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Deuxième séance du vendredi 7 novembre 2003

55e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON

1. Loi de finances pour 2004 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi (p.

affaires étrangères, coopération et francophonie (suite)

MM.  Daniel Garrigue,

    Jean-Claude Lefort,

    Gilbert Gantier,

    Bruno Bourg-Broc,

    Serge Janquin,

    Michel Herbillon,

    Etienne Pinte,

    Jean-Yves Cousin,

    Jean-Jacques Guillet.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

Réponses de M. le ministre et de M. le ministre délégué, aux questions de : MM. Frédéric Dutoit, Jean-Claude Lefort, André Schneider, Patrick Bloche, Henri Emmanuelli, Serge Janquin,

affaires étrangères

Etat B

Titre III (p.

Amendement n° 92 de M. Myard : MM. Jacques Myard, Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères ; le ministre. - Rejet.

Adoption des crédits du titre III.

Titre IV. - Adoption (p.

Etat C

Titres V et VI. - Adoptions (p.

Suspension et reprise de la séance (p.

enseignement supérieur

M. Laurent Hénart, rapporteur spécial de la commission des finances.

M. Olivier Jardé, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.

MM.  Claude Goasguen,

    Alain Claeys,

    Claude Leteurtre,

    Frédéric Dutoit,

    Mansour Kamardine.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Réponses de M. le ministre aux questions de : MM. Antoine Herth, Victorin Lurel, Jean-Pierre Blazy, Olivier Jardé, Claude Leteurtre, Frédéric Dutoit.

Etat B

Titre III (p.

Amendement n° 86 de la commission des finances : M. le rapporteur spécial. - Retrait.

Amendement n° 176 du Gouvernement : MM. le ministre, le rapporteur spécial. - Adoption.

Adoption des crédits du titre III modifiés.

Titre IV. - Adoption (p.

Etat C

Titres V et VI. - Adoptions (p.

2. Ordre du jour de la prochaine séance (p.

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

LOI DE FINANCES POUR 2004

DEUXIEME PARTIE

Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2004 (n°s 1093, 1110).

AFFAIRES ÉTRANGÈRES, COOPÉRATION
ET FRANCOPHONIE (SUITE)

Mme la présidente. Nous poursuivons l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Madame la présidente, monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le ministre délégué à la coopération et à la francophonie, mes chers collègues, les rapporteurs qui se sont succédé ce matin ont souligné, pour la plupart, les qualités et le courage du budget qui nous est présenté. Tout en indiquant que le groupe de l'Union pour un mouvement populaire partage leurs appréciations, je veux souligner l'excellence de la politique qu'il soutient. Cette politique, que vous conduisez aux côtés du Président de la République, monsieur le ministre, s'appuie sur des principes que nous sommes fiers de partager. D'abord, la volonté, dans un monde souvent chaotique, de faire prévaloir l'organisation et la procédure internationales. Ensuite, l'ambition de définir, d'affirmer et de partager avec nos partenaires européens des positions communes sur les grands enjeux internationaux, le maintien des relations privilégiées que nous avons avec certains Etats auxquels nous lie l'histoire, mais aussi l'amitié. La volonté, enfin, d'affirmer le rayonnement culturel, mais aussi, comme vous l'avez affirmé, monsieur le ministre, devant la conférence des ambassadeurs, le rayonnement scientifique de la France.

Cette politique s'inscrit dans des alliances et des partenariats qui exigent ou exigeront sur certains points des précisions et des clarifications. Nous aurons dans quelques mois une Constitution européenne dont l'un des personnages clés sera le ministre des affaires étrangères de l'Union européenne. Nous voudrions savoir quelle sera alors la marge d'influence et d'initiative de notre propre politique étrangère, même si, dans l'immédiat, nous n'avons pas de véritable inquiétude.

Nous savons aussi, monsieur le ministre, que vous travaillez à la réforme indispensable des Nations unies. Quelles seront, demain, la place et les prérogatives de la France, et peut-être aussi de l'Union européenne, au sein d'un Conseil de sécurité rénové ?

Enfin, tout en étant profondément attachés à l'alliance avec les Etats-Unis, nous avons besoin d'éclaircir un peu l'idée que nous nous faisons de la relation transatlantique. Deux conceptions coexistent : l'une qui consiste à vouloir transposer cette relation en un dialogue entre l'Europe et les Etats-Unis, l'autre qui privilégie les relations particulières de chacun des Etats avec l'allié américain. Nous avons, pour notre part, opté pour la première conception, cependant que certains de nos partenaires, y compris les Etats-Unis eux-mêmes, nous donnent souvent le sentiment d'hésiter encore entre ces deux conceptions de la relation transatlantique.

Ces divergences, ces incertitudes, ne sont pas sans incidence. Elles se traduisent souvent par des différences d'appréciation sur les situations ou sur les conflits, notamment les conflits du Moyen-Orient et du Proche-Orient. Pour l'Iran, vous avez conduit, monsieur le ministre, avec vos partenaires anglais et allemand, une discussion positive sur la question de la non-prolifération nucléaire. Pour l'Irak, en revanche, nous avons l'amer privilège d'avoir analysé trop tôt les implications et les conséquences de l'intervention militaire. Malgré sa timidité, nous avons adhéré à la résolution 1511. C'était juste puisqu'elle marquait une relative évolution dans la position des Etats-Unis. Mais vous avez rappelé à juste titre, vous l'avez encore souligné ce matin, l'urgence d'un véritable transfert de souveraineté et la nécessité de définir un calendrier dans ce sens. Il est vrai que si la situation de l'Irak n'est pas rapidement traitée, on risque d'aboutir à une déstabilisation totale de ce pays.

Au Proche-Orient, entre une autorité palestinienne trop affaiblie pour contenir le terrorisme et un gouvernement israélien qui a, le plus souvent, pour ligne d'action le fait accompli, il est urgent que les puissances internationales pèsent de tout leur poids. Nous sommes présents, à travers l'Union européenne, et notamment aux côtés des Etats-Unis, dans le Quartette. Vous-même, monsieur le ministre, avez tout mis en œuvre pour essayer de donner un contenu précis à la feuille de route, notamment en proposant la réunion d'une conférence internationale et la mise en place d'une force d'interposition. Vous avez également marqué un très grand intérêt pour le récent plan de Genève proposé par MM. Beilin, Burg et Rabbo. Le moment n'est-il pas venu pour l'Union européenne de prendre sur ce conflit une initiative plus ambitieuse et plus volontaire, pour tenter de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui ?

S'agissant de l'Afrique, vous avez, avec le Président de la République, contribué très largement à resserrer les liens que nous entretenons traditionnellement avec des pays tant du Nord que du Sud du Sahara. Nous sommes, comme les Africains, très attachés à la stabilité de ce continent. Nous nous félicitons des initiatives que vous prenez, d'abord, pour renforcer l'aide au développement, mais aussi, il faut le souligner, pour mettre l'accent sur les actions de santé publique qui sont devenues, aujourd'hui, sur le continent africain, un véritable enjeu de politique internationale.

Je voudrais enfin évoquer la situation des puissances émergentes d'Asie, notamment la Chine, dont on parle beaucoup, et l'Inde, dont on parle, à tort, souvent moins. Vis-à-vis de ces puissances, quel type de relations souhaitons-nous établir ? Nous partageons l'idée d'un monde multilatéral, mais il est vrai qu'à l'égard de ces pays notre politique étrangère, et peut-être au-delà la politique de l'Union européenne, n'est pas toujours d'une très grande lisibilité. Je vous serais donc reconnaissant de nous dire comment vous envisagez à l'avenir les relations avec des puissances qui se révéleront certainement parmi les puissances dominantes du siècle.

Pour terminer, monsieur le ministre, je tiens à vous apporter le soutien du groupe UMP sur votre budget. Je le répète : c'est un budget courageux, et la politique qu'il sous-tend est celle que nous attendons de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en prenant connaissance de votre projet de budget pour 2004, je me suis souvenu, monsieur le ministre des affaires étrangères, du discours que vous avez prononcé, en juillet dernier, au Musée anthropologique de Mexico sur « le nouvel esprit de la frontière ».

Votre budget pour 2004 est l'objet d'incursions extérieures multiples qui le placent en situation critique. Or le ministère dont vous avez la charge ne mérite pas un traitement qui reflète la sous-estimation du rôle que notre pays peut et doit jouer, aujourd'hui plus que jamais, en Europe et dans le monde. Des forces sont à l'œuvre sur la planète, qui cherchent à nous enfermer dans un monde non plus bipolaire mais binaire, un monde qui se réduirait à un affrontement entre le bien et le mal. Ce schéma est non seulement simpliste, mais aussi stérile, inopérant et dangereux.

Concevoir et projeter une autre vision du monde fondée sur des concepts qui unifient la justice et le droit, le respect des diversités et des identités dans un monde multipolaire, c'est la tâche la plus urgente aujourd'hui pour que le monde retrouve la paix. L'esprit de domination est non seulement étranger à l'idéal humaniste qui doit toujours nous mobiliser. Il est aussi source de tensions multiples qui peuvent conduire à un pire incontrôlable.

Votre ministère a affiché sa préférence pour un monde multipolaire. Mais, comme si le monde était réductible à ce choix binaire que je dénonçais ou indéchiffrable, comme s'il était lu derrière des verres cassés le rendant incompréhensible et fragmenté, comme s'il s'en accommodait, votre budget porte les traces du conflit qui résulte de ces deux visions du monde, balançant entre volonté et résignation.

L'incursion de l'esprit de résignation dans votre budget est patente : si on exclut l'aide publique au développement, il est en recul de 1,26 % sur celui de l'an passé. On ne peut pas dire que ce soit là une contribution à l'effort de réduction de la dépense publique. En effet, d'autres budgets régaliens augmentent de manière significative. En vérité, votre budget n'est pas considéré par le Gouvernement - incursion de Matignon - comme prioritaire.

Hors APD, tout baisse ou stagne dans ce budget 2004. Tout, quoique ce ne soit pas totalement exact. Il est en effet une ligne budgétaire qui - incursion de la place Beauvau - augmente très nettement : les crédits affectés au droit d'asile revu et corrigé en fonction de concepts - « pays sûrs ou endroits sûrs » - à propos desquels l'ONU a exprimé les plus vives réserves.

Ce qui sauve ce budget, en termes d'affichage, c'est l'augmentation de l'aide publique au développement. Nous y sommes extrêmement favorables, comme vous le savez. Mais, là encore - incursion de Bercy, cette fois -, sur les 141 millions d'euros supplémentaires annoncés, il en est 90 qui résultent des gels de crédits de l'an passé. Combien de temps encore la représentation nationale se verra-t-elle ainsi placée devant pareils faits accomplis ? Combien de temps encore sera-t-elle bafouée dans ses choix ? Elle vote A et c'est B qui se fait ! Cela génère, du même coup, un doute énorme. Comment croire qu'il en ira différemment pour l'année 2004 ? Nous attendons, messieurs les ministres, des engagements fermes sur ce point.

C'est dire qu'une loi de programmation en matière de coopération s'avère de plus en plus nécessaire, comme nous le demandons avec insistance, mais sans succès, depuis un bon moment.

Et puis, comment ne pas s'interroger sur le fait - encore une incursion de Bercy - que le tiers de l'augmentation annoncée pour l'aide publique aille aux concours financiers qui comprennent notamment les contrats dits de désendettement développement, les C2D ? Ces crédits sont gérés dans une opacité certaine. Je vous demande, messieurs les ministres, qu'elle soit enfin levée au profit de la transparence. Là encore, un contrôle parlementaire doit trouver à s'imposer.

L'exemple de la chaîne de télévision d'information continue est une triste illustration de ces processus. Le principe en a été arrêté ici même, mais l'idée s'en trouve aujourd'hui dénaturée à s'en être échappée.

Tout cela ne peut être accepté. Des décisions s'imposent. Nous attendons qu'elles soient annoncées.

Voici pour les chiffres de ce budget 2004. S'ils sont effectivement marqués par « un nouvel esprit de la frontière », monsieur le ministre, c'est que les mots vous ont rattrapé, ou plus exactement qu'ils vous ont doublé.

Après les chiffres, j'en viens à votre politique.

Ne disposant que de très peu de temps, je ne veux retenir ici que cinq points.

Premièrement, le projet de Constitution européenne. Toujours en discussion aujourd'hui, ce projet finalisé devra nécessairement être soumis à référendum, sous peine d'être étranger aux peuples, et donc atteint dans sa légitimité. Le projet actuel ne présente guère de cohérence avec la volonté affichée d'instaurer un monde multipolaire. Au contraire. Affirmer, comme il le fait, que le type de société instauré en Europe doit être, et ceci de manière irréversible et illimitée, une société où la concurrence est libre et « non faussée », c'est constitutionnaliser ad vitam aeternam un libéralisme pur et dur, incompatible avec le modèle dominant dont on prétend s'extraire. C'est, pour reprendre une expression de Jean-Claude Guillebaud, tirée de son dernier livre, Le goût de l'avenir, sacraliser « une fin de l'historicité, c'est-à-dire une privatisation de l'avenir lui-même ». Quant à la politique de défense commune, je ne vois pas comment elle pourrait tout à la fois être autonome et insérée dans l'OTAN. C'est incohérent, là encore, avec les intentions affichées dans le passé.

Deuxièmement, la réforme de l'action extérieure de la France. Il y a là, effectivement, un beau chantier que nous entendons soutenir. Le fait que douze ministères s'occupent de cette question pose un réel problème de lisibilité, mais aussi de sens. Vous parlez, monsieur le ministre, d'instaurer des « plans d'ambassade » et non plus des « plans du seul ambassadeur ». Très bien ! Mais pourrait-on y voir plus clair en ce domaine ? S'agit-il simplement de redécouper autrement votre ministère ou s'agit-il, comme nous le souhaitons, de la mise en place d'une véritable politique extérieure française qui ne soit donc plus polymorphe ?

Troisièmement, la réforme de l'ONU. Ce que vous avez annoncé en ce domaine nous satisfait assez, en particulier s'agissant du renforcement des organes spécialisés des Nations unies. L'OMC n'a pas à s'occuper de tout : la preuve par Cancun !

Nous pourrions être encore plus satisfaits si vous considériez que le continent paneuropéen pouvait être couvert, en matière de sécurité et de coopération, par l'OSCE. Ce qui suppose que cette organisation ait un statut juridique. Je rappelle qu'elle regroupe cinquante-quatre pays, dont les Etats-Unis et le Canada, et qu'elle est considérée comme une organisation régionale de l'ONU.

Quatrièmement, l'Irak. On voit mieux aujourd'hui à quel point la position française s'est avérée juste. L'Irak - où pas un gramme d'armes de destruction massive n'a été trouvé - s'enfonce dans une crise majeure dont les Américains subissent les lourdes conséquences, mais aussi des représentant de l'ONU ou de la Croix-Rouge.

M. Paul Bremer, l'administrateur américain, en vient à considérer aujourd'hui qu'il faut accélérer le transfert de la souveraineté irakienne entre les mains des Irakiens. Il estime « que c'est leur pays, finalement, et leur avenir »... Finalement, oui, il se trouve que l'Irak appartient aux Irakiens ! Nous voulons donc encourager un retour rapide de la souveraineté pleine et entière des Irakiens sur leur propre pays, leurs richesses, leur vie politique et administrative.

J'aborde maintenant mon dernier point : le Proche-Orient. Combien de temps encore ce conflit va-t-il perdurer pour la seule raison que la paix, hors toute présence internationale, est tenue en otage par les extrémismes, qui ne sont pas que d'un seul côté ? Combien de temps encore l'ONU va-t-elle accepter d'être bafouée sur cette terre ?

Des responsables palestiniens et israéliens courageux viennent d'élaborer un plan de paix qu'ils présenteront à Genève début décembre. Vous avez reçu les protagonistes de cette initiative, monsieur le ministre. Nous nous en félicitons. Mais nous ne pouvons pas les laisser seuls, ni en décembre, ni après. Si le Premier ministre palestinien, Abou Alaa - un homme de paix -, obtient une nouvelle trêve, qui peut assurer que l'engrenage de la violence ne reprendra pas ? Vous vous êtes prononcé pour la mise en place d'une force internationale d'interposition et nous vous approuvons. Que cette idée se heurte à bien des difficultés ne doit pas nous conduire à renoncer.

Une vraie stratégie française s'impose pour que notre pays, au sein du Quartette, joue tout son rôle dans cette région meurtrie qui accumule tant de frustrations, en Israël et en Palestine, mais aussi bien au-delà.

Soyez l'homme de la paix au Proche-Orient, monsieur le ministre. Voilà un objectif qui supplante tous les autres, à qui veut bien voir le monde tel qu'il est aujourd'hui.

Après avoir nettement marqué nos désaccords, tout spécialement sur ce budget, et en souhaitant vivement être entendus, nous retiendrons néanmoins les efforts politiques entrepris à l'ONU, en Irak et au Proche-Orient.

C'est le sens, l'unique sens, de notre abstention sur ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Myard. Pas mal ! C'est donc une approbation !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier. Madame la présidente, mes chers collègues, le budget des affaires étrangères n'est pas un budget tout à fait comme les autres. Il symbolise l'action extérieure de la France, donc sa place dans le monde. Il montre également l'effort qu'elle consent en faveur du développement des nations moins favorisées. C'est aussi à travers le budget des affaires étrangères que l'on mesure les ambitions internationales de notre pays. Avec des dotations de 4,22 milliards d'euros pour 2004, ce budget nous permet de saluer une nette volonté de continuer à redresser la barre, après la période pendant laquelle il ne représentait guère plus de 1 % du budget total de l'Etat.

Vous avez entrepris, l'année dernière, monsieur le ministre, deux « opérations vérité » : une juste évaluation des contributions obligatoires de la France, d'une part, et la création d'un nouvel instrument de coopération bilatérale, les contrats de désendettement développement, d'autre part. Selon nous, le Gouvernement doit poursuivre l'action - excellente - ainsi engagée.

Nous approuvons également les orientations de base que vous fixez à l'action du ministère des affaires étrangères pour 2004 : poursuivre l'accroissement de l'aide publique au développement, restructurer l'appareil public en charge de l'action extérieure de l'Etat, promouvoir la francophonie, et enfin, mettre en œuvre la réforme du droit d'asile.

Selon le groupe UDF, le budget du ministère des affaires étrangères doit se donner plusieurs priorités. D'abord, rationaliser les moyens dont il dispose. Cela revient, certes, à diminuer la part des crédits de fonctionnement ; vous avez déjà avancé dans cette voie en 2003. Il faut vous en féliciter.

L'action de promotion de la francophonie nous paraît particulièrement importante, voire, prioritaire. Nous voulons saluer à ce sujet l'action de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. L'action culturelle de la France à l'étranger doit porter en effet d'abord sur la promotion de notre langue. Il y a là un enjeu géostratégique majeur.

L'avenir du français se joue en grande partie au sein de l'Union européenne, où le français devrait devenir la deuxième langue étrangère apprise par les écoliers, ce qui n'est malheureusement pas le cas, actuellement. En matière de francophonie, il convient de porter une attention particulière à l'Afrique et aux pays émergents.

La promotion de la langue française passe encore par de multiples canaux : l'accueil des étudiants étrangers, mais aussi RFI et, bientôt, la chaîne d'information continue C2I.

Les projets de coopération et d'aide au développement apportent une présence humaine, expression de notre tradition de solidarité, une présence démocratique, gage de la préservation des libertés, comme de la bonne utilisation de l'aide publique au développement, et aussi une présence culturelle porteuse de la francophonie et de ses valeurs.

L'aide publique au développement constitue un autre volet de la politique étrangère de la France, qui se trouve être l'un des principaux acteurs mondiaux dans ce domaine. La France figure en effet parmi les premiers pays donateurs en volume, et parmi les plus généreux des membres du G8 par tête d'habitant. Dans ce domaine, une restructuration s'impose cependant, pour que l'ensemble des interventions de la France soit regroupé sous l'autorité et le contrôle du ministère des affaires étrangères. On en est malheureusement encore loin.

L'objectif du Gouvernement, conformément à la volonté du Président de la République, est d'atteindre 0,5 % du PIB d'ici la fin de la législature. Nous jugerons en 2007 si cette promesse aura été tenue. En tout cas, le Gouvernement doit rendre sa politique de coopération plus efficace, plus transparente et plus proche.

Membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, notre pays se doit, plus que jamais, de conserver une ambition mondiale.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Gilbert Gantier. La France a un message à apporter au monde : la transmission des valeurs françaises, de notre idéal démocratique et de notre spécificité culturelle - la fameuse « exception culturelle » française - mais aussi, la transmission de la civilisation européenne et une attitude de tolérance envers les autres civilisations.

Donner à la France la place internationale qui lui revient, voilà quelle doit être la mission du ministère des affaires étrangères. Ce projet de budget nous paraît porter les signes tangibles d'une telle espérance. La commission des finances et celle des affaires étrangères l'ont approuvé : le groupe UDF émettra un vote favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.

M. Bruno Bourg-Broc. Madame la présidente, messieurs les ministres, le budget 2004 permettra à l'action diplomatique française d'être présente dans le monde et de répondre aux vœux formulés par le Président de la République, malgré un contexte financier difficile. Efforts de rigueur, d'une part, et utilisation pragmatique des ressources, d'autre part, caractérisent ce budget, dont nous souhaiterions vivement qu'il ne fasse pas l'objet de gels de crédits.

Concernant l'aide publique au développement, la solidarité gouvernementale, assumée par le ministère, s'est traduite par une rigueur budgétaire très forte. Certains crédits diminuent. D'autres sont simplement reconduits par rapport à 2003 : les contributions volontaires, hors francophonie, aux organismes internationaux, ce qui est particulièrement regrettable, les subventions aux opérateurs de l'audiovisuel, la coopération militaire et de défense, les dépenses diverses au titre de l'aide alimentaire, et l'enseignement français à l'étranger.

En dépit de cet effort de rigueur, le budget des affaires étrangères pour 2004 progresse de 2,6 %. Ce projet respecte bien l'engagement du Président de la République de porter notre aide publique au développement à 0,5 % de notre PIB en 2007. Son montant, je le rappelle, est passé de 0,32 % du PIB en 2001 à 0,38 % en 2002, puis à 0,41 % en 2003 et devrait atteindre 0,43 % en 2004. Cette progression traduit une réelle volonté politique de sanctuariser l'aide publique au développement.

Pour ne citer que quelques chiffres, les concours financiers qui incluent les contrats de désendettement- développement progressent, cette année encore, de près de 29 %. La participation de la France au fonds européen de développement passe de 496 millions d'euros à 565 millions d'euros, ce qui marque une rupture par rapport à la baisse des crédits fonds de solidarité prioritaire enregistrée depuis plusieurs années. Les crédits de paiement du FSP augmentent de 25 %, en passant à 140 millions d'euros.

Enfin, les crédits de paiement pour les dons destinés à financer des projets mis en œuvre par l'agence française de développement augmentent de 15 %, en s'élevant à 158 millions d'euros.

La progression de l'APD répond à certaines caractéristiques.

La part des allégements de dette occupe une place significative dans cette progression, dans le cadre de la mise en œuvre des contrats de désendettement-développement et de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés.

Je n'ignore pas les critiques émises par certaines ONG, selon lesquelles les méthodes de comptabilisation des annulations de dettes conduisent à surévaluer leur impact sur le financement du développement. Est comptabilisée en effet dans le coût des allégements la valeur nominale des créances effacées, augmentée des intérêts qui auraient dû être versés, alors que, dans bien des cas, cette dette n'aurait jamais pu être remboursée par les pays débiteurs.

Mais ces annulations se traduisent dans nos comptes par une dépense définitive. Concrètement, les sommes qui auraient été consacrées à des remboursements sont affectées à la réalisation de programmes et de projets concrets.

Les contrats de désendettement-développement reposent précisément sur la mise au point, d'un commun accord entre le pays débiteur et la France, d'un programme de réaffectation des sommes dues sur des projets identifiés.

Cependant, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ces contrats au Cameroun ou en Côte d'Ivoire démontrent que la France doit être capable de pallier les faibles capacités d'absorption de nos partenaires et d'associer probablement davantage la population et les ONG.

Quant aux pays bénéficiant du programme pays pauvres très endettés, les allégements ne leur sont accordés qu'en contrepartie de programmes de lutte contre la pauvreté approuvés et suivis par des institutions financières créancières.

Globalement, malgré l'augmentation des crédits du Fonds européen de développement, le rééquilibrage de notre APD en faveur de l'aide bilatérale se poursuit. Au sein de cette action, la part de l'Afrique augmente, et particulièrement celle de l'Afrique sub-saharienne.

Les motifs de satisfaction - c'en est un - ne doivent pas nous faire oublier la très grande difficulté d'exécution du budget 2003. Le ministère des affaires étrangères a connu en effet une régulation budgétaire sans précédent - pour reprendre les termes que vous avez utilisés vous-même, monsieur le ministre, devant la commission - amputant considérablement le budget, notamment en matière d'APD. Or les à-coups de la programmation de notre APD sont désastreux.

Voilà qui me conforte dans l'idée que j'exprimais l'an dernier à cette tribune, reprenant une suggestion qu'avait formulée en son temps le Président de la République : il faut mettre en place une loi de programme qui donnerait un cadre de programmation pluriannuelle aux crédits de l'APD. En effet, compte tenu des difficultés rencontrées au cours de l'exercice 2003, il faut rénover et clarifier les instruments de la coopération. Cet effort est nécessaire et doit être engagé rapidement.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances pourrait être une chance pour la politique d'aide au développement, puisqu'elle permettrait à l'APD d'être appréhendée comme une politique publique à part entière et non comme l'addition de crédits dispersés dans plusieurs ministères.

Enfin, l'an prochain, dans la perspective de l'évaluation décennale de la mise en œuvre du programme d'action du Caire, nous serions plus crédibles en présentant une politique de coopération clairement définie dans un cadre budgétaire approprié. A l'occasion de la mise en place de la LOLF, la création d'une mission aide au développement répondrait à cet objectif. Monsieur le ministre, devant notre commission des affaires étrangères, vous avez déclaré souhaiter la création de cette mission, que vous jugez « incontournable ». Vous l'avez réaffirmé ce matin dans votre discours, tout en soulignant qu'il s'agissait d'un choix politique lourd de conséquences pour l'ensemble des autres administrations. Souhaitons simplement que vous sachiez les convaincre !

Grâce au budget que nous nous apprêtons à voter, la France conforte sa place sur la scène internationale et donne à l'action francophone un sens encore plus fort. La francophonie, plus qu'un débat sur la politique linguistique, est un combat pour la promotion de la diversité culturelle et linguistique.

A ce titre, j'aimerais attirer votre attention sur deux points qui me paraissent essentiels : la situation des réseaux culturels français à l'étranger et la promotion des médias télévisuels.

Les réseaux des établissements culturels français ont pour rôle de mettre en œuvre la politique culturelle extérieure de la France. Or il s'avère que, dans le cadre du chantier relatif à la valorisation des métiers de l'action culturelle et du développement, que vous avez ouvert, monsieur le ministre, la réflexion s'oriente vers la fermeture de certains établissements, principalement en Europe proche. Ces fermetures seraient compensées par des ouvertures dans des lieux où la présence française est actuellement insuffisante.

Alors que l'élargissement de l'Union européenne sera effectif l'an prochain, vous n'ignorez pas que l'Europe s'oriente de fait - dans ses structures - vers une langue unique : l'anglais. C'est donc en Europe que doit d'abord se porter notre action en matière de promotion du français, du plurilinguisme et de la diversité culturelle. Car paradoxalement, on constate que la proximité territoriale n'est pas nécessairement un atout pour la francophonie. Et la suppression de tel ou tel centre culturel dans des pays européens aurait des conséquences fortement dommageables, voire irréversibles.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Bruno Bourg-Broc. Plusieurs rapports, qu'ils émanent de l'Assemblée nationale - je pense notamment au rapport de notre collègue Michel Herbillon -...

M. Jacques Myard. Déjà nommé !

M. Bruno Bourg-Broc. ou qu'ils émanent de l'assemblée parlementaire de la francophonie, soulignent ces dangers. Réagissons pendant qu'il en est encore temps !

Pour revenir aux centres culturels - mais tous ces problèmes sont liés - je rappellerai qu'en Allemagne, par exemple, avant votre arrivée à ce ministère, des instituts français fermaient chaque année. En 2003, la fermeture de l'institut français de Sarrebrück a finalement été suspendue, mesure que je souhaite définitive. Je suis en effet convaincu que nous devons rester très vigilants quant à l'évolution que nous donnons à notre réseau culturel à l'étranger.

En revanche, pourquoi ne pas être favorable à une nouvelle organisation de nos moyens ? Mais encore une fois, soyons vigilants sur ces questions qui sont, à nos yeux, fondamentales. Comme je l'ai souligné à propos de l'APD, une organisation simple permet souvent de mieux appréhender l'affectation des crédits et leur utilisation. Ne nous privons pas de cette simplicité.

Pour autant, l'action de la francophonie et donc de la présence française doit également être effective en dehors des frontières de l'Europe. A ce titre, le développement de nos réseaux dans des territoires où nous sommes peu présents est, j'en conviens, une nécessité. Il ne faut pas oublier que la francophonie reste un instrument privilégié du rayonnement culturel et intellectuel.

C'est pourquoi je souhaiterais souligner l'importance de notre action en matière d'audiovisuel.

Le projet de création d'une chaîne d'information internationale me permet d'aborder également le problème de l'audiovisuel intérieur. Nous devons avoir l'ambition d'une grande chaîne d'information continue internationale, comparable à ce que sont la BBC ou CNN pour les anglophones. C'est essentiel pour le rayonnement de notre pays, déclarait, le 7 mars 2002, le Président de la République.

M. Jacques Myard. Mais pour cela, il faut des crédits !

M. Bruno Bourg-Broc. La nécessité de créer une telle chaîne est ressentie par tous ceux qui ont l'occasion de séjourner à l'étranger. L'existence d'une chaîne d'information continue d'origine française participera de la diversité culturelle dont nous nous réclamons et confirmera le statut de la langue française comme langue internationale. Elle constituera un volet de l'influence et de la présence internationales de notre pays.

Au demeurant, le recours à certaines langues pratiquées dans les aires de diffusion, fréquent sur Radio France internationale, ne contredirait pas cette volonté. Le français constituera la langue pivot et la diffusion de la chaîne en langue anglaise, arabe ou espagnole n'empêchera pas de véhiculer une manière de penser, une culture, une actualité d'origine française. Elle permettra en outre d'échapper à une vision uniquement anglo-saxonne, ce qui n'était pas le cas - et nous le déplorons - lors de la dernière intervention des Etats-Unis en Irak.

De nombreux scénarios ont été envisagés pour monter cette chaîne. L'association du public et du privé nous semble une excellente solution, tant parce que TF1 dispose, à travers sa filiale LCI, d'un savoir-faire en matière de chaîne d'information continue et qu'un tel partenariat garantira l'indépendance de la chaîne aux yeux de son public. Car si elle doit véhiculer une vision française de l'actualité internationale, il est essentiel que la chaîne d'information internationale ne soit pas perçue comme un organe du gouvernement français.

M. Jacques Myard. C'est dommage !

M. François Rochebloine. Voilà bien l'esprit de M. Myard !

M. Bruno Bourg-Broc. Notons toutefois qu'aucun financement n'est prévu pour cette chaîne dans le projet de loi de finances pour 2004.

Conformément aux recommandations de la Cour des comptes, le projet qui nous est présenté s'efforce de rationaliser l'ensemble du dispositif de l'audiovisuel intérieur, dont le caractère foisonnant et coûteux avait été relevé par certains.

La partie du rapport visant à réduire le coût global de l'intervention de l'Etat et à dégager des marges de financement pour la chaîne d'information internationale suscite de nombreuses questions. Comme l'indique notre rapporteur spécial, Patrice Martin-Lalande, elle exige, avant d'être confirmée, un examen approfondi, compte tenu des nombreuses mini-révolutions qu'elle implique à l'égard de certaines chaînes que je ne citerai pas.

M. François Rochebloine. On ne peut pas les citer ?

M. Bruno Bourg-Broc. Ainsi, monsieur le ministre, nonobstant les quelques points que j'ai soulignés et qui me paraissent essentiels dans la mise en œuvre de notre politique étrangère, notamment en matière de francophonie, le budget que vous nous présentez est un bon budget pour la France. Il est digne de nos ambitions et de notre volonté de rayonnement sur le plan international. C'est la raison pour laquelle nous ne regretterons pas le vote favorable que nous émettrons tout à l'heure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Janquin.

M. Serge Janquin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons assisté à Cancun, en septembre dernier, à un événement rare. Les pays pauvres ont refusé la règle du jeu qui leur était proposée par les plus riches. Des fractures sociale ou mondiale ont été évoquées par les plus hautes autorités de l'Etat. Soit ! Mais pourquoi ne pas appeler les réalités par leur nom ? A Cancun, les pays pauvres ont dit non aux pays riches. Ce défi international nous interpelle vigoureusement. Il doit conduire notre réflexion de ce jour, dans ce débat sur la part du budget des affaires étrangères consacrée à l'aide et au développement.

Mais je dois tout d'abord vous décerner un satisfecit : vous n'avez pas remis en cause les grandes orientations décidées en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin en matière d'aide et de coopération. Les décisions prises pendant la présidence française de l'Union européenne ont permis d' « agiliser » l'utilisation effective des crédits du Fonds européen de développement, le FED, tandis qu'au sommet de Tokyo, en janvier 2000, une initiative originale en faveur des pays pauvres très endettés, l'initiative dite PPTE, était mise sur rails.

Ces mesures ont commencé à prendre effet fin 2001. On assiste aujourd'hui à une heureuse montée en puissance qui est à l'origine, pour l'essentiel, de la hausse de l'APD française en 2004.

Peut-on, pour autant, se réjouir sans nuance de l'augmentation annoncée des crédits de votre ministère - je voudrais volontiers vous en donner acte et vous en louer - alors même qu'une partie très importante de ces crédits a été très rapidement gelée puis annulée en 2003, et qu'on peut donc craindre qu'il en aille de même en 2004 ?

Le Gouvernement n'a-t-il pas, pour 2003, présenté et fait voter une loi de finances initiale sur une hypothèse de croissance largement surévaluée ? Le groupe socialiste l'avait dit, beaucoup d'experts aussi.

M. le Premier ministre présente aujourd'hui comme une évidence la division par deux du taux de croissance en 2001, puis en 2002, puis en 2003. Que ne l'a-t-il établi plus tôt ! Nous eussions aimé que cette évidence, qui nous est désormais assénée chaque semaine pendant les questions d'actualité, fût au moins envisagée comme un risque potentiel au moment du vote du budget 2003 et que, au moins, l'erreur commise alors conduise à plus de prudence dans l'appréciation des chances de reprise en 2004.

Car, pour 2004, monsieur le ministre, même si l'on peut penser que M. Mer a obtenu de Bruxelles un « laisser voter » de son projet de budget dans sa présentation actuelle, peut-on vraiment croire qu'il n'y aura pas, dès janvier, des gels de crédits de 3 à 6 milliards d'euros ? A quelle hauteur les crédits de votre ministère seront-ils affectés ?

Les rapporteurs que j'ai entendus en commission des affaires étrangères, aussi bien M. Cazenave que M. Godfrain, et par ailleurs M. Rochebloine et M. Emmanuelli, ont eu à cet égard des accents de sincérité auxquels il m'a été facile de rendre hommage, puisqu'il m'est arrivé de défendre les crédits de la coopération pour soutenir l'action de M. Charles Josselin, avec le succès mitigé dont je fais l'aveu : je leur en souhaite, et à vous surtout, monsieur le ministre, davantage !

Jamais cependant l'écart entre crédits votés et paiements n'a été aussi important ! C'est une question grave ; il y va de la sincérité du budget voté par rapport aux intentions de l'exécuter ; il y va donc de la considération que le Gouvernement porte au Parlement, ce n'est pas rien ; il y va - c'est le plus important à mes yeux - de la confiance que nos concitoyens placent dans leurs institutions et dans les politiques en général.

Ce sont 250 millions d'euros qui ont été annulés en 2003 sur vos crédits, monsieur le ministre. C'est considérable, ça ne s'était jamais produit à ce niveau, jusqu'à, par exemple, mettre le fonds de solidarité prioritaire en cessation de paiement ! Par voie de conséquence, des actions programmées ont été différées, des affectations d'experts techniques ont été suspendues - jusqu'à quand ? Pourrez-vous même les nommer en janvier 2004 ? - des organisations de solidarité internationale ont été entravées dans leur action - le FONJEP, l'Association française des volontaires du progrès, le comité de liaison des ONG ont été touchés - et c'est l'aide publique bilatérale, la plus identifiée par nos partenaires, qui a le plus souffert.

La main qui a signé le projet de budget 2004 est assurément volontaire. Avons-nous pour autant la garantie qu'elle conservera des moyens conformes à cette volonté ? J'ai toutes les raisons d'en douter, parce que le Gouvernement sait déjà que les gels puis les annulations sont inévitables.

Là est la caractéristique essentielle de votre budget : l'écart entre l'ambition qu'il affiche et les chances qu'il a d'être exécuté, ce qui pose évidemment la question de sa sincérité.

Le doute est central et rend moins pertinentes toutes les autres constatations qu'on pourrait faire, et vaines les questions que l'on pourrait poser, tant on a le sentiment de faire un exercice sur des virtualités.

J'aborderai cependant quelques autres aspects.

J'observe d'abord que c'est surtout par les allégements de dettes dans le cadre de l'initiative PPTE, que se redresse le volume de l'aide publique au développement depuis 2002. Mais beaucoup sont convaincus, notamment du côté des ONG, que les méthodes d'évaluation des allégements, tout particulièrement pour les créances commerciales, sont opaques et conduisent à des surévaluations en termes de financement du développement.

J'observe aussi que l'APD sert souvent de variable d'ajustement budgétaire et que son périmètre est incertain, ce qui gêne les comparaisons d'une année sur l'autre.

La négociation par la France, au sein du CAD, comité d'aide au développement, pour une meilleure prise en compte des opérations de maintien de la paix pose problème. Actuellement, le cadre est restrictif mais il pourrait évoluer. Il convient de veiller à bien distinguer les dépenses d'APD civiles de celles qui pourraient être liées aux sorties de conflits.

J'observe également que, malgré le communiqué du dernier CICID sur la volonté du Gouvernement de favoriser une participation plus large des acteurs de la coopération que sont la société civile et les collectivités locales, les crédits d'appui aux initiatives privées ou décentralisées stagnent, après avoir baissé de 3 % dans le PLF 2003 et avoir été touchés par des annulations de reports de crédits. Ainsi, la France reste au dernier rang européen pour la collaboration avec les ONG, avec moins de 1 % de l'APD contre plus de 5 % de moyenne européenne.

Au demeurant, malgré les efforts faits par les gouvernements successifs, notre politique de coopération reste opaque, peu lisible, peu contrôlée par le Parlement et encore moins connue et popularisée dans l'opinion. Une loi de programmation en améliorerait sans doute la lisibilité, y compris pour les Etats bénéficiaires d'Afrique et pour leur population, si mal informée qu'elle est souvent sujette à des sautes d'humeur à l'égard de la France, malgré l'importance de sa contribution au développement au regard de celle des Etats Unis, par exemple.

Le Gouvernement de Lionel Jospin avait posé, c'était méritoire, des jalons pour sortir la coopération avec l'Afrique d'un modèle dépassé.

Cette réflexion avait été prolongée de propositions pour construire un monde plus équitable : refus de l'accord multilatéral sur l'investissement, initiatives pour lutter contre le blanchiment de capitaux et les paradis fiscaux, proposition d'une organisation mondiale de l'environnement, amorce d'une réforme de la PAC.

Le parti socialiste, au forum mondial de Porto Alegre, a poursuivi son aggiornamento, en concertation avec les ONG. A Cancun comme à Sao Paulo, avec les partis membres de l'Internationale socialiste...

M. Jacques Myard. Ca existe encore ? C'est une association d'anciens combattants ?

M. Serge Janquin. ..., il a défendu la logique d'une autre mondialisation. Demain, la semaine prochaine, au forum social européen, il va poursuivre cette réflexion.

Nous sommes de plus en plus immergés dans un monde global. Le dialogue inégal, asymétrique avec des partenaires africains accommodants ou complaisants est dépassé. Il faut adapter nos pratiques à l'éthique exigeante de ce siècle. Le grand écart, trop souvent pratiqué par votre majorité, entre les belles tirades du Président de la République, mais aussi ses complaisances envers l'Afrique d'hier, et un budget en trompe-l'œil, ne peut nous satisfaire.

La transparence de nos choix politiques et budgétaires, l'intangibilité des moyens affectés sont des gages essentiels du crédit de notre politique à l'égard du continent africain.

Peut-on vraiment s'étonner que nos partenaires les plus anciens, les plus fidèles, fassent les yeux doux à d'autres, s'ils ne sont pas assurés de la pérennité de notre sollicitude ? Faut-il vraiment s'en offusquer et leur en faire grief ?

Il vous arrive, monsieur le ministre, lorsque vous évoquez les relations de la France avec l'Afrique, d'être un rien lyrique. Ca n'est pas fait pour me déplaire car « on ne comprend bien qu'avec son cœur ». Au demeurant Senghor l'a été avant vous, et bien davantage.

Aussi, pour ne pas être en reste, je vous dirai : les temps changent. La France est désormais, en Afrique, jugée à ses actes et non sur un paternalisme hors d'âge.

Un peu « énervée » sans doute, l'Afrique nous dit aujourd'hui de plus en plus : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. » Avant, peut-être, de consommer sa déception, demain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le temps de parole qui m'est imparti étant limité, mon propos portera exclusivement sur l'action en faveur du développement de la langue française et de la francophonie.

La promotion de notre langue et notre engagement pour la relance de la francophonie sont, en effet, aujourd'hui, un des maillons importants de notre politique étrangère. Le Président de la République, Jacques Chirac, en particulier lors du sommet de Beyrouth d'octobre 2002, les a placés au centre de nos priorités d'action.

Il y a à cela deux raisons, me semble-t-il.

Tout d'abord, la langue est l'expression de la culture et de l'identité d'un pays. Elle est aussi un instrument de pouvoir et d'influence dans le monde. Or il nous faut regarder la vérité en face : la langue française recule en Europe et dans le monde. C'est une réalité.

M. François Rochebloine. Malheureusement !

M. Michel Herbillon. Ce n'est pas pour autant une fatalité, à condition naturellement de réagir.

L'autre raison qui justifie cette priorité est que, face à la mondialisation en cours, la francophonie est au cœur du combat mené par notre pays pour le respect de la diversité culturelle et linguistique.

La France a aujourd'hui conscience qu'il faut nourrir une vraie ambition pour sa langue et pour la francophonie. C'est naturellement son intérêt propre sur le plan diplomatique et culturel mais c'est également l'intérêt bien compris de tous ceux qui refusent que mondialisation rime avec uniformisation des cultures et des modes de pensée.

C'est ce qui a conduit la France et l'organisation internationale francophone à réclamer depuis longtemps l'élaboration d'une convention sur la diversité culturelle.

On ne peut donc que se réjouir aujourd'hui du très large consensus qui s'est fait autour de la proposition française afin qu'un tel projet de convention soit présenté à l'UNESCO en 2005.

Cette évolution est une belle illustration du rôle politique que la francophonie peut jouer dans les instances internationales.

Dans un tel contexte, le projet du Président de la République visant à créer, à Paris, en 2006, une Maison de la francophonie et un festival des cultures francophones regroupant cinéastes, scientifiques, créateurs, mérite toute notre attention et notre soutien. Ces événements illustreront la vitalité de la francophonie. Aussi, je serais heureux, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez l'état d'avancement de ce projet.

Si les ambitions affichées pour la promotion de notre langue et pour la francophonie sont élevées, toute la question est de savoir si notre pays dispose aujourd'hui des moyens suffisants pour lui permettre de réaliser ses ambitions.

En 2004, la France va mobiliser au total près de 880 millions d'euros en faveur du développement de la langue française et de la francophonie ; il faut convenir que c'est un effort important, surtout dans un contexte budgétaire difficile.

Je tiens à saluer l'accroissement des moyens accordés par le ministère des affaires étrangères aux boursiers et stagiaires étrangers étudiant en France, ainsi qu'au fonds multilatéral unique ou encore au plan de développement de la langue française en Europe.

Mais le décalage est tel entre les besoins et les ressources disponibles qu'il semble impérieux, pour relancer notre politique en faveur de la francophonie, d'engager une réflexion de fond visant à adapter les moyens qui sont dévolus au rayonnement culturel et intellectuel de la France à l'étranger.

Ainsi, la situation financière de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, qui s'adresse à plus de 160 000 élèves à travers le monde, dont plus de 90 000 étrangers, est fragile, et ce de longue date.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Michel Herbillon. Face à cette situation, vous avez clairement indiqué, monsieur le ministre, qu'il serait indispensable de reconfigurer, à terme, le réseau. Pourriez-vous nous indiquer suivant quels principes cette reconfiguration est envisagée ?

Des interrogations similaires portent sur notre réseau culturel et scientifique à l'étranger, un réseau très dense puisque l'on compte près de 150 centres culturels et 300 Alliances françaises. Chacun sait combien l'action de ce réseau est affaiblie depuis fort longtemps par l'insuffisance et la dispersion de ses moyens ! Là encore, vous avez annoncé un projet de modernisation sur lequel il serait utile, monsieur le ministre délégué, que vous nous donniez, en cette occasion, davantage de précisions.

J'ai une autre piste à soumettre à votre réflexion. Lors des auditions que j'ai menées dans le cadre de mon rapport sur la diversité linguistique en Europe, j'ai été frappé par le nombre élevé d'organismes, de directions et de sous directions qui interviennent pour la défense du français. Une rationalisation de ces multiples structures serait sans doute utile pour renforcer la lisibilité et l'efficacité de leurs actions.

M. André Schneider. C'est vrai !

M. Michel Herbillon. Pour terminer, je voudrais insister, mes chers collègues, sur l'importance que revêt la question de la place de la langue française en Europe.

Notre pays a pris la mesure de l'enjeu que constitue la question linguistique dans la construction européenne.

Vous avez pris l'initiative, monsieur le ministre des affaires étrangères, d'organiser une table ronde à ce sujet lors de la dernière conférence des ambassadeurs.

J'ai rédigé un rapport sur cette question, assorti de propositions très concrètes qui seront prochainement inscrites à l'ordre du jour de notre assemblée et feront l'objet d'un débat en séance publique.

Chacun a conscience que c'est en Europe que se joue l'avenir du français dans le monde. Au moment où l'Europe s'apprête à accueillir dix nouveaux pays et où elle va - nous l'espérons - se doter d'une constitution, elle se trouve confrontée au plus grand défi linguistique de son histoire.

Mais loin de constituer un handicap, le pluralisme linguistique peut être un formidable atout pour notre langue. Simplement, aujourd'hui, les déclarations incantatoires, généreuses et générales, ne suffisent plus. Il faut engager des actions concrètes, des réalisations concrètes, comme aurait dit Robert Schuman,...

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Jacques Myard. Très mauvaise citation, oui !

M. Michel Herbillon. ... pour répondre à un désir de français, au service d'une Europe assurant la promotion de sa diversité culturelle et linguistique, que la Convention propose de constitutionnaliser.

C'est pourquoi je propose la création d'un pôle européen de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, qui pourrait être localisé dans notre pays, à Strasbourg,...

M. André Schneider. Très bon choix !

M. Michel Herbillon. ... capitale européenne.

C'est aussi pourquoi je pense que notre pays devrait prendre l'initiative de convaincre nos différents partenaires d'introduire dans leur système éducatif l'enseignement obligatoire de deux langues étrangères.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Michel Herbillon. Ce n'est aujourd'hui le cas que dans sept pays sur les vingt-cinq que comptera bientôt l'Union. C'est à cette condition que les langues européennes, et singulièrement le français, pourront affirmer leur place, faute de quoi on devrait se résigner à la prédominance de plus en plus forte de l'anglais.

La France, ce n'est pas la résignation. La France, ce n'est pas le consentement. Vous le dites mieux que quiconque, monsieur le ministre. J'espère que le Gouvernement français aura à cœur, pour la promotion de notre langue et pour la défense de la diversité linguistique et culturelle, de porter et de soutenir cette proposition.

Pour ma part, j'aurai plaisir à voter le budget que vous nous présentez, parce qu'il est digne des ambitions de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Etienne Pinte. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention portera uniquement sur l'application par le ministère des affaires étrangères de la réforme de la double peine, qui met déjà et mettra encore demain à contribution nos diplomates, et particulièrement nos consulats.

En effet, de même que les ministères de la justice et de l'intérieur auront, d'ici le 1er janvier prochain, à mettre en œuvre sur le territoire national les mesures permettant l'application de la réforme de la double peine que le Parlement vient d'adopter, le ministère des affaires étrangères aura quant à lui le devoir de l'appliquer à l'étranger.

Deux situations se présentent dès maintenant à l'appréciation de nos diplomates, ambassadeurs et consuls.

La première est d'actualité. C'est celle où se trouvent ces hommes qui ont accompli leur peine d'interdiction du territoire français, ou qui en ont été relevés, ou encore qui ont été expulsés en application d'un arrêté ministériel ou préfectoral qui a été abrogé, et qui sollicitent alors un visa pour retrouver leur famille sur le territoire national. Ceux-là, qui ont eu le courage de ne pas revenir en France clandestinement, doivent pouvoir obtenir un visa de retour. Or, dans la quasi totalité des cas, le visa leur est refusé.

C'est par exemple la situation dans laquelle se trouve Mohamed Kerouch, de nationalité algérienne, né en France il a quarante ans. Il y a cinq ans, il a été expulsé vers l'Algérie, un pays qu'il n'avait jamais connu. Depuis lors, l'arrêté ministériel d'expulsion dont il faisait l'objet a été abrogé par le ministère de l'intérieur. Et depuis, il tente vainement d'obtenir un visa pour rejoindre sa compagne de nationalité française et leur fille âgée de douze ans. La commission de recours contre les décisions de refus de visa lui a récemment refusé la délivrance de ce sésame indispensable pour retrouver sa famille dans notre pays, au prétexte qu'il ne peut pas prouver qu'il exerce l'autorité parentale sur son enfant. Monsieur le ministre, comment prouver que l'on assume son rôle de père lorsqu'on est à deux mille kilomètres et qu'on ne peut pas sortir des devises d'Algérie ? Il ne peut apporter pour preuves que des échanges de courriers avec sa fille et les multiples démarches de sa compagne, qui révèlent leur attachement mutuel.

En désespoir de cause, je vous ai saisi de ce cas, puisque la commission émet un avis qui ne lie pas l'administration, ni son ministre. J'espérais de votre part une décision juste et humaine. Lui refuser ce visa, c'est le condamner à ce que j'appellerai une troisième peine. Et là, le ministère des affaires étrangères en est responsable. J'attends donc de vous un geste d'humanité.

La seconde situation qui va se présenter à partir de la promulgation de la loi, c'est son application automatique à tous ceux qui entreront dans les catégories protégées parce qu'ils ont toute leur vie familiale en France, et ce depuis longtemps, sinon depuis toujours. Ils seront relevés de leur peine et leur expulsion sera immédiatement abrogée. Je vous pose la question, monsieur le ministre : comment nos services consulaires vont-ils appliquer la loi ? Si déjà, ils ne l'appliquent pas maintenant dans son esprit pour ceux qui ont purgé leur peine, vont-ils continuer à ne pas vouloir l'appliquer demain ?

Je me permets de vous rappeler que le ministre de l'intérieur, quant à lui, applique déjà avec humanisme et par anticipation la réforme de la double peine. Il assigne à résidence avec droit au travail les futurs bénéficiaires de la loi. Faites-en autant, monsieur le ministre. Sinon, on pourrait douter de vos bonnes intentions en matière de droit d'asile, qui fait l'objet d'un texte que nous examinerons en seconde lecture dans une dizaine de jours.

Il me semble urgent qu'un esprit nouveau souffle chez nos agents consulaires, même si je ne méconnais pas les difficultés de la tâche, puisque, comme beaucoup de mes collègues, je les vis quotidiennement en tant que maire, au travers de la gestion des attestations et des mariages de complaisance.

M. André Schneider. Absolument !

M. Etienne Pinte. Il me paraît aussi urgent de leur donner les moyens nécessaires pour accueillir les demandeurs de visa dans de bonnes conditions, dignement, ce qui est malheureusement loin d'être le cas dans certains endroits.

Est-il normal, monsieur le ministre, qu'une veuve se voie refuser un visa qui lui permettrait de venir régulariser sa pension de réversion en France puisque son mari percevait sa pension de retraite dans notre pays ? Est-il supportable que des enfants soient séparés de leurs parents, ou des femmes de leur mari ? Est-il concevable qu'il faille l'intervention d'un parlementaire pour qu'un réfugié politique désireux d'épouser sa fiancée dans notre pays puisse obtenir l'autorisation de la faire venir ? J'ai encore vécu cette situation il y a quinze jours. Est-il tolérable qu'un enfant soit décédé parce que le visa lui permettant de subir une intervention chirurgicale urgente dans un établissement hospitalier français lui a été refusé ainsi qu'à sa mère ?

Je pourrais évoquer encore beaucoup de cas de dysfonctionnement. Je rappelle simplement que pour le monde entier, nous sommes le pays des droits de l'homme et du citoyen ! Je souhaite que nos représentants à l'étranger en soient imprégnés en permanence et que des directives claires et précises leur soient données en matière d'application de la réforme de la double peine.

Vous avez fait, monsieur le ministre, la preuve de votre savoir-faire dans l'affaire irakienne. Je compte sur vous pour améliorer encore l'image de la France à travers le monde.

M. François Rochebloine. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Madame la présidente, messieurs les ministres, je salue à travers vous la France à la manœuvre. Avec des forces armées rénovées, qui peuvent être amenées à soutenir son action, et avec une police qui assure à nouveau sa protection intérieure, oui, la France est revenue à la manœuvre et parle d'une seule voix, d'une voix forte.

La France se fait entendre et écouter quand elle assure la maîtrise de son destin et lorsqu'elle définit sa politique librement et dans l'indépendance, sans pour autant rejeter ses alliances ni ses amitiés, mais en défendant une certaine conception du monde, qui passe par une certaine conception de la nation, creuset incontournable de toute démocratie.

Cette France dérange, car ce qu'elle veut pour elle-même, elle le défend aussi pour les autres. Alors, les mythes reviennent, toujours défendus avec un talent trompeur par quelques idiots utiles...

M. Henri Emmanuelli. Quoi ? On cite Lénine ?

M. Jacques Myard. ... qui se mettent servilement aux ordres des autres, fatigués qu'ils sont d'être libres et de penser par eux-mêmes. Ils nous invitent au renoncement. Il est vrai qu'il s'agit là d'une constante nationale.

De manière récurrente, on entend que la France serait trop petite. Le monde, monsieur le ministre, appartient aux petits, je vous le dis,...

M. André Schneider. Très bien !

M. François Rochebloine. Même quand ils sont debout ?

M. Jacques Myard. ... pas aux empires hétéroclites, qui s'écroulent tous, inéluctablement.

Hors l'Europe, point de salut, nous dit-on, oubliant sans doute que toute organisation de l'Europe présuppose d'abord notre propre effort national. Tout cela n'est que billevesées éculées, quand ce n'est pas trahison !

Les faits récents viennent d'infliger un démenti cinglant à ces faux prophètes. Rien d'étonnant à cela : le monde est redevenu, en fait, un jeu ouvert, où les interdépendances multiples s'accroissent et mettent un coup d'arrêt aux prétentions unilatéralistes à courte vue, tout en favorisant l'initiative des coopérations tous azimuts.

Oui, les événements récents sont limpides. Il y a une véritable leçon d'Irak. Lorsqu'un puissant bafoue impunément le fait national, il est toujours vaincu par sa conquête. Il n'y a pas d'hyperpuissance.

Dans ce monde en mouvement perpétuel, la France peut prendre toute sa place, à la condition qu'elle définisse une politique claire, comme elle le fait pour l'Irak. Car si elle n'a pas le premier PNB de la planète, elle a la capacité d'entraîner, de mobiliser les autres, de faire bouger ses alliés, non seulement dans le bout de terre euro-asiatique qu'est notre Europe, ce qui réduirait son action, mais partout dans ce monde qui favorise les réseaux, globalisation oblige.

Dans une bataille, disait Bonaparte, la décision est emportée pour un tiers seulement par les forces matérielles, et pour les deux tiers par les forces morales. Oui, la décision appartient à ceux qui agissent avec cohérence et s'appuient sur une forte cohésion interne. C'est le sens de votre politique, et nous la soutenons.

Si toutefois la cohérence de l'action est le fondement même du succès de toute politique, encore faut-il, monsieur le ministre, ne pas négliger l'outil qui prépare la conception et relaie votre voix dans le monde. Et là, la colère me gagne. Il n'est pas acceptable que le budget des affaires étrangères, c'est-à-dire la voix de la France, devienne la variable d'ajustement du budget de l'Etat.

M. Eric Woerth. Ce n'est pas le cas.

M. Jacques Myard. La baisse des effectifs de votre département, qui succède à des baisses continues, pose un réel problème politique d'affaiblissement de notre action extérieure. Cela est d'autant plus inacceptable que votre département est le seul, je dis bien le seul, à avoir fait de réelles économies depuis dix ans, période pendant laquelle ses effectifs ont pratiquement baissé de 10 %.

M. Frédéric Dutoit. Eh oui !

M. Jacques Myard. Les efforts ont été faits. Il convient d'y mettre un terme, car ramener nos couleurs dans de nombreux pays serait une faute. C'est pourquoi je défendrai un amendement tendant à rétablir quelques crédits, fort modestes au demeurant.

Mes chers collègues, l'action de la France dans le monde passe aussi par la vigilance et le soutien du Parlement. C'est là notre honneur. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Cousin.

M. Jean-Yves Cousin. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette intervention a été préparée en concertation avec mon collègue Frédéric de Saint-Sernin, qui s'exprimera donc aussi par ma voix.

Près de deux millions de nos compatriotes vivent hors de l'Hexagone, et ce nombre ne cesse d'augmenter depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ceux-ci vivent essentiellement en Europe et en Amérique du Nord, qui accueillent les deux tiers de la population française expatriée.

Le budget que vous nous présentez aujourd'hui, messieurs les ministres, va améliorer le soutien apporté aux Français établis hors de France, tant en matière de sécurité, d'éducation donnée à leurs enfants, de protection sociale, que de respect de leurs droits civiques.

En matière de sécurité, les crédits inscrits pour la sécurité des Français à l'étranger au sein de votre budget, qui avaient déjà doublé en 2003, et qui augmentent encore de près de 1,4 million d'euros en 2004, ne me paraissent pas excessifs au vu d'un contexte international extrêmement sensible.

Devons-nous le rappeler ? Les risques que rencontrent quotidiennement nos compatriotes sont importants, qu'ils soient liés au terrorisme, à l'instabilité politique, aux catastrophes d'ordre sanitaire ou accidentel.

Vous avez décidé de créer un Comité de sécurité interministériel qui se réunit régulièrement pour renforcer le dispositif de sécurité de nos postes dans une région précise, récemment autour de la question irakienne.

Vous avez aussi décidé d'envoyer des missions interministérielles d'évaluation et de conseil dans les pays les plus exposés.

Vous avez enfin décidé d'engager la remise à niveau de l'organisation, des équipements de télécommunication et des stocks de sécurité des ambassades, ainsi que la modernisation de leurs plans de sécurité. Nous ne pouvons que nous féliciter de ces actions et espérer qu'elles donnent des résultats concrets.

S'agissant de l'éducation, j'aborderai maintenant, monsieur le ministre, un domaine qui vous tient particulièrement à cœur, celui de l'enseignement français à l'étranger.

Je suis heureux de constater que les moyens seront reconduits en 2004, car, vous l'avez dit il y a quelques jours devant le Conseil économique et social, l'enseignement français à l'étranger est la pierre angulaire de notre présence à l'extérieur, en tout cas un élément moteur de notre politique de coopération.

L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger présente la particularité de reposer sur le double engagement financier de l'Etat et des parents d'élèves. Mais 90 % des 340 millions d'euros du budget de l'Agence sont consacrés à la rémunération des personnels. Il faut savoir que l'enseignement français à l'étranger, dont le coût moyen annuel s'élève à 4 740 euros, est supporté à 59 % par les familles. A titre de comparaison, en France, le coût moyen est de 6 470 euros, entièrement financé par l'Etat.

Il est donc essentiel de faire évoluer rapidement les critères d'obtention des bourses en faveur notamment des familles françaises de l'étranger à revenus moyens. Ces familles ne peuvent faire face aux droits de scolarité et sont donc dans l'impossibilité financière de mettre leurs enfants dans le réseau d'enseignement français.

J'aimerais savoir si la réflexion que vous menez en concertation avec votre collègue de l'éducation nationale sur une cotutelle de l'Agence ou une prise en charge des bourses scolaires par l'éducation nationale a pu aboutir.

En matière de protection sociale, l'Etat a également comme priorité de veiller à garantir des conditions de vie décentes à nos compatriotes les plus démunis. Je constate que les crédits d'action sociale ont été maintenus, et je vous en remercie.

Cette aide, accordée par les 219 comités consulaires pour la protection et l'action sociale, concerne 5 300 de nos compatriotes, handicapés, retraités, ou au chômage. Il conviendrait, me semble-t-il, de réviser les critères d'attribution de cette assistance sociale, en fonction de la situation de chacun et du pays concerné. A cet effet, accroître l'autonomie des postes consulaires dans la gestion de leurs aides sociales me paraît indispensable.

Dernier point, le respect des droits civiques. De manière plus générale, nous devons nous assurer que nos compatriotes de « là-bas » bénéficient de l'exercice effectif et facilité de l'ensemble de leurs droits. Dans ce cadre, l'annonce que vous avez faite d'un plan d'action visant à améliorer la qualité du service rendu aux Français de l'étranger me paraît très appréciable.

Je veux aussi rappeler, monsieur le ministre, la grande avancée qui a été réalisée cette année, pour nos concitoyens résidant aux Etats-Unis, grâce à l'adoption de la loi autorisant le vote électronique pour les élections des délégués au CSFE. Cette mesure a connu un grand succès, puisque 60 % des votants l'ont choisie. La baisse de la participation constatée depuis des années a enfin été enrayée.

Au total, dans ce budget pour 2004, vous avez décidé de sauvegarder les crédits alloués aux Français vivant à l'étranger, et je me réjouis que, dans certains domaines comme celui de la sécurité, vous les ayez accrus. Nous devons cependant demeurer vigilants afin de leur assurer les meilleures conditions de vie possibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.

M. Jean-Jacques Guillet. Monsieur le ministre, en votant votre budget je veux saluer votre politique.

La politique extérieure est un élément essentiel de ce patrimoine rassembleur, « plébiscite de tous les jours », disait Renan, que vous avez cité dans un article récent.

C'est en effet autour de la politique extérieure et grâce à elle que les Français éprouvent le mieux ce sentiment d'appartenir à cette communauté de destin qu'est la nation.

Face au danger que le général de Gaulle savait si bien leur faire saisir, ils se rassemblent. Quel est aujourd'hui ce danger, sinon au premier chef un monde unipolaire incapable de maîtriser la globalisation et à préserver l'équilibre naturel et culturel de la planète ?

Aussi n'est-il pas surprenant qu'au cours de l'année qui s'achève les Français se soient retrouvés presque unanimes derrière le Président de la République et vous-même et qu'ils aient adhéré aux fortes paroles que vous avez prononcées au nom de la France dans l'enceinte du Conseil de sécurité de l'ONU.

Vous aviez alors évoqué deux visions du monde, la France étant porteuse de l'une d'elles, cette vision expliquant et justifiant la position que nous avons prise dans la crise irakienne qui, sans que je veuille la réduire, en a été le révélateur.

La France est entendue et attendue, vous l'avez souligné, parce qu'elle offre la vision d'une mondialisation régulée et d'une croissance conciliée avec le développement humain et la préservation de la planète, vision du monde indissociable de l'approche multilatérale qui y trouve sa justification impliquant, par une réforme de leur architecture, l'intervention de l'ONU et de ses différentes organisations et la mise en place d'une hiérarchie des normes au plan international. Cette démarche, soyons lucides, se heurte à de nombreux obstacles. Mais nous devons la mener de façon persévérante et exemplaire.

Dans un tel contexte, je soulignerai une contradiction illustrée par deux exemples précis.

Dans notre vision du monde, il y a la volonté exprimée à Johannesburg et au G 8 d'Evian, qui en constitue un pilier important, sinon essentiel.

Nous nous battons, à juste titre, pour la création d'une OME, organisation mondiale de l'environnement, qui serait le pendant de l'OMC pour les accords multilatéraux environnementaux, de plus en plus nombreux. Cette approche passe par l'élargissement des pouvoirs et la transformation du PNUE en une agence spécialisée de l'ONU qui serait l'ONUE.

Si nous voulons être crédibles là où justement nous sommes attendus, il serait souhaitable d'augmenter notre contribution volontaire au PNUE, comme cela a d'ailleurs été souligné par plusieurs rapporteurs. Celle-ci a progressé depuis 1999, et surtout depuis deux ans. Nous n'étions toutefois en 2003 qu'au onzième rang des contributeurs volontaires, notre contribution ayant parfois du mal à être versée dans les temps, ce que je regrette. Ainsi, le ministère de l'écologie et du développement durable ne pourra verser qu'en 2004 la part de 550 000 euros qui lui incombe pour 2003. Qu'en sera-t-il pour l'année prochaine ? En 2004, nous devrions être au sixième rang, loin derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Deux observations. Premièrement, il convient de s'efforcer d'être au niveau de notre poids politique et économique pour asseoir notre crédibilité. Ensuite, et je rejoins les observations de Richard Cazenave, il convient, pour plus de visibilité et une meilleure exécution, de regrouper les contributions volontaires au sein du ministère des affaires étrangères, et de ne pas les éparpiller entre les ministères.

Le deuxième point, qui est lié, concerne la lutte contre le réchauffement climatique. On sait que c'est une priorité stratégique qui a des aspects politiques non négligeables. Là aussi, l'expression de notre volonté politique peut rassembler les Français. Et au fond, elle les rassemble, avec les crises que nous avons connues ici même.

D'une part, il semble que la France n'honore pas ses promesses de contribution au Secrétariat de la convention des Nations unies sur le changement climatique, car les sommes correspondantes sont imputées sur les budgets de plusieurs ministères qui ne débloquent pas les fonds, et on rejoint le problème de l'éparpillement.

D'autre part, l'organisme d'expertise internationale compétent, le GIEC, ne reçoit de notre part que 310 000 francs suisses, soit un financement équivalent à celui de l'Espagne, alors que l'Allemagne y consacre 1 million de francs suisses, les Etats-Unis 4,3 millions et le Japon 6,6 millions.

Lors du Sommet de Delhi, la France n'a, par ailleurs, pas été en mesure de débloquer la somme modeste de 50 000 euros pour financer un programme relatif aux échanges de quotas au niveau international dans le cadre du protocole de Kyoto, ce qui est regrettable eu égard aux développements attendus en la matière et à leurs retombées économiques potentielles.

De même, la France n'a pas à ce jour, à ma connaissance, contribué au Fonds spécial pour le changement climatique, fonds complémentaire du FEM créé dans le cadre de la convention Climat.

Nous ne pouvons, d'un côté, inciter la Russie, à défaut des Etats-Unis, à ratifier le protocole de Kyoto, et de l'autre, par notre faible présence au niveau de l'expertise en particulier, et même de la présence humaine, laisser le champ libre aux manœuvres anglo-saxonnes.

Les moyens humains et financiers à développer, comme la réorganisation à opérer en matière de coordination entre ministères, sont, soulignons-le, d'ampleur modeste. Il ne serait donc guère difficile de les réaliser et de faire en sorte que, dans une démarche qui, je le répète, participe de la vision du monde que nous voulons faire partager, l'absence ou le gel des crédits n'affecte pas notre crédibilité internationale.

Mme la présidente. Monsieur Guillet, je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Jean-Jacques Guillet. Je termine, madame la présidente.

Monsieur le ministre, je crois, comme vous, que la France a un destin et qu'elle ne connaît pas le déclin dont on nous rebat les oreilles. L'expression de notre nécessaire volonté passe parfois par des aménagements modestes qui permettraient de mieux la faire comprendre et de répondre à cette attente de France que nous connaissons partout dans le monde.

Cela dit, je ne manquerai pas de vous manifester mon soutien en votant votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de remercier l'ensemble des orateurs pour leurs contributions nourries à ce débat.

Si vous le voulez bien, je répondrai aux intervenants en m'efforçant de regrouper les thèmes de leurs interventions.

En premier lieu, j'aborderai les questions relatives aux Français de l'étranger et aux étrangers en France, qui ont été évoquées par MM. Cousin et Pinte ; ensuite celles qui ont trait à l'influence de la France au regard des réformes en cours à l'ONU ou au sein de l'Union européenne, pour répondre aux interrogations de MM. Garrigue et Lefort ; enfin, celles relatives à notre politique du Moyen-Orient et de l'Asie qui ont été posées par MM. Lefort et Garrigue.

Mais, auparavant, je veux répondre à MM. Myard et Sicre, qui estiment que ce budget ne permet pas à la France de tenir son rang sur la scène internationale.

Oui, monsieur Myard, vous avez raison : la France a un rôle particulier à jouer sur la scène internationale. Il reste que nous nous inscrivons dans un contexte budgétaire défavorable et que nous nous sommes engagés à limiter la dépense publique.

Vous avez évoqué les réductions d'emplois depuis dix ans. Certes, nous en perdons à nouveau, mais ces 116 postes pourront être compensés par une gestion plus serrée des vacances d'emplois.

De même, les réductions d'effectifs ont pu être compensées par des gains de productivité comme ceux qui ont résulté de la fusion avec le ministère de la coopération. Enfin, à l'image d'une organisation qui se professionnalise, si nous avons perdu des effectifs, nous en avons également beaucoup transformé en emplois de catégories supérieures.

C'est en recherchant en notre sein des marges de manœuvre que nous trouverons les ressources nécessaires au financement de la modernisation. C'est le sens de l'exercice que j'ai lancé sur nos réseaux. C'est le but de la simplification et de la rationalisation en cours de nos méthodes de travail. C'est l'objectif de la stratégie ministérielle de réforme dont je vais saisir le Premier ministre.

Mais cette mise en cohérence, cette efficacité accrue, ces nouveaux rendements, ne peuvent reposer sur le seul ministère des affaires étrangères. Je vous l'ai dit tout à l'heure, c'est par la mise en perspective des missions de tous les services de l'Etat présents à l'étranger que nous y parviendrons. La mission interministérielle "Action extérieure de l'Etat" peut nous apporter cette vision transversale.

Le pessimisme de votre analyse, monsieur Sicre, s'apparente à celui de ces descriptions d'une France soumise à la fatalité, qui aurait perdu son rayonnement dans le monde et se replierait dans un conservatisme morose.

La cause de ce repli serait, selon vous, l'état de notre économie. Mais, au-delà d'une conjoncture difficile, il faut aussi être juste, et reconnaître la vitalité, l'audace, l'énergie et les succès de notre pays. Il faut reconnaître le dynamisme de la France, de la société française et de nos industries - Air France, Renault, nos industries aéronautiques ou spatiales sont autant d'exemples de ce que la France sait faire de mieux. Aucun de nos partenaires, y compris en Europe, ne doute de notre capacité à poursuivre notre marche en avant.

Vous avez également évoqué les discussions en cours à Bruxelles sur le pacte de stabilité. Le Gouvernement entend, bien évidemment, s'en tenir à la parole donnée. Les règles du pacte s'imposent à tous, car il y va du succès et de la solidité de l'euro, mais notre souci est de veiller, dans la conjoncture difficile que nous connaissons actuellement, à ce que le respect de la discipline budgétaire ne remette pas en cause les premiers signes de la reprise économique et ne porte pas atteinte à la protection des emplois dans notre pays. Je ne doute pas, monsieur Sicre, de pouvoir compter sur votre soutien sur ce point.

Enfin, monsieur Sicre, comme il est triste que vous n'entendiez pas la parole de la France, alors que, partout, tous les Français, les Européens et tant de peuples amis l'entendent ! La politique a parfois des mystères que la raison ignore, mais je ne doute pas que la France, sans calcul ni arrière-pensée, continue de nous rassembler tous face aux difficultés du monde.

J'en viens maintenant aux questions posées par M. Cousin et M. Pinte à propos des Français à l'étranger et des étrangers en France.

La sécurité des communautés françaises à l'étranger est une priorité du budget pour 2004. Cet effort, qui concerne deux millions de Français établis à l'étranger et environ cinq millions de touristes français à l'étranger, couvre des risques aussi variés et graves que le terrorisme, les crises politiques majeures ou les catastrophes naturelles.

Beaucoup a été fait, depuis l'été 2002, pour renforcer l'efficacité de notre dispositif de sécurité, avec, notamment, la création d'un comité de sécurité interministériel, l'envoi de missions interministérielles d'évaluation dans les pays les plus exposés, la remise à jour des équipements de télécommunication et des stocks de sécurité de nos ambassades, la modernisation des plans de sécurité des ambassades et la diffusion de fiches réflexes.

Le ministère des affaires étrangères apporte par ailleurs une aide sociale permanente à plus de cinq mille de nos compatriotes les plus démunis. Nous soutenons une centaine d'associations françaises de bienfaisance à l'étranger. Nous finançons également l'approvisionnement en matériel et en médicaments des centres médicaux de nos postes dans les pays dépourvus d'infrastructures médicales fiables.

Les propositions des comités consulaires pour la protection et l'action sont examinées avec le souci de l'équité dans l'attribution des aides et de l'efficacité dans la gestion.

En 2004, dans le cadre d'une enveloppe budgétaire stabilisée, nous poursuivrons notre effort de solidarité en faveur des plus démunis, en particulier des handicapés. A plus long terme, nous réfléchissons à la participation accrue des élus des Français de l'étranger à la gestion de leurs aides sociales.

Monsieur Pinte, vous m'avez interpellé sur les conséquences du projet de loi relatif à l'immigration et au séjour des étrangers en France, qui vient d'être adopté par le Parlement, et prévoit l'abrogation de la double peine. Désormais les étrangers qui ont obtenu la levée d'une mesure d'expulsion ou d'une mesure d'interdiction du territoire bénéficient, sauf en cas de menace pour l'ordre public, d'un visa d'entrée en France. Les autorités consulaires examineront au cas par cas les demandes.

Soyez assuré que nos consulats recevront prochainement les instructions nécessaires pour appliquer les dispositions de cette nouvelle loi, et que tous nos consulats sont mobilisés pour assurer la délivrance des visas avec humanité, dans le respect de nos lois et sous le contrôle du juge. Chaque cas, nous le savons en conscience, est un cas particulier. Nous voulons l'examiner avec le souci de la justice. Gardons-nous, sur ce sujet difficile, des conclusions hâtives et de la bonne conscience, qui ne font ni le cœur ni les mains. Oui, faisons mieux : dans une tâche difficile, c'est l'honneur et le devoir de la France.

Je vous rejoins, monsieur Gantier, pour dire que la France a un message à apporter au monde, et que la mission du ministère des affaires étrangères est de redonner à la France la place qui doit être la sienne.

C'est très justement que vous dites que la voix de la France est attendue et écoutée. De par son histoire, ses liens avec d'autres cultures et sa vision politique, notre pays est bien placé pour comprendre et exprimer les réalités du monde nouveau.

Monsieur Lefort, vous m'avez dit tout à l'heure, au nom du groupe communiste, que j'ai choisi le droit et le multilatéralisme, et c'est vrai. Dans le monde d'aujourd'hui, aucun peuple n'est disposé à accepter des solutions extérieures, imposées par la force. S'il ne prend pas appui sur le socle du droit et des valeurs universelles, s'il n'est pas fondé sur le dialogue et le respect de l'autre, le nouvel ordre mondial ne sera pas accepté.

Voilà pourquoi l'ONU, l'OSCE et, bien sûr, l'Union européenne ont un rôle essentiel à jouer.

Je tiens à rappeler que, dans le domaine de la coopération et de la sécurité européenne, l'OSCE est une organisation unique, qu'il nous faut soutenir sans hésitation. Elle occupe une place centrale parmi les organisations européennes de sécurité. C'est la seule enceinte de sécurité européenne où Moscou puisse dialoguer directement avec toute l'Europe, ainsi qu'avec les Etats-Unis et le Canada. Avec environ 250 agents titulaires et du personnel mis à disposition par les Etats membres, elle est une organisation souple et flexible. La France contribue à son budget à hauteur de 10 %, ce qui représente un versement annuel de 19 millions d'euros.

En ce qui concerne la réforme des Nations Unies, monsieur Garrigue, la France a intérêt à ce que le système multilatéral puisse apporter des réponses aux défis actuels en matière de paix, de sécurité, de développement, de santé, d'environnement et d'accès à l'information. Pour éviter le règne de la loi du plus fort, il faut rendre les institutions des Nations unies plus légitimes, et donc plus efficaces.

La France a fait des propositions de réforme du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale par la voix du Président de la République, qui a plaidé pour une action efficace contre la prolifération et le terrorisme et a exprimé un soutien résolu en faveur des droits de l'homme, de l'environnement et de l'aide au développement.

L'Union européenne est, pour notre pays, un relais et un multiplicateur d'influence, même si elle ne va pas toujours aussi loin et aussi vite que la France le souhaiterait. Nous sommes favorables à un renforcement de la présence et de la cohésion de l'Union aux Nations Unies, dans le cadre des arrangements qui sortiront de la conférence intergouvernementale, avec, notamment, la création d'un ministre européen des affaires étrangères.

Enfin, sur ces matières institutionnelles, M. Lefort a posé la question d'un référendum pour l'adoption de la Constitution européenne.

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. le ministre des affaires étrangères. Pour le moment, chez nos voisins européens, quatre Etats ont choisi la voie référendaire :...

M. Henri Emmanuelli. Ah ! Il y a donc déjà quatre démocraties !

M. le ministre des affaires étrangères. ... l'Espagne, le Luxembourg, le Danemark, et l'Irlande Ces deux derniers pays sont dans l'obligation, aux termes de leur Constitution, d'organiser cette consultation, que la Suède a exclue et que la Constitution de l'Allemagne interdit.

Alors que la négociation est toujours en cours, il est prématuré de se prononcer sur le mode de ratification que nous choisirons pour la future Constitution européenne. Cette décision, vous le savez, appartient au Président de la République, qui vient de consulter les formations politiques représentées au Parlement. L'important, en fin de compte, est qu'un débat ait lieu, et qu'il porte sur l'Europe.

J'en viens maintenant aux questions qui m'ont été posées à propos de diverses régions du monde.

M. Garrigue a souligné la place de plus en plus importante des puissances asiatiques. Ce continent est pour nous un enjeu majeur. Il a un poids croissant dans les affaires du monde, comme l'illustrent, par exemple, le rôle de la Chine dans la crise coréenne ou celui de l'Inde à Cancun.

C'est aussi la zone de tous les défis en termes de sécurité, avec la prolifération des armements nucléaires en Corée du nord, le terrorisme en Afghanistan et en Asie du sud-est, la drogue en Birmanie, la criminalité financière, le trafic des êtres humains et les épidémies.

La très forte croissance économique de ces pays, de l'ordre de 8 %, est un moteur de la croissance mondiale. Nos exportations y sont capitales pour notre économie.

C'est, enfin, une cible majeure pour nos échanges universitaires et culturels. Nous devons en effet accueillir davantage d'étudiants de cette région du monde. A cet égard, l'Asie se trouve à nos côtés dans la promotion de la diversité culturelle, comme l'a montré son soutien à notre projet de convention lors du débat qui s'est tenu en octobre à l'UNESCO.

Avec la Chine et l'Inde, notre partenariat passe par des sommets annuels, un dialogue stratégique, l'appui à nos entreprises et des crédits culturels en hausse. Avec le Japon, nous entretenons un dialogue politique étroit, notamment sur l'Irak et la Corée du nord.

M. Garrigue et M. Lefort ont également abordé la question du conflit israélo-palestinien. Jean-Claude Lefort m'a demandé d'être « l'homme de la paix au Proche-Orient ». Mais la paix au Proche-Orient ne peut être l'œuvre d'un seul homme, ni d'un seul Etat. C'est aux peuples de la région qu'il convient de la faire, en sortant de la logique des préalables, et en montrant enfin qu'ils veulent progresser et se reconnaître mutuellement le droit à l'existence dans la sécurité. Ces deux peuples ont connu l'exil et le déni d'identité. Qui mieux que chacun d'eux pourrait comprendre l'autre ?

C'est à eux de faire la paix. Mais nous pouvons les y aider. Un cadre de règlement existe : la feuille de route. Il faut trouver un mécanisme pour y entrer. A cet effet, nous avons un devoir collectif d'action. Le Quartette doit retrouver son rôle d'impulsion. Les pays de la région doivent assumer leurs responsabilités. L'Europe, qui a montré sa capacité à intervenir dans le règlement de l'affaire du programme nucléaire iranien, peut agir utilement et doit se mobiliser.

Sur l'Irak, enfin, et pour répondre encore à M. Garrigue et à M. Lefort, que je remercie de leur soutien, notre politique s'articule autour de trois principes : d'abord, la légitimité, fondement de la démocratie à l'intérieur des Etats comme à l'échelle de la communauté internationale ; ensuite, l'équité et la justice, qui doivent nous conduire à appliquer les mêmes critères au règlement de toutes les crises ; enfin, la responsabilité collective, qui demeure le meilleur garant de la stabilité du monde face à la tentation de l'unilatéralisme.

Dans ce cadre, nous avons une conviction et une volonté. Une conviction : la logique d'occupation doit céder le pas à la logique de souveraineté, à travers la mise en place, aussi rapide que possible, d'un gouvernement irakien de transition. Une volonté : celle d'être aux côtés des Irakiens pour participer à la reconstruction quand les conditions seront réunies.

Avant de céder la parole à M. Pierre-André Wiltzer, qui répondra aux questions posées par MM. Herbillon, Bourg-Broc, Guillet et Janquin, je rappellerai à M. Janquin, qui réclame en quelque sorte des « preuves d'amour » pour l'Afrique, que je me suis rendu sur le continent africain plus qu'aucun de mes prédécesseurs, que la France, engagée à la demande de nos partenaires - des pays de la région et de la communauté internationale - y est partout présente pour encourager le règlement de toutes les crises, que ce soit en Centrafrique, au Congo ou en Côte d'Ivoire, comme hier à Madagascar.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Ça n'a pas toujours été le cas !

M. le ministre des affaires étrangères. La France est engagée et mobilisée au service de l'Afrique, comme le sont nos compatriotes, avec courage : faut-il rappeler que quatre mille soldats de la paix sont présents en Côte d'Ivoire, et que dix mille de nos compatriotes restent dans ce pays, par conviction, par fidélité et par amour de l'Afrique ? Alors, monsieur Janquin, quelle autre preuve d'amour voulez-vous ?

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Pour conclure, je n'évoquerai que la France d'aujourd'hui et de demain. Notre diplomatie a changé de nature. Elle est aux avant-postes, vigilante et guidée par l'exigence d'action. Son ambition est de contribuer à l'émergence d'une communauté internationale mieux organisée, soucieuse de justice, de tolérance et de solidarité. J'ai le sentiment que notre pays est de plus en plus entendu, et que nous devons tous en être fiers.

M. Jacques Myard. A condition qu'il soit indépendant !

M. le ministre des affaires étrangères. Votre soutien sur l'Irak, le Proche-Orient ou l'Afghanistan témoigne de notre capacité à nous rassembler autour des valeurs de la République et à nous unir chaque fois que l'essentiel est en jeu. Je souhaite maintenir cet esprit de dialogue, dans le respect de nos différences et avec la conviction que nous défendons tous les intérêts de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, je voudrais remercier à mon tour les porte-parole des groupes de l'UMP et de l'UDF pour leur soutien. Pour ma part, je m'efforcerai de compléter brièvement les réponses qui viennent d'être apportées par le ministre des affaires étrangères.

S'agissant de l'aide publique au développement, qui a été évoquée par de nombreux orateurs, je constate qu'un large consensus s'est exprimé pour saluer l'accroissement de notre effort national dans ce domaine, et c'est heureux. Toutefois, j'ai relevé dans les propos de M. Janquin, qui s'exprimait au nom du groupe socialiste, une sorte de revendication de paternité en la matière. Il ne s'agit pas, ici, d'engager un procès en recherche de paternité, et encore moins une querelle. Néanmoins, il faut, dans ces matières, se référer à des faits, à des mesures incontestables. Or tout observateur digne de ce nom ne peut que constater que c'est au cours des années 1997 à 2001 que l'effort d'aide au développement de notre pays a été historiquement le plus bas,...

M. François Rochebloine. C'est vrai !

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. ... puisque, de 0, 39 % du PIB en 1997, il est passé à 0,34 % en 1998 et 1999, puis à 0, 3 % en 2000 et 0, 31 % en 2001. Ce n'est qu'à partir de 2002 que ce taux augmente à nouveau, pour atteindre 0, 37 %. Je suis tout prêt à entendre les critiques et les conseils - surtout les conseils, d'ailleurs |-, mais il me semble qu'il vaut mieux ne pas polémiquer sur ce sujet.

M. Serge Janquin. Ce n'était pas une polémique, mais le constat des mérites de la cohabitation !

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Je le note, monsieur Janquin.

MM Lefort, Bourg-Broc et Janquin ont estimé qu'une loi de programmation permettrait de donner une perspective à notre effort en matière d'aide au développement.

S'il s'agit de définir des objectifs pluriannuels chiffrés, je rappelle qu'ils existent déjà et que nous disposons également d'outils qui permettent notamment - je viens de l'indiquer - de mesurer l'effort financier en établissant le pourcentage du produit intérieur brut consacré à l'aide au développement. Dès lors, une loi de programmation n'ajouterait pas grand-chose.

S'il s'agit de disposer d'une sorte de tableau de bord qui permette une connaissance plus approfondie des perspectives et de la répartition des crédits entre les principaux instruments de gestion budgétaire en fonction des objectifs fixés, la mise en œuvre des dispositifs prévus par la LOLF est certainement le moyen le plus pertinent de répondre à ce souhait que je crois partagé par tous. Dans ces conditions, je ne suis pas certain qu'une loi de programmation présenterait des avantages significatifs.

Je partage donc le souci exprimé par MM Lefort, Bourg-Broc et Janquin, mais je pense que de telles dispositions sont moins prioritaires depuis que nous travaillons dans le cadre de la LOLF.

M. Jean-Claude Lefort s'est inquiété de l'opacité ou de l'insuffisante transparence des contrats de désendettement et de développement. Je dois dire que son inquiétude me paraît un peu excessive.

M. Jean-Claude Lefort. Un peu seulement !

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. En effet, j'ai lu en détail le rapport présenté au nom de la commission des finances par M. Emmanuelli, et les trois ou quatre pages qu'il consacre au problème des C2D contiennent une analyse très fouillée et très précise de ce dispositif. Y figurent toutes les indications nécessaires sur une procédure qui est nouvelle et doit donc être rodée. Les remarques de M. Lefort me paraissent donc plutôt relever du procès d'intention et j'espère que nous pourrons lui en apporter la preuve. J'ajoute que le rapporteur de la commission des finances souligne que cette procédure permet en particulier d'associer les sociétés civiles du Sud et du Nord et les grandes organisations non gouvernementales à ce processus. La démarche est donc bien inspirée par le principe de transparence.

J'en viens aux problèmes relatifs à la langue française, soulevés par plusieurs orateurs, dont MM Bruno Bourg-Broc et Michel Herbillon, qui se sont exprimés plus longuement sur ce sujet. Ils ont notamment évoqué la place de la langue française dans les institutions européennes et dans les systèmes éducatifs des Etats membres, ainsi que les moyens que nous pouvons mobiliser pour éviter que ne diminue l'influence de notre langue. Sur ce sujet, il nous faut mener une bataille sur plusieurs fronts simultanément.

Nous devons, tout d'abord, garantir le statut juridique et pratique du français dans les institutions européennes. Je n'entrerai pas dans les détails, faute de temps. Vous savez que dans certaines enceintes, deux langues officielles sont reconnues - l'anglais et le français -, dans d'autres trois : l'anglais, le français et l'allemand. Enfin, dans le système général, toutes les langues ont, en théorie, le droit d'être parlées, mais, avec l'élargissement, nous nous heurtons à des difficultés pratiques, financières et matérielles, de toute sorte. La question qui se pose est donc de savoir comment nous pouvons, dans ce contexte, défendre le mieux possible la langue française. Il est tout à fait clair qu'il convient, d'une part, de s'appuyer sur les dispositions, les textes et les conventions existants et, d'autre part, de rechercher le soutien d'un certain nombre d'alliés et de partenaires européens qui souhaitent faire prévaloir le plurilinguisme sur un monolinguisme, de fait ou de droit, qui pourrait s'imposer, ou s'imposerait inéluctablement. Des discussions très complexes portent actuellement sur les langues pivots ou sur les systèmes dits de marché. Il est clair qu'il s'agit d'une bataille très importante dans laquelle nous sommes particulièrement engagés.

Nous devons ensuite favoriser l'enseignement obligatoire de deux langues vivantes dans tous les pays européens, et sept d'entre eux l'ont déjà imposé. La preuve a en effet été apportée, depuis que ces dispositions sont en vigueur, notamment en Espagne et en Italie, que ce dispositif profite au français, qui est souvent choisi comme seconde langue, après l'anglais. Ainsi, en Italie, la réforme de l'enseignement des langues a entraîné un brusque accroissement de la demande d'enseignement du français.

Enfin, dans le cadre de l'organisation internationale de la francophonie, nous avons défini et mis en œuvre un plan d'action pour l'Europe, lequel s'ajoute aux programmes nationaux de formation existants qui s'adressent aux experts et aux diplomates des pays nouvellement entrants, et aux dispositifs destinés aux fonctionnaires des institutions européennes.

La défense de la langue française en Europe fait donc l'objet d'une très grande mobilisation sur le terrain. Encore une fois, nous avons la conviction que ce n'est pas en s'opposant à toutes les autres langues que le français peut avoir des chances raisonnables de s'imposer. Il faut faire en sorte qu'il prenne sa place parmi les grandes langues internationales, en recherchant le concours, dans le cadre d'un plurilinguisme bien organisé, d'un certain nombre d'alliés - je pense en particulier à nos voisins allemands, qui sont désormais très mobilisés sur ce sujet.

Avant de répondre à la question précise que m'a posée M. Michel Herbillon, je saisis l'occasion qui m'est offerte pour rendre hommage à son rapport, dont les propositions ont été reprises par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Sa question portait sur le projet de convention sur la diversité culturelle qui doit être examiné par l'UNESCO. Il s'agit là d'un autre combat majeur, universel celui-là. Vous savez que, lors du Sommet de Beyrouth, et à l'initiative de la France, notamment du Président de la République, l'organisation internationale de la francophonie a fait de la diversité culturelle le socle de son engagement. Du reste, c'est en envisageant les choses sous cet angle que la francophonie a acquis une visibilité et une influence beaucoup plus grandes que par le passé dans toutes les autres aires culturelles et linguistiques du monde.

La bataille engagée dans le cadre de l'UNESCO a pour but d'aboutir à l'adoption d'une convention internationale qui définirait, pour les biens culturels, des règles dérogeant à celles de l'OMC. Cette démarche a été lancée lors de la dernière assemblée générale de l'UNESCO, qui s'est tenue à Paris il y a quelques semaines à peine. Une large majorité des Etats membres de cette organisation ont mandaté son directeur général, M. Matsuura, pour qu'il mette immédiatement à l'étude la préparation de cet instrument international qui garantirait la diversité culturelle en reconnaissant aux Etats la possibilité de la protéger, en tout cas de définir des règles particulières applicables à leurs productions culturelles.

M. Janquin s'est inquiété de certains effets de la régulation budgétaire, notamment en ce qui concerne l'assistance technique et les organisations de solidarité internationale.

S'agissant de l'assistance technique, je veux lui dire que les gels budgétaires ou les suppressions de reports de crédits ont eu un effet tout à fait fâcheux et négatif, nul ne le nie. Ils ont concerné, au cours de l'année 2003, 359 postes : 100 de volontaires internationaux et 259 d'emplois civils ordinaires. Ces postes seront dégelés à compter du 1er janvier 2004. Au début du mois de novembre, 52 contrats étaient déjà prêts à être signés et seront applicables au 1er janvier prochain. D'ici à la fin de l'année, d'autres contrats seront signés. Je peux donner l'assurance qu'aucun des agents dont le départ a été différé en raison de ces gels n'a subi de difficultés administratives. Tous ont pu être réintégrés. Evidemment, ces perturbations ont provoqué pas mal de remue-ménage et de troubles, ce qui se comprend bien, mais, heureusement, aucun agent n'a été pénalisé dans sa carrière. Je pense qu'à partir du 1er janvier nous pourrons passer ce cap et chacun pourra, avec quelques mois de retard, regagner le poste qui lui était destiné.

M. Herbillon et M. Jean-Yves Cousin m'ont interrogé, ainsi que le ministre des affaires étrangères, sur l'avenir de l'agence de l'enseignement du français à l'étranger - l'AEFE - ainsi que sur les relations de cette grande agence avec le ministère de l'éducation nationale.

Je souhaite tout d'abord rappeler que l'AEFE est un opérateur tout à fait essentiel et un vecteur d'influence très important pour notre pays. Actuellement, près de 160 000 élèves sont scolarisés dans 268 établissements qui enregistrent, chaque année, l'inscription d'environ un millier d'élèves supplémentaires. La subvention versée par l'Etat, inscrite au projet de budget qui vous est soumis, est importante, puisqu'elle se monte à 332 millions d'euros. Certes, elle enregistre une légère baisse par rapport à l'année dernière - moins 1, 68 % -, mais cette réduction n'affectera pas les capacités de l'AEFE, notamment parce que, comme cela a été souligné ce matin, son fonds de roulement bénéficiera d'effets de change favorables,...

M. François Rochebloine. Absolument !

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. ... qui lui permettront d'être un peu plus à l'aise dans son fonctionnement.

Un effort financier particulier de 1 million d'euros, soit une augmentation de 2,5 %, sera consenti en 2004 en faveur des bourses scolaires.

En ce qui concerne l'éducation nationale, elle ne participe directement ni au financement ni à la gestion de l'AEFE. En revanche, elle travaille en étroite concertation avec elle pour tout ce qui relève de la vie éducative.

Enfin, je voudrais faire écho aux observations de M. Jean-Jacques Guillet concernant nos contributions volontaires à différentes organisations internationales et agences, notamment des Nations unies. Il a évoqué en particulier notre contribution au programme des Nations unies pour l'environnement, le PNUE.

Nombre de ces contributions volontaires sont notoirement insuffisantes, j'en conviens. Leur majoration fait d'ailleurs partie de nos objectifs. Nous aurions aimé pouvoir intervenir dès cette année mais le contexte budgétaire ne l'a pas permis. Cela reste tout de même une des priorités que nous souhaiterions satisfaire le plus rapidement possible.

En 2003, la contribution de la France au programme des Nations unies pour l'environnement s'est élevée à 3 100 000 euros, payés pour moitié par les affaires étrangères, pour moitié par le ministère de l'écologie et du développement durable. C'est insuffisant, c'est certain, mais il nous paraît difficile de redéployer les contributions volontaires que nous versons à d'autres organisations, je pense notamment au Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, au programme alimentaire mondial, au CNUD, au Comité international de la Croix-Rouge. Les marges de manœuvre sont très étroites cette année. Nous essaierons de faire mieux l'année prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par le groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le ministre, la feuille de route puis le récent accord dit de Genève ont fait naître des espoirs de paix. Or le gouvernement Sharon juge l'initiative de Genève pire que les accords d'Oslo, tandis qu'il s'obstine à construire un mur, qu'il qualifie cyniquement de clôture de sécurité alors qu'il s'agit de rien de moins que d'un mur d'apartheid, dont le tracé lui permettra d'englober 40 % de la Cisjordanie. Il donne par ailleurs le feu vert à la colonisation. Tout cela est contraire au droit international. Cela est si vrai que l'assemblée générale des Nations unies a adopté, le 21 octobre dernier, une résolution exigeant qu'Israël revienne sur sa décision et arrête la construction du mur dans les territoires palestiniens occupés.

Dans la mesure où Israël a fait connaître son intention de poursuivre la construction du mur et la colonisation, signifiant ainsi son refus de tout accord de paix, la communauté internationale va-t-elle et peut-elle encore rester passive ?

Les Etats-Unis avaient envisagé une réduction de leur aide financière à proportion du coût de ce mur. Ils y ont renoncé. Le Parlement européen a voté une résolution demandant la suppression de l'accord d'association Israël-Union européenne pour non-respect de son article 2. Elle n'a pas été mise en œuvre.

Monsieur le ministre, de quelle manière plus "intrusive", pour reprendre votre expression, allez-vous agir pour que les autorités israéliennes s'assoient à la table des négociations ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, nous partageons votre préoccupation concernant la situation au Proche-Orient, en particulier vis-à-vis de la population palestinienne, si éprouvée depuis tant d'années.

La dégradation de la situation dans les territoires n'a cessé de s'accélérer pour ce qui concerne tant les conditions de vie que les perspectives d'avenir. L'espoir même ne leur est pas permis.

Face à cela, vous avez raison, il faut réagir. Il faut que la communauté internationale maintienne vivantes des perspectives d'action, des perspectives de paix. Nous nous sommes engagés dans une action résolue pour concevoir la feuille de route. Les européens ont pesé de tout leur poids pour que cette feuille de route soit enfin rédigée et mise en œuvre. L'ensemble des parties, Palestiniens, Israéliens, et tous les pays de la région ont accepté de s'engager dans ce processus.

Nous devons poursuivre cette démarche. Mais la situation évolue avec la colonisation et la construction du mur. Nous dénonçons cette opération d'autant plus fortement que le mur ne suit même pas les frontières de 1967, qui constituent le cadre de règlement accepté par la communauté internationale, nous laissant penser que toute perspective politique est inopportune, que tout plan de paix est pour le moment impossible.

Dès lors, faut-il entrer dans une logique de répression et de sanctions ? Nous ne croyons pas que ce soit la bonne réponse. En effet, seul un effort de paix, seule une mobilisation de la communauté internationale peut relancer le processus. Pour cela, nous continuons à préconiser l'accélération de la mise en oeuvre de la feuille de route. Nous préconisons toute solution permettant d'avancer. A ce titre, nous avons salué l'accord de Genève, qui fixe un horizon et nous paraît complémentaire des propositions contenues dans la feuille de route.

Pour lancer la feuille de route, nous avons soutenu l'idée d'une conférence internationale et d'une force d'interposition qui permettrait de garantir la sécurité pour les Israéliens et pour les Palestiniens. Il faut que chacun se décide à remplir ses devoirs et à prendre ses responsabilités.

Pour les Palestiniens, cela veut dire renoncer à la violence, renoncer au terrorisme. Pour les Israéliens, cela veut dire renoncer à toute perspective de colonisation, s'engager résolument dans ce processus de paix que nous défendons. Nous ne voyons pas d'autre issue que politique et diplomatique, nous l'avons dit à chacun. Toute politique sécuritaire ne peut conduire dans cette région qu'à plus d'insécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort. Monsieur le ministre délégué, ma question est certes d'ordre budgétaire mais, plus fondamentalement, elle met en cause l'incroyable dispersion des moyens de notre action internationale qui conduit, dans de nombreux domaines, à rendre notre action illisible, comme asséchée, sans vision, sans dessein.

Pour me faire comprendre, je prendrai l'exemple de notre participation à la lutte mondiale contre les trois pandémies que sont le sida, la tuberculose et le paludisme.

Comment se présentent les choses aujourd'hui ? Notre participation au fonds mondial de l'ONU, qui, je l'espère, sera bien celle annoncée, est inscrite au budget de Bercy. De même, la question de l'accès des pays pauvres aux médicaments contre le sida dépend de ce même ministère mais, cette fois-ci, via l'Union européenne et les négociations OMC. A cela s'ajoutent des programmes menés de façon bilatérale par le ministère de la coopération, celui de la santé ou encore par l'Union européenne par l'intermédiaire du FED.

Résultat : si on propose légitimement de déclarer l'urgence sanitaire mondiale, les efforts français sont dispersés, quand ils ne sont pas obérés par une vision purement mercantile de ces questions.

L'accord sur les médicaments réalisé à l'OMC est particulièrement étroit et totalement inapplicable. Il est en effet soumis aux desiderata des industries pharmaceutiques. Comment voulez-vous dans ces conditions qu'il soit donné suite à l'appel d'urgence sanitaire mondial ? Or je rappelle que ces trois fléaux provoquent 6 millions de morts chaque année, soit 700 morts toutes les heures, et qu'on enregistre non pas un reflux mais un développement de ces pandémies.

On pourrait mettre en place au plan international une caisse de sécurité sanitaire qui, sans dédaigner le coût des brevets et les besoins de recherche, permettrait de considérer les choses autrement et de s'attaquer radicalement à ces trois pandémies particulièrement ravageuses, notamment par la mise à disposition de médicaments à bas coût pour tout le monde, évitant ainsi toute possibilité de trafic.

Mme la présidente. Monsieur Lefort, je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Jean-Claude Lefort. Je termine, madame la présidente.

Pour que cette vision d'avenir dominée par le sens de l'intérêt l'emporte sur toute autre considération, il faut commencer par faire le ménage dans notre pays. Il faut arrêter d'avoir des moyens dispersés et des intervenants aux logiques différentes, et décider de disposer d'un acteur principal capable d'identifier les intentions françaises.

Monsieur le ministre délégué, le Gouvernement pense-t-il aller clairement dans ce sens et dans quel délai ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le député, vous évoquez le problème de la mobilisation des moyens que notre pays consacre à la lutte contre un certain nombre de grandes pandémies comme le sida, la tuberculose et le paludisme.

Il est exact qu'une certaine diversité règne dans ce domaine, aussi bien sur le plan international qu'en France. Les opérateurs et les organismes qui sont, d'une manière ou d'une autre, appelés à contribuer à la lutte contre ces pandémies sont multiples, vous avez raison. En même temps, on note une prise de conscience de la nécessité de coordonner et de créer les bonnes synergies.

Le nouveau directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, qui est l'un de ces opérateurs, était, voici deux jours, à Paris. Nous avons discuté avec lui, mon collègue Mattei et moi-même, de la façon dont devrait dorénavant s'organiser de manière plus efficace l'articulation entre les trois opérateurs principaux que sont l'OMS, l 'ONUSIDA, qui est l'agence des Nations unies dédiée à cette action, à laquelle nous versons une contribution de 1 150 000 euros, et surtout le nouvel opérateur chargé de collecter les contributions des bailleurs de fonds, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

La France a pris l'initiative de réunir, il y a quelques semaines à Paris, une conférence des donateurs. A cette occasion, le Président de la République a annoncé que la France allait tripler son effort, en le portant de 50 millions d'euros à 150 millions d'euros le 1er janvier prochain. La France deviendra ainsi le deuxième contributeur mondial de ce fonds, juste derrière les Etats-Unis.

L'articulation entre ces trois principaux organismes internationaux, l'un qui va réunir les moyens d'action et les deux autres qui seront chargés de piloter les bonnes politiques pour les mettre en œuvre, a été trouvée. Une convention nous garantit, je pense, que ces différents pôles fonctionneront ensemble, en liaison avec les systèmes nationaux.

En France, un certain nombre d'acteurs sont mobilisés par ce sujet capital, comme le sont le Gouvernement et l'ensemble des responsables publics.

Dans le même esprit, nous avons, Dominique de Villepin et moi-même, mis en place, le 28 mars dernier, une plate-forme de concertation et d'échange sur la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ainsi que quelques autres pandémies, qui réunit l'ensemble des acteurs français publics et les ONG représentant des bailleurs de fonds internationaux. Cette plate-forme s'est déjà réunie à deux reprises. Moi-même j'y participe parce que je pense qu'il est très important d'être actif dans cette affaire. Je pense que nous aurons, grâce à cette action conjuguée des différents acteurs, une meilleure efficacité.

Mme la présidente. Nous passons au groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

La parole est à M. André Schneider.

M. André Schneider. J'associe à ma question mon collègue Bernard Schreiner, vice-président du Conseil de l'Europe.

Monsieur le ministre, nous connaissons l'attachement du Gouvernement à la défense de Strasbourg comme siège des institutions européennes ainsi que votre implication personnelle dans ce dossier. Je tiens à saluer également le travail remarquable de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, pour la défense de Strasbourg.

Le Premier ministre a déclaré, lors de son récent passage au Parlement européen, qu'il souhaitait permettre à chaque député européen de se rendre à Strasbourg en moins de quatre heures.

Cet objectif ambitieux, essentiel dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, suppose, au minimum, la reconduite du soutien financier accordé actuellement par l'Etat et les collectivités locales à la desserte aérienne de Strasbourg, soit 19 millions d'euros sur trois ans, dont 12 à la charge du ministère des affaires étrangères. Or les ressources provisionnées sur le chapitre 42-37, article 90, qui s'élèvent à 2,6 millions d'euros, ne correspondent qu'au seul financement des liaisons existantes jusqu'au terme des conventions actuelles, c'est-à-dire jusqu'en mars prochain.

Afin de permettre la poursuite de l'exploitation des liaisons entre Strasbourg et les métropoles européennes, il serait nécessaire d'ajouter à cet article au moins 4 millions d'euros de mesures nouvelles en 2004.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer comment vous comptez financer ces liaisons à partir d'avril 2004 ?

M. Jacques Myard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vous avez avec raison souligné combien le Gouvernement est attaché au développement de la vocation de capitale européenne de Strasbourg, et l'importance de son accessibilité aérienne dans une telle perspective.

Comme vous l'avez rappelé, les conventions triennales qui lient l'Etat et les collectivités locales à plusieurs compagnies aériennes pour assurer la desserte de Strasbourg expireront en mars prochain. Leur renouvellement prend une importance particulière à la veille de l'élargissement de l'Union européenne. Le Gouvernement a décidé de lancer un appel d'offres visant à relier Strasbourg à six grandes plates-formes aéroportuaires européennes : Amsterdam, Copenhague, Madrid, Milan, Munich et Vienne. Le résultat de cet appel d'offres sera connu avant la fin de l'année. Le Gouvernement décidera alors, avec les collectivités locales partenaires, de l'ouverture effective de ces six lignes, et dégagera les crédits destinés au financement jusqu'à fin mars des actuelles conventions. Si ces appels d'offres sont fructueux, comme nous l'espérons, les grandes villes européennes, et notamment les capitales des dix futurs membres de l'Union, seront à une matinée de vol de Strasbourg, avec au plus une correspondance. Sera ainsi atteint l'objectif, fixé par le Premier ministre, de permettre à tous les députés européens de se rendre à Strasbourg en une matinée.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Messieurs les ministres, ma question vise, au nom du groupe socialiste, à revenir sur les conclusions de la mission Brochand, visant à la création d'une chaîne française d'informations internationales, qui ont été avalisées par le Gouvernement, au mépris le plus total des travaux de la mission d'information créée au sein de notre assemblée.

Messieurs les ministres, croyez-vous sincèrement à la viabilité de ce projet de mariage forcé - forcé du point de vue des opérateurs de l'audiovisuel public, bien entendu - entre TF1 et France Télévisions, deux chaînes en concurrence sur le marché intérieur, sur la base d'un partenariat cinquante-cinquante, d'autant plus choquant qu'il est financé par l'Etat à 100 % ?

Trouvez-vous normal que soient exclus de ce partenariat les opérateurs qui doivent à leur rôle historique une vraie connaissance du public et des réseaux de distribution internationaux, à savoir TV5 et RFI, et que soit privilégié un groupe privé au détriment d'un autre ?

Pour RFI, qui vient de payer un si lourd tribut à sa mission d'information sur le continent africain, pour TV5, dont l'existence engage la France, dans un cadre multilatéral, à l'égard de pays francophones amis, le signe que vient de donner le Gouvernement n'est-il pas des plus inopportuns ?

Ne vous apparaît-il pas discriminatoire envers nos concitoyens que cette future chaîne, bien que financée par le contribuable français, ne soit pas visible dans notre pays, au contraire par exemple de TV5, tout simplement pour ne pas gêner les intérêts d'une chaîne privée d'information continue déjà existante ?

Ne courez-vous pas le risque que soit contestée dès le départ l'indépendance vis-à-vis du Gouvernement de cette nouvelle voix de la France, puisque les programmes de la chaîne échapperont à tout contrôle du CSA, et que le soin d'en nommer le président ne sera pas confié à cette autorité administrative indépendante, situation exorbitante du droit commun ?

Enfin, n'est-il pas temps que le Gouvernement associe la représentation nationale à ce projet, en soumettant au débat parlementaire un projet de loi sur la mise en place de cette future chaîne, garantie supplémentaire d'un financement pérenne ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, je ne reviens pas sur la nécessité de cette chaîne d'information nationale, qui est, je crois, reconnue par tous.

Bernard Brochand a rendu un premier rapport au Premier ministre. Ce n'est qu'une première étape, qui définit un cadre général : une chaîne indépendante, fondée sur un partenariat entre le public et le privé, émettant dans un premier temps en français, en arabe, en anglais, le Maghreb, l'Afrique, le Proche et le Moyen-Orient tenant naturellement une place essentielle dans la définition et la programmation d'une telle chaîne.

Le Premier ministre a prolongé de trois mois la mission de Bernard Brochand. En effet beaucoup de questions subsistent, telles celles que vous vous posez, touchant des points précis du projet. Ce délai nécessaire doit être mis à profit pour définir précisément le cahier des charges de la future chaîne, analyser l'impact de sa création sur le dispositif existant de l'audiovisuel extérieur, et en tirer les conséquences. Sur ce point les propositions du rapport devront naturellement être analysées avec soin, et nous ne pouvons pas préjuger à ce stade ce que sera cette chaîne.

Il faudra par ailleurs clarifier ce que devront être les relations de cette chaîne indépendante avec l'Etat, et naturellement affiner les réponses aux difficiles questions qui touchent à son financement. Vous le savez, le budget du ministère des affaires étrangères ne comporte pas les moyens de financer une telle chaîne ; les marges de redéploiement des crédits consacrés aux opérateurs qui dépendent de lui - RFI comme TV5, qui ont connu ces dernières années un développement satisfaisant - sont inexistantes.

Je préfère donc à ce stade attendre la remise du rapport final, afin que le projet se précise et qu'on puisse prendre en compte l'ensemble des contraintes.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour une deuxième question.

M. Patrick Bloche. Monsieur le ministre, afin de libérer Mme Betancourt, militante écologiste et ancienne membre du Sénat de Colombie, otage des forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, depuis près de deux ans, le ministère des affaires étrangères a mené dans la forêt amazonienne une opération militaro-policière dont les résultats se sont avérés désastreux,

Le 8 juillet dernier en effet, un Hercules C-130, avion de transport de troupe, a quitté la base d'Evreux, dans l'Eure - et j'associe notre collègue François Loncle à cette question -, avec à son bord le directeur adjoint de votre cabinet, plusieurs agents de la DGSE et du personnel médical du Val-de-Grâce.

Sur le déroulement et le fiasco de l'opération, la presse brésilienne, suivie par une partie de la presse française, notamment Le Monde et Le Nouvel Observateur, ont fourni certaines informations, au contraire du gouvernement français, qui n'a daigné donner aucune explication, pas même à la représentation nationale.

Je souhaite en conséquence savoir pour quelle raison le gouvernement brésilien n'a pas été associé à cette opération, ni même tenu au courant, alors que le commando français s'est posé en terre brésilienne, sur l'aéroport de Manaus ?

Pourquoi l'équipe française a-t-elle refusé l'inspection de l'avion à Manaus ? A-t-il été question d'un échange, du versement d'une rançon, ou encore de la prise en charge médicale de Raul Reyes, l'un des chefs des FARC ? Pour quelles raisons les responsables du Quai d'Orsay n'ont-ils prévenu ni le ministère de l'intérieur ni les services du Premier ministre ?

Je demande donc à qui incombe en France la responsabilité de ce fiasco, quel en a été le coût financier et sur quel budget a été financée l'opération. Enfin - et c'est naturellement la question essentielle - quelles sont aujourd'hui, plusieurs mois après cette lamentable aventure, les perspectives d'une libération effective d'Ingrid Betancourt ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, je dois vous avouer que je préférerais ne pas avoir à répondre à ce type de propos. Je ne crois pas devoir remettre en cause votre bonne foi sur une telle question. J'observe néanmoins qu'il n'y pas grand-chose de vrai dans les éléments que vous avez exposés. Je vous demanderai donc la grâce de ne pas mettre en cause la bonne foi qui est la mienne.

Car s'il est une décision que je ne regrette en rien, bien plus, que je renouvellerais demain s'il le fallait, c'est bien celle-là.

Je vais reprendre le fil des événements. La famille d'Ingrid Betancourt - plus précisément sa sœur - m'a personnellement informé par téléphone qu'elle voulait tenter la chance d'une possibilité de libération dans les jours qui venaient. Il y avait donc urgence, nous n'avions que quelques heures pour décider d'envoyer sur-le-champ l'avion dont vous avez parlé. Il s'agissait d'un avion médicalisé, compte tenu de l'état de santé d'Ingrid Betancourt.

Qu'auriez-vous fait à ma place ? Qu'aurait fait à ma place n'importe quel représentant de la France, sinon répondre oui, comme je l'ai fait, après avoir, bien évidemment, sollicité l'accord des plus hautes autorités de l'Etat ? Nous avons répondu oui à une de nos compatriotes - et je sais que son sort vous préoccupe autant que nous - qui était dans la situation que vous connaissez : otage depuis plusieurs mois, dans un état de santé très préoccupant selon toute apparence. Nous avons donc envoyé un avion médicalisé au plus près possible de la zone périlleuse où elle était censée être libérée. L'exécution de la mission supposait d'attendre là les informations qui devaient nous venir de la sœur d'Ingrid Betancourt, présente sur place, avec un prêtre qui, devant servir d'intermédiaire, était censé recueillir Ingrid Betancourt.

Elle a attendu là-bas un jour, puis deux, puis trois : en vain. Ingrid Betancourt n'a pas été libérée.

En conscience, dites-moi où est le fiasco. Une fois de plus, il ne s'agit pas de mettre en doute la bonne foi de quiconque. À chaque étape l'information a circulé. Le ministre de l'intérieur a été informé en tant que de besoin, puisqu'il se rendait en Colombie : je l'ai tenu moi-même informé, avant qu'il ne décolle de Paris, des tenants et des aboutissants de la demande qui nous avait été adressée.

Nous n'avons rien à cacher sur ce dossier ; nous avons fait ce que la conscience, le devoir de la France, nous imposait. Et, je le répète, nous le referions.

Il se trouve que, pour des raisons de calendrier, de hasard, de circonstances touchant au déroulement des voyages du ministre brésilien des affaires étrangères, celui-ci n'a pas pu être prévenu en temps voulu. Je m'en suis expliqué avec lui, je lui ai présenté mes regrets. Il l'a parfaitement compris et il n'a à aucun moment été question de crise diplomatique entre la France et le Brésil, pas plus qu'entre la France et la Colombie.

Depuis le premier jour, nous sommes mobilisés sur ce dossier, et nous le restons. Avec le gouvernement colombien, avec les Nations unies, avec le secrétaire général des Nations unies et son émissaire spécial, nous restons mobilisés pour atteindre cet objectif : libérer Ingrid Betancourt, et pour cela recueillir le maximum d'informations possible sur sa situation.

Nous l'avons fait, nous continuerons à le faire. Je ne veux pas commenter vos remarques concernant le budget de cette opération, parce que ce n'est pas le lieu. Je répéterai simplement ceci : nous n'avons rien à cacher sur ce dossier. La bonne foi de la France est entière. Le premier devoir d'un pays, c'est de se mobiliser pour régler le sort de ses citoyens en difficulté. C'est le cas d'Ingrid Betancourt. Nous sommes par ailleurs attachés aux valeurs qui s'expriment à travers sa personne. C'est l'esprit de la France et nous souhaitons qu'il soit soutenu sur tous les bancs de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Janquin.

M. Serge Janquin. Monsieur le ministre délégué, je veux d'abord m'associer à la question de mon collègue Lefort. L'action du Gouvernement pour lutter contre la pandémie du sida me paraît trop peu lisible pour qu'on puisse s'y retrouver, à moins d'être un fin scribe. Je n'ai pas été capable pour ma part de recenser le nombre des rubriques budgétaires et les lignes de crédits concernés, selon qu'ils relèvent de l'aide bilatérale ou de l'aide multilatérale, de votre ministère ou de ceux de la santé, de la recherche ou des finances. On pourrait sans peine faire plus simple, par exemple en confiant à votre ministère les crédits actuellement gérés par les finances.

Mais là n'est pas le sujet essentiel de ma question. Une promesse avait été faite par Lionel Jospin, et confirmée avec éclat par le Président de la République en juin 2003 à Evian. Elle engage la France en ce qui concerne sa contribution au Fonds mondial contre le sida, qui doit passer, de 2004 à 2006, de cinquante à 150 millions d'euros.

Or le montant des crédits inscrits à ce titre n'est pour l'heure que de cinquante millions d'euros et les explications données à ce jour restent alambiquées. Je me refuse à croire que sur une question aussi importante le Gouvernement n'honore pas la parole du chef de l'Etat.

On nous a d'abord dit qu'on ferait l'appoint dans le cadre d'un collectif budgétaire. Mais on sait bien que c'est totalement irréaliste. On a aussi évoqué des redéploiements de crédits. Il faudrait alors préciser au détriment de quelles politiques ils se feraient. On parle maintenant de crédits de report disponibles en fin de gestion 2003 ; j'ignorais qu'on disposât de cette cagnotte bienvenue.

N'eût-il pas au demeurant été plus simple et plus conforme à nos principes budgétaires de procéder à l'annulation de ces crédits de report, au bénéfice d'une inscription budgétaire de 150 millions d'euros dans le projet de loi de finances, donnant lieu à paiement conforme. Il est vrai que cela aurait fait apparaître un déficit supérieur de 100 millions d'euros à celui qui sera proposé au vote, et qui contrarie déjà tellement Bruxelles.

Cela m'oblige à vous demander si vous avez connaissance d'altérations de présentation budgétaire de même nature qui affecteraient votre budget, ou même celui d'autres ministères. Certes vous n'êtes pas obligé de me répondre sur ce point, monsieur le ministre. Mais rassurez-nous au moins sur la réalité du décaissement de 150 millions d'euros par le ministère des finances au titre du Fonds mondial contre le sida et sur la provenance de cette dotation.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur Janquin, je peux tout à fait vous rassurer sur le point que vous venez de soulever. Le ministère de l'économie et des finances a publié avant-hier, 5 novembre, un communiqué officiel qui confirme que les versements de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme seront effectués dès le début de l'année 2004, pour le montant de 150 millions d'euros annoncé par le Président de la République.

Ces versements seront effectués à partir des crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2004 et des crédits de report éventuellement disponibles en fin de gestion 2003.

M. Serge Janquin. C'est très contestable !

M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation.

La répartition entre les deux rubriques n'est pas précisée. L'essentiel est que l'engagement du versement en début d'année 2004 de la somme qui a été annoncée soit tout à fait clair. De ce point de vue, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

Quant à l'inscription des crédits au budget de plusieurs ministères - finances, affaires étrangères, santé, et pour ce dernier il s'agit des 9 millions d'euros destinés au programme ESTHER-, elle justifie, il est vrai, une harmonisation. C'est une piste sur laquelle nous allons continuer à travailler.

Mme la présidente. La parole est M. Henri Emmanuelli.

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le ministre des affaires étrangères, évoquant l'adoption de la Constitution européenne, vous avez dit que l'essentiel était que le débat ait lieu.

Pour ma part, j'ai plutôt le sentiment que l'essentiel réside dans la manière dont le débat va être tranché, ce qui est loin d'être secondaire.

Car il s'agit d'une Constitution ! Le régime de la Ve République a été approuvé par le suffrage universel, que je sache à la demande expresse de son principal fondateur, le général de Gaulle.

Je pourrais rappeler aussi le référendum sur le traité de Maastricht, pour l'adoption de la monnaie unique. On imagine mal qu'ayant eu un référendum pour la monnaie et le marché uniques, on n'ait pas de référendum sur les institutions et sur l'avenir de notre peuple pour de très nombreuses années, d'autant que l'une des particularités de ce texte est qu'il est difficilement modifiable. En fait, les formalités retenues pour le modifier rendent toute modification impossible !

Il va de soi qu'il appartient au Président de la République de choisir la manière dont ce débat sera tranché. Mais je voudrais dire mon malaise lorsque j'entends dire que c'est une affaire trop importante pour qu'on s'en remette au suffrage universel. Au motif que le résultat pourrait ne pas être conforme aux souhaits des oligarchies, mieux vaudrait l'éviter ! C'est grave. Ces considérations furent celles des adversaires du suffrage universel !

Je souhaite, monsieur le ministre des affaires étrangères, connaître votre point de vue sur la manière dont il faudra trancher ce débat.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères. Je ne crois pas devoir prouver ici mon attachement personnel au suffrage universel ! Nous avons des institutions et nous avons une Constitution, laquelle prévoit deux possibilités pour adopter la nouvelle Constitution qui va être la nôtre, nous l'espérons, pour de nombreuses années : d'une part, la voie référendaire, vous avez raison, d'autre part, la voie parlementaire. Je ne crois pas qu'on puisse juger l'une par rapport à l'autre. Ce sont deux voies possibles et le choix appartient au seul Président de la République.

S'il faut d'abord, comme je l'ai dit, avoir un débat de fond sur cette question, c'est parce que, vous le savez, ce choix a été occulté par d'autres considérations. Ce débat, en tout état de cause, est crucial. Quelle que soit la voie qui sera retenue, il s'agit de se poser la question de la qualité, de l'opportunité, des modalités de cette Constitution pour l'Europe.

Ce sont des questions dont nous aurons je l'imagine l'occasion de parler souvent au cours des prochains mois. Un travail immédiat nous attend : définir le meilleur projet de Constitution possible. Nous ne sommes pas de ce point de vue au bout du chemin. Nous avons un projet de grande qualité, qui a été préparé par la convention présidée par M. Giscard d'Estaing. Nous sommes aujourd'hui dans le cadre de la conférence intergouvernementale où nous devons, entre Etats, discuter sur des points importants - ils sont nombreux - : le ministre des affaires étrangères européennes, la présidence du Conseil européen, les présidences tournantes, la gouvernance économique Il y a là de nombreux points qui méritent d'être clarifiés, qui font débat et qui sont extrêmement délicats. Je pense en particulier au fonctionnement et à l'organisation de la Commission, au vote à la double majorité.

Attendons que le travail soit fait, que les modalités soient enfin choisies, que ce projet puisse être véritablement formalisé. Eclairé par les avis des uns et des autres - il a eu l'occasion de recevoir les représentants des partis politiques représentés au Parlement au cours des derniers jours - il appartiendra au Président de la République de prendre sa décision. C'est un processus qui me paraît tout à fait conforme à nos institutions.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Janquin pour poser une deuxième question.

M. Serge Janquin. Monsieur le ministre, hors crédits APD, aide publique au développement, votre budget diminue de 1,26 %. Aussi, au regard des missions de votre ministère et de l'ambition que vous lui assignez au service du rayonnement de la France, je m'inquiète de l'affaiblissement de vos moyens en crédits de personnel et de fonctionnement.

Vous avez perdu 57 emplois en 2003 et il est prévu que vous en perdiez 116 en 2004, ce qui peut être présenté comme un bel effort, trop beau peut-être.

Même si vous avez cherché à positiver ces amputations, je m'inquiète des moyens de votre administration centrale, de ceux de notre réseau d'ambassades, consulats, centres culturels et établissements d'enseignement du français à l'étranger. Les rapporteurs ont parlé de rationalisation. Je veux bien l'admettre en ce qui concerne notre réseau en Europe, mais il leur est arrivé aussi d'évoquer le manque de moyens au regard de la densité du réseau.

Je m'inquiète tout particulièrement du sort qui sera réservé à notre consulat à Alexandrie, ville qui connaît un nouvel élan, et pas seulement du fait de la prestigieuse bibliothèque, mais sur les plans de l'aménagement urbain et du développement économique.

On en tient compte pour soutenir l'université Senghor d'Alexandrie : il faut aussi en tenir compte pour y garder notre consulat. Quelles sont vos intentions à ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vous évoquez la rationalisation de notre réseau. Permettez-moi de vous dire que notre réseau consulaire n'est pas figé. Il évolue en fonction des missions, des demandes de visas, de la densité des communautés françaises, et c'est bien normal. Je l'ai dit tout à l'heure : j'ai décidé de lancer une réflexion d'ensemble sur nos réseaux. Elle ne se traduira qu'exceptionnellement par des fermetures de postes. Attendons les résultats de cette évaluation pour juger ce qui doit être fait.

L'évolution de la carte consulaire ne s'exprime pas en termes de fermeture de postes. Elle se fera plutôt par une adaptation des fonctions consulaires, des regroupements de sites, une valorisation de la polyvalence des agents. Il y a donc une diversité de solutions appropriées à chaque cas particulier.

Pour Alexandrie comme pour d'autres endroits, la réflexion est en cours pour tirer le meilleur parti des ressources en place et en faire une synthèse aussi efficace que possible. J'observe que s'y côtoient un centre culturel et un consulat. Nous examinons les missions de ces deux pôles, le renforcement du rôle politique de notre représentation à Alexandrie ainsi que le transfert éventuel d'une partie de ses fonctions consulaires à notre consulat du Caire, qui les exercera plus efficacement dans le cadre d'un partage raisonné des rôles.

Je peux donc vous assurer qu'il n'est pas question de supprimer le pavillon français dans la deuxième ville d'Egypte, centre économique et universitaire important, escale fréquente de la marine nationale et lieu éternel dans les domaines culturel et commercial.

Mme la présidente. Nous avons terminé les questions.

J'appelle les crédits inscrits à la ligne : « Affaires étrangères ».

ETAT B

Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires des services civils (mesures nouvelles)

« Titre III : moins 12 234 465 euros ;

« Titre IV : 30 021 053 euros. »

ETAT C

Répartition des autorisations de programme et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital des services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ETAT

« Autorisations de programme : 45 000 000 euros ;

« Crédits de paiement : 18 852 000 euros. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT ACCORDÉES PAR L'ETAT

« Autorisations de programme : 344 390 000 euros ;

« Crédits de paiement : 52 766 000 euros. »

M. Myard a présenté un amendement, n° 92, ainsi rédigé :

« Sur le titre III de l'état B, majorer les crédits de 12 234 465 euros. »

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je défends cet amendement avec conviction.

Monsieur le ministre, chacun ici a souligné, sur tous les bancs, la justesse de la politique étrangère que vous conduisez sous l'autorité du Président de la République.

Chacun en a souligné les effets bénéfiques pour la paix dans le monde et surtout pour la nécessité d'essayer de construire une communauté internationale plus équilibrée. Il est dès lors paradoxal qu'au moment où la politique étrangère de la France a le succès qui vient d'être décrit, vos crédits diminuent, notamment ceux du titre III. Cela n'est certes pas nouveau et ne fait que poursuivre la « glissade » entamée depuis une décennie, qui aura vu disparaître plus de 10 % des effectifs du ministère des affaires étrangères.

Si tout l'appareil d'Etat avait géré avec autant de vertu ses crédits de fonctionnement, le budget de la France serait dans une meilleure position et l'Etat aurait gagné en efficacité.

M. Daniel Garrigue. Tout à fait.

M. Jacques Myard. Il est donc paradoxal que ce soient toujours les affaires étrangères qui montrent l'exemple ; mais, ici, les limites sont atteintes.

C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, et je m'adresse à chacun d'entre vous, il est urgent que le Parlement dise non.

Nous sommes en faveur d'une grande politique étrangère de la France, et vous la menez. Mais vous devez en avoir les moyens. Les affaires étrangères sont un instrument régalien, au même titre que la défense et l'intérieur. C'est avec raison que le Gouvernement a augmenté les crédits de la défense, qui soutiennent la voix de la France. C'est à juste titre que les crédits du ministère de l'intérieur ont été augmentés pour rétablir plus de sécurité, c'est-à-dire notre première liberté, sur l'ensemble du territoire.

Il serait paradoxal et dangereux que ce soient les crédits de votre ministère qui fassent une nouvelle fois les frais de la rigueur à l'heure où la situation internationale fait irruption sur le territoire national en raison de ruptures géostratégiques.

C'est la raison pour laquelle, puisque le règlement de notre assemblée ne nous permet pas d'en faire davantage, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer une mesure nouvelle au titre III pour majorer les crédits de 12 234 465 euros seulement. C'est loin d'être à la hauteur des économies qui ont été imposées au budget des affaires étrangères, mais ce sera un signe fort adressé au Gouvernement, et plus particulièrement au ministre du budget. Trop, c'est trop !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères, pour donner l'avis de la commission sur cet amendement.

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. La commission n'a pas examiné l'amendement de notre collègue Jacques Myard et n'a donc pas eu à se prononcer.

Je ferai preuve dans ma réponse de la même constance que notre collègue. Je répète que la commission a adopté le rapport que je lui ai présenté.

Ce rapport indique qu'il faut adopter les crédits en l'état, mais il démontre aussi que la baisse des crédits du titre III, je l'ai dit ce matin à la tribune, n'affecte en rien la capacité opérationnelle de notre réseau diplomatique et consulaire.

Le ministre vous l'a précisé tout à l'heure en réponse à votre intervention, monsieur Myard, en indiquant que la meilleure mobilisation de nos ressources humaines, les économies qui sont faites sur les systèmes de primes et un certain nombre de dispositifs mettant en synergie nos moyens faisaient que notre capacité opérationnelle n'était en rien affectée par la baisse des crédits du titre III. Tous les postes seront pourvus.

M. Jacques Myard. Tous les rapporteurs parlent ainsi depuis dix ans !

M. Richard Cazenave, rapporteur pour avis. Je comprends l'intention de notre collègue. Mais je crois qu'il fait fausse route en pensant qu'il rend service aux affaires étrangères en défendant une position selon laquelle nous devrions nous dispenser de tout effort de modernisation et de rationalisation.

On a déjà fait beaucoup mais, grâce aux vertus qu'a déployées le ministère, les comparaisons avec d'autres réseaux diplomatiques ne sont pas à notre désavantage. Nous devons revendiquer le rôle central d'animation que joue la politique extérieure de l'État. Il est préférable de s'appuyer sur ces vertus pour être offensif, plutôt que de chercher à se dispenser de la discipline qui s'impose à tout l'appareil d'État. Les autres ministères peuvent en faire autant, et même davantage puisqu'ils ont des budgets plus importants, mais nous ne devons pas nous exonérer a priori de tout effort. Si notre capacité opérationnelle était attaquée, nous devrions réagir. Mais ce n'est pas le cas, et je demande à chacun de repousser cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre des affaires étrangères. Jacques Myard nous a fait une offre généreuse et je le remercie de son soutien, auquel je suis très sensible. Je suis donc quelque peu gêné de devoir refuser une main si fraternellement tendue.

Malgré tout - et, au fond de lui-même, il ne l'ignore pas -, il ne saurait être question que je me désolidarise, fût-ce un instant, de l'action du Gouvernement. D'autant moins que nous assumons pleinement la rigueur que nous imposent les Français et les exigences de la construction européenne.

En conséquence, je suis obligé de lui demander de bien vouloir retirer son amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, j'ai bien conscience de la situation dans laquelle je vous place. Que voulez-vous, la diplomatie doit aussi, parfois, gérer des situations difficiles. Mais, pour une fois, retirez-vous, laissez faire le Parlement, laissez chacun d'entre nous face à ses responsabilités.

Je souhaite aussi m'adresser plus particulièrement à mon ami Richard Cazenave. Ce que vous venez de dire, je l'entends depuis dix ans que je siège dans cette assemblée, mais j'y suis assez imperméable, car je sais que l'outil est aujourd'hui atteint et que le quantitatif pose un problème qualitatif, comme le diraient Marx ou Hegel.

M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas moi qui en parle ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. Il est temps de réagir. Monsieur Cazenave, vous êtes comme l'amiral Jellicoe, dont le premier lord de l'Amirauté disait : « Il a toutes les qualités de Nelson, sauf une : il ne sait pas désobéir. » (Sourires.) Moi, je maintiens mon amendement : chacun prendra ses responsabilités.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 92.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la réduction de crédits du titre III.

M. Jacques Myard. Abstention !

(La réduction de crédits est adoptée.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le titre IV.

(Le titre IV est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

Mme la présidente. Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

    Mme la présidente. Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, concernant l'enseignement supérieur.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Laurent Hénart, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Madame la présidente, monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, mes chers collègues, l'élaboration du budget pour 2004 fut un exercice délicat et subtil. En effet, le cadre contraint dans lequel il s'inscrit marie des objectifs à long terme fondamentaux et des éléments plus conjoncturels.

Le principal objectif à long terme, et sans doute le plus fondamental a été défini par une succession de sommets européens, de Bologne à Berlin en passant par Prague : il consiste à changer profondément l'Europe des universités et de la recherche. Celle-ci, dont la réalité est constituée au départ de programmes thématiques ou sectoriels qui se succèdent, se recoupent ou se recouvrent, souhaite amorcer une nouvelle logique en vertu de laquelle tous les programmes se déploieront dans un cadre commun où se trouvent définis le rythme du cycle universitaire - le fameux « 3-5-8 » : licence, mastère, doctorat - ainsi que des unités de compte pour que les équivalences de diplômes et de formations supérieures puissent s'exercer. Ce dispositif donne un sens aux programmes européens existants ou en cours de création.

A l'intérieur de cet objectif à long terme, il a fallu également servir des objectifs à plus court terme. J'en distinguerai au moins deux.

Le premier est le débat sur l'éducation qui vient de s'ouvrir. Ce débat concerne naturellement l'enseignement supérieur et la recherche, au moins pour trois raisons : d'abord, il s'agit d'un des chaînons de la politique d'éducation nationale ; ensuite la loi sur l'autonomie des universités, même si son examen a été différé, reste d'actualité, du moins du point de vue de votre rapporteur ; enfin, il faudra nécessairement aborder la question de la formation des formateurs, qui est à l'évidence du ressort de l'enseignement supérieur. Le débat sur l'éducation a donc besoin d'avancer en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Aussi le budget doit-il ouvrir des perspectives d'avenir.

Le second élément de court terme qui contraint le budget pour 2004 concerne les effectifs. Ceux-ci, pour la deuxième rentrée consécutive, sont en légère augmentation - 1,8 %, après 1,7 % pour la rentrée de 2002 -, si bien que la décrue des effectifs pronostiquée à partir du milieu des années 1990 n'a pas lieu. La phase actuelle correspond à une sorte de palier, ce qui conduit forcément à revoir la politique concernant les sites universitaires, les filières de formation et les moyens que l'Etat alloue à l'enseignement supérieur. A cet égard, le budget marque une progression nette : près de 3 % d'augmentation en crédits de paiement, ce qui nous fait passer le cap des 9 milliards d'euros. L'évolution la plus marquée n'est pas tant celle des dépenses ordinaires, même si elle est supérieure à l'inflation de près de 2 points, que celle des dépenses en capital, c'est-à-dire des dépenses d'investissement de votre ministère. Celles-ci font un bond, avec une augmentation de plus de 15 % des crédits de paiement.

J'éviterai de faire de ce budget une présentation comptable, bien que je parle au nom de la commission des finances, et essaierai de discerner la façon dont les moyens et les éléments financiers sont mis au service des grands objectifs qui apparaissent dans les différentes lignes de ce « bleu » de l'enseignement supérieur.

Je distingue deux grands objectifs. L'un, qui constitue une priorité évidente, vise à ce que les universités exercent plus et mieux leurs responsabilités et leur autonomie. L'autre est la conservation, conformément à la volonté du ministère, d'un service public d'enseignement supérieur national et accessible à tous.

Sur le premier point, celui de l'autonomie des universités, et, partant, du dynamisme de notre enseignement supérieur dans l'Europe des universités qui se construit, le budget mobilise des moyens dans trois domaines.

Tout d'abord, la création d'emplois. La mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, avec le rapport de notre collègue Alain Claeys, mais aussi la Cour des comptes, dans son rapport d'avril dernier, avaient bien montré qu'il ne pourrait y avoir d'autonomie des universités et de responsabilité dans leurs missions d'enseignement supérieur sans un renforcement de leur encadrement et des compétences internes en matière d'organisation des filières, de gestion, de droit, bref, de fonctionnement général. Entre la création de 125 postes IATOSS de catégorie A, la « sapinisation » - pardonnez ce jargon administratif - de 250 emplois précaires, désormais affectés de manière pérenne à nos universités, et la transformation de 225 emplois de catégorie C, ce sont finalement plus de 600 emplois que vous débloquez pour l'encadrement de nos universités. Ces mesures font suite à un effort déjà substantiel dans le budget de 2003 et montrent la volonté de préparer, grâce à ces ressources en personnel, en matière grise, en connaissances et en expertise, l'autonomie des universités.

Concernant la transformation des emplois de catégorie C, je me permets néanmoins d'attirer votre attention, monsieur le ministre, sur une remarque qui figure dans le rapport et qui a son importance : il est des services dont le fonctionnement exige autant d'emplois de catégorie C que de catégorie B ou A. On en tient désormais compte, je le sais, dans la gestion des effectifs du ministère. C'est le cas, par exemple, des bibliothèques, pour lesquelles des efforts sensibles sont faits, mais aussi de l'accueil qui, pour être de qualité, doit recourir à tous les types d'emplois, du cadre A au cadre C.

Le deuxième effort financier important concerne les dotations. Le fait de confier des enveloppes plus substantielles aux universités met lui aussi en relief le choix clair qui est opéré dans ce budget en faveur de l'autonomie. Les dotations de fonctionnement augmentent de plus de 4 %. Sont notamment en progression les dotations pour l'application des contrats quadriennaux, avec une hausse de plus de 5 %, ainsi que les dotations à l'enseignement privé, avec une mesure nouvelle de 5 millions d'euros. L'effort de rattrapage se poursuit. Il traduit la volonté de laisser l'initiative s'exercer, de passer des contrats, mais aussi de donner des moyens aux établissements publics pour assurer ensuite la réalisation de ces contrats et des projets propres. C'est un bon choix, et de plus un choix courageux : il était en effet difficile de l'assumer juste après la parution d'un rapport de la Cour des comptes dont certains pourraient caricaturer à l'envi les conclusions.

Le troisième élément préparant l'autonomie des universités, et peut-être le plus important, est l'effort d'investissement. Les crédits de paiement augmentent de 50 % pour l'exécution des contrats de plan Etat-région - qui entrent enfin dans leur phase de réalisation - et pour amorcer de grands chantiers, au premier rang desquels celui du campus de Jussieu. Il est heureux de constater que l'on passe de l'autorisation de programme, de l'engagement - fût-il écrit - aux crédits de paiement, c'est-à-dire à la mise en œuvre d'un investissement qui prépare l'avenir.

Sans doute faut-il tirer une leçon de la mise en route de ces contrats de plan Etat-région, dont la signature remonte à 1999 et 2000 : la maturité des projets est très différente d'un rectorat à l'autre, d'une région à l'autre. Il est arrivé que des projets soient inscrits avant même d'avoir été pédagogiquement et scientifiquement conçus ou établis, ce qui explique pour partie le retard que l'on constate parfois dans la mise en place des crédits de paiement. Peut-être faudra-t-il que l'on raisonne de manière plus souple sur la contractualisation Etat-région dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, ne serait-ce que pour prendre en compte le fait que les projets ne suivent pas forcément un rythme quinquennal ou sexennal : parfois, ils sont en flux roulant. Un assouplissement de la contractualisation semble donc opportun.

Les crédits de maintenance sont en net progrès, avec près de 5 % d'augmentation. C'est important : ils permettent d'effectuer les petits travaux d'aujourd'hui qui nous dispensent des grands travaux et des grands équipements de demain. Le plan de sécurité est achevé. Enfin, les crédits de recherche augmentent de près de 3 %.

Sur tous ces plans - maintenance, sécurité, recherche, grands investissements -, ce budget renforce la capacité des universités à se développer, à se déployer, à être mieux installées et mieux équipées, et prépare ainsi leur autonomie.

Pour conclure cette partie de mon intervention consacrée à l'autonomie, monsieur le ministre, je souhaite me référer - comme on peut l'attendre d'un rapporteur de la commission des finances - à la loi organique relative aux lois de finances et à sa mise en œuvre, prévue pour 2006 au ministère de l'éducation nationale.

Je formulerai ainsi deux remarques concernant le ministère dans son ensemble.

Permettez-moi tout d'abord de vous faire part de la satisfaction de la commission des finances, qui constate que vous vous êtes inscrit dans l'esprit de la loi organique en définissant une mission interministérielle qui est avant tout une unité de politique publique, alliant l'enseignement supérieur et la recherche et veillant à ne pas les dissocier, ce qui revient à défendre leur essence même. Il faut cependant assurer pleinement la dimension interministérielle en veillant à ce qu'un programme d'enseignement et de recherche soit inscrit tant au ministère de la culture qu'au ministère de l'agriculture, afin de respecter la structuration de la mission en programmes. La commission des finances ne manquera pas de vous assister dans cette tâche interministérielle.

En second lieu, il faudra sans doute que vos services, en 2004, déclinent les programmes en actions. C'est en effet indispensable pour que l'on puisse entrer dans une vraie logique d'évaluation. Vous savez, monsieur le ministre, que la commission des finances y tient. Je ne ménagerai pas ma peine, à vos côtés, pour y parvenir dès l'an prochain.

J'en viens maintenant à la principale difficulté qui se dresse devant vous et devant la commission des finances : la traduction de la loi organique dans l'université.

La loi sur l'autonomie fera franchir, je l'espère, un pas essentiel en matière de globalisation du budget - outil essentiel à l'application de la LOLF par les établissements publics d'enseignement supérieur. Restent cependant deux cas épineux à résoudre.

Le premier a trait à l'évaluation. En effet, les contrats quadriennaux ne sont assortis d'aucune règle d'évaluation. Après la MEC, qui s'en était déjà émue à juste titre en 1999, la Cour des comptes n'a pas manqué de pointer cette défaillance. Il est essentiel que la mise en place de la LOLF dans les universités ne se fasse pas seulement, avec le budget global, a priori : il faut également trouver, université par université, des critères d'évaluation a posteriori de la pertinence des choix et des engagements budgétaires, ainsi que de la véracité de leur réalisation.

Le second concerne les autorisations d'emplois. Si l'on veut que la notion de plafond d'autorisation d'emplois soit pertinente dans votre ministère, il faut sans doute trouver une méthode de « globalisation de la globalisation », si je puis dire, et faire en sorte qu'au-delà de l'échelle du budget global des universités, il y ait à l'échelle de votre ministère un suivi de l'ensemble des moyens. C'est également un chantier qu'il nous appartient de conduire en 2004.

Nous sommes donc dans les temps tant pour le débat sur l'éducation qui s'engage que pour le débat parlementaire sur la loi relative à l'autonomie. Ce projet de budget prépare les choses sans pour autant les figer ou les préjuger. Cette démarche est la bonne.

Le deuxième grand objectif de ce budget est de garantir l'essentiel républicain. Le service public de l'enseignement supérieur reste national et accessible à tous. C'est ainsi que vous avez veillé à ce que l'Europe de l'université reste du domaine de l'action publique. Ce principe a été réaffirmé récemment au sommet de Berlin : l'Europe de l'université se situe hors du secteur marchand. Elle relève, je le répète, de l'action publique et du service public. Au niveau national, l'Etat gardera bien sûr toute sa compétence pour l'habilitation des diplômes.

Sur le plan du personnel enseignant, ce principe se concrétise dans le corps des enseignants-chercheurs, que l'Etat recrute, dont il assure la carrière et la promotion, et qu'il met à la disposition des établissements publics universitaires.

Je souhaite formuler deux remarques positives à ce propos.

Premièrement, la commission des finances se réjouit de constater que le ministère tire rapidement les enseignements des observations de la Cour des comptes dans son rapport d'avril dernier. Celle-ci mettait en avant un taux élevé de postes non pourvus - 16 % en 2001 - et un nombre d'emplois créés mais non utilisés lui aussi important : 500 pour l'exercice en cours. Une bonne gestion permettra, en mettant fin à ces anomalies, d'augmenter la capacité en enseignants-chercheurs de nos universités. Vous en avez pris l'engagement, monsieur le ministre, et c'est heureux : avant de créer de nouveaux postes, il faut rationaliser la ressource, et ce d'autant que l'augmentation des dotations permettra aux universités d'assurer, le cas échéant, des heures supplémentaires, des recrutements partiels ou des interventions extérieures.

Deuxièmement, vous avez dégagé près de 900 000 euros pour financer des mesures destinées à rendre la carrière d'enseignant plus attractive. Vous n'ignorez pas que la préparation du renouvellement consécutif aux nombreux départs en retraite dans votre ministère constitue, aux yeux de la commission des finances, une priorité. Nous espérons donc que vous pourrez amplifier ces mesures pour l'enseignement supérieur. La commission souhaiterait, par exemple, que l'on puisse franchir le seuil des 10 % de maîtres de conférences hors classe et, plus généralement, qu'il y ait moins de goulets d'étranglement, plus de fluidité dans les carrières. C'est ainsi que l'on rendra plus attractive la filière de l'enseignement et de la recherche en France. Le nombre de professeurs devrait lui aussi être accru, avec - pourquoi pas ? - le doublement du nombre des postes supplémentaires ouverts au budget, soit un ajout de près de 90 postes. On éviterait ainsi que la proportion de professeurs dans le corps des enseignants-chercheurs ne diminue par rapport à l'année dernière et l'on montrerait du même coup que l'évolution de la pyramide en matière de promotions permet au métier de rester attractif.

L'essentiel réside dans l'attractivité des carrières universitaires et leur qualité, à l'heure du renouvellement occasionné par les départs en retraite.

Le budget met aussi l'accent sur l'égalité des chances, l`égalité d'accès au service public pour les étudiants, usagers de l'enseignement supérieur.

Je retiendrai trois éléments.

D'abord, la revalorisation des bourses, qui permet de suivre l'inflation. Un dialogue va maintenant s'ouvrir sur l'accompagnement social. Je tiens à saluer l'ouverture en direction des syndicats étudiants ; j'espère que nous pourrons en voir les premiers effets dès la rentrée prochaine. Il y a beaucoup à faire pour la simplification des aides sociales, qu'il s'agisse des allocations ou des guichets, y compris pour les étudiants eux-mêmes et pas seulement dans un souci de bonne gestion des fonds publics.

Ensuite, l'augmentation importante des bourses de mobilité. L'année dernière, leur nombre avait augmenté de 25 %. Cette année, il progresse encore de 40 %. L'effort devra être poursuivi pour que se mette en place l'Europe des universités.

Enfin, malgré le choix du Gouvernement de décentraliser le patrimoine immobilier des CROUS, je constate avec plaisir que le principe de non-transfert de charges indues aux collectivités locales est mis en œuvre par votre ministère. La perspective du transfert aux collectivités locales du parc immobilier ne vous empêche pas de poursuivre à un rythme soutenu le programme de rénovation des chambres. De 1998 à 2001, 2 200 à 2 300 chambres universitaires ont été rénovées chaque année. L'année dernière vous avez choisi d'augmenter sensiblement ce nombre : 7 000 chambres ont été refaites. Les dotations budgétaires permettent de renouveler cet effort en 2004. Ne pas relâcher l'effort, malgré la perspective de la décentralisation, augure bien du cadre dans lequel elle se fera.

La commission des finances se félicite de ce budget à plusieurs titres.

D'abord sous l'angle politique, parce qu'il affiche une priorité claire, qui est de se donner les moyens de l'autonomie des établissements et de l'Europe des universités.

Ensuite parce que, tirant les conséquences du rapport de la Cour des comptes, il reflète un effort particulier de rigueur. Je pense notamment à la gestion des effectifs enseignants. Je pense aussi au renforcement de l'encadrement dans les universités, pour les aider à assumer leurs responsabilités dans le cadre de l'autonomie.

Enfin, parce qu'il garantit que l'éducation restera nationale, y compris au niveau de l'enseignement supérieur, et qu'il prend en compte les souhaits des personnels enseignants comme des usagers du service public que sont les étudiants, en permettant notamment un accès égal pour tous.

De la qualité de notre enseignement supérieur dépendent non seulement les capacités d'innovation de notre pays, mais aussi sa capacité à réformer le primaire et le secondaire grâce à des formateurs bien formés.

Vous l'aurez compris, la commission des finances a conclu à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur et souhaité la poursuite des efforts dans la perspective de la mise en œuvre de la LOLF. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Olivier Jardé, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et sociales. Monsieur le ministre, la France compte deux millions d'étudiants. Nous avons cette année seulement 38 000 étudiants supplémentaires. C'est un palier car, de 1985 à 1995, leur nombre augmentait d'environ 100 000 par an. Cette moindre augmentation pourrait être source de difficultés à l'avenir. Ainsi, le recteur Forestier indiquait que, pour bien faire fonctionner notre pays - et nous y sommes attachés -, il faudrait faire passer le pourcentage de bacheliers de 62 à 70 % et le nombre des étudiants sortant de l'enseignement supérieur de 38 à 45 %.

Notre enseignement supérieur est dispensé dans 186 lieux, dont 85 universités proprement dites. La dispersion de ces petits foyers d'enseignement supérieur est intéressante pour l'aménagement du territoire, mais pose quelques problèmes, car il ne peut y avoir d'enseignement de qualité sans une activité de recherche parallèle, même au niveau local.

Bien que le budget de l'enseignement supérieur ait été multiplié par 2,3 depuis 1975, l'effort consenti par notre pays en ce domaine est moindre que celui de nos voisins européens. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la hausse de 2,93 % des crédits en 2004, qui porte le budget à plus de 9 milliards d'euros. Cela permettra d'améliorer le fonctionnement et de prévoir des investissements.

Au niveau du fonctionnement, il y a le personnel et les étudiants. Il est bon que vous les ayez pris en compte. L'université est surtout faite pour les étudiants et pour la recherche.

Les investissements permettront de créer de nouvelles structures universitaires, d'entretenir les bâtiments et de réaliser des mises aux normes de sécurité.

Le personnel, c'est 4,7 milliards d'euros pour les enseignants et les administratifs.

Les enseignants-chercheurs représentent 60 % du total des enseignants. Un quart seulement sont des femmes. Entre 2004 et 2013, environ 52 % des professeurs d'université prendront leur retraite. C'est un corps assez âgé, à la différence des maîtres de conférences des universités. Cette année, il n'y a pas eu de création de poste d'enseignant-chercheur. Mais on constate que près de 16 % de ces postes ne sont pas occupés. Cela me surprend toujours.

Monsieur le ministre, vous avez procédé à des rééquilibrages, transformé vingt postes de professeur des universités en postes de professeur d'université-praticien hospitalier - et vous me faites personnellement plaisir (Sourires) - ainsi que plusieurs postes de maître de conférences des universités en MCU-PH, pour employer notre jargon universitaire. Mais comment va-t-on pouvoir inciter des jeunes à choisir la filière universitaire, à passer l'agrégation ? Déjà, il faut parfois faire preuve de beaucoup d'insistance pour les motiver.

Si aucun poste d'enseignant-chercheur n'été créé, 125 postes IATOSS l'ont été. Vous avez aussi résorbé les emplois précaires et doté ces personnels d'un véritable statut. On parvient maintenant à un ratio de 19 étudiants pour un enseignant-chercheur et de 29 étudiants pour un IATOSS. Vous avez donc favorisé l'encadrement.

Pour ce qui concerne les étudiants, vous avez augmenté le nombre de bourses, ce qui est une bonne chose. Mais un effort doit être fait aussi en matière de logement. On a enregistré 384 000 demandes pour 150 000 places cette année. De même, les restaurants universitaires nécessitent des aménagements, notamment pour des raisons d'hygiène.

Les crédits de la recherche augmentent et il faut s'en féliciter, car on ne peut pas avoir de bonne université sans laboratoires de recherche. Notre monde évolue rapidement et nos enseignants doivent faire de la recherche pour intégrer dans leurs cours les dernières innovations, sinon les étudiants partiront d'emblée avec un handicap.

Les crédits d'investissement augmentent de 15 %. Vous prévoyez la création de 16 000 m² de surface universitaire sur le campus de Jussieu, où. le vaste chantier de désamiantage progresse. Partout des travaux de maintenance sont nécessaires : la réfection des peintures de couloirs souvent vétustes par exemple. Il faut également prévoir la mise aux normes de sécurité des établissements.

Nous souhaitons l'autonomie des universités. Elle devra être réalisée. Elle nécessitera certainement des modifications législatives. Mais, grâce au budget global, elle permettra de donner une nouvelle direction aux universités et de nouer un partenariat avec les collectivités territoriales et les entreprises locales.

Je suis heureux qu'il y ait enfin une harmonisation de nos diplômes au niveau européen, afin que nos étudiants puissent bénéficier de cet environnement propice. Le système LMD - licence, mastère, doctorat - a posé des problèmes dans toutes nos universités. Néanmoins, il est nécessaire, voire indispensable.

La commission a étudié les facteurs d'échec dans les premières années d'université. C'est un véritable gâchis. Sur les 750 000 jeunes qui entrent chaque année dans la vie active, la moitié sortent de l'enseignement supérieur, mais 90 000 sans aucune qualification. A l'issue de la première année d'études, 47 % passent en deuxième année, 29 % redoublent et 24 % n'obtiendront rien. C'est dommage non seulement pour ces jeunes, souvent dotés de grandes qualités, qui se découragent et ne passent pas dans d'autres filières, mais également pour la nation.

On constate de fortes disparités entre les filières. Si 70 % des jeunes qui entament des études d'ingénieur obtiennent leur diplôme, en médecine et en pharmacie, les taux d'échec sont élevés. L'aménagement de passerelles avec d'autres enseignements est donc souhaitable dans ces deux disciplines.

Les causes d'échec sont multiples. Le taux de réussite chez les étudiants qui travaillent est inférieur de 25 à 30 %. La liaison entre le lycée et l'université se fait mal. Les lycéens sont mal préparés aux méthodes de travail de l'université. Les réorientations ne sont pas assez encouragées et facilitées. Le tutorat est insuffisant. Trop de filières sont choisies par défaut et non par vocation.

Les enseignants aussi doivent se remettre en cause ; il faut bien reconnaître que certains cours manquent d'intérêt et sont désertés par les étudiants.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Olivier Jardé, rapporteur pour avis. L'université française est passée du phénomène de masse au phénomène de culture. C'est avant tout un lieu de culture, mais elle doit ouvrir sur une activité professionnelle. Ce budget le permet. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a émis un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen, premier orateur inscrit.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre, incontestablement votre budget est un bon budget, et cela à plusieurs titres.

D'abord, je voudrais vous remercier d'avoir su préserver le calme dans nos universités. Pour être universitaire moi-même, je sais que ce n'est pas toujours chose facile. Beaucoup de bons esprits s'attendaient, au mois de juin, à des débordements qui auraient pu amener l'université à créer un contentieux supplémentaire dans un milieu éducatif déjà agité. Il n'en a rien été malgré quelques tentatives par-ci, par-là.

Quoi qu'on en dise et quoi que l'on fasse, l'université est en pleine mutation, en pleine modernisation. Ce budget va lui permettre d'acquérir davantage de maturité, à elle qui a tant souffert naguère d'incidents, au point qu'on lui a fait la réputation, qu'elle ne mérite pas, de lieu d'agitation et de non-travail, à elle qui, avec ses maîtres et ses étudiants, répond largement à ce que la France attend de ses élites.

Ce budget augmente. Je salue d'ailleurs votre talent de persuasion auprès de Bercy, car je sais que les choses ne sont pas si faciles, d'autant que ce budget est même en augmentation de 100 millions d'euros par rapport à celui de l'enseignement scolaire dont on s'occupe à juste titre, mais parfois au détriment de l'enseignement supérieur.

Ensuite, ce budget marque une avancée dans des directions fondamentales, notamment vers l'harmonisation européenne que vous avez commencé à réaliser. Le système dit du LMD existe déjà dans vingt universités françaises et nous progressons plus vite que nos voisins européens. Cette réforme, qui n'est pas facile à mettre en place, suscite un grand engouement dans nos universités.

Mais nos universités ont aussi besoin d'être modernisées dans le calme. Vous vous y employez en proposant votre projet de loi à la discussion au sein de l'université, ce qui est la bonne méthode. En effet, il eût été artificiel et sommaire de procéder par un acte législatif sans concertation préalable. Cette concertation est en cours et je pense qu'elle nous mènera sur le chemin de la modernité. C'est important, car ce qui nous inquiète, monsieur le ministre, comme vous d'ailleurs, c'est que notre système éducatif, qui est de qualité tant dans le premier que dans le second degré, qui est incontestablement supérieur au système américain, se fasse battre en brèche dans le supérieur par les campus américains dont les moyens sont considérables. Certes, il n'est pas question de les concurrencer, mais l'université européenne doit donner la mesure de sa dimension mondiale.

Nous sommes donc dans la bonne direction et je dois vous dire à quel point le groupe UMP a apprécié le dégel des crédits, les efforts budgétaires, l'esprit général qui anime votre budget, ainsi que la récente déclaration du Premier ministre sur l'ouverture à l'international, avec l'augmentation des bourses de mobilité.

Après ce concert de louanges, je ferai état de certaines préoccupations.

Au-delà du caractère gigantesque de l'enseignement supérieur se pose précisément le problème de l'ouverture à l'international, sur lequel le groupe UMP souhaite tout particulièrement attirer votre attention. La dimension internationale de nos universités est désormais une priorité. Elle impose des modifications importantes de structures et je vous incite à l'audace dans ce domaine. Il faut renverser certains dogmes et je souhaite ardemment qu'une procédure d'évaluation à la fois budgétaire et qualitative s'applique aux universités. Il est fini le temps où elles étaient assises sur des traditions bien ancrées. Il faut qu'elles se remettent en cause régulièrement. On évalue désormais le système éducatif : je ne vois pas pourquoi nos universités autonomes ne feraient pas, elles aussi, l'objet d'évaluations et de fréquentes remises en cause. Les universitaires sont suffisamment intelligents et aptes à se remettre en cause pour le comprendre.

Edufrance joue un rôle important, mais qui mériterait d'être précisé. J'appelle votre attention sur l'utilisation que l'on pourrait en faire. Un rapport du Conseil économique et social, dont la presse a beaucoup parlé, a fait apparaître la nécessité d'une immigration dite « qualifiée ». Notre université doit pouvoir contribuer à cette qualification. Elle doit aussi être l'endroit où l'on donne une qualification supplémentaire. Les étudiants étrangers sont nombreux chez nous. Comment leur donner la possibilité non seulement d'avoir une vie agréable dans nos universités, mais aussi de déboucher sur un véritable profil professionnel ? Ce sont des questions auxquelles nous ne savons pas répondre.

Monsieur le ministre, nous souffrons terriblement, dans les universités françaises, du problème du logement étudiant. Certes, celui-ci va être décentralisé au profit des communes, mais, comme l'a souligné Gilles de Robien dans un rapport qui a été publié par les APEL, le logement étudiant est une partie du logement social qui n'est pas secondaire. Je souhaite donc que vous souteniez cette cause. Il faudrait rénover nos cités universitaires, qui sont souvent dans un état de vétusté critiquable, et en construire de nouvelles. La construction de cités universitaires a, pour moi, autant d'importance que celle de logements sociaux. Permettez au Francilien que je suis de rappeler que notre région si importante en matière universitaire, est très en retard dans ce domaine et qu'il n'est pas tolérable que, dans cette région capitale, autant d'étudiants cherchent en vain des appartements ou des chambres dans les cités universitaires. En 2002, la ville de Paris avait passé une convention avec l'Etat, avec Mme Lienemann, mais elle n'a pas été respectée. On ne construit plus en Ile-de-France et le drame du logement social dans cette région, c'est aussi le drame de la condition étudiante. Par conséquent, associez-vous avec Gilles de Robien et avec les communes pour mener une politique incitative en la matière. Nous devons loger décemment nos étudiants, notamment les étrangers.

Enfin, il y a, dans nos universités, au moins parisiennes, une certaine inquiétude face à la montée de la violence et surtout d'un antagonisme entre ce que l'on appelle, à tort d'ailleurs, les phénomènes communautaristes. Le débat sur la laïcité doit avoir lieu aussi dans l'enseignement supérieur. On nous dit que nous sommes en présence de majeurs, mais la majorité n'exclut pas le respect de la neutralité du service public et je souhaite que, dans nos universités aussi, la main de l'Etat laïque se fasse sentir. On ne peut plus accepter de voir, au fronton de nos universités, des banderoles qui sont parfois une insulte à l'esprit de la France, qui accusent tel ou tel de tous les péchés en d'infâmes termes racistes. Je parle des universités parisiennes, mais je pense que ce phénomène existe aussi en province. Monsieur le ministre, prenez garde aux groupes qui cherchent à pousser les étudiants dans la rue en provoquant des réflexes communautaires !

Pour toutes ces raisons, et pour d'autres encore qui ont été soulignées par nos rapporteurs, le groupe UMP votera sans hésiter votre budget, en vous souhaitant de mener à bien la modernisation et l'ouverture internationale nécessaires au rayonnement de nos universités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Claeys.

M. Alain Claeys. Ce budget est important, monsieur le ministre, car vous êtes confronté à des chantiers prioritaires considérables et essentiels pour l'avenir de notre université, qui concernent la construction et l'amélioration des locaux, le déroulement des études, les diplômes, les enjeux européens et l'autonomie.

J'ai apprécié ce qu'a dit Claude Goasguen sur le patrimoine universitaire. Nous avons en effet beaucoup de retard en la matière, particulièrement en région parisienne, mais vous en connaissez la raison : les collectivités locales ont tardé à contractualiser avec l'Etat.

Pour mener à bien ces chantiers, monsieur le ministre, qu'il s'agisse de l'autonomie universitaire ou de l'harmonisation des diplômes, il faut la confiance de la communauté universitaire. Malheureusement, cette confiance n'est pas au rendez-vous aujourd'hui.

Depuis dix-huit mois, l'enseignement supérieur et la recherche n'ont pas été traités correctement, à la hauteur des enjeux qu'ils représentent. Les budgets souffrent d'insuffisances en matière de dotations et de postes et ne répondent absolument plus aux besoins.

Parallèlement, nous observons de sérieux retards dans l'exécution des contrats de plan Etat-région. Pour être tout à fait honnête, j'avoue que nous ne pouvons attribuer à l'Etat tous les retards. Certains, à l'évidence, sont dus au fait que les dossiers n'étaient pas suffisamment élaborés au moment de la signature du contrat de plan. Mais reconnaissez que l'exécution des contrats laisse amplement à désirer.

Si nous comparons le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche à ceux de la précédente législature, il faut reconnaître, monsieur le ministre, qu'ils traduisent une rupture avec l'action conduite pendant cinq ans sous le gouvernement de Lionel Jospin. Durant cinq ans, nous avons enregistré de nombreuses créations d'emplois importantes et de fortes augmentations des crédits de fonctionnement.

M. Claude Goasguen. Nous étions en période de croissance !

M. Alain Claeys. Votre budget pour 2004 affiche une augmentation de 3 %.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas si mal !

M. Alain Claeys. Ce n'est pas si mal, en effet, mais comme vous, mon cher collègue, nous sommes curieux et nous voulons savoir ce que recouvrent ces 3 %.

Les mesures nouvelles, par exemple, ne représentent que 0,6 % du budget, ce qui correspond à peu près à l'augmentation du nombre d'étudiants.

Quant aux dépenses ordinaires, celles affectées au fonctionnement et à l'action sociale, elles n'augmentent que de 1,91 %, soit 150 millions d'euros.

Encore faut-il, dans cette augmentation, intégrer des mesures qui ne sont que le prolongement de dispositions adoptées en 2002. Je pense à l'extension en année pleine des créations d'emplois de 2003, pour 74 millions d'euros, à la revalorisation du point de la fonction publique ou encore aux incidences, toujours en année pleine, des mesures correspondant à l'attribution de bourses d'étude en 2003. Tout cela relativise cette progression de 3 %.

Concernant les dépenses d'investissement, les crédits de paiement progressent de 15 % et les autorisations de programme diminuent de 3 %.

L'augmentation des crédits de paiement s'explique par deux raisons essentielles : le désamiantage de Jussieu et le rattrapage du retard pris en 2003 pour le déblocage des crédits de paiement sur les contrats de plan.

En revanche, les constructions nouvelles vont subir une baisse de 30 %. Je sais bien que ce problème ne concerne pas uniquement votre ministère, mais on peut bien dire entre nous, ce soir, que les contrats de plan devront être prolongés si vous voulez les exécuter.

Votre budget manque d'ambition. Vous n'anticipez pas les départs à la retraite, ce qui pose un grave problème, en particulier pour les filières scientifiques, où la France, comme l'Europe, a pris du retard. L'absence de toute mesure pourrait conduire à l'aggraver.

Vous ne remédiez pas au sous-financement de l'enseignement supérieur en France. Ce n'est pas moi qui le dis : tous les avis concordent, ceux de l'OCDE, du Haut conseil de l'évaluation de l'école, de bon nombre d'économistes et de la conférence des présidents d'université. Aucun emploi d'enseignant-chercheur n'est créé. Vous allez, monsieur le rapporteur spécial, présenter un amendement au nom de la majorité de la commission des finances. Reconnaissez que sur un sujet aussi grave, c'est un cautère sur une jambe de bois.

Votre budget prend également du retard au niveau des créations de postes IATOSS. Nul besoin de développer ; il suffit de regarder les chiffres pour constater l'absence de tout plan de recrutement.

Comme l'a dit M. Goasguen, la fonction internationale de l'université est importante. C'est un thème que j'ai beaucoup étudié ; il suffit parfois de petites choses, comme améliorer l'accueil des étudiants étrangers encore très insatisfaisant malgré les efforts accomplis, ou développer le logement social étudiant, dont la situation m'inquiète. Lorsqu'elles ont adopté les contrats de plan, les collectivités ne se sont pas intéressées à l'hébergement.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Alain Claeys. Aujourd'hui, seul l'Etat en supporte la charge. Si, demain, cette compétence est transférée aux collectivités locales, je crains que leurs ambitions ne soient pas à la hauteur des nécessités et que, faute de logements, les étudiants étrangers ne nous préfèrent d'autres pays.

M. Claude Goasguen. C'est vrai !

M. Alain Claeys. C'est dans ce contexte, qui n'est pas bien brillant, que se pose le problème de l'autonomie. J'ai beau être dans l'opposition, je n'ai pas changé d'avis sur l'autonomie et la modernisation de la gestion des universités. J'ai écrit un certain nombre de choses sur le sujet, je persiste et je signe. Ce projet important ne pourra aboutir que dans un climat de confiance, et la confiance, aujourd'hui, n'est pas au rendez-vous.

Par ailleurs, pour réussir, il faut que nous soyons clairs sur quelques principes, comme la notion de service public ou encore l'égalité de traitement des universités sur l'ensemble du territoire.

Il faut que nous soyons clairs aussi sur le concept même d'autonomie. Je sais que vous l'êtes, monsieur le ministre, mais je ne suis pas convaincu que chaque membre de votre majorité le soit. Autonomie ne veut pas dire décentralisation des compétences universitaires vers les collectivités locales. Tant que durera cette ambiguïté, la communauté universitaire éprouvera des réticences.

Pour que ce projet puisse fonctionner dans de bonnes conditions, il y a trois conditions préalables.

La première est que les dotations financières de l'Etat soient suffisantes pour que l'autonomie ne soit pas ressentie par les universitaires comme un désengagement de l'Etat.

La deuxième condition, et c'est une des ambiguïtés du projet de loi, tient à la nature de l'évaluation. Car qui dit autonomie dit en contrepartie évaluation, qualitative et quantitative, mais assurée par l'Etat et non par des organismes privés ou des collectivités locales.

La troisième condition me paraît essentielle : vous devez être parfaitement clair vis-à-vis du personnel de l'éducation nationale, en lui assurant le maintien de son statut de fonctionnaire d'Etat. Vous devez l'être également sur cette notion très compliquée de fongibilité asymétrique, qui inquiète en particulier les personnels IATOS.

J'évoquerai, avant de conclure, deux chantiers extrêmement importants dans la perspective de l'autonomie.

Celui du patrimoine, d'abord. Ce matin, j'ai rencontré le président d'une chambre régionale des comptes qui, par délégation, aura à contrôler les universités. Nous avons pris conscience de la difficulté d'évaluer leur patrimoine, qui est de qualité inégale d'un établissement à l'autre.

Celui du budget global, ensuite. Vous le savez, cette notion recouvre des concepts différents. S'agit-il d'une dotation globale comme celle que perçoivent les universités, ou d'autre chose ? Ayons l'honnêteté de dire qu'il n'y a pas de symétrie ni de mouvement de balancier entre le budget global et la loi organique. Il faut dissocier les deux notions si l'on veut faire avancer le débat.

Un mot pour conclure, monsieur le ministre : les chantiers qui sont devant nous, déjà engagés avant votre entrée en fonction, nécessitent des moyens. Nous ne pourrons pas transformer et améliorer le service public de l'université si les moyens ne sont pas au rendez-vous, en termes de postes et de crédits de fonctionnement. Aujourd'hui, malheureusement, ils font défaut. C'est pourquoi nous ne voterons pas votre budget.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Leteurtre.

M. Claude Leteurtre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, le budget de l'enseignement supérieur, avec plus de 9 milliards d'euros, progresse de 3 % après une hausse l'an passé de 1,1 %. C'est donc un bon budget, parce qu'il affiche une vraie volonté politique. Cette hausse de 3 %, monsieur le ministre, je vous remercie de l'avoir obtenue.

Ce budget met en évidence trois priorités, que l'UDF partage : la restructuration des cursus, la rénovation des installations universitaires, le développement de la recherche. Enfin, il traduit un effort nouveau pour assurer l'égalité des chances de tous les étudiants.

Ce dernier point nous semble essentiel.

Au total, 1,3 milliard d'euros seront affectés aux bourses d'enseignement supérieur allouées sur critères sociaux et universitaires. Il faut y ajouter 285 millions d'euros pour les logements et les structures de restauration gérés par le réseau des CROUS. C'était plus que nécessaire, car le patrimoine est très dégradé et ne répond plus aux normes minimales de confort que sont en droit d'attendre les étudiants.

Par ailleurs, si aucun poste d'enseignant n'est créé cette année, 125 postes vont venir renforcer le personnel d'encadrement et de direction.

De même, nous vous félicitons pour la création de 6 000 bourses de mobilité. Elles permettront aux étudiants qui souhaitent poursuivre une partie de leurs études à l'étranger de le faire dans de bonnes conditions. Nos universités, il faut le reconnaître, sont souvent trop timides dans leur collaboration avec leurs homologues européennes.

Ces bourses devront être utilisées en priorité dans le cadre des échanges avec nos partenaires de l'Union.

Nous avons en revanche quelques inquiétudes en ce qui concerne les crédits d'investissement, ce qui m'amène à reprendre le thème déjà développé par Claude Goasguen. Le patrimoine universitaire est vieillissant. Pour l'essentiel, les crédits seront donc consacrés à la maintenance, quand ce ne sera pas à des travaux d'urgence. S'ils n'étaient pas effectués, ils entraîneraient la fermeture de très nombreux bâtiments.

Je suis d'autant plus inquiet qu'à l'Université de Caen, que je connais bien, les crédits de paiement sont épuisés pour l'année qui s'achève. J'ai ici un courrier que le rectorat a adressé le 30 septembre dernier aux entreprises travaillant sur des chantiers universitaires à Caen et à Lisieux. Il y est écrit : « Suite à des restrictions budgétaires, je vous informe que je ne suis plus en mesure de payer les prestations réalisées depuis le 1er septembre 2003. En conséquence, je vous saurai gré de bien vouloir me faire connaître quelle serait, selon vous, la solution la moins douloureuse : soit continuer le chantier en sachant que les paiements ne reprendront qu'à partir de l'année prochaine, soit arrêter le chantier. » Les entreprises en question ont finalement été payées. Elles l'ont été en partie par des crédits pris sur des chantiers de mise en conformité qui n'avaient pas encore été lancés. Qu'adviendra-t-il en 2004, sachant que le rectorat, pour faire face à la pénurie, a retardé un certain nombre d'ordres de service ?

Une telle situation est alarmante pour tout l'enseignement supérieur. J'ose croire et espérer que cet exemple n'est qu'anecdotique et qu'il n'en est pas de même ailleurs pour les investissements universitaires.

Pour l'UDF, la solution se trouve dans la décentralisation de cette compétence vers les régions. En effet, depuis déjà plusieurs années, celles-ci participent très largement, le plus souvent aux côtés des départements et des villes, aux investissement universitaires. Il convient à présent d'entériner cet état de fait, puisque l'Etat n'a plus les moyens de ses ambitions en ce domaine.

Aussi l'UDF attend-elle avec impatience que le Gouvernement présente son projet de loi relatif à l'autonomie des universités. Pour l'heure, notre groupe votera ce budget, dont il faut saluer la volonté affichée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le budget de l'enseignement supérieur s'élève à 9,086 milliards d'euros. Après la baisse significative de l'année dernière, il n'est en hausse que de 2,93 %. L'enseignement supérieur n'est donc pas considéré comme un budget prioritaire, contrairement à la défense, l'intérieur et la justice.

Cette augmentation reste centrée sur les crédits de fonctionnement. L'enseignement supérieur privé fait, comme précédemment, l'objet d'un effort important.

La hausse de ce budget est d'autant plus en trompe-l'œil que le Gouvernement ne respecte pas le principe de sincérité budgétaire, dont il se réclame pourtant. Au cours de l'année 2003, plusieurs centaines de millions d'euros avaient été gelés en catimini. Et des rumeurs circulent, selon lesquelles Bercy envisagerait déjà de nouveaux gels courant 2004.

Les besoins de l'enseignement supérieur sont pourtant immenses. D'après un rapport de Haut conseil d'évaluation de l'école, l'économie aura besoin en 2010 de 70 % de bacheliers par génération, contre 62 % actuellement, et de 45 % de diplômés de l'enseignement supérieur, contre 38 % aujourd'hui.

Les signaux d'alarme de l'année dernière devraient vous inquiéter : que dire de la fermeture temporaire de deux universités, qui a eu lieu l'année dernière ? Que dire des velléités de Sciences-Po d'augmenter ses frais d'inscription ? Partant du principe que le désengagement financier de l'Etat est inéluctable, la réforme Descoings ouvre la porte à la privatisation de Sciences-Po.

En créant, sous couvert d'un pseudo souci de démocratisation et de justice sociale, un système progressif de droits qui s'élèveraient jusqu'à 4 000 euros annuels pour les plus riches, on instaure la logique selon laquelle c'est aux familles d'assumer le coût des études. Cette émancipation de la tutelle de l'Etat peut se lire d'une autre façon : ce n'est plus la collectivité qui, en fonction de la situation de l'étudiant, doit lui permettre de poursuivre ses études. Reste à savoir, monsieur le ministre, ce que vous pensez d'une telle inversion.

En 2002, la dépense moyenne par étudiant et par année a été de 8 680 euros, contre 9 060 euros pour un élève du second degré général et technologique. L'enseignement supérieur serait-il le parent pauvre de l'éducation nationale ?

Que dire encore de la disparité scandaleuse entre un étudiant à l'université, qui ne coûte que 6 850 euros en moyenne, et un étudiant en classe préparatoire aux grandes écoles, qui coûte 13 220 euros, soit presque le double ? L'université serait-elle le parent pauvre de l'enseignement supérieur ?

Comment nier qu'à la rentrée 2002, l'enseignement supérieur comptait 44 000 étudiants de plus, malgré une démographie en léger recul ? Et je cite mes sources pour M. le rapporteur : L'Etat et l'Ecole, ouvrage publié en octobre 2003 par la direction de l'évaluation et de la prospective. Les progrès de la scolarisation des jeunes sont indéniables, ils concernent toutes les filières et répondent à une demande sociale dont il faut savoir prendre toute la mesure. Rien d'étonnant à cela quand on sait que posséder un diplôme de l'enseignement supérieur est un atout déterminant pour l'emploi.

L'augmentation de 1,5 % des bourses sur critères sociaux et universitaires est dérisoire en regard des hausses de la restauration universitaire, des droits d'inscription et de la sécurité sociale étudiante.

Les droits d'inscription sont passés de 137 euros l'an passé à 141 euros en moyenne cette année ; ils s'élèvent à 278 euros pour certaines maîtrises. Ils s'accompagnent souvent de frais illégaux - contributions pour le sport ou encore la culture, normalement facultatives - pouvant s'élever jusqu'à 50 euros. Si on ajoute à cela la cotisation de sécurité sociale, soit 277 euros, on est loin d'un service public d'éducation gratuit !

Non, monsieur le ministre, la démocratisation de l'enseignement supérieur ne fait pas partie de vos priorités.

Les échecs et abandons en premier cycle universitaire s'expliquent en partie par des problèmes financiers et par la situation sociale des étudiants. Près d'un sur deux est obligé de travailler pour financer ses études. Et pour les étudiants qui ont une activité salariée, la probabilité de réussite diminue de 29 %.

L'accès à un logement indépendant est la première étape dans l'accès des jeunes à l'autonomie. Or 41 % des étudiants vivent chez leurs parents, 14 % seulement l'ayant choisi. Ceux qui ont la chance de disposer d'un logement vivent souvent dans des lieux exigus, voire insalubres.

Il y a trente ans, les CROUS disposaient d'environ 100 000 logements pour 300 000 étudiants. Aujourd'hui, il n'y a que 50 000 logements de plus pour 2 200 000 étudiants ! En d'autres termes, les CROUS ne peuvent accueillir que 8 % des étudiants. Dans un contexte d'explosion des loyers, 52 % des étudiants sont obligés de se loger dans le locatif privé.

Depuis 1998, le plan social étudiant a fait passer de 23 % à 30 % le nombre d'étudiants aidés. Aujourd'hui, cette progression est stoppée alors que les situations de détresse sociale sont de plus en plus nombreuses.

Vous prétendez, grâce à ce budget, favoriser l'accompagnement social des étudiants ? La frilosité de vos mesures ne peut contenter ni les étudiants ni la communauté éducative.

Pourquoi ne pas relancer le plan social étudiant ?

Pourquoi ne pas instaurer un plan d'accès au logement étudiant ?

Un accueil plus large et une démocratisation effective de l'enseignement supérieur supposent d'importants moyens budgétaires, à la fois pour assurer la gratuité effective de l'accès aux études et pour donner à tous les étudiants de réelles conditions de réussite.

Créer des passerelles entre les filières est un bon principe, mais il faut surtout instaurer un encadrement pédagogique et social de qualité, donc se donner les moyens financiers et humains à la hauteur de telles ambitions. Or, pour la première fois, aucun emploi d'enseignant ne sera créé dans le supérieur. En 2003, 500 emplois avaient été créés et 1 000 en 2002.

Seulement 111 créations d'emplois non enseignants sont prévues pour 2004, alors que vous en aviez annoncé 125. Par ailleurs, sont inscrits, au titre de la résorption de l'emploi précaire, 250 emplois non enseignants « gagés » sur les ressources propres des établissements. Cela ne coûte rien à l'Etat. Ce sont les établissements qui auront à financer les promotions ultérieures des personnels ainsi titularisés.

L'université est entrée dans le processus d'harmonisation européenne. Il conviendrait d'en profiter pour développer des coopérations inédites entre lieux de formation, laboratoires de recherche, entreprises innovantes et collectivités territoriales. Nous avons là une formidable occasion de développer des réseaux associant aux projets les plus divers, citoyens et citoyennes, syndicalistes, décideurs économiques et politiques, chercheurs et spécialistes de divers champs de savoirs et de compétences.

Le droit européen ne conteste pas le caractère public de nos services publics. Mais il s'attaque à tous les monopoles, considérant que la concurrence est une forme d'organisation optimale. Dans ce contexte, la division des études en trois niveaux - licence, mastère, doctorat - et l'autonomie des universités font bel et bien entrer les notions de concurrence et de rentabilité dans le vocabulaire universitaire. Partout en Europe, les mêmes logiques sont à l'œuvre : désengagement de l'Etat, hausse des frais d'inscription et entrée de capitaux privés. Les universités ne seront plus des agents au service d'un espace national d'éducation, mais des entités autonomes se livrant concurrence à l'échelon national et européen.

Chaque université devra se placer sur « le marché de l'offre de formation » et le projet de loi de modernisation des universités prévoit la création de conseils d'orientation stratégique dans lesquels siégeront ceux qui payent. Les collectivités et les entreprises payeront donc pour des formations adaptées à leurs besoins, c'est-à-dire à des besoins locaux !

La sectorisation n'existant plus, les universités devront se faire concurrence pour attirer à elles les étudiants, ce qui entraînera une spécialisation à outrance de leurs diplômes afin de devenir des pôles d'excellence. La professionnalisation inhérente à cette logique marchande s'accompagnera inéluctablement de l'abandon des filières jugées non rentables immédiatement pour l'entreprise : histoire, philosophie, lettres, arts, sociologie...

Vous allez casser l'égalité de dotation, la répartition cohérente des diplômes sur le territoire et le principe d'équivalence.

Pire encore : les universités seront autorisées à changer de statut pour pouvoir pratiquer légalement la sélection à l'entrée. Rentabilité oblige !

On pouvait attendre qu'un débat sur l'enseignement supérieur s'ouvre à la rentrée, sur le modèle du « grand débat sur l'école ». Il s'est en fait limité à une consultation réduite dans le temps, circonscrite à quelques interlocuteurs choisis et organisée par la conférence des présidents des universités. Le colloque du 9 octobre : L'université française du XXIè siècle : la réforme nécessaire, qui a eu lieu dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, a marqué la conclusion solennelle de ce qui n'était qu'un simulacre de consultation. Cet événement a été conçu sur le mode d'une action de lobbying, notamment auprès des parlementaires, pour faire valoir les positions des présidents et leurs intérêts. Il a été organisé en un temps record et en l'absence de la majeure partie de la communauté universitaire, notamment des étudiants, au nom desquels les modernisateurs justifient leurs réformes.

Les besoins du développement humain, la nécessité de fortes anticipations pour permettre le renouvellement du patrimoine planétaire, lancent à l'enseignement supérieur des défis qui appellent de profondes réformes. L'organisation d'un débat sérieux sur l'avenir de l'enseignement supérieur est donc un impératif. Sans ce débat démocratique et sérieux, vous allez vous exposer, monsieur le ministre, à une confrontation légitime avec notre jeunesse.

Parce que votre politique met en péril l'avenir de l'enseignement supérieur public de notre pays, le groupe communiste votera contre ce budget.

Mme la présidente. La parole est M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de l'enseignement supérieur inscrits au projet de loi de finances pour 2004 progressent significativement par rapport à 2003, puisqu' ils sont en hausse de près de 3 %. Nous pouvons tous nous réjouir de cette augmentation dans un secteur aussi primordial, surtout dans le contexte budgétaire actuel.

Le pari de l'intelligence est capital, monsieur le ministre, car c'est un pari sur l'avenir ! Le budget que vous nous présentez répond à cette nécessité.

Tout d'abord, les efforts consentis par le Gouvernement auront un impact non négligeable sur les crédits de fonctionnement et d'investissement des établissements d'enseignement supérieur, qui enregistrent une augmentation de 10 %. Cette progression permettra notamment d'amplifier les travaux de construction, de maintenance et de mise en sécurité des bâtiments universitaires.

Ensuite, ce budget permettra de concrétiser les engagements que vous-même avez pris dès l'an passé. Je pense en particulier à la politique de contractualisation avec les établissements ou à l'amélioration de l'accompagnement social des étudiants.

Ce dernier aspect me tient particulièrement à cœur en ma qualité d'élu d'une collectivité d'outre-mer qui voit chaque année de plus en plus de ses enfants quitter leur île natale pour poursuivre des études supérieures à La Réunion ou en métropole. J'ai pu observer à maintes reprises le déchirement de ces départs et les conséquences sur certains jeunes Mahorais d'un exil forcé du fait de l'absence d'établissements supérieurs à Mayotte. Je me réjouis de la mobilité de la jeunesse d'outre-mer. Elle est nécessaire et j'ai salué en son temps l'excellente initiative de votre collègue, Mme la ministre de l'outre-mer, à savoir la mise en place du passeport mobilité qui connaît le succès que l'on sait.

Ce que je déplore, c'est l'absence de choix à Mayotte, car le financement des études supérieures hors de l'île constitue un très gros sacrifice pour les parents, dont les revenus font partie des plus modestes de la République. L'an passé, 3 237 étudiants et lycéens mahorais sont partis poursuivre leurs études et leur nombre est en augmentation constante, proportionnelle à celle de la population scolaire. Songez, monsieur le ministre, que Mayotte comptait 53 lycéens en 1981, 420 en 1991 et en dénombre aujourd'hui 4 219. Parallèlement, le nombre de bacheliers augmente dans une proportion très significative. J'en veux pour preuve les chiffres des admis au baccalauréat général : 212 en 2002 et 302 en 2003. Pour le baccalauréat technologique les chiffres sont aussi significatifs : 260 admis en 2002 et 392 en 2003, soit près de 50 % d'augmentation pour chacune de ces séries. Le nombre de collégiens enregistre également une augmentation si importante qu'elle ne pourra que renforcer dans un très proche avenir, et durablement, le constat que je viens de vous présenter.

Le maintien du statu quo sur la question de l'implantation des filières universitaires serait donc très grave car, à Mayotte, l'égalité des chances reste une chimère. L'ascenseur social par le jeu des études supérieures n'y est pas en panne : il est quasi inexistant. La seule structure qui pourrait s'apparenter à un établissement de formation supérieure est frappée d'une spécificité qui est injustifiée et ne répond pas aux besoins de Mayotte. Je pense à l'IFM - institut de formation des maîtres -, chargé de former les instituteurs mahorais. Cet outil n'est plus adapté. C'est pourquoi nous attendons avec impatience la mise en place d'un IUFM calqué sur ceux existants en métropole et qui aura toute sa place à Mayotte. Il n'est pas concevable de maintenir l'institut existant, régi par l'ordonnance du 14 février 2002 relative à la gestion et à la formation des instituteurs de la collectivité départementale de Mayotte, ordonnance dont la philosophie a toujours considéré l'éducation à Mayotte comme territoriale.

Une telle philosophie doit avoir vécu avec la venue de la présente majorité, afin que nous puissions construire à Mayotte l'éducation nationale en adéquation avec les orientations et les ambitions majeures décidées par les plus hautes autorités de notre pays pour l'île. Mayotte s'inscrit sur la voie de la départementalisation, son ancrage au sein de la République française ne fait plus débat. L'éducation dans le primaire comme dans le secondaire doit être nationale. Toutes les conséquences doivent être tirées de ces acquis, que ce soit pour la formation des instituteurs ou pour les autres infrastructures universitaires à mettre en place.

La nécessité de développer l'enseignement supérieur à Mayotte est prescrite par l'accord sur l'avenir de l'île du 27 janvier 2000 qui stipule que « l'Etat aidera les collectivités locales en matière d'enseignement primaire et préélementaire et de formation. Il développera et amplifiera la formation universitaire. »

L'heure est donc venue de mettre en œuvre les engagements politiques. Les Mahorais y sont prêts, ils le souhaitent et vous expriment cet impérieux besoin. C'est une question d'égalité des chances devant le savoir.

Tel est le contexte dans lequel je souhaite ardemment que le volontarisme du Gouvernement et l'énergie que vous déployez profitent également à Mayotte, qui accuse, dans ce domaine, un retard criant.

Je vous sais gré par avance, monsieur le ministre, de vos réponses lors des débats qui suivront et vous renouvelle mon total soutien pour que les bonnes orientations du budget, que je voterai, profitent à l'ensemble de la jeunesse de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. Je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés d'avoir respecté le temps de parole qui leur était imparti.

La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je souhaiterais, en premier lieu, adresser mes remerciements les plus chaleureux aux rapporteurs pour l'excellent travail qu'ils ont accompli et qui me permettra d'être particulièrement bref dans la présentation du budget de l'enseignement supérieur. L'essentiel a été déjà fort bien présenté. Je remercie également les différents intervenants pour leur participation au débat, en dépit des divergences que j'ai pu noter entre nous et sur lesquelles je reviendrai brièvement.

D'entrée de jeu, je dirai qu'il convient de rompre avec la logique habituelle de la présentation budgétaire qui consiste à considérer qu'un bon budget est nécessairement un budget en augmentation. Un budget est bon lorsqu'il permet de réaliser une politique. Je l'affirme d'autant plus volontiers, d'autant plus aisément et librement, que le budget des universités et de la recherche universitaire augmente effectivement de 3 %, ce qui est, dans le contexte actuel, l'indice du fort attachement que témoigne le Gouvernement dans son ensemble à l'enseignement universitaire.

Je ferai deux remarques préalables, très brèves, qui portent sur des aspects particuliers, en réponse à deux des interventions précédentes.

Vous avez affirmé, monsieur Claeys, que l'augmentation du budget de l'enseignement supérieur est en trompe-l'œil. Il me semble que vous commettez exactement la même faute logique que celle qui a été commise à propos de l'enseignement scolaire par quelques- uns de vos collègues du parti socialiste. Afin de prouver qu'il s'agirait d'une augmentation en trompe-l'œil, d'un côté vous enlevez l'effet en année pleine des hausses de l'année antérieure, et de l'autre vous n'ajoutez que l'effet en tiers d'année des mesures nouvelles inscrites au PLF pour 2004. Dans ces conditions, évidemment, la comparaison étant à périmètre différent, la hausse apparaît moins forte, mais vous conviendrez que la comparaison n'est pas rigoureuse. Elle est même insensée, au sens propre du terme. Il convient donc d'en revenir à une comparaison terme à terme et à périmètre constant afin d'évaluer en toute rigueur la réalité de l'augmentation du budget.

Monsieur Leteurtre, les crédits d'investissement inscrits au PLF pour 2004 doivent être augmentés - ce qui est une situation rassurante - des crédits gelés en 2003, aussi bien en autorisations de programme qu'en crédits de paiement, puisqu'ils sont désormais reportés libres d'emplois. C'est donc 100 millions d'euros qui s'ajouteront aux crédits ouverts en loi de finances initiale, qui sont déjà eux-mêmes en hausse de 15 % en crédits de paiement. Les craintes que vous avez émises ne sont donc pas fondées. Il s'agit là d'une réponse crédible, me semble-t-il, à votre interrogation.

Je souhaiterais, avant de présenter le budget, prendre un peu de champ afin de le mettre en relief et de lui donner sa véritable signification. Je vous livrerai trois éléments de réflexion.

Le premier, c'est que nous dépensons depuis plus de vingt ans relativement moins pour l'enseignement supérieur que pour l'enseignement scolaire, ce qui est une mauvaise chose. Un rééquilibrage doit s'effectuer. Afin de nous inscrire dans cette perspective, nous avons choisi de basculer, par redéploiement de l'enseignement scolaire vers l'enseignement supérieur, 100 millions d'euros, ce qui permettra d'augmenter notamment les crédits d'investissement et de fonctionnement des universités. Le financement de nos universités connaît un déficit relativement important par rapport à celui de l'enseignement scolaire. C'est assurément un défaut français, mais il n'est pas propre à notre pays : l'ensemble de l'Europe le partage. En revanche, les universités américaines ne le connaissent pas, ce qui nous situe dans une relation de concurrence difficile par rapport à elles.

Deuxième élément de réflexion : selon toutes les analyses, notamment celles du Conseil d'analyse économique, nous devons non seulement investir davantage dans l'enseignement supérieur relativement à l'enseignement scolaire, mais encore investir dans les niveaux les plus élevés de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire dans le M. et le D du LMD - licence, mastère, doctorat. Il s'agit là d'une exigence qui a été formulée à juste titre au Conseil des ministres de Berlin, il y a un mois et demi, et dont nous devons tenir compte parce que c'est à ce niveau d'investissement, au supérieur du supérieur, si je puis dire, que nous pourrons connaître des retombées non seulement en termes de croissance, mais également en termes de franchissement de la barrière technologique. Le cap est pris, me semble-t-il, dans le projet de loi de finances pour 2004.

Je noterai enfin - c'est le troisième élément de réflexion - que l'université française est dans une situation inconfortable, dans la mesure où son autonomie n'est pas achevée, si bien qu'en matière de gestion notamment, le contrôle de l'Etat peut être jugé insuffisant par ceux qui souhaiteraient que l'Etat dirige effectivement la politique universitaire, tandis que ceux qui souhaiteraient une plus large autonomie, jugent que celle-ci est insuffisante. Ce mi-chemin entre la tutelle de l'Etat et l'autonomie est déresponsabilisant pour les universités. Le rapport que l'inspection générale des finances et l'inspection générale de l'administration m'ont remis récemment est très critique sur la gestion des universités, notamment parce qu'elles sont aujourd'hui à mi-chemin entre la tutelle de l'Etat et l'autonomie réelle. Il conviendra, le moment venu, de faire un choix. Le choix que je propose est celui qui concilie une autonomie plus grande des universités et un engagement plus grand de l'Etat.

Je souhaiterais développer brièvement ce point avant de m'engager dans la présentation proprement dite du budget, qui sera tout aussi brève.

Poursuivant la logique de mes prédécesseurs - je le reconnais - nous avons choisi d'entrer résolument dans la création d'un espace européen de l'enseignement supérieur. Nous avons en effet besoin d'un modèle européen de l'enseignement supérieur qui soit concurrentiel et alternatif du modèle américain. Si nous considérons ce que j'appellerai le marché ou, en tout cas, la population des étudiants qui ne font pas leurs études dans leur pays d'origine, nous nous apercevons que 28 % vont aux Etats-Unis, 14 % au Royaume-Uni, 12 % en Allemagne et seulement 9 % en France. L'attrait de nos universités n'est donc pas suffisant et nous devons le développer. L'avant-projet de loi sur les universités, encore en discussion, s'inscrit dans cette perspective. Je rejoins les propos de Claude Goasguen : il ne faut pas charger la barque, mais prendre le temps de la discussion et du dialogue social afin de parvenir au plus grand accord possible sur le sujet. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que la discussion puisse se prolonger. C'est également dans cette perspective - M. Goasguen a eu raison de le noter - que mon ami Dominique de Villepin et moi-même créerons et installerons mercredi prochain le conseil national pour la mobilité internationale des étudiants. De plus, dans les trois mois qui viennent, nous engagerons une réorganisation complète de la fonction internationale du ministère dont j'ai la charge, aussi bien pour l'enseignement scolaire que pour l'enseignement supérieur.

L'avant-projet de loi sur l'autonomie ou sur la modernisation des universités, qui s'inscrit dans la perspective que j'ai rappelée, comporte trois grands axes qui expliquent en grande partie le projet de budget, lequel anticipe sur le projet de loi.

Le premier consiste à réaliser le LMD, à instaurer la mobilité des étudiants en Europe, ou du moins à la favoriser en harmonisant les diplômes européens, mais aussi, j'y insiste car c'est un point qui a souvent prêté à malentendu, en renforçant comme jamais le caractère national des diplômes français. Car nous avons mis en place un principe pour accorder les universités entre elles, mais aussi les universités avec les grandes écoles, en vertu duquel à un diplôme national doit correspondre une habilitation nationale, délivrée par une commission elle-même nationale et unique selon une procédure commune et uniforme. Par conséquent, les diplômes français seront plus nationaux que jamais. C'est un effet, peut-être un peu paradoxal mais certain, de ce processus d'harmonisation des diplômes européens.

Le deuxième grand axe, c'est l'autonomie des universités, qui ne signifie en aucun cas désengagement de l'Etat. Vous voyez bien, mesdames et messieurs les députés, que c'est exactement l'inverse, et le budget le prouverait s'il en était besoin. Autonomie ne signifie pas non plus privatisation. Parler de privatisation de Sciences-Po, monsieur Dutoit... Je vois que vous souriez, et je vous en suis reconnaissant, parce que vous convenez que c'est une plaisanterie. Il ne s'agit en rien de privatiser ou de régionaliser nos universités. Au contraire, il s'agit de relever le défi de la concurrence, en particulier celle des universités privées américaines.

Lorsqu'on parle de marchandisation, il faut aussi cesser de plaisanter ! La marchandisation des services de l'enseignement, elle est là ! Aujourd'hui, il y a partout en Europe des antennes des universités privées, notamment américaines. Et nous n'avons ni les moyens ni l'intention de les supprimer. La marchandisation des services est un fait. Elle existe. Il nous appartient d'en tirer les conséquences, de relever les défis de ce mercantilisme, dans le cadre des services publics, de l'université française et de l'université européenne.

L'autonomie, en donnant plus de responsabilité et plus de liberté à nos universités, leur permettra justement de résister à cette mondialisation souvent réalisée sous l'égide des Etats-Unis. J'ai évoqué cette concurrence, notamment américaine, en citant le chiffre de 28 % d'étudiants étrangers qui vont aux Etats-Unis. Relever le défi de la concurrence suppose de donner à nos universités les moyens d'une véritable politique scientifique et universitaire, et de constituer avec les autres universités européennes de véritables réseaux, de véritables pôles d'excellence, qui soient attractifs pour les étudiants étrangers et plus lisibles - c'est aussi un des enjeux du LMD - pour l'extérieur. La Commission européenne, lorsqu'elle met en place des bourses du type Erasmus Mundus, vise précisément à attirer les étudiants d'autres continents vers nos universités européennes et notamment françaises.

C'est dans cette perspective que s'inscrit l'avant-projet de loi des universités, nullement dans celle d'une marchandisation, d'une privatisation ou d'une régionalisation des servicespublics. Ce sont des épouvantails qu'on agite pour essayer de mettre les étudiants dans la rue, mais c'est évidemment totalement contraire à l'esprit de ce texte, qui sera une loi de résistance à la mondialisation dans le cadre du service public. Nous l'avons très clairement rappelé à Berlin le mois dernier, non seulement en disant que l'enseignement supérieur étant un bien public, il relevait de la responsabilité publique, mais aussi en faisant inscrire dans le communiqué final - malgré l'opposition initiale de la Grande-Bretagne - qu'en cas de conflit entre des intérêts commerciaux et des intérêts universitaires, ce sont toujours les intérêts universitaires qui devaient prévaloir.

Le troisième axe de l'avant-projet de loi vise, contrairement aux rumeurs sciemment répandues pour faire peur aux étudiants, à permettre aux petites universités et aux antennes universitaires de résister à cette concurrence que nous impose la mondialisation par la mutualisation de leurs moyens sur la base du volontariat et de la contractualisation. Je me réjouis, à cet égard, que les universités de Strasbourg, parce qu'elles sont frontalières, aient choisi de s'associer pour résister à cette concurrence, sans la moindre pression du ministère. Ce n'est en rien synonyme d'une politique de sites qui viserait à regrouper les petites universités. Il ne s'agit pas de réduire le nombre de sites. Il s'agit simplement de permettre à ces petites universités de mieux résister à leurs concurrentes.

Plus d'autonomie suppose - ce que disait très justement Claude Goasguen - une évaluation beaucoup plus forte, non seulement de la qualité de nos universités, mais aussi de leur gestion, à une échelle internationale et pas simplement nationale. C'est l'une des recommandations du communiqué de Berlin.

Ce choix suppose aussi un accompagnement social des étudiants. Nous avons, en effet, un très gros effort à faire sur le logement étudiant. Depuis le début du mois de septembre, je réunis au ministère, très régulièrement, les quatre principales organisations étudiantes, pour travailler avec elles sur l'accompagnement social des étudiants, la démocratie étudiante et le logement. J'ai demandé au député Jean-Paul Anciaux de travailler sur cette dernière question ; il nous remettra dans les toutes prochaines semaines des propositions concrètes. Les étudiants ne s'y trompent pas. Ils savent très bien que la volonté est là. Et même si ce sujet est lourd, parce qu'il a été aussi mal traité dans les dernières années que celui du bâtiment universitaire, ils savent très bien que, quand il y a une volonté, il y a aussi un chemin.

Ces remarques préalables expliquent les huit principales mesures de ce budget, que j'énumérerai rapidement.

Premièrement, les mécanismes d'incitation à la recherche privée sont refondus, avec notamment une très forte hausse, de 440 millions d'euros, du crédit d'impôt- recherche. Cela méritait d'être souligné.

Deuxièmement, un nouveau fonds pour la recherche, doté dès 2004 de 150 millions d'euros et financé à partir du produit des cessions d'actifs, sera mis en place, afin d'encourager plus particulièrement la recherche contractualisée menée sur la base de projets clairement identifiés et évaluables.

Troisièmement, les crédits de fonctionnement et d'investissement pour les établissements d'enseignement supérieur progressent au total de près de 10 %, ce qui est énorme, soit quelque 150 millions d'euros. C'est un choix délibéré que de privilégier cette ligne budgétaire par rapport à la création de postes. Nous assumons ce choix, d'ailleurs très bien accueilli par les présidents d'université.

Quatrièmement, les équipes de direction et les personnels d'encadrement seront renforcés. M. le rapporteur spécial a exposé le détail de ces mesures et je n'y reviens pas.

Cinquièmement, l'enseignement supérieur privé - on n'en n'a pas parlé, mais c'est un point que je tiens également à souligner - fait l'objet d'un effort très soutenu puisque les crédits qui lui sont alloués augmentent de 10 %, soit 5 millions d'euros.

Sixièmement, les mesures relatives aux rémunérations atteignent tout de même 50 millions d'euros.

Septièmement, la mobilité des étudiants sera favorisée par la mise en place de 6 000 bourses de mobilité supplémentaires, qui s'ajoutent aux 9 000 de l'année dernière et au quelque 50 000 qui existent déjà.

Huitièmement, les mesures spécifiques destinées aux étudiants et jeunes chercheurs se traduisent dans le PLF 2004 par une revalorisation des taux des bourses de 1,5 %, dès la rentrée 2004 contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, des allocations de recherche de 4 %, et par des dotations au réseau des œuvres universitaires et scolaires pour un montant de près de 3 millions d'euros. En outre, 1,7 million d'euros sont affectés à la recherche universitaire, afin de permettre aux établissements d'enseignement supérieur de payer les charges sociales afférentes à 300 bourses de thèse lorsque la rémunération brute servie aux intéressés est financée par des tiers.

Toutes ces mesures sont en phase avec les perspectives que j'évoquais en préambule. Elles marquent une rupture avec les budgets précédents, mais c'est une rupture que nous assumons et qui correspond à des choix transparents et clairement exposés. Des choix qui trouveront leur finalité et leur aboutissement lorsque le Parlement, dès cette année, je l'espère, votera la loi sur l'autonomie et la modernisation des universités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par le groupe UMP.

La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Monsieur le ministre, vous venez de préciser vos orientations concernant l'accueil des étudiants étrangers en France, et je m'en félicite. Vous avez cité des pourcentages, mais pourriez-vous nous donner les chiffres, en valeur absolue, que ce flux représente au niveau national ? C'est un élément important à remettre en perspective.

Je souhaiterais aussi que vous me précisiez le nombre d'étudiants français qui partent à l'étranger, et quelle politique vous prévoyez de développer pour encourager ces départs.

Il convient d'encourager cette migration d'étudiants de part et d'autre des frontières, mais existe-il un fléchage migratoire prioritaire pour certaines zones géographiques ? Je pense notamment aux pays de la zone africaine qui sont traditionnellement très proches de la France, notamment dans le cadre des efforts accomplis pour la francophonie. Je pense aussi aux pays de l'Est qui vont intégrer prochainement l'Union européenne. Ces fléchages pourraient constituer un élément essentiel pour souder nos liens et développer des échanges culturels avec ces pays.

Une dernière remarque, qui fait suite à l'excellente intervention de M. Hénart. Il souhaitait qu'au niveau agricole aussi existe un lien entre enseignement supérieur et recherche. Je puis le rassurer : des démarches sont effectuées en ce sens. Je me réjouis que ce soit aussi une orientation forte de l'enseignement supérieur.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, nous accueillons cette année 181 000 étudiants étrangers et, dans l'autre sens, le flux d'étudiants français partant à l'étranger est de 35 000. Je vous indiquais tout à l'heure les pourcentages que cela représente par rapport à des pays que nous pouvons considérer comme concurrents. Je laisse de côté les Etats-Unis, qui accueillent 28 % des étudiants du monde entier inscrits dans une université située hors de leurs pays d'origine : nous sommes évidemment très loin derrière. Mais la comparaison avec nos voisins est significative : 14 % pour le Royaume-Uni, 12 % pour l'Allemagne, seulement 9 % pour nous. Cela signifie que nous avons un gros effort à faire en termes d'accueil des étudiants étrangers.

Cet effort doit porter sur les quatre points suivants.

Premièrement, il faut que nous travaillions davantage sur l'accueil matériel, et notamment sur la question du logement étudiant. C'est pourquoi le budget prévoit la réhabilitation de 7 000 logements étudiants par an. Cet objectif n'a pas été atteint l'année dernière parce que les travaux ont pris du retard, mais les crédits sont là. Nous avons fait réhabiliter environ 4 000 logements ; c'est presque deux fois plus que la moyenne des cinq années précédentes. Nous poursuivons ce travail.

Le deuxième point à améliorer, c'est l'accueil psychologique des étudiants étrangers dans nos universités. Ils ont souvent le sentiment d'être perdus, surtout si l'on compare avec les Etats-Unis ou le Canada, où les étudiants sont vraiment pris en charge, accompagnés, maternés, si je puis dire.

M. Claude Goasguen. Tout à fait.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Troisièmement, nous devons améliorer la lisibilité de nos diplômes. Ce sera fait grâce à l'harmonisation européenne et à la mise en place du LMD.

Enfin, nous devons, comme vous le suggérez, mieux choisir les étudiants que nous souhaitons accueillir en France. Cela ne signifie pas que nous voulons mettre en place une politique des quotas, bien évidemment. Mais il ne faut pas non plus rester dans le laissez-faire, le laissez-passer, notamment à l'égard des pays avec lesquels nous avons passé des accords, tels ceux instituant des diplômes communs, des formations doctorales communes, comme c'est le cas cette année avec l'Allemagne ou avec la Russie. Avec ces pays, nous devons avoir une politique ciblée, volontariste, en tout cas susceptible de guider les structures d'accueil des étudiants. Cette politique n'existe pas. C'est une des raisons pour lesquelles je me réjouis de la création du Conseil National pour la mobilité internationale des étudiants, qui nous fera des recommandations à ce propos.

Mme la présidente. Nous passons aux questions du groupe socialiste.

La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Monsieur le ministre, ma question porte sur les nouveaux moyens alloués à l'université Antilles-Guyane.

Votre budget, après une baisse importante en 2003, augmente de 1,5 % en volume, ce qui ne permettra certainement pas de mener une politique ambitieuse pour l'enseignement supérieur. C'est pourtant ce dont aurait besoin l'UAG pour combler ses manques et même ses béances, que je pourrais qualifier d'abyssales.

La grève particulièrement dure et pénalisante qu'a connue l'établissement à la rentrée de 2002, mouvement destiné à donner l'alerte sur la situation de cessation de paiement, a finalement permis d'obtenir le déblocage de quelques moyens : un agent comptable supplémentaire, du personnel administratif, un diagnostic financier en cours d'achèvement et des subventions pour arriver à boucler l'exercice budgétaire, la dernière en date se montant à 250 000 euros. Cependant, les maux les plus graves subsistent, vous le savez.

Tous les crédits de recherche, à l'exception de ceux qui bénéficient d'une aide communautaire, sont gelés. La dotation globale de fonctionnement de l'université n'a pas été réévaluée. Dès lors, aucun projet d'investissement structurant ne peut être programmé si bien que, même quand l'université aura assaini ses finances, le problème de son attractivité continuera de se poser. Si l'UAG entend jouer pleinement son rôle de pôle de recherche et d'acteur économique, des moyens conséquents et pérennes doivent lui être attribués pour en faire un centre d'excellence et lui permettre de former les cadres des départements français d'Amérique.

Monsieur le ministre, après les quelques mesures d'urgence obtenues de haute lutte, quels moyens de rattrapage en investissement et en ressources humaines comptez-vous accorder à l'université Antilles-Guyane ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Votre question est triple puisqu'elle porte sur les structures, les postes et la situation financière et budgétaire de l'université d'Antilles-Guyane.

Sur le premier point, nous avons promis l'autonomie du site de Guyane. Cette avancée sera effective avec le fléchage des moyens dès le 1er janvier prochain. Pour le reste de l'université, mission a été donnée au conseil d'administration de faire des propositions à l'issue du débat en cours.

En ce qui concerne les emplois, l'Etat a tout de même consenti un effort qui n'est pas négligeable puisque nous avons créé neuf postes d'enseignant-chercheur et stabilisé cinquante-quatre emplois précaires d'IATOSS.

Enfin, sur le plan budgétaire, l'université d'Antilles-Guyane souffre malheureusement de difficultés liées à un déficit d'encadrement, auxquelles nos services sont en train de remédier. A cette fin, le projet de budget prévoit, d'une part l'augmentation des crédits de fonctionnement et d'investissement de l'université, d'autre part un renforcement de l'encadrement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre, le directeur de l'Institut d'études politiques de Paris, M. Richard Descoings, a lancé en mai dernier une réforme des droits de scolarité qui a été définitivement entérinée par le conseil d'administration de la Fondation nationale des sciences politiques mardi dernier. Elle vise à augmenter de façon significative les droits de scolarité payés par les étudiants qui, de 1 050 euros actuellement, pourront, en vertu du nouveau système, atteindre 4 000 euros pour les étudiants issus des familles les plus aisées.

M. Descoings justifie sa réforme en affirmant que son établissement a besoin de moyens pour « participer à la compétition internationale entre les établissements d'enseignement supérieur ». Paradoxalement, il revêt sa réforme des habits de la justice sociale en déclarant parvenir à une meilleure redistribution au sein de l'Institut d'études politiques.

Ses arguments ne me paraissent pas convaincants. Cette réforme empêche même toute démocratisation réelle de l'Institut, car elle suppose une stabilité du nombre d'étudiants issus de milieux aisés en mesure de payer des droits de scolarité plus élevés. La preuve en est que, si l'IEP de Paris était sociologiquement à l'image de la société française, ce qui est malheureusement loin d'être le cas, cette réforme lui ferait perdre de l'argent, contrairement à l'objectif visé. En réalité, cette réforme n'est pas celle qu'elle prétend être.

Si je vous interroge aujourd'hui à ce sujet, c'est que les implications d'une telle réforme dépassent le cadre de l'établissement. Le directeur n'y va d'ailleurs pas par quatre chemins : il se positionne sur le terrain politique en affirmant qu'en France, il faut briser « le tabou de la gratuité de l'enseignement supérieur ». Il va même jusqu'à qualifier son projet d'« initiative innovante » au sein du système éducatif français, souhaitant sans doute montrer la voie aux universités.

Vous-même, monsieur le ministre, avez salué cette réforme en la qualifiant de « courageuse » et affirmé qu'il faudra un jour « se poser la question des droits d'inscription dans les universités ». Vous vous défendez certes d'envisager quoi que ce soit à court terme. Mais n'y a-t-il pas une contradiction à soutenir cette réforme tout en démentant, à l'approche de l'examen du futur projet de loi sur l'université, vouloir étendre son principe aux autres établissements d'enseignement supérieur ? Je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur ces différents points, notamment sur la place que vous souhaitez donner en général à la contribution financière des étudiants.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, je maintiens que la réforme de l'Institut d'études politiques de Paris est courageuse et même légitime. Son directeur a d'ailleurs réussi à la faire admettre assez largement par les étudiants en s'appuyant sur un argument qui me paraît recevable, à savoir que l'équité et l'égalité ne sont pas une seule et même chose.

Cela étant, ce qui vaut pour l'IEP de Paris ne vaut pas pour les universités. Elles ne sont pas dans la même situation à bien des égards. Et je craindrais de leur part un dérapage que le directeur de Sciences-Po Paris a évité et qui les conduirait à être tentées de se financer en recherchant des étudiants dont les revenus seraient élevés. Je ne veux pas de ce dérapage. Ce qui était contrôlable dans cet établissement ne le serait pas forcément à l'échelle des universités, qui n'ont pas le même statut. Voilà pourquoi je regarde avec intérêt cette expérience courageuse et légitime, mais je n'ai aucune arrière-pensée. Je ne cherche pas à étendre ce système aux universités qui ne sont pas du tout dans la même situation.

J'avais promis qu'il n'y aurait pas d'autre augmentation des droits d'inscription que des ajustements mécaniques. Cet engagement a été tenu puisque la hausse se situe entre 3 % et 5 %, la plus faible ou presque des dix dernières années. Je ne veux pas qu'on associe la réforme des universités à l'augmentation des droits de scolarité ; l'une et l'autre n'ont aucun rapport entre elles. Ceux qui ont prétendu sur les campus qu'il s'agissait d'aboutir à une autonomie à l'américaine avec des droits d'inscription à 15 000 euros, ne faisaient qu'agiter un épouvantail pour faire descendre les étudiants dans la rue. Il n'y a aucune intention de cette nature dans le projet de loi sur les universités. Encore une fois, le cas de l'IEP de Paris doit être séparé de celui des universités.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe UDF.

La parole est à M. Olivier Jardé.

M. Olivier Jardé. Monsieur le ministre, les étudiants français vont bientôt suivre leur cursus dans un cadre européen. Le plan Erasmus Mundus a été adopté. Quand le système LMD, qui est déjà en vigueur à l'université Picardie-Jules-Verne d'Amiens, sera-t-il effectivement appliqué dans toutes les universités de France ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, il est difficile de vous répondre avec précision en raison même de l'autonomie dont disposent déjà les universités. En tout état de cause, vingt d'entre elles se sont engagées dès cette année dans le processus d'harmonisation des diplômes européens et la France est plutôt en avance par rapport à la moyenne des autres pays. Le système devrait être généralisé en 2006 ou 2007, peut-être même avant. Il est très probable qu'en 2005, une large majorité des universités auront appliqué le dispositif.

Les problèmes qui subsistent ne sont pas négligeables bien que la plupart aient été résolus. Cette réforme aura sur les diplômes bac + 2 et bac + 4 des conséquences qu'il nous faut impérativement maîtriser, car la mise en place du LMD ne doit pas se faire au détriment de certains diplômes nationaux, en particulier ceux délivrés par les IUT, dont je ne souhaite pas qu'ils entrent dans ce qu'on appelle le système LUT. Les licences professionnelles devraient permettre d'éviter ce type de dérapage.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Leteurtre.

M. Claude Leteurtre. Monsieur le ministre, ma question est inspirée par un souci d'humanité.

Le plan Handiscol' a permis à de nombreux lycéens handicapés d'entrer à l'université. On a souligné tout à l'heure la vétusté de certains locaux universitaires, mais je ne voudrais pas appuyer là où ça fait mal en m'attardant sur le sujet du logement des étudiants.

La dotation budgétaire consacrée à la rénovation et à la construction de nouveaux locaux comporte-t-elle une enveloppe spécifique pour faciliter l'accès des handicapés ? Plus généralement, quelles sont, selon vous, les mesures nécessaires à l'intégration des étudiants handicapés à l'université et dans les grandes écoles ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, ce sujet nous tient particulièrement à cœur : 2003 a été déclarée année européenne des handicapés et le Président de la République a inscrit comme première priorité de son quinquennat la scolarisation des jeunes handicapés, qu'ils soient élèves ou étudiants. L'université en accueille un peu plus de 7 500, mais nous rencontrons une difficulté qui est, là encore, liée à l'autonomie des établissements. Ceux-ci doivent être responsabilisés et apprendre à régler eux-mêmes le problème, car l'Etat peut certes accorder des crédits, mais il ne lui est pas possible d'organiser l'accueil.

Nous avons prévu dans le budget une ligne de crédit spécifique pour aider les universités à financer une mesure simple, à savoir la création d'un "guichet unique" d'aide et d'accueil pour les étudiants handicapés. Je n'aime pas beaucoup la formule, elle est un peu galvaudée, mais en l'occurrence, elle s'applique bien.

Autre élément important, le projet « Envie d'agir », qui relève du département jeunesse du ministère, recouvre toute une série de programmes, mis en oeuvre en partenariat avec des associations comme Animafac ou l'AFAJ, qui sont destinés à prendre en charge les étudiants handicapés et qui sont extrêmement efficaces. Ces aides aux associations d'étudiants sont financées non pas sur le budget des universités, mais sur celui de la jeunesse.

Mme la présidente. La dernière question sera celle du groupe des député-e-s communistes et républicains.

La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le ministre, je veux insister sur les conditions de vie des étudiants. Vous avez décidé cet été d'augmenter les droits d'inscription, le prix du ticket de restaurant universitaire et la cotisation de sécurité sociale. Sous la pression de certains syndicats et associations, la baisse des aides au logement pour les étudiants vivant en couple a heureusement été suspendue.

Ces mesures vont à l'encontre de l'accès des plus démunis à l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, d'après les résultats de l'enquête effectuée par l'Observatoire national de la vie étudiante, près du tiers des étudiants décohabitants jugent leurs ressources insuffisantes et aspirent donc à plus d'autonomie. Un peu plus des trois quarts des étudiants exercent une activité rémunérée en cours d'année, activité qui entre très souvent en concurrence avec leurs études.

Le plan social étudiant lancé en 1997 allait dans le bon sens, puisqu'il visait à créer les conditions d'une meilleure reconnaissance de la place des étudiants dans la société, en leur apportant les moyens d'une plus grande indépendance matérielle et morale. Les récentes mesures gouvernementales, prises en dépit de l'avis défavorable rendu par la CAF et les associations et syndicats étudiants, remettent visiblement en cause l'effort national impulsé par ce plan. Depuis, vous avez ouvert une concertation sur l'accompagnement social des étudiants, mais aucune amélioration de leurs conditions de vie ne pourra se faire sans moyens supplémentaires et sans un engagement clair de votre part. Les quelques améliorations prévues par ce budget suffiront-elles à répondre aux besoins qui devraient s'inscrire dans la logique d'un nouveau plan social financé dans un cadre pluriannuel ?

Quelles mesures entendez-vous prendre pour lutter concrètement contre la précarité et la pauvreté des étudiants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, je viens d'en obtenir confirmation à l'instant : l'augmentation des droits d'inscription est la plus faible depuis dix ans.

En ce qui concerne l'accompagnement social des étudiants, nous avons mis en place un groupe de travail que j'ai encore réuni personnellement avant-hier. Je retrouve à nouveau dans dix jours les quatre organisations étudiantes qui en font partie, pour évoquer avec elles les inégalités, la véritable iniquité du dispositif actuel d'aide sociale aux étudiants. Je donne deux exemples de sujets lourds sur lesquels nous devons travailler et avancer.

Premièrement, selon les conclusions du rapport qui m'a été remis par l'Observatoire de la vie étudiante, l'aide sociale en matière de logement ne bénéficie que très minoritairement à ceux qui en ont le plus besoin. Pour dire les choses simplement, elle est la plus forte là où les étudiants sont les plus riches. Il y a là, à l'évidence, quelque chose qui ne colle pas et qu'il faudra modifier.

Deuxièmement, les organisations étudiantes sont elles-mêmes très divisées sur le point de savoir si l'aide sociale aux étudiants doit aller aux familles ou aux individus, ce qui pose la fameuse question de la part ou de la demi-part sur la feuille d'impôt. Les conséquences de ce choix sont évidemment très lourdes sur le plan budgétaire et interministériel.

Il y a naturellement d'autres sujets sur lesquels il est possible d'avancer plus vite, et c'est ce que nous faisons. Par exemple, les cellules d'aide au logement étudiant sont aujourd'hui mises en place dans toutes les académies, et je crois qu'elles fonctionnent bien. De même, nous pouvons très rapidement mettre en oeuvre des mécanismes de déblocage des bourses et développer la pratique des prêts d'honneur.

Comme vous le voyez, le dossier de l'accompagnement social comporte deux types de sujets : les uns, très lourds, qui demandent un travail de moyen terme, sinon de long terme, auquel nous associons les étudiants ; les autres, plus légers, sur lesquels nous allons prendre, dans les semaines qui viennent, des mesures de bon sens, qui vont dans le bon sens.

Mme la présidente. Nous avons terminé les questions.

JEUNESSE, ÉDUCATION NATIONALE ET RECHERCHE

    II. - Enseignement supérieur

Mme la présidente. J'appelle les crédits inscrits à la ligne : « Jeunesse, éducation nationale et recherche » : « II - Enseignement supérieur

ÉTAT B

Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires des services civils (mesures nouvelles)

« Titre III : 62 323 655 euros ;

« Titre IV : 11 238 456 euros. »

ÉTAT C

Répartition des autorisations de programme et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital des services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 106 134 000 euros ;

« Crédits de paiement : 11 873 000 euros. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT ACCORDÉES PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 783 242 000 euros ;

« Crédits de paiement : 436 559 000 euros. »

Sur le titre III de l'état B, je suis saisie de deux amendements pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement n° 86, présenté par M. Hénart, rapporteur spécial, est ainsi rédigé :

« Sur le titre III de l'état B concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : II.- Enseignement supérieur :

« Réduire les crédits de 818 866 euros. »

L'amendement, n° 176, présenté par le Gouvernement, est ainsi rédigé :

« Sur le titre III de l'état B concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : II.- Enseignement supérieur :

« I.- Réduire les crédits de 818 866 euros ;

« II.- Majorer les crédits de 818 866 euros. »

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour soutenir l'amendement n° 86.

M. Laurent Hénart, rapporteur spécial. La commission des finances s'est préoccupée, comme Alain Claeys, de préparer le renouvellement des effectifs d'enseignants-chercheurs et de renforcer de l'attractivité de la carrière.

Son amendement n° 86 tendait à afficher dans le budget 2004 un symbole fort à l'intention des maîtres de conférences, symbole d'autant plus nécessaire qu'on a supprimé la dichotomie des deux classes et qu'il ne reste plus que la hors classe : il s'agissait de fixer à 10 % le pourcentage des effectifs en hors classe.- C'était un cap symbolique à franchir, après les efforts déjà accomplis en 2003.

Par ailleurs, il nous paraissait souhaitable de maintenir au moins au niveau de 2003, c'est-à-dire à 31 %, la proportion de professeurs dans l'ensemble du corps des enseignants-chercheurs.

Avec les services du ministère, que je remercie de leur concours, nous avions pu chiffrer ces mesures à 818 866 euros, somme qu'il nous fallait trouver.

M. Jean-Pierre Blazy. C'est bien le problème !

M. Laurent Hénart, rapporteur spécial. L'article 40 de la Constitution autorise la commission des finances à supprimer la dépense, mais elle ne peut rien compenser, ce qui l'a obligée à déposer un amendement de suppression sec et à se contenter d'expliquer à quelle action elle entend faire consacrer l'économie ainsi réalisée. En attendant la loi organique sur la loi de finances, qui nous permettra, au sein d'une mission, de compenser les charges entre programmes, nous en sommes réduits à ces expédients.

Par bonheur, le ministère a déposé un amendement qui traduit beaucoup mieux la volonté de la commission des finances, puisqu'il affecte ces 818 866 euros aux mesures catégorielles concernant les personnels. C'est pourquoi, madame la présidente, je retire l'amendement de la commission, estimant que celui du Gouvernement est beaucoup plus abouti.

Mme la présidente. L'amendement n° 86 est retiré.

La parole est à M. le ministre, pour soutenir l'amendement n° 176.

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. L'amendement du Gouvernement reprend très exactement la proposition de M. Hénart, qui permet à la fois le repyramidage du corps des maîtres de conférences et le maintien du rapport entre professeurs et maîtres de conférences. Nous avons repris et formalisé cette suggestion de la commission qui était parfaitement légitime et opportune.

Mme la présidente. Si j'ai bien compris vos propos, monsieur le rapporteur, vous êtes favorable à cet amendement ...

M. Laurent Hénart, rapporteur spécial. Il serait difficile de ne pas l'être, madame la présidente !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 176.

M. Frédéric Dutoit. Abstention !

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le titre III, modifié par l'amendement n° 176..

(Le titre III, ainsi modifié, est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le titre IV.

(Le titre IV est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

Mme la présidente. Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, concernant l'enseignement supérieur.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à une prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Déclaration du Gouvernement sur la consultation des électeurs de Guadeloupe, de Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy en application de l'article 72-4 de la Constitution et débat sur cette déclaration.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      JEAN PINCHOT