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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 4 OCTOBRE 2002

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 3 octobre 2002


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Accord France-Algérie. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».

Article unique. - Adoption «...»

2.  Accord France-Tunisie. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».

Article unique. - Adoption «...»

3.  Salaires, temps de travail et développement de l'emploi. - Suite de la discussion d'un projet de loi «...».

QUESTION PRÉALABLE (suite) «...»

Rejet de la question préalable.
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Suspension et reprise de la séance «...»
DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

M. Jean Dionis du Séjour,
Mme
Muguette Jacquaint,
M.
Claude Gaillard,
Mme
Elisabeth Guigou,
MM.
Nicolas Perruchot,
Edouard Landrain,
Patrick Bloche,
Mme
Martine Billard,
M.
Pierre Cohen,
Mme
Chantal Brunel,
MM.
Gérard Bapt,
Dominique Tian,
Mme
Hélène Mignon,
M.
Yves Bur,
Mme
Catherine Génisson,
MM.
Daniel Garrigue,
Alain Vidalies,
Xavier Bertrand.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

ACCORD FRANCE-ALGÉRIE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation du troisième avenant à l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe (ensemble un échange de lettres) (n°s 189, 232).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation du troisième avenant à l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe (ensemble un échange de lettres), signé à Paris le 11 juillet 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

2

ACCORD FRANCE-TUNISIE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à l'accord du 17 mars 1988, tel que modifié par l'avenant du 19 décembre 1991, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail (n°s 188, 232).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'avenant à l'accord du 17 mars 1988, tel que modifié par l'avenant du 19 décembre 1991, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail, signé à Tunis le 8 septembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

3

SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI

Suite de la discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n°s 190, 231).

Question préalable (suite)

    M. le président. Hier soir, le vote sur la question préalable de M. Jean-Marc Ayrault a été reporté, le Bureau de séance ayant constaté que le quorum n'était pas atteint.
    Je vais donc mettre aux voix la question préalable.
    (La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle. Très bien !
    M. Maxime Gremetz. Ça commence mal !
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, l'examen des deux projets précédents a été rapide et je vous demande quelques instants de suspension de séance pour permettre à M. Fillon d'arriver.
    M. le président. J'avais effectivement l'intention de suspendre quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à neuf heures trente-cinq, est reprise à neuf heures quarante.)
    M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole et à M. Jean Dionis du Séjour.
    M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires sociales, mes chers collègues, les jeux - ô combien subtils pour le nouveau député que je suis - de procédure de l'opposition au cours de la séance d'hier soir nous ont obligés à inverser l'ordre de passage des orateurs de l'UDF dans la discussion générale. Nicolas Perruchot, notre porte-parole sur ce texte, devait présenter le premier la position de notre groupe. Il est retenu par un conseil municipal à Blois. Il me revient donc d'intervenir en premier. Il fera une intervention plus complète et plus argumentée un peu plus tard.
    Après l'avalanche de chiffres fournis par Gaëtan Gorce, plus ou moins rigoureux, comme l'a montré le ministre, qu'il me soit permis, tout simplement, de faire part dans cette noble assemblée, de ce que j'ai entendu pendant la campagne électorale sur les 35 heures socialistes et, depuis notre élection, sur le projet de loi du Gouvernement.
    En juin dernier, nous, la majorité présidentielle, députés UMP comme députés UDF, avons reçu un mandat commun, impératif, celui de transformer profondément un ensemble de lois, les lois Aubry, ces lois qui ont fait peser une charge exorbitante sur les finances publiques, 70 milliards de francs supplémentaires par an, ces lois qui ont perturbé considérablement nos services publics - pensons à la situation profondément désorganisée de nos hôpitaux publics -, ces lois qui ont créé des inégalités insupportables entre les salariés du service public dont le salaire a continué à évoluer et ceux du secteur privé, pour qui l'arrivée des lois Aubry s'est traduite directement par le gel, voire la baisse des salaires, ces lois qui ont détérioré gravement la compétitivité française, le douzième rang européen de la France en matière de compétitivité économique étant, je crois, l'un des chiffres les plus inquiétants quant à l'état de santé du pays au moment où s'est opéré le changement démocratique.
    Tout cela dans un climat social détestable avec des conflits sociaux n'épargnant aucune profession. Pour quels résultats ? La création d'un peu moins de 300 000 emplois en cinq ans alors que, dans la même période, la seule croissance en créait 1 650 000. Vous en conviendrez, c'est bien peu, bien maigre, pour le coût financier, social et économique astronomique de cette loi.
    Alors pourquoi l'action publique est-elle si peu efficace ? Parce que votre approche, et Gaëtan Gorce a eu, hier, l'honnêteté de l'assumer, une action publique shootée à l'étatisme ne marche tout simplement plus dans un grand pays moderne et démocratique comme la France.
    A l'inverse, votre proposition, monsieur le ministre, s'inscrit dans la mise en oeuvre des engagements que nous avons pris, chacun de nous, dans la majorité présidentielle, devant nos électeurs.
    Mais surtout, ses principes fondamentaux correspondent à notre projet politique commun. Rappelons-les, ces principes de bon sens.
    M. Maxime Gremetz. Ah !
    M. Jean Dionis du Séjour. D'abord, nous voulons permettre à ceux qui veulent travailler plus de gagner plus. C'est le sens de votre proposition de faire passer le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180 et d'offrir aux cadres la possibilité de se faire payer les jours de RTT.
    M. Maxime Gremetz. C'est cela !
    M. Jean Dionis du Séjour. Ensuite, il s'agit de redonner au travail la place qu'il mérite, notamment en assurant une progression du SMIC horaire de 11,4 % en trois ans et en unifiant par le haut les cinq SMIC légués par la loi Aubry.
    Enfin, parce qu'il reconnaît le rôle spécifique et central des petits entrepreneurs dans l'économie française, ce projet prolonge jusqu'à la fin de 2005 le taux de rémunération réduit à 10 % des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés.
    Les réponses que vous apportez donnent l'orientation du projet politique de la majorité présidentielle. Celui-ci associe clairement dans un même projet le monde du travail, notamment les ouvriers et les employés dont la rémunération se situe à proximité du SMIC, et le monde de l'entreprise et de l'initiative, notamment celui des petits entrepreneurs.
    Pour n'avoir su répondre ni à l'attente des travailleurs modestes, ni à celle des petits entrepreneurs, pour avoir de fait concentré sa réponse la plus lisible et la plus favorable sur les fonctionnaires, la gauche a payé le prix fort électoral, les 35 heures et l'insécurité étant les deux motifs majeurs du lâchage de la gauche par l'électorat populaire.
    Votre effondrement spectaculaire dans le monde ouvrier - moins de 15 % des ouvriers auraient voté pour Lionel Jospin le 21 avril dernier alors qu'ils étaient 75 % à avoir voté à gauche au premier tour de l'élection présidentielle de 1974 - aurait dû vous amener à une attitude plus constructive et plus modeste sur ce texte. Vous avez choisi une stratégie radicalement inverse : celle de refaire une unité de façade - on sent d'ailleurs bien dans vos rangs l'appel du nouveau monde -, en appelant à la rescousse tous les mânes, ô combien respectables, de votre famille politique : Blum, Léo Lagrange...
    Mme Hélène Mignon. Nous en sommes fiers !
    M. Pierre Hellier. C'est un choix.
    M. Jean Dionis du Séjour. Dommage ! Le pays et le monde du travail, je crois, vous attendaient plus critiques sur votre propre bilan et finalement plus imaginatifs.
    Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, les députés de l'Union pour la démocratie française se retrouvent dans les orientations majeures de ce texte et l'approuveront au moment du vote.
    Il reste que l'UDF, et Nicolas Perruchot le détaillera dans son intervention, souhaite qu'il soit amélioré dans deux directions.
    Nous souhaitons d'abord un transfert massif du domaine réglementaire à la négociation entre partenaires sociaux de tout ce qui ne relève pas de l'ordre public social. Notre objectif à court terme doit être de respecter nos engagements européens en la matière et de renvoyer à la négociation sociale tout ce qui peut l'être : le régime des heures supplémentaires, leur rémunération. Pourquoi dans le même texte avoir confié le taux de rémunération des heures supplémentaires à la négociation sociale tout en inscrivant dans la loi qu'à défaut d'accord ce sera 25 % pour les huit premières heures et 50 % pour les suivantes ? Quel syndicat prendra le risque de proposer moins que le taux plancher légal ? Pourquoi n'avoir pas donné du temps, une chance à la négociation sociale ? Pourquoi un taux plancher unique, revenant ainsi à la logique archaïque des lois Aubry ? Il nous semble qu'il y a là une direction dans laquelle il faut résolument s'engager. C'est pourquoi nous proposerons une série d'amendements.
    Par ailleurs, il faut maîtriser de l'évolution du coût global du travail.
    M. Maxime Gremetz. Ah !
    M. Jean Dionis du Séjour. La légitime revalorisation des SMIC et le paiement en heures supplémentaires des heures comprises entre la trente-cinquième et la trente-neuvième et au-delà n'a de sens, dans un contexte de mondialisation économique, que si le coût global du travail français reste stable.
    Pour améliorer le texte dans cette direction, nous vous proposerons une exonération de charges sociales à hauteur du surcoût des heures supplémentaires, selon le cas 10 %, 25 % ou 50 %.
    En clair, nous proposons que la trente-sixième, la trente-septième, la trente-huitième et la trente-neuvième heure soient neutres, en termes de coût global pour les entrepreneurs.
    M. Maxime Gremetz. Plus réac que moi, tu meurs !
    M. Jean Dionis du Séjour. J'anticipe votre réponse, monsieur le ministre : l'état des finances publiques, celles de l'Etat, celles des régimes sociaux.
    Notre défi commun sera, dans une conjoncture très difficile, de faire en sorte que la machine économique France créée plus d'emplois qu'il n'en disparaîtra. Nous pensons que cette neutralité des heures supplémentaires, sur le plan économique, serait un atout important pour la création d'emplois dans notre pays.
    Nous savons bien que le budget 2003 sera notre premier budget, que la conjoncture est difficile et qu'il est encore tôt pour voir le résultat des changements politiques que nous impulsons. A vous de nous dire, comme vous l'avez fait pour le SMIC horaire, ce que vous comptez faire en 2004 et en 2005.
    La baisse des charges sociales au service de la création d'emplois et la revalorisation simultanée des salaires modestes doivent être la priorité de notre politique sociale. Elles sont, en tout cas, une priorité constante, depuis de longues années, de notre famille politique. Certains, qui viennent de nos rangs et vous ont rejoint - je pense notamment à Pierre Méhaignerie et à Jacques Barrot -, peuvent en témoigner. Nous aurons à coeur de plaider cette cause tout au long de notre mandat parlementaire.
    Monsieur le ministre, nous voterons votre texte. C'est le mandat que nous avons reçu de nos électeurs. Mais permettez-moi, en conclusion, de vous dire ce que j'ai entendu dans ma circonscription à son sujet. J'ai entendu à la fois la satisfaction du monde du travail et les réserves du monde de l'entreprise, déçu par la prudence de votre projet.
    Monsieur le ministre, votre projet politique, le nôtre, celui du rassemblement du monde du travail...
    M. Maxime Gremetz. Vous rêvez !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... et de l'entreprise, est le bon, celui dont la France a besoin. Dans sa mise en oeuvre, vous pouvez compter sur notre soutien fidèle, mais qui vous invitera sans relâche à l'audace en matière de justice sociale et de modernisation économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j'ai entendu M. le ministre, hier, dire : pas de certitudes. Je vous en donne acte, monsieur le ministre. On ne gouverne pas avec des certitudes, mais avec des actes. Pour ma part, je n'ai pas de certitudes, mais des convictions, et je ne vis pas sur une autre planète ou dans un autre pays, comme l'a prétendu M. Tron.
    Que veut notre peuple ? Avoir la sécurité de l'emploi, de meilleurs salaires, l'amélioration de ses conditions de vie et de travail. Or, quand j'entends un de nos collègues, parlant hier contre la question préalable, dire que nous avons trop augmenté la dépense publique, que la sécurité sociale est en déficit, et que nous avons donc trop dépensé pour la santé, que, si les salariés veulent de meilleurs salaires, ils n'ont qu'à travailler davantage, j'en conclus que nous n'avons pas entendu le même peuple. Le texte que nous examinons aujourd'hui me conduit à faire les mêmes constatations, car il est inspiré par la même philosophie. Les députés communistes et républicains marqueront fermement leur désapprobation à l'égard des dispositions qu'il contient.
    Si la législation actuelle sur la réduction du temps de travail a été diversement appréciée par certains salariés, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, c'est en raison des imperfections et du manque d'audace qu'elle présentait sur certains points, et non en raison des objectifs clairement affichés, bien au contraire. Les deux lois relatives à l'aménagement et à la réduction du temps de travail méritaient d'être améliorées, appelaient de nouvelles avancées. C'est pourquoi nous avions déposé en temps voulu des amendements visant à corriger ces imperfections, afin que la réduction du temps de travail s'inscrive dans le progrès social et sociétal partagé par tous. Et nous n'avions pas ménagé nos efforts en ce sens, chacun s'en souvient.
    Toutefois, le principe et les objectifs - recherche d'un meilleur équilibre entre le temps de travail, le temps pour soi, le temps pour les autres, amélioration de la qualité de vie de travail comme de la vie personnelle - ont été appréciés par les salariés, voire recherchés par eux.
    Dès lors, vous ne pouvez pas annoncer brutalement que vous réduirez ces attentes à néant. Déjà, à l'époque, vous relayiez les propos du MEDEF et rejetiez en bloc tout processus historique de réduction du temps de travail. Vous donnez corps aujourd'hui à ces volontés. Vous ne voulez toujours pas de la RTT et vous confirmez vos intentions en nous présentant un projet qui remet en cause fondamentalement les 35 heures. Vous parlez d'assouplissement, mais c'est une duperie. Par un arsenal de dispositions régressives, par une batterie de mesures anti-sociales, nuisibles pour les droits des salariés, fragilisant la croissance et la création d'emplois, vous présentez un projet de loi qui va aggraver les conditions de vie des salariés dans l'entreprise et remettre en cause l'équilibre trouvé pour une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
    Je le disais, ce texte ne répond pas aux attentes des Françaises et des Français, des salariés comme de ceux qui sont privés d'emploi. Pourtant leur message a été clair et vous prétendez l'avoir entendu : « Nous voulons vivre mieux, nous ont-ils dit, avoir les moyens de subvenir à nos besoins, avoir un emploi, avoir du temps pour soi, sa famille et ses loisirs. »
    Or, ne nous y trompons pas, ce que vous proposez est très loin de ces préoccupations. Vous ne faites que reprendre en choeur le chant des sirènes du MEDEF. Vous déréglementez le code du travail. Pis, vous allez à l'encontre des propos tenus par le chef de l'Etat. Chacun se souvient ici que le Président de la République parlait de « travailler plus pour gagner plus ». Avec votre projet, tout le monde pourra travailler plus - ça c'est clair -, certains même ne verront jamais leur temps de travail réduit. Mais les salariés gagneront moins !
    L'harmonisation des différents SMIC freinera l'évolution de leur pouvoir d'achat...
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Allons bon !
    Mme Muguette Jacquaint. Mais pas pour tous !
    Cette augmentation du SMIC horaire que vous n'avez de cesse de mettre en avant, c'est en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt.
    Si cette harmonisation est impérative, si l'amélioration du dispositif complexe existant est nécessaire, vous en dissimulez les conséquences, car le système comporte en effet des mesures perverses. Si vous prévoyez d'accorder des coups de pouce, vous supprimez dans le même temps l'un des deux mécanismes d'indexation qui entraînait la progression du SMIC chaque année. Dès lors, la hausse étalée sur trois ans n'entraînera pas une hausse équivalente du salaire mensuel. En dévoyant le mode traditionnel de calcul du SMIC, vous conduisez les salariés à faire un bond en arrière dans le temps.
    Il y a deux ans, à l'occasion d'une motion de procédure, l'un des vôtres considérait que « réduction du temps de travail et augmentation du pouvoir d'achat sont incompatibles ». C'était déjà une contre-vérité puisque vous proposez que l'augmentation du temps de travail s'articule aujourd'hui avec une perte sensible de rémunération.
    Cette affirmation est confortée par le nouveau régime des heures supplémentaires que vous défendez et qui renvoie à la négociation la majoration salariale de ces heures en fixant un plancher de 10 % au lieu de 25 %.
    En outre, vous étendez ce dispositif aux entreprises de moins de vingt salariés. Donc, des salariés plus nombreux verront leurs heures supplémentaires moins rémunérées. Où est la possibilité de travailler plus pour gagner plus ?
    D'autre part, en relevant le contingent d'heures supplémentaires à 180 de façon unilatérale, vous ôtez aux salariés la possibilité d'obtenir davantage de majoration salariale et de repos compensateur. Vous accentuez leur sujétion à l'entreprise sans contreparties notables.
    Pour ce qui est de l'aide financière aux entreprises, vous créez les conditions pour freiner la création d'emplois en amplifiant et en dénaturant votre politique d'exonération de charges. Les députés communistes avaient combattu cette logique pour - au moins - conditionner les exonérations au passage aux 35 heures à la signature d'accords majoritaires et à la création d'emplois, à défaut d'adopter un autre dispositif.
    Vous inversez cette logique en accordant des aides aux entreprises surtout si elles ne réduisent pas leur temps de travail, et vous supprimez l'aide pérenne à celles qui ont opté pour un aménagement et une réduction de la durée du travail.
    Lors de l'examen des deux lois, vous nous aviez accusés de mépriser les chômeurs et les précaires. Or, que faites-vous aujourd'hui, en n'incitant pas les entreprises à réduire leur temps de travail ? Où sont les dispositifs permettant de libérer du travail et d'encourager les créations d'emplois ? Avec votre logique d'exonération synonyme de trappe à bas salaires, vous voulez faire travailler davantage ceux qui travaillent déjà, et moins les rémunérer. Nous ne pouvons l'accepter.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    Mme Muguette Jacquaint. C'est un contresens économique évident.
    En visant la baisse du coût du travail sans contrepartie, votre projet de loi aura des effets négatifs sur l'emploi, des conséquences sociales inacceptables, une influence néfaste sur l'économie, et ce au moment où le chômage remonte et la croissance ralentit.
    Enfin, avec ce texte, vous dénaturez également le dispositif du compte épargne temps pour favoriser l'accumulation de capitaux pour les entreprises et engager une spéculation financière sur les richesses créées par les salariés. Vous tracez le chemin de la capitalisation et des fonds de pension pour la retraite.
    Beaucoup de questions se posent avec la monétarisation du compte épargne temps : quelles garanties le salarié a-t-il de récupérer son dû si l'entreprise fait banqueroute au jeu de la bourse ? Vous accroissez également la pression fiscale car, lorsqu'il sera débloqué, le pécule placé par le salarié sera assujetti à l'impôt sur le revenu, alors que, dans sa conception, le compte épargne temps ne souffrait d'aucune fiscalité, car il capitalisait des jours de repos. Est-ce votre conception de l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés ?
    Toutes ces dispositions s'inscrivent dans une philosophie de remise en cause de l'ordre public social précisé dans un avis du Conseil d'Etat en 1973. En renvoyant largement à la négociation, dans des rapports de force inégaux et contestables, vous permettez au patronat de dévoyer toutes les mesures pour lesquelles la loi donne - ou doit donner - aux salariés des garanties minimum ne pouvant être remises en cause.
    Avec ce texte, vous faites dégénérer le code du travail. Pour résumer, vous bousculez la hiérarchie des normes et, ce faisant, la négociation ne sera que positive si elle arrive à préserver uniquement des avantages acquis, coupant ainsi court à toute autre avancée sociale. C'est une régression.
    Je me permettrai de vous rappeler les paroles de Victor Hugo qui prennent tout leur sens aujourd'hui : « Le travail ne peut être une loi sans être un droit. » Dans le cas présent, c'est le droit au travail qui est mis à mal par toutes les dispositions que je viens de dénoncer. Vous allez aggraver les inégalités entre les salariés et entre les entreprises.
    A votre vision du travail, les députés communistes et républicains opposent une tout autre logique. Nous souhaitons poursuivre plusieurs objectifs que nous avions déjà affirmés : réduire et aménager le temps de travail pour le progrès social, enclencher une politique salariale ambitieuse et donner de véritables droits aux salariés en termes de formation et d'intervention citoyenne dans l'entreprise.
    Pour cela, nous avons déposé plusieurs amendements cohérents avec ce que nous avions déjà proposé par le passé.
    M. Maxime Gremetz. Tout à fait !
    Mme Muguette Jacquaint. Pour ce qui touche à la nécessaire revalorisation du pouvoir d'achat, nous proposons une augmentation réelle du SMIC de 11,4 % afin d'engager le lissage immédiat entre les différentes échelles de rémunération. Nous vous ferons la démonstration que cela est possible, contrairement à ce qui a été annoncé à tort.
    Nous vous proposerons, dans le même sens, de rétablir une meilleure majoration salariale des heures supplémentaires, pour deux raisons essentielles. Premièrement, il s'agit de dissuader le recours abusif à ces heures, afin de créer des emplois. Deuxièmement, il convient que les salariés soumis aux heures supplémentaires telles que la législation du travail le prévoit bénéficient d'une juste rémunération et non d'une compensation au rabais, comme vous le proposez.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    Mme Muguette Jacquaint. Nous avons également déposé plusieurs amendements visant à lutter contre le travail précaire et le recours abusif aux CDD et autres temps partiels imposés, autant de contrats qui installent durablement bon nombre de personnes dans les difficultés sociales quotidiennes et qui interdisent tout projet de vie. Cet aspect est complètement étranger à ce projet de loi.
    Nous aurons de même le loisir de défendre devant vous plusieurs amendements garantissant un réel droit à la formation pour les jeunes et les salariés. Aujourd'hui, nous devons reconnaître le caractère incontournable d'un nécessaire droit à la formation tout au long de sa vie. Là encore, la dimension est totalement absente de votre texte.
    Dans le même esprit, nous souhaitons créer les conditions d'une entreprise plus citoyenne, donnant ainsi la possibilité aux salariés d'intervenir dans sa gestion, de participer activement à sa prospérité, à son développement, de donner leur avis sur les choix concernant son avenir.
    Enfin nous proposons une autre logique d'aide à la création d'emplois. Opposés aux exonérations de charges que vous vous acharnez à défendre malgré leur inefficacité, dont la réalité n'est établie ni « dans le petit livre rouge, ni dans le petit livre bleu, ni dans les statistiques de l'INSEE », que M. le Premier ministre a évoquées lors de son discours de politique générale, mais dans un rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen en juin 2002, nous proposerons une alternative d'aide à l'emploi reposant sur une bonification des crédits selon que l'entreprise crée ou ne crée pas d'emplois.
    Vous le voyez, nous sommes très attentifs aux modifications apportées et nous marquerons fermement notre hostilité à toutes les mesures contraires aux aspirations des salariés et qui pourraient remettre en cause des acquis sociaux. Nous proposerons également des mesures progressistes tenant réellement compte des attentes des salariés et des choix de société, que le patronat et le MEDEF souhaitent voir remis en question, au titre d'une prétendue refondation sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard.
    M. Claude Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une fin de soirée quelque peu agitée, nous avons le plaisir de nous retrouver ce matin pour continuer notre débat. Je note d'ailleurs, avec surprise, que le groupe qui nous a demandé de vérifier le quorum est assez peu présent ce matin alors que, collectivement, nous étions hier soir plus de 200.
    M. Richard Mallié. Ils sont trois !
    Mme Catherine Génisson. Et vous ?
    M. Richard Mallié. Nous sommes plus de trois !
    M. Maxime Gremetz. Ne nous incitez pas à redemander la vérification du quorum. C'est de la provocation !
    M. Claude Gaillard. Permettez-moi de voir en cela une volonté d'obstruction, procédurière, davantage que le désir d'avoir un vrai débat. Vous en faites vous-mêmes la démonstration ce matin avec votre faible représentation dans l'hémicycle.
    M. Maxime Gremetz. Nous, c'est la qualité qui compte !
    M. Claude Gaillard. Pour revenir sur ce qui a été dit, je refuse que nous nous laissions enfermer dans un débat trop restrictif, qui nous est imposé par ceux qui se sont tant dépensés sur la loi Aubry. Ce premier projet de loi de la législature traite des salaires, notamment des salaires les plus bas, du développement de l'emploi, puisque, pour nous, le chômage reste un fléau et une douloureuse inégalité sociale ; il traite aussi du temps de travail. Vouloir réduire ce projet de loi à des mesures portant uniquement sur le temps de travail est une vue restrictive qui ne correspond pas à votre texte, monsieur le ministre. C'est pour nous un texte majeur, attendu, et qui a d'ailleurs fait l'objet d'une promesse.
    Permettez-moi, au nom de votre majorité, monsieur le ministre, de vous remercier pour votre diligence, qui fait écho à l'impérieuse exigence d'action exprimée par les Français.
    Entre le vote des lois Aubry et aujourd'hui, il y a eu un vaste débat public, deux élections - l'élection présidentielle et les élections législatives - où chaque famille politique a pu faire valoir ses arguments. Et, dans ce débat, le pouvoir d'achat des bas salaires et le dynamisme des entreprises sont rapidement apparus comme étant des sujets majeurs.
    Tels sont les sujets que nous entendons traiter aujourd'hui, car nous nous sommes engagés tout à la fois à libérer les forces économiques, trop contraintes par une fiscalité et une réglementation excessives, et à agir plus par le biais du dialogue social renouvelé que par la loi et le règlement.
    Aprè avoir écouté avec attention les longs exposés de ceux qui ont défendu hier deux motions de procédure, je voudrais à mon tour vous livrer quelques réflexions préalables que m'ont inspiré non pas tant l'intervention de Gaëtan Gorce, que j'ai trouvée très technocratique, embrouillée, au point que, moi, qui ne suis qu'un modeste Français moyen, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris - cela m'aurait plutôt embrouillé l'esprit -,...
    Mme Catherine Génisson. Ça ne m'étonne pas ! C'était pourtant un exposé de bonne qualité, franc, honnête et juste !
    M. Claude Gaillard. ... que celle de Jean Le Garrec, qui, lui, a fait une présentation politique, au sens noble du terme, du regard qu'il portait sur la société, sur le travail et son évolution. Si, comme lui, je viens de l'entreprise, nos regards respectifs sont certainement un peu différent dans la mesure où lui vient de la grande entreprise et moi de la petite, mais, en tout état de cause, ils sont importants pour savoir comment pratiquement se passent les choses au sein de celle-ci, puisque l'entreprise vécue de l'intérieur est quelque peu différente de celle qu'on apprend dans les livres. Je conviens avec lui que nous sommes dans un contexte nouveau, qu'il existe vraiment une réalité européenne, qu'il y a une approche européenne différente, notamment due à l'apport de l'Europe centrale, de l'Europe de l'Est, que la mondialisation produit des effets bénéfiques, mais aussi des effets néfastes, et qu'il nous appartient de nous adapter à cette réalité, de voir le monde tel qu'il est et non tel que nous le souhaitons, les uns et les autres.
    M. Richard Mallié. Très bien !
    M. Claude Gaillard. Je voudrais souligner que, déjà, en 1981, les choses avaient changé davantage qu'on ne veut bien le dire. M. le ministre Le Garrec a conseillé à M. Mer de se souvenir des effets bénéfiques de la nationalisation de la sidérurgie. Toutefois, le Lorrain que je suis, qui a les aciéries de Pompey dans sa circonscription, celles qui ont fourni l'acier qui a servi à la construction de la tour Eiffel, le renvoie à ce que a été dit avant 1981 par un candidat aux élections et aux mesures de 1984, dites mesures Fabius, qui ont rayé d'un trait de plume ces aciéries, mettant ainsi 4 500 ouvriers au chômage. Je ne dis pas que ce n'était pas bien, je souligne simplement que la réalité s'est imposée. Alors, si, aujourd'hui, certains se félicitent des nationalisations, moi, je sais quel en a été le coût social dans ma circonscription.
    Il y a une sorte de point commun entre 1993 et 2002. En 1993, nous sommes arrivés aux affaires après cinq ans de pouvoir de gauche, sans cohabitation. Et qu'avons-nous trouvé ?
    M. François Guillaume. Les caisses vides !
    M. Claude Gaillard. Nous avons trouvé un taux de croissance nul, voire négatif. Que la gauche soit responsable ou non, c'est un autre débat. Le gouvernement Balladur, puis celui d'Alain Juppé ont dû prendre des mesures pour s'adapter à cette conjoncture qui était, ô combien, difficile. Et quand, à cette tribune, on cite des chiffres de la période 1993-1997, je crois qu'on pèche par omission si l'on ne fait pas référence à l'état des lieux de 1992.
    Aujourd'hui, en 2002, nous arrivons de nouveau aux affaires après cinq ans de gourvernement socialiste. Certes, celui-ci a, je le crois, assayé d'agir sincèrement et honnêtement, mais au fond qu'en est-il ?
    Depuis environ un an et demi, le chômage augmente à nouveau. Le taux de croissance de 2002 est faible. On ne peut pas faire référence à 1997 et à 2002 et dire que le chômage va forcément repartir à la hausse. Il y a déjà un certain temps que la courbe est inversée. L'honnêteté intellectuelle voudrait que l'on fasse attention aux dates que l'on cite quand on évoque les différentes législatures.
    Je tiens également à rappeler en préalable que, entre la loi de Robien et les lois Aubry, il y a des différences essentielles : la loi de Robien reposait, elle, sur l'incitation et le volontariat. Or quand on incite, les résultats sont forcément obtenus moins rapidement que lorsqu'on impose.
    M. Gaëtan Gorce. Son coût était deux fois plus élevé que celui de la première loi Aubry 1.
    M. Claude Gaillard. La loi Aubry 1, elle, imposait : on vous aidera, mais à la condition que vous créiez des emplois.
    Quant à la loi Aubry 2, elle impose également, mais la notion de réduction du temps de travail a pris le pas sur celle d'emploi. Une telle évolution est une façon de reconnaître que les choses ne se passaient pas comme prévu.
    J'en viens à ma dernière réflexion préalable. Quand on vous écoute avec attention, mes chers collègues, voire avec fascination - c'est mon cas, mais je présume que c'est le cas de chacun d'entre nous -, on constate que vous ne lâchez rien sur rien et que, aujourd'hui, vous développez de nouveau l'argumentation qui était la vôtre sur les lois Aubry. C'est assez extraordinaire, vous agissez comme si rien ne s'était passé, et comme si, au fond, vous étiez tellement sûrs d'avoir raison qu'il n'y a aucune raison de lâcher quoi que ce soit. A lire certains, les électeurs auraient été insouciants et auraient voté les yeux bandés !
    M. Gaëtan Gorce. Ils ont voté contre Le Pen !
    M. Claude Gaillard. Pour nous, les électeurs ont par définition raison. Ils se sont exprimés et ils veulent que d'autres actions soient conduites car ils portent un autre regard que le vôtre sur la société qui est la nôtre et sur ses priorités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Richard Mallié. Exactement !
    M. Claude Gaillard. C'est pourquoi le texte qui nous est présenté répond aux souhaits exprimés par nos concitoyens sur les vrais problèmes, qui sont des problèmes de rupture sociale - je pense notamment aux laissés-pour-compte - ainsi que des problèmes d'emploi et de conditions de travail.
    Le présent texte a une portée large. Il vise à traiter l'ensemble des problèmes et il s'inscrit dans le cadre de décisions qui ont déjà été prises. C'est une étape majeure dans le cadre d'une politique économique et sociale globale, qui est mise au service de la croissance et donc de l'emploi.
    Le projet de loi entend d'abord résoudre un problème, dont je dirai qu'il est hérité. Et comme dans tout héritage, il y a du bon, du moins bon et du mauvais. Je ne dis pas que l'héritage est complètement mauvais, mais je ne le trouve pas très bon. En fait, nous avons hérité d'une espèce d'usine à gaz contestée. Si l'on écoute les uns et les autres, et que l'on ne s'en tient pas uniquement aux enquêtes d'opinion dont les résultats nous arrangent, on s'aperçoit que le système actuel ne satisfait pleinement ni les salariés, ni les employeurs, ni les partenaires sociaux, ni même les responsables de l'opposition qui l'ont conçu. Je ne reprendrai pas certaines citations de ces derniers, car cela a déjà été fait, mais elles ont au moins le mérite d'être claires et de montrer ce que ceux-ci pensent vraiment du système en vigueur.
    Pour nous, la politique est une question de choix. Le Gouvernement de la gauche plurielle avait choisi ce qu'il a appelé récemment « la grande avancée sociale des 35 heures ». Pour être honnête et précis, je dirai que ce n'est pas, me semble-t-il, le choix qui avait été fait au début. François Hollande l'a d'ailleurs rappelé récemment en disant : « les 35 heures étaient d'abord et avant tout une mesure anti-chômage ». Toutefois, comme ça n'a pas bien marché, les 35 heures sont devenues une avancée sociale et non plus une mesure anti-chômage.
    Mme Catherine Génisson. Les deux !
    M. Claude Gaillard. Les 35 heures sont responsables, pour partie, de la stagnation du pouvoir d'achat, notamment de celui des plus modestes d'entre nous. Belle avancée sociale !
    Cette stagnation a affecté notre pays alors même qu'il connaissait une période de croissance particulièrement importante. Un certain nombre d'entre vous, dont François Hollande, ont reconnu le décalage entre le taux de croissance que notre pays a connu et la façon dont les salaires les plus bas ont été bloqués.
    Faut-il également rappeler que la France se situe maintenant au treizième rang en Europe en matière de chômage, en dépit des mesures qui ont été prises ?
    A ce choix, nous, nous préférons celui du pouvoir d'achat, celui du dynamisme économique et celui de la solidarité sociale.
    Le coût des 35 heures obligatoires, uniformes, autoritaires et technocratiques, est multiple.
    Ce coût est d'abord financier. Ainsi, le FOREC, cette superbe usine à gaz, n'est pas convenablement financé. De l'argent a même été prélevé sur le secteur social, ce qui a entraîné des effets pervers que nous constatons aujourd'hui.
    Les 35 heures ont également un coût entreprenarial, un coût social et humain, notamment dû à la création de nouvelles rigidités organisationnelles, et un coût comportemental lié, comme le disait un journaliste, au risque d'un excessif désengagement psychologique en faveur du travail.
    Loin des citations de 1936, l'évolution dans cette affaire m'apparaît tout à fait forte.
    Notre responsabilité en la matière consiste à traiter en priorité les conséquences de l'application des 35 heures et, concomitamment, de donner corps à nos engagements.
    A ceux qui nous reprochent de vouloir créer un salariat à deux vitesses, je réponds qu'entre les 8 millions de salariés des grandes entreprises et les 7 millions qui ne sont pas aujourd'hui aux 35 heures, la double vitesse existe déjà. J'ajoute que la France n'est pas monolithique, qu'elle est variée et que les hommes sont divers.
    M. Michel Françaix. Quel scoop !
    M. Claude Gaillard. Certains d'entre nous souhaitent être fonctionnaires, d'autres souhaitent travailler dans le secteur privé. Certains préfèrent travailler dans des grands groupes, d'autres préfèrent des petits groupes. Mettre tout le monde sous la même toise ne correspond pas aux attentes du pays.
    Contrairement à ce qui a été dit, nous nous attachons à rassembler les Français et non à créer une France du travail à deux, à trois ou à quatre vitesses. Le ministre veut laisser une large place à la convention collective et aux accords d'entreprise.
    La réduction du temps de travail aurait pu être un formidable laboratoire de l'innovation sociale. Mais la gauche plurielle en a fait un diktat, alors qu'il aurait fallu prendre en compte la diversité des entreprises, la diversité de leurs comportements comme celle de leurs contraintes.
    Toutefois, par culture, la gauche préfère toujours l'obligation légale applicable à tous, dans une conception manichéenne de la société suivant laquelle les relations entre les salariés et leur entreprise sont forcément des rapports de force. Je ne prétends pas qu'il n'y a pas de rapports de force, mais il n'y a pas que ça.
    M. Richard Mallié. Nous ne sommes plus au xixe siècle !
    M. Claude Gaillard. Les rapports sociaux au sein de l'entreprise ont évolué considérablement, mais j'ai l'impression, mes chers collègues, que cette dimension vous a échappé.
    Dans nos collectivités, on parle de « projets ». Or ce sont bien les entreprises qui ont inventé le concept de « projet d'entreprise » où, en accord et en coordination avec l'ensemble des salariés, une réflexion est engagée sur ce qu'est l'entreprise, sur la façon dont elle doit évoluer, pour quels objectifs et selon quel rythme. Ce sont bien les entreprises qui ont inventé ce que nous appelons la « démarche qualité », qui a pour but d'associer l'ensemble du personnel à leur évolution de façon à bénéficier des qualités et des atouts de chacun. C'est pourquoi notre rôle doit consister à les aider dans leur combat quotidien et non à ajouter contraintes sur contraintes.
    Votre projet, monsieur le ministre, corrige les excès des 35 heures,...
    M. Gaëtan Gorce. Au contraire, c'est ce projet qui est excessif !
    M. Claude Gaillard. ... et en corrige les incohérences.
    Il simplifie et assouplit le dispositif, tout en réhabilitant la voie de la négociation collective.
    M. Gaëtan Gorce. C'est faux !
    M. Claude Gaillard. Il est important de rappeler que les accords ne seront pas remis en cause. Cela va de soi. Mais l'objectif du Gouvernement, entre autres, est de redonner toute sa valeur à la négociation et au dialogue social.
    Je citerai ici une réflexion parue dans la presse il y a quelque temps : « Il a fallu un gouvernement dit de la gauche plurielle pour transgresser ouvertement, par la loi, un principe, certes pas toujours facile à appliquer à la lettre, mais qui a l'incommensurable mérite d'instituer le respect du travail de chacun : à travail égal, salaire égal. Avec les lois Aubry, un smicard qui continue de travailler 39 heures - et dans beaucoup de PME, il contribue ce faisant à assurer leur survie et donc à préserver son propre emploi - touchera, à travail équivalent, à peu près le même salaire que celui qui est passé aux 35 heures. »
    M. Michel Herbillon. C'est tout le problème !
    M. Claude Gaillard. Je poursuis la citation : « Tel est l'inévitable résultat du système de garantie mensuelle institué par les socialistes pour éviter une revalorisation immédiate du SMIC horaire. » La messe est dite.
    Ce projet de loi mettra donc un terme à l'histoire sans fin des garanties mensuelles de rémunération en assurant une convergence graduelle du SMIC horaire, qui sera effective au 1er juillet 2005. Dans l'état actuel des choses, cette convergence était sans cesse repoussée.
    Au total, le texte répond à des préoccupations : rétablir l'unité du SMIC en supprimant les cinq, six ou sept SMIC existants, et, par là même, rétablir la symbolique attachée à celui-ci, tout en assurant une évolution satisfaisante du pouvoir d'achat des salaires, notamment des plus bas, et ce sans mettre à mal la compétitivité des entreprises.
    Nous souhaitons, avec le Gouvernement, promouvoir une philosophie, et notre philosophie, c'est une conception de la valeur du travail. La réduction progressive du temps de travail ne date pas d'aujourd'hui et est une tendance qui ne risque pas de s'inverser ; nous souscrivons donc à cette tendance, mais cette réduction doit se faire à un rythme qui ne casse pas la croissance. En tout cas, la réflexion de la gauche sur le travail n'a rien à voir avec la nôtre.
    M. Michel Herbillon. Ce n'est pas la même conception !
    M. Claude Gaillard. Ce n'est pas la même conception, et c'est d'ailleurs ce qui fait la richesse de la démocratie.
    Nous sommes partisans, nous, de la liberté de choix, ce qui n'est pas le cas de nos adversaires.
    M. Gaëtan Gorce. Dites de vos ennemis !
    M. Claude Gaillard. Non, de nos adversaires politiques, et je le dis avec tout le respect que je leur dois. Je l'ai d'ailleurs déjà dit hier soir.
    M. Gaëtan Gorce. Merci de la précision !
    M. Michel Herbillon. Nous attendons la réciprocité de votre part, mon cher collègue.
    M. Claude Gaillard. Dans nos rangs, nous reconnaissons le mérite de certaines des actions qui ont été conduites par le gouvernement que vous avez soutenu. La réciproque n'est pas vraie. Mais personne n'était jamais complètement bon ou complètement mauvais, je ne veux pas croire que nous soyons toujours mauvais à vos yeux. Cela dit, je ne doute pas que vous puissiez progresser dans ce domaine.
    Bref, nous voulons assurer un progrès collectif.
    En avril 2002, un sondage Louis Harris révélait que 49 % des Français voulaient travailler plus. Avons-nous le droit de les en empêcher et de nous priver de cette productivité ?
    M. Gaëtan Gorce. Allez le dire aux chômeurs !
    M. Claude Gaillard. Au-delà de la France qui profite de la RTT, il y a la France qui veut et qui a besoin de travailler plus et qui demande la liberté du travail et le droit d'augmenter son pouvoir d'achat, même si un sociologue conclut « à la préférence de nos sociétés modernes pour le présent, l'émotion et l'hédonisme plutôt que pour le futur, la raison et le travail ».
    M. Michel Françaix. Nous avons bien fait de venir !
    M. Claude Gaillard. Tout cela doit alimenter notre réflexion politique sur la façon dont nous devons répondre aux priorités immédiates, tout en ayant la responsabilité de prévoir l'avenir.
    L'objectif du texte n'est pas d'opposer ces deux Frances mais de les concilier en laissant à chacun le libre choix de son mode de vie et de travail.
    M. Gaëtan Gorce. Alors, que le salarié puisse décider librement de ses horaires !
    M. Claude Gaillard. Je ne sais pas combien d'années vous avez travaillé en entreprise, mon cher collègue,...
    M. Richard Mallié. Il ne sait pas ce que c'est !
    M. Gaëtan Gorce. Ici, ce qui compte, c'est le suffrage universel !
    M. Claude Gaillard. ... mais dans celles que j'ai connues, les relations sociales étaient empreintes d'une vraie maturité.
    M. Gaëtan Gorce. Je viens d'un milieu ouvrier !
    M. Philippe Cochet. Mois aussi !
    Mme Catherine Génisson. Vous avez eu de la chance !
    M. Claude Gaillard. Certes, les relations sociales peuvent s'imposer par le rapport de forces, mais je sais, pour avoir été pendant plusieurs années délégué du personnel, que de vraies relations peuvent se nouer autour de la négociation sur le temps de travail. Quand ce que l'on appelle des charrettes se profilaient, si certains refusaient de partir, des volontaires acceptaient, l'objectif, notamment du chef d'entreprise et de la direction, étant toujours de rechercher l'adéquation entre les nécessités de l'entreprise et les souhaits des salariés. Arrêtez de croire que nous vivons dans un système d'exploiteurs, avec, d'un côté, celui qui commande, qui n'a pas de coeur et qui exige, et, de l'autre, celui qui subit, du moins dans les PME-PMI que j'ai connues.
    M. Michel Françaix. Nous n'étions pas dans les mêmes entreprises !
    M. Richard Mallié. Vous en êtes restés au xixe siècle. Les choses ont évolué depuis.
    M. Claude Gaillard. Arrêtez de vouloir convaincre les gens que les relations sociales dans l'entreprise sont celles que vous décrivez dans vos analyses et dans vos propos. Ils ne vous croient pas.
    Nous, nous souhaitons faire davantage confiance et nous inscrire dans une dynamique de progrès dans les relations sociales et pour l'emploi.
    M. Richard Mallié. Très bien !
    M. Claude Gaillard. Parce qu'aujourd'hui nous sommes toujours très préoccupés par le chômage.
    M. Gaëtan Gorce. Alors, réagissez !
    M. Claude Gaillard. Si le fait de passer de 39 à 35 heures est positif - et le cadre que j'ai été a pu se réjouir de pouvoir partir en week-end le vendredi à midi, voire le jeudi soir...
    Mme Hélène Mignon. Et les autres, où sont-ils ?
    M. Claude Gaillard. ... il ne doit pas nous faire oublier qu'un équilibre doit être trouvé entre ce qui nous plaît et la situation des plus démunis.
    Or, depuis dix-huit mois, le chômage repart. Il faut savoir inverser l'ordre de priorité et changer notre regard sur la solidarité et sur notre société.
    Mme Hélène Mignon. Vous êtes dogmatique !
    M. Claude Gaillard. Notre vision n'est pas dogmatique, elle s'attache simplement à hiérarchiser les inégalités dans ce pays. Et la première des inégalités, moi qui ai connu une période de chômage...
    Mme Catherine Génisson. C'est de ne pas avoir de travail.
    M. Claude Gaillard. ... la première des inégalités, c'est le chômage, et le non-accès à l'emploi.
    Mme Elisabeth Guigou. C'est pour cela qu'il faut continuer les 35 heures !
    M. Claude Gaillard. La deuxième inégalité, c'est le risque potentiel d'être chômeur. Il est usant pour un salarié de penser que si les choses ne tournent pas bien, il risque de se retrouver au chômage. Pourtant, chaque fois qu'on charge une entreprise de contraintes, on affaiblit l'entreprise et on augmente le risque du salarié de devenir chômeur.
    Mme Catherine Génisson. Arrêtons le dialogue social alors !
    M. Claude Gaillard. Les voilà les vraies inégalités. Le reste, c'est le discours politique de celui qui vit en système protégé, qui parle comme dans un livre mais qui ne vit pas le quotidien des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    La justice sociale, c'est aussi la protection des plus faibles. Chacun sait que l'attractivité de la France s'est affaiblie, ce que nous déplorons tous. Et la première conséquence de cet affaiblissement, c'est l'incertitude qui pèse sur les emplois, notamment les moins qualifiés, qui sont souvent les premiers délocalisés. Et quand on voit ce qui se passe depuis un certain nombre de mois, on ne peut qu'être inquiet. A ce propos, je vous sais gré, monsieur le ministre, de la volonté qui est la vôtre de diminuer cette pression financière et l'ensemble des contraintes qui pèsent sur le marché du travail.
    M. le président. Il faut conclure, monsieur Gaillard.
    M. Claude Gaillard. Pour comprendre le monde de l'entreprise, vous pariez sur l'évolution culturelle des rapports sociaux. Vous considérez les différents partenaires, que ce soient les représentants des chefs d'entreprise ou les représentants des salariés, comme des gens matures, a priori adultes, à qui vous pouvez faire confiance. Il n'appartient pas en effet aux politiques qui délibèrent dans cet hémicycle de décider de tout pour les autres, au prétexte que les gens feraient des erreurs qu'il faudrait absolument corriger. Nous serons à vos côtés, monsieur le ministre, pour faire évoluer notre société, pour transformer les rapports dans l'entreprise, de telle façon que la société que nous allons construire tous ensemble soit fondée sur la confiance et non sur les procès d'intention. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Guigou.
    Mme Elisabeth Guigou. Votre projet de loi, monsieur le ministre, ouvre la session parlementaire. C'est donc que vous y accordez une attention particulière. Sur ce point, je suis d'accord avec vous, car les 35 heures méritent une attention prioritaire de la part de la représentation nationale. Ce dont nous débattons aujourd'hui n'est rien moins, d'abord, que la politique de l'emploi et des salaires, ensuite, que la place du travail dans la société. Pour mesurer toute la portée de votre projet de loi, je crois que ce sont ces deux questions en effet qu'il faut aborder.
    Je commencerai donc par l'emploi et les salaires.
    Je crains, je préfère le dire d'emblée, que votre projet ne conduise à de fortes désillusions. Je ne méconnais pas les défauts d'application des 35 heures. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Richard Mallié. C'est bien de le reconnaître !
    M. Michel Herbillon. Enfin !
    Mme Elisabeth Guigou. Je parle bien de défauts « d'application ».
    Nous savons, tous les rapports convergent, que les 35 heures sont une réussite dans les entreprises où les syndicats sont suffisamment forts pour avoir négocié de bons accords qui ont conduit à des créations d'emplois, à la progression des salaires et à la réduction du temps de travail. En revanche, dans les entreprises où les syndicats sont faibles, voire inexistants, les 35 heures ont souvent été - c'est vrai - un prétexte pour brider les salaires et accroître la flexibilité.
    M. François Goulard. Vision assez manichéenne !
    Mme Elisabeth Guigou. C'est spécialement vrai dans les secteurs à forte proportion de travail à temps partiel subi et à horaires décalés : le nettoyage, la restauration rapide, certaines entreprises de la distribution ou des services téléphoniques.
    Il est vrai aussi que les personnes qui perçoivent des bas salaires préfèrent souvent faire des heures supplémentaires que de voir réduire leur temps de travail. Mais il est tout aussi vrai qu'une nette majorité de salariés sont satisfaits des 35 heures et pas seulement chez les cadres. En effet, vous reconnaissez vous-même, dans le rapport officiel qui nous a été transmis à l'occasion de ce projet et qui dresse le bilan des 35 heures, que 59 % des salariés perçoivent « une amélioration de leur vie quotidienne », ce pourcentage s'élevant à 65 % chez les cadres mais aussi à 57 %, soit une nette majorité, pour les salariés non qualifiés. Le passage aux 35 heures a également permis, selon ce même rapport, de créer 300 000 emplois dans le seul secteur privé concurrentiel. Enfin, la négociation pour le passage aux 35 heures a contribué fortement à relancer le dialogue social dans notre pays aussi bien dans les entreprises que dans les branches.
    Pour tenir compte de tous ces éléments, des bons comme des moins bons, la question à laquelle il faut répondre devrait donc être à nos yeux : comment remédier aux défauts d'application des 35 heures, comment mieux satisfaire les salariés tout en gardant la dynamique qui est née et qui est largement approuvée ?
    Or votre projet ne fait ni l'un ni l'autre. Il ne répond pas aux aspirations des salariés pour une meilleure rémunération et moins de flexibilité. Il va créer une France du travail à deux vitesses et aggraver le chômage.
    Il ne répond pas aux aspirations des salariés.
    D'abord, parce que la rémunération des heures supplémentaires ne sera que très faiblement augmentée, contrairement à ce qui avait été annoncé pendant la campagne électorale. Dans les entreprises de moins de vingt salariés, la tarification des heures supplémentaires équivaudra à 1 % de salaire en plus. Cette possibilité, que nous avions offerte aux PME pendant une période transitoire et afin de faciliter le passage aux 35 heures, est prolongée jusqu'en 2005. Dans les entreprises de plus de vingt salariés, ces heures pourront aussi n'être majorées que de 10 % si les accords de branche le prévoient. Les salariés qui travailleront plus ne seront donc pas payés davantage.
    Quant à la diminution de la flexibilité, seconde aspiration des salariés, elle sera accrue du fait de la suppression dans le code du travail de la référence aux 35 heures hebdomadaires au profit de la seule mention des 1 600 heures par an. L'annualisation du temps de travail devenant la seule référence, la flexibilité sera nécessairement plus grande. Avec votre projet, les conditions de travail de certains salariés seront encore aggravées au lieu d'être améliorées.
    M. Michel Herbillon. C'est une caricature.
    Mme Muguette Jacquaint. Pas du tout.
    Mme Elisabeth Guigou. Votre projet va créer une France du travail à deux vitesses.
    Actuellement, 8,6 millions de personnes travaillent dans des entreprises qui sont passées aux 35 heures, ce qui représente un peu plus de la moitié des salariés des secteurs concurrentiel et associatif. Or, avec votre projet, ni les salariés ni les entreprises qui ne sont pas encore passés aux 35 heures n'auront intérêt à le faire.
    Mme Catherine Génisson. C'est sûr.
    Mme Elisabeth Guigou. Votre projet va couper la France du travail en deux.
    Les salariés qui ne sont pas encore passés aux 35 heures n'auront plus d'intérêt à les négocier car ceux-ci n'auront plus droit à un repos compensateur pendant les quatre premières heures supplémentaires, et la très faible majoration salariale ne viendra pas compenser cette perte.
    M. Patrick Bloche. Absolument.
    Mme Elisabeth Guigou. De surcroît, ceux qui passeraient aux 35 heures après le 1er juillet 2002 verraient le montant de leur garantie mensuelle bloqué jusqu'en 2005. On peut évidemment imaginer qu'avec ce blocage de la rémunération des salaires à 35 heures, ils seront peu nombreux à vouloir en bénéficier, et ce d'autant plus que les salariés restés à 39 heures verront leur rémunération augmenter nettement.
    Certes, je vous donne acte, monsieur le ministre, d'avoir proposé d'unifier les garanties mensuelles et de l'avoir fait par le haut. (« Ah ! Quand même ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Hervé Novelli. Très bien.
    Mme Elisabeth Guigou. Mais, en réalité, les salariés passés aux 35 heures entre juillet 2001 et 2002 verront leur pouvoir d'achat bloqué jusqu'en 2005.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Avez-vous fait différemment ?
    Mme Elisabeth Guigou. Quant aux bas salaires, sur lesquels nous avons entendu beaucoup de choses, je veux rappeler, après Patrick Bloche qui a cité ces chiffres hier soir, que le salaire net par tête a augmenté, entre 1997 et la fin 2001, de 7 %. Quant au pouvoir d'achat du SMIC, il a augmenté ces cinq dernières années de 16 % alors qu'il n'avait augmenté que de 2 % entre 1993 et 1997. Voilà la réalité.
    M. Gaëtan Gorce. Cela resitue les choses.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est faux ! Il a été augmenté de 5 % par M. Juppé en 1995 !
    Mme Elisabeth Guigou. Quant aux entreprises qui ne sont pas encore passées aux 35 heures, elles ne seront plus du tout incitées à le faire puisque les allégements de charges seront équivalents, que l'entreprise adopte ou non les 35 heures. Cette incitation, pourtant, était particulièrement nécessaire dans les petites et moyennes entreprises où, à l'évidence, il est plus compliqué de passer aux 35 heures. Donc, elles avaient besoin de cet encouragement.
    Cette coupure durable de la France du travail en deux est très préoccupante : la moitié des salariés français, principalement dans les PME, auront des horaires plus lourds. Quant aux PME, ce ne sera pas pour elles une bonne affaire puisqu'elles auront des difficultés à recruter dès lors qu'elles n'offriront pas la réduction de la durée du travail. Ces difficultés de recrutement seront particulièrement grandes dans les secteurs où sévissent déjà des pénuries de main-d'oeuvre, comme la restauration ou le bâtiment.
    Votre projet va aussi aggraver le chômage. Les 35 heures ont été créées pour partager le temps de travail en vue de permettre à chacun d'accéder à l'emploi et à tous de pouvoir bénéficier du temps libéré pour sa famille, pour ses amis, pour ses engagements citoyens, pour soi-même. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Les 35 heures ont largement rempli leur objectif puisqu'elles ont fortement contribué à la création d'emplois et à l'endiguement du chômage, première priorité du gouvernement Jospin.
    M. Yves Jego. C'est faux !
    M. Richard Mallié. Vous croyez encore au Père Noël !
    M. Michel Herbillon. C'était la croissance !
    M. Guy Geoffroy. C'est fini, ça !
    Mme Elisabeth Guigou. Par ailleurs, la RTT, en renforçant la confiance des ménages et la consommation, a permis de créer non seulement 300 000 emplois directs - je ne parle pas des emplois dans la fonction publique - mais aussi des emplois induits dans les secteurs économiques, que les experts évaluent de 30 000 à 50 000.
    M. Yves Jego. C'est faux !
    M. Gaëtan Gorce. Démontrez le contraire !
    Mme Elisabeth Guigou. L'arrêt du passage aux 35 heures est une mesure contre l'emploi qui s'ajoutera à d'autres mesures contre l'emploi.
    M. Yves Jego. C'est faux !
    Mme Elisabeth Guigou. La diminution des contrats emploi-solidarité au deuxième semestre 2002 est particulièrement inquiétante car nous savons que chaque CES est un chômeur en moins. Or leur nombre va passer de 340 000 - les 260 000 CES prévus dans le budget initial 2002 plus les 80 000 que nous avons rajoutés justement parce que la conjoncture économique se dégradait - à 240 000, soit 100 000 de moins.
    M. Richard Mallié. Il vaut mieux leur donner un vrai boulot !
    Mme Elisabeth Guigou. Vous prenez donc la responsabilité directe d'aggraver encore le chômage.
    M. Guy Geoffroy. Mais non !
    Mme Elisabeth Guigou. A cela s'ajoutent le non-renouvellement des emplois-jeunes et l'arrêt de la distribution des bourses d'accès à l'emploi. D'ailleurs, monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous donniez des précisions sur ces sujets, et que vous ne vous contentiez pas de propos vagues.
    M. Gaëtan Gorce. Très bien !
    Mme Elisabeth Guigou. Que ferez-vous du programme Trace ? Combien y aura-t-il de bénéficiaires en 2003, alors que 120 000 étaient prévus dans le budget de 2002 ? Arrêterez-vous les bourses d'accès à l'emploi qui aujourd'hui ne sont plus distribuées ?
    M. Gaëtan Gorce. Très bien !
    M. Yves Jego. Elles n'étaient pas financées.
    Mme Elisabeth Guigou. Et ne me dites pas que ce sont les contrats jeunes qui permettront d'impulser la dynamique nécessaire à la baisse du taux de chômage. Les contrats jeunes ne sont pas une réponse. Pour donner des emplois aux jeunes, il faut créer de l'emploi et pas seulement changer l'ordre dans la file d'attente.
    M. Philippe Cochet. Il faut créer de vrais emplois !
    Mme Elisabeth Guigou. S'agissant du chômage des jeunes, c'est une politique d'accompagnement individualisé qui permet d'obtenir les meilleurs résultats, les résultats du programme Trace le montrent puisque près de 60 % des jeunes qui ont bénéficié de ce programme, et qui sont souvent sans qualifications et très éloignés de l'emploi, ont trouvé un emploi.
    En réalité, et ce sera mon deuxième point, votre projet traduit une vision de la place du travail dans la société qui n'est pas la nôtre.
    M. Hervé Novelli. C'est vrai !
    M. Guy Geoffroy. Nous le savions !
    M. Michel Herbillon. Enfin de la lucidité !
    Mme Elisabeth Guigou. Pour nous, le travail est bien entendu une valeur centrale, il est un élément déterminant du lien social, il donne à chacun son utilité sociale. Il n'est donc pas question de préconiser la fin du travail mais de voir comment, en fonction de l'évolution de la société et du rôle du travail lui-même, nous pouvons favoriser une meilleure harmonie entre le travail et la vie sociale. Le travail et la société changent. Le travail est probablement moins pénible physiquement qu'au début du siècle mais il est plus stressant, et pour nous la qualité du travail n'est pas séparable de la qualité de la vie sociale car la qualité du travail dépend aussi de la vie familiale, de la qualité des rapports sociaux dans l'entreprise, de la formation et de la culture de chacun.
    M. Yves Jego. Et des revenus !
    Mme Elisabeth Guigou. Quand 80 % des mères de famille travaillent, la question de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, pour les femmes mais aussi pour les hommes, devient une question centrale.
    Nous pensons qu'il faut adapter le travail aux rythmes sociaux. Comme le dit le chercheur Jean Viard, qui a consacré des études de fond aux 35 heures, « il y a clairement en Europe deux modèles : celui du rapport paritaire au travail où la France est leader, et celui du sous-emploi féminin - temps partiel ou inactivité - qui domine dans beaucoup de pays européens ». Nous avons clairement fait notre choix. Et ce choix en faveur du travail des femmes et du travail à temps plein, nous en sommes fiers.
    Ce choix n'a pas conduit à réduire la quantité du travail par ménage. Simplement, le travail est partagé entre l'homme et la femme au sein du ménage.
    M. Yves Jego. Il a réduit les revenus.
    Mme Elisabeth Guigou. La réduction du temps de travail, contrairement à ce qui a été dit sur de nombreux bancs de la majorité, n'appauvrit pas la France.
    M. Philippe Cochet. Evidemment si !
    Mme Elisabeth Guigou. Depuis le début du siècle, alors que le temps de travail a été fortement réduit, la productivité n'a cessé d'augmenter. Aujourd'hui, les salariés français sont parmi les plus productifs du monde. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    La France est aussi le pays où les coûts salariaux ont évolué le plus favorablement de 1997 à 2002, notamment grâce à la productivité et aux baisses de cotisations sociales des entreprises. La France est le pays européen où le nombre d'heures travaillées a le plus progressé en Europe ces dernières années, justement grâce à la réduction du chômage, dont les 35 heures sont un élément essentiel.
    M. Hervé Novelli. Non ! c'est grâce à la croissance !
    Mme Elisabeth Guigou. Il est vrai que si la productivité des salariés français est plus élevée qu'ailleurs en Europe, la richesse produite par habitant est plus faible. Il faut donc augmenter la quantité de travail. Bien sûr ! Mais la quantité de travail de qui ? Là est toute la question.
    M. Guy Geoffroy. De ceux qui le veulent !
    Mme Elisabeth Guigou. Notre priorité a été d'augmenter la quantité de travail en ramenant vers l'emploi les chômeurs, notamment les jeunes, les femmes, les personnes de plus de cinquante ans dont on se débarrasse prématurément pour embaucher des salariés plus jeunes. Il nous faut augmenter la quantité de travail par habitant, oui, mais d'abord de ceux qui n'ont pas de travail avant ceux qui en ont déjà un. Et quand on a encore 2,3 millions de chômeurs, il me semble que là devrait être la priorité.
    Je conclurai par là. Nous pensons qu'il ne faut pas revenir sur les 35 heures, qu'il faut, au contraire, les développer. Les 35 heures ne méritent pas la caricature dans laquelle vous avez voulu les enfermer. Elles font partie d'une politique d'ensemble, d'une certaine vision de la société, où chacun a sa part de travail, qui augmente la quantité de travail produite, où la productivité est forte parce que le temps de travail et les temps sociaux s'harmonisent. Je crois que les 35 heures correspondent au choix d'une société plus égalitaire, où le travail est mieux réparti,...
    M. Philippe Cochet. Et la richesse, vous la répartissez comment ?
    Mme Elisabeth Guigou. ... où le travail est de qualité pour les femmes comme pour les hommes.
    M. Hervé Novelli. Les Français ont choisi aux législatives !
    M. Edouard Landrain. Perseverare diabolicum !

    Mme Elisabeth Guigou. C'est à la fois un choix économique et un choix de société, certainement très différent du vôtre.
    Nous devons dire haut et fort que nous continuons à croire en ce choix, parce qu'à nos yeux, une meilleure harmonie entre le travail, la vie familiale et la vie sociale est en effet un choix de société important. Chaque homme, chaque femme doit pouvoir consacrer du temps, non seulement au travail, élément essentiel d'intégration sociale, mais aussi à l'éducation des enfants, à la culture, aux amis, à l'engagement associatif ou syndical.
    M. Philippe Cochet. C'est un choix personnel ! Nul besoin de légiférer pour cela !
    Mme Elisabeth Guigou. Les 35 heures voulaient créer cet équilibre, et c'est pour cela que nous n'acceptons pas leur remise en cause. Car nous croyons, nous la gauche, comme Bernanos,...
    M. Hervé Novelli. Bernanos était de droite !
    Mme Elisabeth Guigou. ... que « l'homme ne va bien que là où il va tout entier ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.
    M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir entendu la discussion d'hier soir, notamment, qui s'est prolongée fort tard, je me devais, ce matin, de faire le bilan des socialistes. Les défis que la majorité actuelle doit relever sont d'autant plus difficiles que la gestion socialiste, par des moyens autoritaires, a été aussi inefficace que dépensière. Dans le domaine de l'emploi, la politique suivie a engendré inégalités entre les salariés et alourdissement du coût du travail pour les entreprises.
    M. Yves Jego. C'est vrai !
    M. Nicolas Perruchot. C'est pourquoi, je crois, il était particulièrement nécessaire de légiférer dans ce domaine.
    L'UDF est en phase avec la volonté du Gouvernement, monsieur le ministre. Nous trouvons que tout ce qui va dans le sens de la simplification des textes, de la valorisation du travail, de la reconnaissance des salariés et des entreprises va dans le bon sens.
    M. Philippe Cochet. Très bien !
    M. Nicolas Perruchot. Comme vous, nous pensons qu'il y a urgence à légiférer.
    Il serait bon cependant de redire certaines vérités, car ce qui a fait perdre la gauche, tous les observateurs le disent, c'est d'abord sa gestion du dossier de l'emploi.
    M. Gaëtan Gorce. Et vous, pourquoi avez-vous perdu la cantonale de Blois ?
    M. Nicolas Perruchot. Ne vous inquiétez pas monsieur Gorce. A Blois, tout se passe bien !
    Pour vous défendre, vous avez vous-même, hier, annoncé des chiffres hallucinants, astronomiques : la RTT aurait créé 2 millions d'emplois, avez-vous dit, je crois.
    Mme Catherine Génisson. Non, ce n'est pas ce que nous avons dit !
    M. Nicolas Perruchot. Ces chiffres ont également été cités par M. Hollande, hier matin, à la radio. En fait, l'actuelle opposition peut simplement prétendre à quelque 300 000 créations d'emplois.
    M. Patrick Bloche. C'est ce qu'on a toujours dit !
    M. Nicolas Perruchot. Nous pouvons nous accorder sur ce chiffre : 300 000, soit seulement 18 % du total des emplois créés pendant la période.
    M. Patrick Bloche. Vous reconnaissez donc que nous avons créé des emplois !
    M. Nicolas Perruchot. De plus, quand on sait que la plupart de ces emplois sont des remplacements de postes et non des créations, on peut également s'interroger, me semble-t-il, sur la pertinence de ce dispositif. Tous les économistes le disent : c'est la croissance qui fait la majorité des emplois.
    M. Hervé Novelli. Il n'y a pas que les économistes qui le disent. C'est du bon sens.
    M. Nicolas Perruchot. Comme vous le disiez, monsieur le ministre, aucune réforme structurelle n'a été entreprise.
    Je souhaiterais aborder le point de l'harmonisation des SMIC. S'il était une mesure sociale à prendre d'urgence, c'est bien celle-là. De la précédente gestion, nous avons hérité d'un système kafkaïen et profondément inégalitaire. Les six SMIC ne sont que le résultat de l'application de la loi du 19 janvier 2000. A cette époque, l'opposition avait d'ailleurs alerté la majorité de gauche sur les risques que ce texte faisait courir au SMIC. Ce que l'actuelle majorité veut faire, c'est simplement mettre fin aux disparités engendrées par la loi sur les 35 heures.
    L'UDF pense donc, monsieur le ministre, que l'harmonisation sur le niveau du SMIC établi au 1er juillet 2002, prévue par le Gouvernement, est un bon système, une harmonisation par le haut, source de simplification et d'une meilleure lisibilité du salaire minimum garanti. Cette simplification marque le retour au postulat d'origine de ce dispositif - « à travail égal, salaire égal » - et permettra au SMIC de redevenir un vrai référent salarial.
    Evidemment, l'exercice de convergence sera difficile, tant les situations sont complexes. De plus, l'harmonisation des SMIC aura des conséquences sur l'ensemble de la grille salariale. Ceux qui gagnent moins que le SMIC, les RMIstes, par exemple, et ceux qui gagnent un plus plus que le SMIC réclameront sans doute, eux aussi, une réévaluation.
    Nous voulons surtout avertir le Gouvernement que l'urgence, pour les entreprises, et finalement pour les salariés aussi, est de réduire le coût du travail. Certes, l'allégement des charges compense le mécanisme de convergence, mais il ne le compense que partiellement : si la compensation est de deux tiers pour les entreprises qui ne sont pas encore passées aux 35 heures, elle est nulle, voire négative, pour les deux premières garanties mensuelles. Nous demandons donc, parallèlement, que soient mises en place des mesures tendant à réduire le coût du travail dans l'entreprise, puisque c'est la façon la plus efficace de promouvoir l'emploi.
    C'est l'idée des emplois francs, proposés par François Bayrou durant la campagne présidentielle, que nous voulons défendre. Pour ces emplois, les cotisations patronales seraient réduites à 10 % du salaire brut pendant une durée de cinq ans. Ils seraient limités en nombre : un pour un employeur individuel et deux pour une entreprise libérale ou une petite entreprise industrielle ou de service, dans la limite de 50 salariés. Un tel dispositif contribuerait à relancer l'emploi.
    S'agissant du volet heures supplémentaires, la méthode que vous recommandez est celle que nous promouvons depuis longtemps, véritable fracture par rapport aux habitudes du gouvernement précédent : la négociation salariale. Là encore, nous sommes en phase avec les objectifs que vous affichez.
    En même temps, beaucoup d'acteurs de terrain vous le diront, le projet de loi ne changera pas en profondeur la situation où nous nous trouvons.
    Le texte que vous nous proposez va trop loin, car il ne fait pas suffisamment confiance au dialogue social, justement. Vous auriez pu très vite, par simple décret, augmenter le contingent d'heures supplémentaires. Sur les autres dispositions, vous auriez pu demander aux partenaires sociaux de distinguer celles qui relèvent de l'ordre public social, du domaine du législateur, et celles qui doivent relever de la négociation collective. Vous auriez alors pu fixer un délai, au terme duquel vous auriez inscrit dans la loi, cette fois-ci, les modifications nécessaires, en concertation avec les partenaires sociaux.
    En résumé, monsieur le ministre, nous pensons, à l'UDF, que la législation doit aller après le dialogue social et non pas avant. Dès lors que la loi encadre, de quelle négociation peut-on parler ?
    En fait, le texte que vous nous proposez n'ouvre pas assez de marges de négociation pour les partenaires. Je m'explique. Prenons l'exemple du taux de majoration des heures supplémentaires. Vous voulez faire adopter une mesure législative supplétive à 25 %, avec un appel à négociation permettant aux partenaires de s'accorder sur un taux de 10 %, sans les autoriser à descendre sous ces 10 %. Cet appel à négociation nous semble vain : quel syndicat acceptera de négocier en dessous du seuil de 25 % ?
    M. Gaëtan Gorce. Très juste.
    M. Nicolas Perruchot. Sans doute une véritable concertation aurait-elle pu avoir lieu, par exemple pour déterminer ce qu'est l'ordre public social - à nos yeux, il doit se résumer principalement aux questions de santé et de sécurité - et ce qui doit, au contraire, entrer dans le champ de la négociation collective, comme les mécanismes du type compte épargne temps, le régime de modulation, les régimes des heures supplémentaires, les catégories des cadres. Certains de nos partenaires européens, l'Allemagne, par exemple, connaissent ce type d'architecture sociale. Ils nous semblent pouvoir être cités comme des exemples de démocratie du partenariat entre l'Etat et les acteurs du monde du travail. Il faut sortir de l'idée selon laquelle, en matière sociale, la légitimité du politique est plus forte que celle des partenaires sociaux.
    Dernier point, monsieur le ministre, le dispositif prévu pour les PME nous semble pertinent. Il leur apportera la souplesse nécessaire, en leur permettant de passer aux 35 heures dans de bonnes conditions. En outre, il prévoit un taux de majoration des heures supplémentaires plus adapté à leur situation économique.
    Il risque toutefois d'entraîner des disparités pour les salariés des PME, déjà moins bien traités. Nous craignons qu'il n'ait des conséquences néfastes sur l'attractivité de l'emploi dans les PME. C'est pourquoi nous vous demandons d'être particulièrement attentif au sort des salariés des PME, qui, dans la pratique, en termes financiers, bénéficient de conditions moins favorables.
    Vous voyez, monsieur le ministre, l'architecture que l'UDF appelle de ses voeux : un pays où la notion d'accord majoritaire aurait un véritable sens et une véritable portée, un pays où seraient définies explicitement, avec une véritable hiérarchie des normes sociales, les règles d'ordre public social. Cela demande de réfléchir sur la légitimité des partenaires sociaux et sur la notion d'accord majoritaire.
    Mais l'heure est à l'urgence, monsieur le ministre. Ce texte et un bon point de départ pour résoudre les problèmes les plus graves. Il pourra être amélioré au fur et à mesure des négociations et des concertations avec les partenaires sociaux. C'est pourquoi le groupe UDF le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Edouard Landrain.
    M. Edouard Landrain. En présentant, dès l'ouverture de la session, un projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, vous avez, monsieur le ministre, lancé un signal fort et répondu au message que nous a envoyé une majorité de Français lors des élections.
    Il faut en effet avoir écouté, ces derniers mois, ceux qui travaillent. Les questions qu'ils nous posaient étaient extrêmement simples : « Je gagne moins. Pourquoi ? Il me manque 1 000 ou 1 500 francs pour pouvoir payer les échéances de ma maison. Pourquoi ? »
    Il faut avoir écouté les artisans, qui s'étonnaient, le samedi, dans les magasins de bricolage, de voir des files ininterrompues de clients venant acheter du matériel, non pas pour bricoler chez eux, mais pour travailler au noir.
    M. Yves Jego. Très bien !
    Mme Catherine Génisson. C'est faux !
    M. Edouard Landrain. Il faut avoir entendu tout cela pour se rendre compte que quelque chose n'allait pas dans notre royaume de France, que ses dirigeants s'étaient trompés.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Il suffit de regarder ce qui se passe.
    M. Edouard Landrain. Beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, l'ont avoué, j'y reviendrai.
    Nombreux sont les Français qui ont le sentiment d'avoir été les grands oubliés de la précédente législature. Ces Français, ce sont les salariés les moins qualifiés, ces millions de personnes au SMIC, dont le pouvoir d'achat et les conditions de vie ont été mises à mal par la rigueur de l'application de la réduction du temps de travail.
    Loin d'être la grande conquête sociale dont l'opposition ne cesse de nous vanter les mérites, les 35 heures ont au contraire principalement bénéficié aux cadres des grandes entreprises, les ouvriers et les employés, pour leur part, voyant leurs conditions de travail se dégrader considérablement.
    Une étude sur les effets de la réduction du temps de travail, remise au précédent gouvernement par M. Jean Viard, du CNRS, dresse un état des lieux, un tableau sans ambiguïté des gagnants et des perdants des 35 heures. Globalement, elle montre que la courbe de satisfaction se calque sur celle de l'échelle sociale : les catégories socioprofessionnelles les plus élevées ont un taux de satisfaction plus important, sans doute en raison d'une plus grande maîtrise du temps libéré, alors qu'à l'inverse les catégories les moins favorisées sont davantage soumises à la modulation des horaires et aux variations quotidiennes difficiles à gérer. Les clubs de loisirs, les centre de voile, les clubs de tennis étaient effectivement très occupés par ceux qui avaient le temps et les moyens de se faire plaisir.
    Mme Muguette Jacquaint. Cela a créé du travail !
    M. Edouard Landrain. Par contre, les autres ramaient, ils ramaient et ils bricolaient, souvent chez les autres. Cela signifie que vous avez fait progresser le travail au noir, que vous avez donc nui à la croissance. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Richard Mallié. Très bien !
    M. Pierre Cohen. Quelle honte ! Comment peut-on dire cela !
    M. Edouard Landrain. Globalement, c'est pour les femmes que les écarts sont les plus marqués : alors que, chez les femmes cadres, le taux de satisfaction est de 70 %, il tombe à 40 % pour les femmes non qualifiées et les ouvrières.
    Le constat est identique s'agissant des conditions de travail. Les salariés percevant une amélioration de leurs conditions de travail sont principalement les cadres et les professions intermédiaires, tandis que ceux dont les conditions de travail se sont dégradées, du fait de l'augmentation des cadences, d'une polyvalence accrue et d'une perte d'autonomie, sont les ouvriers et les employés non qualifiés.
    Mme Martine Billard. La faute à qui ?
    M. Edouard Landrain. Comme si cela ne suffisait pas, les mêmes qui ont vu leurs conditions de travail devenir plus difficiles sont ceux dont le pouvoir d'achat a subi de plein fouet la rigueur salariale qui a accompagné, dans les entreprises, la mise en oeuvre des 35 heures. En valeur absolue, les salariés modestes, depuis trois ans, ont perdu entre 1 et 2 points de pouvoir d'achat, quand les cadres dirigeants voyaient le leur croître d'environ 40 %. Cette baisse du pouvoir d'achat s'explique tant par un mouvement général de gel des salaires que du fait de la diminution du nombre d'heures supplémentaires, qui représentaient traditionnellement, pour les bas salaires, un complément important.
    Au total, ce sont les Français dans leur ensemble qui ont été privés des fruits de la croissance. Ainsi, la hausse du pouvoir d'achat a été limitée à 0,4 % en 2000, année d'une croissance particulièrement favorable. Résultat, la France a reculé en matière de richesse par habitant : son PIB par habitant est désormais l'un des derniers des pays industrialisés.
    A cette rigueur salariale s'est ajoutée l'injustice des SMIC multiples. La question a déjà été évoquée par plusieurs de mes collègues ; je ne reviendrai donc pas sur cette bombe à retardement léguée par la précédente majorité. Avec les 35 heures, la gauche a mis fin - ce n'est pas le moindre des paradoxes - au principe « à travail égal, salaire égal », puisque, de fait, dans une même entreprise et sur un même poste, pouvaient coexister des salaires minimums de différents niveaux.
    Pénalisante pour une partie importante des salariés, la mise en place de la réduction du temps de travail ne s'est pas accompagnée d'une amélioration sur le plan de l'emploi, alors même que c'était sa justification initiale. Force est de constater que le dogme « travailler moins pour partager plus » a échoué. Au contraire, avec un taux de chômage à plus de 9 %, la France fait figure de mauvais élève de la classe européenne : cette contre-performance la situe au douzième rang. Pourtant, il faut le rappeler, nous sommes le seul pays à avoir imposé les 35 heures par la loi. Or, dans la même période, l'Allemagne et l'Italie ont créé proportionnellement autant de postes, les Etats-Unis un tiers de plus.
    Si notre pays, en quatre ans, a créé 1,5 million d'emplois, ce n'est pas grâce à la réduction du temps de travail. La bonne conjoncture internationale a fourni l'essentiel des bataillons : l'étude la plus récente de la DARES, qui date de septembre 2002, attribue à la réduction du temps de travail, depuis 1996, 300 000 emplois au mieux, soit seulement 18 % des emplois créés sur cette période. Et encore ces emplois sont-ils principalement dus aux allégements de charges qui ont accompagné la RTT. C'est donc très loin de ce que l'on nous promettait à l'époque du vote de la loi Aubry 2, puisque certains n'hésitaient pas à parler de 750 000 emplois. Mes chers collègues, souvenez-vous de ce que vous promettiez et comparez avec les résultats.
    M. Richard Mallié. Très bien !
    M. Gaëtan Gorce. Nous verrons bien quels seront les vôtres ! La comparaison sera intéressante !
    M. Edouard Landrain. Voilà ce qui vous a nui et qui continuera à vous nuire, puisque vous allez sans doute voter contre le projet de François Fillon.
    Peu efficace en matière de politique de l'emploi, la réduction du temps de travail s'est en revanche révélée un véritable gouffre pour les finances publiques. Au total, on atteint un coût d'aide publique unitaire moyen par emploi créé de 52 000 euros ! La sécurité sociale a été lourdement mise à contribution, ses différentes branches étant régulièrement siphonnées pour alimenter le FOREC. Vous vous êtes livrés à un tour de passe-passe, à des manipulations extraordinaires dont on se rappellera longtemps et qui vous feront sûrement mériter un nom dans l'histoire.
    M. Gaëtan Gorce. Nous verrons, dans quelques jours, quel est l'état des comptes sociaux !
    M. Edouard Landrain. Les acrobaties comptables auxquelles s'est livré le précédent gouvernement pour assurer le bouclage financier de sa réforme ont contribué à aggraver le déséquilibre des comptes de la sécurité sociale, dont nous découvrons aujourd'hui l'ampleur.
    Ce tableau peu glorieux, certains, dans l'opposition, font mine aujourd'hui de le nier et voudraient faire de la majorité et du Gouvernement les tombeurs de la grande conquête sociale de ces dernières années. Pourtant, ils étaient moins nombreux, après les élections, à défendre les 35 heures. Certains même, François Fillon l'a rappelé, n'ont pas eu de mots assez sévères pour en qualifier les effets.
    La liste a été donnée hier : M. Fabius, Mme Lienemann, M. Kouchner. Je m'arrêterai deux minutes sur M. Kouchner, parce que c'est lui qui a été le plus acerbe.
    Mme Muguette Jacquaint. Parlez-nous des salariés !
    M. Edouard Landrain. Je rappellerai simplement l'une de ses déclarations : « La façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été, c'est évident, l'une des raisons fortes de l'échec de la gauche. Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les 35 heures, sauf des cadres supérieurs qui étaient, eux, très heureux. » Et M. Kouchner poursuit : « Nous sommes allés trop vite. Et en particulier moi, à l'hôpital, où j'assume ma propre part de responsabilité. » On sait en effet ce que cela donne : les 35 heures font le désespoir du monde hospitalier et des malades. Pour une fois, M. Kouchner avait une juste vision des choses. Cette lucidité, il est regrettable qu'elle ne soit pas plus partagée aujourd'hui sur les bancs d'une opposition dont nous avons bien compris qu'elle cherchait avant tout à se refaire une santé politique à l'occasion de ce débat.
    M. Michel Herbillon. Elle a du travail !
    M. Edouard Landrain. Heureusement, le projet de loi dont nous discutons laisse peu de prise à la caricature, car, comme l'a fort justement dit le ministre des affaires sociales, c'est un texte équilibré, qui vise autant l'efficacité économique que le progrès social. Il rompt, tant dans la philosophie qui l'inspire que dans ses modalités pratiques, avec la politique précédemment menée. Conformément aux engagements du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement,...
    M. Gaëtan Gorce. Parlons-en !
    M. Edouard Landrain. ... les salariés les moins rémunérés vont pouvoir bénéficier d'un gain substantiel de pouvoir d'achat qui devrait aider à relancer la consommation et à alimenter une croissance en panne.
    Le texte va ainsi permettre aux salariés de faire plus d'heures supplémentaires, ce qu'ils demandent, sans pour autant qu'ils y soient obligés car la fixation du contingent d'heures supplémentaires sera désormais déterminée prioritairement par la négociation. Enfin, la négociation ! Vous étiez en panne de dialogue social avec les entreprises, les syndicats. Vous les négligiez,...
    M. Gaëtan Gorce. Pas du tout !
    M. Edouard Landrain. ... vous les obligiez et vous avez eu le retour de bâton, car ce sont eux-mêmes qui vous ont dénoncés et vous ont montré que vous vous étiez trompés.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Eh oui ! Ils ne vous ont pas entendus !
    M. Edouard Landrain. Certains dans l'opposition dénoncent à ce sujet une régression sociale, une victoire des employeurs sur les salariés. Cessons d'opposer systématiquement les intérêts des uns à ceux des autres : la possibilité de travailler plus permet de produire plus certes, mais aussi de gagner davantage,...
    Mme Martine Billard. Onze euros par mois !
    M. Edouard Landrain. ... car il convient d'ajouter au paiement de l'heure une majoration.
    Le niveau de celle-ci pourra être négocié dans les branches avec un plancher de 10 %. A défaut d'accord, c'est le taux actuel de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires qui s'appliquera. Garantie supplémentaire s'agissant de la « qualité » des accords signés, le Gouvernement aura toujours la capacité de refuser l'extension à un accord qui aurait été signée par une confédération ne représentant qu'une partie très minoritaire des salariés dans la branche concernée.
    La possibilité de faire plus d'heures supplémentaires pour les salariés s'accompagne d'un effort sans précédent sur le SMIC, puisque le projet de loi propose un schéma d'harmonisation par le haut permettant de sortir de l'impasse économique et sociale des SMIC multiples. Il convient ici de saluer le sens de la responsabilité du Gouvernement qui met en oeuvre un processus qui devrait permettre de revenir, en 2005, à un SMIC unique, conformément à ses engagements et suivant en cela l'avis émis par le Conseil économique et social. Il ne faut pas négliger ce dernier. Ses membres sont des gens de qualité, qui réfléchissent. Ils ne sont pas du tout pressés par les événements politiques et nous ont donné une leçon de sagesse. Il serait bon qu'à gauche en particulier on les écoute de temps en temps. Concrètement, le rattrapage va se traduire, pour plus de 46 % des salariés actuellement rémunérés au SMIC horaire, par une augmentation de près de 11,4 % sur trois ans. En tenant compte de l'évolution des prix, cette hausse devrait atteindre 16 %. Au total, 80 % des salariés verront leur pouvoir d'achat augmenter. Pour les autres, il sera garanti, la hausse des prix étant évidemment répercutée.
    L'attitude ambiguë de l'opposition qui, à défaut de pouvoir réellement critiquer cette harmonisation par le haut, tente maladroitement de nous faire des procès d'intention n'est sans doute que la conséquence de son amertume, car ce qu'elle a été incapable de faire, le Gouvernement est en train de le réaliser. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Il rétablit l'équité entre les salariés et revalorise les bas revenus.
    En agissant, nous contribuons à redonner au travail toute sa valeur, à la fois comme facteur essentiel d'épanouissement personnel et comme force structurante des rapports dans notre société. Nous le savons, pour certains chômeurs le retour à l'emploi n'est pas toujours nécessairement bénéfique sur un plan strictement financier, le différentiel entre les revenus de l'assistance et ceux du travail n'étant pas toujours incitatif. Si nous voulons redonner le goût d'entreprendre, alors il est indispensable de revaloriser la rémunération du travail et d'offir à chacun les chances d'une véritable promotion professionnelle. C'est déjà ce qui a été entrepris en direction des jeunes peu qualifiés avec le contrat sans charge.
    Quant aux entreprises, la souplesse accrue dont elles vont pouvoir bénéficier est le signe positif qu'elles attendent. Cette souplesse, demandée par tous, est indispensable, car nous ne pouvons pas occulter l'environnement international particulièrement difficile dans lequel doivent se battre nos entreprises. Avec la réduction du temps de travail, la durée moyenne collective a chuté à 36 heures par semaine, alors que les Américains travaillent plus de 42 heures et les Allemands plus de 40 heures. Si nous voulons rester compétitifs, il faut alors donner à notre économie les moyens de l'être.
    Monsieur le ministre, nous ne pouvons que nous féliciter des orientations de votre projet de loi : concilier l'efficacité économique, à travers votre dispositif d'allégement des charges, et le progrès social est une ambition à laquelle chaque député du groupe UMP ne peut qu'adhérer pleinement. Aussi voterons-nous ce texte avec enthousiasme et confiance, en espérant qu'il permettra aux millions de Français de participer pleinement à la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.
    M. Patrick Bloche. Comment ne pas être saisi d'une sorte de vertige en abordant ce débat si l'on songe au nombre d'heures passées dans cet hémicycle à élaborer patiemment, aux côtés de Martine Aubry, deux lois, en 1998, puis fin 1999, qui, en réduisant la durée hebdomadaire de travail, ont provoqué une profonde dynamique de négociation dans nos entreprises ?
    M. Richard Mallié. Quel toupet !
    M. Patrick Bloche. Entre 1998 et 2001, ce sont ainsi des dizaines de milliers d'accords qui ont été signés chaque année touchant non seulement à la réduction et à l'aménagement du temps de travail, mais aussi aux conditions de travail, à l'organisation générale dans l'entreprise ou aux rémunérations. C'est cette vraie richesse sociale, avec ses conséquences économiques très directes - 300 000 emplois ont ainsi été créés par le gouvernement de Lionel Jospin -, que vous nous demandez aujourd'hui de remettre fondamentalement en cause. Et il y a fort à parier qu'il ne faudra sans doute que quelques jours de débat parlementaire avec, à la clé, un vote conforme pour mettre à bas la savante architecture des 35 heures née, avant tout, du dialogue social. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Herbillon. « Savante » est de trop !
    M. Marc Laffineur. N'importe quoi !
    M. Patrick Bloche. Car c'est bien d'un démantèlement systématique qu'il s'agit et non de ce prétendu assouplissement que vous avez voulu médiatiser, craignant sans doute la réaction d'une large majorité de nos concitoyens : près de 60 % des salariés estiment en effet qu'avec les 35 heures leurs conditions de travail se sont améliorées, 13 % seulement jugeant le contraire.
    Lors de l'élaboration même de votre projet de loi, vous avez souhaité donner le ton. Devant la Commission nationale de la convention collective, vous aviez pourtant déclaré que votre méthode était celle de la concertation. Les organisations syndicales n'ont pas eu le temps de vous prendre au mot. En effet, leur présentant votre pré-projet le matin, vous en modifiiez le contenu de manière importante l'après-midi même.
    Il est vrai que le doublement brutal des cotisations des intermittents du spectacle, validé au coeur de l'été, nous avait déjà instruits sur la manière délibérément unilatérale dont vous vous attaquez au droit du travail. Sur fond de revanche sociale, le MEDEF guide vos pas (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle) et les rodomontades de M. Seillière n'ont trompé personne. Si on peut saluer l'artiste, comment, en effet, être dupe d'une répartition des rôles si peu discrète ?
    M. Michel Herbillon. C'est un peu caricatural !
    M. Pierre Cohen. Juste un peu !
    M. Patrick Bloche. La vérité, c'est que le projet de loi que vous nous proposez est un antidote au dialogue social.
    M. Marc Laffineur. Vous vous y connaissez !
    M. Patrick Bloche. Vous lui tournez d'ailleurs volontairement le dos lorsque vous augmentez par décret de 130 à 180 heures le contingent d'heures supplémentaires permettant aux employeurs, selon leur seul et bon plaisir, de « revenir aux 39 heures », de l'aveu même du Premier ministre.
    M. Michel Herbillon. C'est vous qui avez mis en panne le dialogue social !
    M. Patrick Bloche. S'agissant de la rémunération de ces heures supplémentaires qui était définie par la loi et que vous renvoyez à la négociation, je pointe un risque majeur : celui de faire de la négociation un facteur non de progrès, mais de régression sociale. Dans le système que vous voulez mettre en place, nombre de salariés auront ainsi intérêt à ce qu'il n'y ait pas de négociation. En effet, dans ce cas, la loi, qui devient alors protectrice, s'applique, et tout risque de diminution du taux de rémunération disparaît de fait.
    M. Pierre Cohen. C'est vrai !
    M. Patrick Bloche. Au-delà du pragmatisme que vous affichez, votre texte est d'inspiration très classiquement libérale. C'est, bien entendu, tout d'abord la suppression de toute contrepartie aux allégements de cotisations sociales accordés aux entreprises qui s'élèveront - excusez du peu ! - à 15 milliards d'euros. C'est aussi, et de manière plus profonde, un recul du rôle protecteur de l'Etat, garant de la justice sociale, que vous nous demandez d'avaliser, et cela dans le cadre d'un développement particulièrement perceptible des inégalités entre les salariés des différents secteurs de notre économie.
    Les atteintes que votre projet de loi porte aux droits au repos compensateur, sous prétexte de simplification, sont ainsi révélatrices d'une démarche qui conduit à supprimer des protections dont l'Etat, par la loi, était jusqu'à présent le garant. Aussi, comment ne pas considérer que la politique de votre gouvernement constitue un flagrant retour en arrière dans la conception même de ce que doivent être les relations sociales et le rôle joué par la puissance publique dans un pays comme la France ?
    M. Gaëtan Gorce. Très bien !
    M. Patrick Bloche. Dans ce même hémicycle, il y a quelques décennies de cela, Léon Blum déclarait à nos déjà lointains prédécesseurs (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française)...
    M. Michel Herbillon. C'est actuel ! Il a parlé des 35 heures, Blum ?
    M. Patrick Bloche. Honneur à lui et honneur au Front populaire ! Léon Blum, donc, déclarait : « Vous savez, ce que nous essayons de faire, c'est une organisation économique et sociale nouvelle dans le cadre d'un pays libre, entre des organisations patronales et syndicales libres, sous l'égide ou l'arbitrage d'un gouvernement soumis à un Parlement souverain et, par conséquent, dans le cadre d'une démocratie. » Cette « feuille de route », qui fut également en son temps celle du gaullisme social, aurait pu être la vôtre, monsieur le ministre.
    M. Guy Geoffroy. Vous n'êtes vraiment pas le mieux placé pour parler du gaullisme !
    M. Patrick Bloche. Ce n'est visiblement pas le cas, et force est de constater que vous lui avez préféré le cahier des charges du MEDEF.
    Plus incompréhensible sans doute est le fait qu'après la suppression des emplois-jeunes et la diminution, particulièrement condamnable, des emplois aidés vous cassiez avec autant de légèreté et de rapidité un outil essentiel de la politique pour l'emploi, alors même que le chômage repart à la hausse. A cet égard, la réponse plutôt courte que vous avez donnée à notre collègue Hélène Mignon, lors de la séance des questions au Gouvernement d'avant-hier, n'a pu qu'accentuer ce manque de visibilité que nous ressentons sur les grands objectifs sociaux que vous prétendez poursuivre.
    Ce qui est clair, en revanche, c'est que vous avez fait le choix de vous positionner à contre-courant des évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps, et tout particulièrement au temps de non-travail. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 1948, le temps de travail était de 120 000 heures annuelles dans une vie de 600 000 heures. Aujourd'hui, depuis l'instauration des 35 heures, le temps de travail s'élève à 63 000 heures dans une vie de 700 000 heures. Soit 96 000 heures de vie en plus, 57 000 heures de travail en moins. En un demi-siècle, la vie de non-travail a gagné près de 150 000 heures.
    Parce qu'il occupe une place majoritaire dans le temps social, le temps libre n'est plus ce résidu, ce seul repos nécessaire à la reproduction de la force de travail, mais un temps pour soi, un temps autonome, investi de sens, qui produit ses propres normes et valeurs. Comme le souligne le sociologue Jean Viard, dans le rapport qu'il avait remis à Elisabeth Guigou sur les effets des 35 heures, « le temps libre devient la trame de fond du temps social ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) D'autant plus que la France a fait depuis longtemps le choix d'un modèle paritaire du travail court, très productif et à forte valeur ajoutée, choix qui n'est pas sans conséquence sur la masse de temps libre disponible.
    C'est la raison pour laquelle le passage aux 35 heures n'est apparu ni comme une rupture ni comme une révolution, mais pluôt comme un « accélérateur de mutations » déjà à l'oeuvre dans notre société. La grande force de ce que nous avons voté il y a quatre ans réside moins dans la baisse quantitative du temps de travail que dans l'arythmie nouvelle que les 35 heures ont dessinée et dans le gain de liberté qu'elles ont procuré. Et si l'adhésion à une telle mesure a été aussi forte chez nos concitoyens (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle), c'est parce qu'elle a déplacé le centre de gravité du temps social du travail vers l'individu.
    La loi sur la réduction du temps de travail a su ainsi répondre à deux exigences fortes : le manque de travail pour les uns et le manque de temps pour les autres. Elle témoigne ainsi que les notions de solidarité et de liberté, loin d'être opposées, sont au contraire fortement liées. C'est à ce temps « choisi », pour reprendre l'expression que Jacques Delors employait à une époque où la durée hebdomadaire de travail était encore de 40 heures, c'est donc à ce temps choisi, à ce temps libéré, que vous vous attaquez. C'est un vrai projet de société que vous remettez frontalement en cause aujourd'hui. Craignez, monsieur le ministre, que nos concitoyens ne prennent très rapidement conscience des conséquences de vos choix pour eux, dans leur vie personnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, avec ce projet de loi le Gouvernement fait semblant de prendre en compte le ressentiment de certaines catégories de salariés envers les deux lois de RTT de 1998 et 2000. Cependant, dans les faits, il remet en cause les avancées positives de ces lois et aggrave les dispositifs de flexibilisation imposés aux salariés. Certaines dispositions du texte vont bien au-delà d'un simple « assouplissement des 35 heures » - beauté du langage politique ! - puisqu'elles s'attaquent à des acquis sociaux antérieurs aux 39 heures.
    En incitant à l'abaissement du taux minimum de majoration des heures supplémentaires, le Gouvernement se moque des catégories de salariés qui s'étaient senties fragilisées au cours de ces années d'expérimentation des 35 heures, alors qu'il prétend les défendre en leur « rendant le droit au travail ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Les salariés veulent-ils gagner plus ? C'est évident pour les salariés à bas salaire. Les salariés veulent-ils travailler plus ? Non, s'ils ont les moyens de gagner correctement leur vie autrement. M. Gaillard nous a parlé d'une entreprise idéale. Visiblement, nous n'avons pas fréquenté les mêmes PME car beaucoup de salariés de ces entreprises ne sont pas dans la situation idéale où ils pourraient discuter tranquillement avec le chef d'entreprise de leur envie ou non de faire des heures supplémentaires.
    De quelle valeur travail parlez-vous à la caissière de supermarché ou au livreur de pizzas payé au SMIC à temps partiel, aux salariés de MacDonald's ou des call centers ? S'ils font ce travail, c'est souvent faute de trouver autre chose. De quelle valeur travail allez-vous parler à tous ces salariés de cinquante ans menacés aujourd'hui par des plans de licenciements ?
    Aussi les Verts ne font-ils pas leur deuil de la réduction du temps de travail. Les imperfections contenues dans les lois de juin 1998, et plus encore de janvier 2000, justifient non pas un démantèlement complet du dispositif, mais au contraire une amélioration. « Travailler moins pour travailler tous » demeure pour nous un objectif de progrès social, de mieux-vivre, rendu possible par les avancées technologiques.
    S'agissant des petites entreprises de moins de vingt salariés, plutôt que de continuer la politique frileuse de gel des 35 heures, vous feriez mieux de concentrer les aides sur les très petites entreprises créatrices d'emplois au lieu d'aider indifféremment les entreprises en réelle difficulté et celles qui versent des stock-options et licencient au nom du seul intérêt des actionnaires.
    Avec ce projet de loi, vous proposez l'extension de l'annualisation du calcul du temps de travail par abandon de la référence à la durée hebdomadaire du travail pourtant issue d'une bataille livrée pendant des décennies par les salariés. Alors, effectivement, oui, il y a une différence entre vous et nous ! Il y a une différence entre les intérêts des patrons et ceux des salariés, et la bagarre sur la durée du temps de travail a traversé tout le XXe siècle.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Les salariés vous ont répondu !
    Mme Martine Billard. Ils n'ont pas répondu à un référendum sur les 35 heures. Ils ont élu un Président de la République et des députés. Ce n'est pas la même chose !
    Alors que les vagues de licenciements économiques se multiplient, vous proposez comme unique politique d'emploi des baisses de cotisations sociales patronales sans aucune obligation, sans aucune contrepartie. Profitant de l'angoisse de certaines catégories déjà fragilisées de salariés, pour qui, à juste titre, il ne peut y avoir de réduction du temps de travail profitable sans un minimum de garanties sociales, vous nous présentez une loi de véritable régression sociale. Mais oui, de régression sociale ! Et nous verrons dans les mois à venir ce qu'en pensent les salariés.
    Vous nous proposez des temps d'annualisation ainsi que des temps de forfait-jours, dispositif contre lequel de nombreux cadres se sont élevés, car il se traduit, dans beaucoup d'entreprises, non par une réduction mais par une augmentation du temps de travail.
    Bref, toutes les mesures que vous nous annoncez visent à démanteler l'ensemble des protections sociales construites pendant des décennies par la loi et aussi par les luttes dans les grandes et les petites entreprises. Et justement, l'intérêt de la loi sociale, c'était que dans les petites entreprises, où il est plus difficile de construire des sections syndicales et où, très souvent, il n'y a pas de délégué du personnel, les salariés se sentaient défendus, protégés par le cadre légal.
    Avec votre texte, monsieur le ministre, vous remettez en cause l'unité des statuts du salariat. Vous créez la division entre salariés des grandes entreprises et des petites entreprises, visiblement dans l'attente d'autres projets de loi. C'est comme si, au nom de la liberté, vous introduisiez un renard dans le poulailler, en refusant aux poules la possibilité de se réfugier sur des perchoirs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Michel Herbillon. L'image est audacieuse !
    M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen.
    M. Pierre Cohen. Je souhaiterais, en préalable, monsieur le ministre, vous exprimer mon indignation, car, quelques mois à peine après votre arrivée au Gouvernement, vous avez choisi de remettre en cause une avancée aussi emblématique que la loi sur la réduction du temps de travail mise en oeuvre par Martine Aubry et Lionel Jospin. Que cette loi ait été pendant cinq ans le symbole du combat du MEDEF contre la gauche, à cela rien d'étonnant ! Mais que vous ayez choisi d'emblée de la mettre à mal apparaît comme revanchard et surtout dogmatique.
    M. Pierre-Louis Fagniez. Pas du tout !
    M. Pierre Cohen. Votre projet de loi attaque sans scrupule des avancées sociales et économiques notoires.
    Souvenons-nous des critiques qui nous ont été adressées tout au long de la campagne des législatives et que vous avez reprises, monsieur le ministre, dans vos propos d'hier. Qu'avons-nous entendu ? Que la loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail avait été appliquée de façon autoritaire et sans concertation.
    M. Michel Herbillon. C'est la stricte vérité !
    M. Pierre Cohen. Essayons d'en juger sur pièces, moncher collègue. Cela mérite, vous le concevrez, un petit retour en arrière.
    Tout d'abord, l'application de la RTT est le fruit d'un dialogue social reconnu. La loi du 13 juin 1998 a créé une dynamique de négociation dans de très nombreuses entreprises. Le dispositif de RTT a été voté en deux étapes : la première loi fixait un cadre dans lequel une grande latitude était possible ; la deuxième a pris en compte deux années de dialogue et de concertation, des centaines de contrats signés, de nombreux accords de branche.
    Mais jugeons aussi sur pièces ce que vous avez fait de votre côté. Comme avez-vous opéré pendant ces mois d'été ? Vous vous êtes contentés de quelques réunions qui se sont soldées par un désaccord avec les syndicats et par des critiques de façade et de circonstance de la part du MEDEF. Alors, quel est le gouvernement du dialogue social ? Certainement pas le vôtre !
    Qu'avons-nous entendu aussi ?
    Vous nous avez reproché de voter une loi porteuse d'inégalités, instaurant un salariat à deux vitesses et particulièrement bénéfique pour les cadres. Or sa mise en place, deux ans après le vote, n'était pas totalement achevée alors que le temps devait participer à son harmonisation. De plus, on conçoit aisément que des dispositifs de cette ampleur puissent s'accompagner parfois de blocages ou de freins : souvenons-nous de l'application des congés payés ou des 40 heures.
    Par contre, ce que vous nous proposez aujourd'hui, c'est de creuser une inégalité irréversible au sein du salariat entre ceux qui ont déjà bénéficié de la réduction du temps de travail et ceux qui n'y accéderont jamais avec, en prime, la flexibilité pour une faible progression du pouvoir d'achat. Arrêtez de faire croire, monsieur le ministre, que ce sont les salariés eux-mêmes qui décideront de faire des heures supplémentaires.
    M. Patrick Bloche. Très bien !
    M. Pierre Cohen. La question se pose alors de savoir à qui profiteront ces nouvelles dispositions. Mais le doute n'existe plus. D'ailleurs, les représentants syndicaux commencent à faire remonter leurs craintes dans nos permanences.
    Qu'avons-nous entendu encore ? Que le dispositif de RTT était contre-productif et bloquait le développement des entreprises.
    Or, vous le savez même si vous feignez de l'oublier, sur les deux millions d'emplois créés en cinq ans, 400 000 sont le fruit des contreparties du temps libéré. Et souvenez-vous qu'au cours de cette période, le taux de chômage est passé de 12,3 % à 9 %.
    Comment pouvez-vous nous faire croire que la flexibilité que vous introduisez et la libéralisation des heures supplémentaires à faible coût ne détourneront pas les chefs d'entreprise de l'embauche ? Quand vous parlez d'emploi, c'est de la supercherie ! Prenons date et faisons le point de manière objective dans quelques mois. Mais je pense, monsieur le ministre, que vous invoquerez, comme vous l'avez fait hier et avant-hier, les effets de la conjoncture internationale, les effondrements boursiers et surtout - c'est votre argument favori - le bilan Jospin.
    Au-delà des aspects quantitatifs qui parlent d'eux-mêmes - on vient de le voir -, il est bon de noter que la réduction négociée du temps de travail a eu aussi des effets notoires sur le plan qualitatif.
    Tout d'abord, l'amélioration des conditions de travail, ce qui contribue à alléger la fatigue, donc globalement moins d'accidents et de problèmes de santé. Ce réel progrès est aussi source d'économies, mais je ne suis pas sûr qu'il entre dans vos préoccupations.
    Ensuite - et c'est là que nous divergeons profondément - la RTT a introduit un changement culturel, chez les jeunes en particulier, qui se sont très vite appropriés ce dispositif car il reflète parfaitement leur volonté de changer de culture dans le travail. Beaucoup y ont vu le moyen de rétablir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Revenir sur ces avantages est donc vécu par la plupart d'entre eux comme une remise en cause des acquis sociaux. D'ailleurs, près de 60 % des salariés bénéficiaires de la RTT sont favorables au statu quo.
    Le temps libéré, c'est aussi du temps pour se former et du temps pour s'engager dans des tâches d'intérêt général, surtout dans une période où l'on parle davantage de consommateurs que de citoyens. Pourquoi ne pas évoquer ceux qui mènent des actions dans leur quartier, dans leur commune, plutôt que de répéter à l'envi que seuls les cadres, grâce à leur salaire, ont pu profiter de la réduction du temps de travail en parlant uniquement des loisirs ?
    Le temps libéré, c'est aussi un défi pour la jeunesse. A l'heure où le Gouvernement se targue de faire payer l'absentéisme à l'école aux familles, comment occulter l'effet bénéfique de la présence des parents auprès de leurs enfants ? Nous vivons ici un vrai paradoxe, car, en augmentant le temps de travail, vous participez aussi à la fracture familiale.
    Monsieur le ministre, je ne sais si les manuels d'histoire vont vous répertorier comme un ministre antisocial(Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française), mais une chose est sûre, c'est que vous oeuvrez largement pour devenir le seul ministre de l'allongement du temps de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.
    Mme Chantal Brunel. Permettez, monsieur le ministre, à une nouvelle élue de vous dire la fierté qu'elle a de soutenir ce texte utile, et à la femme de terrain de vous exprimer ses attentes.
    Ce projet de loi est un texte attendu par beaucoup. Il redonne sens à un pricipe fondateur de notre Constitution : l'égalité. Comment justifier en effet qu'un travail identique, qui nécessite les mêmes compétences techniques, soit payé plus ou moins cher de l'heure, selon la taille de l'entreprise et sa date de passage aux 35 heures ?
    M. Guy Geoffroy. Très bien !
    Mme Chantal Brunel. Il y a là une injustice évidente, instaurée par le gouvernement précédent, qui, pourtant, se réclamait de la justice sociale.
    L'harmonisation des SMIC est pour nous une ardente obligation. Elle a certes un coût, que l'allégement des charges tend à compenser. Elle n'est pas non plus sans conséquences sur la pyramide des salaires. A une époque où les prix des produits vendus par les entreprises sont soumis à une très forte pression, cela va générer une détérioration des marges.
    L'augmentation de 130 à 180 heures du quota d'heures supplémentaires autorisé va permettre aux salariés de travailler plus et de gagner plus, et aux entreprises d'acquérir une réelle souplesse. Il faut le savoir, la souplesse est vitale pour les petites entreprises. C'est le petit « plus » qu'elles ont face à la concurrence des grosses. Une entreprise n'existe que par ses clients. Ceux-ci sont de plus en plus exigeants en matière d'écoute, de qualité et de délais, des délais toujours plus courts qui exigent une disponibilité toujours plus grande.
    Il aurait peut-être fallu, monsieur le ministre, aller un peu plus loin dans l'assouplissement des heures complémentaires pour les salariés à temps partiel.
    M. Michel Françaix. Toujours plus !
    Mme Chantal Brunel. Aujourd'hui, le nombre de ces heures ne peut être supérieur au dixième de la durée hebdomadaire du travail prévue au contrat. On aurait peut-être pu aller jusqu'à 20 % avec un délai de prévenance suffisant. Il vaut mieux libéraliser le travail à temps partiel que laisser des gens en dehors de l'entreprise, dans l'assistanat.
    Mme Muguette Jacquaint. C'est ça, la modernisation sociale !
    Mme Catherine Génisson. Surtout pour les femmes !
    Mme Muguette Jacquaint. Elles apprécieront !
    Mme Chantal Brunel. Je comprends bien la volonté du Gouvernement de soutenir les bas salaires pour des raisons de promotion sociale. Permettez-moi toutefois, monsieur le ministre, de regretter que l'on supprime l'aide pérenne de 609 euros. Cette suppression va pénaliser les salaires à plus haute valeur ajoutée alors qu'ils sont essentiels dans une société de technologie ouverte sur le monde, où la matière grise est l'avenir de notre pays.
    Il est regrettable que ce projet qui choisit de consacrer les ressources publiques à l'allégement des charges sur les bas salaires, le fasse au détriment des salaires à valeur ajoutée.
    Mme Catherine Génisson. C'est Mme MEDEF !
    Mme Chantal Brunel. Je sais bien que les contraintes budgétaires sont là, que l'héritage financier est beaucoup plus lourd que prévu,...
    M. Guy Geoffroy. Eh oui !
    Mme Chantal Brunel. ... mais l'ensemble des sociétés de service, des entreprises qui sous-traitent et exportent, sont un peu pénalisées.
    Puis-je également regretter que les salariés non cadres dont les horaires ne peuvent être prédéterminés soient sortis du forfait des 217 jours travaillés ? Comment contrôler et donc calculer les horaires de cette catégorie de personnel ? Je pense, bien sûr, aux commerciaux, aux forces de vente, qui travaillent souvent toute la semaine à l'extérieur de l'entreprise. Cette mesure va entraîner des litiges et faire les délices des prud'hommes sur le paiement d'heures supplémentaires non contrôlées mais réclamées.
    M. Michel Françaix. Supprimons les prud'hommes !
    Mme Chantal Brunel. Je ne suis pas sûre que ceux qui ont soutenu cette décision agissent dans l'intérêt de leurs propres troupes. La vente par internet va se substituer de plus en plus au contact direct et humain du commercial.
    Permettez-moi d'ajouter quelques remarques complémentaires.
    Il conviendrait que la négociation sur la majoration des heures complémentaires se fasse au plus près du terrain, comme le veut, à juste titre, la politique générale du Gouvernement, donc au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, selon la taille.
    Il faut clarifier les périodes d'astreinte, dont les modalités ont beaucoup évolué avec la généralisation des portables. L'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 a pour conséquence d'interdire de mettre en astreinte un salarié qui a travaillé durant la semaine.
    M. Gaëtan Gorce. Déposez des amendements si vous n'êtes pas d'accord !
    Mme Chantal Brunel. Là encore, il faut laisser la négociation s'établir et permettre aux accords d'entreprise de régler cette question avec les contreparties appropriées pour les salariés concernés.
    Enfin, permettez-moi de vous dire que la femme de terrain...
    Mme Muguette Jacquaint. Quel terrain ?
    Mme Chantal Brunel. ... immergée dans le monde de la petite entreprise souhaiterait vivement qu'une mission parlementaire soit créée pour passer au crible toutes les aides aux entreprises. Ces aides, qui proviennent du département, de la région, de l'Etat et même de Bruxelles, créent des distorsions de concurrence.
    Mme Catherine Génisson. Ça, c'est vrai !
    Mme Chantal Brunel. Elles profitent essentiellement aux grandes entreprises qui ont les collaborateurs compétents et les moyens financiers suffisants pour payer des sociétés spécialisées dans la chasse aux aides. Tout cela est contreproductif et coûte cher à l'Etat. Tout cela n'est pas très bien compris par nos concitoyens, qui y voient du favoritisme. De très nombreuses entreprises ne sont pas demandeuses d'aides ni de subventions, mais de règles claires et durables, et surtout d'une baisse généralisée des charges sur les salaires.
    Ce travail d'élagage des aides est indispensable. Les économies réalisées pourraient être intégralement utilisées à l'abaissement des charges sur tous les salaires. L'urgence est là.
    Mme Catherine Génisson et Mme Muguette Jacquaint. Et la formation ?
    Mme Chantal Brunel. Bien sûr ! Je parle d'élagage, pas de suppression. Il est bien évident que deux catégories d'aides sont importantes : les aides à la formation professionnelle, quoiqu'il faille vérifier le sérieux de certaines formations,...
    Mme Catherine Génisson. C'est sûr !
    Mme Chantal Brunel. ... et le soutien à la recherche.
    Votre projet de loi, monsieur le ministre, participe du souci d'alléger les charges qui pèsent sur les salaires,...
    M. Gérard Bapt. Ce sont des cotisations, non des charges !
    Mme Chantal Brunel. ... en particulier les plus faibles. Je le voterai avec enthousiasme. Mais il faudrait aller plus loin, notamment en redistribuant l'argent de certaines aides plus ou moins utiles pour réaliser une diminution générale des charges. Il s'agit de nos emplois et de la compétitivité de notre pays. Il y a donc urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.
    M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, je me suis inscrit pour une brève intervention, non pas pour conforter les arguments d'opposition développés par mes amis du groupe socialiste face au choix de la majorité de vider la réduction du temps de travail de son contenu, mais pour vous dire une inquiétude profonde, celle que je ressens en tant qu'acteur local sur le front de l'emploi, à la suite d'informations qui ont été portées à ma connaissance en tant que président du comité de liaison des comités de bassin d'emploi, organisme placé sous votre tutelle.
    Mon expérience locale le montre, la dualité entre les salariés passés aux 35 heures et les 4 millions de salariés restés aux 39 heures, en particulier les 2,5 millions qui travaillent dans les entreprises de moins de vingt salariés, est désormais consacrée et n'a plus de perspective de résorption dans un avenir prévisible. Ma circonscription compte de nombreuses petites entreprises sous-traitantes de l'aéronautique. Déjà, avant même la mise en oeuvre de la loi sur la réduction du temps de travail, leurs responsables me disaient combien ces PME avaient de difficultés non pas à trouver - car elles trouvent des jeunes et elles les forment - mais à conserver leurs salariés qualifiés. Lorsque l'aéronautique a de nouveau connu une phase ascendante, ces salariés ont été en quelque sorte confisqués par les grandes entreprises, qui offrent de meilleures conditions de travail, des droits sociaux plus étendus, des comités d'entreprise puissants. Une fois confirmée la dualité entre les salariés aux 35 heures et ceux aux 39 heures, les sous-traitants auront encore plus de mal à conserver leurs personnels qualifiés. Pourtant, il y va de la qualité et de la compétitivité de la branche aéronautique civile.
    Deuxième source de difficultés : alors que les négociations et les accords d'entreprise sur l'aménagement-réduction du temps de travail auraient pu aider ces entreprises à mettre en place, dans un système productif local ou un bassin d'emploi, le dialogue social territorialisé qu'elles souhaitaient développer, elles vont maintenant se trouver désarmées. C'est une grande chance que vous laissez ainsi passer, monsieur le ministre, alors que vous-même êtes partisan du dialogue social et en faites une de vos orientations majeures, la chance d'instaurer, à côté du dialogue institutionnel des pouvoirs publics et des grandes centrales syndicales, un dialogue social territorialisé entre les chefs d'entreprise, les représentants des salariés et les organismes consulaires, mais aussi les élus locaux et tous les acteurs engagés dans l'économie sociale et solidaire, dans la création d'emplois et d'activités.
    Cette chance-là est d'autant plus compromise que vous renoncez à disposer avec le comité de liaison des comités de bassin d'emploi d'un organisme de régulation, d'impulsion, d'écoute, d'initiative, propre à impulser dans les bassins d'emploi une lutte pour la création d'activités, au moment où nos inquiétudes sont les plus grandes en ce qui concerne l'évolution du chômage, un chômage qui tend à s'accroître dans nos territoires.
    Ces inquiétudes se sont encore aggravées quand j'ai constaté dans le « bleu » du ministère du travail que la ligne « promotion de l'emploi » dans sa partie décentralisée était en stagnation et tendait même à la baisse, alors que vous devriez au contraire conforter les comités de bassin d'emploi.
    Les conseils de développement qui se mettent en place peuvent offrir à votre ministère des instruments nouveaux pour activer les dépenses concernant le chômage et pour impulser les politiques publiques de l'emploi. Bref, à côté du service public de l'emploi, des efforts avaient été engagés pour parvenir à une meilleure territorialisation, à une meilleure individualisation des politiques publiques pour l'emploi, et pour mobiliser l'ensemble des acteurs locaux concernés par la lutte en faveur de l'emploi. J'espère que vous n'avez pas décidé de renoncer à cette dynamique.
    Je compte, monsieur le ministre, sur la validité, dont je ne doute pas, de votre signature pour l'aide au reclassement des salariés de l'association, support du Comité de liaison des comités de bassins d'emploi. Il serait dommage que soit gaspillés une expérience, un savoir-faire et des compétences qui sont indéniables.
    Mais je crains que, au niveau des territoires aussi, vous ne fassiez fausse route en désespérant tous ceux qui sont engagés dans leur territoire, dans leurs intercommunalités, dans leur pays sur le front de la lutte pour l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Dominique Tian.
    M. Dominique Tian. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ruineuse pour les finances publiques - 15 milliards d'euros, 52 000 euros par emploi créé -, extraordinairement complexe et inégalitaire, sans équivalent en Europe où l'on travaille en moyenne 40 heures, démagogique et électoraliste, facteur de perte de pouvoir d'achat pour les plus bas salaires, les 35 heures sont la parfaite illustration de la fausse bonne idée : travailler moins pour partager plus.
    La loi Robien, qui a prétendument suivi de modèle, se justifiait surtout dans les entreprises en difficulté - c'était le volet défensif - ; il était alors concevable de partager le temps de travail pour éviter des licenciements.
    Tel n'est pas le cas, en revanche, pour la loi sur les 35 heures. Celle-ci s'adresse, en effet, à des entreprises souvent en bonne santé et coûte des sommes considérables à l'Etat, mettant en danger l'ensemble de notre système de protection sociale et de retraite qui n'en avait vraiment pas besoin.
    M. Le Garrec indiquait hier que de nombreux experts ont travaillé sur des études d'impact. Sans doute ont-ils oublié la démographie et le tournant de 2006.
    M. Gaëtan Gorce. On n'y est pas encore !
    M. Dominique Tian. On y arrive très vite !
    M. Gaëtan Gorce. Alors 2007 n'est pas loin non plus !
    M. Dominique Tian. Pour la première fois, depuis quarante ans, la population active cessera d'augmenter et commencera même à diminuer inexorablement alors que le nombre de retraités explosera : 600 000 par an à partir de 2006, deux fois plus que cette année. Un salarié sur deux aura plus de quarante ans, rappelons que l'âge moyen de départ à la retraite est de cinquante-huit ans. Fallait-il vraiment adopter une loi sur le partage du travail, coûteuse en argent public alors que de gigantesques chantiers se profilent devant nous ?
    Les autres pays européens vont être confrontés au même problème de vieillissement de la population. Mais la France a été la seule à s'engager dans la voie d'une réduction du temps de travail généralisée et obligatoire. Nous avons gâché la croissance.
    Ainsi, alors que notre pays connaissait une période de forte croissance, les 35 heures n'ont pas eu un effet massif sur l'emploi. Ce sont essentiellement les allégements de charges sociales patronales qui ont permis de créer 300 000 emplois.
    Mme Hélène Mignon. Ce n'est pas vrai !
    M. Gaëtan Gorce. Il faut vous mettre d'accord avec vos collègues sur les chiffres, monsieur Tian !
    M. Dominique Tian. Pour preuve, avec un taux de chômage de plus de 9 %, la France se situe au treizième rang européen. C'est ce rang aussi qu'elle occupe pour le PIB, largement rattrapée et distancée par les pays voisins. Ces derniers ont su faire confiance à leurs entreprises choisissant le bon sens et le dialogue social.
    Dans aucun autre Etat de l'Union européenne, un Gouvernement, même de sensibilité de gauche, n'aura osé faire preuve d'un tel dogmatisme idéologique ! En définitive, la mort du dialogue social enterré par l'ancienne gauche plurielle et la naissance des 35 heures obligatoires décidées de manière discrétionnaire par le Gouvernement de l'époque ont marginalisé un peu plus la France sur la scène européenne.
    Selon une étude du cabinet Ernst & Young, 84 % des dirigeants des filiales d'entreprises étrangères en France pensent que les 35 heures sont un inconvénient majeur du « site France ».
    Les socialistes sont devenus, semble-t-il, des Européens convaincus - pour les communistes, c'est un peu plus compliqué. Ils n'ont cessé pourtant de handicaper les entreprises françaises. Quand Tony Blair se rend au congrès des chefs d'entreprises britanniques, il est acclamé. A l'Assemblée nationale, les orateurs de gauche n'ont cessé de nous accuser d'obéir aux ordres du MEDEF...
    Mme Hélène Mignon. C'est la réalité !
    M. Dominique Tian. ... et des patrons, comme s'ils nous avaient dicté le texte !
    Mme Catherine Génisson. Eh oui !
    M. Dominique Tian. Ce n'est pas le MEDEF qui a inspiré ce texte, c'est la volonté de rendre l'économie française plus compétitive. Il était temps, il était grand temps, de procurer à nos entreprises l'oxygène nécessaire.
    Une entreprise en bonne santé, c'est aussi et avant tout des salariés qui conservent leur emploi et qui sont mieux payés. Le schéma d'harmonisation par le haut des différents SMIC proposé dans ce texte permettra aux salariés de bénéficier d'une augmentation substantielle de leur pouvoir d'achat, sans pour autant handicaper la compétitivité de l'entreprise. Ces hausses du SMIC ne représenteront pas le coup de massue redouté par les chefs d'entreprise. En effet, plus de six milliards d'euros seront consacrés aux allégements de charges d'ici à 2005.
    Ce nouveau texte sur les 35 heures va être bien perçu par les salariés mais aussi par les entreprises. Il va redonner du moral et de la motivation aux premiers. Il va permettre aux secondes d'embaucher plus facilement. Nombre d'entre elles connaissent de réelles difficultés de recrutement. Certaines filières ou certains métiers sont même victimes de graves pénuries de compétences et sont confrontées à une désaffection de candidats. Il en résulte que beaucoup d'emplois ne sont pas pourvus.
    Les revenus du travail se différencieront plus nettement des revenus sociaux, créant des motivations supplémentaires pour rechercher activement un emploi.
    Enfin, les entreprises profiteront de cette relance de la consommation qui se traduira par de la croissance en plus et l'économie française en a besoin.
    Oui, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez répond à l'intérêt général des salariés du secteur concurrentiel et aux souhaits exprimés par de nombreuses entreprises depuis longtemps. Votre texte est juste et équilibré et il était attendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Hélène Mignon.
    Mme Hélène Mignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues. Napoléon avait déclaré : « Il est normal qu'un ouvrier travaille tous les jours puisqu'il mange tous les jours. » Certains propos, entendus la semaine dernière en commission des affaires sociales et, hier, ici même, m'ont fait repenser à cette phrase. Le fond de la pensée n'est-il pas le même quand on déclare que la réduction du temps de travail répond à une attente des cadres, qui ont les moyens de profiter de leur temps libéré, mais que, pour les salariés à faibles revenus, la liberté c'est de travailler plus pour gagner plus ? Nous sommes nombreux ici à ne pas avoir de la liberté cette notion marchande.
    Rappelons aussi que l'espérance de vie est différente selon que l'on se place à tel ou tel endroit de l'échelle socioprofessionnelle et que les accidents du travail sont fonction de la pénibilité du poste de travail et de la fatigue engendrée par des journées trop longues. Moi qui ai donné des consultations dans le cadre de la médecine du travail, je sais de quoi je parle.
    A un moment où on fait appel à la responsabilisation de la famille, on peut s'étonner qu'on reconnaisse à certains le droit au temps libre - ceux qui sont à 35 heures - qu'on nie aux autres. La présence d'un père, d'une mère ou des deux parents auprès de ses enfants n'a-t-elle pas la même valeur que l'on soit cadre ou salarié, dans une grande ou une petite entreprise ? Va-t-on voir réapparaître le projet du salaire maternel pour faire culpabiliser les femmes qui ont choisi d'exercer une activité professionnelle, au lieu de leur donner des conditions de travail décentes, l'une d'entre elles étant la réduction du temps de travail ?
    Le salarié modeste n'aurait-il pas le droit, en dehors de son activité professionnelle, de se livrer lui aussi aux activités de son choix : investissement dans la vie associative, accès à la culture ?
    Vous qui, à présent, constituez la majorité de cette législature, avez toujours manifesté votre hostilité à la réduction du temps de travail. Hier, nous avons pu mesurer la largeur du fossé qui nous sépare. Je connais de très petites entreprises qui ont réussi le passage aux 35 heures grâce à la volonté du chef de l'entreprise qui n'a pas écouté les discours des organisations patronales. Les créations d'emploi qui ont découlé des lois Aubry - 400 000 environ - ne rendaient-elle pas leur dignité à des hommes et à des femmes, jeunes et moins jeunes, qui n'avaient qu'un désir : entrer ou revenir dans la vie active ?
    En dénaturant la loi sur les 35 heures comme vous le faites, vous grugez des millions de travailleurs. Vous faites croire aux salariés que la rémunération des heures supplémentaires sera pour eux une aubaine, mais ils déchanteront quand ils verront leur première feuille de paie. Vous dites qu'il faut remettre à l'honneur la notion de travail : n'avez-vous pas compris que c'est à l'inverse que vous allez aboutir ? Etre bien dans son entreprise, avoir une bonne organisation du travail, avoir de bonnes relations sociales, être moins stressé : voilà ce qui, en partie, valorise le travail. Le temps libre ne dévalorise pas, sauf à considérer que l'épanouissement de chacun passe obligatoirement et seulement par une activité rémunérée.
    Au moment de la négociation des 35 heures, les syndicats ont accepté la flexibilité, l'annualisation, le blocage des salaires, le forfait-jours pour les cadres. Aujourd'hui, on abandonne les 35 heures mais on conserve le reste.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Quelle caricature !
    Mme Hélène Mignon. Ne pensez-vous pas, malgré vos propos, monsieur le ministre, que c'est un retour en arrière ?
    Force est de constater que nous n'avons pas la même lecture de ce projet de loi qui fait la part belle au patronat, même si le MEDEF joue bien sa partition et hurle à l'insoutenable avancée du SMIC. Les salariés vont-ils pendant longtemps croire aux prétendues vertus de ce nouveau calcul du SMIC ?
    Votre projet, en laissant l'essentiel à la seule négociation, en fixant au plus bas les obligations de l'employeur, revient sur des garanties acquises, fragilise le dialogue social. Les moyens des uns et des autres sont disproportionnés ; ils ne profitent pas aux salariés ni aux plus modestes, ni d'ailleurs aux cadres.
    Ne nous y trompons pas, vous voulez modifier la loi pour répondre aux voeux formulés par le MEDEF, qui apparaît aujourd'hui comme le seul interlocuteur valable aux yeux du Gouvernement. Or dans l'entreprise, il y a certes le patron, mais que ferait-il sans les salariés, dont il faut écouter les représentants syndicaux ?
    Vous prônez le dialogue social. Mais c'est un dialogue de sourds qui nous a été rapporté. En lisant les déclarations diverses, on ne peut être que persuadé que ce patronat que vous placez en position de force ne lâchera rien : les salariés n'auront rien de plus. Pis encore, ils auront beaucoup à perdre.
    Nous avons, quant à nous, institué les 35 heures par la loi, sans casser l'outil de travail et en garantissant, à la fin du processus, des avancées à toutes les catégories de salariés. Sous couvert de vouloir assouplir le dispositif, vous le videz de sa substance sociale, vous instituez plus de devoirs et moins de droits pour les salariés. « Travailler plus pour gagner plus », voilà votre devise. « Travailler plus pour gagner moins » serait plus conforme à la vérité. Toute heure supplémentaire appelle en corollaire un supplément de salaire. C'est une mesure sociale d'ordre public, fixée par la loi, majoration établie à 25 % depuis plus de soixante ans. Ce n'est pas être ringard que de s'élever contre la décision de la ramener à 10 % !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais c'est vous qui avez pris cette décision !
    Mme Hélène Mignon. C'est un taux dérisoire, banalisant le recours aux heures supplémentaires et qui vise en fait à revenir sur la durée légale instituée par la loi. Les cadres n'échappent pas non plus à la déréglementation.
    Mon propos ne passera pas sous silence la refonce des aides qui étaient attribuées aux entreprises dans le cadre de la loi sur les 35 heures. Ainsi, celles qui ont bien accompagné le dispositif en baissant réellement le temps de travail, celles qui paient bien les salariés vont être perdantes dans cette réforme. Une bonification pour conduite antisociale ira à celles qui ont tourné le dos à la RTT, gagné du temps pour la mettre en oeuvre, à celles qui ont des masses salariales basses, des employés mal payés. Aujourd'hui, les aides que vous proposez seront accordées sans contrepartie, sans dialogue social, sans même l'effort de maintenir l'emploi et de réduire le travail précaire.
    Personne ne peut se féliciter de la mort programmée de la loi sur les 35 heures. Nous n'en attendons aucune avancée sociale bien sûr, mais pas non plus de création d'emplois, ni aucune incidence positive sur le développement économique.
    L'objectif est donc ailleurs et tout le monde a compris qu'il s'agit de donner des gages au MEDEF. Mais pourquoi ne pas écouter ces presque 9 millions d'hommes et de femmes, soit 53 % des salariés, qui sont passés aux 35 heures et dont plus de 59 % apprécient ce nouveau temps partagé ? Pourquoi ne pas écouter aussi le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise quand il dit que l'augmentation du quota d'heures supplémentaires risque d'être défavorable à l'emploi puisque, au lieu de recruter, les entreprises pourront en toute légalité faire appel aux salariés, mis en condition pour ne pas refuser les heures supplémentaires ? Les propos de M. Gaillard sont allés exactement dans ce sens.
    Quand on veut battre son chien, on dit qu'il a la gale (« La rage ! » sur divers bancs), la rage, en effet. Pour porter un coup mortel aux 35 heures, on prétend qu'elles n'ont qu'un impact négatif sur l'emploi et la vie économique. Pourtant, la création de 2 millions d'emplois entre 1997 et 2002, la diminution du chômage - 900 000 personnes concernées -, une santé économique bien meilleure que celle de nos voisins sont là pour démentir ces affirmations. Quand on a la responsabilité d'un pays comme le nôtre, on ne peut feindre d'ignorer de telles données.
    Mes chers collègues, vous avez souvent, les uns et les autres, fait référence à la décision des électeurs. Je voudrais tout de même que chacun ici soit bien conscient que Jacques Chirac, au premier tour de l'élection présidentielle, n'a pas réussi à obtenir 20 % des voix. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Louis Bernard. Et Lionel Jospin ?
    Mme Hélène Mignon. Laissez-moi poursuivre mon propos !
    M. Jean-Louis Bernard. Et Mme Aubry ? Elle a fait un tabac !
    Mme Hélène Mignon. Notre rôle, entre les deux tours de l'élection, a été important. Nous nous sommes investis dans la campagne présidentielle et nous avons notre part dans son résultat.
    M. Dominique Tian. Et avec quel succès !
    Mme Hélène Mignon. Le succès remporté n'appartient pas à vous seuls ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Louis Bernard. Les quinze dernières secondes de votre intervention étaient vraiment de trop !
    M. le président. La parole est à M. Yves Bur.
    M. Yves Bur. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les conséquences de la loi sur la réduction du temps de travail alimenteront encore longtemps les débats et les arguments des promoteurs de ce dispositif autoritaire sont aujourd'hui comme hier aussi peu convaincants que les chiffres dont nous disposons. Certes, l'étude souvent citée du ministère de l'emploi qui estime à quelques 300 000 les créations d'emploi imputables à la réduction de la durée du travail et aux allégements de charges qui l'ont accompagnée est discutable. Encore faudrait-il distinguer ce qui relève de l'effet d'aubaine qui a permis aux entreprises dynamiques de bénéficier d'une aide supplémentaire quand les embauches s'imposaient pour répondre à une demande active. De plus, il semble que l'essentiel de cet effet aurait porté sur l'année 2000 qui a connu un taux de croissance exceptionnel. Cependant, cette étude ne comptabilise aucun des milliers d'emplois détruits à cause de ce carcan législatif qui affaiblit la compétitivité des entreprises et décourage encore de nouveaux investissements en France.
    Ce qui est certain, c'est que la création d'emplois en France n'a pas été pour autant « boostée » par cette mesure autoritaire tant vantée par Mme Aubry, votre dame des trente-cinq heures.
    Mme Catherine Génisson. On en est fier !
    M. Yves Bur. Sur la période de 1997 à 2001, la France, avec plus de 8,1 % de créations d'emplois dans le secteur marchand, a fait moins bien que la moyenne de la zone euro et ne se situe qu'au septième rang parmi les pays européens.
    M. Jean-Louis Bernard. Eh oui !
    M. Yves Bur. La situation continue encore actuellement à se dégrader à ce niveau-là. Cette loi idéologique, si elle n'a pas contribué durablement au dynamisme du marché de l'emploi, a par contre durablement déstabilisé nos entreprises. Les contraintes et la complexité de sa mise en oeuvre ont découragé un grand nombre de chefs d'entreprise qui attendent de nous que nous redonnions au travail la place centrale qui doit être la sienne dans l'échelle de nos valeurs sociales au lieu de privilégier le temps libre et les loisirs en considérant encore aujourd'hui le travail comme une aliénation.
    M. Jean-Louis Bernard. Très bien !
    M. Yves Bur. Il était temps d'y remédier et vous le faites, monsieur le ministre, tout en respectant la durée légale du travail, en desserrant le carcan qui empêche ceux qui le souhaitent de pouvoir travailler davantage pour gagner plus sans pour autant surcharger les coûts pour les entreprises, qui sont confrontées à un environnement très concurrentiel.
    Vous nous proposez aussi de remettre de l'ordre et de la justice sociale dans le capharnaüm des SMIC multiples que nous a légués la majorité précédente. Toujours aussi fascinée par la bureaucratie étatique, celle-ci justifiait cet état de fait par une idéologie jacobine dont même les Français ont été saturés.
    M. Jean-Louis Bernard. Exact !
    M. Yves Bur. Affirmer, comme l'a fait l'opposition, que ces dispositions de bon sens seront néfastes pour l'emploi, c'est oublier un peu vite que c'est M. Jospin qui a laissé s'installer une France à deux vitesses, voire à six vitesses, pour le SMIC. Il est vrai qu'aujourd'hui plus personne ne semble prêt à revendiquer un héritage aussi encombrant !
    Loin d'être ressenties par les Français comme la grande conquête sociale dont parle l'ancienne majorité, les 35 heures ont paradoxalement aggravé les inégalités. Ainsi, si les femmes cadres sont les plus satisfaites, les femmes les moins qualifiées, que j'ai souvent rencontrées dans les entreprises, sont aussi parmi les plus mécontentes. De même, les ouvriers et les employés sont aussi ceux pour lesquels les conditions de travail et de revenus se sont le plus dégradées pour absorber les coûts induits par la réduction du temps de travail.
    En revalorisant de manière significative les SMIC pour tous les aligner en 2005, vous mettez en place, monsieur le ministre, une politique de justice sociale et vous contribuez à la revalorisation du travail. Cela me paraît primordial.
    Il était nécessaire, en effet, de donner ce signal fort, pour montrer à nos concitoyens que, pour nous, les revenus du travail doivent toujours être plus importants et significativement plus attractifs que les revenus tirés de l'assistance.
    M. Jean-Louis Bernard. Très bien !
    M. Yves Bur. A cet égard, l'augmentation substantielle du SMIC pour retrouver un niveau unique doit être l'occasion de creuser davantage l'écart entre le salaire minimum et le revenu minimum d'insertion. Nous devons mettre un terme à l'idée selon laquelle on s'en sortirait mieux en se cantonnant dans l'assistance plutôt que d'entreprendre les efforts nécessaires pour retrouver sa place dans le marché du travail. Ainsi, monsieur le ministre, l'harmonisation des SMIC par le haut, outre qu'elle redonnera confiance à tous ceux qui sont concernés par la revalorisation des bas salaires, redonnera également davantage de sens au « i » de l'insertion associé au revenu minimum. Ce qui nous importe pour le RMI, c'est de dynamiser une politique de RTI, c'est-à-dire de réduction du temps de l'insertion, en donnant notamment au travail toute son attractivité.
    Votre projet de loi, monsieur le ministre, permettra de concilier progrès économique et justice sociale. C'est donc une loi d'équilibre, qui contribuera à relancer la croissance tout en associant mieux l'ensemble des salariés, y compris ceux dont les rémunérations sont les plus basses, aux fruits de l'expansion économique.
    Il faut de plus se féliciter que la sécurité sociale ne soit pas mise à contribution pour financer le milliard d'euros de dépenses nouvelles liées à ce qu'on appellera bientôt l'« allégement Fillon ». Les engagements du Gouvernement seront tenus et contrastent singulièrement avec l'irresponsabilité du précédent gouvernement, qui ne s'est pas gêné de charger la barque des finances sociales au prétexte que les comptes sociaux seraient durablement excédentaires ! Très attentif à l'évolution des finances de la sécurité sociale en tant que rapporteur pour ces questions dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, je me réjouis du fait que les exonérations de cotisations patronales seront intégralement compensées à la sécurité sociale : le changement est notoire. Je rappellerai simplement à nos collègues qu'à ce jour la sécurité sociale porte toujours une dette que l'Etat refusait de lui rembourser pour équilibrer le FOREC, qui fut déficitaire en 2000 de 2,4 milliards d'euros. Au mépris des partenaires sociaux et en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel du 18 décembre 2001, cette dette jamais honorée pèse fortement sur les comptes sociaux, contribuant à aggraver le déficit en 2002 et 2003.
    A l'inverse, l'article 8 de votre projet de loi garantit que l'exonération des cotisations au titre du régime définitif, mis en oeuvre par l'article 6, comme celle liée au régime transitoire de l'article 7, seront intégralement compensées. Cette compensation se fera directement par un transfert de recettes vers le FOREC. Ces premières décisions sont le témoignage d'une nouvelle volonté de transparence et de clarté qui contribuera à restaurer la confiance des partenaires sociaux.
    Je souhaiterais, monsieur le ministre, que nous puissions avoir le plus tôt possible une première analyse de l'évolution du FOREC au regard de ce nouveau dispositif. Nous savons que la refonte des allégements de cotisations induira en 2003 un surcoût de l'ordre d'1 milliard d'euros pour atteindre d'ici à 2005 la somme de 6 milliards d'euros. Ces sommes se substitueront aux coûts bien plus lourds des allégements Aubry pour inciter au passage aux 35 heures et seront moins coûteuses pour les finances publiques, ce qui n'est pas négligeable pour un pays appelé à réduire ses déficits publics et sociaux.
    En adoptant les mesures de ce projet de loi, nous donnons un signal fort aux entreprises en libérant les potentiels de travail tout en limitant les coûts pour les entreprises. Ces mesures étaient attendues et vont dans le bon sens pour redonner confiance aux entrepreneurs dont notre pays a plus que jamais besoin pour préparer l'avenir. Les chefs d'entreprise attendent aussi qu'un véritable effort de simplification soit engagé de façon perceptible afin d'alléger la gestion des entreprises, en particulier des plus petites.
    De ce point de vue, l'unification des SMIC sera appréciée par les entrepreneurs, les artisans et les commerçants. De la même façon, le nouvel « allégement Fillon » constituera une première étape vers la simplification des trop nombreuses exonérations existantes : on peut recenser 36 dispositifs à ce jour !
    Non seulement votre dispositif, monsieur le ministre, fusionnera la ristourne Juppé avec l'allégement « Aubry 1 », mais il supprimera un certain nombre de majorations à l'allégement « Aubry 2 » qui compliquaient le dispositif en le rendant plus illisible encore. Le regroupement des allégements permettra donc aussi de simplifier les formalités déclaratives des entreprises, qui ne s'y retrouvent plus aujourd'hui et ne savent même pas à quoi elles ont droit comme le prouve le nombre de redressements des URSSAF en faveur des entreprises. Celui-ci est parlant.
    Désormais, les baisses de charges viseront uniquement la création d'emplois par une diminution du coût du travail peu qualifié au niveau du SMIC. Elles seront complètement déconnectées de la réduction du temps de travail. Et on peut s'en féliciter.
    Monsieur le ministre, parce que vos propositions sont équilibrées, parce que nous avons la conviction que le reprofilage de la baisse des charges profitera en premier lieu aux PME, qui sont les premiers employeurs en France et recèlent par leur dynamisme un formidable gisement d'emplois, parce que près de 90 % des personnes touchant un des SMIC gagneront en pouvoir d'achat et en reconnaissance et, pour la moitié, même plus qu'un treizième mois, parce que la souplesse rendue aux entreprises pour organiser le travail suscitera la confiance indispensable à la croissance, nous voterons ce texte avec l'espoir qu'il ouvrira plus grand encore le chemin de la croissance, une croissance à laquelle seront mieux associés tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.
    Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre aime à rappeler à qui veut l'entendre en toute occasion que son gouvernement est pragmatique. Ces cinq derniers mois montrent qu'au-delà des artifices de communication, le Gouvernement est plus doctrinaire que pragmatique. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.) Derrière un discours tempéré, vous disloquez en fait les lois de la précédente législature, particulièrement en matière économique et sociale.
    M. Yves Bur. Les mauvaises !
    Mme Catherine Génisson. En substitution des emplois-jeunes, décrits par notre président de commission avec une dérision peu respectueuse de celles et ceux qui les occupent, vous avez mis en place des contrats jeunes sans accompagnement de formation. Aujourd'hui, vous nous proposez un projet de loi qu'il serait plus franc d'intituler « l'abrogation des 35 heures régie par les commandements du MEDEF », ce qu'a d'ailleurs reconnu implicitement le Premier ministre qui a caractérisé ce texte de retour aux 39 heures pour les entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Roland Chassain. C'est grotesque !
    Mme Catherine Génisson. Sans céder à la nostalgie, force est de constater que les députés siégeant à gauche dans cet hémicycle ont une approche fondamentalement différente de ce que le travail et son organisation représentent comme valeur structurelle de la vie sociale.
    M. Philippe Cochet. Les Français se sont exprimés.
    M. Yves Bur. Vous devriez savoir ce que ça signifie dans les hôpitaux !
    Mme Catherine Génisson. Rien de surprenant à cela. La volonté de conquête sociale s'appuyant sur la maîtrise des modes de production pour rendre notre société plus humaine a rarement été votre cheval de bataille !
    Diminuer le temps de travail doit permettre non seulement de travailler mieux et dans de meilleures conditions mais aussi d'utiliser le temps libéré pour harmoniser les temps de vie.
    M. Yves Bur. En gagnant moins ?
    Mme Catherine Génisson. Aussi, monsieur le ministre, ai-je trouvé quelque peu condescendante votre analyse des conséquences culturelles de la diminution du temps de travail quand, lors de votre audition devant notre commission, vous avez déclaré qu'il était devenu presque indécent d'appeler à se retrousser les manches.
    Sous l'impulsion de Lionel Jospin, les lois portées par Martine Aubry ont contribué à ce mouvement historique d'émancipation des femmes et des hommes. Je ne demande pas à la majorité actuelle de partager ce point de vue,...
    M. Philippe Cochet. Ni aux Français !
    Mme Catherine Génisson. ... je sais que cela vous est impossible. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. Pas de provocation, madame Génisson.
    Mme Catherine Génisson. En revanche, d'un point de vue arithmétique, ayons la franchise de reconnaître sur l'ensemble de ces bancs que l'application des 35 heures en tant que telle a permis la création de 300 000 emplois. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Louis Bernard. Mais non !
    M. Yves Bur. Ce chiffre est très discutable, madame !
    Mme Catherine Génisson. D'ailleurs, M. Perruchot l'a admis dans son intervention, tout à l'heure.
    Arrêtons une polémique de mauvais aloi quand 300 000 hommes et femmes, grâce au travail retrouvé, ont reconquis une part de dignité et de sens de l'appartenance à la collectivité.
    M. Yves Bur. Non seulement la RTT ne produit plus de nouveaux emplois, mais elle en freine la création ! Voilà la vérité !
    Mme Catherine Génisson. Mais, vous appuyant sur les rapports du principal syndicat patronal, lequel n'est d'ailleurs pas suivi par l'ensemble des organisations patronales, vous vous apprêtez à mettre en place un dispositif qui sera économiquement inefficace et socialement nuisible.
    Pour justifier votre action, vous arguez du prétendu caractère autoritaire des lois Aubry, du manque de dialogue social et de l'absence de prise en compte des réalités de l'entreprise.
    M. Yves Bur. Eh oui !
    Mme Catherine Génisson. Mais que faites-vous, monsieur le ministre, du dialogue social quand vous l'enfermez dans le carcan d'un décret qui relève autoritairement le contingent des heures supplémentaires ?
    M. Jean Le Garrec. Très bonne question !
    Mme Catherine Génisson. Que faites-vous, monsieur le ministre, du dialogue social quand vous supprimez les principes de l'accord majoritaire, du mandatement et du référendum, tous principes qui étaient appréciés des salariés ?
    M. Yves Bur. A un moment, il faut bien trancher. Vous, vous ne l'avez jamais fait !
    Mme Catherine Génisson. Vous ne faites que suivre, en fait, la conception du dialogue social de M. le Premier ministre qui, lors d'une récente émission télévisée, a déclaré, en parlant des représentants des organisations syndicales : « Ils ont des convictions. Je les écoute, mais nous décidons. »
    M. Yves Bur. C'est toujours mieux que Lionel Jospin !
    Mme Catherine Génisson. C'est la conception du dialogue social de ce gouvernement.
    M. Roland Chassain. Les Français nous ont mandatés pour ça !
    Mme Catherine Génisson. Il y a vingt ans, les socialistes et la gauche procédaient déjà à une réduction du temps de travail par le passage de la durée légale de 40 à 39 heures hebdomadaires. En 1997, suivant avant tout l'objectif humaniste de la réduction du temps de travail et l'efficacité économique et sociale en matière de baisse du chômage, nous nous sommes appuyés sur le passé. L'efficacité appelait une réduction du temps de travail rapide, importante et généralisée. Ces trois critères ont prévalu et ont permis l'adoption des lois Aubry.
    M. Yves Bur. Mais 50 % des Français ne pourront jamais les appliquer ! Vous avez créé l'inégalité.
    Mme Catherine Génisson. Vous dites aujourd'hui que ces lois ont été la source du problème de la valorisation du travail. Je pense, pour ma part, que la réduction du temps de travail a plutôt été un révélateur du manque de politique salariale des entreprises en faveur d'une revalorisation du pouvoir d'achat, ainsi que de la nécessité de revoir les bases sur lesquelles pèsent les cotisations sociales dans l'entreprise.
    Satisfaisant les revendications du MEDEF, vous déplafonnez le recours aux heures supplémentaires en permettant de fait un retour aux 39 heures. Vous modifiez le régime indemnitaire de ces heures supplémentaires et allez aboutir au résultat que les salariés travailleront davantage sans être justement rémunérés. Vous mettez aussi un coup d'arrêt à l'incitation à l'embauche et mettez en péril les équilibres fragiles de notre société ; mais vous donnez satisfaction au MEDEF et aux actionnaires, cependant que le nombre des chômeurs augmente et que les plans sociaux se multiplient.
    M. Philippe Cochet. Par votre faute !
    Mme Catherine Génisson. Plus grave encore, vous instaurez le recours massif aux heures supplémentaires comme étant l'organisation structurelle normale des entreprises. Vous inscrivez aussi dans la loi, comme une vérité et une nécessité, que nos concitoyens disposant des plus bas salaires doivent, pour vivre décemment, accepter - mais selon, bien sûr, les décisions de l'employeur seulement - les heures supplémentaires comme complément salarial obligé à la préservation de leur pouvoir d'achat ! Cela est grave et cela est dangereux.
    M. Jean-Louis Bernard. Avant, ils ne le pouvaient pas !
    Mme Catherine Génisson. Déconnectant la baisse des cotisations sociales de la réduction du temps de travail, vous fabriquez une nouvelle fracture entre les salariés de notre pays : c'est-à-dire entre les 8,6 millions qui bénéficient des 35 heures et les 8 millions qui attendent la négociation des 35 heures - et qui vont l'attendre longtemps.
    Au-delà de l'inégalité que vous allez créer entre les salariés, vous allez instaurer une concurrence déloyale entre les petites et moyennes entreprises. Vous l'avez d'ailleurs reconnu, monsieur le ministre, devant la commission.
    Notre action passée n'était certes pas parfaite. (« Ah ! » sur les bancs de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. Jean-Louis Bernard. Enfin un peu de lucidité !
    Mme Catherine Génisson. Nous aurions dû agir, pour le rééquilibrage du poids des cotisations sociales, sur la valeur ajoutée plus que sur les salaires et ainsi parvenir à une réduction du temps de travail alliée à une amélioration du pouvoir d'achat.
    Mais vous ne cherchez pas à améliorer ce que nous avons fait. Vous démantelez tout ce qui concourt aux acquis sociaux. Malheureusement, la baisse du coût du travail sans contrepartie, l'accroissement des inégalités économiques et sociales entre les entreprises auront pour seuls résultats la régression du pouvoir d'achat et la hausse du chômage.
    Aussi le groupe socialiste continuera de porter haut le débat social et grandement politique que constitue la réduction du temps de travail dans ses implications économiques mais aussi dans tout ce qu'elle incarne dans l'utilisation du temps libéré pour la vie personnelle et pour la vie collective. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.
    M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, sur lequel s'était clairement engagée la nouvelle majorité, est l'un de ceux qui sont les plus attendus par les Français, car il porte sur des aspects essentiels de leur vie quotidienne.
    Le gouvernement de M. Jospin et de Mme Aubry a voulu imposer, à marche forcée et sans concertation, les deux lois successives sur les 35 heures.
    Nous en mesurons tous les conséquences profondément négatives.
    La première est l'affaiblissement de notre économie. Nul ne peut contester, c'est vrai, la tendance continue, grâce aux gains de productivité, à la réduction du temps de travail. Mais, en ce domaine, tout est affaire de rythme et de potentialité, et non pas d'idéologie.
    Je rappelle, par exemple, que c'est sous la IVe République...
    M. Jean Le Garrec. Le temps de travail était bloqué !
    M. Daniel Garrigue. ... que l'on est passé à la troisième semaine de congés payés, que c'est en 1962, avec l'accord Renault, sous le général de Gaulle, qu'on est passé à la quatrième semaine de congés payés, qui s'est ensuite diffusée dans l'ensemble de l'économie. Mais l'on se trouvait alors dans un contexte d'expansion forte et continue, et ces réductions bienvenues du temps de travail étaient le résultat de la compétitivité et de la productivité très fortes de notre économie, dans un ensemble relativement homogène qui était alors celui de l'Europe des Six.
    Le gouvernement Jospin, lui, a prétendu aborder la réduction du temps de travail, non comme un résultat de notre dynamisme économique, mais comme l'outil prétendu de la lutte contre le chômage, sans tenir compte du fait que nous sommes dans un monde ouvert - la Chine entrera prochainement dans l'OCM ; or, aucun de nos concurrents, et a fortiori la Chine, n'est aux 35 heures -, sans introduire les éléments de souplesse qui permettent de prendre en considération les différences de gain de productivité et les contraintes propres aux différents secteurs d'activité, et sans tenir le moindre compte des contraintes démographiques qui vont peser de plus en plus lourdement sur nos régimes sociaux et sur notre économie.
    Le deuxième aspect négatif est la frustration profonde des salariés et surtout des salariés à revenus modestes qui ont vu leur pouvoir d'achat bloqué, voire amputé, avec la remise en cause des heures supplémentaires, et qui ont également vu se rétrécir, voire s'annuler, l'écart légitime entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Peut-être était-ce même pour vous une façon de régler le problème de l'immigration. J'ai, en effet, entendu des travailleurs saisonniers espagnols et portugais me dire : « Nous ne viendrons plus travailler en France, parce que, nous, faire seulement 35 heures, cela ne nous intéresse pas. » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

    Le troisième aspect négatif est la fermeture du dialogue social et il est tout de même savoureux d'entendre parler de la prétendue dynamique des accords sur les 35 heures alors que cette dynamique était imposée par la loi.
    Enfin, le quatrième aspect négatif des 35 heures - et vous m'excuserez, monsieur le ministre, d'évoquer un aspect qui ne relève pas de votre ministère - est l'effet profondément destructeur qu'elles exercent sur le service public. Je prendrai deux exemples que nous connaissons tous : la destruction du service public hospitalier...
    M. Jean-Louis Bernard. Tout à fait !
    M. Daniel Garrigue. ... où les personnels ne font face aujourd'hui que grâce précisément à leur esprit de service public et où l'on voit s'accumuler dans les comptes épargne-temps des heures dont on ne sait pas encore quand et comment elles pourront être soldées, et la destruction des services publics en milieu rural où l'on entend même parfois, pour justifier les fermetures totales ou partielles de perceptions ou de bureaux de poste, les responsables départementaux de ces services invoquer la mise en oeuvre des 35 heures.
    M. Jean-Louis Bernard. Eh oui !
    M. Daniel Garrigue. Le projet que vous présentez, monsieur le ministre, n'est pas l'expression d'une idéologie, mais il porte la marque des valeurs auxquelles nous croyons : valeur du travail, d'abord, puisque, à travers l'unification des SMIC, vous assurez la reconnaissance et la revalorisation du travail de plusieurs millions de salariés et qu'avec les nouvelles règles sur les heures supplémentaires, vous permettez à ceux qui veulent travailler plus et gagner plus de le faire, valeur du dialogue, ensuite, puisque vous rouvrez à la négociation sociale le champ d'action qui avait été fragmenté ou fermé, valeur du développement, enfin, puisque les souplesses et les allégements de charges vont rendre à nos entreprises de nouvelles marges de compétitivité.
    Certains trouveront, bien sûr, que vous n'en faites pas assez pour satisfaire leur propre vision. Faut-il leur rappeler les 6 milliards d'euros d'aides supplémentaires qui seront mises en oeuvre, en dépit d'un contexte budgétaire difficile, l'articulation étroite que votre projet établit entre l'unification des SMIC et l'allégement des charges ? Faut-il leur rappeler que le rétablissement du dialogue social répond aux voeux exprimés avec force ces dernières années par l'ensemble des partenaires sociaux ?
    Ce texte s'inscrit dans une démarche d'ensemble. Il y a moins de deux mois, nous votions la loi sur les contrats-jeunes. Nous discutons aujourd'hui ce texte qui concerne la généralité des salariés et des entreprises. Il restera sans doute à définir de nouveaux dispositifs pour inciter réellement ceux qui se sont installés, volontairement ou non, dans les mécanismes d'assistance à revenir, progressivement ou non, vers l'activité.
    L'attente des Français n'est pas aujourd'hui prioritairement tournée vers la réduction du temps de travail, mais d'abord, pour des millions et des millions d'entre eux, vers la croissance et l'amélioration du niveau de vie.
    Plutôt que par l'élargissement de la trame libre du temps social qui n'est souvent que l'alibi égoïste des « bobos » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...
    Mme Hélène Mignon. Vous vous moquez des associations !
    M. Daniel Garrigue. ... le lien social passe largement par le travail, la promotion, la reconnaissance et la réussite dans le travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons votre texte, avec la conviction qu'il sert le développement de la France et le bonheur des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.
    M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réduction du temps de travail a toujours été au coeur de la confrontation sociale et, naturellement, de la confrontation politique. Cette bataille permanente est jalonnée d'avancées, la plupart du temps à l'initiative de la gauche, 1936, 1982, 2000.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Et pourquoi pas la Commune ?
    M. Alain Vidalies. La droite tente toujours, naturellement, allais-je dire, de freiner ce mouvement, mais rarement, comme aujourd'hui, de revenir en arrière. Il se peut, monsieur le ministre, que cette loi Fillon entre dans l'histoire sociale de la France, mais avec un label singulier, celui de la première loi ayant organisé un allongement de la durée du travail. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Cette notoriété serait d'ailleurs en harmonie avec les propos que vous avez tenus hier dans cet hémicycle. En stigmatisant la responsabilité du Front populaire...
    M. Alain Vidalies. ... dans l'abaissement de la nation, donc dans la défaite de la République, vous avez donné à ce débat un ton détestable, celui de la revanche sociale. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    Il est vrai que, la veille, la même majorité a adopté, quasiment en catimini et en urgence, une proposition de loi autorisant une extension du cumul des mandats dans les conseils d'administration des entreprises.
    M. Gaëtan Gorce. On voit où sont les priorités !
    M. Alain Vidalies. Vos choix en matière fiscale - baisse de l'impôt sur le revenu, nouvelles déductions fiscales pour les ménages aisés, mais augmentation des impôts indirects et notamment de la TIPP pour tous - complètent harmonieusement le tableau de votre politique en ce début de législature.
    M. Gaëtan Gorce. C'est exact !
    M. Alain Vidalies. La même politique donnera les mêmes résultats. Manifestement, vous n'avez tiré aucun enseignement de la période 1993-1997 (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle),...
    M. Jean-Louis Bernard. C'est vrai, il y en a qui n'ont pas tiré d'enseignement et il faudrait peut-être le faire !
    M. Alain Vidalies. ... et seule vous importe aujourd'hui la revanche sociale.
    Pourtant, avec un peu de lucidité, vous vous rappelleriez que, confrontés à l'explosion du chômage, vous avez vous-mêmes fini par vous interroger sur la piste de la réduction du temps de travail. Il est vrai que, face à l'évolution des sciences et des techniques et au formidable gain de productivité qu'elle génère, la réduction du temps de travail est une sorte de passage obligé, à moins d'accepter l'idée d'un chômage de masse.
    Il existe, c'est vrai, une autre solution, c'est le développement du travail à temps partiel subi, c'est-à-dire le partage du travail disponible entre les salariés, au risque d'une précarisation généralisée, et que tous ceux qui s'aventurent dans des comparaisons avec la situation des pays voisins n'oublient jamais ce paramètre. Non, il n'y a pas de miracle aux Pays-Bas ou en Angleterre, mais seulement un recours massif et systématique au temps partiel, qui, certes, améliore les statistiques, mais au prix de l'émergence de millions de salariés pauvres, dernier stade avant l'exclusion.
    Mme Elisabeth Guigou. Très vrai !
    M. Alain Vidalies. Une politique de développement du temps partiel, nous nous y étions nous-mêmes risqués, et cette expérience partagée justifie nos inquiétudes à la lecture de l'amendement du rapporteur qui tend à rétablir une exonération de charges supplémentaires pour les emplois à temps partiel. Je crois que c'est une partie importante de notre débat d'aujourd'hui.
    M. Jean Le Garrec. Très juste !
    M. Alain Vidalies. Votre projet de loi abrite des dispositions d'apparence technique qui constituent en réalité autant de bombes à retardement pour la vie quotidienne des salariés. J'observe, monsieur le ministre, que vous n'avez apporté aucune réponse à quelques questions majeures posées par M. Gorce. Je veux en évoquer quelques-unes.
    La suppression de la référence à la durée hebdomadaire moyenne de 35 heures modifie-t-elle les conditions et le moment du calcul des heures supplémentaires ?
    M. Jean Le Garrec. C'est très important !
    M. Alain Vidalies. Les conditions de la monétarisation du compte épargne temps méritent d'être précisées car, en l'état, cette procédure ouvre des possibilités de contournement de la majoration des heures supplémentaires.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est aux partenaires sociaux d'en décider !
    M. Alain Vidalies. L'extension par votre texte du forfait-jour à des centaines de milliers de cadres et même à des non-cadres itinérants n'est-elle pas contraire aux dispositions de la charte sociale européenne dès lors qu'il s'agit d'un cadre dérogatoire qui va se généraliser et qui n'a été accepté que parce que, jusqu'à présent, il ne concernait qu'un nombre limité de salariés ?
    Autant de questions fortes sur lesquelles nous n'avons aucune réponse.
    Votre projet organise définitivement une distinction majeure entre la situation des salariés dans les petites entreprises et celle des salariés dans les grandes entreprises. C'est socialement injuste et économiquement absurde car cette différence pénalisera les petites entreprises dans leur mode de recrutement mais aussi dans la fidélisation de leurs salariés. Déjà, des organisations d'employeurs, notamment dans le domaine artisanal, s'inquiètent de ces discriminations.
    Monsieur le ministre, vous nous annoncez une loi sur la négociation sociale dont notre pays a bien besoin. Comprenez nos inquiétudes quand votre premier acte dans ce projet de loi est de supprimer la règle de l'accord majoritaire issue de la loi Aubry et qui était la première pierre sur le chemin de la construction d'une véritable démocratie sociale en France.
    La campagne électorale, manifestement, est déjà loin. Vous nous promettiez de privilégier la négociation avec les partenaires sociaux avant toute initiative législative, slogan répété à l'envi. Votre pratique est exactement inverse : un décret, une loi, aucune négociation entre les partenaires sociaux.
    Pourquoi s'étonner qu'une majorité de droite applique un programme de droite...
    M. Jean-Louis Bernard. Sur lequel elle a été élue !
    M. Alain Vidalies. ... avec des méthodes de droite ? Pour nous, ce n'est pas une surprise, mais il n'est pas certain que tous les Français aient véritablement compris que, derrière vos slogans électoraux, se cachait une réalité aussi désastreuse pour leur vie quotidienne.
    M. Jean-Louis Bernard. Il insulte le peuple !
    M. Alain Vidalies. Il n'est pas certain que les Français aient compris que, derrière le slogan « Travailler plus pour gagner plus »,...
    M. Jean-Louis Bernard. Il n'est pas sûr que les socialistes aient compris quelque chose !
    M. Alain Vidalies. ... il fallait comprendre diminution du taux de rémunération des heures supplémentaires et restriction du bénéfice du repos compensateur.
    Alors qu'ils nous reprochaient parfois, et avec raison, de ne pas avoir généralisés les 35 heures et que certains s'inquiétaient de ne pas en bénéficier, il n'est pas du tout certain qu'ils aient compris qu'en réalité, dans les petites entreprises, cette avancée sociale était définitivement abandonnée.
    Déjà, aujourd'hui 3 octobre, des dizaines de milliers de salariés du secteur public manifestent leurs inquiétudes face à votre politique. Demain, à la mise en oeuvre de cette loi, d'autres rejoindront ce mouvement.
    L'emploi est redevenu la première préoccupation des Français, et c'est en pensant à eux, et surtout à tous ceux qui resteront à la porte des entreprises à cause de votre loi, que nous trouvons la plus grande détermination à combattre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand.
    M. Xavier Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il a beaucoup été question des 35 heures, mais ce texte ne peut pas se réduire aux seules 35 heures.
    Ce projet de loi est un projet d'ensemble, un projet pour l'emploi qui repose sur trois piliers au service d'une dynamique : valoriser et favoriser l'emploi.
    Il traite tout d'abord de l'augmentation et de l'harmonisation du SMIC.
    La situation actuelle peut être qualifiée d'ubuesque ou de kafkaïenne. Elle peut plus simplement être qualifiée d'injuste et donc d'inacceptable. En effet, six SMIC coexistent aujourd'hui dans notre pays.
    Qui peut se satisfaire d'une telle situation ? Certainement pas les responsables politiques que nous sommes et encore moins les salariés concernés. C'est donc au nom de la justice sociale que ce texte vise à harmoniser tous les SMIC, dans un délai de trois ans seulement, et à les harmoniser par le haut.
    C'est aussi au nom de l'efficacité économique, car larevalorisation du SMIC, n'en déplaise à certains, porte en elle un encouragement particulièrement fort à la croissance. Cette mesure va dynamiser la consommation et favoriser sa relance.
    Depuis plusieurs années, les salariés modestes ont vu leur pouvoir d'achat baisser. Les gouvernements d'alors ont coupablement laissé faire. Pudiquement, ils ont regardé ailleurs, ou alors ils ont voulu et préféré mettre en avant la réduction du temps de travail.
    Or, la très grande majorité des salariés auraient préféré choisir. A la réduction du temps de travail, ils auraient certainement préféré une augmentation sur la feuille de paie tous les mois ! Ce texte va très concrètement et très fortement le permettre.
    Enfin, cette première mesure s'inscrit dans le rétablissement de la valeur du travail. Nous croyons que le travail, outre sa dimension économique, a une valeur sociale fondamentale. Il faut savoir le réhabiliter et, pour ce faire, entre autres, relever les salaires, notamment les plus modestes d'entre eux. C'est chose faite avec ce projet, qui donne plus et améliore la situation de ceux qui travaillent dur pour des revenus modestes.
    La deuxième partie du projet de loi traite du temps de travail.
    Contrairement à ce que peuvent clamer certains, ce projet vise simplement à assouplir le régime des 35 heures par le dialogue social. La durée hebdomadaire légale est de 35 heures, elle reste à 35 heures. Si certains disent le contraire, ils mentent.
    Portons, si vous le voulez bien, un bref regard en arrière. Les 35 heures allaient, paraît-il, rendre le monde du travail meilleur, en partageant le travail et donc en diminuant le chômage, en changeant le rapport des salariés au travail, en offrant davantage de temps de loisir à chacun. Qui n'aurait pu souscrire à de telles promesses ? Le résultat, le moins qu'on puisse dire, n'a pas été à la hauteur des espérances. Certains salariés y ont trouvé leur compte, c'est vrai, et tant mieux pour eux, mais, nous le savons bien, ce n'est pas le cas de la majorité d'entre eux.
    Les 35 heures ont fait baisser le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes alors que ceux-ci ne demandaient pas à travailler moins, mais auraient préféré « faire des heures » pour gagner plus chaque mois. Combien d'entre eux ont vu leur salaire gelé pendant des années au nom des 35 heures à venir ? Combien d'entre eux ont eu le sentiment que ces 35 heures venues d'en haut leur étaient imposées ? Combien d'entre eux ont vu la qualité et l'ambiance de travail se dégrader en raison des 35 heures ?
    Parlons aussi de la situation des employeurs. Il est vrai que leur point de vue n'a pas vraiment été pris en compte à l'époque par Mme Aubry.
    Le Gouvernement d'alors ne s'est pas soucié des conditions de la mise en place des 35 heures, du fameux casse-tête de leur application. Il a voulu les imposer de façon arbitraire sans tenir compte de la spécificité des entreprises. Qui a vraiment mesuré le coût des 35 heures tant pour les entreprises que pour le budget de l'Etat ? Qui pouvait répondre à cette question désarmante de simplicité posée par de nombreux chefs d'entreprise : « Pourquoi n'ai-je pas le droit de donner du travail à mes salariés qui veulent travailler plus ? »
    Alors, oui, ce nouveau texte amorce le changement en introduisant la souplesse tant attendue par tous, en favorisant l'autre grand perdant des lois Aubry : le dialogue social.
    Nous croyons au dialogue social. Il est aujourd'hui nécessaire. Il est surtout rendu possible par l'évolution des mentalités au sein de l'entreprise. C'est la négociation collective qui permettra de coller à la réalité, de s'adapter aux exigences des branches d'activité et aux aspirations des acteurs sociaux.
    Si les 35 heures n'ont pas été la réussite annoncée, loin de là, elles sont aujourd'hui, grâce à ce texte, assouplies, aménageables comme le souhaitent tout simplement les principaux acteurs concernés, les entreprises et les salariés. C'est le résultat d'un pragmatisme que je n'aurai pas la facilité d'opposer au dogmatisme d'hier.
    Le titre III de ce projet précise les allégements de charges qui vont permettre aux entreprises, à notre économie de mieux respirer.
    Je fais partie de ceux qui croient aux allégements de charges car ils sont créateurs d'emplois. Je le dis en qualité de député, je le dis aussi modestement en qualité d'acteur économique privé, en tant qu'employeur plus exactement. A ce titre, je me réjouis de la simplification des dispositifs existants.
    Ceux qui connaissent la réalité du monde du travail savent que c'est en facilitant la gestion administrative des entreprises, mais aussi en diminuant le coût du travail, que l'on peut offrir davantage d'emploi. Cet allégement est aussi un message clair et fort aux entreprises et il nous faudra certainement poursuivre dans cette voie à l'avenir.
    Ce texte est emprunt de bons sens et de volontarisme politique. Vous avez voulu, monsieur le ministre, agir sans tarder, sans faux-semblant et sans esquive. Ce projet est dans la droite ligne des engagements pris par le Président de la République et par nous-mêmes, c'est-à-dire libérer les énergies et rapprocher les acteurs économiques. Oui, les Français en ont assez qu'on décide à leur place, qu'on choisisse pour eux. Il faut aussi savoir leur faire confiance.
    D'aucuns auraient voulu vous enfermer dans une alternative à la fois simpliste et dangereuse : ne rien changer ou tout casser. Vous avez préféré rechercher l'équilibre et vous avez su le trouver avec ce texte. Chacun sait que, quand on trouve l'équilibre, on peut, on sait, on doit avancer. Eh bien, nous avançons avec vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 190, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi :
    M. Pierre Morange, rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 231).
    A vingt et une heures, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT