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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 16 OCTOBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 15 octobre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

1.  Loi de finances pour 2004. Suite de la discussion d'un projet de loi «...».

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) «...»

MM.
Maxime Gremetz,
Jean-Pierre Balligand,
Michel Bouvard,
Gérard Bapt,
Philippe Auberger.
Jean-Louis Dumont, M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

Rappels au règlement «...»

MM. Jean-Pierre Brard, Jean-Louis Dumont.

Reprise de la discussion «...»

MM.
Yves Deniaud,
Xavier Bertrand,
Alain Rodet,
Jean-Jacques Descamps,
Eric Besson,
Hervé de Charette,

Suspension et reprise de la séance «...»

MM.
Pascal Terrasse,
Jean-Yves Chamard,
Pierre Hériaud.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

LOI DE FINANCES POUR 2004

Suite de la discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (n°s 1093, 1110).

Discussion générale (suite)

    M. le président. Hier soir, l'Assemblée a entendu le premier orateur inscrit dans la discussion générale.
    La parole est à M. Maxime Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, je vous pardonne votre léger retard. Quant à vous, monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, je vous remercie d'avoir été, comme moi, parfaitement à l'heure. (Sourires.)
    Monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, mes chers collègues, la lecture de ce projet de loi de finances montre un immense décalage entre la présentation officielle qui nous est faite de la politique du gouvernement Raffarin et la véritable inspiration de la batterie de mesures qui nous est soumise. Comment, après la motion de procédure défendue par mon ami Jean-Pierre Brard, mieux faire apparaître ce décalage sinon en citant un journaliste du quotidien Les Echos - et non de L'Humanité - qui écrivait : « Ce budget reflète de vrais choix politiques même si cela reste encore mal assumé. Cela est vrai de la politique fiscale qui cible clairement les hauts revenus : baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, hausse de la déduction pour les emplois familiaux, création de fonds de pension, baisse massive de l'impôt sur les plus-values immobilières... Les vingt-deux mesures fiscales favorables dont le Gouvernement fait la promotion vont dans le sens d'une politique de l'offre et non pas de la demande. » Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous avez lu, vous aussi, cet article.
    Il s'agit donc d'une politique d'austérité dont seront victimes - et cela a déjà commencé - les dix millions de personnes qui, dans ce pays, vivent des minima sociaux ou du SMIC. Il s'agit d'une politique qui est en tous points contraire à une conception républicaine de la politique fiscale fondée sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
    Permettez-moi de rappeler ce que nombre de mes collègues de droite ont, semble-t-il, oublié : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » C'est d'ailleurs ce principe qu'a repris hier M. Mattei en disant « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens ». Le problème est qu'il ne l'applique pas. Du reste, ce principe très républicain est le fondement du communisme.
    Cet article, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, est proprement révolutionnaire dans la mesure où, d'une part, il instaure une rupture avec l'arbitraire de multiples prélèvements antérieurs et, d'autre part, il appelle la mise en place d'une fiscalité progressive. Pourtant, force est de constater qu'aujourd'hui les prélèvements effectués hors de cette logique républicaine constituent l'essentiel des ressources budgétaires de l'Etat. C'est l'injustice fiscale généralisée. A titre d'exemple, en 2001, la TVA a rapporté 105 milliards d'euros, la TIPP 22,8 milliards, tandis que l'impôt sur le revenu des personnes physiques ne rapportait que 47,9 milliards d'euros.
    Un responsable du syndicat national unifié des impôts a expliqué en forme de boutade que le contribuable aisé, imposable au titre de l'IRPP, est devenu une denrée très rare. Les cabinets de consultants offrent la possibilité d'optimiser le recours à toutes sortes de niches fiscales afin d'échapper à ce qui demeure un des devoirs essentiels de tout citoyen, à savoir contribuer à l'effort collectif afin de consolider le ciment social. La fracture sociale vient aussi, en effet, d'un véritable retour des privilèges qui insulte à l'éthique républicaine. Dans un pays où 1 % de la population possède 20 % du patrimoine, l'effet redistributif de notre système fiscal, que l'on peut péniblement évaluer à 3 %, devient quantité négligeable. Le fait d'être assujetti à l'impôt progressif - soit l'impôt sur le revenu, soit l'impôt de solidarité sur la fortune - devient l'exception. En être exonéré devient la règle. C'est une prime au capital et à ceux qui s'enrichissent en dormant.
    Cette tendance, qui a commencé sous le gouvernement Jospin, avec le plan Fabius de baisse de l'impôt sur le revenu, vous l'amplifiez et vous aggravez les inégalités. Eh oui ! Je vous l'ai toujours dit, monsieur le ministre, seule la vérité est révolutionnaire. Je ne vais donc pas tout vous mettre sur le dos, alors que le mouvement avait été engagé par ailleurs.
    La loi Dutreil pour l'initiative économique a ainsi offert au « grands » de ce monde un instrument sur mesure permettant de « s'affranchir » du paiement de l'ISF - le verbe « s'affranchir » a été employé à dessein. Combien de personnes rivalisent d'imagination pour accréditer l'idée que l'impôt progressif est confiscatoire ? Combien décrivent l'ISF comme une incitation à la fraude, à l'évasion fiscale, à la fuite des cerveaux ?
    M. Jean-Pierre Balligand. Il faut toujours trouver des boucs émissaires !
    M. Maxime Gremetz. Voilà qui n'est pas très patriote !
    On rendrait cet impôt particulièrement juste - une des fiertés de la gauche - responsable des délocalisations et de la désindustrialisation. Ce serait oublier, monsieur le ministre, que l'assiette de l'ISF est très étroite : pas d'intégration des biens professionnels, pas de taxation des oeuvres d'art, j'en passe et des meilleures. Je rappelle aussi que l'ISF ne rapporte pas plus, alors que les fortunes explosent, que la redevance audiovisuelle. N'est-ce pas extraordinaire ? C'est cette politique qui nous conduit dans le mur de la croissance zéro en encourageant une véritable désertification industrielle.
    Peu nombreux, par ailleurs, sont ceux qui révèlent que le taux marginal d'imposition sur le prix d'un litre d'essence est de 70 %, ce qui ne semble poser de problème à personne.
    Cependant, dans un travail remarquable, intitulé Les Hauts Revenus en France au xx e siècle, l'économiste Thomas Piketty démontre que l'existence, sous la Ve République, d'un taux marginal de l'IRPP d'au moins 60 % pendant plus de vingt ans n'a jamais provoqué la fuite des hauts revenus. C'est le résultat d'une étude : ce n'est pas de la propagande.
    Du point de vue de l'assiette de l'impôt sur le revenu et du taux d'imposition moyen, le cas de la France est d'ailleurs éloquent. Selon la direction générale des impôts, seul 1 % des 31 millions de foyers fiscaux français était concerné par le taux marginal de 54 % en 1998, soit 228 000 contribuables. Et, plus intéressant encore, parmi eux, seuls 4 000 foyers fiscaux atteignaient effectivement un taux moyen d'imposition supérieur à 50 %, soit moins de 0,02 % de l'ensemble des foyers fiscaux.
    Voilà donc à qui s'adresse l'argumentation portant sur le taux marginal d'imposition. Dès lors, il est vain de prétendre que le coût de la baisse de l'impôt sur le revenu concernera seize millions de foyers fiscaux. De fait, c'est là l'intérêt de moins de 0,02 % de contribuables nantis. Le célèbre « enrichissez-vous ! » de Guizot revient à la mode. La formule n'est pas très moderne, mais elle est efficace, n'est-ce pas ?
    M. Jean-Pierre Balligand. Très efficace !
    M. Maxime Gremetz. Parallèlement, la TVA, c'est l'impôt des tricheurs, des voleurs de pouvoir d'achat, qui fait passer les petites gens à la caisse. D'ailleurs, je le dis souvent à mon collègue M. Dassault, puisque nous sommes picards tous les deux : toi le patron milliardaire, et moi l'ouvrier, quand nous allons acheter notre baguette de pain, nous payons tous les deux la même TVA. Voilà votre conception de la justice fiscale !
    M. Jean-Pierre Balligand. C'est l'égalité !
    M. Maxime Gremetz. On nous sort un nouvel argument pathétique qui a le mérite de dévoiler les arrière-pensées des laudateurs de la TVA, qui sont souvent les mêmes que les pourfendeurs de l'impôt sur le revenu : un impôt serait bon à partir du moment où il serait masqué, passerait relativement inaperçu mais rapporterait beaucoup.
    La directive 92/77/CEE du 19 octobre 1992 prévoit que les Etats sont autorisés à avoir un ou deux taux réduits supérieurs ou égaux à 5 % applicables à des biens et services limitativement énumérés. Par ailleurs, ils ne peuvent avoir qu'un taux normal qui doit être supérieur ou égal à 15 %. Mais que constate-t-on à ce sujet, plus de dix ans après l'adoption de cette directive ? Le taux moyen avoisine aujourd'hui 19,5 % dans l'Union européenne et huit pays sont au-dessus de cette moyenne, dont sept sont au taux de 20 % ou au-dessus. L'harmonisation européenne privilégie donc les recettes provenant de l'impôt indirect et proportionnel. Cette harmonisation, comme sur d'innombrables sujets, se fait pas le bas, lésant l'immense majorité des citoyens européens.
    A la vérité, votre budget est un budget de renoncement et d'abaissement de la France. Pourquoi consulter le Parlement lorsque l'on sait que le budget est manifestement insincère, que les prévisions de croissance sont délibérément fantaisistes et que des gels et annulations de crédits en cascade - 3 milliards d'euros pour l'exercice 2003, je le rappelle ! - sont d'ores et déjà prévus ?
    Dans le même registre, il n'est pas anodin de constater que la suppression annoncée par la direction générale des impôts du service des études statistiques entraîne la disparition de l'un des leviers sur lesquels pouvaient s'appuyer les citoyens pour se réapproprier un débat budgétaire confisqué par un minuscule parterre de techniciens que l'on voit errer, à la recherche de leur conscience, entre la rue Cambon et Bercy. C'est le règne de la technostructure.
    Vous êtes responsable du déclin de la France. Vous faites semblant de critiquer l'Europe et Bruxelles pour verrouiller le débat et éviter de mettre en cause le principal : la Banque centrale européenne, l'utilisation de l'euro, du crédit et des banques, les relations entre les banques et les entreprises. Là est le coeur du renoncement industriel et culturel de la France et de l'Europe.
    Le Gouvernement a fait le choix du déficit, accentué par la baisse d'impôt, pour afficher une croissance zéro - cela nous rappelle le fameux plan Mansholt, n'est-ce pas, monsieur Méhaignerie ? - et se ranger dans les orientations du pacte de stabilité, au risque de la récession.
    Comme le dit Nicolas Baverez : c'est la France qui tombe.
    M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est votre nouveau mentor !
    M. Maxime Gremetz. C'est votre politique qui en est responsable. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous sommes déterminés à continuer jusqu'au bout - et en utilisant tous les moyens parlementaires dont nous disposons - le combat que nous avons engagé hier. Nous ne laisserons pas passer facilement ce budget de régression sociale. Nous n'allons pas partir tranquillement en week-end comme si de rien n'était. Monsieur le ministre, le débat va durer longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.
    M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rarement la discussion d'un projet de loi de finances aura autant attiré les regards et monopolisé l'attention comme c'est le cas depuis plusieurs semaines avec ce budget.
    Il est vrai que les plus hautes instances de contrôle, qu'elles soient nationales ou européennes, ont très tôt alerté l'opinion publique sur ce qui était déjà, au début de 2003, une politique économique néfaste et une situation budgétaire catastrophique. La Cour des comptes, le Conseil économique et social, le Conseil des impôts, la Commission européenne, la Banque centrale européenne, toutes ces institutions ont en effet insisté, mois après mois, sur la responsabilité exorbitante et personnelle du gouvernement français dans la crise des finances que notre pays traverse.
    La tentation du prétexte conjoncturel peut et doit d'emblée être balayée d'un revers de main. La démonstration, monsieur le ministre, en est simple.
    Là où la France de Lionel Jospin faisait mieux que la moyenne européenne en termes de croissance, la France de Jean-Pierre Raffarin fait aujourd'hui beaucoup moins bien : peut-être 0,1 % en 2003 - nous verrons - contre 0,4 % dans la zone euro. Pour la première fois depuis 1998, là où la France figurait parmi les nations les plus vertueuses en matière de respect des critères de Maastricht, elle se situe aujourd'hui derrière l'ensemble de ses concurrents européens qui sont pourtant confrontés au même contexte économique et financier international.
    Le climat économique dans notre pays est en berne et les clignotants, à l'orange depuis deux ans et demi, puis au rouge depuis près d'un an, n'auront pas réussi à ouvrir les yeux d'un gouvernement trop préoccupé - nous l'avons encore constaté hier, monsieur le ministre, au travers de votre déclaration - à complaire en permanence au Président de la République et à flatter son électorat le plus à droite.
    L'activité stagne. La demande intérieure, c'est-à-dire principalement la consommation des ménages, connaît en France - cela devrait être l'objet de notre discussion - un mouvement inverse à celui relevé chez nos voisins européens. Parti de très haut - la consommation avait progressé de 4,5 % en 2000 dans notre pays - son taux de croissance annuel a été rejoint par celui des pays de la zone euro avec un pourcentage d'augmentation légèrement inférieure à 1 % cette année. Elle a même connu, au deuxième trimestre de 2003, une contraction avec une baisse de 0,2 % pour la première fois depuis 1996, ce qui est le signe absolu que la poursuite des baisses d'impôt en période creuse est une aberration économique, pour ne pas dire une horreur économique, puisqu'elle s'est traduite par un phénomène contracdictoire dans l'économie réelle.
    Logiquement, le taux d'épargne des Français pourrait frôler le niveau record de 17 % en fin d'année. Le taux de marge des sociétés non financières a chuté quant à lui à 30,8 %, soit le plus faible niveau constaté depuis plus de quinze ans. Mesurée par l'INSEE, la confiance ou plutôt la défiance des ménages - puisqu'elle a diminué de 27 points en solde des opinions - est inchangée depuis plusieurs mois. Enfin le taux de chômage devrait atteindre à nouveau les 10 % avant 2004.
    Dois-je rappeler que le Gouvernement prévoyait l'an dernier, à la même époque, en dépit de tous les signaux précurseurs brandis par les économistes et de toutes les alertes de l'opposition parlementaire, une croissance de la consommation de 2,4 % et une croissance du PIB de 2,5 % pour 2003 ? Comment pouvez-vous, dans ces conditions, monsieur le ministre, vous réjouir, comme vous l'avez fait hier, que la dernière enquête mensuelle de conjoncture réalisée par la Banque de France estime à 0,2 % la croissance attendue pour 2003, alors que les carnets de commande sont vides et que les entreprises continuent de licencier, accusant la contraction durable de l'emploi industriel dans notre pays ?
    L'analyse est à ce point partagée que les médias eux-mêmes, notamment les médias économiques, fournissent aujourd'hui à l'opposition les meilleurs argumentaires qui soient pour décortiquer votre politique et en prédire les effets.
    M. Gérard Bapt. Hélas !
    M. Jean-Pierre Balligand. Une simple revue de presse nationale suffit pour montrer comment sont appréciées les grandes orientations du projet de loi de finances qui nous est proposé. « Occasions ratées », « pari hasardeux », « tour de passe-passe », « contretemps », « impasse », « inégalités », toutes ces expressions, tous ces titres proviennent d'articles publiés ces derniers temps dans deux quotidiens économiques français.
    Tout a été dit - et le sera encore - sur la profonde injustice de ce budget et sur ce qu'il traduit du mépris du Gouvernement pour les plus modestes, notamment sur le plan fiscal. Entre les baisses sélectives d'impôts pour les plus riches et les hausses collectives pour tous, entre la diminution des contributions progressives et l'augmentation des contributions proportionnelles, entre la baisse des impôts directs nationaux et les hausses d'impôts indirects, l'équation que vous dessinez a le mérite de la simplicité. Elle étonne encore de faux naïfs au sein de votre propre majorité, alors qu'elle relève de l'essence même de la politique libérale archaïque que vous menez, c'est-à-dire d'une imposture.
    M. Jean-Louis Dumont. Absolument !
    M. Jean-Pierre Balligand. Cette imposture revient fondamentalement à substituer au sacro-saint contribuable, désormais objet de tous les égards, le consommateur. Vous avez substitué le consommateur au contribuable.
    M. Gérard Bapt. Très juste !
    M. Jean-Louis Dumont. C'est une perte de citoyenneté.
    M. Jean-Pierre Balligand. Le changement n'est pas que sémantique. La transformation s'est opérée au détriment de l'égalité et de la justice entre nos concitoyens, dont je vous rappelle que si 50 % sont soumis à l'impôt sur le revenu, 100 % consomment des médicaments, se font soigner à l'hôpital, font le plein de gazole ou empruntent les transports en commun.
    Non contente d'être guidée par l'idéologie, votre politique économique est également dépourvue de toute stratégie. C'est d'ailleurs sa seconde tendance.
    Après vous avoir vu à l'oeuvre pendant dix-huit mois, nous pouvons affirmer aujourd'hui que vous ne savez pas gérer le patrimoine de ce pays, pour la simple raison que vous ne pouvez pas vous y intéresser sans dissimuler votre avidité prédatrice. A cet égard je veux alerter solennellement le Gouvernement sur la situation particulière de la Caisse des dépôts et consignations. Vous êtes, en effet, en train de renflouer ponctuellement les déficits publics au prix d'un démantèlement durable de l'institution.
    M. Gérard Bapt. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Balligand. Les cessions d'actifs auxquelles l'Etat fait procéder à grande échelle - il suffit de lire Les Echos d'hier - n'ont d'autre but que de renflouer ses propres caisses et ne sauraient constituer, par elles-mêmes, une stratégie industrielle. Ce qui intéresse ouvertement ce gouvernement dans la Caisse des dépôts, ce n'est donc pas son avenir, mais les prélèvements exceptionnels qu'il peut y opérer. Cela ne sera pas sans conséquences sur les milliers de salariés qui y travaillent, et sur les millions de Français qui l'alimentent de leur épargne sous la protection du Parlement.
    Cette absence généralisée de projets aboutit, en tout cas, à une politique des bouts de ficelle, consistant, c'est selon, à racler les fonds de tiroirs à la recherche d'un improbable magot, ou à transférer à d'autres les responsabilités qui vous incombent.
    Dans tous les cas, il s'agit d'organiser des transferts à sens uniques : vers le budget de l'Etat, tant lorsque vous soutirez, contre leur gré, des produits financiers à des organismes publics - par exemple, en vidant de 300 millions d'euros le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommage, à peine institué par la loi de sécurité financière du 1er août dernier - que quand, hors du budget, vous transférez aux collectivités territoriales des compétences trop coûteuses pour l'Etat, ce qui est le cas du RMI, dont vous allez accroître le poids par les restrictions apportées à l'allocation spécifique de solidarité. C'est ce que l'on peut appeler la « décentralisation des déficits ».
    Le plus grave est sans doute qu'en accumulant ainsi des trous, en creusant des galeries, en empruntant à fonds perdus, vous allez, une nouvelle fois, frapper, d'une part, les salariés moyens de notre pays et, d'autre part, les plus pauvres, ceux que notre économie dédaigne et auxquels notre société ne sait offrir que le secours et la protection d'un État fragile et impécunieux. Cela ne nous surprend pas de votre part, vous qui avez délibérément choisi de baisser l'ISF et de majorer les réductions d'impôt pour l'emploi de personnel à domicile, mais votre obstination ne laisse pas de décevoir.
    Le ministre du budget, M. Lambert, a beau affirmer, dans un entretien au Parisien que j'ai lu hier matin, que « nous aurons une discussion musclée », je crois plutôt qu'il aurait mieux valu dire que nous allons avoir une discussion « muselée ».
    En commission des finances au sein de laquelle je siège depuis de nombreuses années, j'ai constaté que la majorité ne faisait pas preuve d'un enthousiasme délirant au regard de ce qui se passe dans le pays. Le rapporteur général avait même des états d'âme, ainsi parfois que le président de la commission.
    M. Gérard Bapt. Malheureusement, on ne l'entend pas beaucoup, la commission des finances !
    M. Jean-Pierre Balligand. Or rien de tout cela ne transparaît dans l'hémicycle. On a beaucoup critiqué la langue de bois du stalinisme régnant en Union soviétique, mais je dois dire que vous faites aussi très fort en la matière ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Balligand, il faut conclure.
    M. Jean-Pierre Balligand. Nous allons donc avoir une discussion totalement muselée, surréaliste, en particulier au niveau de la commission des finances.
    Cette politique est idéologiquement identifiée, mais elle est économiquement incohérente.
    M. le président. Monsieur Balligand !
    M. Jean-Pierre Balligand. Je termine.
    M. Jean-Louis Dumont. On ne se lasse pas de ses propos !
    M. Jean-Pierre Balligand. La seule chose à faire est de mettre en place une politique de relance dans ce pays. A cet égard, nous sommes nombreux, non seulement dans l'opposition parlementaire, mais aussi parmi les acteurs économiques de ce pays, à nous interroger sur le sens de votre politique. En effet, à l'exception de la baisse des impôts pour les revenus les plus élevés, aucune mesure ne correspond à la politique de relance, au moment où la croissance et la consommation s'affaissent dans notre pays.
    M. le président. C'est terminé !
    M. Jean-Pierre Balligand. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste va se battre, pendant la discussion de ce budget, pour essayer sinon de réorienter, du moins d'expliquer au pays les inepties de votre politique économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Philippe Auberger. Et les propositions ?
    M. Jean-Pierre Balligand. Elles sont faites !
    M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.
    M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, au moment où débute l'examen du projet de loi de finances pour 2004, je souhaite ne pas m'en tenir aux seuls chiffres du budget sur lesquels d'autres que moi auront l'occasion de s'exprimer, d'autant que je partage l'analyse du rapporteur général. Je préfère saisir l'occasion de cette discussion pour faire le point sur l'état d'avancement de la réforme budgétaire et de la mise en oeuvre de la LOLF, pour laquelle la mission qui m'a été confiée, conjointement avec nos collègues Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard, le 15 janvier de cette année, a remis son deuxième rapport d'étape en juillet.
    Votre propre présentation du budget consacrant une part significative à la mise en oeuvre de la LOLF, je vais donc donner l'appréciation de l'Assemblée nationale sur l'avancement des travaux et sur les attentes qui demeurent les nôtres pour réussir cette réforme.
    Après neuf mois de travaux, nous pouvons aujourd'hui affirmer que la réforme est bien engagée grâce à la mobilisation de l'administration et à l'attention continue portée à ce dossier par vous-même, monsieur le ministre délégué au budget. Des étapes importantes ont été franchies, qui sont rappelées dans les documents de présentation du budget pour 2004. La réorganisation des instances de pilotage autour de la direction de la réforme budgétaire a favorisé la définition des règles d'application de la loi organique, et le comité de pilotage interministériel a validé les principaux volets que constituent la mise en place des nouveaux budgets, de la gestion des emplois et de l'évolution du contrôle de la chaîne des dépenses.
    Le comité interministériel d'audit des programmes a réalisé le guide précisant la méthode de construction du cadre budgétaire qui permet aux équipes projet de chaque ministère de réfléchir aux pistes de la réforme.
    Enfin, le comité des normes de la comptabilité publique a engagé les travaux nécessaires à la définition et à la validation des normes comptables, et la mission de modernisation comptable, constituée au sein de la direction de la réforme budgétaire, a initié la rénovation de la chaîne de la dépense et de la modernisation de la comptabilité de l'Etat.
    Je tiens donc à saluer ce travail, au nom de notre commission des finances, tout en vous donnant acte, monsieur le ministre, de la confirmation du calendrier de la réforme : proposition d'une expérimentation intégrée au projet de la loi de finances pour 2004 pour chaque ministère, finalisation, dans les semaines à venir, des missions programmes et action, adoption pour la fin de l'année des nouvelles normes comptables et, au premier trimestre de 2004, définition des objectifs et des indicateurs.
    Toutefois, cette accélération de la mise en oeuvre qui permet de se rapprocher de l'objectif fixé par le calendrier et qu'il convient, je le répète, de saluer après avoir tiré le signal d'alarme dans notre premier rapport d'étape, comme l'avait fait la Cour des Comptes, signifie-t-elle que les problèmes sont réglés ? Je ne le pense pas. C'est pouquoi je veux réaffirmer un certain nombre de principes auxquels l'Assemblée nationale est attachée.
    En effet, si les services ont globalement pris conscience de l'importance des changements induits par la réforme, ils ne sont pas toujours en mesure d'apporter des solutions aux difficultés rencontrées, et les réponses à apporter dépendent d'arbitrages ministériels - de vos collègues, monsieur le ministre - qui tardent souvent à venir. D'une manière générale, les ministres ne se sont pas suffisamment impliqués dans la mise en oeuvre de la réforme. Les auditions auxquelles la commission des finances procédera à l'initiative de son président et du rapporteur général seront l'occasion de sensibiliser ces derniers à l'urgence d'un investissement personnel de chacun d'entre eux dans ce travail, à commencer par celui de la redéfinition des missions de leur ministère, y compris pour celles partagées avec d'autres ministères, et des programmes nécessaires pour leur mise en oeuvre.
    Il faut en effet, en premier lieu, monsieur le ministre - et nous savons que vous y êtes attaché - redonner tout son sens à l'autorisation parlementaire. La loi organique l'a clairement voulu, en structurant les crédits par programme et action, avec une budgétisation par finalité permettant une meilleure identification des politiques publiques et un véritable contrôle de leur efficacité budgétaire. Cela suppose clairement, dans certaines situations, des réorganisations administratives pour lesquelles nous mesurons le poids des réticences et la force de l'inertie.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Eh oui !
    M. Michel Bouvard. Or il ne peut être admis par la représentation nationale que les difficultés à réformer l'organisation des services prennent le pas sur la nécessité d'identifier les politiques de l'Etat.
    M. Marc Laffineur. Très bien !
    M. Michel Bouvard. Le groupe UMP, sans doute comme l'ensemble des groupes, doit être intransigeant sur ce point.
    M. Marc Laffineur. Et il l'est !
    M. Michel Bouvard. Cela suppose, je le répète, une implication personnelle de chaque ministre dans la réforme de son administration. Nous serons donc attentifs à leurs propositions relatives tant à la définition de leurs missions, qui ne sauraient être un simple habillage des programmes, qu'au découpage de ces derniers. Je rappelle notamment que les programmes doivent privilégier, dans la définition de leur périmètre, l'identification d'une politique, plutôt qu'une masse minimale de crédits budgétaires à gérer.
    Il va de soi que les programmes doivent être construits à coût complet, ce qui suppose l'éclatement d'un certain nombre de moyens dits communs. En clair les programmes supports ou polyvalents ne peuvent être la dominante.
    L'autre sujet sur lequel je souhaite insister de nouveau est celui de la maîtrise des dépenses de personnel.
    En raison de leur poids dans le budget de l'Etat - plus de 40 % - elles se caractérisent par une dynamique propre, puisque l'ouverture des crédits de personnel destinés au recrutement et à la rémunération d'agents en grande majorité statutaires, même si elle est annuelle, a un effet mécanique sur les exercices ultérieurs. Cela justifie le plafonnement en crédits et en nombre d'emplois prévu par la loi organique. Encore cela suppose-t-il que l'on connaisse précisément la base de départ et le périmètre pris en compte pour ce plafonnement.
    Je reprends donc, monsieur le ministre, les termes de mon intervention lors de l'examen du projet de loi de règlement dans laquelle je demandais que les établissements publics de l'Etat et les associations dont les postes sont en majorité financés par des crédits d'Etat, soient inclus dans cette réflexion. Je rappelle d'ailleurs que la Cour des comptes dans son rapport de 1999, a souligné que 340 000 emplois financés indirectement par le budget ne seraient cependant pas autorisés par la loi de finances.
    L'accroissement de 60 000 du nombre des emplois publics entre la LFI 2000 et la LFI 2002, dans le seul budget de l'Etat, montre bien combien il est urgent d'assurer cette maîtrise de l'emploi public, d'autant que ces emplois supplémentaires ne se sont traduits par aucune amélioration sur le terrain. Il convient de le souligner au moment où l'on nous reproche de diminuer de 5 000 postes les effectifs dans le projet de budget pour 2004.
    M. Jean-Pierre Brard. Supprimer 5 000 emplois ne sert à rien ! A ce rythme il vous faudrait deux mille ans pour atteindre vos objectifs !
    M. Michel Bouvard. Nombre de ces emplois ont été créés dans les services centraux.
    Cela étant, cette maîtrise de l'emploi public n'aura sa pleine efficacité que si elle est accompagnée d'une limitation du nombre des programmes polyvalents, car ces derniers conduisent à regrouper les crédits de personnel dans un même programme. En faisant disparaître la ventilation, cette concentration ne peut en effet qu'aboutir à vider de son sens le plafonnement des dépenses de personnel pour chacune des politiques mises en oeuvre.
    M'en tenant à ces deux seules observations - mais je sais que vous êtes conscient des autres problèmes, notamment la mise en place d'indicateurs de performance -, je dois saluer l'effort de transparence mené dans la LFI pour 2004, lequel se traduit notamment par deux décisions de budgétisation qui vont dans le sens d'une meilleure lisibilité de l'action de l'Etat, et qui concernent le financement de RFF, et, surtout, le FOREC. En effet, l'évasion de recettes du budget de l'Etat en direction du FOREC au cours des dernières années a servi à masquer le coût réel des 35 heures, affaiblissant ainsi le pouvoir de contrôle du Parlement sur le coût de la politique de l'emploi.
    Je rappelle qu'ont été transférés au FOREC une partie des droits sur les tabacs, les droits sur les alcools, la taxe générale sur les activités polluantes,...
    M. Gérard Bapt. Au moins, cela était transparent !
    M. Michel Bouvard. ... ce qui a détourné 1,6 milliard de leur objet, car qui pourrait croire que l'affectation de la taxe générale sur les activités polluantes correspond logiquement au financement des 35 heures ? Mes chers collègues, au moment où l'on s'interroge sur les moyens du budget de l'environnement, cette question mériterait d'être posée.
    Le FOREC était encore financé par la taxe sur les conventions d'assurance, par la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, par la taxe sur les véhicules de sociétés, par la taxe sur les contributions patronales au financement de la prévoyance complémentaire, certes à partir de 2002 seulement, et par une partie de la taxe sur les primes d'assurance automobile.
    On le constatera, cette liste baroque et sans réel lien avec la politique de l'emploi, qui aurait pu être élargie à une taxe sur la consommation énergétique des industries sans le recours que nous avons engagé avec succès devant le Conseil Constitutionnel, montre à quel point la rebudgétisation du FOREC était justifiée et combien cette démarche s'inscrit dans la logique de la loi organique.
    Sans être favorable, tout comme le ministre du travail et de la solidarité François Fillon, à un « un grand soir des 35 heures » et considérant qu'il vaut mieux adapter le dispositif en prenant en compte les réalités de chaque branche, je suis cependant convaincu que le coût budgétaire d'une politique de l'emploi doit être apprécié dans sa plénitude. La transparence doit donc exister sur le coût des 35 heures afin de mesurer l'efficacité de cette orientation par rapport à d'autres, comme les allègements de charges sur les emplois peu qualifiés, par exemple.
    M. Jean-Pierre Brard. Voilà ! M. Bouvard a raison !
    M. Gérard Bapt. On pourrait créer une commission d'enquête !
    M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, c'est en réussissant la réforme budgétaire, qui constitue un enjeu majeur de cette législature, que l'on pourra réduire la dépense publique en la rendant plus efficace.
    C'est en maîtrisant les dépenses de fonctionnement par la mise en oeuvre d'une culture de la performance et de mesure des coûts dans l'administration que l'on rétablira des marges en mettant fin à la hausse des prélèvements et en rétablissant les budgets d'investissement et de recherche qui constituent l'avenir du pays.
    Ce budget, en assurant plus de transparence dans la prise en compte de l'ensemble des dépenses, en amorçant la réduction de l'emploi public, en accroissant la part des investissements, marque une évolution réelle dans un contexte économique demeurant difficile qu'il convient de saluer et c'est la raison pour laquelle l'UMP lui apporte son soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.
    M. Gérard Bapt. Depuis seize mois, monsieur le ministre, vous disposez de tous les leviers du pouvoir : de la présidence de la République à celle du CSA. En autant de temps, vous avez réussi à casser la confiance, la croissance et l'emploi !
    Depuis la fin de l'été 2002 pourtant, le groupe socialiste a publiquement averti le Gouvernement et les Français des risques induits par l'erreur de cadrage macroéconomique du Gouvernement. Cette erreur ainsi que l'absence complète de politique économique et sociale cohérente explique l'envol du chômage, des déficits et de la dette. La droite conduit une fois de plus la France dans le mur par aveuglement idéologique. Elle s'entête à vouloir tenir des promesses électorales injustes, inefficaces et contradictoires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Michel Bouvard. Et les 35 heures, ce n'était pas une promesse injuste et inefficace ?
    M. Gérard Bapt. Supprimez-les, monsieur Bouvard.
    M. Michel Bouvard. Non, il ne faut pas les supprimer mais les adapter.
    M. Gérard Bapt. Supprimez les 35 heures et, puisque vous réclamez la transparence, acceptez qu'une commission d'enquête soit créée sur leur coût.
    Le Gouvernement et sa majorité ont fait de mauvais choix et ils persévèrent. Une fois le temps des campagnes électorales achevé, c'est un véritable plan de purge de la dépense publique que le Gouvernement réserve aux Français pour tenter de tenir sa nouvelle promesse d'un déficit ramené à 3 % en 2005.
    Vous menez une politique économique incohérente qui conduit à une confiance en berne. toutes les enquêtes sont convergentes : le moral des Français a atteint un niveau historiquement bas et se dégrade encore à un rythme accéléré.
    Cette perte de confiance générale est liée aux inquiétudes des Français sur la situation de l'emploi, qui atteignent un niveau proche de celles constatées en 1996.
    Depuis décembre 2002, le chômage est redevenu la première source d'inquiétude des Français. Sa remontée provoque une baisse très importante de moral qui nourrit elle-même la récession économique. Ce manque de confiance est directement à l'origine de l'étouffement de la consommation des ménages : relativement soutenue en 2002, elle s'est affaiblie à la fin 2002 pour stagner en 2003. Elle a baissé de 0,2 % au deuxième trimestre 2003, pour la première fois depuis 1996. Dans le même temps, la hausse des taux d'épargne des ménages a atteint 17,8 % fin 2002 et approchera la barre des 18 % en 2003, selon la Caisse des dépôts. C'est de loin un record en France.
    La croissance est cassée : c'est la fin de l'exception française après les performances des cinq années Jospin. La comparaison des croissances française, européenne et américaine au cours des six dernières années est riche d'enseignements.
    D'une part, la France n'a pas à nourrir de complexes vis-à-vis des États-Unis. Entre le deuxième trimestre 1997 et le deuxième trimestre 2002, la croissance cumulée de l'économie française et celle de l'économie américaine atteignait respectivement 15 % et 15,5 %. La France faisait alors jeu égal avec les États-Unis, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui : avec 0,5 % d'augmentation, notre croissance en 2003 représentera à peine un cinquième de la croissance américaine. Et encore, la progression escomptée se réduira-t-elle peut-être à 0,2 %. Il n'est donc pas utile, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, d'attendre que la reprise vienne d'outre-Atlantique. A cet effet, il faut souligner que la croissance mondiale était supérieure entre 1993 et 1997 à la croissance française et inférieure à notre croissance entre 1997 et 2002.
    D'autre part, depuis le troisième trimestre 2002, la croissance française repasse sous la moyenne européenne : le cycle s'est inversé. Ainsi, lorsque la droite est aux responsabilités, la croissance est sans cesse sous la moyenne européenne, et ce n'est que lorsque la gauche est au pouvoir que cette tendance s'inverse en Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    J'ai parlé de la croissance moyenne européenne.
    M. Philippe Auberger. C'est ce que l'on appelle faire de la gonflette !
    M. Bernard Carayon. Pour le beau temps, ça marche aussi ?
    M. Gérard Bapt. Nous examinons aujourd'hui le projet de budget pour 2004. Nous verrons, cher collègue, après les gels et les annulations de crédits que l'on nous a déjà annoncés, qui aura fait de la gonflette pour 2004 !
    Hier après-midi, M. le ministre de l'économie m'a expliqué que la reprise aux USA et dans le Sud-Est asiatique tirerait la reprise en France et dans l'Union européenne, me citant même, pour démontrer que la reprise était là, une étude de la Banque de France qui réévalue à 0,5 la croissance au troisième trimestre. Mais, à la même heure, tombait une dépêche de l'AFP, indiquant que le président du MEDEF, M. Seillières, venait de déclarer qu'il ne fallait « rien escompter avant la fin de l'année en termes de reprise », et que la croissance ne pourrait être au plus que de 1,7 % en 2004. Pire : dans le même temps où la Banque de France révisait discrètement à la hausse ses prévisions de croissance, l'enquête de conjoncture de la chambre de commerce et d'industrie de Paris montrait que la France risquait d'être privée, pour quelques mois, de l'espoir de reprise.
    M. Michel Piron. Ce sont des prévisions tirées du marc de café !
    M. Gérard Bapt. Le Crédit commercial de France observait que la demande intérieure étant mal orientée, il faudrait une vraie relance bugétaire en 2004. Or, dans la situation où vous nous avez placés, ce ne sera pas possible en France ; ce ne le sera d'ailleurs pas non plus en Allemagne.
    M. Michel Bouvard. Ce sont nos nouveaux augures !
    M. Gérard Bapt. Il faudrait aussi une détente monétaire. Mais la violation du pacte de stabilité à gelé tout assouplissement de la politique monétaire, laissant un taux d'intérêt en France supérieur de 1 % à celui des USA, et la chute du dollar va nous pénaliser sur les marchés extérieurs.
    Le résultat était malheureusement prévisible : le chômage s'accélère, les créations d'emplois s'effondrent. Nous supprimons entre 20 000 et 25 000 emplois industriels tous les trimestres. Pourtant le Gouvernement prétend mener une politique budgétaire de relance dont le mot d'ordre serait « ramener la croissance et l'emploi en France ».
    Tout cela n'est qu'un leurre destiné à dissimuler son unique préoccupation : baisser les impôts payés par les plus riches. C'est une politique qui ne doit rien à Keynes, mais tout à Friedman. Ces baisses d'impôt sont injustes et inefficaces. Cette politique budgétaire est elle-même injuste : elle sacrifie les dépenses d'avenir au bénéfice principalement des dépenses militaires et de la plus passive des dépenses, la charge de la dette, qui constitue désormais le deuxième poste budgétaire, à 17 % du budget de l'Etat, soit 3 % du PIB.
    M. Bernard Carayon. Cela fait quinze ans qu'il en est ainsi !
    M. Gérard Bapt. L'absence de marge est telle que le Gouvernement sacrifie les crédits consacrés à des secteurs clés de l'économie - l'emploi, le logment social, les transports en commun - ou à l'avenir de notre pays - l'éducation nationale et la recherche.
    Le fonctionnement des ministères est aussi gravement affecté par les annulations budgétaires, au point que M. Mattei et Fillon vous ont écrit le 13 mai, monsieur le ministre, pour pousser un cri d'alarme. Il a d'ailleurs fallu la lecture du Canard enchaîné pour que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances soient informés des dettes et des blocages de factures qui s'accumulaient, menaçant même la pérennité de certaines petites et moyennes entreprises en attente de paiement.
    M. Philippe Auberger. On sait maintenant où nos collègues pêchent leur information.
    M. Gérard Bapt. Nous la prenons où nous pouvons, cher collègue.
    Désormais, les frais de contentieux et les intérêts moratoires s'accumulent. Ainsi, les factures d'affranchissement de la Poste du premier semestre 2003 ne sont pas réglées, de même que la facture des cartes de voeux des ministres du 1er janvier ! Des dettes de 300 000 euros pour France Télécom et de 200 000 euros pour Orange sont toujours en suspens ! Et le ministère a reçu récemment une menace de fermeture de l'eau ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Michel Bouvard. Parlez-nous de la facture des primes de Noël, qui avait douze ans d'arriérés !
    M. Gérard Bapt. Cela vous fait rire, mais cela entraîne une paralysie du service public.
    M. Bernard Carayon. Et si on parlait du Crédit lyonnais ?
    M. Gérard Bapt. Ce sont des exemples peut-être amusants, mais cela l'est moins quand sont concernées les actions de santé publique au moment de l'examen d'une loi d'orientation.
    En ma qualité de rapporteur spécial du budget de la santé, je viens d'ailleurs d'écrire au Premier ministre au sujet du budget de la mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies : après les annulations et les gels de crédits de 2003 et les reports de 2002, celui-ci diminue de 30 % d'une année sur l'autre. J'ai réclamé au Premier ministre un dégel, au moins partiel, des crédits qui restent en réserve, faute de quoi seraient sacrifiées les actions déconcentrées de prévention et de lutte contre les toxicomanies et le sida, au moment où le Gouvernement affiche de grands objectifs de santé publique, que nous partageons tout en déplorant qu'ils ne soient pas financés.
    M. Bernard Carayon. Vous, vous êtes des toxicomanes de la dépense publique !
    M. Gérard Bapt. Je vais d'ailleurs vous transmettre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, le double de ce courrier.
    Monsieur le ministre, depuis juillet 2202, nous avons l'impression de nous répéter...
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est tout à fait vrai !
    M. Gérard Bapt. ... en affirmant sans relâche l'échec prévisible de votre politique économique et budgétaire, mais nous ne nous lasserons pas de le faire tant que nous serons convaincus qu'elle conduit nos finances publiques dans le mur et qu'elle entraîne une situation d'injustice fiscale et sociale. Celle-ci nous paraît si grave que nous sommes inquiets pour l'avenir immédiat de notre pays, dont la stabilité politique pourrait être ébranlée par de nouvelles poussées extrémistes.
    L'ardeur de notre opposition, monsieur le ministre, est avant tout dédiée à notre sens de l'intérêt général, de l'intérêt national. Notre opposition à votre politique est nourrie par notre inquiétude extrême devant les dégâts profonds qu'elle cause désormais dans notre pays, à la société française. Il serait encore temps d'en changer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger.
    M. Philippe Auberger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2004 qui nous est présenté répond bien aux deux exigences que nous avions formulées au moment du débat d'orientation budgétaire.
    M. Jean-Pierre Brard. Ça commence mal !
    M. Philippe Auberger. La première est d'avoir une prévision de croissance réaliste et la seconde, d'assurer une véritable maîtrise des dépenses publiques.
    La prévision de croissance retenue de 1,7 % pour 2004 est en effet réaliste.
    M. Jean-Pierre Brard. M. Seillière le dit.
    M. Philippe Auberger. Elle n'est ni exagérément optimiste ni particulièrement volontariste. C'est la moyenne des prévisions des différents conjoncturistes. Elle est d'ailleurs très en dessous - malheureusement - de la croissance potentielle qui est estimée à 2,25 %. La principale incertitude qui règne sur la croissance pour 2004 tient, d'une part, à celle du réveil de l'ensemble de l'Europe, notamment des pays vers lesquels nous exportons, d'autre part et surtout, à l'évolution du dollar : une baisse persistante du dollar risquerait de compromettre le rétablissement de notre économie, notamment de nos exportations.
    M. Gérard Bapt. Il fallait être au G7.
    M. Jean-Pierre Brard. Il vaut mieux aller voir une chiromancienne !
    M. Philippe Auberger. Voilà donc les grandes incertitudes qui pèsent sur la prévision de notre croissance et qui justifient une prévision relativement sérieuse et réaliste.
    M. Jean-Pierre Brard. « Relativement sérieuse » : c'est vous qui le dites.
    M. Philippe Auberger. La plus sérieuse et réaliste possible, mon cher collègue.
    M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes contaminé par Francis Mer.
    M. le président. Monsieur Brard, je vous prie de laisser parler M. Auberger.
    M. Philippe Auberger. La seconde exigence est la maîtrise des dépenses publiques. Le Gouvernement s'y emploie, puisqu'il propose une stabilisation de celles-ci tout en maintenant les priorités : la sécurité, la justice, les armées et l'éducation. Cela est particulièrement méritoire. Il convient naturellement que cette norme soit respectée au cours de l'année, ce qui exige un effort sans précédent de maîtrise des dépenses de l'État. Jamais une telle maîtrise n'a été observée, en particulier sous les gouvernements socialistes.
    À ces mesures s'ajoute une diminution nette du nombre d'emplois publics : 4 650 postes sont supprimés.
    M. Bernard Carayon. C'est peu.
    M. Philippe Auberger. C'est un progrès par rapport aux années précédentes, notamment par rapport aux années socialistes,...
    M. Jean-Louis Dumont. Qu'elles étaient belles les années socialistes ! C'était le paradis !
    M. Philippe Auberger. ... ce qui montre très clairement que l'amélioration de la situation de l'emploi que tout le monde recherche dans le pays passe par la création d'emplois nouveaux plutôt dans le secteur privé que dans le secteur public. Le Gouvernement émet là un signal extrêmement utile.
    Par ailleurs, les critiques qui ont été émises jusqu'à présent à l'encontre du projet de budget ne sont pas justifiées.
    M. Gérard Bapt. Ah bon ?
    M. Philippe Auberger. On déplore le non-respect du critère de Maastricht concernant le déficit public. Il est vrai qu'il est impossible de revenir en 2004, en une seule année, à la norme de 3 % de déficit, et la Commission de Bruxelles l'a elle-même reconnu de façon incontestable. Le déficit de l'Etat est stabilisé alors que le contexte est particulièrement difficile. Contrairement à ce qui est affirmé ici ou là, mes chers collègues les allégements d'impôt ne sont pas la cause du déficit. En effet, ils sont très modérés, puisque l'allégement net s'élève seulement à 3,3 milliards, ce qui est historiquement un des chiffres les plus bas observés au cours des dix dernières années.
    M. Bernard Carayon. Hélas.
    M. Philippe Auberger. Un tel chiffre n'est pas en rapport avec un déficit qui s'élève à 55 milliards d'euros.
    La dégradation des comptes publics tient d'ailleurs beaucoup plus à celle des comptes sociaux, notamment de l'assurance maladie - 13 milliards d'euros. C'est la raison pour laquelle il convient, comme le propose le Gouvernement, de faire porter l'effort à la fois sur la réduction dès 2004 du déficit, après stabilisation, et sur l'évolution des comptes des collectivités locales : on observe en effet une augmentation continue de la pression fiscale et des dépenses des collectivités locales du fait des 35 heures, de la suppression des emplois-jeunes, du financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et des SDIS.
    Monsieur le ministre, puisque vous êtes en train de remanier les sommes mises en péréquation entre les collectivités locales, il me semblerait opportun que le comité des finances locales, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, réfléchisse à des mécanismes qui seraient conçus non seulement pour récompenser les collectivités qui ont des ressources fiscales inférieures à la moyenne, et un potentiel fiscal faible, mais également celles qui, quelles que soient les pressions extérieures, savent préserver une véritable modération fiscale.
    M. Michel Bouvard. Très bien !
    M. Bernard Carayon. Absolument !
    M. Philippe Auberger. Un effort de responsabilisation des collectivités locales est nécessaire et il faut saisir la réforme de la dotation de péréquation pour le faire.
    M. Jean-Pierre Brard. Qui est responsable de l'appauvrissement ?
    M. Marc Laffineur. Vous !
    M. Bernard Carayon. La gauche !
    M. Jean-Pierre Brard et M. Alain Rodet. C'est faux !
    M. le président. Mes chers collègues, M. Philippe Auberger a seul la parole.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est dommage !
    M. Philippe Auberger. Les allégements fiscaux qui sont proposés sont justifiés. En effet, on ne peut pas contester la diminution des charges patronales,...
    M. Jean-Pierre Brard. Si, justement !
    M. Philippe Auberger. ... notamment pour permettre l'alignement des différents SMIC. Par ailleurs, la diminution de 3 % de l'impôt sur le revenu correspond non seulement à un engagement des campagnes législative et présidentielle mais également à la reconnaissance que notre taux d'imposition est parmi les plus élevés d'Europe.
    M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas vrai !
    M. Philippe Auberger. Si on tient compte de la CSG, on arrive à un taux maximum de 58 %, alors que, je le rappelle, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a reconnu qu'au-delà de 50 % l'impôt était spoliateur.
    M. Bernard Carayon. Très bien !
    M. Philippe Auberger. Il est vrai que l'augmentation de la fiscalité sur le carburant diesel pose un problème. Personnellement, je ne suis pas contre cette mesure, au contraire, mais je trouve que les explications qui ont été données ne sont pas satisfaisantes. D'abord, l'argument écologique ne tient pas puisque les constructeurs ont reconnu que le diesel n'était pas plus polluant que l'essence. Ensuite, celui du financement de RFF n'est pas tout à fait approprié dans la mesure où il n'y a plus d'affectatation possible des recettes aux dépenses depuis la LOLF dans le cadre du budget général. C'est donc en fait l'argument économique qui doit être retenu : la différence de taxation entre le diesel et l'essence, au profit du premier - de 19 centimes d'euros - n'est pas justifiée sur le plan économique.
    M. Michel Bouvard. Très bien ! C'est ce que disait Mme Bachelot.
    M. Philippe Auberger. En effet, elle provoque une « diesélisation » de notre parc automobile tout à fait excessive et nous sommes obligés d'importer du diesel raffiné pour pouvoir satisfaire la consommation, ce qui est une hérésie économique totale !
    M. Michel Bouvard. Absolument !
    M. Philippe Auberger. Il faut donc rapprocher les deux fiscalités. Le Gouvernement le fait et je ne comprends pas pourquoi la gauche conteste ce point !
    M. Gérard Bapt. Il n'y a pas que sur nos bancs qu'on conteste !
    M. Michel Bouvard. Autrement, les transporteurs délocalisent à l'Est !
    M. Jean-Pierre Brard, M. Alain Rodet et M. Gérard Bapt. Et les poids lourds ?
    M. Philippe Auberger. Le Gouvernement a également eu raison d'augmenter de façon très significative - 500 millions d'euros - la prime pour l'emploi. Il faut effectivement favoriser la rémunération du travail et la reprise du travail, en particulier pour les salariés les plus modestes.
    Je dois quand même reconnaître, monsieur le ministre, que vous m'aviez promis l'année dernière une réforme de la prime pour l'emploi. Vous avez certes institué un acompte, ce qui est un progrès dont je vous donne acte volontiers. Cela dit, chacun sait que la liquidation provisoire passe par les URSSAF et qu'il faut arriver, une bonne fois pour toutes, à réconcilier les fichiers des URSSAF au moment de la préliquidation et le fichier des services fiscaux. A l'ère de l'informatique et au moment où vous demandez qu'on réconcilie d'autres fichiers, qu'on arrive à réconcilier au moins celui-là et on fera une bonne oeuvre. Telle est la suggestion que je fais pour 2005, monsieur le ministre, puisque cela n'a pas été fait pour 2004.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Très bonne suggestion !
    M. Bernard Carayon. Oui, bonne idée !
    M. Jean-Pierre Brard. Et la CNIL dans tout ça ?
    M. Philippe Auberger. Il y a tout de même un parallélisme à faire entre la diminution de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle a été engagée - nous sommes à 10 %, ce qui est tout à fait significatif - et la réduction du nombre des exemptions fiscales, et une suite à donner au dernier rapport du Conseil des impôts. Il serait beaucoup plus utile d'organiser une discussion sur ce point plutôt que sur les prélèvements obligatoires et, en plus, il est très rare qu'il y ait des suites données au rapport du Conseil des impôts. Alors, monsieur le ministre, si l'on ne veut pas donner de suites aux rapports du Conseil des impôts, supprimons ces organismes.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Tout à fait !
    M. Bernard Carayon. Très juste !
    M. Philippe Auberger. Je ne propose pas de supprimer le Conseil des impôts, je déplore simplement que, par exemple, la loi de programme pour l'outre-mer ait supprimé le plafonnement de la réduction d'impôt liée aux investissements outre-mer.
    M. Jean-Pierre Brard. Jamais assez !
    M. Philippe Auberger. Il faut au contraire remettre progressivement sous plafond les exemptions.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Absolument !
    M. Philippe Auberger. On sait bien que vous n'arriverez pas à les supprimer, mais, en les mettant sous plafond, vous réduisez l'essentiel de leur portée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Très juste !
    M. Philippe Auberger. Je voudrais enfin dire un dernier mot sur les problèmes de l'épargne. Nous aurons à traiter ces problèmes en détail dans la deuxième partie puisque ce sont des articles non rattachés. Cela dit, il n'y a absolument aucune raison de jeter, comme certains le font, l'opprobre sur l'épargne, en particulier l'épargne financière placée en actions.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Absolument !
    M. Philippe Auberger. Les entreprises ont besoin de procéder à des augmentations de capital pour alléger leurs frais d'endettement et leur endettement et rétablir leur bilan. Ce ne sera possible que si l'on maintient un certain avantage à l'épargne sous forme d'actions. On en discutera, mais la réforme prévue de l'avoir fiscal n'est pas tout à fait équilibrée de ce point de vue.
    M. Jean-Pierre Balligand. Elle est tout à fait inepte !
    M. Philippe Auberger. Il faudra sans doute la revoir.
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Auberger.
    M. Philippe Auberger. La voie suivie par le Gouvernement est particulièrement difficile.
    M. Gérard Bapt. Ça, c'est vrai !
    M. Philippe Auberger. Il faut éviter la récession tout en empêchant l'aggravation des déficits. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a aucune proposition alternative sérieuse, de l'opposition.
    M. Gérard Bapt. Mais si, bien sûr ! Attendez nos amendements !
    M. Jean-Louis Dumont. C'est un procès d'intention !
    M. Philippe Auberger. J'en conclus que la voie suivie par le Gouvernement est la bonne, et c'est pour cela, monsieur le ministre, que le groupe UMP approuve votre projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.
    M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion générale qui nous occupe à l'occasion de la présentation de la loi de finances pour 2004, discussion qui, comme chaque année, revient de façon traditionnelle, nous permet de balayer les multiples questions que l'on se pose tant sur la méthode que sur les choix que traduit cette loi de finances.
    Je souhaite exprimer un point de vue à travers quelques observations de caractère général.
    Cette nuit, un groupe politique a demandé l'application de l'article 61 de notre règlement, après que l'opposition eut utilisé les motions de procédure. Dans le cadre des alternances politiques, on entend la majorité protester contre les lenteurs de nos discussions et l'opposition, à juste titre, réclamer la possibilité de s'exprimer, de proposer, de manifester, lorsque c'est nécessaire, sur les mesures proposées par le Gouvernement. Or on applique simplement un règlement. Les alternances politiques nous ont bien démontré que ce que disent cette nuit les députés de la majorité, d'autres l'ont dit avant eux.
    M. Bernard Carayon. C'est pour cela qu'il faut arrêter !
    M. Jean-Louis Dumont. Pour l'efficacité de la gestion et de la discussion, y a-t-il nécessité de revoir ce règlement républicain ? Au risque de choquer mes collègues, je vais évoquer le Conseil économique et social. Lorsqu'un rapporteur travaille sur un sujet, il présente devant l'assemblée les résultats de ses investigations et de ses analyses, et termine sur un avis. Chaque groupe constitué s'exprime et, de plus, on annexe à l'avis une contribution écrite de chaque groupe constitué au CES. Ici, ce serait de chaque groupe politique. C'est simplement un exemple d'une assemblée constitutionnelle, la troisième de notre République. De temps en temps, on pourrait peut-être s'y référer pour améliorer notre mode de fonctionnement, moderniser notre règlement, pour apporter une juste contribution au débat.
    M. Bernard Carayon. C'est un cénacle, pas une assemblée !
    M. Jean-Louis Dumont. Je sais qu'on met souvent en cause la légitimité de ceux qui y siègent.
    M. Bernard Carayon. Ils n'en ont aucune. Ils sont issus de la cooptation !
    M. Jean-Louis Dumont. Peut-être les personnes qualifiées. Les autres ont une légitimité pour représenter des mouvements socioprofessionnels, économiques, culturels,...
    M. Bernard Carayon. C'est de la cooptation !
    M. Jean-Louis Dumont. ... et je trouve dommage que certains parlementaires mettent systématiquement en cause cette assemblée. On pourrait faire des références historiques pour démontrer qu'à un moment donné de la Ve République quelqu'un avait, me semble-t-il, proposé qu'il n'y ait qu'une seule assemblée.
    M. Bernard Carayon. Ça lui a coûté cher !
    M. Jean-Louis Dumont. Cela lui a coûté cher, mais cela veut bien dire qu'on ne peut pas se contenter d'appeler le débat de tous ses voeux et ne pas aller jusqu'au bout de la concertation avec ceux qui représentent légitimement les groupes constitués. Mettre en cause la représentation syndicale, qu'elle soit des salariés ou des patrons, me semble tout à fait dommageable.
    M. Bernard Carayon. C'est la chambre des corporations !
    M. Jean-Louis Dumont. Le débat vaut donc la peine d'être ouvert.
    Moderniser, dynamiser le débat semble nécessaire. Trois conditions sont essentielles, me semble-t-il. Il faut d'abord accepter le dialogue. En commission des finances, on arrive, sur des sujets difficiles, en prenant son temps à discuter et, souvent, à donner des orientations. Certes, monsieur le ministre, cela s'arrête au moment où le Gouvernement s'exprime.
    Le Gouvernement doit par ailleurs respecter les prérogatives du Parlement et, surtout, entendre les élus.
    Je voudrais de ce point de vue faire une seconde observation. En 2001, une loi organique relative aux lois de finances a été promulguée. Didier Migaud, dans notre assemblée, en fut l'un des architectes et il me semble qu'un sénateur avait été aussi un artisan pour ne pas dire un architecte de cette LOLF. Vous avez notamment, pour le contrôle parlementaire, institué l'article 57. Il ne faudrait donc pas que, lorsqu'un parlementaire, député ou sénateur, devient ministre, il oublie les conditions dans lesquelles il travaillait dans son assemblée.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Expliquez-vous !
    M. Bernard Carayon. Ce n'est pas clair !
    M. Jean-Louis Dumont. Lors des débats à la commission des finances, on fait souvent référence à la LOLF car cette loi est considérée comme une étape importante dans la modernisation du débat budgétaire. Encore faut-il maintenant être vigilant sur son application et les modalités de sa mise en oeuvre. Or, des analyses menées par des experts extérieurs à notre assemblée, il ressort que cette réforme pourrait échouer s'il n'y a pas une réflexion globale sur le fonctionnement de l'administration et s'il n'y a pas un recadrage de l'organisation de l'Etat. On assiste en effet aujourd'hui à un détournement progressif de la LOLF par Bercy.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est absolument faux !
    M. Jean-Louis Dumont. Il faut encadrer et coordonner la mise en oeuvre administrative de cette réforme par des responsables politiques, députés et sénateurs. Les prochaines étapes devront être débattues et pilotées par le Parlement. Il y va de la réussite de l'organisation du budget selon la nouvelle formule des missions et des programmes.
    S'il y a une autonomie renforcée des gestionnaires, c'est au prix d'un contrôle renforcé. Or, aujourd'hui comme hier, si les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ne se trouvent pas systématiquement en butte aux oukases des administrations centrales,...
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Vous avez tous pouvoirs. Utilisez-les !
    M. Jean-Louis Dumont. ... tout est fait, trop souvent, pour leur cacher ce qu'ils recherchent, même si, dans le cadre de leur mission d'analyse, l'information est pratiquement publique.
    Prenons le cas, par exemple, de Gérard Bapt. Aujourd'hui, le ministère de M. Mattei lui est totalement ouvert, mais, dans un premier temps, on lui a refusé les informations. Parce qu'il était député ou parce qu'il était député de l'opposition ?
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. C'était le contexte !
    M. Jean-Louis Dumont. Vous êtes intervenu, monsieur le président de la commission, et cela a eu de l'effet, mais on sent bien, quand on va sur le terrain, combien les administrations, voire certains ministères, sont réticents à ouvrir les dossiers.
    M. Bernard Carayon. C'est la culture administrative, une culture de l'opacité de la méfiance !
    M. Jean-Louis Dumont. On a le sentiment que, si l'on n'est pas vigilant, cette culture de l'opacité que vous dénoncez risque de se poursuivre. Vous êtes donc d'accord, mon cher collègue, avec ce que je viens d'exprimer.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Moi pas du tout, je suis en total désaccord !
    M. Jean-Louis Dumont. La LOLF est une excellente loi. Encore faut-il être vigilant sur son application, afin que les députés de demain puissent avoir tous les moyens, non seulement du contrôle, mais de l'analyse.
    Monsieur le ministre, si ces propos sont tenus à cette tribune, c'est pour attirer votre attention...
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Vous parlez en votre nom ou au nom de votre groupe ?
    M. Jean-Louis Dumont. Je parle en mon nom personnel !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je suis rassuré.
    M. Jean-Louis Dumont. J'assume totalement mes propos. J'attire votre attention sur ce point, puisque vous avez été un des artisans de cette loi.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je n'ai pas entendu de tels propos dans la bouche de M. Migaud, qui participe à nos travaux.
    M. Jean-Louis Dumont. C'est une analyse extérieure au monde parlementaire faite par des experts qui suivent l'évolution de cette loi et de son application.
    M. Bernard Carayon. Il faut entrer à l'UMP !
    M. Jean-Louis Dumont. Le Parlement peut désormais légitimement demander compte de chaque euro dépensé. Comment justifier, alors, les entraves à la bonne exécution des contrôles ?
    Dernièrement, M. le Premier ministre s'est rendu à Moscou. Même si vous avez voté une loi constitutionnelle qui, dans le cadre de la décentralisation, doit amener le Gouvernement à faire des propositions préalables au transfert des ressources affectées aux collectivités locales, il ne faudrait pas que l'on assiste, comme c'est le cas de façon larvée, à une forme de « poutinisation » de la décentralisation.
    M. Philippe Auberger. Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous ne pouvez pas parler français ?
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est la première fois que j'entends ce mot !
    M. Michel Bouvard. Il va y avoir des incidents diplomatiques ! Il ne faut pas le mettre au Quai d'Orsay !
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Dumont.
    M. Jean-Louis Dumont. J'arrive à ma conclusion.
    On transfère des compétences et on ne transfère pas toujours les moyens.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. C'était vrai dans le passé !
    M. Jean-Louis Dumont. Un seul exemple puisque M. le président me demande de conclure.
    M. le président. Parce que votre temps est épuisé, monsieur Dumont !
    M. Jean-Louis Dumont. Un seul exemple, la politique du logement, que nous appelons de tous nos voeux du fait de la pression qui s'exerce dans le domaine du locatif.
    M. Philippe Auberger. C'est qu'il faut rattraper les retards accumulés pendant le temps où les socialistes étaient au pouvoir !
    M. Jean-Louis Dumont. Les acteurs sont mobilisés, les maires sont vigilants.
    M. Jean-Pierre Balligand. Les maires sont surtout vigilants quand il s'agit de ne pas faire de logements sociaux !
    M. Jean-Louis Dumont. Mais plus le budget de l'Etat consacré au logement diminue, plus on demande aux collectivités locales d'intervenir. Aujourd'hui, par logement locatif de qualité à mettre en chantier, il faut une participation des collectivités locales à hauteur de 15 000 euros, ou pour le foncier, ou pour une subvention directe, ou pour une prise en charge de certains investissements.
    M. le président. Merci, monsieur Dumont.
    M. Jean-Louis Dumont. Quand je parle de « poutinisation », c'est pour vous dire de faire attention. Une compétence en matière de logement dans le cadre de la décentralisation, oui, mais une vraie compétence assumée par des élus et des moyens affectés auxdites assemblées, pour leur permettre de gérer aux mieux des intérêts. Et ne vous cachez pas derrière la loi...
    M. le président. Monsieur Dumont, votre temps de parole est épuisé, je vous remercie.
    M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, vous me coupez mon élan. J'avais encore deux ou trois observations à faire.
    M. le président. Vous les ferez dans le débat.
    M. Jean-Louis Dumont. J'en prends acte.
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Il n'est pas d'usage d'interrompre ainsi la discussion générale, mais Jean-Louis Dumont, contre lequel je n'ai d'ailleurs aucune acrimonie, vient de mettre en cause le Gouvernement sur la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances.
    M. Jean-Louis Dumont. L'administration !
    M. Michel Bouvard. Le Gouvernement est au contraire exemplaire !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je lui rappelle que cette loi organique a été adoptée sous la précédente législature, avec le soutien de l'opposition,...
    M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ... qui a eu le courage de dépasser tout esprit partisan afin de doter la France d'une nouvelle constitution financière.
    M. Gérard Bapt et M. Jean-Louis Dumont. Absolument !
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. J'ai eu l'honneur, au Sénat, d'en être le rapporteur. Seriez-vous prêts, mesdames, messieurs les députés de l'opposition, à dépasser vous aussi tout esprit partisan pour adopter avec la majorité un texte conforme à l'intérêt de la France ?
    Monsieur Dumont, je trouve que le procès fait au Gouvernement sur sa capacité à mettre en oeuvre la loi organique n'est pas approprié, et c'est un euphémisme. Sous la précédente législature, Laurent Fabius a instauré un conseil pour la nouvelle constitution financière. Didier Migaud y siège ; il ne m'a jamais exposé un grief comme ceux que vous avez exposés ce matin à la tribune de l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Louis Dumont. J'ai voulu attirer votre attention !

Rappels au règlement

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, il est vrai qu'il y a eu consensus pour la LOLF.
    M. Jean-Louis Dumont. Je vous ai rendu hommage, monsieur le ministre !
    M. Jean-Pierre Brard. Il a été construit, toutes les formations politiques et les deux assemblées ont contribué à l'élaboration de ce texte extrêmement important.
    M. Michel Bouvard. Oui !
    M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes un homme d'une placidité parfaite et dont l'urbanité est à la hauteur de la placidité.
    M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Venez-en à la fin de votre phrase !
    M. Jean-Pierre Brard. N'a-t-on pas le droit d'exprimer clairement ses sentiments dans cet hémicycle ? Je ne vais rien dire de désagréable, vous pouvez vous décontracter, je vous assure, cela va aider à la suite du débat !
    Ce qui n'est tout de même pas normal - je ne veux pas utiliser de mots désagréables en ce début de journée pour ne pas vous mettre de mauvaise humeur -, c'est que l'esprit de cette constitution financière que nous avons votée de façon consensuelle ne soit pas véritablement respecté, même si vous pouvez me répondre que, pour 2003, nous n'étions pas contraints par les nouvelles règles.
    Quand vous dites dans Le Parisien hier que vous avez réussi à faire 5,7 milliards d'euros d'économie, cela signifie tout de même qu'en 2003 nous avons voté une loi de finances virtuelle. C'est un peu Platon, mes chers collègues : on a des ombres sur le mur.
    M. Michel Piron. Je ne suis pas sûr que Platon soit un spécialiste de l'économie !
    M. Jean-Pierre Brard. Il n'y a pas d'économie sans philosophie, mon cher collègue !
    M. Michel Piron. Peut-être, ce n'est pas sûr !
    M. Jean-Pierre Brard. Que disait le mythe de la caverne ? On voyait des ombres projetées sur un mur et on ne pouvait pas savoir si c'était quelque chose de réel. De la loi de finances pour 2003, on a vu l'ombre, et le réel ne correspond pas du tout à l'ombre.
    M. le président. Monsieur Brard, pouvez-vous faire votre rappel au règlement.
    M. Jean-Pierre Brard. Il s'agissait d'une digression pédagogique.
    M. le président. Nous l'avions compris !
    M. Jean-Pierre Brard. L'écart entre le réel et le virtuel hypothèque notre discussion de la loi de finances pour 2004. C'est en cela, monsieur le ministre, que je voulais dire que l'esprit de notre constitution financière auquel vous êtes tant attaché - un esprit laïque, évidemment -, n'a pas été respecté.
    M. Bernard Carayon. Un peu de sérieux, maintenant !
    M. Jean-Pierre Brard. Votre réaction un peu vive - qui ne vous ressemble pas - aux propos de notre collègue Jean-Louis Dumont dépassait certainement votre pensée.
    M. Alain Bocquet. Excellent rappel au règlement !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Louis Dumont. Ce rappel au règlement est fondé sur l'article 55 du règlement de notre assemblée - 55, comme le numéro de mon département.
    Monsieur le ministre, je vous ai rendu hommage, et donc à l'ensemble de nos assemblées. Pour autant, j'ai appelé votre attention sur quelques dérives perceptibles, qui tiennent à des habitudes, que je n'oserais qualifier d'ancestrales, de l'administration. La mise en oeuvre de cette nouvelle architecture financière mérite une attention particulière, car nous avons l'obligation, tous ensemble, de la réussir.
    M. Bernard Carayon. C'est une réflexion ultralibérale !
    M. le président. Je vous signale pour la prochaine fois, monsieur Dumont, que les rappels au règlement se fondent, non sur l'article 55, mais sur l'article 58 de notre règlement.
    M. Nicolas Perruchot. M. Dumont n'a qu'à changer de département !
    M. le président. Ce ne sera pas nécessaire !

Reprise de la discussion

    M. le président. La parole est à M. Yves Deniaud.
    M. Yves Deniaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France doit retrouver un rythme de production et de développement soutenu. Malheureusement, elle doit le faire dans un contexte mondial encore déprimé, même s'il s'améliore et, surtout, à la différence de ses partenaires et concurrents les plus notables, après des années durant lesquelles on a non seulement gaspillé les fruits de croissance, mais également dépensé ce que l'on n'avait ni produit ni encaissé.
    Ce budget ne mérite pas les invectives dont le couvrent ceux qui ont plombé structurellement la capacité créatrice de la France. Il traduit, à mon sens, un effort patient et tenace, en profondeur, pour faire disparaître les freins à l'innovation, à l'initiative et à l'effort qui ont anesthésié depuis longtemps l'économie de ce pays.
    Les créations d'entreprises sont en hausse. C'est une très bonne nouvelle, car c'est le seul moyen de bâtir une croissance durable et une économie robuste, capable de profiter au mieux des périodes fastes et de traverser les crises en limitant la casse. Ce n'est pas un hasard si la Grande-Bretagne, qui compte un million d'entreprises de plus que nous - 3,4 millions contre 2,4 millions -, a aussi un million de chômeurs en moins.
    M. Jean-Pierre Brard. Ils ne les comptent pas tous !
    M. Yves Deniaud. Ils les comptent exactement comme nous, selon les normes du BIT ! Il faut arrêter les mensonges sur ce pays !
    M. Jean-Pierre Brard. La perfide Albion n'a jamais rien fait comme nous !
    M. Yves Deniaud. La perfide Albion affiche des résultats financiers bien meilleurs que les nôtres !
    Nous le savons bien, la création d'entreprises a deux ennemis : les charges et la paperasse.
    M. Bernard Carayon. Et le socialisme !
    M. Yves Deniaud. Cela revient au même. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Jean-Pierre Brard. Ça vole bas !
    M. Gérard Bapt. Quel niveau !
    M. Yves Deniaud. Parce que ce budget traduit de nets efforts dans ces deux domaines, il mérite déjà d'être salué. Une baisse de charges de 1,2 milliard sur les bas salaires, après les mesures déjà prises l'année dernière, c'est considérable, et il est capital de faire savoir que cet effort sera poursuivi avec constance. Il faut le faire savoir à ceux qui hésitent encore à se lancer dans l'aventure de l'entreprise, ou rechignent à embaucher ne serait-ce qu'un ou deux salariés supplémentaires, même quand ils en ont besoin. Nous savons tous que ces deux cas de figure existent.
    L'axe de la politique budgétaire consiste, plus largement, à alléger les charges sur le travail et sur ses fruits. En effet, notre fiscalité était et demeure largement décourageante à cet égard. Je n'évoquerai même pas les fuites de matière grise et de capitaux à l'étranger ; il suffit de rappeler plus prosaïquement que des travailleurs indépendants, voire salariés, auto-limitent leur activité car, à partir d'un certain seuil, « cela ne vaut plus le coup ». Combien de fois nous a-t-on fait remarquer que le couple de smicards qui vont travailler 35 heures, voire plus, par semaine, perçoivent un revenu à peine supérieur à celui de leurs voisins de palier RMIstes ?
    M. Bernard Carayon. Evidemment !
    M. Yves Deniaud. Les caricatures les plus navrantes peuvent prétendre que nous ne faisons que pour les riches, il y a tout de même près de 17 millions de foyers fiscaux qui paient l'impôt sur le revenu et 8,5 millions de bénéficiaires de la prime pour l'emploi ! Que l'on se rassure, les riches continueront à payer un impôt proportionnellement plus élevé que les autres !
    M. Jean-Pierre Brard. Mais non !
    M. Yves Deniaud. L'impôt sur le revenu continuera d'être payé à 80 % par les 20 % de contribuables les plus aisés. Entre l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur les plus-values et l'ISF, l'effort qui leur sera demandé sera toujours nettement plus important que celui qui est demandé aux moins favorisés, et personne ne disconvient qu'il doit continuer à en être ainsi.
    M. Jean-Pierre Brard. Reste que quand on partage la motte de beurre,...
    M. le président. Monsieur Brard, vous n'avez pas la parole.
    M. Yves Deniaud. En revanche, ce serait sous-estimer l'intelligence des Français que de les croire incapables de comprendre que le principe de solidarité selon lequel les riches doivent payer plus ne s'oppose pas au fait de devoir garder le sens de la mesure. Les Français peuvent en effet parfaitement comprendre que la progressivité de l'impôt trouve sa limite lorsque celui-ci devient dissuasif et décourageant, et qu'à trop vouloir prendre, comme dit la sagesse populaire, on tue la poule aux oeufs d'or.
    M. Michel Piron. Et il n'y a plus de beurre !
    M. Yves Deniaud. Grâce aux efforts consentis sur deux exercices, les prélèvements obligatoires ne représenteront plus que 43,6 % du PIB. Il était indispensable d'agir ainsi dans la période économiquement difficile que nous traversons. En effet, si au ralentissement mondial s'était ajoutée une stagnation, voire une hausse des prélèvements obligatoires - ce qui n'aurait pas manqué d'arriver avec la politique précédemment conduite -, c'était une franche récession assurée. Mais il est tout aussi indispensable de baisser les prélèvements obligatoires au moment où la reprise s'amorce si nous ne voulons pas que celle-ci soit médiocre, en demi-teinte, handicapée par la fatigue des acteurs pliant sous le poids des charges et des contraintes.
    Bien sûr, cela rend très difficile la nécessaire réduction du déficit abyssal dont nous avons hérité. La seule voie qui subsiste lorsque la faiblesse de la croissance limite les recettes et que l'on ne veut pas, à juste titre, les majorer, c'est maîtriser très fermement les dépenses publiques. Vous vous engagez clairement dans cette voie, monsieur le ministre. Nous mesurons parfaitement les obstacles à franchir. Croyez bien que nous sommes là pour vous y aider. Il n'y aura pas de maîtrise des dépenses sans réforme de l'Etat, mais cette réforme ne pourra aboutir que par un travail acharné, dans la durée. Le poids des corporatismes, la résistance spontanée d'un corps au changement, appuyée sur la conviction, sincère d'ailleurs, de tout individu et de toute structure, que son travail est utile, voire indispensable, rendent la tâche très malaisée.
    Chaque ministre est en permanence face à une administration et à des usagers, qui ressassent quotidiennement qu'il faut davantage de moyens pour satisfaire des besoins légitimes. S'il a la volonté de réorganiser, il s'adressera tout naturellement pour ce faire à ses propres services ; or un professeur de droit administratif m'a appris qu'il n'y a pas de pire réforme que celle d'un corps par lui-même.
    M. Bernard Carayon. Très juste !
    M. Yves Deniaud. Le Parlement peut et doit vous aider, monsieur le ministre, éclairé par les contrôles des organismes dont c'est le rôle, au premier rang desquels la Cour des comptes. Toutefois, nous aurons à faire des efforts nous-mêmes pour améliorer notre capacité à évaluer, à contrôler et à proposer des changements. Encore faut-il que le Gouvernement soit réceptif à nos suggestions : c'est, j'en suis convaincu, son intérêt, ne serait-ce que parce qu'il est parfois bien utile de pouvoir de bonne foi attribuer à un intervenant extérieur l'origine d'une décision quelque peu douloureuse.
    Dans la discussion budgétaire - et pas seulement sur la partie recettes -, nous nous efforcerons d'amorcer ce processus. Nous espérons que le dialogue entre le Parlement et le Gouvernement permettra une meilleure maîtrise des dépenses.
    Nous le voulons, parce que le premier signe d'une vertu retrouvée que nous devons pouvoir adresser à nos concitoyens et à l'Europe, c'est que, au terme de l'exercice, les dépenses sont conformes, à l'euro près, aux prévisions. C'est l'engagement du Gouvernement, et nous le soutenons ardemment. C'est pourquoi nous entendons contribuer à ce que le calibrage initial des dépenses soit le plus rigoureux possible. Il n'y a en effet rien de plus exaspérant que les abandons, les coupes et les retards.
    Nous tenons aussi à ce que l'Etat perde sa triste réputation de manquer systématiquement à sa parole, notamment en matière d'investissements. Rappelons - et ce n'est qu'un exemple - que les derniers contrats de plan routiers n'ont été exécutés qu'à 80 %, sur une durée de sept ans, au lieu de cinq. Nous pouvons nous fixer un objectif d'exactitude des prévisions pour enfin mettre les investissements « hors gel » - et c'est à dessein que j'utilise cette métaphore des travaux publics.
    C'est en toute confiance, monsieur le ministre, que nous abordons donc le dialogue que nous aurons avec vous, pour poursuivre la réhabilitation du travail et de l'effort, pour nous mettre en mesure de profiter au mieux, en termes d'activité et d'emploi, d'une croissance revenue, grâce à l'allégement de la fiscalité - je pense en particulier à la redevance audiovisuelle, à laquelle nous devons clairement assigner un statut précaire, en attendant qu'un retour à meilleure fortune nous permette de lui assurer un sort définitif.
    M. Michel Bouvard. Très bien !
    M. Yves Deniaud. Nou aurons le loisir d'en débattre sereinement.
    Votre politique budgétaire, monsieur le ministre, la nôtre, doit viser à sortir la France du marasme financier où elle vit depuis trop longtemps, puisque c'est le trentième anniversaire du dernier budget exécuté en équilibre dans ce pays. Si l'embellie qui s'annonce sur l'économie internationale nous faisait bénéficier d'une croissance meilleure que la prévision, et de recettes supérieures, il faudrait impérativement que le déficit en soit réduit d'autant, sans céder à aucune tentation d'augmenter si peu que ce soit les dépenses.
    Cette réduction du déficit, c'est tout le bonheur qu'on puisse souhaiter à la France. L'action conduite par le Gouvernement et par vous en particulier, monsieur le ministre, mérite notre soutien sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand.
    M. Jean-Pierre Brard. Un jeune homme qui a de l'avenir ! Un ministrable !
    M. Xavier Bertrand. Venant de vous, monsieur Brard, cette remarque a tout lieu de m'inquiéter !
    Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l'action politique, il est important de dire ce que l'on va faire, de faire ce que l'on a dit et, surtout, d'assumer ses choix. C'est ce que font ce gouvernement et sa majorité. Conformément aux engagements pris devant les Français, nous faisons, avec ce budget, le choix de poursuivre la baisse des prélèvements qui pèsent sur la France et les Français.
    Chacun s'accorde à reconnaître le poids trop important de nos prélèvements, qui oppressent tous les acteurs économiques. Cependant quand il s'agit de les baisser, nombreux sont ceux qui font la fine bouche ou font preuve d'une hypocrisie sans pareille. Je ne suis pas de ceux-là. Même si je suis élu d'une circonscription où 57 % des ménages ne paient pas l'impôt sur le revenu, je sais leur expliquer mes choix dans cette assemblée.
    Il y a un clivage dans cet hémicycle. Certains pourraient penser qu'il est fondé sur la ligne de partage entre l'hypocrisie et le courage, entre la démagogie et la détermination. Non, il est beaucoup plus clair encore. Ce clivage se situe entre le travail et l'impôt. Nous avons appris dernièrement que le parti socialiste voulait réhabiliter l'impôt. Cela pourrait apparaître comme un scoop, car il est vrai que 32 milliards d'euros ont été consacrés à la baisse des impôts entre 1997 et 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin !
    M. Bernard Carayon. Quelle honte !
    M. Xavier Bertrand. Aujourd'hui, la mémoire fuit les socialistes, qui brûlent une fois encore ce qu'ils ont adoré hier et refusent, la main sur le coeur, les baisses d'impôt qui, rappelons-le, touchent aujourd'hui plus de 17 millions de ménages. Mais aujourd'hui, il est vrai, le parti socialiste est dans l'opposition, tiraillé entre ses courants, entre des forces centrifuges qui le conduisent vers toujours plus de démagogie quand ce n'est pas vers plus de gauchisme.
    M. Jean-Pierre Brard. Et ça, ce n'est pas politicien ?
    M. Xavier Bertrand. Même pas audible, même pas crédible, voilà l'opposition socialiste d'aujourd'hui dans ce pays ! Certains en sourient, d'autres s'en réjouissent. Pour ma part, je trouve cela navrant pour un parti qui se veut de gouvernement, mais dont les Français ne veulent plus au gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Eric Besson. Soyez plus prudent et plus modeste !
    M. Xavier Bertrand. Le PS veut réhabiliter l'impôt : libre à lui. Pour ma part, comme pour la majorité et le Gouvernement, je crois davantage au travail et à la valeur du travail, comme valeur sociale, bien sûr, mais aussi comme pilier social et comme garantie du pouvoir d'achat et de l'évolution du niveau de vie des Français.
    M. Jean-Pierre Brard. De ceux de M. Seillière et de M. Messier !
    M. Xavier Bertrand. Travailler plus pour gagner plus, voilà une noble aspiration ! Les 35 heures, elles, décidées par le gouvernement socialiste, avaient donné arbitrairement du temps à des Français qui auraient préféré pour beaucoup, si on les avait écoutés, vouloir gagner plus d'argent.
    M. Jean-Pierre Brard. Regardez les sondages !
    M. Xavier Bertrand. Croire en la valeur du travail, c'est baisser les impôts,...
    M. Jean-Pierre Brard. Non !
    M. Xavier Bertrand. ... de 3 % en 2004 et de 10 % en deux ans, pour les 17 millions de ménages qui en paient.
    M. Jean-Pierre Brard. Quel aveuglement ! Comme quoi on peut être jeune et miro !
    M. Xavier Bertrand. Croire en la valeur du travail, c'est augmenter de 500 millions d'euros la prime pour l'emploi pour 8 millions de Français aux revenus modestes.
    Croire en la valeur du travail, c'est augmenter la valeur du SMIC entre 2003 et 2005 en donnant un treizième mois pour un million de nos compatriotes.
    Telle est la vérité de notre action, et aucun rideau de fumée ne saurait masquer cette vérité vécue par des millions de Français !
    M. Jean-Pierre Brard. En tout cas, avec vous, on est dans le brouillard !
    M. Xavier Bertrand. Croire en la valeur du travail, c'est aussi la signature de 100 000 contrats-jeunes en entreprise, qui sont autant de contrats à durée indéterminée pour des jeunes peu ou pas qualifiés.
    Croire en la valeur du travail, c'est aussi le dispositif zones franches urbaines, déjà créateur d'emplois, et dont la relance et l'extension vont permettre de créer davantage d'activités et d'emplois dans nombre de nos quartiers.
    Croire en la valeur du travail, c'est aussi favoriser le retour à l'emploi pour les RMIstes en créant le RMA.
    Nous voulons poursuivre dans cette voie. Pour cela, il nous faut, c'est vrai, accentuer encore nos efforts de réforme.
    La réforme n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour l'Etat de mieux remplir son rôle, d'assurer ses fonctions essentielles : la sécurité, la justice, la défense, toutes priorités du Gouvernement. A cet égard, nos concitoyens voient bien la différence entre hier et aujourd'hui.
    M. Jean-Pierre Brard. Attention, les électeurs risquent de vous réformer !
    M. Xavier Bertrand. La réforme c'est aussi assurer un meilleur service du public au meilleur coût, c'est diminuer le poids de la dette et de la dépense publique. Quelle entreprise, aujourd'hui, pourrait faire face sereinement à un endettement de 62 % ? Quel pays pourrait être aveugle au point de ne pas s'engager résolument dans la voie de la réforme.
    La réforme des retraites est l'illustration de cette nécessité et de cette volonté. L'avenir de nos retraites est aujourd'hui assuré par la réforme de juillet.
    M. Jean-Pierre Brard. Tu parles !
    M. Xavier Bertrand. Cette loi de finances prolonge la volonté du Gouvernement et de sa majorité en plaçant enfin les Français sur un pied d'égalité pour accéder à l'épargne-retraite avec la création du plan d'épargne populaire.
    Il est vrai que l'épargne-retraite existait déjà dans ce pays, sous différentes formes, l'assurance-vie n'en étant pas la moindre. Elle continue à exister, bien sûr, mais dans un cadre spécifique, plus performant et surtout sécurisant. Désormais, les conditions d'accès à l'épargne-retraite sont les mêmes pour tous, avec le même cadre fiscal pour tous.
    M. Jean-Pierre Brard. Les fonds de pension !
    M. Xavier Bertrand. Cette réforme des retraites était indispensable depuis des années. Mais il est vrai que nos prédécesseurs avaient manqué de cette qualité essentielle pour un Gouvernement : le courage politique. Dans leur for intérieur, les socialistes savent combien ils ont eu tort de ne pas mener cette réforme.
    Désormais, il nous faut garantir l'avenir de notre assurance-maladie, car nous ne voulons pas qu'un système à plusieurs vitesses se mette en place insidieusement. Il faut avoir le courage de regarder les chiffres et la vérité en face. Deux solutions se présentent : la facilité ou le courage.
    Les socialistes prônent l'augmentation de la CSG, ce prélèvement qui touche tous les Français, imposables ou non, actifs ou retraités. Mais augmenter les taxes et les prélèvements qui sont déjà à un niveau insupportable ne réglerait rien, nous le savons tous. Bref, c'est la solution de facilité.
    Le courage sera plutôt de dresser un diagnostic de notre système de santé, de traquer les abus, de chasser les excès, d'accepter de modifier certains comportements et d'en appeler au sens des responsabilités des uns et des autres, pour ensuite choisir ensemble les moyens d'un financement.
    Pour aller plus loin et pour favoriser davantage encore le travail - je pense notamment aux salariés les plus modestes et à ceux des catégories moyennes, qui ont envie d'accroître leur pouvoir d'achat -, nous devons intensifier nos actions, continuer à réformer. La réduction de la dépense publique et la norme « zéro volume »...
    M. Jean-Pierre Brard. Parlez donc français ! Zéro volume, ça ne veut rien dire !
    M. le président. Monsieur Brard, vous n'êtes pas là pour donner des cours de français !
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. C'est le côté instit de M. Brard qui ressort !
    M. le président. Laissez parler l'orateur.
    M. Jean-Pierre Brard. Zéro volume, ça veut dire quoi ?
    M. le président. Monsieur Bertrand, ne vous laissez pas interrompre !
    M. Xavier Bertrand. La réduction de la dépense publique et la norme « zéro volume », norme appliquée cette année, marquent une vraie rupture avec les pratiques précédentes.
    La loi organique est bien évidemment un outil, mais comme tout outil, il convient d'avoir volonté de s'en servir.
    Monsieur le ministre, vous pouvez vous appuyer davantage encore sur les parlementaires de la majorité pour faire entendre aux chantres de l'immobilisme et du statu quo la voix du bon sens et de l'exigence.
    Certes la croissance n'a pas été avec nous cette année, et nous ne sommes pas les seuls à rencontrer ces difficultés. En revanche, elle a été là pendant quatre ans, mais elle a été gâchée, gaspillée : 28 milliards d'euros ont été consacrés à l'augmentation des dépenses de l'Etat entre 1987 et 2001, sans comptabiliser, bien sûr, le coût des 35 heures.
    M. Nicolas Perruchot. Très juste !
    M. Xavier Bertrand. La croissance est là, devant nous, mais nous ne nous contentons pas de l'attendre et de l'espérer. Nous voulons la stimuler, la faire croître, car nous voulons la mettre au service de l'emploi, de l'activité et du dynamisme français.
    Laissons les démagogues et les tenants du déclinisme commenter avec délectation les difficultés actuelles.
    M. Jean-Pierre Brard. Déclinisme ! C'est un néologisme ! L'Académie française n'est pas pour demain, monsieur Bertrand ! Essayez plutôt la Comédie-Française !
    M. Xavier Bertrand. Ils ont été jugés clairement et sévèrement par les Français qui savent bien que la situation actuelle n'est pas seulement le résultat de la conjoncture internationale, mais qu'elle est aussi et surtout la conséquence de décisions qui n'ont pas été prises en temps et en heures. Pendant cinq ans, le gouvernement de M. Jospin nous a trompés. Dans une grande oeuvre, que je qualifierai de mystification, il a choisi en permanence la voie de la facilité, repoussant à plus tard - après les élections bien évidemment - les réformes dont la France avait déjà tant besoin.
    Nous choisissons quant à nous, même si cela est plus difficile, de mener un vrai travail de fond, dans la continuité, avec un objectif : permettre à notre pays de retrouver tout son dynamisme afin que les Français tirent profit, pour eux-mêmes et pour leur famille, des fruits de ce travail.
    Puisque M. Brard tout à l'heure nous a invités à faire entrer la philosophie dans cet hémicycle, je fais mienne, pour rassurer ceux qui douteraient de notre détermination, cette pensée d'un philosophe : « Ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est le difficile qui est le chemin ». Même si c'est difficile, nous vous soutenons, monsieur le ministre, dans vos efforts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Bravo !
    M. Jean-Pierre Brard. C'est de la philosophie de pacotille, une pensée claire comme de la porcelaine de Limoges !
    M. le président. Monsieur Brard, vous êtes intenable ce matin !
    La parole est à M. Alain Rodet.
    M. Alain Rodet. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de budget, comme celui voté l'an dernier, nous paraît déjà lourdement hypothéqué par l'irréalisme et le dogmatisme. Le Gouvernement et sa majorité nous paraissent persister dans l'erreur. Vous disposiez pourtant, monsieur le ministre, de nombreux indices pour revoir votre copie budgétaire et prendre en compte un certain nombre de réalités.
    Depuis des mois, les impôts rentrent mal, la récession fait son nid et vos décisions budgétaires et fiscales restent à contresens et à contre-emploi. Les avantages fiscaux que vous avez accordés, les réductions d'impôt ciblées sur les catégories les plus aisées, n'ont pas stimulé la demande et ont joué contre la croissance. A telle enseigne que le budget qui a été voté l'an dernier n'est même pas celui qui a été exécuté.
    Nos concitoyens vous ont cependant laissé le temps de faire vos preuves. En dix-huit mois, on peut juger une politique et une équipe. Après l'expectative est venu le temps de l'incrédulité, qui le cède aujourd'hui à la méfiance et à l'angoisse. Vous avez perdu du temps et vous continuez à en faire perdre à notre pays.
    Je ne reviendrai pas sur l'irréalisme de vos prévisions de croissance pour 2003. Rendons justice en cela au président de la commission des finances de notre assemblée, qui, depuis l'an dernier, vous alertait en vain sur les graves dangers que faisaient courir à nos finances publiques des prévisions de croissance extravagantes et des baisses d'impôt concentrées sur les plus hauts revenus. Les propos tenus par M. Méhaignerie ne lui ont valu d'ailleurs que des volées de bois vert de la part de l'UMP et de la majorité.
    Mais, bien au-delà des rangs de l'opposition, aujourd'hui votre projet de budget est qualifié d'injuste et d'inefficace, quand il n'est pas qualifié de virtuel. Ce jugement peut vous paraître sévère mais il est, n'en doutez pas, de plus en plus largement partagé. Il s'apparente en effet bien souvent au jeu du mistigri : vous vous défaussez trop souvent des hausses d'impôt inéluctables sur d'autres centres de décision.
    Quelques exemples permettent d'illustrer cette manière très significative de traiter les finances « d'en bas ». Au nom de la maîtrise des dépenses, vous réduisez de manière drastique les crédits destinés aux transports collectifs urbains, mais vous autorisez dans le même temps l'augmentation du plafonnement du versement transports pour faire prendre aux autorités organisatrices, autrement dit aux échelons locaux de décision, des décisions de financement, donc l'augmentation de la fiscalité. Dans le même temps, vous augmentez la fiscalité sur le gazole pour les particuliers.
    Vous annoncez également avec force publicité un projet de loi de décentralisation, aux seules fins de transférer des responsabilités aux collectivités territoriales et des charges nouvelles et mal compensées aux contribuables locaux. Vous diminuez brutalement la rémunération du livret A de 3 % à 2,25 % en laissant entendre que cela sera bon pour le logement social. Mais, en réalité, aucun effort n'est constaté dans le budget du logement pour 2004.
    Vous annoncez la mensualisation des retraites agricoles, mais vous la financez en levant un emprunt. Vous annoncez pour l'outre-mer un effort visant à améliorer la continuité territoriale avec la métropole, mais vous prévoyez de le financer avec une taxe supplémentaire sur le transport aérien, lequel n'a pas besoin de cela.
    Plus grave, vous sacrifiez les dépenses d'avenir, d'équipements et de recherche. Au printemps dernier, le fameux audit sur les infrastructures de transports n'a été, en réalité, qu'un prétexte pour couper dans les dépenses d'avenir et d'infrastructures, qui commandent pourtant l'aménagement du territoire. Les dépenses de recherche ont subi une très forte déflation, ce qui hypothèque grandement notre avenir en matière d'innovations et de création d'entreprises dans les hautes technologies. Quant aux contrats de plan, ils sont en souffrance et, au moment où vous affirmez qu'il convient d'accorder une nette priorité aux dépenses militaires, on entend le chef d'état-major de la marine reconnaître devant la commission de la défense que rien n'est encore décidé en ce qui concerne le mode de propulsion qu'utilisera le second porte-avions qui figurait dans vos engagements électoraux.
    Votre projet de budget pour 2004 est donc dans la continuité de celui de l'an dernier, lequel, disiez-vous à l'époque, était en rupture avec ce qui se faisait auparavant. Une telle constance sera de fait meurtrière pour les finances publiques et pour l'avenir de notre pays.
    On a récemment parlé de cet Autrichien devenu citoyen américain qui s'est illustré lors d'une élection dans l'Etat de Californie.
    M. Jean-Pierre Brard. C'est le cousin rustique du ministre.
    M. Alain Rodet. Nous avons le sentiment que l'Autrichien qui vous sert de référence est un économiste, M. Friedrich von Hayek, prix Nobel en 1974, qui, devenu lui aussi citoyen américain, a prononcé deux phrases particulièrement significatives : « Les inégalités ne créent pas l'injustice. Ne cherchez pas à faire le bien, laissez-le naître comme sous-produit de l'égoïsme. » Je ne suis pas certain qu'il s'agisse là de devises qui méritent d'être retenues pour un vieux pays comme la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Brard et M. Emile Zuccarelli. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.
    M. Jean-Jacques Descamps. Monsieur le ministre, j'admire à l'avance votre sérénité et votre ténacité, ainsi que celles du ministre des finances, pour affronter durant les deux mois à venir, avec des pratiques procédurières comme celle que nous avons connue hier au soir,...
    M. Jean-Louis Dumont. C'était la stricte application du règlement.
    M. Jean-Jacques Descamps. ... le jugement de notre assemblée sur votre projet de budget pour 2004. Vous avez beaucoup travaillé afin de le rendre cohérent, compte tenu des engagements pris, de la réforme nécessaire de l'Etat, des perspectives très incertaines de croissance et, enfin, des contraintes que nous impose la Commission européenne.
    Le débat budgétaire est pourtant un grand moment pour les parlementaires puisqu'il permet, aux uns et aux autres, non seulement d'exprimer leurs choix idéologiques mais de les confronter aux réalités du terrain et des chiffres.
    J'essaierai pour ma part de rester prudent en matière idéologique, je m'attacherai à vous décrire le sentiment pragmatique que je ressens à l'écoute de tous ceux qui travaillent dans ma circonscription, que ce soit dans les entreprises, les associations ou l'administration.
    Notre pays est en crise, sinon économique, même si la croissance est faible, du moins psychologique. Je suis de ceux qui pensent que, si nous sommes encore un grand pays, nous apparaissons de plus en plus comme des adeptes de la méthode Coué.
    Nous affirmons haut et fort que nous sommes les meilleurs, les plus intelligents, que nous avons les meilleures écoles, alors que tous s'accordent à reconnaître qu'il convient de réformer notre système scolaire. Nous nous enorgueillissons de disposer du meilleur système de santé, alors qu'il faut se préparer à le réformer, et du meilleur système de retraite, que nous avons commencé à faire évoluer. Notre politique étrangère est certes brillante.
    M. Hervé de Charette. Absolument !
    M. Jean-Jacques Descamps. Mais nous ne pouvons pas échapper à une analyse factuelle comparative et les chiffres sont éloquents. D'ailleurs, il suffit de voyager en Espagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis pour mieux prendre la mesure de nos handicaps et de nos lourdeurs administratives. Je pense aussi à l'Allemagne qui, si elle n'avait pas eu à absorber l'Allemagne de l'Est, serait probablement en bien meilleure santé que nous !
    M. Alain Rodet. C'est vrai !
    M. Jean-Pierre Brard. Si les poules avaient des dents...
    M. Jean-Jacques Descamps. En réalité, il semble que nous soyons un pays plus conservateur que nos voisins et que nous détenions, parmi les pays développés, le record des déficits. Nous avons donc beaucoup de chemin à faire pour rejoindre le peloton de tête des pays dynamiques.
    M. Jean-Pierre Brard. Nous sommes dans de beaux draps.
    M. Jean-Jacques Descamps. Heureusement, les Français nous ont fait confiance en 2002, heureusement, sans vouloir vous flatter outre mesure, monsieur le ministre, vous êtes là, heureusement, l'Europe est là ! Imaginons ce que serait la politique française sans les contraintes européennes, avec les habitudes dispendieuses de nos prédécesseurs ! Alors, le déclin, dont on ne veut pas encore parler, s'accélérerait inéluctablement. Mais vous êtes ici, et nous aussi, pour inverser une tendance lourde qu'il est pourtant indispensable de corriger.
    L'équation est difficile à résoudre, elle comporte beaucoup de variables et d'inconnues. Les déficits dont nous héritons sont lourds et ils sont partout : dans le budget général, la sécurité sociale et les établissements publics.
    La croissance prévisible est liée à celle de nos partenaires commerciaux. Nous sommes à peu près certains qu'elle viendra mais elle sera insuffisante pour nous sortir de nos difficultés, surtout si la parité euro-dollar reste la même.
    M. Jean-Pierre Brard. Que de « si » !
    M. le président. Monsieur Brard, vous auriez dû demander un temps de parole auprès de votre groupe !
    M. Jean-Pierre Brard. Je l'ai eu, monsieur le président, mais il n'était pas suffisant à mon goût. (Sourires.)
    M. le président. Monsieur Descamps, continuez !
    M. Jean-Jacques Descamps. Comme nous ne pouvons pas tout attendre de la reprise américaine ou asiatique, nous devons surtout compter sur nos propres efforts. Vos prévisions de croissance semblent raisonnables, elles génèrent des prévisions de recettes prudentes.
    Toutefois, je vous le dis comme je le pense, j'aurais bien aimé trouver dans le deuxième budget proposé par la majorité - car nous l'avions déjà réclamée l'année dernière - une vraie refonte de la fiscalité sur les revenus qui se traduisent par une baisse uniforme de 3 % de l'impôt et surtout par une vraie simplification du barème avec la suppression de niches surannées. Espérons que nous obtiendrons une véritable réforme fiscale dans le budget pour 2005.
    De même, par principe, j'aurais aimé que, pour mieux mettre en évidence la baisse de l'impôt sur le revenu, on évite toute autre hausse d'impôt, qu'il s'agisse de celle de l'ISF - il s'agit bien d'une hausse puisqu'on n'indexe pas le barème sur l'inflation -, de l'augmentation de la TIPP sur le gazole - c'est une erreur psychologique forte, surtout en zone rurale -,...
    M. Alain Rodet. Tout à fait !
    M. Jean-Jacques Descamps. ... ou enfin du relèvement du plafond de versement transports ou de la TACA, la taxe d'aide au commune et à l'artisanat. Voilà toute une série d'impôts qui masquent finalement l'intérêt véritable de la baisse de l'impôt sur le revenu.
    M. Alain Rodet. Eh oui !
    M. Jean-Jacques Descamps. Du côté des dépenses, je ne vous cache pas que je reste aussi sur ma faim. On aurait dû faire beaucoup mieux.
    Il est vrai que les Français sont les champions des droits acquis. Ils refusent les réformes lorsqu'elles bousculent leurs habitudes. Ils sont pour moins d'Etat et moins de dépenses publiques dans les dîners en ville ou au café du commerce, mais sont constamment en chasse de subventions et d'aides.
    M. Jean-Pierre Brard. Comme M. Seillière !
    M. Jean-Jacques Descamps. Enfin, ils ont le coeur sur la main, surtout lorsqu'il s'agit de donner l'argent des autres aux plus faibles et aux plus démunis ! Les maires que nous sommes savent mieux que quiconque combien il est difficile de dire non à la dépense publique, de dire non à la dépense tout court.
    Or il faut forcer le chemin du redressement de la France.
    J'ai eu la difficile expérience d'avoir travaillé vingt ans dans le premier secteur à avoir été sinistré en France, le textile, le suivant, que M. le ministre des finances a bien connu, ayant été la sidérurgie. J'ai eu la charge de redresser des entreprises qui avaient été riches et célèbres. J'ai eu à redresser aussi ma commune, qui était sur le déclin et qui était, elle aussi, célèbre. Je sais les pesanteurs sociologiques qui s'opposent à ces redressements. Et pourtant, il n'y a pas d'autres solutions dans ces cas que de tailler dans les dépenses de structures, tout en investissant dans la production, les produits nouveaux et le marketing, le tout sans impôts ou hausses de prix supplémentaires, bien entendu.
    Surtout, il n'y a pas de résultats sans l'adhésion des hauts responsables de ces structures, qu'il ne faut pas hésiter à changer s'ils ne sont plus adaptés. Je ne suis pas sûr que tous ces changements aient été faits ou que les hauts fonctionnaires chargés de « faire le ménage » chez eux aient été formés à ces techniques de remise en question.
    La France est comme une entreprise en difficulté, mais vous avez l'expérience de cette situation, monsieur le ministre, tout comme le ministre des finances. C'est pourquoi je vous fais entièrement confiance.
    M. Jean-Pierre Brard. Imprudent !
    M. Jean-Jacques Descamps. Un tel changement de culture est nécessaire. Il ne peut être impulsé que par le pouvoir politique, sous réserve que ce soit celui-ci qui dirige son administration, et non l'inverse. Je sais que c'est désormais le cas au ministère des finances. Nous, parlementaires, nous ne conserverons la confiance de nos électeurs que si nous avons suffisamment de détermination et de courage pour assumer ce changement de culture au Parlement et dans nos collectivités locales.
    Il ne faut donc pas attendre pour envoyer le plus possible de signes, aussi modestes soient-ils, de ce changement. C'est là que je reste sur ma faim. Je pense en particulier à la redevance télé, dont l'existence même et le mode de perception sont les symboles d'un archaïsme, compte tenu de l'évolution des technologies. D'autant que cette manne, acquise de façon sécurisée par le service public audiovisuel, lui évite naturellement de se poser la question de sa véritable vocation et des limites de celle-ci. Je pense aussi à la suppression nécessaire de tant d'organismes qui ne vivent que pour justifier les emplois qui y sont logés.
    Voilà, monsieur le ministre, quelques réflexions d'un réformateur libéral, et j'assume ce titre, monsieur Brard !
    M. Jean-Pierre Brard. Nous, nous sommes de l'autre côté !
    M. Jean-Jacques Descamps. Je ne crois pas au grand soir budgétaire du libéralisme où l'on pourrait, d'un trait de plume, revenir sur tant et tant d'années de socialisme et même de social-démocratie, durant lesquelles notre pays, au travers des médias et de notre système d'éducation, a formé une génération de Français qui, aujourd'hui, attendent trop de l'Etat ou de la solidarité et pas assez de leur engagement personnel.
    Je voudrais que ce projet de budget, qui est, je le reconnais, courageusement construit et qui représente déjà une rupture forte avec le passé, puisse être encore enrichi lors de ce débat de quelques signes supplémentaires de notre volonté de changement. Je voudrais, surtout, qu'en découlent rapidement des résultats concrets pour convaincre l'opinion publique qu'il faut aller plus loin encore et plus vite dans ce sens au cours des prochaines années, et que la France reprenne confiance, que la courbe de chômage s'inverse enfin durablement et que la pente déclinante - je n'ai pas peur de le dire - sur laquelle glisse notre pays s'inverse et que la France puisse assurer enfin le rôle mondial ambitieux qu'elle veut jouer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission, et M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !
    M. Jean-Pierre Brard. A part ça, on n'est pas dans l'idéologie !
    M. le président. La parole est à M. Eric Besson.
    M. Eric Besson. Monsieur le ministre, comment résumer les questions qui viennent à l'esprit à vous écouter nous expliquer pourquoi, en dépit de l'échec de la politique que vous menez, vous nous proposez tout bonnement de ne pas en changer ? L'échec est patent, incontestable et déjà presque incontesté. Quels que soient les critères, quels que soient les indices, tous les clignotants sont au rouge : la croissance frôle le zéro, le chômage augmente fortement, notamment dans son noyau dur que constituent les chômeurs de longue durée et les RMIstes, les déficits budgétaires et sociaux se creusent, la dette s'accroît, notre industrie est en grande difficulté.
    Face à ce constat, votre réponse consiste grosso modo à dire : d'abord, nous ne sommes pas responsables de l'échec, la croissance mondiale n'est pas au rendez-vous et la France attend tranquillement que la croissance américaine traverse l'Atlantique ; ensuite, nous maintenons que notre stratégie est la bonne. M. Mer, avec beaucoup d'assurance, ne nous a-t-il pas asséné récemment, lors d'une séance de questions au Gouvernement, un catégorique « notre politique est bonne parce que nous avons raison » ?
    Patience et persévérance sont des qualités que le Gouvernement s'attribue et qu'il attend des Français. Droits dans vos certitudes, aidés d'ailleurs par des parlementaires de la majorité - le discours de Xavier Bertrand était assez caricatural à cet égard -, vous refusez d'admettre que ces réponses ne résistent pas à l'analyse.
    Sur la conjoncture internationale et la croissance, d'abord. Pourquoi la France connaît-elle aujourd'hui une croissance moindre que celle de ses partenaires européens, alors que de 1997 à 2001 - ces chiffres émanent de votre propre ministère -, elle avait connu une croissance supérieure à celle de ces mêmes partenaires ?
    Pourquoi ne vous interrogez-vous pas davantage sur les raisons pour lesquelles vous vous estimez régulièrement victimes du sort ? A vous entendre, la mer est toujours lisse lorsque la gauche est au pouvoir, elle est toujours déchaînée lorsque vous exercez ce pouvoir.
    Pourquoi refusez-vous de tirer les leçons de vos erreurs de pronostic, erreurs pourtant abyssales, pour reprendre un adjectif cher au ministre de la santé ? Le Journal officiel porte trace de nos pronostics respectifs de l'automne dernier. Nous vous disions alors que votre prévision de croissance était à la fois non sincère et peu crédible et nous vous expliquions pourquoi. Les faits ont tranché. Rarement l'écart entre une prévision et un résultat aura été aussi important. Rarement un ministre de l'économie et des finances se sera satisfait de si peu. Entendre M. Mer, hier après-midi, dans cet hémicycle, se flatter d'une éventuelle tendance de 0,5 % de croissance pour la fin de l'année en disait long sur le niveau d'ambition qui est désormais le sien.
    Vous avez certes tenu compte de cette douloureuse leçon. La prévision de croissance sur laquelle est fondé le budget pour 2004 est, reconnaissons-le, bien plus crédible que celle de l'année en cours. Mais vous récidivez, monsieur le ministre, sur le déficit public. Vous savez pertinemment qu'il sera supérieur à ce que vous annoncez : de très nombreux économistes, y compris parmi ceux qui sont proches de votre majorité, estiment qu'il atteindra 4,5 % du PIB.
    Comment, dans ces conditions, enclencher un cercle vertueux fondé sur la confiance, la consommation et l'investissement ? Tous les Français, qu'ils soient citoyens, entrepreneurs ou consommateurs, ont bien compris que les déficits d'aujourd'hui sont les impôts et les taxes de demain ; d'autant que ces déficits, par les choix que vous avez opérés, ne sont pas de ceux qui pourraient permettre de soutenir la croissance. Et nous savons quand viendra le temps de demain : après le printemps électoral prochain. A l'automne prochain, vous vous trouverez fort dépourvus quand la bise sera venue. Plus exactement, les Français se trouveront fort dépourvus quand votre bise, qu'on nommera alors rigueur, sera venue.
    Ce qui est frappant, monsieur le ministre, lorsque l'on vous écoute évoquer le contexte économique, que vous avez qualifié vous-même ici de récessif, et la croissance, c'est le peu de foi que vous paraissez accorder à votre propre action. A vous entendre, la croissance est une donnée, et non le résultat d'une action volontariste fondée sur un diagnostic approfondi. Croyez-vous encore à votre propre rôle ou considérez-vous qu'en matière économique, désormais, la messe est dite et qu'il nous faut attendre - je n'ai pas dit attendre et prier - pour que la croissance américaine, dont la solidité mériterait d'ailleurs examen, touche un jour nos rivages ?
    Votre seconde réponse à nos critiques est péremptoire : « Nous avons raison » parce que « nous avons raison ». Si j'osais, je reprendrais cette formule qui venait de mon camp : « Vous avez économiquement raison parce que vous êtes politiquement majoritaires ». D'où vous vient cette certitude ?
    M. Jean-Louis Dumont. C'est une référence historique : elle a plus de vingt ans !
    M. Eric Besson. Il fallait bien rendre hommage à ce grand républicain qu'est André Laignel !
    Vous disiez, monsieur le ministre, que vous alliez libérer le travail. Vous avez malheureusement surtout libéré le chômage et les plans sociaux. Entendre Xavier Bertrand tout à l'heure déclamer son hymne à la réhabilitation du travail lorsque la France compte, après dix-huit mois, 160 000 chômeurs de plus est tout simplement indécent. Vous nous expliquiez, monsieur le ministre, que la loi Dutreil équivalait à un point de croissance. Faut-il en conclure que sans elle nous aurions connu une croissance négative ? Vous nous disiez que la grande réforme Raffarin sur la décentralisation valait un autre point de croissance. Pour l'heure, les élus, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, s'inquiètent surtout des transferts de charges non compensées, par exemple du tour de passe-passe proprement scandaleux qui aboutit à transférer aux départements et au RMI la solidarité due aux chômeurs en fin de droits et à l'ASS.
    M. Marc Laffineur. Quel culot ! On pourrait parler de l'APA !
    M. Eric Besson. Nous en redébattrons pendant la discussion budgétaire !
    Vous nous disiez, monsieur le ministre, que votre emblématique baisse de l'impôt sur le revenu allait engendrer un surcroît de croissance. Je laisse aux experts et aux mathématiciens le soin de résoudre le problème suivant. Sachant qu'une baisse de 6 % de l'impôt sur le revenu n'a engendré aucune croissance supplémentaire, quel gain de croissance peut-on espérer d'une baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu ?
    Je pourrais dénoncer encore et ironiser sur votre vraie-fausse baisse des impôts : d'autres l'ont dit avant moi. Aujourd'hui, les prélèvements obligatoires et les impôts ne baissent pas en France. Mais vous opérez une redistribution surprenante, une forme de redistribution à rebours : les impôts du plus grand nombre augmentent pour financer la baisse de quelques-uns. Seul M. Mer paraît l'assumer. Ce n'est, nous a-t-il dit à la télévision, que justice. Ceux qui profitent le plus de votre politique sont ceux qui ont les revenus les plus élevés et, nous a-t-il dit, s'ils ont les revenus les plus élevés, c'est tout simplement parce qu'ils sont les plus méritants ! CQFD.
    Reste une question qui relève de la sociologie autant que de la politique. Comment de si bons esprits peuvent-ils se fourvoyer autant et avec autant d'allégresse ? Nous avons un ministre de l'économie et des finances précédé d'une flatteuse réputation d'industriel, adepte, nous disait-on, du « parler vrai » et de l'« agir vrai », un ministre du budget naguère considéré comme l'un des meilleurs spécialistes des finances publiques en France, un président de la commission des finances et un rapporteur du budget reconnus pour leur honnêteté intellectuelle. Pourquoi, dans ces conditions, un tel gâchis, une politique macro-économique qui sera étudiée plus tard comme l'archétype de ce qu'il ne faut pas faire en « contexte récessif » ? Serait-ce de l'aveuglement doctrinal ou de l'obstination idéologique ? Je ne crois pas. Ce serait trop réducteur. Dans la majorité, les rôles et les richesses ont été distribués. L'orthodoxie libérale a été octroyée aux « réformateurs » emmenés par le fringant M. Novelli.
    La réponse est malheureusement plus simple, plus prosaïque. Il vous faut sacrifier vos capacités de jugement, qui sont grandes, et vos compétences économiques, qui ne sont pas moins grandes, pour aider M. Chirac à respecter une fois, une fois seulement, une de ses promesses, envers et contre tout, malgré la conjoncture et malgré ce que l'un de nos collègues appelait, il y a quelques minutes, « le bon sens. » Comme le disait je ne sais plus quel éditorialiste récemment, quand Jacques Chirac se met à respecter l'une de ses promesses, on en viendrait presque à regretter celui qui affirmait qu'elles n'engageaient que ceux qui voulaient bien y croire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Hervé de Charette.
    M. Hervé de Charette. Monsieur le ministre, en consultant la feuille de séance, j'ai constaté que, dans ce débat général qui précède l'examen du projet de loi de finances pour 2004, l'Union pour un mouvement populaire disposait de vingt-neuf orateurs. Il n'est donc pas nécessaire que je répète, après ceux qui m'ont précédé ou, si j'ose dire, avant ceux qui vont me suivre, que nous voterons votre budget, parce que nous l'approuvons dans l'ensemble de ses dispositions. En ce qui me concerne, je soutiens sans hésitation la politique économique qu'il exprime au service du retour de la croissance.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !
    M. Hervé de Charette. Mais je voudrais consacrer les quelques minutes dont je dispose à vous parler d'un sujet qui est au coeur de toute politique des finances publiques : la réforme de l'Etat.
    La réforme de l'Etat, monsieur le ministre, on en parle depuis toujours en vérité. Mais force est de reconnaître que, plus on en parle, moins on la fait. Dans tous les gouvernements, un ministre, ou plus souvent un secrétaire d'Etat, en est chargé, mais il faut avouer que les bilans sont minces, souvent nuls, quand ils ne sont pas franchement négatifs.
    Le gouvernement de M. Jospin s'était illustré par une augmentation continue de la dépense publique et du nombre des fonctionnaires, bien qu'il eût aussi un ministre chargé de la réforme. Le résultat c'est, comme vous le savez et comme vous l'éprouvez tous les jours, le déficit abominable dont souffre le budget de l'Etat.
    Désormais, il n'y a plus et il n'y aura plus de gestion publique sans maîtrise de la dépense publique. Et s'agissant de l'Etat, qui dit maîtrise signifie réduction de la dépense. Le théorème est simple comme bonjour : pour la croissance française, il faut réduire les impôts et les charges, pour réduire les impôts et les charges, il faut d'abord supprimer le déficit de l'Etat et pour y parvenir il faut réduire les dépenses publiques. Ce n'est pas plus compliqué que cela.
    Je le dis à cette tribune, parce que je sais que beaucoup pensent que c'est impossible, que l'accroissement de la dépense publique c'est en quelque sorte un aller sans retour. Quand une dépense a été instituée, elle devrait obligatoirement être renouvelée chaque année, et le Parlement devrait être dispensé de la réexaminer. Cela marche comme ça actuellement. D'autres exaltent les vertus de la dépense publique qui serait, contre tout bon sens, bonne par nature. Enfin, d'autres encore, transformant leur faiblesse en doctrine, soutiennent que la société française serait incapable d'accepter l'effort qu'exige une remise en cause de nos dépenses d'Etat.
    Or, nous n'avons pas le choix : qu'il le veuille ou non, notre pays doit maîtriser ses dépenses publiques et ses dépenses de santé, faute de quoi il devra se préparer à un ralentissement inéluctable de son activité et à une baisse durable du pouvoir d'achat des Français. Au fil des ans, nous allons dans le mur, lentement mais sûrement. Chacun le sait ou le devine, mais rares sont les dirigeants qui acceptent d'en tirer les conséquences dans leurs décisions politiques. Les ministres, le Parlement, l'opinion, continuent à privilégier la dépense publique et à accepter le règne du « toujours plus ». C'est cela qu'il faut remettre en cause.
    J'aperçois, il est vrai, monsieur le ministre, du côté de l'action gouvernementale, quelques signes positifs que je veux saluer comme autant de pierres blanches sur le chemin difficile qui nous attend.
    D'abord, ce budget affiche un objectif de stabilité en volume de la dépense publique non seulement pour 2004, mais aussi, dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques, pour les trois années 2005, 2006, 2007. Or, comme le montre le rapport de présentation générale, compte tenu de la hausse inévitable de la charge de la dette, des dépenses de pension et du financement légitime des priorités gouvernementales, stabiliser la dépense publique exigera de dégager des économies significatives sur les principaux postes de dépenses budgétaires. Certes, ce n'est qu'une réponse imparfaite, mais compte tenu des difficultés de l'heure, c'est ce qui est raisonnablement possible, en tout cas réaliste. Je dois néanmoins ajouter que ce qui est nécessaire, à un terme aussi rapproché que possible, ce n'est pas de stabiliser le volume global des dépenses, c'est de le réduire.
    Deuxième signal positif : la politique de décentralisation dont le Premier ministre a raison de dire qu'elle constitue le premier acte de la réforme de l'Etat. Raison de plus - permettez-moi de vous le dire - de s'impatienter quelque peu de la lenteur du processus, puisqu'il faudra attendre le 31 décembre 2004 pour entrer dans la phase opérationnelle !
    Enfin, je me réjouis de constater, monsieur le ministre, que votre administration est fortement mobilisée pour la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 portant réforme budgétaire. C'est un immense chantier, sûrement une vraie révolution dans la pratique budgétaire et la comptabilité publique, pourvu qu'elle soit menée à son terme, appliquée dans son intégralité et qu'elle ne soit pas détournée de son objet par les services. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, je vous sais pleinement impliqué dans ce projet, et c'est le troisième signe positif qui montre que la réforme de l'Etat est belle et bien engagée.
    Permettez-moi d'ajouter à ce constat encourageant quelques réflexions personnelles et quelques suggestions.
    Première réflexion : l'expression « réforme de l'Etat » est sûrement maladroite. Non seulement parce que les Français se sont toujours méfiés des réformes, mais aussi et surtout parce qu'il s'agit non pas d'une opération que l'on réaliserait une fois pour toutes, mais d'un processus continu et, si possible, permanent. L'objectif, c'est que l'administration cesse d'être immuable - « immortelle », comme l'a dit très justement Pierre Méhaignerie hier -, qu'elle accepte de se mettre en question, de se mettre en mouvement afin de se perfectionner et d'atteindre des objectifs quantifiables, fixés à l'avance et faisant l'objet d'une évaluation, ce que la nouvelle procédure budgétaire rendra possible. L'Etat doit se soumettre aux mêmes exigences de performance ou de gains de productivité que le monde de l'entreprise. Non seulement le service public ne s'y oppose pas, mais le fait qu'il soit financé par les contribuables le rend encore plus nécessaire que dans une entreprise privée.
    Deuxième observation : cette mise en mouvement de nos administrations n'est possible qu'avec le concours des fonctionnaires, à commencer par l'encadrement administratif. C'est pourquoi je trouve toujours maladroit de jeter à la cantonade des chiffres, toujours exagérés, de réduction globale des effectifs. Ce faisant, on jette inutilement l'alarme et on provoque des réactions négatives qui obligent, le plus souvent, à faire marche arrière. Nos fonctionnaires méritent mieux. Je ne connais pas d'entreprise que l'on puisse réformer en disant du mal de ceux qui y travaillent. Au contraire, la majorité et le Gouvernement doivent montrer le respect qui est le leur pour ces hommes et ces femmes qui consacrent leur vie professionnelle au service public. Notre projet n'est pas dirigé contre eux. Il sera conduit en partenariat avec eux, ou il ne sera pas.
    Troisième remarque : moderniser l'Etat ne se résume pas à réduire le nombre des fonctionnaires. Si on ne touche ni aux missions ni à l'organisation de l'administration, on finit par avoir des bureaux vides et des guichets désertés.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission, et M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !
    M. Hervé de Charette. Cette méthode simpliste, combinée au plafonnement de la dépense publique, débouche rapidement, en deux ou trois ans, sur une forme de paupérisation de l'Etat qui est, évidemment, l'inverse de ce que nous souhaitons. Moderniser l'Etat suppose de mettre en cause les missions et l'organisation des services pour faire mieux avec moins d'argent. C'est donc un projet d'ensemble qui prend du temps, qui doit progressivement modifier l'ensemble de la structure étatique et des comportements administratifs. C'est là que nous attendons l'action gouvernementale.
    Quatrième observation : il faut intéresser les administrations et les fonctionnaires au résultat de leurs efforts et, dans ce domaine, il faut faire preuve d'imagination et de créativité. La prime au mérite est en cours d'expérimentation dans certains services de l'administration. C'est très bien, mais il y a d'autres solutions, dont la globalisation des crédits, qui permet d'affecter à un service une partie des économies dont il a la paternité. Pierre Bérégovoy avait donné du lustre à un slogan que j'avais inventé : « moins de fonctionnaires mieux payés ». L'intéressement, c'est cela aussi. En effet, il est parfaitement logique de considérer que le fruit des efforts accomplis doit être partagé au profit des contribuables, sous forme de baisses d'impôt, au profit des moyens des services, c'est-à-dire des usagers, et enfin au profit des personnels, auteurs de ces gains de productivité ou de performance.
    Cinquième observation : au risque de choquer, monsieur le ministre, je voudrais ajouter que les ministres ne sont pas les mieux placés pour réformer leurs administrations. Il y a à cela plusieurs raisons. Pour la plupart d'entre eux, ils ne connaissent pas l'administration qui leur est confiée et qu'ils découvrent pour la première fois - j'en sais quelque chose. Souvent même, ils n'ont pas d'expérience administrative - c'est désormais considéré comme une sorte de vertu. Enfin, tout entiers à l'exercice de leurs fonctions, ils n'ont guère de temps à consacrer à l'organisation de leurs services et à la conduite de leur personnel. J'ajoute que, par nature, leur fonction est plus politique que gestionnaire. Or, compte tenu des pesanteurs, de la force d'inertie du système, des résistances de tous ordres, moderniser l'administration française exigera une énergie puissante, appuyée sur une volonté politique sans faille et disposant d'une expertise de très haut niveau. La volonté politique ne peut venir que de l'engagement personnel du Premier ministre. L'énergie ne peut être donnée que par une équipe entièrement consacrée à cette tâche. L'expertise s'acquiert en réunissant des professionnels qualifiés.
    Voilà qui me conduit, monsieur le ministre, à suggérer que la modernisation de l'Etat soit confiée par le Premier ministre personnellement à une agence constituée auprès de lui et disposant de son entière confiance. Il reviendrait à cette agence de procéder, ministère par ministère, à l'inventaire des missions, à leur réexamen, à la mise en cause des moyens, des méthodes et de l'organisation. Le Premier ministre rendrait des arbitrages et pourrait ainsi conduire avec l'autorité et l'efficacité nécessaires les réformes et les changements qui s'imposent.
    Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais faire. Certes, s'agissant d'un sujet aussi difficile, je n'ai pas la prétention de détenir le remède infaillible, mais je souhaite vous aider. Je sais que notre commission des finances va s'engager dans cette voie, et je m'en réjouis. La réforme de l'Etat, mes chers collègues, est le coeur même de la politique de redressement économique de la France, le point de passage obligé. Mais c'est aussi un défi presque impossible. Il va donc vous falloir beaucoup de savoir-faire, de ténacité et de courage, monsieur le ministre. Je sais que vous n'en manquez pas, c'est pourquoi je vous fais confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très intéressant !
    M. le président. Mes chers collègues, nous siégeons maintenant depuis presque deux heures et demie. Je vous propose par conséquent de suspendre la séance quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à M. Pascal Terrasse.
    M. Pascal Terrasse. Monsieur le ministre, le projet de loi de finances que vous nous présentez ne trompe personne. Il est marqué du sceau de l'inégalité, d'une profonde remise en cause du lien social indispensable à la stabilité de notre socle républicain. Les différents budgets que vous proposez à la représentation nationale ne peuvent s'enorgueillir d'une réelle dynamique. Ils sont caractérisés par une véritable rigueur budgétaire.
    Monsieur le ministre, pourquoi ne pas appeler un chat un chat, surtout lorsque ce dernier est très moustachu, vous me pardonnerez ce trait d'humour ? Je disais en préliminaire de mon propos que votre projet de loi ne trompait personne. Experts économiques, acteurs des milieux sociaux, responsables syndicaux, toutes et tous voient dans ce projet le paroxysme d'une rigidité sans faille, d'une politique clairement exprimée, d'un dédain marqué envers celles et ceux de nos concitoyens qui subissent, jour après jour, les durs aléas de la vie. Monsieur le ministre, je connais vos talents, votre compétence en matière budgétaire. Ce n'est donc pas vraiment vous qui êtes accusé. Je parle de rigidité. Comment concilier le souhait fort exprimé par le Président de la République, celui de la baisse des prélèvements obligatoires, et celui de répondre à la demande des Français dans un contexte de récession ? L'équation, vous en conviendrez, est très difficile. Il faudrait être schizophrène pour arriver à trouver le point d'équilibre.
    Dans toutes les circonscriptions de France, nos concitoyens ne s'y trompent pas. Ils expriment leur inquiétude de façon très claire, avec les mots qui sont les leurs. Ils ne comprennent pas l'attitude dogmatique du Gouvernement. Que disent-ils ? Que vous incarnez « l'anti-Robin des bois » des temps modernes. Prendre aux pauvres pour donner aux riches, tel semble être le concept établi par le Gouvernement. Votre seule stratégie à l'heure actuelle semble claire : vous vous obstinez dans l'erreur. Que dites-vous aux Françaises et aux Français qui voient en même temps la suppression subversive et cynique des allocations de fin de droits, pour certaines catégories de chômeurs, et la suppression de l'impôt sur la fortune pour un nombre important et certainement pas négligeable de contribuables aisés ? Oui, monsieur le ministre, vous remettez profondément en cause des acquis fondamentaux ! Que dire lorsque le rapporteur général s'enorgueillit de présenter un « vrai budget de droite » ? Les mesurettes que vous nous proposez ne profitent qu'à quelques personnes et nous ne pouvons que le regretter.
    Les départements sont également très inquiets s'agissant de la suppression de l'allocation spécifique de solidarité. A partir du 1er janvier, ils auront à charge la gestion des RMIstes. L'allocation spécifique de solidarité est financée par l'Etat et gérée par l'UNEDIC. Les moyens qui seront affectée aux départements, dans le cadre de la préparation budgétaire, en raison notamment de la nouvelle nomenclature budgétaire, permettront-ils de couvrir les 180 000 personnes qui vont sortir de l'allocation spécifique de solidarité et seront donc par la suite gérées par les départements ? C'est une question simple et claire. Nous préparons aujourd'hui nos budgets et nous sommes inquiets, car si le transfert de charges vers les départements n'était pas accompagné d'un transfert des recettes correspondantes, cela aurait des conséquences très lourdes sur la fiscalité locale. A ce titre, permettez-moi, monsieur le ministre, de dire tout mon étonnement de voir que nous allons engager la décentralisation sans avoir préalablement bâti une réforme de notre fiscalité locale qui est toujours reportée à demain.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Les dispositions constitutionnelles sont là quand même !
    M. Pascal Terrasse. Justement, la Constitution dit qu'il est très difficile de jouer la fongibilité entre les branches de la sécurité sociale. Depuis une dizaine d'années, quels que soient les gouvernements, nous votons ainsi des budgets anticonstitutionnels s'agissant de la fongibilité des branches entre la famille et l'assurance maladie. Donc, soyons un peu sérieux ! Donner plus de responsabilités aux collectivités locales est une bonne chose, mais cette décentralisation doit être accompagnée d'une grande réforme de la fiscalité locale, d'autant plus que certains projets financiers qui accompagnaient les collectivités locales sont aujourd'hui remis en cause, je le vois dans la région Rhône-Alpes. Par exemple, nous ne pouvons plus compter sur les fonds structurels européens qui étaient pourtant des leviers en matière d'investissement dans nos régions. Aujourd'hui, une commune, un département ne peut plus déposer un dossier pour jouer sur l'objectif II. Le FEDER n'intervient plus. Cela a des conséquences très claires sur l'économie locale. Il en est de même pour les contrats de plan, qui sont un levier en parallélisme avec l'objectif II et le FEDER. Compte tenu des séries de gels de crédits, que l'on voit poindre au fil des mois, les collectivités locales sont dans l'attentisme et ne savent plus comment trouver des moyens pour leur développement.
    De la même manière, monsieur le ministre, nous voudrions croire en votre volonté d'engager des réformes structurelles qui vont vers l'économie, vers le travail. Je suis membre du conseil de surveillance de l'ACOSS, dont nous avons reçu les statistiques il y a quelques jours. Elles montrent d'abord que les plus fortes réductions opérées en matière de coût du travail ont eu lieu en 2000 et 2001, qu'un fort ralentissement est intervenu en 2003 et qu'un fort ralentissement est aussi en perspective pour 2004. L'ACOSS dit donc le contraire de ce que vous affirmez en matière de baisse du coût du travail. Regardez le dernier rapport, il est très intéressant ! Non, ce gouvernement ne baisse pas le coût du travail ! Je prendrai un exemple, très concret. La généralisation de la baisse du coût du travail sur certains secteurs qui étaient passés aux 35 heures se traduit aujourd'hui par des augmentations de cotisations sociales. Un chef d'établissement hospitalier privé est venu me voir dans ma permanence lundi et m'a indiqué que l'augmentation des cotisations sociales, depuis le 1er juillet dernier, représentait plus de 2 millions d'euros sur l'ensemble de son groupe. Cela aura évidemment des conséquences sur l'emploi. Voilà la réalité ! On peut ici dire des choses, mais comment sont-elles ensuite vécues « en bas » ?
    De la même manière, vous dites être pour l'emploi, vouloir donner les moyens à chaque personne d'accéder à un emploi. Mais dans un département rural, on utilise chaque jour son véhicule au gazole, parce qu'il n'y a pas d'autre solution. Celui qui utilise ce type de voiture est en général « le petit », comme on dit chez nous, celui qui doit faire vingt ou trente kilomètres par jour pour se rendre sur son lieu de travail. Pour celui-là, vous allez augmenter la prime pour l'emploi de trois euros en moyenne, mais, dans le même temps, sa taxe sur le gazole sera de quarante ou cinquante euros. Voilà pourquoi je dis que vous êtes l'anti-Robin des Bois.
    Je prendrai mon propre exemple. Je remercie le Gouvernement d'avoir baissé mon impôt sur le revenu. J'en parle très tranquillement. Dans un département rural comme le mien, le député, c'est celui qui est bien payé. Or, j'ai en effet constaté une baisse de mon impôt sur le revenu, mais sincèrement, cela se justifie-t-il ? Pensez-vous que j'ai consommé un peu plus parce que mon impôt sur le revenu a baissé d'une petite centaine d'euros ? Non ! Qu'ai-je fait ? J'ai fait comme tous les Français, j'ai placé cet argent en épargne. Il n'est pas besoin de le rappeler, les Français sont ceux qui épargnent le plus en Europe : le taux d'épargne atteint 15 % du PIB !
    M. Pierre Hériaud. 17 % !
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur Terrasse !
    M. Pascal Terrasse. On marche à l'envers ! On fait des erreurs. Il vous faut sortir de cette prison dans laquelle vous a enfermés la doctrine présidentielle. Vous êtes un homme de bon sens, monsieur le ministre, et vous pouvez faire passer ce message de bon sens.
    M. Victorin Lurel. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Chamard.
    M. Jean-Yves Chamard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en entendant certains de nos collègues socialistes, je me dis qu'ils ont vraiment de l'estomac. Leur capacité d'oubli est assez extraordinaire. Souvenez-vous de la situation dans laquelle ils ont laissé le pays en 1993 ou encore l'année dernière, de toutes ces nouvelles dépenses non financées.
    Président de la commission des finances de mon conseil général, je puis témoigner que l'APA, comme dans tous les départements de France, représente 15 points de fiscalité - et encore, le taux a un peu diminué grâce aux mesures que nous avons prises. Un président de conseil général de gauche expliquait tout cela hier dans Libération. Et nos collègues socialistes continuent à donner des leçons.
    M. Pascal Terrasse. Vous oubliez de dire que l'APA crée de l'emploi !
    M. Jean-Yves Chamard. Mais tout crée de l'emploi : les dépenses créent de l'emploi, le déficit crée de l'emploi !
    M. Pascal Terrasse. Pas tout ! Pas les baisses de l'impôt sur le revenu !
    M. le président. Monsieur Terrasse, vous vous êtes exprimé et n'avez pas été interrompu. Laissez donc parler M. Chamard.
    M. Jean-Yves Chamard. Monsieur Terrasse, vous nous expliquiez à l'instant que le transfert du RMI vers les départements risque de coûter cher aux départements ; mais ce sera sans commune mesure avec l'APA. C'est ainsi, c'est la vie : aujourd'hui, c'est nous qui décidons.
    Monsieur le ministre, votre projet de budget me semble clairement sous-tendu par deux choix majeurs : encourager le travail et amorcer la remise en ordre des finances publiques.
    Comment encourager le travail ? C'est très clair, on le voit bien dans le projet de budget.
    Tout d'abord, il est nécessaire de pouvoir différencier les revenus de celui qui travaille des revenus de celui qui ne travaille pas. Rien n'était pire que ces trappes à pauvreté qui rendaient le travail inutile puisqu'on gagnait autant à ne rien faire. Les mesures comme la hausse du SMIC, compensée par les baisses de charges, ou la hausse de la prime pour l'emploi vont évidemment dans ce sens de façon notable, les chiffres ont été donnés hier.
    Encourager le travail, c'est aussi faire en sorte que ceux qui donnent le meilleur d'eux-mêmes gagnent davantage, ce qui implique de baisser l'impôt. Il faudrait toujours augmenter l'impôt ou, en tout cas, ne jamais le réduire ; il n'y a guère qu'en France que l'on entend cela ! Mais les socialistes peuvent parler, reste à savoir ce qu'en pensent les Français.
    Pourquoi convient-il d'encourager le travail ? C'est témoigner de respect envers nos concitoyens qui sont dans la difficulté : nous ne nous satisfaisons pas de leur donner des revenus de subsistance ou de remplacement, et nous mettrons tout en oeuvre pour qu'ils retrouvent un emploi, car c'est la meilleure façon de regagner sa fierté.
    Dans toute l'Europe, au fil des ans, on avait vécu une dérive progressive : de plus en plus d'assistance et de moins en moins de différence entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. La remise en ordre a commencé en Grande-Bretagne, lancée, il y a déjà cinq ou six ans, par Tony Blair,...
    M. Alain Rodet. Il n'a fait que succéder à Mme Thatcher !
    M. Jean-Yves Chamard. ... suivi, cette année, par Gerhardt Schröder. C'est tout de même étonnant car ces deux personnalités politiques sont connues pour représenter la gauche en Grande-Bretagne et en Allemagne. Or les mesures qui nous sont proposées aujourd'hui, infiniment moins rudes que celles prises par M. Schröder, sont pourtant critiquées par les socialistes.
    M. Didier Migaud. Cela n'a rien à voir !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Mais si !
    M. Jean-Yves Chamard. Comment l'expliquer ? Partout, il existe deux gauches : une gauche de gouvernement et une gauche de contestation. Mais la différence, en France, c'est que la gauche de contestation est presque aussi forte que la gauche de gouvernement. Je pense évidemment à toutes les variétés de trotskisme,...
    M. Pascal Terrasse. Nous sommes tous des trotskistes !
    M. Jean-Yves Chamard. ... à ce qu'il reste du Parti communiste - excepté M. Hue, qui est bien isolé -, à une bonne partie des Verts, mais également à une minorité agissante du Parti socialiste ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Connaissant le fond de la pensée de M. Fabius, ce qu'il est actuellement obligé de dire ou d'écrire pour essayer de se placer comme candidat potentiel à la prochaine élection présidentielle est assez stupéfiant.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il brûle aujourd'hui ce qu'il a adoré hier.
    M. Jean-Yves Chamard. La gauche de gouvernement, en France, revêt les habits de la gauche de contestation, mais les électeurs ne s'y tromperont pas : chers collègues, chers amis socialistes, vous êtes inaudibles.
    M. Alain Rodet. Surtout quand vous êtes là !
    M. Jean-Yves Chamard. Lisez la presse : certes, M. Raffarin n'est pas au plus haut dans les sondages, mais le parti socialiste est inaudible.
    M. Pascal Terrasse. Attendez les prochaines élections !
    M. Jean-Yves Chamard. En effet, il est tellement divisé en son sein qu'il ne peut rien dire de cohérent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Alain Rodet. Attendons la fin de la foire !
    M. Jean-Yves Chamard. Le deuxième point de mon intervention portera sur le début de remise en ordre des finances publiques.
    Je l'ai dit, à droite comme à gauche, nous sommes drogués à la dépense publique. Chaque ministre considère que ses crédits sont sanctuarisés, n'est-ce pas cher Alain Lambert ? Dans tous les partis - nous l'avons vécu hier à l'UMP -,...
    M. Alain Rodet. Nous allons tout savoir...
    M. Jean-Yves Chamard. ... la moindre diminution de crédit pose des problèmes insurmontables.
    M. Didier Migaud. Oh !
    M. Jean-Yves Chamard. Le PS, après avoir dilapidé la croissance, cherche à réhabiliter la dépense publique, déjà plus importante dans notre pays qu'ailleurs.
    M. Victorin Lurel. Quelle caricature !
    M. Jean-Yves Chamard. Remettre en ordre les finances publiques, c'est très dur. Bravo, monsieur le ministre, vous commencez à le faire.
    Néanmoins, je vous ai parfois entendu dire - ainsi que d'autres - qu'il fallait temporiser en attendant le retour de la croissance.
    M. Alain Rodet. En attendant Godot !
    M. Jean-Yves Chamard. Attendre le retour de quelque chose signifie qu'il existe une espèce de norme à atteindre avant d'agir. En la matière, quelle est la norme ?
    Depuis vingt ans, en France et en Europe, hormis les quelques chocs positifs provoqués par la hausse du dollar - surévalué à une époque - ou la baisse des taux d'intérêt, quelle a été la croissance moyenne du PIB ? Moins de 1,5 % ! Pour revenir progressivement à une norme de déficit dont nous nous sommes éloignés, il faudrait donc, dans les prochaines années, maintenir la croissance des dépenses en dessous de 1,5 % et affecter la totalité du surplus éventuel au désendettement. Tabler sur les taux de 2, 2,5 ou 3 % pour engager telle ou telle dépense ne me paraît pas sérieux.
    C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous approuve particulièrement d'être parti d'une croissance zéro en volume. Mais cela ne suffira pas. L'année prochaine, je vous suggère de ne prendre pour base que la moitié...
    M. Alain Rodet. La moitié de zéro, cela ne fait pas lourd !
    M. Jean-Yves Chamard. ... de l'inflation au lieu de la totalité, comme vous l'avez fait cette année. Et, en 2006, ne tenez plus compte du tout de l'inflation. C'est possible, Hervé de Charrette l'a très bien démontré tout à l'heure. Si un ministre sait par avance qu'il devra faire davantage attention à ses dépenses, il commencera à s'interroger sur la manière de s'organiser. Or la réforme de l'Etat est incontournable !
    Quand on pense qu'un élève de secondaire, en France, coûte 35 % de plus, en moyenne, que dans les autres pays développés, que nous sommes le pays européen qui dépense le plus pour former un élève du secondaire, mais qu'on persiste à nous demander toujours davantage d'argent pour l'éducation nationale, sous prétexte qu'on ne pourrait pas réformer sans augmenter le budget ! Cette drogue s'est décidément propagée un peut partout et il faudra bien en venir à bout un jour ou l'autre.
    Je dirai un mot de conclusion sur l'assurance maladie.
    Le chantier est hyper-difficile. Il faut avoir en tête la dérive actuelle des dépenses d'assurance maladie : pour équilibrer les comptes, avec une croissance tournant autour de 1 ou 1,5 %, ce qui constitue la norme, un demi-point de CSG par an serait nécessaire. Or, si les Français ont commencé à comprendre qu'une réforme des retraites était nécessaire, dans le domaine de l'assurance maladie, ils ne sont prêts à rien, sinon, éventuellement, à payer plus.
    Alors, monsieur le ministre, après la période qui courra jusqu'à Noël, consacrée à établir un diagnostic partagé, nous aurons - en particulier, nous la majorité - un rude travail à accomplir, au premier trimestre, pour faire comprendre à nos concitoyens la nécessité de la réforme. Quelle attitude adopteront nos collègues socialistes ? En Allemagne, la réforme de l'assurance maladie se fait en commun, comme ce fut le cas, naguère, au Pays-Bas. Mais cela supposerait que la gauche de gouvernement, qui a pourtant tout intérêt à une réforme consensuelle - un jour ou l'autre, elle reviendra au pouvoir -,...
    M. Céleste Lett. Le plus tard possible !
    M. Jean-Yves Chamard. ... puisse s'accorder avec la gauche de contestation. Ce n'est pas demain la veille !
    J'en termine, monsieur le ministre, en vous répétant que, dans le contexte que nous connaissons, ce budget est l'un des meilleurs possibles. Le défi était difficile. J'approuve votre sérieux et, à titre personnel, cher Alain Lambert, je soutiens vos efforts persévérants pour moderniser les finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Pierre Hériaud.
    M. Pierre Hériaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, entre une croissance faible et la pression de Bruxelles, les médias ont souligné la difficile équation du budget 2004 pour la France. Il ne s'agit pas de se cacher les difficultés mais plutôt d'y faire face en maintenant le cap par une politique volontariste. C'est ce que vous faites, monsieur le ministre, en nous présentant ce projet de budget pour 2004.
    Les difficultés, parlons-en ! Elle ne viennent pas spontanément, le plus généralement, mais sont le fait d'imprévoyances et d'inconséquences dont le résultat se manifeste au terme de quelques années et dont il faut ensuite réparer les dégâts.
    En 1993 et en 2002, les budgets initiaux que les gouvernements d'alors avaient préparés ont dérapé de plus de 50 %. De 1993 à 1997, nous avons redressé la barre en ramenant le déficit de 6,3 à 3,3 % du PIB, soit près d'un point de PIB en moins par an.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il faut le rappeler !
    M. Didier Migaud. N'oubliez pas le rôle de la croissance et des impôts !
    M. Pierre Hériaud. Sur cette lancée, bénéficiant d'une croissance exceptionnelle, le gouvernement Jospin n'a pas fait mieux que 2,3 % en 2001 et provoqué 3,8 % en 2002, compte tenu de la dérive de la dépense publique.
    M. Didier Mignard. Oh ! Mais c'est faux !
    M. Pierre Hériaud. Le maintien du déficit budgétaire en deçà de 3 % du PIB n'a été possible que grâce à la capacité de financement des administrations centrales et des collectivités territoriales, pour 0,9 point en 2001 et 0,6 point en 2002.
    Or, pour accroître encore la difficulté, vu l'exécution du PLFSS 2002 et les perspectives pour 2003 et 2004, il faudra désormais cesser de compter sur la capacité de financement des administrations centrales. Seules, les collectivités locales apporteront-elles sans doute encore 0,2 à 0,3 point de PIB.
    C'est dans ces conditions difficiles que vous présentez le projet de budget 2004. Vous le faites en n'escomptant qu'une croissance faible, un maintien du niveau des dépenses en francs constants et un déficit identique ou presque à celui de 2003 - 55,5 milliards d'euros au lieu de 56 milliards. C'est la bonne méthode à appliquer, le résultat découlant d'un ensemble de dépenses qui, au pire, évoluent comme l'inflation.
    Cependant, en toute rigueur, la maîtrise des dépenses publiques commence en deçà ! En effet, au total, aucune amélioration n'est à attendre dès lors que la dépense en francs constants ne baisse pas, et on ne peut alors que jongler avec des redéploiements au sein d'une même masse. Cela se traduit, en ce qui concerne les dépenses, par des priorités budgétaires en faveur des ministères de l'intérieur, de la justice, de la défense et de l'éducation nationale.
    C'est un projet de budget volontariste, prudent et réaliste. Vous avez dit, monsieur le ministre, que c'était un budget « offensif » qui appelait la confiance des Français, et nous sommes tout à fait d'accord sur ce point.
    Votre texte porte la marque des priorités auxquelles vous ne renoncez pas, qu'il s'agisse de baisser les prélèvements obligatoires, de baisser l'impôt sur le revenu, de poursuivre la baisse des charges sociales sur les plus bas salaires, de relever le SMIC, de relever également le niveau de la prime pour l'emploi.
    Il comporte en effet 23 mesures fiscales, dont 22 sont favorables aux contribuables, une seule - l'augmentation de la TIPP - constituant une ressource de 800 millions d'euros, qu'il conviendra d'employer au mieux pour soutenir l'investissement.
    Vous maintenez le cap en espérant que les années 2005 à 2007 seront plus souriantes pour la croissance que 2004 - année pour laquelle vous prévoyez un taux de 1,7 %. Ce sera alors tant mieux, mais M. Mer a fort justement souligné qu'il s'agissait surtout de diminuer les dépenses et d'être plus compétitif.
    Réformer l'Etat et réhabiliter le travail doivent être des objectifs permanents. Notre pays est celui où l'on travaille le moins d'heures par semaine, le moins de semaines dans l'année et le moins d'années dans une vie ! Cherchez l'erreur !
    M. Alain Rodet. C'est que nous sommes efficaces !
    M. Pierre Hériaud. Comme l'a souligné Pierre Méhaignerie, des univers aussi opposés, dans un même ensemble européen, ne vont pas sans poser de problème. Il faudra bien en revenir à une notion plus saine et cesser d'élever systématiquement le non-travail au rang de valeur.
    Comme en d'autres temps les sept plaies d'Egypte, deux plaies frappent violemment notre pays aujourd'hui : le dérapage du budget général et des comptes de l'assurance maladie ; l'endettement. Sur ces deux points, nous sommes arrivés au-delà des limites prévues par les critères de Maastricht, à savoir respectivement 3 % et 60 % du PIB. Faut-il rappeler qu'un point de PIB, c'est 15 à 16 milliards d'euros, et que les déficits 2003 et 2004 du budget de l'ONDAM seront de 9 à 10 milliards d'euros, soit, à eux seuls, 0,6 point de PIB, s'ajoutant, tendanciellement, aux 55,5 milliards des déficits budgétaires 2003 et 2004 ?
    Dans ces conditions, l'endettement ne peut, mécaniquement, que croître. En effet, tant que le solde primaire du budget, c'est-à-dire la différence entre les recettes courantes et les dépenses courantes, n'est pas positif, il faut emprunter, non seulement pour rembourser les échéances en capital, mais également pour payer tout ou partie des frais financiers. C'est un cercle vicieux.
    Il est courant d'entendre dire que le poids de la dette représente environ 16 000 euros par Français. C'est exact, mais il est tout aussi parlant de rapprocher cet endettement du revenu annuel brut des ménages français : près de 900 milliards d'endettement pour un revenu de 988 milliards ! Notre endettement atteint près d'une année de revenu disponible brut des Français ou encore 15 % de leur patrimoine net ! Il ne faut pas trop s'étonner, dans ces conditions, de les voir se tourner vers l'épargne de précaution - les temps sont durs -, ce qui constitue leur caractéristique spécifique : un taux d'épargne de 17 %, disait-on tout à l'heure, mais un taux d'épargne financière de 8 %.
    Permettez-moi, pour terminer, monsieur le ministre, après avoir rappelé que la charge de la dette constitue, avec 40 milliards d'euros, le deuxième budget civil de l'Etat, après l'éducation nationale - mettons à part les charges communes -, de vous faire part d'une inquiétude personnelle. Celle-ci a trait à l'évolution de l'économie mondiale et du rôle qu'y jouent les Etats-Unis, où nous avons toujours un oeil sur les signes d'une reprise qui pourrait nous entraîner positivement. Or que constatons-nous aujourd'hui aux USA ? Un énorme déficit, un énorme endettement, un financement plus malaisé qui résulte de la politique nipponne favorisant l'investissement domestique, ce qui rompt les pratiques de la dernière décennie. Il est par conséquent à craindre que des tensions se fassent jour sur les taux d'intérêt, au niveau mondial, après la période de taux exceptionnellement bas que nous connaissons encore actuellement.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Oui, c'est un vrai problème !
    M. Pierre Hériaud. Or 100 points de base, sur notre endettement, représentent 9 milliards d'euros supplémentaires en charge de la dette, soit 0,5 point de PIB. Nous n'en sommes pas à l'abri. Tout cela ne dépend pas directement de nous mais nous concerne bel et bien.
    En conclusion, monsieur le ministre, votre budget va dans la bonne direction ; il est sérieux, sincère et courageux.
    M. Michel Bouvard. Courageux ! Absolument !
    M. Pierre Hériaud. Il faut continuer vers le seul cap susceptible de redresser notre pays, celui de la maîtrise de la dépense publique, sans quoi nous ne ferons que placer des rustines sur une chambre à air poreuse.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général. Belle image !
    M. Pierre Hériaud. Je sais et toute votre majorité sait que telle est votre volonté. C'est pourquoi vous devez être assuré de son soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Carrey, rapporteur général. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir accepter de lever maintenant la séance afin de permettre à la commission des finances d'examiner les amendements au titre de l'article 88 du règlement.
    M. le président. J'allais vous le proposer.
    La suite de la discusssion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2004, n° 1093.
    M. Gilles Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport n° 1110).
    A vingt et une heure trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la première séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à douze heures trente.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT