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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 26 NOVEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 25 novembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

PRÉLÈVEMENT
SUR LES ORGANISMES CÉRÉALIERS «...»

MM. Charles de Courson, Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

GRÈVE DES ÉTUDIANTS «...»

MM. Alain Bocquet, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

PLAN POUR L'EMPLOI «...»

Mme Catherine Vautrin, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

RÉFORME DES UNIVERSITÉS «...»

MM. Yves Durand, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

SÉCURITÉ DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ «...»

MM. Paul-Henri Cugnenc, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

JUSTICE ET COMMUNAUTARISME «...»

MM. Hervé Mariton, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

CONSÉQUENCES DES ENGAGEMENTS
PRIS PAR LA FRANCE À BRUXELLES «...»

MM. Didier Migaud, Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

CONSÉQUENCES DU CONSEIL ECOFIN «...»

MM. Philippe Auberger, Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement.

HARMONISATION EUROPÉENNE DES DIPLÔMES «...»

MM. Pierre-André Périssol, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

GIAT INDUSTRIES «...»

M. Jean Glavany, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

TGV OUEST «...»

MM. Marc Joulaud, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

ASSURANCE DES PROFESSIONS DE SANTÉ «...»

MM. Jean-Claude Lemoine, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Suspension et reprise de la séance «...»

2.  Décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et création du revenu minimum d'activité. - Explications de vote et vote sur l'ensemble d'un projet de loi «...».

EXPLICATIONS DE VOTE «...»

Mme
Hélène Mignon,
MM.
Rodolphe Thomas,
Maxime Gremetz,
Mme
Nadine Morano.

VOTE SUR L'ENSEMBLE «...»

Adoption, par scrutin, de l'ensemble du projet de loi.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

Suspension et reprise de la séance «...»

3.  Convention France - Afrique du Sud sur l'entraide judiciaire en matière pénale. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

4.  Accord Communauté européenne - Afrique du Sud sur le commerce. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

5.  Convention France - Sultanat d'Oman sur les doubles impositions. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

6.  Accord relatif à la création de l'Organisation internationale de la vigne et du vin. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi «...».

Article unique. - Adoption «...»

7.  Accord euro-méditerranéen sur l'association Communauté européenne - Algérie. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

8.  Accord euro-méditerranéen sur l'association Communauté européenne - Liban. - Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée, d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».

Article unique. - Adoption «...»

9.  Rappel au règlement «...».
M. Jean-Marc Ayrault, M. le président.

Suspension et reprise de la séance «...»

10.  Elargissement de l'Union européenne. - Discussion d'un projet de loi «...».
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.
M. Hervé de Charette, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères.
M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. de Villiers : M. Philippe de Villiers.

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

Exception d'irrecevabilité (suite) : MM. Philippe de Villiers, le ministre, le rapporteur, Jean-Claude Lefort, François Loncle. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
11.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

PRÉLÈVEMENT SUR LES ORGANISMES CÉRÉALIERS

    M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Ma question, à laquelle s'associe mon collègue Stéphane Demilly, s'adresse à MM. les ministres de l'agriculture et du budget.
    L'article 1er du projet de loi de finances rectificative pour 2003 prévoit notamment un prélèvement de 173 millions d'euros sur trois organismes céréaliers : Arvalis, l'ONIC et Unigrains.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est honteux !
    M. Charles de Courson. Ces prélèvements - et, plus particulièrement, ceux qui visent Arvalis et l'ONIC - vont mettre gravement en danger l'avenir de la recherche française en matière de céréales,...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Absolument !
    M. François Goulard et M. Alain Madelin. Mais non !
    M. Charles de Courson. ... les outils d'intervention économique dans cette filière, ainsi que des dizaines d'emplois.
    Au-delà même de la question de la pérennité des organismes de recherche et de développement économique dans le domaine céréalier, un tel prélèvement va à l'encontre de l'incitation à la bonne gestion : ces organismes, s'ils n'avaient pas été gérés avec rigueur, n'auraient pu être mis à contribution.
    Il ne s'agit pas là d'une solution adaptée au financement du déficit de la protection sociale agricole. En effet, ces prélèvements sont, par nature, exceptionnels, alors que le déficit du budget annexe des prestations sociales agricoles est structurel.
    Ma question est simple : messieurs les ministres, le Gouvernement est-il prêt à renoncer à ces prélèvements sur la filière céréalière, au profit d'un financement durable de la protection sociale agricole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
    M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le député, Arvalis a accumulé des excédents importants qui, je vous le rappelle, proviennent d'une taxe parafiscale, c'est-à-dire d'un prélèvement obligatoire. Or, ces excédents n'ont pas vocation à être investis dans des placements obligataires, comme c'est le cas aujourd'hui. Le Gouvernement a donc considéré que ces impôts devaient satisfaire un besoin immédiat, le financement du BAPSA,...
    M. Patrick Lemasle. C'est inacceptable !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... dans une proportion raisonnable, puisque l'organisme pourra conserver sa capacité de développement et de financement, en disposant notamment d'un fonds de roulement de 40 millions d'euros qui correspond à une année de fonctionnement. Aucun de ses projets de recherche ne sera compromis...
    M. Patrick Lemasle. Mais si !
    M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. ... et il n'y aura pas d'incidences sur le plan social, le Gouvernement peut s'y engager.
    Il est important de se rendre compte que la bonne gestion ne consiste pas à accumuler des réserves dans de tels organismes, mais à veiller à la fluidité des prélèvements obligatoires.
    J'ajoute que, parmi les nombreux déficits que le Gouvernement a trouvés en arrivant en 2002, le besoin de financement du BAPSA atteignait l'équivalent de 750 millions d'euros. Il a été comblé, et le Gouvernement organise aujourd'hui un financement durable et stable, dans des conditions qui sont de nature à satisfaire les professionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Patrick Lemasle. C'est absolument faux ! Vous avez tort !

GRÈVE DES ÉTUDIANTS

    M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Alain Bocquet. Monsieur le ministre de la jeunesse et de l'éducation nationale, de nombreux étudiants sont en grève (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)... C'est curieux, dès que je dis un mot ici, on proteste.
    Et leur mouvement s'amplifie de jour en jour. Cette mobilisation témoigne de la dégradation de leurs conditions de vie et de leur profonde inquiétude quant à leur avenir face à vos projets de réforme de l'université.
    Etre étudiant aujourd'hui, c'est, pour beaucoup, se trouver confronté aux difficultés parfois insurmontables que représente le coût des études, du logement et des transports quand on dispose de ressources insuffisantes.
    S'agissant du projet de loi d'autonomie des universités que vous entendez faire aboutir, personne n'est dupe : vous faites mine de reculer pour mieux sauter. Selon l'expression d'une étudiante gréviste de Lille, « le ministre Luc Ferry joue au yo-yo avec ses déclarations, on ne sait plus sur quel pied danser. Il faut que cela soit clarifié ».
    Le monde universitaire vous dit non : non à l'abolition du caractère national des diplômes, non à l'instauration d'un sas supplémentaire de sélection après la licence, non à la suppression de la compensation annuelle des notes, non enfin aux menaces pesant sur la session de septembre.
    Si vos projets sont contestés, c'est tout simplement parce qu'ils visent à écarter des formations diplômantes des milliers de jeunes au moment où l'on constate d'inconcevables pénuries d'emplois qualifiés. A force de tailler dans les moyens consacrés aux dépenses socialement utiles de l'Etat, dont la recherche ou l'université, on en arrive à des gabegies telles qu'elles jouent contre l'économie et découragent des milliers de vocations et d'espérances. Il y va de l'avenir de notre jeunesse et de la France.
    Monsieur le ministre, ma question est donc double : allez-vous renoncer à ce projet, et accepter le débat national sur les missions de l'enseignement supérieur français, que vous demandent étudiants et universitaires ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean Marsaudon. C'est la pêche aux voix !
    M. Alain Bocquet. Allez-vous écouter ceux qui ne cessent de rappeler qu'une autre manière de concevoir l'harmonisation européenne des diplômes est possible, notamment en donnant à notre enseignement supérieur les moyens que lui refuse votre budget 2004 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il est tout simplement faux, monsieur le député, d'affirmer que les étudiants et les universitaires disent non à l'harmonisation des diplômes européens.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il n'y a que l'UNEF !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Je vous rappelle en effet que 87 % des étudiants sont favorables à la mise en place de ce système, que trois organisations étudiantes importantes, la fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, l'Union nationale inter-universitaire, UNI, la Promotion et défense des étudiants, PDE...
    Un député du groupe socialiste. Des faux-nez !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... soutiennent également cette réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française) ainsi que la totalité de la conférence des présidents d'université. Alors, je vous en prie, même s'il y a des divergences entre nous, ayez la gentillesse de ne pas les alimenter par des rumeurs. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Je vous répète ce que j'ai dit hier à Bordeaux où j'ai rencontré des étudiants, majoritairement grévistes. Premièrement, il n'y aura pas de sélection à l'entrée à l'université, le ticket d'entrée à l'université reste le bac. Deuxièmement, il n'y aura pas de suppression des diplômes nationaux, notamment des diplômes français bac + 2 et bac + 4, pas plus que des BTS et des DUT ; pas davantage encore des maîtrises, dont nous avons besoin pour faire la différence entre le CAPES et l'agrégation. Ceux qui prétendent le contraire soit mentent, soit se livrent à la désinformation, involontairement peut-être, mais j'ai du mal à le croire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Troisièmement, il n'y aura aucune modification du régime des droits d'inscription, et je l'ai dit à maintes reprises : ce qui vaut pour Sciences-Po Paris ne vaut pas nécessairement pour les universités. Enfin, il n'y aura aucune privatisation, aucune régionalisation, aucun désengagement de l'Etat en ce qui concerne les universités.
    La mise en place de l'harmonisation des diplômes européens a été voulue par Claude Allègre ; elle a été poursuivie par Jack Lang. Il est donc aujourd'hui assez grotesque de la part de ceux qui ici se prétendent pro-européens, quand ils n'ont pas eux-même engagé cette réforme, de se contredire, de répandre des rumeurs absurdes et finalement de nuire à ce que est une chance pour les étudiants. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PLAN POUR L'EMPLOI

    M. le président. La parole est à Mme Catherine Vautrin, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    Mme Catherine Vautrin. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, M. le Premier ministre a annoncé dimanche soir le lancement d'un plan pour l'emploi...
    Un député du groupe socialiste. Encore une question téléphonée !
    Mme Catherine Vautrin. ... qui comportera notamment des mesures en faveur de la création d'entreprise, et de la formation professionnelle, ainsi que la mise en place du chèque emploi entreprise que nous avions proposé lors de la première lecture de la loi sur l'initiative économique en partant du constat que, dans notre pays, plus d'un million d'entreprises ne comptent aucun salarié. Pourtant, elles pourraient devenir des acteurs majeurs de la création d'emploi si elles n'étaient pas confrontées aux complexités des procédures d'embauche. Comme M. le Premier ministre l'a rappelé dimanche soir, les entreprises gagneront en simplicité avec le chèque emploi qui tiendra lieu à la fois de contrat de travail, de déclaration d'embauche et de fiche de paie. En cela, ce dispositif, comme l'ensemble de ce plan pour l'emploi, constitue un encouragement pour les entreprises et un espoir pour nos concitoyens à la recherche d'un emploi.
    Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler le contenu de ce plan, nous préciser le calendrier de cet axe fort de la politique de l'emploi de notre Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, depuis 2001, notre pays est confronté à une baisse de la croissance et à une hausse du chômage qui n'avaient pas pu être enrayées par les mesures prises par le gouvernement qui nous a précédés. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Nadine Morano. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Face à cette situation, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a choisi en priorité de mener une politique de relance de la croissance.
    M. Alain Néri. On en voit les résultats !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette politique commence à donner ses premiers résultats. Nous avons enregistré, au troisième trimestre, une croissance de 0,4 %, c'est-à-dire de 1,6 % en moyenne annuelle. L'emploi dans le secteur marchand s'est stabilisé au troisième trimestre 2003. Nous constatons une forte augmentation de la consommation en septembre et en octobre. De même, les créations d'entreprise s'inscrivent en nette progression en 2003. Enfin, la baisse du nombre des licenciements collectifs par rapport à 2002 est significative.
    Madame la députée, le Gouvernement veut maintenant faire profiter au maximum l'emploi de cette croissance retrouvée. C'est pourquoi le Premier ministre a annoncé plusieurs initiatives.
    La première consiste à simplifier les procédures d'embauche des salariés dans les petites entreprises, en instaurant un chèque emploi service petites entreprises, à l'image du chèque emploi service. Il sera créé par ordonnance avant la fin de cette année.
    La deuxième mesure annoncée par le Premier ministre est contenue dans la réforme de la formation professionnelle dont vous allez débattre dans quelques jours. Elle instaurera un droit individuel à la formation professionnelle, qui est aussi un droit individuel à la reconversion.
    Enfin, la troisième initiative concerne la modernisation du service public de l'emploi, avec d'une part, le rapprochement de l'UNEDIC et de l'ANPE pour aller vers une plus grande individualisation du traitement des personnes en recherche d'emploi, et d'autre part, l'adaptation du droit du travail en créant notamment de nouveaux types de contrat de travail pour répondre à la diversité des besoins des entreprises et des aspirations des salariés. Ces deux derniers points feront naturellement l'objet d'une étroite concertation avec les partenaires sociaux pour déboucher sur un projet de loi au début de l'année prochaine.
    Madame la députée, le Gouvernement garde son cap. Il desserre un à un les verrous et les étaux qui étouffent l'emploi ainsi que la croissance dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DES UNIVERSITÉS

    M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste.
    M. Yves Durand. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, à écouter vos interventions sur les universités depuis une semaine, il y a de quoi se perdre !
    Je ferai un bref rappel historique. Le 19 novembre, vous vous dites déterminé à présenter un projet de loi sur les universités. Le 20 novembre, une fuite de l'Elysée fait titrer à un grand quotidien : « A l'Elysée, la réforme de l'université n'est pas à l'ordre du jour. » Dans l'après-midi même, un communiqué de presse de votre ministère dément l'information. Le 21 novembre, un de vos conseillers confirme votre volonté de présenter le projet de loi devant l'Assemblée nationale en juin. Pourtant, le même jour, dans un communiqué, vous dites : « aucun projet de loi n'est inscrit au calendrier parlementaire » et votre directeur de cabinet prétend qu'il n'y a rien à ajourner car ce projet n'existe pas. Néanmoins, le 22 novembre, ce même directeur de cabinet déclare, pour clarifier (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste), que l'échéance de 2004 n'est « ni exclue ni prévue ». Et le 23 novembre, le Premier ministre fait part de son souhait que la discussion continue sur l'autonomie des universités.
    Monsieur le ministre, il faut avouer que vous progressez à grands pas dans l'art de la cacophonie ! Lorsque vous aviez annoncé votre refus de tout transfert des personnels ATOS, au moins aviez-vous laissé le Premier ministre vous contredire. Là, vous faites encore mieux, puisque vous parvenez à vous désavouer vous-même ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Alors que notre service public d'enseignement supérieur aurait besoin d'être renforcé, votre budget sacrifie l'enseignement supérieur et la recherche : pas un poste nouveau créé en 2004 dans l'enseignement supérieur ! Alors que le chômage des jeunes ne cesse d'augmenter du fait de votre politique, votre attitude désinvolte à leur égard ne peut que provoquer rejet et révolte. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je voudrais vous poser deux questions simples auxquelles nous attendons des réponses enfin claires !
    Avez-vous, oui ou non, un projet de réforme des universités ? Si oui, lequel et selon quel calendrier ?
    Pouvez-vous par ailleurs, monsieur le ministre, nous assurer que la réponse que vous allez nous donner ne sera pas immédiatement démentie par un communiqué de votre ministère, éventuellement contredit par le Premier ministre, contredit à son tour par une fuite organisée de l'Elysée ? (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Michel Delebarre. Heureusement qu'il a un papier !
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur Durand, je reconnais bien là votre habileté légendaire et votre capacité à soulever des lièvres pour mieux noyer le poisson ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    La vérité, et vous la connaissez parfaitement, c'est que la réforme en cours comprend deux étages.
    Il y a d'abord un processus qui a été lancé en 1997-1998 et qui aboutit aujourd'hui : l'harmonisation des diplômes européens, qu'on appelle le LMD - licence-master-doctorat. Ce système a été adopté à la rentrée universitaire par vingt universités. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous soutenons évidemment, et vous aussi, je l'espère,...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Répondez à la question !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. ... ce processus puisqu'il a été voulu par Claude Allègre, poursuivi par Jack Lang et qu'il me revient aujourd'hui de le mettre en place. L'harmonisation des diplômes européens est une formidable chance pour les étudiants qui auront la possibilité, pour que l'on comprenne bien l'avantage de cette réforme, de commencer leurs études à Rennes ou à Toulouse, de les poursuivre à Berlin ou à Madrid, pour éventuellement les terminer à Paris, sans perdre de temps dans leur cursus.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. La question !
    M. Gérard Charasse. N'importe quoi !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il y a un deuxième volet dans la réforme des universités, qui consiste à procéder à certains réglages au sujet desquels les étudiants s'interrogent - le découpage de l'année en semestres, les compensations de notes, et d'autres sujets - et sur lesquels nous apportons des réponses. En outre, les présidents d'université profitent de l'occasion pour demander, afin de mieux s'adapter au LMD, des modifications techniques concernant notamment les conseils d'administration, la création d'un conseil d'orientation, l'attribution d'un budget global.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Répondez à la question !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Ces mesures, vous le savez très bien, ne peuvent être adoptées que par la voie législative.
    Ma réponse est très claire. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous défendons le LMD. La réforme est intégralement maintenue : il n'y a aucun recul sur ce sujet.
    A propos des réglages qui sont nécessaires, je vais réunir les présidents d'université qui ont mis en place le LMD. La discussion continue tant avec les étudiants qu'avec les présidents.
    Il faut également rappeler - mais vous le savez parfaitement - qu'aucun projet de loi n'était inscrit à l'agenda parlementaire.
    M. Yves Durand. Mais si !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il est tout de même étonnant, monsieur le député, que cela vous ait échappé. Mais nous l'avons rappelé aux étudiants, pour bien leur montrer que la discussion continuait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démoratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

SÉCURITÉ DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ

    M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc, pour le groupe UMP.
    M. Paul-Henri Cugnenc. Monsieur le ministre de l'intérieur, je voudrais, en préambule de ma question, féliciter les fonctionnaires de police pour le dynamisme et l'efficacité qu'ils viennent encore une fois de démontrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    En janvier dernier, il y a bientôt un an, nous avons proposé, avec le rapporteur de la commission des lois, Christian Estrosi, à l'article 59, alinéa 2, du projet de loi relatif à la sécurité intérieure, l'aggravation des sanctions en cas de délit ou de menace à l'encontre de tout professionnel de santé dans l'exercice de ses fonctions. Vous avez été sensible à nos arguments et cet amendement, retenu par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sous la présidence du président Dubernard, a été adopté par l'Assemblée avec votre accord.
    Cette initiative a été considérée sur le terrain par tous les professionnels de santé - infirmières et infirmiers, médecins et acteurs de toutes les spécialités dans le cadre de leur exercice libéral ou de leur activité hospitalière, en particulier pour les urgences - comme un progrès très important.
    Aujourd'hui, malheureusement, des agressions sauvages continuent d'être perpétrées à l'encontre des professionnels de santé qui restent au service de nos concitoyens et viennent à leur secours. Quelles mesures comptez-vous prendre ou accentuer, monsieur le ministre, pour mettre fin à ces actes de violence inadmissibles ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, force est de constater que, depuis quelques années, le respect que l'on doit aux professionnels de santé n'existe plus de la part d'une infime minorité. C'est d'autant plus scandaleux que cela revient à priver du droit à la santé ceux de nos compatriotes qui habitent dans les quartiers où la population est la plus modeste. Lorsqu'on agresse un médecin ou une infirmière de garde, on leur interdit d'avoir accès à la santé au même titre que le reste de la population. C'est inadmissible !
    Qu'allons-nous faire ?
    Premièrement, je recevrai vendredi les représentants des professionnels de santé. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Deuxièmement, le Premier ministre a confié à Eric Raoult une mission auprès du ministre de la santé pour nous faire, avant le mois de février prochain, des propositions précises.
    M. François Hollande. On est sauvés !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Troisièmement, j'ai donné instruction aux forces de police d'accompagner, aux heures difficiles, dans les quartiers difficiles, tout professionnel de la santé qui le demandera. Ce sont les délinquants qui doivent reculer et certainement pas les médecins ou les infirmières ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Quatrièmement, enfin, nous avons décidé, avec le garde des sceaux, que des sanctions très lourdes, en application de la loi sur la sécurité intérieure, seraient désormais prononcées à l'endroit de ceux qui toucheront à un médecin ou à une infirmière. Nous ne sommes pas décidés, comme cela a été fait dans le passé, à nous contenter d'explications quand les professionnels de santé nous demandent d'agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

JUSTICE ET COMMUNAUTARISME

    M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe UMP.
    M. Hervé Mariton. Monsieur le garde des sceaux, un justiciable prétend récuser un juge en raison de la religion supposée de celui-ci ; un juré d'assises prétend siéger en portant un voile, signe religieux et politique ostentatoire. Ces comportements violent, au coeur même de cette institution essentielle qu'est la justice, les valeurs de la République. L'autre jour, dans une ville pavoisée pour le 11 novembre, un jeune homme m'a dit que ce n'était pas cela, sa France. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.) La République se comprend-elle à la carte, au gré de chacun ?
    Ce sont là des événements ponctuels, mais aujourd'hui ils tissent un ensemble de faits graves. Face à ces circonstances, dans le cadre de la responsabilité qui est la vôtre, comment entendez-vous défendre le pacte républicain ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je n'accepte pas ces dérives communautaristes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Vous venez d'évoquer deux faits qui ont provoqué ma réaction personnelle.
    Jeudi dernier, un individu s'est permis de récuser une juge sous prétexte qu'elle était peut-être juive. J'ai demandé par écrit au procureur de la République d'engager des poursuites contre cet individu pour injures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Hier, lors d'un déplacement à l'étranger, j'ai été informé qu'une jurée souhaitait siéger à la cour d'assises de Bobigny en portant un voile. J'ai demandé au procureur de la République de requérir son remplacement, ce que le président de la cour a accepté et décidé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Je veux dire très clairement, en mon nom personnel, au nom du Premier ministre et au nom du Président de la République, que nous n'accepterons pas la remontée des actes antisémites. A chaque fois que ce sera nécessaire, je demanderai, en tant que garde des sceaux, que soient engagées les poursuites appropriées. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Face à ces deux cas de dérive communautariste, j'ai décidé d'assumer mes responsabilités de garde des sceaux, ministre de la justice, et d'homme politique en donnant personnellement et précisément instruction de poursuivre aux procureurs de la République, dans le cadre de la pratique que j'ai restaurée, il y a maintenant dix-huit mois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et qui permet au pouvoir politique, lorsque c'est nécessaire, de réaffirmer les principes républicains auxquels nous sommes attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

CONSÉQUENCES DES ENGAGEMENTS
PRIS PAR LA FRANCE À BRUXELLES

    M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.
    M. Didier Migaud. Permettez-moi d'abord de vous dire, monsieur le garde des sceaux, que vous n'avez pas l'exclusivité de l'attachement aux principes républicains. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Pierre Lellouche. C'est honteux ! Vous auriez dû applaudir M. Perben ! Donneur de leçons ! Scandaleux !
    M. Didier Migaud. Monsieur le Premier ministre, pourquoi ne dites-vous pas en France la même chose qu'à Bruxelles ? Compte tenu des engagements que vous semblez y avoir pris, quels sacrifices supplémentaires allez vous imposer aux Français ?
    Vos choix sont déjà porteurs d'injustice et d'austérité pour la très grande majorité de nos concitoyens : hausse des impôts et taxes, réduction de droits sociaux, remise en cause des politiques publiques en matière d'emploi, de logement, de santé, d'éducation, de recherche et de transport. Ce désengagement de l'Etat fragilise les services publics. Le Gouvernement est devenu le premier licencieur de France avec la suppression des emplois-jeunes. Le chômage et l'exclusion sont en forte progression. Vous faites ainsi payer au plus grand nombre les largesses que vous accordez à une petite minorité. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous revendiquez d'être le patron, mais vous refusez d'assumer vos responsabilités en vous défaussant tantôt sur l'héritage, tantôt sur l'Europe. Ce n'est jamais de votre faute ! Tout autre patron serait conduit à la démission ou au renvoi. (Mêmes mouvements.)
    Cette nuit, la France, dont les finances sont mises sous tutelle, a semble-t-il échappé à des sanctions, mais au prix de quels engagements et de quelles nouvelles mesures douloureuses ?
    M. Yves Nicolin. Baratin !
    M. Didier Migaud. Vous avez refusé le débat que nous vous demandions d'organiser sur ce sujet à l'Assemblée nationale. Mais les Français ont le droit de connaître le sort que vous leur préparez, surtout si cela signifie moins de pouvoir d'achat, moins de droits, moins de services publics, mais plus d'inégalités, plus d'impôts, plus de précarité.
    Monsieur le Premier ministre, je vous poserai trois questions précises.
    Quel est le montant exact des annulations de crédits prévues dès janvier 2004 ? Après 6 milliards d'euros en 2003, combien en 2004 ?
    Quelle est la finalité de la suppression d'un jour férié : la réduction du déficit, supportée par les seuls salariés, ou bien le financement de la dépendance, pour une somme qui correspond, presque, à l'euro près, à la réduction de l'impôt sur le revenu en 2004 ?
    Pourquoi attendez-vous juillet 2004, évidemment après les élections, pour annoncer des mesures, que l'on pressent rigoureuses, sur la sécurité sociale ?
    Les Français ont besoin de vous entendre. Ils attendent du Premier ministre qu'il assume ses responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le député, il n'y a pas un double discours à Bruxelles et à Paris : c'est le même. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous assumons totalement nos choix politiques. Vous êtes attaché, comme nous, à l'humanisation de la mondialisation, c'est-à-dire à la régulation de la dépense publique pour privilégier l'investissement et le remboursement de la dette. C'est vous qui avez laissé déraper la dette. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Daniel Vaillant. Non, c'est vous !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. C'est pourquoi nous devons aujourd'hui consacrer une part croissante des impôts à rembourser le poids du passé plutôt qu'à construire l'avenir.
    Deuxièmement, en ne prenant aucune décision, vous avez fragilisé les politiques de solidarité dont vous vous dites les défenseurs, mais dont vous êtes en réalité les fossoyeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    Troisièmement, nous souhaitons moraliser les dépenses publiques et assainir les contrats. Vous avez précipité les emplois jeunes dans une sous-administration, en employant des surdiplômés à des tâches sous-qualifiées et sous-payées.
    M. François Hollande. Répondez à la question !
    M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Notre responsabilité est de remettre la France sur le chemin de l'avenir et d'assainir nos contrats de dépenses publiques : nous l'assumerons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il n'a pas répondu ! C'est nul !

CONSÉQUENCES DU CONSEIL ECOFIN

    M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger, pour le groupe UMP.
    M. Philippe Auberger. Cette nuit, un accord important a été passé entre les ministres des finances de l'Eurogroupe ; il concerne notamment la France et sa gestion budgétaire. La diminution progressive du déficit en 2004 et 2005 a été validée. De même, nous avons évité la procédure pour déficit excessif prévue dans le pacte de stabilité et de croissance, notamment les injonctions et les sanctions qui risquaient de nous être infligées.
    De cet accord très important, je tire, messieurs les ministres, trois conséquences.
    La première, c'est que le budget pour 2004, qui nous a été présenté au mois d'octobre et que nous avons approuvé la semaine dernière,...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Est déjà caduc !
    M. Philippe Auberger. ... va pouvoir être discuté au Sénat - il l'est actuellement - et adopté par le Parlement dans les termes où il a été présenté au mois d'octobre. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Deuxièmement, les efforts très rigoureux qui ont été accomplis en ce qui concerne la gestion de la dépense publique en 2003, consistant à rester dans la limite des crédits ouverts au début de l'année, sont reconnus par Bruxelles. En effet, nous le verrons dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, nous respectons strictement cette limite.
    Mme Martine David. Ce n'est pas vrai !
    M. Philippe Auberger. Troisièmement, au lieu d'être obligés de réduire les dépenses publiques...
    M. François Hollande. Réduire ou ne pas réduire ? Vous ne savez même plus où vous en êtes !
    M. Philippe Auberger. ... et de risquer ainsi de ralentir la reprise économique qui est en train de poindre, nous allons pouvoir laisser l'économie repartir.
    En conséquence, j'ai deux questions à poser. Quels engagements ont été pris par la France ? Quels enseignements faut-il en tirer pour l'année prochaine en ce qui concerne la gestion budgétaire ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Auberger, je vous prie d'abord d'excuser Francis Mer, qui n'est pas encore revenu du conseil Ecofin à Bruxelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Cet accord est très positif, à la fois pour la France et pour l'Europe.
    D'abord pour la France, car il montre que notre ministre des finances a pu convaincre l'ensemble de nos partenaires de la justesse de la politique économique que nous conduisons. Nous avons engagé de véritables réformes de structure.
    M. François Hollande. Lesquelles ?
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. La réforme des retraites, la réforme de l'Etat, la modernisation de l'assurance maladie nous ont permis de constituer les éléments structurels dont nous avons besoin pour rendre notre croissance durable.
    De la même manière, nous avons mis en oeuvre une politique de maîtrise de la dépense publique que nous avons engagée en 2003 et que nous poursuivrons en 2004.
    Enfin, nous avons clairement montré à nos partenaires notre volonté d'assurer l'équilibre entre la maîtrise des déficits et la préparation de la France à la croissance. La baisse des prélèvements obligatoires est un indicateur de résultat sur le maintien de la consommation. Tout le monde peut le constater aujourd'hui.
    M. François Hollande. Quels engagements avez-vous pris à Bruxelles ?
    M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement. Mais cet accord est aussi favorable pour l'Europe.
    Il n'y a pas de politique du fait du prince. Un pays comme le nôtre, qui a des déficits excessifs, a l'obligation de présenter les moyens et les mesures qu'il va mettre en oeuvre pour les résorber. C'est un aspect essentiel. Nous avons discuté à l'occasion de ce conseil Ecofin de la manière de tirer les enseignements de cette période. Si l'esprit même du pacte est respecté, il n'en reste pas moins que nous devons réfléchir à l'avenir sur ce qui doit, par exemple, se passer pour les différents pays lorsque la conjoncture est favorable.
    Ainsi la France a connu quatre années de croissance économique durant lesquelles il n'y a eu aucune réforme de structures mais des dérapages considérables des dépenses publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Et malheureusement, lorsqu'il y a eu un retournement de tendance, le gouvernement suivant, en l'occurrence le nôtre, a dû payer l'addition.
    Tout cela, nous l'avons expliqué. Il faut tirer les enseignements du passé pour bien préparer l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

HARMONISATION EUROPÉENNE DES DIPLÔMES

    M. le président. La parole est à M. Pierre-André Périssol, pour le groupe UMP.
    M. Pierre-André Périssol. Monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, l'harmonisation européenne des diplômes, dite système LMD, licence-mastère-doctorat, ou 3-5-8, est une orientation non seulement bonne mais indispensable. C'est pour cela qu'elle avait été prise par votre prédécesseur en avril 2002. C'est pour cela qu'elle est appuyée par un certain nombre d'organisations syndicales, dont la deuxième organisation étudiante, la FAGE, qui la considère comme une chance pour les étudiants et pour l'enseignement supérieur, à juste titre, car ce dispositif est nécessaire non seulement pour permettre la mobilité de nos étudiants, mais aussi et surtout pour assurer l'obtention d'un diplôme reconnu dans l'Europe entière à ceux qui ne seront pas mobiles.
    Or certains essaient d'en entraver la mise en oeuvre en créant un climat lourd d'arrière-pensées politiques. Il convient donc d'apporter des réponses claires aux interrogations et, parfois, aux inquiétudes des étudiants sincères.
    Première question : comment garantir le maintien des diplômes bac + 2, bac + 4, notamment les diplômes universitaires techniques et technologiques, et, surtout, comment les situer demain et après-demain dans l'architecture LMD ?
    Deuxième question : comment assurer concrètement la valeur nationale des diplômes alors que vous souhaitez donner une plus grande marge de manoeuvre aux universités dans leur conception ?
    Troisièmement : comment assurer des conditions comparables à nos étudiants quant aux modalités de contrôle des connaissances entre les différentes universités, notamment en matière de semestrialisation et de sessions de rattrapage ?
    Monsieur le ministre, je suis convaincu qu'un langage concret vous permettra de lever les inquiétudes afin de faire aboutir ces dispositions positives dans un climat plus apaisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, vous avez tout à fait raison de souligner que, parmi les rumeurs ou les tentatives de désinformation qui circulent, il en est une plus absurde que toutes les autres : celle qui consiste à faire croire qu'on va privatiser et régionaliser les universités, et mettre fin ainsi au caractère national des diplômes.
    M. Gérard Charasse. C'est vrai !
    M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Tous ceux qui ont essayé de mettre en place cette harmonisation des diplômes européens l'ont fait dans la perspective totalement inverse de renforcer le service public. Chacun doit bien le comprendre, la marchandisation des services existe. Des antennes universitaires américaines vendent, en effet, sur tout le territoire européen des services de l'éducaion et nous n'avons ni les moyens ni l'envie de supprimer ces antennes. Le projet d'harmonisation européenne des diplômes vise précisément à répondre à cette concurrence américaine en renforçant le service public, ce que nous ne pouvons plus faire de façon efficace au seul niveau national.
    S'agissant des diplômes BTS et d'IUT, il ne faut surtout pas prévoir que le second devra être obtenu au bout de trois ans, sous peine de créer une filière technologique noble et une moins noble. Ce serait une erreur totale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous ne décrocherons donc pas les IUT des BTS. En outre, la valeur de ces diplômes dépend non pas de leur inscription dans un schéma européen mais de leur reconnaissance par les chefs d'entreprise sur le marché du travail. Il ne faut donc pas y toucher. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Enfin, la filière professionnelle peut d'ores et déjà s'inscrire dans le schéma européen, notamment par le biais des licences professionnelles qui ont été créées à partir de 1999.
    Par conséquent, monsieur Périssol, je suis littéralement consterné quand je vois des pro-européens de toujours s'opposer, par pure tactique politicienne, au LMD, et prétendre que les diplômes nationaux vont être mis en cause alors qu'ils savent parfaitement que c'est faux. C'est consternant. Certes, je n'ignore pas, car je ne suis pas naïf, qu'il peut y avoir de la mauvaise foi dans les discussions politiques. Mais là, la limite a été franchie par certains et c'est indigne de responsables politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

GIAT INDUSTRIES

    M. le président. La parole est à M. Jean Glavany, pour le groupe socialiste.
    M. Jean Glavany. Monsieur le président, je voudrais d'abord rappeler à M. Delevoye et à M. Copé que Didier Migaud avait posé une question simple : quels engagements le Gouvernement a-t-il pris cette nuit à Bruxelles ? Leur absence totale de réponse montre à quel point celui-ci n'est pas disposé à assurer la transparence sur son action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous parler d'un homme de la France d'en bas, pour reprendre votre expression à la fois condescendante et hautaine.
    Cet homme s'appelle Jean-François Lapeyre. Il est salarié de GIAT Industries à Tarbes. Il est même délégué syndical et se bat aux côtés de ses camarades depuis des mois contre le plan de liquidation de son entreprise. Or, aujourd'hui, la direction menace de le sanctionner pour action syndicale dans le cadre d'un mouvement collectif.
    Ce délégué syndical combat un plan dont l'auteur, le PDG de GIAT Industries, a vu ses émoluments salariaux singulièrement augmentés ces derniers mois par vous, puisque pour les PDG d'une entreprise publique il faut le visa du Gouvernement et que ce visa avait été refusé par le gouvernement de Lionel Jospin.
    M. Christian Bataille. Cette décision de l'actuel gouvernement est scandaleuse !
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Qui l'a nommé ?
    M. Jean Glavany. Il a donc obtenu 45 000 euros d'augmentation pour 3 500 emplois supprimés, c'est sans doute ce que vous appelez le salaire au mérite ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste.) Répression syndicale pour la France d'en bas, augmentation salariale pour la France d'en haut qui licencie. Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas que la morale publique, pour reprendre l'expression de M. Delevoye il y a un instant, que la morale tout simplement exigerait de revenir sur ces deux décisions ? N'est-il pas temps en tout cas de nommer un médiateur dans le conflit de GIAT ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés-e-s communistes et républicains.)
    M. François Rochebloine. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.

    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le député, la question concernant les fautes éventuelles commises par un délégué syndical relève de l'entreprise et non du Gouvernement. Je vais cependant préciser ce qui s'est passé, puisque, selon les informations recueillies, le délégué syndical auquel vous avez fait allusion a, d'une part, tenu un discours comportant des propos, disons, excessifs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), devant des membres de la direction et environ 200 salariés et, d'autre part, mis le feu à une quantité importante de fiches destinées au suivi des activités et prélevées dans les ateliers sur les postes de travail. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Voilà les gens que vous défendez, monsieur Glavany !
    Mme la ministre de la défense. Ce salarié a donc été convoqué, le 20 novembre dernier, pour un entretien préalable à une éventuelle sanction. Celui-ci a eu lieu ce jour à dix heures, en présence d'un avocat. Monsieur le député, les procédures prévues dans les textes doivent être respectées. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    S'agissant de la deuxième question que vous avez posée, je vous ferai remarquer que l'actuel PDG de GIAT Industries a été recruté par le précédent gouvernement auquel, je crois, vous apparteniez. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Rochebloine. Alors, virez-le !
    Mme la ministre de la défense. Et c'est ce gouvernement qui a fixé contractuellement le montant de ses émoluments. Mais il n'a pas ensuite tenu ses engagements. C'est nous qui avons dû le faire, fût-ce en le regrettant. Assumez donc, monsieur Glavany, les responsabilités du gouvernement auquel vous apparteniez ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

TGV OUEST

    M. le président. La parole est à M. Marc Joulaud, pour le groupe UMP.
    M. Marc Joulaud. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, depuis quelques semaines, des réunions de présentation du tracé du futur TGV Ouest sont organisées dans le département de la Sarthe et, plus généralement, dans l'ensemble des communes concernées par ce projet de ligne nouvelle à grande vitesse entre Le Mans et Rennes. Or cette présentation sur le terrain suscite des interrogations et des inquiétudes nombreuses et légitimes. Des interrogations sur le calendrier, tout d'abord. Ce projet est en effet en concurrence avec d'autres projets nationaux et, à ce jour, aucune indication précise n'a été donnée quant à la date de réalisation de cette infrastructure. Fera-t-elle l'objet d'une priorité ? Ces incertitudes, liées à celles pesant sur le plan du foncier, qu'il s'agisse des emprises, des procédures ou du calendrier des acquisitions, contrastent avec les opérations qui s'engagent aujourd'hui sur le terrain et nécessitent des informations.
    Les inquiétudes portent aussi sur les conséquences environnementales du tracé tel qu'il est présenté et sur la prise en compte par Réseau ferré de France des situations spécifiques locales, qu'il s'agisse des exploitations agricoles, des zones d'habitat, des plans d'urbanisme des communes ou des patrimoines les plus remarquables.
    Monsieur le ministre, ma question est double. Pouvez-vous donner des précisions quant à la priorité qui est donnée à ce projet, notamment en termes de calendrier et d'acquisitions foncières ? Quelles assurances pouvez-vous apporter aux populations concernées que, sur le terrain, la concertation sera réelle, que les difficultés rencontrées localement seront bien prises en considération et que, dans la mesure du possible, des réponses seront apportées dès que possible ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député Joulaud, vous connaissez la situation que nous avons trouvée, il y a maintenant dix-huit mois,...
    M. Alain Néri. C'est toujours le même refrain !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... en matière d'infrastructures : des promesses partout et des financements nulle part ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Le Premier ministre a donc d'abord décidé de faire un audit des infrastructures. La sanction est tombée : on évalue à 15 milliards d'euros l'impasse financière.
    M. Pierre Hellier. Eh oui !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Il a ensuite souhaité connaître l'avis de la représentation nationale. Et nous avons eu, ici et au Sénat, un grand débat sur les infrastructures. Qu'en avons-nous tous retiré ? Que la France doit continuer à s'équiper, qu'il faut prévoir des financements pour concrétiser cette volonté et que cela doit se faire en menant une concertation de qualité.
    Eh bien, dans les semaines qui viennent, le plan gouvernemental des infrastructures sera connu, avec les financements qui l'accompagnent. Et n'en doutez pas, le TGV Ouest tiendra une place de qualité dans l'ensemble des infrastructures qui devront desservir notre territoire et nous relier aux autres pays européens.
    M. Pierre Cohen. Promesses, promesses !
    M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. S'agissant de la concertation, celle-ci a débuté dès le début du mois d'octobre. Certes, elle est un peu difficile, car il faut concilier des attentes locales très fortes et l'intérêt général. Mais elle devrait déboucher.
    D'ailleurs, cette concertation a réussi pour le TGV Est. En passant des conventions, notamment avec les exploitants agricoles et viticoles, nous sommes en effet parvenus à concilier l'indemnisation du foncier et la reconversion de certains agriculteurs. Cette expérience du TGV Est prêche en faveur de la concertation pour le TGV Ouest. Elle montre en tout cas la voie à suivre. J'ai donné des instructions extrêmement précises en ce sens à RFF. Je sais d'ailleurs que le comité de pilotage s'est réuni ce matin à la préfecture de Rennes.
    Monsieur le député, nous suivrons ce dossier avec grande attention et, j'en suis sûr, vous aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Gilles Artigues. Excellente réponse !

ASSURANCE DES PROFESSIONS DE SANTÉ

    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lemoine, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Claude Lemoine. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question, à laquelle j'associe mes collègues Jean-Pierre Door et Jean-Marc Lefranc, s'adresse à M. le ministre de la santé, de la famille, et des personnes handicapées.
    Monsieur le ministre, l'an dernier, sans votre intervention, de nombreux professionnels de santé et médecins spécialistes se seraient retrouvés sans assurance responsabilité civile. Vous avez réglé leur problème dans l'urgence.
    M. Michel Hunault. Très bien !
    M. Jean-Claude Lemoine. Il y a quelques semaines, répondant à une question d'actualité sur ce sujet, vous nous avez indiqué qu'une solution pérenne serait trouvée pour ces professionnels avant le 1er janvier prochain.
    Pouvez-vous aujourd'hui nous confirmer que les risques médicaux spécifiques seront couverts par des assureurs et préciser sous quelles conditions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille, et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député Lemoine, j'ai effectivement répondu récemment à une question de votre collègue Olivier Jardé sur le même sujet. Au nom du Gouvernement, je m'étais engagé, à l'époque, à ce que tous les établissements et tous les professionnels de santé soient assurés au 1er janvier 2004. J'ai donc obtenu des assureurs l'engagement formel que tous les professionnels et les établissements seront effectivement assurés au début de l'année. Hier, le groupement temporaire d'assurance médicale a mis en place un dispositif prolongeant les contrats d'assurances des établissements et des professionnels, qui auraient sinon saisi le bureau central de tarification avant le 31 décembre, mais qui n'auraient pas encore reçu de réponse. Naturellement, ces contrats seront prolongés sur les tarifs 2003.
    Par ailleurs, le bureau central de tarification est parvenu à un accord avec les représentants des assureurs, des professionnels et des établissements sur une grille tarifaire de référence raisonnable, qui, hors sinistres renouvelés, sera peu différente de celle de 2003.
    Vous le voyez, le Gouvernement a rempli ses engagements. Cela lui permettra de travailleur plus sereinement à partir des conclusions de la commission et du rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, qui nous seront remis à Francis Mer et à moi.
    J'ajoute, pour terminer, que comme convenu, les spécialistes soumis à des contrats élevés - obstétriciens, anesthésistes et chirurgiens - bénéficieront d'un soutien particulier. C'est un engagement qui, là encore, sera tenu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)
    M. le président. La séance est reprise.

2

DÉCENTRALISATION EN MATIÈRE
DE REVENU MINIMUM D'INSERTION ET
CRÉATION DU REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ

Explications de vote et vote sur l'ensemble
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Explications de vote

    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Hélène Mignon, pour le groupe socialiste.
    Mme Hélène Mignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en mettant en place le revenu minimum d'insertion, le gouvernement de Michel Rocard témoignait de sa volonté forte de ne laisser personne sur le bord du chemin, et de mobiliser tous les moyens pour aller vers l'insertion professionnelle, sans négliger l'insertion sociale.
    M. Patrick Roy. Très bien !
    Mme Hélène Mignon. Nous le réaffirmons : cet objectif ne peut être atteint que par une politique active de l'emploi, et avec le souci permanent de lier insertion sociale et insertion professionnelle.
    Avec une situation de chômage de masse depuis 1978 - vingt-cinq ans ! -, avec la parenthèse heureuse de la création de deux millions d'emplois sous le gouvernement de Lionel Jospin (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste), cet objectif est difficile à atteindre, malgré les efforts des professionnels de l'insertion, auxquels nous devons rendre hommage, et la mobilisation - inégale, certes, mais souvent forte - des élus.
    Le RMI est une bonne mesure, qui reste imparfaitement appliquée. Aussi aurait-il été préférable de réfléchir à une amélioration de ce dispositif, qui demeure insuffisant, avant d'envisager sa départementalisation et le désengagement total de l'Etat, pourtant garant de la solidarité nationale dans notre République.
    M. Jean Le Garrec. Très bien !
    Mme Hélène Mignon. Ce que vous nous proposez par ce texte de loi ne tient pas compte de cette expérience et votre précipitation va augmenter les difficultés.
    En ce qui concerne la décentralisation du dispositif, de lourdes incertitudes demeurent bien que vous ayez fait des propositions répondant partiellement à l'inquiétude des conseils généraux. Ainsi la régularisation annoncée ne sera opérée qu'à la fin de la première année, avec effet en 2005 ; la péréquation n'est pas du tout envisagée ; la part de financement obligatoire de 17 % pour l'insertion n'est prévue que pour un an, et je pourrais multiplier les exemples. Cela est d'autant plus inquiétant que tous les amendements visant à encadrer la mise en place de la politique d'insertion ont été refusés et ils n'ont malheureusement pas été les seuls.
    Pour ce qui est du RMA, le texte ne tient compte ni de la réalité quotidienne des bénéficiaires du RMI et de leur famille ni de leur exclusion du monde du travail depuis plusieurs années. Toutes les associations concernées en témoignent. Pourquoi offrir à des personnes en grande difficulté des dispositions de régression sociale sous prétexte de leur faire quitter ce que certains stigmatisent sous le terme d'assistanat ?
    Le contrat de RMA est en effet dérogatoire au droit du travail ; il s'agit d'un véritable sous-contrat aux droits dégradés.
    M. Patrick Roy. Un sous-contrat !
    Mme Hélène Mignon. Vous avez d'ailleurs refusé que la personne concernée perçoive un salaire et bénéficie des droits afférents, préférant ne parler que de revenu. Vous n'avez pas accepté que les cotisations sociales et la retraite portent sur l'ensemble de l'indemnisation versée au bénéficiaire pour son travail.
    M. Patrick Roy. Un sous-contrat !
    Mme Elisabeth Guigou. C'est honteux !
    Mme Hélène Mignon. En travaillant vingt heures par semaine, le bénéficiaire du RMA restera en dessous du seuil de pauvreté, passant ainsi du statut de pauvre sans travail à celui de travailleur pauvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Roy. Un sous-contrat !
    Mme Nadine Morano. Et vous, vous n'avez rien fait !
    Mme Hélène Mignon. Consciente de la fragilité de ce contrat hybride, la commission a adopté plusieurs amendements sur lesquels se sont retrouvés députés de la majorité et de l'opposition.
    M. Jean Glavany. Exactement !
    Mme Hélène Mignon. Les députés de la majorité, ou proches de la majorité, qui avaient signé ces amendements devraient aujourd'hui oser aller jusqu'au bout de leur conviction et voter contre ce texte. (« Bien sûr ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Inflexible, monsieur le ministre, vous n'avez accepté aucun de ces amendements.
    M. Michel Vergnier. C'est le ministre du dialogue de sourds !
    Mme Hélène Mignon. Par cette attitude, vous ne respectez pas le travail des parlementaires. Vous avez même méprisé le rôle du Parlement en envoyant, il y a un mois, en région des circulaires d'application, alors que nous n'avions pas encore examiné ce projet de loi. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Ce que nous voulons, c'est offrir à ces femmes et à ces hommes une vraie réponse, dans la dignité, en utilisant les instruments de la réinsertion, qui ont fait leurs preuves, en les accompagnant vers un vrai travail.
    Le groupe socialiste ne votera pas votre texte, monsieur le ministre. Il comporte trop de zones d'ombre. Nous avons entendu des députés de votre majorité dire tout haut ce que vous devez penser tout bas et nous refusons de nous associer à une démarche qui s'attaque au droit du travail et ne donne aucune garantie d'avenir aux futurs bénéficiaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Rodolphe Thomas, pour le groupe UDF.
    M. Rodolphe Thomas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, le groupe UDF se félicite bien évidemment de la création du RMA qui permettra à des milliers de personnes de bénéficier d'une réelle politique incitative à même de leur assurer une insertion sociale et professionnelle durable. Nous ne pouvons en effet que nous féliciter de la mise en oeuvre d'un principe que François Bayrou avait défendu lors de sa campagne présidentielle,...
    M. Jean Glavany. Personne ne s'en était aperçu !
    M. Rodolphe Thomas. ... celui-là même qui m'avait amené à déposer, en décembre 2002, une proposition de loi visant à mettre l'accent sur un véritable parcours professionnel.
    Il faut rappeler, chers collègues, que le RMA est proposé, et non imposé, à toutes celles et tous ceux qui veulent sortir de l'exclusion.
    Avant même que ce projet de loi ne soit soumis à l'examen du Parlement, le groupe UDF lui assignait cinq objectifs majeurs. Premièrement, que ce nouveau dispositif permette un retour effectif et durable à l'emploi en offrant une passerelle vers un contrat à durée indéterminé ; deuxièmement, que le RMA soit un vrai salaire et par voie de conséquence le CI-RMA un vrai contrat de travail - pourquoi un bénéficiaire du RMA n'aurait-il pas les mêmes droits que tout autre salarié, notamment en termes de protection sociale ? Troisièmement, que les associations intermédiaires et les entreprises d'insertion aient toute leur place dans le dispositif ; quatrièmement, que le secteur marchand puisse bénéficier des mêmes exonérations de charges sociales que le secteur non marchand ; cinquièmement, que la mise en place du RMA s'effectue dans les meilleures conditions possibles. Aussi nous aurait-il paru plus pertinent, monsieur le ministre, de reporter de quelques mois la mis en application de ce dispositif,...
    M. Alain Néri. Eh bien, il faut voter contre !
    M. Jean Le Garrec. Il est vrai que ce sont autant de raisons de voter contre...
    M. Rodolphe Thomas. ... comme nous le demandaient avec insistance les départements.
    Quoi qu'il en soit, ce projet, tel qu'il nous a été proposé, et surtout après qu'il a été amélioré par les amendements adoptés en séance, nous semble attractif. Il offre l'avantage d'ouvrir les portes du secteur marchand, et vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à permettre aux bénéficiaires du RMI d'en bénéficier après seulement une année d'allocation, et non plus deux ans comme vous l'aviez initialement prévu.
    Permettez-moi toutefois, après ces journées de débat, de vous faire part de quelques réflexions.
    Comme l'a longuement expliqué mon collègue Francis Vercamer lors des débats, il est essentiel qu'une politique de l'emploi incite l'entreprise à embaucher, notamment en allégeant ses charges, pour favoriser la création d'un maximum d'emplois, qu'elle permette à des personnes en situation de précarité d'accéder, notamment grâce à des formations qualifiantes et à un accompagnement social approprié, aux emplois créés et à les occuper durablement. Or on peut, comprenez-le, craindre à la lecture de ce texte que le RMA ne soit utilisé pour recruter des personnes dont l'employabilité ne justifie pas le recours à ce dispositif.
    M. Jean Le Garrec. Exactement !
    M. Patrick Roy. Et c'est ce qui va arriver !
    M. Rodolphe Thomas. Nous regrettons que le texte ne contienne pas de véritable garde-fou face au risque de tel abus.
    De surcroît, vous avez prévu, par le biais d'un amendement, de résoudre le problème des milliers de personnes qui, dès le 1er janvier 2004, ne bénéficieront plus de l'ASS. Cet amendement permettra aux directions départementales du travail d'accorder aux ex-allocataires de l'ASS une priorité sur les CES et les CEI. Cette mesure est bienvenue ; malheureusement, elle ne va pas assez loin et nous le regrettons. Pourquoi continuer à empiler des dispositifs qui vont forcément se télescoper ? Pourquoi alourdir encore un droit du travail déjà complexe ?
    Nous regrettons que le projet n'ait pas créé un dispositif unique et qu'il n'ait pas été à l'origine d'une réflexion sur une refonte globale des systèmes d'emplois aidés.
    Ma seconde réflexion porte sur les relations entre exécutif et législatif. Je regrette le sort qui a été réservé aux amendements de la commission des affaires sociales. Pendant trois jours en effet, les amendements défendus par la rapporteure ont été rejetés sans que le président de la commission des affaires sociales ait défendu la position de notre commission. Je m'en étonne et déplore l'absence de dialogue entre le Gouvernement et notre commission.
    M. Jean-Louis Dumont. Quel scandale que ce mépris du Parlement !
    M. Rodolphe Thomas. Néanmoins, plusieurs amendements ont été adoptés, qui permettront de faire évoluer le dispositif. Ainsi en est-il du guichet social unique qui, je l'espère, ne restera pas lettre morte ; ou encore au souhait de l'UDF de prévoir dans la convention d'insertion des objectifs qui pourront être le gage d'une réelle politique d'insertion - c'est à nos yeux la clef du succès si l'on souhaite un véritable retour à l'emploi. Je pense aussi à l'allongement de la période d'essai pour un bénéficiaire du RMA ou encore à la prise en compte des plans locaux d'initiative pour l'emploi et des maisons de l'emploi.
    Monsieur le ministre, nous sommes tous attachés au principe de la solidarité républicaine. Cette solidarité n'est ni de gauche ni de droite. Elle doit s'accompagner d'une responsabilité de tous : élus, acteurs de terrain et populations précaires.
    A l'évidence, nous ne pouvons plus tolérer qu'au xxie siècle des familles entières soient privées d'emploi. Il n'est plus acceptable de continuer à paupériser toute une population. Il faut lui proposer des solutions dans la perspective d'un retour effectif à l'emploi.
    Le groupe UDF s'est toujours montré volontariste dès lors qu'il s'agissait d'insertion et de l'emploi. C'est pourquoi il votera en faveur de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) pour exprimer sa solidarité à l'égard de toute une frange de la population laissée pour compte et qui a réellement besoin d'une perspective d'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je vais, d'ores et déjà, faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe communiste.
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le ministre, s'il fallait, à l'évidence, revenir sur les insuffisances et les échecs du RMI, en particulier en termes d'insertion, la voie engagée par le Gouvernement n'est certainement pas la meilleure. Vous avez purement et simplement transféré sur les départements la prise en charge et la gestion du RMI. Ce que vous présentez comme une « rénovation du RMI » n'est rien d'autre qu'une phrase supplémentaire de la décentralisation qu'il faudrait plutôt qualifier de désengagement de l'Etat en matière de gestion du social. Cette rénovation, mais chacun s'en doutait, s'effectuera sans les financements adéquats. Bonjour les nouvelles augmentations d'impôts !
    Elle ne tient aucunement compte de la réalité de la prise en charge du RMI que devront supporter les départements. Et à voir la baisse généralisée du niveau de l'emploi en France, nous ne sommes pas au bout de nos peines. En déséquilibrant les budgets solidarité des départements, vous déséquilibrez par la même occasion le traitement du RMI, qui variera selon les départements et sera fonction de leur richesse et de leur politique sociale.
    S'agissant de la création du RMA, notre pugnacité vous a poussé dans vos retranchements, monsieur le ministre, vous obligeant à jeter le masque. La commission des affaires sociales et sa rapporteure, que je salue, avaient pourtant bien travaillé et cerné les dangers de la création - très imaginative - d'un contrat totalement atypique dans notre législation sociale.
    Il s'agit en réalité d'un royal cadeau aux entreprises qui vont pouvoir substituer à leurs CDD des RMA à 200 euros. C'est la précarité généralisée puissance 10, alors que notre pays compte plus de trois millions de précaires, deux millions et demi de chômeurs et un chômage des moins de vingt-cinq ans en progression de 8 % !
    Non seulement vous avez assoupli les maigres verrous qu'avait prévus votre projet initial, mais surtout, vous avez fait repousser par votre majorité tous les amendements qui visaient à prévenir tout effet d'aubaine.
    Ce faisant, vous avez tiré un trait, monsieur le ministre, et je vous l'ai démontré tout au long du débat, sur les 330 000 bénéficiaires du RMI qui touchaient cette allocation depuis plus de trois ans et qui restent les plus éloignés de l'emploi. En réduisant à un an l'ancienneté au RMI pour avoir droit au RMA, vous mettez à la disposition du patronat une main-d'oeuvre à bon marché et ne favorisez pas l'insertion de ceux qui en ont le plus besoin. De surcroît, vous avez refusé de plafonner le nombre de RMA par entreprise pour éviter les abus. Vous avez également refusé de prévoir une durée minimum en RMA pour éviter les effets « kleenex ».
    Vous avez enfin refusé d'assimiler le RMA, comme le proposaient la rapporteure et la commission des affaires sociales, à un salaire, ce qui aurait permis aux bénéficiaires de prétendre aux droits sociaux communs à tous les salariés. Vous êtes même allé, dépassant toutes les bornes imaginables, jusqu'à ouvrir le RMA aux entreprises de travail temporaire - comme si l'insertion durable pouvait se concevoir dans une entreprise temporaire !
    Vous avez menti, monsieur le ministre, sur l'objectif visé : le vôtre est en réalité d'exploiter et précariser ces gens. Vous tournez le dos à votre discours initial de rendre aux exclus leur dignité par l'emploi. Je ne doute pas, et je vous le dis solennellement, que le Conseil constitutionnel saura vous rappeler le droit. En refusant de mieux maîtriser le recours au RMA afin d'en faire un véritable tremplin pour l'emploi et la réinsertion des plus exclus, votre but était en fait d'inscrire dans le code du travail cet OVNI dérogatoire sans garanties pour les salariés. C'est le début du détricotage du code du travail avant même l'examen de votre projet de réforme du dialogue social. Les associations qui proposaient un contrat unique d'insertion condamnent votre texte et appellent même au rejet de ce projet.
    Pour toutes ces raisons, vous l'avez compris - écoutez la fin, monsieur le président ! -, nous voterons contre ce texte. Nous ne nous abstenons pas : nous votons contre, dix fois contre, cent fois contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Gremetz, je vous remercie de cette précision. Du reste, je m'en doutais... Mais dites-vous bien que, désormais, chaque fois que vous parlerez à un voisin, je ne vous raterai plus ! (Sourires.)
    La parole est à Mme Nadine Morano, pour le groupe UMP.
    Mme Nadine Morano. Depuis dix-huit mois et dans un contexte économique difficile, nous avons répondu aux attentes et aux priorités de nos concitoyens. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons répondu aux attentes des Français, notamment par une politique de l'emploi cohérente, dynamique et ciblée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Patrick Roy. Ce n'est pas vrai !
    M. Maxime Gremetz. Ciblée sur les plus riches, oui !
    Mme Nadine Morano. Il n'est qu'à voir l'action que nous avons menée en direction des jeunes, le dispositif jeunes en entreprise dont le cent millième contrat a été signé, l'assouplissement des 35 heures afin de redonner leur compétitivité à nos entreprises.
    M. François Liberti. Et le chômage qui augmente !
    Mme Nadine Morano. Nous avons également augmenté le SMIC et harmonisé vos six SMIC (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), ce qui permettra aux salariés les plus modestes de toucher l'équivalent d'un treizième mois.
    Nous travaillons à l'heure actuelle sur le futur projet de loi relatif à la formation professionnelle, qui sera également un élément très important de la politique pour l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    C'est dans ce cadre que s'inscrit, monsieur le ministre, le projet, dont nous avons débattu la semaine dernière, portant décentralisation du RMI et créant le RMA. Face à un constat aussi préoccupant - un million d'allocataires du RMI depuis 1988, deux millions et demi de bénéficiaires si l'on tient compte de la composition des familles - ni le groupe UMP, ni le Gouvernement, ni la majorité parlementaire ne pouvaient rester à un tel statu quo et continuer à laisser des gens sur le bord de la route. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.) Tout le monde, sur tous les bancs, a reconnu les déficiences du RMI, tous font le même constat : le RMI ne fonctionne pas, le « I » en tout cas n'a jamais fonctionné !
    Pour donner davantage de cohérence à ce système, monsieur le ministre, vous avez décidé de passer à l'acte II de la décentralisation en transférant l'intégralité de la compétence en matière de RMI et du pilotage du RMI aux départements. Ce faisant, vous avez fait le choix de la responsabilisation des élus locaux, qui se doivent d'agir concrètement pour l'insertion des publics les plus défavorisés.
    Mais il restait le chaînon manquant, sur lequel vous n'avez jamais travaillé, mesdames et messieurs de l'opposition : l'activité. Aussi avez-vous, monsieur le ministre, créé le RMA. C'est un contrat de travail. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Un contrat particulier parce qu'il s'adresse à un public particulier, à des gens qui sont des accidentés de la vie, à des publics en marge de la société. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Nous leur proposons un contrat adapté, accompagné, et qui leur donnera la possiblité de retrouver dans le secteur marchand, pour la première fois, c'est-à-dire dans le cadre de l'entreprise, un véritable emploi. Nous ouvrons aussi le RMA au secteur public. Nous comptons - et nous le souhaitons - créer en un an à peu près 100 000 revenus minimums d'activité.
    Je tiens à remercier le groupe UDF d'avoir enrichi notre débat auquel il a participé activement et avec beaucoup de passion. Je veux également vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir donné toutes les assurances financières nécessaires aux départements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En réintroduisant, pour une période transitoire d'un an, l'obligation pour les départements de consacrer au financement de l'insertion au moins 17 % des crédits versés au titre du RMI, vous avez permis de trouver les voies d'un accord avec le Sénat.
    M. Jean Glavany. La rapporteure connaît mieux le sujet que vous !
    Mme Nadine Morano. Enfin, monsieur le ministre, vous avez su vous opposer à l'adoption d'un amendement qui, en imposant un avis conforme des commissions locales d'insertion, paraissait aux yeux de notre groupe tout à fait contraire à l'esprit de la décentralisation. Nous sommes restés, et cela nous paraissait important, au principe de l'accord préalable.
    Ce contrat représente un réel espoir. Je veux rappeler à tous les membres de l'opposition...
    M. François Lamy. Ne vous occupez pas de nous !
    Mme Nadine Morano. ... qu'une vraie politique sociale, une vraie politique du travail, ne se mesure pas, je l'ai déjà dit, au nombre d'assistés, mais au nombre de personnes qui n'ont plus besoin d'être assistées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
        Voilà pourquoi, monsieur le ministre, le groupe UMP votera pour ce projet de loi tout en vous encourageant à persévérer dans la voie d'une réforme dynamique pour l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vote sur l'ensemble

    M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même, et, le cas échéant, pour son délégant.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   526
Nombre de suffrages exprimés   525
Majorité absolue   263
Pour l'adoption   360
Contre   165

    L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au terme de ce débat, je voudrais adressser mes remerciements aux présidents de commission, M. Dubernard et M. Méhaignerie, ainsi qu'à Mmes les rapporteures Christine Boutin et Marie-Anne Montchamp. Je veux également remercier les groupes UDF et UMP d'avoir soutenu, amélioré - rappellons que 68 amendements ont été retenus - et enfin adopté ce projet de loi.
    Sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, nous poursuivons ensemble depuis près de deux ans un double objectif, qui est au coeur de ce projet de loi : moderniser notre pacte social et valoriser le travail.
    Ce projet de loi est né d'un constat, que nul sur ces bancs n'a contesté : le volet insertion du revenu minimum ne marche pas comme il devrait. Un allocataire sur trois est au RMI depuis plus de trois ans, et un sur dix depuis plus de dix ans.
    Ce n'est pas faire oeuvre de progrès social que de vouer une partie de nos concitoyens à la seule perspective de l'assistance continue.
    M. Loïc Bouvard. Très juste !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Cette conception défensive de la solidarité n'est pas la nôtre. Elle est de moins en moins acceptée par les Français, notamment par ceux qui tirent de leur travail des revenus modestes. Elle condamne à terme l'esprit même du RMI qui doit rester un ultime filet de protection et non un dispositif qui fige les situations.
    Face à ce constat, face aux centaines de milliers d'allocataires du RMI qui cherchent à s'en sortir, l'Assemblée nationale vient de livrer avec son vote un message contre la fatalité. Oui, il est possible d'améliorer la gestion du revenu minimum, en étant plus près du terrain : c'est l'objet de la décentralisation du dispositif. Oui, il est possible d'épauler les allocataires du RMI sur le chemin de l'insertion professionnelle : c'est l'objet du revenu minimum d'activité, qui s'offre à ceux qui ne baissent pas les bras.
    Mme Nadine Morano. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le revenu minimum d'activité est un contrat original, adapté à une population particulière, qui est éloignée du monde du travail. Au regard des spécificités et des difficultés de cette population, on ne peut pas utiliser les recettes traditionnelles. On ne peut faire mine de croire qu'un contrat de travail classique lui ouvrirait toutes grandes les portes de l'insertion et de l'emploi. Il fallait donc imaginer un mécanisme à la fois incitatif pour les personnes au RMI et attrayant pour les entreprises destinées à les accueillir.
    Certains dans l'opposition se sont émus à l'idée que les entreprises allaient pouvoir embaucher ces personnes pour un coût peu élevé. Cette critique stupéfiante est révélatrice d'une posture politique qui préfère les préjugés idéologiques à l'efficacité sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    L'important est moins de savoir si l'entreprise y trouve quelque avantage que de savoir si l'allocataire du RMI qui décroche enfin un emploi y trouve, lui, un intérêt ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Il faut tout de même être animé par une étrange logique pour préférer un revenu minimum sans travail à un revenu minimum avec un travail.
    Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement et sa majorité estiment que le dynamisme économique peut être l'allié de la solidarité et croient aux vertus intégratrices du travail.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ensemble nous parions sur le courage et la volonté qui existent en chacun de nos concitoyens. Cette vision confiante dans l'homme est à l'opposé de tout regard stigmatisant à l'égard de nos compatriotes qui sont dans la difficulté.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'attachement que nous portons à notre pacte social nous commande de ne pas accepter l'idée d'une assistance passive qui s'apparente davantage à une charité de façade qu'à une véritable solidarité.
    Mme Nadine Morano. Très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Au cours de nos débats, la gauche a donné l'impression que le statu quo valait mieux que l'action pragmatique. Les Français jugeront qui, de l'opposition ou de la majorité, a fait davantage pour rendre la solidarité plus efficace. Avec ce projet, nous dynamisons l'un des instruments de notre pacte social. Nous le faisons avec la conviction que le camp de la réforme épouse celui de la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante.)
    M. le président. La séance est reprise.

3

CONVENTION FRANCE-AFRIQUE DU SUD
SUR L'ENTRAIDE JUDICIAIRE
EN MATIÈRE PÉNALE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud (n°s 945, 1142).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud, signée au Cap le 31 mai 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

4

ACCORD COMMUNAUTÉ
EUROPÉENNE - AFRIQUE DU SUD
SUR LE COMMERCE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord sur le commerce, le développement et la coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Afrique du Sud, d'autre part (ensemble dix annexes, deux protocoles, un acte final et quatorze déclarations) (n°s 947, 1143).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord sur le commerce, le développement et la coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Afrique du Sud, d'autre part (ensemble dix annexes, deux protocoles, un acte final et quatorze déclarations), signée à Pretoria le 11 octobre 1999, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

5

CONVENTION FRANCE - SULTANAT D'OMAN
SUR LES DOUBLES IMPOSITIONS

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d'Oman en vue d'éviter les doubles impositions (ensemble un protocole) (n°s 648, 1144).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d'Oman en vue d'éviter les doubles impositions, signée le 1er juin 1989 (ensemble un protocole), signé à Mascate le 22 octobre 1996, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

6

ACCORD RELATIF À LA CRÉATION
DE L'ORGANISATION INTERNATIONALE
DE LA VIGNE ET DU VIN

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant création de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (n°s 1146, 1214).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'accord portant création de l'Organisation internationale de la vigne et du vin, fait à Paris le 3 avril 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

7

ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN
SUR L'ASSOCIATION
COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE - ALGÉRIE

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire, d'autre part (ensemble six annexes, sept protocoles, un acte final, cinq déclarations communes et neuf déclarations unilatérales) (n°s 948, 1213).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire, d'autre part (ensemble six annexes, sept protocoles, un acte final, cinq déclarations communes et neuf déclarations unilatérales), signé à Valence le 22 avril 2002, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

8

ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN
SUR L'ASSOCIATION
COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE - LIBAN

Discussion, selon la procédure d'examen simplifiée,
d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen instituant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République libanaise, d'autre part (ensemble deux annexes, cinq protocoles, un acte final, treize déclarations communes et deux déclarations unilatérales) (n°s 946, 1212).
    Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure d'examen simplifiée.
    Conformément à l'article 107 du règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique du projet de loi.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord euro-méditerranéen instituant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République libanaise, d'autre part (ensemble deux annexes, cinq protocoles, un acte final, treize déclarations communes et deux déclarations unilatérales), signé à Luxembourg le 17 juin 2002, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)

9

RAPPEL AU RÈGLEMENT

    M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
    Ce rappel au règlement est certainement fondé sur l'article 58 du règlement, monsieur Ayrault ?
    M. Jean-Marc Ayrault. Il s'agit en effet de l'organisation des travaux de notre assemblée, monsieur le président, et puisque j'ai eu l'occasion de vous écrire à ce sujet, vous ne serez pas surpris de mon rappel au règlement.
    Je tiens à émettre au nom de mon groupe les plus vives protestations sur les modifications qui ont été apportées à l'ordre du jour.
    Ainsi, nous aurons à examiner dans la première semaine de décembre la loi de finances rectificative pour 2003, que l'on appelle le collectif. Et j'imagine, compte tenu des engagements pris par la France concernant sa situation financière au regard des règles de l'Union européenne, et dont le Parlement n'est toujours pas informé, que ce débat ne sera pas négligeable pour les Français. Le jeudi 4 décembre et les jours suivants, nous aurons à examiner un texte intitulé « Projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications » qui porte, en réalité, sur la privatisation de France Télécom.
    La semaine suivante, viendra en deuxième lecture le projet de loi relatif à la bioéthique, comme s'il s'agissait d'une affaire mineure. Et la semaine d'après, le Gouvernement ayant décidé d'avancer la date de son examen, le projet de loi portant sur la formation professionnelle, mais aussi sur toute une série d'aspects de la démocratie sociale dans notre pays.
    Ce sont des questions essentielles qui demanderaient de la réflexion, qui exigeraient un débat avec tous ceux qui sont concernés à travers des auditions, et qui nécessiteraient du temps pour un examen de fond dans les commissions. Ce travail à la sauvette, à la va-vite, n'est pas de bonne qualité et il est préjudiciable au débat à l'Assemblée nationale.
    Dans la dernière semaine de décembre, nous devrons, encore plus rapidement, faire face à l'embouteillage traditionnel de fin d'année pour adopter définitivement la loi de finances pour 2004, le collectif budgétaire et, si j'ai bien compris, votre réforme du RMI et la création du RMA, dont le ministre des affaires sociales est si fier.
    J'en termine là parce que, vraiment, la coupe est pleine.
    Dans quelques instants, monsieur le Premier ministre, vous allez vous exprimer sur l'élargissement de l'Europe. Votre présence montre l'importance que vous attachez à cette question. Ensuite s'exprimeront M. le ministre des affaires étrangères, Mme la ministre des affaires européennes, puis le rapporteur, M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
    Quand il auront fini, il sera déjà bien tard dans l'après-midi alors qu'il nous restera à entendre M. de Villiers qui utilise les moyens de procédure prévus dans notre règlement pour s'exprimer : sans doute une heure trente pour défendre une exception d'irrecevabilité qui, j'imagine, sera rejetée par l'Assemblée nationale et encore une heure trente pour défendre une question préalable qui sera, elle aussi, probablement rejetée.
    Et quand nous aborderons la discussion générale, c'est-à-dire lorsque les parlementaires de toutes les formations commenceront à s'exprimer, quelle heure sera-t-il ? Vingt-deux heures, vingt-trois heures, voire plus tard encore !
    Est-il digne pour la France que, au moment où dix nouveaux pays demandent à adhérer à l'Union européenne, des pays dont les peuples se sont majoritairement prononcés par référendum, que nous examinions cette importante question à la sauvette ? Nous aurions dû, compte tenu des manoeuvres de procédure de l'un des membres de cette assemblée, monsieur le président,...
    M. Richard Mallié. Vous pouvez parler !
    M. Jean-Marc Ayrault. Il ne s'agit pas de l'empêcher de parler, il en a parfaitement le droit, c'est le règlement !
    Nous aurions, dis-je, dû prendre deux jours pour que l'Assemblée nationale soit à la hauteur des enjeux et n'examine pas cette importante décision dans les conditions que je viens de décrire.
    Monsieur le président, je vous demande une suspension de séance pour m'entretenir avec vous après la réunion de mon groupe.
    M. le président. Monsieur Ayrault, la suspension est de droit, mais permettez-moi, avant de vous l'accorder, de vous donner quelques précisions.
    D'abord, vous savez que la conférence des présidents s'est réunie ce matin et que j'y ai fait reporter le vote qui aura lieu demain et non pas à deux ou trois heures du matin.
    S'agissant des motions de procédure, la modification du règlement a déjà permis de réduire le temps consacré à leur défense, et vous savez que je souhaiterais recueillir l'accord de tous les groupes sur la notion d'un « crédit temps », qui permettrait de mieux organiser nos débats.
    Enfin, je vous rappelle que la conférence des présidents de ce matin a allégé, à ma demande, l'ordre du jour d'aujourd'hui - qui l'avait déjà été la semaine dernière - puisque les accords qui doivent faire l'objet d'un bref débat sont renvoyés à une autre date.
    Nous allons donc poursuivre nos travaux.
    Mais, comme vous me l'avez demandé, je vais suspendre la séance pour cinq minutes. Pour vous entretenir avec moi, cela suffit amplement ! (Sourires.)

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
    M. le président. La séance est reprise.

10

ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

Discussion d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie (n°s 1048, 1241).
    La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il y a dans la vie parlementaire des événements où la souveraineté nationale rencontre l'histoire.
    Nous sommes aujourd'hui à une date historique pour la France, celle de la réunion de l'Europe.
    Quatorze ans après la chute du mur de Berlin, il vous est proposé d'accueillir au sein de l'Union européenne la République tchèque, l'Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie.
    En ratifiant le traité d'Athènes, je vous propose d'ouvrir le coeur de la démocratie européenne.
    Nous avons surmonté la déchirure qui divisait l'Europe et, ainsi, nous reconstruisons notre continent sur des bases pacifiques.
    Il a fallu que tous mêlent vision et volonté. Pour la plupart des dix pays concernés, ce traité est la traduction juridique de la fin du totalitarisme et la garantie qu'il ne pourra pas, de nouveau, obscurcir leurs espoirs. Mon gouvernement souhaite que chacun, ici et dans notre pays, prenne conscience de la dimension historique de ce rendez-vous.
    Cette nouvelle Europe a en effet besoin d'une mobilisation nationale en France, pour mieux la comprendre et mieux la construire, alors qu'elle change sa géographie et travaille à ses nouvelles institutions.

    L'Europe, mesdames et messieurs les députés, a besoin d'une perspective qui doit être, je le crois, la création d'un pôle de stabilité et de démocratie profondément nouveau, fondé non pas - non plus - sur la volonté de puissance, mais sur l'intérêt partagé pour un modèle de civilisation, pour une politique de l'homme.
    Avec le projet de loi qui vous est soumis, nous célébrons l'union de l'Europe, cette terre inconnue que les anciens Grecs situaient au nord de leur pays. Ce projet se fonde, avant l'histoire, avant même la géographie, sur une communauté de culture. Quand Chopin jouait à Paris, son coeur battait à Varsovie. Quand Erasme enseignait dans notre capitale, il se nourrissait de l'Italie. Quand les marchands du Moyen-Age parcouraient l'Europe, ils diffusaient leur savoir-faire et apprenaient à tous les Européens, sur leur chemin, l'économie naissante.
    On pose souvent la question des limites de l'Europe. On veut chercher la réponse dans le relief, dans l'organisation du réseau des fleuves, dans l'expression des langues ou dans la multiplicité des rivages. La géographie ne suffit pas à l'histoire. La géographie ne suffit plus à l'Europe. L'Europe, c'est un état d'esprit, c'est une communauté d'âmes. L'Europe, c'est une pensée qui, depuis les Lumières, est à la recherche du bonheur et de la vérité. L'Europe, c'est aussi, vous le savez, une pensée inquiète qui a fait de l'esprit critique une manière d'avancer et qui a fait de l'homme le coeur de son projet politique. L'Europe, aujourd'hui, c'est d'abord un lieu de culture et de progrès où l'individu, où la personne humaine est considérée pour son identité, ses potentialités et sa conscience de l'autre.
    Cette vision définit clairement, aujourd'hui, les limites de l'Europe. Quand on s'interroge sur tel ou tel pays, que l'on pense à cette communauté de culture, et les frontières apparaissent ainsi dans leur légitimité. Cette Europe complexe, qui fait notre quotidien, est pour nous tous une victoire face aux déchirements des siècles.
    Et si, bien sûr, l'Europe ne tient pas toutes ses promesses, nous devons la protéger et la faire partager, car, grâce à elle, nous sommes sortis de l'horreur : l'horreur de la guerre et l'horreur de la dictature. La guerre ouvre toujours les écluses du mal. Longtemps, en effet, l'Europe fut la guerre. La guerre entre les Etats d'abord, puis, les guerres mondiales marquées par la volonté de puissance, la volonté de conquête, cette volonté horrible d'extermination, qui ont définitivement meurtri notre continent.
    En 1946, Edgar Morin écrivait : « L'Europe est un mot qui ment, il n'y a plus d'Europe. » Grâce aux pères fondateurs, qui, tous - Adenauer, De Gasperi, Schuman, Monnet -, étaient de la génération du feu, l'Europe a inventé un nouveau chemin. Du « Debout l'Europe ! » de Churchill en 1946 à Zurich à la déclaration Schuman de 1950, en passant par le Congrès de La Haye de 1947, les humanistes rescapés de la tragédie de la guerre ont su redonner progressivement à l'idée européenne cette nouvelle espérance, avec l'aide précieuse - ne l'oublions pas - de nos amis américains.
    Ils ont compris que l'Europe ne se ferait pas « d'un coup » mais « par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait », comme disait Schuman. Et ils ont été aidés par la volonté de plusieurs Etats, les six fondateurs, aux premiers rangs desquels se trouvent évidemment la France et l'Allemagne. Je rends ici hommage et honneur à ceux qui ont compris que le destin de nos nations passait par la mise en commun de nos énergies créatrices et de notre espérance. Je pense évidemment au général de Gaulle et au chancelier Adenauer, au Président Pompidou et au chancelier Brandt, au Président Giscard d'Estaing et au chancelier Schmidt, au Président Mitterrand et au chancelier Kohl, au Président Chirac et au chancelier Schröder. Sans eux, l'Europe ne serait pas la force de stabilité qu'elle est devenue : sans eux, l'Europe n'aurait pas franchi toutes les étapes de sa construction, dont la dernière, l'euro, notre monnaie commune, est à la fois le signe et le sens.
    Longtemps, pourtant, l'Europe n'a été qu'une province du monde libre. L'Europe était un carrefour, le carrefour de deux rivalités, de deux visions du monde. Jean Monnet lui reprochait presque que ses frontières soient « fixées par d'autres ».
    Puis, sous l'effet de la force d'attraction de la démocratie et de l'économie de marché, l'empire soviétique s'est peu à peu délité et nous sommes entrés dans une ère de paix. La Communauté européenne a permis de casser tous ces murs ; l'Europe de l'Est n'existe plus.
    M. Jacques Myard. Tant mieux !
    M. le Premier ministre. La prédiction de Victor Hugo, au Congrès de la paix de 1849, s'est réalisée, signe de son génie : « Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Angleterre, vous Allemagne, [...] vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne. » C'était en 1849 !
    Depuis 1989, l'Europe peut à nouveau choisir ses frontières et existe par elle-même. Le fleuve Europe a retrouvé son lit et il n'y a plus de place que pour un seul rêve, le rêve de la démocratie humaniste.
    C'est ce rêve qui est devenu réalité pour les nouveaux Etats membres de l'Union : à force de travail - ne l'oublions pas -, de courage et d'énergie, ils ont réussi à intégrer très rapidement le projet européen et l'acquis communautaire, au-delà de ses défauts bureaucratiques et de ses complexités démocratiques.
    M. Jacques Myard. Ça, il y en a !
    M. le Premier ministre. Ne mésestimons pas la part d'espérance que porte l'idée européenne et veillons, mesdames, messieurs les députés, à ce que notre accueil soit à la hauteur de cette espérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Allons vers eux : il nous faut faire, nous aussi, une part du chemin de leur intégration.
    Il faut, je le sais bien, rester prudents et vigilants : les dramatiques événements des Balkans nous incitent à prendre garde aux résurgences des nationalismes, aux conflits identitaires et religieux qui ont si longtemps été le quotidien de l'Europe.
    Mais je reste confiant : l'Europe, aujourd'hui, c'est la paix. L'Europe, aujourd'hui, maîtrise son destin et construit progressivement un avenir. La France, notre France, a toujours eu une vision ambitieuse de l'Europe. L'Europe est, pour la France, la volonté de faire advenir un modèle de société fondé sur les droits de l'homme, le développement économique et la solidarité.
    L'Europe, c'est également, pour nous, à l'heure de la mondialisation, un changement d'échelle : elle donne à nos projets la dimension d'un continent.
    La vision française de l'Europe n'entre pas en contradiction avec la vision que nous avons de notre nation. Il n'y a pas d'antagonisme entre l'Europe et la nation.
    M. Jacques Myard. Très bien !
    M. le Premier ministre. L'Europe n'est pas une nouvelle nation, mais une forme inédite, jamais conçue jusqu'ici, de souveraineté commune entre des nations. L'Europe de demain, l'Europe en grand, mérite que nous mobilisions toute notre énergie pour réussir ensemble et continuer à inventer une organisation nouvelle.
    Evidemment, comme vous tous, je ne suis pas sourd à l'inquiétude de tous ceux qui s'interrogent aujourd'hui sur l'élargissement de l'Europe. Certains s'inquiètent de la concurrence des nouveaux pays, d'autres de l'immigration. Quelques-uns auraient préféré le choix de la fermeture, du repli sur soi. Nous faisons, nous, le choix de l'ouverture. La France n'est pas claustrophobe.
    Je veux rassurer ceux qui s'interrogent. Je me souviens de 1985, de ces images de routes bloquées, de salariés en colère, de Français inquiets - en particulier les agriculteurs - à l'idée de l'ouverture européenne à l'Espagne et au Portugal. Aujourd'hui, personne ne regrette cette adhésion.
    M. Jacques Barrot. Très bien !
    M. le Premier ministre. Les nouveaux membres de l'Union ne seront pas non plus, j'en suis convaincu, une menace pour l'emploi en France, parce que la productivité est plus élevée dans notre pays. Ils ne seront pas une menace sociale, parce qu'ils respectent nos règles, qu'ils ont acceptées.
    N'ayons pas peur de ceux qui, au fond, aspirent à notre modèle social. Je vous le dis, le rapprochement, j'en suis sûr, se fera par le haut. Il ne faut pas avoir peur de ceux qui veulent un niveau de vie proche du nôtre. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    L'élargissement est aussi un moteur durable pour la croissance et la création d'emplois, parce que ces pays, qui ont une croissance forte, apportent à l'Europe de nouveaux consommateurs. Les entreprises françaises l'ont compris : chaque année, elles exportent pour plus de 15 milliards d'euros vers ces pays, soit quatre fois plus qu'il y a dix ans, et la France est le troisième exportateur dans cette zone. Mille cinq cents entreprises françaises sont déjà présentes dans ces pays, et j'appelle les petites et moyennes entreprises à se lancer sur ces nouveaux marchés.
     J'ai pu constater, lors de contacts réguliers - et récemment encore avec le Président de Roumanie -, combien la France était forte grâce à ses investissements et à ses grands contrats, mais qu'au total l'Italie était trois fois plus présente que nous dans ces régions, grâce à l'implantation de ses petites et moyennes entreprises. La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et la Slovaquie, riches à elles cinq de près de 68 millions d'habitants, sont, pour les entreprises françaises, des pays de vieille connaissance. Ce sont des marchés très importants, dans lesquels les plus grandes entreprises françaises sont déjà présentes et où les petites et moyennes entreprises doivent davantage s'investir.
    Nos agriculteurs ne doivent pas être effrayés : le système d'aide directe agricole ne sera élargi que progressivement, dans l'intérêt de tous et dans le respect des principes de la politique agricole commune. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Les pays baltes, eux, nous permettent de construire notre continuité territoriale, de l'Atlantique à la Baltique. Les îles de la Méditerranée enfin, Malte et Chypre, renforcent la dimension méditerranéenne de l'Union. Avec ces pays, l'Europe devient un géant géopolitique et économique. C'est pourquoi elle n'est plus une variable supplémentaire de notre politique étrangère, mais un élément fondamental de notre politique intérieure.
    Je m'adresse ici à ceux qui, sur tous les bancs, ont l'Europe en partage. Avec conviction, j'appelle à une mobilisation française pour l'Europe, au-delà de nos clivages nationaux, car celle-ci se trouve à un moment historique, fondateur, et doit affronter trois défis majeurs.
    Le premier défi est démographique : nos nations vieillissent, nous le savons tous. Ensemble, nous devons tirer les leçons de cette situation européenne et relever ce défi social et sociétal.
    Le deuxième défi tient à la compréhension du monde : la triple révolution économique, génétique et numérique, qui est à l'origine d'une vision nouvelle du monde, nous appelle à repenser notre humanisme du XXIe siècle. Aujourd'hui, « il faut regarder en avant et désobéir à notre propre nostalgie », celle d'un monde facile à comprendre, manichéen, où l'Europe était un enjeu entre deux blocs.
    Le troisième défi, enfin, est politique. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », disait Paul Valéry, et si nous ne voulons pas que l'Europe devienne « un petit cap du continent asiatique », nous devons agir ensemble, agir face au terrorisme international qui marque de son empreinte angoissante toutes les consciences d'Europe et d'ailleurs, agir pour équilibrer les nouvelles puissances économiques, comme la Chine et l'Inde, et tenir notre rang face aux Etats-Unis et au Japon.
    Dans ce monde troublé, l'Europe, si elle veut exister, doit pouvoir faire entendre sa voix et affirmé son unité.
    Dans ce contexte, mesdames et messieurs les députés, l'élargissement est une chance, parce qu'il est une force potentielle supplémentaire...
    M. François Goulard. Très bien !
    M. le Premier ministre. ... pour engager des réformes profondes et faire en sorte que, avec cette nouvelle géographie, nous puissions mettre en place de nouvelles institutions.
    Il est nécessaire que nous prenions le chemin d'institutions plus efficaces, comme nous y a invités la Convention - elle sera plus efficace avec l'extension du vote à la majorité qualifiée ; plus incarnée avec un président pour l'Europe ; plus proche avec le contrôle de subsidiarité et la possibilité d'implication directe des Européens grâce au droit d'initiative citoyenne.
    Mon gouvernement est autant engagé dans l'approfondissement que dans l'élargissement. Demain, nous serons plus forts de nos nations nouvelles mais aussi - nous le voulons - de nos institutions nouvelles. Toutefois, l'Europe ne sera au rendez-vous de son destin que si elle continue à innover et c'est ce que la France a entrepris, sous l'impulsion du Président de la République, avec Dominique de Villepin, Noëlle Lenoir et toute notre diplomatie. Avec une relation franco-allemande rénovée, fondée sur la capacité à mener des réformes communes et à formuler des ambitions élevées pour l'Europe. Avec des relations euro-américaines nouvelles, fondées sur la capacité de dialogue d'égal à égal et sur la volonté de formuler des ambitions communes pour l'organisation du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Avec une vision humanisée de la mondialisation, qui fait de la diversité culturelle, de l'aide au développement et du combat contre toutes les épidémies des priorités de notre continent. Avec, enfin, la volonté de mettre l'Europe au service des Européens et, pour cela, de construire un espace de croissance durable pour l'emploi et le progrès social.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'Europe donne un nouveau cours à son histoire. Elle accueille les pays qui ont le plus souffert des fractures du passé et elle les associe maintenant à son projet.
    Mais il y a, pour nous tous, une véritable urgence européenne. L'Union est en effet engagée dans une course de vitesse avec la « gouvernance mondiale ». Pour la paix, avec l'ONU, pour la planète avec le protocole de Kyoto, pour le développement avec l'OMC, le monde doit repenser son organisation. Là est notre projet : faire que l'Europe à vingt-cinq soit assez forte pour imposer dans le monde son principe d'équilibre face à un principe de hiérarchie.
    Faisons ensemble en sorte que l'Europe puisse imposer sa vision du monde, d'un monde plus juste, plus équilibré. Vaclav Havel l'a dit fortement : « La mission de l'Europe aujourd'hui est de retrouver sa conscience et sa responsabilité, responsabilité non seulement à l'égard de sa propre architecture politique, mais aussi envers le monde dans son ensemble. »
    Nous avons, vous avez, mesdames et messieurs les députés, l'occasion de réussir, grâce à la force nouvelle de l'élargissement, ce nouveau et grand projet européen, pour le monde, pour l'Europe et pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
    M. Hervé de Charette, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, mes chers collègues, le traité d'Athènes arrive en discussion devant l'Assemblée après que les dix pays adhérents l'ont ratifié et selon un calendrier comparable à celui arrêté par les quatorze autres pays membres de l'Union, qui ont tous choisi de ratifier ce traité par la voie parlementaire.
    Je vais vous présenter mon rapport en trois temps : d'abord, pour vous rappeler les étapes de cette longue négociation ; ensuite, pour vous proposer une analyse des documents qui sont soumis à la ratification de l'Assemblée ; enfin, pour examiner les conséquences de l'élargissement pour l'Union et plus particulièrement pour la France.
    D'abord, je rappellerai les étapes de la négociation.
    C'est le conseil européen de Copenhague qui, en 1993, c'est-à-dire quatre ans après la chute du mur de Berlin, a décidé que les « pays associés de l'Europe centrale et orientale qui le désirent pourront devenir membres de l'Union européenne ». Toutefois, cet accord de principe était assorti de critères stricts, dénommés depuis lors « critères de Copenhague ». Les pays candidats devaient en effet disposer d'institutions démocratiques, d'une économie de marché viable, de la capacité de faire face à la pression concurrentielle des Quinze et de celles d'assumer les obligations imposées et de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire existant entre les Quinze.
    En outre, le conseil européen de Madrid a précisé, en 1995 - ce qui n'allait pas de soi -, que les candidats devaient s'engager à respecter la totalité de l'acquis communautaire.
    C'est sur ces bases qu'entre 1990 et 1996 douze pays ont posé leur candidature.
    Le conseil européen de Luxembourg a décidé, en décembre 1997, d'ouvrir les négociations avec un premier groupe de six pays : Chypre, Estonie, Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovénie.
    En décembre 1999, à Helsinki, la négociation a été ouverte aux six autres pays.
    En vertu du principe de différenciation, l'Union a imposé des négociations Etat par Etat. On aura une idée de la complexité de l'exercice si l'on veut bien observer que l'acquis communautaire représente à lui seul, au Journal officiel des Communautés européennes, 80 000 pages de directives, de règlements, de décisions, de positions ou d'actions communes.
    M. Jacques Myard. C'est scandaleux !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Les principales étapes de cette négociation, étalées depuis sur cinq années, ont été les suivantes :
    Ouverture des négociations, le 30 mars 1998, avec le premier groupe de six pays et, le 15 février 2000, avec le deuxième groupe ;
    Adoption en décembre 2000, par le conseil européen de Nice, de la réforme institutionnelle de l'Union et fixation pour chaque candidat de sa place dans le nouveau dispositif ;
    Décision en décembre 2001, par le conseil européen de Laeken, sur proposition de la Commission, de l'adhésion groupée de dix pays, dont sont exclues la Roumanie et la Bulgarie, dont l'adhésion est reportée à une deuxième étape ;
    Conclusion en décembre 2002, par le conseil européen de Copenhague, des négociations d'adhésion et adoption des volets agricole et budgétaire.
    Après quoi, conformément à l'article 49 du traité sur l'Union européenne, la Commission a rendu son avis favorable et le Parlement européen a émis un avis conforme à une quasi-unanimité, le 9 avril 2003. C'est ce qui a conduit au traité d'Athènes.
    Je présenterai donc maintenant une analyse des documents soumis à ratification.
    Le traité d'Athènes ne comporte que trois articles d'une extraordinaire banalité : l'article 1er constate que les dix deviennent membres de l'Union ; l'article 2 stipule que les instruments de ratification devront être déposés avant le 30 avril 2004 ; l'article 3 indique que le traité est rédigé en vingt et une langues - j'ai bien dit vingt et une langues.
    C'est l'acte d'adhésion qui consitue le document principal. Et il comporte, lui, soixante-deux articles répartis en cinq parties.
    La première partie - les articles 1er à 10 - pose les principes.
    L'article 1er pose le principe de la reprise de l'acquis communautaire par les Dix, sous réserve des mesures transitoires, et ce dès l'adhésion.
    L'article 3 concerne Schengen. Avec l'adhésion, les Dix ne seront pas d'emblée membres de l'espace Schengen. L'Union européenne a réparti cet acquis en deux paquets. Dans l'annexe I figurent un grand nombre de dispositions immédiatement applicables en matière de visas, de séjour, de sécurité, de contrôle aux frontières, de coopération douanière et policière, d'entraide judiciaire, de lutte contre l'immigration clandestine et le trafic de stupéfiants. En revanche, l'entrée dans l'espace Schengen ne sera possible que sur délibération unanime des Etats membres de cet espace, après évaluation des progrès accomplis. Enfin, chacun des Dix devra mettre en oeuvre immédiatement un « plan d'action Schengen » afin d'assurer, sous le contrôle de la Commission, l'application effective des acquis, notamment pour le contrôle aux frontières extérieures de l'Union. Il s'agit donc d'un dispositif exigeant, imposé à la demande de la France avec l'appui de l'Allemagne, de l'Espagne et du Bénélux. En foi de quoi, pendant la période initiale, les contrôles aux frontières seront maintenus à l'intérieur de l'Union. Ce dispositif est sérieux, rigoureux et, de toute évidence, il est très largement préférable à la situation actuelle.
    L'article 4 concerne l'Union économique et monétaire. Il établit que les Dix ne font pas partie de la zone euro. Ils participent donc à l'Union économique et monétaire sous statut dérogatoire, à l'instar de la Grande-Bretagne. Leur entrée dans la zone euro supposera l'accord du Conseil en fonction du respect des critères de Maastricht, au plus tôt après 2006.
    Les dispositions institutionnelles sont réparties dans la deuxième et la troisième parties de l'acte d'adhésion. Plusieurs éléments entrent en jeu : d'une part, le traité de Nice a été adopté sur la base d'une Europe à vingt-sept à compter du 1er janvier 2005, or le traité concerne vingt-cinq pays à compter du 1er mai 2004 ; d'autre part, la Commission a décidé d'abréger son mandat d'un an, lequel prendra fin le 31 octobre 2004.
    Je vais vous présenter maintenant le dispositif qui en résulte.
    D'abord, la Commission. Le 1er mai, chaque nouveau membre disposera d'un commissaire, soit un total de trente membres. C'est à compter du 1er novembre que le nombre reviendra à vingt-cinq, soit un commissaire par Etat membre, les grands Etats, dont la France, abandonnant leur deuxième poste comme le prévoit le traité de Nice.
    Le Parlement européen, ensuite. Le traité de Nice plafonne à 732 le nombre des députés européens. Cette disposition prendra effet dès les élections de juin 2004. Les cinquante sièges réservés à la Bulgarie et à la Roumanie - respectivement dix-sept sièges pour la première et trente-trois pour la seconde - sont répartis entre les Vingt-Cinq, à l'exception de l'Allemagne et du Luxembourg. La France, la Grande-Bretagne et l'Italie, qui disposent aujourd'hui de quatre-vingt-sept sièges chacune et qui n'en auront plus que soixante-douze dans l'Europe à vingt-sept, en auront soixante-dix-huit pendant la prochaine législature ; ce nombre sera maintenu en cas d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie avant 2009, comme il est prévisible.
    Le Conseil, enfin. La pondération actuelle des voix est maintenue jusqu'au 31 octobre. La Pologne aura huit voix, comme l'Espagne ; la République tchèque et la Hongrie en auront cinq ; la Slovaquie, les pays baltes et la Slovénie trois ; Chypre et Malte deux. A compter du 1er novembre, c'est le système prévu à Nice qui prévaudra, mais dans une Europe à vingt-cinq. Si bien que la minorité de blocage et la majorité qualifiée s'en trouveront modifiées.
    Les troisième et quatrième parties de l'acte d'adhésion consacre l'acquis communautaire. Cet acte prévoit des adaptations permanentes et des dérogations transitoires.
    S'agissant des dispositions permanentes, l'acte renvoie aux annexes II, III et IV - soit plus de 2 500 pages -, qui « listent » toutes les modifications apportées aux directives et règlements en vigueur. La plupart sont de pure forme, mais d'autres, obtenues au terme de négociations plus ou moins difficiles, ont pour objet de tenir compte de la situation particulière des pays adhérents.
    Toutefois, l'Union européenne a imposé deux dispositifs à caractère transitoire. D'abord, elle a voulu limiter temporairement la libre circulation des travailleurs salariés des huit pays d'Europe centrale et, à cette fin, elle a prévu un dispositif en trois étapes : pendant trois ans, soit entre 2004 et 2006, les salariés des huit pays d'Europe centrale ne bénéficieront pas de la libre circulation ; au 1er mai 2006, chacun des Quinze pourra soit prolonger cette période transitoire pour trois ans de plus, soit accorder la libre circulation ; enfin, au 1er mai 2009, la libre circulation des travailleurs sera de droit, sauf pour les Etats qui revendiqueraient de prolonger pendant deux ans encore l'interdiction, en raison de troubles graves de leur marché du travail. C'est donc un système qui couvre sept années.
    Actuellement, cinq pays ont annoncé qu'ils ouvriraient leur marché du travail aux ressortissants des Dix dès le 1er mai 2004 : il s'agit de la Grande-Bretagne, de l'Irlande, de la Suède, du Danemark et des Pays-Bas. La France, quant à elle, a annoncé qu'elle maintiendrait l'état de droit actuel, qui soumet l'entrée des travailleurs étrangers sur notre marché du travail à autorisation administrative, au moins pendant les cinq prochaines années. Toutefois, l'expérience de l'élargissement à l'Espagne et au Portugal est plutôt rassurante : elle a montré que la mobilité du travail reste encore faible au sein de l'Union.
    Le deuxième dispositif imposé par l'Union concerne le transport routier. La Commission a imposé aux transporteurs de Dix des périodes transitoires, allant de deux à trois ans selon les pays, avant d'être autorisés à faire du transport interne dans les autres pays de l'Union.
    Parallèlement, des périodes transitoires ont été demandées par les pays candidats pour appliquer telle ou telle disposition de l'acquis communautaire. Sous la présidence française, l'Union européenne a posé des conditions strictes pour y faire droit : les dispositions ne devront pas porter atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur ; elles devront être très limitées et assorties d'un calendrier rigoureux d'alignement sur l'acquis en vigueur.
    Chacun des Dix, vous vous en doutez, avait des dérogations à demander, liées à des situations particulières. Elles constituent dix annexes très longues, propres à chacun des Etats adhérents. Toutefois, ces clauses spécifiques ne revêtent qu'un caractère marginal.
    J'en viens au volet agricole de l'acte d'adhésion. Dans l'ensemble, la politique agricole commune s'applique de plein droit aux dix nouveaux adhérents, qui doivent se plier à l'ensemble des règles qu'elle comporte et bénéficie de la politique de marché conduite par Bruxelles.
    Cependant, il n'en va pas de même des aides directes aux agriculteurs. Cette question a été de loin la plus difficile des négociations, aussi bien entre les Quinze eux-mêmes qu'entre les Quinze et les Dix. Les adhérents voulaient bénéficier immédiatement de ces aides, et on les compend. Parmi les Quinze, au contraire, certains pays contributeurs nets s'inquiétaient des conséquences financières de cette généralisation et s'opposaient à tout versement à ce titre.
    D'entrée de jeu, la France, soutenue par la Commission, a plaidé pour l'octroi des aide directes agricoles aux Dix sur une base progressive. Il était clair, en effet, qu'un refus pur et simple aurait créé en matière agricole une Europe à deux vitesses et donné un signal extrêmement dangereux à ceux qui contestent la politique agricole commune au sein de l'Union et à l'OMC.
    C'est la solution française qui a prévalu. En marge du sommet de Copenhague, en octobre 2002, le Président Chirac et le Chancelier Schroeder se sont entendus pour plafonner les dépenses agricoles de l'Union - dépenses de marché et aides directes - de 2007 à 2013 au niveau des plafonds de 2006, soit 45,3 milliards d'euros, majorés d'un taux d'inflation de 1 % par an. Du coup cette proposition, plutôt rassurante pour les Etats contributeurs, a été entérinée par les Quinze, qui ont en même temps accepté d'étendre les paiements directs aux Dix, selon un calendrier progressif étalé sur dix ans, de 2004 à 2013. En outre, les Dix ont été autorisés à compléter ces aides directes européennes par des aides nationales facultatives.
    Tel est le dispositif agricole. Il me paraît équilibré. La France accepte le plafonnement des dépenses de la politique agricole commune, ce qui induira évidemment une baisse modérée des subventions à nos agriculteurs. En échange, elle obtient la pérennisation de la politique agricole commune jusqu'en 2013, ce qui n'est pas rien.
    En outre, l'intégration de ces pays dans la politique agricole commune nous donnera un meilleur contrôle européen, tant sur le plan sanitaire qu'en matière de respect de l'ensemble des réglementations européennes. Il faut donc s'estimer plutôt satisfait de ces résultats.
    J'apporterai encore deux précisions.
    D'abord, dès le début de la négociation, les Quinze ont décidé que les Dix devront contribuer au budget communautaire selon les règles du droit commun. Evidemment, les Dix espéraient échanger la progressivité des aides agricoles contre un étalement de leur contribution budgétaire, mais ils ne l'ont pas obtenu.
    Ensuite, l'acte d'adhésion contient des clauses de sauvegarde, comme c'est le cas dans ce genre de négociation : une clause économique générale, destinée autant aux Quinze qu'aux Dix, pour faire face, entre autres, à un éventuel choc économique trop rude chez les Dix dans un secteur ou dans un autre ; deux clauses spécifiques concernant la protection du marché intérieur et la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile et pénale.
    Voilà pour le traité, l'acte d'adhésion et ses dix-huit annexes.
    S'y ajoutent dix protocoles portant sur des questions particulières, dont je vous épargerai le détail, sauf pour vous signaler que deux d'entre eux concernent Chypre : l'un préserve les droits britanniques dans les zones de souveraineté britannique ; l'autre organise les conditions d'adhésion de la République de Chypre, seule entité reconnue internationalement - il est précisé que le traité concerne l'île de Chypre dans sa totalité, mais que son application est suspendue dans la partie nord, où le gouvernement chypriote n'exerce pas un contrôle effectif.
    Enfin, un acte final récapitule l'ensemble des textes du traité. Quarante-quatre déclarations faites par les différents Etats membres y sont annexées ; elles sont d'intérêt et de portée générale. Je signalerai la déclaration commune des Vingt-Cinq intitulée « Une seule Europe ». De caractère très général, elle est principalement destinée à rassurer les autres candidats et elle rappelle que, pour la Bulgarie et la Roumanie, l'objectif est de les accueillir en 2007, et que la Turquie a bien le statut de pays candidat. Toutefois, et j'y insiste, ce texte n'apporte sur ces deux points aucun élément nouveau, ni de droit, ni de fait ; c'est un simple rappel qui n'a pas de portée juridique.
    Au total, cela fait 10 000 pages - que j'ai essayé de vous résumer rapidement - qui engagent vingt-cinq pays. Il s'agit, sans conteste, d'une des négociations les plus complexes de l'histoire diplomatique mondiale.
    Au moment où l'Assemblée nationale va se prononcer sur ce traité, je voudrais présenter maintenant plusieurs observations complémentaires, propres, je l'espère, à éclairer votre lanterne, mes chers collègues.
    D'abord, cet élargissement fait suite à quatre précédents : le 1er janvier 1973, pour le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark ; le 1er janvier 1981, pour la Grèce ; le 1er janvier 1986, pour l'Espagne et le Portugal ; enfin, le 1er janvier 1995, pour l'Autriche, la Finlande et la Suède.
    Toutefois, le présent élargissement a une signification nouvelle. Certes, sur le plan du poids économique, les dix pays candidats représentent moins de 4 % du PIB des Quinze, ce qui est fort peu. Toutefois, après l'adhésion, l'Union rassemblera 450 millions d'habitants sur près de 4 millions de kilomètres carrés, avec un produit intérieur brut global de 9 230 milliards d'euros. Manifestement, au niveau mondial, c'est l'ensemble qui a les plus grandes potentialités.
    Surtout, l'élargissement scelle la fin des tentations impériales de la Russie en Europe, la mort du grand schisme communiste qui a déchiré notre continent au XXe siècle, et l'unification de ce dernier pour la première fois de son histoire - et non sa réunification, comme on le dit souvent - par la volonté des peuples, démocratiquement exprimée. Il s'agit donc bien d'un bouleversement de l'histoire, aux conséquences futures considérables.
    De Charlemagne à Charles Quint, et de Charles Quint à Bonaparte, les tentatives d'unifier notre continent par la force ont toutes échoué. L'histoire de l'Europe, c'est le récit de nos guerres. Il nous revient désormais de faire de notre continent un espace de stabilité, de paix et de prospérité. C'est l'objet même du traité d'élargissement.
    On voit mal qui pourrait s'opposer à un tel projet : au nom du quoi, avec quels arguments, au nom de quels égoïsmes nationaux ou catégoriels et avec quelles analyses politiques ? Après cinquante ans d'occupation de l'Europe de l'est par l'Armée rouge, malgré les tentatives répétées d'insurrection que nous avons le plus souvent regardées avec indifférence, nous ne pouvons que nous réjouir que les chefs d'Etat et de Gouvernement, réunis à Copenhague les 21 et 22 juin 1993, aient pris la décision historique d'accueillir les pays d'Europe centrale et orientale.
    Il n'y avait pas d'autre décision possible, même si, au départ, le Président Mitterrand avait envisagé un autre projet, baptisé « Confédération européenne », qui créait des liens plus lâches entre ces pays et l'Union européenne, et ouverts à d'autres pays, notamment la Russie. Ce projet, comme vous le savez, fut d'emblée rejeté par les intéressés.
    Aujourd'hui, imagine-t-on un seul instant que la France pourrait refuser de ratifier le traité qui nous est soumis ? Imagine-t-on l'onde de choc qu'un tel refus produirait parmi tous les peuples d'Europe ? J'ajoute que le débat sur l'élargissement, puis la négociation européenne ont couvert une période de plus de dix ans sous deux présidents de la République et sept gouvernements, soit quatre gouvernements de gauche, et trois gouvernements de droite et du centre. Tous les groupes politiques représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat ont donc soutenu, à un moment ou à un autre, les gouvernements qui ont eu à conduire le projet d'élargissement. Qui voudra aujourd'hui se déjuger ?
    Je sais qu'avec l'élargissement on s'interroge sur l'avenir de la construction européenne. Beaucoup d'entre nous ont gardé à l'esprit que l'Europe des fondateurs, celle qu'avaient conçue Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, était un projet d'intégration. Ce projet a été préservé et poursuivi vaille que vaille en dépit des élargissements successifs. Il est clair qu'à vingt-cinq, et bientôt vingt-sept, voire plus, la nature du projet européen est remise en question, sans compter que les nouveaux adhérents, tout à la redécouverte de leur souveraineté nationale, ne sont pas prêts à y renoncer. Pour autant, il ne s'agit pas à proprement parler d'un abandon de notre idéal initial, même si celui-ci subit une réelle inflexion. Le débat entre l'Europe intégrée et l'Europe des nations est, chaque jour un peu plus, un débat d'hier. Ce que l'expérience nous enseigne et que, désormais, l'élargissement nous impose, c'est un projet où l'identité des nations et des peuples est pleinement respectée, mais où la responsabilité des décisions est de plus en plus partagée. C'est cela, la réalité de l'Europe d'aujourd'hui.
    M. Michel Hunault. Très bien !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Ceci m'amène à une deuxième observation.
    Les négociateurs français ont fait preuve, non seulement d'une belle continuité dans l'inspiration, mais aussi d'une réelle efficacité pour faire valoir avec succès nos principales préoccupations. En ce qui concerne en particulier les cinq points clés - la libre circulation des personnes et le contrôle aux frontières, c'est-à-dire les questions de sécurité et d'immigration, l'accès des ressortissants des Dix au marché du travail des Quinze, le dispositif concernant la politique agricole commune, la reprise de l'acquis communautaire et les clauses de sauvegarde - le traité répond très exactement aux demandes françaises, et, comme souvent en matière européenne, nos préoccupations vont à la rencontre de l'intérêt général de l'Union.
    Ce n'est donc pas un élargissement au rabais.
    Le seul regret - et il est de taille - que nous avons lieu d'exprimer concerne les institutions de l'Union. Il est clair que, sur ce point, le traité d'Athènes n'est pas satisfaisant, parce qu'il ne règle pas les problèmes que chacun connaît : le caractère pléthorique de la Commission, la présidence du Conseil réduite à l'impuissance, si ce n'est au ridicule, et le processus de décision de l'Union paralysé par la règle de l'unanimité.
    Mais, s'il en est ainsi, c'est que, sur le plan institutionnel, le traité d'Athènes ne fait qu'adapter à la marge les dispositions du traité de Nice, tandis que la réforme des institutions se traite dans un autre cadre, celui de la CIG en cours. Mais je veux confirmer ici qu'avec les institutions actuelles, avec le traité de Nice, l'Europe à vingt-cinq entrerait dans une période sombre de paralysie. La réforme est bien une condition sine qua non de l'élargissement.
    Je voudrais maintenant tenter d'apporter une réponse à cette question très importante : les pays candidats sont-ils prêts ?
    La Commission, sur mandat du Conseil européen et à la demande expresse de la France, a présenté chaque année un rapport sur l'état de préparation des pays candidats. Le dernier en date, qui vient d'être rendu public, permet de porter les appréciations suivantes :
    Les Dix remplissent les critères politiques de Copenhague et disposent d'une économie de marché viable. Dans l'ensemble, il semble bien que la capacité administrative générale de ces pays ait évolué. La Commission exprime ainsi un satisfecit global pour les progrès accomplis par les administrations publiques. Toutefois, elle note - et ce n'est pas pour nous surprendre - que « le taux de corruption reste élevé dans les pays adhérents, voire très élevé dans certains cas ».
    S'agissant enfin de l'intégration de l'acquis communautaire, la Commission a établi trois catégories :
    Première catégorie, les domaines pour lesquels un pays est prêt ;
    Deuxième catégorie, les domaines qui nécessitent des efforts accrus et un rythme de progrès plus soutenu ;
    Troisième catégorie, les domaines particulièrement préoccupants.
    Selon la Commission, dans 70 % des cas, il n'y a déjà plus de problèmes ; dans 27 % des cas, des efforts restent à accomplir mais le calendrier devrait être respecté d'ici au 1er mai 2004 ; reste 3 % des dossiers, soit 39 cas, qui sont « très préoccupants ». Ce n'est pas négligeable mais, à titre de comparaison, puis-je vous rappeler qu'actuellement 2 228 procédures d'infraction sont en cours pour les quinze Etats membres ! Un peu de modestie ne nous ferait donc pas de mal en cette circonstance.
    C'est l'agriculture qui vient en tête des dossiers difficiles, ce qui ne vous étonnera pas. Tout comme vous ne serez pas étonnés d'apprendre que c'est la Pologne qui a pris le plus de retard dans la mise en oeuvre des dispositions de l'acquis communautaire.
    Je tire de cela trois conclusions pratiques :
    D'abord, dans l'ensemble, la Commission a bien assumé sa mission de contrôle et de suivi, elle devra continuer à la faire après l'adhésion.
    Ensuite, comme l'a rappelé tout à l'heure le Premier ministre, les Dix ont fait des efforts considérables qui méritent d'être salués. Ils sont aujourd'hui dans un état de préparation qui, s'il n'est pas parfait, ce qui est normal, est sans doute peu éloigné de ce que devait être l'état de préparation de certains pays lors des élargissements précédents.
    Enfin, il faut exiger, notamment des pays qui sont à la traîne, l'application intégrale des engagements souscrits. La Commission devra y veiller et nous avec elle.
    Voyons maintenant - et ce sera l'une de mes dernières observations, monsieur le président - quelles sont les conséquences économiques de l'élargissement. Pour les Dix, elles sont évidemment positives : les perspectives d'adhésion, les réformes imposées par l'Union, la reprise de l'acquis communautaire sont autant de facteurs favorables qui encouragent les investissements étrangers, stimulent la consommation intérieure et augmentent très sensiblement leur potentiel de développement. En contrepartie, il est vrai, le chômage y est élevé, tout comme les déficits budgétaires.
    Les Dix bénéficient évidemment d'un avantage concurrentiel évident sur les Quinze en matière de salaires. Celui-ci est compensé partiellement par un écart de productivité important. En outre, l'application des directives sociales de l'Union sera très coûteuse pour l'économie des Dix au cours des dix prochaines années. Mais cet avantage concurrentiel n'en demeure pas moins effectif et il a, pour nos activités de main d'oeuvre, de réelles conséquences même si celles-ci ne sont que momentanées.
    Toutefois, dans l'ensemble, l'élargissement devrait aussi profiter très largement aux Quinze.
    En effet, l'économie des pays candidats est chaque jour un peu plus tournée vers les marchés européens. C'est ainsi que la France a quadruplé ses exportations vers les Dix en dix ans pour atteindre 15 milliards d'euros dont la moitié vers la Pologne. C'est plus que ce que nous exportons vers la Chine ou l'Amérique latine. Et le mouvement s'amplifie au niveau des investissements. La France y occupe une place de choix avec l'Allemagne, avec 20 % au total des investissements étrangers dans ces pays. Nous sommes désormais les premiers investisseurs en Pologne. Plus de 1 500 entreprises françaises - M. le Premier ministre a rappelé ce chiffre - sont déjà implantées en Europe centrale et elles y emploient plus de 300 000 salariés.
    Bref, le bilan économique de l'élargissement est et sera de plus en plus positif pour les uns, les Dix, comme pour les autres, les Quinze.
    Je voudrais conclure en évoquant deux sujets controversés.
    D'abord, l'environnement.
    L'héritage environnemental de l'ère communiste en Europe centrale et orientale est désastreux.
    M. Denis Merville. C'est vrai !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Notamment dans trois domaines : la sécurité nucléaire, les installations industrielles, la gestion de l'eau et des déchets urbains.
    L'Union européenne a donc été exigeante dans ce domaine : l'acte d'adhésion impose que toutes les nouvelles installations soient conformes aux normes européennes.
    Pour l'existant, l'Union a exigé la mise aux normes pour le 1er mai 2004 dans les domaines de l'eau, de l'air, des déchets et de la protection de la nature.
    L'Union n'a accepté de déroger que pour 15 directives sur 149, avec des périodes transitoires allant de deux à sept ans, ce qui est légitime quand vous noterez que la BERD a évalué à 100 milliards d'euros le coût de la mise aux normes, qui sera pour l'essentiel à la charge des pays adhérents.
    Enfin, l'Union a exigé la fermeture de deux centrales nucléaires sur cinq, l'une en Lituanie et l'autre en Slovaquie.
    Malgré toutes ces précautions, l'environnement restera encore longtemps un point faible du dispositif et les Quinze devront continuer à se montrer vigilants pendant les mois à venir. Mon dernier commentaire est d'ordre financier.
    Second sujet controversé, le coût de l'élargissement.
    Celui-ci reste et restera limité, même si, naturellement, il n'est pas négligeable, solidarité oblige.
    Dès avant l'adhésion, l'Union a fait le choix d'aider les pays d'Europe centrale et orientale. En 1990, elle avait créé le programme PHARE pour contribuer à la remise à niveau de la Pologne et de la Hongrie. En 1995, le Conseil a élargi ce dispositif et en a créé deux autres pour aider à la modernisation des pays candidats. Au total, de 1990 à 2003, l'Europe aura dépensé près de 20 milliards d'euros.
    Par ailleurs, le Conseil a fixé à Berlin, en décembre 1999, à 42,5 milliards d'euros l'enveloppe financière destinée aux Dix pour la période post-adhésion 2004-2006. Les négociations se sont tenues à ce chiffre, ramené à 27 milliards d'euros de crédits de paiement réellement versés aux dix d'ici à 2006. Mais, pour apprécier le coût net pour les Quinze, il faut déduire les 13,1 milliards que les nouveaux adhérents verseront au titre de leur contribution budgétaire. Reste 14,8 milliards d'euros. Voilà le coût net de l'élargissement pour les trois prochaines années. Faut-il rappeler que le PNB de l'Union européenne est de 9 360 milliards d'euros ? Le coût est donc de 1,5 pour les pays de l'Union européenne. Cela devrait être supportable !
    La contribution française aux dépenses budgétaires de l'Union est estimée à environ 17 %, soit 900 millions par an, pour une contribution annuelle au budget communautaire de l'ordre de 16 milliards. Nous serons donc le deuxième contributeur après l'Allemagne. La France remplit ainsi son devoir de solidarité en Europe.
    Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, pour conclure, je vous propose trois mots :
    D'abord, « ratification ». Il faut ratifier sans réserve le traité qui vous est proposé. C'est l'avis de la commission des affaires étrangères. Ce traité est la meilleure synthèse possible entre notre vision européenne et nos intérêts.
    M. Michel Hunault. Très bien !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Ensuite, « vigilance ». Il faudra que la France soit vigilante jusqu'au bout pour que l'ensemble de l'acquis communautaire soit appliqué et mis en oeuvre par les Dix. Nous sommes largement comptables de l'intérêt national.
    Enfin, « exigence ». Nous comptons sur le Gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour que le texte élaboré par la Convention européenne débouche sur un traité qui adopte la nouvelle Constitution, condition indispensable pour garantir que l'élargissement ne débouchera pas sur une impasse tragique où se noierait notre engagement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
    M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, si tout se passe conformément à nos souhaits, en 2004, l'Europe vivra deux événements majeurs : son élargissement à dix nouveaux membres, l'adoption d'institutions nouvelles pour l'Union.
    On aurait pu souhaiter que ces deux décisions ne soient pas prises quasiment au même moment, que la réforme institutionnelle précède l'élargissement. Ce n'est pas le cas, n'y revenons pas. Aujourd'hui, c'est sur l'élargissement que notre assemblée doit se prononcer et sur cela seulement, même s'il nous est difficile de ne pas évoquer les conditions institutionnelles futures dans lesquelles une Union européenne à vingt-cinq devra fonctionner.
    Inutile de revenir sur ce qu'a dit fort bien M. le Premier ministre s'agissant du sens que revêt pour l'Europe et pour la France cet élargissement, ni sur ce qu'a exposé le rapporteur de la commission, M. de Charette, dans son analyse extrêmement précise du traité.
    Les choses sont simples : l'élargissement est un événement politique majeur, qui tire un trait sur la funeste division de l'Europe héritée de la Seconde Guerre mondiale ; c'est un défi économique redoutable, car il s'agit d'amener 75 millions d'hommes à un niveau de vie comparable à celui des 375 millions qui composent l'Europe à quinze ; enfin, c'est un pari institutionnel, car nous voilà confrontés, cette fois à vingt-cinq et non plus seulement à quinze, au sempiternel dilemme européen quant aux parts respectives de ce qui est fédéral et de ce qui est intergouvernemental dans les institutions de l'Europe.
    A ce sujet, qu'il me soit permis de dire en passant combien je souhaite la réussite de la Conférence intergouvernementale, combien je soutiens l'adoption d'une Constitution aussi proche que possible du projet issu de la Convention, tout en indiquant que je ne le souhaite pas au prix de n'importe quelle concession de dernière minute. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nul ne peut souhaiter l'échec de la Conférence intergouvernementale, mais nul ne devrait souhaiter un succès acquis aux dépens des intérêts à long terme de l'Union européenne. Je suis suffisamment attaché à la réussite durable de l'Europe pour envisager sans crainte que les discussions durent un peu plus longtemps que prévu.
    M. René André. Très bien !
    M. Jacques Myard. C'est trop tard !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Revenons au sujet d'aujourd'hui.
    Pour nous, qui sommes favorables à cet élargissement, nos objectifs sont triples : étendre la zone de paix que nous connaissons à une plus grande partie de l'Europe, créer une zone de prospérité et de solidarité qui fasse participer tous les Européens au progrès économique, enfin, créer une zone de puissance qui permette à l'Europe de mieux maîtriser son destin. Ces trois objectifs sont à notre portée, pour peu que nous le voulions tous et que nous sachions mettre une volonté ferme au service de nos espoirs.
    M. Jacques Myard. Ce sera dur !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Pour autant, nous ne devons pas nous dissimuler les difficultés ni les problèmes : les dix nouveaux membres représentent 23 % du territoire de l'actuelle Union européenne, 20 % de sa population et 5 % de sa production économique. Ces chiffres suffisent à montrer l'ampleur de la tâche qui nous attend. Certes, il ne faut pas mésestimer l'effort par les pays candidats : même si, aujourd'hui, tous leurs problèmes ne sont pas réglés, ainsi que l'a relevé la Commission, ils ont accompli depuis dix ans des progrès considérables.
    M. Hervé Novelli. Tout à fait !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Cependant, beaucoup reste à faire.
    Pour l'avenir, nous devons nous poser deux questions. Comment vivre à vingt-cinq au lieu de quinze ? Quelles ambitions véritables vont nous rassembler ?
    Comment vivre à ving-cinq ? De façon difficile, nul n'en peut douter. Les processus de décision vont être plus lents, l'affrontement des sentiments plus vif, l'opposition des intérêts plus évidente. L'augmentation du nombre des Etats membres se traduira inévitablement par la multiplication des sous-ensembles géographiques, historiques ou politiques, qui rendra plus malaisée la réalisation d'un équilibre prenant en compte les souhaits de tous. Les règles nouvelles de prise des décisions que nous propose le projet de Constitution, et qui portent aussi bien sur le calcul de la majorité que sur la réduction du domaine de l'unanimité, nous y aideront.
    Quel doit être notre objectif ? Il s'agira pour l'essentiel de réduire les écarts de développement entre les divers pays. Qui ne voit que ce sera une tâche longue et ardue ? Rappellerai-je que l'Espagne, le Portugal et la Grèce s'y emploient depuis près de vingt ans et qu'ils n'ont pas encore, je crois, atteint la moyenne européenne ?
    Soyons conscients des difficultés que nous devrons affronter : mécanismes de prise de décision générant pesanteur et lenteur, mais aussi différences des niveaux de vie qui ne pourront être atténuées qu'au prix de longues années d'effort commun, et en modifiant, comme M. le Premier ministre l'a rappelé, la géographie des activités industrielles, agricoles ou tertiaires, parfois au dépens des intérêts de notre pays et enfin, conséquences budgétaires et financières lourdes, notamment pour la France.
    En particulier, sans y insister trop dès aujourd'hui, comment ne pas mentionner que l'augmentation des dépenses dues à l'élargissement, jointe à la réforme des politiques communes, fera de la France un contributeur net plus important, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes pour la gestion budgétaire de notre pays ? J'espère que cela a été rappelé dans les discussions de la nuit dernière, monsieur le Premier ministre, pour susciter quelque compréhension de la part de nos partenaires... (Sourires.)
    Qui ne voit pas que sera alors nécessairement posée la question de ce qu'il est convenu d'appeler le « chèque britannique », dont la France supporte le coût dans des propositions croissantes ?
    M. Loïc Bouvard et M. Jacques Myard. Tout à fait !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Notre pays, je le rappelle, le finance aujourd'hui à hauteur d'un tiers contre un quart en 1999.
    M. Jacques Myard. C'est scandaleux !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. En 2004, 1,3 milliard d'euros seront prélevés à ce titre sur notre budget et, selon certaines estimations, la France pourrait être amenée à verser en 2013 2,6 millards d'euros, soit le double d'aujourd'hui.
    Concluons sur ce premier point : il va falloir nous armer de patience, de volonté, mais aussi de désintéressement.
    Deuxième question, quelles sont nos ambitions véritables et jusqu'où voulons-nous aller ensemble ? L'Union européenne à vingt-cinq bornera-t-elle ses ambitions à la réalisation d'un grand marché avec des politiques communes, ou utilisera-t-elle pleinement les moyens nouveaux que lui offre, dans le domaine politique, le projet de Constitution ?
    Il n'est désormais plus interdit de dire, comme je l'avais fait dès 1994, que l'Union européenne ne sera pas et ne pourra pas être une organisation uniforme et homogène. Cette Europe diverse a toujours existé, aussi bien dans ses objectifs que dans ses structures. Elle a été suffisamment souple pour permettre à ceux qui voulaient aller plus vite ensemble de le faire, entre autres pour les questions monétaires, de sécurité intérieure et de défense. C'est ce que j'ai proposé d'appeler un « cercle avancé », rassemblant les pays plus ambitieux.
    M. Jacques Myard. Le sujet mérite d'être discuté !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Il ne serait pas réaliste de croire que les dix nouveaux membres de l'Union seront en mesure d'y être associés avant de longues années. Dans un premier temps, les Etats constituant le cercle avancé seront ceux de l'Europe de l'Ouest, qui pratiqueront entre eux une coopération politique et militaire plus étroite.
    M. René André. Très bien !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Pour autant, tous les autres Etats européens devront y être accueillis, dès lors qu'ils seront en mesure de le souhaiter.
    Mais, dès demain, que de questions vont se poser à nous !
    Il faudra retrouver la croissance et l'emploi sur tout le continent, ce qui suppose des réformes intérieures souvent difficiles...
    M. Hervé Novelli. Tout à fait !
    M. Edouard Balladur, président de la commission.  ... - et nous vous sommes reconnaissants, monsieur le Premier ministre, d'en avoir engagé certaines et d'en avoir mené d'autres à bien -, et il faudra assouplir le pacte de stabilité. J'ai l'impression que la tâche a été entreprise... (Sourires.)
    Il faudra organiser une meilleure défense de l'Europe par elle-même en associant étroitement notre pays aux Etats européens qui le souhaitent comme nous ; chacun sait que ce n'est pas encore le cas de tous. Il est nécessaire aussi de donner un sens nouveau à l'Alliance atlantique et de mettre fin aux sempiternels procès d'intention que suscite toute tentative d'organisation militaire de l'Europe.
    M. René André et M. Loïc Bouvard. Très bien !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Nous devons également nous décider à dire clairement quelles frontières géographiques on fixe à l'Union européenne.
    Il faudra aussi élaborer, à l'intention de nos voisins les plus proches, un statut de partenaire privilégié qui pourra, pour certains d'entre eux, être un statut d'attente en vue de leur adhésion éventuelle, et dont la durée ne peut guère être fixée dès aujourd'hui.
    M. Philippe de Villiers. La Turquie !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Il faudra enfin préciser la façon dont, au sein du « cercle avancé » dont je souhaite la constitution, pourront être prises les décisions.
    En somme, il va nous falloir apprendre à vivre ensemble. La crise internationale suscitée par la situation en Irak et les débats sur l'avenir de l'Alliance atlantique et la défense européenne ont montré que, déjà, ce n'était pas toujours facile à quinze. Qu'en sera-t-il à vingt-cinq ?
    M. Jacques Myard. That is the question !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Soyons lucides : cet élargissement n'est pas un aboutissement, mais une étape.
    M. Jacques Myard. C'est un commencement.
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Il nous faut impérativement réussir.
    Pour cela, gardons-nous de toute fuite en avant. Ne nous hâtons pas vers de nouveaux élargissements avant même d'avoir fait le bilan de celui que nous décidons aujourd'hui. Méfions-nous de tout emballement technocratique. A cet égard, les propos tenus par ceux qui veulent aller toujours plus vite et toujours plus loin sur la voie de l'élargissement m'inquiètent parfois. Nous devons faire une pause et analyser calmement et sérieusement l'évolution de la situation, avant d'imaginer les étapes suivantes, qui ne devront pas laisser à l'écart les pays du Sud. C'est là que le statut de partenaire privilégié de l'Union, qui est souvent proposé, aurait tout avantage à être défini clairement.
    M. François Loncle. Très bien !
    M. Edouard Balladur, président de la commission. A l'unanimité des votants, notre commission s'est prononcée en faveur de l'élargissement de l'Union à dix nouveaux membres.
    Vous l'avez compris, monsieur le Premier ministre, je souhaite que cet élargissement coïncide avec un véritable renouvellement des idées, qui ne se bornerait pas à transposer purement et simplement aux années 2000 ce qui a été rêvé il y a un demi-siècle. Tout commence pour une nouvelle conception de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l'élargissement de l'Europe à dix nouveaux pays est, vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre, un événement historique qui est pour l'Union à la fois une grande chance et un réel défi.
    Au moment où l'Europe est au seuil de son unification, et sur le point de réaliser un rêve inaccessible à tant de générations d'Européens, il faut d'abord proclamer notre enthousiasme, notre joie de refermer définitivement la parenthèse terrible et cruelle de la division de l'Europe au XXe siècle, pour bâtir ensemble dans la paix la nouvelle Europe. Personne ne doute de la portée symbolique de l'unification du continent européen, et le succès spectaculaire des référendums dans les pays candidats traduit à la fois l'attractivité de l'Union et l'aspiration profonde de leurs populations à nous rejoindre. Refuser l'élargissement à ces pays qui, pour huit d'entre eux, se sont libérés du totalitarisme communiste, nous ont délivrés pacifiquement de Yalta et ont fait tomber le mur de Berlin, serait une faute historique. Dire oui à l'élargissement, c'est montrer notre solidarité avec eux et consolider la paix sur notre continent, dans la droite ligne du projet des pères fondateurs.
    M. René André. Très bien !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. L'élargissement constitue également un double défi - celui de l'élargissement lui-même et de celui de l'approfondissement de l'Union européenne - que les 450 millions d'Européens ne relèveront que s'ils l'envisagent comme une chance au lieu de le subir comme une fatalité. Or, il est capital que l'opinion ne se laisse pas abuser par des contresens suscités par des craintes injustifiées, souvent attisées par la démagogie de la peur et du repli.
    A l'inquiétude suscitée par les bouleversements économiques et géopolitiques provoqués par la mondialisation et le retour du terrorisme, il faut répondre que l'élargissement accroît les garanties, consolide la sécurité et crée les conditions d'un nouveau dynamisme, à l'échelle de l'Europe et du monde. L'élargissement est d'abord un réducteur d'incertitude économique et politique. L'ancrage des pays candidats à l'Union européenne a déjà favorisé la contagion démocratique et apaisé en leur sens des conflits entre minorités. Il a également déterminé ces pays à s'engager en un temps record dans la transposition de l'acquis communautaire et dans des réformes de structure irréversibles dans le domaine économique. L'élargissement est ensuite un régulateur de la concurrence et du marché, grâce à des préoccupations sociales et environnementales. Enfin, l'élargissement est un multiplicateur de croissance à long terme, en intégrant des économies aux besoins non saturés et aux populations bien formées.
    Les changements positifs intervenus dans les pays candidats depuis dix ans ont ouvert de nouveaux marchés et promettent de nouveaux débouchés. Le basculement de leurs échanges extérieurs de l'Est vers l'Ouest s'est d'ailleurs traduit par un excédent global de la balance commerciale de l'Union européenne, et donc déjà par un avantage en termes d'emplois pour les Quinze, notamment la France. Leur croissance soutenue et plus élevée que celle des Quinze est un facteur de relance de l'économie européenne qui aura un impact positif sur les exportations et les investissements. Il a déjà été constaté dans notre pays, notre rapporteur, M. de Charette, l'a souligné. En outre, ces sociétés disposent d'un atout majeur : le haut niveau de formation de leur population. Ces pays ne seront pas un frein, mais un aiguillon pour l'Union, dans sa volonté de devenir l'économie la plus innovante et la plus dynamique du monde en 2010, conformément aux objectifs exprimés à Lisbonne.
    Le coût budgétaire de l'élargissement aux dix pays adhérents se sera élevé à 69,5 milliards d'euros pour la période 1990-2006. Il aura ainsi représenté, sur ces dix-sept années, un peu moins de 1 % du PNB annuel de l'Union européenne - celui de 1999 -, soit une dépense annuelle moyenne de 0,005 % du PNB de l'Union.
    Les pays candidats ont par ailleurs attiré, depuis 1989, plus de 150 milliards d'euros d'investissements en provenance des pays développés. Ces investissements ont été déterminants pour la restructuration des entreprises et la modernisation des économies.
    Certes, le risque de délocalisation existe, compte tenu des disparités des coûts de la main-d'oeuvre. Mais, outre que le phénomène est en partie compensé par une moindre productivité du travail salarié, il a déjà eu lieu, et dans des proportions limitées. De plus, mieux vaut que les délocalisations éventuelles se produisent dans le respect des règles sociales, environnementales et de concurrence de l'Union qu'en dehors de toute réglementation.
    Au moment de leur adhésion, l'écart de richesse et de coût du travail entre l'Espagne ou le Portugal et le reste de l'Union européenne n'a pas entraîné un déménagement des entreprises des autres membres de l'Union, alors qu'en 1988, le PIB par habitant de ces deux pays se situait respectivement à 72 % et 59 % de la moyenne communautaire. On a constaté en revanche une montée rapide des échanges. Cela sera peut-être plus long cette fois-ci, compte tenu des disparités économiques entre certains des Dix et les Quinze, mais il ne faut pas méconnaître la dynamique propre de l'intégration de 75 millions de nouveaux consommateurs au marché européen.
    Cette expérience montre également qu'un risque d'immigration massive est peu probable. Les pays adhérents devront respecter scrupuleusement les engagements pris dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Le principe de reconnaissance mutuelle est la pierre angulaire de l'espace judiciaire européen ; il en va de même pour la levée effective des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen, qui n'interviendra que dans un deuxième temps, après l'adhésion formelle des nouveaux membres à la convention de Schengen.
    La question est maintenant de savoir si les pays adhérents tiendront tous les engagements prévus au traité. Certains retards et lacunes soulignés par Hervé de Charrette dans son rapport ne doivent pourtant pas cacher les progrès considérables déjà accomplis. Les mesures à prendre d'urgence ne portent que sur 5 % environ des dossiers d'alignement sur l'acquis communautaire, et 39 dossiers seulement suscitent des préoccupations sérieuses sur les 1 400 examinés. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter outre mesure. Il est en effet peu probable que les gouvernements relâchent leurs efforts, car les conséquences de délais supplémentaires pèseraient sur les pays adhérents, et non sur les Quinze : soit ils entraîneraient le déclenchement de clauses de sauvegarde qui priveraient alors leurs produits ou services de l'accès au grand marché ; soit ils provoqueraient un report, total ou partiel, de l'octroi des aides régionales ou agricoles. Aucun gouvernement des pays adhérents ne pourrait justifier auprès de son opinion un retard dans les réformes qui aboutirait à priver leur population des avantages de l'accès au marché unique et aux aides de l'Union européenne, outre qu'il les placerait en position de débiteurs, et non plus de bénéficiaires nets des fonds communautaires.
    L'unification du continent ne referme pas seulement les pages douloureuses et cruelles du passé. L'Europe est aussi un projet généreux et ambitieux. Rien n'aurait été pire après la chute du mur de Berlin que de laisser subsister un mur entre Ouest et Est, entre pays riches et pays moins riches. Il faut faire à nouveau le pari, déjà gagné dans le passé, de la prospérité partagée, d'une dynamique des échanges économiques, culturels, politiques, bénéfique pour tous, membres actuels et nouveaux adhérents. Rien n'aurait été pire que, par égoïsme et peur non justifiée de l'avenir, l'Europe refuse de s'ouvrir à des peuples qui se considèrent depuis toujours comme européens, et se sont battus contre le totalitarisme, au prix parfois de leur sang - et je pense aux héros, comme Jan Palach ou le père Popieluszko - pour le devenir plus encore.
    L'unification ouvre aussi le grand livre de l'avenir de l'Europe. Sa perspective a en effet amené les Européens à se prononcer sur la future réforme institutionnelle, qu'ils avaient éludée lors des élargissements précédents. Après le succès de la Convention, à laquelle les pays candidats étaient associés, il subsiste chez eux le souci que la future réforme respecte l'égalité des droits entre Etats membres.
    Il nous faut convaincre certains d'entre eux qu'une Europe forte rend chacun des Etats plus fort et que la Convention a voulu sortir de la logique de confrontation entre Etats pour proposer un nouvel équilibre qui préserve leurs droits. En ma qualité d'ancien conventionnel, je voudrais leur dire que la formule de la double majorité, qui fait encore litige, protège les droits des petits et des grands pays puisqu'une loi européenne ne pourra être adoptée contre l'avis des petits et moyens Etats membres - majoritaires en nombre au Conseil - ni sans le concours des grands pays, nécessaire pour représenter 60 % de la population.
    De même, la coopération structurée en matière de défense, qui semble les inquiéter, répond à la nécessité de concilier l'égalité des droits des vingt-cinq Etats membres avec l'hétérogénéité des volontés et des capacités. La différenciation a toujours existé dans l'Union, à l'instar de Schengen ou de l'euro, sans porter atteinte à l'égalité de droits des Etats, dès lors qu'elle présente un caractère ouvert, évolutif et inclusif.
    Le débat n'est donc pas entre différenciation ou non, mais entre différenciation dans ou hors du cadre de l'Union. La Convention retient la première formule avec la coopération structurée, qui rend possible un groupe pionnier ouvert à ceux qui le veulent et le peuvent, comme vous l'avez dit, monsieur Balladur, et auquel d'autres pourraient se joindre ultérieurement.
    Il n'y aura pas d'Europe forte, présente et influente sur la scène internationale, sans une défense européenne. La France a raison, après l'adoption par la Convention du principe de coopération structurée, de rester ferme sur le sujet à la conférence intergouvernementale et, parallèlement, de prendre des initiatives fortes pour avancer. C'est ainsi que les discussions avec l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, mais aussi, hier encore, avec la Grande-Bretagne, montrent la voie. Il faut là encore rassurer et montrer que l'existence d'avant-gardes ouvertes à ceux qui voudront s'y associer est indispensable pour permettre à l'Europe politique de prendre son destin en mains.
    M. René André et M. Loïc Bouvard. Très bien !
    M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Les pays adhérents redoutent parfois que l'Europe politique se fasse contre les Etats-Unis, et souhaitent maintenir un lien transatlantique très étroit. On peut comprendre leur position, liée à leur histoire et à leur inquiétude persistante à l'égard de leur grand voisin russe, ainsi qu'aux lacunes actuelles de la défense européenne dont ils doutent de la capacité à garantir leur sécurité.
    Mais, là encore, nous devons les convaincre que ce besoin légitime de sécurité nécessite précisément le développement d'une politique étrangère et de défense commune de l'Union, complémentaire de l'OTAN, avec l'objectif non pas de remplacer l'Alliance atlantique mais de la rééquilibrer. Il nous faut leur expliquer qu'il peut et doit y avoir alliance sans allégeance.
    Ces positions exigent de nous un dialogue toujours plus intense avec eux pendant la conférence intergouvernementale, dont je souhaite le succès rapide, mais aussi dans les temps qui viennent. L'Europe politique nécessitera ténacité et patience, comme l'euro a nécessité ténacité et patience.
    Enfin, l'Union européenne doit redéfinir ses relations avec son nouveau voisinage, ce qui concerne bien sûr les pays adhérents, et inventer des formules de partenariat différencié prévues d'ailleurs par la Convention. L'Europe doit définir ses frontières et l'Union européenne ne peut pas exporter sa stabilité et sa prospérité chez ses voisins par un développement sans fin des adhésions. Il convient d'inventer d'autres formules pour apporter moins que l'adhésion, mais plus que les coopérations ou associations actuelles.
    Mais la recomposition des relations de l'Union avec son voisinage ne réussira qu'en respectant deux conditions. D'une part, il sera indispensable de faire une pause réelle après l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007 pour donner à l'Union européenne le temps d'absorber ce vaste élargissement, le plus grand en nombre d'Etats depuis sa création. D'autre part, la Méditerranée doit être prioritaire pour la politique étrangère de l'Union européenne, afin de relancer un partenariat euroméditerranéen dont l'esprit répond à la nécessité d'éviter un affrontement entre l'Islam et l'Occident.
    Je me prononce sans hésiter pour la ratification du traité d'adhésion. La délégation pour l'Union européenne a suivi le processus d'élargissement depuis son origine et organisé au début de l'année des missions approfondies de son rapporteur principal, René André, et de ses dix rapporteurs dans chaque pays. Au terme de cette étude, elle a conclu à l'adoption à l'unanimité du traité d'adhésion pour l'ensemble des dix pays, avant sa signature en avril, comme l'a fait la commission des affaires étrangères il y a quelques jours.
    L'unification de l'Europe est une bonne nouvelle pour la paix, elle est une chance pour sa prospérité, elle peut être le levier de son retour sur la scène internationale comme acteur de premier plan. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ensemble, nous ouvrons aujourd'hui une nouvelle phase de la construction européenne, cette « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe » instituée voici près de cinquante ans.
    Avec cet élargissement, le cinquième de son histoire, l'Europe avance avec détermination vers l'unification du continent. Elle retrouve ainsi progressivement ce visage ébauché au temps du Moyen Age et qui paraissait, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, perdu à jamais face à la logique des blocs. En se fixant, dès la fin des années cinquante, des objectifs ambitieux, à savoir la paix et la prospérité pour l'ensemble du continent, l'Union européenne a clairement tracé le chemin que nous empruntons aujourd'hui.
    Cet élargissement représente un défi sans précédent comme l'ont rappelé tour à tour votre rapporteur, Hervé de Charette, et le président Balladur : par le nombre des candidats, jamais connu par le passé, par le faible niveau de développement économique et social de ces pays. La tâche qui s'est présentée à l'Union européenne au lendemain de la chute du mur de Berlin a pu apparaître à beaucoup d'entre nous comme un chantier d'une complexité exceptionnelle. Et pourtant, aujourd'hui, nous voici parvenus au terme d'une négociation de plus de cinq ans qui nous a permis de surmonter tous les obstacles et de parvenir au traité soumis ce soir à votre approbation.
    Ce résultat, nous l'avons obtenu en portant haut l'exigence.
    L'exigence, d'abord, de la fidélité à l'histoire : il n'était pas envisageable de laisser les pays de l'Europe orientale et centrale à l'écart de notre construction européenne après tant d'années passées sous le joug des régimes communistes.
    M. Loïc Bouvard. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. A l'heure de l'espoir, né de leur libération, comment aurions-nous pu leur refuser ce retour au sein de la maison commune ? C'est bien ce sentiment d'une même appartenance à la famille européenne qui nous a conduits ensemble, au travers de négociations souvent difficiles, au succès final en maintenant entre nous les liens de la confiance.
    L'exigence, ensuite, de préserver l'intégrité de la construction européenne : tout au long des discussions qui se sont déroulées avec les nouveaux partenaires, il s'est agi d'accepter les avantages, mais aussi les contraintes de l'acquis communautaire. Des périodes de transition sont ainsi prévues, qu'il s'agisse de Schengen, de la monnaie unique ou de certains secteurs sensibles comme le marché du travail. Des mesures de sauvegarde ont été mises en place au cas où des risques de perturbation apparaîtraient. Comme l'a souligné votre rapporteur, tout cela n'a pu se faire qu'à travers un formidable effort d'adaptation des économies de ces pays aux lois du marché économique. Nous devons tous être conscients des sacrifices qu'a pu représenter ce processus de modernisation pour chacun des nouveaux adhérents à l'Union. Et le succès spectaculaire des référendums organisés dans tous ces pays témoigne, comme l'a rappelé le président Lequiller, que les peuples de cette nouvelle Europe ont relevé le défi avec confiance et détermination.
    L'exigence, enfin, de contenir dans des limites supportables le coût de ce nouvel élargissement. Le président Balladur et votre rapporteur y ont fait allusion pour relever que, jusqu'à la fin du régime actuel des perspectives financières, c'est-à-dire jusqu'en 2006, la contribution demandée à chaque citoyen européen restera d'un niveau acceptable. Au-delà, se posera inévitablement la question du financement de l'Europe à vingt-cinq : le président Balladur a souligné avec raison les risques d'une augmentation des dépenses sur la contribution nette de notre pays. Le Gouvernement est conscient du défi qui se présente à nous : il entend en ce domaine préserver les intérêts de la France en garantissant un financement viable pour les différentes politiques communes, comme nous l'avons déjà fait pour l'agriculture, tout en veillant à maintenir l'évolution des dépenses européennes dans des limites raisonnables.
    A la veille de l'entrée en vigueur de cet élargissement, nous savons que l'Europe est à un tournant historique. L'Union européenne s'étendant désormais à la plus grande partie du continent, se pose pour elle la question fondamentale, soulignée par le président Balladur, de savoir comment apprendre à vivre ensemble et pour quels objectifs.
    La réponse s'articule autour d'un triple pari pour l'avenir.
    Le pari économique d'abord : l'élargissement sera-t-il pour l'Europe un nouveau moteur de prospérité et de croissance, comme l'a suggéré le président Lequiller ? De fait, les dix adhérents connaissent des taux de croissance qui dépassent de plusieurs points ceux des économies des Quinze. L'élargissement du marché unique à 75 millions de consommateurs, dont les besoins sont immenses, ouvre par conséquent des perspectives encourageantes pour nos entreprises et leurs salariés. Le réel défi pour l'Europe sera en définitive de savoir tirer tout le parti de ces marges de progrès pour retrouver un niveau compétitif face à ses concurrents d'Amérique ou d'Asie.
    Le pari institutionnel ensuite : l'Europe élargie a besoin d'institutions renforcées. Le temps n'est plus où chaque Etat pouvait dicter à son gré le rythme de l'ensemble. Aujourd'hui, le chemin d'une Europe plus efficace, capable de répondre aux préoccupations quotidiennes de nos citoyens, passe par des institutions plus démocratiques et plus transparentes, c'est-à-dire une meilleure association des parlements nationaux, des compétences clairement réparties entre l'Union et les Etats membres, une présidence stable du Conseil européen, une Commission plus resserrée et plus collégiale, un ministre européen des affaires étrangères, une extension du vote à la majorité qualifiée.
    Ce sont là les principales dispositions contenues dans le projet de constitution européenne rédigé par la Convention, sous la présidence de M. Giscard d'Estaing. Dès lors, nous souhaitons que la conférence intergouvernementale trouve un accord sur un texte aussi proche que possible de ce projet. Si le prix à payer pour parvenir à un tel accord devait être une révision à la baisse de nos ambitions, alors, je le dis tout net, comme le président Balladur, nous ne pourrions pas l'accepter.
    M. René André. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. Il serait alors préférable de poursuivre nos travaux jusqu'à ce que se dégage un accord à la mesure de nos ambitions plutôt que de conclure sur un mauvais texte. Nous ne pourrons admettre une constitution au rabais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Enfin, nous devons gagner le pari politique de l'Europe : l'élargissement demeure la meilleure garantie de paix et de stabilité pour notre continent. A l'heure où, face aux incertitudes du monde, les peuples réclament de la communauté internationale qu'elle soit capable d'oeuvrer pour plus de justice, de dialogue et de respect de l'autre, l'Europe se trouve en situation privilégiée pour répondre à cette attente. Berceau des idéaux de liberté et de démocratie, trait d'union entre les religions et les cultures, revenu de tant de guerres et de luttes fratricides, notre continent n'est-il pas en mesure d'offrir à ses partenaires une vision du monde propre à favoriser la paix, la stabilité et la prospérité ?
    Cet élargissement est aussi l'occasion, pour notre pays, d'être aux avant-postes d'une grande ambition pour l'Europe.
    Nous voulons d'abord répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui attendent de l'Europe qu'elle mette la croissance et l'emploi au coeur de leur avenir. La monnaie unique doit donner lieu aujourd'hui à une véritable coordination des politiques économiques, budgétaires et fiscales, et s'accompagner d'engagements concrets dans le domaine social. C'est donc une véritable gouvernance économique et sociale que nous devons établir au niveau européen.
    L'Europe doit relever le défi de la modernité. Depuis dix ans au moins, elle accuse un retard de croissance sur les Etats-Unis qui exige une véritable mobilisation pour rendre nos économies plus compétitives, plus modernes et plus flexibles. Education, formation professionnelle, recherche scientifique, infrastructures de transport, nouvelles technologies sont autant de domaines dans lesquels nous devons multiplier les initiatives.
    Ensuite, il faut développer une politique européenne de sécurité. A l'heure où nos concitoyens sont confrontés aux menaces du monde, qu'il s'agisse du crime organisé, du terrorisme ou encore de la prolifération, nous devons renforcer notre coopération en matière de police et de justice.
    C'est, comme le souligne le président Lequiller, l'enjeu de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que nous voulons créer entre Européens. A cette fin, nous devons multiplier au sein de l'Europe élargie les concours mutuels pour renforcer le contrôle à nos frontières et établir entre nous un climat de confiance durable.
    Enfin, nous devons faire de l'Europe l'un des piliers du monde nouveau en renforçant sa dimension politique. Pour peser sur les affaires du monde, aider au règlement des crises régionales comme des grands problèmes stratégiques, l'Europe doit se doter d'une véritable politique étrangères et d'une capacité de défense autonome qui lui permettront d'exercer pleinement ses responsabilités à l'extérieur. Elle en a le devoir à l'égard de ses concitoyens. Son poids économique lui en donne les moyens. A elle de définir son ambition politique car, partout dans le monde, l'Europe est attendue, qu'il s'agisse du Kosovo, de la Macédoine ou de l'Ituri.
    Pour être à la mesure de cette ambition, l'Union européenne devra probablement être capable d'adapter ses méthodes afin d'y introduire davantage de flexibilité. Avec l'Allemagne, qui a si souvent joué un rôle d'impulsion aux côtés de notre pays, nous devrons tous deux ouvrir le chemin à ceux qui souhaitent aller plus vite et plus loin. Comme le souligne le président Balladur en faisant référence à l'idée d'un « cercle avancé », l'Europe élargie aura besoin de souplesse si elle veut être en mesure d'affronter les défis de notre monde.
    M. René André. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. Nous le voyons aujourd'hui, dans notre dialogue avec l'Iran en matière de non-prolifération ; nous en ferons certainement demain l'expérience, en Afrique comme en Amérique latine : c'est de plus en plus à travers un groupe de quelques pays que l'Europe pourra faire entendre sa voix et marquer sa différence sur la scène internationale. A nous de définir les règles de ces nouvelles formes d'action européenne, en veillant à garantir l'information de tous et le respect de chacun.
    Les trois orateurs qui m'ont précédé ont souhaité, au terme de leur intervention, qu'après les adhésions soumises ce soir à votre approbation, l'Europe marque une pause dans le long processus d'élargissement qu'elle connaît depuis un peu plus de trente ans.
    A travers cette observation, c'est bien la question des frontières de l'Europe qui est posée et, au-delà, celle de la nature, de l'identité, de l'avenir même de notre construction européenne. Soyons, à cet égard, à la fois lucides et méthodiques.
    Nous devons savoir distinguer entre les différents types de candidatures : Roumanie et Bulgarie appartiennent au même groupe de candidats que ceux qui feront leur entrée le 1er mai prochain. Ils représentent le dernier élément de l'élargissement en cours ; l'Union s'est fixé comme objectif d'achever leurs négociations d'adhésion en 2004, pour qu'ils puissent rejoindre l'Union en 2007. Nous devons respecter cet engagement.
    La Turquie, pour sa part, relève d'une autre logique. Dès 1963, la Communauté européenne a pris acte de sa candidature et, depuis lors, a réaffirmé à plusieurs reprises cette perspective. Comment ne pas prendre la mesure des enjeux que pose aujourd'hui la candidature de ce pays à dominante musulmane ? Nation aux confins de l'Europe, elle porte en elle les tensions d'une région qui nous est familière, mais qui peut aussi inquiéter. Son adhésion est, à l'évidence, source d'espoir pour son peuple, comme elle peut être motif de préoccupation pour nos concitoyens. C'est à la lumière de toutes ces considérations qu'il y aura un débat à mener et, l'an prochain, sur la base des travaux de la Commission européenne, un choix à faire en tenant compte des espoirs et des réalités de la Turquie. En tout état de cause, il nous faudra décider avec sérieux, avec sérénité et dans un esprit de responsabilité vis-à-vis de nos peuples et de nos pays, en sachant nous montrer dignes de l'aventure européenne que nous avons menée jusqu'à maintenant.
    Enfin, nous ne devons pas oublier les pays des Balkans occidentaux.
    M. René André. Très bien !
    M. le ministre des affaires étrangères. A ces pays nous avons ouvert la perspective d'une adhésion à terme. Là encore, des engagements ont été pris, et nous devons les assumer, même s'il s'agit d'échéances à plus long terme.
    Mesdames et messieurs les députés si, ce soir, vous donnez votre accord à ces adhésions, le nouvel élargissement de l'Europe sera effectif au 1er mai prochain. Une nouvelle étape de cette vaste entreprise collective aura été franchie. Cette étape, nous devons l'aborder avec espoir et détermination. Dans l'unité ainsi retrouvée, les Européens sauront puiser les ressources indispensables pour la relance de leur histoire commune. Et par là même, ils redonneront à notre continent toute sa place au sein de la communauté internationale. C'est là, pour notre Europe, un horizon que nous devons assumer avec fierté. Au-delà du devoir de notre génération vis-à-vis des peuples de cette autre Europe, l'élargissement est une chance et une occasion unique pour marquer notre confiance dans l'avenir. Ne gâchons pas ce rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    M. François Loncle. Hélas !
    M. le président. Evitons tout commentaire.
    La parole est à M. Philippe de Villiers.
    M. Philippe de Villiers. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, si j'en juge par le dernier eurobaromètre, c'est un honneur pour moi de me trouver à cette tribune, dans la situation de représenter la France silencieuse, une France majoritaire aujourd'hui, sur des questions qui touchent à l'avenir de l'Europe. Je défendrai, comme le permet notre règlement, trois motions de procédure : la première au nom de tous les Français frustrés d'un grand débat et d'un référendum sur l'Europe ; la deuxième au nom de tous les Français qui ne veulent pas de l'élargissement à la Turquie, évoqué il y a un instant par M. le ministre des affaires étrangères ; la troisième au nom de tous les Français qui ne veulent pas d'une constitution fédérale.
    Je remercie M. le président d'avoir veillé à une application loyale du règlement, et je lui en suis reconnaissant.
    J'aurais pu parler une quatrième fois, au nom de beaucoup de parlementaires qui, présents ou non, se taisent mais n'en pensent pas moins.
    (M. Rudy Salles remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. Philippe de Villiers. Quinze ans de salle d'attente, c'est ce qu'il aura fallu pour que ces pays de l'Europe centrale et orientale, de l'Europe post-pénitentiaire, qui ont payé pendant quarante-cinq ans de leur sang et de leur silence notre tranquillité, réintègrent l'Europe.
    L'actualité européenne soulève aujourd'hui deux interrogations : l'élargissement de l'Europe et la Constitution de l'Europe. Or ces deux questions siamoises, évoquées d'ailleurs par tous les orateurs précédents, touchent au coeur même de la construction européenne. Où sont les murs de demain ? Quelle sera la nouvelle architecture ?
    Il me paraît précisément prématuré de répondre à la première question, qui porte sur l'étendue de la construction, le nombre de pièces prévues, sans connaître les implications de la seconde qui concerne l'architecture et les fondations - c'est une curiosité bruxelloise et giscardienne que de construire les pièces avant d'arrêter le dessin architectural. C'est la raison pour laquelle je propose de déclarer irrecevable la question des contours tant que nous n'aurons pas eu connaissance du parti pris architectural et que celui-ci n'aura pas été soumis au peuple français. Monsieur le ministre, l'Europe élargie ne sera pas du tout la même, en effet, avec la Turquie et sous l'empire d'une constitution fédérale, quoi qu'on puisse penser par ailleurs.
    Je voudrais ici faire écho au sentiment de grande frustration des Français, privés de parole sur l'Europe, privés de France, privés de destin tramé dans l'étoffe des rêves de la poésie du temps, et choqués par l'absence de débat. Absence de débat dans le pays : il y a un débat sur l'école mais pas sur l'Europe. Entendons-nous bien, je parle de débat contradictoire. Absence de débat, cela signifie d'abord absence d'explications, dans la vérité.
    Il y a ainsi de plus en plus de questions et de moins en moins de réponses, de plus en plus de doutes, et de moins en moins d'éclaircissements. De plus en plus d'interrogations insistantes et, de moins en moins d'ardeurs argumentées. De plus en plus de matière à controverses et, de moins en moins de confrontations.
    La peur du référendum tient toute dans ce chassé-croisé entre un malaise grandissant et un débat évanescent. L'enterrement des nations est prévu dans l'intimité entre oligarques.
    Absence d'explications sur le problème numéro un de l'Union européenne aujourd'hui : comment sortir des deux dilemmes, j'allais dire mortels, où elle s'est elle-même enfermée ? Le premier porte sur la démocratie : plus on transfère de pouvoirs à l'Europe, plus on mutile la démocratie et plus les gens décrochent. Le second porte sur l'élargissement : plus on élargit, plus on diversifie et moins le principe d'uniformité et de centralisation apparaît adapté, opérationnel.
    Derrière cette absence d'explication, dans la vérité, sur ces deux dilemmes, il en est une autre plus grave encore, l'absence de vision de l'Europe. Tout à l'heure, M. Balladur parlait de fuite en avant. Nous y sommes. La construction européenne apparaît aux Français comme une sorte d'exercice d'initiés, nourris de conventions sémantiques, de pétitions de principe, rompus aux simulacres - j'ai brisé celui-là - ceux de la temporalité close de l'idéologie.
    On a donc confié, mes chers collègues, à M. Giscard d'Estaing, le contemporain de Brejnev, le soin d'imaginer l'Europe de demain, de concevoir son avenir.
    M. Jacques Floch. A M. Giscard d'Estaing et à d'autres !
    M. Philippe de Villiers. Et à d'autres. Mais vous admettrez que M. Giscard d'Estaing joue un rôle très important - un phare, en quelque sorte.
    M. Jacques Floch. Il présidait la Convention !
    M. Jean-Claude Lefort. Le praesidium !
    M. Philippe de Villiers. M. Giscard d'Estaing est en phase avec son époque, celle de Brejnev (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et il entend réaliser son rêve. Il a presque réalisé la première partie du rêve : faire de l'actuelle convention réunie à Bruxelles une sorte de convention de Philadelphie - ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui. La deuxième partie du rêve, c'est de construire les Etats-Unis d'Europe. La troisième, c'est de rester dans l'histoire comme le Jefferson de l'Auvergne. (Exclamations et rires sur divers bancs.)
    Alors nous voilà repartis pour un énième traité. Vous aurez noté que, depuis Maastricht, c'est toujours la même histoire. On a d'abord un traité qui est parfait à la signature. C'est l'euphorie, c'est la parousie de l'Europe. Puis, quelques jours après, au moment de la ratification, il apparaît que c'est un ratage et il faut travailler sur un nouveau traité. Chaque nouveau traité est ainsi très vite qualifié de nouveau ratage et devient un à-valoir sur le traité suivant.
    Ce faisant, jamais on n'expose le vrai problème de l'avenir de l'Europe, engagé aujourd'hui dans trois contresens historiques. Le premier porte sur le périmètre : fait-on l'Europe ou l'Eurasie, avec la Turquie ? Le deuxième sur le projet : fait-on l'Euro-atlantique ou une Europe indépendante, fondée sur l'indépendance des nations et en particulier de la France ? Le troisième sur l'architecture : continue-t-on à faire l'Europe des eurocrates ou fait-on enfin l'Europe des peuples ?
    Or au lieu d'examiner ces problèmes et d'y répondre, on ne pense qu'à se tenir à l'abri des regards indiscrets du peuple qui ne comprend plus. Nous sommes confrontés à une sorte d'impératif catégorique. Absence d'explication, absence de consultation. L'Europe de Bruxelles n'est plus populaire. Ce n'est plus le peuple qui a peur de l'Europe de Bruxelles, c'est l'Europe de Bruxelles qui a peur du peuple, c'est-à-dire de son suffrage et qui, dès lors, avance selon la bonne vieille technique de l'empilement, pour rendre les choses inextricables et empêtrer les Gulliver du commentaire. Elle avance selon trois principes prudentiels : continuer comme avant, éviter les rencontres avec les Français, empêcher que le grondement ne s'exprime dans les urnes.
    Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Premièrement, éviter qu'il y ait, à l'occasion des élections européennes, un débat national sur l'Europe exprimant, par exemple, un fort courant d'euroscepticisme. Alors, on casse le thermomètre. C'est fait - beau travail ! On dénationalise le scrutin, on l'éclate en scrutins régionaux pour le dénationaliser et le dépolitiser.
    Deuxièmement, éviter que les Français ne soient amenés à se prononcer sur le principe de l'élargissement. On se souvient que Georges Pompidou avait soumis aux Français la question de l'adhésion de la Grande-Bretagne. On aurait pu imaginer ainsi - personne ne l'a évoqué - que les Français se prononcent sur le prochain élargissement.
    Troisièmement, éviter à tout prix une consultation sur l'adhésion de la Turquie. A cet égard, la recommandation du dernier sommet - celui de Copenhague - est très intéressante : il faut décaler, décaler et décaler encore... pour mieux sauter. Autrement dit, empêcher à tout prix - je crois même que c'est la France qui l'a demandé - toute coïncidence de calendrier entre la négociation et les élections européennes, des fois qu'il y aurait un effet de vase communicant... C'est ainsi que les élections européennes sont prévues en juin et la négociation en décembre.
    Quatrièmement, éviter à tout prix un référendum sur la Constitution. Mes chers collègues, il n'y aura pas de référendum sur la Constitution. Mais au fait, nous sommes au Parelement, pourquoi n'envisagerait-on pas que le Parlement français soit consulté sur le projet de texte constitutionnel, ses représentants à la convention, méritants et talentueux, n'ayant jamais reçu le mandat explicite leur enjoignant de rédiger, non pas un simple traité, mais une Constitution ?
    Le peuple ne sera consulté en effet qu'à la seule condition que le vote soit acquis. A cet égard, les questions qui se posent traînent tous les jours dans la presse. Les moyens de propagande suffiront-ils? L'accord entre l'Union pour un mouvement populaire et le parti socialiste sera-t-il plus heureux que pour la Corse ? Pas sûr. Nous sommes donc dans l'expectative. Il n'y aura pas de référendum mais, après tout, les élections européennes tiendront lieu d'élection référendaire.
    En tout cas, et je le dis avec gravité, quoi qu'on puisse penser de cette constitution, il paraît inimaginable que le peuple français qui a été appelé à adopter par référendum la Constitution de la Ve République ne soit pas appelé - parallélisme des formes oblige - à adopter, également par référendum, la Constitution qui viendra demain la surplomber et, pour tout dire, s'y substituer.
    Dès lors, on comprend le sentiment de frustration des Français dont je veux me faire ici l'écho. Ils sentent bien en effet que la construction européenne est mise à l'abri du peuple. Oui, il y a un grand malaise que je vais essayer d'expliquer. Pourquoi est-on passé, en quelques années, de l'enthousiasme de commande, au moment de Maastricht, à l'incompréhension et, aujourd'hui, de l'incompréhension au désarroi ?
    Cela tient tout d'abord au fait que la perte de souveraineté est non plus reçue comme une abstraction, mais ressentie comme une mutilation concrète et douloureuse. On a cru longtemps que les concepts de souveraineté ou de compétence relevaient d'une bataille de juristes, sans grande portée pratique.
    Aujourd'hui, les choses ont changé. A l'époque, on citait toujours les mêmes exemples : la chasse et les fromages. Et on ajoutait : petits malheurs catégoriels pour un grand bien collectif. Mais maintenant, il suffit de tendre la main sur l'étagère. Il y en a sur tous les rayons. Chaque jour apporte son lot de brimades, de mépris et de morgue de la part des commissaires-ayatollahs. La mutilation de nos libertés est désormais concrète. La souveraineté, c'est comme la liberté : c'est quand on l'a perdue qu'on en mesure le prix.
    On peut même dresser un petit inventaire rapide. Les ouvriers d'Alstom, de Bull, de Pechiney, les ouvriers de France aujourd'hui, savent, depuis la dernière intervention du commissaire Monti, ce qu'est la souveraineté industrielle. Ça y est, ils ont compris.
    Les commissaires thaumaturges dont la marotte obsessionnelle est de fusionner les nations et de fabriquer de main d'homme un peuple unique, de subordonner et d'humilier les Etats, se sont mus depuis quelques mois, la confiance aidant, en commissaires fossoyeurs, et même en prédateurs. Ils font ainsi prévaloir la logique des règles - ce n'était pas le cas la dernière nuit - sur la logique des hommes. Je reprends là l'expression de M. Raffarin, qui, dans une confession touchante, sur TF 1, il y a peu, a avoué son souverainisme budgétaire : « Je préfère la logique des hommes à la logique comptable, la logique des bureaux ». Comme il avait raison !
    Souveraineté culturelle ? La semaine dernière, assis tout là haut, dans l'hémicycle, j'ai entendu le talentueux Philippe Auberger évoquer le cas des groupes Editis et Hachette, dont l'avenir est suspendu, si j'ai bien compris, à l'arbitrage des commissaires. Je le cite : « Le groupe Editis devait être racheté, au printemps dernier, par le goupe Hachette, mais l'opération a été soumise à la Commission européenne, qui a publié, il y a une dizaine de jours, un mémorandum relevant douze objections sérieuses à cette fusion. Il y a donc un risque que ce groupe très important pour le pluralisme de l'édition en France se désagrège, voire passe sous contrôle étranger. » Il évoquait ainsi les fonds de pensions américains. Puis posa la question au Premier ministre : « Qu'allez-vous faire ? » Mais que faire, puisque ce n'est plus à nous de faire ?
    Souveraineté fiscale ? Tous les restaurateurs de France savent aujourd'hui ce que cela signifie puisque la promesse du Président de la République portant sur la réduction de la TVA dans la restauration n'a pas pu être tenue.
    Mme Arlette Franco. Pour l'instant !
    M. Philippe de Villiers. Souveraineté budgétaire ? Avertissements, sanctions, amendes : les budgets de la France et de l'Allemagne devaient être mis sous curatelle budgétaire, comme les travailleurs sociaux dans les maisons de retraite, mettent parfois sous curatelle les très vieilles personnes qui ont perdu la tête. Cela a failli nous arriver cette nuit. Mais l'Allemagne et la France se sont rebellées. La bureaucratie bruxelloise veut imposer des règles absurdes : elles sont inapplicables. Aujourd'hui, la France et l'Allemagne font sauter la banque : un mort, le pacte de stabilité. (Sourires sur quelques bancs.)
    Souveraineté alimentaire ou souverainisme alimentaire, comme titrait récemment Le Nouvel Observateur ? La Commission propose d'autoriser les OGM. Le Conseil freine, il résiste. Pour combien de temps ? Combien de temps encore pourra-t-on préserver nos assiettes de ce que les Anglais appellent « la nourriture Frankenstein » ? La règle, à Bruxelles, est-elle que ce soient toujours les mêmes qui gagnent, c'est-à-dire les grands semenciers, les multinationales agrochimiques du Gaucho, du Régent, etc. ?
    Le souverainisme se décline de mille manières. Je suis souverainiste, cela signifie, monsieur le ministre, que je n'accepte pas d'être livré aux forces du monde qui viennent briser, un à un, mes attachements vitaux, que je n'accepte pas que les forces du monde m'imposent ce que je dois manger, ce que je dois penser, ce que je dois dire.
    En ce qui concerne la souveraineté agricole, la France a cédé, à Luxembourg, au mois de juin, et le ministre Gaymard en a été marri. Il n'a d'ailleurs pas eu le choix puisque, la France ayant perdu son droit de veto, il n'est plus possible de protéger ses intérêts vitaux. Vous n'avez plus alors que des banderoles pour manifester et vos yeux pour pleurer !
    L'Europe a capitulé devant l'Amérique avant le sommet de Cancún, en acceptant de démanteler par avance la politique agricole commune. Nous avons d'ailleurs assisté à un chassé-croisé inattendu, que je soumets à la réflexion de Mme Lenoir, car les souverainistes ont été les derniers défenseurs de la préférence communautaire, c'est-à-dire du marché commun agricole, alors que les euro-fédéralistes l'ont livrée aux lois erratiques d'un marché mondial dominé par l'empire américain.
    La Commission, de plan Fischler en plan Fischler, d'affaiblissement de la pêche en marginalisation de notre agriculture, défait consciencieusement les politiques communes qui ont fondé l'Europe. Le marché commun agricole incarnait la volonté stratégique d'assurer la souveraineté alimentaire de l'Europe. Cependant la France s'est éteinte, car, faute de droit de veto elle ne pouvait pas faire autrement et l'Europe s'est exécutée.
    Pour ce qui est du découplage entre le revenu et le travail, M. de Charette sait très bien ce qu'en pensent les agriculteurs puisqu'il en rencontre tous les jours, dans une département voisin du mien, comme M. Ayrault dans un autre département voisin. Quelle que soit leur sensibilité politique, ils soulignent tous que ce découplage brise le lien entre l'effort et la récompense, qu'il instaure un système soviétiforme, parce qu'il sépare le travail de la rémunération, humiliant pour les travailleurs de la terre comme pour les travailleurs de la mer. Merci, messieurs les commissaires !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Les laboureurs de la mer !
    M. Philippe de Villiers. Monsieur de Charette, je suppose que vous tenez un autre discours sur la question de l'Europe agricole quand vous êtes dans le Maine-et-Loire. En tout cas, je vous le conseille !
    A ce propos, mon voisin agriculteur dit : « Hier, exploitant agricole ; demain, jardinier sovkhozien. (Rires.) Hier, pêcheur de poissons ; aujourd'hui, pêcheur de fioul. Hier, semeur de récoltes ; demain, producteur de formulaires. » Il est vrai, en effet, qu'il s'agit d'un changement de métier. Comme le dirait le président de la FNSEA, il va falloir s'adapter !
    Nous n'aurons plus qu'à accroître nos achats de soja américain génétiquement modifié, de blé canadien, de lait néo-zélandais, de viande bovine argentine, car il paraît qu'elle est très bonne.
    M. Jacques Floch. Absolument !
    M. Philippe de Villiers. La sécurité des approvisionnements de l'Europe sera désormais à la merci - ce n'est pas moi qui le dis, mais M. Fischer, lequel a d'ailleurs l'air de s'en satisfaire - d'une sécheresse en Australie, de troubles en Ukraine, d'un embargo américain, d'une crise en Argentine ou d'une épidémie de fièvre aphteuse en Nouvelle-Zélande, pendant que nous aurons transformé nos agriculteurs résiduels en jardiniers fonctionnarisés, en forçats de l'intensif, en planteurs de primes.
    La seule Europe qui existait vraiment est défaite. Cancún marque un terrible échec pour l'Europe et pour la France, résumé ainsi par le commissaire Lamy, le négociateur européen : « Nous avons imposé aux agriculteurs européens un sacrifice inutile. » Son postulat est une curiosité que l'on peut résumer en indiquant qu'on est mieux défendu quand on n'est pas défendu par soi-même ! Il n'a cessé de nous répéter, avant Cancún, cette expression savoureuse selon laquelle ce sommet serait un match entre éléphants : l'éléphant américain et l'éléphant du groupe de Cairns. Il fallait donc que l'Europe soit aussi un éléphant. Malheur à qui ne serait pas un éléphant, car il risquerait d'être piétiné !
    En fait d'éléphant européen, nous avons plutôt un bitard poitevin (Sourires) : corps de saumon, tête de fouine et queue de dindon ou de baudet !
    Ainsi l'impossibilité de réaliser une synthèse entre les positions totalement divergentes des adversaires et des partisans de la PAC a abouti au fait que l'Europe a consenti des sacrifices pour rien. Depuis Maastricht, depuis 1992, date à laquelle l'Europe et le monde sont entrés dans une logique libre-échangiste mortelle, celle du mondialisme sauvage, auquel l'Europe, loin de faire écran, sert de relais, chaque jour, 500 exploitants agricoles quittent la terre en Europe, alors que 5 000 paysans pauvres meurent de faim dans le tiers-monde. Quel désastre !
    Je passe rapidement sur la souveraineté maritime, mais je tiens à souligner, car mon département est très concerné par les problèmes de marée noire, que, depuis les accidents de l'Erika et du Prestige, aucune mesure sérieuse n'a été prise. Certes l'interdiction des bateaux à simple coque a été prononcée, mais personne n'en fabrique plus. L'Europe prend donc des décisions dans le vide. En revanche, rien n'a été fait pour instaurer la co-responsabilité affréteur-armateur ou pour interdire les pavillons de complaisance.
    Je reconnais cependant qu'une décision importante, et une seule, a été prise. Elle a été arrêtée par M. Chirac et M. Aznar dans l'accord de Malaga, en novembre 2002. Cette disposition, qui n'est d'ailleurs pas conforme au droit européen, consiste à repousser les navires poubelles à 200 milles nautiques des côtes. Or, si vous l'examinez avec un peu de recul, vous constatez qu'elle découle en fait d'une coopération inter-étatique, au sens où M. de Villepin parlait si justement tout à l'heure de l'Europe de la coopération inter-étatique, à propos de la démarche relative à l'Iran. Elle ne doit donc rien à Bruxelles.
    Cela signifie que la seule mesure efficace prise depuis les accidents de l'Erika et du Prestige procède d'une décision de l'Europe inter-étatique, celle que j'appelle de mes voeux et celle que vous pratiquez vous, monsieur le ministre, ou M. Sarkozy lorsqu'il réunit ses homologues européens à La Baule pour examiner les problèmes de sécurité, quand vous voulez être efficaces.
    La perte de la souveraineté est une mutilation concrète qui est aujourd'hui, pour les Européens, un sujet de perplexité. Depuis Maastricht, depuis dix ans donc, on nous répète que l'Europe est comme l'huile de foie de morue pour les enfants : cela est forcément un peu désagréable à avaler, mais c'est bon pour la santé : une petite cuillerée pour Giscard, une petite cuillerée pour Delors, une petite cuillerée pour Mario Monti et, aujourd'hui, une petite cuillerée pour Romano Prodi, car il est difficile de faire passer ce qui s'est produit la nuit dernière, et voilà ! Le problème, c'est que les Européens de l'Euroland, qui ont ingurgité l'huile de foie de morue européenne de Bruxelles et qui sont astreints désormais à la potion de l'euro, regardent autour d'eux et découvrent, avec le vote suédois, que l'on peut être européen, prospère et libre. C'est extraordinaire !
    Ils constatent notamment que les trois pays qui ont refusé l'euro ont une croissance deux fois plus forte et un chômage deux fois moins élevé. Cela démontre que deux Europe sont possibles : l'Europe du carcan et du chômage, l'Europe de la prospérité et de la liberté. Cette évidence est terrible, car elle prouve que l'on peut ne pas être Européen au sens où certains l'entendent sans être anti-européen. En effet qui oserait dire aux Suédois qu'ils sont anti-européens ? On ne va tout de même pas les exclure de l'Union pour les punir d'être prospères et libres ! Cela s'appelle la preuve par neuf.
    Si l'on y regardait de plus près, il me semble qu'on verrait dans cette perte de souveraineté une cause de ce que beaucoup de gens appellent notre déclin. Peu importe le mot d'ailleurs et l'on pourrait tout simplement parler de désarroi. En effet la perte de la souveraineté signifie non seulement perte de la liberté, au niveau de la décision, mais aussi perte de l'unité, de la mémoire et de la transmission.
    La crise que connaît aujourd'hui l'éducation nationale ne tient-elle pas également au fait qu'on ne peut plus prononcer le mot « national » ? Que peut signifier « éduquer », quand on considère la nation comme un obstacle à la fraternité cosmique ? Eduquer est-ce simplement assurer une sorte de paix bancale entre les alvéoles ethniques sur fond de vague « droits de l'hommisme » ? Un professeur m'indiquait hier qu'il retrouvait chaque matin des élèves aux yeux boursouflés, dont les modèles ne sont plus Hugo ou Pasteur, mais les milliardaires footballeurs expatriés, les raveurs et les lofteurs, Joey Starr et Noir Désir. Comment voulez-vous, ma brave dame, qu'il y ait une éducation nationale quand il n'y a plus de nation, quand on explique à des générations entières qu'elles sont vouées à disparaître et à se fondre dans un magma plus large ?
    Si l'on voulait vraiment faire oeuvre utile dans le débat actuel sur l'éducation, il faudrait proposer de réintroduire dans les programmes une matière qui en a disparu : la France.
    Pour expliquer ce désarroi, je dirais même le véritable désenchantement qui gagne les Français, il semble bien que la première raison tienne au fait que beaucoup de Français ont l'impression que les promesses de Maastricht n'ont pas été tenues. Ainsi, comme l'ont déjà souligné à cette tribune M. Balladur et M. de Charette, la France a été contributeur net à l'Europe en 2002. Alors que l'on cherche des sous partout, il semble qu'il y en ait, à l'Europe, puisque la France lui verse 2,8 milliards d'euros de plus qu'elle n'en reçoit. En l'occurrence la question est de savoir non pas si cela est trop, mais quelles sont les contreparties : aurons-nous ainsi plus de protection, plus de prospérité, plus de liberté ?
    Les deux promesses prodiguées pendant dix ans étaient celles d'une Europe bouclier et d'une Europe puissance.
    Aujourd'hui le bouclier de l'Europe est plus que percé : c'est une écumoire. Ainsi, en guise de bouclier commercial, l'Europe ne brandit, pour se protéger, qu'une éponge de fortune avec laquelle elle inonde, d'une main lasse, le sillage de sa retraite.
    On peut même parfois se demander si ce bouclier spongieux n'est pas de fabrication américaine lorsqu'on voit, par exemple - mais cela est passé inaperçu -, les infiltrations de la Run Table, le plus puissant système d'influence de la planète, dans le dispositif bruxellois, avec cette fameuse note du 16 mai 2003 qui enjoignait aux Européens de passer à la majorité pour le choix des normes audiovisuelles. En effet elle a été corédigée avec des hauts fonctionnaires de Bruxelles.
    L'Union européenne a aujourd'hui le tarif extérieur commun le moins élevé du monde. Il n'existe pas de politique industrielle de l'Europe. Au contraire cette dernière freine et bloque les alliances européennes qui nous permettraient de résister. Les deux exemples les plus récents et, à mes yeux, les plus forts de cette grande aliénation européenne concernent les standards du langage comptable et ceux du système d'information.
    En effet, il aurait pu, il aurait même dû y avoir, mais il n'y aura pas, un plan comptable européen de l'entreprise ; il aurait dû, il aurait même pu y avoir, mais il n'y aura pas, un internet européen. Dans les deux cas, au moment décisif, la construction européenne s'est offerte, tête cendrée, mains ouvertes, au grand protecteur de Washington. L'Union européenne basculera donc en 2005 dans le système IFRS. Elle n'a rien fait pour contrecarrer l'ICANN, le centre de commandement mondial sous clé américaine, rien fait pous installer une Europe des serveurs racine.
    L'Union européenne n'est pas davantage un bouclier contre la mondialisation sauvage. Au contraire, elle lui sert de relais, de planche d'appel. Tous les jours, l'activité s'en va, quitte l'Europe. Six photocopieuses sur dix partent en Chine, six logiciels sur dix partent en Inde. C'est M. Arthuis qui le mentionne dans un rapport récent et dans un article de Futurible. Pourtant, il n'est pas, que je sache, contre l'Europe.
    L'Europe est offerte à tous les vents. Elle flotte comme un courant d'air entre les océans. Face à elle regardez agir l'Amérique ! Elle n'a pas fait de quartier sur l'acier ni sur le textile ! Pour l'Amérique, le libre-échange est un article d'exportation qui est bon pour l'Europe alors que, pour elle, le protectionnisme n'est pas un gros mot.
    Le jour où l'Europe se construira vraiment, il faudra qu'elle s'appuie sur deux piliers : le premier, mais elle l'a détruit, est l'organisation de zones de préférence régionale ; le second, mais elle est en train de le démolir, est la mise en place de protections nationales - au sens américain - pour les biens stratégiques tels que l'agriculture, les industries d'armement, l'énergie nucléaire, la culture, la santé publique. Une nation a le droit et même le devoir de protéger ces biens stratégiques, sinon elle n'existe plus. Il est tout à fait compatible d'instaurer à la fois des protections régionales, au sens de la préférence commerciale communautaire, et la protection nationale pour les biens stratégiques.
    L'Europe bouclier n'est pas davantage efficace sur le plan monétaire. Chacun se souvient de la promesse répétée le 1er janvier 2001 selon laquelle l'Europe allait créer une zone autonome de croissance en Europe. L'Amérique n'avait qu'à bien se tenir ! Je ne citerai pas son auteur. Or, aujourd'hui, nous en sommes à espérer, selon le Premier ministre lui-même, que la reprise américaine sera assez forte pour entraîner l'Europe.
    Comme on dit en rugby, la mêlée est tournée : on attend de l'Amérique qu'elle nous aide.
    Il n'y a d'ailleurs pas plus d'autonomie que de croissance. Selon M. Eric Israelewicz dans Les Echos, l'euro a trois caractéristiques : « Trop compliqué, il freine la consommation. Trop fort, il freine l'exportation. Trop cher, il freine l'investissement. »
    Si l'on prend un tout petit peu de hauteur, on constate que l'Europe fonctionne selon un principe inverse de celui suivi par les pays prospères, c'est-à-dire ceux dans lesquels, la banque centrale, dépendante du politique malgré tout, favorise l'entrepreneur plutôt que le rentier. Les pays prospères, à forte croissance, aujourd'hui ou hier, ont deux choses que nous n'avons pas : des gouvernements indépendants et une banque centrale dépendante. En euroland, c'est le contraire : nous avons une banque centrale indépendante, des banquiers ayatollahs, et des gouvernements dépendants, enchaînés à la banque centrale par le fameux pacte de stabilité que l'on ferait mieux d'appeler le pacte de déflation. Ainsi les pays européens ont perdu la maîtrise des deux moyens permettant de dominer les fluctuations de leurs économies : la politique budgétaire et la politique monétaire. L'euro est une camisole.
    Cela est si vrai qu'il a fallu une épreuve de force cette nuit pour assouplir le pacte de stabilité. Ceux-là même qui, à cette tribune, ne juraient que par lui nous ont expliqué qu'il fallait l'assouplir, car il était trop rigide !
    Et que dire de l'Europe bouclier contre l'immigration ?
    Depuis Maastricht, depuis Schengen, nos problèmes d'immigration ne se résolvent pas : ils s'aggravent avec des changements d'échelle et de nature. Nous sommes en effet passés d'une migration de peuplement à une migration de refus. Face aux deux phénomènes de l'explosion de l'immigration et de l'implosion de la démographie, l'Union européenne élargit la béance. Qui sait, aujourd'hui en France, que le 1er mai 2004, les Etats membres transféreront à Bruxelles leur politique d'immigration ? Je comprends pourquoi M. Sarkozy expliquait récemment, dans une grande émission télévisée, qu'il ne savait pas trop ce qu'il ferait après le mois d'avril prochain. En effet, de toute façon, il n'y aura plus aucune politique nationale d'immigration possible après cette date : ce domaine passera alors dans les mains de Bruxelles.
    En conséquence, le droit de veto des Etats sera alors supprimé, ce qui signifie que, en matière d'immigration, nous basculerons alors dans l'Etat fédéral. Alors que l'Europe devait nous protéger, elle nous aura désarmés. En dix ans, le communautarisme s'est installé, sa poussée ayant coïncidé avec l'émergence d'une politique européenne unique, d'une frontière unique. Il ne restera plus qu'à attendre l'entrée de la Turquie pour compléter le dispositif et préparer une situation imprévisible, une situation de chaos.
    En préparant cette intervention, monsieur le ministre, j'ai eu connaissance d'un rapport du 14 novembre 2003 du groupe de travail Evaluation collective qui n'a pas été rendu public. Il est consternant et je souhaite qu'il soit transmis à tous les parlementaires français. Il révèle notamment l'état incroyable d'impréparation au système de Schengen des dix futurs Etats membres.
    La première partie de ce document est consacrée à la gestion des frontières. La situation à cet égard est gravement lacunaire et le constat terrible, d'autant plus terrible que la frontière des pays de l'Europe centrale et orientale sera bientôt notre frontière extérieure, par simple application de la convention Schengen. On y lit des choses proprement stupéfiantes, par exemple sur les visas. Je vous fais grâce des détails techniques, mais le constat est affolant pour tout ce qui touche aux politiques d'immigration. Certes, les termes de ce rapport ont été soigneusement édulcorés, calculés pour ne froisser personne, mais on y trouve des phrases comme celle-ci : « Jusqu'à l'adhésion, il est impératif de placer ces pays sous surveillance permanente - en anglais : continuous monitoring - en ce qui concerne leur capacité à contrôler et à combattre l'immigration illégale et le travail clandestin... Même s'ils ont adopté une législation conforme aux directives européennes, leur capacité d'action, leur efficacité concrète dans ce domaine est souvent lacunaire... » Et j'en passe !
    La France connaît aujourd'hui une grave crise de l'immigration. Le nombre des demandeurs d'asile est passé de 20 000 en 1999 à plus de 80 000 en 2002 et en 2003, alors qu'il baisse partout ailleurs, notamment en Grande-Bretagne et en Allemagne. Le rapport Escoffier remis en novembre 2002 en mains propres à M. Sarkozy et que celui-ci n'a pas voulu publier tant il est effrayant, évalue le nombre de migrants clandestins annuels à 200 000 personnes, lesquelles viennent s'ajouter aux 200 000 migrants réguliers que la France accueille chaque année, au titre du regroupement familial par exemple 207 000 exactement en 2002, selon les chiffres du rapport au Parlement sur les titres de séjour, publié par le ministère de l'intérieur.
    La logique de Schengen est en partie responsable de cet afflut massif de migrants en situation irrégulière. En supprimant progressivement, entre 1995 et 2000, ses contrôles aux frontières nationales, en l'absence de toute frontière extérieure crédible, les gouvernements français ont favorisé un appel d'air considérable sur le territoire français. Avec l'élargissement, cette situation ne peut qu'empirer, dans des proportions qu'il est aujourd'hui impossible d'évaluer.
    La France n'a plus de frontières nationales. Elle dépend, pour sa sécurité migratoire, d'une frontière extérieure européenne d'ores et déjà largement défaillante et demain, après élargissement, totalement perméable.
    J'aborderai cette nuit les autres sujets concernant la sécurité, notamment ce qui touche à la police et à la lutte contre la criminalité. Remarquons simplement que l'augmentation de la prostitution en France s'explique déjà à 80 % par les trafics humains en provenance de l'Europe de l'Est. Les pays d'Europe orientale sont aussi des plaques tournantes du trafic de drogue, particulièrement d'héroïne en provenance d'Asie centrale.
    J'ai parlé de l'Europe bouclier - premier slogan de la dernière décennie euro-fédéraliste -, je ne veux pas oublier de parler de l'Europe puissance, ne serait-ce que pour rappeler ce qu'on nous a dit à l'époque : « Vous, les Européens, et surtout vous, les Français, acceptez d'amputer votre souveraineté. Elle vous sera rendue au centuple par Bruxelles. » C'est comme si on disait à un athlète : « Amputez-vous de vos deux jambes, offrez-les à la science et vous courrez plus vite ! »
    Dix ans après, que trouve-t-on ? Une addition de souverainetés mutilées, qui ne produit pas plus de puissance qu'une addition de culs-de-jatte ne produit de vélocité. Aujourd'hui, l'Europe n'est pas, mais alors pas du tout, une puissance de contrepoids : c'est une puissance additionnelle et supplétive. Et c'est l'honneur de M. de Villepin de le savoir et de l'avoir éprouvé, au moment de la crise irakienne, avec talent et courage. Je ne pense pas, sur ce point-là au moins, qu'il m'apportera la contradiction...
    Pourquoi, au fond, cette Europe soumise est-elle à ce point continentale et atlantique ? A mon avis, pour trois raisons. La première est qu'il y a un génome européen de l'atlantisme. L'Europe à quinze est, du point de vue géopolitique, atlantiste et continentale. Autrement dit, elle ne s'intéresse pas au monde, contrairement à la France. Elle laisse sans envie la puissance américaine exprimer et imposer sa vision du monde. Pourquoi ? Parce que le plupart des nations européennes, vous le savez bien, monsieur le ministre, ne sont pas des puissances mondiales, mais des puissances régionales. Pour peu que Washington soutienne leurs projets régionaux, cela leur suffit. Elles ne voient pas d'inconvénients à ce que par ailleurs les Etats-Unis assoient sans partage leur domination sur le reste du monde.
    M. Philippe Folliot. C'est juste, c'est une très bonne remarque !
    M. Philippe de Villiers. La deuxième raison tient à la volonté des nouveaux pays adhérents d'entrer dans un bloc transatlantique. Vaclac Havel, lorqu'il parle de l'Union européenne, parle de « la communauté euro-atlantique ». Du reste, et c'est très symbolique, l'entrée dans l'OTAN aura servi de sas propédeutique pour ces pays, avant l'entrée dans l'Union européenne.
    Je ne rappelerais pas l'épisode des F-16 polonais. On remet un chèque de 3,5 milliards d'euros à la Pologne - le chèque d'adhésion ; entre la dinde et les marrons glacés, la Pologne achète, pour 3,5 milliards d'euros, des F-16 américains ! Voilà à quoi a servi l'argent des contribuables européens ! Mais pour eux, c'est naturel. J'aurai l'occasion de l'expliquer plus en détail : l'Europe a mis quinze ans à les accueillir, l'OTAN a beaucoup moins de temps. Les Américains ont été plus lestes et plus rapides.
    Je regrette qu'il n'y ait plus de socialistes dans cet hémicycle : ils ont été visiblement dégoûtés et démoralisés... S'ils étaient là, je leur rappellerais cette phrase célèbre de François Mitterrand : « Il faudra des décennies pour qu'il puissent entrer dans l'Europe. » Quelle erreur géostratégique...
    Le projet géopolitique des Etats-Unis d'Amérique est très simple, vous le savez bien, monsieur le ministre puisque vous vous y heurtez tous les jours, et c'est l'honneur de la France : un bloc transatlantique contrôlé par Washington et abrité par un dôme protecteur, l'OTAN, Chacun entend à sa manière le slogan : « l'union fait la force ». Pour les Européens, cela veut dire une addition de puissances, pour les Américains, une addition d'impuissances.
    On parle de la future défense européenne. Elle sera fondée sur le fameux concept d'interopérabilité : il faut que les matériels militaires soient « otano-compatibles ». Elle reposera, en fait, sur deux principes que l'on peut résumer ainsi : uniforme européen, armurerie américaine...
    Les Etats-Unis d'Europe, ce sera les Etats-Unis en Europe. Il n'y a que la France qui pense l'Europe en termes d'Europe-puissance, parce qu'il n'y a que la France qui se conçoit comme une puissance mondiale, et pas seulement comme une puissance continentale et atlantique. Bien sûr, il y a l'Angleterre, mais M. Blair est venu le dire sur France 2 hier, en français : l'Angleterre ne choisira jamais entre l'Europe et le grand large. Elle choisit les deux. Le général de Gaulle parlait de « cheval de Troie » : nous y voilà... Il n'y a que la France qui pense à l'Europe-puissance.
    La troisième raison du malaise est que le seul mode de correction de la construction européenne pourrait être, au fond, de faire respirer les Etats, de tirer les leçons de l'expérience, par exemple, d'un pays qui, tout seul, a tenu tête à l'empire : je veux parler de la France, à propos de l'Irak, ce qui lui vaut un prestige décuplé dans toutes les nations du monde et spécialement parmi les petites nations, les nations pauvres, les nations démunies.
    M. Jean Lassalle et M. Philippe Folliot. C'est vrai !
    M. Philippe de Villiers. On pourrait donc tenir compte de l'expérience. Eh bien non, au contraire, c'est la fuite en avant, pour reprendre le mot de M. Balladur.
    M. Edouard Balladur, président de la commission. J'ai dit cela, moi ?
    M. Philippe de Villiers. Merci, monsieur Balladur, d'être venu ainsi à mon secours. (Sourires sur plusieurs bancs.)
    M. Edouard Balladur, président de la commission. Mais pas sur ce sujet. Donnez-m'en acte, s'il vous plaît.
    M. Philippe de Villiers. L'élargissement était une occasion historique de passer d'une Europe rigide, disciplinaire, centralisée, à une Europe décentralisé, souple et respecteuse des peuples et des singularités. Et quelle est la réponse ? Un peu plus de supranational, un peu plus de rigidité, un peu plus de verrouillage. Tout le monde reconnaît que le pouvoir est lointain. Que fait-on ? On l'éloigne ! Tout le monde constate que le pouvoir européen est peu contrôlé. Du reste, un pouvoir lointain est par essence peu contrôlable et corruptible ! Il y a une bande de faux filous et de faux-facturiers là-bas ! Il faudra aller y faire un tour ! Confer l'affaire Eurostat ! Et tout ce qui traîne ! Et tout ce qui est couvert et qu'on découvrira un jour ! Quand vous ne contrôlez pas, c'est la nature humaine... Bref, le pouvoir européen n'est pas contrôlé, que fait-on ? On va le contrôler encore moins, le rendre définitivement incontrôlable en faisant de Bruxelles - je cite un grand professeur de droit - « l'attributaire exclusif des pouvoirs jusqu'ici détenus par les Etats » !
    J'en arrive à mon exception d'irrecevabilité, objet de ma première intervention.
    Le traité d'élargissement est étroitement lié au projet de Constitution européenne, comme l'ont souligné tour à tour les orateurs qui m'ont précédé. Or ce projet de Constitution apparaît d'ores et déjà absolument contraire, quoi qu'on puisse penser par ailleurs, à la Constitution française. Et je prends le pari à cette tribune que personne n'osera soumettre, lorsqu'il sera signé, le traité au Conseil constitutionnel, ce qui sera un coup de force dans le coup d'Etat.
    Il est évident que la Constitution européenne vise à mettre en place un super-Etat supranational. On peut être pour, on peut être contre, mais les mots ont un sens. Il faut cesser de dire que le mot Constitution aurait pour l'Europe un autre sens que celui qu'il a pour les nations.
    M. Philippe Folliot. C'est vrai !
    M. Philippe de Villiers. Qui dit Constitution dit Etat. Seuls les Etats ont une Constitution et tous les Etats ont une Constitution, même quand elle est coutumière. La Constitution, c'est la règle suprême qu'un peuple souverain se donne pour conférer un statut à son Etat.
    M. Philippe Folliot. Il a raison !
    M. Philippe de Villiers. Par conséquent, qui dit Constitution européenne dit Etat européen, c'est-à-dire un Etat européen supra-étatique, ce qui signifie que la Constitution de la Ve République deviendra une norme inférieure, une sorte de règlement intérieur d'un Land - d'un super-Land, si vous voulez, avec des gouverneurs du Land qui iront, comme M. Raffarin et M. Sarkozy, la tête couverte de cendre et le coeur en berne, quémander quelques avantages pour le Marais poitevin, ou la TVA sur le disque, là-bas, auprès de nos nouveaux maîtres...
    M. Philippe Folliot. C'est triste, mais c'est juste !
    M. Philippe de Villiers. Qu'y-a-t-il dans cette Constitution ? Plusieurs choses qu'il faut rappeler, à cette tribune : c'est peut-être la seule fois - la seule ! - où ce sera fait.
    La première chose qu'il y a dans cette Constitution, c'est une relation nouvelle entre l'Union européenne et les Etats. C'est l'article 5-1. Il ne vous aura pas échappé, monsieur le ministre, et cela doit vous chagriner, que dans la constitution de M. Giscard d'Estaing, le mot « souveraineté » a disparu. Il est remplacé par le mot « identité ». Or ce n'est pas du tout la même chose. On connaît, dans l'histoire des hommes et des nations, des peuples qui ont perdu leur souveraineté, mais qui ont su garder leur identité, comme on vit la liberté avec un samizdat c'est-à-dire, sous le manteau. Je cite l'article 5-1 : « L'Union respecte l'identité nationale de ses Etats membres. » J'en ai fait cette remarque à M. Giscard d'Estaing dans un débat sur France 3. « Et alors ? », m'a-t-il répliqué. Ça change tout ! Le texte ne dit pas : « l'Union respecte la souveraineté nationale ». Non, la souveraineté, c'est fini.
    Deuxième élément-clef : la supériorité juridique du droit européen sur les droits nationaux - c'est l'article 10. Je dis bien : la supériorité juridique de tout le droit européen sur les droits nationaux.
    Vous me direz que c'était déjà le cas dans la jurisprudence. Mais là, cela devient solennel. Jusqu'alors, cela portait sur des domaines techniques ; désormais, cela porte sur tout, et sur des choses capitales : la sécurité, l'immigration, l'économie, etc., avec une Cour de justice qui devient de facto la Cour constitutionnelle de l'Union européenne.
    Sans oublier toute la panoplie sémantique à laquelle, monsieur le ministre, vous devez être sensible. Prenons le mot « loi ». M. Giscard d'Estaing y tenait, à ce mot. Ici, il y a des lois ; là-bas, il y aura des lois. Mais ici, les lois que nous voterons, nous, les coupeurs de citrons de la République, ou plutôt de l'Union européenne, ce ne seront que des lois secondes, des lois d'application. Et les lois de là-bas, leurs lois à eux, édictées par la Commission avec son monopole d'initiative, ce seront les lois de l'Europe avec toute l'autorité que confère ce mot.
    Prend-on les gens pour des gogos ? Osons le leur dire !
    Et puis il y a le mot « ministre » Tiens ! Il y avait un hymne. Désormais, il y aura des lois, une citoyenneté européenne. Et des ministres. Ça y est, on a le premier, le ministre des affaires étrangères.
    Toute cette panoplie sémantique va bien au-delà du changement de terminologie. On touche à la portée symbolique et les hommes politiques savent très bien ce qu'est la portée symbolique des mots.
    Et que dire de l'intégration de la charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne ? Apparemment, aucun intérêt. Tout le monde s'en fiche. Et pourtant ! Cela va permettre, par exemple, aux Basques et aux Corses d'aller se faire reconnaître des droits là-bas, à la Cour de justice européenne transformée en Cour constitutionnelle. Tout simplement parce que les Etats auront été dépouillés de leur mission première qui consiste à assurer la protection des droits et des libertés de leurs ressortissants.
    Quant à la personnalité juridique de l'Union européenne, alors là, monsieur le ministre, je tombe de l'armoire ! Je ne peux pas penser une seconde que vous puissiez acceptiez les conséquences de ce que l'on dit dans les couloirs de Bruxelles. Qu'y dit-on ? Que c'est fait pour permettre à l'Union européenne de chiper, de subtiliser, de conquérir le siège de membre permanent du Conseil de sécurité occupé par la France.
    Puisque l'Union européenne aura la personnalité juridique, elle deviendra un acteur international à part entière. Elle négociera non plus au nom des Etats mais en son nom propre. Et donc, tout naturellement, un petit coup d'épaule ! Et on prend la place de la France ou de l'Angleterre, au choix. Mais ce sera probablement la France qui se dévouera parce que la différence entre les deux pays, c'est que les Anglais, eux, défendent l'Europe quand il s'agit de défendre l'Angleterre !
    Il y aura aussi généralisation des décisions à la majorité qualifiée. Les orateurs qui se sont exprimés tout à l'heure ont trouvé cela formidable ! La Commission incarnerait « l'intérêt général européen ». Voyez : c'est un gouvernement européen. Nous y sommes ! Quant au Conseil des ministres, il est transformé en institution supranationale.
    Que signifie pourtant la généralisation de la majorité qualifiée ? Que, demain, le veto sera l'exception et la majorité la règle. Qu'entre la Commission et le Conseil, il n'y aura plus de différence, ce seront deux fédéralismes : la Commission avec le monopole d'initiative, le Conseil avec la majorité. A partir du moment où le Conseil est fondé sur le principe de la majorité, nous sommes dans le fédéralisme. Le Conseil n'est plus l'organe de représentation des nations et des souverainetés.
    Enfin, la Constitution impose la mise sous tutelle des politiques étrangères nationales au profit d'une politique étrangère unique.
    Monsieur le ministre des affaires étrangères, cette politique étrangère unique, soit elle ne se fera pas - ce que, sans doute, vous pensez au fond de vous-même - et, dans ce cas, il n'y a pas trop de dégâts, on n'a pas froissé nos partenaires - notamment Joska Fischer qui a bien envie d'être le ministre européen à votre place - ; soit elle se fera, et là, vous prenez un sacré risque, parce qu'elle sera atlantique, c'est-à-dire américaine !
    M. Philippe Folliot. Eh oui !
    M. Philippe de Villiers. L'affaire irakienne devrait pourtant nous alerter. Pendant qu'à New York la France brandissait son droit de veto, il y avait, à Paris, des Français pour la presser d'y renoncer. Comment peuvent-ils vouloir à New York une France aux mains libres et à Bruxelles une France aux mains liées ? ? C'est de vous que je parle, à New York, vous, talentueux et courageux, face à l'Amérique. C'est M. Giscard d'Estaing dont je parle, à Paris, à Bruxelles et à Strasbourg. France aux mains libres, France aux mains liées : comment peut-on se satisfaire de notre droit de veto pour le monde, et vouloir l'abolir pour l'Europe ?
    Mon exception d'irrecevabilité se double d'une question préalable que je vous soumettrai cette nuit. Comment peut-on débattre de l'élargissement si l'on ne pose pas préalablement la question du contenu du projet de Constitution ? Les deux nous sont en permanence présentés comme indissociables.
    Or la stratégie d'adoption de ces textes est pour le moins curieuse.
    Pour les pays candidats, elle conduit, en effet, à les faire entrer dans une Union dont on leur demandera, aussitôt après, de modifier complètement la philosophie des institutions. Les peuples de l'Est vont entrer dans une union semi-fédérale et, neuf jours après leur entrée, on leur demandera d'accepter une modification radicale des institutions sur la base desquelles ils ont procédé à des référendums et donné leur accord.
    Pour les peuples des pays déjà membres, la procédure est tout aussi étrange. On leur demande de faire, les yeux bandés, le saut de l'élargissement, sans leur dire quels changements institutionnels en seront demain la conséquence.
    C'est pourquoi, en tant que parlementaire français, je pense qu'il serait honnête de demander au Gouvernement de s'adresser lui-même au Parlement, pour savoir quels principes institutionnels nouveaux le Parlement est prêt à accepter. Puisqu'il va tout perdre, autant demander au condamné de choisir son bandeau !
    Parallèlement à l'élargissement, il y a la Constitution. Je le dis en croisant le regard de M. Lequiller, car nous avons un bon souvenir ensemble, notre première visite en Pologne, au cours de laquelle nous avions rencontré Lech Walesa : ce grand élargissement est une occasion historique gâchée - et c'est grave. Car nous sommes nombreux à avoir attendu le moment où l'Europe réunie, après quarante-cinq ans de séparation artificielle due au communisme, allait de nouveau pouvoir respirer avec ses deux poumons. Notre joie devrait aujourd'hui être sans mélange. Pourtant, c'est un sentiment de malaise qui domine, celui d'avoir raté un rendez-vous historique. Car cet élargissement différé n'est pas l'union que nous avions espérée au lendemain de la libération des peuples d'Europe centrale et orientale.
    Que s'est-il donc passé ? Le grand élargissement aurait dû être une réunification - les mots ont un sens -, mais celle-ci a été transformée en un rendez-vous manqué ou plutôt une suite de rendez-vous manqués. L'euphorie des retrouvailles ne débouche sur aucun projet politique novateur pour l'Europe. Rappelons-nous pourtant l'immédiat après-1989, et l'immense élan de sympathie qui s'emparait de nos populations à la suite de la libération des peuples d'Europe centrale et orientale de l'idéologie communiste.
    Chacun arborait le pin's de Solidarnosc. Aujourd'hui, c'est le pin's de l'euro que pourraient arborer beaucoup de parlementaires. Ce n'est pas le même ! Chacun avait conscience à ce moment-là que Walesa, Havel, Lansbergis et tous ceux dont ils incarnent le destin venaient d'écrire une grande page de notre histoire commune, une page dans laquelle nous nous reconnaissions.
    Pourtant, faute de vision historique, cet enthousiasme populaire, aucun dirigeant ouest européen et notamment français ne saura le capitaliser à temps et le transformer en un projet politique novateur pour cette Europe qui vient de se retrouver.
    S'enchaînaient alors les rendez-vous manqués. Je citais tout à l'heure les propos de François Mitterrand. Maintenant que je vois un représentant du parti socialiste, je les répète.
    M. François Loncle. J'ai entendu, et c'est faux !
    M. Philippe de Villiers. M. Mitterrand déclarait que les pays d'Europe qui viennent de se libérer ne sauraient rejoindre l'Union européenne « avant des décennies ». Quel dommage ! Il présentait d'ailleurs à Prague un projet de confédération qui n'était en fait qu'une Europe de seconde classe et un faux-nez, destiné à préserver la mise en place du super-Etat à l'Ouest. En 1992, encore, la commission constitutionnelle du Parlement européen, haut lieu du supranationalisme, s'il en est, écrivait dans un rapport : « Il n'est ni possible ni nécessaire que tous les Etats qui sont européens se rassemblent dans l'avenir en une Union. »
    La construction européenne n'a donc pas été réorientée pour accueillir immédiatement des pays de l'Europe centrale et orientale au sein d'une grande confédération politique européenne. L'élargissement aurait dû être l'occasion de renforcer la flexibilité de l'Union, pour répondre à la diversité de ses membres. L'accueil des nouveaux membres au sein d'une grande confédération politique européenne aurait pu, aurait dû être immédiat.
    Mais, au lieu de définir la nouvelle Europe en s'appuyant sur l'expérience qu'ils venaient de vivre, on a imposé à ces pays qui sortaient de prison un parcours du combattant, avec les fameuses 80 000 pages de l'acquis communautaire que vantait tout à l'heure M. de Charette. Ah ! comme c'est beau, comme c'est intelligent. Pourquoi pas 180 000 pendant qu'on y était ! Est-ce cela, l'Europe politique qu'on veut construire ? Il aurait été préférable de penser en termes de coopération intergouvernementale et ouvrir d'entrée cette coopération. Faute d'avoir su organiser à temps cette orientation fondamentale, c'est l'OTAN qui va tenir lieu de projet politique.
    Le 1er mai 2004 ne sera pas, pour les nouveaux membres, la grande fête de la réunification du continent qu'il aurait dû être, mais une admission intéressée, chèrement acquise, âprement marchandée, tardive et consentie, comme à regret, par Bruxelles. Ce qui aurait dû être un projet politique fondé sur les aspirations et les valeurs des peuples sortant du communisme devient un processus technocratique et comptable d'extension vers l'Est des normes économiques et juridiques de Bruxelles. D'ailleurs, le désenchantement de la France elle-même et de l'Allemagne est tel que ces deux pays envisagent de reformer un couple à part, on le lit tous les jours dans la presse. Peut-être est-ce vrai, peut-être est-ce faux, mais, au moment même où on nous parle de la réunification, l'Allemagne et la France repartent ensemble. Méfiez-vous d'ailleurs de ce couple, parce que c'est l'Allemagne qui portera la culotte, et, malgré tout, celle-ci sera de fabrication américaine. (Sourires.)
    Alors oui, les Français sont inquiets et déboussolés. On a parlé de délocalisations dans notre agriculture, notre industrie et notre recherche. A l'heure des raids américains sur nos industries de défense, à l'heure où la Chine ambitionne de devenir la manufacture du monde et le Brésil le nourrisseur de l'Europe, nous ne devons plus gaspiller notre énergie à élaborer des échafaudages institutionnels supranationaux et contraignants. Nous devons, au contraire, la consacrer à assembler, dans tous les domaines stratégiques, les volontés, les compétences, les financements qui permettront à nos pays d'Europe de rester demain indépendants et de constituer une force commune. N'oublions jamais que les créateurs d'Ariane ou d'Airbus nous ont montré le chemin en bâtissant des industries aéronautiques spatiales européennes puissantes en se passant de la bureaucratie bruxelloise.
    Si les peuples européens sont aujourd'hui plus réservés sur l'élargissement, mes chers collègues, c'est aussi parce qu'ils ont conscience que l'élargissement qu'on nous présente en cache un autre - un élargissement peut en cacher un autre ! -, l'élargissement à la Turquie.
    C'est une des raisons pour lesquelles à l'enthousiasme ont succédé le doute et l'interrogation. Cet élargissement sans générosité, mal ficelé, générateur d'amertumes multiples, en précède un autre, qu'on veut leur dissimuler. Je le dis solennellement, pour éviter toute méprise : l'adhésion des dix nouveaux membres de l'Europe centrale et orientale paraît aller de soi pour tous les français : c'est un retour à la normale, un retour dans la famille. « Ils sont aussi européens que nous ! » Mais - et vous avez, d'ailleurs, effleuré tout à l'heure la question, monsieur le ministre -, pour la Turquie, c'est une autre histoire ! Je parlerai cette nuit de ce pays, me contentant, pour l'instant, de signaler un point. On nous dit tous les jours qu'il n'est pas vrai que l'adhésion de la Turquie soit décidée et que je cherche à faire peur. Mais j'affirme qu'elle l'est, et vous le savez très bien, malgré un léger flottement dans les chancelleries, depuis les attentats d'Istanbul.
    On voudrait nous faire croire que rien n'est fait, et que toutes les options restent ouvertes. C'est toujours la même histoire : on ne dessoûle pas un ivrogne avec un verre de lait ! On habitue les gens. Si on avait parlé de constitution européenne au moment de Maastricht, jamais les gens ne l'auraient accepté. Mais on avance petit à petit, à petit pas. Propagande ! Pour la Turquie, on en est à nous dire que la négociation n'est pas commencée, on nous parle des critères de Copenhague. On retrouve la fameuse temporalité close de l'idéologie, avec sa sémantique.
    La réalité, c'est que l'Union européenne s'est engagée dans une stratégie de non-retour, sans jamais consulter, selon les bonnes vieilles méthodes fédéralistes, les peuples concernés. L'engrenage a commencé d'être mis en place, vous l'avez dit, en 1963, avec une promesse d'adhésion, précédant l'accord d'association, sous l'amicale pression - déjà - des Etats-Unis. Puis, il y eut la cap décisif franchi en 1999, à Helsinki. Je me souviens, d'ailleurs, que M. Giscard d'Estaing avait déclaré : « L'Europe est morte à Helsinki. » Lorsque le statut d'Etat candidat fut officiellement décerné à Ankara par le Conseil européen, en ces termes : « La Turquie est un pays candidat qui a vocation à rejoindre l'Union européenne sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres candidats. La Turquie bénéficie d'une stratégie de préadhésion. »
    On fait trempette ! Vous savez ce que signifie la préadhésion : l'octroi d'une aide financière très importante pour se préparer à l'adhésion. Quand vous êtes préadhérent, vous « touchez » déjà. C'est pratique !
    Troisième étape, essentielle : le sommet européen de Copenhague de décembre 2002, soumis à une intense pression américaine. Vous devez vous souvenir que le Président Bush appelait les autres Présidents sur leur portable, jusque dans la salle des négociations, en leur disant de faire un effort. Le sommet s'apprêtait à fixer la date de début des négociations d'adhésion avec la Turquie, quand la France a fait valoir qu'il serait peu opportun que la question turque vienne interférer avec les élections européennes, en suggérant un coup de pied en touche qui repousserait la décision jusqu'au sommet européen de décembre 2004.
    Une telle astuce tactique ne pouvait que séduire nos partenaires. Il fut donc décidé que l'Union fixerait la date d'ouverture des négociations à décembre 2004, après qu'un rapport de la Commission aura été présenté en novembre 2004. Mais même repoussée, chacun comprend - et d'abord le peuple turc - que cette décision équivaut déjà à accepter l'entrée de la Turquie dans l'Union. D'ailleurs, Ankara se comporte comme si elle en était déjà membre à part entière. Ainsi, elle a participé à la Convention - qui le sait ? Elle est membre, en tant qu'observateur - de la Conférence intergouvernementale - qui le sait ? Elle est associée à la fameuse PESC et bénéficie pour se préparer à l'adhésion d'une coquette aide financière dont le montant a été doublé lors du sommet de Copenhague. Visitez le site Internet du Parlement européen et vous découvrirez, en outre, que le Parlement européen parle déjà le turc, comme s'il s'agissait d'une des langues de travail de l'assemblée. Ils ont recruté les interprètes ! Le Parlement européen, c'est l'avant-garde : toujours un coup d'avance !
    Quant au rapport que la Commission publiera en novembre 2004, il est déjà largement préécrit. Le commissaire à l'élargissement, l'inénarrable M. Verheugen, vient de nous annoncer qu'il serait « positif et encourageant ». Des dates circulent déjà avec insistance dans les couloirs de la Commission : début 2005 pour le démarrage des négociations d'adhésion, 2010 pour l'entrée de la Turquie dans l'Union - et on peut faire confiance à l'efficacité de la diplomatie turque pour veiller au grain.
    L'affaire est donc entendue, que les peuples d'Europe se le tiennent pour dit ! La campagne des élections européennes ne doit point aborder la question de la Turquie : c'est dangereux. On l'évoquera plus tard. Cette question n'est pas d'actualité, elle est hors sujet, soustraite au débat. Du reste, tous les eurofédéralistes conjugueront leurs efforts pour dire : « Chut, l'adhésion de la Turquie, on n'en parle pas, c'est pour plus tard. » Il ne faut pas que le peuple français soit amené à en entendre parler, surtout pas au moment des élections européennes !
    Pour l'adoption de la Constitution européenne, on essaiera donc de passer en douce, sans référendum - cela ne va pas être simple. Quant à l'adhésion de la Turquie, on l'évoquera après, en décembre 2005.
    Permettez-moi d'ouvrir une petite parenthèse. Moi, je n'ai jamais réclamé que les racines chrétiennes figurent dans la Constitution puisque je suis contre la Constitution. Mais je me suis intéressé au problème par curiosité et j'ai essayé de comprendre pourquoi cette demande se voyait opposer un tel refus. Eh bien, c'est tout simplement que la Turquie a exigé, au nom de la laïcité - M. Erdogan a tous les culots, toutes les audaces, parce qu'il est sûr de lui -, qu'il ne soit pas fait mention des racines chrétiennes car, sinon, son pays ne pourrait pas entrer dans l'Union. En d'autres termes, il a demandé d'expulser Dieu pour faire entrer Allah ! Et tout le monde s'est exécuté !
    M. François Loncle. C'est délirant !
    M. Philippe de Villiers. J'en viens à la conclusion de cette première intervention, en vous remerciant, les uns et les autres, pour votre patience et votre attention, que j'apprécie,...
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Cela mérite, en effet, des remerciements !
    M. Philippe de Villiers. ... en particulier la vôtre, monsieur de Charette, mais je connais votre grande patience...
    M. Hervé de Charette, rapporteur. J'en fais preuve !
    M. Philippe de Villiers. ... dont Léonard de Vinci disait qu'elle est une forme du génie.
    Ecoutez-moi jusqu'au bout et peut-être un jour changerez-vous d'avis, monsieur de Charette. J'attends ce jour avec impatience, les yeux tournés vers votre beau département. Nous sommes au point de retournement, monsieur de Charette. C'est difficile pour vous. J'ai vu à plusieurs reprises dans votre regard un peu de tristesse, de désarroi, de désenchantement. Vous me suiviez avec d'autant plus d'attention que vous vous disiez, par moments : « Et s'il avait raison. »
    Aujourd'hui, l'Europe évolue encore sur les deux voies de la construction européenne définies par le traité de Rome : la voie officielle, centrale, de l'intégration, établie sur ce double fédéralisme dont j'ai parlé tout à l'heure, et se nourrissant, comme le Minotaure, des amputations de souveraineté, et la voie résiduelle, périphérique, établie sur le veto, et qui se nourrit de coopération interétatique. Quand M. de Villepin veut être efficace, il choisit de ne pas passer par la Commission de Bruxelles ; il s'en remet à la coopération interétatique, comme ce fut le cas pour l'accord de Malaga ou la démarche iranienne, et comme ce sera le cas, a-t-il annoncé tout à l'heure, pour l'Afrique, car il sait très bien que, s'il passe par Bruxelles, il ne pourra pas s'en tirer.
    C'est M. Balladur, sauf erreur de ma part, qui a lancé le concept de géométrie variable. Ne nous méprenons pas : si la géométrie variable consiste à faire de l'intégration par la Commission de Bruxelles plus vite que par les autres voies, il faut tout de suite dire aux gens que c'est le contraire de la souplesse, mais un surcroît de rigidité à l'usage de ceux qui veulent être rigides plus tôt. Mais si la géométrie variable consiste à se passer de la Commission de Bruxelles pour faire de la vraie souplesse, au sens de la coopération interétatique, pour, ensemble, reconstituer un marché commun agricole, créer un dôme antimissiles, s'unir dans le domaine scientifique, désarmer les centrales nucléaires de l'Est, fonder une agence européenne de l'armement, si cette géométrie variable est fondée sur la coopération des peuples, des entreprises et des nations, dans l'esprit d'Ariane, d'Airbus ou du CERN, on est sûr que ça marchera, car la méthode est éprouvée.
    Il existe donc deux voies, la voie officielle et la voie résiduelle, la voie de l'intégration fédérale et celle de la coopération interétatique. Aujourd'hui, l'Europe est à la croisée des chemins, mais celui dans lequel elle s'engage n'est pas celui des nations, au contraire. Il semble plutôt que ce soit celui d'un Etat fédéral qui contraint et intègre les nations. Le général De Gaulle disait : « Si vous voulez que des nations s'unissent, ne cherchez pas à les intégrer comme on intègre des marrons dans une purée des marrons. » Le chemin choisi, je le crains, c'est la purée de marrons.
    La question qui se pose aujourd'hui, et que je pose à M. le ministre des affaires étrangères, est la suivante : comment évolue l'Europe, comment évolue le monde ? Ou, plutôt, comment évolue le monde par rapport à l'Europe ? C'est la question de la modernité.
    Tout à l'heure, j'ai adressé une petite pique amicale à M. Giscard d'Estaing, que nous avons tous bien connu quand nous étions enfants. (Sourires.) M. Giscard d'Estaing, lui, veut un Etat fédéral. Il veut faire les Etats-Unis d'Europe. Mais ne raisonne-t-il pas encore dans l'époque qui fut la sienne ? On est toujours un peu victime de ses souvenirs, de sa culture, de son passé. L'Europe de la Constitution, cette Europe de la rigidité, de l'hypercentralisation, est-ce bien l'Europe de l'avenir ? L'Europe de l'avenir n'est-elle pas plutôt l'Europe de la souplesse, de la proximité, de la démocratie ?
    Regardons autour de nous. Le spectacle est stupéfiant. Comment évolue le monde ? Si nous ouvrons le zoom de nos voisinages planétaires, nous voyons que le monde évolue selon un principe rigoureusement contraire à celui de l'Europe. Vous le savez bien, monsieur le ministre. Ce principe, c'est celui des nations. Certes, l'hyperpuissance américaine, d'une part, et le poids croissant des pouvoirs trans-étatiques, d'autre part, donnent parfois l'illusion d'une fin générale de la souveraineté étatique. Pourtant, plus que jamais, le monde est fait d'Etats souverains. La souveraineté n'est pas une survivance, c'est l'horizon indépassable des relations internationales.
    Je voudrais, pour terminer, rappeler quelques réalités.
    La première, c'est que la construction européenne, avec sa volonté idéologique qui vise à abolir les souverainetés au profit d'un pouvoir technocratique supranational, est unique dans le monde. Partout ailleurs, les cent soixante-dix autres Etats, du Kosovo au Timor oriental, pensent leur destin à travers la souveraineté. En 1900, il y avait quarante Etats souverains ; en 2003, il y en a cinq fois plus.
    La deuxième réalité, c'est que les peuples qui luttent pour entrer dans l'Histoire veulent le faire en tant qu'Etats souverains.
    Je voudrais, en m'adressant à M. de Villepin, souligner une curiosité. Chaque semaine, je lis, j'entends les plus hautes autorités de notre pays, dont vous faites partie, parler du « nécessaire transfert de la souveraineté ». S'agit-il de la France ? Non, de l'Irak. Chaque fois que vous donnez une interview à un journal, monsieur le ministre, je me précipite et je lis les mêmes mots : « nécessaire transfert de la souveraineté ». Quand vous parlez de la France, c'est le « nécessaire transfert de la souveraineté » à Bruxelles que vous invoquez. A propos de l'Irak, c'est le contraire.
    M. Jean-Claude Lefort. Nous ne sommes tout de même pas occupés !
    M. Philippe de Villiers. Effectivement, les pays de l'Europe centrale et orientale ne sont plus occupés par le communisme. Je comprends votre gêne.
    M. Jean-Claude Lefort. Pas du tout ! Je préfère être dans ma peau que dans la vôtre !
    M. Philippe de Villiers. Il est vrai que, pour vous, c'est un moment délicat. Vous devez faire votre deuil. Laissez-moi aller jusqu'au bout, monsieur Lefort.
    M. le président. Monsieur de Villiers, il faut conclure. Votre temps de parole est écoulé.
    M. Philippe de Villiers. Je conclus.
    M. Jean-Claude Lefort. La comparaison est tout de même exagérée !
    M. le président. Monsieur Lefort !
    M. Philippe de Villiers. M. de Villepin, lui, a souri. Vous voyez, il a compris. Il a acquiescé. Laissez-le sourire.
    M. Jean-Claude Lefort. C'est un diplomate ! (Sourires.)
    M. Philippe de Villiers. Je suis sûr que, au fond de lui-même, il se dit : « Quel dommage que ce soit fini ! ». (Sourires.) Je sens qu'il faseye, qu'il vacille !
    M. le président. Monsieur de Villiers, j'ai cru comprendre que vous continuerez tout à l'heure.
    M. Philippe de Villiers. Oui, monsieur le président, après le dîner.
    M. François Loncle. Il faut un entracte !
    M. Philippe de Villiers. Je conclus en disant ceci : pour la France, le concept de souveraineté, c'est le passé, c'est périmé, c'est contraire à la liberté. Pour l'Irak, c'est l'avenir, la modernité, la liberté.
    La troisième réalité c'est que, de toutes les unions régionales - il y en a quatre-vingt-cinq dans le monde -, l'Union européenne est la seule organisation supra étatique abolissant les souverainetés nationales. Toutes les autres sont organisées en coopération interétatiques qui  ne remettent pas en cause les prérogatives de souveraineté.
    Enfin, les logiques de puissance ont changé de nature. Les anciennes notions de taille, d'étendue, d'échelle, de masse critique datent du xixe et du xxe siècles. Bien sûr, c'est un avantage colossal et considérable d'avoir la taille, et la masse critique. Mais ce n'est plus suffisant et on peut le remplacer par autre chose : des réseaux, un avantage technologique, un rayonnement, une influence. Nous sommes entrés dans le monde de la puce et de la miniaturisation. La puce peut tuer le mastodonte. Petite nation, nation puissante. La fronde de David est devenue un laser : elle peut aveugler Goliath. La nation, le concept des nations, c'est la seule vraie réponse à la mondialisation sauvage. Oui, je le dis en conclusion de cette première intervention, au nom de tous les Français frustrés d'un grand débat et d'un référendum sur l'Europe, la modernité, c'est la liberté, la liberté de garder sa mémoire, ses affections, la liberté de se projeter dans l'avenir. La modernité, c'est la nation.
    M. Philippe Folliot. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
    M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, chacun ici est attentif, j'en suis sûr, aux inquiétudes que vous exprimez, monsieur de Villiers, à la veille d'un élargissement de l'Union européenne d'une ampleur sans précédent. Mais je voudrais vous persuader que, désormais, l'ambition que nous avons tous ici pour notre pays passe par une grande ambition pour l'Europe. Car la construction européenne rend chacun de nos Etats plus fort. A ce titre, la France peut y trouver à la fois un nouvel horizon et un élan supplémentaire.
    En préambule, permettez-moi de vous dire, monsieur de Villiers, que débattre de l'élargissement de l'Union avant que soit adoptée une Constitution pour l'Europe, ce n'est pas « mettre la charrue avant les boeufs ».
    D'abord, le traité de Nice, en dépit de ses insuffisances, a déjà adapté les institutions pour une Union à vingt-cinq ; les règles existent donc pour permettre à l'Europe élargie de se lancer sur la route. Les discussions en cours au sein de la conférence intergouvernementale permettront d'aller encore plus loin en favorisant un fonctionnement de cette Union élargie plus démocratique, plus transparent et plus efficace. Il s'agit donc bien d'un processus continu, que nous ne devons pas ralentir sous peine de manquer à notre devoir vis-à-vis des nouveaux adhérents : pouvons-nous demander à ces pays d'attendre encore ? Et la France peut-elle prendre la responsabilité, devant l'histoire, d'être le pays qui s'opposerait au rassemblement de la famille européenne ?
    Je voudrais revenir sur les craintes que vous avez formulées et que je résumerai en quatre grands thèmes. La nouvelle Europe, selon vous, porterait atteinte à notre identité, affaiblirait notre sécurité, saperait les bases de notre souveraineté et de notre influence. En outre, elle violerait nos valeurs démocratiques.
    Notre identité serait menacée, car cette Europe serait un creuset où viendraient se fondre nos valeurs collectives, une Europe que les élargissements à venir rendraient de plus en plus atlantique, mais aussi asiatique, puisque ces deux orientations vous paraissent cheminer de pair à travers la candidature de la Turquie.
    Notre sécurité serait affaiblie, car l'Union élargie serait une « passoire » pour les immigrants clandestins, les activités criminelles et les terroristes.
    Notre souveraineté et notre influence seraient compromises, puisque le modèle choisi serait porteur d'une intégration totale sans pour autant faire de l'Europe une puissance car, à vingt-cinq, elle pèserait moins lourd qu'à quinze. Aussi le rôle de notre pays sur la scène internationale s'en trouverait-il amoindri.
    Enfin, nos valeurs démocratiques seraient violées, car les responsables politiques nationaux seraient dessaisis au profit des fonctionnaires de Bruxelles, et notre peuple serait dépouillé du droit de se prononcer sur la Constitution européenne.
    Au total nous aurions commis un triple contresens historique sur les frontières de l'Union, son architecture et sa puissance.
    Ces dangers, monsieur de Villiers, les négociateurs du traité d'élargissement les avaient bien à l'esprit. Aussi ont-ils mis cinq années pour aboutir. Comment l'identité de la France serait-elle affectée par le partage d'une grande ambition avec d'autres pays européens ? Tous possèdent un socle commun de principes et de valeurs qui constituent notre héritage. Ces valeurs communes, nous les retrouvons dans l'article 2 du projet de Constitution européenne. Dignité humaine, liberté, démocratie, respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit, pluralisme, tolérance, justice, solidarité, non-discrimination : aucun doute, ce sont bien les nôtres. La charte des droits fondamentaux, qui sera intégrée dans la Constitution, leur apporte des garanties nouvelles. En renforçant la place de l'Europe sur la scène internationale, l'élargissement permettra de mieux assurer la promotion de ces valeurs dans le monde.
    Au-delà des grandes valeurs communes, notre modèle de société est au coeur du projet de Constitution en cours de négociation. Ce texte lui apporte de nouvelles sûretés, avec l'inscription dans la charte, dans les objectifs ou dans les politiques de l'Union de nombreux droits sociaux, d'une garantie pour les services publics, d'une ambition de plein emploi, autant d'éléments qui font du modèle européen une synthèse entre principes libéraux et valeurs de solidarité qui nous met à l'abri des grandes remises en cause.
    La recherche du développement durable, la solidarité avec les pays les moins avancés figurent dans le projet de Constitution. L'exception culturelle garantit notre droit à mener des politiques pour la promotion des oeuvres de l'esprit. L'élargissement des frontières apporte de nouvelles opportunités pour le rayonnement de notre langue. Au total, la nouvelle Europe se révèle comme un meilleur vecteur pour porter nos valeurs et diffuser notre modèle de société bien au-delà de nos frontières.
    Parler de l'identité européenne, c'est aussi évoquer les frontières de l'Europe. A cet égard, la candidature turque vous paraît comporter des menaces pour la cohésion de l'ensemble. Comme je l'ai indiqué dans mon intervention précédente, l'Union a décidé, il y a moins d'un an à Copenhague, de trancher cette question à la fin de 2004. La France entend, pour sa part, prendre ses responsabilités, le moment venu, en ayant à l'esprit tous les termes d'un débat difficile mais essentiel pour l'avenir de notre Europe. Elle le fera en prenant en compte les progrès accomplis en matière de démocratie et de droits de l'homme et à la lumière des enjeux qui se posent pour l'équilibre stratégique de notre continent. Elle le fera aussi en s'interrogeant sur la nature des relations et de la coopération que l'Union doit établir avec l'ensemble de ses voisins, qu'ils soient des candidats potentiels à l'adhésion ou, plus simplement, des partenaires appelés à développer avec nous des formes originales d'association.
    Car l'Europe se doit de devenir à terme un pôle de croissance capable de porter le développement de ses voisins et de créer un mouvement général de prospérité. Nos frontières ne seront-elles pas mieux protégées si nous savons construire avec nos voisins une relation plus dense ? Gardons présente à l'esprit la nécessité de prévenir ce choc des cultures, ce choc des civilisations que nous redoutons tous, à bon droit, comme le cauchemar de notre monde.
    Dans l'immédiat, la sécurité de l'Europe élargie a été prise en compte dans tous ses aspects : sécurité des acquis communautaires, que tous les nouveaux membres appliqueront dès leur adhésion - des mécanismes de suivi et des clauses de sauvegarde permettront d'y veiller - ; sécurité du marché du travail, puisque des dispositions transitoires préviendront les perturbations liées aux différences dans les niveaux de salaire ; sécurité des personnes et des biens dans toutes ses dimensions, y compris la sécurité alimentaire ou nucléaire.
    Déjà, les négociations d'adhésion ont conduit les pays candidats à mettre en oeuvre des réformes pour se doter de services de police fiables et d'un système judiciaire efficace. Des stratégies de lutte contre la drogue, le crime organisé ou la corruption ont été adoptées. La maîtrise de l'immigration clandestine progressera par le contrôle renforcé des frontières communes et la mise en cohérence de l'action des polices nationales, mais aussi des accords de réadmission avec certains pays d'origine et une meilleure intégration des immigrants en situation légale. Au total, c'est un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice qui se mettra en place à l'échelle d'un continent enfin réunifié.
    Quant à la souveraineté de la France, elle pourrait être en question si le processus d'élargissement avait été mis à profit pour transformer l'Union en Etat fédéral se substituant aux actuels Etats membres. Vous savez à cet égard qu'il n'en est rien : le projet de Constitution respecte la nature spécifique et originale de la construction européenne, à la fois union d'Etats et union de peuples. Il la consacre même à travers la nouvelle règle de vote à la double majorité des Etats et de la population.
    Il n'a jamais été question que l'Europe fasse tout. En revanche, nous devons lui donner l'ambition et les moyens d'agir partout où elle peut renforcer l'action des Etats. A cet égard, le projet de Constitution européenne clarifie le partage des compétences entre l'Union et ses membres. Mieux : il donne aux Parlements nationaux de nouveaux moyens pour vérifier que cette répartition des compétences est respectée.
    Cette Europe, l'élargissement la rendra plus forte. L'Union à vingt-cinq signifie d'abord plus d'expansion, puisque, comme je l'ai déjà dit, les dix nouveaux adhérents connaissent une croissance soutenue, supérieure de 1 à 2 % à la moyenne de l'Union à quinze. Elle offrira une extension des débouchés pour nos entreprises, et en particulier pour nos agriculteurs, qui verront les aides actuelles maintenues et le modèle agricole européen renforcé. Notre pays bénéficiera très directement des effets de l'élargissement, porteur de nouvelles solidarités politiques pour assurer la promotion de la croissance et de l'emploi. Le nouvel horizon de l'Europe sera également l'occasion d'accroître notre influence tant économique que politique et culturelle.
    Le projet de Constitution européenne propose également des avancées importantes pour que l'Europe puisse peser sur la scène internationale, en particulier dans le domaine de la défense. Déjà, la politique étrangère et de sécurité commune se renforce et se concrétise sur de nombreux terrains, dans les Balkans comme en Afrique. L'élargissement va développer ses assises, accroître le poids de l'Union dans le système des Nations unies et les organisations internationales, rendre plus crédible la volonté européenne de jouer un rôle sur la scène mondiale.
    Car cette volonté existe. Après les hésitations que l'on sait, la crise irakienne a ouvert les yeux de beaucoup de nos partenaires sur la nécessité d'une Europe parlant d'une seule voix et disposant des moyens d'intervenir de façon autonome dans les affaires du monde. A cette volonté répond le besoin d'une Europe active et unie sur la scène internationale, contribuant à la solution des crises régionales et des grands problèmes stratégiques.
    Vous revendiquez enfin, monsieur de Villiers, une Europe plus démocratique. Celle-ci, j'en conviens, souffrait jusqu'alors d'un déficit propre à nourrir des inquiétudes sur la possibilité, pour les peuples, de conserver la haute main sur la construction européenne. Le projet de Constitution va dans le bon sens, puisqu'il permet un fonctionnement des institutions plus transparent et plus efficace, en clarifiant les responsabilités des différents acteurs. Mieux : il contribue à résorber le déficit démocratique dont souffrait l'Europe car il reconnaît un rôle important aux Parlements nationaux dans la vie de l'Union, en particulier pour le contrôle de la subsidiarité, et offre de nouvelles possibilités de participation aux citoyens. Les pouvoirs du Parlement européen sont considérablement accrus, avec une extension sans précédent du champ de la codécision à plus de quarante nouveaux domaines. La création d'une présidence stable du Conseil européen en renforcera l'efficacité et l'autorité. La légitimité de la Commission européenne sera confortée avec l'élection de son président par le Parlement européen.
    Mais, bien entendu, le peuple devra avoir le dernier mot. Notre Constitution prévoit deux procédures lui permettant d'exercer sa souveraineté : la voie parlementaire, et celle du référendum. Il reviendra au Président de la République de faire son choix. Quelle que soit la décision prise, l'important est bien qu'un vrai débat sur l'Europe ait lieu et que le peuple français puisse se faire entendre sur ce sujet. Veillons cependant à ce que ce débat porte sur l'Europe...
    M. Léonce Deprez. Oui !
    M. le ministre des affaires étrangères. ... et ne soit pas détourné vers des enjeux de politique interne. L'avenir de la construction européenne exige que nos compatriotes fassent connaître leurs opinions, directement ou à travers leurs élus, sans arrière-pensées ni détour.
    Nous le voyons chaque jour, le monde change. Nul ne peut nourrir l'illusion de se barricader contre le cours du temps. L'espoir d'un ordre international plus juste et plus sûr se profile, mais également la menace d'un univers désorganisé, déshumanisé et dangereux.
    A ce tournant crucial de notre histoire, ni le confort du statu quo ni a fortiori le mirage d'un retour dans le passé n'offrent de solution. Il faut rejeter la tentation du repli sur soi. Quand l'histoire menace de nous imposer sa loi, le seul recours est de devenir soi-même acteur de l'histoire pour maîtriser et infléchir les évolutions du monde.
    Cette influence sur le cours des événements, l'Europe peut nous la donner. Si nous savons lui insuffler une grande ambition collective. Si nous sommes capables de traduire cette ambition en politiques et en actions. Et si nous nous dotons des moyens nécessaires à cet effet. Avançons donc ensemble sur la recherche, l'éducation, les nouvelles technologies, les infrastructures de transport. Elaborons une initiative commune de croissance pour relancer l'économie. Et dès lors que nous affirmons notre communauté de destin, rassemblons nos énergies autour d'une politique étrangère commune et donnons-nous les moyens de nous protéger face aux menaces, dans le respect de la solidarité atlantique et la perspective d'un partenariat rénové.
    Oserai-je vous dire, monsieur de Villiers, que vous avez votre place dans ce combat. Mais en attendant, le gouvernement que je représente ici doit s'opposer à votre exception d'irrecevabilité et demande à l'Assemblée d'aller de l'avant dans la ratification du traité d'Athènes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Je n'ai pas beaucoup de choses à ajouter à ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères.
    D'abord, je tiens à signaler à l'Assemblée que la commission des affaires étrangères a, après en avoir délibéré, recommandé, à l'unanimité des membres présents, le rejet de l'exception d'irrecevabilité.
    Je voudrais ajouter quelques commentaires personnels à la suite de la longue intervention de M. Philippe de Villiers. En réalité, l'essentiel de son argumentation a reposé sur l'opinion qu'il a de la construction européenne telle qu'elle se fait actuellement et du projet de Constitution en cours de discussion au sein de la conférence intergouvernementale. J'ai observé du reste que ce n'était que vers dix-neuf heures vingt, c'est-à-dire après une heure d'argumentation, qu'il a prononcé le nom des pays concernés par l'élargissement. Cela dit, je voudrais apporter quelques précisions de nature à éclairer notre assemblée.
    D'abord, en ce qui concerne Schengen, est-ce que l'élargissement accroît ou réduit les risques ?
    Cette question, évoquée par M. de Villiers, appelle une réponse tout à fait claire : l'élargissement réduit les risques dans des proportions considérables, et ce pour deux raisons.
    D'abord, parce que, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, le traité prévoit que l'essentiel des règles de Schengen concernant les visas, le contrôle aux frontières ou la coopération douanière, policière et judiciaire deviennent applicables d'entrée de jeu par les dix pays adhérents. Ainsi, chacun des Dix devra appliquer en matière de visas les mêmes procédures que celles utilisées par les autres pays de l'Union afin que le contrôle soit le plus possible partagé. Il y aura donc un partage de l'action et de l'information.
    Ensuite, les risques seront réduits car le passage à la libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen ne sera pas accordé aux Dix au moment de l'adhésion. Il ne le sera que lorsque les treize membres de Schengen considéreront, à l'unanimité, que la situation d'un pays adhérent et sa mise en oeuvre des règles permettent de lui faire confiance : ce n'est qu'à ce moment-là que l'espace sera ouvert. D'ici là - et, en toute hypothèse, ce ne peut pas être avant 2006 -, les frontières intérieures avec les pays adhérents seront maintenues.
    Au total, l'élargissement apportera davantage de rigueur que n'en comporte la situation actuelle. Il nous offrira beaucoup plus de sécurité, nous permettra beaucoup plus de tranquillité d'esprit, y compris en matière de lutte contre le crime organisé, le trafic de drogue ou l'immigration clandestine. Mieux vaut l'élargissement que pas d'élargissement du tout.
    M. de Villiers a également abordé la question de la Turquie. Je dis de nouveau à l'Assemblée qu'il est toujours possible de parler de la Turquie à tout moment ; d'ailleurs, on continuera sûrement à en parler, et il m'étonnerait que M. Philippe de Villiers ne passe pas la moitié de la soirée qu'il a décidé de nous accorder à le faire. (Sourires.)
    M. Philippe de Villiers. Vous êtes perspicace !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Je répète clairement, nettement et précisément que le traité qui nous est soumis ne concerne pas la Turquie. Certes, on peut continuer à en parler, mais, par définition, on est hors sujet quand on le fait.
    M. de Villiers nous a dit qu'il aurait fallu aller beaucoup plus vite et que nous avons manqué un rendez-vous avec les Dix. Bien entendu, j'ai été sensible à cette thèse. En effet, si c'était la vérité, si nous avions vraiment manqué d'esprit de générosité - d'esprit européen finalement -, de capacité à ouvrir les bras à des peuples retrouvant la liberté, je me sentirais profondément marri. La vérité est tout autre : le temps qui a été utilisé par ces pays et par les Quinze l'a été de façon fort efficace. Cela a été un temps précieux. Ces dix pays ont parcouru un chemin formidable. Adhérer à l'OTAN, c'est facile : il suffit de signer un bout de papier pour siéger au Conseil atlantique.
    M. Léonce Deprez. Bien sûr !
    M. Hervé de Charette, rapporteur. Entrer dans l'Europe, avec tout ce que nous partageons ensemble, avec toutes les règles qu'elles comportent - et je ne suis pas en train en ce moment de me féliciter des 80 000 pages du Journal officiel de la Communauté européenne - et qui permettent de faire progresser la sécurité et le bonheur de vivre ensemble, ne pouvait pas se faire d'un seul coup.
    Au reste, si l'on avait précipité les choses, comme l'a recommandé un instant M. Philippe de Villiers, il en serait résulté une sérieuse secousse en termes de sécurité intérieure. En effet, tout ce que je viens de dire à propos de Schengen n'aurait pas été fixé et, en conséquence, c'eût été ouvrir la porte à tous les trafics, notamment celui de la drogue, à toutes les formes de corruption, à tout ce contre quoi nous essayons de lutter. De surcroît, c'eût été pour l'agriculture française une menace extravagante que d'étendre brutalement les règles agricoles à l'ensemble des Dix. Et quand je parle ici, monsieur de Villiers, je dis exactement la même chose que lorsque j'interviens à Saint-Florent-le-Vieil. Les habitants de cette commune comprennent ce que je leur dis, et j'espère qu'il en est de même ici et que la majorité du Parlement me comprend.
    En fait, l'exception d'irrecevabilité m'a paru reposer sur un seul argument, que j'ai fini par comprendre : le traité est indissociable du projet de Constitution ; or comme ce dernier est contraire à notre Constitution, le projet de loi autorisant la ratification du traité est anticonstitutionnel. Tout au moins, c'est ce que déduit M. de Villiers en s'appuyant sur un raisonnement fondé sur des approximations successives. Un jour viendra où nous pourrons peut-être délibérer du traité portant Constitution de l'Union européenne - c'est la bonne formulation - si celui-ci voit le jour. Ce n'est qu'à ce moment-là que quelqu'un pourra examiner sa constitutionnalité, au moyen d'une exception d'irrecevabilité. Toutefois, s'agissant d'un projet de loi autorisant la ratification d'un traité d'adhésion, il me semble que, juridiquement, une telle exception irrecevabilité ne peut se concevoir.
    Voilà des raisons supplémentaires qui complètent celles avancées par la commission des affaires étrangères, au nom de laquelle je rapporte, pour s'opposer à l'adoption de l'exception d'irrecevabilité présentée par M. de Villiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous en venons maintenant aux explications de vote.
    La parole est à M. Jean-Claude Lefort, pour le groupe communiste.
    M. Jean-Claude Lefort. Monsieur de Villiers, vous avez commencé votre intervention en félicitant et en remerciant le président de notre assemblée pour son esprit loyal, puisqu'il vous a autorisé à défendre plusieurs motions de procédure. Je dirai qu'à l'inverse, vous n'êtes pas loyal, car votre longue intervention a constitué un véritable détournement de procédure parlementaire.
    M. Dominique Richard. On en a vu d'autres !
    M. Jean-Claude Lefort. La seule question qui méritait d'être posée est la suivante : êtes-vous, oui ou non, pour l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays et cet élargissement est-il, oui ou non, compatible avec la Constitution ? C'est la seule question qui aurait dû retenir votre attention. Mais vous n'avez rien fait de tel, monsieur de Villiers, si bien que nous ne savons pas exactement si vous êtes pour ou contre l'entrée dans l'Union européenne des dix nouveaux membres. Enfin, nous le devinons tout de même un peu, puisque le fait d'avoir déposé cette motion de procédure laisse supposer que vous êtes contre cette entrée. Eh bien, il faut que les dix peuples européens concernés le sachent : M. de Villiers est hostile à leur entrée dans l'Union européenne !
    Vous êtes contre, parce que, comme vous l'avez expliqué, vous êtes par principe contre l'Europe, lui préférant les coopérations intergouvernementales.
    Votre discours souverainiste a suscité en moi un écho désagréable d'autant qu'il s'est chargé très rapidement et très logiquement d'un certain nationalisme et même d'un chauvinisme certain. En effet, vous avez parlé des populations des dix pays concernés de manière inacceptable. Vous avez parlé de migration, de trafiquants, notamment en matière de prostitution,...
    M. Philippe de Villiers. N'importe quoi !
    M. Jean-Claude Lefort. ... de gaspillage de l'argent qui leur était alloué.
    M. Philippe de Villiers. Vos leçons de morale, vous pouvez vous les garder ! Pendant quarante-cinq ans, ces populations n'ont pas connu la liberté !
    M. Jean-Claude Lefort. Que faites-vous des deux heures de leçons de morale que vous venez de nous asséner ?
    M. le président. Monsieur de Villiers, je vous en prie.
    Poursuivez, monsieur Lefort.
    M. Jean-Claude Lefort. Pour moi, de tels propos sont inacceptables.
    M. Philippe de Villiers. C'est du communisme que ces peuples ne se sont pas remis !
    M. Jean-Claude Lefort. Je vois que je vous touche là où ça fait mal.
    M. Philippe de Villiers. Il vous reste encore des traces de totalitarisme !
    M. Jean-Claude Lefort. Moi, je suis bien dans ma peau. Visiblement, ce n'est pas votre cas.
    M. Philippe de Villiers. Stalinien !
    M. Jean-Claude Lefort. Eh bien, voilà : le mot est lâché !
    M. Philippe de Villiers. Stalinien vous étiez, stalinien vous restez.
    M. Jean-Claude Lefort. M. de Villiers, qui, par principe, est contre l'Europe, vilipende aussi, très sévèrement et à de nombreuses reprises, les Etats-Unis. Mais, avec la politique qu'il propose, les Etats-Unis ont encore de beaux jours devant eux !
    Deux choses sont claires après le discours de M. de Villiers : d'une part, il a opéré un détournement de procédure ; d'autre part, il est contre l'ouverture aux Dix et contre l'Europe par principe et, en conséquence, il fait le jeu de l'hyperpuissance américaine.
    Pour toutes ces raisons, je ne peux pas m'associer à lui.
    M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. François Loncle.
    M. François Loncle. Il faut rejeter - et nous le ferons - cette exception d'irrecevabilité, tout simplement parce qu'elle n'est pas recevable eu égard à nos valeurs, valeurs qui s'expriment d'ailleurs dans les quatre groupes de notre assemblée.
    Personne, monsieur de Villiers, ne met en cause ni votre droit d'expression ni votre capacité oratoire, même quand celle-ci verse dans l'emphase. Mais commencé toujours modérément, raisonnablement, votre discours se transforme rapidement en une sorte de délire, une diatribe, et cette fois-ci, hélas !, vous avez manifesté du mépris à l'endroit des peuples qui vont nous rejoindre et qui expriment, eux, un vrai besoin et un vrai désir d'Europe. Je ne sais si c'est un privilège, en tout cas nous sommes quelques-uns, peu nombreux il est vrai, à savoir que ce n'est pas votre premier discours anti-européen, mais votre dix-huitième, trente-sixième, quarante-huitième.
    Nous les avons entendus quand il s'est agi de ratifier des élargissements précédents, l'Acte unique européen, dont j'étais le porte-parole pour mon groupe, les accords de Schengen, dont j'étais le rapporteur, le traité de Maastricht - vous prononciez « Maastri-k- » - ou le traité de Nice. Chaque fois, je reconnais votre constance et votre absence de contradiction, vous exprimez les mêmes fantasmes. Chaque fois votre discours est démenti, en définitive, par les avancées que, heureusement, l'Europe effectue, en dépit de vos préjugés.
    La tradition française que vous défendez est respectable, comme toutes les traditions, mais il faut tout de même savoir que c'est celle du nationalisme, même si, ce mot étant devenu un gros mot, en raison des récents conflits, on parle aujourd'hui de « souverainisme ». Ces deux mots, nationalisme et souverainisme, recouvrent la même notion, une notion totalement contraire aux aspirations des peuples européens du xxe siècle.
    Vous avez, monsieur de Villiers, évoqué François Mitterrand. Je me permettrai de vous offrir son livre intitulé De l'Allemagne, de la France, dans lequel il exprime en détail, en s'appuyant sur son action, ses convictions sur l'unification de notre continent, ou de vous rappeler un de ses derniers discours. S'adressant au Parlement européen, il avait conclu, approuvé par l'ensemble de l'hémicycle de Strasbourg, à l'exception de quelques personnages : « Le nationalisme, c'est la guerre, l'Europe, c'est la paix. »
    Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité et pour le traité d'élargissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

11

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :
    Suite de la discussion du projet de loi, n° 1048, autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie :
    M. Hervé de Charette, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères (rapport n° 1241).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 2e séance
du mardi 25 novembre 2003
SCRUTIN (n° 393)


sur l'ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.

Nombre de votants

526


Nombre de suffrages exprimés

525


Majorité absolue

263


Pour l'adoption

360


Contre

165

    L'Assemblée nationale a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe U.M.P. (364) :     Pour : 330. - MM. Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Manuel Aeschlimann, Alfred Almont, Jean-Paul Anciaux, René André, Philippe Auberger, François d'Aubert, Jean Auclair, Bertho Audifax, Mme Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Jean Bardet, Mme Brigitte Barèges, MM. François Baroin, Jacques Barrot, Mme Sylvia Bassot, MM. Patrick Beaudouin, Joël Beaugendre, Jean-Claude Beaulieu, Jacques Bénisti, Jean-Louis Bernard, Marc Bernier, André Berthol, Jean-Michel Bertrand, Xavier Bertrand, Jean-Yves Besselat, Gabriel Biancheri, Jérôme Bignon, Jean-Marie Binetruy, Claude Birraux, Étienne Blanc, Emile Blessig, Roland Blum, Jacques Bobe, Yves Boisseau, Marcel Bonnot, René Bouin, Roger Boullonnois, Gilles Bourdouleix, Bruno Bourg-Broc, Mmes Chantal Bourragué, Christine Boutin, MM. Loïc Bouvard, Michel Bouvard, Ghislain Bray, Victor Brial, Philippe Briand, Jacques Briat, Mme Maryvonne Briot, M. Bernard Brochand, Mme Chantal Brunel, MM. Michel Buillard, Yves Bur, Christian Cabal, Dominique Caillaud, François Calvet, Bernard Carayon, Pierre Cardo, Antoine Carré, Gilles Carrez, Richard Cazenave, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, MM. Yves Censi, Jean-Yves Chamard, Hervé de Charette, Jean-Paul Charié, Jean Charroppin, Roland Chassain, Luc-Marie Chatel, Gérard Cherpion, Jean-François Chossy, Jean-Louis Christ, Dino Cinieri, Pascal Clément, Philippe Cochet, Georges Colombier, Mme Geneviève Colot, MM. François Cornut-Gentille, Louis Cosyns, René Couanau, Édouard Courtial, Jean-Yves Cousin, Alain Cousin, Yves Coussain, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Paul-Henri Cugnenc, Henri Cuq, Olivier Dassault, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Claude Decagny, Christian Decocq, Jean-Pierre Decool, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Richard Dell'Agnola, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Bernard Depierre, Léonce Deprez, Jean-Jacques Descamps, Éric Diard, Michel Diefenbacher, Jacques Domergue, Jean-Pierre Door, Dominique Dord, Philippe Douste-Blazy, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Philippe Dubourg, Jean-Pierre Dupont, Christian Estrosi, Pierre-Louis Fagniez, Francis Falala, Yannick Favennec, Alain Ferry, Daniel Fidelin, André Flajolet, Nicolas Forissier, Jean-Michel Fourgous, Marc Francina, Yves Fromion, Claude Gaillard, Mme Cécile Gallez, MM. René Galy-Dejean, Daniel Gard, Jean-Paul Garraud, Daniel Garrigue, Claude Gatignol, Jean de Gaulle, Jean-Jacques Gaultier, Guy Geoffroy, Alain Gest, Jean-Marie Geveaux, Franck Gilard, Bruno Gilles, Georges Ginesta, Jean-Pierre Giran, Claude Girard, Maurice Giro, Louis Giscard d'Estaing, François-Michel Gonnot, Jean-Pierre Gorges, François Goulard, Jean-Pierre Grand, Mme Claude Greff, MM. Jean Grenet, Gérard Grignon, François Grosdidier, Mme Arlette Grosskost, MM. Serge Grouard, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Christophe Guilloteau, Gérard Hamel, Emmanuel Hamelin, Joël Hart, Michel Heinrich, Pierre Hellier, Laurent Hénart, Michel Herbillon, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Antoine Herth, Philippe Houillon, Jean-Yves Hugon, Michel Hunault, Denis Jacquat, Édouard Jacque, Christian Jeanjean, Mme Maryse Joissains-Masini, MM. Alain Joyandet, Dominique Juillot, Didier Julia, Alain Juppé, Mansour Kamardine, Aimé Kergueris, Christian Kert, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, MM. Jacques Kossowski, Patrick Labaune, Marc Laffineur, Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lang, Pierre Lasbordes, Thierry Lazaro, Mme Brigitte Le Brethon, MM. Robert Lecou, Jean-Marc Lefranc, Marc Le Fur, Jacques Le Guen, Michel Lejeune, Dominique Le Mèner, Jean Lemiere, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Jean-Claude Lenoir, Jean-Louis Léonard, Jean Leonetti, Arnaud Lepercq, Pierre Lequiller, Jean-Pierre Le Ridant, Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Gérard Lorgeoux, Mme Gabrielle Louis-Carabin, MM. Lionnel Luca, Daniel Mach, Richard Mallié, Jean-François Mancel, Alain Marleix, Franck Marlin, Alain Marsaud, Jean Marsaudon, Mme Henriette Martinez, MM. Patrice Martin-Lalande, Philippe Armand Martin (51), Alain Marty, Jacques Masdeu-Arus, Jean Claude Mathis, Pierre Méhaignerie, Christian Ménard, Alain Merly, Denis Merville, Damien Meslot, Gilbert Meyer, Pierre Micaux, Jean-Claude Mignon, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre Morange, Mme Nadine Morano, MM. Pierre Morel-A-L'Huissier, Jean-Marie Morisset, Georges Mothron, Étienne Mourrut, Alain Moyne-Bressand, Jacques Myard, Jean-Marc Nesme, Jean-Pierre Nicolas, Hervé Novelli, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Dominique Paillé, Robert Pandraud, Mmes Béatrice Pavy, Valérie Pecresse, MM. Jacques Pélissard, Philippe Pemezec, Pierre-André Périssol, Bernard Perrut, Christian Philip, Etienne Pinte, Michel Piron, Serge Poignant, Mme Bérengère Poletti, M. Axel Poniatowski, Mme Josette Pons, MM. Daniel Poulou, Daniel Prévost, Christophe Priou, Jean Proriol, Didier Quentin, Michel Raison, Mme Marcelle Ramonet, MM. Éric Raoult, Jean-François Régère, Frédéric Reiss, Jean-Luc Reitzer, Jacques Remiller, Marc Reymann, Dominique Richard, Mme Juliana Rimane, MM. Jean Roatta, Camille de Rocca Serra, Mme Marie-Josée Roig, MM. Vincent Rolland, Jean-Marie Rolland, Philippe Rouault, Jean-Marc Roubaud, Michel Roumegoux, Max Roustan, Xavier de Roux, Martial Saddier, Francis Saint-Léger, Frédéric de Saint-Sernin, André Samitier, François Scellier, André Schneider, Bernard Schreiner, Jean-Marie Sermier, Georges Siffredi, Yves Simon, Jean-Pierre Soisson, Michel Sordi, Frédéric Soulier, Daniel Spagnou, Alain Suguenot, Mmes Michèle Tabarot, Hélène Tanguy, MM. Jean-Charles Taugourdeau, Guy Teissier, Michel Terrot, Mme Irène Tharin, MM. Jean-Claude Thomas, Dominique Tian, Jean Tiberi, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Christian Vanneste, Mme Catherine Vautrin, M. Alain Venot, Mme Béatrice Vernaudon, MM. Jean-Sébastien Vialatte, René-Paul Victoria, François-Xavier Villain, Philippe Vitel, Gérard Voisin, Michel Voisin, Jean-Luc Warsmann, Gérard Weber, Éric Woerth, Mme Marie-Jo Zimmermann et M. Michel Zumkeller.
    Abstention : 1. - M. Nicolas Dupont-Aignan.
    Non-votant : M. Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (149) :     Contre : 138. - Mme Patricia Adam, M. Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Marcel Cabiddu, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Jean-Pierre Defontaine, Michel Delebarre, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Paul Giacobbi, Joël Giraud, Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, François Huwart, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (32), Christophe Masse, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira, MM. Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque
Groupe Union pour la démocratie française (30) :
    Pour : 29. - MM. Pierre Albertini, Gilles Artigues, Pierre-Christophe Baguet, François Bayrou, Christian Blanc, Bernard Bosson, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Charles de Courson, Stéphane Demilly, Jean Dionis du Séjour, Philippe Folliot, Gilbert Gantier, Francis Hillmeyer, Olivier Jardé, Yvan Lachaud, Jean-Christophe Lagarde, Jean Lassalle, Maurice Leroy, Claude Leteurtre, Hervé Morin, Nicolas Perruchot, Jean-Luc Préel, François Rochebloine, Rudy Salles, André Santini, François Sauvadet, Rodolphe Thomas, Francis Vercamer et Gérard Vignoble.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Contre : 20. - MM. François Asensi, Gilbert Biessy, Alain Bocquet, Patrick Braouezec, Jean-Pierre Brard, Jacques Brunhes, Mme Marie-George Buffet, MM. André Chassaigne, Jacques Desallangre, André Gerin, Pierre Goldberg, Maxime Gremetz, Georges Hage, Mmes Muguette Jacquaint, Janine Jambu, MM. Jean-Claude Lefort, François Liberti, Daniel Paul, Jean-Claude Sandrier et Michel Vaxès.
Non-inscrits (12) :
    Pour : 1. - M. Patrick Balkany.
    Contre : 7. - Mmes Huguette Bello, Martine Billard, MM. Gérard Charasse, Yves Cochet, Noël Mamère, Alfred Marie-Jeanne et Emile Zuccarelli.