Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2003-2004)

 

ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU JEUDI 20 NOVEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du mercredi 19 novembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

DÉCENTRALISATION ET SOLIDARITÉ «...»

MM. Augustin Bonrepaux, Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales.

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE «...»

M. Jean Dionis du Séjour, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

JUSTICE DES MINEURS «...»

MM. Frédéric Dutoit, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME «...»

MM. Gérard Léonard, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
2.  Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire «...».
3.  Questions au Gouvernement (suite) «...».

SITUATION EN IRAK «...»

MM. Renaud Donnedieu de Vabres, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

MARIAGE D'ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE «...»

MM. Georges Mothron, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

PRIX DU TABAC «...»

MM. Jean-Marie Le Guen, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

EDITIS «...»

MM. Philippe Auberger, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

PLAN DE RECONVERSION VITICOLE «...»

Mme Arlette Franco, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

FORÊT «...»

MM. François Dosé, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

RÉACTEUR EPR «...»

M. Claude Birraux, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

ANIMAUX DE COMPAGNIE «...»

MM. Lionnel Luca, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

4.  Décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et création du revenu minimum d'activité. - Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires culturelles.
Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis de la commission des finances.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles.

Suspension et reprise de la séance «...»
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Jean Le Garrec, Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances ; le ministre, Eric Raoult, Mme Muguette Jacquaint, MM. Francis Vercamer, Patrick Roy. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
5.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe socialiste.

DÉCENTRALISATION ET SOLIDARITÉ
FINANCEMENT

    M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.
    M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le Premier ministre, depuis un an, vous n'avez de cesse de réduire les moyens des collectivités locales. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En 2003, vous avez réduit les crédits du fonds national de développement des adductions d'eau, du fonds social du logement et du fonds d'aménagement du territoire. Pour 2004, c'est pire (Protestations sur les mêmes bancs) : vous ponctionnez les agences de bassin, réduisant ainsi davantage les crédits pour l'eau et l'assainissement ; vous supprimez les crédits pour les investissements de sécurité sur la voirie rurale ; vous supprimez la subvention de l'Etat pour les transports urbains ; vous détournez les crédits PALULOS des zones rurales (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ; vous taxez les locataires d'HLM (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs) ; vous créez une nouvelle taxe pesant sur toutes les collectivités locales pour compenser de la suppression d'un jour férié ; vous promettez la péréquation mais le fonds national de péréquation est en nette diminution et les communes pauvres ne sont pas épargnées.
    M. Albert Facon. Le Premier ministre s'en fiche, il n'écoute pas !
    M. Augustin Bonrepaux. La dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale seront en régression par rapport à l'inflation puisque vous diminuez la compensation de taxe professionnelle et la dotation de développement rural. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Augustin Bonrepaux. Votre prétendue décentralisation n'est que le prétexte à un transfert de charges destiné à faire payer la baisse des impôts sur le revenu et sur la fortune par les contribuables locaux.
    Toutes ces décisions se traduiront inévitablement, vous le savez bien, de même que les élus de votre majorité, par une aggravation des inégalités...
    M. François Hollande. Le Premier ministre peut-il écouter ?
    Mme Martine David. Il s'en fiche !
    M. Augustin Bonrepaux. ... et par une explosion des impôts locaux...
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Augustin Bonrepaux. ... dont l'injustice est bien connue puisqu'ils pénalisent lourdement les plus modestes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Michel Vergnier. Très juste !
    M. Augustin Bonrepaux. Toute votre politique consiste à faire payer les plus modestes parce qu'ils sont les plus nombreux. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le Premier ministre, que faites-vous de la solidarité nationale, garante de l'égalité républicaine ?
    M. le président. Monsieur Bonrepaux, pouvez-vous poser votre question ?
    M. Augustin Bonrepaux. Expliquez-nous votre conception de la solidarité nationale, qui doit être assumée par l'Etat ? En fait, vous piétinez celle-ci au profit d'une solidarité localisée, aléatoire et inégalitaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.
    M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Bonrepaux, j'observe que, cet après-midi, vous avez choisi de faire dans la nuance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Augustin Bonrepaux. C'est la réalité ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Bonrepaux, vous n'avez plus la parole ! Laissez M. Devedjian s'exprimer.
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Bonrepaux, la solidarité...
    M. Augustin Bonrepaux. Il n'y en a plus !
    M. le président. Monsieur Bonrepaux, asseyez-vous !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... a longtemps été un thème de discours de la gauche. Du reste, de ce point de vue, vous n'avez fait que des discours.
    Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, lui, a fait de la solidarité un droit...
    M. Bruno Le Roux. C'est faux !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... dorénavant reconnu par la Constitution.
    M. Bruno Le Roux. C'est faux !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. De plus, ce gouvernement est le premier à transformer le financement des collectivités locales afin de procéder sur deux ans, sur le budget 2004 et sur celui de 2005, à une réforme de la dotation globale de fonctionnement permettant une meilleure solidarité, une meilleure péréquation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Augustin Bonrepaux. Paroles, paroles !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Les fonds attribués en matière de péréquation ont augmenté cette année de 240 millions d'euros ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Non ! De zéro !
    M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai ! C'est un mensonge !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. Qui dit mieux ? En tout cas certainement pas vous, qui avez transféré l'APA aux départements pour un montant estimé à 700 millions de francs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est faux !
    M. Michel Bouvard. C'est vrai ! Les départements ont été rackettés !
    M. le ministre délégué aux libertés locales. ... alors que ce montant est évalué à 3,7 milliards d'euros pour 2004 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Vous n'avez pas répondu à la question !

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.
    M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre déléguée à l'industrie, le Gouvernement a pris l'initiative de présenter un projet de loi fixant les choix énergétiques de la nation avant la fin de l'année 2004. A cette fin, il vient de publier un Livre blanc sur les énergies.
    Or vous avez pris position, dès le mois d'octobre, pour le développement d'un réacteur nucléaire de type EPR (« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) devant nous permettre d'assurer la transition entre l'arrêt du parc actuel, qui se produira dans les années 2015-2020, et le démarrage des réacteurs de la quatrième génération.
    Le groupe UDF estime qu'une telle prise de position est prématurée. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Prématurée, parce que le Parlement et la nation n'ont ni débattu (Huées sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ni décidé de ce qu'il devait en être en matière d'économies d'énergie ou d'énergies renouvelables, ni défini quelle devait être l'ambition nationale en matière énergétique, ni même arbitré entre le gaz et le nucléaire. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Jean Dionis du Séjour. Prématurée, parce que nous ne connaissons aujourd'hui ni la puissance nucléaire à reconduire, ni la durée souhaitable d'exploitation des centrales actuelles. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Michel Bouvard. Vous êtes des fossoyeurs de l'industrie !
    M. Jean Dionis du Séjour. Sans ces éléments, il est impossible de savoir s'il est urgent de lancer le générateur EPR...
    M. Michel Bouvard. Vous êtes des fossoyeurs de l'industrie !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... ou si l'on doit passer directement à la quatrième génération de réacteurs, la seule qui produise véritablement moins de déchets radioactifs.
    En prenant une telle position, le Gouvernement a pris le risque de raviver le clivage archaïque (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui existe entre le lobby pronucléaire et les associations antinucléaires. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)
    Sans ces éléments, il est impossible de savoir s'il est urgent de lancer le générateur EPR...
    M. Michel Bouvard. Vous êtes des pourvoyeurs de l'industrie !
    M. Jean Dionis du Séjour. ... ou si l'on doit passer directement à la quatrième génération de réacteurs, la seule qui produise véritablement moins de déchets radioactifs.
    En prenant une telle position, le Gouvernement a pris le risque de raviver le clivage archaïque. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) qui existe entre le lobby pro-nucléaire et les associations antinucléaires. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

    M. Michel Bouvard. Vous êtes des fossoyeurs de l'industrie !
    M. Jean Dionis du Séjour. J'aimerais pouvoir parler !
    M. Yves Nicolin. Débranchez-le !
    M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme, je vous en prie.
    M. Jean Dionis du Séjour. La France a besoin d'un vrai débat sur l'énergie, calme et raisonnable. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) La filière nucléaire, à qui la France doit beaucoup, ne doit être ni diabolisée ni portée aux nues. Madame la ministre, n'ayez pas peur de ce débat, ni au Parlement ni dans la nation.
    La question du groupe UDF sera simple.
    M. le président. Posez-la !
    M. Jean Dionis du Séjour. La décision de démarrer le générateur EPR est-elle prise ? (« Oui ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Des assurances ont-elles été données en ce sens à Areva et à EDF ? Si tel est le cas, que reste-t-il du débat et du projet de loi sur la politique énergétique de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur Dionis du Séjour, permettez-moi, en préalable, de citer ce propos tenu en 2001 : « Il faut revoir les positions officielles qui condamnent l'énergie nucléaire. C'est la seule cohérence, puisque c'est la seule forme de production d'énergie qui supprime les rejets dans l'atmosphère. »
    M. Yves Nicolin. Qui a dit ça ?
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Ces propos forts ont-ils été tenus par M. Christian Bataille ou par M. Claude Birraux, respectivement membre et président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ? Eh bien, non ! Ils ont été prononcés par M. François Bayrou (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) lors de la convention nationale de l'UDF, le 28 avril 2002. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) J'ajoute que cela a valu à leur auteur de se voir décerner un peu plus tard par le réseau « Sortir du nucléaire » un label de certification. (Rires.) Oui, M. Bayrou a été estampillé pro-nucléaire par cet organisme !
    M. Bruno Le Roux. C'est une affaire entre la droite et la droite !
    M. le président. Monsieur Le Roux, écoutez la ministre !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Pour notre part, nous sommes beaucoup moins catégoriques, car, comme vous l'avez très justement dit, monsieur Dionis du Séjour, il ne faut ni diaboliser le nucléaire ni le porter aux nues. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    C'est la raison pour laquelle la politique du Gouvernement repose sur trois piliers indissociables : la nécessaire maîtrise de la consommation d'énergie, le développement de toutes les énergies renouvelables et la nécessité de préparer le renouvellement de 2020, en assurant la sécurité de l'approvisionnement, l'indépendance énergétique de notre pays et, bien évidemment, le respect de nos engagements en matière d'environnement.
    M. Pierre Cohen. La réponse à la question !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. A cette fin, il faut, à l'évidence laisser ouverte l'option nucléaire.
    M. Jean-Claude Lenoir. Voilà !
    Mme la ministre déléguée de l'industrie. Sachez, monsieur Dionis du Séjour, que si, au terme du vaste débat national qui a commencé, comme vous le savez, au premier semestre de cette année et qui se poursuivra jusqu'à la fin de celle-ci, le Gouvernement est appelé à faire le choix du démonstrateur EPR, ce sera à l'évidence, non un choix idéologique, mais simplement un choix fait pour que notre pays dispose de toutes les orientations énergétiques...
    M. François Sauvadet. Très bien !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... lui permettant d'assurer le renouvellement de son parc nucléaire dans les meilleures conditions de sûreté et d'efficacité. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Permettez-moi de vous dire, monsieur Dionis du Séjour, que, pour nous, gouverner, c'est savoir prendre des décisions responsables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

JUSTICE DES MINEURS

    M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Frédéric Dutoit. Monsieur le garde des sceaux, depuis l'adoption, à l'initiative des parlementaires communistes, de la loi du 9 avril 1996, le 20 novembre est devenue la journée nationale des droits de l'enfant. A l'occassion de la célébration qui se déroulera demain, je souhaite une nouvelle fois affirmer devant la réprésentation nationale combien certaines mesures de répression sécuritaire me semblent opposées à l'esprit de cette loi. En ce sens, elles peuvent être contraires à la convention internationale des droits de l'enfant. Si la France a été la première à signer cette convention, ce n'est pas pour ensuite en bafouer les grands principes et jeter l'opprobre sur nos enfants.
    Vous le savez, le groupe des député-e-s communistes et républicains ainsi que les associations concernées ont vivement dénoncé la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Cette loi a en effet détourné, en niant l'enfance, l'esprit de la justice des mineurs. Désormais, un enfant de dix ans est responsable pénalement et peut être placé sous contrôle judiciaire. Un enfant peut même se retrouver en détention provisoire dès l'âge de treize ans.
    M. André Chassaigne. Scandaleux !
    M. Frédéric Dutoit. En créant des centres éducatifs fermés, c'est la sanction pénale qui est privilégiée au détriment des mesures éducatives. Certes, la permissivité sauvage est contraire à l'éducation, mais comment recréer une relation de confiance et responsabiliser les enfants si vous les enfermez ?
    Non, monsieur le garde des sceaux, nos enfants ne sont pas une menace, mais une richesse de notre pays. N'ayez pas peur d'eux. Aujourd'hui, n'y a-t-il pas trop d'enfants en prison ou en milieu fermé, surtout lorsque l'on connaît les conditions de détention en France et l'inefficacité éducative de la détention ?
    M. Pascal Clément. Doux rêveur !
    M. Frédéric Dutoit. Enfermer un enfant, c'est le mettre à l'écart du monde, dans une situation déstructurante et angoissante. Est-ce ainsi, monsieur le garde des sceaux, que vous entendez respecter la convention internationale des droits de l'enfant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez raison d'appeler notre attention sur les droits de l'enfant. Je vais vous faire la démonstration que l'action que je mène, loin de remettre en cause ces droits, les défend.
    D'abord, je vous citerai deux chiffres, car il faut savoir de quoi l'on parle : lorsque j'ai pris mes fonctions, le nombre de mineurs détenus était de 895 ; il est actuellement de 728. Ces seuls chiffres rendent quel que peu ridicule l'accusation selon laquelle nous conduirions une politique du « tout-carcéral » à l'égard des mineurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Pour ce qui est de la loi d'orientation et de programmation, j'ai souhaité que les moyens de la justice des mineurs soient renforcés. J'en ai d'ailleurs fait ma priorité. C'est la raison pour laquelle, depuis dix-huit mois, le nombre de magistrats pour enfants a été augmenté de 25 %. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je suis convaincu que, pour ce qui concerne les magistrats pour enfants et les éducateurs, nous devons - et je sais que vous êtes d'accord sur ce point, monsieur le député - nous donner les moyens d'avoir dans ce pays une justice des mineurs digne de ce nom. Ce n'est pas encore le cas, mais je souhaite que nous la construisions ensemble.
    S'agissant de nos engagements internationaux, nous les respectons. Je souhaite que la convention européenne qui a été signée en 1996 soit enfin ratifiée ; je déposerai un projet de loi à cette fin.
    Pour ce qui est des mineurs, il y a certes les mineurs délinquants, mais il y a aussi les mineurs victimes. D'ailleurs, ce sont parfois les mêmes.
    S'agissant des victimes, j'ai souhaité que nous avancions.
    En matière de crime, j'ai aggravé les peines concernant les crimes commis par des adultes sur des mineurs.
    M. François Hollande. C'est l'oeuvre du Parlement !
    M. le garde des sceaux. Sur ce point, nous pouvons tous être d'accord.
    J'ai également amélioré la prise en compte des victimes dans la procédure pénale. C'est extrêmement important, en particulier lorsqu'il s'agit de mineurs.
    Nous mettons au point - Christian Jacob en a parlé hier - une fiche de signalement pour faire en sorte que tous ceux qui sont en contact avec les mineurs puissent participer à leur protection. Le dispositif sera prêt avant la fin de l'année.
    Je développe, en liaison avec les hôpitaux, un système d'écoute de la parole de l'enfant, ce qui est extrêmement important lorsqu'un enfant a été traumatisé.
    Enfin, je travaille en étroite coopération avec les associations, parce que la protection des mineurs est un objectif qui doit tous nous rassembler et que c'est un domaine dans lequel le tissu associatif peut jouer un rôle très important. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LE TERRORISME

    M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe UMP.
    M. Gérard Léonard. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, l'actualité a mis en évidence la nécessité pour l'Etat de mener fermement la lutte contre le terrorisme. En ce sens, les services de la sécurité se doivent de fournir un travail minutieux d'enquête et de grande vigilance sur le terrain.
    Ainsi avons-nous appris par les médias que lundi matin, à Paris et dans le région parisienne, plus d'une dizaine de personnes présumées proches de la mouvance islamiste radicale et qui entretiendraient des liens suspects à l'étranger ont été arrêtées par les policiers de la section antiterroriste. Ces arrestations interviennent, semblerait-il, dans le cadre d'une enquête portant sur le possible financement d'activités terroristes au moyen de marchandises contrefaites, notamment de vêtements.
    Au-delà de cet exemple et de ce contexte de l'intégrisme, pouvez-vous, monsieur le ministre, faire un point sur la lutte qu'a engagée le Gouvernement contre toutes les formes de terrorisme et leurs modes de financement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Allô ! Allô !
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En matière de terrorisme, monsieur le député, notre pays connaît trois fronts d'inégale importance : le front islamiste, le front du terrorisme basque et le front du terrorisme corse.
    S'agissant du terrorisme islamiste, la police a, depuis mai 2002, procédé à quatre-vingt-douze interpellations. Et le 17 novembre, en effet, un réseau terroriste agissant en liaison avec des réseaux islamistes et finançant ses activités au moyen de contrefaçons a été démantelé.
    Ce même jour a été interpellé un individu - il est en ce moment en garde à vue - qui aurait des liens avec les assassins du commandant Massoud.
    Ne serait-ce que sur ce point, monsieur Léonard, la vigilance ne doit pas faiblir.
    A cet égard, toutes les démocraties du monde reconnaissent l'efficacité des services de renseignement français. C'est un point qui doit faire l'unanimité.
    Pour ce qui est du terrorisme pratiqué par des membres de l'ETA, les services de police et de gendarmerie ont procédé depuis le début de l'année à trente-sept interpellations, dont quatre la semaine dernière. Le gouvernement espagnol ne manque pas, comme il l'a encore fait lors du dernier sommet franco-espagnol, de féliciter les représentants de la police et de la gendarmerie pour leur efficacité.
    Quant au front corse, ce sont deux cent quinze interpellations qui ont eu lieu depuis mai 2002, dont celle d'Yvan Colonna, que nos prédécesseurs nous avaient laissé la responsabilité d'interpeller. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Le 17 novembre, douze personnes ont été placées en garde à vue, laquelle se poursuit en ce moment même. Avec ces interpellations, nous pensons avoir atteint le sommet de l'organisation militaire du FLNC.
    J'ai appris que le parti socialiste s'apprêtait à faire mon bilan. Qu'il n'hésite pas à le comparer au sien : ce sera très instructif pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

2

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

    M. le président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à la délégation parlementaire conduite par le président de la commission des affaires étrangères de la Diète de la République de Pologne. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(suite)

    M. le président. Nous poursuivons les questions au Gouvernement.

IRAK

    M. le président. La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres, pour le groupe UMP.
    M. Renaud Donnedieu de Vabres. Monsieur le président, ma question s'adresse à Dominique de Villepin, notre ministre des affaires étrangères.
    Monsieur le ministre, c'est donc en présence de nos amis polonais qui, comme nous, appartiennent à la « vieille Europe » et veulent construire une grande Europe, que je vous poserai une question sur l'Irak.
    M. Arnaud Montebourg. Que fait-il là ? Il n'est pas au tribunal ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Renaud Donnedieu de Vabres. Le Président Bush a reconnu il y a quelques semaines l'absence de liens directs entre Saddam Hussein et Ben Laden et, partant, les attentats du 11 septembre. Il a en outre affirmé il y a quelques jours, avec l'administrateur Paul Bremer, l'importance d'un processus politique rapide pour le retour à la souveraineté en Irak, selon un calendrier électoral précis.
    Les positions de la France et de la diplomatie que vous conduisez, nous ont fait honneur et sont donc enfin comprises et partagées par notre allié américain. Vous lui avez publiquement tendu la main, et vous avez eu raison de le faire.
    Ma question sera triple.
    D'après vous, quel est le calendrier politique pour le retour de la démocratie en Irak ?
    Quel est celui pour l'intervention des Nations unies, sans lesquelles rien ne se fera ?
    En quoi peut consister, dans ce nouveau contexte, l'offre française ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, j'ai salué hier, à Bruxelles, avec l'ensemble de mes collègues européens, la nouvelle approche américaine en Irak parce qu'elle reconnaît le principe de souveraineté, que nous n'avons cessé de défendre au cours des derniers mois, et parce qu'elle prévoit un gouvernement de transition, avant même l'achèvement du calendrier constitutionnel.
    Mais nous sommes confrontés à l'urgence, à l'aggravation et à l'extension de la violence en Irak, ainsi que dans toute la région. Aussi, la France, dans un esprit constant de proposition et de concertation, veut-elle défendre les principes qui seuls peuvent fonder un nouvel ordre régional et international, ceux-là mêmes qui ont inspiré notre action tout au long de la crise irakienne.
    Nous voulons privilégier une approche politique concertée car seule une telle approche peut apporter une solution durable.
    Nous voulons privilégier une approche globale car la paix est comme la justice, indivisible. Il faut donc traiter l'ensemble des problèmes de cette région : l'Irak, bien sûr, mais aussi le conflit israélo-arabe, la sécurité régionale et le risque de prolifération. Nous voulons privilégier une approche collective car seules les Nations unies sont en mesure de donner toute la légitimité indispensable au règlement de cette crise.
    Aujourd'hui, ces principes doivent nous conduire à nous retrouver ensemble autour de trois objectifs.
    D'abord, il convient d'accélérer et d'élargir le processus politique : c'est la seule réponse efficace pour briser la spirale du terrorisme. Nous ne pouvons pas attendre. Ce processus doit inclure tous les Irakiens opposés à la violence, et notamment les mouvements opposés à la violence dans ce pays.
    Ensuite, il faut associer et responsabiliser tous les Etats de la région pour réintégrer l'Irak dans son environnement régional.
    Enfin, nous devons donner aux Nations unies un rôle effectif pour accompagner la transition en Irak. C'est pourquoi nous plaidons pour la nomination d'un envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies.
    Face à l'épreuve, soyons exigeants, à la mesure des enjeux ! L'unité de la communauté internationale pour défendre une vision et des principes communs reste, aujourd'hui comme hier, le meilleur gage de la légitimité et de l'efficacité de son action. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

MARIAGE D'ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

    M. le président. La parole est à M. Georges Mothron, pour le groupe UMP.
    M. Georges Mothron. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, mais elle pourrait tout aussi bien s'adresser à M. le ministre de l'intérieur.
    Monsieur le garde des sceaux, l'obligation qui est faite aux maires de célébrer les mariages des personnes étrangères en situation irrégulière provoque un véritable malaise chez les élus, dont bon nombre de mes collègues de cette assemblée.
    M. Christian Bataille. Pourquoi ? Parlez pour vous !
    M. Georges Mothron. Le vide juridique actuel profite malheureusement aux filières d'immigration clandestine. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. François Goulard. C'est vrai !
    M. Georges Mothron. Le maire que je suis veille à appliquer les principes de la République : respect de la liberté du mariage, sans regard particulier sur la nationalité. Pour autant, je transmets systématiquement au procureur de la République les dossiers qui me semblent relever de trafics dont l'objectif caché est l'obtention, à terme, d'un titre de séjour ou l'acquisition de la nationalité française.
    Entre février et octobre 2003, j'ai transmis cinquante-sept dossiers au procureur...
    M. François Goulard. Très bien !
    M. Georges Mothron. ... et j'ai été obligé de célébrer cinquante mariages. Sur ces cinquante-sept dossiers, le procureur m'a informé en avoir transmis vingt-cinq aux services de la préfecture et à la police des étrangers.
    Un jour d'octobre, il m'a adressé quatre lettres ronéotypées m'obligeant à célébrer quatre mariages de personnes en situation irrégulière. Il laissait au préfet le soin de contrôler celles-ci.
    Monsieur le garde des sceaux, cette situation est choquante, et je n'ai pas été élu à Argenteuil pour cela. C'est contraire à mes convictions républicaines ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Dans l'attente d'un éclaircissement, j'ai décidé de ne pas publier les bans et de ne pas procéder à ce type de mariage. (« Bravo ! » et applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le garde des sceaux, nos concitoyens ont du mal à suivre. Ils comprennent mal cette situation paradoxale où, d'un côté, se manifeste la volonté gouvernementale de contrôler les clandestins et où, de l'autre, on leur offre une facilité par la loi.
    Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour lutter contre ces dérives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs, M. le ministre de l'intérieur et moi-même sommes confrontés à un double problème : d'une part, celui que vous vivez en tant que maires et sur lequel nombre d'entre vous nous ont interrogés depuis un certain nombre de mois et, d'autre part, le développement de réseaux de mariages arrangés. Nous luttons bien sûr contre ces réseaux, mais il nous faut aussi améliorer les conditions d'application de la loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Et le mariage arrangé entre Raffarin et Sarkozy ? (Sourires.)
    M. le garde des sceaux. Laissez-moi m'exprimer ! Le problème est suffisamment grave pour que l'on en parle sérieusement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Quel est le rôle du maire ? Il lui appartient de vérifier la réalité du consentement des époux. Vous avez déploré, monsieur Mothron, la difficulté, pour le procureur de la République, de vous donner une réponse claire. Permettez-moi de vous rappeler une évidence : le procureur de la République applique la loi telle qu'elle est - il ne peut l'inventer.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Certains font de l'excès de zèle !
    M. le garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle il est très important de renforcer les moyens d'action et de laisser suffisamment de temps pour mener les investigations nécessaires à la vérification de la réalité du consentement. La loi sur l'immigration approuvée le 28 octobre comprend un dispositif permettant de reporter l'échéance d'un mois, de façon à permettre aux services de police ou de gendarmerie de faire, à la demande du procureur de la République, les enquêtes nécessaires à la vérification de la réalité du consentement.
    Un deuxième élément de cette loi me paraît extrêmement intéressant et positif : le maire a la possibilité d'entendre les futurs époux pour vérifier la réalité de leurs intentions et, en cas de doute, séparément.
    Le dispositif législatif que vous avez adopté me paraît apporter des réponses à une situation inadmissible. Il nous faut attendre la promulgation de ce texte pour pouvoir en tester l'application. Quoi qu'il en soit, il me semble constituer une vraie réponse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PRIX DU TABAC

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le Premier ministre, en décidant une nouvelle et brutale hausse des taxes sur le tabac pour combler votre déficit budgétaire, vous avez rendu insupportable une politique pourtant nécessaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Après avoir déstabilisé la filière professionnelle des distributeurs de tabac, vos ministres se bousculent aujourd'hui pour donner le spectacle assez désolant d'une surenchère de promesses inconsidérées.
    M. Jean Leonetti. C'est un expert qui parle !
    M. Nicolas Forissier. Quel démago !
    M. Jean-Marie Le Guen. Pis encore : votre maladresse a débouché sur une reculade inouïe puisque vous avez annoncé l'abandon pour quatre ans de toute hausse des prix. Cela « délégitime » des années d'effort dans la lutte contre le tabac.
    Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas qu'il soit temps de cesser cette politique de gribouille ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Puisqu'il y a maintenant dans ce pays une quasi-unanimité pour vous le demander, reportez donc la hausse de janvier et maintenez le cap d'une politique de santé publique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Nicolas Forissier. Démago !
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur Le Guen, je vous remercie de la leçon de santé publique que vous nous donnez. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Vous et vos amis vous avez augmenté le prix des cigarettes de 1 % en janvier 1998, de 3 % en janvier 1999, et le reste à l'avenant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce faisant, vous n'avez manifestement pas fait preuve de la même persuasion qu'aujourd'hui.
    Vous n'étiez pas convaincus de l'efficacité de la hausse des prix du tabac sur le plan de la prévention.
    Le Gouvernement a décidé, comme le recommande l'Organisation mondiale de la santé, une hausse importante et rapide du prix du tabac. Depuis le 1er janvier, cette hausse aura été de 32 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Et il est content !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Après la décision vient le temps de l'évaluation : il faut maintenant apprécier les résultats positifs et contrer les effets pervers éventuels. Mais le temps de l'évaluation n'est pas le temps de l'inaction.
    Premièrement, il nous faudra faire en sorte que la loi Evin, que nous avons soutenue en son temps, soit effectivement respectée. Nous venons d'augmenter les moyens de contrôle et de faire ce que vous n'aviez pas fait : donner aux associations le droit d'ester en justice pour mieux faire respecter cette loi.
    Deuxièmement, dans le cadre du plan cancer, je vous ai annoncé une expérimentation dans trois régions - l'Alsace, la Basse-Normandie et le Languedoc-Roussillon - sur les substituts nicotiniques. Nous en apprécierons les résultats.
    Enfin, avant la fin de l'année, la France déposera, au niveau européen, un mémorandum...
    M. François Hollande. Il était temps !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... car il faut aller vers une fiscalité du tabac fondée sur une logique de santé publique.
    Ne doutez pas que l'objectif de santé publique sur lequel je me suis engagé - une diminution du nombre des jeunes fumeurs de 30 % et une diminution de 20 % du nombre des fumeurs en cinq ans - sera respecté. C'est évidemment la priorité du plan cancer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

EDITIS

    M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe UMP.
    M. Philippe Auberger. Monsieur le président, ma question, qui s'adresse au ministre de la culture et de la communication, concerne l'avenir du groupe Vivendi Universal Publishing, qui s'appelle maintenant Editis.
    Monsieur le ministre, le groupe Editis est important puisqu'il comprend des maisons aussi célèbres que Plon, Perrin, Robert Laffont, Bordas, Armand Colin, Nathan, Larousse et bien d'autres. Il est donc très présent dans la littérature générale ainsi que dans la littérature pour enfants, le livre de poche, le livre scolaire, les dictionnaires et les encyclopédies. Il est de plus le deuxième groupe pour la distribution du livre en France.
    Il devait être acheté au printemps dernier par le groupe Hachette-Lagardère, mais l'opération a été soumise à la Commission de Bruxelles, qui a envoyé il y a une dixaine de jours un mémorandum indiquant qu'il y avait douze objections sérieuses à la fusion des deux groupes. Dans ces conditions, le risque est très sérieux qu'un groupe très important pour le pluralisme de l'édition en France se désagrège et passe dans des mains étrangères.
    Ma question sera simple : le Gouvernement est-il en mesure de faciliter l'émergence d'un professionnel, soutenu par des groupes financiers, ce qui permettrait d'éviter que des fonds de pension américains ou des éditeurs étrangers actuellement aux abois ne mettent la main sur Editis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
    M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député de l'Yonne, vous avez eu raison de rappeler que le livre n'est pas une marchandise ordinaire. (« Bravo !» sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Le livre est un bien culturel, et c'est la raison pour laquelle notre pays n'a cessé de s'engager afin d'assurer la diversité de sa production et de sa diffusion, ainsi qu'un large accès à la lecture pour l'ensemble de nos concitoyens.
    Le 18 juin dernier, cette assemblée a d'ailleurs voté à l'unanimité la loi sur le droit de prêt en bibliothèque et sur le plafonnement des remises.
    C'est dans ce paysage qu'est intervenue, de façon malheureuse, il y a un an, la mise en vente de la branche édition de Vivendi. Cette initiative s'est conclue par le rachat par le groupe Lagardère. J'avais fait savoir à ce moment-là que le Gouvernement, sans intervenir dans le cours d'affaires privées, marquerait sa préférence pour une solution qui associerait la capacité financière, le savoir-faire industriel et une réelle proximité avec les intérêts culturels de notre pays.
    Vous avez, à juste titre, rappelé les grandes maisons qui constituent le groupe Editis.
    La Commission européenne a fait connaître au groupe Lagardère ses observations. Celui-ci s'apprête à faire connaître à la Commission les remèdes qu'il compte proposer. Si, parmi ces remèdes, se trouvaient des cessions de telle ou telle part de ce qui s'appelle désormais Editis, il est évident que le Gouvernement serait attentif à ce que les critères qu'il avait avancés il y a un an soient de nouveau respectés, autrement dit que la solution soit aussi respectueuse que possible des intérêts industriels, commerciaux et culturels de notre pays.
    C'est dans ce sens que le Premier ministre s'est personnellement et, je le répète, dans la limite de ce que nous pouvons faire, engagé.
    En tout cas, nous ferons en sorte que ne se reproduise pas ce qui est malheureusement arrivé en 2001 quand Vivendi a mis sur le marché sa branche de presse professionnelle, dans l'indifférence du gouvernement de l'époque. Le consortium financier franco-américain qui l'a acquise l'a déjà remise sur le marché après avoir réalisé un profit laissant les grandes maisons de l'édition professionnelle, comme le groupe Le Moniteur, dans une bien cruelle incertitude. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PLAN DE RECONVERSION VITICOLE

    M. le président. La parole est à Mme Arlette Franco, pour le groupe UMP.
    Mme Arlette Franco. Monsieur le président, chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    Monsieur le ministre, l'année dernière, vous avez lancé le plan de reconversion qualitative différée du vignoble, à titre expérimental, dans le Languedoc-Roussillon. Celui-ci a connu un réel succès puisqu'il a concerné 5 268 viticulteurs, pour 9 500 hectares. Sachez que les viticulteurs vous en remercient. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Laissez-moi parler ! Ce succès a été acquis grâce à votre volonté et votre sens de la négociation avec nos partenaires européens, dans la mesure où il a représenté une dépense de plus de 115 millions d'euros pour l'Union européenne. Il n'a pas été facile à obtenir : 17 000 parcelles de cépage, ne correspondant plus à la demande du consommateur, sont restées non récoltées en 2003, pour un volume de quelque 500 000 hectolitres.
    Malgré le répit sur les vins de pays pour la campagne 2002-2003, la crise viticole est toujours présente et s'est généralisée aux grandes régions AOC ; mes collègues des régions viticoles du Beaujolais, du Bordelais, de la Bourgogne ou encore du Val-de-Loire ne me contrediront pas. Il était donc impératif de renouveler la reconversion qualitative différée pour la campagne 2004, et je me fais le porte-parole de toute la profession pour vous remercier d'avoir pris votre décision avant la chute des feuilles, ce qui permettra aussi de préserver l'environnement.
    M. Pascal Terrasse. Ça, c'est une question d'actualité !
    Mme Arlette Franco. Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, si vous pensez reconduire et éventuellement étendre ce plan, en tenant compte de l'expérience de la première campagne ? Une telle décision aiderait nos viticulteurs et vignerons à mieux commercialiser leur production de qualité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, madame la députée, j'ai un souvenir extrêmement précis de cette visite que j'ai effectuée en août 2002, dans la région Languedoc-Roussillon.
    M. Jacques Desallangre. A la vôtre ! (Sourires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. J'ai pu constater que les viticulteurs étaient inquiets de la situation de leur vignoble mais également mobilisés pour l'avenir.
    Quel que fût leur syndicat ou leur mode de production, ils ont tous plaidé auprès de moi en faveur de cette reconversion qualitative différée du vignoble, pour améliorer les cépages.
    Après négociation, nous avons obtenu satisfaction de Bruxelles en décembre 2002, et nos espérances ont été largement dépassées, puisque le plan a touché plus des 9 000 hectares, au lieu des quelque 6 000 envisagés.
    C'était une disposition expérimentale pour 2003 et la question se pose de sa reconduction en Languedoc-Roussillon voire de son application ailleurs en France. Je puis vous annoncer que la Commission européenne vient de nous donner son accord pour 16 millions d'euros supplémentaires l'année prochaine. Le processus de reconversion qualitative se poursuivra donc dans la région Languedoc-Roussillon, dont vous représentez l'une des circonscriptions, et je serai en mesure de répondre favorablement à la demande des autres vignobles où le consensus est aussi large parmi les professionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FORÊTS

    M. le président. La parole est à M. François Dosé, pour le groupe socialiste.
    M. François Dosé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    La forêt occupe le quart du territoire français et 11 000 communes se reconnaissent dans l'appellation générique « commune forestière ». Ces collectivités, dans leur immense majorité, sont rurales, modestes. Leur capacité budgétaire et leur économie locale sont directement rythmées par la gestion de leur forêt.
    Or, après la tempête de 1999, la canicule de cet été, le marasme du marché du bois, leur situation est préoccupante et, pour certaines d'entre elles, catastrophique, fragilisant d'ailleurs une nouvelle fois le monde rural : fermetures de PMI-PME dans la filière bois, recettes fiscales amoindries et impossibilité, évidemment, d'installer in situ des activités de remplacement.
    A ces trois premières difficultés, j'en ajoute une quatrième : votre budget, monsieur le ministre, est amputé de 53 millions d'euros, dont 20 millions au détriment de ces communes forestières, déjà fragilisées. Une telle chute se traduirait soit par une baisse considérable de versement compensateur de l'Etat à l'ONF, soit par la suppression de plusieurs centaines de postes dans ladite ONF, soit encore par un affaiblissement de la protection de la forêt méditerranéenne.
    Monsieur le ministre, lors du débat budgétaire, François Brottes vous a déjà interrogé sur ces crédits, en rupture par rapport aux précédentes années. Mais, depuis, vous avez aussi été alerté par la Fédération des communes forestières de France, qui stigmatise « le désintérêt porté par le Gouvernement aux forêts, le manque de crédits affectés à la reconstitution, le manque de concertation, le retrait de l'Etat, contraire à l'engagement signé entre l'Etat et l'ONF ». Le président de cet organisme n'appartient pourtant pas à nos rangs : il est sénateur UMP.
    Monsieur le ministre, n'abandonnez pas les communes forestières. Elles entretiennent un patrimoine naturel au service de tous les Français. Elles sont actrices du développement économique en milieu rural.
    M. Yves Nicolin et M. Jean-Marc Nudant. La question !
    M. François Dosé. Dans les communes forestières des régions sinistrées, la préparation du budget 2004 est un casse-tête. Déjà victimes, elles se voient sanctionnées. Aussi vous poserai-je trois brèves questions, monsieur le ministre.
    Premièrement, quelles mesures concrètes, efficaces, solidaires, le Gouvernement prendra-t-il, en urgence, afin d'apaiser les communes forestières avant l'élaboration de leur budget 2004 ?
    Deuxièmement, pouvez-vous prendre l'engagement solennel que le contrat entre l'Etat et l'ONF sera scrupuleusement respecté jusqu'à son terme, en 2006 ?
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. François Dosé. Troisièmement, si vous acceptez de faire bouger ces lignes budgétaires par une loi de finances rectificative, quelle sera la provenance des crédits devenus subitement disponibles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Chassaigne et M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Vous avez raison, monsieur le député : la forêt est une cause noble, qui doit nous réunir au-delà des groupes politiques et surtout nous inciter à une gestion durable puisque les décisions, en la matière, n'ont pas d'effets immédiats.
    Ces dernières années, la forêt française a malheureusement connu deux drames : la tempête de 1999 et la sécheresse.
    En ce qui concerne la tempête, les crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2004 permettent de respecter la somme moyenne de 91,5 millions d'euros par an promise en décembre 1999 par M. Lionel Jospin, alors Premier ministre. J'ajoute que l'ONF a reçu, en 2003, une dotation supplémentaire exceptionnelle de 25 millions d'euros pour faire face à la baisse des recettes. Certaines lignes accusent des diminutions de crédits, mais le plan mis en oeuvre, en décembre 1999, par le gouvernement de l'époque, indiquait bien que ces crédits seraient non reconductibles - l'aide au transport de chablis, par exemple, n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Pour la tempête de 1999, les engagements budgétaires sont donc honorés.
    A propos de la sécheresse, tout d'abord, un premier crédit de 6,5 millions d'euros est inscrit en loi de finances rectificative, avec des compléments sur la gestion 2003, pour l'aide aux replantations des jeunes pousses mortes cet été. Par ailleurs, avec Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot, nous travaillons à un plan de reconstitution durable de la forêt méditerranéenne ;...
    M. Albert Facon. Ils vont replanter les arbres eux-mêmes !
    M. le président. Je vous en prie !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ... un rapport d'étape vient de nous être transmis et nous aurons l'occasion, au début de l'année prochaine, d'annoncer un certain nombre de mesures.
    Il faut ensuite conforter les institutions en charge de la forêt.
    Pour commencer, je vous annonce que, dans la loi de finances rectificative adoptée ce matin en conseil des ministres, un crédit de 20 millions d'euros a été inscrit en vue de rétablir le versement compensateur au profit des communes forestières. Cette question est donc définitivement réglée. (Applaudissements sur les bancsdu groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Deuxièmement, nous créons trente emplois dans les centres régionaux de la propriété forestière, ce qui était très attendu.
    M. Michel Bouvard. Ah, enfin !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Enfin, nous tenons nos engagements vis-à-vis de l'ONF, puisque 35 millions d'euros sont également inscrits en loi de finances rectificative.
    J'ajoute que, sur le dossier de l'épargne forestière, nous travaillons en étroite liaison avec Alain Lambert ; je pense que nous aboutirons rapidement. Au-delà, sur l'ensemble de la filière bois, le rapport de votre collègue Dominique Juillot sera suivi d'effets et nous permettra d'envisager l'avenir avec sérénité et résolution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).

RÉACTEUR EPR

    M. le président. La parole est à M. Claude Birraux, pour le groupe UMP.
    M. Claude Birraux. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Madame la ministre, le Gouvernement vient de faire connaître l'avant-projet de loi d'orientation sur l'énergie. Pour la première fois, le Parlement sera appelé à voter sur la politique énergétique de notre pays. Les parlementaires UMP tiennent à féliciter le Gouvernement pour cette démarche éminemment démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je constate avec plaisir que votre texte retient, d'une part, les propositions du rapport que j'ai présenté, en mai dernier, au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec Christian Bataille (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), sur la durée de vie des centrales et les nouveaux types de réacteurs - en décidant, notamment, de lancer le prototype de réacteur EPR -, et, d'autre part, les propositions contenues dans un rapport rédigé en 2001, toujours pour l'office parlementaire, alors présidé par Jean-Yves Le Déaut, sur les possibilités techniques et économiques des énergies renouvelables.
    Monsieur le président de l'Assemblée nationale, je suis sûr que vous vous réjouirez, avec le président de l'office parlementaire, de voir que les propositions du Parlement, adoptées à l'unanimité par l'office, sous des majorités différentes, sont reprises par le Gouvernement. La politique énergétique se conduit sur le long terme ; la Californie et l'Italie, qui l'avaient oublié, l'ont réappris à leur dépens. Mais tous ceux qui jugent les décisions précipitées et déclarent qu'il faut attendre - eux qui, hier, reprochaient ici-même au Gouvernement de ne pas aller assez vite - devraient méditer ce proverbe chinois : « Seul l'imprévoyant creuse un puits quand il a soif. »
    Après le débat national sur l'énergie, après les rapports des sages et le rapport du parlementaire en mission Jean Besson, voici venu le temps de l'action. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quel est le calendrier législatif et quelles sont les régions qui ont d'ores et déjà manifesté de l'intérêt pour l'implantation du premier réacteur EPR ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. C'est vrai, monsieur Birraux, pour élaborer les propositions du Livre blanc que j'ai présenté le 7 novembre dernier, je me suis largement inspirée de l'excellent rapport que vous avez rédigé, au nom de l'office d'évaluation des choix technologiques et scientifiques, avec M. Bataille.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Bravo, monsieur Bataille !
    M. Jean Le Garrec. Il est là !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Je serais d'ailleurs tentée d'en recommander la lecture à tous ceux qui n'auraient pas encore eu le temps d'en prendre connaissance, et peut-être plus particulièrement à M. Dionis du Séjour. (Exclamations sur divers bancs.)
    De même, je me suis très largement inspirée des enseignements du débat en profondeur, qui s'est déroulé dans d'excellentes conditions de transparence et de pluralisme, tout au long du premier semestre de cette année.
    Je le disais à l'instant à M. Dionis du Séjour, la politique du Gouvernement repose sur un triptyque indissociable : nous souhaitons mieux maîtriser la consommation d'énergie grâce à des incitations fortes et à une campagne de sensibilisation ; nous proposons de diversifier le bouquet énergétique de notre pays en développant largement les énergies renouvelables et notamment en mobilisant la recherche ; enfin, nous préparons des décisions d'avenir qui requièrent que toutes les options restent ouvertes, y compris celle de l'énergie nucléaire.
    En ce moment, le débat se poursuit et nous avons voulu que les Français soient informés dans des conditions de transparence totale. C'est la raison pour laquelle ces propositions sont accessibles sur Internet. En outre, je puis vous assurer que le Parlement sera saisi d'un projet de loi au début de l'année prochaine.
    La question de la localisation d'un éventuel démonstrateur EPR est bien évidemment prématurée.
    M. Maurice Leroy. M. Dionis du Séjour avait raison !.
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. A ce stade, je puis seulement vous dire que nous avons en effet reçu la candidature de quelques sites de Basse-Normandie et de Haute-Normandie, notamment de Flamanville et Penly, ainsi que celle de la région Rhône-Alpes, à travers la voix particulièrement motivée, dois-je dire, de sa présidente, Mme Anne-Marie Comparini. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ANIMAUX DE COMPAGNIE

    M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, pour le groupe UMP.
    M. Lionnel Luca. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, également chargé de la protection animale.
    Monsieur le ministre, plus d'un foyer sur deux possède un animal de compagnie ; c'est dire l'intérêt et aussi l'affection que nos concitoyens portent à leurs compagnons de vie. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Cela représente aussi un enjeu commercial et financier considérable, générant malheureusement des comportements ignobles, basés sur l'absence de scrupules. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Les trafics d'animaux importés d'Europe de l'Est sans avoir été vaccinés contre la rage, notamment, entraînent des risques sanitaires considérables. Notre collègue Françoise de Panafieu, élue du 17e arrondissement de Paris, a été alertée, à ce sujet, par la SPA. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues !
    M. Lionnel Luca. Lorsque l'on parle d'animaux, il ne faudrait pas que le groupe socialiste, en particulier, se sente implicitement concerné ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Sourires sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Luca, ne vous laissez pas interrompre et posez votre question !
    M. Lionnel Luca. Le trafic s'étend à la vente de peaux de chiens et de chats d'élevages clandestins.
    Se posent, en outre, la question des conditions de l'expérimentation animale, trop souvent abusive, qui martyrise inutilement l'animal, et celle de l'insuffisance de la stérilisation pour maîtriser une population animale croissante.
    Monsieur le ministre, vous avez abordé ces problèmes dès votre entrée en fonctions, en recevant et en associant tous les partenaires, particulièrement les organismes de défense des animaux, qui accomplissent un travail remarquable, grâce au dévouement des bénévoles. Ces associations sont trop souvent méconnues et insuffisamment reconnues, eu égard au véritable rôle de service public qu'elles jouent.
    En un an seulement, vous avez pris un certain nombre de décisions fondamentales là où d'autres, en cinq ans, de missions en propositions diverses, n'avaient abouti à rien. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je souhaiterais donc que vous nous en fassiez part. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député Lionnel Luca, les 16 millions d'animaux de compagnie recensés en France jouent un rôle essentiel auprès des personnes isolées, malades ou handicapées ; et il faut effectivement s'en occuper.
    M. Arnaud Montebourg. Il faut autoriser leur inscription au rôle des contributions directes !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Tout le monde doit être responsabilisé. On n'achète pas un animal de compagnie sur un coup de coeur ; comme une peluche ; pour un million d'achats, chaque année, on compte pourtant plus de 100 000 abandons.
    M. Jean-Pierre Brard. Brigitte Bardot a donc encore une utilité sociale !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Nous avons donc décidé de mettre en oeuvre des mesures pour responsabiliser l'ensemble de la filière en réglementant les conditions d'élevage, notamment sanitaires, et pour assurer une traçabilité des animaux de compagnie. Nous avons décidé, avec Francis Mer, d'interdire l'introduction de peaux de chats et de chiens, et, avec Roselyne Bachelot, de mettre en place des brigades pluridisciplinaires de lutte contre les importations sauvages et les trafics d'animaux. Avec Claudie Haigneré, nous avons mis en place un comité compétent sur les questions de l'expérimentation animale et du statut de l'animal dans notre société - c'est extrêmement important. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Paul. Et avec M. Sarkozy, que faites-vous ?...
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Enfin, se pose le problème de la stérilisation des animaux divagants, qui ne peut être réglé que grâce à un partenariat entre les maires, les associations de protection animale et, évidemment, le ministère de l'agriculture. Sur ce sujet aussi, nous sommes résolus à progresser pour que les animaux de compagnie soient mieux respectés dans notre société, compte tenu de leur rôle social. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize vingt-cinq, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise

4

DÉCENTRALISATION EN MATIÈRE DE REVENU MINIMUM D'INSERTION

ET CRÉATION DU REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n°s 884, 1216).
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, madame la rapporteure, messieurs les députés, le projet que votre assemblée est appelée à examiner aujourd'hui nous conduit vers certaines des difficultés les plus aiguës de la société française. Derrière la question du revenu minimum d'insertion, nous croisons des trajectoires humaines complexes. On trouve des femmes, des hommes, des familles, à la fontière du décrochage social, cette frontière dont Christine Boutin, dans son beau rapport sur l'isolement, traçait avec précision et tact quelques-uns des contours.
    C'est l'honneur de notre république que d'avoir instauré un ultime filet de protection destiné à accompagner celles et ceux qui sont dans la difficulté la plus extrême. Mais c'est également son devoir de ne pas se satisfaire d'une situation qui place un million de nos concitoyens aux marges du progrès individuel et collectif.
    A la source de ce projet de loi, il y a un sentiment que je souhaite pouvoir vous faire partager : celui du refus de la fatalité. Au nom de la justice sociale, au nom d'une certaine conception de la dignité de la personne, le Gouvernement ne se satisfait pas du statu quo. Il a décidé d'agir.
    M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce projet tire les enseignements de quinze années d'expérience. Quinze années qui donnèrent lieu à de nombreuses analyses et évaluations, recensées tant par le Parlement que par des organismes associatifs ou universitaires, ainsi que par les services ministériels et les corps de contrôle de l'Etat. Le texte s'est enrichi de plusieurs améliorations, directement dégagées de la concertation menée avec les partenaires sociaux et les associations, ainsi que du débat au Sénat.
    Mesdames, messieurs les députés, les Français sont attachés à la solidarité qui s'exerce envers les personnes les plus défavorisées, les plus durablement isolées, les plus fragilisées par des accidents de la vie. Ils souhaitent que notre système d'aide sociale puisse épauler tous ceux qui ont besoin d'une assistance momentanée. C'est pourquoi le projet de loi préserve l'architecture générale du revenu minimum d'insertion, qui associe à des droits liés à l'âge ou aux ressources, un contrat, c'est-à-dire un « engagement réciproque » - ainsi que l'indique la loi ! - entre la collectivité et l'allocataire.
    Mais nos concitoyens expriment aussi une autre attente. De façon croissante, ils estiment qu'une contrepartie de l'aide publique est légitime. Cette contrepartie, c'est celle de l'effort d'insertion et de la recherche d'une activité. Cette attente est renforcée chez les Français qui tirent de leur travail quotidien des revenus modestes sans que leurs conditions d'existence diffèrent sensiblement de ceux qui ne travaillent pas. Nul ne peut ignorer le malaise qui traverse les milieux populaires. Nul ne peut sous-estimer le jugement sceptique, parfois même critique, de ceux qui travaillent dur pour un revenu qu'ils jugent quasi équivalent à celui de l'assistance.
    M. Patrick Roy. Augmentez-les !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Une récente enquête révèle que 67 % des Français, dont 58 % de sympathisants de gauche, estiment qu'il faut réduire les indemnisations après une longue période de chômage, ce taux atteignant près de 70 % chez les employés et ouvriers.
    En rappelant ces chiffres, je ne porte pas de jugement de valeur et ne me réjouis pas de cette forme de clivage, que je sens grandissant, entre ceux qui bénéficient des moyens de l'assistance et ceux qui vivent de leurs revenus du travail. Si je dis à voix haute ce qui se dit à voix de moins en moins basse dans le pays, c'est pour que chacun mesure la nature du défi que nous devons collectivement relever. Si les Français ont longtemps manifesté leur confiance vis-à-vis des systèmes d'aides, ils soulignent davantage désormais leurs effets désincitatifs sur la reprise de l'emploi. La solidarité envers les bénéficiaires de ces aides n'est certes pas fondamentalement remise en cause, mais il est désormais demandé à l'action publique d'avoir le courage de renouveler les termes de cette solidarité.
    M. Alain Cousin. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Aujourd'hui, notre devoir social n'est pas de flatter une « tradition d'assistance », à laquelle d'ailleurs beaucoup de RMistes ne souscrivent pas ; il est, dans un même élan, de rehausser les idées de responsabilité et de fraternité.
    Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Tout à fait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En abordant cette question du revenu minimum d'insertion, il convient d'éviter deux écueils. Celui, je l'ai dit, du statu quo conservateur et, inversement, celui d'un rejet critique qui, essentiellement ciblé sur les dysfonctionnements ou les dérives du dispositif, conduirait à des stigmatisations ou à des généralisations blessantes à l'endroit de nos concitoyens qui vivent avec le RMI. Cette attitude ne serait pas seulement contraire à nos valeurs républicaines. Elle serait aussi et surtout fondée sur un diagnostic inexact. En effet, la plupart des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion aspirent à sortir de leur situation d'allocataire.
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis pour la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Sur environ un million d'allocataires du revenu minimum d'insertion, 300 000 entrent dans le dispositif et en sortent chaque année, en partie par l'emploi. De plus, la moitié environ des allocataires sont inscrits à l'ANPE. S'ils n'accèdent pas au travail, c'est parce que, pour la plupart d'entre eux, ils ne trouvent pas d'offre d'emploi adaptée à leurs compétences ou parce que les employeurs ont donné la préférence à d'autres.
    M. Jean-Marie Geveaux. C'est tout le problème !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais la plus grande partie d'entre eux aspire à un accès ou à un retour à l'emploi, non seulement par souci d'améliorer leurs conditions matérielles d'existence ou leur autonomie familiale, mais aussi et surtout par besoin de dignité personnelle et d'utilité sociale.
    M. Alain Cousin. Tout à fait !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. La lutte contre l'exclusion ne saurait donc se réduire à la mise en place d'une assistance pour tous, dont le seul but serait de faire face aux besoins élémentaires de l'existence. Elle doit d'abord s'inscrire dans un processus dynamique en aval et en amont de la pauvreté. En amont, par des mesures de renforcement de la prévention. La détresse sociale n'est pas seulement « monétaire » ; elle peut se traduire par des difficultés de logement ou par des besoins concernant la santé. C'est l'objet de l'insertion sociale des allocataires du revenu minimum d'insertion.
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En aval, le projet de loi mise sur une aide personnalisée à l'insertion sociale et professionnelle, ainsi que sur une palette élargie d'aides à l'emploi destinée à mieux adapter le parcours d'insertion à chaque situation individuelle. Tous ces objectifs ont pour point de départ un constat partagé et confirmé par de nombreux travaux : à l'origine, le RMI devait représenter une rupture par rapport à la logique traditionnelle de l'assistance en entravant le processus d'exclusion des personnes les plus en difficulté. A l'évidence, il existe aujourd'hui un profond décalage entre l'objectif d'insertion assigné au RMI et les résultats décevants observés depuis plusieurs années. Plusieurs évolutions en témoignent de façon convergente.
    Le nombre des allocataires âgés de trente-cinq ans à soixante ans et bénéficiaires depuis plus de deux ans du revenu minimum d'insertion est à la hausse continue. Cette évolution signale un phénomène d'installation, voire d'enfermement, dans l'assistance.
    De plus, le taux de contractualisation stagne à environ 50 %. Cette insuffisante contractualisation ne préjuge pas d'une responsabilité imputable aux seuls allocataires. Elle tient souvent à la dispersion des acteurs et à l'émiettement des compétences. Il en résulte un isolement accru faute de suivi de l'allocataire par un accompagnateur identifié.
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, la proportion des personnes accédant aux contrats aidés parmi les allocataires de revenu minimum d'insertion est, elle, à la baisse continue. Cette proportion, qui était de 21 % en 1996, est tombée à 13 % en 2002. Sa diminution est le signe que la stratégie de recentrage des mesures emploi sur le public des allocataires de revenu minimum d'insertion s'est fortement essoufflée au fil du temps.
    Au regard de ces chiffres, tout se passe comme si, quinze ans après, le dispositif conçu au départ comme une aide momentanée était devenu une prestation de « masse » et d'assistance durable. Face à ce constat de semi-échec, les leçons de morale de ceux qui, la main sur le coeur, n'ont de cesse d'accuser le Gouvernement de vouloir faire évoluer les choses, n'ont aucune valeur. Le camp de la justice sociale, ce n'est pas celui des grands discours, c'est celui de l'action !
    M. Jean-Marie Geveaux. Absolument !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Une réforme s'impose. Nous la jugeons urgente. Le Gouvernement a décidé en conséquence d'agir dès 2004.
    Nous souhaitons, tout d'abord, améliorer la gestion du RMI en misant sur la proximité, c'est-à-dire sur une gestion au plus près des bénéficiaires et des acteurs locaux. La dynamisation du revenu minimum d'insertion ne peut plus désormais se satisfaire de simples ajustements techniques à l'initiative de l'Etat. C'est pourquoi nous proposons la décentralisation du dispositif.
    L'orientation retenue s'inscrit dans la continuité de la décentralisation qui, depuis plus de vingt ans, a confié aux départements l'aide aux personnes les plus en difficulté. Ce savoir-faire mérite d'être valorisé et developpé. Le projet de loi en tire l'enseignement en confiant aux départements la responsabilité de la gestion et du financement du revenu minimum d'insertion. Nul ne peut douter qu'ils puissent assumer avec compétence et efficacité cette responsabilité élargie.
    M. Christian Estrosi. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ceux qui craignent cette décentralisation du RMI devraient s'interroger sur les lacunes du système actuel. Ils ont, selon moi, tort de ne pas accorder leur confiance aux élus locaux qui, en matière de solidarité et d'efficacité, se sont souvent montrés plus réactifs que l'Etat.
    M. Christian Estrosi. Quelle défiance de leur part !
    Mme Martine Billard. Ce n'est pas la question !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette décentralisation portera sur environ 5 milliards d'euros et s'accompagnera de l'attribution aux collectivités départementales d'une fraction du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
    M. Christian Estrosi. Quelle bonne chose !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je connais l'inquiétude que suscitent à ce titre la réforme de l'allocation de solidarité spécifique et ses conséquences sur une éventuelle progression des charges liées au revenu minimum d'insertion. Le Gouvernement est très attentif sur ce point. C'est pourquoi il a décidé de réévaluer en 2005, sur la base du compte administratif 2004 de chaque département, le montant des charges transférées aux départements au titre du revenu minimum d'insertion,...
    M. Bernard Derosier. Avec effet rétroactif ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... et il défendra à ce titre un amendement. Vous pouvez être assurés que le Gouvernement entend respecter ainsi non seulement la lettre, mais aussi l'esprit de la Constitution.
    La nouvelle organisation juridique et financière du RMI permettra aussi de mettre fin à l'enchevêtrement des compétences en vertu desquelles est actuellement confié à l'Etat le financement des allocations et aux conseils généraux le financement de l'insertion. La mission d'insertion se réalise aujourd'hui, vous le savez, dans le cadre d'un copilotage exercé à la fois par le préfet et par le président du conseil général : les compétences s'y superposent au risque d'engendrer une défense stérile d'enjeux purement institutionnels. Désormais, le financement par une seule collectivité - le conseil général - tant de l'allocation que de l'insertion permettra de redonner de la cohérence au dispositif et de mobiliser davantage les acteurs locaux de l'insertion.
    M. Alain Gest. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette réforme, au demeurant, converge avec les orientations de plusieurs Etats de l'Union européenne qui ont opté le plus souvent pour une gestion locale et décentralisée des minima sociaux. Le projet de loi corrige aussi les dysfonctionnements constatés par la Cour des comptes : les conseils départementaux d'insertion - CDI - s'engagent insuffisamment dans l'élaboration d'une stratégie départementale et les commissions locales d'insertion - CLI - sont trop souvent réduites au seul enregistrement des contrats d'insertion. Leur engorgement et leurs retards expliquent en grande partie le faible taux de contractualisation évoqué précédemment, souvent au détriment de leur rôle d'animation de la politique d'insertion dans leur ressort territorial.
    M. Jean-Louis Dumont. Que font les préfets ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le projet de loi apporte à ce sujet deux correctifs :
    D'une part, la présidence du conseil départemental d'insertion sera confiée au président du conseil général, qui en désignera les membres et qui élaborera, puis mettra en oeuvre le programme départemental d'insertion ;
    D'autre part, le président du conseil général désignera seul les membres et le président des commissions locales d'insertion, dont les compétences en matière d'approbation des contrats d'insertion seront transférés aux services du conseil général, à l'exception des avis sollicités préalablement à une demande de suspension.
    Le projet met également un terme à la dispersion actuelle des formes d'accompagnement, liée au hasard du lieu de dépôt de la demande. Désormais, une même personne sera chargée d'accompagner l'allocataire dans ses démarches et ses efforts d'insertion, qu'il ait déposé sa demande au centre communal d'action sociale ou auprès d'une association agréée, qu'il soit à la recherche d'un logement plus adapté ou d'un meilleur accès aux soins ou à l'emploi.
    Cet accompagnateur coordonnera la mise en oeuvre du contrat d'insertion pour aider l'allocataire à lever tous les obstacles qui se présentent à lui.
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il veillera à la qualité du parcours d'insertion et à ses éventuelles réorientations.
    Pour préserver tout risque que cette relation n'aboutisse à une confusion des rôles entre juge et partie, le projet apporte deux garanties importantes :
    D'abord, la CLI sera appelée à donner son avis préalable dans le cas où une procédure de suspension serait mise en oeuvre. C'est le seul cas où cette commission conserve un rôle en matière de décision individuelle.
    Ensuite et surtout, le projet de loi réforme la composition particulière de la commission départementale d'aide sociale appelée à statuer en matière de revenu minimum d'insertion. Pour garantir son indépendance cette commission sera composée, comme dans les autres domaines de l'aide sociale d'ailleurs, d'un magistrat de l'ordre judiciaire, qui en sera le président, de trois conseillers généraux et de trois fonctionnaires de l'Etat.
    Le projet de loi va encore plus loin et s'attache aussi à présenter des garanties encore plus fortes dans l'accès au droit.
    Pour répondre au principe d'égalité de traitement quelque soit le lieu de résidence des allocataires, les conditions d'attribution du revenu minimum d'insertion et son barème demeurent fixées au plan national.
    De même, le service de l'allocation continue d'être assuré par les caisses d'allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole, qui ont su associer, depuis 1989, à l'efficacité de leur gestion une relation sociale développée, notamment avec des publics fragiles et isolés.
    Cette continuité de la gestion du RMI par les caisses d'allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole facilitera aussi le basculement du 1er janvier prochain dans des conditions sans commune mesure avec l'application de la loi instaurant le RMI, qui a été promulguée le 12 décembre 1988 pour une application au 1er janvier 1989.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Exact !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pour conforter de façon plus nette encore cette transition, je vous proposerai, au cours de l'examen du projet de loi la mise à disposition à titre transitoire, en 2004, du personnel de l'Etat, actuellement en charge du revenu minimum d'insertion.
    Parallèlement à cette volonté de proximité et de clarté dans la gestion du dispositif, le Gouvernement a décidé d'activer les dépenses de solidarité à travers la création d'un dispositif original : le revenu minimum d'activité.
    Le RMA répond à une aspiration croissante, dont plusieurs propositions de loi à votre initiative se sont déjà fait l'écho. Il s'inspire aussi des méthodes d'activation des dépenses d'indemnisation de l'assurance chômage gérée par les partenaires sociaux, d'abord sous forme de conventions de coopération, puis d'allocations dégressives à l'employeur.
    L'idée du revenu minimum d'activité est simple. Il s'agit de créer une transition entre l'assistance et le travail ; il s'agit d'instaurer une passerelle entre le revenu de solidarité et l'emploi ordinaire.
    Cette transition a pour principal but d'éviter d'enfermer les allocataires dans un choix trop contraignant, et souvent stérilisant, entre une situation prolongée d'assistance et l'accès souvent difficile à l'emploi, surtout pour les allocataires bénéficiaires du RMI depuis plusieurs années.
    Aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, près d'un allocataire sur trois est au RMI depuis plus de trois ans et près d'un sur dix depuis plus de dix ans. De plus, le nombre de personnes présentes depuis plusieurs années dans le dispositif continue d'augmenter.
    Voilà la réalité, voilà les chiffres qui condamnent sans appel tous ceux qui s'insurgent à l'idée que nous ouvrions un chemin nouveau vers l'emploi.
    Il faut tout de même être animé par une étrange philosophie politique pour préférer un RMiste sans travail à un RMiste ayant une activité ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Qui a dit cela ?
    M. Jean Le Garrec. Pas de procès d'intention !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais je n'ai jamais dit que c'était vous qui aviez dit cela, monsieur le Garrec. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean Le Garrec. La façon dont vous le formulez...
    M. Patrick Roy. On l'a senti !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il y a d'autres voix qui s'expriment dans l'opinion que celle du parti socialiste !
    A l'opposé de cette conception, nous ne craignons pas d'insister sur la valeur du travail, comme source d'épanouissement personnel.
    Il faut être véritablement suspicieux et exagérément idéologue pour penser que seule la sphère publique est en mesure d'accomplir des tâches d'insertion. Face au un million de RMistes qui cherchent, pour la majorité d'entre eux, à s'en sortir, je n'ai, pour ma part, qu'une pensée : offrir des voies de sortie partout ou cela est possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Muguette Jacquaint. Qui prétend le contraire ?
    M. Patrick Roy. Ce sont des mots !
    M. Jean-Marie Geveaux. Il est bon d'essayer !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le coupable est celui qui, au nom de je ne sais quels principes, préfère fermer certaines portes de sortie plutôt que de les ouvrir toutes.
    Mme Martine Billard. Et quand ces portes ouvrent sur un gouffre ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mesdames et messieurs les députés, la création du RMA est destinée à inverser progressivement une tendance : celle d'une installation dans le revenu minimum d'insertion.
    M. Patrick Roy. Ce sont encore des mots !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce RMA est innovant, mais il est encadré.
    Tout d'abord, le projet retient le principe d'une ancienneté minimale pour accéder au revenu minimum d'activité. Le RMA n'est pas conçu pour ceux qui accèdent par eux-mêmes à l'emploi, souvent dans les six à douze mois qui suivent leur arrivée au RMI. Il est destiné d'abord à ne pas laisser au bord de la route les allocataires les plus en difficulté, ceux qui n'accèdent jamais ni à l'emploi ordinaire ni à l'emploi aidé. Pour eux, le revenu minimum d'activité ne se substitue pas aux contrats aidés en vigueur ; il préserve aussi l'existence des règles de cumul entre une activité et une allocation au titre du mécanisme dit d'intéressement. Mais il crée un nouveau chemin, c'est-à-dire une nouvelle chance d'accéder à l'emploi.
    Mme Martine Billard. Qui est moins intéressante !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Inversement, le revenu minimum d'activité n'est pas un sas obligatoire. Il élargit simplement la gamme des étapes vers l'emploi aidé ou de droit commun. Il convient aussi d'éviter un autre risque : celui d'une éventuelle installation dans le revenu minimum d'activité. Destiné à mettre ou à remettre le bénéficiaire en situation de travail, ce palier plus ou moins long selon les situations individuelles n'a pas vocation à se prolonger au-delà du temps nécessaire à la réinsertion, c'est-à-dire à la consolidation des aptitudes à exercer des activités plus exigeantes en termes de qualification et de productivité.
    M. Patrick Roy. C'est bien le problème !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est pourquoi la durée totale du revenu minimum d'activité doit être limitée.
    Il s'agit enfin de créer une véritable étape dans un parcours progressif d'insertion professionnelle. Avec une durée inférieure à 20 heures hebdomadaires, le RMA n'aurait pas l'effet formateur attendu d'une activité qui tourne le dos aux « petits boulots ». C'est pourquoi le choix s'est porté d'abord sur une durée hebdomadaire de 20 heures, puis sur une durée minimale de 20 heures après le débat au Sénat.
    Le revenu minimum d'activité est aussi un contrat de travail, dont les spécificités n'ont d'autre but que de faciliter la sortie du RMI. Premièrement, il améliore les gains de l'allocataire d'environ 50 % dans le respect des limites de la dépense publique.
    M. Patrick Roy. Deux euros de l'heure !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En effet, le RMA associera une allocation forfaitaire du revenu minimum d'insertion versée par la caisse d'allocation familiales ou la caisse de mutualité sociale agricole à l'employeur, et un complément à la charge de ce dernier. Cette rémunération sera versée par l'employeur au salarié, qui bénéficiera au total d'un gain au moins égal au SMIC.
    M. Patrick Roy. Deux euros de l'heure !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Deuxièmement, à la différence des contrats aidés, le revenu minimum d'activité est mis en oeuvre de façon similaire dans le secteur public et dans le secteur privé : le champ d'application de ce contrat est celui des employeurs du secteur marchand - à l'exception des particuliers - et du secteur non marchand - à l'exception de l'Etat et des départements eux-mêmes. Dans le secteur non marchand, le revenu minimum d'activité ouvrira droit cependant à une exonération des cotisations patronales de sécurité sociale compensée par le budget de l'Etat.
    Troisièmement, le dispositif recherche un équilibre entre les diverses incitations proposées aux partenaires du contrat. Pour l'employeur, le coût du travail bénéficie de l'allégement procuré par l'aide départementale. Mais cet avantage trouve sa contrepartie dans les obligations attachées à une embauche : mise en oeuvre d'un tutorat, d'un suivi individualisé ou d'une formation pour les bénéficiaires du revenu minimum d'activité. Ces obligations seront consignées dans une convention passée entre l'employeur et le département.
    Pour les allocataires, le RMA offre d'abord la sécurité d'une rémunération constante, contrairement à l'intéressement dans le secteur privé, dont la compréhension et l'attractivité sont affaiblies par sa dégressivité continue et par la complexité de ses calculs.
    Mme Hélène Mignon et Mme Martine Billard. Il fallait l'améliorer !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Surtout seront maintenus, sur toute la durée de perception du revenu minimum d'activité, les droits garantis au titre du revenu minimum d'insertion, notamment la CMU et la CMU complémentaire tant pour l'allocataire que pour sa famille. Cette sécurité est renforcée par le maintien de la rémunération en cas de maladie, sans délai de carence et sans référence à une ancienneté minimale dans l'entreprise.
    Les autres droits sont proportionnels aux cotisations assises sur la part de rémunération à la charge directe de l'employeur ; la rémunération nette et donc l'attractivité du travail en sont améliorées. Au total, le revenu minimum d'activité donne la préférence à la protection sociale immédiate, et laisse à l'étape suivante de l'emploi ordinaire la plénitude des droits contributifs à pension de retraite de base ou complémentaire.
    Mme Martine Billard. Ça, c'est sûr !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Comme il en va pour toute réforme, le projet de revenu minimum d'activité a suscité des interrogations multiples.
    M. Bernard Derosier. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je ne m'arrêterai pas aux interprétations partisanes de ceux qui croient faire oeuvre de progrès social en défendant jusqu'à l'obstination un dispositif qui voue les allocataires à la seule perspective de l'assistance continue. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    A en croire certains, la création du revenu minimum d'activité signifierait que notre pays entre directement dans ce qu'ils qualifient de workfare à la française...
    Mme Muguette Jacquaint. C'est vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... c'est-à-dire dans un dispositif où les pouvoirs publics exigent des personnes sans emploi qu'elles effectuent des travaux d'utilité collective ou entreprennent une formation professionnelle, en contrepartie - soit en échange - du versement d'allocations publiques. Cette affirmation est inexacte, parce qu'elle méconnaît la construction juridique du RMI que le projet de loi préserve.
    En effet, le projet ne modifie pas sur ce point la loi en vigueur : il ne fixe en aucun cas une obligation de travail en contrepartie des allocations reçues. L'attribution du revenu minimum d'insertion n'est pas conditionnée par une activité rémunéréé, qui serait imposée et qui tiendrait lieu de restitution en nature des aides publiques.
    Cette attribution répond au contraire à des critères objectifs fixés au plan national et est assortie, comme le dit la loi de 1988, d'un « engagement réciproque » entre la collectivité et l'allocataire, c'est-à-dire tout le contraire d'une obligation imposée.
    M. Bernard Derosier. Et le RMA ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est la même chose !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Ah non !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. De plus, cet engagement ne porte pas sur la seule insertion professionnelle, mais s'attache aussi à l'insertion sociale, comme l'accès aux soins, qui est souvent, comme le savent bien les travailleurs sociaux, le préalable de toute insertion professionnelle réussie.
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Très juste !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. On est donc très loin du workfare. Nous restons dans la tradition française, mais une tradition que nous actualisons en la dynamisant.
    Telles sont les caractéristiques du revenu minimum d'activité. Celles-ci n'ont d'autre but en définitive que de rétablir, dans l'intérêt général, une plus grande égalité de chances dans l'accès à l'emploi des allocataires les plus en difficulté, en opposant à la sélectivité du marché du travail des dispositions plus adaptées à leur situation particulièrement désavantagée.
    Par la spécificité juridique de son contrat et par les modalités concrètes de suivi qui l'accompagnent, le RMA s'efforce de corriger les inégalités de situation face au libre jeu de l'offre et de la demande de travail pour offrir aux allocataires les plus en retrait une nouvelle chance d'accès à la vie économique et à la dignité sociale.
    Monsieur le président, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, une société comme la nôtre ne peut pas continuer de laisser au bord de la route autant de nos concitoyens allocataires du RMI. Leur nombre a dépassé toutes les projections de l'époque. Il a doublé depuis les premières années qui ont suivi l'instauration du RMI, pour se stabiliser aujourd'hui à environ un million de personnes, et même le double si l'on tient compte des membres de chaque foyer.
    Les Français attendent sur ce point une réforme vigoureuse et rapide. Ils souhaitent que les valeurs de responsabilité et d'engagement personnel nourrissent davantage la chaîne de solidarité qui fait l'honneur de notre pays : moins d'assistance passive, plus de soutien actif.
    M. Daniel Mach. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. En définitive, ce projet est animé par une conception positive et dynamique de notre pacte social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    Mme Christine Boutin, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est appelée à examiner le projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, déposé sur le bureau du Sénat le 7 mai 2003 et adopté par celui-ci dans sa séance du 28 mai 2003.
    L'examen par le Sénat n'en a pas fondamentalement modifié les équilibres. Les dispositions les plus notables adoptées par le Sénat consistent en l'abrogation de l'obligation pour les départements d'inscrire à leurs budgets des crédits équivalents à 17 % des sommes versées l'année précédente au titre de l'allocation du RMI et en l'assouplissement de la durée hebdomadaire du contrat insertion-revenu minimum d'activité.
    Le contexte dans lequel s'inscrit cette réforme se caractérise par la volonté de maintenir le RMI, dont la nécessité n'est remise en question par personne. Il se traduit également par le constat de l'insuffisance de son volet « insertion » et de la nécessité de prendre des mesures rendant plus attractif le retour à l'emploi et plus efficace la politique d'insertion.
    La nécessité de réformer la gestion du RMI et de créer un RMA a été suffisamment démontrée par le ministre François Fillon. Cet avis est très largement partagé et je n'y reviendrai pas.
    Le texte dont nous débattons aujourd'hui repose sur deux piliers :
    Premièrement, les conseils généraux deviennent les principaux acteurs de l'insertion, à compter d'une date qui fera l'objet de nos échanges. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Muguette Jacquaint. 2004 ou 2005 ?
    Mme Christine Boutin, rapporteure. A l'occasion de ce transfert de compétences, ils doivent être assurés de trouver dans les transferts de charges les compensations de cette responsabilité nouvelle.
    Deuxièmement, il est crée un revenu minimum d'activité, nouvelle chance donnée aux personnes actuellement en situation de précarité pour trouver le moyen de s'insérer par une activité professionnelle rémunérée.
    Vous comprendrez qu'en cette circonstance, mon souci se porte plus particulièrement sur le million de personnes aujourd'hui allocataires du RMI et qui doivent nous importer infiniment plus que toutes les considérations d'ordre budgétaire.
    Cette volonté d'en faire le centre des dispositions dont nous débattons aujourd'hui explique les principaux objectifs qui ont guidé les débats de la commission des affaires sociales : la priorité accordée à l'aspect humain, la valeur du travail, la valeur de l'insertion, le nécessaire équilibre de l'aspect financier. Notre volonté, affirmée par un certain nombre d'amendements adoptés par la commission, a été de ne jamais oublier dans nos orientations que, in fine, il s'agit toujours de personnes dont les situations sont particulièrement fragilisées.
    Il convient d'abord de rappeler le rôle central du travail en matière d'insertion. Il est conforme à la fois à la volonté du Gouvernement et au respect de nos engagements électoraux de rappeler dans la loi que le travail est l'expression la plus haute de la dignité humaine tant par ses dimensions proprement personnelles, que par la participation qu'il permet à l'oeuvre commune. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Francis Vercamer. Tout à fait !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Le travail est évidemment et essentiellement porteur de sens, individuellement et collectivement. Comment ne pas reconnaître qu'il n'existe pas de plus bel objectif politique, de plus haute action sociale que de redonner à chacun la possibilité d'être l'artisan de sa propre subsistance et, en même temps, de lui permettre l'exercice de sa pleine responsabilité ?
    M. Patrick Roy. Il faut engager les chômeurs !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Le RMA, tel qu'il est appréhendé dans ce texte, est ouvert au secteur non marchand et marchand. Cela est la véritable nouveauté. A cet égard, je tiens à saluer tout particulièrement les chefs d'entreprise qui s'engageront dans cette voie de l'insertion sociale. Ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit. Pourtant, certaines voix contestent l'incitation financière qui leur est accordée en évoquant un effet d'aubaine. Je ne comprends pas ces critiques tant elles relèvent de l'ignorance à la fois des économiques et des exigences impératifs sociaux. Il est, en effet, bien évident que, pour un chef d'entreprise, engager une personne au RMA, personne par définition fragilisée,...
    Mme Muguette Jacquaint. Qui l'a fragilisée ?
    Mme Christine Boutin, rapporteure. ... correspond à un investissement réel en raison du temps qu'il lui faudra consacrer pour que ce salarié réapprenne les contraintes du travail.
    M. Alain Gest. Absolument !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. De plus, est-il nécessaire de souligner que l'objectif de l'entreprise est la rentabilité économique, objectif peu conciliable, immédiatement, avec l'emploi de personnes éligibles au RMA ?
    M. Alain Gest. Tout à fait !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Cet effort mérite une compensation qui correspond effectivement à ce que propose le texte.
    A côté de cette insertion par le travail, les membres de la commission ont voulu réaffirmer la valeur insigne de l'insertion sociale. En effet, nous savons tous que le fait de reprendre une activité professionnelle même modeste, même à temps partiel, même sur des emplois parfois peu qualifiés, demeure, pour certains de nos concitoyens, un défi hors de leur portée, au moins dans l'immédiat, et il ne s'agit pas de les oublier.
    C'est pourquoi la commission, conformément à l'esprit du texte, a voulu réaffirmer la valeur de ces actions d'insertion qui ne passent pas par le travail et rappeler toute l'importance qu'elles revêtent dans l'ensemble de nos dispositifs d'action sociale. De ce fait, elle a adopté un certain nombre d'amendements protégeant le bénéficiaire du RMA, notamment en inscrivant dans la loi que la rupture du contrat RMA rétablissait immédiatement l'allocataire dans son droit à percevoir de nouveau le montant du RMI dont il bénéficiait auparavant. Nous devons être bien conscients que, pour nombre de bénéficiaires du RMI, cette allocation est réellement une allocation de survie.
    La volonté de la commission a été d'établir un équilibre entre les différents partenaires, je veux parler des conseils généraux, des chefs d'entreprise et des candidats au RMA. Toutefois un amendement qui tendait à rendre le recours suspensif pour un RMA a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40.
    Notre préoccupation a également consisté à affirmer que les bénéficiaires du RMI ne sont pas des fraudeurs ou des profiteurs. Certes, il en existe, mais mon expérience de conseiller général depuis plus de vingt ans, comme, certainement, celle de beaucoup d'entre vous, me permet d'affirmer que le nombre de ces profiteurs est très marginal.
    Mme Muguette Jacquaint. Absolument !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Il n'empêche que, du fait de leur existence, il est trop communément admis dans l'opinion française qu'être au RMI, c'est être un paresseux ou un utilisateur du système d'assistance. Nous devons dénoncer cette appréciation, car elle est fausse, et nous devons lutter, car cela est juste, contre ces utilisations abusives du RMI. Je suis convaincue que la décentralisation proposée par ce texte permettra, grâce à la responsabilité claire et sans ambiguïté donnée aux conseils généraux et à la gestion de proximité des dossiers, d'en diminuer le nombre.
    La fraude est un délit prévu par le code pénal. Sa définition répond à des règles strictes. En revanche la notion de profiteur est plus difficile à appréhender et presque impossible à définir en droit. Je pense que la question sera évoquée à nouveau au cours de nos débats. Il serait en effet regrettable que l'existence de ces quelques pique-assiettes sociaux continuent à stigmatiser les plus fragiles d'entre nous.
    M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. La commission des affaires sociales a examiné 136 amendements et en a adopté 46, dont 43 de votre rapporteure. Treize d'entre eux ont été cosignés par des députés appartenant à tous les groupes de l'Assemblée nationale. Nous aurons l'occasion, au cours de l'examen des articles, de les examiner dans leur ensemble. Je me contenterai, à cette tribune, de vous présenter les plus importants.
    L'article 3 définit les conditions financières de la décentralisation du RMI et de la création du RMA. A ce sujet la commission avait adopté un amendement tendant à préciser les conditions de compensation afin d'apporter des garanties aux départements, notamment en visant les charges de gestion administratives du RMI, pour que les départements soient en mesure de les rembourser aux organismes payeurs. Elle avait assorti cet amendement d'un réexamen annuel des conditions de compensation financière. Malheureusement, cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40.
    Mme Muguette Jacquaint. Cela veut tout dire !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Il est vraiment regrettable, monsieur le ministre, que l'on n'ait pas saisi, à l'occasion de la décentralisation du RMI, l'opportunité de clarifier ainsi les charges de sa gestion.
    Mme Muguette Jacquaint. Eh oui !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. En effet, depuis toujours, les CAF gèrent les RMI sans être remboursées par l'Etat de leurs frais de gestion, faisant supporter à la branche famille des charges qui ne lui incombent pas directement. Cela va encore continuer, malgré la réforme que nous allons mettre en place.
    M. Dominique Le Mèner. C'est la solidarité !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Non, c'est autre chose que la solidarité. Si vous le voulez, nous pourrons en discuter.
    En ce qui concerne le renforcement des garanties entourant la suspension du RMI - articles additionnels après les articles 9 et 10, articles 10, 11, 21, 29 et 32 du texte -, la commission a subordonné la suspension du versement de l'allocation à un avis conforme de la CLI. Il s'agit non pas de diminuer les pouvoirs des présidents de conseils généraux, mais de donner une portée collective et partagée à une décision grave, qui doit être portée à plusieurs. De plus, nous savons tous que, actuellement, le RMI continue à être versé à certains bénéficiaires - et c'est une bonne chose - alors qu'il n'existe pas de contrat d'insertion. La loi prévoit pourtant que c'est la condition pour attribuer cette allocation. Que pourrait-on faire vis-à-vis d'un président de conseil général qui, s'appuyant sur cette obligation légale et constatant qu'il n'existe pas de contrat d'insertion, suspendrait le versement du RMI ? Rien !
    On pourrait m'objecter qu'il s'agit d'une hypothèse d'école. En réalité, la prudence nous oblige à être attentifs car les conséquences de cette décision inattaquable en droit seraient graves pour une personne fragilisée et sa famille qui se trouveraient alors sans aucun moyen de survie.
    L'article 28 amendé rétablit une mesure qui avait été supprimée par le Sénat : l'obligation faite aux départements d'inscrire à leur budget, en faveur de l'insertion, 17 % des sommes versées l'année précédente pour le RMI. Cette mesure, déjà légale, a pour objectif de garantir que les départements se doteront des moyens nécessaires à une réelle réinsertion des bénéficiaires. Ainsi, on peut espérer que l'insertion aura un socle commun dans tous les départements. Cet amendement marque aussi notre volonté politique vis-à-vis des acteurs de l'insertion puisqu'il procède à un apurement des reports antérieurs, ce qui permettra de démarrer la décentralisation sur des bases saines. Je crois savoir que le débat est encore très ouvert sur cette question.
    L'article 35 porte création du contrat d'insertion appelé revenu minimum d'activité. Il s'agit d'un contrat de travail atypique qui a pour but de favoriser par le travail l'insertion des personnes bénéficiaires du RMI. Comme M. le ministre vient de le rappeler, il convient de souligner que cette insertion est à la fois professionnelle et sociale.
    A cet égard un amendement voté par la commission qualifie de salaire l'ensemble des revenus du RMA, faisant ainsi entrer ce contrat dans le droit du travail et de la protection sociale classique.
    Mme Muguette Jacquaint. Très bien ! Tout travail mérite salaire.
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Le RMA est composé, je vous le rappelle, du montant de l'aide forfaitaire du RMI pour un célibataire, complété par l'employeur à proportion du nombre d'heures au-dessus de vingt heures sur la base du SMIC horaire. Dans le texte, avant amendements, les conséquences de cette construction entraînent une disparité dans les droits à la retraite et au chômage pour les bénéficiaires du RMA par rapport à un salarié classique au sein de la même entreprise. De deux choses l'une : soit l'on considère que le RMA a pour objectif prépondérant la personne fragilisée que l'on veut réinsérer par le travail, et on lui donne alors un statut relevant du droit du travail ; soit l'on considère qu'il s'agit d'une étape supplémentaire vers la réinsertion et le RMA est alors un nouveau contrat aidé ou d'accompagnement.
    La commission des affaires sociales a décidé qu'il fallait donner un signal fort aux bénéficiaires du RMA en les reconnaissant comme des salariés comme les autres. Cet amendement est une marque de confiance dans leur capacité non seulement à travailler, mais aussi à se relever. Bien sûr, se pose la question des cotisations sociales employeurs et employés...
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. ... à laquelle il serait tout à fait possible de répondre. Nous le verrons lors de la discussion de l'article 35.
    Enfin, l'article 41 du projet prévoit l'application de la loi au 1er janvier 2004. La commission a adopté un amendement qui la renvoie au 1er janvier 2005 avec une expérimentation ouverte aux départements dès le 1er janvier 2004, comme le permet la Constitution. Sur cette date d'application, je crois savoir que le débat n'est pas clos.
    Tels sont, mes chers collègues, les principaux amendements que je voulais évoquer à cette tribune. La discussion nous donnera l'occasion d'en examiner de nombreux autres.
    Avant de terminer, je tiens à remercier les membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, son président ainsi que les administrateurs qui m'ont assistée dans ce travail. Je salue également le ministre des affaires sociales et ses collaborateurs qui ont toujours eu une écoute attentive aux remarques de la rapporteure de ce projet de loi. Les amendements adoptés en commission ont toujours eu comme préoccupation, je le répète, l'équilibre entre tous les acteurs, y compris les plus fragiles.
    Le texte que nous voterons dans quelques jours se rapproche de l'instauration d'un revenu minimum dans notre pays. A mon avis il s'agit d'une très bonne décision. Il faudra bien admettre un jour, tout en affirmant la valeur essentielle du travail, que notre pays connaît depuis plus de vingt-cinq ans un chômage de masse auquel la succession de nos lois sociales essaie difficilement de répondre.
    Je souhaite que les débats qui vont se dérouler, dans cet hémicycle, aient la même tenue que ceux qui ont eu lieu en commission. Il faut que la perspective de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous permette de dépasser les clivages légitimes qui nous séparent sur ces bancs. Comme vous l'avez constaté, j'ai pu exprimer, ce qui n'est pas l'habitude, le point de vue d'un rapporteur en toute liberté.
    Mme Muguette Jacquaint. C'est nouveau !
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Je tiens à en remercier la majorité à laquelle j'appartiens et j'espère que cette première sera suivie de nombreuses autres.
    Je suis certaine que c'est par un vrai débat démocratique que nous pourrons réconcilier les Français avec la politique et renforcer les principes républicains auxquels nous sommes tous très attachés. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, je suis convaincue que ce texte ouvre le chemin vers un revenu minimum pour tous.
    Vous connaissez l'idée qui m'est chère de la création d'un dividende universel, accordé à tous, qui tiendrait compte de cette réalité fluctuante de l'emploi, tout en éradiquant la très grande pauvreté dans notre pays. Le chemin est ouvert. Je ne peux que m'en réjouir en émettant un avis favorable de principe sur le texte que nous examinons aujourd'hui et qui instaure la décentralisation du RMI et crée le RMA. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant décentralisation en matière de RMI et créant un RMA. Ce faisant, elle entend souligner la dimension financière de cette réforme ambitieuse, réforme sociale, d'abord, ainsi que l'a montré Christine Boutin, mais également réforme emblématique puisqu'elle doit marquer le succès de l'acte II de la décentralisation.
    En relevant le défi de donner tout son sens à l'insertion par l'activité, alors que, quinze ans après la création du RMI, une véritable résignation semblait s'installer ; en faisant le choix d'une prestation bien connue de nos concitoyens et, de ce fait même, sujette à tous les commentaires voire parfois à toutes les critiques, comme en témoigne la médiatisation de nos débats ; en lançant le pari d'une réforme rapide et volontariste, dès le 1er janvier prochain, vous avez, monsieur le ministre, une nouvelle fois pris le parti du réalisme et de la responsabilité. Soyez-en remercié.
    Par ce projet, vous proposez une suite de solutions innovantes à un dispositif, vous l'avez indiqué vous-même hier dans cet hémicycle, en semi-échec. Cependant le courage de ce gouvernement, votre courage propre, monsieur le ministre, est d'engager résolument une politique sociale refondée, tournée vers l'activité plutôt que vers l'assistance, vers la responsabilisation plutôt que vers la compassion, vers la proximité plutôt que vers le jacobinisme.
    Je veux d'ailleurs souligner le paradoxe qui réside dans la concomitance entre la reconnaissance unanime de la compétence éminente des départements en matière d'action sociale, c'est-à-dire à admettre implicitement l'intérêt majeur que présente la décentralisation du RMI, et les appels répétés et lourdement médiatisés à retarder l'entrée en vigueur de ce texte. N'y a-t-il pas quelque incohérence à réclamer une réforme à la condition qu'elle soit différée ?
    M. Augustin Bonrepaux. Qui la réclame ?
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. N'y a-t-il pas une contradiction à argumenter sur le niveau des ressources destinées aux départements en omettant que, par leur compétence et leur efficience en matière d'insertion, ils pourront, bien mieux que par le passé, favoriser la réinsertion, l'accompagnement et le retour à l'emploi, donc accélérer la sortie de nombreux RMIstes du dispositif ?
    Nos collègues sénateurs ont dépassé cette controverse en adoptant ce projet le 27 mai dernier, sans modifier sa date d'entrée en vigueur. Peut-on douter que le Sénat soit à l'écoute des préoccupations des collectivités territoriales, en l'espèce, de celles des départements ?
    La présentation dans le projet de loi de finances pour 2004 du volet financier de la réforme, adopté ici même en première lecture le 21 octobre dernier, est venue remplir la principale condition nécessaire à la mise en oeuvre de ce projet. Le nouvel article 72-2 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 28 mars dernier, est presque transcrit à la lettre dans ce projet de loi, que complète sans surprise l'article 40 du projet de loi de finances. Si ce texte nécessite encore quelques améliorations, comme l'ont montré nos travaux en commission et comme en témoignent les amendements déposés par le Gouvernement, il nous faut, mes chers collègues, soutenir le projet de notre gouvernement d'autant que la plupart des départements se disent prêts à l'appliquer. Les contacts nombreux et réguliers que nous avons eus avec les conseils généraux nous montrent qu'à l'évidence ils sont, à quelques rares exceptions près, opérationnels pour une application dès le 1er janvier prochain.
    Nous devons adresser à nos concitoyens un message sans équivoque sur le thème de l'insertion, car c'est un sujet crucial pour nos équilibres sociaux. Certes, toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, ou de la situation de l'économie et de l'emploi, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. Il est, bien sûr, de notre devoir de promouvoir toutes les actions permettant à ces personnes de retrouver ou de développer leur autonomie sociale. Mais, pour ce faire, il faut privilégier, chaque fois que cela est possible, le retour à l'emploi dans sa forme la plus traditionnelle : l'insertion dans l'entreprise. Ainsi émettrons-nous un signal fort qui annonce, outre la réforme, la refondation de l'action sociale.
    Pour autant, je n'ignore pas les incertitudes qui pèsent sur l'application concrète de la réforme en 2004. Mon rapport les passe en revue, et nos débats en commission les ont soulignées. J'en vois principalement cinq.
    La première tient à un effet de calendrier : l'application de l'accord conclu en décembre 2002 dans le cadre de l'UNEDIC va provoquer, en janvier prochain, un surcroît de sorties du régime de l'assurance chômage, donc, potentiellement, un ressaut dans les demandes d'admission au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique ou du RMI. Vos services, monsieur le ministre, ont anticipé ce mouvement, que les services sociaux des conseils généraux connaissent eux aussi.
    La deuxième incertitude, qui n'est pas sans lien avec la précédente, a trait à certaines modalités de la réforme de l'allocation de solidarité spécifique. Là encore, monsieur le ministre, vous avez pris, dans cet hémicycle, l'engagement de mettre en place une « passerelle » entre le régime de l'ASS pour les personnes qui viendraient à en perdre le bénéfice, et l'éligibilité au revenu minimum d'activité créé par le texte dont nous nous apprêtons à débattre. Je me fais ici l'interprète de la commission des finances et, sans doute, de nombreux autres collègues, pour vous demander quelles seront les modalités exactes de cette éligibilité.
    Une troisième interrogation concerne une modalité technique de la réforme qui peut paraître accessoire, mais qui suscite des craintes qu'il serait bon d'apaiser. Je veux parler de la prime de Noël, qui n'a plus d'exceptionnelle que le nom, et est versée avant la fin du mois de décembre aux allocataires du RMI et à certains autres bénéficiaires des minima sociaux. Deux questions, se posent à son sujet : la première est celle de son financement pour cette année - dont nous reparlerons, je suppose, à l'occasion du prochain collectif budgétaire - et la seconde celle des conditions juridiques et financières de sa reconduction. Cette prime représente, je le rappelle, un montant de quelque 225 millions d'euros.
    En quatrième lieu, je souhaite évoquer la question des charges de personnel que les départements vont devoir supporter à partir de 2004 pour assumer leurs compétences nouvelles en matière de gestion du RMI et du RMA. Nous reviendrons sur cette question au cours de nos débats, et je me contenterai d'évoquer les mouvements d'agents de l'Etat qui ont pu être observés cette année dans bien des départements, si j'en crois les témoignages concordants que j'ai pu recueillir à ce sujet. Merci, monsieur le ministre, d'avoir, comme vous venez de nous le dire, entendu ces préoccupations.
    Je tiens encore à aborder les économies de gestion que la réforme va permettre - économies nécessaires, si j'en juge par la situation qui prévaut dans mon propre département le Val-de-Marne. Ce n'est pas le moindre mérite de cette réforme que de permettre de rationaliser la gestion du RMI, dont le traitement local a été critiqué tant par la Cour des comptes que par l'inspection générale des affaires sociales. Cela rend d'autant plus critiquables les dérives strictement politiciennes qui visent à nourrir une regrettable suspicion de la part de certains départements et autres acteurs locaux de l'insertion.
    Enfin, je voudrais aborder le thème plus large de la péréquation entre départements, que j'entends ici ou là réclamer, parfois avec véhémence, mais davantage comme un dû que sur un mode cohérent ou responsable. J'ai pu me rendre compte de la diversité des situations des départements au regard du RMI. Mon rapport en témoigne. La péréquation est donc nécessaire, j'en suis pleinement consciente.
    M. Augustin Bonrepaux. Elle n'y est pas !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Mais au moment où nous entamons de nouveaux chantiers de la décentralisation, je ne crois pas qu'il nous faille créer de nouveaux fonds de péréquation propres à chaque compétence transférée.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Exactement !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Sans quoi, nous nous exposerons à toute la lourdeur administrative et à la complexité de gestion à laquelle nous cherchons précisément à échapper par cette décentralisation.
    La péréquation doit donc être globale...
    M. Augustin Bonrepaux. Pour le moment, il n'y en a pas !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. ... et s'apprécier tous transferts confondus.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bonne analyse !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Ceux qui ont hâte d'en débattre trouveront dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales, qui vient d'être adopté par le Sénat, un cadre plus large et, par conséquent, plus approprié que le présent texte.
    Quant au RMA, la commission des finances s'est essentiellement attachée à examiner l'équilibre qu'il représente dans sa conception par l'attractivité qu'il doit offrir par rapport à l'inactivité, et la marge qu'il doit laisser subsister pour ne pas concurrencer l'emploi « ordinaire ». Destiné à la fois à une mise en oeuvre dans le secteur marchand et dans le secteur non marchand, calibré de telle sorte qu'il soit systématiquement préférable à un RMI, sans pour autant concurrencer l'emploi non aidé, le RMA devrait, à l'issue de nos débats, être pleinement opérationnel.
    Il y a urgence à ce qu'il devienne réalité dès 2004. En effet, ce RMA, c'est l'accompagnement vers l'emploi, indispensable quand le RMiste n'a pu, avec le parcours d'insertion qui lui est proposé ordinairement dans le dispositif, retrouver un emploi traditionnel. Alors qu'un tiers des RMistes trouvent une solution d'insertion en moins de six mois, que 45 % d'entre eux ont besoin d'un an pour y parvenir, 22 % des bénéficiaires restaient sur le bord de la route. Pour eux, la marche vers l'emploi était trop haute. Par le RMA, ils pourront bénéficier d'un véritable tutorat vers l'insertion professionnelle, au coeur de nos entreprises et, je l'espère, au coeur de nos très petites et moyennes entreprises qui sauront montrer, une nouvelle fois, leur capacité à accompagner, à encadrer et à former. A ce titre, l'échelon territorial est fondamental dans la mise en oeuvre de l'emploi accompagné. Un large consensus se dégage aujourd'hui à ce sujet.
    En définitive, grâce aux éclaircissements que vous avez bien voulu nous apporter, monsieur le ministre, quant aux modalités de transferts de compétences portées par cette réforme, par la compensation sur la base du compte administratif 2004 dont nous aurons les éléments à la mi-2005, dans l'attente de la fixation définitive des fractions de TIPP attribuées à l'ensemble des départements, ainsi que des pourcentages du produit de la taxe qui seront dévolus à chacun d'entre eux, soutenons, mes chers collègues, cette réforme nécessaire, cette réforme attendue.
    L'évaluation aussi précoce, aussi complète et aussi transparente que possible de la réforme vous sera proposée en complément de celle prévue dans le projet de loi initial, déjà étoffé sur ce point au Sénat, en complément également de celle votée en première lecture du projet de loi de finances.
    M. le président. Veuillez conclure, madame Montchamp.
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Je termine, monsieur le président.
    Grâce à cette « clause de revoyure », le transfert peut être organisé en confiance.
    La décentralisation en actes, mes chers collègues, c'est celle qui nous est proposée dans ce projet de loi. Elle commande l'implication réelle des acteurs locaux. A eux de faire la preuve de leur savoir-faire. Dans le champ social, il est immense.
    Pourquoi ne pas le dire ? C'est le récent épisode de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie qui, consciemment ou non, a provoqué des crispations.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C'est exact !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Ce gouvernement et cette majorité ont sauvé cette prestation, rappelons-le.
    M. Alain Gest. En effet !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. A ce titre ils sont, plus que d'autres, fondés à faire valoir leur expérience et leur sens de la responsabilité.
    M. Augustin Bonrepaux. Ils l'ont mise en péril !
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis. Les erreurs commises lors de la création de l'APA ne se reproduiront pas dans le cadre de la présente réforme.
    Dorénavant, par ce texte, les conseils généraux se verront dotés des outils leur permettant d'assumer pleinement leur rôle de maître d'oeuvre de l'insertion, l'Etat restant garant de l'égalité fondamentale entre tous les bénéficiaires du RMI.
    Mes chers collègues, avec cette réforme, l'insertion trouve un nouveau souffle grâce à la mise en oeuvre de la gouvernance décentralisée de notre république. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis longtemps, l'Etat, aidé en cela par les départements, a mis en place de nombreuses politiques d'aide sociale. Cependant, s'il existait déjà au cours des années 80 toute une série d'allocations, que ce soit pour les personnes âgées, pour les mères célibataires ou pour les handicapés, il n'y avait rien, en revanche, pour les adultes valides.
    En 1988, le RMI est venu combler ce vide en installant un dernier filet de sécurité, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre. Ajoutons qu'avant lui, les politiques d'aide sociale consistaient à verser des allocations sans rien demander en échange. Le RMI entendait rompre avec cette philosophie. Sa grande originalité à l'époque, c'était le « I », le volet insertion. Pour la première fois dans notre histoire sociale, une allocation était offerte contre l'engagement de se socialiser en quelque sorte, de faire des démarches pour retrouver ce que l'on appelle une « employabilité ».
    Quinze ans après sa création et cinq ans après la loi d'orientation de lutte contre les exclusions, le bilan du RMI est contrasté. S'il reste incontournable dans la lutte contre la pauvreté, son impact en termes de retour à l'emploi est très en deçà de l'espoir suscité initialement.
    Que faire aujourd'hui ? Ne rien faire serait accréditer l'idée d'une certaine normalité de l'exclusion. Ce serait « faire avec », ce serait baisser les bras et ce serait oublier que le chômage est ressenti comme une perte de statut dans cette société où le travail reste la première forme de reconnaissance d'une utilité sociale, voire d'une reconnaissance vitale, comme l'écrit Jacques Freyssinet. Ce serait oublier que le chômage est synonyme de dévalorisation, d'ennui, d'angoisse, de culpabilité, de mépris et d'insécurité. Les relations sociales, amicales, voire familiales en sont profondément altérées et beaucoup de liens superficiels se brisent à son épreuve.
    Ne rien faire, c'est aussi prendre le risque de voir les RMistes et les salariés modestes séparés, chaque jour un peu plus, par un abîme de préventions. Pour beaucoup d'entre nous, le RMI est un légitime subside qu'une société doit garantir aux plus démunis. Pour certains salariés modestes, dont les conditions d'existence ne sont guère plus aisées, c'est un système de faveur dans lequel trop d'individus se complaisent.
    Le différentiel entre le RMI et les bas salaires a, certes, augmenté depuis la création du dispositif. Reste que le ressentiment croît au sein même des couches sociales les plus défavorisées, avec, d'un côté, ceux qui travaillent et, de l'autre, ceux qui bénéficient d'une aide sociale. Qu'on le veuille ou non, le RMI est, sous cet aspect, un échec.
    Les revenus minimaux expérimentés en Europe ont en partie échoué dans l'oeuvre de réinsertion qu'ils s'assignaient, pour n'avoir pas su régler la question de l'articulation nécessaire entre obligation, contrat et bénévolat. La plupart du temps, ils ont enfermé les populations dans la trappe du chômage. Ils ont également échoué au regard des salariés modestes, qui se sont sentis, peu ou prou, oubliés.
    Aujourd'hui, il existe en France un consensus sur la nécessité de réformer le RMI. Quelles que soient les différences de perspective à moyen ou long terme, nous reconnaissons tous que le bon sens, l'humanité et l'équité doivent conduire à préserver l'attribution d'un revenu minimum à toute personne ne bénéficiant pas du niveau minimum de ressources qu'il garantit. La commission a réaffirmé au cours de ses travaux l'importance des mesures d'insertion sociale, qui sont souvent un préalable nécessaire au retour à l'emploi. Dès lors, bien sûr, la réforme du RMI ne saurait se résumer à la seule promotion du retour à l'emploi. Christine Boutin, notre rapporteure, l'a bien dit, elle qui mérite les félicitations les plus vives de tous les membres de la commission pour la qualité de son travail,...
    Mme Christine Boutin, rapporteure. Merci, monsieur le président !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. ... même si elle n'est pas le premier rapporteur - qu'elle me permette de le dire - à défendre ses idées avec vigueur : depuis de nombreuses années, et notamment depuis deux ans, j'ai vu presque tous les rapporteurs se battre pour exprimer leurs idées et faire évoluer les textes, tout comme vous, madame la rapporteure. (Sourires.)
    Cela étant posé, nous devons gommer avec autant d'intelligence que possible la distinction classique entre le travailleur et le bénéficiaire de l'aide ou de l'assistance sociale. Rendre moins étanches les frontières qui existent actuellement et tout faire pour assurer à ceux qui le désirent l'accès à un emploi est légitime. Cela implique également de parvenir à une distinction entre trois niveaux de revenu correspondant respectivement à l'assistance, à l'insertion en cours et à l'insertion réussie : ce sont le RMI, le RMA et le salaire minimum de droit commun.
    En accord avec les engagements de Jacques Chirac lors de la dernière campagne présidentielle, François Fillon a déposé cette année un projet visant à remanier le RMI pour accroître le taux d'activité des bénéficiaires du dispositif. Présenté en première lecture au Sénat, ce texte est soumis aujourd'hui à notre examen.
    Rappelons-nous, mesdames et messieurs, que l'idée de changement était inscrite au coeur même de la loi de 1988. Celle-ci mentionnait expressément, monsieur Le Garrec, une obligation biennale d'évaluation. C'est bien dire qu'il était apparu d'emblée nécessaire de pouvoir l'adapter et la modifier en fonction des enseignements du terrain : c'était logique.
    Le projet de loi nous propose tout d'abord de décentraliser le RMI en vue d'en optimiser la gestion. Cette option, évoquée dès 1992, permettra de sortir d'un copilotage par l'Etat et le département, qui a montré ses limites, pour créer une unité d'action au niveau du département.
    M. Alain Gest. Très important !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. La notion de proximité est, en effet, fondamentale en matière d'action sociale. Les départements ont déjà reçu la compétence sociale lors de la répartition résultant des premières lois de décentralisation. Ils détiennent l'expérience et le savoir-faire. Il y a donc une logique évidente à poursuivre dans ce sens. Grâce à cette réforme, nous devrions obtenir un meilleur traitement des situations individuelles.
    L'architecture de base du RMI n'est pas affectée. L'allocation demeure une prestation de solidarité nationale. Un bloc de règles communes perdure. La définition des montants et des critères d'attribution du RMI est maintenue à l'échelon national. L'Etat conserve un pouvoir d'évaluation et de contrôle réel. Etat et départements seront amenés à continuer à coopérer, que ce soit au sein des commissions départementales d'insertion, ou grâce au concours du service public de l'emploi aux actions d'insertion.
    La commission a établi l'obligation d'inscription au budget départemental, prévue initialement dans le texte et supprimée par le Sénat, d'un crédit d'insertion au moins égal à 17 % du montant des allocations de RMI versé l'année précédente dans le département. On peut certes discuter ce point.
    Le maintien de cette obligation est à bien des égards en contradiction avec l'idée même de décentralisation et avec la volonté d'accorder désormais aux départements une capacité de décision. Au demeurant, la montée en charge du RMA devrait réduire pour chaque département les besoins d'insertion. En outre, il y a un authentique souci de rassurer les partenaires associatifs sur le fait que les départements ne lèveront pas le pied. La portée opérationnelle et pratique d'une telle obligation doit donc être exactement appréciée. Nous en reparlerons au cours des débats, comme l'a dit Mme la rapporteure.
    Le débat nous permettra aussi de revenir plus longuement sur la question essentielle du financement exact et des moyens humains dont bénéficieront les départements pour mener à bien cette réforme. Je sais que le Gouvernement a beaucoup travaillé sur cette question et qu'il a tenu compte des inquiétudes des départements sur ce point.
    Je souhaite, pour ma part, comme bon nombre de députés de la commission, l'application rapide du texte. C'est une réforme trop importante pour la repousser si peu que ce soit.
    M. Alain Gest. Très bien !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. L'intronisation du département comme pilote unique devrait être facilitée par le maintien de la gestion par les caisses d'allocations familiales et les caisses de MSA. Elles sont parfaitement rodées à l'exercice. Nous devrions être fin prêts au 1er janvier pour voir basculer les compétences.
    Le deuxième objectif du texte est d'encourager le retour ou l'entrée dans l'activité, en instituant le revenu minimum d'activité, complétant le RMI, pour aider les allocataires à sortir d'une situation d'assistance et pour rendre l'emploi financièrement attractif. L'idée est de mettre en contact avec le monde du travail les RMIstes qui en sont éloignés. C'est une mesure originale qui permet d'« activer » les dépenses servies au titre du RMI en les convertissant en une aide versée à l'employeur pour l'embauche d'un bénéficiaire du RMI, ce qui ouvre à ce dernier une large possibilité de reour à l'emploi.
    Le contrat d'insertion RMA est un contrat à mi-temps, de 20 heures au moins, s'inscrivant dans un parcours d'insertion personnalisé et bénéficiant d'actions de tutorat, de suivi individualisé et de formation. Sa durée ne pourra pas excéder 18 mois, pour éviter tout risque d'installation dans le système. Son bénéficiaire continuera d'avoir la qualité de RMiste, il faut le dire et le répéter, et à ce titre - c'est une chose essentielle - il disposera de tous les droits connexes, notamment celui de la CMU et de la CMU complémentaire.
    Le projet de loi initial limitait l'accès au RMA aux personnes inscrites au RMI depuis au moins deux ans. La logique, bien sûr, est de concentrer l'effort sur les personnes les plus en difficulté. Certains ont estimé plus judicieux de capter les gens le plus tôt possible. Comme l'a expliqué la rapporteure, nous n'avons pas souhaité cibler le RMA sur des personnes susceptibles de trouver une sortie par elles-mêmes. La commission a donc décidé de conserver un délai, ramené à un an.
    Nous avons eu en commission des débats très approfondis. Notre préoccupation majeure était que le RMA colle bien à la réalité des situations. La crainte, évoquée par certains, qu'il engendre des effets d'aubaine me semble totalement infondée.
    Mme Muguette Jacquaint. Ce n'est pas l'avis de l'ensemble des associations !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Nous avons d'ailleurs renforcé les garanties par voie d'amendement.
    L'embauche de quelqu'un qui est au RMI depuis un ou deux ans n'est pas un choix anodin pour un employeur. Si le RMA est un contrat bon marché, c'est un choix qui l'engage aussi.
    Mme Muguette Jacquaint. Quel engagement !
    M. Augustin Bonrepaux. C'est surtout un choix qui fait payer le département !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Au demeurant, pouvons-nous nous passer de ce type de discrimination positive pour remettre sur le chemin du travail les personnes les plus éloignées de l'emploi, qui plus est dans le secteur marchand ? C'est bien la nouveauté, en effet, de donner aux RMIstes une chance d'insertion sur le marché privé de l'emploi et pas seulement dans le secteur public et les associations. C'est une vraie chance, il faut le souligner, un tremplin pour les RMIstes, autant qu'un virage par rapport à l'offre que l'on réserve habituellement aux publics en difficulté.
    L'équilibre de la loi de 1988 n'est pas transformé. Votre texte, monsieur le ministre, est un pas essentiel dans la remise à plat totale de la lutte contre le chômage et la précarité que vous avez engagée. D'autres projets sont en cours sur les questions d'insertion. Le programme CIVIS et la décentralisation du RMI et du RMA ne visent à rien d'autre qu'à créer une nouvelle dynamique de retour à l'emploi des chômeurs de longue durée.
    Notre pays connaît, sans rémission depuis vingt ans, une extension à grande échelle de la pauvreté et de l'exclusion qui conduit à la rupture de la cohésion sociale, à la violence et au désespoir.
    M. Augustin Bonrepaux. Vous allez aggraver la situation !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Ne m'obligez pas à chercher les responsabilités, monsieur Bonrepaux ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Augustin Bonrepaux. Nous allons les trouver !
    M. Charles Cova. Quinze ans de socialisme !
    M. Augustin Bonrepaux. On voit ce qui se passe depuis 2002 !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. A cette évolution catastrophique, il ne peut être apporté de remède aussi longtemps que l'on ne fera pas tout pour remettre les gens sur le chemin du travail et pour surmonter la dichotomie dangereuse entre travail et assistance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Avant l'exception d'irrecevabilité, je vais suspendre la séance une dizaine de minutes.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)
    M. le président. La séance est reprise.

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Jean Le Garrec.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, même si nous commençons à avoir l'habitude de ces rendez-vous, c'est un débat difficile que nous engageons. En ce qui me concerne, j'y prendrai part avec modestie, car je connais ses difficultés, et je ne donnerai pas de leçons de morale, monsieur le ministre. J'y prendrai part au nom de mes convictions, qui sont grandes, et avec gravité, car j'ai beaucoup travaillé sur le sujet, aussi bien en 1988 au moment de la création du RMI en tant que porte-parole du groupe socialiste, qu'en 1993 comme rapporteur de la loi contre l'exclusion. Je connais l'ampleur des problèmes.
    Pour commencer, je rappellerai le principe, posé par le grand économiste Schumpeter, de la « création destructrice » : nos sociétés sont capables de créer des richesses énormes, mais de détruire autant qu'elles créent, en particulier sur le plan social. C'est à cela que nous avons toujours eu la volonté de nous attaquer, pour éviter cette « casse » sociale ou pour la réduire. Je dois reconnaître que beaucoup de députés, sur tous les bancs de cette assemblée, se sont engagés dans cette action localement, nationalement, et je les en remercie. J'ai en mémoire les noms de ceux qui ont aidé à cette prise de conscience des gens avec qui j'ai beaucoup travaillé, Mme Geneviève Anthonioz-de Gaulle ou le père Wresinski.
    Pour engager ce débat une fois de plus, il faut commencer par poser un regard attentif sur notre société. Vous avez parlé de morale, monsieur le ministre : je ne me sens pas concerné. Je n'en ai qu'une, elle me suffit largement c'est la morale républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il faudrait, selon vous, avoir le courage de renouveler les termes de la solidarité, mais telle a toujours été notre préoccupation. Je citerai par exemple le programme TRACE, la mission que j'avais confiée à Mme Hélène Mignon, sur le programme pré-TRACE, ou la mise en place de l'intéressement, qui concerne aujourd'hui 120 000 salariés sortant du SMIC ou du RMI.
    Vous nous avez reproché je ne sais quelle méfiance envers les acteurs locaux. C'est faux ! Nous avons toujours appuyé notre démarche sur les acteurs locaux, et c'est moi qui avait confié aux CCAS un rôle fondamental dans la loi de 1993.
    Enfin, vous vous en êtes pris à ceux « qui flattent une tradition d'assistance ». De qui et de quoi parlez-vous ? A l'expression « tradition d'assistance » qui est connotée, je préfère substituer la volonté républicaine de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est pas flatter que de reconnaître le rôle important qu'on joué les associations comme Emmaüs, ATD Quart Monde auxquelles je tiens à rendre hommage. On ne les a jamais flattées. On s'est efforcé de les aider, ce qui est différent.
    Je connais, monsieur le ministre, les résultats de l'enquête que vous avez mentionnée, selon laquelle une proportion importante de Français considèrent qu'il vaudrait mieux réduire les indemnisations après une longue période de chômage, et je la prends très au sérieux. Je suis l'élu d'une circonscription populaire dans une région populaire : ces réactions ne me surprennent pas, mais je les combats. Un tel engagement implique une absence totale d'ambiguïté dans le langage républicain. Sinon, nous serons emportés, et nous savons de quel côté, par ceux qui « flattent » et exploitent ce risque de dérive. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Roy. Mais qu'il est bon !
    M. Jean Le Garrec. Sans vouloir vous donner de leçons, monsieur le ministre, je vous rappelle ce que vous avez déclaré le 5 novembre en présentant votre budget : « Le travail vaut mieux que l'assistance. » Qui dit le contraire ? C'est une lapalissade. Interrogeons les 6 millions de Français et de Françaises qui sont au chômage, au RMI ou en situation de précarité. Ce qu'ils cherchent, c'est du travail. Aucun d'entre eux ne parle d'assistance. Vous avez également dit, monsieur le ministre : « Il faut réhabiliter le travail. » Ne prenez-vous pas ainsi, inconsciemment, le risque de vous inscrire dans le débat qui a cours aujourd'hui sur la France paresseuse, la France qui ne travaille pas ? On connaît ce discours. C'est l'affreux pamphlet de M. Baverez, La France qui tombe, « l'oisiveté mère de tous les vices », « classes populaires, classes dangereuses ». C'est M. Michelin qui écrit dans son livre Et pourquoi pas ? que, si nous avons perdu en 1940, c'est à cause des congés payés - il vous est d'ailleurs arrivé d'avoir, un jour, une remarque qui n'était pas totalement ajustée. C'est M. Pébereau qui, dans son grand bureau présidentiel, peut s'écrier : « Ils feraient mieux de travailler une demi-heure de plus et de regarder la télévision une demi-heure de moins », phrase insultante, méprisante, dangereuse. Ce débat concerne chacun d'entre nous.
    M. Gérard Voisin. On se calme !
    Mme Elisabeth Guigou. Mais il a raison !
    M. Gérard Voisin. Taisez-vous, plutôt !
    M. Charles Cova. Vous feriez mieux d'adopter un profil bas !
    M. Jean Le Garrec. Allez dire aux 682 salariés des Dunes qu'il faut réhabiliter le travail : ils ont 200 dossiers d'amiante.
    Mme Nadine Morano. C'est hors sujet !
    M. Jean Le Garrec. Allez dire aux salariés de Metaleurop qu'il faut réhabiliter le travail, eux qui se battent comme des chiens pour sauver leur entreprise, et qui ont bouffé - j'emploie ce mot à dessein - de l'amiante et du plomb toute leur vie - toute cette vie qu'ils ont consacrée au travail. Dans un livre assez remarquable, Aurélie Filipetti rappelle que les sidérurgistes de Lorraine, quand ils allaient au travail, disaient : « On va au chagrin. »
    Mme Muguette Jacquaint. Ou au charbon !
    M. Jean Le Garrec. Cette expression, très belle, permet de mesurer ce que cela représentait. Une étude publiée en 2002 dans le numéro 277 de Futuribles montre que, avec la famille, le travail reste une valeur cardinale des pays européens, particulièrement en France. Le Premier ministre - peut-être pour se convaincre - a demandé au Conseil économique et social un rapport sur la place du travail dans la société française. Il lui a été remis en juillet 2003. On y lit : « Il ne semble pas [...] que la part relativement moins forte du travail dans la vie des personnes ait constitué une source de démotivation. En revanche, le travail précaire, l'insécurité de l'emploi, l'absence de déroulement de carrière et de valorisation des qualifications représentent dans l'opinion des travailleurs des facteurs beaucoup plus puissants de démotivation. »
    Je pourrais multiplier les références aux enquêtes et aux études, à commencer par le remarquable travail de l'INSEE que vous avez cité sur le devenir des bénéficiaires du RMI entre septembre 1997 et septembre 1998 : un tiers de ceux qui ont repris un emploi assuraient n'y avoir aucun intérêt financier et 12 % déclaraient même y perdre, démonstration que la volonté de retrouver un travail l'emporte sur l'intérêt financier. Pourquoi travailler ? Selon Philippe Askenazy, chercheur au CNRS, tout simplement parce que « le travail demeure en France une vraie valeur, une source de dignité et d'utilité sociale ». Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, souligne, pour sa part, que « les mesures d'insertion procurent un revenu peu élevé, proche des minima sociaux, et pourtant ces programmes se remplissent vite parce que les gens ont envie de travailler ». Voilà la réalité !
    Existe-t-il des tricheurs ? C'est probable, mais très marginal. Et je l'ai vérifié moi-même en lançant le premier grand travail en direction de 400 000 chômeurs de longue durée. Ce n'était pas une enquête : avec les services de l'emploi, de l'ANPE, de l'AFPA, nous les avons vus un à un et la marginalité ne concernait que 1 % d'entre eux. Laissons donc cela de côté pour réaffirmer que le travail demeure la source fondamentale de valeurs et qu'il est vécu comme tel par 6 millions de personnes à la recherche d'un emploi.
    Mais vous savez très bien aussi qu'il est trop facile de tenir certains discours si l'on ne prend pas en compte les mutations de l'emploi. La course à la productivité, la délocalisation - M. Guillaume Sarkozy déclarait le 28 novembre 2002 : « Je suis fier d'être le représentant d'une entreprise qui délocalise »,...
    M. Patrick Roy. Eh bien !
    M. Jean Le Garrec. ... la difficulté de maîtriser les technologies, leurs effets, la nécessité de trouver d'autres espaces d'emploi, c'est tout cela qui doit être au centre des réflexions que nous menons aujourd'hui.
    Mme Nadine Morano. Pourquoi ne l'avoir pas fait avant !
    M. Jean Le Garrec. Nous l'avons fait, madame, nous ne vous avons pas attendus.
    M. Charles Cova. C'est pour ça que vous avez été battus en 2002 !
    M. Jean Le Garrec. Lorsque nous avons fait ces lois dont je suis très fier de 1988 et de 1993, nous avions trois objectifs : ne laisser personne au bord de la route...
    M. Patrick Roy. On l'a fait !
    M. Jean Le Garrec. ... et nous l'avons fait ; garantir des droits fondamentaux, des citoyennetés, et nous l'avons fait ; éviter, par la double démarche de l'insertion sociale et de l'insertion professionnelle, ce que vous appelez l'enfermement dans l'espace unique de la solidarité, et nous y avons travaillé.
    M. Dominique Le Mèner. Bref, vous êtes contents !
    M. Jean Le Garrec. Nous voulions ouvrir de nouvelles pistes : économie solidaire, besoins non satisfaits, validation des acquis, rapport au temps de travail. Tel est le véritable enjeu de nos sociétés. De la même manière que, dans les années soixante, la diminution rapide du nombre d'agriculteurs a eu pour corollaire le développement industriel, aujourd'hui, le secteur industriel n'étant plus créateur d'emplois nets, nous devons rechercher de nouveaux espaces d'emploi.
    Avons-nous réussi ? Non. Car il s'agit là d'une véritable révolution du rapport au travail. Il suffit de voir avec quelle hargne certains parlent de la réduction du temps de travail comme de la cause de tout ce qui arrive. Pourtant, cette question se posera à nous inéluctablement, au même titre que le rapport au temps ou à l'économie.
    Il ne s'agit pas, monsieur le ministre, d'avoir la main sur le coeur, comme vous l'avez dit - je ne comprends d'ailleurs pas très bien cette expression -, mais de trouver dans une société en crise, en France comme dans toute l'Europe, de nouveaux espaces d'emploi. Car sans une offre suffisante, vous pouvez inventer tous les dispositifs du monde, vous ne résoudrez pas cette question fondamentale, et vous le savez.
    M. Patrick Roy. Excellente analyse !
    M. Jean Le Garrec. Qui mesure les conséquences du chômage de masse depuis 1978 - soit vingt-cinq ans, c'est-à-dire le temps d'une génération - sur les comportements, sur le rapport à la vie, à la ville, à la violence ? Sous le gouvernement Jospin, où 2 millions d'emplois ont été créés,...
    M. François Hollande. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. ... on a vu l'étau se desserrer progressivement.
    M. Yves Durand. C'est vrai !
    M. Jean Le Garrec. Mais, pour montrer à quel point la réalité est difficile, je n'utiliserai qu'un seul chiffre terrible, qui ressort des enquêtes approfondies de l'INSEE : 17 % des RMistes sont cassés, détruits, mis de côté pour avoir vécu tout cela, et ils ne sortent de cette situation que par l'AAH, la retraite ou l'attente.
    Dans son dernier livre, L'Insécurité sociale, Robert Castel écrit remarquablement : « C'est donc bien autour de l'emploi que continue à se jouer une part essentielle du destin social de la grande majorité de la population. Mais la différence par rapport à la période antérieure - et elle est énorme - c'est que, si le travail n'a pas perdu son importance, il a perdu beaucoup de sa consistance, d'où il tirait l'essentiel de son pouvoir protecteur. » Et il ajoute : « Il y avait un statut de l'emploi » - on connaît bien cela dans le Nord - Pas-de-Calais - « qui échappait largement aux fluctuations du marché et aux changements technologiques, qui constituait une base stable de la condition salariale. Aujourd'hui, on assiste de plus en plus à une fragmentation des emplois, non seulement au niveau des contrats de travail proprement dits (multiplication des formes dites "atypiques d'emploi par rapport aux CDI), mais aussi à travers la flexibilisation des tâches de travail. Il en résulte une multiplication de situations de hors-droit, ou de situations faiblement couvertes par le droit, ce qu'Alain Supiot appelle "les zones grises de l'emploi ». Et ces « zones grises de l'emploi » concernent à peu près 6 millions de personnes.
    Pourquoi cette analyse préalable ? Je suis persuadé que si l'on ne prend pas en compte cette réalité sociale résultant d'une transformation en profondeur du process de production, de mutations économiques, du rapport au temps, on ne peut apporter de réponse satisfaisante. Cela nous l'avons appris, monsieur le ministre, et parfois à nos dépens. Ecoutez la leçon que nous en tirons pour nous-mêmes. Je crains que votre volonté, dont je ne doute pas, vous pousse à agir à la hâte et sans prendre en compte cette réalité sociale.
    J'en viens à la décentralisation. Bien entendu, nous souhaitons des actions le plus proche possible du terrain. C'est tout de même nous qui avons favorisé le rôle des CCAS, développé les CLI et les PLI. Je reconnais volontiers qu'il faut éviter un risque de bureaucratisation, simplifier les procédures, aller encore au plus près de l'action. D'ailleurs, nous l'avons toujours dit, mais nous nous sommes heurtés à des obstacles ; par conséquent, tant mieux si certains disparaissent. Sur ce point, il n'y pas pas de véritable problème.
    Pour autant, je ne confonds pas décentralisation et désengagement de l'Etat.
    M. Yves Durand. Et voilà !
    M. Jean Le Garrec. Or, je crains, monsieur le ministre, que votre loi ne conduise justement à un tel désengagement.
    M. Patrick Roy. C'est ce qui va arriver !
    M. Alain Gest. Vous avez l'expérience de 1981 !
    M. Jean Le Garrec. Je ne sais à quelle date ce débat s'achèvera. Quand sera-ce ? A la fin de l'année ou au début de l'année prochaine ? Nous verrons bien. Puis, il faudra attendre le résultat du recours que nous ne manquerons pas de faire devant le Conseil constitutionnel et, enfin, la sortie des décrets. Durant ce laps de temps, il est évident qu'il faudra se débrouiller pour que des avances de trésorerie soient consenties afin que le paiement du RMI n'enregistre aucun retard - c'est un sujet d'inquiétude de la présidente de la CNAF, Mme Prudhomme.
    Mme Elisabeth Guigou. C'est très important !
    M. Jean-Louis Dumont. Ce sont encore les départements qui paieront !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Il va de soi qu'il n'y aura pas de retard. De plus, les avances de trésorerie ne sont pas faites par les départements !
    M. Jean Le Garrec. Je suis d'accord, monsieur le ministre, mais cela ne dissipe pas pour autant les inquiétudes en la matière.
    J'aborderai maintenant la compensation des charges transférées aux conseils généraux.
    Vous venez de nous dire que le transfert de l'AAS au RMI - mesure avec laquelle je suis, bien entendu, en désaccord total - n'interviendra qu'en juin et que la compensation aura lieu en 2005. Mais que se passera-t-il durant l'année 2004, pour les quelque 130 000 personnes concernées ? Il faudra bien que quelqu'un les prenne en charge.
    Au passage, je serai très critique, monsieur le ministre, sur votre décision de supprimer le bonus de 40 % accordé aux salariés de plus de cinquante-cinq ans bénéficiaires de l'AAS. Ce sont là des petites économies très médiocres. Je note que la subvention de l'Etat au fonds de solidarité a diminué de 170 millions.
    De même, l'Etat se désengage du dispositif résultant d'accords avec l'ANPE et prévoyant, dans quatre-ving-treize départements, que les 540 conseillers spécialisés en matière de RMI sont payés pour 50 % par l'Etat et pour 50 % par les conseils généraux. Le budget de l'ANPE étant réduit, les conseils généraux devront prendre le relais. Il en va de même pour les cent coordonateurs de l'ANPE placés auprès des préfets pour traiter des questions de RMI, qui, jusqu'à présent, étaient payés par l'Etat. Je pourrais multiplier les exemples.
    Au 1er janvier 2004, ce sont 180 000 demandeurs d'emploi qui vont sortir du système d'indemnisation. Que toucheront-ils ? L'AAS ? Le RMI ? Nul ne le sait. Mais sur deux ans, ce sont 600 000 personnes qui vont sortir du système d'indemnisation.
    Mme Elisabeth Guigou. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. Voilà la réalité et ces chiffres sont incontestables.
    Pour ce qui est de la mise en place du tutorat, elle implique un effort énorme. Je considère que pour donner un suivi au RMA, les conseils généraux devront probablement former 2 000 à 3 000 personnes pour qu'elles deviennent compétentes. Vous pourriez m'accuser d'exagérer, mais lors de la réunion à Bordeaux, les 18 et 19 septembre derniers, de l'association nationale des directeurs d'action sociale des conseils généraux, des paroles lourdes de sens ont été prononcées à ce sujet : on y a évoqué la mutualisation des anxiétés, mis en avant le fait que personne n'avait pu donner une seule bonne raison pour justifier l'urgence, considérer qu'un délai d'au moins six mois était nécessaire et que le passage en force était « déraisonnable voire irresponsable ».
    Bien entendu, les présidents des conseils généraux de gauche protestent,...
    M. Alain Gest. Pas tous !
    Mme Muguette Jacquaint. De droite aussi !
    M. René Dosière. Il n'y a pas que ceux de gauche !
    M. Jean Le Garrec. ... mais ce ne sont pas les seuls, puisque quatorze présidents de conseils généraux demandent au Premier ministre de reporter l'entrée en vigueur du dispositif proposé.
    Vous avez, je vous l'accorde, monsieur le ministre, annoncé des dispositions qui réduisent en partie les risques, indiqué qu'une évaluation concernant l'ASS serait faite en 2005 et qu'il fallait laisser s'écouler l'année en 2004, et, enfin, signalé que vous mettriez du personnel de l'Etat à la disposition des conseils généraux.
    Mais nous reparlerons de tout cela quand votre loi aura été votée - et je ne vois pas votre majorité vous faire défaut.
    J'en viens au RMA. Notre objectif - affirmé tant dans les excellents rapports de M. Belorgey que dans ceux de Claude Evin ou dans les miens - a toujours été l'insertion par l'activité professionnelle, laquelle passe, dans la plupart des cas, par une préparation et une insertion sociale. C'est une nécessité impérative, sinon, vous risquez de créer des chocs terribles chez des gens convaincus qu'ils faut travailler et qui, après être sortis du RMI, se trouvent très vite en situation d'échec dans l'entreprise.
    Pour réussir, il faut une offre d'emploi. Laquelle ? Dans quelles conditions ? Nul ne le sait et beaucoup s'interrogent. En tout cas, cet emploi doit être assorti d'un accompagnement social plus ou moins important, d'une formation qualifiante et d'un processus de réadaptation à l'environnement.
    Or en quoi consiste l'offre du RMA ? Quelle est sa nature ? Eh bien, il s'agit d'un contrat de travail d'un type nouveau, à temps partiel, avec des droits sociaux diminués et une protection sociale précaire.
    Mme Elisabeth Guigou. Exactement !
    M. René Dosière. C'est un sous-contrat !
    M. Alain Gest. Comme les emplois-jeunes !
    M. Jean Le Garrec. Voilà la véritable nature du RMA ! L'employeur déduira du coût de la rémunération le montant du RMI qui lui sera ristourné et il emploiera pendant vingt heures un salarié dont le coût horaire sera à peu près du tiers de celui d'un salarié payé au SMIC. Ce qui a permis à un grand journal de titrer « Trois RMA égalent un smicard ».
    M. Patrick Roy. Voilà quelle sera la réalité !
    Mme Nadine Morano. Caricature !
    M. Jean Le Garrec. Non, ce n'est pas une caricature, c'est la réalité !
    Mme Muguette Jacquaint. En effet, c'est la réalité !
    M. Jean Le Garrec. Quant au salarié, il n'aura des droits dérivés que sur la part de salaire qui incombe à l'employeur.
    M. Yves Durand. C'est-à-dire rien !
    M. Jean Le Garrec. Or les droits dérivés, ce n'est pas rien. Cela concerne la retraite, en cas de chômage ou le droit au RMI, le droit à l'indemnisation...
    Pour un salarié travaillant vingt heures, la part payée par l'employeur sera approximativement de 260 euros.
    Mme Elisabeth Guigou. Voilà la réalité !
    M. Jean Le Garrec. C'est la réalité et elle est incontournable !
    M. René Dosière. Dans quel pays du tiers monde vivons-nous ?
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Que proposez-vous ?
    M. Jean Le Garrec. En définitive, cela revient à dire que la rémunération du travail d'un salarié effectif n'est pas un salaire effectif.
    M. Patrick Roy. Absolument ! Belle démonstration !
    M. Yves Durand. Quelle régression sociale !
    Mme Huguette Bello. C'est un scandale !
    M. Jean Le Garrec. La rémunération est constituée du mélange entre une partie « allocation » et une partie « salaire », d'un montant plus faible. Une telle construction est dangereuse et fragile, et je la considère comme contraire à la Constitution.
    M. Patrick Roy. Voilà la vérité !
    M. Eric Raoult. C'est excessif !
    M. Jean Le Garrec. La mise en place du RMA - à condition qu'il soit voté, mais vous avez la majorité suffisante pour cela...
    M. Yves Durand. Hélas !
    M. Jean Le Garrec. ... devra s'accompagner de précautions considérables. En effet, l'entreprise a d'abord un but économique, et l'insertion ne relève pas de sa compétence. Le suivi du contrat avec le conseil général, puis avec le salarié, doit être rigoureux, précis et continu ; c'est un travail de référent, et j'ai cité le chiffre de 2 000 à 3 000 référents nécessaires. Dès lors, on mesure la difficulté pour le conseil général.
    Au passage, je souhaite - mais je ne suis pas le seul - que soit rétablie l'obligation faite aux départements de mobiliser 17 % des moyens d'insertion. Certes, le rapport de la Cour des comptes montre que cette obligation n'est respectée qu'à 50 %. Toutefois, il est des départements, comme celui des Alpes-Maritimes - et j'en ai discuté hier avec le président du conseil général de ce département, et je le salue pour l'action qu'il mène à cet égard -, font un gros travail en la matière. Cela dit, ce n'est pas en cassant le thermomètre que constitue cette obligation que l'on va pallier la difficulté. L'obligation de nécessaire solidarité et d'égalité des droits doit rester de la compétence de l'Etat.
    Par ailleurs, certains articles du texte posent problème. Ne risquent-ils pas d'inciter à la multiplication des RMA ?
    M. Patrick Roy. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. Ainsi, dans l'article 35, le texte proposé pour l'article L. 332-4-15-9 du code du travail comporte une formidable ambiguïté. En effet, que signifie « prendre en compte... tout ou partie du coût afférent aux embauches... » ? Tout ou partie ? Le débat devrait nous permettre de clarifier ce point. Toutefois, je considère que le risque d'un effet de substitution, d'une mise en concurrence avec des emplois réels est grave. Alors que le but de ce texte - et je ne discute pas ce but - est d'insérer des allocataires dans l'emploi, c'est le contraire qui risque de se produire, à moins de nommer « emplois » des tâches mal payées et sans avenir.
    Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que si les RMistes ne cherchent pas du travail, c'est qu'ils ne sont pas motivés financièrement. Je conteste cette analyse. Mais si elle était exacte, ce n'est certainement pas le RMA qui modifierait ce comportement,...
    M. Yves Durand. Absolument !
    M. Jean Le Garrec. ... puisqu'il n'est rien qu'un mélange hybride d'une allocation et d'un petit, petit morceau de salaire classique.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. 50 % !
    M. Jean Le Garrec. Ce qui fait dire à ATD Quart Monde, qui connaît bien ce problème, que le RMA est un contrat dérisoire, voire discriminatoire.
    M. Alain Gest. Comme les emplois-jeunes !
    Mme Muguette Jacquaint. Au moins, ils étaient payés au SMIC !
    M. Patrick Roy. C'était un vrai salaire !
    M. Jean Le Garrec. Le tableau social étant dressé, telles sont les raisons qui me font critiquer non seulement cette décentralisation, que je considère comme un désengagement, mais aussi le RMA en raison des risques qu'il fait courir. L'exception d'irrecevabilité que je défends repose sur cette analyse.
    Premièrement, il y a atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, au principe d'attribution en cas de transfert de compétences, de recettes équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice, et au principe de prévision par la loi de dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. Ces principes sont fixés respectivement par les articles 72, alinéa 3, et 72-2, alinéas 4 et 5, de la Constitution.
    La décentralisation du RMI est totale. Le département devient le seul responsable pour l'instruction des demandes, les décisions d'attribution, le versement, l'insertion, le suivi des droits, les contentieux.
    L'article 3 du projet de loi prévoit que les charges nouvelles pour les départements sont compensées par l'attribution de ressources dans les conditions fixées par la loi de finances.
    L'article 40 du projet de loi de finances prévoit, lui, les modalités de compensation financière. Il s'agit d'affecter une part du produit de la TIPP aux départements, laquelle évoluera chaque année en fonction de la consommation de carburant.
    En tout état de cause, les départements ne sont pas en mesure de faire évoluer eux-mêmes la ressource qui leur est affectée. C'est le produit d'un impôt qui est transféré et non celui d'un impôt dont les départements peuvent fixer librement le barème, comme ce fut le cas avec le transfert de la vignette. La responsabilité de la charge est transférée, mais pas la détermination de la ressource. C'est bien une atteinte au principe de libre administration. Le produit de la TIPP évolue parce que la consommation des carburants évolue et non parce que les départements en modifient le barème.
    Deuxièmement, il y a atteinte au principe d'égalité inscrit au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique et mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
    Le projet prévoit que seul le barème du RMI reste fixé au niveau national. Tout le reste est décentralisé au niveau des départements.
    Par conséquent, le financement, les modalités d'attribution de l'allocation, celles d'instruction des dossiers, le suivi des droits, l'accueil des bénéficiaires, les contentieux vont dépendre du niveau local, et non plus du niveau national, sans aucun droit de regard de l'Etat. L'article 4 prévoit que le représentant de l'Etat dans le département laisse sa place au président du conseil général pour toutes ces missions. La recherche d'une certaine proximité dans la gestion du RMI ne doit pas conduire à nier le caractère national de la lutte contre l'exclusion.
    L'absence de garantie de l'Etat entraînera des inégalités entre les individus. Par conséquent, les moyens convenables d'existence garantis par le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ne seront pas identiques sur tout le territoire. En l'absence de mécanismes de péréquation et de correction des inégalités entre les départements, les différences de traitement sont inévitables. Les inégalités entre les départements selon leur niveau de développement économique et leurs richesses propres ne feront que s'accroître, rendant impossible le respect du préambule de la Constitution de 1946.
    Troisièmement, enfin, il y a atteinte aux principes définis dans le cinquième et le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui disposent que « chacun a le droit de travailler et le droit d'obtenir un emploi » et que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
    Le contrat d'insertion - revenu minimum d'activité est défini, à l'article 35, comme un contrat de travail destiné à faciliter l'insertion professionnelle.
    Bien entendu, les notions de « contrat de travail » et d'« emploi » ne sont pas identiques, mais peut-on considérer que le contrat insertion-revenu minimum d'activité correspond, pour les personnes concernées, à un emploi ? Il s'agit, en réalité, d'une forme de travail forcé en échange d'une rémunération.
    Le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 n'est pas respecté. Le contrat insertion-RMA est totalement dérogatoire au droit du travail. La rémunération est constituée d'une somme versée par le département et d'une somme versée par une entreprise. C'est une allocation plus un salaire. Les droits sociaux associés à ce contrat sont calculés sur la part versée par l'entreprise. Par exemple, les droits à la retraite et au chômage sont très inférieurs à ceux d'un salarié à temps partiel ayant le même niveau de rémunération et dont la rémunération est constituée exclusivement d'un salaire.
    Voilà les trois arguments de fond que nous développerons à l'appui de notre recours devant le Conseil constitutionnel.
    Avant de conclure, je citerai le Premier ministre, qui a affirmé que le dialogue social devait précéder la décision législative. Or toutes les grandes associations qui travaillent sur ce terrain, qui ont une expérience de plusieurs dizaines d'années et une connaissance parfaite des situations et qui réalisent un effort permanent pour lier insertion sociale et insertion professionnelle nous ont dit que, si elles avaient été reçues et avaient pu parler, elles n'avaient pas été écoutées.
    M. Patrick Roy. Eh oui !
    M. Bernard Derosier. Comme d'habitude !
    M. Jean Le Garrec. Il y a quelques jours, le collectif Alerte écrivait : « Les associations ne voient pas les raisons qui ont pu conduire à une telle précipitation, alors qu'un travail en commun avec les acteurs qui sont en permanence au contact des populations concernées aurait permis sans aucun doute un texte mieux adapté et une mise en perspective des actions à engager ultérieurement dans le cadre plus large de la lutte contre la pauvreté. »
    Mme Elisabeth Guigou. Très juste !
    M. Jean Le Garrec. Le bureau du Conseil national de l'insertion par l'activité économique s'est réuni hier. Il a adopté une déclaration qui vous a certainement été remise, monsieur le ministre. Ses membres demandent, à l'exception des représentants des administrations et du MEDEF, le report du dispositif du RMA.
    Permettez-moi de citer un extrait de cette déclaration :
    « Tous les membres du bureau s'inquiètent en effet d'un dispositif qui ne semble pas intéresser les futurs employeurs, notamment ceux du secteur privé, et qui est critiqué par les associations les plus proches des futurs salariés. Ne risque-t-on pas, par précipitation, de :
    « - substituer à une offre d'insertion par l'activité économique spécifique, adaptée, patiemment élaborée depuis une vingtaine d'années, une offre d'emploi qui n'est définie ni sur le plan de la formation ni sur le plan de l'accueil ou de l'accompagnement ?
    « - créer de nouvelles difficultés pour des personnes déjà en difficulté ? »
    J'en arrive à ma conclusion.
    Ma conviction personnelle, compte tenu de nos erreurs, de ce que vous appelez un demi-échec et de ce que j'appellerai une demi-réussite,...
    M. Patrick Roy. Très bien !
    M. Jean Le Garrec. ... est que le problème n'est pas le transfert de l'allocation du RMI. C'est sur l'insertion proprement dite qu'il faut responsabiliser, et très fortement, les départements. Il s'agit là de l'élément clé de la réforme, sur lequel le projet est très nettement insuffisant.
    Il faut d'abord rétablir l'obligation pour les départements de consacrer au moins 20 % du montant des allocations à des actions d'insertion.
    Un fonds de péréquation doit être constitué entre les départements pour que ces derniers soient à égalité devant cette charge en termes de capacité contributive.
    L'action d'insertion conduite par chaque département doit faire l'objet d'une évaluation précise, quantitative - nombre de référents, nombre de contrats, résultats - et qualitative - dialogue avec les acteurs, capacité de mobilisation.
    Là aussi, un système de bonus-malus doit être mis en place de manière transparente afin de récompenser les départements qui organisent une mobilisation collective et de pénaliser ceux qui n'y consacrent pas l'énergie nécessaire.
    M. Christian Estrosi. Très bien !
    M. Jean Le Garrec. J'ai rendu hommage à votre département, cher collègue.
    Enfin, un pilotage d'ensemble du dispositif doit être organisé, associant l'Etat, les départements et les acteurs de la lutte contre l'exclusion.
    Décentralisation ne veut pas dire désintérêt ou délaissement : précisément, la gestion est l'occasion d'inventer un nouveau mode d'action publique en transposant sur le territoire national la méthode ouverte de coopération mise en oeuvre au niveau européen. L'Etat - c'est la phrase-clé de mes propositions car je ne me contente pas d'émettre des critiques - doit rester le garant en dernier ressort de la cohésion sociale, donc de la cohésion nationale.
    Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr !
    M. Jean Le Garrec. C'est un impératif fondamental.
    Croyez bien, monsieur le ministre, que nous ne voulions pas donner de leçons...
    M. Charles Cova. Des mots !
    M. Jean Le Garrec. La morale n'a rien à faire dans mes propos. Je suis l'élu d'un département qui vit la crise depuis vingt-cinq ans. J'ai travaillé quasiment en permanence avec tous ceux qui, sur le terrain, agissent, souvent avec une volonté remarquable. J'ai mesuré les pesanteurs administratives et les lenteurs des mises en place. J'ai mesuré le travail extraordinaire de reconstruction sociale que nous devons faire. J'ai mesuré aussi le fait que les entreprises, entraînées dans une course folle pour le maintien de leurs activités, ne sont pas aptes - ce que je ne leur reproche pas car ce n'est pas leur métier - à faire ce travail. J'ai mesuré les risques - disant cela, je ne porte pas de jugement de valeur - qu'il y avait à faire du RMA un contrat de louage de travail.
    M. Alain Néri. Très bonne formule !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Lamentable !
    MM. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, et Jean-Marie Geveaux. Excessif !
    M. Eric Raoult. Et décevant !
    M. Jean Le Garrec. Mais l'expression est peut-être un peu forte. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Si, mon cher collègue Raoult, c'est la seule expression décevante de mon propos, je veux bien la retirer. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Nadine Morano. Voilà qui vous honore !
    M. Yves Durand. Moi, je trouve que l'expression est très bonne !
    M. Jean Le Garrec. Soit ! Parlons plutôt d'un contrat extrêmement précaire ne répondant pas aux réelles préoccupations.
    Mme Nadine Morano. Je ne suis toujours pas d'accord, mais c'est mieux dit !
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, vous prenez un raccourci brutal, risqué et, ce qui ne me réjouit pas, dangereux. J'ai l'honnêteté de vous le dire au nom de mon groupe.
    En conclusion, je citerai le grand penseur chinois Lao-Tseu : « Pour construire l'avenir, le sage regarde d'abord l'espace qui l'entoure. »
    On ne peut construire si l'on ne s'appuie pas sur les réalités sociales, sur leur parfaite connaissance et leur mise en perspective. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Voilà pourquoi nous sommes, en l'état actuel des choses, opposés à votre texte.
    Mes chers collègues, il y a deux solutions : soit voter l'amendement adopté par la commission des affaires sociales, qui renvoie l'application du texte à 2005, ce qui nous permettrait de travailler plus au fond sur les remarques que je viens de faire, mais je crains que le vote de cet amendement ne soit devenu très problématique ; soit adopter l'exception d'irrecevabilité que je viens de défendre et qui apporterait une garantie totale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, je souhaite répondre brièvement à M. Le Garrec.
    Je considère l'effort des hommes sur le terrain, que j'ai consultés, pour faciliter l'insertion et je regarde les taux d'insertion par département,...
    M. Jean Le Garrec. Je n'ai pas fait autre chose !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ces hommes pensent que le revenu minimum d'activité serait un élément supplémentaire pour donner de l'espoir à ceux qui n'attendent que de travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Augustin Bonrepaux. C'est vous qui traduisez !
    M. Gilles Cocquempot. C'est du baratin !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Monsieur Le Garrec, vous avez mentionné les directeurs de l'action sociale. Je les connais pour avoir travaillé avec eux en tant que président de l'ODAS. Apprenez que beaucoup d'entre eux sont très heureux à la perspective de travailler sur le terrain dès le 1er janvier prochain afin de faciliter la réinsertion par le travail.
    M. Alain Gest. Absolument !
    Mme Muguette Jacquaint et M. Bernard Derosier. C'est faux !
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je n'accepte pas que l'on parle de régression sociale !
    Vous avez cité Lao Tseu. Permettez-moi de faire de même : « Celui qui n'a pas d'objectifs ne risque pas de les atteindre. »
    Je vous assure que nombre de ceux qui ont travaillé ou travaillent encore sur le terrain considèrent que le RMA est un espoir pour ceux qui n'a pas eu la chance de retrouver un travail.
    C'est la raison pour laquelle j'estime que ce texte est un facteur de progrès social et une source d'espoir pour beaucoup d'hommes et de femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Huguette Bello. Un texte de régression sociale !
    M. Bernard Derosier. Allez dire ça aux salariés de Metaleurop !
    Mme Elisabeth Guigou. Venez donc en Seine-Saint-Denis !
    M. Christian Estrosi. Parlez-nous du Vaucluse, Madame Guigou ! Parlez-nous d'Avignon !
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais d'abord dire amicalement à M. Le Garrec qu'à l'entendre j'ai toujours le sentiment qu'il pense être le seul à avoir à la fois une vision globale de l'avenir en matière d'emploi et une expérience de terrain.
    M. Jean Le Garrec. Je n'ai jamais dit cela !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Souffrez, monsieur Le Garrec, que nous soyons nombreux à partager cette expérience et à avoir, depuis vingt ans, géré des villes ou des départements tout en nous impliquant dans l'insertion des personnes en difficulté.
    Par ailleurs, j'ai été étonné de constater à quel point vous preniez pour vous-même et pour les vôtres la totalité des critiques que j'ai adressées dans mon intervention à ceux qui refusent l'ouverture que nous proposons aujourd'hui avec la création du revenu minimum d'activité.
    Faut-il que vous ayez beaucoup de choses à vous reprocher (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour que vous ne vous aperceviez pas que toutes ces critiques ne vous sont pas adressées et que beaucoup sont adressées à d'autres ?
    M. Alain Néri. Vous vous trompez de cible !
    Mme Elisabeth Guigou. Il est mesquin !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Votre analyse globale de la situation de l'emploi mérite un débat. Vous nous avez d'ailleurs servi la même que celle que vous nous aviez, à plusieurs reprises, proposé lors de débats précédents. Je suis tout à fait prêt à poursuivre la discussion avec vous, mais cette analyse n'a aucun rapport avec le texte en discussion.
    En effet, nous ne proposons pas de modifier la philosophie du revenu minimum d'insertion, qui obéira aux mêmes règles et assurera les mêmes équilibres. Nous ne proposons pas une réforme qui signifierait l'adhésion de notre pays au workfare : il n'y a pas de substitution du revenu minimum d'activité au revenu minimum d'insertion ; il n'y a même pas de lien obligatoire entre les deux.
    M. Gilles Cocquempot. Ce sont les statistiques du chômage qui vont changer !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Votre démonstration a été peut-être brillante, monsieur Le Garrec, mais elle ne s'appliquait pas au texte qui vous est soumis et qui, je le répète, ne modifie pas la philosophie du RMI...
    M. Alain Néri. Ces propos n'engagent que vous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce texte crée un contrat aidé d'un nouveau type, dont l'originalité réside dans l'ouverture au secteur privé, comme le proposait d'ailleurs en 1988 Jean-Michel Belorgey, à qui le ministre des affaires sociales de l'époque, avant de lui proposer de rejeter un amendement étendant aux entreprises le dispositif d'insertion, répondait que la véritable insertion était en effet celle dans l'entreprise.
    M. Jean Le Garrec. Je suis d'accord !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de solidarité. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons aujourd'hui ce dispositif.
    M. Gilles Coquempot. Le MEDEF a bien travaillé pour vous !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. J'en viens à l'argumentation constitutionnelle que vous avez tenté de construire. Evidemment, elle n'est pas, de mon point de vue, fondée.
    Le texte ne porte nullement atteinte au principe de libre administration des collectivités locales.
    J'ai indiqué tout à l'heure que la compensation accordée aux départements serait calculée sur la base des comptes administratifs de 2004. Un amendement sera défendu à ce sujet. Reconnaissez avec moi que si, pour tous les transferts de compétences effectués par le passé, une telle règle avait été appliquée, les départements n'auraient pas aujourd'hui autant d'inquiétudes quant à leur équilibre financier.
    Le texte ne porte pas plus atteinte au principe d'égalité entre les concitoyens puisque, comme vous l'avez vous-même reconnu, les barèmes et les conditions d'attribution du revenu minimum restent les mêmes sur l'ensemble du territoire national.
    Enfin, le droit de travailler, consacré par le Préambule de la Constitution de 1946, n'a jamais été interprété, ce que vous n'ignorez pas, comme une obligation pour l'Etat de fournir à chacun un emploi. Depuis les derniers ateliers nationaux, il n'y a jamais eu d'illusion à cet égard.
    Par contre, le revenu minimum d'activité nous permet d'aller dans le sens indiqué par le constituant en 1946 : celui-ci nous fait obligation d'utiliser tous les moyens, et le revenu minimum d'activité en est un.
    Enfin, je voudrais dire un mot sur le dialogue social.
    Toutes les associations, vous avez bien voulu le rappeler, ont été consultées. Nous avons avec elles deux désaccords, mais on n'est pas toujours obligé de suivre leur avis, surtout lorsque l'on veut réformer le pays.
    Le premier désaccord porte sur l'ouverture des possibilités d'insertion aux entreprises. Nous assumons le changement et nous pensons que ceux qui s'inquiètent de voir les entreprises adhérer à un dispositif d'insertion se trompent.
    Le second résulte de l'inquiétude, ou plutôt de la méfiance manifestée en permanence à l'égard de la décentralisation et des responsabilités qu'assument les conseils généraux. Je pense que tant que nous entretiendrons ce sentiment de méfiance à l'égard des collectivités locales, la décentralisation restera inachevée. (« C'est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est parce que nous avons entrentenu ce sentiment de méfiance - tous ensemble, d'ailleurs - que nous avons, au fur et à mesure des lois de décentralisation, imbriqué les compétences de manière que les collectivités locales n'aient jamais une pleine responsabilité sur un sujet. Elles ne peuvent donc pas toujours assurer toutes leurs responsabilités comme elles le devraient.
    En définitive, monsieur Le Garrec, votre discours ressemblait diablement à ce livre de Nicolas Baverez que vous avez fustigé : il était brillant, mais je n'y ai pas vu le début d'une réponse aux questions que vous posez vous-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Eric Raoult, pour le groupe UMP.
    M. Eric Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean Le Garrec est un homme de coeur et d'expérience.
    M. Jean Le Garrec. Je ne vous le fais pas dire !
    M. Alain Néri. Jusqu'ici, c'est parfait !
    M. Eric Raoult. Il nous a parfois émus, mais ne nous a jamais convaincus. Il y a quinze ans, avec Michel Rocard et, déjà, Jean Le Garrec, nous débattions ici-même du RMI.
    M. Jean Le Garrec. Ce n'était pas la peine de rappeler que cela fait quinze ans !
    M. Eric Raoult. Je ne pensais pas à mal !
    Les deux premières lettres du RMI ont donné lieu à une écoute, pour ne pas dire une attention, sur tous ces bancs, mais la troisième lettre, le « i » d'insertion, n'a été écrite qu'à moitié et n'a pas rempli ses objectifs. Le RMI, lorsqu'il fut créé, se voulait provisoire ; il s'est institutionnalisé. Il se voulait ponctuel ; il s'est pérennisé. Quinze ans après, il est effectivement temps de dresser un bilan et d'avoir le courage - vous n'en manquez pas, monsieur le ministre - de le réformer et de l'améliorer. Il est possible d'en débattre, nos collègues sénateurs l'ont montré.
    Malgré la conviction et la générosité de notre collègue Le Garrec, défenseur de l'exception d'irrecevabilité, une évidence s'impose : recevable, ce texte l'est, naturellement.
    Ce texte est recevable car nous l'examinons après nos collègues sénateurs, saisis les premiers par le Gouvernement. Sérieusement, s'il était irrecevable, nos collègues sénateurs, connus pour leur sagesse et leur compétence dans le domaine des collectivités locales, l'auraient-ils examiné puis voté ? Non.
    Soyons pragmatiques et efficaces, sur ce sujet qui doit nous mobiliser plus que nous diviser. Nous agissons aujourd'hui car certains ont trop attendu hier.
    M. Alain Vidalies. Oh !
    M. Eric Raoult. Ce texte est évidemment recevable, pour trois autres raisons au moins.
    Il est recevable car il s'inscrit dans une logique plus globale, par ailleurs validée par les sages du Conseil constitutionnel : la décentralisation.
    Il constitue une première concrétisation de l'acte II de la décentralisation. Nous faisons confiance aux conseils généraux, dont la solidarité est la mission et même la nature, pour responsabiliser les acteurs et rapprocher l'allocataire de celui qui attribue l'aide. Responsabilisation, pragmatisme, proximité, tels sont les trois objectifs de cette mise en forme concrète de la décentralisation, désormais reconnue dans la Constitution. Ces trois objectifs, chers collègues socialistes, étaient ceux de Gaston Defferre en 1982.
    M. Alain Néri. Gaston Defferre, que vous combattiez !
    M. Gilles Cocquempot. Et dont vous êtes en train de démanteler l'oeuvre !
    M. Jean Roatta. Et dont nous avons battu les héritiers !
    M. Eric Raoult. Aujourd'hui, ce sont ceux du bon sens, ce sont ceux du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Ce bon sens près de chez vous veut évidemment que l'on réduise les inégalités entre allocataires et que l'on responsabilise, en toute confiance, les conseils généraux.
    M. Gilles Cocquempot. N'importe quoi !
    M. Eric Raoult. Je dois vous l'avouer, mes chers collègues, je ne connais pas très bien la situation de l'Aveyron, du Nord, des Deux-Sèvres ou du Morbihan, mais je peux vous parler avec certitude de la Seine-Saint-Denis. Dans notre département, la mise en place du RMI, après 1988, a été longue et difficile, et les élus d'opposition ont même dû la réclamer. N'est-ce pas, chers collègues de l'opposition ? Le « i » de l'insertion, on l'avait mis de côté, car l'exclusion est toujours combattue, mais parfois utilisée.
    M. Christian Estrosi. C'est vrai !
    M. Gilles Cocquempot. N'importe quoi !
    Mme Muguette Jacquaint. Ce n'est pas le conseil général de Seine-Saint-Denis qui exclut les pauvres !
    M. Eric Raoult. Si cela vous dérange, c'est pareil ! Si on avait confié dès le départ, comme vous le faites là, monsieur le ministre, le pilotage intégral du dispositif aux conseils généraux, peut-être n'aurait-on pas perdu autant de temps. La responsabilisation des acteurs est une excellente méthode, car chacun devient comptable de ses actes et, surtout, est placé devant ses responsabilités.
    Ce texte est également recevable car il répond au devoir de solidarité et au droit à l'emploi, reconnus à nos concitoyens par la Constitution.
    Le devoir de solidarité, d'abord, est au coeur du projet de loi. Dans son rapport, notre excellente rapporteure Christine Boutin n'oublie pas cet objectif constitutionnel qu'est la solidarité puisqu'elle écrit, avec l'humanisme qui la caractérise, que le revenu minimum doit être considéré comme un « droit universel ». Ce texte n'abroge pas l'universalité de l'aide aux plus démunis.
    Tout au contraire, il la fortifie en redonnant toute sa force à la troisième lettre : le « i » d'« insertion » plutôt que le « i » d'« inadaptation » ; le « a » d'« activité », plutôt que le « a » d'« assistance ».
    Le principe du droit à l'emploi, ensuite, est directement énoncé dans le préambule de 1946, qui dispose, contrairement à ce qu'a dit Jean Le Garrec : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. » Ayons au moins le courage de reconnaître, sur tous les bancs, que cet objectif n'a pas été atteint. Le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi sont vos deux objectifs, monsieur le ministre.
    Mme Muguette Jacquaint. Parlez-en au PDG d'Alstom !
    M. Eric Raoult. Votre projet de loi y répond, car ce droit, aujourd'hui, n'est plus garanti.
    De ce point de vue, comme l'ont démontré nos collègues du Sénat, les chiffres parlent d'eux-mêmes.
    En 2002, un RMiste sur trois touchait le revenu minimum depuis plus de trois ans, et près d'un sur dix depuis dix ans.
    Le RMI, qui se voulait ciblé et cadré sur des cas spécifiques, est devenu une prestation de masse : en 1988, le dispositif concernait 407 000 personnes ; il en concerne désormais plus d'un million.
    Enfin, le taux de contrats signés stagne. Selon les chiffres de la délégation interministérielle au revenu minimum d'insertion, seuls 48 % des allocataires du RMI sont titulaires d'un contrat d'insertion. Ce pourcentage tombe même plus bas dans des départements à très fort nombre d'allocataires, à fort discours social, mais à faible réalité sociale, comme la Seine-Saint-Denis.
    En outre, le RMA, en lieu et place d'un contrat précaire, créera une vraie dynamique de retour à l'emploi.
    Enfin, monsieur le président, ce texte est constitutionnellement recevable car il est constitutionnellement juste.
    Il s'inscrit en effet dans le cadre de la politique menée par le Gouvernement en faveur de la réhabilitation du travail : la réhabilitation du travail plutôt que celle de l'impôt ; la réhabilitation de l'effort et de la solidarité plutôt que celle de l'assistance. Il s'agit d'une vraie différence de philosophie avec le précédent gouvernement.
    En matière de solidarité envers les plus défavorisés, le Gouvernement, votre gouvernement, ne fait pas vivre la Fance à crédit ; il essaie de lui redonner du crédit. Cette nouvelle politique sociale s'est notamment traduite par la forte revalorisation du SMIC et sa refondation en des niveaux et des échelons adaptés, justes et équitables.
    L'objectif poursuivi par ce projet de loi est donc double : optimiser le dispositif de RMI en redonnant tout son sens à cette mesure ; développer un nouveau cadre plus efficace et plus incitatif avec le RMA.
    Pour le groupe UMP, monsieur le ministre, ces deux objectifs sont recevables car ils montrent la volonté du Gouvernement de sortir nos compatriotes de la spirale de l'échec et de l'exclusion, une spirale que de nombreux départements, à l'instar de celui de la Seine-Saint-Denis, connaissent, hélas ! depuis trop longtemps. Notre rôle est de redonner espoir, de relancer une dynamique et de faire preuve de volonté.
    Chers collègues de l'opposition, vous avez géré le RMI pendant dix ans, nous ne l'avons géré que pendant cinq ans.
    M. Gilles Cocquempot. Heureusement !
    Mme Muguette Jacquaint. Ce n'est pas la gestion du RMI qui a conduit à la situation actuelle !
    M. Eric Raoult. Aujourd'hui, nous le réformons et cette volonté est recevable. L'examen du texte est donc également recevable et l'UMP repoussera l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe communiste.
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons, bien sûr, l'exception d'irrecevabilité.
    J'ai bien écouté vos arguments, monsieur le ministre : vous prétendez réinsérer tous les allocataires du RMI et les aider à retrouver le chemin du travail. Mais personne, dans cet hémicycle, ne s'est jamais opposé à des mesures en faveur de l'insertion, de la qualification ou de la formation !
    M. Eric Raoult. Dans les départements que vous gérez, vous ne faites rien pour cela !
    Mme Muguette Jacquaint. Monsieur Raoult, l'exclusion, nous allons y venir, et vous allez en prendre pour votre grade ! (Rires. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Eric Raoult. Je vous attends ! En Seine-Saint-Denis, vous êtes au « gouvernement »...
    Mme Muguette Jacquaint. Vous nous parlez d'exclusion, monsieur Raoult, mais ce n'est pas sur le fronton de ma mairie que l'on a déployé le slogan « Pas de construction d'HLM ! Pas de logements pour les pauvres ! » (Exclamations sur les banc du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Michel Hunault. N'importe quoi !
    M. Eric Raoult. Caricature !
    M. Dominique Tian. Et les bulldozers, c'était où ?...
    Mme Muguette Jacquaint. C'est vous qui excluez ! C'est votre politique qui a exclu des milliers et des milliers de gens !
    M. le président. Madame Jacquaint, nous ne sommes pas dans un débat départemental mais dans des explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.
    Mme Muguette Jacquaint. Permettez, monsieur le président !
    M. le président. Vous avez utilisé votre droit de réplique. Maintenant, poursuivez votre démonstration, madame.
    Mme Muguette Jacquaint. Je connais la situation de la Seine-Saint-Denis autant que M. Raoult. Et il pourra aller avec M. le ministre pour expliquer aux salariés d'Aventis bientôt licenciés...
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et à ceux de Danone, de Moulinex, etc.
    Mme Muguette Jacquaint. ... qu'ils deviendront des assistés ! Il pourra aller expliquer aux travailleurs d'Alstom que M. Kron, leur PDG, va toucher des milliards d'euros de fonds publics pour faire d'eux des futurs assistés !
    M. Michel Hunault. Quelle honte !
    Mme Muguette Jacquaint. Pour notre part, ce que nous voulons, c'est la solidarité. Il a été rappelé, chiffres à l'appui, que des salariés ne supportaient plus de toucher une paye à peine plus élevée que les indemnités de chômage. C'est vrai, monsieur le ministre, la solidarité, on la réclame toujours aux mêmes, et, quand on travaille à temps partiel et qu'on est payé 3 200 francs par mois, cela suscite forcément des réactions. Mais pourquoi encourager cette campagne de division ? Alstom et Aventis sont deux exemples dramatiques, et les mêmes qui, aujourd'hui, disent que les chômeurs sont trop indemnisés, risquent, demain, de tomber à leur tour dans l'« assistanat », comme vous dites !
    C'est cela que nous refusons, et votre texte n'améliorera pas la situation. C'est pourquoi nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe UDF.
    M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec un peu d'émotion les propos passionnants de M. Le Garrec, député d'un département que je connais bien puisque je suis moi-même élu d'une de ses agglomérations, l'agglomération roubaisienne, laquelle rencontre de grosses difficultés. Vous comprendrez donc que j'éprouve le plus grand intérêt pour ce débat sur le RMI et le RMA, un double débat en réalité.
    Le premier point est la décentralisation et le transfert auprès de nos départements de la charge de la gestion du RMI. M. Le Garrec a raison d'indiquer qu'il est important d'établir une distinction entre départements pauvres et départements riches, de prévoir une péréquation ou, en tout cas, de réfléchir aux moyens d'éviter une fracture entre les départements en difficulté et les autres, entre les départements incapables de faire face et les autres.
    Le second point est le RMA. Ce sujet touche l'ensemble de la représentation nationale. Qui, dans cet hémicycle, pourrait se désintéresser des laissés-pour-compte, de nos concitoyens restant au bord de la route, dépourvus d'emploi et victimes de difficultés sociales, professionnelles, familiales, voire, plus graves encore, de santé ?
    Le RMA est une des réponses possibles, mais l'UDF fera, je pense, un certain nombre de propositions pour améliorer ce texte. En commission, les débats ont été positifs et Mme la rapporteure a fait preuve d'esprit d'écoute et d'ouverture ; elle nous a entendus sur plusieurs points en reprenant à son compte plusieurs de nos amendements et en essayant de composer. Cela me rend optimiste quant à l'issue de ce travail sur l'insertion, qui devrait être favorable.
    L'insertion, selon moi, consiste à replacer l'homme au sein de la société française, par le travail, certes, mais surtout par la reconnaissance et la dignité. Je pense que nous serons tous d'accord sur ce point, même si nous aurons des divergences sur les moyens d'y arriver. Et sincèrement, monsieur Le Garrec, il est important que nous débattions rapidement, car celui qui est au bord de la route n'a pas le temps d'attendre le passage du train suivant. Nous voterons donc contre votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Patrick Roy, pour le groupe socialiste.
    M. Patrick Roy. Vous ne serez pas surpris que le groupe socialiste vote l'exception d'irrecevabilité, pour plusieurs raisons.
    D'abord, je tiens à rendre hommage à la qualité de la prestation de M. Le Garrec,...
    M. Jean Roatta et M. Bernard Schreiner. C'est vrai.
    M. Patrick Roy. ... qui a prononcé le premier discours grave et sérieux de ce débat.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. C'est gentil pour les rapporteures...
    M. Patrick Roy. Le problème est d'une complexité extraordinaire et se pose depuis de très nombreuses années.
    Mme Nadine Morano. C'est pour cela que vous n'avez rien fait !
    M. Jean-Marie Geveaux. Comme sur les retraites !
    M. Patrick Roy. On ne peut donc pas adopter un texte aussi hâtivement.
    M. Le Garrec a eu le mérite de décrire la situation à l'aune du chômage de masse actuel, car là est le problème.
    M. Dominique Le Mèner. Pas seulement !
    M. Patrick Roy. Il a rappelé - cela nous paraît essentiel - que l'Etat ne saurait se laver les mains d'une situation qu'il a créée, de ce chômage de masse qui dure depuis vingt-cinq ans et augmente régulièrement.
    Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !
    M. Patrick Roy. C'est le chômage de masse qui plombe le dispositif et nous devons apporter une réponse provenant d'un vrai débat, d'une vraie réflexion. Or ce texte hâtif n'en tient aucun compte.
    Je partage l'émotion de Mme Jacquaint quand elle parle des responsables. Le Président de la République vient faire de grands discours dans mon arrondissement et, quelques jours après, 500 licenciements de plus sont annoncés. Voilà la vérité !
    Mme Muguette Jacquaint. Exactement !
    M. Jean-Marc Lefranc. C'est à cause des 35 heures !
    M. Thierry Mariani. Les habitants de la circonscription n'ont qu'à changer de député !
    M. Patrick Roy. Par ailleurs, nous avons appris avec stupéfaction, il y a quelques jours, que trois ministres, parmi lesquels celui qui est parmi nous aujourd'hui, avaient envoyé aux préfets de France une note expliquant le mécanisme du RMI et du futur RMA. Nous sommes pourtant en démocratie ! Or, avant même que nos travaux ne commencent, on nous signifie, en clair, que la discussion ne servira strictement à rien ! Une telle conception du débat public a de quoi heurter les démocrates que nous sommes !
    Mme Brigitte Le Brethon. Oh !
    M. Christian Estrosi. C'était dans un souci d'efficacité !
    M. Maurice Giro. D'information !
    M. Pierre Morange. De réalisme !
    M. Patrick Roy. Je ne rappellerai que quelques-unes des raisons qui nous font juger ce texte irrecevable.
    D'abord, ce texte est hâtif, et il est pourtant prévu de l'appliquer dans quelques semaines. Y avait-il une telle urgence ? Aujourd'hui, tous les gens responsables demandent son report. Seuls persistent peut-être quelques idéologues. (Sourires.)
    Mme Nadine Morano. Oh !
    M. Jean-Marc Lefranc. En la matière, vous vous y connaissez !
    M. Patrick Roy. Mais précisément : ce texte est purement idéologique.
    M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C'est faux !
    M. Patrick Roy. En outre, il y a un problème de coût. On nous parle de rattrapage. Soit, mais cela signifie que les conseils généraux devront avancer les fonds. Or, sur ce point, le Gouvernement reste muet.
    Tous ceux qui ont lu le texte savent bien que le RMA est un sous-contrat de travail incroyablement scandaleux. Pour ma part, j'aurais honte de voter un tel dispositif.
    M. Dominique Le Mèner. Et le RMI, non ?
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Et ce sont les créateurs des emplois-jeunes qui parlent !
    M. Patrick Roy. Enfin, comment peut-on penser que l'insertion se fera grâce aux employeurs, dont le but est d'abord de faire marcher l'économie ?
    M. Eric Raoult. C'est déjà pas mal !
    M. Patrick Roy. L'insertion est un problème très difficile, ceux qui l'ont en charge depuis quinze ans le savent bien. Ce n'est pas l'entreprise qui pourra assumer une tâche aussi délicate.
    Voilà pourquoi nous voterons l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Jean Le Garrec. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 884, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité :
    Mme Christine Boutin, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 1216) ;
    Mme Marie-Anne Montchamp, rapporteure pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 1211).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT