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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 2 AOÛT 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 1er août 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Justice - Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation et de programmation adopté par le Sénat après déclaration d'urgence. «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M.
Christian Estrosi,
Mme
Elisabeth Guigou,
MM.
Victorin Lurel,
Axel Poniatowski,
Mme
Christiane Taubira,
MM.
Gérard Léonard,
Jérôme Lambert,
Pierre Cardo,
Jean-Pierre Dufau,
Léonce Deprez,
Jérôme Rivière,
Gérard Hamel,
Mme
Maryse Joissains-Masini,
MM.
Christian Vanneste,
Georges Fenech,
Michel Buillard,
Mme
Christine Boutin,
MM.
Jacques Myard,
Guy Geoffroy,
René-Paul Victoria,
Lionnel Luca.
Clôture de la discussion générale.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures quinze.)

1

JUSTICE

Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation
et de programmation, adopté par le Sénat
après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice adopté par le Sénat après déclaration d'urgence (n°s 154, 157).

Discussion générale (suite)

    M. le président. Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
    Dans la suite de cette discussion, la parole est à M. Christian Estrosi.
    M. Christian Estrosi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme de la justice est une grande ambition que le Président de la République et le Premier ministre ont placée, avec la nouvelle architecture institutionnelle de la sécurité, en tête de leurs priorités. Et je vous remercie, monsieur le ministre, de nous présenter avec courage et détermination un texte qui apporte les réponses essentielles qu'attendaient les Françaises et les Français.
    Ce texte s'inscrit dans le prolongement du projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure pour les cinq prochaines années, qui a été présenté ici par le ministre de l'intérieur. Il constitue donc le deuxième acte fondateur de la mise en oeuvre des engagements prioritaires du Gouvernement.
    Représenter le peuple dans cette assemblée en ayant le sentiment qu'en quelques semaines les engagements pris sont respectés c'est, dans une vie parlementaire, quelque chose de particulièrement fort ! Merci, monsieur le ministre, de nous offrir cette formidable opportunité.
    J'ai beaucoup entendu parler hier de la défense des magistrats, de la PJJ, des acteurs de la justice, j'ai beaucoup entendu parler de corporatisme. Mais j'ai très peu entendu parler des Françaises et des Français.
    M. Lionnel Luca. Mais ça ne compte pas...
    M. Christian Estrosi. Or c'est en leur nom que nous légiférons aujourd'hui, pour apporter des réponses à leurs principales inquiétudes.
Trop souvent, ces dernières années, nous avons assisté à l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat/...
    M. Gérard Léonard. C'est vrai !
    M. Christian Estrosi. par touches successives : dépénalisation de fait, alourdissement et complexification des règles de procédure. En raison de remises en liberté inadmissibles, nous avons été confrontés à des drames humains et sociaux inacceptables.
    Certains l'ont mis sur le compte de leur propre naïveté. Pour ma part, je mesure, les conséquences qu'ont eues certaines décisions politiques. Je pense au garde des sceaux qui adressera à tous les parquets une circulaire leur enjoignant de ne plus poursuivre tous les délits de trafic de drogues dites « douces » - alors que, selon moi, la distinction n'a pas lieu de se faire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Cela eut des conséquences considérables sur la santé de notre jeunesse et favorisa les trafics en tout genre.
    Notre politique pénale est disparate sur l'ensemble de notre territoire. Comment peut-on admettre que dans certaines juridictions, il y ait 22 % de classements sans suite, dans d'autres 80 % et que les taux d'élucidation soient les plus bas qu'on ait jamais connus ? C'est à cette politique de Gribouille que nous avons assisté et à laquelle il nous faut mettre un terme aujourd'hui.
    Certes, les droits de l'homme ont été renforcés. Mais la justice, instrument de leur autorité et de leur force, s'est affaiblie : des textes trop nombreux et sans visions nous ont fait perdre de vue les droits des citoyens.
    La loi sur la présomption d'innocence - dont vous proposez, monsieur le ministre, certaines modifications - a révélé ce déclin judiciaire. En favorisant les droits des délinquants au détriment de ceux des victimes, la justice a été conduite à ignorer ceux qu'elle était censée protéger : les citoyens, au premier rang desquels les plus défavorisés et les plus démunis. L'insécurité, par exemple, est une injustice sociale qui frappe les plus démunis. Je note d'ailleurs avec satisfaction que, par le biais de l'aide juridictionnelle, vous améliorez le sort de ces derniers.
    Cette loi sur la présomption d'innocence a révélé une certaine défiance à l'égard de nos policiers. On a beaucoup parlé des magistrats, des professions judiciaires. Mais toutes ces dispositions législatives ont démotivé des hommes et des femmes, policiers nationaux, gendarmes nationaux qui se sont pourtant engagés au service des autres, pour assurer la protection des personnes et des biens. Au lieu de leur apporter la considération qu'ils méritaient, on s'en est méfié, comme s'il s'agissait de personnes dangereuses.
    Nous ne devons pas perdre de vue un seul instant, mes chers collègues, en examinant ce nouveau projet de loi, que les Français ont des droits sur leur justice. Ils ont le droit d'en être satisfaits, d'exiger une qualité de prestation, de participer à la bonne administration de ce service public, d'être jugés et de voir juger dans de bonnes conditions et dans des délais raisonnables et, surtout, de voir exécuter les sanctions prononcées par une justice qui est rendue en leur nom.
    En dégageant des moyens considérables, en raccourcissant les délais de traitement des affaires, en combattant la culture de l'excuse et de l'impunité par une politique pénale ferme, en favorisant la mise à exécution des peines, en modifiant l'ordonnance de 1945, vous apportez aux Français les réponses qu'ils attendaient.
    Ce texte répond aux angoisses des Français, au mécontentement des policiers, aux attentes des magistrats, et au rétablissement de la présence de la République sur tout le territoire, en particulier grâce à la justice de proximité.
    Monsieur le ministre, à l'idéal de justice, vos prédécesseurs avaient répondu par une réalité d'injustice. Vous répondez par un projet propre à faire de la justice l'instrument de notre liberté enfin retrouvée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et de quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, André Vallini, Julien Dray et Jean-Jack Queyzanne ont défendu hier avec vigueur et compétence des positions que je partage. Je me contenterai donc aujourd'hui de quelques remarques. S'agissant d'abord des mineurs, il est bien entendu nécessaire, et même indispensable, d'agir plus efficacement alors que la délinquance juvénile concerne des jeunes de plus en plus jeunes pour des actes de plus en plus graves. Il n'y a pas de doute à avoir ou de procès d'intention à faire sur l'objectif poursuivi qui est bien de réduire la délinquance juvénile. La seule question qui se pose, c'est la suivante : « comment être efficace et comment l'être en assurant l'insertion des jeunes dans la société ? ». Il ne peut être en effet question pour nous - pour la gauche en tout cas - de laisser penser que l'objectif de la société est de retirer les jeunes de la vie sociale, de les parquer dans des foyers puis dans des centres de placement immédiat ou renforcé, enfin dans des prisons. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Pour nous, la gauche, toute personne peut s'améliorer. La société doit donner les moyens de réinsérer, à plus forte raison quand il s'agit des jeunes qui ne sont pas de petits adultes à la personnalité constituées mais des êtres en devenir qu'elle se doit d'accompagner si les parents sont défaillants.
    C'est d'abord un problème de moyens, de moyens humains : car ce qui a manqué d'abord à ces jeunes, c'est une relation avec des adultes qui leur apprennent, avec l'équilibre nécessaire entre affection et fermeté, les règles de la vie en société. Lorsque la famille est défaillante, ce sont les éducateurs professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse qui prennent le relais. Or ils sont encore trop peu nombreux malgré l'augmentation sans précédent des postes, réalisée depuis cinq ans. Vous prévoyez 250 postes par an, monsieur le ministre, soit 100 postes de moins que ce que nous faisons depuis 1999. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) J'espère que vous disposerez effectivement pendant chacune des cinq années qui viennent des moyens que vous nous annoncez aujourd'hui.
    C'est aussi un problème de lieux de prise en charge de ces jeunes, qui doivent être suffisamment diversifiés pour répondre à la multiplicité des situations : des internats pour les adolescents difficiles qui n'ont pas commis d'actes de délinquance, mais que leurs familles ont du mal à encadrer ; j'observe que votre projet ne les mentionne pas. (Exclamation sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Des classes relais que le gouvernement Jospin a considérablement développées ; j'espère que vous ferez de même pour les primo-délinquants sur de petits délits. Des postes de travail d'intérêt général, des peines de réparation encore insuffisamment développées.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est sûr !
    Mme Elisabeth Guigou. Pour les délits les plus graves, nous avons parlé des CPI qui doivent être plus nombreux et, pour des délinquants endurcis, des centres éducatifs renforcés qu'il faut continuer à développer. En effet, surtout dans les départements urbains très peuplés, comme la Seine-Saint-Denis, nous manquons de tels dispositifs.
    M. Jacques Masdeu-Arus. C'est dur la Seine-Saint-Denis. Ce n'est pas comme Avignon !
    Mme Elisabeth Guigou. Mais faut-il créer un nouveau type de centres pour jeunes ? Oui, si ces centres remplissent une fonction spécifique entre les CER et les nouveaux établissements pénitentiaires que vous prévoyez de réserver aux jeunes - et cela, c'est une bonne disposition. (« Ah ! » sur les bancs de l'Union pour la majorité plurielle.)
    J'avoue que dans votre projet, j'ai du mal à voir ce qui va distinguer les centres dits « fermés » des CER. J'espère que vous nous apporterez sur ce point des éclaircissements.
    L'efficacité de la lutte contre la délinquance des jeunes passe par une sanction rapide, systématique, du premier acte de délinquance, c'est-à-dire par la justice de proximité. Tout le monde est pour la justice de proximité. Encore faut-il que celle-ci fonctionne bien. Les maisons de la justice et du droit, les délégués du procureur, dont nous avons beaucoup développé le nombre mais qui devraient être présents dans chaque grande ville, jouent un rôle très utile puisque 80 % des primo-délinquants qui bénéficient de ces procédures ne récidivent pas. Pourquoi ne pas les avoir mentionnés ?
    Pourquoi avoir préféré créer une nouvelle catégorie de juges, baptisés juges de proximité, comme si les juges d'instance, les juges des enfants, les délégués du procureur n'étaient pas des magistrats de proximité ? Pourquoi ne pas avoir renforcé, développé ce qui existe déjà, qui a fait ses preuves et qui pourrait être plus efficace avec plus de moyens ? Comment assurerez-vous la cohérence, l'articulation entre vos juges de proximité et les juges d'instance ou les juges des enfants, voire le président du tribunal, qui peut déléguer la composition pénale ? Comment assurerez-vous l'égalité de traitement de la délinquance sur tout le territoire ? Comment garantirez-vous qu'un même délit soit traité par les mêmes juges en Seine-Saint-Denis et dans la Creuse ?
    Mme Maryse Joissains-Masini. Nous ferons tout cela mieux que vous !
    Mme Elisabeth Guigou. Je crains, monsieur le ministre, que ces nouveaux juges de proximité n'introduisent en réalité plus de confusion que de lisibilité pour le citoyen. En tout cas, la création de cette nouvelle juridiction ne va pas dans le sens de la simplification que vous appelez de vos voeux.
    Un dernier mot sur la délinquance des mineurs : une action efficace ne peut se réduire à la chaîne police-justice. Même si la chaîne pénale fonctionne de façon optimale - et c'est loin d'être le cas - elle ne peut suffire ; il est indispensable, si l'on veut des résultats, qu'en amont de la chaîne pénale une prévention efficace agisse sur les facteurs qui favorisent la délinquance, notamment la misère sociale, et qu'en aval, après la sanction, la réinsertion soit rendue possible. Or, dans votre projet, le mot de prévention n'est prononcé que deux fois et celui de réinsertion, pas du tout.
    Quels moyens le Gouvernement dégagera-t-il pour aider les multiples acteurs, notamment les associations qui se consacrent à l'insertion sociale de ceux qui n'ont pas de travail, pas de logement, pas de formation ? Pour aider les familles en difficulté qui peinent à élever des adolescents perturbés ?
    Quels moyens donnera-t-il aux personnels d'insertion et de probation qui s'occupent de la réinsertion des détenus ? Car, vous le savez, les délinquants, une fois leur peine purgée, sortent de prison. Il ne suffit donc pas de favoriser l'enfermement. Il faut aussi se préoccuper de la sortie et de la réinsertion dans la société si l'on veut éviter la récidive. Pas un mot là-dessus dans votre projet. N'allons-nous pas ainsi entretenir l'illusion que l'on peut, par la prison, se débarrasser définitivement des délinquants ?
    Je crains que, sur la délinquance des mineurs, votre projet ne privilégie l'affichage et l'effet d'annonce au détriment de l'action concrète, globale, cohérente, qui intervient sur la réalité des situations et qui mobilise tous les acteurs. Ce n'est donc pas votre objectif que je critique, mais les moyens que vous privilégiez, car ils me paraissent relever d'une v ision étroite qui ne fait porter l'effort que sur la police et la justice, en oubliant la prévention et la réinsertion, au détriment d'une action véritablement globale.
    Mais il y a plus grave. Votre projet dénature totalement la loi sur la présomption d'innocence. Et là, c'est un désaccord de principe qui nous oppose.
    La loi présomption d'innocence, dite « loi Guigou », que je suis fière d'avoir portée devant le Parlement, comme je suis d'ailleurs fière d'avoir fait voter d'autres lois Guigou sur la lutte contre la délinquance sexuelle, sur le PACS ou sur la parité (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) ...
    Mme Christine Boutin. Vanité des vanités !
    Mme Elisabeth Guigou. ... m'oppose résolument à votre approche.
    Je ferai une remarque préalable sur les droits des victimes : la loi du 15 juin 2000 a été la première à les introduire dans le code de procédure pénale et à faire en sorte que les victimes ne soient plus les oubliées du procès pénal. Le titre II de la loi y est entièrement consacré et permet aux victimes d'être mieux entendues et mieux défendues, d'être indemnisées pour la première fois...
    Mme Maryse Joissains-Masini. C'est faux !
    Mme Elisabeth Guigou. ... et de voir leur dignité protégée. En même temps, la loi consacre le rôle joué par les associations d'aide aux victimes, si efficaces pour les prendre en charge et atténuer leur désarroi.
    Aux vingt-deux articles consacrés aux victimes dans la loi du 15 juin 2000, vous en ajoutez quatre. Vous prévoyez notamment la suppression de la condition de ressources pour l'aide juridictionnelle dans les cas graves et l'obligation pour le policier qui reçoit la plainte de notifier à la victime qu'elle peut avoir recours à un avocat. Très bien, cette notification. Mais remarquons que le droit, pour les victimes, de recourir immédiatement à un avocat existe déjà,...
    M. Lionnel Luca. Mais il n'est jamais appliqué !
    Mme Elisabeth Guigou. ... alors que certaines présentations faites ici même, hier encore, pouvaient laisser penser que le droit à l'avocat existait pour les délinquants et pas pour les victimes, ce qui est faux.
    M. Christian Estrosi. Mais personne n'informe les victimes !
    Mme Elisabeth Guigou. Il me semble qu'un affichage plus modeste correspondrait mieux à la réalité de votre apport sur cet important sujet.
    La détention provisoire, qui est une détention avant jugement - je me souviens de M. Devedjian, parlant dans le débat sur la loi renforçant la présomption d'innocence, de « lettre de cachet » - doit, selon cette loi du 15 juin 2000, rester l'exception et n'être utilisée que dans des cas précis - notamment le danger que représente le prévenu pour la société ou le risque de voir disparaître des preuves - et pour des durées limitées. On se souvient qu'avant la loi du 15 juin 2000 des délais excessifs de détention provisoire avaient provoqué la condamnation de notre pays pour non-respect de la convention européenne des droits de l'homme et que, suite à cette condamnation, la justice française a été contrainte de relâcher le meurtrier d'un policier !
    M. le président. Veuillez conclure, madame Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. C'est bien parce que la présomption d'innocence est un principe cardinal de notre droit, comme du droit de tous les grands pays démocratiques, qu'il a paru nécessaire de définir plus précisément les cas où la détention provisoire pouvait intervenir et de limiter sa durée.
    Je veux, à cet instant, rappeler ce que fut le consensus national sur cet important sujet, en citant quelques-unes des personnalités éminentes qui se sont alors exprimées.
    M. Christian Estrosi. On n'a pas fini !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Vous êtes inscrite pour dix minutes !
    Mme Elisabeth Guigou. M. Chirac, d'abord, est intervenu de façon répétée en faveur d'une nouvelle loi sur la présomption d'innocence, le 9 janvier 1998, le 14 juillet et surtout le 1er octobre 1999 où le chef de l'Etat déclare « attacher une particulière importance à l'adoption du projet de loi en cours de discussion devant le Parlement ».
    M. le président. Madame Guigou, il faudrait conclure. Vous avez déjà dépassé votre temps de parole.
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président, j'ai noté que M. Estrosi avait parlé dix minutes au lieu de cinq. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Estrosi. Jalouse !
    M. le président. Pas du tout, il s'en est tenu à ses cinq minutes.
    Mme Elisabeth Guigou. Le 19 mai 2001, M. Chirac déclare encore : « La présomption d'innocence, pourtant solennellement affirmée par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme, est restée pendant des années la grande oubliée de notre système judiciaire. Je souhaite, avec le Gouvernement, une loi plus respectueuse des droits des justiciables pour limiter le recours à la détention préventive. »
    Et personne n'a oublié les accents valeureux de M. Devedjian réclamant une réforme « plus radicale », de M. Houillon « regrettant que l'on soit encore en retrait par rapport au droit européen » ni, bien entendu, les réponses de M. Jacques Floch appelant les députés de l'opposition d'alors à plus de réalisme.
    Or, que fait votre projet ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jérôme Rivière. Elle recommence, monsieur le président !
    M. Lionnel Luca. Le règlement est le même pour tous !
    Mme Elisabeth Guigou. Votre projet opère un renversement complet sur la présomption d'innocence. D'abord, en obligeant le juge des libertés à motiver la décision de mise en liberté, il fait de la liberté l'exception et de la détention la règle.
    M. Lionnel Luca. Ce n'est pas vrai !
    Mme Elisabeth Guigou. Car, en droit, la règle ne se motive pas, c'est l'exception qui se motive.
    M. le président. Je vous demande de synthétiser votre propos. Vous savez que le temps de parole est limité, sauf pour les ministres.
    M. Christian Estrosi. Et Mme Guigou ne l'est plus !
    Mme Elisabeth Guigou. Je termine.
    Renversement complet, ensuite, en soumettant le juge des libertés, juge du siège indépendant, au contrôle du procureur. On voit en effet, dans ce projet, une décision du magistrat du siège paralysée par l'appel d'un procureur, magistrat soumis à un pouvoir hiérarchique et, depuis que vous êtes garde des sceaux, à une instruction du ministre. Cela me paraît poser un problème de constitutionalité.
    M. le président. Il faut conclure.
    Mme Elisabeth Guigou. Je conclus. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Tout de suite !
    Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le ministre, un tel renversement méritait bien un vrai débat parlementaire. Pourquoi avoir choisi de présenter ce texte en urgence au creux de l'été, sachant que ses principales dispositions ne s'appliqueront pas avant plusieurs mois, voire plusieurs années ? Je ne peux que déplorer une telle désinvolture alors qu'il s'agit de sujets graves et que, sur la sécurité, il y va de l'intérêt de notre démocratie que vous obteniez des résultats.
    M. Jérôme Rivière. Allez-vous enfin conclure ? Quel mépris du règlement !
    M. Lionnel Luca. Quelle impudence !
    Mme Elisabeth Guigou. Si le Gouvernement se contente, comme c'est hélas le cas ici, d'effets d'affichage, je crains que la désillusion, une fois de plus, ne produise plus d'abstention et plus d'extrémisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés[ées] communistes et républicains.)
    M. le président. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, sauf pour les ministres, le temps de parole est limité. Tous ceux qui ne sont pas encore ministres ou qui ne le sont plus sont donc priés de le respecter.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Eh oui !
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour cinq minutes.
    M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre approbation est important. On s'attendait à un texte bref, ramassé et percutant, dessinant une orientation stratégique, traçant des perspectives et adoptant, pour le moyen terme, une programmation de moyens de nature à vaincre la malédiction qui frappe dans leur exécution toutes les lois du même nom.
    La livraison qui nous est faite est un texte d'une quarantaine de pages, alourdi de quarante-quatre articles, accompagné d'une annexe et traitant pêle-mêle de questions aussi diverses que la création d'un nouvel ordre judiciaire, la réforme de la procédure pénale, la justice des mineurs, la modernisation des établissements pénitentiaires, la réforme du contentieux administratif, la prise en compte de l'aide aux victimes, et j'en passe... Bref, c'est une loi mosaïque dont a du mal à percevoir la vision d'ensemble qui l'anime.
    Monsieur le garde des sceaux, nous pouvons comprendre la nécessité qui vous étreint et qui vous contraint, mais, malgré notre bonne volonté, nous ne pouvons approuver ni la méthode ni la philosophie qui ont irrigué le projet soumis à notre agrément.
    La méthode est celle, disons-le, d'une grande violence symbolique, d'une sèche brutalité utilisant sans ménagement les ressources du règlement...
    M. Gérard Léonard. C'est faux !
    M. Victorin Lurel. ... et piétinant les droits du Parlement avec, hélas, son assentiment enthousiaste, en tout cas, messieurs, celui de la majorité que vous constituez. Nous avons du mal à admettre la précipitation et l'improvisation qui accompagnent ce texte, la hâte de légiférer, dans la torpeur estivale, sur des sujets importants, qui mériteraient des analyses autrement plus approfondies. Je vous prie de n'y pas voir malice ou entêtement, mais réellement l'expression d'un malaise provoqué par l'obligation de travailler dans de telles conditions. Je n'ignore pas que mes amis, en d'autres temps, ont eu eux-mêmes à utiliser la procédure d'urgence pour légiférer. Est-ce une raison pour les imiter maintenant, quand on sait que vous disposez de la durée et de tous les pouvoirs ?
    Nous travaillons mal et nos textes sont trop souvent inapplicables. Sait-on vraiment ce qu'est cet objet pénitentiaire mal identifié que vous appelez le centre éducatif fermé ? A-t-on vraiment pesé et soupesé les conséquences de la création du juge dit de proximité et apprécié les conflits de compétences et de moyens avec les juges et les tribunaux d'instance ? A-t-on vraiment pris la mesure des difficultés pour recruter ces 3 300 « juges » ? Comment peut-on, chers collègues, au-delà des signaux que vous voulez adresser à l'opinion après le ramdam sécuritaire des deux campagnes électorales récentes, traiter avec autant de bonne conscience la délinquance juvénile sous l'angle exclusif de la répression et du soupçon, postuler, sans l'avouer, l'irréversibilité sociale des tares et des déviances, et croire que seuls l'enfermement et l'emprisonnement peuvent y remédier ?
    La philosophie qui sous-tend ce texte mal préparé nous blesse et, j'allais dire, nous agresse. Ce ne sont pas là plaintes ou jérémiades de belles âmes ; c'est simplement un honnête souci de croire en l'homme et en ses possibilités, lorsqu'on lui en donne les moyens et la chance, de se racheter ou de se payer une conduite.
    Au-delà de vos dénégations et de ce que vous croyez être un « procès de confection » que vous ferait l'opposition, l'esprit de votre texte relève bien d'un fort tropisme pénal et d'une idéologie du sécuritaire et du tout répressif. Ce n'est pas en enfermant ou en emprisonnant des enfants qu'on en fera des hommes au service de leur communauté. Il est bien loin le temps où l'un des vôtres, M. Devedjian, reprenait dans son ouvrage Le temps des juges la belle phrase de Victor-Hugo : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. »
    Il manque actuellement dans ce projet une charpente faite de prévention, d'éducation et de répression portant ainsi un édifice plus harmonieux. Ce texte eût gagné considérablement à mieux marcher sur ses deux jambes, prévention et répression, et cet équilibre eût pu être obtenu si une concertation approfondie avait été engagée avec le milieu judiciaire, les associations et autres socio-professionnels du monde de la justice.
    Pour illustrer la précipitation dont souffre la présentation de ce projet de loi, j'aimerais insister sur les dispositions de l'article 3, qui institue - disons-le de manière cursive - un régime pour construire et réparer plus rapidement les prisons nécessaires à la résorption des files d'attente et des flux supplémentaires de la démographie carcérale galopante. Nous n'ignorons pas la situation proprement explosive de nos prisons où existe ce que les éthologues appellent le peck order, « l'ordre par le bec », le pullulement, avec les batailles féroces entre détenus pour se ménager un « espace vital », transformant, aux étés trop chauds, nos établissements en coupe-gorges et en poudrières.
    Oui donc, il faut construire, et vite. Mais comment ?
    Faut-il violer pour autant les règles du code des marchés publics récemment revues et corrigées, et mettre entre parenthèses les règles de transparence, de publicité et de mise en concurrence, qui doivent présider aux procédures publiques ? Vous proposez en effet de déroger aux règles de passation des marchés publics, et spécialement à celles de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique, pour répondre à l'urgence et confier à une même personne morale, de droit public ou de droit privé la conception, la construction, l'entretien et la maintenance d'un bâtiment public.
    M. le président. Monsieur Lurel, il faut conclure.
    M. Victorin Lurel. La semaine dernière, ici même, Nicolas Sarkozy, s'inspirant du précédent Chalandon de 1987, avait déjà fait adopter un dispositif semblable pour la construction et la maintenance des commissariats de police et des casernes de gendarmerie. Interpellé par notre excellent collègue Jean-Pierre Blazy, M. le ministre de l'intérieur répondait un peu violemment et lui renvoyait à la figure le bilan de la précédente législature, comme s'il s'agissait d'une infamie. Nous n'en rougissons pas. Tout au contraire, nous en sommes fiers.
    Par ailleurs, est-ce une agression que d'attirer votre attention sur les conséquences graves des procédés qui vont être ainsi mis en oeuvre ? Vous souffrirez donc, monsieur le garde des sceaux et monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, que l'on dise, sans détours, les conséquences de cette politique.
    Il s'agit en fait d'une « privatisation » de certaines missions proprement régaliennes qui n'ose pas dire son nom, pudiquement désignée par le terme d'externalisation de prestations telles que la gestion immobilière, l'hôtellerie, la restauration, la blanchisserie. On l'a vu, seules les fonctions de direction, de greffe et de surveillance ne seraient pas déléguées.
    Nous le savons également tous : l'effectivité de la concurrence sera très faible, car peu d'entreprises seront capables de soumissionner à ce type de marchés complexes. Un rapport du Sénat l'a montré : seuls quatre grands groupes d'entreprises ont pu participer au précédent programme du même type, le programme pénitentiaire Chalandon.
    M. le président. Monsieur Lurel, je vous demande d'abréger. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole.
    M. Victorin Lurel. Il n'est pas interdit que l'on sache que la réalisation et la gestion de ces constructions coûtent, à terme, investissement et exploitation confondus, plus cher que si elles avaient été effectuées dans le cadre d'une gestion sous tutelle de l'administration pénitentiaire.
    Par ailleurs, il est à craindre que la passation de ces marchés ou conventions ne soit pas soumise à la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin.
    M. le président. Monsieur Lurel vous étiez inscrit pour cinq minutes et vous êtes à près de huit. Venez-en à votre conclusion.
    M. Victorin Lurel. J'en suis à la pénultième seconde, monsieur le président. Et je ne doute pas que vous serez aussi indulgent avec moi qu'avec les autres.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Cela suffit maintenant !
    M. Victorin Lurel. Enfin, monsieur le garde des sceaux, vous pouvez admettre avec nous que l'utilisation combinée des possibilités du crédit-bail et des baux à construire avec option d'achat permet à l'Etat de transférer à d'autres la qualité de maître d'ouvrage. L'affaire n'a pas que des avantages en termes de rapidité de passation des procédures et d'exécution des opérations immobilières, elle présente également de substantiels avantages budgétaires puisqu'elle autorise le report et l'étalement du coût de ces chantiers sur plusieurs exercices.
    Je m'interroge donc...
    M. le président. Je ne vous demande pas de vous interroger, mais de conclure !
    M. Jérôme Rivière. Il faut respecter le règlement !
    M. Victorin Lurel... sur le respect du principe de sincérité des lois de finances, qui a été consacré récemment par la loi organique du 1er août 2001.
    Ce type de procédés ou d'astuces comptables et budgétaires me rappelle, mutatis mutandis, les fameuses « titrisations » de M. Berlusconi, qui ont été censurées par la Commission européenne.
    Enfin, et j'en viens à ma conclusion (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle)...
    M. Lionnel Luca. Quelle impudence !
    M. Jérôme Rivière. Quel mépris des institutions démocratiques !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Neuf minutes déjà !
    M. Pierre Cardo. Au revoir !
    M. Victorin Lurel ... qu'il me soit permis de rappeler - sans cruauté - à M. le garde des sceaux que c'est ce même dispositif, celui des marchés d'entreprises de travaux publics, qui a généré les dérapages que l'on sait dans la construction des lycées de la région Ile-de-France.
    M. le président. C'est fini, monsieur Lurel !
    M. Victorin Lurel. Je finirai tout à fait, monsieur le président...
    M. le président. Non, monsieur Lurel, vous parlez depuis neuf minutes !
    M. Victorin Lurel. Voici donc mon dernier mot : nous demandons avec insistance au ministre de la justice et à celui de l'intérieur de construire d'urgence, sur la base des engagements pris par l'ancien gouvernement, un commissariat de police à Saint-Martin, de reconstruire ceux des Abymes et de Pointe-à-Pître, et de créer une vingtaine de postes d'OPJ dans l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, nous venons d'assister à des dépassements systématiques des temps de parole. Je vous demande donc, aux uns et aux autres, de vous tenir au temps qui vous est imparti. Croyez-moi, on dit autant de choses en cinq minutes qu'en dix.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bien sûr ! Pourvu qu'on ait l'esprit clair.
    M. le président. Il suffit de ne pas délayer et de s'en tenir à l'essentiel.
    La parole est à M. Axel Poniatowski, pour cinq minutes.
    M. Axel Poniatowski. Je m'y tiendrai, monsieur le président.
    La loi d'orientation et de programmation pour la justice que vous soumettez, monsieur le garde des sceaux, à la représentation nationale, est une bonne loi. Elle est bonne en cela que vous donnez à la justice les moyens humains et matériels pour faire face à son engorgement, que vous donnez aux victimes des moyens nouveaux pour se défendre, et que les peines encourues par les justiciables sont clarifiées et, surtout, sont exécutables.
    Je souscris pleinement au principe de la gradation des peines pour les délinquants mineurs récidivistes en recherchant avant tout toutes les solutions éducatives. J'apprécie aussi la création d'une nouvelle juridiction de proximité avec l'embauche de quelque 3 300 juges parmi les auxiliaires de justice. Enfin, des centres pénitentiaires modernisés et humanisés sont une nécessité quand on sait que les conditions de vie parfois inhumaines qui règnent dans certaines prisons conduisent forcément n'importe quel juge normalement constitué à ne pas rendre exécutoires toutes les peines d'emprisonnement.
    Votre loi est donc bonne, monsieur le ministre. Elle est bonne mais on pourrait y ajouter, à mon sens, un volet. Car c'est bien parce que cette loi s'applique à tous sans différenciation qu'il est nécessaire de préciser plus clairement les droits mais aussi les devoirs de la population des gens du voyage, population qui, si elle a existé de tous temps, pose aujourd'hui des problèmes de sécurité et de salubrité qu'il est inutile de nier et qui exaspèrent à juste titre nos compatriotes. Cette précision est d'ailleurs réclamée par nombre de gens du voyage, qui voient bien le risque d'un amalgame généralisé.
    Mme Christine Boutin. Absolument !
    M. Axel Poniatowski. En région parisienne et dans la plupart des grandes métropoles régionales, la situation est devenue insupportable et les effets secondaires intolérables. A Cergy-Pontoise et dans les communes environnantes, la présence illégale des nomades est maintenant permanente. A ne pas aménager la loi, cette présence ira croissante. La situation est explosive. Riverains et élus sont exaspérés.
    C'est pourquoi des aménagements doivent être apportés à la loi du 5 juillet 2000...
    M. Lionnel Luca. Oui !
    M. Axel Poniatowski. ... afin que nous puissions, sans états d'âme, appliquer la loi de façon crédible pour accueillir les gens du voyage qui traversent nos communes.
    Il convient d'abord de préciser que les aires d'accueil sont destinées aux nomades français, aux ressortissants de l'Union européenne ou aux bénéficiaires de la clause d'assimilation nationale, à condition qu'ils soient munis du livret spécial de circulation.
    En outre, la responsabilité de la création d'aires d'accueil doit être, à mon sens, transférée directement aux départements qui, après accord des conseils municipaux et signature d'une charte avec les communes concernées, prendraient ainsi la charge administrative et financière de ces aires.
    Enfin et pour être tout à fait complet, il conviendrait que chaque emplacement créé dans les aires d'accueil compte dans le quota de logements sociaux imposés aux communes. Je proposerai qu'elles le soient dans une proportion d'un emplacement égal à trois logements sociaux.
    Mme Christine Boutin. Bonne idée !
    M. Axel Poniatowski. Ces trois simples dispositions sont de nature à considérablement améliorer le légitime contrôle de ces populations à travers le territoire autant que leur accueil dans les aires prévues à cet effet.
    Seule une politique inspirée de l'humanisme cher à notre Premier ministre et du pragmatisme défendu par notre majorité peut y parvenir.
    Je garde l'espoir d'avoir pu appeler votre attention sur ce problème, monsieur le ministre, afin que, pour paraphraser Bernanos, nous puissions surmonter cette désespérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Merci, monsieur Poniatowski, d'être resté en deçà de votre temps de parole.
    La parole est à Mme Christiane Taubira, pour cinq minutes.
    M. Charles Cova. Ça va être autre chose !
    Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, grâce à quelques excellents rapports émanant de professionnels du droit et de la justice, dont certains proviennent d'ailleurs du Sénat, nous savons beaucoup de choses sur le fonctionnement de l'institution judiciaire.
    Nous en savons l'inégalité d'accès, qu'elle soit financière ou géographique. Nous sommes renseignés sur son opacité dans le langage et dans les procédures. Nous entendons les reproches sur sa faible effectivité. Nous sommes instruits des frustrations induites par les délais et nous connaissons les interrogations qui pèsent sur la compétence, l'indépendance, la responsabilité et la technicité des magistrats, interrogations qui témoignent d'ailleurs davantage de l'incompréhension et de la défiance des citoyens envers ceux qui rendent la justice au nom du peuple français que de véritables insuffisances de l'institution judiciaire.
    A quoi répond cette réforme, si urgente qu'elle ne pouvait attendre la rentrée, c'est-à-dire un mois et demi ? La mesure d'assistance aux victimes d'agressions criminelles graves ne doit pas dissimuler les difficultés financières qui demeurent par ailleurs pour les frais d'expertise, les honoraires d'avocat, le dépôt de caution, notamment lors de la constitution de partie civile, et l'accès à la Cour de cassation.
    Sur les délais, ce texte se montre beaucoup plus soucieux des tribunaux d'instance alors que la moyenne d'attente y est nettement meilleure qu'ailleurs, et notamment moitié moindre que pour les tribunaux de grande instance et les juridictions administratives.
    Le silence sur la carte judiciaire prouve que le souci de l'égalité d'accès à la justice et au droit sur la totalité du territoire, en métropole comme en outre-mer, n'est pas à l'ordre du jour, et cela malgré les recommendations des rapports Carrez de 1994 et Jolibois de 1997.
    M. Lionnel Luca. Il y a donc eu des rapports ! Nous ne travaillons pas dans l'urgence !
    Mme Christiane Taubira. Parmi les innovations, la constitution d'un corps de juges de proximité, dont nous saurons davantage à la rentrée, en raison de l'observation du Conseil d'Etat sur la nécessité d'une loi organique, suscite quand même quelques inquiétudes pour ce que nous en savons déjà. Quelques justiciables seront fondés à s'interroger sur le fait de savoir s'ils méritent moins d'attention parce que leur préjudice est financièrement plus faible.
    La proximité est à la mode et c'est tant mieux, sauf à risquer de perdre en sérénité et en justice ce que l'on a l'illusion de gagner en rapidité. Le juge de proximité sera juge de police pour les contraventions, un juge d'instance jusqu'à 1 500 euros.
    M. Pierre Cardo. On aura moins de classements !
    Mme Christiane Taubira. En attendant la loi organique, je passe avec élégance, rapidement, sur les risques de conflits d'intérêt, c'est-à-dire le danger non négligeable couru par l'impartialité judiciaire.
    M. Lionnel Luca. Quel procès d'intention !
    Mme Christiane Taubira. Vous affirmez que la compétence du juge de proximité ne mordra pas sur celles du juge des enfants. Mais il aura autorité en matière de sanctions éducatives et de contraventions jusqu'à la quatrième classe. Nous connaissons les possibilités - osons le mot : les ruses - offertes par la qualification. Un délit pourra être requalifié en contravention, ce qui permettra au juge de proximité de juger un mineur, alors qu'il ne dispose ni du temps, ni de la formation nécessaires, et qu'il ne peut avoir recours à tout l'arsenal d'investigation des éducateurs, qui renforce la connaissance et l'efficacité du juge des enfants.
    M. le président de la commission des lois nous l'a expliqué hier : vous ne modifiez pas, mais complétez simplement l'ordonnance de 1945. Quant au rapporteur, il nous a rappelé qu'un mineur de dix-sept ans en 2002 n'avait rien à voir avec un mineur de même âge en 1945.
    M. Gérard Léonard. C'est évident !
    Mme Christiane Taubira. Sans doute, mais il faut peut-être rappeler que l'ordonnance de 1945 a été modifiée presque une dizaine de fois...
    M. Lionnel Luca. Je l'ai dit !
    M. Pierre Cardo. Pas toujours dans le même sens !
    Mme Christiane Taubira. ... en 1951, déjà, pour créer une cour d'assises destinée aux mineurs de seize ans et plus ; en 1975 pour instituer la protection judiciaire, qui arme le juge dans le suivi du mineur condamné ; en 1993 avec la réparation à l'égard des victimes ou en faveur de la collectivité ; et en 1985 avec la prévention de l'incarcération. Les lois de 1987 et 1989 limitaient les conditions de détention provisoire, ce qui n'empêche qu'en juillet 2002, selon vos propres chiffres, 901 mineurs sont incarcérés, dont 622, c'est-à-dire deux tiers, en préventive.
    L'ordonnance de 1945 a été également modifiée par les lois de 1995 et 1996, qui ont accéléré la comparution du mineur devant le juge des enfants, puisqu'il peut être convoqué avec ses parents par un officier de police judiciaire dans un délai de quinze jours ou de trois semaines. Cela nous conduit d'ailleurs à penser que ce texte opère peut-être une confusion entre le jugement immédiat - rarement bon, parce qu'il n'est jamais souhaitable de pratiquer la justice du tac au tac - et la réponse rapide, toujours souhaitable et déjà possible.
    La question est donc dans l'exécution des décisions de justice.
    M. Lionnel Luca. Ça...
    Mme Christiane Taubira. Aujourd'hui, il y a en moyenne huit mois d'attente pour la rencontre avec un éducateur, en signalant qu'il existe un éducateur pour cent policiers, rapport qui va se détériorer avec l'application de la loi sur la sécurité intérieure, et que Paris ne compte que dix places d'hébergement pénal au regard des termes de l'ordonnance de 1945.
    M. Lionnel Luca. C'est votre bilan !
    M. Christian Estrosi. Vous parlez d'éducateurs et de policiers. Cela n'a rien à voir ! Ce n'est pas le même boulot !
    Mme Christiane Taubira. L'esprit de cette ordonnance est d'ailleurs remis en question. Rappelons que les résistants avaient considéré à la fin de la guerre que, compte tenu de l'impact dévastateur des maisons de correction et de l'effet criminogène de la prison, il fallait faire confiance à la jeunesse et prendre le pari de la protéger, de l'éduquer et de la responsabiliser.
    M. Lionnel Luca. Le contexte à changé ! C'était au siècle dernier !
    Mme Christiane Taubira. L'article 2 de l'ordonnance dispose : « Le tribunal pour enfants prononcera suivant les cas les mesures de protection, d'assistance, de surveillance, d'éducation et de réforme qui sembleront appropriées. »
    M. le président. Il faut conclure, madame Taubira.
    Mme Christiane Taubira. L'ordre des mots n'est pas indifférent.
    Concernant les fameux centres fermés - qui, paraît-il, seront en fait ouverts, ce qui ne change rien ni à la symbolique de l'enfermement ni aux limites inhibitrices que les lieux fermés, vrais ou faux, infligent aux programmes éducatifs comme les éducateurs nous l'enseignent -,...
    M. Gérard Léonard. Ce n'est pas vrai !
    Mme Christiane Taubira ... il faudra dire aux contribuables que là où existent ces centres, en Belgique, en Angleterre, en Espagne, en Italie et surtout là où il y a des établissements pilotes qui fonctionnent, ils coûtent 1 000 euros par mineur et par jour.
    M. Lionnel Luca. Et la délinquance, elle coûte combien ?
    M. le président. Mme Taubira, je vous demande de bien vouloir conclure. Votre temps de parole est épuisé.
    Mme Christiane Taubira. Les Brésiliens, qui n'ont que les centres fermés comme réponse à la délinquance juvénile, s'interrogent sur les pratiques et la législation françaises. Ils seront certainement étonnés de se rendre compte que nous sommes en train de retourner à l'époque de Jean Valjean (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. le président. Madame Taubira...
    Mme Christiane Taubira. ... où les actes comptaient seuls indépendamment de la personne.
    M. Lionnel Luca. Que c'est misérable ! Quel argument !
    Un député du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. On va rétablir le bagne en Guyane !
    M. le président. Madame Taubira, c'est votre conclusion ?
    Mme Christiane Taubira. C'est bien rompre avec les principes humanistes dans lesquels la France s'est illustrée et se rapprocher de la conception de M. Giuliani, ex-maire de New York.
    M. Christian Estrosi. C'était un bon maire, lui au moins !
    Mme Christiane Taubira. Songez à ces surveillants de prison qui vous disent : les prisons françaises peuvent exploser.
    M. Pierre Cardo. Bien sûr, vous avez laissé les quartiers exploser !
    Mme Christiane Taubira. Evitez le drame en rendant l'espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. Ils n'ont pas lu Victor Hugo, ces ignorants !
    M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.
    M. Gérard Léonard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant d'engager mon propos, je vous prie d'excuser mon timbre de voix un peu voilé et son caractère nasal. Je crois que nous sommes quelques-uns à avoir pris froid dans cet hémicycle.
    Mme Christine Boutin. C'est vrai, il fait froid !
    M. Gérard Léonard. En Lorraine, j'étais en pleine forme, mais depuis quelques jours, je ne me sens pas très bien.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce sont les séquelles de la campagne électorale !
    M. Gérard Léonard. Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice soumis à notre examen est à la fois ambitieux et courageux. Il est ambitieux par les moyens financiers qu'il engage et qui sont d'une ampleur sans précédent : les 3,650 milliards d'euros programmés sur cinq ans représentent un effort inédit en faveur de la justice, avec plus de 10 000 emplois nouveaux pour les tribunaux, les établissements pénitentiaires et la protection de la jeunesse, auxquels s'ajouteront près de 600 emplois équivalent temps plein pour le recrutement de 3 300 juges de proximité et assistants de justice, un investissement de 1,750 milliard d'euros pour les juridictions sous-équipées et les prisons dont la sous-capacité et l'état de délabrement sont indignes de la France, et les moyens supplémentaires considérables pour que s'exerce efficacement et humainement la justice des mineurs.
    Oui, mes chers collègues, force est de reconnaître que l'effort est d'une exceptionnelle importance, à la hauteur du défi auquel notre pays est confronté.
    Oui, monsieur le garde des sceaux, avec votre gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, la justice est enfin devenue une grande priorité nationale, répondant en cela à une forte aspiration du peuple français.
    Votre projet, monsieur le garde des sceaux, est également ambitieux en ce qu'il ne se limite pas à l'octroi massif de moyens humains et matériels supplémentaires, mais s'accompagne d'un ensemble de réformes importantes tant en matière civile ou administrative que dans le domaine pénal et pénitentiaire, avec un objectif commun clairement affiché, une justice plus proche des français, plus efficace dans son champ d'exercice et plus rapide dans sa mise en oeuvre. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, expéditive, comme feignent de le croire ou tentent de le faire croire un certain nombre d'opposants.
    Toutes ces indispensables réformes, est-il besoin de le préciser, respectent rigoureusement les grands principes qui régissent notre droit républicain et sont habitées par un incontestable esprit d'humanisme.
    Un aspect de ce projet mérite à mes yeux d'être particulièrement salué tant il répond à une impérieuse nécessité dictée par les attentes d'une très grande majorité de nos concitoyens, une attente qu'il importe d'autant plus de satisfaire que c'est la confiance même dans la capacité de nos institutions républicaines à remplir leurs missions qui est en cause. Je veux parler de la création d'une véritable justice de proximité, complétant l'appareil judiciaire institué. Et j'avoue ne pas comprendre, en dehors des réactions corporatistes ou des postures partisanes, comment on peut être sincèrement hostile à cette réforme.
    Car de quoi s'agit-il ? Il s'agit ni plus ni moins de rendre la justice dans de très nombreuses affaires qui ne sont aujourd'hui pas traitées et que la seule conciliation ne peut pas régler, laissant ainsi nombre de nos concitoyens éprouver un légitime sentiment d'insatisfaction, voire d'abandon. Il s'agit de sanctionner enfin les multiples petits délits, ou ce qu'il est convenu trop souvent d'appeler les incivilités, qui pourrissent la vie de milliers de nos compatriotes. Sans même parler de la tentation d'escalade vers des délits plus graves qu'inspire à leurs auteurs l'impunité régnante.
    Et que l'on ne nous oppose pas les arguties d'une justice au rabais prononcée par des juges livrés à eux-mêmes et de surcroît incapables. Ce n'est pas sérieux, si l'on considère les garanties de compétence et d'expérience prévues par la loi. On peut même penser qu'elles sont excessives et par trop restrictives, risquant par là même de compliquer et de retarder le recrutement. C'est pourquoi il faudra certainement les assouplir si l'on veut atteindre l'objectif fixé.
    Un autre grand mérite de ce texte est l'attention nouvelle portée aux victimes. Il était grand temps de réparer cette scandaleuse anomalie de notre système judiciaire. Je pense d'ailleurs qu'après évaluation, il faudra sans doute aller plus loin dans l'effort important qui a été déjà décidé.
    Votre projet est ambitieux, monsieur le ministre, mais il est aussi courageux, car il aborde et traite avec lucidité le problème de la délinquance des mineurs, un sujet ô combien sensible si l'on en juge par les réactions passionnées, voire irrationnelles, qu'il peut susciter.
    Et pourtant, voir la réalité en face sans que le regard ne soit troublé par des considérations idéologiques, les a priori dogmatiques ou les réflexes partisans est la condition nécessaire à l'adoption des réformes utiles.
    Or cette réalité, même si certains tentent encore de la minimiser, chacun la connaît. Elle est très préoccupante. Ce sont des mineurs délinquants de plus en plus nombreux, de plus en plus violents, de plus en plus jeunes et de plus en plus réitérants. La réalité, ce sont les insuffisances de notre appareil judiciaire, pénitentiaire et éducatif face à cette dérive. Et il est clair que ce n'est pas à coups de discours incantatoires, de pétitions de principe ou de formules sentencieuses que l'on parviendra à l'endiguer. C'est en agissant avec clairvoyance et détermination, comme le fait le Gouvernement en soumettant à notre approbation une série de mesures salutaires.
    M. le président. Il faut songer à conclure, monsieur Léonard.
    M. Gérard Léonard. Dès lors, les reproches qui lui sont adressés apparaissent bien injustes, en particulier celui de violer l'esprit de l'ordonnance de 1945, tant il est évident que la préoccupation éducative inspire l'ensemble du dispositif. Et que l'on cesse d'opposer la prévention à la répression : nous savons qu'elles sont indissociables.
    Un mot enfin avant de conclure sur l'impérieuse nécessité d'assurer un véritable suivi éducatif, social, médical et personnalisé des jeunes délinquants, et surtout des primo et prédélinquants.
    Les moyens à mettre en oeuvre sont très lourds mais ils conditionnent très largement la réussite durable de votre politique, monsieur le ministre. Une politique qui suscite de notre part un appui sans réserve parce qu'elle répond aux aspirations des Français et contribue à la sauvegarde des valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert, pour cinq minutes.
    M. Jérôme Lambert. Vous nous présentez votre projet de loi, monsieur le ministre, dans le cadre d'une procédure d'urgence. Il n'en traite pas moins de questions fondamentales, puisqu'il concerne l'administration de la justice. Pourtant, l'idée que nous devons tous nous en faire ne devrait pas mériter une telle approche expéditive.
    De telles questions, loin de diviser les Français, devraient au contraire les rassembler. Quoi de plus essentiel, de plus noble, que de se rassembler autour de l'idée de justice qui devrait être un des ciments de notre société démocratique, garante des droits et soucieuse des devoirs de chacun ? Aussi est-ce pratiquement une tragédie que de vous voir bricoler les fondements de la justice, donc de notre société, à l'occasion de ce débat expédié dans une totale précipitation.
    M. Gérard Hamel. Oh ! là ! là !
    M. Jérôme Lambert. Bien entendu, votre projet très globalisateur, sans doute beaucoup trop, traite de questions qui n'entrent pas toutes dans le cadre général de la critique que je viens d'exprimer. Notre justice a certes encore besoin de moyens en sus de ceux déjà engagés d'une façon tout à fait significative dans la dernière législature, mais l'usage que vous allez en faire pose cependant des questions fondamentales.
    Ainsi, modifier des dispositions essentielles concernant l'approche de la justice vis-à-vis de la jeunesse de notre pays n'est pas une affaire simple. L'ordonnance de 1945 indique bien « qu'il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance et parmi eux... l'enfance délinquante ». On entend pourtant, dans cet hémicycle, beaucoup de députés qui feignent de croire qu'à des problèmes nouveaux nous devons travailler à trouver des réponses nouvelles, alors qu'en fait, ces questions n'ont rien de fondamentalement neuf !
    Un enfant, un adolescent reste un être humain en devenir et la société doit se soucier de son avenir. C'était déjà ainsi en 1945 et depuis lors rien n'a fondamentalement changé de ce point de vue. Les solutions d'emprisonnement, d'enfermement, sous une forme ou sous une autre, qui nous sont proposés à l'encontre des jeunes en grande difficulté d'insertion sociale qui dérapent dans la délinquance, satisfont manifestement une grande partie des députés de cet hémicycle, qui ne cessent de nous expliquer que c'est pour cela qu'ils ont été élus.
    Toutefois prenons garde aux solutions simplistes, car il faut avoir présent à l'esprit en fait que nos prisons sont remplies à 80 % de personnes ayant déjà des antécédents d'incarcération.
    La privation de liberté, mesure qui doit punir l'individu et protéger la société, est trop souvent appliquée dans des conditions mal adaptées aux situations rencontrées. On doit se demander en effet quel est le sens d'une punition qui conduit tant de personnes à réitérer des actes les conduisant à cet enfermement. Certes, durant le temps de leur enfermement, ces personnes ne risquent pas de courir les rues à la recherche d'un mauvais coup. Mais le jour de leur libération, l'enfermement leur a-t-il été vraiment profitable ? N'ont-ils pas trop souvent vécu l'enfermement comme une période de mise en relation, de quasi-formation pour des délits futurs, notre société étant trop souvent incapable de proposer à ces personnes des mesures adéquates de réinsertion sociale ?
    Quand on voit qu'un tel projet a pour ambition de traiter, entre autres questions, avec de tels moyens toute la question de la jeunesse qui se tourne vers la délinquance, on peut rester dubitatif. Les futures victimes préféreraient peut-être que notre politique conduise à détourner de la délinquance ceux qui pourraient y déraper, car il vaut mieux éviter que punir. Et nous savons tous que, pour atteindre un tel résultat, il ne suffit pas de réviser l'échelle des peines. Cela serait trop simple.
    Monsieur le ministre, vous nous avez dit que « nos concitoyens nous demandent d'agir vite contre l'impuissance publique », ajoutant qu'« il ne faut pas être naïf ». Certes, mais n'est-ce pas justement être naïf que de croire que l'avenir d'une société, d'une partie de sa jeunesse, se construirait nécessairement mieux derrière des barreaux ?
    Vous nous avez aussi indiqué, monsieur le ministre, que cent dix mineurs de treize à seize ans sont actuellement incarcérés. Combien en faudra-t-il de plus pour satisfaire, un temps, votre électorat ? Et que pensera-t-il de l'avenir de ces adolescents, devenus un jour adultes, après être sortis du système que vous souhaitez leur imposer ?
    Aux Etats-Unis, société libérale avancée, où l'on prend parfois certains modèles tel que la fameuse tolérance zéro, il y a dix fois plus de prisonniers, toutes proportions gardées, que dans notre pays. C'est là le résultat d'une politique uniquement répressive, qui ne règle en rien les problèmes de violence et de délinquance que connaît cette nation.
    Soyons plus lucides. Continuons de placer les moyens nécessaires dans les politiques éducatives, dans les politiques d'insertion, dans les politiques de résorption des quartiers en difficulté, dans les politiques de formation et d'emploi, dans les politiques familiales. Arrêtons surtout de donner le sentiment à toute une jeunesse qu'elle nous apparaît dangereuse et suspecte, alors que ce qui est véritablement dangereux pour la cohésion de notre société, c'est le laissez-faire libéral qui conduit certains à perdre leur emploi, à perdre leur identité, à se sentir rejetés et à douter de l'avenir en se tournant vers des actes de révolte ou des comportement associaux.
    J'en termine, monsieur le ministre, par votre politique d'intervention dans les affaires individuelles.
    Vous êtes un homme politique, en charge de la politique pénale de toute notre nation. Or je vois avec quelque inquiétude vos interventions perturber le cours normal de la justice. Pourquoi en effet imposeriez-vous la poursuite de telle ou telle personne et resteriez-vous inactif vis-à-vis d'autres ? Est-ce cela que les Français peuvent espérer attendre de leur justice et du gouvernement qui l'administre ?
    Certes, les chemins sont difficiles ; encore faudra-t-il ne pas compliquer l'avenir en faisant fausse route... Vous semblez, dans beaucoup de vos propos, être tétanisé par ce que vous pensez être l'attente des Français, mais vous confondez dangereusement l'attente et les moyens. Ce ne sont pas nécessairement ces moyens-là que nous devons utiliser.
    La justice, je le disais, devrait nous rassembler. Quel dommage aujourd'hui qu'elle devienne, entre vos mains, un instrument au service d'une politique partisane ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Cardo, pour cinq minutes.
    M. Pierre Cardo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de douze ans, je dénonçais l'incapacité de notre société à prendre en compte le problème d'une délinquance de plus en plus jeune, de plus en plus massive, de plus en plus banale, de plus en plus violente.
    Mme Christine Boutin. C'est vrai !
    M. Pierre Cardo. Tous les rapports, colloques et analyses n'auront malheureusement pas beaucoup fait évoluer les réponses. Les agressions sur les plus faibles, puis sur la police, les enseignants, les travailleurs sociaux, les médecins, les pompiers ont bien interpellé la France d'en haut ; mais, trop longtemps, l'excuse a pris le pas sur la compréhension, et le statu quo a prévalu sur la remise en cause d'un système en plein dysfonctionnement. Il est vrai qu'une délinquance de plus en plus jeune peut difficilement être traitée par des textes de plus en plus vieux, des acteurs de moins en moins présents et des décideurs de plus en plus lointains.
    M. Gérard Hamel. C'est vrai !
    M. Pierre Cardo. Aussi ne puis-je aujourd'hui que me réjouir de la volonté de M. Jean-Pierre Raffarin et de vous-même, monsieur le ministre, d'écouter enfin les appels trop longtemps ignorés d'une France d'en bas - et d'un de ces élus.
    Que n'ai-je entendu comme sarcasmes en 1993, lorsque, à peine élu dans cette assemblée, je proposais de donner au juge la possibilité de suspendre les allocations familiales aux parents abandonnant leurs enfants de moins de treinze ans à la dure loi de la rue ? Que n'ai-je entendu comme arguties dépassée en 1998, lorsque j'ai proposé une véritable réforme de l'ordonnance de 1945, reprise ensuite par mon collègue Henri Cuq ? Ramener de treize à dix ans l'âge de responsabilité pénale des mineurs avait alors provoqué un tollé. C'est aujourd'hui dans votre projet.
    On retrouve aussi des possibilités améliorées de garde à vue, de détention provisoire, voire d'incarcération plus adaptées aux réalités à gérer sur le terrain. L'opposition vous dira - mais c'est chronique chez elle - qu'il y a des risques à mettre en oeuvre ces solutions. Mais elle oublie toujours qu'il y a déjà danger à n'avoir rien fait de convaincant tant pour les victimes que pour les auteurs de délits ou de crimes.
    Ce qui me rassure dans votre projet, c'est qu'il prévoit enfin des moyens adaptés à notre ambition que je résumerai en trois points : mieux sanctionner les auteurs, mieux protéger les victimes et renforcer l'action des acteurs de terrains que sont les éducateurs et magistrats en leur accordant des moyens enfin importants et des outils nouveaux.
    Il reste cependant une question : on ne peut prévenir efficacement la délinquance que si l'on se donne les moyens de la sanctionner rapidement et de façon adaptée. C'est évidemment l'objet de ce texte ; mais si l'on veut éviter d'utiliser trop intensément le système répressif, encore faut-t-il que le préventif soit à la hauteur de notre ambition. Or voilà longtemps que le constat est fait dans notre pays : faute de présence sociale dans les familles, faute de détection précoce, faute de signalement, l'intervention de notre dispositif de protection de la jeunesse arrive trop tard. Le travail en réseau permettant l'organisation de la détection précoce du signalement et de l'action non judiciaire, donc administrative et contractuelle, ne se fait plus, surtout dans les quartiers à forte concentration de problème.
    Il me semble, monsieur le ministre, que ni la loi de M. le ministre de l'intérieur, qui prévoit pourtant que le maire présidera les nouveaux contrats locaux de sécurité, ni votre projet ne permettront de responsabiliser clairement le maire dans le rôle éminent qu'il est le seul à pouvoir tenir, celui qui consiste à organiser, à coordonner et à évaluer le travail des partenaires institutionnels et associatifs sur son territoire.
    Ce texte témoigne néanmoins de votre perception du problème de la délinquance. Aussi suis-je persuadé que vous comprendrez l'absolue nécessité de faire en sorte que l'action éducative pour les jeunes soit la plus précoce et la plus contractuelle possible et qu'il en soit de même pour le placement afin d'éviter de surcharger tant vos éducateurs que vos magistrats ou votre système carcéral pour mineurs. C'est pourquoi je souhaite que, afin d'assurer la réussite de ce projet de loi très important, vous interpelliez M. le Premier ministre sur la nécessaire réorganisation de la prévention en France.
    L'ordonnance de 1945 était à réformer. Cela va être fait. Le système préventif, essentiellement inspiré par notre ami Gilbert Bonnemaison, doit maintenant être repensé dans le cadre d'une loi de décentralisation précisant le rôle des acteurs locaux et les procédures à mettre en place. C'est un immense chantier qu'il est urgent de mettre en oeuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour cinq minutes.
    M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture après déclaration d'urgence et dont nous débattons aujourd'hui est un rendez-vous manqué. Le battage sécuritaire des élections de 2002 explique la précipitation sur ce texte comme sur celui de la loi de sécurité intérieure, ainsi que l'a reconnu le rapporteur pour avis en parlant de textes jumeaux. Votre volonté, celle du Gouvernement, c'est d'aller vite et de frapper fort à destination de l'opinion. Or Blaise Pascal, dans ses Pensées, nous a appris la difficulté à conjuguer la force et la justice. La force doit être au service de la justice, non l'inverse.
    La simplification démagogique qui laisse à penser que la répression est la solution à tous les maux, que la politique du tout-carcéral, y compris pour les mineurs, est efficace, suscite des inquiétudes légitimes. Cela est regrettable parce qu'il y a aussi de bonnes dispositions dans ce texte, lesquelles prolongent d'ailleurs des actions précédemment engagées. La diversité ambitieuse des sujets abordés dans cette loi aurait mérité une réflexion appronfondie, un large débat d'orientation en amont.
    Puisque à l'urgence a été ajoutée une volonté de faire un large tour d'horizon des sujets à traiter, je m'étonne que vous n'ayez pas cru pertinent d'y placer, par exemple, la réforme des tribunaux de commerce, tant que vous y étiez. Ce choix est significatif !
    Regrettant l'absence d'un grand débat d'orientation en début de législature, qui aurait permis un véritable échange, une large consultation avec les professionnels comme avec les organismes représentatifs des justiciables, je déplore cette méthode à la hussarde en période estivale. Je sais bien qu'il fallait honorer l'engagement du Président de la République, comme cela a été rappelé. Mais enfin, le même président, dans un septennat antérieur, s'agissant de la réforme de la magistrature, nous avait habitués à relativiser l'urgence de ses engagements puisqu'il s'était résolu, en matière de justice, à donner du temps au temps dans l'intérêt supérieur de la République et dans une volonté d'aborder les questions de justice, avec la sérénité requise, bien évidemment.
    Permettez-moi d'aborder un point de ce projet de loi à titre d'exemple.
    Vos propositions concernant la justice de proximité confirment le rendez-vous manqué et le déficit de concertation. La justice de proximité est souhaitable, mais de quelle justice de proximité s'agit-il ? Aujourd'hui, chacun sait qu'en amont des litiges la conciliation et la médiation ont fait leurs preuves. Les maisons de la justice ont été évoquées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Il faut donc amplifier cette démarche, renforcer le nombre et les moyens des conciliateurs ; c'est la voie moderne qui participe à une meilleure cohésion sociale, par l'écoute, la prise en compte et le respect des citoyens dans leur environnement quotidien.
    La proposition de créer des juges de proximité vacataires, non professionnels, est une mauvaise réponse. Elle est contraire aux orientations dégagées par les entretiens de Vendôme, organisés par le ministère avec l'ensemble du monde judiciaire, ce que confirme aujourd'hui la position exprimée par les magistrats, notamment par la conférence des premiers présidents.
    La responsabilité de juger doit revenir au juge d'instance et au juge des mineurs, magistrats professionnels. En outre, vos juges de proximité seront dramatiquement seuls, sans greffier.
    M. Guy Geoffroy. Mais non !
    M. Jean-Pierre Dufau. Là encore, vous serez obligés de retourner vers les tribunaux d'instance. Mais alors, pourquoi ne pas préférer l'original à la copie ?
    Enfin, faire juger des mineurs par des juges non professionnels, non spécialisés est contraire aux conventions internationales.
    Votre embarras est patent quand vous précisez que, devant des dossiers complexes en matière civile, les juges de proximité « peuvent renvoyer l'affaire au tribunal d'instance ». Mais, comme vous l'a indiqué M. Badinter, l'article 5 du code de procédure civile oblige le juge à se prononcer « sur tout ce qui lui est demandé ». En clair, le juge ne peut déléguer sa compétence. Ce juge de proximité est-il donc un juge à part entière ou un juge Canada Dry ?
    La sagesse et le bon sens recommandent donc de renforcer l'écoute, la conciliation et la médiation en amont des procédures judiciaires. Laissons au juge d'instance toutes ses prérogatives et renforçons les moyens de sa juridiction, sans créer un cinquième niveau qui compliquera et opacifiera les choses aux yeux du justiciable, et dont le flou juridique et statutaire pourrait bientôt vous occasionner de sérieux déboires.
    Céder au climat sécuritaire et à la médiatisation n'est pas un progrès. Monsieur le garde des sceaux, ce dossier n'est pas clos. Et parce qu'il a été traité à la hussarde, sans véritable concertation, il reviendra un jour en discussion dans cet hémicycle, sur d'autres bases. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains).
    M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez, pour cinq minutes.
    M. Léonce Deprez. Monsieur le garde des sceaux, il semble, à écouter tous les orateurs, qu'il est au moins une idée force partagée par tous dans cette assemblée : les Français nous demandent une justice plus proche, une justice plus rapide, une justice plus efficace. Mais je pense aussi que nous sommes nombreux à en partager une deuxième, même si elle a été moins exprimée : le texte législatif que vous nous proposez, soutenu avec ardeur par le rapporteur, ne doit constituer que le premier volet d'un remaniement profond tendant à une indispensable modernisation de notre institution judiciaire. Cette dernière est en effet régie par des lois vieillies qui se sont ajoutées au fil des législatures sans grande cohérence, au point qu'elle a du mal à se hisser au rang du grand service public qu'elle devrait être.
    Ses carences s'expliquent d'abord - cela a été dit et répété, mais le Gouvernement a décidé d'y remédier - par manque de moyens humains et financiers. Elles s'observent surtout dans le cadre de la justice civile, c'est-à-dire la justice de la quotidienneté dont la mise à jour a été bien délaissée.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !
    M. Léonce Deprez. Il nous faut donc envisager des réformes de moyen terme que notre législature devrait avoir l'ambition de réaliser. Mais je me bornerai pour aujourd'hui à formuler quelques observations.
    Premièrement, la justice de proximité est devenue une nécessité, reconnue par l'ensemble de nos concitoyens ; mais, dans un souci de cohérence administrative, ses juges devraient être organiquement rattachés aux tribunaux d'instance. Diverses modifications touchant les intitulés du code de l'organisation judiciaire devraient s'ensuivre en assurant la pérennité de ces juges de proximité.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le volet sur la réforme de la procédure pénale, le projet tend, entre autres objectifs, à alléger la charge des juridictions sans porter atteinte à des droits fondamentaux. Nous ne pouvons qu'approuver.
    Troisièmement, pour servir l'un des objectifs de ce projet de loi, à savoir rendre la justice plus rapide, nous proposons de retoucher l'article 21 du projet sur la composition pénale. Cette procédure prévoit la possibilité d'une condamnation sans audience publique, donc sous une forme allégée, sous réserve de l'accord de l'intéressé. Elle est toutefois moins employée qu'elle le pourrait en raison d'un formalisme excessif qui pourrait être assoupli. Dans la mesure où cette procédure est strictement consensuelle et où elle prévoit que le projet de sanction doit être accepté par l'intéressé lors de la comparution préalable devant le procureur ou devant son délégué, et que l'intéressé doit maintenir son acceptation jusqu'à l'exécution de la mesure, il me paraît superfétatoire de disposer que celui-ci, s'il en fait la demande, doit être entendu par le juge du siège qui prend les décisions. Cette faculté de demander une audition par le juge est de nature à faire échec à l'emploi de cette procédure, en raison de la lourdeur qu'elle implique. Elle risque ainsi d'être évincée au profit de la procédure classique, voire d'un classement sans suite.
    Aussi, je considère qu'il serait souhaitable, dans l'article 42-2 du code de procédure pénale, d'abroger le texte précisant que les auditions sont de droit si les intéressés le demandent.
    Quatrièmement, pour rendre la justice plus rapide, il me paraît nécessaire aussi de développer l'application de la procédure simplifiée, celle-ci étant à la matière correctionnelle, le principe de l'ordonnance pénale.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !
    M. Léonce Deprez. Cette procédure est déjà pratiquée depuis de nombreuses années par les tribunaux d'instance. Il paraît regrettable qu'elle soit écartée en matière de droit du travail, car cela maintiendra un déficit de répression dans ce domaine, la lourdeur des audiences d'infractions à la législation du travail entraînant la pratique des prescriptions ou des classements sans suite de ces affaires. Dans bien des cas, une sanction prononcée sans publicité tapageuse de l'audience, mais fermement exécutée, aurait un effet tout aussi dissuasif. J'ai déposé quelques propositions d'amendements dans ce sens.
    Une autre retouche paraît également nécessaire pour une justice plus rapide et plus efficace en ce qui concerne l'instruction et la détention provisoire. Le juge des libertés et de la détention, créé par la loi de juin 2000, assure une forme de collégialité pour assurer un renforcement de la protection des libertés. En raison de l'importance de sa mission, le législateur a voulu qu'il ait un certain rang hiérarchique et qu'il soit au moins vice-président. J'en ai parlé à la commission. Monsieur le ministre, vous m'avez répondu. Le champ d'intervention a été étendu à d'autres domaines de l'activité judiciaire qui servent tous les libertés mais n'ont pas le même degré de gravité. Or la nécessité légale de mobiliser un vice-président pour ces tâches annexes du juge des libertés pose de très lourds soucis de gestion, notamment pendant les périodes de congés ou d'absence pour causes diverses. Aussi conviendrait-il de réserver au juge des libertés du rang de vice-président les seules missions touchant le contentieux de la détention et de laisser les autres missions aux juges ordinaires. Nous avons suggéré quelques modifications dans ce sens.
    Il faudrait être clair et dire que, lorsqu'il statue sur la détention ou le contrôle judiciaire d'une personne mise en examen par un juge d'instruction, le juge doit avoir au moins le rang de vice-président. Lorsqu'il statue à l'issue d'un débat contractictoire, il doit être assisté d'un greffier.
    Au-delà de ces propositions et en conclusion, monsieur le ministre, je voudrais vous dire franchement que, pour mener à bien les réformes qu'impose le renforcement des capacités et de l'image de la justice, il faudra le courage de vaincre les résistances à la modernisation de l'institution judiciaire. Celle-ci fonctionne en effet selon un mode tout à fait archaïque pour des raisons évidentes de conformisme et de corporatisme.
    Monsieur le ministre, vous devez certainement avoir la détermination nécessaire pour aboutir à vaincre ces résistances à la modernisation de notre justice. Nous soutiendrons votre détermination et le projet de loi dans cet esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.).
    M. le président. La parole est à Jérôme Rivière, pour cinq minutes.
    M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, c'est avec le sentiment heureux d'accomplir mon devoir en transformant en texte de loi des engagements de campagne mûrement et longuement réfléchis que je monte à cette tribune. Le Gouvernement est allé vite, parce que nous savions ce que nous voulions. L'Assemblée nationale aura travaillé tard dans l'été, parce que nous connaissons l'urgence des attentes de nos concitoyens, l'impérieuse nécessité de notre époque.
    Ce premier texte permet de répondre aux demandes les plus pressantes de notre société, mais, vous l'avez dit, il nous faudra aller plus loin. Il s'agit d'un premier texte pour cette législature.
    Je souhaite aborder un sujet qui n'a pas pu être étudié dans le projet de loi, mais qui pourrait répondre à quelques-unes de nos préoccupations en matière de baisse de la délinquance.
    Monsieur le ministre, avec près de 200 tribunaux de grande instance et une distribution géographique décidée à l'époque de Napoléon, il est permis de s'interroger pour savoir si cela correspond à la réalité d'aujourd'hui. Nous connaissons tous le manque immense d'homogénéité dans le nombre des dossiers à l'instruction d'un TGI à l'autre. Existe-t-il en la matière un droit imprescriptible à conserver ces très nombreuses juridictions ?
    Pour justifier ces tribunaux multiples, on évoque la proximité, mais ce n'est pas toujours, loin s'en faut, une bonne raison. L'automobiliste circulant entre Paris et Nice qui se fait flasher sur son trajet pour excès de vitesse sera amené à comparaître au tribunal d'instance du lieu de commission de l'infraction, bien souvent distant de son domicile. De quelles proximité parlons-nous ?
    A l'image des collectivités territoriales qui se regroupent, le tribunal d'instance de Nice, pour prendre un exemple local, ne serait-il pas plus efficace s'il était renforcé des moyens de celui de Cagnes, ou vice-versa ?
    L'instauration du juge de proximité est l'occasion rêvée de procéder à cette rationalisation des moyens. Sa création lui confie l'hyper proximité. Les autres juridictions doivent pouvoir être réorganisées.
    Comme tout n'est pas possible, je suggérerai le regroupement des tribunaux de police qui ne traitent que de questions pénales. Si nous devons porter la justice au plus près de nos concitoyens pour les affaires civiles, ne pouvons-nous pas exiger de ceux qui commettent une infraction pénale de faire quelques kilomètres supplémentaires ? Ce regroupement donnerait au tribunal de police des moyens concentrés en magistrats, en greffiers, en forces de l'ordre. Je rappelle pour mémoire, que c'est le cas à Paris avec vingt tribunaux d'instance, mais un seul tribunal de police.
    Lors du débat sur la LOPSI, il y a quelques jours, de nombreux intervenants ont insisté sur la nécessité d'économiser, de gérer au mieux, les moyens des forces de l'ordre. Un seul site par ressort à sécuriser dans le cadre de tribunaux de police regoupés participerait à cette rationalisation des moyens en policiers et en gendarmes.
    Dans la rue, la peur du gendarme contribue à la prévention. Elle permet de réduire les chiffres de la délinquance, triste héritage de la faillite de la gauche en matière de justice et de sécurité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je ne veux pas, monsieur le ministre, comme il fut fait en 1926 sous l'autorité du président Poincaré, instaurer une nouvelle « commission de la hache », mais je sais qu'avec ce gouvernement il n'y a pas de sujet tabou.
    Au-delà de ce qui a été brillament dit par notre rapporteur, dont je veux saluer le travail, j'ai été particulièrement sensible à deux priorités développées dans votre texte, monsieur le ministre.
    La première est votre attachement à prendre un soin particulier des victimes. Le suspect, le prévenu est aujourd'hui entouré de conseils juridiques, protégé physiquement et psychologiquement, ce qui n'est pas le cas des vitimes. Le violeur verra un psychiatre, passera une visite médicale, aura le droit de consulter un avocat qui sera mis à sa disposition immédiatement ; c'est normal dans un Etat de droit.
    Mais la victime devra seule se rendre chez un médecin pour obtenir le prélèvement qui identifiera son bourreau. Elle devra seule faire face au système judiciaire, à sa complexité, ainsi qu'à son coût.
    M. Bernard Schreiner. C'est vrai !
    M. Gérard Léonard. Tout à fait.
    M. Jérôme Rivière. Vous l'avez dit, il lui arrive de se sentir oubliée. Des mesures importantes et très positives sont prises dans la loi.
    La seconde priorité est votre attention particulière aux conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire. Les prisons, nous les connaissons, nous les visitons. Elles sont parfois sordides. S'il est vrai que les détenus y séjournent longtemps et qu'ils ont le droit à des conditions de détention qui préservent leur dignité, ils y sont parce qu'ils ont été condamnés, ce qui n'est pas le cas des gardiens.
    M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. Jérôme Rivière. Je pense à ce cadre de catégorie B de l'administration pénitentiaire dans la maison d'arrêt de Nice qui n'a pour tout bureau qu'une cellule identique en tout point à celle d'un détenu incarcéré à deux pas !
    Ce ne sont pas des conditions de travail acceptables et vous l'avez compris.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Jérôme Rivière. Des moyens sont débloqués. Il faudra encore les renforcer. Nous le devons à ces femmes et à ces hommes qui effectuent avec coeur ce travail difficile.
    C'est donc des deux mains que je voterai avec l'ensemble de la majorité ce texte en attendant avec impatience l'acte II qui permettra à nos concitoyens de retrouver la justice, une justice concentrée sur son rôle premier qui n'est pas d'expliquer ou d'excuser, mais de dire le droit et de sanctionner les contrevenants, sans excès, bien sûr, mais sans complaisance aucune. (« Bravo » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Hamel, pour cinq minutes.
    M. Gérard Hamel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice est un texte fondamental au regard de la très grande aspiration de nos concitoyens à une refonte profonde de la justice, et notamment de la justice des mineurs. Cette aspiration, nous l'avons entendue chaque jour dans nos communes au cours des deux dernières campagnes électorales. Monsieur le garde des sceaux, nos concitoyens appellent de leurs voeux la mise en oeuvre d'une nouvelle justice, la justice au service de la sécurité.
    Vous l'avez bien compris, les Français veulent vivre en paix et retrouver leur tranquillité. C'est là la réelle volonté populaire. Dans votre projet de loi, l'aspect des moyens est tout à fait conséquent et ne peut être qu'approuvé sur tous les bancs de cette assemblée.
    Vous nous proposez aussi la mise en place d'une justice de proximité et, donc, la création de juges de paix. L'idée est intéressante, mais je crains que les modalités d'application ne vous permettent pas d'optimiser rapidement cette bonne initiative. En effet, l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination de ces juges de proximité ne fera que compliquer leur mise en place. Je pense que nous ne sommes pas près d'arriver au nombre de juges espéré. C'est pourquoi je souhaiterais que le Gouvernement se donne la possibilité d'élargir le cadre des modalités de recrutement à des citoyens dont l'engagement professionnel, associatif, leur implication dans le tissu social et la moralité sont reconnus de tous. Ces citoyens seraient habilités par le procureur de la République, un peu à l'image de ce qui a été fait par le procureur de Chartres avec la création de ce que l'on a appelé à Dreux un « conseil des sages ». Les premières évaluations de cette expérience unique en France nous montrent le succès de cette démarche. Alors, pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui fonctionne ?
    D'autres dispositions relatives aux mesures nouvelles que vous souhaitez voir appliquer aux mineurs délinquants suscitent des oppositions, voire des contestations. Pourtant, qui peut légitimement contester votre démarche alors que la primauté de l'éducatif sur le répressif est respectée, conformément à l'esprit de l'ordonnance de 1945 ?
    Les nouvelles dispositions législatives que vous nous soumettez ne sont là que pour mieux encadrer les mineurs délinquants qui ont besoin de repères.
    Il est impérieux de compléter la gamme des placements pour mineurs, pour mieux encadrer les plus violents et les plus actifs d'entre eux. Il est également urgent de créer de nouvelles sanctions éducatives pour les plus jeunes.
    La mesure la plus contestée est la création des centres fermés pour les mineurs, sous prétexte que l'éducatif ne pourrait se faire en milieu fermé. C'est un faux argument. L'éducatif, nous, nous le voulons. Nous savons tous que le mineur récidiviste aura un jour pour vocation à ressortir de ce centre et à se retrouver libre. Mais n'inversons pas les rôles : les centres éducatifs, qu'ils soient d'ailleurs ouverts ou fermés, n'ont pas pour vocation que le délinquant y passe un agréable séjour mais bien de lui appliquer une sanction avec comme but qu'il n'ait plus envie d'y retourner.
    L'actualité est là pour nous rappeler chaque jour la précocité de la très grande violence. Les maires et nos concitoyens le savent, et plus personne ne peut tolérer qu'un mineur passe trente-quatre fois dans la même année devant le juge.
    M. Lionnel Luca. C'est sûr !
    M. Gérard Hamel. C'est la raison pour laquelle nous voulons renforcer la responsabilité pénale des mineurs. Nous demandons depuis longtemps la procédure de jugement à délai rapproché. Nous voulons améliorer l'accès au droit et à la justice pour les victimes.
    Toutes ces mesures, monsieur le ministre, sont inscrites dans votre projet de loi.
    Je vous félicite enfin, monsieur le ministre, pour la politique cohérente que vous menez avec votre collègue de l'intérieur. Quel changement ! Ce n'est plus Guigou contre Chevènement, mais c'est bien Perben avec Sarkozy. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Les décisions sont prises. Elles ont pour vocation à être mises en application afin que sécurité plus justice redonnent à chaque Français la liberté qu'il n'aurait jamais dû perdre.
    Monsieur le ministre, comme vous vous en doutez, vous avez tout notre soutien pour ce projet de loi et pour les projets qui devront nécessairement suivre. C'est l'attente de nos concitoyens. Ils l'ont exprimée fortement tout récemment. Nous nous devons d'y répondre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini, pour cinq minutes.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Monsieur le président, tout d'abord permettez-moi de faire remarquer qu'il fait froid dans cette salle.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Elle a raison !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je ne sais pas à qui il faut s'adresser pour être entendus, si c'est au bon dieu ou à ses saints. En tout cas, j'espère que la voix du peuple sera entendue. Si vous voulez que nous soyons nombreux dans cette salle, il faut peut-être veiller d'abord à ce qu'on puisse y travailler dans des conditions optimales.
    M. le président. Votre cause a été entendue, madame.
    Mme Christine Boutin. Elle a raison !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous n'êtes pas obligée de rester, madame Joissains-Masini.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je ne partirai pas, ne serait-ce que pour vous enquiquiner, cher collègue ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Pierre Brard. Que voilà un langage relevé. Ça fait plaisir !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Monsieur le ministre, je vous remercie du texte que vous avez pris comme je me félicite de la loi qu'a prise M. Sarkozy, en complémentarité avec vous, et qui va, je le pense, satisfaire l'ensemble du peuple de France.
    M. Jean-Pierre Brard. Un ministre ne prend pas une loi. Exprimez-vous convenablement, madame !
    Mme Maryse Joissains-Masini. La lettre du texte est excellente et la volonté des ministres de l'appliquer est sans ambiguïté.
    En tant que praticien du droit, je veux simplement faire remarquer que, jusqu'à présent, la justice était quelque chose d'insupportable dans ce pays. Pourquoi ? Eh bien, parce qu'il y avait une justice à plusieurs vitesses, que les victimes n'étaient pas entendues et que les délinquants étaient infiniment plus protégés qu'elles.
    M. Chritian Vanneste. C'est vrai !
    M. André Vallini. N'importe quoi !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Avec ce texte qui met sur le même plan éducation et répression, vous assumez aujourd'hui, monsieur le ministre, et nous allons assumer ensemble, une complémentarité qui permettra à ce pays de faire un grand pas en avant dans le traitement de la délinquance des mineurs.
    Oui, nous sommes pour l'insertion, mais également pour la répression. Tous ceux qui ont des enfants savent que l'un ne va pas sans l'autre, que privilégier l'insertion par rapport à la répression, c'est faire preuve d'un angélisme qui a conduit le pays au bord du gouffre...
    M. André Vallini. N'importe quoi !
    Mme Maryse Joissains-Masini. ... et que faire de la répression sans insertion, c'est prendre un virage tout à fait dangereux.
    M. Jean-Louis Léonard. Très bien !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Monsieur le ministre, merci encore une fois pour le texte que vous avez pris.
    M. André Vallini. C'est tout ?
    M. Jean-Pierre Brard. On ne « prend » pas une loi, madame !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je m'exprime à bon escient, monsieur, et je dis ce que j'ai envie de dire.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous pouvez vous exprimer dans la langue de Molière aussi. Ce n'est pas interdit.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Je vous en prie ! Vous avez fait tellement d'erreurs dans ce pays...
    M. Jean-Pierre Brard. Moins que vous avec le français, madame !
    Mme Maryse Joissains-Masini. ... que vous n'avez que le droit de vous taire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Veuillez poursuivre, madame Joissains-Masini.
    M. Jean-Pierre Brard. En français !
    M. Lionnel Luca. Ce ne sont pas les communistes qui vont nous donner des leçons de français, après toutes les années où ils ont été à la botte de Moscou !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Toutefois, monsieur le ministre, un problème demeure : celui du recrutement des hommes.
    M. Jean-Pierre Brard. Et des femmes !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Les mêmes causes produisant les mêmes effets,...
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà qui est profond !
    Mme Maryse Joissains-Masini. ... vous savez que, si l'on ne vérifie pas un peu mieux les recrutements tels qu'ils sont opérés à certains niveaux, on risque de se retrouver avec les mêmes problèmes.
    M. André Vallini. C'est-à-dire ?
    Mme Maryse Joissains-Masini. En effet, nous recrutons de très jeunes magistrats qui n'ont absolument aucune expérience de la vie.
    M. Jean-Pierre Brard. Eh oui, avant d'être vieux, on est jeune !
    Mme Maryse Joissains-Masini. Comment peut-on demander à un jeune qui sort de l'école d'être juge d'instruction ou d'appliquer le droit de la famille alors qu'il n'a pas encore vécu ? C'est un problème sur lequel il va falloir se pencher à l'avenir.
    M. François Goulard. C'est vrai.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Un autre problème se pose, monsieur le ministre, celui de l'absence de diversité dans le recrutement. Comment peut-on imaginer qu'une école, aussi prestigieuse soit-elle, soit seule habilitée à former les personnalités qui vont juger les autres ? Il faut véritablement se pencher sur ce problème car, autrement, nous allons nous retrouver devant la non-application des textes que nous aurons cependant votés tous ensemble.
    Je vous engage, monsieur le ministre, avec votre gouvernement, à voir s'il n'est pas possible de faire en sorte non seulement que les personnes appelées à juger les autres aient une expérience de la vie un peu plus importante que celle d'un étudiant sur les bancs de l'université, mais également que l'école de la magistrature ne soit pas la seule à former aux métiers de la justice.
    M. Jacques Myard et M. Christian Estrosi. Elle a raison !
    M. François Goulard. C'est un vrai sujet de réflexion.
    Mme Maryse Joissains-Masini. La justice, en effet, dans un pays, est l'affaire de tout le monde.
    Il ne serait pas inopportun que des magistrats soient recrutés d'une autre manière, c'est-à-dire non seulement dans le corps judiciaire mais également parmi les hauts fonctionnaires et - pourquoi pas ? - les chefs d'entreprise.
    M. Jean-Pierre Brard. Ou au MEDEF !
    M. le président. Madame Joissains-Masini, je vous demanderai de bien vouloir conclure.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Ce système est peut-être déjà pratiqué à l'heure actuelle, vous m'en avez parlé l'autre jour en commission des lois, monsieur le ministre, mais de manière encore insuffisante. Puisque les socialistes aiment les quotas, pourquoi ne pas en fixer et décider, par exemple, que l'école de la magistrature formera simplement la moitié des magistrats et que l'autre moitié sera recrutée au sein des autres corps de l'Etat ?
    Je vous en supplie, monsieur le ministre, si cette question n'est pas prise en considération, on se retrouvera exactement devant les mêmes problèmes et les textes que vous prendrez resteront peu ou mal appliqués.
    M. le président. Il vous faut conclure maintenant, madame Joissains-Masini.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Nous avons reçu beaucoup de leçons des socialistes. Pourtant il nous ont laissé une France affaiblie, avec des problèmes très difficiles à résoudre. Mais, pour nous, ils ne seront pas insurmontables. Sans culpabilisation, nous allons les régler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Concernant la température dans l'hémicycle, des instructions ont été données pour améliorer le confort des députés présents. Cela dit, comme les plus anciens d'entre nous s'en souviennent, nous avons connu une période sans climatisation, et c'était encore plus difficile à supporter...
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Tout à fait, monsieur le président.
    M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste, pour cinq minutes.
    M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux semaines, la majorité de cette assemblée votait la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. C'est avec enthousiasme que nous avons voté ce texte qui fixait clairement l'objectif et créait les moyens de l'atteindre. Cet objectif est clair, c'est l'une des priorités, sans doute la première sur la feuille de route qui nous a été donnée par une large majorité des Français : l'insécurité doit reculer, la marée montante des quatre millions de crimes et de délits commis en 2001 doit refluer.
    Cependant, pour atteindre cet objectif, les moyens attribués à la police ne suffisent pas. Il ne servirait à rien d'augmenter les effectifs et de les doter de matériels plus performants si la justice ne suivait pas, si le classement sans suite ne disparaissait pas, si la justice ne devenait pas plus rapide, plus efficace, plus effective. Ce que veulent les Français, c'est ce que le Président de la République a appelé l'impunité zéro.
    C'est dans cette direction que va le texte que vous présentez, monsieur le ministre. Vous avez su aller vite et bien. Il est d'ailleurs curieux de constater que ceux qui reconnaissent la gravité et l'urgence du problème regrettent cette rapidité. Ce sont les mêmes d'ailleurs qui s'appuient sur la rapidité de l'évolution de la personnalité chez les mineurs pour déplorer que nous apportions une solution rapide. Comprenne qui pourra !
    Je remercie notre rapporteur, Jean-Luc Warsmann, pour l'excellence du travail accompli. Les quarante auditions auxquelles quelques-uns d'entre nous - tous de la majorité, d'ailleurs - ont participé, ont permis de multiplier les éclairages et sans doute de mieux cerner le problème.
    Certes, la justice manque de moyens, mais elle manque surtout de cohérence. La chaîne n'est pas linéaire entre cet officier de police judiciaire qui nous dit : « Si la justice ne passe pas, notre métier n'a plus de sens », et ce représentant de la protection judiciaire de la jeunesse, hostile par principe à toute sanction et à toute privation de liberté.
    M. Christian Estrosi. C'est vrai !
    M. Christian Vanneste. M. Albertini dénonçait hier la déliquescence de nos institutions. Elle a une cause, c'est l'idéologie. Alors que nous avons un vrai problème - des jeunes de plus en plus jeunes et de plus en plus violents commettent un nombre de délits et de crimes de plus en plus important -, au lieu d'essayer de trouver ensemble les moyens de lutter contre ce phénomène, certains persistent à s'enliser dans des querelles de mots : la privation de liberté devient l'enfermement, définitivement stigmatisé ; au fil des discours, celui de M. Vallini en l'occurence, les délinquants deviennent des révoltés.
    J'avais pourtant cru comprendre qu'un ancien Premier ministre avait reconnu naguère sa naïveté. Non, les mineurs qui sont utilisés par les réseaux, parce qu'ils sont impunis, pour faire gravir l'échelle de la violence urbaine à certains de nos quartiers jusqu'à la zone de non-droit, ne sont pas des révoltés. Ce sont peut-être des sauvageons. En tout cas, ce sont des délinquants.
    M. Jérôme Lambert. Ce sont aussi des victimes !
    M. Christian Vanneste. Je me demandais d'ailleurs en l'écoutant ce qui avait poussé M. Vallini à venir siéger parmi nous. D'après lui, en effet, coincés de toute part entre les textes sacralisés du passé, l'intouchable ordonnance de 1945, les innombrables déclarations des droits de l'homme et de l'enfant, les cours internationales chargées de les faire respecter, les corporations professionnelles, évidemment plus compétentes que nous, nous en serions réduits à voter des crédits supplémentaires dans une politique qui a fait la preuve de son échec, sans pouvoir changer les textes qui la fondent. Curieuse conception du législateur ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Je crois au contraire qu'il faut aujourd'hui rappeler les priorités. Certes, il y a, dans toute démocratie libérale, des textes fondamentaux, des valeurs essentielles, les droits de l'homme notamment. La déclaration de 1789 rappelle clairement que la sûreté, la propriété, la liberté et la résistance à l'oppression sont les premiers de nos droits. C'est précisément ces droits que les innombrables victimes de la délinquance viennent nous demander de faire respecter contre la tyrannie de la violence. Il faut défendre sans complexe l'ordre républicain fondé sur la loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    La liberté, c'est d'abord celle des victimes : cette famille citée par l'association Droit à la sécurité de Douai, par exemple, obligée de quitter la salle d'audience après cette exclamation du président : « Qui sont ces gens-là ? Faites-les sortir ! » ; Tony, tué par un meurtrier de seize ans déjà interpellé quarante fois auparavant et en attente du jugement pour l'agression d'un policier. Votre texte, monsieur le ministre, donne toute leur place aux victimes.
    Le souci pour l'avenir des délinquants doit arriver en troisième lieu, avec tout l'humanisme nécessaire, un humanisme concret, fait d'actes, et non de paroles. Le premier de ces actes, c'est la sanction éducative, mesure précise de votre dispositif, qui, dans le fond, en marque la philosophie. On lit partout que les jeunes sont sans repères. Précisément, la sanction est le signe fort de la barrière à ne pas franchir, de la frontière entre le bien et le mal. C'est une marque de respect pour un être libre, capable de choix, et non pas une mécanique déterminée par des causes sociologiques, aussi déterminantes qu'elles sont obscures. C'est le sens de cette barrière invisible qui va entourer le centre éducatif fermé et du contrat sur lequel il va reposer.
    De ce point de vue, le centre éducatif fermé complète le dispositif existant. Il répond à cette problématique des 2 % de multiré qui produisent plus de 50 % des délits de voie publique dans nos quartiers. Il produit cet éloignement nécessaire non seulement pour les victimes, mais pour le jeune lui-même, dans un milieu où l'éducatif, à l'évidence, l'emporte sur le répressif.
    Il est impératif que les mesures prononcées par le juge soient exécutées, y compris lorsqu'il est indispensable d'assurer l'éloignement effectif du mineur délinquant. Il en est de même pour la comparution à date rapprochée, tellement plus compatible avec la protection des victimes mais aussi avec le rythme psychologique des mineurs délinquants. J'avais défendu avec notre ancien collègue Raoul Béteille...
    M. Jacques Myard. Excellent collègue !
    M. Christian Vanneste. ... en 1996, la comparution immédiate. Je n'ai déposé aucun amendement en ce sens cette fois, vous m'avez convaincu, monsieur le garde des sceaux.
    Reste une question, mais elle est importante, c'est celle des locaux. Nous avons à gérer un épouvantable héritage : il y a actuellement 59 000 prisonniers pour 49 000 places.
    M. André Vallini. 55 000.
    M. Christian Vanneste. Oui, à cause de l'amnistie, mais cela ne durera pas longtemps.
    Contrairement à la gauche, si nous utilisons nos crédits, nous parviendrons à 56 000 places, ce qui paraît encore insuffisant tant le retard est considérable. La question est identique pour les centres éducatifs fermés. Jacques Toubon avait pris l'initiative de créer 50 UER, devenues CER.
    M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
    M. Christian Vanneste. Nous n'avons toujours pas, six ans et demi plus tard, dépassé ce chiffre. Cela paraît tout à fait insuffisant.
    Comme vous le voyez, monsieur le ministre, à l'inverse de la gauche, si je souscris profondément aux objectifs, ce sont davantage les moyens, pourtant déjà considérables, qui m'inquiètent, mais le bilan de la gauche est dans ce domaine tellement catastrophique qu'il nous faut faire preuve de patience et de ténacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour cinq minutes.
    M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on a beaucoup critiqué la rapidité avec laquelle cette réforme a été engagée.
    M. Jérôme Lambert. Décidée !
    M. André Vallini. Dans la précipitation.
    M. Georges Fenech. Je voudrais tout de même vous rappeler qu'en 1981, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, il a suffi d'un trait de plume, d'une simple circulaire de M. Badinter, pour abroger, de manière illégale, la loi Sécurité et liberté,...
    M. Christian Vanneste. Oui, c'est vrai !
    M. Georges Fenech. ... sans auditions, sans concertation, uniquement par le fait du prince.
    Moi, je tiens à saluer le travail qui a été réalisé en commission, un travail intensif, objectif, qui nous a permis, j'espère, d'améliorer ce texte, monsieur le garde des sceaux.
    Je ne crois pas à l'immutabilité de l'ordonnance de 1945. Je ne crois pas qu'il y ait des textes intangibles. Notre force, c'est de faire preuve de pragmatisme et en même temps de donner des outils juridiques en fonction de l'évolution des problèmes qui se posent.
    Nous avons bien abrogé en 1994 le code Napoléon, qui datait de deux siècles. Pourquoi l'ordonnance de 1945 resterait-elle immuable ? Le pragmatisme qui doit l'emporter ici, nous en avons d'ailleurs fait preuve à plusieurs reprises, et la générosité n'est pas toujours dans le camp que l'on croit.
    M. Jacques Myard. Ils n'ont pas le monopole du coeur !
    M. Georges Fenech. Qui, en réalité, a supprimé les derniers centres fermés si ce n'est nous, en 1978, le dernier étant celui de Juvisy ? Qui a supprimé l'effet suspensif de l'appel du parquet, si ce n'est nous en 1980 ? Qui a supprimé, M. Dray l'a rappelé, la détention provisoire des mineurs de treize à seize ans, si ce n'est nous en 1987 ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Vous la rétablissez.
    M. Georges Fenech. C'était la situation de l'époque. Aujourd'hui, nous constatons une explosion de la délinquance juvénile. Il faut adapter, faire évoluer notre droit pour répondre à cette nouvelle forme de menace pour notre pays.
    Monsieur Vallini, vous nous avez dit en gros que notre projet était nécessairement mauvais puisque les syndicats le disent.
    M. André Vallini. En gros... en très gros !
    M. Georges Fenech. Lorsque le précédent Premier ministre, après les attentats du 11 septembre, a renforcé la législation antiterroriste, les mêmes syndicats qui critiquent aujourd'hui ce projet ont violemment critiqué celui de M. Jospin, allant même jusqu'à lancer des mots d'ordre pour ne pas appliquer la loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jacques Myard. Scandaleux !
    M. Georges Fenech. Je crois que nous devons faire confiance à ceux qui, sur le terrain, mettront en application ces dispositions. Faisons confiance aux éducateurs, faisons confiance également aux magistrats car, après tout, le texte que vous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne prévoit pas d'automaticité de la détention provisoire ou du placement dans un centre fermé. Le magistrat aura toujours à apprécier une telle décision.
    J'entendais Mme Guigou expliquer qu'elle ne voyait pas la différence : entre un centre éducatif renforcé et un centre fermé. Moi j'en vois une : le centre éducatif renforcé est ouvert et le centre éducatif fermé est fermé. Je pourrais vous citer quelques exemples de centres éducatifs renforcés qui ont fermé, faute de combattants, parce que certaines éducatrices en avaient assez de subir des agressions sexuelles.
    M. Jérôme Lambert. Fermons-les tout de suite !
    M. Georges Fenech. Je vois encore une autre différence : dans les centres éducatifs renforcés, on propose essentiellement des stages de voile, d'équitation ou de canoë-kayak.
    M. Christian Estrosi. C'est le Club Med !
    M. Georges Fenech. Dans les centres fermés, nous ferons, je l'espère, de l'éducatif : il s'agit de réapprendre aux mineurs les règles de vie, comme se lever le matin, dire boujour, merci, bref leur réapprendre la vie en société. C'est un service à leur rendre !
    Je voudrais aussi rappeler quel est le but de la sanction. Bien sûr, M. Hamel a raison, il faut rétablir la notion de sanction. La sanction a un but rétributif, la privation de liberté. Elle a un but curatif, c'est tout le travail éducatif qui sera fait en milieu fermé. Elle a aussi un but dissuasif : n'est-ce pas en effet la meilleure des préventions que la certitude de cette sanction, qui a trop longtemps été abandonnée ?
    Je crois que ce projet, tel qu'il nous a été présenté, rétablit un certain nombre d'équilibres qui avaient été rompus, et d'abord l'équilibre entre l'accusation et la défense. Vous instaurez le référé-détention : cela ne fait que répondre au référé-liberté que le prévenu, l'accusé, le mis en examen peut effectivement soulever. Vous rétablissez également l'équilibre qui avait été rompu entre la victime et l'auteur de l'infraction. Tout cela va dans le bon sens et, en réalité, vous sonnez la fin de cette fameuse culture de l'excuse qui a tant été mise en exergue pendant les campagnes électorales.
    Vous annoncez une nouvelle culture qui est celle de la responsabilité, de la responsabilisation.
    M. Guy Geoffroy. C'est bien !
    M. Georges Fenech. Mais ce projet que nous allons voter après avoir examiné les amendements n'est qu'une étape du travail de votre ministère. Nous attendons bien sûr d'autres grandes réformes. Nous attendons la réforme du conseil supérieur de la magistrature, qui n'a pas pu être votée, on s'en souvient. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
    M. Jérôme Lambert. Pourquoi ?
    M. André Vallini. A cause de qui ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Du Président de la République.
    M. Georges Fenech. Nous attendons aussi une grande réforme de la carte judiciaire.
    Nous devons aussi nous poser des questions. Faut-il évoluer vers un système accusatoire ? Doit-on rester l'un des trois derniers pays au monde à avoir un système inquisitoire opaque...
    M. le président. Il faut conclure, monsieur Fenech.
    M. Georges Fenech. ... qui ne respecte pas toujours les droits de la défense ? Faut-il maintenir la dualité des juridictions administratives et judiciaires ? Nous sommes le seul pays au monde à avoir un tel système.
    M. Xavier de Roux. Il faut supprimer les tribunaux administratifs !
    M. Georges Fenech. Pourquoi ne pas remettre aussi sur le métier la fameuse question de la responsabilié des juges que Mme Guigou, courageusement, avait abandonnée ?
    M. André Vallini. Non, c'est à cause du Président de la République ! Il fallait qu'il convoque le Congrès ! C'est scandaleux !
    M. Georges Fenech. Il faudra aussi réfléchir à une forme de dépénalisation de la vie en société. Aujourd'hui, tous les comportements sont passibles de sanctions pénales.
    Enfin, il est essentiel, comme l'a souligné le rapporteur de la commission des finances, M. Pélissard, que nous réfléchissions à un recentrage des missions du juge. Savez-vous qu'aujourd'hui, on totalise quelque 143 commissions administratives dans lesquelles siègent des juges, par exemple celle qui décide de l'attribution de la carte de journaliste ? Ils seraient plus utiles dans une juridiction. Nous devons mener une réflexion sur la qualité, sur la redéfinition de leurs missions.
    M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. Georges Fenech. Je suis convaincu que vous réussirez monsieur le ministre. Ce sera le succès du pays, celui de la justice, et nous y contribuerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Buillard, pour cinq minutes.
    M. Michel Buillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collèges, en tant que députés de la Polynésie, ma collègue Béatrice Vernaudon et moi-même avons apporté notre soutien au projet de loi sur la sécurité. Aujourd'hui, nous faisons tout naturellement de même pour le projet de loi relatif à la justice car ces deux textes sont indissociables.
    Votre projet de loi, monsieur le ministre, est très attendu en Polynésie, les besoins de la justice y sont particulièrement criants.
    Il est vrai que la justice n'échappe pas non plus aux spécificités du territoire. Il s'ensuit, d'une part, des besoins particuliers pour son fonctionnement, et, d'autre part, la nécessité d'adapter les solutions visant à améliorer l'efficacité de l'action de juger.
    Les besoins de la justice en Polynésie sont en effet particuliers.
    Notre territoire polynésien est composé à lui seul d'une centaine d'îles, dispersées sur un territoire grand comme l'Europe, parfois accessibles seulement par bateau. On y parle le reo maohi, et le lien à la terre est un lien direct avec les ancêtres.
    Ces particularismes, vous les connaissez bien. Ils ont des conséquences importantes pour le fonctionnement de la justice : il faut augmenter le nombres de juges forains pour rompre la dispersion et l'isolement des îles, il y a un abondant contentieux d'affaires de terres, qui exigent des juridictions adhoc, la pratique des langues polynésiennes nécessite des traducteurs et rallonge les délais de procédure, sans compter que la justice polynésienne assure des missions administratives que n'assurent plus les juridictions métropolitaines telles que la tenue de l'état civil et des casiers judiciaires.
    Outre ces particularismes, le personnel de la justice de la Polynésie n'a pu être épargné par la loi sur les 35 heures ni par celle sur la présomption d'innocence.
    Il en résulte un état d'engorgement inquiétant, et des délais de jugement devant la cour d'appel de Papeete dérourageants pour les victimes comme pour les magistrats.
    Aussi, monsieur le ministre, j'ai l'honneur d'appeler votre attention sur l'urgence qu'il y a de renforcer les moyens humains de la magistrature judiciaire de la Polynésie, ainsi que du greffe de la cour d'appel de Papeete.
    S'agissant de ce personnel du greffe, la disparition du corps des agents non fonctionnaires de l'administration, composé de vingt agents, et leur intégration dans la fonction publique d'Etat apparaît tout à fait légitime. Précisons qu'il ne s'agirait pas d'une nouvelle charge financière, ce personnel étant déjà rémunéré par l'Etat.
    Les besoins de la justice en Polynésie concernent aussi le service pénitentiaire. Un reconditionnement du centre pénitentiaire s'impose vraiment, en raison de sa grande surpopulation et de son mauvais état.
    Le service pénitentiaire pose lui aussi la question de l'intégration des personnels dans la fonction publique de l'Etat. Je constate avec satisfaction que votre projet de loi prévoit cette intégration totale et définitive.
    Je souscris enfin pleinement à votre projet de centres éducatifs fermés et souhaite très vivement que l'un d'entre eux soit créé en Polynésie. Outre les besoins particuliers de la justice de la Polynésie française, notre territoire nécessite des solutions adaptées pour améliorer l'efficacité de la justice.
    La justice de proximité est indispensable sur un territoire si étendu, mais les audiences foraines ne suffisent pas, et le juge de proximité sera bienvenu.
    Il faut toutefois veiller à y rendre le concept effectif, car un trop grand niveau d'exigence dans le recrutement de ces « juges » peut limiter excessivement le recrutement possible dans notre territoire.
    Notre pays a connu une mutation fondamentale en l'espace d'une trentaine d'années, passant d'un mode de vie traditionnel à la société de consommation.
    Aussi, en Polynésie, la proximité devrait être autant temporelle et culturelle que géographique. Pour concilier ou trancher les menus litiges, nous avons besoin d'un juge de proximité chargé de tisser le lien entre tradition et modernité, pédagogue et susceptible de comprendre ou de se faire comprendre dans la langue des personnes concernées. Il est notamment des femmes et des hommes dans notre territoire, ayant une expérience de la vie publique et des connaissances en droit, qui sont susceptibles de répondre à ces critères. Le profil du juge de proximité polynésien serait donc opportunément adapté au contexte local.
    La même démarche pourrait être suivie s'agissant de la composition et du fonctionnement de certaines juridictions.
    Indépendamment du juge de proximité, il me semble, après en avoir débattu avec les magistrats de Polynésie, que des solutions nouvelles sont à rechercher dans le développement de l'échevinage.
    L'échevinage permet de mieux communiquer entre « juges » et personnes jugées, et la dimension pédagogique de la sentence s'en trouve renforcée. Or chacun sait que, pour être bien rendue, la justice doit être bien entendue.
    En Polynésie, l'échevin idoine doit connaître les coutumes polynésiennes. L'échevinage est déjà une réalité dans notre territoire : il s'applique au tribunal du travail et au tribunal de commerce. Mais il pourrait être étendu à des contentieux « culturels » tels que ceux relatifs aux affaires de terre, ou ceux relevant de la juridiction pénale correctionnelle statuant en collégialité, comme c'est déjà le cas en Nouvelle-Calédonie.
    Telles sont les observations que je souhaiterais vous faire connaître, monsieur le ministre, relatives à la spécificité des besoins de la justice, ainsi qu'à la spécificité des solutions susceptibles d'améliorer l'efficacité de la justice en Polynésie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)

    M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, pour cinq minutes.
    Mme  Christine Boutin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est au moins un point sur lequel nous sommes tous d'accord : nous ne sommes plus en 1945. En cinquante-sept ans, bien des choses ont changé. Le phénomène délinquant n'échappe pas à cette règle tant il s'inscrit aujourd'hui dans un contexte dépassant celui de l'ordonnance de 1945. La forme des délits et des crimes, leur densité, ainsi que la multiculturalité des auteurs nous imposent donc de réfléchir à un cadre législatif adapté à cette nouvelle donne. Les Français, pour qui la sécurité est devenue la première des priorités, nous l'ont d'ailleurs demandé. Je voterai donc ce projet de loi.
    M. Lionnel Luca. Très bien !
    Mme Christine Boutin. Mais pour autant, je m'interroge quant à la pertinence de certaines dispositions de ce texte qui peuvent sembler prendre le contre-pied des conclusions des commissions d'enquête parlementaires sur les prisons, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
    M. Jérôme Lambert. C'est vrai !
    Mme Christine Boutin. De fait, même si nous sommes tentés de croire que le tout-préventif a échoué, il me paraîtrait dangereux de vouloir le remplacer par le tout-répressif.
    M. André Vallini. Très bien !
    Mme Christine Boutin. Car s'il est une chose que nous devons constamment avoir à l'esprit, c'est que la sanction pénale n'a de sens qu'envisagée à travers le prisme du pardon réel accordé par la société aux délinquants. Sans réinsertion, l'emprisonnement est, si je puis dire, peine perdue.
    Il faut que nous abordions le problème de notre justice dans sa globalité. La réforme nécessaire impose une réflexion approfondie. Nous avons, vous l'avez dit, monsieur le ministre, une occasion historique que nous devons saisir sans naïveté, avec courage. Cette réforme suppose l'affirmation de valeurs fondamentales, constitutives de notre organisation sociale et, j'oserai le dire, de notre degré d'humanité. Nous sommes tous concernés. J'oserai profiter de cette occasion pour suggérer que le choix du numerus clausus en matière carcérale pourrait être une réponse à l'engorgement de nos établissements pénitentiaires, et ce pour nous contraindre à être inventifs afin de trouver des alternatives au seul emprisonnement. Cette parenthèse refermée, nous aurions tort de ne pas faire rimer répression avec réinsertion.
    La délinquance des mineurs répond tout particulièrement à cette exigence. La justice a pour rôle de réaffirmer l'autorité de la loi devant ceux qui l'enfreignent, mais il n'en demeure pas moins que l'éducatif reste une des fonctions capitales de la justice des mineurs, même si le recours à la contrainte ne peut être exclu.
    Forts de ce rappel, nous sommes face à un dilemme qui se résume à une question : parce que la délinquance juvénile est de plus en plus importante, la justice doit-elle pour autant traiter aussi sévèrement un mineur qu'un adulte ? La réponse est évidemment négative. Evidemment, parce que vouloir soutenir le contraire reviendrait à nier la notion même d'enfance. Parce que justement, au-delà de son acte, il demeure un enfant, le délinquant mineur doit encourir une sanction prioritairement éducative - liberté surveillée, placement, réparation pénale -, ce qui ne signifie pas qu'elle soit trop laxiste ou qu'une réponse pénale telle que la détention provisoire ne s'impose pas dans certains cas.
    Mais, monsieur le ministre, je n'ai pas bien compris ce qu'étaient ces futurs centres fermés.
    M. Jérôme Lambert. Nous non plus !
    Mme Christine Boutin. Je voudrais que vous nous le précisiez : seront-ils effectivement fermés ou bien ouverts ?
    M. André Vallini. Il ne le sait pas !
    M. Lionnel Luca. Ils seront fermés et ouverts à tous !
    Mme Christine Boutin. Que seront réellement les moyens éducatifs de réinsertion qui les serviront ? Y aura-t-il des programmes d'éducation spécifiques pour chaque cas ? Qu'en sera-t-il des moyens d'évaluation ? Le temps de l'incarcération doit apparaître comme une étape permettant au jeune, grâce à un accompagnement adapté, d'élaborer un projet pour l'avenir, et non s'inscrire dans la poursuite d'une carrière délinquante.
    De façon générale, pour la réforme à venir, nous serions bien inspirés, je crois, de méditer, avant de légiférer, sur l'expérience du Canada.
    M. André Vallini. Très bien !
    Mme Christine Boutin. Une réforme mise en place depuis plus de dix ans lui permet aujourd'hui, mes chers collègues, d'avoir le taux de récidive le plus faible du monde.
    M. André Vallini. Très juste !
    Mme Christine Boutin. Cela exige un regard nouveau, alliant autorité, transparence des règles du jeu et des procédures, n'oubliant personne, ni les victimes, ni les délinquants, ni les citoyens. Il s'agit de bien faire comprendre à tous que si tout délit doit être sanctionné, l'enfermement est un moyen nécessaire mais non suffisant pour répondre aux déviances de la société.
    M. Jérôme Lambert. C'est vrai !
    M. Pierre Albertini. Très juste !
    Mme Christine Boutin. C'est du sens de la peine qu'il convient de parler pour poser les principes. L'homme est-il - et nous aurons ce débat - pour chacun d'entre nous toujours au-dessus de sa faute ? De la réponse que nous donnerons, chacun, à cette question découleront les principes fondamentaux des règles du jeu de la société française.
    Certaine que vous mènerez votre réflexion dans ce sens, monsieur le ministre, pour cette réforme profonde que nous attendons depuis trop longtemps, je soutiendrai ce premier texte qui est un premier pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour cinq minutes.
    M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la justice est un service public essentiel à l'autorité de l'Etat, nous en convenons tous. Mais, en réalité, elle est bien davantage qu'un service public, elle est le coeur même de l'Etat. Elle lui est consubstantielle : sans Etat, pas de justice ; sans justice, pas d'Etat non plus. Les Français le savent. Ils l'ont constamment appris tout au long de leur histoire, au cours de laquelle ils ont scellé avec le concept de justice une alliance séculaire, illustrée par des affaires restées célèbres - l'affaire Calas, l'affaire Dreyfus - qui ont marqué à jamais notre notre subconscient collectif dans cette recherche permanente d'un idéal de justice simple mais compréhensible par tous : le coupable doit être puni, je dis bien puni, l'innocent innocenté.
    Malheureusement, aujourd'hui, la crise de l'Etat née de la confusion des esprits savamment entretenue par l'idéologie des soixante-huitards attardés,...
    M. Étienne Blanc. C'est vrai.
    M. André Vallini. Nous y voilà !
    M. Jacques Myard. ... a atteint le concept de justice en lui-même. La situation est alarmante, vous le savez, monsieur le ministre : le système judiciaire a atteint une rare complexité, incomprise des justiciables ; les décisions sont rendues avec lenteur ; les juridictions sont surchargées alors même que l'insécurité s'accroît.
    Tout aboutit aujourd'hui chez le juge. La République est pénalisée. Certains utilisent même le système judiciaire comme un instrument de combat politique. Une poignée de magistrats se laissent aller sur une pente partisane et dangereuse.
    Les magistrats dans leur ensemble ont parfois le sentiment, à juste titre, d'être des mal-aimés, d'être mal rémunérés, de manquer cruellement de moyens. Cette situation est alarmante et n'est plus acceptable. Et c'est à juste titre, monsieur le garde des sceaux, que vous proposez de soigner la justice pour soigner la République.
    Il est urgent de rétablir le service public de la justice dans ses missions fondamentales, et c'est sous l'angle du service public que je souhaite vous faire part de quelques observations en trois points.
    Quelles sont, tout d'abord, les missions de la justice ? Sa première mission, que cela plaise ou non, c'est la répression de la délinquance au nom de la société et du peuple souverain. Une société civilisée se caractérise par le fait que l'Etat doit avoir le monopole de la violence. Si des individus utilisent la violence, ils doivent rencontrer la violence légitime de l'Etat, pour qu'ils cessent et soient punis. Votre projet adapte enfin la répression aux mineurs délinquants. Il va dans le bon sens.
    Aux pleurnichards, aux professionnels du laxisme, je rappellerai que la promptitude et la certitude de la sanction sont des mesures irremplaçables de prévention.
    M. Lionnel Luca. Bien sûr !
    M. Jacques Myard. S'agissant des mineurs, on connaît les solutions. Elles ont été expérimentées depuis longtemps, mais véritablement mises de côté. Il s'agit notamment de ces équipes de jeunes en équipes de travail, les JET, qui associant la sanction, l'éducation et la contrainte, arrivent à des résultats tout à fait significatifs. Votre projet, avec les centres fermés spécialisés, reprend cette problématique.
    Mais la mission répressive de la justice ne peut être légitime que si elle s'exerce au nom de la société représentée par les autorités élues, responsables devant le peuple. Dans ces conditions, nous attendons que le garde des sceaux exerce pleinement les pouvoirs que le peuple lui a confiés en donnant des instructions claires aux procureurs pour défendre la société face aux malfrats et autres délinquants. Je souhaite entendre de vous, monsieur le garde des sceaux, que ce funeste projet de l'indépendance du parquet est bel et bien abandonné et enterré.
    M. Gérard Hamel et M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. Jacques Myard. De surcroît, si le Conseil supérieur de la magistrature peut faire des propositions de nomination, il appartient au seul pouvoir démocratique de nommer les procureurs en toute indépendance. J'espère que vous userez pleinement de vos prérogatives.
    La deuxième mission de la justice est d'être l'arbitre objectif qui permet de régler les litiges civils entre les citoyens. Là encore, votre projet va dans le bon sens, avec la création d'un juge de proximité, une sorte de juge de paix, pour régler rapidement les petits litiges. J'espère qu'il deviendra véritablement un juge volontaire, peut-être même en dehors du cadre d'une juridiction, pour pouvoir avancer plus rapidement.
    Mon deuxième point concerne les modes de fonctionnement de la justice.
    Si les missions de la justice sont clairement réaffirmées par votre projet - réprimer et arbitrer - encore faut-il qu'elle les exerce là où c'est nécessaire et dans le respect des règles qui sied à tout service public.
    La justice ne saurait se mêler de tout. Aujourd'hui, trop de conflits se terminent chez le juge pénal : la République est devenue pénalisée. Vous savez qu'il existe ce fameux NATINF, ce tableau des natures d'infractions où l'on dénombre au total plusieurs dizaines de milliers d'infractions que nous pouvons commettre les uns et les autres, même sans le savoir. Il est urgent de recentrer l'activité du juge pénal sur les délits intentionnels. Beaucoup d'infractions doivent disparaître du domaine de la loi pénale pour relever d'autres moyens de résolution des litiges. J'ajoute qu'à mon sens la multiplication des constitutions de partie civile est de nature à privatiser l'action publique, ce qui pose un problème véritable.
    En deuxième lieu, il est impératif de rappeler à certains magistrats les règles qui président à leurs fonctions, et notamment la neutralité. Comment le justiciable peut-il avoir confiance dans des magistrats qui, prenant appui sur leur fonction, professent ouvertement des opinions politiques au mépris de leur devoir de réserve ?
    Mme Maryse Joissains-Masini et M. Arnaud Lepercq. Très bien !
    M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, cette dérive est dangereuse, Il n'est pas acceptable que des magistrats fassent de la politique ès qualités, portent des jugements politiques et battent les estrades médiatiques.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. Jacques Myard. En dernier lieu, je voudrais parler très brièvement des moyens de la justice. Pour remplir ses missions dans le respect des règles que je viens de rappeler, il va de soi que la justice doit avoir des moyens. Vous les lui donnez, c'est bien. Je souhaite toutefois vous rappeler qu'il est important de ne pas dévaloriser la fonction des magistrats. A ce titre, plus encore que leur nombre, il est important de renforcer leur environnement administratif, afin que les magistrats professionnels soient déchargés des tâches matérielles, ce qui leur permettra de se consacrer entièrement à leur fonction.
    Il convient enfin de traiter les magistrats des deux ordres de juridictions, en ce qui concerne leur rémunération, sur un strict plan d'égalité. Après l'affirmation de la parité, il me revient que cela ne serait plus respecté. Or les magistrats des deux ordres de juridictions participent tous au bon fonctionnement de la justice, qui demeurera toujours le gage irremplaçable d'une République souveraine et égale pour tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour cinq minutes.
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat sur la loi d'orientation et de programmation sur la justice n'est pas prématuré. Ce débat essentiel, fondamental, il était grand temps que nous l'ayons ici, dans cette enceinte. L'été n'a rien à voir à cela. Le Parlement est au travail et il lui revient d'assumer une lourde responsabilité, qui consiste à prendre enfin en charge ce qui est aujourd'hui la principale préoccupation de notre société, celle de sa sécurité et de sa justice.
    Il le fait dans des conditions que je voudrais saluer, tout d'abord pour la qualité du projet qui nous est présenté, mais également pour la qualité du travail qu'il a été donné aux membres de la commission des lois de pouvoir effectuer. Je voudrais saluer la direction de ce travail par notre président, Pascal Clément, et la qualité de la synthèse et de la conduite de nos réflexions par notre rapporteur...
    M. Michel Terrot. C'est vrai !
    M. Guy Geoffroy. ... au côté duquel, pendant plus de trente heures, j'ai eu la grande satisfaction d'élu de pouvoir participer à toutes ces auditions qui nous ont permis de conforter tout ce que nous savions essentiel dans l'attente de nos concitoyens.
    C'est pourquoi je ne peux manquer d'être atterré par le côté plutôt laborieux de la réplique de nos opposants, ceux qui, hier encore, étaient aux affaires.
    M. Jacques Myard. C'est normal, ils n'ont pas d'idées !
    M. Guy Geoffroy. En fait, en croyant critiquer votre projet, monsieur le ministre, ils ont administré à leur ancien poulain, ex-futur Président de la République, un formidable désaveu. Et, pour mieux le prouver - et peut-être devant le rédacteur ou la rédactrice des documents dont je vais vous donner lecture -, il suffit de se reporter à ce magnifique document que personne parmi nous n'a manqué de lire en son temps, le « Je m'engage » de M. Lionel Jospin.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. Que peut-on lire dans ce document ? En matière de justice de proximité, dont j'entends dire qu'elle n'aurait pas sa place demain dans notre pays, on y lit, page 11, sous la plume du Premier ministre de l'époque : « C'est pourquoi je propose la création de postes de juges de proximité ...
    M. Jacques Myard. Eh oui !
    M. Guy Geoffroy. ... qui seraient confiés à de jeunes retraités de l'éducation, de la police, de la justice, de l'armée, des entreprises. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Bernard Schreiner. Il avait de bonnes idées, ce Jospin ! Quel dommage qu'il ait été battu !
    M. Guy Geoffroy. Pages 12 et 13, là où il est question de la délinquance des mineurs - qui, paraît-il, n'a pas à être traitée de la manière ferme, lucide et responsable que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux - je lis, toujours sous la plume de M. Jospin : « Pour ce faire, nous procéderons aux modifications législatives nécessaires, y compris à celle de l'ordonnance de 1945 relative aux mineurs. »
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. Bernard Schreiner. Que de bonnes intentions !
    M. Guy Geoffroy. « Celle-ci pose des principes sages : sanction adaptée, tribunaux spécialisés. Mais ce texte, d'ailleurs modifié à de nombreuses reprises depuis son adoption, ne doit pas être considéré comme tabou. »
    M. André Vallini. C'est ce que nous avons dit !
    M. Guy Geoffroy. « Il devra être adapté pour tenir compte d'un contexte social profondément modifié ...
    M. André Vallini. Nous sommes d'accord !
    M. Guy Geoffroy. ... et dans l'intérêt même de ces jeunes en grande difficulté d'insertion sociale auxquels il faudra réapprendre le sens de la vie en société. » Ce n'est pas fini.
    M. Bernard Schreiner. Oh !
    M. Guy Geoffroy. « A cet effet - et ça, monsieur le ministre, vous n'êtes pas allé jusqu'à le faire, mais M. Jospin, lui, voulait le faire - il faudra également développer l'accueil des mineurs dans des structures fermées, mais il faudra que les procédures de comparution immédiate soient étendues. La capacité d'initiative des collectivités locales, concluait le candidat Jospin, sera sollicitée pour diversifier les dispositifs d'accueil. »
    S'il fallait d'autres éléments pour pointer comme il convient la duplicité de nos opposants d'aujourd'hui, je crois que ceux-ci suffiraient largement.
    M. Alain Marsaud. Mettons tous en oeuvre le projet Jospin !
    M. Guy Geoffroy. Quand la duplicité atteint de tels sommets, permettez-moi de vous le dire, ce n'est plus simplement du culot, c'est tout bonnement de l'indécence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, vous nous proposez un texte courageux, lucide, qui ouvre des perspectives et oblige à la réussite.
    Je voudrais en quelques mots, pour conclure mon propos, vous dire tout ce qu'il reviendra, à vous, à vos collègues comme à toute représentation nationale, de faire dans les semaines et les mois qui viennent pour gagner la bataille de la lutte contre la délinquance des mineurs. Je voudrais parler des centres éducatifs fermés que personne ne conteste véritablement, M. Jospin et ses soutiens les premiers.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. Ils devront, pour réussir, combiner harmonieusement tout ce qui fait l'essence même du traitement de la délinquance des jeunes, à savoir la prévention, la sanction et la répression.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Guy Geoffroy. C'est pourquoi il faudra s'assurer, comme s'y est engagé le Gouvernement, de la présence, dans ces petits centres chargés d'accueillir huit à dix jeunes, d'un représentant permanent de l'éducation nationale pour donner à ces centres une véritable existence prospective, une vocation éducative et de réinsertion. Il faudra également, le texte que vous nous proposez le permet, que les éducateurs soient plus nombreux. A ce propos, permettez-moi de vous faire part d'une interrogation.
    M. le président. Il faut conclure, monsieur Geoffroy.
    M. Guy Geoffroy. Des éducateurs plus nombreux, oui, mais quels éducateurs ? Pour quoi faire ? Avec quelle formation et dans quel état d'esprit ? (« Eh oui ? » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

    L'éducation - et c'est un professionnel de l'éducation qui vous le dit - ce n'est pas l'écoute bavarde et le discours de tous les jours avec des enfants que l'on croit protéger en n'assumant pas la parole exigée en leur direction.
    M. Jacques Myard. L'éducation, c'est la règle sur les doigts !
    M. Guy Geoffroy. L'éducation, c'est être debout. L'éducation, c'est dire la vérité. C'est cesser de mentir à la jeunesse de notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    L'éducation, monsieur le garde des sceaux, c'est ce qu'il faudra mettre au coeur de la mise en application de votre réforme au profit de notre jeunesse pour que notre pays, grâce à cette loi, n'ait plus peur, demain, de l'avenir de sa jeunesse et, tout simplement, n'ait plus peur de son avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria, pour cinq minutes.
    M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que serait la loi d'orientation sur la sécurité intérieure sans une véritable loi d'orientation et de programmation pour la justice ? La justice est le chaînon essentiel pour abolir chez nos concitoyens le sentiment d'impunité, de laisser-faire permanent et d'absence d'autorité dans notre pays.
    Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous avez devant vous, debout à cette tribune, un député ravi de voir enfin un attelage se constituer, se renforcer et prendre toute sa place dans notre société, c'est-à-dire une police en cohérence d'action avec la gendarmerie et surtout une justice apportant des moyens nouveaux pour permettre d'assurer aux policiers et aux gendarmes soutien, confiance et sérénité dans l'accomplissement de leurs missions sur le terrain.
    M. Xavier de Roux. Très bien !
    M. René-Paul Victoria. C'est le temps de l'action. Les élus que nous sommes doivent tout faire pour protéger nos concitoyens.
    Le général de Gaulle disait « en définitive, quelles que soient les frontières, les races, les ambitions, c'est l'homme qui est au fond de tout [...] la seule querelle qui vaille est celle de l'homme. C'est l'homme qu'il s'agit de sauver, de faire vivre et de développer ».
    M. Gérard Léonard. Très bon rappel !
    M. René-Paul Victoria. C'est donc bien de l'homme que nous parlons ici, pour sa sécurité ainsi que celle de ses biens.
    Ce projet de loi va donc dans le bon sens. Il prévoit tout d'abord d'améliorer l'efficacité de la justice au service des citoyens par l'augmentation des effectifs - plus de 10 000 créations d'emplois sur 2003-2007 - et de créer une véritable justice de proximité avec le recrutement de 3 300 juges sur cinq ans qui jugeront les litiges civils et les infractions les moins graves. Cette mesure est une bonne chose, monsieur le ministre, car elle permetta de combler les retards insupportables, préjudiciables à l'ensemble de l'institution et donnera ainsi son véritable sens à une justice de proximité qui réponde à l'attente de nos concitoyens.
    Ensuite, elle apporte une réponse pénale nouvelle très attendue à la délinquance des mineurs les plus violents, par la création de centres éducatifs renforcés et adaptés. Il s'agit de ne pas traiter de la même façon les problèmes des adolescents qui commettent leur premier délit et ceux des multirécidivistes ! Pour ces derniers, la procédure de jugement sera accélérée, car il faut faire cesser le sentiment d'impunité.
    Je partage votre volonté de faire reculer ce sentiment d'impunité par la mise en place d'une organisation pour juger vite et surtout veiller à l'application des peines. C'est ainsi que cette loi prévoit la constitution d'un nouvel ordre judiciaire avec la création des juges de proximité. Cette justice de proximité devrait être capable de traiter les petits délits qui empoisonnent la vie de tous les jours de nos concitoyens.
    M. Lionnel Luca. Eh oui !
    M. René-Paul Victoria. Ces délits sont, hélas ! trop nombreux et parfois violents. Avec cette méthode, la justice sera claire, simple et de bon sens.
    Cette justice de proximité, certes originale, me rappelle l'histoire et le fonctionnement des maisons de justice et de droit créées à la Réunion. Ces maisons doivent être complétées par la création des maisons de la sécurité, véritables centres de ressource, d'information, d'observation et d'évaluation des politiques de sécurité, de justice et de prévention, voire du suivi de la sortie des jeunes de prison ou des centres d'éducation spécifiques. Voilà un point capital du dispositif, pour éviter le récidivisme.
    Mais, pour être efficace, l'institution judiciaire doit s'appuyer sur des équipements en nombre suffisant, et améliorer le fonctionnement et la sécurité de ses établissements pénitentiaires. En effet, pour assurer le respect de la dignité de la personne humaine, vous prévoyez de lancer un programme de construction de prisons modernes, différenciées selon la nature des infractions commises, les politiques de réinsertion envisagées et l'âge des détenus.
    Je suis heureux, monsieur le ministre, qu'en liaison avec votre collègue Pierre Bédier vous ayez entrepris une large consultation, en particulier avec les élus locaux, pour déterminer les besoins département par département. Depuis plusieurs années, la Réunion attend un nouvel établissement pénitentiaire pour remplacer l'actuelle maison d'arrêt de Saint-Denis, qui est complètement obsolète et indigne de notre République, tant les conditions d'incarcération datent et sont, en un mot, inhumaines. Il y a urgence, monsieur le ministre !
    Mme Christine Boutin. C'est vrai !
    M. René-Paul Victoria. Monsieur le ministre, vous avez prévu un volet important d'aide aux victimes. Je vous en remercie pour eux et je fais confiance à votre sagesse pour accepter également un volet pour protéger les victimes d'acharnement médiatique.
    Pour conclure, monsieur le ministre, je dirai que ce projet est une bonne chose. Il vise à renforcer les moyens de la justice pour la rendre plus efficace, plus rapide, plus simple et plus moderne. Nous pouvons y lire l'ambition du Gouvernement d'améliorer la qualité de la justice française, non seulement par une augmentation sans précédent des moyens humains et matériels, mais également par une volonté d'apporter des réponses adaptées aux carences de l'institution judiciaire.
    Cependant, tous ces dispositifs, que je salue, ne pourront porter leurs fruits que si toutes les forces vives de la nation deviennent co-actrices de cette démarche, de votre démarche, de notre démarche. Ces forces vives, ce sont notamment les familles, l'éducation nationale, les associations, dont le rôle pédagogique et social ne sont plus à démontrer, ou encore le secteur économique - les entreprises vont avoir un rôle important à jouer dans la réinsertion sociale de notre jeunesse.
    C'est le sens de la démarche entamée par le Gouvernement qui, n'en doutez pas, aboutira. C'est en tout cas le voeu que je forme aujourd'hui pour mieux vivre notre devise : liberté, égalité, fraternité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
    M. Lionnel Luca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, alors que la France se plonge dans les vacances, nous débattons d'un texte important que les Français nous ont réclamé, aux uns et aux autres. Il faut se réjouir que le Gouvernement n'ait pas tardé à tenir les engagements du Président de la République en répondant à leur attente pressante.
    C'est un projet de loi important et dense, fruit de nombre de missions d'information et de commissions d'enquête parlementaires dont la dernière en date, présidée par notre collègue du Sénat, Jean-Pierre Schosteck, concernait la délinquance des mineurs. A ce propos, ma lecture de son rapport ne correspond pas à ce que nos collègues de gauche nous en ont dit hier. Je lis dans l'introduction : « La primauté de l'éducation sur la répression qui inspire le droit applicable aux mineurs délinquants est un principe nécessaire, qui devient nocif quand cette primauté signifie dissociation. La sanction est partie intégrante de l'éducation. »
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. Lionnel Luca. De ses travaux, la commission retire le constat suivant : « La situation actuelle est réellement préoccupante, parce que cette délinquance s'est massifiée, qu'elle est plus violente et concerne des mineurs plus jeunes. Cette délinquance a aussi été sous-estimée et non exagérée. »
    M. Jacques Myard. Avec naïveté...
    M. Lionnel Luca. Nos collègues ajoutent notamment : « La famille et l'école n'endiguent plus la délinquance [...] la justice des mineurs n'est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique  la protection judiciaire de la jeunesse connaît une crise d'identité profonde. »
    M. Pierre Cardo. Eh oui !
    M. Lionnel Luca. « La prise en charge des mineurs les plus difficiles au sein des structures d'hébergement ne semble plus motiver ses cadres, dont certains adoptent même une véritable stratégie d'évitement de ces mineurs. »
    M. Pierre Cardo. Plus ils sont durs, moins ils sont accompagnés.
    M. Lionnel Luca. Quant à la conclusion, il n'y a jamais été dit, comme on l'a entendu hier, qu'il ne fallait pas sanctionner. Le chapitre 6, intitulé : « Les propositions de la commission d'enquête : éduquer en sanctionnant, sanctionner en éduquant » mentionne notamment la nécessité de « redécouvrir la dimension éducative de la sanction ». C'est bien la solution que vous proposez à la situation dramatique que vivent nos concitoyens, particulièrement les plus modestes d'entre eux, que l'opposition semble avoir vite oubliés.
    Et que dire de ces nouvelles victimes de la délinquance que sont les serviteurs du public : chauffeurs de car, pompiers, médecins et, dernièrement encore, policiers ? Qui a parlé de cette jeune femme gardien de la paix stagiaire lynchée, tabassée dans l'indifférence générale et qui est aujourd'hui sur un lit d'hôpital. Pas beaucoup de défenseurs des droits de l'homme pour elle. Dommage ! (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lucien Guichon. Au contraire, on ridiculise ces victimes-là !
    M. Lionnel Luca. Dans les Alpes-Maritimes, faute de disposer d'un centre adapté aux délits, les petits délinquants sont placés dans les foyers départementaux de l'enfance où ils se trouvent mêlés à des enfants maltraités qui ont déjà subi la violence ou confrontés à des petits dealers, à des pourvoyeurs de drogue qui les traumatisent encore davantage.
    M. Jacques Myard. C'est incroyable !
    M. Lionnel Luca. Ne vous étonnez donc pas que nous répondions avec célérité à la demande des Français, telle qu'ils l'ont manifestée dans leur vote. Il y a bien urgence, mais nous n'agissons pas dans l'urgence.
    Ne soyez pas donc surpris que nous respections nos engagements, alors que vous, vous oubliez les vôtres. Car enfin, dans son programme que j'ai conservé précieusement, au joli titre évocateur : « Je m'engage » - vous devriez le relire si vous l'avez déjà oublié, il doit vous rester quelques stocks non distribués - Lionel Jospin a bien affirmé qu'il fallait améliorer l'efficacité de la justice au quotidien, lui donner des moyens. C'est ce que nous faisons, et vous le combattez.
    M. Gérard Hamel. Ils ont oublié Jospin !
    M. Lionnel Luca. Il proposait de développer la médiation, de créer des juges de proximité qui auraient pu être de jeunes retraités de l'éducation, de la police, de la justice, et vous nous parlez de notables. Il voulait traiter la situation préoccupante des mineurs, et vous nous faites un procès d'intention à ce sujet. Il affirmait que l'ordonnance de 1945 n'était pas un tabou, et vous, vous prétendez que ce sont les tables de la loi.
    M. Michel Terrot. Jospin n'est pas la Bible quand même !
    M. Christian Estrosi. Il n'était pas crédible.
    M. Lionnel Luca. Enfin, il prônait clairement la création de structures fermées pour les mineurs récidivistes -  c'est écrit en caractères gras - pour tromper les Français. Et aujourd'hui, vous nous dites que c'est insupportable. C'est carrément un procès en sorcellerie.
    M. Christian Estrosi. Ni les Français ni les socialistes ne l'ont cru !
    M. Lionnel Luca. Voyez-vous, la différence entre vous et nous, c'est que nous tenons vos engagements et ceux du Président de la République qui y a ajouté l'aide aux victimes, l'amélioration de l'aide juridictionnelle, l'amélioration de la condition pénitentiaire.
    M. Pierre Cardo. Et les moyens.
    M. Lionnel Luca. A ce propos, monsieur le ministre, je souhaite que les personnels de prison, qui travaillent dans un système de plus en plus insupportable, ne soient pas laissés de côté dans votre réforme.
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. Lionnel Luca. Ils ne doivent pas être les sacrifiés au prix du renforcement des moyens que nous donnons aux autres forces de l'ordre et aux magistrats.
    Mme Christine Boutin. Très bien !
    M. Jean-Marie Geveaux. Il a raison !
    M. Lionnel Luca. Je ne reviendrai pas sur la prison de Nice, mon collègue M. Jérôme Rivière a été particulièrement éloquent en la matière.
    Monsieur le ministre, avec ce texte équilibré, vous donnez à la justice les moyens de faire son travail. Avec ce texte, vous tenez, vous, tous les engagements pris par le Président de la République. Avec ce texte, vous allez redonner confiance aux Français pour qu'ils croient de nouveau en leur justice et à la politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord remercier toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés dans le cadre de la discussion générale, et qui ont ainsi ouvert un riche débat. Je vais m'efforcer de leur répondre.
    Depuis hier après-midi, il a été assez souvent question de l'urgence du texte et des conditions dans lequelles cette loi vous est proposée. Je ferai deux observations à ce propos.
    D'une part, ces dernières années, les rapports se sont accumulés sur l'état de notre justice, sur la nécessité de renforcer la relation sanction-éducation.
    M. Gérard Léonard. C'est vrai !
    M. le garde des sceaux. D'autre part, pendant des mois, notre pays, qui est une grande démocratie, a débattu dans le cadre de la campagne présidentielle, puis dans le cadre des élections législatives. Vous avez, les uns et les autres, été élus après avoir rencontré les Français, après les avoir écoutés et entendus. Tout cela nous a permis d'élaborer un texte qui va à la rencontre, comme il est normal dans une démocratie, de l'attente de nos concitoyens. C'est pourquoi le Président de la République, le Gouvernement et moi-même avons estimé qu'il était possible, en trois mois, d'apporter cette réponse. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Deuxième observation, d'une nature toute différente, les uns et les autres le savent sans doute, les budgets annuels se préparent pendant l'été. Monsieur Queyranne, monsieur Vallini, sachez qu'il m'est bien utile, en ce moment, de pouvoir m'appuyer sur ce texte, en particulier sur ses trois premiers articles, pour discuter avec le ministre du budget : si ce projet n'avait pas été conçu dès le début de la législature,...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Nous aurions perdu un an !
    M. le garde des sceaux. ... c'est une année que nous aurions perdue, car le dispositif n'aurait pas pu s'intégrer dans l'exercice 2003. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Comme je le disais hier après-midi dans mon propos introductif, je suis très heureux, dès le début de la législature, de pouvoir insérer mon action, tout mon travail de préparation budgétaire, de définition et de mise en place des moyens, dans ce cadre de programmation pluriannuelle, qui donne une cohérence, dans la durée, à l'action du ministère.
    Je remercie tout spécialement le rapporteur, M. Warsmann (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !
    M. le garde des sceaux. ... pour l'intensité du travail qu'il a fourni, sous l'autorité du président de la commission et avec bon nombre d'entre vous, pour examiner le projet, mais aussi, je le sais, pour proposer des améliorations - nous les étudierons à partir de cet après-midi. Je salue la qualité des analyses qu'il nous a livrées hier après-midi et la plus-value précieuse qu'il apporte à notre réflexion.
    Je remercie également Jacques Pélissard, qui, hier après-midi, au nom de la commission des finances, nous a délivré un certain nombre de messages. Je suis d'accord avec lui, en particulier, à propos de la nécessité de moderniser la gestion.
    Mesdames, messieurs les députés, un des enjeux de ces prochaines années sera de faire en sorte que les crédits accordés à la justice par la collectivité nationale ne soient pas comme l'eau dans le sable. Il est indispensable que nous fassions un effort ; ce sera le travail du ministre, bien sûr, des directeurs de l'administration, de l'ensemble des fonctionnaires, mais ce sera aussi le vôtre, à l'occasion du suivi de l'exécution budgétaire. Il faut améliorer la gestion, évaluer l'action menée, les juridictions, les services, les différents centres éducatifs.
    M. Pierre Cardo. Il y a du boulot !
    M. Jacques Myard. Il faut créer un corps de gestion !
    M. le garde des sceaux. Cette évaluation est indispensable, M. Pélissard et beaucoup d'entre vous l'ont souligné, si nous voulons que l'effort exceptionnel engagé apporte les résultats indispensables que les Françaises et les Français attendent de nous.
    Le président Clément est intervenu avec beaucoup de brio. Je voudrais le rassurer sur un point : notre objectif n'est pas de supprimer les centres éducatifs renforcés et les centres de placement immédiat, mais bien de proposer aux juges un ensemble de moyens et de réponses possibles, chaque type de structures ayant sa spécificité. C'est fondamental.
    Prenons l'exemple des CPI. Aujourd'hui, dans ces centres, sont mêlés primodélinquants et multirécidivistes.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Malheureusement.
    M. le garde des sceaux. C'est ce qui perturbe leur fonctionnement et hypothèque la réussite du travail des éducateurs.
    M. Pierre Cardo. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Il est important de bien comprendre que le centre fermé vient prendre place entre le centre éducatif renforcé et la prison, que nous voulons éviter pour la plupart des jeunes.
    M. Lionnel Luca. Très bien.
    M. le garde des sceaux. Je voudrais maintenant répondre à certaines de vos déclarations, monsieur Vallini.
    Tout d'abord, à propos du référé-détention, je vous rappelle - car vous le savez très bien - que la prolongation de la détention n'est pas prononcée par le procureur : son appel ne fait que prolonger les effets d'une décision préalable d'un juge du siège, jusqu'à une autre décision, prise par un autre juge du siège.
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument.
    M. André Vallini. Quelle différence cela fait-il ?
    M. le garde des sceaux. Telle est la réalité juridique, il faut être clair. Vous faites semblant de ne pas le comprendre, mais je sais bien que nous sommes là pour débattre et que, dans cet hémicycle, cela fait partie de l'exercice...
    J'ajoute que le procureur de la République est lui aussi un magistrat...
    M. André Vallini. Mais un magistrat du parquet.
    M. le garde des sceaux. ... mais je ne m'étendrai pas, car cela a déjà été dit hier.
    Contrairement à certaines interprétations, la responsabilité pénale est fonction du discernement du mineur. Nous introduisons seulement, entre dix et treize ans, des sanctions éducatives. C'est cela qui est inscrit dans le texte et seulement cela.
    S'agissant des centres éducatifs renforcés, il faut maintenant tout se dire : vous savez bien que ce n'est pas vous qui les avez créés, mais Jacques Toubon, et que Mme Guigou, dès sa nomination, les a stoppés, à la demande de plusieurs organisations syndicales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Toutefois, au bout de deux ans, Mme Guigou - je lui rends hommage - a compris qu'elle avait commis une erreur. Elle les a donc recréés, malgré les criailleries de certains - les mêmes qui, aujourd'hui, critiquent les centres éducatifs fermés, l'histoire ayant tendance à se répéter. Voilà comment les choses se sont déroulées.
    M. Christian Estrosi. Très bien, monsieur le ministre ! Utile rappel !
    M. le garde des sceaux. Mais le débat sur les centres éducatifs renforcés n'est pas clos ; nous le rouvrirons, ici ou ailleurs, notamment lorsque le rapport définitif de la Cour des comptes sera rendu public, pour faire un travail d'évaluation objectif.
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Certaines choses fonctionnent, d'autres pas. Alors, sur ce sujet, qui met en jeu l'éducation, l'action de la PJJ et celle des associations habilitées, sortons du débat politicien. Ayons, les uns et les autres, le courage de la lucidité, regardons les choses en face et, quels que soient les conservatismes et autres corporatismes, disons la vérité. Sinon, nous passerons à côté de l'obligation impérative d'offrir une chance à ces jeunes délinquants en matière d'éducation et de réinsertion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je m'engage donc solennellement à organiser un débat avec vous, dans l'hémicycle ou dans un autre cadre,...
    M. Richard Mallié. Pas comme Jospin !
    M. le garde des sceaux ... afin d'analyser ensemble les rapports sur la politique éducative qui nous seront rendus.
    M. Christian Estrosi. Excellente proposition ! Et il ne faudra pas oublier celui de la Cour des comptes !
    M. le garde des sceaux. Pourquoi ? Parce que je vous propose, dans cette loi de programmation, d'augmenter de 25 % le nombre d'éducateurs,...
    Mme Maryse Joissains-Masini. Et de les former différemment !
    M. le garde des sceaux. ... et je faillirais à la mission qui m'incombe, en tant que ministre de la République, si, dans le même temps, je ne m'engageais pas à opérer un examen exact de la situation et de l'efficacité du dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Guy Geoffroy. Enfin !
    M. Pierre Cardo. M. Vallini ne sera pas déçu !
    M. le garde des sceaux. M. Vallini m'a reproché de ne pas avoir suffisamment concerté. Je ne veux pas me faire plaindre, ce n'est pas mon genre, mais je pourrais vous communiquer l'emploi du temps auquel j'ai été soumis ces trois derniers mois - si vous respectez ma vie privée, bien sûr. (Sourires.) On peut parfois s'autoriser à sourire dans l'hémicycle. J'ai personnellement reçu 60 délégations, dont une trentaine d'organisations syndicales, et mes collaborateurs en ont rencontré encore davantage.
    Mme Marylise Lebranchu. C'est parfaitement normal !
    M. le garde des sceaux. Certes, madame Lebranchu, mais beaucoup se sont plaints que vous ne les ayez jamais reçus ! (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Marylise Lebranchu. Tiens, lesquels ?
    M. le garde des sceaux. Je pourrais vous en donner la liste, madame.
    Mme Marylise Lebranchu. Cela me surprendrait !
    M. le garde des sceaux. Je connais les règles du jeu politique mais je regrette un peu la position des porte-parole officiel du Parti socialiste sur le juge de proximité. J'ai lu que M. Lang y est favorable, mais il n'est pas officiellement porte-parole...
    M. René Dosière. Pas sur ce thème.
    M. Dino Cinieri. Est-il seulement socialiste ?...
    M. le garde des sceaux. Refuser une formule qui permet d'intégrer dans le système de la magistrature des personnalités venant du monde extérieur est une erreur. M. Jospin, d'ailleurs, y était favorable, deux d'entre vous l'ont rappelé tout à l'heure. C'est peut-être ce qui explique que vous n'ayez pas voté pour lui... (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Pour répondre à Mme Joissains-Masini, 15 % des magistrats professionnels sont d'ores et déjà recrutés en cours de carrière. L'ouverture existe donc, mais elle est probablement encore insuffisante, compte tenu de l'augmentation des postes à laquelle nous voulons procéder dans les cinq prochaines années. Dans le domaine de la justice de proximité, cette aération, cette possibilité d'associer des représentants de la société civile me paraît très positive.
    M. Claude Goasguen. Bien sûr !
    M. Gérard Hamel. Cela marchera !
    M. le garde des sceaux. Au demeurant, elle ne remet nullement en question l'importance du rôle des magistrats classiques, professionnels, formés, pour la plupart d'entre eux, à bac plus sept au moins. Croyez-vous vraiment qu'il faut avoir suivi sept ou huit ans d'études pour être capable de juger dans les matières définies par notre projet de loi ? Bien sur que non !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Il faut surtout du bon sens !
    M. le garde des sceaux. Nous devrions nous accorder sur cette formule. D'autant que la loi organique qui vous sera proposée en octobre garantira l'indépendance et la déontologie de ces futurs magistrats.
    M. Pierre Cardo. C'est une question de champ de compétence.
    M. le garde des sceaux. Ce blocage, ce conservatisme dont vous faites preuve, pardonnez-moi de vous le dire sont regrettables.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Ah ! Ces socialistes !
    M. le garde des sceaux. C'est d'ailleurs sans doute le sujet sur lequel vous êtes le plus mal à l'aise.
    J'insiste sur le fait que je n'ai rien contre la conciliation, ni contre les maisons de la justice et du droit. J'ai été moi-même initiateur d'un de ces centres dans la ville dont j'étais maire.
    M. André Vallini. Cela n'a rien à voir !
    M. le garde des sceaux. C'est une expérience intéressante, qui peut contribuer à une politique de sécurité locale, nous sommes tous d'accord sur ce point, mais la création du juge de proximité va plus loin.
    S'agissant maintenant de la retenue judiciaire des dix-treize ans, attention au vocabulaire ! Vous êtes trop averti, monsieur Vallini, pour ignorer qu'il ne s'agit pas de garde à vue, puisque la mesure ne sera pas prononcée par un officier de police judiciaire mais par un magistrat. Ne mélangeons pas les mots pour faire peur ! C'est sans intérêt et malhonnête ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Claude Goasguen. Et démagogique !
    M. le garde des sceaux. En ce qui concerne les prisons, une loi pénitentiaire a certes été adoptée, mais vous connaissez comme moi la situation actuelle.
    Mme Maryse Joissains-Masini. C'est une catastrophe.
    M. le garde des sceaux. Le texte dont nous discutons en ce moment même ne porte pas sur cette question, mais nous devrons traiter le problème en profondeur le plus rapidement possible, en construisant et en rénovant des prisons. J'y reviendrai tout à l'heure, pour répondre, notamment, à Mme Christine Boutin.
    M. Dray est intervenu longuement, et nous l'en remercions.
    M. Julien Dray. Si vous me l'aviez demandé, j'aurais pu faire mieux !
    M. le garde des sceaux. Nous avons eu l'occasion de débattre ensemble à plusieurs reprises, en particulier pendant la campagne présidentielle, et j'ai senti un certain changement, monsieur le député, dans votre discours, depuis février ou mars.
    M. Léonce Deprez. M. Dray s'est vraiment montré très positif et honnête.
    M. le garde des sceaux. Je me souviens d'un débat où, face à face, nous expliquions ensemble qu'il fallait, au fond, créer des centres éducatifs fermés. Je pense que vous vous en souvenez.
    M. Julien Dray. Pas du tout.
    M. Dino Cinieri. Amnésique !
    M. le garde des sceaux. J'avais dû mal comprendre. Comme beaucoup de Français, d'ailleurs... Je le disais tout à l'heure à l'un de vos collègues, certains sont victimes d'une amnésie hémiplégique. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Lionnel Luca. C'est une maladie socialiste !
    M. Julien Dray. Vous me taxez d'amnésie précoce ? C'était une technique soviétique pour enfermer les dissidents !
    M. le garde des sceaux. Le nombre d'infractions commises par les mineurs a augmenté, monsieur Dray, et vous vous êtes essayé à exploiter certains chiffres.
    Vous avez aussi émis des affirmations fausses sur la justice de proximité. Vous avez dit que, pour la première fois, on pourrait juger sans être juge. Mais être juge ne signifie pas que l'on a réussi un concours.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Exactement. Ce n'est pas à l'école que l'on apprend à juger.
    M. le garde des sceaux. Cela signifie que l'on a été nommé par le Président de la République, sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Marie Geveaux. Pas de chance, Julien !
    M. le garde des sceaux. Quant à la réparation, ce ne peut pas être une lettre d'excuses, bien entendu. Il faut des mesures concrètes.
    M. Julien Dray. Ce n'est pas une réponse.
    M. le garde des sceaux. La question est sérieuse, monsieur Dray, et je vous réponds avec le plus grand sérieux : sachez que, dans le cadre de la loi programme, je me battrai en faveur d'une politique de réparations et de peines alternatives, pour que des moyens matériels soient dégagés, mais aussi pour lever les freins psychologiques. Parlement, Gouvernement, élus locaux, nous devons tous inciter les acteurs de la justice à employer davantage ce type de réponses.
    Vous êtes partisan de mesures graduées : c'est l'esprit de mon texte, je regrette que vous ne le compreniez pas. Cette palette de réponses éducatives, de plus en plus sanctionnantes, en fonction de l'âge et de l'acte commis, permettra au juge, qui restera le seul décideur, d'apporter les réponses adaptées.
    Vous avez parlé du « silence assourdissant » du ministre de l'éducation nationale.
    M. Julien Dray. Il est en vacances.
    M. le garde des sceaux. Vous ne semblez pas avoir entendu ce qu'il a dit il y a quelques jours.
    M. Julien Dray. Il n'y a pas que moi.
    M. le garde des sceaux. Nous avons convenu, avec Luc Ferry et Xavier Darcos, que, dans chaque centre éducatif fermé, un enseignant pilote encadrerait le travail d'éducation et de formation, à charge, pour lui, de recourir éventuellement à d'autres intervenants éducatifs pour compléter ses compétences.
    Dans les centres de détention, ces ex-prisons pour mineurs, nous voulons également introduire un contenu éducatif, d'insertion et de formation professionnelle.
    M. Pierre Cardo. Oui, pour mieux préparer la sortie.
    M. le garde des sceaux. Car c'est bien par la formation professionnelle que l'on peut limiter les risques de récidive.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Vous avez émis, comme Mme Boutin, l'idée d'un numerus clausus. Personnellement, je trouve une telle mesure assez inacceptable, car elle contraindrait brutalement les juges. Or n'oublions pas que le rôle de l'administration pénitentiaire est d'exécuter les décisions des juges.
    Mais cela ne veut pas dire que nous ne mettrons pas en place une politique diversifiée sur le plan pénitentiaire, alliant un contenu éducatif, de formation, et le travail des détenus, pour la réinsertion de l'ensemble des détenus, pas seulement des mineurs, je tiens à le souligner.
    M. Ferry a aussi eu l'occasion de rappeler sa volonté de continuer à développer le dispositif efficace des classes-relais, qui, en complément des internats, dans les collèges, apporte des débuts de réponse satisfaisants pour des jeunes déjà en difficulté.
    Mme Guigou, elle aussi, a évoqué la justice de proximité.
    M. Michel Terrot. Inutile de perdre votre temps, elle n'est pas là !
    M. Lionnel Luca. Elle est partie faire ses courses !
    M. le garde des sceaux. Je n'y reviendrai pas, j'ai suffisamment répondu à ce sujet.
    Elle a également contesté l'urgence ; là encore, j'ai répondu.
    Mme Guigou s'est interrogée sur la carte judiciaire. En la matière, notre seule préoccupation ne doit pas tendre à la réduction des moyens ou des coûts. Au moment où nous parlons de justice de proximité, il serait paradoxal de limiter l'accès des Français au système de justice.
    M. Jacques Myard. Cela relève de l'aménagement du territoire !
    M. le garde des sceaux. De fait, il est indispensable de veiller à ce que la carte judiciaire, quel que soit le type de tribunal concerné, soit adaptée et capable de répondre à nos justes préoccupations. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Prenons l'exemple de certains tribunaux de commerce, domaine où l'urgence est peut-être la plus grande. Il est probable que nous soyons arrivés en dessous du minimum quantitatif permettant une qualité de justice satisfaisante. Nous verrons donc, avec les partenaires de justice, comment moderniser la carte judiciaire.
    A propos de ces tribunaux de commerce, qu'a évoqués Mme Guigou, je répondrai qu'on ne peut pas à la fois dire : « Il y a trop de choses dans votre loi, vous légiférez dans l'urgence » et puis « il n'y a pas tout ». Il faut savoir ! Nous traiterons le problème des tribunaux de commerce en temps et en heure.
    Au cours de la campagne que j'ai menée entre le mois de septembre et le mois de juin, j'ai rencontré des milliers et des milliers de Français. Et je remarque que dans les réunions où je me suis rendu, je n'ai jamais été interrogé sur la réforme des tribunaux de commerce. Celle-ci ne m'est donc pas apparue comme la première des priorités.
    Mme Maryse Joissains-Masini. D'autant que c'est une réforme très discutable !
    M. le garde des sceaux. Il faudra traiter la question. Mais, soyons clairs, ce n'est pas ce qu'attendaient les Français pour la fin du mois de juillet 2002.
    M. Jacques Myard. C'est le fonds de commerce de M. Montebourg !
    M. le garde des sceaux. Par ailleurs, Mme Guigou - et je regrette qu'elle ne soit pas là quand je lui réponds - a dit très clairement, et je pense que le compte rendu de la séance nous le confirmera, que je faisais le contraire de ce que préconisait le rapport sénatorial sur la délinquance des mineurs. Je ne sais pas comment cela s'est passé : soit elle n'a pas lu mon projet, soit elle n'a pas lu le rapport sénatorial.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Les deux !
    M. le garde des sceaux. Je ne me permettrais pas, mesdames, messieurs les députés, une telle interprétation. Cela dit, il se trouve qu'après ma nomination, ayant su que M. Carle et M. Schosteck avaient rédigé un rapport sur la délinquance des mineurs, lequel n'avait pas encore été rendu public, j'ai demandé à ces deux sénateurs de venir me voir. Nous avons travaillé pendant des heures ensemble. Voilà pourquoi dans le projet, vous retrouverez très exactement les propositions du rapport sénatorial.
    M. Gérard Léonard. Bien sûr !
    M. le garde des sceaux. Mesdames, messieurs les députés, je pars du principe que lorsqu'un groupe de parlementaires ont travaillé de manière approfondie sur un sujet, le rôle du Gouvernement est d'en tenir compte et de travailler avec eux pour construire un texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Jean-Marie Geveaux. Quel changement !
    M. le garde des sceaux. Voilà comment nous avons travaillé.
    Monsieur Albertini, vous avez soulevé plusieurs sujets. Je voudrais d'abord vous rassurer à propos de la justice de proximité. Vous souhaitez que nous allions plus loin et nous aurons l'occasion d'en parler au moment de l'analyse des articles. Malgré tout, et même si le texte actuel doit pouvoir évoluer dans le temps, nous devons faire preuve de prudence, de manière à voir comment cette juridiction va se mettre en place. Gardons-nous d'ambitions excessives.
    Vous avez beaucoup insisté, dans votre intervention, sur le droit pénal des mineurs et sur l'importance de son volet éducatif. Je voudrais vous répondre au fond. Quelle est la philosophie de notre texte ? C'est une philosophie de confiance dans la jeunesse. Pourquoi nous donnons-nous tant de mal ? Parce que nous considérons que nous sommes aujourd'hui devant un gâchis humain, inacceptable dans une société développée comme la nôtre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Nous croyons profondément en la liberté et en la responsabilité de la personne humaine, y compris en celle des mineurs, qui ne sont pas pour autant irresponsables.
    M. Lionnel Luca. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Ma conception, et je sais que vous la partagez, monsieur Albertini, c'est que nous sommes tous responsables - même à des degrés divers, en fonction de l'âge. Mais cette responsabilité commence tout de suite. N'infantilisons pas les mineurs.
    M. Jacques Myard. Bravo !
    M. le garde des sceaux. C'est une erreur fondamentale et c'est une attitude d'irrespect.
    M. Jacques Myard. Et d'irresponsabilité !
    M. le garde des sceaux. Cette conception que nous avons de la nature humaine et de la responsabilité individuelle motive notre conception de l'éducation-sanction.
    C'est parce que nous croyons à cette responsabilité individuelle que nous souhaitons modifier le cours des choses. Nous ne nous satisfaisons pas d'explication à caractère sociologique. Il n'y a pas de déterminisme social à la délinquance. Il y a une nécessité d'éducation, d'accompagnement et donc d'éducation-sanction.
    C'est parce que nous croyons à la responsabilité de l'individu, c'est parce que nous croyons à l'homme que nous voulons faire cette réforme. Nous voulons que la jeunesse de France ait toutes ses chances et qu'elle puisse aussi éviter ce gâchis.
    Il faut le redire à l'occasion de ce débat, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous avons confiance en la jeunesse et c'est à cause de cela que nous voulons modifier le cours des choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Braouezec m'a adressé un reproche : le Gouvernement voudrait frapper vite et fort. Pour moi, ce n'est pas un reproche.
    M. Christian Estrosi. Très bien !

    M. le garde des sceaux. Effectivement, nous voulons agir rapidement et fortement, parce que la situation actuelle n'est plus acceptable.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Très bien !
    M. le garde des sceaux. M. Braouzec parle de « tolérance zéro ». Mais ce n'est pas mon vocabulaire. Peut-être que la formule vous rappelle des souvenirs. Pour ma part, ce n'est pas une chose à laquelle je suis attaché. Et je parlerais plutôt d'« impunité zéro », ce qui n'est pas tout à fait pareil.
    Les peines non exécutées posent un vrai problème. Comme je l'ai dit dans mon propos introductif d'hier après-midi, nous devons mettre les moyens pour que les peines soient exécutées, quelle que soit la nature de celles-ci. Car un système judiciaire qui aboutit à des peines dont un trop grand nombre n'est pas exécuté est un système qui ne fonctionne pas.
    M. Jacques Myard. Une catastrophe !
    M. le garde des sceaux. Il faut que l'ensemble de la chaîne pénale fonctionne. Cela me paraît absolument indispensable.
    M. Braouzec me reproche également de ne pas m'attaquer aux causes de la délinquance. Soyons sérieux. le texte que nous examinons a été proposé par le ministre de la justice. Je ne suis pas ministre de l'éducation, ni de l'économie, ni des affaires sociales, Je ne suis pas ministre de la ville. Vous aurez l'occasion, avec mes collègues, d'évoquer l'ensemble de la politique que le Gouvernement mènera pour faire en sorte que la jeunesse - en particulier - puisse s'épanouir dans de meilleurs conditions.
    Mon métier est d'améliorer la partie « justice » de notre organisation de la société. Ne me reprochez pas de ne pas traiter ce qui ne relève pas directement de ma responsabilité.
    M. Braouzec s'est enfin inquiété à propos des juges de proximité. Je lui répondrai que le recrutement qui est prévu et qui sera précisé dans la loi organique apportera toute garantie sur la qualité de ces personnes.
    M. Goasguen a rappelé à juste titre, et avec brio, que le temps des rapports et de tables rondes était terminé. Je l'ai dit à ma façon tout à l'heure. Nous devons entrer maintenant dans l'action. C'est ce que nous faisons ensemble, et je suis convaincu que c'est ce que les Français attendent.
    En matière de budget et de loi-programme, il est important d'avoir une visibilité à moyen terme, et c'est bien l'esprit de cette loi. Nous aurons l'occasion d'en reparler au moment de l'examen des articles.
    Monsieur Queyranne, vous avez évoqué également la justice de proximité et je n'y reviens pas. Les choses sont claires s'agissant des garanties de compétences. Je suis par ailleurs très attaché au développement des maisons de la justice et du droit ou de la conciliation ; et mon texte n'est pas du tout contradictoire. Nous devons continuer à y travailler.
    S'agissant des maisons de la justice et du droit, nous devrons nous livrer à un travail d'évaluation précis.
    M. Lionnel Luca. C'est clair !
    M. le garde des sceaux. Le moment est venu. L'expérience est en cours depuis suffisamment longtemps pour que nous puissions en tirer quelques conclusions. Peut-être devrons-nous procéder à des recadrages avec les professionnels. Certaines maisons fonctionnent très bien, d'autres ont tendance à s'occuper de ce qui ne relève pas de leur mission.
    Vous avez évoqué la situation du quartier des mineurs de Lyon. Celle-ci est extrêmement préoccupante et mon attention a été appelée là-dessus dès mon premier déplacement à Lyon, juste après ma nomination.
    Le transfert du quartier des mineurs vers le quartier Saint-Joseph est prévu pour la fin de l'année. Nous construirons un quartier des mineurs à la maison d'arrêt de Villefranche pour compléter ce transfert, de manière que cette situation absolument inacceptable - surpopulation du quartier des mineurs et mauvaises conditions humanitaires - puisse prendre fin le plus vite possible.
    M. Goasguen a rappelé à juste titre, et avec brio, que le temps des rapports et de tables rondes était terminé. Je l'ai dit à ma façon. Nous devons entrer maintenant dans l'action. C'est ce que nous faisons ensemble, et je suis convaincu que c'est ce que les Français attendent.
    En matière de budget et de loi-programme, il est important d'avoir une visibilité à moyen terme. Nous aurons l'occasion d'en reparler au moment de l'examen des articles.
    Monsieur Queyranne, vous avez évoqué également la justice de proximité, et je n'y reviens pas. Les choses sont claires s'agissant des garanties de compétence. Je suis par ailleurs tout à fait attaché au développement des maisons de la justice et du droit ou de la conciliation ; et mon texte n'est pas du tout contradictoire. Nous devons continuer à y travailler.
    S'agissant des maisons de la justice et du droit, nous devrons nous livrer à un travail d'évaluation précis.
    M. Lionnel Luca. C'est clair !
    M. le garde des sceaux. Le moment est venu. L'expérience est en cours depuis suffisamment longtemps pour que nous puissions en tirer quelques conclusions. Peut-être devrons-nous procéder à des recadrages avec les professionnels. Certaines maisons fonctionnent très bien, d'autres ont tendance à s'occuper de ce qui ne relève pas de leur mission.
    Vous avez évoqué la situation du quartier des mineurs de Lyon. Celle-ci est extrêmement préoccupante et mon attention a été appelée à ce sujet dès mon premier déplacement à Lyon, juste après ma nomination.
    Le transfert du quartier des mineurs vers le quartier Saint-Joseph est prévu pour la fin de l'année. Nous construirons un quartier des mineurs à la maison d'arrêt de Villefranche pour compléter ce transfert, de manière que cette situation absolument inacceptable - surpopulation du quartier des mineurs et conditions humanitaires - puisse prendre fin le plus vite possible.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. C'est l'héritage !
    M. le garde des sceaux. Monsieur Estrosi, je partage votre sentiment sur la nécessité de rétablir une justice protégeant les individus et les libertés. C'est le coeur du sujet. J'y reviendrai dans ma conclusion. Mais je ne supporte pas plus que vous l'idée qu'il puisse y avoir contradiction entre liberté et justice qui sanctionne.
    C'est absurde. C'est l'absence de justice - celle-ci étant symbolisée, notamment, par le glaive dans l'imagerie traditionnelle - qui menace la liberté. Si on ne l'a pas compris, on n'a pas compris grand-chose à la lecture de l'Histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Unin pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Les Français nous demandent beaucoup. J'espère que nous serons capables de leur apporter ce qu'ils attendent. Mais dans le domaine de la justice, ils attendent énormément. Nous devrons donc renforcer les moyens, modifier le cadre juridique, mobiliser les acteurs de la justice. Il faudra que tout le monde « mouille sa chemise », si nous voulons vraiment répondre à l'intensité de la demande des Français.
    Mme Guigou est intervenue une seconde fois au fil de notre débat (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du gorupe Union pour la démocratie française) et je tiens à la remercier. Dès le début de son propos, elle m'a indiqué tout ce qui était à faire. (Rires.) Et ça m'a fait plaisir, parce que c'était aussi l'énumération de ce qu'elle n'avait pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Christophe Caresche. Facile !
    M. le garde des sceaux. Peut-être... mais elle n'avait pas à prendre un tel risque.
    J'ai noté également que Mme Guigou était satisfaite des centres éducatifs renforcés, qu'elle ne voyait pas de différence avec les centres fermés... mais qu'elle était hostile aux centres fermés. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Je n'ai pas compris son raisonnement. Cette logique m'échappe probablement.
    M. Christian Estrosi. La logique Guigou !
    M. Lionnel Luca. Discours électoral !
    M. le garde des sceaux. Je voudais enfin lui dire que la partie « procédure pénale » que je propose ne dénature pas l'ensemble de la loi présomption d'innocence ; je pense qu'elle le sait très bien. J'ai simplement voulu corriger certaines choses dont les conséquences me paraissaient inacceptables.
    M. Lurel s'inquiétait du caractère insuffisamment éducatif de ce projet. Encore une lecture hémiplégique ! Je veux ouvrir des écoles dans les prisons et dans les centres éducatifs fermés. Il me semble pourtant que cela relève d'une volonté ambitieuse, volonté que l'on n'a pas rencontrée jusqu'ici.
    M. Poniatowski a souligné l'intérêt de la gradation des mesures et des peines applicables aux mineurs. Il a raison. C'est le sens de notre projet. Il a évoqué un problème difficile sur le plan juridique et sur le plan pratique : le stationnement illégal des gens du voyage.
    M. le garde des sceaux. La loi de juillet 2002 sur le sujet est actuellement l'objet de travaux entre le ministère de l'intérieur et mon ministère.
    M. Patrice Martin-Lalande. Elle en a besoin !
    M. le garde des sceaux. Nous envisageons, avec Nicolas Sarkozy, une modification de la législation en la matière. Cela nous paraît absolument indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.).
    Je tiens à souligner la qualité du dispositif des GIR, des groupements d'intervention régionaux, qui permettent une bonne collaboration entre police, gendarmerie et douaniers et services fiscaux sous l'autorité des parquets. Ce dispositif peut permettre des résultats positifs en matière de lutte contre certains comportements, notamment ceux d'une partie des gens du voyage. Les GIR, ça marche !
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. Jacques Myard. En dépit de ce que dit le Syndicat de la magistrature !
    M. le garde des sceaux. Mme Taubira s'inquiète de la répartition des compétences entre les juges de proximité et les juges pour enfants. Aujourd'hui, les contraventions des quatre premières classes sont jugées par le tribunal de police. Nous n'enlevons donc rien au tribunal pour enfants. Certes, un premier avant-projet, que j'avais largement diffusé dans le cadre de la concertation, enlevait quelques compétences aux tribunaux pour enfants, mais je l'ai corrigé dans le projet définitif. Celui qui vous est proposé n'enlève absolument rien au tribunal pour enfants.
    Je remercie Gérard Léonard pour avoir apporté son expérience de terrain au débat sans aucun a priori idéologique et pour avoir, notamment, souligné avec force l'intérêt des juges de proximité. Je tiens également à lui dire mon souci de prolonger en actions le dialogue noué avec les Français ces derniers mois. Tel est le sens de notre démarche.
    M. Lambert a répété que l'enfermement, comme si ce texte portait uniquement sur ce sujet, était l'école de la récidive.
    M. Pierre Cardo. L'enfermement dans la rue, oui !
    M. le garde des sceaux. Justement, nous voulons nous donner les moyens d'éviter la récidive ! C'est vraiment ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre le sens de ce texte que de répéter inlassablement de tels propos.
    Pour le reste, monsieur Lambert, j'ai un peu de mal à vous répondre autrement qu'en vous renvoyant à la lecture de mon projet. Vos propos reprennent un certain nombre de poncifs qui montrent que vous ne voulez pas tirer les leçons de votre échec.
    M. Rivière nous a livré une réflexion très intéressante, en particulier sur la régulation du contentieux routier. Nous sommes là devant une vraie question. S'agissant de la carte judiciaire, comme je vous l'ai dit, j'aurai une démarche pragmatique.
    Maryse Joissains-Masini a souhaité équilibrer éducation et sanction. Elle a également voulu évoquer les recrutements en cours de carrière. Je crois comme vous qu'il faut trouver un équilibre entre les différentes de modalités de recrutements dans la magistrature. On aura sans doute l'occasion d'y réfléchir. Il se trouve que la direction de l'Ecole nationale de la magistrature va changer dans quelques semaines, puisque le directeur actuel part en retraite.
    M. Christian Estrosi. C'est une bonne nouvelle !
    M. le garde des sceaux. Avec le président du conseil d'administration, M. le premier président Canivet, avec un certain nombre de personnalités, nous réfléchirons au rôle de l'Ecole nationale de la magistrature, notamment en matière de formation continue. Comme dans toutes les grandes écoles de l'Etat, il faut veiller à compléter la formation initiale par une formation continue. Nous aurons sans doute l'occasion de réfléchir à l'évolution de l'école, de son mode d'organisation, à l'idée d'associer à l'enseignement diverses personnalités diverses de la société civile afin que nos magistrats disposent, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan de la connaissance de la société, de l'économie, de la vie administrative, de suffisamment d'éléments pour assumer cette tâche si difficile qui consiste à juger.
    Gérard Hamel a évoqué certaines critiques sur le statut du juge de proximité. Il fallait prendre des assurances sur le plan constitutionnel. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'entendre les conseils que le Conseil d'Etat a donnés au Gouvernement. Ce sera l'objet du prochain projet de loi organique.
    Cela étant, nous regarderons ensemble, en particulier avec les élus qui exercent des responsabilités sur le terrain, comment va se mettre en route le recrutement des juges de proximité, pour apprécier si le dispositif, tel que prévu, est satisfaisant et suffisant.
    M. Fenech a souligné la qualité du travail accompli par la commission. Je considère comme lui que la principale vertu du projet est d'être adapté aux exigences de notre temps. Et j'estime qu'il a eu raison de souligner la dimension éducative des centres éducatifs fermés et les limites du dispositif actuel.
    Monsieur Buillard, vous avez évoqué les problèmes spécifiques de la Polynésie. Soyez convaincu que l'outre-mer ne sera pas oublié dans la réflexion que nous allons engager dès les toutes prochaines semaines sur la répartition des moyens à partir de 2003. Connaissant bien la Polynésie et ayant également une conscience précise des spécificités de l'outre-mer, qu'il nous faut respecter même dans le cadre de l'exercice de cette fonction régalienne qu'est la justice, je veillerai à ce qu'il soit procédé aux adaptations indispensables pour que la justice de proximité puisse fonctionner dans de bonnes conditions sur votre territoire.
    M. Dufau m'a reproché de présenter une loi trop extensive, mais aussi de ne pas y avoir inclus un certain nombre de sujets. J'ai eu un peu de mal à suivre ce raisonnement.
    M. Deprez m'a dit son souci d'allier à un profond effort de modernisation l'attribution des moyens correspondants. J'ai eu l'occasion, en réponse au rapporteur de la commission des finances, de dire mon point de vue à ce sujet.
    Madame Boutin, un grand merci, d'abord, pour votre témoignage humaniste. Les centres éducatifs fermés ont, à mes yeux, trois fonctions : de rééducation, de formation et d'insertion. Si nous avons fait le choix, qui n'était pas évident il y a trois mois, de la formule du centre éducatif fermé, c'est-à-dire d'un centre purement éducatif mais assorti d'une menace judiciaire d'enfermement, c'est justement parce que nous avons voulu donner toutes leurs chances aux mesures éducatives.
    M. Jean-Marie Geveaux et M. Gérard Léonard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Ce choix, je l'assume et il faudra que nous assurions sa réussite. Sinon, nous serons amenés, nous ou d'autres, à faire un choix plus dur encore, fait d'ailleurs par certains pays, celui d'un enfermement encore plus précoce.
    Mme Maryse Joissains-Masini. C'est vrai !
    M. le garde des sceaux. Alors, quand j'entends certains critiquer la mise en place des centres éducatifs fermés, je m'étonne.
    Mme Maryse Joissains-Masini. Ce sont des irresponsables !
    M. le garde des sceaux. A moins qu'ils n'aient délibérément opté pour la politique du pire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    S'agissant du secteur pénitentiaire, je souhaite, madame Boutin, qu'avec les parlementaires qui ont déjà travaillé sur ce dossier dans le cadre de la commission d'enquête, nous puissions, dès la rentrée de septembre, nous remettre à la tâche pour préparer une politique d'ensemble qui, au-delà de l'aspect immobilier largement traité dans ce texte, vienne apporter à l'organisation pénitentiaire modernisation, cohérence et adaptation à la réalité de la situation des détenus, dans un esprit de réinsertion et donc de lutte contre la récidive. Vous avez évoqué l'exemple canadien, dont je connais l'intérêt. J'ai demandé à M. Pierre Bédier de se rendre le plus rapidement possible au Canada pour étudier le fonctionnement des établissements sur le terrain. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Merci d'avance de participer à la réflexion que nous vous proposerons.
    M. Myard a évoqué un sujet difficile que, bien sûr, nous ne pouvons qu'effleurer dans le cadre de ce débat la pénalisation de la société. Personnellement, je suis convaincu qu'il nous faudra faire un effort de dépénalisation.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le garde des sceaux. Attention, cependant,...
    M. Christian Estrosi. A ne pas faire n'importe quoi !
    M. le garde des sceaux. ... car la tendance est à pénaliser davantage dès qu'il se passe quelque chose dans la société française.
    M. Pierre Albertini. Hélas !
    M. le garde des sceaux. Il nous faudra donc le courage d'aller au terme de notre logique et d'assumer tous ensemble cet effort de dépénalisation.
    M. Julien Dray. Vous pensez au cannabis ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le garde des sceaux. Cette démarche nécessitera un débat préalable assez large, ouvert sur la société et auquel pourront participer les professionnels de tous milieux, afin que nos positions soient claires et que nous soyons capables d'assumer face, parfois, à la pression médiatique, notre choix en faveur d'une dépénalisation. En tout cas, je suis convaincu que c'est une orientation nécessaire et je vous remercie, par avance, de l'aide que vous m'apporterez.
    M. Vanneste a souligné avec raison la nécessité d'une réponse pénale plus rapide et plus certaine, donc plus efficace.
    Je remercie M. Guy Geoffroy d'avoir rappelé les engagements d'autres candidats. Sans vouloir les citer à mon tour, je dirai simplement que l'on assiste à une multitude de petits et de grands reniements : c'est le mot qui convient. A charge pour ceux qui se renient de s'expliquer.
    Par ailleurs, je dis oui à la collaboration avec le monde enseignant, dont vous êtes membre, et dont j'attends beaucoup dans le domaine du travail éducatif et de réinsertion.
    Je remercie René-Paul Victoria d'avoir soutenu la création des juges de proximité.
    Merci aussi à M. Luca d'avoir rappelé les raisons pour lesquelles l'urgence a été déclarée sur ce projet de loi et d'avoir souligné la difficulté de la tâche des personnels pénitentiaires. Comme vous avez raison ! Tous les problèmes de la société se retrouvent dans les établissements pénitentiaires, et c'est leur personnel qui doit y faire face. Finalement, on leur confie le plus difficile et on ne le reconnaît pas assez. J'y pense souvent et j'essaie de leur dire qu'ils méritent cette reconnaissance. Nous devrons le confirmer par des actes.
    En conclusion, je voudrais vous dire quel est le sens de mon action et de celle du Gouvernement.
    Le premier axe de notre démarche, c'est d'être déterminés et fidèles à nos engagements.
    Le deuxième axe, c'est notre humanité, notre conception de l'homme, notre souci d'un humanisme plus réel et plus concret. Cela passe par la défense des plus faibles, par la volonté d'éviter le gâchis humain que représente la délinquance des plus jeunes, par l'ambition de leur donner toutes leurs chances par l'éducation et la responsabilité.
    Enfin, le troisième axe, la troisième raison d'être de notre démarche, c'est l'imagination. Sortons des sentiers battus ! Quand j'entends certaines réactions à propos de la justice de proximité ou des innovations en matière de structures d'accueil des jeunes délinquants, j'ai parfois le sentiment que certains ne veulent jamais rien changer.
    Mesdames et messieurs les députés, je vous propose d'être déterminés, d'être empreints d'humanisme, d'être imaginatifs. C'est le sens de ce projet de loi. Je suis convaincu que ce sera le sens du vote que vous exprimerez en fin de semaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002 :
    M. Gilles Carrez, rapporteur (rapport n° 159) ;
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, n° 154, d'orientation et de programmation pour la justice :
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 157),
    M. Jacques Pélissard, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 158).
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Eventuellement, discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ;
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures quarante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT