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Première séance du jeudi 22 juillet 2004

44e séance de la session extraordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures cinquante-cinq.)

    1

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ

Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

              « Paris, le 20 juillet 2004

        « Monsieur le président,

        « Conformément aux dispositions de l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous demander de soumettre à l'Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

        « Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 1735).

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, monsieur le président de la commission mixte paritaire, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d'un long parcours...

M. François Brottes. Avec un peu en retard !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...que nous avons commencé au mois de juin à la suite de la décision du Gouvernement de remplir les engagements européens de notre pays.

L'Assemblée nationale et le Sénat ont su parvenir rapidement à un large consensus pour présenter un texte qui soit conforme à la fois à l'esprit du projet du Gouvernement et aux intérêts des entreprises publiques Électricité de France et Gaz de France. Ainsi le Sénat a-t-il adopté conformes dix-huit articles du projet de loi, qui en comptait trente-neuf, et cette volonté d'accord s'est manifestée de façon éclatante au cours des travaux de la CMP.

Je rappellerai très brièvement les objectifs de ce projet de loi qui, comme je l'avais indiqué lors de sa présentation, est avant tout un texte d'adaptation et de transposition.

Ce projet vise d'abord à transposer la directive qui avait été adoptée l'an dernier,...

M. François Brottes. C'est un prétexte !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...à la suite du sommet de Barcelone au cours duquel le Premier ministre de l'époque, M. Lionel Jospin, avait fort lucidement engagé notre pays sur la voie de la modernisation. Le texte présenté était alors largement conforme à un certain nombre de souhaits exprimés par des responsables du parti socialiste, je pense notamment à M. Laurent Fabius et M. Dominique Strauss-Kahn, qui, empêchés par d'autres obligations, n'ont pas pu faire part, au cours des débats dans cet hémicycle, des idées qu'ils avaient précisément formulées sur le devenir de nos entreprises publiques. (Sourires.)

M. François Brottes. C'est le Café du commerce, ce matin, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ce projet vise également à transposer l'accord social, intervenu en janvier 2003 sur le devenir du régime des retraites.

Il tend aussi à adapter la forme juridique de l'entreprise, passant du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial à celui de société anonyme.

Le Sénat a retenu deux dispositions importantes qui doivent beaucoup à l'initiative du président de la commission, Patrick Ollier, que je tiens à saluer,...

M. Martial Saddier. Bravo !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...et de votre rapporteur.

La première concerne le tarif social, que nous avons étendu après que le Gouvernement, d'une façon déterminée, a mis en application une disposition votée par la précédente majorité, mais pour laquelle elle s'était bien gardée de prendre le décret permettant sa mise en oeuvre.

La deuxième disposition, à laquelle je suis très attaché, autorise, à la date du 1er juillet 2004, les collectivités locales à ne pas faire jouer leur éligibilité dans le cadre des procédures d'appel d'offres, tout en gardant la capacité juridique de le faire si elles le souhaitent.

Le Sénat a enrichi le texte issu des travaux de notre assemblée, adoptant quatorze articles additionnels particulièrement pertinents.

M. François Brottes. Il a doublé la mise !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. À plusieurs reprises au cours de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie et de celui du projet de loi sur le statut d'EDF et de GDF, l'Assemblée nationale avait souhaité que l'une de ces dispositions, relevant du volet « gaz » de la directive relative à l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz à la concurrence et portant sur l'accès des tiers au stockage, soit inscrite dans le droit français. En raison de divers problèmes d'ordre juridique ou pratique, le Gouvernement n'avait pas été en mesure de proposer une rédaction au cours de la première lecture à l'Assemblée. Un travail fécond a été accompli au Sénat et a abouti à l'élaboration d'un texte intégralement repris par la commission mixte paritaire. Celle-ci s'est simplement contentée, dans un souci qu'on pourrait qualifier d'esthétique, de modifications de forme, afin que ces dispositions relatives à l'accès des tiers au stockage soient insérées dans la loi du 3 janvier 2003 qui, de ce point de vue, présentait des lacunes. Nous aurons désormais un ensemble cohérent. Cette disposition, incluse parmi les décisions qu'avait prises le gouvernement précédent pour l'ouverture du marché du gaz, n'avait pas encore trouvé à être appliquée. C'est aujourd'hui chose faite.

En la matière, la transposition se fait a minima, puisqu'il s'agit d'un accès des tiers au stockage négocié, et non pas régulé. Toutefois, cela reste conforme à la directive. Le Gouvernement français avait d'ailleurs insisté pour que l'on s'en tînt à la possibilité de négocier et que l'on ne rendît pas la régulation obligatoire.

Une autre disposition importante adoptée par le Sénat permet une meilleure rémunération de l'effacement au profit des entreprises grandes consommatrices d'électricité. La nécessité de ce dispositif, qui permet d'effacer une consommation de façon à rendre disponibles les capacités de production au profit de secteurs particulièrement demandeurs, s'est notamment fait sentir au moment de la canicule de l'été dernier. Les entreprises qui acceptaient cet effacement pouvaient être lésées. Aujourd'hui, une meilleure rémunération leur est proposée.

Le Sénat a d'autre part amélioré les dispositifs transitoires, notamment ceux concernant les tarifs d'acheminement de l'électricité. Je n'entre pas dans le détail : chacun peut se reporter au texte adopté par le Sénat et repris par la commission mixte paritaire. Le dispositif concernant la contribution tarifaire devrait donner entière satisfaction.

Restait un point qui a été évoqué ici en première lecture : le dispositif des retraites. Sur le fond, nous avons transposé l'accord social passé avec les organisations syndicales et les représentants des employeurs, mais un problème se posait pour les entreprises du secteur de l'électricité qui, avant la loi de février 2000, vendaient leur électricité à EDF. Celles qui, aujourd'hui, ne sont plus dans le secteur public, étaient fortement pénalisées, puisqu'elles étaient amenées à verser une contribution importante au titre des droits acquis par leurs salariés. C'était d'autant plus injuste que, avant 2000, ces entreprises vendaient leur électricité à EDF, dans le cadre de contrats et de conventions, à un prix qui ne leur permettait pas de provisionner les sommes nécessaires.

Un important débat a eu lieu. L'Assemblée avait, de façon très pressante, demandé au Gouvernement de réfléchir avec la représentation nationale à un dispositif qui fût juste et équitable. Une solution a été trouvée au Sénat. Elle a été améliorée encore au cours de la réunion de la commission mixte paritaire. En définitive, le dispositif concerne les opérateurs de réseaux de chaleur et, surtout, les producteurs hydrauliques qui, avant février 2000, appartenaient au secteur public. Il a cependant été décidé de traiter différemment les producteurs qui bénéficiaient de l'obligation d'achat et disposaient alors d'une marge de manœuvre beaucoup plus grande pour la prise en compte des sommes correspondant aux provisions nécessaires.

Aujourd'hui, les producteurs hydrauliques qui étaient liés à EDF par des contrats avant le 10 février 2000, conformément à l'article 50 de la loi de 2000, bénéficient bel et bien des deux dispositions arrêtées par le Gouvernement : l'extension du champ des activités éligibles au bénéfice de la contribution tarifaire et la prise en compte de la réduction de la masse salariale.

Enfin, certaines dispositions concernant le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz avaient été inscrites dans la loi d'orientation sur l'énergie, alors que d'autres avaient été ajoutées dans la loi sur le statut d'EDF et GDF. La commission mixte paritaire a jugé préférable de réunir l'ensemble de ces dispositions dans un même véhicule législatif. Aussi la présence du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz est-elle désormais plus affirmée. Il se transforme en « Conseil supérieur de l'énergie » et sa composition est légèrement modifiée, afin de tenir compte, pour le collège des représentants des entreprises, de l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz à la concurrence.

M. François Brottes. On n'est jamais mieux servi que par soi-même !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ainsi, notre texte est conforme à la réalité créée par les lois que nous avons votées.

M. Daniel Paul. Conforme à ce que vous souhaitiez !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Depuis le 1er juillet 2004, le paysage énergétique français a été largement modifié, 70 % du secteur étant ouvert à la concurrence.

Au moment de conclure, et après vous avoir rappelé les dispositions essentielles que la commission mixte paritaire a adoptées, je me permets deux observations. Puisqu'il n'est pas interdit d'être sincère à cette tribune, je dirai que nous avons apprécié l'attitude très constructive et très ouverte du Gouvernement : il a noué avec les représentants de l'Assemblée nationale un dialogue particulièrement agréable qui leur a permis de travailler utilement à l'élaboration d'un texte qui correspondait bien aux attentes et aux exigences du moment.

Toujours au nom de la sincérité, je voudrais également remercier le président de la commission des affaires économiques, qui a laissé à votre rapporteur une grande latitude pour examiner, avec les partenaires qu'il rencontrait, les dispositions qu'il convenait de retenir dans notre projet.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. C'était une question de confiance !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Au terme de cette discussion, je voudrais également remercier les fonctionnaires du ministère de l'industrie, les collaborateurs du ministre et ceux de la commission des affaires économiques : leur travail, considérable, a grandement contribué au succès de notre entreprise.

L'Assemblée nationale et votre rapporteur ont également beaucoup apprécié l'attitude du rapporteur de la commission des affaires économiques et du plan du Sénat, M. Ladislas Poniatowski, qui a toujours veillé à ce qu'il puisse y avoir un rapprochement des points de vue, avant même que le Sénat n'entreprît la lecture de ce texte, lors de l'examen du projet par le Sénat et en commission mixte paritaire, où nous avons profité de sa grande expérience, de sa bonne connaissance du dossier et, surtout, de sa volonté d'aboutir à un texte qui fût, dans toute la mesure du possible, conforme aux engagements qui avaient été pris par les deux assemblées et, surtout, à l'intérêt et à l'idée que nous nous faisons de l'avenir des entreprises pour lesquelles nous avons posé de nouveaux jalons juridiques.

En ce jour,...

M. François Brottes. Triste journée !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. ...nous avons donc mis la dernière main à une œuvre importante. Électricité de France et Gaz de France, nées en 1946, auront parcouru, au cours de l'été 2004, une étape importante, qui apparaîtra rapidement comme décisive pour le développement de deux entreprises qui, grâce à celles et ceux qui voteront ce dispositif, vont devenir de vrais champions, en Europe, pour que le rayonnement de notre pays soit encore plus lumineux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on nous avait dit que l'examen de ce texte serait difficile, que nous ne parviendrions pas à le faire voter par la majorité. C'était compter sans le sens de la pédagogie et de la concertation de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, qui, au fil des mois, ont montré que ni la majorité ni le Gouvernement n'avaient de mauvaises intentions vis-à-vis d'une entreprise qui fait partie de l'histoire de notre République et à laquelle nous sommes très attachés.

Le texte que nous allons voter est la preuve du pragmatisme de notre majorité. Le monde change, l'Europe s'organise, et nos services, nos entreprises, nos modalités de fonctionnement, notre économie doivent s'adapter à cette évolution. Grâce à ce texte empreint de pragmatisme, EDF va pouvoir prendre sa place dans la nouvelle compétition européenne et, après avoir été le premier en France, devenir le premier en Europe.

Pour cela, il fallait modifier la forme juridique de l'organisation de l'entreprise : c'est fait. Avec pragmatisme, nous avons décidé d'ouvrir le capital à 70 % : le Gouvernement l'avait souhaité, le rapporteur et moi-même avons déposé un amendement allant en ce sens, et je remercie le Parlement de l'avoir adopté. Ainsi, le Gouvernement peut continuer de maîtriser les opérations : personne, au moment du vote final, ne peut encore imaginer qu'il ait eu de mauvaises intentions.

Avec pragmatisme, encore, nous avons offert aux agents d'EDF la possibilité de devenir actionnaires de leur entreprise, à la faveur de l'ouverture du capital : je remercie le Sénat d'avoir accepté ces amendements importants.

Avec pragmatisme, enfin, nous avons adopté des dispositions permettant à l'entreprise de se doter des moyens financiers qui, le moment venu, assureront sa modernisation et la nécessaire adaptation pour la mise en œuvre de l'EPR.

Le courage a également prévalu, car il en a fallu beaucoup au Gouvernement pour affronter une réforme dite impossible. Mais ce courage s'est manifesté sur tous les bancs de l'Assemblée, et je dois rendre hommage à ceux des députés de l'opposition qui n'ont pas complètement tourné le dos à la modernisation, à l'EPR, c'est-à-dire à la continuité dans le nucléaire. Certains ont toujours soutenu cette position, quelle que soit la majorité. Je ne voudrais pas embarrasser M. Bataille...

M. Léonce Deprez. Vous allez lui faire de la peine !

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. ...dont je viens quand même de citer le nom. (Sourires.)

M. François-Michel Gonnot. Vous voulez sa mort ?

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Il y a, dans les rangs de l'opposition, des personnes courageuses, et je tiens à leur rendre hommage, car, dès lors que l'intérêt supérieur de la France est en jeu, tous les soutiens sont les bienvenus, quels que soient les bancs sur lesquels ils s'expriment.

Du courage, il en a fallu également pour ouvrir les négociations avec les syndicats. Je le répète, lorsqu'on explique les choses avant de décider, les syndicats font preuve de responsabilité. En l'occurrence, même si quelques débordements ont été constatés, le sens de la responsabilité l'a emporté et les difficultés ont petit à petit été surmontées.

Enfin, cette réforme s'inscrit dans la continuité. Les dispositions que vous avez prises dans ce texte, monsieur le ministre - le rapporteur les a détaillées, je n'insisterai pas - garantissent en effet la continuité de la mission de service public de l'entreprise, et nous nous en réjouissons.

Le texte auquel est parvenue la commission mixte paritaire est satisfaisant, et je tiens à remercier notre rapporteur, Jean-Claude Lenoir, pour sa compétence et sa patience face aux milliers d'amendements qui ont été déposés.

M. Daniel Paul. C'est un fossoyeur !

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Je tiens également à remercier le porte-parole du groupe UMP, François-Michel Gonnot. Il nous a soutenus dans ce parcours rendu difficile par les tentatives d'obstruction lancées par l'opposition.

M. Daniel Paul. Mais non !

M. François Brottes. Nous étions à l'heure ce matin, nous !

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. La conscience générale du Parlement a permis de les contenir et la manœuvre n'a pas abouti.

M. Brottes et M. Paul ne m'en voudront pas, je l'espère, d'avoir fait cette remarque, d'autant que je tiens à les remercier pour la qualité de leurs interventions, dans l'hémicycle mais surtout en commission. Nos travaux ont toujours été empreints d'un respect réciproque et de la volonté sincère de défendre nos arguments. Nous ne sommes certes pas d'accord sur le fond, mais nous avons débattu et combattu, dans le respect de chacun. Et si, dans quelques instants, la majorité rejette tout ce que l'opposition aurait souhaité mettre en œuvre, elle l'aura fait dans le cadre de ce que l'on appelle la démocratie. Personne en effet ne pourra dire que celle-ci n'aura pas été respectée.

Je remercie le Sénat, qui a fait preuve de beaucoup d'objectivité. Je veux lui rendre hommage en tant que président de la commission mixte paritaire, parce que la CMP aurait pu être plus difficile qu'elle n'a été. Les sénateurs ont fait plusieurs pas vers nous et nous avons fait le même effort. En définitive, le texte qui vous est proposé est équilibré, responsable, pragmatique et courageux.

Je m'associe aux remerciements du rapporteur concernant les services de l'Assemblée, notamment les fonctionnaires de la commission des affaires économiques qui ont été en permanence sollicités pendant plus de deux mois, ainsi que la présidence. Vous-même, monsieur le président, qui avez présidé plusieurs séances, vous savez que cela n'a pas toujours été facile.

Enfin, je terminerai en disant combien j'ai apprécié l'ouverture d'esprit de M. Sarkozy et de M. Devedjian. Les sollicitations que nous avons formulées n'ont rencontré chez eux aucun obstacle. Ce travail de partenariat est encourageant, il permet d'obtenir un résultat efficace, monsieur le ministre.

À présent, je me tourne vers la majorité pour lui demander de voter avec confiance et enthousiasme le texte que nous lui proposons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, depuis le 1er juillet 2004, le marché de l'électricité est ouvert à 70 % à la concurrence - la gauche et la droite l'ont voulu, elles en portent ensemble la responsabilité. Déjà quelques centaines de clients ont quitté EDF pour bénéficier des offres de ses concurrents. Il ne s'agit pas d'une révolution, puisque cela représente, pour le moment, moins de 1 % du chiffre d'affaires d'EDF, mais des prémices d'une évolution de fond, qui va voir les parts de marché d'EDF et de Gaz de France en France s'éroder progressivement.

M. Daniel Paul. Il n'y a pas lieu de s'en féliciter !

M. le ministre délégué à l'industrie. Les débats sur ce projet de loi ont bien montré que, face à cette évolution due à l'ouverture du marché, l'immobilisme ne pouvait être une réponse. En tout cas, ce n'est pas celle du Gouvernement. Ce n'est pas non plus l'attitude de sa majorité et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé de transformer les EPIC EDF et Gaz de France en sociétés anonymes.

Cela devrait leur permettre : premièrement, de ne plus être la cible de la Commission européenne, ce qui n'est pas rien ; deuxièmement, d'offrir en même temps de l'électricité, du gaz et des services ; troisièmement, de disposer de toute la liberté nécessaire pour agir en Europe, notamment en Espagne et en Italie ; quatrièmement, de disposer des financements suffisants pour se développer, étant entendu que nous savons, d'expérience, que l'État n'a ni la volonté, ni les capacités de fournir ces moyens indispensables.

La transformation en société anonyme n'est pas un renoncement d'EDF à ses valeurs, à ses ambitions, mais, au contraire une condition nécessaire pour qu'EDF puisse y rester fidèle dans son nouvel environnement concurrentiel.

La France aurait dû, depuis le 1er juillet 2004, transposer les deuxièmes directives européennes. Nous avons un petit peu dépassé le délai. Seuls quelques pays ont, à ce stade, respecté cette échéance mais cela ne peut constituer une excuse à notre propre retard. Il n'y a pas de raison que la France ne figure pas, pour une fois, parmi les bons élèves de la classe européenne. Je rappelle que, pour ce qui est de la transposition des directives, notre pays se situe, malgré ou à cause de l'élargissement, au dix-septième rang.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Eh oui !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est-à-dire que non seulement nous sommes les derniers des Quinze mais que, parmi les nouveaux entrants, deux pays ont déjà fait mieux que nous.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Qu'a fait la gauche pendant cinq ans ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Oh, les responsabilités sont partagées en cette matière.

M. Pierre Hellier. Ah bon ?

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est assez complexe, et nous avons chacun notre part de responsabilité, reconnaissons-le. Mais il n'est pas interdit à notre pays, qui aime tant donner des leçons à tout le monde, d'essayer de se classer parmi les bons élèves.

À ce propos, je suis heureux que, grâce à la diligence avec laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé, notamment en commission mixte paritaire, monsieur Ollier, l'examen de ce texte n'ait souffert aucun retard, d'autant que cette célérité n'a pas empêché que les débats soient riches et utiles, tout en conciliant les droits de l'opposition. Celle-ci a pu s'exprimer très librement, dans un climat de courtoisie et de respect, en sollicitant parfois notre patience, je le dis sans malice, monsieur Paul, par son côté répétitif.

M. Daniel Paul. Pas du tout. C'est du psittacisme ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. En tous les cas dans un climat démocratique.

À cet égard, je voudrais vous remercier, monsieur le président Ollier, d'avoir su donner à ces débats, tant en commission des affaires économiques qu'au sein de la commission mixte paritaire ou en séance, un caractère utile, en particulier s'agissant des amendements.

Je veux remercier aussi ce grand expert d'EDF qu'est votre rapporteur, M. Lenoir - M. Gonnot n'est pas le seul expert d'EDF dans cette assemblée - dont la compétence, le savoir et la finesse d'analyse, en particulier sur les régimes de retraite, nous ont impressionnés.

M. Pierre Hellier. Il est branché !

M. Jean Proriol. Peut-être est-il intéressé ? (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Le texte issu de la CMP est donc un texte profondément enrichi, notamment sur des sujets importants, que M. Ollier a déjà évoqués.

Ainsi, le taux de détention minimum par l'État du capital d'EDF et de Gaz de France a été augmenté de 50 à 70 %, avec le soutien du Gouvernement mais grâce à l'amendement de la commission. Non seulement EDF et Gaz de France ne seront donc pas privatisés, mais l'État conservera la pleine maîtrise de la définition de leur stratégie, ce qui est important.

De même, le taux de participation des salariés à toute éventuelle augmentation de capital a été porté de 10 à 15 % afin qu'ils puissent bénéficier pleinement du fruit de leur travail et prennent demain une large place dans le capital de leur entreprise. Associer le capital et le travail est une vieille idée que nous partageons. Évidemment, il s'agit d'un concept qui dépasse, monsieur Paul, celui de la lutte des classes. Essayons de transcender cette dialectique.

M. Daniel Paul. Vieux rêve que tout cela !

M. le ministre délégué à l'industrie. Bien entendu, mais la gauche ne va pas reprocher à la droite de rêver, elle qui explique tout le temps, et de ce point de vue elle a raison, que l'humanité ne progresse que par ses rêves. Nous aussi, nous avons nos rêves.

M. Daniel Paul. Ce ne sont pas les nôtres !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce sont des rêves de paix et de réconciliation des classes sociales, pas d'affrontement et de guerre civile.

Un bon équilibre a, je crois, été trouvé entre l'Assemblée et le Sénat pour concilier l'indépendance de gestion des réseaux de transport et le caractère intégré d'EDF et de Gaz de France. Il n'était pas évident de ménager ces deux paramètres. La soumission de la nomination du seul directeur général d'EDF Transport à l'accord du ministre, la création d'un code de bonne de conduite et d'un rapport de la CRE sur l'indépendance des gestionnaires de réseaux sont ainsi des ajouts très utiles au texte.

Enfin, on peut se réjouir de l'initiative du Sénat, largement amendée par le rapporteur lors de la CMP, de proposer un dispositif complet d'accès négocié des tiers au stockage de gaz conciliant à la fois le service public et l'ouverture à la concurrence. Ce dispositif répond ainsi à un des souhaits qui avaient été exprimés par plusieurs d'entre vous, notamment M. Gonnot. Il permettra de plus à la France d'avoir transposé l'ensemble des directives européennes dans ce domaine.

Le projet de loi qui vous est présenté est donc un projet équilibré qui satisfait le Gouvernement et que je vous propose d'adopter en l'état, ainsi que l'a fait le Sénat hier.

C'est une étape importante qui sera ainsi franchie dans la voie de la modernisation des deux champions nationaux que sont EDF et Gaz de France. Ils ont vocation, c'est notre ambition, à devenir des champions européens ; ils en auront, notamment grâce à cette loi, les moyens, et ils pourront même devenir des champions mondiaux. EDF est leader dans son domaine mais est capable de faire beaucoup mieux sur le marché mondial, il en aura maintenant les moyens juridiques et, demain, les moyens financiers.

Je sais aussi qu'il nous reste un travail considérable à accomplir pour donner à ces deux entreprises tous les moyens, notamment financiers, de réussir, ce qui pose évidemment la question de l'augmentation de leur capital. Vous savez que c'est un sujet auquel le Gouvernement entend s'attaquer dès septembre et auquel il associera étroitement le Parlement ainsi que l'ensemble des acteurs concernés, notamment les salariés des entreprises.

Je sais enfin que ce projet de loi indispensable ne trouvera sa véritable dimension que dans les décrets d'application, dont le nombre devrait tourner autour vingt-cinq. Le Gouvernement s'engage à les prendre dans les meilleurs délais, il s'est d'ailleurs déjà attelé à la tâche. C'est indispensable.

Pour finir, je veux m'associer aux remerciements qui ont été exprimés à l'égard des personnels de l'Assemblée nationale. J'ai déjà eu l'occasion de remercier les membres de mon cabinet. Nous avons eu de longues séances de nuit, monsieur le président, qui ont sollicité le courage et l'éveil de tous. Tout le monde y a mis beaucoup de bonne volonté ; le Gouvernement vous en est reconnaissant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Monsieur le ministre, en ouverture du débat en première lecture sur votre projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, je vous avais mis en garde sur l'inconstitutionnalité de ce texte. Tout au long de la discussion des articles, j'ai appelé votre attention sur le fait que plusieurs de ses dispositions franchissaient la ligne jaune des principes de notre Constitution.

Vous n'avez malheureusement pas tenu compte de ces observations. A l'occasion de l'examen du texte adopté par la CMP, je veux encore une fois vous alerter sur les dispositions qui sont contraires à notre Constitution.

Permettez moi d'ajouter, monsieur le ministre, que malgré la courtoisie de nos échanges dans cette assemblée, vous aurez peut-être une grande désillusion lorsque ce texte sera examiné par le Conseil constitutionnel, le groupe socialiste ayant, bien entendu, décidé de le déférer devant le juge constitutionnel s'il était adopté en l'état.

Je développerai trois points dans ma démonstration.

En premier lieu, le changement de statut d'EDF et GDF, qui seront non plus des établissements publics, mais des sociétés anonymes, n'est pas anodin, même s'il est prévu que celles-ci soient contrôlées à 70 % par l'État. En effet, c'est une façon d'engager leur privatisation de manière progressive et rampante. Nous vivons donc aujourd'hui un jour noir de l'histoire énergétique de notre pays.

M. Pierre Cohen. Exactement !

M. Christian Bataille. En deuxième lieu, l'atout stratégique que constitue le parc électronucléaire d'EDF par sa contribution à l'indépendance énergétique nationale sortira affaibli de cette épreuve législative. Non seulement vous ne traitez pas des questions fondamentales pour l'avenir comme les provisions pour démantèlement et pour l'aval du cycle nucléaire, mais aussi vous ne garantissez en rien, bien au contraire, des décisions de pérennisation qui ne vous appartiendront peut-être plus le moment venu.

En troisième lieu, les réseaux de transport et de distribution de l'énergie, au lieu d'être sanctuarisés comme l'exige leur caractère de service public et de monopole, seraient placés, contrairement aux apparences, dans une logique financière et commerciale contraire aux principes généraux de notre Constitution.

J'en viens au premier grand point de mon propos.

En vous obstinant, contre tout bon sens, contre la volonté des agents d'EDF et de GDF et d'une grande partie de nos concitoyens, à faire adopter ce texte, vous gravissez la première marche qui conduit à la privatisation et, ce faisant, vous autorisez, pour des motifs idéologiques, votre majorité à dépouiller la nation de son actif le plus important pour son avenir énergétique et économique.

Tout au long de nos débats, il est apparu clairement que la seule motivation du projet de loi, c'est bien de rendre possible la privatisation d'EDF et de GDF. Monsieur le ministre, je ne m'étendrai plus, comme je l'avais fait en première lecture, sur les variations de votre argumentation qui n'a pas réussi à nous convaincre de la nécessité absolue du changement de statut. Citer tous ces arguments nous prendrait des heures. Permettez-moi néanmoins d'en évoquer quelques uns.

Le changement de statut est-il une exigence de la Commission européenne ? Non ! Celle-ci vous a fixé une obligation non pas de moyens, mais de résultat en termes de compensation d'un avantage de financement résultant de la garantie de l'État.

Était-il bien nécessaire de permettre à EDF et à GDF d'avoir la possibilité de faire faillite à l'instar de leurs concurrents européens ? Peut-on sérieusement nous faire croire que des entreprises de cette taille et de cette importance peuvent faire faillite ?

Le changement de statut est-il justifié par l'urgence de réduire la dette publique ? Comment nous faire croire que la privatisation d'EDF et de GDF est à l'échelle du problème et que la bonne méthode pour combler la dette serait de vendre des actifs productifs, générateurs de revenus importants et réguliers ?

Est-il justifié par la nécessité de trouver des financements pour le développement des entreprises ? Mais pour financer son développement et réaliser, au final, nombre d'opérations internationales hasardeuses, EDF n'a eu qu'à mobiliser sa capacité d'autofinancement !

S'agit-il de permettre de nouer des partenariats par des participations croisées ? Il se trouve qu'EDF a déjà pu prendre des participations dans des entreprises extérieures et constituer des filiales communes sans aucune difficulté !

Est-ce pour sortir du principe de spécialité de chacune des deux entreprises ? Il était possible de le faire dans le cadre du statut d'EPIC et avec la loi de février 2000 !

Monsieur le ministre, à quelles raisons M. Sarkozy et vous-même ne vous êtes-vous pas raccrochés successivement, au fur et à mesure que vos arguments cassaient comme des branches trop légères, pour justifier l'injustifiable, à savoir la privatisation de nos deux plus brillantes entreprises publiques ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Que ne faut-il pas entendre ?

M. Christian Bataille. Et d'ailleurs, quelles concessions n'avez-vous pas consenties dans l'ombre du théâtre secret des négociations que vous avez conduites avec différents interlocuteurs ?

En réalité, l'essentiel du projet de loi, c'est le changement de statut d'EDF et de GDF et la filialisation des gestionnaires des réseaux de transport de l'électricité et du gaz - GRT -, parce que votre intention, c'est la privatisation d'EDF et de GDF, fantasme absolu de la droite depuis des années, depuis que, dans ce pays républicain, on s'est mis en tête d'imiter Mme Thatcher, M. Reagan et tous les ultra-libéraux qui leur ont succédé.

M. Jean-Marie Geveaux. Rien que ça !

M. Pierre Cohen. Eh oui, vous êtes dans cette lignée !

M. Christian Bataille. Dans sa dernière version, l'article 22 du projet de loi affirme avec superbe que « Électricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l'État détient plus de 70 % du capital. Sauf dispositions contraires, elles sont régies par les lois applicables aux sociétés anonymes ». A cet égard, monsieur le ministre, je ferai une remarque et je vous poserai une question.

Arrêtons-nous quelques instants sur ces deux phrases et considérons-les dans la perspective de quelques décennies de l'histoire contemporaine de notre pays. Au niveau des symboles, et malheureusement aussi de la réalité de tous les jours, la juxtaposition des mots « Électricité de France » ou « Gaz de France » et des mots « société anonyme » constitue une dissonance insupportable, une incongruité inouïe et la négation de l'histoire du service public de l'électricité et du gaz depuis 1946.

Je vous poserai aussi une question. A qui ferez-vous croire en 2004 que la disposition selon laquelle « l'État détient plus de 70 % du capital » garantit à long terme la propriété publique des actifs d'EDF et de GDF ? Vous nous dites à ce propos que cette disposition obligera le Parlement à se prononcer sur toute baisse de la participation de l'État. Mais chacun sait que, d'une manière générale, rien n'interdit à une société anonyme de filialiser ses activités, et chacun constate qu'en particulier rien ne l'interdit dans le projet de loi.

Comme je vous l'avais annoncé dès la première lecture, et je vous le confirme encore une fois aujourd'hui, ce texte ouvre en grand les portes de la privatisation. Nous savons bien dans cette assemblée, et nos concitoyens le savent aussi, que les ressources du droit des sociétés anonymes et l'imagination des juristes sont immenses pour vider une entreprise de son contenu, pour permettre, par la création de filiales , en cascade si nécessaire, la vente par appartements des actifs les plus rentables d'une société anonyme et pour cantonner au niveau de la société mère les dettes et les engagements. Chacun sait dans cette assemblée, et nos concitoyens le savent aussi, qu'il n'est même pas nécessaire de vendre des participations majoritaires pour perdre le contrôle d'une filiale.

Pour prendre l'exemple de la centrale électronucléaire de Gravelines, qui se trouve dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, votre texte, monsieur le ministre, permet-il de garantir que ce fleuron de notre patrimoine industriel national, équipé de six réacteurs de 900 mégawatts, ne sera pas un jour filialisé ? Le texte apporte-t-il la garantie que sur Gravelines ne flottera pas un jour le drapeau de Suez-Electrabel, de RWE, voire des entreprises américaines Entergy ou Dominion ? Non ! Ce projet de loi non seulement n'interdit pas ce cauchemar pour l'indépendance nationale, mais il le rend possible !

Permettez-moi d'ajouter qu'au-delà de la propriété d'EDF et de GDF, la solidarité nationale au jour le jour risque aussi d'être démantelée du fait de la remise en cause de la péréquation tarifaire, puisque celle-ci ne pourra s'appliquer qu'au transport et non plus aussi à la production, à la commercialisation et aux services.

C'est donc vers une double privatisation que ce projet de loi risque de nous entraîner : d'une part, celle de nos entreprises publiques EDF et GDF - entreprises ô combien méritantes et appréciées par la communauté nationale ! - et, d'autre part, celle de notre approvisionnement en électricité où l'impératif de la rentabilité à court terme va appliquer sa loi d'airain.

J'aborde maintenant le grand point de mon propos.

Ce texte compromet l'avenir du parc électronucléaire, atout stratégique de la nation dans la compétition économique européenne et dans la lutte contre le changement climatique, alors même que le contexte énergétique mondial est fragilisé et que la réduction des émissions de gaz à effet de serre est un impératif reconnu par tous.

Les cinquante-huit réacteurs nucléaires du parc d'EDF font partie intégrante du patrimoine national. Cet investissement, payé par les redevances des usagers, appartient à la nation et ne peut être aliéné en raison de son importance stratégique.

C'est l'électricité nucléaire qui a permis à la France de diminuer sa facture énergétique, d'alléger ainsi le prélèvement extérieur sur la richesse nationale et de diviser par trois son poids par rapport au PIB. Représentant un avantage compétitif considérable pour l'industrie de notre pays, les prix d'EDF ont été inférieurs à ceux du marché européen et se sont révélés stables sur une longue période.

Le changement de statut d'EDF et l'ouverture de son capital sont le prélude au démembrement de notre parc électronucléaire, qui va devenir accessible à des acquéreurs potentiels. L'exemple des États-Unis est à cet égard éclairant : des producteurs d'électricité cherchent par tous les moyens à donner une composante nucléaire à leur parc de centrales ou à augmenter cette part du nucléaire, de manière à se prémunir contre les hausses de prix prévisibles des combustibles fossiles : pétrole, gaz ou charbon.

Voulons-nous que les installations nucléaires françaises se retrouvent sous pavillon privé après la vente d'EDF par appartements ou la filialisation de ses activités ? Voulons-nous que ces installations passent sous le contrôle de fonds de pension américains et que, au lieu de servir les intérêts de notre pays en tant que pivot de sa stratégie d'indépendance nationale, elles servent en premier lieu les intérêts d'actionnaires privés ?

Cette perspective de la privatisation de nos centrales nucléaires est d'autant plus insupportable que ces outils sont souvent sur le point d'être amortis économiquement et vont devenir un atout encore plus décisif dans la compétition économique.

Notre parc électronucléaire, qui parvient à maturité, va être la source de revenus nets réguliers considérables et va renforcer la capacité d'autofinancement de l'entreprise, puisque, comme je le disais, de nombreuses centrales seront amorties économiquement dans les toutes prochaines années et que la marge sur le courant électrique produit par un réacteur amorti est de plus de 50 %.

Je vous rappellerai encore une fois, monsieur le ministre, l'évaluation, que j'ai faite en 1999 avec notre ancien collègue Robert Galley, du montant de cette rente nucléaire, évaluation qui n'a jamais été démentie ni par votre ministère ni par EDF. Le cash flow cumulé, généré par le parc électronucléaire d'EDF sur les dix années suivant l'amortissement, est de 15 à 23 milliards d'euros. Calculé sur la base d'une durée de vie de cinquante ans, il pourrait s'élever à 38 milliards d'euros, d'où le nom plaisant mais illustratif de « cash cows » ou « vaches à lait » que l'on peut donner aux centrales nucléaires amorties.

À quoi voulons-nous voir utiliser ce cash flow ? Au versement de dividendes à des actionnaires privés ou au maintien de bas prix du courant électrique et au réinvestissement en vue de renouveler notre parc de production électrique ?

Monsieur le ministre, vous savez bien que l'entrée d'actionnaires privés au capital d'EDF va modifier en profondeur tant la définition de l'entreprise que son fonctionnement. Il est tout à fait évident qu'une autre logique sera exigée par les actionnaires privés, même s'ils ne détiennent que 30 % du capital. Cette logique, ce sera la maximisation du profit à court terme, y compris par des hausses de prix et par la captation de la rente, en rupture avec la philosophie du service public qui a prévalu depuis 1946.

Voulez-vous vraiment que des actionnaires privés touchent les dividendes d'investissements payés par les citoyens de notre pays ? Il y aurait là une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, en contradiction avec les principes généraux de notre Constitution.

Mais la captation immédiate de la rente nucléaire par des actionnaires privés n'est pas le seul inconvénient grave de ce texte pour le pays.

La direction d'EDF et vous-même n'avez eu de cesse d'indiquer que l'ouverture du capital a pour but de redonner à l'entreprise des marges de manœuvre pour investir. Permettez-moi de rappeler que l'investissement dans le parc électronucléaire d'EDF a été financé par l'entreprise elle-même, la signature d'EDF ayant été jugée l'une des meilleures du monde, non en raison de la garantie de l'État mais à cause de l'abondance et de la régularité de ses recettes d'exploitation. Je ne m'étendrai pas sur le fait que cette capacité a même servi à financer une expansion internationale discutable, mal maîtrisée et dont l'entreprise paye aujourd'hui le prix.

Ouvrir le capital d'EDF, c'est non seulement renforcer l'impératif du court terme, mais aussi restreindre la capacité d'investissement à long terme et rendre plus difficile le renouvellement du parc électronucléaire à partir de 2020.

Une telle évolution constituera un changement majeur pour l'entreprise et son rôle au service de la collectivité nationale, non seulement dans le domaine économique mais aussi dans le domaine environnemental.

On ne rappellera jamais assez que c'est grâce à EDF que, après la Suisse et la Suède, la France réalise les meilleures performances mondiales des pays développés en termes de limitation de ses rejets de gaz carbonique, avec des émissions de l, 6 tonne de carbone par habitant, contre 2,45 pour le Royaume-Uni et 2,73 pour l'Allemagne, sans parler des 5,58 tonnes des États-Unis. Comment ne pas voir que cet avantage national risque lui aussi d'être remis en cause à terme si, pour privilégier sa rentabilité à court terme, EDF remplace ses réacteurs nucléaires les plus anciens par des cycles combinés à gaz, aggravant d'un seul coup notre dépendance extérieure pour le gaz et relançant nos émissions de gaz à effet de serre ?

Non seulement le texte tourne le dos à plusieurs décennies d'une politique énergétique qui a fait ses preuves, mais il omet aussi de traiter plusieurs questions fondamentales pour l'avenir des finances publiques et d'EDF.

La première concerne le montant des provisions pour le démantèlement et pour l'aval du cycle, dont nous avions débattu en première lecture à propos d'un amendement. Dans la mesure où le statut d'EDF sera celui d'une société anonyme, il paraît indispensable que l'État fixe chaque année, par un décret en Conseil d'État, le montant de ces provisions. Il paraît également indispensable qu'il contrôle leur utilisation, afin que la charge n'en incombe pas à la collectivité nationale, alors que celle-ci l'a déjà acquittée, incluse dans le prix du kilowattheure.

C'est pourquoi le projet de loi aurait dû comprendre une disposition indiquant qu'un décret en Conseil d'État fixe le montant des provisions qu'EDF doit obligatoirement consacrer chaque année au financement du démantèlement et de l'aval du cycle, ainsi que les conditions dans lesquelles la gestion de ces provisions est contrôlée par l'État.

Mais le changement de statut implique que l'on aille plus loin et qu'il soit créé un fonds spécial de financement de la gestion des déchets radioactifs. C'est le sens des réflexions engagées à l'heure actuelle au plan européen. La France ne peut pas être à l'écart de cette démarche car, demain, le financement du démantèlement ne pourra pas souffrir des dépenses inconsidérées faites par nos grands groupes énergétiques dans des filiales sans rapport avec la production d'énergie électrique.

En effet, la transformation d'EDF en société anonyme aurait justifié une gestion indépendante des provisions constituées pour l'aval du cycle, la présence d'actionnaires privés changeant désormais la donne. La constitution d'un fonds dédié au financement de la gestion des déchets radioactifs répondrait à la nécessité non seulement d'assurer la pérennité et la liquidité des provisions effectuées pour l'aval du cycle, mais également de prévoir le financement de la gestion des déchets radioactifs. Ce fonds permettrait aussi de développer le financement des activités de l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, tout en accroissant son autonomie vis-à-vis des producteurs de déchets.

À ce titre, le projet de loi aurait dû comprendre une disposition précisant qu'est créé un fonds de financement de la gestion des déchets radioactifs. Ce fonds serait alimenté par des contributions des producteurs de déchets radioactifs, fixées, selon un barème défini par décret en Conseil d'État, en fonction des coûts constatés et des coûts prévisionnels de leur gestion incluant les coûts d'investissement. Il pourrait être abondé par une subvention au titre du service public, correspondant aux frais de gestion et de stockage des déchets orphelins. Le fonds de financement de la gestion des déchets radioactifs verserait, au début de chaque année, à l'ANDRA la subvention requise par ses activités, qui comprendraient la recherche directe, les subventions à la recherche et la gestion courante et future des déchets radioactifs.

Faute de traiter ces questions, le projet de loi laisse dans l'ombre une problématique essentielle à long terme : le financement du démantèlement des centrales nucléaires et de l'aval du cycle du combustible nucléaire. Cette situation serait gênante d'abord pour EDF, qui pourrait se trouver dans une situation inextricable sur le plan financier, ensuite pour nos finances publiques, s'il s'avérait impossible pour EDF SA de s'acquitter de ses obligations, et enfin pour le projet de directive européenne sur la gestion des déchets radioactifs.

J'en arrive au troisième point de mon intervention.

Le projet de loi qui nous est proposé modifie en profondeur le statut des gestionnaires des réseaux. En les soumettant à la logique de groupes intégrés, alors que ces mêmes groupes vont voir leur capital ouvert, on les entraîne dans la spirale de la privatisation, alors qu'il eût fallu au contraire sanctuariser ces services publics essentiels, à travers la création d'un établissement public industriel et commercial.

M. François Brottes. Absolument !

M. Christian Bataille. En confiant à une même entité des activités de service public et des activités concurrentielles, on affaiblit les premières sans faciliter les secondes et l'on crée une confusion qui, demain, sera source de contentieux et de nombreux différends.

Pour ne prendre que l'exemple de l'électricité, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité avait trouvé un équilibre entre les exigences du service public et celles de la directive européenne du 19 décembre 1996 relative à la séparation des activités de transport et de production ou de fourniture, en créant au sein d'EDF l'entité RTE, Réseau de transport d'électricité, gérée indépendamment des autres activités.

L'article 14 de la loi de 2000 a assigné à RTE la mission d'exploiter et d'entretenir le réseau public de transport d'électricité. En outre, la loi de 2000 lui avait donné la mission d'élaborer un programme d'investissements soumis à l'approbation de la commission de régulation de l'électricité qui assume, de son côté, selon l'article 36 de la même loi, la responsabilité de proposer les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.

Ce cadre défini par la loi de 2000 a parfaitement fonctionné, garantissant l'accès au réseau de transports de tous les producteurs d'électricité, dans des conditions d'égalité reconnues par tous et dans le respect des impératifs de maintenance et de développement du réseau de transport. Ce constat, mes chers collègues, quels que soient nos groupes politiques, nous sommes nombreux ici à le faire. Or cette organisation qui, je le répète, a parfaitement fonctionné, est profondément remise en cause par le projet de loi.

Celui-ci prévoit en effet, à l'article 5, que le GRT, le gestionnaire du réseau de transport, est une société dont le capital est détenu en totalité par EDF, l'État ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public. Mais dans la mesure où l'article 22 dispose qu'EDF est transformée en société dont l'État détient plus de 70 % du capital, la protection de l'article 5 est de pure forme.

Par le jeu de l'ouverture du capital d'EDF et le choix d'entreprises publiques elles-mêmes plus ouvertes au privé, il serait tout à fait possible que des actionnaires privés possèdent la minorité de blocage au sein du GRT. Dès lors, les investissements d'EDF Transport pourraient être empêchés par les actionnaires minoritaires, plus soucieux de la rentabilité à court terme que de l'avenir du réseau de transport.

D'ailleurs, l'article 4 du projet de loi prévoit explicitement que les décisions les plus importantes au sein du GRT ne peuvent être prises « sans le vote favorable de la majorité des membres nommés par l'assemblée générale ». Quelles sont ces décisions ? Il s'agit tout simplement des résolutions qui touchent au budget, à la politique de financement, aux achats et ventes d'actifs, et à la constitution de sûretés et de garanties de toute nature. Dès lors, on voit bien que le projet de loi constitue un pas en arrière considérable en plaçant RTE sous la coupe de la future société anonyme EDF.

Mais il présente aussi un autre inconvénient majeur au regard de notre Constitution : il ouvre la perspective d'une prise de contrôle du réseau de transport public d'électricité par des actionnaires privés, par le seul mécanisme de la constitution de minorités de blocage.

Or la possibilité de telles minorités au sein d'entreprises publiques en monopole pur, chargées d'un service public, est un motif réel d'inconstitutionnalité au regard du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », et de l'article 34 de la Constitution, selon lequel « la loi fixe les règles concernant [...] les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ».

J'ajoute que la privatisation à terme de RTE constituerait une manière supplémentaire de dépouiller la nation d'un élément de son patrimoine et de sa sécurité d'approvisionnement. En effet, personne ne contestera dans cet hémicycle que le réseau de transport de l'électricité, financé par la collectivité, fait partie intégrante du patrimoine de la nation et qu'il s'agit d'un service public à caractère monopolistique.

Au reste, cette infrastructure représente un investissement colossal de la collectivité, qui doit en garder la pleine propriété. En outre, le réseau de transport intéresse au plus haut point la défense nationale. Générant des revenus réguliers et une rentabilité garantie, le réseau de transport représentera une proie de choix pour les entreprises privées. Or les revenus de cette infrastructure doivent être entièrement consacrés à sa maintenance et à son développement et en aucun cas être distribués en dividendes.

En tout état de cause, un établissement public fort est nécessaire, pour assurer la maintenance et le développement du réseau de transport.

En Europe, on remarque déjà que les investissements dans les réseaux sont insuffisants. Cette tendance est confirmée aux États-Unis, où l'activité de gestionnaire de réseau de transport, capitalistique et soumise à des aléas réglementaires nombreux, suscite un désintérêt structurel des investisseurs privés.

Encore une fois, comme le Gouvernement s'apprête à transformer EDF en société anonyme, la seule solution qui permettrait de préserver le caractère public de RTE serait de le transformer en EPIC. Cette transformation présenterait, en outre, l'avantage de respecter, contrairement à votre projet de loi, l'article 10 de la directive 2003/54/CE, qui spécifie que « le gestionnaire du réseau de transport dispose de pouvoirs de décision effectifs, indépendamment de l'entreprise d'électricité intégrée, en ce qui concerne les éléments d'actifs nécessaires pour assurer l'exploitation, l'entretien et le développement du réseau ».

Le Gouvernement n'a pas saisi l'occasion qui lui était offerte par la discussion en première lecture à l'Assemblée et au Sénat et par l'examen du texte en CMP pour retirer son projet de loi funeste.

Dans le discours qu'il a prononcé le 15 juin dernier devant notre assemblée, M. Sarkozy estimait qu'aux deux dates qui marquent l'histoire de notre système électrique - 1946, avec « le choix d'un champion national », et 1973, avec le premier choc pétrolier et « le choix visionnaire de construire cinquante-huit centrales nucléaires » - s'ajoutait une troisième date, 2004, avec le choix de l'ouverture à 70 % de notre marché de l'électricité.

Malheureusement, ce ne sera pas le cas. Le projet de loi que vous nous proposez de voter ne marquera pas une date positive, car il est néfaste pour trois raisons. Il tourne le dos à la stratégie d'indépendance nationale, voulue, théorisée depuis 1946, et menée avec constance et succès par tous les gouvernements de notre République ; il est vide de tout projet industriel et il s'écarte de toute vision européenne.

De surcroît, le projet de loi rompt les équilibres de la loi du 10 février 2000, qui, en quatre ans, ont montré leur efficacité en conciliant les impératifs nationaux et les obligations européennes.

Si ce projet de loi était, comme nous le craignons, adopté, il s'agirait d'une erreur historique au plan économique et politique. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter l'exception d'irrecevabilité que j'ai eu l'honneur de vous présenter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission mixte paritaire. Tout cela est bien exagéré !

M. le président. Le rapporteur et le ministre ne souhaitant pas s'exprimer, nous passons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

La parole est à M. Pierre Cohen, pour le groupe socialiste.

M. Pierre Cohen. Notre excellent collègue, M. Bataille, est parvenu à démontrer en une demi-heure que le projet de loi était non seulement une erreur stratégique et une faute politique, mais qu'il était aussi inconstitutionnel.

L'histoire de ces deux entreprises, en particulier d'EDF, se confond avec celle de notre nation. De même qu'il existe une forte corrélation entre le développement d'un pays, d'un côté, sa stratégie et son indépendance énergétiques, de l'autre, on ne peut dissocier le devenir d'une nation du choix des énergies que ce pays entend développer dans les décennies à venir. Comment concevoir la maîtrise de l'énergie sans qu'y soient associés les acteurs et les citoyens ?

Le passage du statut d'EPIC à celui de simple société anonyme casse les éléments qui ont constitué la force de la France au cours des soixante dernières années et marque le commencement de la remise en cause de cette exception française qu'est un véritable service public.

Celui-ci n'est ni un slogan ni un mot d'ordre, mais un véritable choix de société. Le service public permet de garantir l'accès de tous à l'énergie, sur l'ensemble du territoire, car il est au-dessus de toute contingence économique. Or, nous savons que le pilotage d'une société anonyme - en particulier lorsqu'elle est cotée en bourse, nous l'avons vu avec France Télécom - ne se fait plus en fonction du service à rendre, mais de la rentabilité de l'entreprise, au détriment de la qualité du service et des investissements. Ainsi, la recherche à long terme, qui est essentielle pour ce type d'entreprise, est généralement sacrifiée au court et au moyen terme.

Avec votre projet, l'entreprise sera conduite à abandonner la sécurité et sa capacité d'approvisionnement. Or, l'histoire récente a montré qu'EDF avait su faire face, dans des conditions climatiques très difficiles, à des défis importants, à la différence des entreprises privées aux États-Unis et en Angleterre.

Enfin, M. Bataille a insisté sur le nucléaire. Pour ma part, je veux rappeler que nous avons la responsabilité historique de développer les énergies renouvelables, ce qui suppose que l'ensemble des citoyens soient associées à la politique de maîtrise de l'énergie. Or, comment peut-on imaginer que cela soit possible avec des entreprises privées qui n'auront d'autre perspective que de produire de l'électricité ?

Le présent projet est contraire à l'histoire de notre nation. Ce qui est en train de se faire est grave. Aussi, mes chers collègues, je vous propose de réfléchir une dernière fois avant de commettre l'irréparable. Je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Votre projet est en effet dangereux, monsieur le ministre, à un moment où, comme nous l'avons dit lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie, tout commande de maîtriser les outils énergétiques pour des raisons industrielles, sociales et nationales, et pour aller vers le type de développement européen que nous appelons de nos vœux.

Nos prédécesseurs de 1946 ne connaissaient pas certains phénomènes dont on nous informe aujourd'hui quotidiennement. Ils ignoraient en particulier les conséquences qu'auraient sur l'effet de serre un certain nombre de dysfonctionnements de notre société et ils ne pouvaient prévoir l'épuisement de certaines ressources énergétiques.

Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous rêviez d'entraîner notre pays toujours plus loin dans la voie du libéralisme,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit !

M. Daniel Paul. ...par une alliance entre le capital et le travail, cette vieille lune des libéraux de notre pays. Le rêve de nos prédécesseurs était, au contraire, de protéger notre pays des risques que fait peser le libéralisme sur des biens communs tels que l'énergie ou l'eau. C'est leur rêve, que nous partageons. Le vôtre, nous le combattons. Dans ces conditions, vous comprendrez que nous votions l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Bataille.

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot, pour le groupe UMP.

M. François-Michel Gonnot. Les membres du groupe UMP ont écouté avec beaucoup d'attention M. Bataille, M. Cohen et M. Paul, qui nous appellent, si j'ai bien compris, au réalisme et à un dernier sursaut.

M. François Brottes. Vous avez bien compris !

M. François-Michel Gonnot. Malheureusement, nous avons entendu à nouveau évoquer la panoplie habituelle des arguments de l'immobilisme et du conservatisme. À vous entendre, il ne faudrait pas permettre à EDF de s'adapter, ne pas moderniser nos deux opérateurs, même si vous reconnaissez, puisque vous en avez été aussi les acteurs, que l'ouverture du marché à la concurrence dans l'ensemble de l'Europe crée un contexte différent qui nous oblige à leur offrir les moyens de leur développement et, sans doute, de leur survie.

Certes, vous vous trouvez dans une situation très compliquée, mais vous avez choisi la pire des voies, celle de l'immobilisme.

M. Pierre Cohen. Et vous, celle de la casse !

M. François-Michel Gonnot. Lors de l'examen de ce projet de loi, vous n'avez formulé aucune proposition alternative à un projet dont vous n'avez cessé de dénoncer la dangerosité, alors même qu'un certain nombre de vos responsables - je pense à M. Fabius, à M. Rocard, à M. Jospin, anciens premiers ministres, ou à M. Strauss-Kahn - avaient reconnu la nécessité d'adapter, de moderniser, d'ouvrir ces entreprises.

Vous auriez pu bâtir un schéma alternatif. Vous ne l'avez pas fait. La grave erreur historique, ce serait de refuser à nos deux opérateurs la chance de s'adapter. C'est pourquoi le groupe UMP s'opposera à cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'heure où le Parlement doit se prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire relative aux dispositions du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières qui restent en discussion, je tiens à exprimer, au nom du groupe UDF, notre satisfaction mais aussi quelques regrets.

Notre satisfaction, d'abord, pour la manière dont le ministre d'État s'est saisi rapidement du dossier EDF-GDF, après plusieurs années d'immobilisme, comme vient de le rappeler notre collègue Gonnot, mais sans pour autant brûler les étapes du dialogue et de la concertation. Ainsi, grâce au dialogue avec les syndicats, aux négociations avec la Commission européenne, et à une concertation permanente avec les dirigeants des deux entreprises sur la stratégie industrielle, la modernisation des deux entreprises est, à quelques jours près, au rendez-vous de la deuxième phase d'ouverture du marché de l'électricité et du gaz, intervenue le 1er juillet 2004.

Avec un statut rénové, EDF - dont le besoin de financement est estimé à 15 milliards d'euros - pourra poursuivre le renouvellement de son parc nucléaire, notamment grâce au réacteur à eau pressurisée, et conforter sa position en Europe. Fort d'une stratégie industrielle offensive, dont l'opposition voudrait la priver, Gaz de France, dont le besoin de financement s'établit à 16 milliards, s'est fixé l'objectif de gagner quatre millions de nouveaux clients français en quatre ans et de développer ses parts de marché à l'international. Ne rien faire pour débloquer ces financements, c'est condamner à mort ces deux fleurons de notre industrie nationale dont nous n'avons cessé, avec Charles de Courson, de souligner la très grande fragilité financière et le fort taux d'endettement. En votant ce texte nous faisons le choix de sauver EDF et GDF, et je rappelle que ce choix était partagé par certains de nos collègues socialistes lorsqu'ils étaient aux affaires, mais il faut croire qu'être dans l'opposition autorise à changer d'avis.

M. François Brottes. Vous en savez quelque chose !

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous regrettons en revanche que nos propositions n'aient pas été retenues ni même entendues par le Gouvernement. Premièrement, en ce qui concerne la clarification du financement du régime spécial des industries électriques et gazières, nous proposions d'étendre la réforme du financement, en supprimant la curieuse solution proposée par le texte, consistant en l'adossement à toutes les branches du régime spécial, pour rétablir dans le droit commun un système opaque, complexe et géré de manière non paritaire. Nous proposions également la mise en extinction du régime spécial de protection sociale pour les agents recrutés après le changement de statut. Le choix du statu quo va à l'encontre de la volonté réformatrice affichée par le Gouvernement, qui s'est pourtant courageusement attaqué à la réforme des retraites, notamment dans la fonction publique. J'ajoute que ce refus de réformer les régimes spéciaux est particulièrement injuste à l'heure où des salariés français renoncent à certains de leurs acquis sociaux pour sauvegarder leur emploi et éviter les délocalisations. Avec des comptes sociaux aussi dégradés et la pression de la concurrence, nous ne voyons pas comment EDF et GDF pourront continuer à embaucher des personnels sous statut, quand on sait que le régime spécial mobilise déjà 6 % du chiffre d'affaires, à moins d'augmenter le prix de l'électricité.

Deuxièmement, nous avions proposé un taux d'ouverture distinct pour EDF et pour GDF. Le Sénat, avec M. Marini, a fait la même proposition, toujours sans succès. La solution d'une ouverture à 30 % pour EDF et à 50 % pour GDF aurait pourtant correspondu à une véritable stratégie industrielle, notamment pour Gaz de France qui n'est pas en situation de producteur et qui ne présentait pas de risque en ce qui concerne l'indépendance énergétique, notamment d'origine nucléaire. Nous regrettons que la parole donnée aux syndicats n'ait pas permis au législateur que nous sommes de faire des choix pragmatiques qui avaient pourtant inspiré le projet de loi dans sa version initiale.

Troisième regret : le rejet de notre amendement par le Sénat sur la présence territoriale du service public de l'électricité à travers les agences et les services à la clientèle. Cette suppression par le Sénat, hélas confirmée par la CMP - alors que vous disiez, monsieur le président de la commission, que la CMP et le Sénat étaient venus vers nous -, est un signe négatif adressé à nos concitoyens, notamment en zones rurales, qui assistent, comme M. Gonnot nous en avait cité l'exemple à Compiègne, à la fermeture des agences commerciales.

Enfin, je ne reviendrai pas sur la question du service universel et sur les nouveaux droits qu'il donne aux clients éligibles. C'est une lacune majeure du texte qui fait ainsi l'impasse sur de nombreuses dispositions prévues dans la directive 2003/54. Conformément au schéma européen dont on a vu concrètement comment il pouvait fonctionner dans le domaine des télécommunications, l'UDF ne pense pas que les missions de service public doivent rester le monopole d'entreprises publiques.

En conclusion, le groupe UDF qui a fait entendre tout au long des débats une parole libre et courageuse votera les conclusions de la commission mixte paritaire, avec la certitude que cette réforme marquera positivement le bilan de cette législature, mais aussi avec la certitude que nous ne sommes pas allés suffisamment loin dans la réforme et la modernisation du service public de l'électricité et du gaz pour que les Français puissent réellement en percevoir tous les bénéfices.

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire retiendra que, ce 22 juillet 2004, une brèche aura été ouverte dans le statut de nos deux opérateurs historiques du secteur de l'énergie, EDF et GDF. Ce jour restera en effet, non pas comme une troisième date historique après la nationalisation de 1946 et le choix du nucléaire en 1973, mais comme le jour où un gouvernement aura spolié le peuple en s'attribuant le droit de disposer de deux entreprises propriétés de la Nation (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce sera le jour où une majorité de députés aura voté l'ouverture du capital de ces deux entreprises, préparant à moyen terme le début de leur privatisation.

Durant des dizaines d'heures de débat, nous avons dénoncé votre volonté de ne pas prendre en compte tous les signaux qui nous sont adressés par les pays qui, déjà, ont fait le choix de libéraliser leur secteur énergétique. Nous avons parlé de la Californie, de la Grande-Bretagne et des autres pays qui ont connu des difficultés de transport de l'énergie, des difficultés d'approvisionnement et des augmentations de tarifs de leur électricité.

Nous avons parlé de ces grands industriels qui s'inquiètent, dans notre pays même, d'augmentations qui nuiraient à la compétitivité de leurs entreprises, compétitivité dont vous ne cessez par ailleurs de vanter les mérites. Rien n'y a fait ! Pénétrés du dogme libéral, vous avez, avec l'appui de votre majorité, poursuivi dans la voie que vous avez décidée : pour vous, l'énergie n'est pas un produit à exclure du marché.

Vous avez cependant été contraints de prendre en compte l'extrême sensibilité de notre peuple à ces questions, la grande considération qu'il a toujours eue pour les électriciens et les gaziers, le sentiment que l'électricité et le gaz sont des produits différents des autres, nécessaires à la vie de chacune et de chacun.

Vous avez dû négocier avec les organisations syndicales. La puissance de leur mobilisation et le risque pour vous d'une union des salariés et des usagers vous ont poussés à des concessions importantes, que vous ne comptiez sans doute pas faire au début de votre projet. Vous avez ainsi accepté de laisser ouverte l'hypothèse de la fusion d'EDF et de GDF, comme celle d'examiner la nécessité de fonds propres supplémentaires pour EDF, et que n'a-t-on pas entendu sur la possibilité, pour les salariés, de détenir des actions de leurs entreprises, et sur la perspective, pour les collectivités locales, de devenir elles aussi actionnaires et même garantes de la pérennité du caractère public de nos opérateurs historiques !

Vous avez accepté le maintien de certaines garanties sociales demandées par les salariés. Vous avez fait donner, si vous me permettez l'expression, les présidents d'EDF et de GDF qui, dans la presse, ont mené une campagne médiatique indécente, pour vanter les mérites de la libéralisation, jeter le trouble dans les esprits et diviser les futures victimes de la libéralisation en donnant des gages aux libéraux.

Pour vous, l'essentiel était et demeure de franchir ce cap que constitue la transformation de l'EPIC en société anonyme avec, à la clé, l'ouverture du capital. D'une ouverture de 50 %, nous en sommes arrivés à 30 %, mais le principal, à vos yeux, est acquis car une telle ouverture est à présent inscrite dans la loi. La suite, pour vous, n'est plus qu'une question de temps, de rapport de forces et de fatalité, et quand on sait les velléités qui se sont manifestées dans vos propres rangs pour aller plus vite et plus loin, quand on connaît les pressions qu'exerce le MEDEF, on sait déjà ce qu'il faut craindre pour notre pays et les usagers.

À l'évidence, la CMP qui s'est tenue mardi 20 juillet confirme toutes ces craintes. Des articles nouveaux ont été ajoutés, créant un chapitre supplémentaire dans la loi sur le régime des stockages de gaz naturel et intégrant des dispositions d'une directive européenne sur le gaz. Le libre accès des tiers au stockage de gaz, sur lequel nous avons à plusieurs reprises attiré votre attention en vous mettant en garde, aura donc été décidé hors discussion devant l'Assemblée nationale, au Sénat et au cours d'une commission mixte paritaire, et aura été l'occasion d'un étalage de divergences d'interprétation entre vos différents rapporteurs.

De même, comment ne pas voir la confirmation de nos craintes dans ce qu'il est advenu de l'article 1er, qui consacre à présent le processus de contractualisation en créant un nouveau type de contrat dit de service public se substituant au contrat État-Entreprise, et qui va affaiblir le contenu des missions de service public, accentuant encore la dégradation constatée depuis plusieurs années.

Comment aussi ne pas s'interroger sur la désignation des deux présidents actuels d'EDF et de GDF pour répondre sur l'intérêt de la fusion des deux entreprises ? Nous avions souhaité qu'aucune décision ne soit prise, en matière législative avant qu'un tel rapport soit connu, et nous appuyons la demande des organisations syndicales que la possibilité de construire un projet industriel commun soit étudiée en s'appuyant sur l'expertise des agents des deux entreprises.

Nous ne voyons rien dans votre projet, au stade où il est arrivé, qui nous amène à revoir notre avis négatif. Au contraire, les modifications qui ont été introduites au Sénat et en CMP nous confirment dans notre analyse : nous voterons contre les conclusions de la CMP, nous voterons contre ce texte.

Vous nous avez dit, à plusieurs reprises, que le changement de statut, la fin de la garantie de l'État et des avantages que cela procure, étaient une exigence de Bruxelles. Dans l'Europe que vous voulez, la faillite, avec toutes ses conséquences sociales, humaines, économiques, devrait être la sanction : c'est cela, le libéralisme. Pourtant, vous savez bien qu'aucun État européen n'acceptera que son principal opérateur en matière d'électricité et de gaz puisse être mis en faillite.

Même dans la très libérale Grande-Bretagne, la recapitalisation de British Energy n'a pas longtemps été un problème. C'est dire que, comme nous ne cessons de le répéter, l'énergie n'est pas un produit comme un autre.

En réalité, votre objectif, avec l'amorce de l'ouverture du capital, était d'en finir avec une entreprise qui faisait la démonstration, depuis près de soixante ans, qu'être au service de la nation, cela a du sens, même et surtout en étant dégagé des marchés financiers. Au moment où tout doit passer sous les fourches caudines de la finance, une telle situation était insupportable pour vous comme pour tous les libéraux de ce pays.

Vous avez fait le choix d'accepter les préconisations libérales d'une construction européenne qui va voir les principaux opérateurs devenus privés, ou en voie de l'être, s'organiser pour se partager le marché en préservant les rentabilités financières, car c'est là le principal objectif. La construction européenne mérite autre chose, en particulier dans le domaine énergétique.

Vous avez fait le choix du risque de privatisation, de filialisation, de dislocation d'un groupe cohérent. Ces risques sont inhérents à la libéralisation. Vous avez fait le choix de fragiliser le réseau de transport, alors qu'il aurait fallu, comme ce qui s'est passé dans plusieurs pays le montre, le protéger. Le statut d'EPIC aurait dû lui être appliqué. À vous qui vous réclamez de l'intérêt national, je dis que c'est là une faute à l'égard de notre pays, faute qui dévoile vos objectifs réels.

Vous vous êtes donc affranchis de la loi de nationalisation, considérant qu'EDF et GDF appartiendraient à l'État, ce qui n'est pas juridiquement le cas, contrairement à France Télécom qui était une administration de l'État. Ce faisant, vous avez spolié le peuple, qui plus est dans un secteur essentiel à la vie du pays et de ses habitants.

J'avais dit, en concluant mon explication de vote, après la première lecture, que le vote de ce texte, par votre majorité, ne constitue en rien la fin de l'histoire. Je le redis ici : soyez-en sûr, nous mettrons tout en œuvre pour que les citoyens et les forces démocratiques permettent à notre pays de se réapproprier ce qui est nécessaire à son indépendance, à son développement comme à celui de chacune et de chacun de ses citoyens.

M. Christian Bataille. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est évident que le groupe UMP n'aura pas la même lecture de l'histoire que l'orateur précédent...

M. Daniel Paul. Ça me rassure !

M. le ministre délégué à l'industrie. Au vu de ce qu'il reste du groupe communiste, vous devriez plutôt vous en inquiéter !

M. François-Michel Gonnot. ...et je crois que l'histoire retiendra davantage de ce jeudi 22 juillet 2004 que la réforme que l'on disait impossible, la réforme de tous les dangers, la réforme pourtant rendue nécessaire par un certain nombre de décisions prises depuis près de dix ans par tous les gouvernements d'ouvrir et de changer l'environnement des deux entreprises EDF et GDF, cette réforme impossible a été faite parce qu'elle était nécessaire et qu'un certain nombre de parlementaires, à l'initiative du Gouvernement, ont eu le courage de dépasser les difficultés et de permettre à nos deux opérateurs de continuer leur développement dans un environnement nouveau.

Cette réforme, monsieur le ministre, je l'avais déjà dit lors de la première lecture de ce texte devant notre assemblée, a été précédée d'un dialogue, d'une négociation, d'une concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux qui ont rendu possible son vote aujourd'hui dans un certain consensus, et ce en dépit de certains propos.

Rappelons d'abord que les promesses qui avaient été faites par le ministre d'État et le ministre de l'industrie ont été tenues. Les engagements pris vis-à-vis des organisations syndicales, dans le cadre des discussions préalables à l'adoption de ce texte, ont effectivement été tenus.

L'histoire retiendra donc que, ce 22 juillet 2004, le Parlement a voté l'évolution du statut des deux opérateurs, ce qui leur permettra de s'adapter à un monde nouveau. Les bases juridiques sont posées. La construction va pouvoir commencer. Celle-ci, et je voudrais en mon nom et en celui du groupe UMP en remercier le Gouvernement, fera, elle aussi, l'objet d'une négociation qui devra se poursuivre avec l'ensemble des partenaires sociaux et, nous l'espérons, le Parlement.

Le Gouvernement et notre majorité ont effectivement le sentiment, contrairement à ce que tendent de faire accroire quelques propos caricaturaux, d'avoir procédé de façon très pragmatique et très réaliste, sans dogmatisme ni idéologie...

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. C'est vrai !

M. François Brottes. Quel talent ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François-Michel Gonnot. ...animés simplement de la volonté de réussir et de maintenir un dialogue avec les partenaires sociaux et industriels du monde nouveau de l'énergie, du gaz et de l'électricité. Ces discussions vont devoir se poursuivre.

Le Gouvernement a rappelé à plusieurs reprises qu'il souhaitait, à partir des expertises nécessaires, associer les uns et les autres à la réflexion pour voir comment augmenter le capital des deux opérateurs. Cette démarche sera suivie avec attention, intérêt et, s'agissant de notre groupe, avec la volonté de coopérer, monsieur le ministre.

Vous avez également souhaité que reste ouverte la réflexion sur le rapprochement et les synergies, qui pourraient être trouvées encore, entre EDF et GDF.

L'histoire retiendra aussi, et surtout, que nous avons, à travers cette loi, définitivement installé le régime des retraites des personnels des industries électriques et gazières. Je ne pense pas en effet que les quelque 400 000 électriciens et gaziers en activité ou en retraite considèrent qu'aujourd'hui soit un jour noir pour eux. Ils savent au contraire que ce texte leur donne la garantie que seront maintenus - ayons le courage de le dire - des avantages dérogatoires qu'ils avaient eux-mêmes négociés. Le Gouvernement a en effet repris quasiment à l'identique les propositions que les syndicats - en tout cas un certain nombre d'entre eux - avaient fait adopter au sein de ces deux entreprises.

Ce texte va aussi permettre de transposer quelques dispositions dans le droit français, notamment pour l'accès des tiers au stockage. Certes, nous aurions souhaité avoir un débat sur ce point. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cela n'a pas été possible. Mais, l'essentiel est fait. La commission mixte paritaire, à travers une nouvelle rédaction, a posé des conditions qui font l'unanimité entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur ce dernier train de transpositions qui était nécessaire et qui devait même être en place depuis le 1er juillet dernier.

Cela dit, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est clair que, comme l'a dit Daniel Paul, nous n'en sommes pas à la fin de l'histoire. Bien au contraire. Une histoire nouvelle commence. Il appartiendra au Parlement et au Gouvernement d'essayer, dans les mois et les années qui viennent, de poursuivre l'évolution des règles du marché. Il nous reviendra, à un moment ou à un autre, de discuter de dispositions qui n'ont pu être tranchées dans ce texte.

J'évoque ici les charges de service public, dont le montant colossal pèse aujourd'hui lourdement sur les factures. Elles devront être revues et, sur ce point aussi, le Gouvernement a pris des engagements. Nous devrons également réfléchir - et notre collègue Lagarde y a fait allusion au nom du groupe UDF - à l'évolution sans doute un peu différenciée qu'il faudra, à un moment ou à un autre, accepter sur les partenariats d'EDF, d'un côté, et de GDF, de l'autre. Il est évident que les deux entreprises ne sont pas identiques. Elle ne sont pas soumises aux mêmes conditions de marché et doivent donc faire l'objet de solutions sans doute plus différenciées que celles sur lesquelles nous sommes tombés d'accord à l'occasion de l'examen de ce projet de loi.

Il faudra aussi, bien sûr - je sais que le Gouvernement y travaille, mais les choses sont compliquées- régler le problème de l'augmentation anormal de la facture d'énergie d'un certain nombre d'industriels électro-intensifs. Il faudra également veiller à ce que l'ensemble des professionnels ne subissent pas des augmentations erratiques, comme nous avons pu le constater, ici ou là.

Il faudra enfin - le Gouvernement a d'ailleurs précisé ce point, et je m'en réjouis, au nom du groupe UMP - qu'un bilan de la réforme, de l'ouverture et de l'évolution de l'environnement du marché de l'électricité et du gaz en Europe, nous soit présenté en 2006 avant de passer à l'étape de 2007, celle de l'éligibilité des ménages qui posera sans doute d'autres problèmes dont le Parlement devra être saisi.

Pour conclure, je remercie encore le Gouvernement et mes collègues de la majorité d'avoir participé à cette réforme dite impossible. Nous avons prouvé sur ce texte, comme sur celui portant sur l'assurance maladie, que le courage doit être de tous les instants. Même si elles sont difficiles, il faut aller jusqu'au bout de ces réformes, ne serait-ce que pour le bien de ceux qui seront amenés à en profiter. Pour EDF et GDF, c'était purement et simplement une question de survie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. L'histoire retiendra, pour reprendre la formule de M. Gonnot, que le sabordage du meilleur service public de l'énergie au monde (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Jean Proriol. Sabordage ? Vous faites dans la nuance, monsieur Brottes !

M. François Brottes. ...a eu lieu entre un 14 juillet, dont certains se souviendront plus que d'autres, et l'arrivée du tour de France, dont on n'est pas certain qu'elle nous réservera de grandes surprises.

Les historiens retiendront que c'est le même gouvernement qui, avec la même frénésie, dans l'urgence et la précipitation, avec les mêmes partis pris  idéologiques a réussi en quelques semaines à démanteler méticuleusement le socle du pacte républicain, un peu comme pour fermer le livre du soixantième anniversaire de la Libération. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Tout ce qui est excessif est vain !

M. François Brottes. Voici des exemples pour nourrir votre réflexion et vous permettre de prendre du recul sur les méfaits commis ces dernières semaines.

La privatisation effective et définitive de France Télécom, comme pour démontrer que c'est très facile de passer en dessous de la barre des 50 % de capitaux publics. La sécurité sociale désormais totalement insécurisée (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ; les plus modestes vont payer plus cher que les plus aisés, et en plus le problème du financement est reporté sur les générations futures. Le désengagement de l'État institué en nouveau principe républicain, dans le cadre d'une décentralisation adoptée à la hussarde au mépris de la volonté des territoires et des droits du Parlement, comme il semble que les choses se profilent.

Il faut noter aussi la remise en cause, de fond en comble, du droit du travail, avec notamment l'augmentation de la durée du travail, sous couvert de chantage à la délocalisation. Il faut noter encore la remise en cause du droit de grève pour museler définitivement les revendications des salariés. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est ce que certains d'entre vous, dans la majorité, appellent « l'audace de la réforme ». Je dois vous rendre cette justice, monsieur le ministre, le Gouvernement ne manque ni d'audace, ni de culot.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Oh !

M. François Brottes. Les exemples sont nombreux, et si le ministre de l'environnement était autorisé à distribuer des bonus et des malus, ces derniers seraient les plus nombreux. C'est peut-être pour cela que le Premier ministre est en passe de le désavouer.

Pour rester dans le même registre,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Un petit registre !

M. François Brottes. ...sachez que sur ce texte de privatisation du service public de l'énergie le constat que nous faisons n'est pas un constat amiable.

Que le futur président d'EDF puisse désormais être âgé de 65 ans, n'est pas un problème en soi, mais cette disposition arrive dans ce texte comme un cheveu sur la soupe. Et, puisqu'un cavalier législatif n'arrive jamais seul, depuis qu'on s'est vu, en première lecture, lors de ma dernière explication de vote, vous n'avez pas hésité, avec la complicité du Sénat, à superposer dans l'urgence une série de dispositions dont certaines sont loin d'être mineures.

Je pense à la transposition de la directive sur l'accès des tiers aux stockages de gaz naturel, qui aurait pu trouver sa place dans la loi d'orientation sur l'énergie. Cela me permet de rappeler que vous avez par ailleurs sorti des dispositions de cette loi d'orientation concernant par exemple le conseil supérieur de l'électricité et du gaz, chères à notre rapporteur, pour les écrire dans cette loi de privatisation, tant vous avez déjà la conviction que votre loi d'orientation n'était qu'un levé de rideau, sans lendemain, pour mieux faire passer la pilule de la privatisation d'EDF et de GDF.

Je pense encore à de nombreux reculs sur l'indépendance, ou plutôt la neutralité, des gestionnaires de réseaux, en matière de nomination ou de révocation des responsables, en matière de pouvoirs de gestion, en matière d'abandon du contrôle par l'État de leurs missions. Ces reculs, qui seront sûrement dénoncés par Bruxelles, peuvent apparaître comme renforçant la notion d'entreprise intégrée.

En réalité, ils mettent le réseau au cœur de toutes les manipulations et de tous les marchandages. Ces marchandages qui ne manqueront pas de mettre en péril la continuité du service. C'est le syndrome californien où l'on ne sait pas vraiment, si le gouverneur est une lumière ou une star (Sourires), mais où l'on a vérifié par l'expérience qu'un réseau électrique pouvait « s'écrouler » dès qu'il était otage d'intérêts privés peu scrupuleux.

Je pense enfin aux petits arrangements, aux petits ajustements, concernant la contribution additionnelle au tarif d'utilisation des réseaux qui va alimenter la Caisse nationale des industries électriques et gazière. En effet, la discussion de marchands de tapis a continué jusqu'au sein de la commission mixte paritaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Quelle est l'assiette de la collecte de la contribution tarifaire sur les prestations de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel ? A quoi peut être utilisé l'argent ainsi collecté ? Sur ce point d'ailleurs, le rapporteur du Sénat et celui de l'Assemblée nationale n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Quelle est la part de masse salariale qui fera finalement référence pour chacun des opérateurs ? Le débat autour d'une question, vitale pour l'avenir des personnels et très sensible pour le porte-monnaie du consommateur d'énergie, montre bien à quel point le fait de légiférer dans l'urgence et l'improvisation constitue, un danger et une forme incontestable d'irresponsabilité.

Certains disent même que la rupture d'égalité ainsi créée entre les opérateurs est susceptible d'être inconstitutionnelle, et de surcroît non conforme à la directive. Voilà qui nous promet de beaux contentieux, dont les usagers feront les frais.

Ainsi donc, l'histoire retiendra que la confiscation du patrimoine de la nation par des intérêts privés (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) aura eu pour conséquence l'augmentation des tarifs, pour les particuliers comme pour les entreprises, la mort annoncée de l'égalité d'accès à l'énergie sur tout le territoire, et la menace sur la continuité du service, avec un réseau de transport convoité par toutes sortes d'intérêts et confronté à tous types de spéculation du côté de la production, comme du côté de la distribution.

L'histoire retiendra votre habileté, monsieur le ministre, et celle de M. le ministre d'État, à faire croire aux Français que c'était à cause de l'Europe - et pourquoi pas de la gauche -, que vous deviez changer le statut d'EDF et de GDF. Et à faire croire aux personnels que vous pourriez même aller jusqu'à accepter une fusion entre EDF et GDF, qui pourrait de surcroît rester à 100 % public.

Je veux le redire ici, c'est un gouvernement de droite, celui de M. Juppé, qui a pris l'engagement en 1996 d'ouvrir le marché de l'énergie, le sommet de Barcelone se limitant en conséquence à élaborer le calendrier de cette ouverture du marché.

De plus, votre gouvernement s'est empressé de supprimer la non-ouverture à la concurrence pour les ménages, obtenue par Lionel Jospin à Barcelone. Cette disposition constituait, en effet, la garantie du maintien de la péréquation et d'une égalité d'accès sur l'ensemble du territoire.

Comment vous croire lorsque vous dites qu'il ne s'agit pas d'une privatisation ?

Pour France Télécom, c'est vous qui avez allègrement franchit la barre des 50 % de capitaux publics.

Pour EDF c'est un de vos amis, Franck Borotra qui assurait ici même, à l'époque, qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que cette ouverture ne nous contraindrait pas à changer le statut d'EDF.

Et, en effet, personne ne vous a obligé à le faire. C'est votre choix politique, un choix politique qui va avoir des conséquences graves.

De fait, c'est non plus la loi mais le contrat qui définira les missions de services publics réparties entre les opérateurs. C'est ainsi que, naturellement, elles se réduiront à la portion congrue, et que, naturellement, la spécificité d'EDF disparaîtra, ce qui vous permettra dans quelques temps, comme vous le faites pour les 35 heures ou le droit de grève, de remettre en cause le statut des agents.

C'est un choix politique de court terme pour réduire, en apparence et ponctuellement, le déficit des comptes de la nation pour 2004, grâce à la soulte concernant les retraites, dont vous nous dites ne pas encore connaître le montant. C'est le côté prestidigitateur du gouvernement Raffarin : avec ce gouvernement, il y a toujours un lapin dans un chapeau, mais le problème c'est que les Français ont bien compris que ce n'était pas un élevage, et que c'était toujours le même lapin qui servait à faire vos tours de passe-passe. (Exclamations et rires sur divers bancs.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Lapin, cela rime surtout avec Jospin !

M. François Brottes. De plus, nous ne savons toujours pas, ni quand ni à quelle hauteur vous allez, soit ouvrir, soit augmenter le capital de ces sociétés anonymes nouvellement créées.

L'histoire nous dira que vous n'avez pas su tirer les leçons de ce qui s'est passé en Californie, en Grande-Bretagne, en l'Italie. C'est à croire que l'idée de plonger le pays dans le noir complet vous tente,...

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Pas d'attaque contre le rapporteur ! (Sourires.)

M. François Brottes. ...un peu comme un enfant, fasciné par les allumettes, et qui se laisse aller à en craquer une ou deux, juste pour voir.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Vous nous traitez de pyromanes ?

M. François Brottes. Avec ce texte, vous jouez les apprentis sorciers.

Certes, le droit à l'expérimentation existe dans ce texte, mais dans le domaine de l'énergie, c'est le droit à l'improvisation qui n'existe pas ! Outre la sécurité du réseau, pour laquelle vous nous proposez simplement un code de bonne conduite, quid de la sécurité, du suivi et de la maintenance des cinquante-huit réacteurs de notre parc nucléaire, gage de l'indépendance énergétique nationale, qui risquent d'être convoités à leur tour par des intérêts privés, parfois sans scrupule ?

Je vous l'ai déjà dit à plusieurs reprises, l'énergie est un bien de première nécessité, elle est vitale. La soumettre à la seule logique de la rentabilité est inacceptable.

Privatiser EDF et GDF pour que ces entreprises puissent, comme les autres, faire faillite, ainsi que l'a dit Mme de Palacio, est un curieux dessein pour ceux qui se prétendent les héritiers du gaullisme.

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Oh !

M. François Brottes. C'est justement parce que le marché est ouvert à la concurrence qu'il faut garantir et conforter l'existence d'un pôle public de l'énergie, puissant et à la pointe de l'innovation et de la sécurité.

La logique du profit à court terme accompagne inévitablement les ouvertures du capital, et l'expérience nous a montré que les premières victimes d'un management orienté vers l'obsession de la cotation de l'action, ce sont les investissements lourds, généralement destinés à la maintenance et à l'amélioration de la sécurité, ainsi que les crédits consacrés à la recherche ou à la formation des personnels.

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. François Brottes. L'histoire nous le dira certainement, vous avez rendu aujourd'hui les choses irréversibles. Et vous semblez en être fiers !

Les Français doivent savoir qu'en engageant le processus de privatisation, votre majorité portera la responsabilité des incidents qui ne manqueront pas de se produire et de l'augmentation des tarifs.

Une fois de plus, le groupe socialiste votera contre ce texte...

M. Patrick Ollier, président de la commission mixte paritaire. Quelle déception !

M. François Brottes. ...contre un choix idéologique, contre une méthode de travail qui associe précipitation et improvisation, contre cette trahison du pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

    2

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1711, relatif aux libertés et responsabilités locales :

Rapport, n° 1733, de M. Alain Gest, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures cinquante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot