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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU VENDREDI 28 NOVEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
1re séance du jeudi 27 novembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE

1.  Pénalisation des propos à caractère discriminatoire. - Discussion d'une proposition de loi «...».
M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois.
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

Mme
Marylise Lebranchu,
MM.
Xavier de Roux,
Michel Vaxès,
Francis Vercamer,
Mmes
Martine Billard,
Danielle Bousquet,
M.
Alain Vidalies.
Clôture de la discussion générale.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.
M. le rapporteur.

VOTE SUR LES CONCLUSIONS DE REJET
DE LA COMMISSION «...»

MM. Alain Vidalies, Xavier de Roux.
L'Assemblée, consultée, se prononce pour les conclusions de rejet de la commission ; la proposition de loi est rejetée.
2.  Ordre du jour des prochaines séances «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE
M. MARC-PHILIPPE DAUBRESSE,
vice-président

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PÉNALISATION DES PROPOS
À CARACTÈRE DISCRIMINATOIRE

Discussion d'une proposition de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Patrick Bloche, Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire (n°s 1194, 1244).
    La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe socialiste, que je rapporte devant vous aujourd'hui, vise à ce que nous puissions ensemble franchir une nouvelle étape sur le long chemin de l'égalité des droits.
    Parce que nous sommes tous des républicains, nous avons un commun attachement au principe constitutionnel d'égalité, proclamé dès l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Or ce principe fondateur, qui est l'une des bases du pacte républicain, est régulièrement malmené par l'existence de pratiques discriminatoires. Stigmatiser les personnes pour ce qu'elles sont constitue une atteinte intolérable à leur dignité et une amputation de leur citoyenneté. Le risque évident pour notre vivre-ensemble dans un environnement mondialisé est que des individus ou des groupes sociaux victimes de discriminations persistantes aient un réflexe de repli sur soi ou, pire, s'inscrivent dans une démarche communautariste.
    A cet égard, la lutte contre les discriminations participe de notre mobilisation collective pour la laïcité, qui a retrouvé toute son actualité, et par là même renforce la cohésion nationale. La France a su, tout particulièrement ces dernières années, renforcer une législation sur la non-discrimination, au premier rang de laquelle se trouvent les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Cependant, d'autres discriminations demeurent et méritent toute l'attention de la représentation nationale, qu'elles soient liées au sexe, à l'état de santé, au handicap ou à l'orientation sexuelle.
    La présente proposition de loi a pour objet de réprimer les propos d'exclusion en harmonisant et en complétant notre législation sur les discriminations. En effet, si les différentes formes de discrimination sont sanctionnées dans le code pénal et le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionne les seuls propos discriminatoires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Elle laisse de ce fait subsister une discrimination là où on voudrait la combattre. Il importe aujourd'hui de combler ce vide juridique en pénalisant l'ensemble des propos et écrits à caractère discriminatoire, sans volonté de hiérarchisation entre les discriminations - j'insiste sur ce point -, sans non plus aggraver les peines encourues et déjà inscrites dans la loi. Vous les connaissez : un an d'emprisonnement et/ou 45 000 euros d'amende.
    Votre rapporteur se doit également de préciser, à la suite de l'examen de ce texte par la commission des lois de notre assemblée, qu'il ne s'agit pas d'imposer ainsi une sorte de « politiquement correct » ou, pire, un « ordre moral à l'envers ». Nul esprit de censure, nulle restriction de la libre critique dans la démarche qui vous est proposée. La promotion de l'égalité ne saurait naturellement se faire au détriment de la liberté.
    M. Alain Vidalies. Très bien !
    M. Patrick Bloche, rapporteur. A cet égard, seules sont visées l'injure, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes. C'est la force de notre démocratie de refuser la logique non restrictive du premier amendement de la Constitution américaine. Notre référence est plus que jamais la loi de 1881 sur la liberté de la presse, cette grande loi de la République qui assure l'équilibre entre la protection de la liberté d'expression et la sanction des abus qu'elle peut générer. Il ne s'agit pas, en effet, de réprimer toute opinion ou expression, aussi discutable soit-elle, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi.
    La France, encouragée par la résolution de l'Union européenne en ce domaine, a construit en faveur de la non-discrimination un édifice juridique dont la consolidation se poursuit et, je l'espère, se poursuivra ce matin. Au coeur de notre dispositif législatif figure l'article 225-1 du code pénal, qui en est la base puisqu'il définit la discrimination. Sa rédaction actuelle résulte d'un enrichissement régulier.
    Par ailleurs, des progrès législatifs substantiels ont été enregistrés, dans la plus récente période, en matière de discriminations fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle. Pour les droits des femmes, c'est naturellement l'inscription de la parité dans la Constitution en 1999, mais aussi la loi du 8 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C'est la loi du 15 juin 2000, qui a permis aux associations combattant les discriminations fondées sur le sexe ou les moeurs d'exercer les droits reconnus à la partie civile. C'est la modification décisive du code du travail, sur un terrain particulièrement sensible, par la loi du 17 janvier 2002 de « modernisation sociale ». Plus récemment, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé, à la suite d'un amendement déposé par Pierre Lellouche et repris par le groupe socialiste, un article 132-77 du code pénal considérant, pour la première fois, que le mobile homophobe constituait une circonstance aggravante de certaines infractions pénales. A cette occasion, le ministre de l'intérieur a reconnu la nécessité de la « lutte contre toute forme d'homophobie ». Rien d'étonnant dans cette prise de position qui reprenait un engagement du président de la République lors de la campagne présidentielle, indiquant que l'homophobie « est aussi condamnable que le sexisme ou le racisme ».
    Le garde des sceaux lui-même a assuré, dans une réponse à une question écrite de notre collègue Emmanuel Hamelin, en septembre dernier, que « les modifications législatives à venir permettront de parfaire la protection des homosexuels aussi bien dans le domaine des discriminations qu'en cas d'agressions physiques ou verbales à caractère homophobe et permettront aux associations de lutte contre l'homophobie de remplir au mieux leurs missions ». Le 2 octobre dernier, au Sénat, il a même été jusqu'à exprimer le voeu de voir le Parlement « légiférer sur cette question dans les tous prochains mois ».
    Dois-je enfin rappeler, et plus particulièrement pour les collègues de la majorité de notre assemblée, l'engagement pris par le Premier ministre, lors de sa rencontre le 18 juillet dernier avec l'association Inter-LGBT, de mettre à l'ordre du jour un projet de loi permettant la pénalisation des propos à caractère discriminatoire.
    Car si la pénalisation des actes discriminatoires en raison du sexe, des moeurs, de l'orientation sexuelle, de l'état de santé ou du handicap a progressé, celle des propos ou écrits de même nature discriminatoire reste à réaliser.
    Sur un plan jurisprudentiel, si le tribunal de Charleville-Mézières a condamné de manière exemplaire, le 29 octobre dernier, à deux mois de prison ferme deux jeunes gens pour violences à caractère homophobe commises en réunion, montrant ainsi l'utilité des nouveaux instruments juridiques mis à la disposition de la justice pour condamner ces comportements, l'arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2001 nous rappelle, a contrario, que la pénalisation des propos discriminatoires visés par la présente proposition de loi se heurte à un vide juridique, ces propos ne pouvant être sanctionnés sur le fondement du huitième alinéa de l'article 24 de la loi de 1881, dans sa rédaction actuelle.
    Les législateurs que nous sommes se trouvent donc directement interpellés. C'est pourquoi l'initiative du groupe socialiste vise à combler ce vide juridique. Elle s'inscrit dans une démarche globale de lutte contre les discriminations. Les propos discriminatoires à l'égard des handicapés ou des personnes malades requièrent la même vigilance que les propos sexistes ou homophobes. Ils participent de cette intolérance que la République se doit de combattre. Le soutien apporté à cette proposition de loi par de nombreuses associations est, à cet égard, plus qu'un encouragement, un signe fort adressé à la représentation nationale.
    Le texte que nous examinons ce matin vise donc à modifier six articles de la loi de 1881 : les articles 13-1 ; 24 dans son huitième alinéa, 32, 33, 48 et 48-1. Il complète le délit de provocation par les motifs de discrimination suivants : le sexe, l'état de santé, le handicap, les moeurs et l'orientation sexuelle. Il inscrit ces motifs comme circonstance aggravante des délits de diffamation et d'injure, comme c'est déjà le cas lorsque ces délits sont commis à raison de l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il modifie les règles de poursuite pour ces délits aggravés. Il permet, enfin, aux associations ayant pour objet de combattre ces discriminations de se porter partie civile.
    Une précision, peut-être, avant de conclure, puisque cela a fait débat lors de la présentation de ce rapport en commission des lois, sur le fait que la proposition ne reprend pas l'ensemble des motifs de discrimination énoncés à l'article 225-1 du code pénal. Il est en effet apparu nécessaire d'analyser la pertinence des motifs figurant dans le code pénal au regard de l'expression publique. Par ailleurs, et le garde des sceaux l'a très justement souligné au Sénat le 2 octobre dernier, des motifs comme les activités syndicales ou les opinions politiques ne peuvent faire l'objet d'une pénalisation sans porter atteinte à la liberté d'expression.
    De la même façon, sollicité pour introduire un motif de discrimination supplémentaire, fondé sur le genre, votre rapporteur exprime le souhait que ce motif spécifique aux personnes transsexuelles soit préalablement défini à l'article 225-1 du code pénal, ce qui n'est pas encore le cas.
    En revanche, les différents types de discrimination qu'il vous est proposé d'insérer dans la loi de 1881 sont justifiés par leur actualité et la reconnaissance de leur acuité par la société.
    C'est le combat auquel nous sommes tous sensibilisés, contre les violences faites aux femmes, en premier lieu la violence verbale.
    C'est la campagne 2002-2003 du programme commun des Nations unies sur le sida, qui porte sur la stigmatisation et les discriminations liées à cette maladie - les malades du sida n'étant naturellement pas les seuls à subir des discours de rejet du fait de leur état de santé.
    C'est en cette année européenne du handicap, l'engagement des Etats membres de l'Union européenne à protéger les personnes handicapées contre les discriminations et à sensibiliser aux multiples formes de discrimination.
    C'est enfin, hélas, le meurtre d'un jeune homme, à Reims, en septembre dernier, qui a rappelé jusqu'où pouvait conduire l'homophobie, une violence qui, de verbale, peut devenir physique.
    Il y a donc urgence, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues. Pourquoi alors tarder à légiférer en un domaine où majorité et opposition, au gré des alternances, ont su, dans le passé et à plusieurs reprises, se retrouver pour faire vivre la devise de la République ?
    Il y a de fait quelque paradoxe pour le rapporteur que je suis à informer notre assemblée, en conclusion, que la commission des lois a rejeté l'article unique de la proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
    M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la conception républicaine du respect de la personne humaine, qui constitue l'un des fondements essentiels de notre société, justifie que soit réprimées de façon aussi complète et efficace que possible toutes les formes de discrimination.
    C'est dans cet esprit que le Président de la République a exprimé sa volonté que soit créée une autorité administrative indépendante, chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination, qu'elles proviennent du racisme, de l'intolérance religieuse, du sexisme, de l'homophobie ou des situations de handicap.
    C'est dans ce même esprit que le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement est favorable à ce que puissent être poursuivis et condamnés les auteurs de propos ou d'écrits homophobes ou discriminatoires parce qu'ils portent fondamentalement atteinte à la dignité des personnes.
    La création, par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, d'une circonstance aggravante d'homophobie pour les infractions de violence et de destruction, faisant suite à la création, par la loi Lellouche du 2 février 2003, d'une circonstance aggravante de racisme, montre clairement la détermination du Gouvernement et du Parlement dans la lutte contre les discriminations dont peuvent être victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle.
    Dans la circulaire d'application de la loi du 18 mars 2003 adressée le 3 juin 2003, il a d'ailleurs été spécialement demandé aux magistrats du ministère public de retenir de façon systématique ces nouvelles circonstances aggravantes lorsqu'elles seront caractérisées, de faire preuve d'une particulière fermeté dans leurs réquisitions et de veiller à ce que les associations concernées puissent se constituer partie civile dans les procédures.
    Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dont vous avez entamé hier l'examen en deuxième lecture, poursuit d'ailleurs cette évolution législative. Il étend en effet la circonstance aggravante d'homophobie, ainsi que celle de racisme, à d'autres infractions comme les menaces ou les extorsions.
    Il demeure qu'en matière de loi sur la presse, le droit actuel peut être considéré comme n'étant pas satisfaisant. En effet, aucune infraction pénale n'est constituée si les propos ou les écrits discriminatoires mettent en cause un « groupe de personnes indéterminées individuellement comme, par exemple, la communauté homosexuelle dans son ensemble ». Il en est de même en matière de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence.
    C'est la raison pour laquelle - et vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur -, à la demande expresse du Premier ministre, un groupe de travail interministériel a été constitué pour réfléchir aux modifications qu'il serait souhaitable d'apporter sur cette question à notre législation et spécialement à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
    Fidèle à sa méthode de travail, le Gouvernement souhaite traiter les questions de société de façon approfondie et sur la base d'un diagnostic partagé, issu d'une large concertation avec les acteurs intéressés.
    La question est en effet complexe car il n'est évidemment pas envisageable de porter atteinte à la liberté d'expression dans des conditions qui exposeraient notre pays à des condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme, comme cela s'est déjà, hélas, produit plusieurs fois dans le passé.
    D'une manière générale, toute modification de la loi de 1881 sur la liberté de la presse doit se faire de façon réfléchie et équilibrée. Le groupe socialiste n'avait d'ailleurs pas manqué, en première lecture du texte sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, de s'émouvoir du fait même que le Gouvernement envisage de modifier le texte de la loi de 1881.
    Les questions juridiques qui doivent être réglées avant de modifier cette loi pour combler les lacunes de notre droit en matière de lutte contre l'homophobie, le sexisme et les autres discriminations sont, en effet, nombreuses. Je vais rapidement évoquer les principales.
    D'abord, doit-on mettre sur le même plan la répression des provocations à la discrimination, à la haine et à la violence, d'une part, et celle des injures et des diffamations, d'autre part ? Le premier délit apparaît, vous en conviendrez, sensiblement plus grave que les deux autres.
    Jusqu'où aussi doit-on prévoir l'extension de la répression des messages discriminatoires ? Les messages sexistes ou dirigés contre des personnes en raison de leur handicap ou de leur état de santé doivent être pris en considération au même titre que les messages homophobes. Il convient, en effet, d'être à la fois cohérent d'un point de vue juridique et de tenir compte des réalités, notamment des atteintes dont sont trop souvent victimes les femmes ou les handicapés.
    Pour autant, tous les critères de discrimination prévus par l'article 225-1 du code pénal réprimant les comportements discriminatoires ne peuvent, à l'évidence, pas être repris dans la loi sur la presse, au risque de compromettre l'équilibre entre la protection des intérêts légitimes des personnes et la liberté d'expression. Il faut délimiter soigneusement les contours de l'extension envisagée.
    Doit-on, par ailleurs, se limiter à compléter les articles de la loi sur la presse réprimant actuellement la racisme ou créer des articles distincts ? La première solution aurait pour conséquence de prévoir un niveau de répression identique avec notamment des peines privatives de liberté. Or il n'est peut-être pas inutile de se demander si la volonté de combler un vide juridique dans la répression doit pour autant signifier que des peines d'emprisonnement devront être encourues par les auteurs d'injures ou de diffamations. Je rappelle, en effet, que, dans la loi du 18 juin 2000, à l'initiative du Sénat, le législateur a estimé opportun de supprimer toutes les peines d'emprisonnement prévues par la loi de 1881, à l'exception de celles prévues pour les infractions racistes.
    Enfin, comment encadrer le droit donné aux associations d'engager elles-mêmes des poursuites pour ces nouvelles infractions, pour ne pas risquer de « privatiser » l'action publique, à moins de réserver le monopole des poursuites au procureur de la République, qui représente les intérêts de l'ensemble de la société ?
    C'est à ces différentes questions, dont la complexité n'échappera à aucun d'entre vous, que doit répondre le groupe de travail qui a été institué.
    Ce groupe comprend des représentants des différents ministères concernés : ministères de la justice, mais aussi de l'intérieur, de la parité et de l'égalité professionnelle, de la culture et de la communication.
    Lors de sa dernière réunion, qui s'est tenue au début de cette semaine, il a entendu un représentant des différentes associations concernées par la lutte contre l'homophobie, qui a très précisément et très clairement fait part de ses propositions en la matière. Seront prochainement auditionnés, outre d'autres représentants d'associations luttant contre les discriminations, notamment contre les discriminations sexistes ou envers les handicapés, des personnalités représentatives du monde de la presse, lequel ne saurait être tenu à l'écart de cette réflexion.
    Je précise que les travaux du groupe seront, bien sûr, utilement éclairés par l'examen de la proposition de loi du groupe socialiste dont nous débattons ce matin ; elle a d'ailleurs été communiquée à ses membres lors de la réunion de lundi dernier.
    Au vu des conclusions du groupe de travail, le Gouvernement préparera un projet de loi. Il nous semble donc prématuré de légiférer aujourd'hui sur le sujet, même si je remercie vigoureusement M. le rapporteur de nous aider à honorer un engagement pris par le Premier ministre.
    Je vous demande donc, mesdames, messieurs les députés, d'adopter les conclusions de votre comission des lois selon lesquelles il n'y a pas lieu d'examiner aujourd'hui cette proposition, puisque, à l'évidence sera examiné ultérieurement un projet de loi sur le sujet, qui sera le résultat d'une analyse approfondie et concertée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marylise Lebranchu.
    Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai souvent entendu, sous tous les gouvernements, ce genre de conclusion : un très grand chantier est en cours de préparation, par conséquent, attendons pour légiférer.
    Toutefois, ce que nous vous proposons aujourd'hui, c'est de franchir facilement une étape dans la lutte contre les propos excluants de toutes sortes qui, malheureusement, se multiplient dans notre société.
    Les dernières semaines l'ont montré : on en arrive à oublier notre devise - « Liberté, Egalité, Fraternité » - et on commet l'erreur de réduire la laïcité à la tolérance. Non, la laïcité, c'est bien autre chose. Certes, elle génère la tolérance, mais, au-delà, c'est le respect profond de chaque individu dans sa sphère privée et, avant tout, la reconnaissance de l'espace public laïque. La tolérance est, bien sûr, un élément de la laïcité, mais seulement un parmi d'autres.
    Peu à peu, à force de donner des définitions restrictives aux notions les plus fortes de notre république, nous assistons non à un éclatement de la société, le mot serait trop fort, mais à une situation où l'on ne reconnaît plus l'autre en tant que citoyen.
    Vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qui vous occupez aujourd'hui des établissements pénitentiaires, vous savez comme moi qu'on y trouve, multipliées de façon exponentielle, toutes les déviances de la société française. Et l'une des difficultés majeures à laquelle vous êtes confronté en tant que garde des sceaux - et à laquelle nous sommes tous confrontés avec vous -, c'est d'empêcher que ne perdurent, à l'intérieur de ces établissements, les propos racistes, les propos xénophobes ou les insultes contre les malades, notamment du sida. Malheureusement, cette indignité, nous la subissons tous. Si la situation en est arrivée là au sein des établissements pénitentiaires, monsieur le secrétaire d'Etat - et cette situation explique sans doute la raison de votre présence ici ce matin -, c'est parce que notre société a créé ces types de comportements.
    Dès lors que nous reconnaissons tous que notre société est entièrement médiatisée - et c'est une bonne chose qu'il en soit ainsi car la liberté d'expression est une garantie d'équilibre de la démocratie -, nous pouvons écrire solennellement dans un texte législatif que les propos excluants sont passibles de sanctions pénales. Et, en écrivant cela, en élargissant la notion de « propos excluants », nous aurons fait un pas important vers la reconnaissance de la dignité de chacun et pour le partage de celle-ci au sein de cette république laïque dont nous souhaitons tellement qu'elle soit à l'avant-garde quand il s'agit de définir le mot liberté.
    Bien sûr, on peut toujours dire que la liberté de la presse est difficile à encadrer. Du reste, nous l'avons tous dit. Toutefois, vous devez savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, pour en avoir sûrement discuté, avec eux au sein du groupe de travail dont vous avez parlé, que des journalistes militent au sein de la presse française, comme au sein de la presse européenne d'ailleurs, pour qu'il soit possible de poursuivre les auteurs de certains articles publiés dans la presse ou diffusés sur le Net. La diffusion d'un article sur le Net a peut-être moins d'impact instantané, mais c'est un média particulièrement insidieux, puisque cet article peut y rester affiché durant de nombreux jours.
    Après avoir adopté ce texte, après avoir fait ce premier pas, nous pourrons demander solennellement à ceux qui ont des comportements « minoritaires » de cesser de plaider pour des discriminations positives.
    Si la République française, au terme des travaux du groupe dont vous avez parlé et que je respecte, ne trouve comme solution pour répondre à l'exclusion résultant de l'individualisme, de l'élitisme ou du racisme - que celle-ci se traduise par des mots, des comportements, l'interdiction d'accéder à un travail, voire à un logement - que la discrimination positive, cela signifiera que nous aurons baissé les bras et perdu le combat pour la liberté, l'égalité, la fraternité et, en conséquence, pour la citoyenneté.
    Or, aujourd'hui, on sent que les groupes qui luttent en ce domaine sont si fatigués de se battre, si fatigués de ne pas recevoir un soutien unanime de la part de la représentation nationale - et je ne mets en doute la volonté de quiconque, - qu'ils vont finir par demander, comme nous avons pu le constater hier soir en recevant les représentants d'une association, que la loi institue des discriminations positives.
    La société française a une grande responsabilité. Elle peut aujourd'hui avancer, faire un pas important. Elle peut, grâce à ce texte, réaffirmer les valeurs que sont la liberté, la laïcité et l'égalité des citoyens devant la République.
    Elle peut même dire davantage. La France est en effet une des rares démocraties fondées à la fois sur la liberté et sur la laïcité. Or certaines de nos difficultés au niveau européen sont dues au fait que nous ne réussissons pas à combiner le droit des pays laïques et celui des pays qui ne le sont pas.
    Si nous faisons ce travail, non seulement d'affirmation de la laïcité, mais également de réécriture de la citoyenneté française - un peu écornée aujourd'hui -, nous pourrons, ensemble, avec tous ceux qui sont partants pour ouvrir ce chantier, fonder une citoyenneté européenne qui assoirait ses fondamentaux sur la laïcité et sur le respect de chaque citoyen européen, quels que soient son appartenance, son sexe ou son handicap. Ce serait pour l'Europe un chantier formidable, qui pourrait susciter une adhésion autre que la simple recherche de marchés et qui, surtout, nous permettrait d'aider les pays du Maghreb, du Proche-Orient ou certains pays d'Asie qui ont beaucoup de difficulté à gérer leurs droits religieux à avancer vers la laïcité du monde, seule garante de la paix à long terme.
    A partir d'un texte qui semble restreint, ayons l'ambition formidable d'affirmer que la liberté, l'égalité et la fraternité, c'est, avant tout, la liberté d'être un citoyen comme les autres en toutes circonstances. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Xavier de Roux.
    M. Xavier de Roux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, notre débat d'aujourd'hui est exemplaire du paradoxe de notre société, qui se veut libre et permissive : alors que toute une génération a martelé - et cela fait maintenant partie de notre culture, tout au moins pour la génération qui approche de la soixantaine - qu'il était interdit d'interdire, on essaie aujourd'hui de faire entrer le droit pénal dans tous les comportements. La pénalisation de la société serait-elle le pendant de la liberté ? Cette question mérite réflexion.
    En quoi la discussion qui s'ouvre ce matin est-elle exemplaire ? Il est louable de vouloir lutter contre les discriminations de toutes sortes, et notre droit positif est, à cet égard, déjà riche de textes. Le 4 février dernier encore, nous votions une proposition de loi pour que l'intention raciste d'un crime ou d'un délit aggrave les peines imposées à l'auteur de ce crime ou de ce délit et la discrimination pénale, telle qu'elle est définie dans l'article 225-1 du code pénal, touche tous les domaines de la vie quotidienne, puisqu'est visée « toute discrimination opérée entre les personnes physiques en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques... » et j'en passe. On croirait le code d'Hammourabi !
    Cette définition extrêmement large de la discrimination est justifiée, car son application aboutit à la constatation de faits positifs. Si l'on interdit à un Noir d'entrer dans un boîte de nuit parce qu'il est noir, ou si un propriétaire refuse de louer son appartement à un homosexuel parce qu'il est homosexuel, ce sont des faits positifs que l'on peut établir. Mais ce que vous proposez, monsieur Bloche, c'est d'introduire cette longue litanie dans la loi de 1881 sur la presse, alors que la liberté de la presse est une liberté fondamentale de la Constitution.
    Mme Lebranchu évoquait tout à l'heure la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » : la liberté de la presse est l'un des piliers de notre république. Or qu'est-ce que la presse sinon la plume et l'opinion ? Nous entrons là dans l'ordre du subjectif, et toute interdiction, toute sanction dans ce domaine mérite réflexion.
    Pour ma part, je pense que faire entrer une partie - pourquoi seulement une partie d'ailleurs ? - de l'article 225-1 du code pénal dans la loi de 1881 est une mauvaise façon de légiférer, car c'est ouvrir la porte à une évolution que plus personne ne contrôlera. Dans un pays démocratique, il y a une hiérarchie des libertés et la liberté de la pensée, de l'opinion et de la plume est essentielle. Il convient de ne pas la soumettre à des appréciations subjectives.
    Notre société est permissive, c'est vrai. Faut-il poser des limites à la permissivité ? C'est une autre question, dont nous n'avons pas à débattre ici. Nous nous devons simplement, me semble-t-il, de légiférer correctement de façon à conserver des libertés essentielles. Le Gouvernement l'a rappelé tout à l'heure avec beaucoup de sagesse. Vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un groupe de travail se penchait sur cette question, qui peut paraître simple, mais qui, en réalité, est extrêmement complexe. Il faut donc y réfléchir avec beaucoup de soin et prendre le temps nécessaire. Il ne s'agit pas d'enterrer une idée louable,...
    M. Alain Vidalies. Elle n'est pas louable, elle est juste !
    M. Xavier de Roux. ... mais de faire en sorte que l'on ne supprime pas la liberté au nom de la liberté. En effet, on sent malheureusement, dans notre pays, jour après jour, grandir la volonté d'introduire le droit pénal dans tous les domaines. Cela risque de poser des problèmes dans nos comportements, j'attire votre attention sur ce point. La commission des lois et le groupe UMP demandent donc que, en l'état, cette proposition soit rejetée. Nous faisons confiance au Gouvernement pour préparer un texte, à l'élaboration duquel seront associés beaucoup d'acteurs, qui balaierait tout ce qui a trait à la discrimination. La présente proposition, en revanche, rendrait notre législation un peu chaotique, et l'on pourrait craindre que les auteurs du code civil finissent par se retourner dans leurs tombes tant nos plumes deviendraient confuses.
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi déposée par nos collègues du groupe socialiste portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire. Je veux dire d'emblée que le groupe des député-e-s communistes et républicains partage les intentions des auteurs et salue cette initiative comme il a toujours salué les prises de position visant à condamner tout acte et tout propos discriminatoire.
    L'univers proprement humain est celui de l'échange, du dialogue, de la communication, cette entreprise toujours ouverte à travers laquelle l'humain est sans cesse en quête de lui-même dans la rencontre et la reconnaissance de l'autre. Aussi quand il s'agit de l'orientation de la vie, de la justification des choix que nous accomplissons et de l'horizon idéal sur lequel nous pouvons les inscrire, bref du sens de notre existence, nous découvrons vite que nous nous guidons sur des paroles. Mais l'homme peut pervertir sa parole et en faire un instrument de contrainte. De telles paroles dénaturent l'authentique langage humain.
    « Mets un mot sur un homme, et l'homme frissonnant « sèche et meurt, pénétré par la force profonde », écrivait fort justement Victor Hugo.
    Vous le voyez, notre appréciation n'est pas de pure forme. Nos motivations sont profondes, elles s'enracinent dans les plus solides de nos convictions : la discrimination est toujours l'expression d'intentions et de logiques de domination, d'aliénation, de postures de suffisance quand ce n'est pas d'arrogance. Nous les combattons avec la plus grande énergie car ce combat est notre raison d'être.
    Imbus de leur prétendue supériorité, des groupes, des individus, n'ont pas seulement besoin du pouvoir qu'ils détiennent. Pour l'asseoir durablement, ils ont aussi besoin de diminuer l'autre, de le stigmatiser, de l'humilier, allant souvent jusqu'à le convaincre de son infériorité, jusqu'à l'exclure, quand ce n'est pas, l'histoire l'a montré, jusqu'à l'éliminer. C'est cela pour nous l'essence même de la discrimination, c'est pour cette raison qu'elle nous est insupportable. En prenant le parti de la libération humaine, nous avons définitivement pris le parti du combat contre toutes les discriminations.
    Permettre à chaque individu de s'épanouir dans sa singularité, dès lors qu'elle ne nuit pas à l'épanouissement de l'autre, donner à chacune et à chacun le droit de vivre sa différence, dès lors qu'elle n'est pas de nature à interdire à l'autre de vivre la sienne, c'est déjà donner corps à la noble ambition de construire une société, un monde solidaire et fraternel, riche de ses diversités, un monde tout simplement humain.
    Discrimination et humanité sont antinomiques. Mais nous reprenons à notre compte cette pensée de Herbert George Wells : « Notre vraie nationalité est l'humanité. »
    Bien sûr, toutes les discriminations n'ont pas la même portée symbolique ni les mêmes effets, mais serait-ce là une raison acceptable pour les hiérarchiser ? Nous ne le croyons pas. Le combat contre les discriminations doit se mener partout, tout le temps, et j'insiste, sur tous ses supports. Ce combat ne se hiérarchise pas et discriminer les discriminations, c'est déjà, d'une certaine manière, céder sur l'essentiel, c'est refuser de mener jusqu'au bout le combat contre l'intolérance.
    Faut-il hiérarchiser les peines ? Evidemment. D'autant qu'une justice rendue avec discernement permet toujours aux magistrats et aux tribunaux d'adapter la sanction à la gravité du délit, à condition que la pénalisation soit prévue dans la loi. C'est ce que propose ce texte.
    Dans le compte rendu des travaux de la commission des lois, j'ai noté avec un certain amusement la perfide allusion d'un de ses membres qui reproche à nos collègues du groupe socialiste l'incohérence qu'il y a à proposer un texte utilisant le mot race alors qu'ils avaient soutenu sans réserve la proposition de loi du groupe communiste et républicain dont j'étais rapporteur et qui proposait de supprimer le mot « race » du lexique législatif français. Je voudrais respectueusement faire remarquer que toute référence à un article existant visé par cette proposition de loi, et c'est le cas ici avec ce que fait ce texte en faisant référence à l'article 225-1 du code pénal, ne pourra qu'utiliser ce mot puisque les parlementaires de la majorité ont refusé de le supprimer. Cette majorité doit aujourd'hui assumer ses propres responsabilités et ne pas se réfugier derrière quelques mauvais et mensongers prétextes pour ne pas exprimer clairement son opposition, sur le fond, au texte qui est soumis ce jour à notre discussion.
    Un autre, ne s'embarrassant, lui, d'aucune précaution. Il considère que cette proposition de loi aurait pour effet de limiter de manière trop stricte la liberté d'expression, la liberté de la presse, alors que, au contraire, en s'attaquant aux discriminations, ce texte favorise la liberté d'expression de chacune et de chacun de nos concitoyens en lui reconnaissant le droit à la différence, dès lors qu'elle n'atteint pas la dignité de l'autre. Notre collègue oppose ensuite égalité et liberté en soulignant sa préférence pour la seconde. Mais ce n'est pas à la liberté de tous que la majorité est attachée. La liberté qu'elle défend est celle de quelques-uns et particulièrement des gardiens du temple des logiques libérales, logiques qui ne sont rien d'autre que celles de la domination du plus fort sur le plus vulnérable, celles de l'intolérance et particulièrement de l'intolérance à la contestation des discriminations et injustices que le système génère, celles du refus de la diversité qui fait pourtant la richesse des hommes et des peuples.
    La vérité, c'est que vous menez un combat sans merci pour discriminer sur l'essentiel, c'est-à-dire la justice et l'égale dignité entre les hommes. Pour cela, il vous faut ne pas aller trop loin dans le combat contre les discriminations que majoritairement la conscience réprouve.
    M. Yves Simon. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !
    M. Michel Vaxès. Alors, pour brouiller la perception de vos véritables intentions, vous avez systématiquement recours soit à un groupe de travail, soit à cet adage préféré : « Le mieux est l'ennemi du bien. »
    A vous écouter, il faudrait, pour bien faire, renoncer à toute amélioration, sauf évidemment à celles qui servent vos choix, votre système, votre pouvoir, et qui entraînent de dangereux reculs de civilisation.
    M. Yves Simon. Vous en savez quelque chose !
    M. Michel Vaxès. C'est pour toutes ces raisons que vous refusez la proposition qui vous est faite. Celle-ci pourrait être utilement amendée, comme l'a proposé notre rapporteur. Encore faudrait-il que vous acceptiez d'ouvrir le débat, mais il semble qu'un débat sur ces questions vous inquiète.
    Soyez cependant assurés, mes chers collègues, que si nous ne pouvons le mener ici, nous continuerons avec détermination à le mener partout ailleurs. Pour nous, il ne sera jamais question de renoncer à concilier l'universel et le particulier, et donc à lutter sans relâche pour assurer la liberté de chacun à devenir et être pleinement lui-même pleinement humain, à lutter sans relâche pour que grandisse l'adhésion aux valeurs universelles qui sont la garantie des libertés individuelles et des solidarités.
    La pénalisation peut être un moyen d'y parvenir, mais ne perdons pas de vue, mes chers collègues, qu'elle ne reste qu'un moyen, qu'elle n'est pas une fin. Notre priorité c'est de prendre toutes les mesures pour que notre société garantisse à tous, sans discrimination, le droit à la santé, au logement, au travail, le droit, tout simplement, de vivre dignement et pleinement sa vie.
        Ce combat-là traduit un réel attachement à l'article Ier de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 : « Tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Tirons tous les enseignements de cette déclaration. A défaut, il vous faut méditer sérieusement cette autre déclaration du pasteur Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.
    M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai apprécié le travail mené en commission à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi et j'ai écouté avec intérêt les interventions de ce matin. La lutte contre la discrimination est un sujet auquel je suis en effet très attaché, étant élu d'une circonscription, celle de Roubaix, où ce terrible phénomène est vécu, sous différentes formes et de façon insidieuse ou déclarée, presque quotidiennement.
    J'ai pourtant un immense regret : ce texte ne s'attaque pas au fondement du problème, ni à sa cause. Il a été rédigé uniquement dans le cadre de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, pour une catégorie de population qui subit, certes, des propos à caractère discriminatoire, mais qui n'est pas la seule, malheureusement. Se limiter à cet angle de vue est beaucoup trop restrictif et laisse une désagréable impression de précipitation.
    Loin de moi l'idée de prétendre qu'une communauté doit avoir plus ou moins de droits qu'une autre. Certains propos sont blessants, humiliants, diffamatoires, discriminatoires non pas en fonction de celui à qui ils s'adressent, mais bien parce qu'ils s'adressent à un être humain. Ils méritent donc d'être plus ou moins sévèrement sanctionnés selon leur degré de gravité. On pourrait rêver d'un monde où le mot « communautarisme » disparaîtrait, preuve que nous aurions su créer un climat de tolérance satisfaisant. Chacun s'y épanouirait selon sa nature, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Malheureusement, ce monde n'est pas pour demain.
    Ce texte a sans doute la volonté de vouloir combattre toute forme d'homophobie. Mais il ne le fait que pour les propos écrits. Même s'il souhaite garantir le respect des droits de l'homme - ce qui est tout à son honneur -, il est malheureusement trop limité.
    Pour le groupe UDF, les ajouts proposés à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 ne posent pas, a priori, de problème, si ce n'est que le code pénal ne sanctionne pas au même degré les propos discriminatoires. Il établit une hiérarchie, la pénalisation la plus forte étant attribuée aux propos à caractère raciste. Avec cette proposition de loi, les textes risqueraient de s'entrechoquer, de devenir incohérents.
    On peut bien entendu discuter du bien-fondé de cette notion de hiérarchie dans les sanctions que contient le code pénal, même si cela pose un problème d'éthique. Le débat serait sans doute très enrichissant. Mais alors faisons-le à l'occasion d'un projet ou d'une proposition de loi qui étudierait le problème sous toutes ses facettes.
    La discrimination est un sujet trop vaste pour être abordée, comme ici, par le petit bout de la lorgnette, ou découpée en tranches. C'est l'erreur qui a été commise jusqu'à ce jour. Très franchement, les personnes discriminées attendent mieux de nous. Elle sont les premières victimes et veulent que l'on traite leurs difficultés une fois pour toutes et dans toutes leurs dimensions.
    Quand les parlementaires en auront débattu, nous pourrons alors logiquement intégrer les dispositions éventuellement manquantes dans les textes et adapter, si nécessaire, la loi sur la presse. Mais n'agissons pas par petites touches successives, comme cela nous est proposé aujourd'hui. Ce serait dangereusement réducteur. J'ai d'ailleurs lu qu'en commission, Patrick Bloche a très justement relevé que la lutte contre les discriminations avait été l'objet de préoccupations constantes et récentes :
    En 2000, la loi relative à la liberté de communication a été modifiée pour renforcer les pouvoirs du CSA ;
    La loi relative à la présomption d'innocence a permis aux associations de lutte contre les discriminations de se porter partie civile ;
    La loi sur la sécurité intérieure a créé une nouvelle circonstance aggravante lorsque les crimes ou délits ont été commis à raison de l'orientation sexuelle de la victime - le ministre de l'intérieur a d'ailleur plaidé, au cours du débat, pour un renforcement de la lutte contre toute forme d'homophobie - ;
    Enfin, le garde des sceaux a évoqué l'adoption, en première lecture, du projet de loi relatif à la criminalité organisée, de trois amendements qui fond du mobile homophobe une circonstance aggravante.
    En reprenant l'ensemble de ces préoccupations et de ces dispositions, M. Patrick Bloche admet finalement lui-même le raisonnement que je viens de tenir. Il faut changer l'ensemble des textes, donc la forme, après en avoir débattu sur le fond, et non pas faire le contraire. En revanche, je suis entièrement d'accord avec lui pour dire, comme il l'a fait en commission, que ce débat doit conduire le législateur à s'interroger sur l'application des grands principes républicains.
    D'autres questions viennent encore à l'esprit. Le volet répressif est ici développé avec minutie quant aux propos discriminatoires écrits. Mais beaucoup le savent dans cette enceinte, qui ont dans leur ville ou leur circonscription des personnes discriminées : si les propos écrits, bien entendu, sont condamnables et d'ailleurs très souvent condamnés, les propos oraux sont extrêmement difficiles à prouver. Le contexte dans lequel ils sont prononcés est très souvent « protégé ». Certaines personnes ou groupes de personnes de notre société abusent de leur autorité ou de leur pouvoir pour injurier ou discriminer sans honte aucune.
    Le manque de témoignages, voire la peur de témoigner, laisse souvent les personnes discriminées à un sentiment de solitude et d'abandon. Je rencontre ces personnes dans mes permanences. Je connais leur souffrance. Et c'est parce que je connais leur souffrance que je dis qu'il ne faut plus les décevoir, car les hommes politiques les ont beaucoup déçues en la matière.
    Par ailleurs, je m'étonne de ne trouver que de la répression dans cette proposition de loi. Vous n'avez envisagé aucun volet de sensibilisation, d'éducation ou de prévention. Cela m'étonne, parce que chaque fois qu'il en a l'occasion, c'est exactement ce que le groupe socialiste reproche à la majorité. Or, ce sont bien les mentalités et les comportements qu'il faut faire évoluer en la matière pour obtenir des résultats durables. C'est un volet essentiel qu'il faudra traiter avec pugnacité. Nous devons étudier sous quelle forme et en direction de quels publics nous devons l'envisager. Le temps aidant, s'il existe une véritable volonté politique pouvant s'appuyer sur une loi claire et nette, sur des textes lisibles et dont les sanctions soient réellement applicables, alors nous ferons d'énormes progrès.
    L'ensemble des arguments que je viens de développer démontre que ma critique ne vise pas le fond de cette proposition de loi. Elle se veut avant tout constructive. Elle préconise surtout une démarche simplement plus efficace. Cette proposition de loi me semble insuffisante - vous l'avez compris. Elle ne répond pas à la demande, voire aux besoins de ceux de nos concitoyens qui sont concernés. Je crois plus judicieux et plus sage d'éviter la précipitation.
    Je demande au Gouvernement de réaffirmer, à la suite du Président de la République, sa volonté de nous présenter un projet de loi complet en la matière, qui nous permettra d'étudier le problème de la discrimination sous toutes ses facettes et de tenter de le résoudre avec fermeté.
    M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
    Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, grâce à cette proposition de loi, le débat sur la pénalisation des propos à caractère discriminatoire à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap s'ouvre devant notre assemblée. Les députés Verts avaient eux-mêmes déposé, en mars dernier, une proposition de loi construite autour de propositions similaires relative à l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie. Le sujet semblait faire consensus depuis les promesses du candidat Jacques Chirac en campagne présidentielle et les récentes déclarations du garde des sceaux, ainsi que du Premier ministre, en juillet dernier. Malheureusement les propos tenus en commission et dans cet hémicycle depuis le début de ce débat montrent que le chemin sera encore long.
    Si les dispositifs contre les discriminations fondées sur la race, l'origine ethnique ou la religion imprègnent déjà de nombreux textes de droit français, notamment la loi sur la presse de 1881 encadrant les propos publics, en revanche la pénalisation des propos homophobes, transphobes, sexistes ou visant le handicap n'est toujours pas prévue. C'est pourtant une réalité vécue par de nombreuses personnes de nos jours. Alors que la société française, globalement, accepte de plus en plus la pluralité des orientations sexuelles et des identités de genre, sans que ce soit pour autant une évolution permissive, des personnes sont encore régulièrement victimes de violences verbales ou physiques et des élus sont menacés - nous l'avons vu à Paris et dans d'autres villes. Chaque année, en France, des personnes meurent d'agressions homophobes : à Reims l'an dernier, à Nancy cet été. Et l'on vient nous expliquer qu'il ne faut pas agir dans la précipitation et se garder de toute subjectivité.
    Aujourd'hui, les propos publics de diffamation, d'injure et de provocation à la haine homophobe et transphobe sont impunis en tant que tels. Il n'est pourtant plus tolérable que des personnes homosexuelles se fassent impunément injurier a priori comme pédophiles, incestueuses ou zoophiles, ce qui arrive régulièrement. Souvenons-nous de cette manifestation odieuse du 31 janvier 1999, rassemblant à Paris des anti-PACS, et où fusaient, à l'oral ou sur support écrit, des propos tels que : « Les pédés au bûcher » ! Souvenons-nous également des propos non moins orduriers qui ont été tenus dans cet hémicycle en 1999 : « Sales pédés, brûlez en enfer ! », ou de cet appel violent concernant les couples homosexuels : « Stérilisez-les ! ».
    J'ai entendu mes collègues de la majorité, M. le secrétaire d'Etat, nous dire : « Il n'est pas temps, on peut encore attendre. ». Bien sûr, un simple arsenal juridique ne mettra pas fin à de tels sentiments et propos odieux, si profondément ancrés dans la société. Néanmoins, adopter aujourd'hui un tel dispositif, c'est déterminer clairement les limites entre l'acceptable et l'inacceptable, c'est fixer les moyens juridiques pour que la société civile puisse prendre le relais de cette lutte incessante. La liberté d'expression s'arrête là où commence l'appel à l'intolérance. Harceler une personne parce qu'elle est homosexuelle, est-ce de la liberté d'expression ?
    Le dispositif antidiscriminatoire devrait également être complété, notamment en matière de harcèlement sur le lieu de travail, de discrimination indirecte, de provocation à la discrimination ou de discrimination de la part des organisations professionnelles. Il s'agit de respecter l'ensemble des mesures contenues dans la directive européenne 2000/78/CE sur l'égalité de traitement en milieu professionnel. Or, cette directive doit être entièrement transcrite au 3 décembre. Que va faire le Gouvernement ? Va-t-il aussi nous dire qu'il ne faut pas de précipitation, que nous avons encore le temps d'attendre ?
    L'ensemble du dispositif antidiscriminations pourrait servir de base juridique pour la mise en place de cette autorité indépendante universelle de lutte contre les discriminations que nous appelons de nos voeux et qui a été promise par le Président de la République. Il faut que cette autorité ait de vrais moyens et qu'elle soit facilement accessible à l'ensemble des personnes qui en auront besoin. Il faut que toutes les discriminations soient combattues avec la même force, parce qu'aucune n'est acceptable pour les victimes.
    La route est longue vers une société sans discriminations. Cette proposition de loi était une étape attendue. Les députés Verts avaient déposé des amendements pour intégrer le motif de transphobie, mais ils voteront la proposition de loi en l'état. Lorsque notre collègue Pierre Lellouche a défendu, en février dernier, la proposition de loi aggravant les peines en cas d'infractions racistes, xénophobes ou antisémites, tous les députés s'étaient retrouvés sur ce texte. L'opposition ne s'est pas comportée de manière politicienne. Elle n'a pas refusé de voter cette proposition de loi au motif qu'elle émanait de l'UMP.
    M. Patrick Bloche, rapporteur. Très juste !
    Mme Martine Billard. Nous avons pensé, et nous avons eu raison, que le motif effaçait les différences politiques, que lorsqu'il s'agissait de combattre les discriminations, il ne devait y avoir ni gauche ni droite. Aujourd'hui, en refusant de discuter cette proposition de loi, vous montrez que vous êtes soit particulièrement politiciens, soit toujours aussi homophobes que lors du débat sur le PACS. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Henri Emmanuelli. Ils sont réacs !
    M. le président. La parole est à Mme Danielle Bousquet.
    Mme Danielle Bousquet. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes fiers de vivre dans une république qui proclame sur ses frontons son idéal d'égalité. Mais qui ne mesure - j'allais dire « chaque jour davantage » même si ma formulation peut paraître un peu excessive - combien cette revendication d'égalité se heurte encore à la dure réalité quotidienne des disciminations ? Discriminations diverses, multiples, multiformes, qui atteignent aussi bien la personne handicapée, stigmatisée par des mots blessants, que le jeune beur auquel on refuse l'entrée d'une boîte de nuit, ou encore le couple homosexuel, confronté à des violences verbales. Au-delà de toutes ces disciminations largement dénoncées sur tous les rangs et qui ont parfois fait l'objet de textes législatifs, il est une catégorie qui perdure très lourdement dans la société française. Je veux parler des discriminations sexistes, et plus précisément des discriminations dont sont victimes les femmes.
    Ces discriminations particulières ont produit des inégalités, tantôt insidieuses, tantôt flagrantes, et ont conduit les gouvernements de gauche, en particulier celui de Lionel Jospin, à prendre des mesures pour en atténuer ou en annuler la portée. S'agissant de l'un des domaines où ces discriminations étaient les plus criantes, les plus flagrantes, je veux parler des mandats électoraux, chacun l'aura compris -, nous avons, dans un premier temps, voté la modification de la Constitution en y inscrivant l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions. Puis, dans le but d'infléchir les logiques des partis politiques qui conduisaient à évincer les femmes, nous avons fait voter la loi sur la parité, nous attaquant ainsi à l'un des bastions les plus réfractaires à l'égalité des sexes.
    Le deuxième chantier que la gauche a ouvert est celui des discriminations en matière professionnelle, le fameux « plafond de verre » auquel se heurtent les femmes. Que ce soit en matière de rémunérations - inférieures de 27 % environ à celles des hommes -, en termes de temps partiel imposé, de carrière, ou de promotion, les processus de discriminations se mettent toujours en oeuvre et conduisent à des inégalités entre les femmes et les hommes dans la sphère de travail, inégalités que tous les observateurs et tous les analystes dénoncent. Parce que ces inégalités nuisent à la cohésion sociale, parce qu'elles sont injustes et contraires à la dignité des femmes, la gauche a d'abord voté la loi Roudy sur l'égalité professionnelle en 1983, puis la loi Génisson en 2001.
    Pour réaliser l'égalité professionnelle, il faut d'abord, branche par branche, entreprise par entreprise, mettre en évidence les inégalités liées au sexe dans les situations de travail. Il faut ensuite mettre en place des processus de correction, négociés par les partenaires sociaux, puis en mesurer les écarts et modifier en conséquence les dispositifs correctifs. Nous mesurons ainsi combien ces processus sociaux de discrimination, qu'il se traduisent dans les faits ou dans les mots, ont une résistance hors du commun, qui nécessite une volonté politique - c'est tout le sens du texte qui nous est proposé aujourd'hui - et constance dans cette volonté politique. A cet égard les dérives sexistes de certaines publicités récentes, dont la presse s'est fait largement l'écho, mériteraient que les législateurs que nous sommes s'y intéressent, tant les propos qu'elles contiennent ou qu'elles suggèrent sont inacceptables pour qui a la préoccupation du respect de l'égalité entre les sexes. Bien loin de vouloir toucher à la liberté d'expression, qui est l'une des garanties essentielles de notre démocratie, il faut avant tout s'opposer à l'atteinte à la dignité humaine dans la publicité. Je ne méconnais bien évidemment pas les difficultés de la tâche tant les professionnels et parfois certains politiques se montrent rétifs, mais nous devrons sans doute procéder à un rééquilibrage entre liberté d'expression et discrimination sexuelle.
    C'est donc à toutes les formes de discrimination qu'il nous faut nous attaquer maintenant, parce qu'il apparaît clairement que le principe d'égalité seul ne représente pas une garantie contre toutes les discriminations. Face aux actes de violence sexiste, de plus en plus fréquents dans les quartiers ou les écoles, aux actes de violence verbale à l'encontre des filles de la part de jeunes voyous ou encore face aux viols collectifs, qui se multiplient, il faut affirmer aujourd'hui, haut et fort, que ces désordres et ces violences n'ont pas leur place dans une république qui a inscrit l'égalité des hommes et des femmes dans sa constitution.
    Trouver les moyens de l'égalité, lutter contre les discriminations, toutes les discriminations, c'est un formidable enjeu pour aujourd'hui et pour demain. C'est l'enjeu de l'intégration, de l'épanouissement et du respect de toutes et de tous dans une société mixte et plurielle. Alors, ayons le courage de le dire, ayons le courage de le faire, et votons ensemble cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

    M. Michel Vaxès. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.
    M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui traite de l'un des principes fondamentaux de notre démocratie : la liberté d'expression. Certains, au nom de la primauté de l'individu, du libre-arbitre, se refusent à limiter ce principe. Cette conception prévaut de manière quasi absolue dans les démocraties anglo-saxonnes, même si l'on a pu y observer, ces dernières semaines, des tempéraments pour le moins surprenants. Pour ce qui nous concerne, dans la France républicaine, les enseignements de l'histoire ont conduit la représentation nationale à affirmer le principe selon lequel la liberté d'expression, comme toute liberté, ne peut aller au-delà de certaines limites, en l'occurrence celles de la dignité et de l'intégrité de la personne humaine. Loin de faire exception sur ce point, la France est en relative harmonie avec les autres grandes démocraties européennes.
    Nous avons pu, en particulier au cours des deux dernières décennies, faire oeuvre de fermeté pour renforcer notre dispositif de lutte contre les propos discriminatoires fondés sur l'origine, la race, la religion. Modifiée à de multiples reprises, la loi sur la presse du 29 juillet 1881 punit ainsi de peines de prison ou de lourdes amendes ceux qui, dans un organe de presse, se rendent coupables de tels propos. Mais cette législation ne réprime pas les propos portant atteinte à l'honneur des personnes ou à leur réputation en raison de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs moeurs ou de leur orientation sexuelle. Avec mes collègues du groupe socialiste, je pense qu'il s'agit là d'une lacune de notre droit qui mérite d'être comblée, mais je ne crois pas que nous soyons les seuls à vouloir rattraper ce retard. Je suis même persuadé qu'une large majorité d'entre nous souhaite s'inscrire dans la philosophie des nombreux textes, en particulier européens, qui nous incitent à légiférer.
    Les plus hautes autorités de l'Etat ont affirmé en la personne du président de la République : « L'homophobie est aussi condamnable que le sexisme ou le racisme. A l'instar du dispositif mis en place pour d'autres phénomènes de rejet, il faut à l'évidence une condamnation de l'homophobie.» M. le garde des sceaux lui-même, faisant récemment écho à cette parole présidentielle, a reconnu dans une réponse publiée au Journal officiel : « En l'état du droit positif, la seule mention de l'homosexualité d'une personne n'est pas en soi pénalement sanctionnée, ce qui peut constituer une lacune juridique préjudicable aux homosexuels. » Quel aveu et quel constat !
    Si l'opinion de l'exécutif est faite, si la détermination politique - à gauche, et peut-être à droite - ne fait pas défaut, bref, si tout le monde est d'accord, pourquoi entend-on, comme au Sénat en octobre dernier ou en commission des lois ces derniers jours, que légiférer maintenant n'est pas possible et qu'il est urgent d'attendre ?
    J'ai lu, entendu, ici et là, qu'en réalité les esprits ne sont pas encore mûrs à droite pour franchir le cap de la reconnaissance définitive du fait homosexuel dans notre pays et que derrière les arguments techniques, juridiques, ou d'opportunité, se cacherait une réticence un peu honteuse...
    Un commentaire de presse de ce matin faisait écho à des propos tenus par un conseiller ministériel à la suite de la réunion d'hier et selon lequel les députés UMP ne seraient pas mûrs : il faut faire oeuvre de pédagogie et on n'y arrivera pas en quelques jours !
    M. Henri Emmanuelli. Il faut les mettre au soleil ! (Sourires.)
    M. Alain Vidalies. Expliquez-nous les raisons de votre refus, car nous en avons entendu deux.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez expliqué que vous n'aviez aucun reproche à faire à la proposition de loi de Patrick Bloche, que sa mise en oeuvre ne serait qu'une question de temps, car il n'y avait aucune difficulté sur le fond.
    Et puis vint l'intervention du seul et unique orateur du groupe UMP. A notre grande surprise, M. de Roux nous déclara que le fait d'intégrer une partie de l'article 225-1 du code pénal dans la loi de 1881 était une mauvaise façon de légiférer.
    M. Xavier de Roux. Absolument et je le maintiens !
    M. Alain Vidalies. Or, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit exactement le contraire. Le Gouvernement reconnaissait donc bien que l'inscription d'une partie de l'article 225-1 dans la loi, autrement dit la proposition de M. Bloche, était envisageable. Et si aujourd'hui vous refusez, c'est bien parce que, sur le fond, le groupe UMP ne le veut pas.
    Mais M. de Roux est allé plus loin, au nom du groupe UMP. Ce fut là un moment délicieux.
    M. Xavier de Roux. Tant mieux si j'ai pu vous le donner !
    M. Alain Vidalies. Je vous en remercie, mais si le sujet n'était pas si grave... Car vous vous êtes exprimé avec une grande sincérité pour vous opposer à notre proposition de loi dans les termes suivants : « La pénalisation de la société est-elle la réponse appropriée au regard de la liberté ? »
    M. Xavier de Roux. Eh oui !
    M. Alain Vidalies. Ces mots prennent une certaine saveur quand on sait qu'ils sont prononcés au nom du groupe qui, en quelques mois, n'a rien trouvé de mieux que de créer une multitude de délits supplémentaires et de pénaliser la société à outrance.
    Mme Danielle Bousquet. Tout à fait !
    M. Alain Vidalies. Je ne citerai que le regroupement des jeunes dans les cages d'escalier ou le racolage passif. Il y a quelques heures encore, vous avez tout simplement imaginé d'allonger le délai de garde à vue pour les mineurs.
    Il faut choisir. Nous étions prêts, connaissant bien les mécanismes de la procédure parlementaire et les rapports entre l'opposition et la majorité, à accepter le discours de M. le secrétaire d'Etat qui, bien que ne nous agréant pas, ne nous heurtait pas. Mais les propos qui ont été tenus ici par l'unique orateur de l'UMP devront être assumés sur le fond par l'ensemble de son groupe.
    Si notre proposition de loi ne présente pas de difficulté de fond, on peut se demander pourquoi, aujourd'hui, alors que vous avez eu peu d'arguments à nous opposer, vous continuez à nous exhorter à la prudence, au mûrissement de la réflexion, à la nécessaire clarté du droit pour reporter le débat. Il n'y a pas de mal en soi à perdre son temps, mais il est dommage de le gaspiller...
    Les orientations en la matière ont été fixées il y a plus de dix-huit mois par le Président de la République alors en campagne électorale. Le Gouvernement issu des élections de 2002 a eu, en maintes occasions, la possibilité de répondre aux vexations et aux humiliations subies par ceux qui souffrent d'une inégalité de traitement. Force est de constater que, en dépit de l'attitude constructive dont fait preuve le groupe socialiste avec cette proposition, le Gouvernement - et surtout le groupe UMP, d'ailleurs - n'est toujours pas prêt à tendre la main à toutes les victimes de propos discriminatoires. C'est d'autant plus regrettable qu'au nombre des leitmotive de votre majorité figure en bonne place celui selon lequel il faut se préoccuper en priorité du sort des victimes.
    M. Charles Cova. Il fallait bien, vous les aviez négligées.
    M. Alain Vidalies. Vous en conviendrez, c'est ce qui a guidé toute votre action en matière de lutte contre l'insécurité et de réforme de la justice. Vous avez régulièrement rappelé que la droite se préoccupe vraiment du sort des victimes,...
    M. Charles Cova. Ah oui !
    M. Alain Vidalies. ... alors que la gauche les aurait ignorées. Mais pour se permettre de donner la leçon, il faut être soi-même irréprochable !
    Votez ce texte pour montrer que vous n'avez pas, en la matière, un double langage. Est-ce si difficile que vous ne puissiez faire aujourd'hui ce que vous avez vous-même promis de faire dans quelques mois ? Notre arsenal de lutte contre les discriminations, qu'il soit d'origine européenne ou nationale, est pratiquement complet ; il suffit juste d'opérer les modifications proposées par Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste pour parachever l'ouvrage.
    Votre attitude est incompréhensible : au lieu de manifester avec enthousiasme votre préoccupation vis-à-vis de ces victimes, qui attendent qu'on leur offre une protection égale à celles que méritent toutes les victimes quelle que soit leur situation, vous vous réfugiez derrière des arguments inintelligibles pour l'opinion publique pour, finalement, ne rien faire d'autre qu'attendre. Attendre quoi ? Personne ne le sait, mais attendre, parce qu'il faut attendre, parce que c'est mieux d'attendre.
    M. Jean-Paul Garraud. Démagogie !
    M. Alain Vidalies. Attendre que des gens malintentionnés continuent de répandre la haine ? Attendre que rien n'interdise de confondre liberté de s'exprimer et liberté d'humilier ?
    Peut-être avez-vous, mesdames, messieurs de la majorité, des observations à faire valoir, des modifications à opérer ? Personne n'a la science infuse, pas plus les députés socialistes que les autres. Si nous sommes tous, quelle que soit notre orientation politique, déterminés à lutter contre les discriminations et à tenir compte du sort de toutes les victimes, eh bien travaillons ! Nous sommes ici pour faire la loi, et la faire le mieux possible.
    M. Xavier de Roux. Ça, c'est vrai !
    M. Alain Vidalies. Je serais surpris que cette proposition de loi puisse susciter un doute légitime ou faire l'objet d'une modification. Mais je ne demande qu'à être éclairé. A moins de remettre en cause l'utilité de la procédure parlementaire et le droit d'initiative des députés, vous disposez de cette faculté ; je vous invite à vous en saisir.
    Cette proposition de loi est courte, précise, bien faite, mais rien n'interdit d'imaginer des solutions encore meilleures. Personnellement, je ne les ai pas trouvées et je ne crois pas que les longs mois qu'il faudra à ce Gouvernement pour décider - peut-être - de légiférer, permettront d'en trouver d'autres.
    Toutes les hésitations que nous avons observées, toutes les contradictions qui se sont exprimées ce matin, tous les doutes qui se sont révélés de ce côté-ci de notre assemblée ne dissiperont pas, si vous décidez de passer outre notre proposition de loi pour attendre je ne sais quels jours meilleurs, cette impression diffuse que votre retenue masque un malaise bien plus profond. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Louis Idiart. L'UMP a de Roux, mais elle n'a pas de moteur ! (Sourires.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale. A mon tour de rappeler où nous en sommes, où en est le Gouvernement de sa réflexion et de réprendre certains points susceptibles de calmer, entre autres, M. Vidalies.
    Dans sa réponse à une question écrite parue au Journal officiel du 1er septembre 2003, le garde des sceaux s'est engagé à ce que les modifications législatives à venir permettent de parfaire la protection des homosexuels, aussi bien dans le domaine des discriminations qu'en cas d'agression physique ou verbale à caractère homophobe, et aident les associations à lutter contre l'homophobie et à remplir au mieux leurs missions. Une réponse similaire a été faite à M. Emmanuel Hamelin.
    Conformément à ces orientations, et le secrétaire d'Etat l'a confirmé tout à l'heure, un groupe de travail interministériel - intérieur, culture, parité et justice -, a été mis en place et une première audition s'est tenue lundi dernier. Le groupe a pour mission d'identifier les insuffisances actuelles de la loi, avant de formuler des propositions pour y remédier.
    Faut-il considérer a priori que ce travail ne servira à rien ? Ou, au contraire, que la diversité du programme d'audition garantira la qualité de ses conclusions et l'élaboration du projet de loi parfaitement adapté au problème à résoudre ?
    Il nous semblerait sage d'attendre les conclusions de ce groupe de travail et de ne pas se prononcer sur une proposition de loi qui procède certes d'une louable attention, mais qui ne pourra que gagner à être enrichie par les travaux en cours. Cette nécessaire adaptation de notre droit ne devra porter atteinte à la liberté d'expression - argument de M. de Roux, qui a sans doute été mal compris.
    La pertinence du problème soulevé par la proposition de loi présentée par Patrick Bloche justifie le temps que nous consacrons ce matin à en debattre. Mais ce débat ne doit constituer qu'un utile prélude aux travaux qui auront lieu lors de l'examen du projet que déposera le Gouvernement.
    Je souhaite donc, à l'issue de ce débat, que la discussion, comme le prévoit notre règlement, ne s'engage pas sur l'article unique de la proposition, que l'article 94 de notre règlement s'applique et que l'Assemblée soit appelée à se prononcer sur les conclusions de rejet de la commission.
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Patrick Bloche, rapporteur. Je souhaiterais, après avoir entendu les arguments développés par les orateurs dans la discussion générale, préciser à nouveau certaines intentions ou dispositions de cette proposition de loi.
    C'est moins en tant que rapporteur qu'en tant qu'auteur de la proposition de loi que je dirai à Mme Lebranchu, à M. Vaxès, à M. Vidalies, à Mme Bousquet et à Mme Billard combien j'ai été sensible à leurs propos.
    Mme Lebranchu a rappelé avec juste raison que de nombreux groupes sociaux étaient fatigués d'attendre. Elle a ainsi justifié le dépôt de cette proposition de loi et la nécessité, non seulement de son examen mais aussi de son vote, évitant ainsi à notre assemblée, par d'autres dispositions, de recourir à cette notion, sujette à discussion, de « discrimination positive. »
    De la même façon, avec des citations, ô combien fortes, de Victor Hugo, de Wells, de Martin Luther King, Michel Vaxès a souhaité, de façon très pertinente, supprimer toute hiérarchisation des discriminations.
    L'article 225-1 du code pénal n'en fait pas. Ce serait une discrimination supplémentaire. En effet, la pénalisation, dans notre esprit, n'est pas une fin en soi mais un moyen.
    Mme Bousquet, dont nous connaissons l'engagement - notamment sous la précédente législature, mais cet engagement reste constant - en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, a rappelé ce que certains discours écrits ou propos sexistes pouvaient avoir d'insultant pour les femmes, notamment dans le domaine, de l'image - domaine, certes très complexe à réguler. Elle arappelé aussi que, souvent, les violences verbales débouchent, malheureusement, sur des violences physiques.
    Mme Billard a rappelé utilement que certains propos ont pu être tenus publiquement, y compris dans cet hémicycle, en des temps pas si anciens. Elle a insisté et je l'en remercie, sur la notion d'urgence - urgence à agir, urgence à légiférer. Je tiens à rappeler, d'ailleurs, que cette proposition de loi a été redéposée pour prendre en compte l'évolution de notre droit, et en particulier les dernières modifications apportées à la loi sur la presse. En effet, et contraitement à ce qu'on pense souvent, la loi sur la presse n'est pas une loi sacrée à laquelle on n'aurait pas touché depuis 1881 ; elle est modifiée régulièrement et de manière cohérente, comme cela a encore été le cas il y a deux ans. En l'occurrence, la modification de la loi de la presse que vous avez évoquée se justifie par l'objet que nous poursuivons ensemble. Notre collègue a rappelé qu'en début d'année, l'opposition, dépassant des préoccupations d'ordre politicien, avait su voter la proposition de loi de notre collègue Lellouche.
    J'ai noté également, madame Billard, vos amendements sur l'identité de genre ou sur le genre. Dans mon rapport préliminaire, je vous ai répondu - par anticipation - qu'il faudrait, d'abord, dans l'article 225 du code pénal, définir le genre et l'identité de genre et prendre en compte les discriminations à l'égard des transsexuels et la transphobie.
    Alain Vidalies, qui vient d'intervenir, et dont nous avons encore les propos à l'esprit, a rappelé, qu'on ne peut pas tenir deux discours sur les victimes, en considérant que certaines victimes d'actes et d'agressions justifient une pénalisation de la société, et que d'autres victimes - de paroles ou d'écrits - qui ressentent avec la même force et d'une manière tout aussi dramatique l'agression qui les touche ne devraient - pas voire pas du tout - être prises en considération. M. Vidalies a dit avec juste raison que nous ne devions pas avoir peur d'une initiative parlementaire ; nous l'avons déjà montré dans le passé.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez tenu, au nom du Gouvernement, un propos modéré. Vous avez évoqué un groupe de travail qui, opportunément, n'a pas fini son travail, mais qui, très certainement, le finira un jour... Vous avez aussi rappelé les engagements du chef de l'Etat et du Gouvernement, auxquels j'avais moi-même fait référence.
    Il faudra sans doute préciser, comme a commencé à le faire le président de la commission des lois, et en vertu de l'article 94 du règlement, ce que va faire l'Assemblée. Vous avez, en effet, dans la suite de votre propos, exprimé le souhait que l'Assemblée ne passe pas à l'examen des articles, et donc suspende, cette discussion sans prendre position.
    Or j'ai rappelé, en tant que rapporteur, que la commission des lois avait - à mon grand regret - rejeté cette proposition de loi et que nous allions être amenés à nous prononcer sur ses conclusions. J'ai encore quelque espoir que notre débat ne s'achève pas aussi piteusement...
    Monsieur de Roux, M. Vidalies vous a en partie répondu et j'avais pour ma part anticipé votre propos. Je ne reviens pas sur la pénalisation de la société - nous pourrions nous demander qui est le plus entreprenant dans ce domaine. Cela dit, vous avez fait référence, et à juste titre, à l'article 225-1 du code pénal, qui établit la liste des discriminations - longue litanie, certes, mais ô combien nécessaire.
    Si nous n'avons retenu qu'une partie des motifs mentionnés dans cet article, c'est tout simplement parce que au nom, précisément, de la liberté d'expression, nous n'avons pas voulu inclure dans cette proposition de loi les opinions politiques et les activités syndicales, ainsi que le garde des sceaux en avait d'ailleurs, le 2 octobre dernier, au Sénat, exprimé le souhait. Cependant, nous n'avons pas non plus voulu limiter ce texte à la seule orientation sexuelle et en faire une proposition de loi visant à lutter contre la seule homophobie. Nous avons donc visé expressément le sexe, l'état de santé, le handicap, les moeurs et l'orientation sexuelle. Du reste, je suis certain - et je suis prêt à ouvrir les paris - que le texte que nous présentera le Gouvernement - le plus tôt possible, je l'espère - sera identique à celui-ci et comportera les mêmes références à l'article 225-1 du code pénal.
    S'agissant des rapports entre égalité et liberté - débat qui anime sans doute depuis longtemps cet hémicycle -, pourquoi hiérarchiser ces deux notions quand elles peuvent être conciliées ?
    Lorsqu'il existe des discriminations, et que l'égalité est ainsi mise en cause, comment s'en satisfaire ? Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où le premier amendement de la Constitution interdit, par exemple, de fermer les sites néonazis sur l'Internet. En France, nous avons une loi sur la liberté de la presse qui, dans une démarche très républicaine, établit un bon équilibre en garantissant à la fois la liberté d'expression, d'opinion, d'information, et l'encadrement de cette liberté vis-à-vis des abus et des débordements dont elle pourrait faire l'objet.
    A cet égard, j'ai aussi à l'esprit la proposition de loi que j'ai déposée au mois de septembre - une autre, allez-vous dire - qui vise à concilier le droit à l'image et la liberté d'expression. Je vous y renvoie, monsieur de Roux. Discutons-en en marge du débat que nous avons ce matin. Aujourd'hui, un droit à l'image absolu s'impose, ce qui contraint certaines professions de presse - je pense notamment aux photographes et aux photoreporters - à s'autocensurer pour ne pas être traînés devant les tribunaux, comme c'est de plus en plus souvent le cas, par des personnes qui « marchandisent » leur propre image ou celle de leurs biens. Il y a là une regrettable dérive. Le droit à l'image n'est pas défini dans le code civil, il est de construction purement prétorienne, mais c'est un droit absolu. Voilà pourquoi je me suis permis, avec le groupe socialiste, de déposer une proposition de loi dont l'objet est que la liberté d'expression ne soit pas altérée par ce droit trop envahissant.
    M. Vercamer a sans doute voulu réaffirmer que l'UDF était dans la majorité, ce que je regrette particulièrement ce matin.
    M. Jean-Paul Garraud. Faut pas rêver !
    M. Patrick Bloche. J'ai cru comprendre que nous n'avions pas été assez ambitieux et que, pour cette raison, il fallait rejeter notre proposition de loi. Je pense, pour ma part, que nous aurions donné plus qu'un signe en inscrivant dès à présent dans la loi de 1881 des dispositions naturellement susceptibles d'être ultérieurement élargies, mais qui sont attendues avec impatience.
    Bien sûr, cette proposition, présentée dans le cadre d'une « niche » parlementaire, n'a pas l'ambition d'un projet de loi. Elle se veut simple, ne comporte qu'un article et vise uniquement la loi de 1881. Vous avez regretté, mon cher collègue, l'absence d'un volet prévention. Mais je vous renvoie à la conclusion de mon rapport, qui est très claire à ce sujet : « Si la pénalisation des propos discriminatoires est une nécessité républicaine, il convient cependant de garder à l'esprit les limites de la répression. De même que la sanction des propos racistes n'a pas éradiqué le racisme en France, la condamnation des propos discriminatoires doit s'accompagner d'une pédagogie pour faire vivre la devise de la République. » Bien sûr, il faut de la pédagogie ! Au-delà de ce qu'il vous est proposé d'inscrire dans la loi de 1881, nous avons à entreprendre tout un travail commun de persuasion et de culture.
    Avant que l'Assemblée nationale ne soit appelée, en application de l'article 94 du règlement, à se prononcer par un vote sur les conclusions de rejet de la commission, je voudrais m'adresser, pour conclure, à nos collègues de la majorité, en les invitant à s'appliquer à eux-mêmes un principe de cohérence, et surtout un principe de précaution. Par cohérence avec ce que vous serez amenés à voter dans quelques mois de façon très certainement identique - je suis prêt à en faire le pari -, par précaution aussi, pour ne pas avoir à vous contredire, il apparaîtrait incompréhensible que vous votiez contre les dispositions de cette proposition de loi au seul motif, finalement, qu'elle a le tort d'avoir été présentée par l'opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Vote sur les conclusions de rejet
de la commission

    M. le président. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ayant conclu au rejet de l'article unique de la proposition de loi, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 2, du règlement, est appelée à statuer sur ces conclusions de rejet.
    Conformément aux dispositions du même article du règlement, si ces conclusions sont adoptées, la proposition de loi sera rejetée.
    Sur le vote de ces conclusions, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
    Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.
    M. Alain Vidalies. Sur le fond, les propos du rapporteur, mais surtout les déclarations du Président de la République, les engagements du Premier ministre et les affirmations du garde des sceaux devraient amener chacun ici, sauf à y être hostile sur le principe, à voter immédiatement la proposition de loi de M. Bloche. Je pense notamment à cet argument très fort qui figure dans la réponse écrite de M. Perben : « Je constate que, dans notre droit positif, ce délit n'est pas actuellement punissable. » De la part d'un garde des sceaux, reconnaître qu'un agissement, dont il estime qu'il devrait être poursuivi, n'est pas actuellement punissable, ne doit normalement entraîner qu'une seule réaction : modifier immédiatement la législation. Nous vous en donnons aujourd'hui l'occasion. Toute autre décision serait incompréhensible.
    Sur la procédure, le rejet du texte en commission n'a fait que nourrir nos inquiétudes. Que le Gouvernement souhaite conserver l'initiative en ce domaine, ainsi que l'a expliqué M. le secrétaire d'Etat, c'est une démarche que nous comprenons tous, même si nous ne pouvons y souscrire. Mais voter contre...
    M. Pascal Clément, président de la commission, et M. Charles Cova. Bis repetita !
    M. Alain Vidalies. Monsieur le président de la commission, le déroulement de ce scrutin ne manquera pas d'intérêt. Ou bien l'UMP adopte les conclusions de rejet ; ou bien, prenant déjà conscience des dégâts catastrophiques que pourrait causer pareille décision dans l'opinion, elle se résout subitement à voter contre le rapport de la commission pour pouvoir sortir de ce débat moins piteusement.
    M. Gérard Léonard. Inadmissible !
    M. Alain Vidalies. Monsieur Léonard, ici, la liberté d'expression est totale. Personne ne m'empêchera de donner mon opinion, et certainement pas vous, qui êtes de ceux qui se trouvent à l'origine de cette décision piteuse. Je ne trouve pas d'autre mot quand je vois la commission des lois de l'Assemblée nationale, en 2002, refuser une proposition de loi visant à pénaliser les propos discriminatoires.
    M. Gérard Léonard. C'est vous qui êtes piteux !
    M. Alain Vidalies. C'est pourquoi nous voterons contre les conclusions de la commission. Même si, pour la suite, nous renvoyons aux travaux que le Gouvernement nous a promis, j'espère que, sur ce vote-là au moins, l'UMP fera amende honorable.
    M. Gérard Léonard. Nous dirons non à cette manoeuvre politicienne !
    M. le président. La parole est à M. Xavier de Roux, pour le groupe UMP.
    M. Xavier de Roux. Il y a une grande différence entre M. Bloche et M. Vidalies : M. Vidalies, comme d'habitude, a procédé par injonction ; M. Bloche, lui, a essayé d'expliquer sa proposition avec des arguments qui n'étaient pas inintéressants. La réponse qui lui a été faite, notamment par le président de la commission des lois, est très claire : le Gouvernement, dans le cadre interministériel, se penche sur la question de savoir s'il faut un texte autonome contre l'homophobie ou si l'on intègre ce texte dans la loi de 1881 en y incluant l'article 225-1 du code pénal.
    M. Bloche nous a indiqué qu'il n'avait pas intégré la totalité de l'article 225-1 dans sa proposition, parce que cela risquait de poser des problèmes, notamment en ce qui concerne les droits syndicaux. En réalité, on pourrait énumérer toute une série de difficultés de ce genre, et cela vaut bien qu'on réfléchisse un peu. Car nous faisons la loi, nous ne rédigeons pas des tracts électoraux !
    M. Henri Emmanuelli. Oh !
    M. Gérard Léonard. Exactement !
    M. Xavier de Roux. Eh oui, monsieur Emmanuelli, la loi n'est pas un tract, elle mérite réflexion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut suivre la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. Henri Emmanuelli. On attendait mieux de vous !
    M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
    Nous allons maintenant procéder au scrutin.
    Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.
    Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.
    Le scrutin est ouvert.
    M. le président. Le scrutin est clos.
    Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants   69
Nombre de suffrages exprimés   69
Majorité absolue   35
Pour l'adoption   49
Contre   20

    L'Assemblée ayant adopté les conclusions de rejet de l'article unique, la proposition de loi est rejetée.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

    M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
    Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 :
    M. Pierre Morange, rapporteur (rapport n° 1247) ;
    Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1109, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité :
    M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1236).
    A vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.
    La séance est levée.
    (La séance est levée à onze heures vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT
annexe au procès-verbal
de la 1re séance
du jeudi 27 novembre 2003
SCRUTIN (n° 398)


sur les conclusions de rejet de la proposition de loi portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire proposées par la commission des lois.

Nombre de votants

69


Nombre de suffrages exprimés

69


Majorité absolue

35


Pour l'adoption

49


Contre

20

    L'Assemblée nationale a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN

Groupe U.M.P. (364) :
    Pour : 47 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
    Non-votants : MM. Marc-Philippe Daubresse (président de séance) et Jean-Louis Debré (président de l'Assemblée nationale).
Groupe socialiste (149) :
    Contre : 17 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe Union pour la démocratie française (30) :
    Pour : 2 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.
Groupe communistes et républicains (22) :
    Contre : 1 membre du groupe, présent ou ayant délégué son droit de vote.
Non-inscrits (12) :
    Contre : 2. - Mme Martine Billard et M. Noël Mamère.