qui frappe dans l'exécution des textes, c'est qu'en réalité, quelle que soit la nature des réformes, le droit et la procédure demeurent. L'effervescence qui règne dans la création de textes législatifs n'empêche pas un immobilisme dans l'application de la loi qui est très préoccupant. Cette distorsion entre l'ébullition législative et la stabilité dans la non-application des textes est inquiétante. Il vous faudra donc avoir beaucoup de courage pour lutter contre des conservatismes qui sont au demeurant respectables et que nous comprenons parce que les moyens de fonctionnement de la justice sont insuffisants, ce qui ne nous empêche pas de regretter que et les magistrats, et les avocats, et les professions para-judiciaires, et ceux qui parlent de la prévention, et les juges des enfants n'aient finalement pour vocation que de rendre plus commode pour eux l'application d'un droit existant sans penser à la nécessaire adéquation entre le droit et l'évolution de notre société.
    Monsieur le garde des sceaux, c'est vous qui aurez sans doute à affronter le débat essentiel des années qui viennent, c'est-à-dire ce grand rendez-vous de notre histoire pénale que sera l'harmonisation de notre droit européen. Nous ne pouvons plus continuer, dans le contexte actuel, à avoir des procédures tellement différenciées, qu'il s'agisse de la procédure civile, de la procédure pénale ou du fond du droit. C'est vous qui devez préparer ce grand rendez-vous européen, et qui ainsi arriverez sans doute à lever les obstacles posés par le conservatisme de notre institution judiciaire.
    Je souhaite en particulier que vous puissiez en finir avec certains archaïsmes qui ont été dénoncés lors de la discussion de la loi sur la présomption d'innocence avant d'être aussitôt oubliés. Moi, comme d'autres, je n'ai rien oublié de ce qui a été dit à l'époque. C'est à mes yeux le même idéal, l'idéal libéral, qui nous a conduits alors à approuver certains articles de cette loi - et non pas la loi dans son ensemble - et qui nous conduit aujourd'hui à vouloir garantir la sécurité en même temps que la liberté. Ces deux notions sont les deux pendants d'une même démarche judiciaire et c'est autour d'elles que nous devons axer l'évolution de notre droit.
    De ce point de vue, monsieur le garde des sceaux, votre texte va dans le sens que nous souhaitons. Pourquoi ? D'abord, parce que vous dégagez des moyens considérables, qui recevront une affectation. M. Warsmann a eu le courage de dire, lui, que les efforts qui avaient été consentis sur le plan financier au cours des cinq dernières années étaient estimables. C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs de l'opposition, vous ne devriez pas critiquer avec autant de véhémence les moyens que nous mettons à la disposition du système judiciaire, qui en a besoin. Nous comptons sur votre soutien à venir puisque vous semblez nous poser la question.
    M. Jean-Jack Queyranne et M. André Vallini. On verra ce qu'il en est dans les lois de finances à venir !
    M. Claude Goasguen. J'espère que vos votes seront en accord avec les intentions que vous affichez.
    Ces moyens considérables, vous les affectez, monsieur le garde des sceaux, dans plusieurs directions qui nous paraissent bonnes. La première, c'est la proximité. La création du juge de proximité va dans le sens souhaité. Vous y consacrez des moyens importants, dont je souhaite qu'ils soient développés au point de pérenniser cette institution. Celle-ci sera tôt ou tard menacée - j'évoquais tout à l'heure les conservatismes de la justice - par la volonté des juges des tribunaux d'instance de voir dans les juges de proximité des juges vacataires susceptibles de servir d'appoint dans le but de faire face aux difficultés d'organisation des tribunaux. Nous souhaitons, quant à nous, que l'institution des juges de proximité demeure, car elle est nécessaire, comme étaient nécessaires les juges de paix, qui ont été supprimés. Il y a place dans notre droit moderne pour ces juges qui ne sont pas des juges professionnels mais des juges citoyens, ayant l'expérience universitaire et professionnelle leur permettant de sanctionner mais aussi de juger en équité un certain nombre de contraventions et d'affaires civiles.
    Vous allez dans ce sens en octroyant des moyens.
    De la même manière, comment peut-on accepter qu'on nous accuse de ne favoriser que la sanction dans le traitement de la délinquance juvénile alors que nous mettons autant l'accent sur la prévention que les bonnes âmes moralisatrices qui, comme chacun le sait, sont investies par l'Esprit Saint et guidées par la vertu. Nous faisons autant que les vertueux,...
    M. André Vallini. On verra !
    M. Claude Goasguen. ... ce que les vertueux ne reconnaissent pas.
    Nous allons créer autant de postes que vous pour un système qui est celui de la prévention. Mais alors que les vôtres étaient sanctifiés, les nôtres seraient douteux.
    Votre vision des moyens mis en place par les finances de la République est pour le moins sectaire, permettez-moi de vous le dire.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Elle est manichéenne !
    M. Claude Goasguen. Mais nous mettons aussi en place ce que vous n'avez pas mis en place.
    J'avais demandé la création d'une commission d'enquête sur les prisons. Or cette initiative, qui n'avait donc pas émané de vos bancs, mesdames, messieurs, avait été assez mal perçue - j'ai bonne mémoire, monsieur Vallini - par les gardes des sceaux successifs de l'époque, et elle n'a pas connu immédiatement l'engouement que vous lui attribuez a posteriori. Finalement, elle n'a abouti à rien, sinon à un rapport qui s'est empressé de garnir les tiroirs de l'administration pénitentiaire.
    Nous avions été les premiers à dénoncer un certain nombre de dysfonctionnements. Vous avez parlé à ce propos d'un consensus, mais laissez-moi vous rappeler que ce consensus n'a pas été suivi d'effet chez vous !
    Nous avons d'abord estimé que la dignité de l'homme passait par la cellule individuelle. Comment pouvez-vous imaginer que l'on puisse modifier notre système pénitentiaire sans construire des prisons qui mettent fin à la coexistence que l'on déplore dans la plupart des prisons françaises ? Il faut donner à chacun la possibilité de vivre dans des conditions dignes de notre époque. Or ces prisons, vous ne les avez pas faites ! De plus, pour ce qui concerne la délinquance juvénile, vous ne les avez même pas envisagées. Vous avez reconnu avec nous dans le rapport, que vous avez cosigné, qu'il fallait aménager des quartiers de mineurs. Mais aucun de ces quartiers n'a vu le jour à votre initiative.
    Nous sommes les premiers à appliquer un certain nombre de propositions de la commission d'enquête que nous avions réclamée !
    Vous n'avez pas non plus voulu braquer les syndicats pénitentiaires, qui étaient très inquiets de la portée des réformes.
    Le médecin-chef de la prison de la Santé, Mme Vasseur, a proposé un certain nombre de réformes radicales. Mais vous vous êtes bien gardés, mis à part les éloges d'usage sur les chaînes de télévision, de leur donner un début d'application. Vous ne vouliez pas aller contre les syndicats pénitentiaires parce que vous n'aviez pas le courage politique qui est aujourd'hui celui de M. Perben et que vous vous contentiez de rédiger des rapports que vous enterriez immédiatement.
    Voilà un troisième exemple de la politique de l'âne de Buridan, qui fait que l'on a d'un côté à manger et, de l'autre, à boire. Cette politique aboutit en général à la mort. Chez vous, elle a pris la forme d'un rapport qui rejoignait les tiroirs du ministère ou, éventuellement, d'une table ronde réduite à laquelle n'étaient conviés que vos amis.
    Par conséquent, vous êtes assez mal placés pour venir aujourd'hui critiquer le courage du garde des sceaux, qui aborde des sujets bien difficiles.
    L'ordonnance de 1945 a une caractéristique : elle est devenue déséquilibrée. Notre appréciation de cette ordonnance et de la jurisprudence des tribunaux d'enfants et des juges des enfants a tenu compte de l'importance hypertrophiée donnée à la prévention, chose souhaitable et chose voulue à une période où la délinquance n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. Il fallait procéder à un rééquilibrage.
    Nous sommes dans la logique de l'ordonnance de 1945 et nous restons dans la même construction philosophique. Vous avez, monsieur le garde des sceaux, adjoint à la sanction une éducation. Mais je tiens à vous dire que celle-ci ne sera pas aussi facile à dispenser que cela. En effet, les professeurs de l'éducation nationale qui seront envoyés dans les centres fermés auront intérêt à avoir reçu eux-mêmes des formations adéquates car ils risquent d'être confrontés à des difficultés pour dialoguer avec les personnes qui seront dans ces centres -, dont M. Darcos ou M. Ferry vous parleront certainement dans les jours qui viennent. L'éducation nationale ne dispose pas elle-même d'éducateurs formés pour former dans les centres fermés.
    On oublie trop souvent de parler de certains éléments qui vont dans le bon sens : la rapidité et la simplification des procédures pénales que vous proposez.
    J'ai noté avec une grande satisfaction qu'un certain nombre de dispositions nouvelles ont pu être adoptées en commission des lois, notamment à l'initiative du rapporteur, dont je salue le mérite dans l'élaboration de la future loi. Je pense notamment au développement réel de l'ordonnance pénale, qui est probablement l'une des solutions à l'encombrement de nos tribunaux.
    J'attends que vous donniez toute la dimension souhaitable à ce que nous avons proposé et voté à l'unanimité en commission cet après-midi en faveur de l'extension de la composition pénale, qui peut aussi contribuer à réduire l'encombrement de nos tribunaux. En effet, le sentiment d'impunité vient de la longueur excessive des procès, elle-même due à un encombrement démesuré des tribunaux et à une mauvaise répartition des moyens.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !
    M. Claude Goasguen. Nombre de juges sont considérés plus comme des secrétaires que comme des juges à part entière, et ils s'en plaignent à juste titre. Par conséquent, tout ce qui permet d'être rapide et juste est bienvenu pour la justice des juges professionnels, dont vous vous gargarisez par ailleurs, mesdames, messieurs de l'opposition.
    En terminant, je voudrais vous suggérer, monsieur le garde des sceaux, de vous atteler dans les mois qui viennent à la solution d'un problème très préoccupant non seulement pour ceux qui constituent l'essentiel de l'institution judiciaire - les magistrats et les membres des professions parajudiciaires - mais encore pour les particuliers : je veux parler de l'exécution des peines. Car notre pays souffre d'un défaut d'application des peines terrifiant, non seulement dans les domaines les plus médiatiquement spectaculaires, mais également au quotidien, au pénal comme au civil. Des réformes doivent être conduites, ne serait-ce que pour le recouvrement des amendes. Certes, les amendes équivalant à moins de dix mille francs ne constituent pas des recettes substantielles pour le Trésor public, mais le fait que l'on sache que celui-ci ne réclame même pas le paiement de telles amendes ne risque-t-il pas de développer un sentiment d'impunité ?
    Je sais bien que, si la politique du ministère des finances dans ce domaine est assez laxiste, c'est parce que le coût de recouvrement des amendes en question dépasse la plupart du temps les recettes attendues. Mais si vous ne prenez pas des mesures pour lutter contre l'érosion de l'application des peines, le sentiment d'impunité que vous croirez avoir éradiqué en réformant l'organisation de la justice réapparaîtra à l'autre bout de la chaîne, et vous n'aurez fait le travail qu'à moitié.
    Monsieur le garde des sceaux, je vous souhaite beaucoup de plaisir car vous êtes dans la situation qui est probablement la plus difficile qu'ait connue votre honorable ministère depuis longtemps. Je sais néanmoins que vous aurez le courage d'affronter les réformes à venir, qui seront difficiles.
    Vous pouvez en tout cas compter, parallèlement à l'attitude critique et assez venimeuse que ne manquera pas d'adopter à votre égard l'opposition, sur le soutien massif et vigoureux de ceux qui ont été élus par les Français pour donner à ce pays une justice efficace et moderne, une justice qui accompagne une politique de sécurité.
    Le temps des rapports et des tables rondes est terminé ! Les Français et le groupe majoritaire de cette assemblée vous ont demandé de passer à l'action. Vous le faites et c'est la raison pour laquelle nous voterons sans ambiguïté le projet de loi qui nous est proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jack Queyranne, dernier orateur de la soirée.
    M. Jean-Jack Queyranne. Monsieur le garde des sceaux, vous nous présentez un projet de loi sur la justice qui se veut tout à la fois d'orientation et de programmation. En réalité, il s'agit d'un texte fourre-tout qui associe des intentions financières pour la législature et des articles normatifs portant sur des sujets essentiels que sont la justice des mineurs, la présomption d'innocence, le droit pénitentaire et la justice de proximité.
    Au total, nous devons examiner au galop un projet de loi fleuve de quarante-quatre articles, assorti d'une annexe copieuse. Et tout cela pour remplir la feuille de route de M. Raffarin !
    La justice méritait mieux que cette opération à la hussarde.
    Le concert de critiques suscité par la préparation fortement accélérée de votre texte a été évoqué. Mais que dire des conditions d'examen du texte par le Parlement ?
    Le projet, qui a été présenté au conseil des ministres le 17 juillet, doit être définitivement adopté le 4 août, c'est-à-dire en moins de trois semaines. Pour tenir ces délais, vous avez déclaré l'urgence. Jamais sur un texte aussi lourd concernant la justice, on n'aura vu le Parlement travailler dans de telles conditions.
    Le Parlement aurait dû être pleinement associé pour jouer son rôle dans le débat. D'ailleurs, nous avons entendu hier au sein de la commission des lois beaucoup d'interrogations et de réserves exprimées au sein même de la majorité. Ces interrogations et ces réserves ressortent également de la lecture du compte rendu des débats du Sénat.
    J'en viens maintenant au fond de votre projet de loi. Votre texte comprend deux grands volets : une loi de programmation et des articles normatifs qui sont une première traduction de vos orientations. Je les examinerai successivement.
    Mais permettez-moi d'abord de rappeler qu'une loi de programme n'est qu'un recueil d'intentions : elle n'a pas de valeur impérative et n'a qu'un effet d'affichage,...
    M. Claude Goasguen. Alors, vous voterez le texte !
    M. Jean-Jack Queyranne. Elle reste à traduire, et M. Goasguen le confirmera, en fonction du principe de l'annualité budgétaire, dans chaque loi de finances. Tout dépendra donc de la volonté gouvernementale puisque, comme vous le savez, le Gouvernement ne peut pas adresser d'injonction au Gouvernement...
    M. Claude Goasguen. Exact !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Mais c'est dommage !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... pour inscrire des crédits prévus dans une loi de programme.
    Je souhaite, monsieur Perben, que votre loi de programmation ne connaisse pas le même sort que celle de M. Méhaignerie du 5 janvier 1995, dont le financement a été abandonné au cours des lois de finances successives, et cela jusqu'en 1997.
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis. Par vous !
    M. Jean-Jack Queyranne. Vous pouvez vous reporter au rapport de la Cour des comptes et au rapport de M. Pélissard.
    Le successeur de M. Méhaignerie, M. Toubon, qui a connu bien d'autres déboires dans cette fonction, a dû lui-même subir une réduction de crédits : les crédits prévus pour les prisons ont été diminués et le recrutement des magistrats et des greffiers a été gelé. Mme Guigou a d'ailleurs rappelé justement qu'en 1996 et en 1997 il n'y avait eu aucun recrutement de greffier.
    Formez donc ce soir le voeu, mesdames, messieurs de la majorité, de ne pas subir le même sort au moment où M. Raffarin annonce que des arbitrages sévères s'exerceront pour le budget de 2003.
    M. Claude Goasguen. Alors, il faudra nous soutenir !
    M. Jean-Jack Queyranne. Monsieur Goasguen, de 1993 à 1997, le budget de la justice a stagné alors que, de 1997 à 2002, il a progressé de plus de 29 %. N'avez-vous pas reconnu, comme M. Warsmann, qu'une progression estimable était intervenue durant la législature de 1997-2002.
    M. Lionnel Luca. Nous sommes honnêtes, nous !
    M. Jean-Jack Queyranne. Vous serez vigilants mais nous le serons aussi pour voir si, au cours des prochaines années, les crédits seront bien inscrits dans le prolongement du plan d'action que Mme Lebranchu avait présenté pour la justice.
    Vous avez à vos côtés, monsieur le garde des sceaux, un secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers, de la justie, dont la principale mission sera de créer les établissements pénitentiaires dont notre pays a bien besoin.
    Vous avez évoqué juste avant moi, monsieur Goasguen, les rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale sur l'état des prisons. Je vous rappellerai que le Premier ministre Lionel Jospin a lancé, au mois de novembre 2000, un programme complémentaire de 10 milliards de francs pour les prisons,...
    M. Lionnel Luca. C'était un effet d'annonce !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... ce qui correspond à ce qui est inscrit dans la loi de programmation que vous nous présentez aujourd'hui et que ces 10 milliards concernaient trente-cinq établissements.
    J'ai lu dans l'excellent rapport de M. Pélissard que vous envisagiez de prendre en compte non plus trente-cinq établissements, mais vingt-deux ou vingt-cinq, et des établissements plus importants. Cela m'inquiète car les établissements pénitentiaires de grande taille ont des difficultés à fonctionner.
    Monsieur le garde des sceaux, vous aurez besoin du talent de conviction de M. Bédier pour décider les élus locaux à accepter les implantations. J'ai pu en effet constater lors de la campagne électorale que ceux qui se réclament de votre majorité et qui veulent plus de répression ne veulent pas de prison chez eux.
    M. Lionnel Luca. Ce sera chez les socialistes, alors ! (Sourires.)
    M. Jean-Jack Queyranne. Il faudra donc faire un effort de conviction !
    Pour accélérer la réalisation de ce programme, vous envisagez des procédures dérogatoires aux règles de la maîtrise d'ouvrages publics et au code des marchés publics.
    M. Claude Goasguen. C'est bien cela !
    M. Jean-Jack Queyranne. Sur ces deux points, je tiens à vous faire part de nos plus expresses réserves. En effet, le dispositif Chalandon, que vous reprenez, a démontré que la privatisation notamment des missions de maintenance et de gestion d'un certain nombre de services coûtait plus cher, de l'ordre de 8 %, que les prisons normales.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous avez reconduit ces situations. Il fallait y mettre fin !
    M. Jean-Jack Queyranne. Je ne fais que me référer au rapport de M. Pélissard.
    Vous envisagez aussi, monsieur Warsmann, de réintroduire les marchés d'entreprises de travaux publics, formule qui a été à l'origine des dérives des marchés des lycées d'Ile-de-France et qui favorisent, vous le savez bien, les grands groupes du BTP au détriment des PME et des entreprises locales.
    Mais une bonne administration de la justice, ce n'est pas simplement une question de moyens : elle doit aussi répondre à des objectifs. J'en viens donc aux modifications du droit existant que vous nous proposez. Elles concernent principalement la justice de proximité, la délinquance des mineurs et la refonte de la loi sur la présomption d'innocence.
    Monsieur le garde des sceaux, nous faisons tous deux le même constat : pour un grand nombre de nos concitoyens, la justice est lointaine, inaccessible, trop de plaintes sont classées sans suite...
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Voilà de justes remarques !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... et, s'il y a des réponses, notamment dans le domaine des incivilités, elles sont souvent trop tardives et inadaptées.
    Maire de Bron, j'ai créé en 1991, avec le concours du procureur de la République de l'époque, M. Moinard, bien connu par ailleurs pour les responsabilités qu'il a exercées dans un cabinet ministériel, une des premières maisons de justice. Il a fallu vaincre alors les fortes résistances des milieux judiciaires.
    J'ai introduit dans ma ville la pratique des travaux d'intérêt général dans les services municipaux. Je dois constater, pour le regretter, que la justice ne pourvoit pas à tous les postes qui sont offerts dans ce domaine.
    Je crois aussi utile d'associer de plus en plus les citoyens à l'exercice de la justice, comme en témoigne le rôle accru des conciliateurs dans les affaires civiles et celui des délégués du procureur dans la médiation pénale. Mais votre projet d'instituer un nouvel ordre de juridiction est une fausse bonne idée. Vous proposez de recruter 3 300 personnes - c'est-à-dire l'équivalent de 330 postes à temps complet - qui assureront la fonction de juge de proximité une demi-journée par semaine en vacation. Ces juges seront installés dans le ressort des tribunaux d'instance dont ils utiliseront le secrétariat-greffe.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Qui sera renforcé !
    M. Jean-Jack Queyranne. Au lieu de simplifier, vous allez brouiller la lisibilité d'une organisation de la justice qui est déjà bien complexe pour la majorité de nos concitoyens.
    Comme l'a exprimé la conférence nationale des premiers présidents, cette juridiction nouvelle s'ajoutera à la mosaïque des juridictions existantes. Un de nos collègues, M. Marsaud, qui appartient à votre majorité, vous a même dit en commission que vous réinventiez le mouton à cinq pattes.
    M. Claude Goasguen. Il a dit que ce n'était qu'un « risque » !
    M. Jean-Jack Queyranne. Je formule aussi la crainte que cette justice de proximité ne se traduise par une justice à deux vitesses. Vous connaissez la formule du poète : « Selon que vous serez puissant ou misérable... »
    M. Claude Goasguen. Voilà qui n'est pas très brillant...
    M. Lionnel Luca. C'était vrai au xixe siècle.
    M. Jean-Jack Queyranne. Aux mieux informés et aux mieux conseillés de faire jouer les dispositions permettant, par exemple, le renvoi devant le tribunal d'instance. Aux autres, à ceux de « la France d'en bas », d'être sanctionnés sans délai.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux ! Ce que vous dites est scandaleux !
    M. Michel Hunault. C'est caricatural !
    M. Jean-Jack Queyranne. Tels sont les risques que présente la mesure.
    M. Claude Goasguen. C'est un discours de classe !
    M. Jean-Jack Queyranne. Nous verrons à l'usage, monsieur Goasguen, mais je tenais à exprimer aujourd'hui ces craintes.
    Il y a, me semble-t-il, une autre manière de répondre à l'exigence de proximité : en s'appuyant sur les tribunaux d'instance, en renforçant leurs moyens, en simplifiant les procédures.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Quelles procédures pourrait-on simplifier dans les tribunaux d'instance ? Il est impossible de faire plus simple !
    M. Jean-Jack Queyranne. Ces tribunaux sont, en effet, les véritables juges de proximité. Il serait donc préférable de leur adjoindre des juges délégués, dotés de prérogatives importantes, pour régler les conflits à l'amiable, des juges disposant de pouvoirs propres mais exerçant leurs fonctions sous le regard du juge d'instance.
    Parallèlement, vous pourriez développer les maisons de justice et du droit. Il en existe aujourd'hui 85. Une soixantaine étaient en projet ; je ne sais pas ce qu'elles deviendront.
    On pourrait aussi parler des antennes de justice : il y en a plus de 80, qui offrent aux citoyens une première approche de la justice, je l'ai constaté dans les communes de ma circonscription. Des petits litiges y trouvent une solution alors qu'ils étaient négligés par les juridictions.
    Certes, il peut être opposé que le rôle des maisons de justice et du droit est limité aux procédures de conciliation et de médiation et qu'elles ne rendent pas de jugement.
    M. Claude Goasguen et M. Lionnel Luca. Exactement !
    M. Jean-Jack Queyranne. Mais rien n'empêche, monsieur Goasguen, que les juges d'instance y tiennent des audiences, tant au civil qu'au pénal ; voilà une voie qui peut être explorée.
    M. Lionnel Luca. C'est ce que feront les juges de proximité.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Tout à fait !
    M. Jean-Jack Queyranne. Il n'est donc pas nécessaire de créer des juges de proximité.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Vous connaissez les délais, dans les tribunaux d'instance, monsieur Queyranne ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Appuyons-nous sur les institutions existantes, travaillons avec les juges professionnels.
    Le titre III de votre projet réforme le droit pénal des mineurs. M. Goasguen, comme les orateurs précédents, ont évoqué l'ordonnance de 1945, qui établit le primat de l'éducation et de la prévention sur la sanction, sans que les deux démarches soient antagonistes.
    M. Lionnel Luca et M. Claude Goasguen. Absolument !
    M. Jean-Jack Queyranne. En effet, la crédibilité des actions éducatives repose, pour partie, évidemment, sur l'existence d'une sanction en cas d'infraction à la règle commune.
    M. Claude Goasguen. C'est exactement ce que nous disons.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Magnifique définition des centres fermés.
    M. Jean-Jack Queyranne. Des sanctions sont bien prononcées ; contrairement à ce qui a pu être dit, la justice des mineurs y recourt, regardez les chiffres qui figurent dans les rapports.
    La délinquance des mineurs progresse, elle devient effectivement plus précoce et plus violente,...
    M. Lionnel Luca. Tous vos collègues ne sont pas de cet avis.
    M. Jean-Jack Queyranne. ... et je partage l'opinion de M. Albertini : les jeunes eux-mêmes en sont les premières victimes.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument.
    M. Jean-Jack Queyranne. Les vraies questions que nous devons nous poser sont donc les suivantes : comment réduire cette délinquance ? comment rétablir la primauté de la loi ? comment faciliter l'insertion des jeunes dans la société ?
    Or vous proposez, monsieur le garde des sceaux, à travers ce texte, un ensemble de dispositions à caractère répressif qui conduisent à multiplier les solutions d'enfermement.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L'embauche de 1 200 éducateurs, par exemple ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Le mot « prévention » n'apparaît qu'à deux reprises dans l'exposé des motifs et dans le corps du projet - M. Warsmann a d'ailleurs tenté de le réintroduire par divers amendements.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous voterez donc mes amendements ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Certes, monsieur le garde des sceaux, vous soulignez, dans vos interventions, votre souci éducatif, mais on aurait aimé que M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche soit présent à vos côtés. En effet, pour détecter très tôt les comportements à risque des mineurs, une continuité éducative est indispensable. C'est d'ailleurs la gauche, je le rappelle à mon tour, qui a créé les classes-relais et les internats spécialisés de l'éducation nationale, c'est la gauche qui a développé les centres d'éducation renforcée, et tous ces dispositifs ont été couronnées par de bons résultats, même s'ils s'adressent à un public difficile.
    Vous avez beaucoup évoqué les résultats du 21 avril. Je citerai simplement une enquête sur l'insécurité publiée par le Figaro au début de la campagne présidentielle, le 18 mars : 72 % des Français, pour faire baisser l'insécurité, mettaient l'accent sur la prévention et l'éducation, et seulement 27 % sur la répression.
    M. Lionnel Luca. On a vu ce que cela a donné au premier tour...
    M. Jean-Jack Queyranne. Croyez-vous que les Français aient changé d'avis ? Les exemples américain et britannique sont là pour leur montrer que l'incarcération des mineurs ne fait pas reculer l'insécurité, loin de là.
    Vous nous proposez pourtant des centres éducatifs fermés, dont la définition reste à préciser. Il ne faut surtout pas recréer les maisons de correction, qui ont été fermées dans les années 70, non pour obéir à une idéologie permissive mais parce qu'il devenait impossible de les faire fonctionner : selon les termes mêmes d'un éducateur, c'étaient des « cocottes-minute ».
    La situation des quartiers de mineurs - celui de Lyon en est un triste exemple - appelle des mesures énergiques. Dans ces conditions, faut-il que la détention provisoire des mineurs devienne la règle, chaque fois que le contrôle judiciaire est considéré comme insuffisant ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous ne proposons pas cela. Vous mentez !
    M. Jean-Jack Queyranne. Faut-il abaisser, monsieur Warsmann, l'âge minimum de la sanction, même qualifiée d'« éducative », à l'âge de dix ans et faciliter la rétention des jeunes ?
    M. Guy Geoffroy. Oui !
    M. Jean-Jack Queyranne. Face à la réalité de la délinquance des mineurs, vous prenez le risque de stigmatiser les jeunes sans affirmer de réelles priorités d'éducation et de prévention.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux !
    M. Jean-Jack Queyranne. Votre projet, troisième point, vise à vider de son contenu la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Oh !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ce ne serait pas un drame...
    M. Jean-Jack Queyranne. Nous avons rappelé les conditions de son adoption. Elle a pour objectif de réduire l'ampleur de la détention provisoire, en établissant une distribution équilibrée des rôles entre le juge d'instruction, le procureur et le nouveau juge des libertés et de la détention.
    Et vous allez rompre cet équilibre au profit du procureur.
    M. Lionnel Luca. Bonne nouvelle !
    M. Jean-Jack Queyranne. Tout y concourt : l'extension du champ de la comparution immédiate à des infractions modestes, qui rendra toute instruction inutile ; la création d'un référé-détention, par opposition au référé-liberté - le contraste entre les termes est vraiment symbolique -, qui fera échec aux décisions du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention ; la possibilité de prolonger la durée de détention provisoire pour des motifs d'ordre public.
    Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, Me Iweins, déclarait, il y a quelques jours : « La procédure pénale ne peut supporter d'incessants changements en fonction des alternances politiques. »
    M. Claude Goasguen. Il a tort !
    M. Jean-Jack Queyranne. Le législateur n'avait fait que rattraper le retard de la justice française dans le domaine des droits de la défense : la loi du 15 juin 2000 se bornait à nous mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. A travers votre texte, vous trouvez le moyen de nous faire reculer.
    J'ai cherché, monsieur le garde des sceaux, à mettre votre projet en cohérence avec les maîtres mots de la politique de communication du Premier ministre, M. Raffarin,...
    M. Lionnel Luca. Cela vous ennuie, hein !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... qui présentait son bilan d'étape aujourd'hui : dialogue, humanisme, réforme.
    Dialogue ? La concertation a manqué, tous les milieux de la justice le déplorent.
    Un nouvel humanisme ? Est-ce un signe d'humanisme que d'abaisser à dix ans l'âge de la majorité pénale et de créer des centres éducatifs fermés ?
    M. Lionnel Luca. Bien sûr ! Pour soutenir les victimes !
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous préférez mettre les mineurs en prison, monsieur Queyranne ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Réforme ? Vous ne posez pas les jalons d'une réforme profonde de la justice, de l'architecture de son institution, de son fonctionnement efficace et démocratique, de sa place dans notre société. Que dire, par exemple, de l'absence, dans vos réflexions, des tribunaux de commerce, du statut des parquets,...
    M. Lionnel Luca. C'est vous qui avez reporté leur réforme !
    M. Jean-Jack Queyranne. ... du Conseil supérieur de la magistrature, et j'en passe ?
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je croyais que le champ de la loi était déjà trop vaste ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Monsieur le garde des sceaux, la confrontation avec les principes proclamés par le Premier ministre est cruelle. Et pourtant, vous voulez faire oeuvre de communication. Le groupe socialiste votera contre votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI CONSTITUTIONNELLE

    M. le président. J'ai reçu, le 31 juillet 2002, de Mme Gabrielle Louis-Carabin et de M. Joël Beaugendre, une proposition de loi constitutionnelle tendant à permettre de procéder à l'élection du Président de la République dans les départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, le jour précédant celui où les électeurs de la métropole sont convoqués.
    Cette proposition de loi constitutionnelle, n° 161, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

3

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

    M. le président. J'ai reçu, le 31 juillet 2002, de M. Patrick Ollier, une proposition de résolution tendant à modifier l'article 36 du règlement de l'Assemblée nationale.
    Cette proposition de résolution, n° 162, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

4

DÉPÔT DE RAPPORTS

    M. le président. J'ai reçu, le 31 juillet 2002, de M. Gilles Carrez, un rapport, n° 159, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002.
    J'ai reçu, le 31 juillet 2002, de M. Michel Hunault, un rapport, n° 160, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant amnistie.

5

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures quinze, première séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 154, d'orientation et de programmation pour la justice :
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 157),
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 158).
    A quinze heures, deuxième séance publique :
    Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002 :
    M. Gilles Carrez, rapporteur (rapport n° 159) ;
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Eventuellement, discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ;
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée le jeudi 1er août à une heure vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 2e séance
du mercredi 31 juillet 2002
SCRUTIN (n° 9)


sur l'exception d'irrecevabilité opposée par M. Ayrault au projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Nombre de votants

225


Nombre de suffrages exprimés

225


Majorité absolue

113


Pour l'adoption

52


Contre

173

    L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe Union pour la majorité présidentielle (365) :
    Contre : 160 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votants : MM. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale) et Eric Raoult (président de séance).
Groupe socialiste (141) :
    Pour : 49 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe Union pour la démocratie française (29) :
    Contre : 12 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe Communistes et républicains (22) :
    Pour : 2 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Non inscrits (20).
    Pour : 1. - Mme Christiane Taubira.
    Contre : 1. - M. Eric Jalton.