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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 10 DÉCEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 9 décembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE «...»

MM. Charles de Courson, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

INONDATIONS «...»

MM. François Liberti, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE «...»

MM. Eric Besson, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ «...»

MM. Franck Gilard, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

INONDATIONS «...»

MM. Roland Chassain, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

MAISONS FAMILIALES RURALES «...»

MM. Daniel Prévost, Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

INSERTION DES JEUNES «...»

Mme Nathalie Gautier, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

SCRUTINS AUX ANTILLES «...»

M. Didier Quentin, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer.

PLAN D'URGENCE HIVERNAL «...»

M. Georges Fenech, Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion.

AVENIR DE LA POSTE «...»

M. Emile Zuccarelli, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

ASSURANCE CHÔMAGE «...»

MM. Alain Vidalies, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE «...»

MM. Bernard Perrut, Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

MARINS PÊCHEURS «...»

Mme Hélène Tanguy, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC

2.  Parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse. Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat «...».
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE «...»

MM.
Rudy Salles,
Michel Vaxès,
Camille de Rocca Serra,
Emile Zuccarelli,
Paul Giacobbi,
Simon Renucci.
Clôture de la discussion générale.

Article unique. - Adoption «...»
Après l'article unique «...»

Amendement n° 1 de M. Zuccarelli : MM. Emile Zuccarelli, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

VOTE SUR L'ENSEMBLE «...»

Adoption de l'ensemble du projet de loi, qui se limite à l'article unique.

Suspension et reprise de la séance «...»

3.  Bioéthique. - Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi «...».
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Alain Clayes, le ministre, Jean Leonetti, Jean-Marie Le Guen. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe UDF.

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE

    M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.
    M. Charles de Courson. Monsieur le Premier ministre, nos concitoyens sont inquiets du coût pour leurs impôts de l'affaire Executive Life. Celle du Crédit lyonnais, dont la responsabilité incombe pour l'essentiel à la gestion de M. Haberer, soutenu par le gouvernement de gauche de l'époque (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste), a un coût énorme pour les contribuables : à ce jour plus de 20 milliards d'euros, soit 800 euros par famille.
    M. Yves Nicolin. Rendez l'argent !
    M. Charles de Courson. L'affaire Executive Life peut encore alourdir cette facture de 1 à 3 milliards d'euros. Le Gouvernement a refusé de signer avec la justice américaine un accord qui mettait à l'abri les contribuables d'un procès au pénal, limitant la somme finale due au civil. Monsieur le Premier ministre, ma question est double. Pour quelles raisons le Gouvernement a-t-il décidé de ne pas signer le projet d'accord et cette position est-elle définitive ? En cas de procès pénal, comment éviter les conséquences désastreuses pour le contribuable français d'un jugement défavorable de la justice américaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous savez comme moi à quel point ce sujet est complexe.
    Un député du groupe socialiste. Oh que oui !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avons une double procédure : pénale et civile. L'intérêt et la responsabilité de l'Etat français sont de trouver, dans les meilleures conditions possibles, un règlement pour mettre fin définitivement à ces poursuites. Nous avions le sentiment de l'avoir obtenu le 2 septembre, mais nous avons découvert, à notre grande surprise, que tel n'était pas le point de vue de l'autre partie, c'est-à-dire du parquet californien. Nous devons donc rechercher un accord global concernant toutes les parties, pour qu'il ne puisse y avoir de fuites ou de déformations dans des accords partiels. Cet accord global, nous ne l'avons pas encore obtenu, mais nous nous employons à le trouver. Si nous n'y parvenons pas, nous irons au procès au pénal, mais nous avons, autant que l'accusation, les moyens de nous défendre. Nous disposons d'éléments qui devraient nous permettre de continuer à sauvegarder les intérêts des contribuables, dont vous avez raison de rappeler qu'ils sont directement concernés par l'ensemble des opérations du Crédit lyonnais et l'avatar Executive Life. Si nous sommes obligés d'aller au procès pénal, nous avons donc suffisamment d'éléments pour nous défendre, et nous le ferons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

INONDATIONS

    M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. François Liberti. Monsieur le Premier ministre, Arles en Provence-Alpes-Côte d'Azur, Mauguio dans l'Hérault, Comps dans le Gard, une fois encore les populations du sud de la France sont lourdement frappées par les inondations. Les dégâts matériels et économiques sont considérables. Quant aux dégâts humains, ils ne sont pas réparables, pas plus que la perte de souvenirs de toute une vie. Une fois encore, saluons l'engagement, la compétence, le dévouement et le savoir-faire des salariés des services publics, la solidarité des populations, l'engagement des élus locaux. Mais au fil des inondations, déplorer les conditions climatiques et manifester de la compassion aux victimes, cela ne suffit plus. Il faut remettre en question la conception libérale de l'aménagement du territoire, fait de désengagements de l'Etat, de transferts massifs sans moyens aux collectivités locales, de déréglementations méthodologiques des services publics et d'une spéculation foncière effrénée, prenant le pas sur la sécurité, la protection, l'aménagement durable.
    Le plan de Mme la ministre de l'environnement, présenté le 8 septembre, est à des années-lumière des besoins énoncés par le rapport Huet depuis les précédentes inondations dans le Languedoc-Roussillon. Les député-e-s communistes et républicains considèrent qu'en appui aux études faites il y a urgence à décider d'un véritable schéma interrégional d'aménagement et de travaux, de cohérence territoriale sur les inondations, avec des moyens financiers exceptionnels de l'Etat, de l'Europe, en partenariat avec les collectivités territoriales et locales. Ou on construit des sous-marins nucléaires, ou on s'occupe de la sécurité des personnes et des biens. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) A Bellegarde, en bordure du Rhône, on a dépensé deux millions d'euros pour réparer la digue en catastrophe, alors qu'un million aurait suffi pour assurer son entretien. Les coûts de réparation sont sans commune mesure avec ceux d'une véritable prévention.
    Il y a urgence, enfin, à classer les zones sinistrées en l'état de catastrophe et surtout innover - c'est cela le plus important - dans les dispositifs d'indemnisation, d'assurance, d'effacement d'agios bancaires, de rapidité dans les aides afin de ne pas allonger la trop longue liste des laissés-pour-compte qui viendraient grossir les centaines de familles qui sont encore dans la galère depuis les inondations de septembre 2002.
    M. le président. Monsieur Liberti, quelle est votre question ?
    M. François Liberti. Quelles dispositions entendez-vous prendre, monsieur le Premier ministre, pour aller dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur Liberti, je m'associe et j'associe tout le Gouvernement à l'hommage que vous avez rendu à la mémoire des disparus et au message adressé aux familles de ces sept personnes qui ont trouvé la mort dans cette catastrophe. Je vous en remercie. Je m'associe aussi, ainsi que tout le Gouvernement, à l'hommage que vous avez également rendu à tous ceux qui se sont engagés jour et nuit pour porter secours aux populations, puisque 12 500 personnes ont dû être évacuées, 7 000 pour la seule ville d'Arles. Comme vous, je voudrais saluer les 3 000 sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, militaires de la sécurité civile et des trois armées, les 900 sauveteurs européens venus de différents pays, notamment d'Allemagne, participer à cette action pour nous aider à surmonter ces difficultés. Je voudrais également saluer les 1 600 gendarmes et policiers et les 1 500 personnels du ministère de l'équipement. Une formidable mobilisation est engagée et je salue le professionnalisme et le courage de tous ceux qui se sont mis à la disposition de la population dans ces circonstances. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    Ces moyens humains sont, évidemment, très importants. Nous y ajoutons, vous le savez, monsieur le député, des moyens financiers. Plus de deux millions d'euros d'aides à la personne, aux familles seront directement disponibles grâce à un guichet unique pour aider ceux que ces inondations, ces catastrophes ont à nouveau fragilisés et auxquels il faut aujourd'hui exprimer une solidarité effective, opérationnelle. Ce matin, le ministre de l'intérieur était présent pour coordonner les secours, organiser la mise en place de ce guichet unique et faire en sorte que des démarches de simplification puissent donner satisfaction à nos concitoyens.
    Une mission d'inspection interministérielle est sur le terrain pour évaluer l'ensemble des dégâts. Dès qu'elle aura achevé ce travail, monsieur le député, nous organiserons ensemble un programme de solidarité nationale qui sera fondé, d'abord, sur le nettoyage. D'ores et déjà, l'armée est prête à participer à ces actions de nettoyage qui seront très importantes. Comme l'a annoncé hier Mme Bachelot, nous passerons aussi un accord avec toutes les collectivités territoriales pour engager ce schéma régional dont vous parlez, notamment s'agissant de la restauration des digues, qui sont une menace permanente, pour laquelle il nous faut un partenariat avec l'ensemble des acteurs. L'Etat s'y engage et y consacrera les moyens nécessaires. Enfin, sera mis en place un programme économique de soutien aux activités, aux entreprises, à tous ceux qui ont connu le chômage technique ou qui rencontrent des difficultés. L'ensemble de ces moyens sera mobilisé pour porter secours à une population durement touchée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AFFAIRE EXECUTIVE LIFE

    M. le président. La parole est à M. Eric Besson, pour le groupe socialiste.
    M. Eric Besson. Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous interroger sur le dossier Executive Life et aimerais obtenir de vous des réponses claires à des questions simples. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mme Martine David. Ça changera !
    M. Jacques Desallangre. C'est impossible !
    M. Eric Besson. Première question : qui a pris la décision de ne pas signer avec la justice américaine un accord dit partiel, c'est-à-dire n'intégrant pas le groupe Pinault ? De toute évidence, le Président de la République est intervenu en ce sens, comme il l'avait d'ailleurs exprimé à Bruxelles avant de le démentir partiellement à Tunis. Mais il semble que ce soit vous-même, monsieur le Premier ministre, qui ayez exigé de M. Mer de ne pas signer un accord qui aurait pourtant protégé le Crédit lyonnais, le CDR et donc le contribuable français. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Oui ou non, avez-vous donné un ordre écrit à votre ministre de l'économie lui interdisant de signer un accord partiel ? (Mêmes mouvements.)
    M. Yves Nicolin. Rendez l'argent !
    M. Eric Besson. Deuxième question : quelle est votre stratégie de négociation ? Vous avez refusé successivement des propositions à 300, 400 puis 585 millions de dollars. Le procureur américain parlait, il y a quelques jours, de 700 millions de dollars. La façon dont vous négociez va coûter très cher aux contribuables français. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous en sommes déjà à plus de dix euros par Français.
    Troisième et dernière question : avez-vous bien mesuré les risques que vous faites actuellement courir à nos intérêts en paraissant désormais privilégier la voie d'un procès au pénal, comme vient de le suggérer le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ?
    M. Bernard Accoyer. Qui était au pouvoir ?
    M. le président. Monsieur Accoyer, je vous en prie !
    M. Eric Besson. Risques financiers qui peuvent être colossaux puisque l'on parle désormais de milliards d'euros, risques de suppression de la licence du Crédit lyonnais, et donc du Crédit agricole, et risques pour l'image de la France !
    M. Jean Marsaudon. Ça vous va bien !
    M. Eric Besson. En résumé, monsieur le Premier ministre, avez-vous, oui ou non, et je souhaite que vous n'éludiez pas cette question, donné un ordre écrit et maîtrisez-vous le risque que vous faites courir à notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, c'est moi qui ai pris cette décision. Je l'ai prise par écrit et je l'assume. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je l'ai prise après avoir consulté toutes les parties.
    M. Jean-Marc Ayrault. Heureusement que l'on est là pour poser des questions !
    M. le Premier ministre. Ce qui est très important, mesdames, messieurs les députés, ce que vous devez savoir, vous qui défendez l'intérêt de la nation, c'est qu'une signature, c'est une reconnaissance de culpabilité. Ce que l'on demande au gouvernement français, c'est de payer 500 millions de dollars,...
    M. Jacques Myard. Scandaleux !
    M. le Premier ministre. ... de reconnaître des culpabilités sur un dossier sur lequel on ne lui donne pas les informations. Je sais simplement aujourd'hui qu'il y a cinquante chefs d'accusation, mais je ne les connais pas ! Et l'on voudrait que je signe, au nom de l'Etat français, pour une gestion dont mon gouvernement n'est pas responsable ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Bernard Accoyer. Exactement !
    M. le Premier ministre. Je vois bien qu'il y a des intérêts, mais je vois aussi que certains acteurs sont en dehors de l'accord, y compris des acteurs des banques que vous avez citées.
    M. François Hollande. Et alors ?
    M. le Premier ministre. J'avais signé un accord.
    Mme Martine David. Et M. Pinault ?
    M. le Premier ministre. M. Pinault était en dehors de l'accord que j'avais accepté de signer, mais tous les dirigeants du Crédit lyonnais y étaient. Le parquet américain a sorti certains dirigeants qui ont refusé de reconnaître leur culpabilité et il aurait fallu que moi, je reconnaisse une culpabilité, alors que j'ai les mains blanches ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. François Hollande. Pourquoi avez-vous signé alors ?
    M. le Premier ministre. Je prends mes responsabilités, mais je n'ai pas peur de la vérité et je n'ai pas peur de la justice.
    Mme Martine David. On verra !
    M. le Premier ministre. S'il doit y avoir procès, il y aura procès. Je reste favorable à un accord, mais je veux que toutes les parties prenantes y participent, parce que, si l'on doit revenir au civil sur le dossier pénal après, on trouvera à un moment des chefs d'inculpation et l'on dira que j'ai signé, au nom de l'Etat français, pour 500 millions de dollars sans avoir le contenu du dossier.
    M. Arnaud Montebourg. Pinault vous tient !
    M. le Premier ministre. Ce ne serait pas responsable. Je ne pratique pas cette méthode qui consiste à acheter une décision de justice. Je n'ai pas peur de la justice, même aux Etats-Unis. Je souhaite vraiment que le dossier soit clarifié. C'est une décision que j'assume, moi et personne d'autre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Mme Martine David. Vous ne serez plus là quand il faudra payer !
    M. Charles Cova. Les aboyeurs à la niche !

LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ

    M. le président. La parole est à M. Franck Gilard, pour le groupe UMP.
    M. Franck Gilard. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Elle sera simple et courte.
    M. le président. Enfin ! (Sourires.)
    M. Franck Gilard. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement !
    Les succès des policiers et des gendarmes ne se démentent pas depuis plusieurs mois : arrestations de délinquants et de criminels, démantèlements de réseaux de banditisme, coups de filet dans les milieux intégristes et terroristes, dont l'arrestation - pour ne citer que la plus récente - jeudi dernier, à Mont-de-Marsan, du chef de l'ETA. Les chiffres, rendus publics...
    Mme Elisabeth Guigou. Oui, les chiffres !
    M. Franck Gilard. ... très régulièrement, démontrent l'efficacité du travail fourni par l'ensemble des forces de l'ordre, chaque jour sur le terrain, dans nos villes, nos campagnes, nos quartiers difficiles, nos transports en commun et sur nos routes.
    M. Patrick Lemasle. C'est de la manipulation statistique !
    M. Franck Gilard. Monsieur le ministre, à l'approche de la fin de cette année 2003, pouvez-vous nous dresser un bilan global de l'action du Gouvernement dans la lutte contre toutes les formes d'insécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, pardon pour mon retard, mais j'arrive d'Arles ! Vous avez bien fait de poser cette question (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) - attendez la suite ! -, car il ne faut jamais se priver du plaisir de remercier les fonctionnaires qui ont si bien travaillé et les militaires qui se sont mobilisés de façon aussi considérable. Jamais durant un mois de novembre la délinquance n'avait autant baissé qu'au mois de novembre dernier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) C'est près de 22 000 crimes et délits en moins. Lorsque, en septembre dernier, la délinquance a augmenté de 1 %, le parti socialiste s'est pour une fois mobilisé sur ce dossier (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste) en disant que la délinquance repartait à la hausse. Il devrait donc se féliciter qu'elle reparte à la baisse avec 6 % de moins ! Les deux chiffres sont issus du même appareil statistique, ils ne sont donc pas contestables. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) La vérité, monsieur Gilard, elle est simple : sur la dernière année où les socialistes étaient au pouvoir, c'est-à-dire 2001, on a enregistré 300 000 crimes et délits de plus. Sur les onze premiers mois de 2003, on a compté 145 000 crimes et délits en moins. Il faut remercier les policiers et les gendarmes !
    Mais le mieux, c'est que nous ne nous contentons pas de mener une politique ferme. Notre politique peut être ferme, car elle est juste. Le laxisme, c'était la marque de l'injustice, et nous sommes en train de démontrer que la fermeté permet, autorise et favorise la justice. Il était temps que la démonstration en soit faite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INONDATIONS

    M. le président. La parole est à M. Roland Chassain, pour le groupe UMP.
    M. Roland Chassain. Monsieur le Premier ministre, le sud de la France, en particulier le pays d'Arles, a été très gravement touché par des intempéries d'une violence sans précédent, le débit du Rhône ayant passé la barre des 13 600 mètres cubes par seconde, niveau jamais atteint de mémoire d'homme.
    Il s'agit d'un véritable drame humain et économique. Ma première pensée ira aux sinistrés de ma famille. D'autres régions sont sinistrées. Je voudrais citer en particulier le département de la Loire et mon collègue Dino Cinieri. A Arles, où j'étais ce matin avec le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste),...
    M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
    M. Roland Chassain. ... ce sont plus de 7 000 personnes qui ont dû être évacuées et, comme l'a constaté sur place le secrétaire d'Etat aux PME, Renaud Dutreil, plus de 70 % du tissu économique et industriel local sont détruits. Ce sont 16 millions de mètres cubes d'eau qui ont envahi les quartiers du nord de la ville. Je tiens à rendre hommage au préfet de région, au sous-préfet, aux pompiers français et étrangers, à l'armée, à la police, à la gendarmerie et aux services sociaux, ainsi qu'à tous les bénévoles, pour leur mobilisation et leur sens du devoir. En période de crise, l'irrationnel prend rapidement le pas sur la raison, surtout lorsque certains utilisent la détresse des victimes dans un but purement électoraliste. Tous les médias ont repris les propos du président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui accuse l'Etat de ne pas avoir déclenché le plan ORSEC à Arles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais les moyens qui ont été mis en oeuvre à Arles vont très au-delà de ce qu'aurait permis ce plan !
    Monsieur le Premier ministre, je souhaite donc que vous puissiez mettre un terme définitif à cette polémique politicienne qui déshonore ceux qui l'alimentent.
    M. Jean Glavany. Si c'est sans intérêt, pourquoi en parler ?
    M. Roland Chassain. A l'inverse, nos concitoyens se posent un certain nombre de questions et sont en droit de recevoir des réponses du Gouvernement. Quels moyens l'Etat mettra-t-il en oeuvre sur le long terme pour aider les particuliers et les entreprises à retrouver une activité et une vie normales ? Comment le Gouvernement entend-il accélérer les procédures, lorsqu'on sait que les délais de déclaration de catastrophe naturelle retardent l'indemnisation des sinistrés ?
    Monsieur le Premier ministre, après les inondations de 1993 et 1994 qui avaient touché la Camargue, il a été créé, sous l'impulsion d'Edouard Balladur et de Michel Barnier, un syndicat intercommunal de gestion et d'entretien des digues du Rhône à la mer. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Monsieur Chassain, quelle est votre question ?
    M. Roland Chassain. J'y arrive, monsieur le président.
    M. le président. Posez-la, car votre temps de parole est écoulé.
    M. Roland Chassain. Mme la ministre Roselyne Bachelot l'a clairement dit à Arles, il faut aller beaucoup plus loin en travaillant sur l'ensemble du cours du fleuve et sur les deux rives.
    M. François Lamy. La question !
    M. Roland Chassain. Les dégâts causés par la répétition de ces inondations coûtent plus cher au pays que les investissements indispensables à la protection des biens et des personnes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    S'il vous plaît, un peu de décence !
    M. le président. Monsieur Chassain, posez votre question !
    M. Roland Chassain. Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement est-il prêt à envisager la création d'un établissement public interrégional regroupant l'Etat et toutes les collectivités, région, départements, communes et structures intercommunales pouvant être concernées, pour mettre en oeuvre la gestion et l'entretien de l'ensemble des digues du Rhône ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, je vous remercie pour votre action personnelle sur le terrain en cette période particulièrement difficile (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) et je vous remercie aussi de tenir, en Arles et à l'Assemblée nationale, les mêmes propos. Face à cette situation, c'est non pas un plan ORSEC, mais un plan supra-ORSEC avec une mobilisation globale interministérielle que le Gouvernement a déclenché. Et le ministre de l'intérieur, ce matin, après le comité interministériel d'hier soir, est allé présenter aux élus ce programme sur lequel même le président de la région PACA s'est exprimé positivement.
    Oui, monsieur le député, nous allons prévoir, comme vous le demandez, un schéma régional de protection pour entretenir et restaurer les digues. Plus globalement, je vais rapidement vous donner les dix mesures spécifiques à Arles que le Gouvernement s'engage à prendre.
    Premièrement, oui, nous allons accorder le financement de deux canaux de dérivation supplémentaires, ce qui accélérera l'évacuation des eaux piégées. Le débit passera d'un million de mètres cubes/jour à deux millions.
    Deuxièmement, oui nous allons sécuriser la zone inondée, non seulement avec les 436 fonctionnaires, militaires, gendarmes et policiers déjà sur place mais en dépêchant une compagnie de CRS supplémentaire.
    Troisièmement, oui, nous allons porter à 1 million d'euros la dotation destinée aux personnes à reloger.
    Quatrièmement, oui, nous allons mettre en oeuvre un plan de nettoyage associant les militaires et les bénévoles dès que les eaux se seront retirées.
    Cinquièmement, oui, nous allons développer un plan d'hébergement d'urgence avec la mairie d'Arles. Un terrain de cinq hectares a été dégagé et un programme de 150 mobile homes est d'ores et déjà prévu.
    Sixièmement, oui, nous préparons l'aide au redémarrage économique des entreprises inondées. Et je sais qu'il faut dès à présent engager cette démarche pour l'aide au transport d'une grande entreprise alimentaire qui a besoin du soutien de l'Etat pour assurer sa survie.
    Septièmement, les travaux visant à accélérer l'ouverture de l'autoroute A 54 sont également lancés.
    Huitièmement, s'agissant de la réparation pour les digues qui appartiennent à la SNCF, je donne l'accord du Gouvernement pour le lancement de ces travaux.
    Neuvièvement, et comme je vous l'ai indiqué au début de mon propos, l'ensemble du schéma régional sera élaboré, comme cela a été annoncé hier soir par Mme Roselyne Bachelot.
    Dixièmement, enfin, et ainsi que cela a été dit ce matin par le ministre de l'intérieur, nous recevrons à Matignon le vendredi 19 décembre, à huit heures trente, les élus et les personnes concernés par un programme interministériel de solidarité pour aider toutes les activités économiques, sociales, culturelles et environnementales à repartir avec confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

MAISONS FAMILIALES RURALES

    M. le président. La parole est à M. Daniel Prévost, pour le groupe UDF.
    M. Daniel Prévost. Monsieur le ministre de l'agricutlure, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, alors que les maisons familiales rurales enregistrent chaque année une hausse de leurs effectifs - de l'ordre de 1,5 % pour la rentrée 2003 -, elles voient dans le même temps leurs crédits stagner. En d'autres termes, et plus concrètement, pour la seule région Bretagne, qui compte trente établissements, la formation de plus de 150 jeunes n'est pas financée pour l'instant.
    Un député du groupe socialiste. C'est une honte !
    M. Daniel Prévost. Il serait dommage de voir des structures fermer leurs portes alors que ces maisons familiales maillent nos territoires ruraux et forment celles et ceux qui deviendront, demain, les forces vives du développement local et durable.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. Daniel Prévost. Monsieur le ministre, vous avez vous-même reconnu la qualité de la formule pédagogique de ces établissements, où le taux d'insertion des jeunes diplômés atteint 96 %. Dès lors, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les mesures que vous comptez prendre pour que les crédits alloués soient en rapport avec les effectifs réels, et ce conformément à la loi de 1984 ? Ce faisant, vous donnez un signe fort aux parents, aux élèves, ainsi qu'à toute la communauté éducative et associative, dont les attentes sont grandes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député Daniel Prévost, oui, je me plais à le rappeler ici, les maisons familiales rurales font un travail tout à fait remarquable et ce constat est partagé par les élus, les enseignants et la communauté éducative dans son ensemble.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Ces maisons sont en effet liées par un contrat avec l'Etat dont les termes ont été définis dans la loi Rocard de 1984. Mais celle-ci n'était plus appliquée depuis de nombreuses années : nous l'appliquons désormais, en réévaluant les dotations sur la base d'un effectif contractuel. Il se trouve cependant que cette forme d'enseignement a beaucoup de succès et que l'effectif réel est supérieur à l'effectif contractuel, d'où les difficultés que vous avez rencontrées en région Bretagne.
    Nous avons donc donné toutes les instructions nécessaires pour que la compensation se fasse entre les régions, entre les maisons excédentaires et les maisons déficitaires. La plupart des problèmes ont été résolus de cette manière. Il subsiste néanmoins un certain nombre de difficultés dans quelques établissements. Celles-ci seront réglées au-delà des enveloppes intra-régionales. Des instructions en ce sens ont été données. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INSERTION DES JEUNES

    M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier, pour le groupe socialiste.
    Mme Nathalie Gautier. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Le président du MEDEF, M. Ernest-Antoine Seillière (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), accompagné du ministre délégué à l'enseignement scolaire, est venu la semaine dernière dans ma circonscription...
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Quelle chance !
    Mme Nathalie Gautier. ... pour tenir un forum intitulé « L'entreprise voit jeune ». Mais faisons la part du discours et des faits car la réalité que les jeunes vivent sur le terrain est tout autre. Du reste, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Plus de 493 000 jeunes sont aujourd'hui au chômage. Dans la région Rhône-Alpes, le nombre de demandeurs d'emploi de moins de vingt-cinq ans s'est envolé. Dans le seul département du Rhône, il augmente de près de 19 % en une seule année et touche près de 13 000 jeunes. Monsieur le ministre, qu'avez-vous fait face à cette montée du chômage ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et vous ?
    Mme Nathalie Gautier. Vous supprimez les emplois-jeunes pourtant reconnus par les services de votre ministère comme un dispositif de qualité.
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est faux !
    Mme Nathalie Gautier. Vous fragilisez les missions locales qui sont dans l'incertitude compte tenu des moyens dont elles disposeront à l'avenir.
    Vous programmez la disparition du dispositif TRACE alors que 100 000 jeunes en ont bénéficié en 2002. Or il s'agit de jeunes très loin de l'emploi, souvent sans aucune qualification, et qui nécessitent un suivi personnalisé.
    Par ailleurs, comment pouvez-vous dire que le CIVIS remplacera le programme TRACE ? Ce n'est pas sérieux ! On annonce 56 CIVIS dans le Rhône alors qu'à Villeurbanne, dans ma circonscription, 250 jeunes sont suivis par le programme TRACE.
    Enfin, vous n'apportez pas les bonnes réponses en matière de qualification des jeunes. Ainsi, le contrat jeune en entreprise ne comporte aucune obligation de formation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Grosdidier. C'est un vrai boulot, contrairement aux emplois-jeunes !
    Mme Nathalie Gautier. Quant au contrat de professionnalisation, comment ceux qui en bénéficieront pourront-ils préparer un BTS ou un baccalauréat professionnel en alternance dans ces conditions ? Pour la rentrée 2004, 70 000 bacheliers ne pourront plus accéder à une formation diplômante tout en travaillant.
    Monsieur le ministre, pourquoi poursuivre une politique qui aggrave le chômage des jeunes ? Que faites-vous pour les jeunes en panne d'intégration, en marge du travail, privés de seconde chance ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Madame la députée, non, les emplois-jeunes ne constituaient pas une bonne réponse au problème du chômage des jeunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Mais si !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Dire qu'offrir des emplois précaires à des jeunes sans débouché professionnel est une bonne façon de préparer l'avenir constitue une faute grave que vous avez commise et qu'aujourd'hui nous sommes en train de réparer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pierre Cohen. C'étaient des contrats de cinq ans !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, madame la députée, les missions locales ne seront pas fragilisées, et elles le savent. Ce n'est pas parce que les régions, en raison de leurs responsabilités nouvelles, vont prendre la place de l'Etat pour piloter la politique de formation professionnelle que les missions locales seront en quoi que ce soit fragilisées.
    M. Jean-Pierre Kucheida. Mon oeil !
    Mme Martine David. Oui, elles seront fragilisées !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, madame la députée, le programme TRACE n'est pas abandonné et, s'il y avait 250 bénéficiaires de ce dispositif dans votre région, alors il y aura 250 CIVIS, et non pas 56 comme vous l'affirmez.
    M. François Hollande. C'est évident qu'il y en aura moins !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Vous confondez là deux volets du programme CIVIS, celui qui consiste à permettre à des jeunes d'occuper des emplois dans des associations - nous en avons prévu 11 000 pour l'année prochaine - et celui qui correspond au remplacement du programme TRACE et doit permettre de remplacer, à l'euro près, les crédits qui étaient dépensés pour ce dispositif.
    Mme Martine David. On ne comprend rien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Enfin, madame, le contrat jeune en entreprise est aujourd'hui un véritable succès, avec 127 000 contrats signés et 27 000 pour le seul mois d'octobre, soit le chiffre le plus élevé depuis sa création. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Il permet à des jeunes de bénéficier d'un véritable contrat à durée indéterminée (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste), et donc d'aborder leur vie professionnelle dans des conditions bien meilleures que celles que vous leur offriez avec les emplois-jeunes.
    Enfin, madame, il est tout à fait faux de dire que demain, à cause du contrat de professionnalisation voulu par tous les partenaires sociaux, les jeunes ne pourront plus préparer un BTS ou un bac professionnel.
    Mme Martine David. Tout va bien, alors !
    M. le minsitre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Manifestement, vous n'avez pas lu le texte, qui fixe un objectif minimal de six mois pour un contrat de professionnalisation - lequel sera offert, au demeurant, à un beaucoup plus grand nombre de salariés qu'aujourd'hui. Et il maintient, naturellement, les durées nécessaires pour les formations diplômantes, et donc pour le bac professionnel que vous évoquiez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

SCRUTINS AUX ANTILLES

    M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour le groupe UMP.
    M. Didier Quentin. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'outre-mer. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Depuis plus de vingt ans, le débat statutaire et institutionnel était posé aux Antilles, en raison de la coexistence de deux collectivités, le département et la région, sur le même territoire, avec tous les inconvénients qu'une telle organisation pouvait faire naître.
    Le gouvernement précédent n'avait pas su le régler.
    Mme Martine David. Où est Lucette ?
    M. Didier Quentin. Il l'avait même relancé de façon maladroite et aventureuse, sans prendre la précaution de procéder aux réformes constitutionnelles nécessaires pour l'encadrer.
    M. Jean-Pierre Kucheida. Comment pouvez-vous tenir de tels propos, après le résultat de dimanche ?
    M. Didier Quentin. Au contraire, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, conformément aux engagements du chef de l'Etat, a souhaité ouvrir des possibilités d'évolution...
    Mme Martine David. C'est une belle réussite !
    M. Didier Quentin. ... dans un cadre constitutionnel assoupli, rénové et sécurisé,...
    M. Jean Glavany. Et refusé ! (Rires sur la bancs du groupe socialiste.)
    M. Didier Quentin. ... et surtout en soumettant les changements les plus importants au consentement des citoyens.
    Vous avez ainsi permis de faire trancher par les électeurs, sans risque d'aventure ni de dérapage (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe socialiste) ni de rupture du lien avec la République, un débat qui était posé depuis trop longtemps.
    M. André Gerin. N'importe quoi !
    M. Didier Quentin. Alors, madame la ministre, quelles interprétations tirez-vous de ces quatre scrutins du dimanche 7 décembre...
    Mme Martine David. Demandez à Lucette !
    M. Didier Quentin. ... dont les résultats contrastés (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) font apparaître deux oui massifs à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, un non massif en Guadeloupe et un non de justesse en Martinique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Rires sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Excellent !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'outre-mer. (« Démission ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le député, je suis fière d'appartenir à un gouvernement qui a enfin donné la parole aux Antillais (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) pour leur permettre de décider en toute sérénité de l'organisation de leurs collectivités. Et c'est l'honneur de ce gouvernement d'avoir tranché une question (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui ne tombe pas du ciel, qui n'a pas été abordée en catimini, mais qui fait débat depuis plus de vingt ans.
    La forte mobilisation des électeurs montre d'ailleurs à quel point cette question les intéressait : leur participation a été bien plus forte qu'aux scrutins nationaux et régionaux, et j'y vois une victoire de la démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Christophe Caresche. Vous pouvez toujours voir les choses comme ça !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Je voudrais rappeler à ceux qui l'auraient oublié que c'est la révision constitutionnelle de mars 2003 qui exige le consentement populaire à toute réforme institutionnelle ou statutaire outre-mer, dans le cadre sécurisé de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jacques Desallangre. C'est pour l'Europe !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Vous avez évoqué les résultats contrastés de ces quatre scrutins. Oui, deux collectivités sur quatre ont répondu oui.
    M. François Hollande. Lesquelles ?
    Mme la ministre de l'outre-mer. Et c'est faire injure aux électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy que de passer sous silence, comme le font la plupart des commentateurs, leur approbation massive - plus de 95 % à Saint-Barthélemy, plus de 76 % à Saint-Martin - du projet qui leur était soumis par leurs élus et qui était non pas une simple évolution institutionnelle mais une modification statutaire profonde. Le Gouvernement va tirer toutes les conséquences de ces résultats et va vous proposer des projets de loi mettant en oeuvre cette évolution diffférenciée et ces statuts sur mesure pour tenir compte des particularités de ces deux îles.
    S'agissant de la Guadeloupe et de la Martinique (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), le statu quo sera préservé, comme les électeurs l'ont choisi.
    Je voudrais enfin dire que c'est l'honneur de ce gouvernement d'avoir respecté le travail important et la large majorité des élus locaux qui ont demandé au Gouvernement de consulter les électeurs sur leurs projets.
    M. Jean-Pierre Kucheida. Rigolade !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Je vois, là aussi, un signe intéressant de la démocratie locale. C'est en tout cas l'idée que je me fais de la démocratie locale, qui ne saurait souffrir de tentatives de récupération nationale à des fins politiciennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Un peu de tenue !

PLAN D'URGENCE HIVERNAL

    M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe UMP.
    M. Georges Fenech. Madame la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, la France est, depuis quelques jours, confrontée à une baisse significative des températures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est l'hiver !
    M. Georges Fenech. L'hiver semble devoir s'installer et, avec lui, ressurgissent tout naturellement les plus vives inquiétudes pour toutes celles et ceux qui, malheureusement, sont dans la rue.
    Avisée en fin de semaine dernière par Météo-France de l'arrivée d'une vague de froid pour le week-end, vous avez aussitôt adressé un message d'alerte aux préfets et aux directeurs des affaires sanitaires et sociales des départements concernés, pour les appeler à déclencher le niveau 2 du plan d'urgence hivernale. Des moyens nettement renforcés ont ainsi été tout de suite déployés dans soixante-deux départements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Chassaigne. Vous faites la question et la réponse, monsieur Fenech ?
    M. Georges Fenech. Cette mobilisation immédiate a été rendue possible grâce à la mise en place, de façon anticipée, et comme vous l'aviez déjà fait l'année dernière, d'un dispositif hivernal spécifique qui soit prêt à fonctionner dès les premières baisses de température. Ainsi, en 2002, vous aviez décidé, entre autres, une mobilisation sans précédent de 5 700 places d'hébergement d'urgence supplémentaires.
    Madame la secrétaire d'Etat, pouvez-vous faire le point sur la mise en oeuvre du plan 2003-2004 et, notamment, sur ses évolutions par rapport au dispositif de l'hiver dernier, et préciser les moyens d'ores et déjà déployés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion.
    Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Monsieur le député, vous avez rappelé à juste titre que le plan d'urgence hivernale avait été mis en oeuvre bien avant que la nécessité s'en fasse sentir. Il a été engagé en coordination avec l'ensemble des partenaires associatifs et institutionnels, ainsi qu'avec les collectivités territoriales. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Pour la première fois, il comprend trois niveaux d'intervention. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Le niveau 1,...
    M. Christian Bataille. ... le niveau 2 et le niveau 3 !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. ... qui est le niveau de vigilance et de mobilisation hivernale, a été mise en place à compter du 1er novembre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Les réactions des députés qui siègent à gauche dans l'hémicycle montrent l'intérêt qu'ils portent aux plus défavorisés de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Ce niveau 1, qui a donc été mis en place à compter du 1er novembre, permet d'offrir aux personnes sans domicile fixe 90 000 places d'hébergement d'urgence, dont 3 000 places ont été ouvertes et mobilisées dès le 1er novembre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Le niveau 2 de ce plan d'urgence hivernale est le niveau « grand froid ». Nous le déclenchons lorsque les températures avoisinent - 5°, ce qui a été le cas, depuis vendredi dernier, dans soixante et un départements en France. J'ai donc demandé à l'ensemble des préfets de le déclencher, ce qui a permis, de mobiliser 3 500 places supplémentaires et de renforcer les équipes mobiles du SAMU social, auxquelles se sont ajoutées celles de la Croix-Rouge, de la protection civile et de l'Ordre de Malte. Je tiens à remercier l'ensemble de ces bénévoles et de ces professionnels. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Nous avons également renforcé les équipes qui répondent au 115, et nous avons ouvert la nuit des lieux d'accueil de jour. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

    Le plan d'urgence hivernale prévoit également le passage en niveau 3 si les températures avoisinent - 10°. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Dans ce cas, on peut considérer que tous ceux qui dorment dans la rue sont en danger de mort.
    M. Henri Emmanuelli. Et ce n'est pas avec votre politique ni avec la suppression de l'ASS que cela va s'arranger !
    M. le président. Mes chers collègues, écoutez tranquillement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Les sans-abri, qui ont souvent l'occasion de regarder la télévision, ne pourront qu'être surpris par le comportement des députés siégeant à gauche de l'hémicycle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. Continuez, madame la secrétaire d'Etat.
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Ce plan a été accompagné par un renforcement des crédits de 145 millions d'euros. Cette somme a permis - il est important de le souligner - de résorber les déficits qu'enregistraient les associations de lutte contre l'exclusion après cinq ans de gestion socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), d'accroître le nombre des places d'hébergement et de prévoir des places pour l'hiver. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Mes chers collègues, écoutez la réponse !
    Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Sachez qu'une campagne de vigilance citoyenne sera mise en place dès le 15 décembre pour appeler l'ensemble de nos concitoyens à se mobiliser et à signaler les personnes sans abri dans la rue. Pour la première fois, nous disposons donc d'un plan à la hauteur des besoins qui a été mis en oeuvre avant l'apparition des problèmes. Notre vigilance sur ce sujet sera permanente. (Applaudisssements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

AVENIR DE LA POSTE

    M. le président. La parole est à M. Emile Zuccarelli, député non inscrit.
    M. Emile Zuccarelli. Madame la ministre déléguée à l'industrie, au moment où le Gouvernement s'apprête à signer avec La Poste un nouveau contrat de plan, nous assistons simultanément à une série de réorganisations de cette entreprise publique qui conduisent à des réductions drastiques d'emplois, à des fermetures de bureaux de poste, en particulier dans les zones rurales, ou à leur transformation autoritaire en guichets annexes ou en agences postales à la charge, pour l'essentiel - et c'est là que le bât blesse -, de budgets communaux déjà lourdement ponctionnés.
    Je ne suis pas ennemi, par principe, des évolutions et des mutualisations, dès lors qu'elles se font dans l'intérêt partagé des entreprises, des usagers et des personnels. Cependant, dans mon propre département, par exemple, ces projets conduiront à la suppression de dizaines d'emplois, notamment dans les services commerciaux et nous ne sommes pas pour autant épargnés par les fermetures de bureaux de poste. Ainsi, dans une commune où la population s'est opposée - et l'a manifesté - à la transformation de son bureau de poste en annexe à la charge de la commune, le directeur départemental, après avoir promis sur place le maintien du bureau pendant toute la durée du contrat de plan, a publié, le lendemain, un rectificatif dans la presse locale pour confirmer le maintien de son projet, La Poste, selon lui, devant faire des économies.
    Il est sans doute judicieux de réaliser des économies, mais c'est à l'Etat, à travers le contrat de plan, de donner les moyens à La Poste d'assumer son rôle en matière d'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Par conséquent, croyez-vous, madame la ministre - et vous comprendrez que je vous pose la question, parce que je n'en suis pas du tout convaincu - que le contrat de plan que vous vous proposez de signer avec La Poste lui assurera les moyens de préserver l'emploi et de pérenniser sa présence en milieu rural ? Si tel était le cas, quelles garanties, pourriez-vous donner à la représentation nationale sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Mme Martine Billard. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le député, vous avez été vous-même ministre des postes et télécommunications.
    M. Augustin Bonrepaux. C'était en un temps différent !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Je suis donc convaincue que, malgré nos appartenances politiques différentes, nous partageons le même souci de préserver le service universel du courrier pour tous les Français, où qu'ils habitent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. André Chassaigne. Ce sont des paroles !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. En tout état de cause, il faut sauver La Poste. Or, pour cela, il est indispensable l'adapter aux évolutions démographiques, de la moderniser et de la préparer à la concurrence de nos voisins. Tels sont donc, monsieur le député, les objectifs du contrat de plan que nous signerons dans quelques jours et pour lequel nous avons dû opérer des choix responsables.
    Puisque vous avez évoqué, à juste titre, la situation des bureaux de poste, je vous rappelle qu'ils constituent en zone rurale et dans les petites communes de 2 000 habitants, un réseau extrêmement dense avec 10 300 bureaux, soit trois fois plus que de pharmacies et autant que de boulangeries. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Patrick Lemasle. Ce n'est pas vrai !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. En zone urbaine, en revanche, notamment en banlieue, le réseau est beaucoup plus éloigné des usagers.
    A cet égard, je tiens à vous rassurer : notre objectif est de préserver la présence postale en zone rurale, mais en la diversifiant : ...
    M. Michel Hunault. Très bien !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... bureaux de proximité, ...
    M. François Hollande. Où ça ? A la mairie ?
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. ... agences postales communales et points poste commerçants. Nous agirons, bien évidemment, en étroite concertation avec les élus.
    Je puis vous assurer, mesdames, messieurs les députés, que désormais - cela est très nouveau - ce sont les populations qui demandent de telles formules. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Absolument ! Elles permettent en effet d'offrir une plus grande amplitude horaire et une meilleure qualité du service.
    Je puis aussi vous assurer, monsieur Zuccarelli, qu'il n'y aura pas de suppressions d'emplois. Notre ambition commune est de faire en sorte que La Poste demeure ce grand service public de proximité et de qualité que nous apprécions tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Terrasse. Ce n'est pas vrai !

ASSURANCE CHÔMAGE

    M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.
    M. Alain Vidalies. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, dans quelques jours, le 31 décembre 2003, 180 000 demandeurs d'emploi verront leurs droits au titre de l'assurance chômage amputés de plusieurs mois, ...
    M. Patrick Lemasle. C'est honteux !
    M. Alain Vidalies. ... jusqu'à vingt et un mois pour certains.
    M. Jean-Jack Queyranne. Scandaleux !
    M. Alain Vidalies. Avant la fin de l'année 2004, ils seront 800 000 à subir une réduction importante de la durée d'indemnisation.
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Eh oui !
    M. Alain Vidalies. Il s'agit pourtant de demandeurs d'emploi qui avaient signé un PARE avant le 1er janvier 2003 et qui ont respecté leur engagement de recherche d'emplois. Aucun de ces demandeurs d'emploi ne s'est soustrait aux obligations de contrôles des ASSEDIC et à l'exigence d'une véritable recherche d'emploi. Non ! Ils sont aujourd'hui victimes de l'avenant du 20 décembre 2002 à la convention UNEDIC agréée par le Gouvernement.
    Le 19 juin 2003, interrogé par Daniel Vaillant sur l'application de cet avenant aux demandeurs d'emploi en cours d'indemnisation, vous avez été formel et rassurant en indiquant : « Je vous précise que cette nouvelle réglementation ne concerne pas les demandeurs d'emploi indemnisés au 31 décembre dernier. » Or le 16 novembre 2003, au cours de l'émission France Europe Express, vous avez déclaré ne pas vous souvenir avoir tenu de tels propos (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), ajoutant même : « En ce moment, une campagne de désinformation est menée contre moi. »
    Monsieur le ministre, ce n'est évidemment pas le cas, et vos engagements figurent au Journal officiel du 19 juin 2003, page 5524.
    Sur la base de vos déclarations, des centaines de milliers de demandeurs d'emploi ont cru à la parole de l'Etat.
    Mme Martine Billard. Ils ont eu tort !
    M. Alain Vidalies. Ils se trouvent aujourd'hui dans des situations inacceptables, certains d'entre eux ayant même été contraints d'interrompre des projets personnels de formation. Ils sont désormais nombreux à être confrontés à la détresse matérielle.
    Monsieur le ministre, confirmez-vous vos engagements du 19 juin 2003 et quelles dispositions comptez-vous prendre, en urgence, pour arrêter la machine infernale qui va jeter dans la détresse des centaines de milliers de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, le Gouvernement a agréé un accord qui a été signé par trois organisations syndicales sur cinq et qui permet de sauver le régime de l'assurance chômage. Il soutiendra toujours les partenaires sociaux lorsqu'ils prennent leurs responsabilités, font preuve de courage et essaient de permettre à un système aussi important que l'assurance chômage de continuer à fonctionner malgré les difficultés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Pascal Terrasse. Répondez à la question !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Je vais y venir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    S'agissant des personnes qui sont engagées dans un programme de formation, j'ai déjà indiqué à plusieurs reprises devant l'Assemblée nationale que nous avions mis en place les moyens leur permettant de poursuivre leur cursus. (Mêmes mouvements.)
    Cet accord, traduit des efforts consentis par les partenaires sociaux, mais aussi des efforts accomplis par l'Etat !
    M. Christian Bataille. Soyez précis !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce dernier sera ainsi amené à augmenter une partie des aides qu'il accorde aux personnes qui ne seront plus indemnisées par l'UNEDIC. Tel sera le cas de ceux qui relèveront de l'allocation spécifique pour laquelle nous avons prévu une augmentation de crédits en 2004 afin d'absorber le volume supplémentaire de bénéficiaires, même si nous avons réduit la durée pendant laquelle cette allocation sera servie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Tel sera également le cas pour ceux qui poursuivent des programmes de formation pour lesquels il existe un dispositif que nous avons décidé d'abonder.
    En tout cas, monsieur le député, soyez certain que nous sommes du côté des partenaires sociaux lorsqu'ils prennent des décisions réalistes ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En revanche, vous n'avez manifestement rien à proposer pour sauver l'assurance chômage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Olivier Jardé. Très bien !

ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE

    M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.
    M. Bernard Perrut. Monsieur le secrétaire d'Etat aux personnes âgées, en ce début d'hiver, la solidarité et l'attention portée aux autres, plus spécialement à l'égard des personnes âgées, sont au coeur de nos priorités.
    Les événements de cet été nous on fait prendre conscience de la réalité du vieillissement dans notre pays et de la nécessité d'y faire face par une prise en charge adaptée. L'allocation personnalisée d'autonomie contribue à aider les personnes âgées dans une période de la vie souvent difficile. Beaucoup d'entre elles peuvent demeurer à leur domicile, d'autres sont accueillies dans des établissements où elles bénéficient des compétences et du dévouement des professionnels qui les accompagnent.
    Vous avez tout mis en oeuvre, monsieur le Premier ministre, et vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que les conditions de financement de l'APA soient assurées en 2003. Vous avez, en cela, fait preuve de responsabilité, contrairement à nos collègues socialistes, qui n'avaient pas prévu le financement de l'APA. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous êtes même allé beaucoup plus loin, puisque vous avez annoncé dans le plan Vieillissement et solidarité des mesures très concrètes pour l'accueil des personnes âgées.
    Mme Martine David. Et vous, vous avez réduit l'APA !
    M. Bernard Perrut. Votre engagement, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, est apprécié sur le terrain. Toutefois, certaines personnes s'inquiètent.
    M. Pascal Terrasse. Elles ont raison !
    M. Bernard Perrut. On entend dire, ici ou là, que le barème de l'APA pourraît être remis en cause.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est déjà fait !
    M. Bernard Perrut. On entend dire, ici ou là, que les conditions d'attribution pourraient être modifiées, le nombre d'allocataires réduit, ou encore que l'aide spécifique de l'Etat à certains départements serait diminuée.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est déjà fait !
    M. Bernard Perrut. Face à ces rumeurs, sans doute sans fondement, monsieur le secrétaire d'Etat, pourriez-vous informer aujourd'hui la représentation nationale de la politique que le Gouvernement va mettre en oeuvre en 2004 ? Je suis convaincu que vous saurez nous rassurer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
    M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur le député, grâce aux moyens exceptionnels du plan Vieillissement et solidarité, nous allons pérenniser l'APA pour les années à venir, et nous allons garantir son financement sans en changer les règles.
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. Augustin Bonrepaux. Avec quels moyens ?
    M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Nous allons enfin nous donner les moyens de mettre en oeuvre une véritable politique de prise en charge des personnes âgées tant à domicile qu'en établissement, avec une particularité, mesdames, messieurs les députés : cette politique, nous allons la financer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je remercie M. Falco de la brièveté remarquable de sa réponse.
    M. Michel Lefait. Forcément, il n'a rien dit !
    M. le président. Vous n'avez pas écouté !

MARINS PÊCHEURS

    M. le président. La parole est à Mme Hélène Tanguy, pour le groupe UMP.
    Mme Hélène Tanguy. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, demain, sur tout le littoral, nos bateaux de pêche resteront à quai, en grève. Cette mobilisation des marins à l'échelle européenne exprime leur refus total des nouvelles propositions du commissaire Fischler. A cet égard, je vous demande d'être aussi déterminé que l'an dernier.
    En effet, des chutes de 50 à 60 % des autorisations de capture condamnent la viabilité des bateaux et mettent à mal les marchés. Une telle perspective est inacceptable à un moment où votre victorieuse négociation de 2002 débouche sur un projet de renouvellement pour notre flottille. En effet, la construction de bâtiments neufs est positive en termes de développement économique, d'attractivité pour les jeunes, mais aussi facteur de sécurité pour nos marins. Trop vieux, en effet, beaucoup de nos bateaux ne sont plus assez sûrs. Cette semaine, notre quartier maritime du Guilvinec se recueillera une nouvelle fois autour d'une jeune veuve et de ses enfants, après le décès en mer du chef de famille.
    Pour utiliser au mieux les possibilités d'aide, le Finistère montre à nouveau son dynamisme. Nos comités locaux de pêche se sont regroupés autour d'une association, Pesca Cornouaille, afin de mutualiser les demandes de permis de mise en exploitation, fidèles à l'esprit qui vous anime : sécurité, respect de la ressource, installation des jeunes. Par cette mise en commun de seize dossiers, ils ont obtenu des prix compétitifs pour des navires génériques. Pour la première fois, tous les patrons concernés se sont engagés, par la signature d'une charte de bonnes pratiques, à effectuer une pêche raisonnable afin que chacun puisse vivre sans surenchère, à s'équiper d'engins embarqués sélectifs, et à nouer un partenariat loyal avec les scientifiques.
    Vous avez rencontré ce matin les représentants nationaux de ces marins-pêcheurs, monsieur le ministre. Pouvez-vous nous indiquer quelle réponse leur a été apportée ?
    Un métier où les jeunes ne s'installent pas est un métier qui meurt. Quelle place allez-vous leur réserver dans ces programmes ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
    M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Madame la députée, nos pensées vont évidemment vers la veuve d'Alain Le Reun et ses deux enfants, après le drame qui s'est produit en mer il y a dix jours et qui nous rappelle le tribut que ce dur métier paie aux éléments.
    Ce drame met l'accent sur la nécessité de moderniser notre flotte. Alors que la Commission européenne ne le souhaitait pas, nous avons obtenu, il y a exactement un an, le droit de continuer à le faire. J'ai annoncé ce matin, devant le Comité national des pêches maritimes, une première tranche d'affectation pour moderniser notre flotte : 110 bateaux neufs vont pouvoir être construits et 58 seront modernisés. A cet égard, je salue l'initiative de la Cornouaille, car la fabrication de bâtiments génériques permettra à la fois de réaliser des économies d'échelle et d'avoir une meilleure sélectivité pour une pêche durable.
    Une deuxième tranche d'autorisations sera ouverte au mois de mars prochain, notamment pour tenir compte de l'indispensable installation de jeunes dans les métiers de la mer.
    Ainsi que vous l'avez rappelé, madame la députée, une échéance très importante et très difficile nous attend, à partir du 17 décembre à Bruxelles, avec le conseil des ministres de fin d'année, au cours duquel seront décidés l'attribution des totaux autorisés de capture, les quotas pour 2004, ainsi que le plan de restauration cabillaud-merlu.
    Les propositions de la Commission européenne ne nous conviennent pas. Elles sont inacceptables. C'est ce que j'ai dit hier aux ministres que j'ai rencontrés en Finlande, aux Pays-Bas et au Danemark ; c'est ce que j'ai redit ce matin aux professionnels de la pêche.
    Soyez sûre, madame la députée, que nous nous battrons la semaine prochaine, à Bruxelles, avec la même ardeur que l'année dernière afin de dégager une minorité de blocage et d'empêcher les projets funestes de la Commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

2

PARITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES SUR LES LISTES DE CANDIDATS À L'ÉLECTION DES MEMBRES DE L'ASSEMBLÉE DE CORSE

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse (n°s 1215, 1232).
    La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est sans doute le texte le plus court qu'il m'ait été donné de présenter puisqu'il compte, en tout et pour tout, un article. Ce projet de loi a été adopté - le fait est suffisamment rare pour être souligné - à l'unanimité par le Sénat voilà un mois. Un tel consensus s'explique par son objet même : cet article unique tend en effet à introduire la parité intégrale, c'est-à-dire l'alternance stricte hommes-femmes au sein de l'Assemblée territoriale de Corse.
    Tout le monde ici le sait parfaitement, et le rapporteur Guy Geoffroy l'a rappelé dans son rapport, qui est excellent et très pédagogique : la parité intégrale n'a pas été introduite dans la loi du 11 avril 2003 relative aux élections régionales et européennes parce que, au mois d'avril, se posait la question de l'évolution institutionnelle de la Corse. Si les électeurs de Corse s'étaient prononcés en faveur d'une collectivité unique, un nouveau statut aurait été rédigé, qui aurait inclu l'introduction de la parité intégrale dans le mode de l'élection. Il se trouve que, le 6 juillet dernier, les électeurs de Corse n'ont pas voulu s'engager dans cette évolution. Le Gouvernement n'a donc pas élaboré de réforme institutionnelle, comme il s'y était engagé. A la suite de la décision du Conseil d'Etat du 25 septembre confirmant le résultat de la consultation, le Gouvernement a déclaré le débat institutionnel clos en Corse.
    Dès lors, et conformément aux engagements pris devant le Parlement, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le Gouvernement introduit la parité intégrale dans l'assemblée territoriale corse.
    Certains pourront évoquer, à juste titre, la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril dernier recommandant cette même introduction. Tout en saluant la sagesse du Conseil constitutionnel, je veux insister sur le fait que l'engagement politique du Gouvernement était clair depuis le mois de mai. J'avais dit, en effet, que la parité serait introduite en Corse, quel que soit le résultat de la consultation du 6 juillet. Je l'ai dit, ici même, expressément, en réponse à un amendement de M. Bruno Le Roux. J'avais même accepté un amendement du groupe socialiste au Sénat introduisant le principe de la parité intégrale dans la question posée aux électeurs corses.
    M. Zuccarelli, dans sa sagesse, n'a pas manqué de déposer une proposition de loi, le 16 juillet dernier, qui a comme caractéristique d'être strictement identique au projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. Je crois donc que nous devrions tous pouvoir nous retrouver sur le texte que le Gouvernement propose.
    Sur le fond, soyons attentifs au décalage actuel entre le rôle des femmes dans la société corse et leur représentation dans le monde politique : il n'y a qu'une femme sur les cinquante-deux conseillers généraux que compte la Corse. Le phénomène est identique dans la société civile. Les femmes en Corse représentent 42 % de la population active, mais - M. Geoffroy nous le fait remarquer dans son rapport - il y a 14 % de femmes maires. Curieusement un peu plus sur l'île que sur le continent, où l'on n'en compte que 11 %. C'est bien dire que, lorsqu'il s'agit de s'affronter aux réalités quotidiennes, au coeur de la montagne, loin des grandes villes, en Corse, on fait confiance aux femmes. Cela n'est finalement pas étonnant si l'on pense au rôle central qu'elles jouent dans la société corse. Transmettant les traditions, clé de voûte de la famille, elles doivent gérer le quotidien avec toutes ses évolutions.
    Confrontée à bien des drames, à toutes les époques, la femme corse a toujours incarné la force et la continuité.
    M. Gérard Leonard. Comme en Lorraine !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les femmes de Corse, exactement comme en Lorraine, qui aiment passionnément leur île - à la différence des Lorraines (Sourires) - et qui défendent jalousement leur identité, le font le plus souvent avec réalisme et sans violence.
    Les femmes de Corse ne sont pas prêtes à renoncer en quoi que ce soit à leur culture, mais elles veulent que leurs enfants aient un avenir, y compris en Corse, dans une Corse développée et prospère.
    Les femmes de Corse doivent parler au nom de la Corse, et je suis certain qu'elles sont prêtes à le faire.
    Si vous votez ce texte, les femmes de Corse seront à parité dans l'assemblée territoriale et la Corse aura un atout de plus pour tourner le dos à la violence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement, le 6 juillet, a donné la parole aux Corses. Les Corse l'ont utilisée puisque 60 % d'entre eux ont voté. Alors qu'on leur fait si souvent un procès injuste, ils ont donné ainsi un bel exemple de démocratie !
    Une majorité, faible mais une majorité, a dit non au projet que je présentais. La démocratie, c'est savoir accepter l'expression de la démocratie.
    M. Etienne Blanc. Exactement !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On n'a pas raison contre le suffrage universel.
    J'ai tiré toutes les conséquences de ce vote, en tournant la page de la réforme institutionnelle et en considérant tous les aspects d'une situation parfaitement inacceptable en Corse.
    Car dans l'île, la parole n'est pas toujours libre. Je ne dis pas, monsieur de Rocca Serra, monsieur Giacobbi, monsieur Renucci, monsieur Zuccarelli, qu'il n'existe pas des hommes courageux en Corse. Vous êtes de ceux-là. Mais il faut le savoir : dans notre République, il y a encore une parcelle de territoire où tout le monde ne peut pas dire ce qu'il pense : c'est la Corse. La peur y règne. Et il faut lever cette chape de plomb.
    C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé avec une détermination qui n'est, je crois, contestée par personne et qui a même été approuvée sur tous les bancs de cette assemblée, d'engager une action sans faiblesse à l'endroit de ce que j'ai nommé « mafia ». Ce mot a un sens, il désigne un système qui, par la terreur, exploite l'activité économique sur l'île, et obtient par la peur des versements d'argent.
    Notre action a été engagée de manière très forte. Elle est en train de produire des résultats. Des poseurs de bombes ont été arrêtés en grand nombre. Le fugitif Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, est aujourd'hui devant la justice. Des instructions judiciaires se déroulent en ce moment même.
    Je voudrais que chacun comprenne que le Gouvernement ira jusqu'au bout, quels que soient ceux qui seront touchés, pour débarrasser la Corse de la peur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Paul Giacobbi. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. A ceux qui se demandent si cette action vise un courant politique précis, nous répondons par la négative. Car aucun courant politique, quel qu'il soit, ne peut légitimer des pratiques maffieuses. Nous ne poursuivons personne pour un délit d'opinion. Chacun a le droit d'avoir la sienne. Nous poursuivons des délinquants, des criminels et ceux qui pensent que le courage, c'est d'enfiler une cagoule pour aller, la nuit, terroriser les autres.
    Mais il est bien évident que cette action ne portera ses fruits durablement que si l'ensemble de la communauté nationale a la sagesse de comprendre que les Corses sont non pas les coupables, mais les victimes de cet état de fait, et que l'amalgame ne soit pas pratiqué entre une infime minorité et l'ensemble de la société corse, qui mérite mieux et qui aspire à un avenir dans la République française.
    M. Richard Mallié. Exactement !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Chaque fois que, de l'extérieur de l'île, on donne le sentiment de rejeter l'ensemble des Corses, on donne une chance à ceux qui ne respectent pas la République.
    Au reste, tout ministre de l'intérieur que je suis, je n'ai pas changé d'avis. La réponse à la question corse ne peut pas être uniquement policière. Cet aspect ne peut être qu'un préalable. Ce travail aurait d'ailleurs dû être fait depuis bien longtemps. Je n'ai jamais mené de négociation secrète qui autorise, de manière sulfureuse, telle ou telle conférence de presse, ou encore rencontré secrètement qui que ce soit.
    Il faudra bien qu'un jour tous ceux qui aiment la Corse se mettent ensemble pour travailler ensemble, à visage découvert. La Corse compte un peu plus de 250 000 habitants et l'île a besoin de tous ses enfants.
    A ceux qui s'étonneraient que je me prépare à effectuer mon onzième voyage en Corse, je voudrais expliquer que la méfiance et la déception à l'endroit de la République sont si fortes depuis trente ans qu'un seul voyage ne peut suffire à y rétablir un climat de confiance, une visite unique où l'on proclame un discours mâle sur la République éternelle sur une grand-place d'Ajaccio ou de Bastia, en repartant le lendemain sans plus revenir de tout le temps où l'on assure les responsabilités ministérielles ! La Corse a besoin de confiance et, pour croire, elle a besoin que l'on se batte pour elle avec acharnement.
    Le débat sur la parité me donne l'occasion de vous dire tout cela, car, en Corse, on écoute avec attention tout ce qui se dit sur le continent. Et les Corses y sont très sensibles parce qu'ils aiment la France et la République et parce que l'image qu'on y véhicule parfois de leur île leur fait de la peine, les humilie et pousse certains qui ne partagent en rien la thèse des « cagoulards » vers eux, par dépit et non par enthousiasme. Il faut trouver le moyen de donner un avenir aux jeunes Corses, d'ouvrir l'île, de créer les conditions de son développement. Quand on sait que la deuxième industrie de l'île compte cinquante-six emplois, on mesure la situation dans laquelle se trouve la Corse et les problèmes auxquels sont confrontés les élus de Corse.
    La Corse a besoin non pas d'un procès de plus, mais d'une mobilisation, pour vivre comme les autres régions de France. Il faut aimer la Corse et la défendre. Et aimer la Corse, c'est savoir distinguer celui qui est malhonnête de celui qui est honnête. Aimer la Corse, c'est refuser l'amalgame, c'est se donner du mal pour elle, et pas seulement pendant quelques semaines.
    C'est toute l'ambition du Gouvernement. Devant les échecs, les épreuves, j'ai choisi de ne pas baisser les bras...
    M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...  parce que la Corse le mérite et parce que, si la République réussit à résoudre la question corse, c'est la République dans son ensemble qui s'en trouvera plus forte.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La question corse n'est pas que l'affaire des Corses ; elle est l'affaire de la France et des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre ami Gérard Léonard avait raison de rappeler la Lorraine à notre bon souvenir, puisque c'est un fils de la Lorraine qui rapporte aujourd'hui la loi sur la parité pour les listes aux futures élections de l'Assemblée de Corse.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'était voulu !
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Monsieur le ministre, vous l'avez dit, nous sommes ici réunis pour examiner un projet de loi qui, en lui-même, ne fait problème au sein ni de cette assemblée ni du Parlement tout entier, et qui se caractérise par son extrême brièveté. Le président de la commission des lois doit en être ravi, lui qui ne cesse de nous répéter que la loi a d'autant plus de mérite qu'elle est moins bavarde !
    Il s'agit aujourd'hui de franchir une étape attendue, nécessaire et qui était prévue dans le cadre du processus auquel vous nous aviez invités. Il a donné lieu dans cette enceinte, au moins de mai dernier, à un débat d'une très grande richesse et d'une très grande qualité. A cette occasion, monsieur le ministre, vous aviez rappelé quels étaient les enjeux de la consultation à laquelle nous allions inviter les électeurs de Corse. Et bien que, comme la grande majorité des représentants de la nation sur ces bancs, vous souhaitiez ardemment une réponse positive à cette question, vous aviez affirmé que si le peuple français habitant en Corse en décidait autrement, vous en tireriez les conclusions.
    Vous aviez alors pris l'engagement de revenir parmi nous, en temps opportun - nous y sommes -, pour faire en sorte que la parité, qui était une exigence constitutionnelle et politique, soit appliquée en tout état de cause pour les prochaines élections à l'Assemblée de Corse.
    Nul besoin de cacher que, nombreux ici, nous aurions préféré que ce débat soit plus large, plus conséquent dans sa teneur et ses prolongements. En effet, si la réponse des Corses le 6 juillet avait été autre, nous aurions pu, je pense franchir une nouvelle étape dans l'évolution institutionnelle de l'île. Cette étape n'aura pas lieu. Comme vous vous y étiez engagé, le Gouvernement a immédiatement pris acte de la décision prise par les électeurs de Corse. Nous sommes donc ici, non pour réparer un oubli, mais pour aller au bout d'un chemin qui est celui de cette assemblée et de votre Gouvernement, qui consiste à assurer, pour les prochaines élections à l'Assemblée de Corse, la même parité dans les mêmes conditions que celle qui sera appliquée pour les élections dans les assemblées régionales.
    Sans entrer dans les détails, on peut constater que, depuis 1991, les élections en Corse et dans les autres collectivités régionales se sont transformées, donnant l'impression que l'une courait après l'autre, tant en ce qui concerne le principe de la représentation proportionnelle que celui de la parité. Avec le projet de loi que vous nous présentez, nous aurons rétabli les choses, en ce qui concerne la Corse, et fait en sorte que l'exigence constitutionnelle et politique soit enfin assurée.
    M. Emile Zuccarelli. Non, et c'est bien le problème !
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Exigence constitutionnelle, d'abord. L'exposé des motifs le rappelle et je m'en suis fait l'écho en commission des lois : le Conseil constitutionnel refusant, pour des raisons évidentes, de censurer la disposition relative à la parité des élections régionales, ne nous avait pas moins fait l'injonction - manière de faire inédite de sa part - de décider, quel que soit le cas de figure, le jour venu, que les Corses voteraient selon le même principe de parité que les autres électeurs sur l'ensemble du territoire national.
    L'exigence politique, ensuite. La Corse n'est, pas plus que les autres territoires de notre République, un modèle dans la représentativité politique des femmes. En Corse, il est exact qu'il n'y a qu'une femme conseillère générale, et que sur les cinquante et un membres de l'Assemblée de Corse, elles ne sont que sept, soit moins d'une sur sept, alors qu'en 1998, les Françaises et les Français élisaient une femme sur quatre conseillers au sein des assemblées régionales.
    Il était donc nécessaire, pour des raisons tant constitutionnelles que politiques, d'en arriver là, ce qui a conduit, tout naturellement, notre assemblée à se pencher sur cette question, et votre commission des lois, dans la plus belle unanimité, à décider, tout comme l'avait fait le Sénat, de proposer ici, en séance publique, l'approbation de ce texte.
    Je dois ajouter que notre travail en commission a gagné en intérêt quand un amendement proposé par notre collègue Zuccarelli est venu apporter une diversion fort intéressante. S'il nous éloignait un peu du sujet, il nous invitait à nous pencher, une fois de plus, sur le mode de scrutin et sur l'environnement juridique global des élections régionales et des élections de Corse.
    Cet amendement, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, mais je tenais à l'évoquer dans mon propos liminaire, a été repoussé par la majorité de la commission, non qu'il traite d'un sujet inintéressant ou que l'argumentaire de notre collègue ne comporte pas un certain nombre d'éléments auxquels nous pourrions tous adhérer, mais, comme je l'ai dit ici en commission - et je me hasarde à le redire en séance publique, en espérant être mieux entendu, et peut-être mieux écouté, par notre collègue - parce qu'il serait injuste, compte tenu de la démarche que nous avons eue tous ensemble, quelles que soient nos différences, d'adopter cet amendement en l'état et à ce moment de nos réflexions.
    Il nous faut, en effet, préserver au texte une logique et une cohérence totales dès lors que nous avons décidé de prendre en compte la décision prise par les électeurs de Corse le 6 juillet dernier et d'y donner suite. Le 6 juillet dernier, ils nous ont dit qu'ils ne voulaient pas que soit engagé un processus de réforme de leurs institutions. Dès lors, il faut respecter leur volonté jusqu'au terme de la démarche intellectuelle et politique.
    Ce que nous propose notre collègue Emile Zuccarelli, c'est de reprendre la réflexion institutionnelle, alors que les Corses ne l'ont pas demandé, et de l'inscrire par voie d'amendement dans un projet de loi qui n'a comme ambition - et elle est déjà très grande et très belle - que d'appliquer le principe de la parité en Corse comme dans les autres régions.
    Le rapporteur de la commission des lois ne peut que souhaiter qu'une unanimité puisse s'exprimer, comme au Sénat, et que, dans sa sagesse, notre collègue Emile Zuccarelli soit à notre écoute et accepte de renoncer à cet amendement, comme l'ont fait ses collègues du Sénat qui avaient présenté le même, afin que notre décision soit conforme à la démarche claire à laquelle le Gouvernement nous a invités, tant pour la Corse que pour l'ensemble de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Rudy Salles.
    M. Rudy Salles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le texte qui nous est présenté aujourd'hui n'était pas adopté, la Corse serait la seule région de France où la parité stricte ne s'appliquerait pas. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous discutons d'un projet de loi relatif à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection de l'Assemblée de Corse. Mais revenons quelques instants sur la genèse de ce projet qui nous permettra de mieux saisir l'objet de notre débat.
    Le 11 avril 2003, la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen introduisait la règle de la parité stricte entre hommes et femmes sur les listes électorales, c'est-à-dire l'obligation de présenter alternativement sur chaque liste des candidats de chaque sexe. Ce texte n'avait pas vocation à s'appliquer au statut de l'Assemblée de Corse, dans l'attente de l'organisation du référendum portant sur l'avenir institutionnel de la Corse. On sait quel en fut le résultat et quelles en furent les conséquences. Pas de réorganisation institutionnelle et donc pas de parité stricte.
    Or le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 avril 2003, avait déclaré qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général, ne justifiait la différence de traitement en cause, qu'ainsi celle-ci était contraire au principe d'égalité.
    Afin de ne pas censurer les dispositions relatives à la parité stricte aux élections régionales, il avait adressé une injonction au législateur pour que la prochaine loi relative à l'Assemblée de Corse mette fin à cette inégalité. C'est pour cette raison que le Gouvernement a déposé ce projet de loi, afin de rétablir l'équilibre quant aux règles électorales applicables en France. Il convenait également de respecter les articles 3 et 4 de la Constitution, modifiés par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui disposent que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
    Par ailleurs, la loi du 6 juin 2000 dispose que, pour les élections régionales et l'élection des membres de l'Assemblée de Corse, le principe de parité doit être mis en oeuvre par la présentation d'un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein d'un groupe entier de six candidats. La loi du 11 avril 2003, présente encore dans nos esprits, a institué cette alternance stricte. Que de chemin parcouru depuis 1999 et que d'évolutions !
    Il n'en reste pas moins que la parité a du mal à s'installer dans nos institutions, et plus particulièrement en Corse. Je me permets de rappeler quelques éléments chiffrés sur la situation de la parité, ce qui a d'ailleurs déjà été fait par mes prédécesseurs.
    La place des femmes dans l'Assemblée de Corse se situe en deçà de la moyenne générale, avec seulement 13,7 % de femmes, contre 27 % pour la moyenne nationale. Sur les cinquante et un sièges pourvus, seuls sept le sont par des femmes. Dans les conseils généraux, la moyenne est encore plus faible : sur les vingt-deux membres du conseil général de Corse-du-Sud, il n'y a qu'une seule femme, tandis que celui de la Haute-Corse n'en comprend aucune.
    Autant dire que, plus encore que les femmes vivant sur le continent, les femmes corses apparaissent largement exclues de la vie politique. La seule exception concerne le nombre de femmes maires, plus élevé en Corse que sur le continent.
    La situation de la représentation féminine sur l'île de Beauté est donc particulièrement alarmante.
    Cette loi va donc permettre d'augmenter ces chiffres et de modifier le paysage politique corse. Un souffle nouveau est en marche. Elle permettra également de se mettre en conformité avec la Constitution. Depuis la loi constitutionnelle de 1999, les chiffres ont connu une amélioration sensible. Cette parité stricte va bien entendu accentuer cette progression de la représentation des femmes dans le paysage institutionnel français.
    Je ne m'étendrai pas sur le profond et salutaire bouleversement du paysage politique dans l'île. L'arrivée massive de femmes à l'assemblée de Corse, dont le nombre devrait passer de sept à vingt-cinq environ, permettra de confier des responsabilités à des femmes qui, localement, s'impliquent déjà fortement depuis de longues années dans le tissu économique, social, culturel ou associatif. Il paraissait donc anormal que leur représentation politique ne soit pas modifiée par le législateur, a fortiori quand toute disparité tend à disparaître dans le paysage politique français.
    Leur engagement réel sur le terrain n'est plus à prouver, notamment dans la lutte contre la violence, vous l'avez à juste titre souligné. Malgré tout, leurs efforts ne se traduisent pas par des investitures à des mandats électoraux, sauf au niveau municipal. Le temps est désormais venu de leur donner toute la place qui leur revient et de leur permettre de s'investir dans des causes politiques qui leur appartiennent.
    Le groupe UDF, très sensible à la place des femmes dans la société, votera ce texte qui, je l'espère, sera adopté à l'unanimité des groupes, conformément au voeu de notre rapporteur. Par ce consensus, nous donnerons un signe fort. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.
    M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déjà examiné par nos collègues sénateurs, ce projet de loi propose d'instaurer une stricte parité des candidatures à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse.
    Il répond à l'objectif de parité inscrit depuis le 8 juillet 1999 dans notre Constitution, et satisfait à l'injonction du Conseil constitutionnel, qui relevait le 26 avril dernier qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général n'autorisait le législateur à réserver un traitement différent au regard du principe constitutionnel de parité entre les élections en Corse et celles sur le continent.
    La loi du 6 juillet 2000 prévoyait déjà, pour les élections régionales et l'élection des membres de l'Assemblée de Corse, que le principe de parité devait être mis en oeuvre par la présentation d'un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein d'un groupe entier de six candidats. Cette loi, modifiée le 11 avril dernier, instaurait la règle de l'alternance stricte entre hommes et femmes, mais elle ne visait que les élections régionales en métropole et excluait du bénéfice de cette mesure l'Assemblée territoriale de Corse, au motif que de nouvelles dispositions institutionnelles devaient être prochainement proposées à nos concitoyens insulaires.
    Curieux argument que celui qui conditionne une mise en conformité constitutionnelle à l'issue incertaine d'une consultation référendaire ! Ce choix malheureux nous oblige aujourd'hui à consacrer une bonne heure, peut-être deux, au règlement d'un problème qui n'aurait nécessité au plus que quelques minutes s'il avait été convenablement traité au moment opportun, mais ce retard ne mérite cependant pas d'ouvrir ici une médiocre polémique.
    Comme prévu, les électrices et les électeurs corses ont été consultés. Ils ont, comme le Gouvernement ne l'avait pas prévu, rejeté son projet et, par incidence, l'ont contraint à modifier l'article L. 310 du code électoral afin de respecter l'objectif de parité inscrit au cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution ainsi que l'injonction du Conseil constitutionnel.
    C'est l'objet de l'article unique de ce projet de loi. Le groupe des député-e-s communistes et républicains, évidemment, le soutiendra.
    L'avancée réelle que permettent les dispositions adoptées en juillet 2000, améliorées en avril 2003, enfin élargies aux femmes corses aujourd'hui, n'autorise cependant personne ici à pavoiser, puisque notre pays continue de se situer à la dix-huitième place sur les vingt-cinq pays de la Communauté européenne quant à la place réservée aux femmes à l'Assemblée nationale et à l'avant-dernière place sur les neufs chambres hautes que comptent les Etats membres de l'Union.
    J'ajoute que cette disposition, en Corse comme sur le continent, perdrait beaucoup de sa force si, dans son prolongement, n'était pas institué un véritable statut de l'élu rendant accessibles aux femmes les nouvelles possibilités que la loi leur offre, car qui peut encore ignorer que les difficultés rencontrées par les femmes les empêchent le plus souvent d'exercer tous leurs droits de citoyennes et d'élues ?
    Plus fondamentalement, en Corse comme sur l'ensemble du territoire d'ailleurs, nous savons que tous les droits civiques et politiques sont indissociables des droits sociaux et nécessitent par conséquent une autre conception du travail et des rapports sociaux. De ce point de vue aussi, personne ne peut sérieusement nier que des efforts considérables restent à faire pour corriger les insupportables inégalités dont sont encore victimes les femmes, en Corse comme sur le continent.
    Selon l'INSEE, le taux d'activité féminine en Corse reste le plus bas de toutes les régions françaises. Bien qu'elles soient démographiquement plus nombreuses que les hommes, seuls quatre emplois sur dix étaient occupés par des femmes en 1999. Elles restent les plus touchées par le chômage et plus encore par la précarité de l'emploi, notamment les plus jeunes d'entre elles. Même les diplômées, celles qui ont le plus de chance de trouver un emploi, travaillent pour l'essentiel dans le secteur tertiaire, et c'est le plus souvent pour occuper des emplois précaires et des positions hiérarchiques inférieures, alors que leur niveau de qualification est globalement supérieur à celui des hommes.
    De manière générale, en Corse comme sur le continent, aussi bien dans la fonction publique que dans le secteur privé, les femmes sont trop rarement investies des responsabilités de direction. A titre d'exemple, seulement 7 % d'entre elles font partie de l'encadrement supérieur des 5 000 plus grandes entreprises françaises. Dans la fonction publique, 57 % des agents sont des femmes, mais elles ne sont plus que 13 % lorsqu'il s'agit d'exercer les plus hautes responsabilités. Dans les emplois de cadre et les professions intellectuelles, elles représentent, selon des sources gouvernementales, seulement 30,6 % des effectifs contre 65,4 % pour les hommes. En matière de rémunération, et selon les mêmes sources, le déséquilibre est encore plus insupportable. Les inégalités salariales demeurent en France parmi les plus importantes. Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes sont de l'ordre de 25 % en moyenne pour les cadres, de 19 % pour les ouvriers, de 20 % pour l'ensemble du secteur privé et semi-public. Cela aussi est une honte pour la République. Beaucoup plus nombreuses à occuper les emplois à temps partiel, précaires et flexibles, les femmes sont largement sur-représentées au bas de la hiérarchie des salaires.
    Ces inégalités auront évidemment d'inquiétantes répercussions sur le niveau de leurs retraites, mais elles auront aussi pour effet d'exclure de l'exercice des responsabilités électives les femmes des catégories sociales le moins aisées. Ainsi, l'égalité et la parité entre les femmes et les hommes sont loin d'êtres acquises. Elles doivent rester l'objet d'un combat quotidien, d'un combat permanent, aussi longtemps que perdureront les inégalités entre les femmes et les hommes.
    Nos débats sur la parité, leur ampleur médiatique ont sans aucun doute permis de faire un pas de plus dans la juste appréciation de l'injustice dont sont victimes les femmes dans notre pays. Ils ont permis de dépasser les limites de la posture politicienne et opportuniste et de rappeler, au-delà des cercles de réflexion féministe, l'existence d'inégalités indignes de notre époque et des meilleures traditions de la République.
    La réponse constitutionnelle et législative représente certes une évolution importante dans la traduction juridique de la parité, et nous voterons avec conviction pour que les femmes corses bénéficient des mêmes droits que celles du continent. Cependant, l'essentiel reste à faire pour que la parité devienne effective dans toutes les sphères de la société. Soyez assurés que le groupe des député-e-s communistes et républicains sera de ce combat-là. (Applaudissements sur divers bancs.)
    M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.
    M. Camille de Rocca Serra. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une question simple, un article unique, une réponse évidente : l'unanimité de la Haute Assemblée doit se confirmer sur nos bancs.
    Nous disons des femmes qu'elles nous rassurent, qu'elles nous apporteront l'apaisement et la sérénité. Je souhaite que ce débat soit celui de la sérénité, qu'il reconnaisse que les femmes de Corse ont les mêmes droits que toutes les femmes de France - parce que les femmes de Corse sont des femmes de France -, et que personne ne pouvait en douter. Personne ne pouvait imaginer, monsieur le ministre, et vous vous êtes engagé à deux reprises sur ce point, que l'on puisse différencier les femmes de Corses des autres. Si la Corse a des spécificités, ce n'est certainement pas dans ce domaine.
    La Corse souffre de trop d'images d'Epinal, de trop d'images surfaites et très éloignées des réalités.
    Les femmes corses n'ont jamais porté le tchador. Elles ont la liberté d'agir, de vivre, de créer, de produire et de participer à la vie économique, sociale et culturelle.
    Au-delà des statistiques, qu'ont rappelées M. le ministre et M. le rapporteur, elles participent à notre vie sociale depuis des siècles. Elles ont même eu le droit de vote au XVIIIe siècle alors qu'il n'existait pas sur le reste du territoire national.
    Les femmes corses ont su exprimer, avec une plus grande force peut-être que nous-mêmes, à un moment où la vie d'autrui était en danger, le respect de la dignité humaine et de la vie d'autrui. Elles ont su dépasser leurs clivages. Nous avons vu ensemble, côte à côte, exprimer leur rejet de la violence des femmes qui étaient d'anciennes militantes nationalistes et d'autres femmes qui n'avaient pas partagé le même combat. Elles nous ont obligés tous à descendre dans la rue et à venir dire ce qui n'était pas normal et quelle était la limite du débat politique. Nous les avons vues en 1998, après l'abominable assassinat du préfet Erignac, au-delà de l'émotion immédiate, s'engager et former deux listes composées à 100 % de femmes, l'une représentant une certaine gauche et l'autre représentant une certaine droite.
    Qui pouvait nier que, si la loi leur permettait d'arriver aussi vite que sur le continent, les femmes de Corse s'engageraient un jour de la même manière, au-delà des pourcentages que l'on peut retrouver dans nos assemblées ? Dans la vie sociale, associative, culturelle et économique, elles prennent toute leur part. Au niveau le plus proche du citoyen, la commune, nous avons plus de femmes élues maires et engagées dans la vie sociale de proximité que sur le continent.
    Les femmes de Corse sont l'expression de ce qui peut demain nous apporter plus de sérénité, d'apaisement et d'engagement pour construire une vie plus belle et plus sereine. Le sens de l'engagement public, donc de l'engagement politique dans notre communauté nationale, sera retrouvé.
    Les femmes de Corse, femmes de France, devaient bien sûr avoir les mêmes droits, et personne ne l'a contesté.
    Monsieur le ministre, vous aviez non pas remis à plus tard, mais respecté la chronologie des événements dans une réforme qui se voulait globale. Aujourd'hui, vous apportez la réponse qui était connue, attendue, certaine. Il ne faudrait pas que d'aucuns fassent l'amalgame en voulant traiter, à l'occasion de l'examen de l'article unique qui nous est proposé, d'autres sujets qui n'ont rien à voir. Je le dis très sincèrement, ne mélangeons pas les genres. Restons dans cette dimension historique, constitutionnelle, où prend corps le principe d'égalité, et en particulier l'égalité des sexes. C'est au nom de ce principe que la Corse se reconnaît profondément dans la République et dans ses valeurs. Encore une fois, ne mélangeons pas les genres, je le demande à ceux qui voudraient profiter de l'occasion pour revenir sur un débat qui ne peut pas avoir lieu aujourd'hui. Il est ou trop tard ou trop tôt pour aborder la question de la réforme du mode de scrutin. Pourtant, monsieur le ministre, vous connaissez mon penchant. Mais aujourd'hui, il nous faut être responsables au nom de cette sérénité que nous voulons voir exprimer par les femmes.
    Nous attendons beaucoup d'elles, mais qu'attendent-elles de nous ? Elles attendent de nous du sérieux, de la responsabilité, de l'engagement dans la construction d'une Corse apaisée, plus sereine, déterminée, au sein d'une République qui sait l'écouter.
    Et à cet égard, monsieur le ministre, vous êtes celui qui s'est le plus engagé pour l'écouter, la comprendre, l'aimer. Car vous avez bien prononcé ce mot, monsieur le ministre : aimer. Oui, la Corse a besoin d'être aimée et comprise.
    Et je profite de cette occasion pour souligner que les paroles peuvent blesser, comme vous l'avez justement rappelé. Quand un homme d'Etat, ancien Premier ministre de la France, peut encore dire que si la Corse veut être indépendante, elle n'a qu'à l'être et qu'à ce moment-là elle doit rendre des comptes parce qu'elle coûte cher, je dois dire que cela n'est pas à l'honneur de la République et ne contribue pas à garantir l'unité de la République.
    La Corse a répondu, et elle répondra toujours, qu'elle est française et qu'elle veut le rester. Il suffit de lire les résultats d'un sondage récent d'où il ressort que 86 % des Corses disent : « Oui, nous voulons rester Français. » D'autres sont sans opinions et très peu disent le contraire. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de régions où un sondage analogue aurait donné un résultat aussi probant. L'engagement des Corses auprès de la France a été de tout temps. Alors n'agressons pas cette terre de France, cette terre qui souffre. Vous, monsieur le ministre, vous avez toujours stigmatisé ceux qui, à tort, provoquaient la réaction de nos compatriotes. Vous avez toujours su dire que la Corse était victime, et non coupable.
    Avec ces femmes qui vont avoir une responsabilité accrue, et un engagement accru, et qui vont pouvoir nous ouvrir le chemin de l'avenir, puissions-nous, sur tous les bancs de cet hémicycle, dans l'apaisement et la sérénité, parler de la Corse avec respect. Car en parlant des Corses, nous parlons de Français comme les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'affaire est entendue ! L'article unique qui renferme la substance de ce projet va être adopté à l'unanimité. Et je tiens d'entrée de jeu à le dire très fortement, ma voix ne rompra pas cette unanimité.
    Je ne m'étendrai pas sur le fait que, dès l'examen du projet de loi relatif à l'organisation de la consultation référendaire qui a eu lieu au mois de juillet dernier, j'avais proposé un amendement tendant à soumettre la Corse à la règle nationale en matière de parité aux élections régionales. Vous n'aviez pas jugé opportun de procéder à cette modification à ce moment-là. Cela vous regarde, mais moi je pensais que cela pouvait très bien se faire. Si ma proposition avait été adoptée, comme l'a très bien dit, je crois, Camille de Rocca Serra, on n'aurait pas eu à en discuter aujourd'hui pendant une heure, même s'il n'est pas inintéressant de participer à un débat qui a tout lieu d'être de qualité, et qui est serein. A ce propos, j'ai entendu çà et là des appels à la sérénité de la part de certains de mes collègues, et notamment de M. le rapporteur, dont j'apprécie beaucoup la courtoisie. Comme si le fait de débattre était en soi une entorse à la sérénité. J'en viendrais presque à me demander si cette assemblée est vraiment une assemblée démocratique où l'on doit débattre dans la sérénité et le respect mutuel.
    Mais cela étant, on doit toujours dire ce que l'on pense. Quelqu'un disait que toute vérité est bonne à dire, je ne suis pas loin de partager ce sentiment. Dès le lendemain de la consultation de juillet dernier, j'avais déposé une proposition de loi qui allait dans le même sens.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je l'ai dit.
    M. Emile Zuccarelli. Votre projet le fait également, tant mieux. Mais j'entendais déjà çà et là quelques commentaires acides sur le machisme supposé des Corses, dans le droit-fil des généralisations ethnicistes, ou quasi ethnicistes, dont on aime abreuver les insulaires et dont, par parenthèse, ils commencent, mes chers collègues, à en avoir par-dessus la tête.
    Vous avez bien voulu, monsieur le ministre, rendre hommage, et je m'associe évidemment à vos propos, au courage dont des femmes de Corse font preuve dans la vie publique. Et si, en effet, la proportion des femmes au conseil général et au conseil régional n'est pas tout à fait la même que ce qu'elle est sur le continent, vous avez bien voulu reconnaître que les femmes, en Corse, sont plus nombreuses à exercer des fonctions de maire, lesquelles ne sont pas, que je sache, inférieures aux précédentes.
    Je voudrais également rappeler que si nous parlons autant de parité, c'est aussi parce que la gauche a donné une impulsion dans ce domaine. Notre Assemblée nationale n'est pas encore exemplaire à cet égard, mais il y a encore peu de temps, elle était franchement surprenante en comparaison du reste du monde. Je crois que la comparaison n'était à notre avantage qu'avec la Corée du Nord et la Grèce.
    En réalité, et pour revenir à la Corse, le retard dont nous étions victimes relevait en l'espèce de la rage - je ne trouve pas d'autre terme - de vouloir toujours des dispositions spéciales pour la Corse, de vouloir, depuis Paris, nous singulariser, et trop souvent de manière nocive. Ainsi, parce que nous serions, non pas une région, mais une collectivité territoriale, promise non pas à des élections régionales, mais à des élections territoriales, nous serions restés, sans ce texte, dans une situation d'iniquité entre la Corse et le continent, qui aurait réjoui les Prosper Mérimée qui sommeillent en chacun des soi-disant spécialistes de la Corse. Nous l'avons échappé belle. Ouf !
    Mais, monsieur le ministre, et c'est là que j'élargis un peu le débat - sans vouloir attenter à la sérénité de cette séance -, vous nous proposez avec votre projet de n'ôter qu'une partie du poison que la rage de spécificité a introduit en Corse. Notre assemblée ne sait pas assez que, par les caprices de la loi, les seuils applicables partout ailleurs, qui sont de 10 % et de 5 % des suffrages exprimés pour se maintenir au deuxième tour ou pour fusionner avec une autre liste, sont en Corse, respectivement, de 5 % et de 0 %. Dans une région dont le corps électoral est le plus restreint de France, les seuils sont en pourcentage plus réduits ! On nage en plein paradoxe.
    Notre assemblée sait-elle aussi que la prime majoritaire, qui est partout ailleurs de 25 % des sièges, n'est en Corse que de 6 %, ce qui revient, dans la pratique, à appliquer une proportionnelle intégrale, qui a ses charmes et ses partisans, mais dont le législateur a estimé de l'intérêt général de sortir ailleurs pour garantir des majorités stables ? Ailleurs, même dans les régions d'outre-mer. Ailleurs, mais pas en Corse !
    Cette situation aboutit en Corse à la balkanisation de la représentation, à un éclatement au premier tour en une multitude de listes, si faiblement incitées au regroupement au second tour que la plupart s'y maintiennent, ce qui conduit à l'absence de majorité claire et qui fait le jeu des négociateurs de tous poils qui, derrière le dos des électeurs - et en démocratie, c'est regrettable -, dans des conciliabules de troisième tour, s'emploient à constituer des majorités improbables. L'attrait du pouvoir y poussant, l'institution sera certes pourvue d'une présidence et d'un exécutif, mais tout se sera passé en dehors du peuple.
    Peut-on dénoncer les combinaisons politiciennes et s'accommoder d'un tel système ?
    M. le président. Veuillez conclure, monsieur le député.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le président, pardonnez-moi mais je ne dispose que de très peu de temps pour parler de sujets importants pour ma région.
    M. le président. C'est bien pour cela que je vous ai laissé dépasser votre temps de parole. Mais l'excès nuit en toute chose, monsieur Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Bien sûr, monsieur le président.
    Je crois me souvenir de la vigueur avec laquelle le général de Gaulle pourfendait de semblables systèmes. Peut-on taxer nos collectivités d'inefficacité et s'accommoder de pareilles méthodes ?
    Et si les institutions ont, vaille que vaille, fonctionné au cours des douze dernières années, ce fut au prix de négociations permanentes et interminables qui n'ont satisfait que l'ego d'une foule de chefs de petits groupes - il n'y a pas moins de neuf groupes à l'Assemblée de Corse pour une cinquantaine d'élus -, au moment où la collectivité territoriale doit se saisir de compétences encore élargies depuis 2002, et désormais immenses.
    Par parenthèse, et je le dis à mon collègue Rudy Salles, on peut imaginer qu'avec la règle actuelle, en allant au bout de l'absurde, on se retrouve avec cinquante et un conseillers territoriaux répartis en dix-sept listes, toutes conduites par des hommes, à raison de trois élus par liste. Cela conduirait alors à une assemblée comprenant trente-quatre hommes et dix-sept femmes. Avec la prime, disons trente-trois hommes et dix-huit femmes : boujour la parité !
    Je sais aussi, monsieur le ministre, que vous m'opposerez la loi non écrite selon laquelle on ne change pas la règle quand on est trop près d'une élection. Je vous répondrai que la règle, vous la changez bien s'agissant de la parité, et c'est tant mieux. Je vous rappellerai aussi que vous vous apprêtiez, si le oui l'avait emporté en juillet dernier, à modifier bien plus profondément le mode d'élection, sans craindre de déroger à cette règle.
    C'est pourquoi je propose dans ce débat - sereinement, mais je dois le faire parce que la vérité est bonne à dire - de porter les seuils et la prime au niveau de ceux prévus pour les autres régions françaises. Loin d'être une manoeuvre préélectorale, il s'agit ici d'appliquer à la Corse la règle nationale. Nul ne sera surpris que je revendique dans ce domaine le droit à la ressemblance plutôt que le droit à la différence.
    M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.
    M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord vous rassurer : le statut actuel de la Corse donne une solidité et une stabilité remarquables à l'exécutif régional. Et les règles qui prévalent dans le fonctionnement interne de l'Assemblée de l'exécutif sont, elles aussi, différentes de celles qui prévalent au plan national, ce qui explique qu'il n'est pas nécessaire de changer les règles.
    Sans faire d'histoire, je vous dirai que la dernière fois qu'un député qui s'appelait Paul Giacobbi s'est adressé à cette assemblée en matière de réforme électorale, c'était en 1951. Comme ministre, il fut chargé de la réforme électorale, vaste programme sous la IVe République. Mon grand-père est mort littéralement à la tâche en essayant d'instiller - c'est ironique - un maximum de logique majoritaire dans un scrutin proportionnel. Je n'ai malheureusement pas hérité de cette science électorale. D'autres que moi sont aujourd'hui sans doute des experts ès lois électorales, pour ne pas dire des artistes, dont nous admirons les acrobaties tout en nous inquiétant parfois des risques qu'ils prennent à vouloir travailler sans filet.
    Malgré mon ignorance, il me semble que trois évidences s'imposent à nous dans ce débat.
    Premièrement, on ne change pas les règles du jeu à trois mois du scrutin, quelles que soient les bonnes intentions, à supposer qu'elles soient toutes bonnes, quelles que soient les justifications, à supposer qu'elles soient parfaites. Chacun comprend que ce serait scandaleux, que ce serait une atteinte à l'esprit démocratique et que, par conséquent, on ne peut que laisser les choses en l'état, sauf, bien entendu, pour ce qui concerne la parité, qui est - j'y viendrai dans un instant -, comme vous l'imaginez, indispensable.
    Deuxièmement, l'effet d'une réforme électorale est rarement celui que ses initiateurs ont recherché. Dans le cas d'espèce, si l'on allait au-delà du texte du Gouvernement, la cohérence nationale, qui serait, paraît-il, l'objectif, pourrait conduire, en fait de nationale, à une majorité nationaliste dans notre région. Une majorité parfaitement artificielle et tout à fait dangereuse, dans la mesure où cette sensibilité politique, si je peux parler de sensibilité, n'a pas clairement rejeté, c'est le moins que l'on puisse dire, le recours à la violence comme moyen d'expression.
    Troisièmement, l'introduction de la parité, c'est-à-dire la création d'un quota réservé aux femmes dans les listes électorales des élections proportionnelles, est une forme de discrimination positive, excusez-moi d'employer cette expression, qui s'impose dans notre pays parce qu'il reste l'un des plus réticents à permettre aux femmes de participer à la vie publique. Je ne suis pas, personnellement, un adepte de la discrimination positive. Elle a été inventée et mise en oeuvre depuis un demi-siècle dans un pays que je connais bien et où je relève, au passage, qu'elle a été un échec total. Mais s'agissant de la place des femmes dans la vie publique, cette discrimination, qui prend ici la forme d'un quota de candidatures féminines, s'impose à la France comme le seul moyen de voir notre pays se départir d'un de ses plus redoutables handicaps. Le précédent gouvernement, celui de Lionel Jospin, a su élever au niveau constitutionnel cette volonté de faire une place aux femmes dans notre vie politique. Chacun s'accordera sans doute à lui rendre hommage sur ce point, dans cette ambiance unanimiste.
    En Corse, cette parité s'impose évidemment, puisqu'elle est une règle constitutionnelle, mais elle s'impose plus qu'ailleurs encore.
    Mes chers collègues, les débats sur la Corse nous ont souvent divisés. En voilà un, et je m'en réjouis, qui devrait pour une fois recueillir l'unanimité, comme cela a été le cas au Sénat malgré des réticences.
    En Corse, il y a effectivement des femmes qui accèdent aux fonctions municipales. Il y en a quelques-unes qui accèdent aux fonctions de conseiller régional. Il n'y en a traditionnellement pas qui accèdent aux fonctions de conseiller général et, actuellement, je suis probablement le seul président de conseil général de France qui n'ait pas à dire, en ouvrant la séance : « Mesdames, messieurs les conseillers généraux », mais seulement « Messieurs les conseillers généraux », puisque aussi bien il n'y a pas de femme qui siège dans mon conseil général. Quant à la Corse-du-Sud, elle ne compte qu'une femme conseiller général, qui fait tout à fait honneur à sa fonction mais dont il faut observer, sans nullement la diminuer, qu'elle est la veuve d'un conseiller général décédé en fonction, et qui fut d'ailleurs quelqu'un de très remarquable - dont le décès a été ressenti dans la classe politique comme une perte importante.
    Notre île offre le triste spectacle d'une représentation presque exclusivement masculine, dont on ne trouve que très peu d'exemples ailleurs, peut-être en Arabie saoudite. Et je ressens d'autant plus le besoin de cette réforme que j'entends en ce moment, en Corse, un certain nombre de personnes, de responsables politiques, me parler du problème de la parité - du « problème » de la parité ! - à propos des prochaines élections régionales. Et d'aucuns demandent à ceux qui sont soupçonnés de vouloir se présenter à ces élections : « Mais comment allez-vous faire ? Où allez-vous trouver des femmes ? » Voilà ce que l'on entend fréquemment.
    Il y a pourtant, en Corse comme ailleurs, des femmes remarquables par leur expérience professionnelle, par leurs compétences et aussi par leur caractère. Car j'observe que celui-ci est souvent plus trempé que celui des hommes, dans notre île, lesquels hommes manifestent bien moins de lucidité, parfois moins de franchise, pour ne pas dire parfois moins de courage. Pour qui connaît l'histoire de la Corse, ce courage des femmes n'est pas une surprise. C'est en réalité bien plutôt une tradition.
    Je crois donc, mes chers collègues, que la parité va contribuer à réveiller la vie politique insulaire. Les femmes n'ont d'ailleurs pas attendu la révision constitutionnelle ou le présent projet de loi pour se réunir et pour militer dans des associations, ou spontanément, et il faut bien reconnaître qu'elles présentent une vision de la Corse souvent plus humaine, plus réaliste, plus solidaire que celle des hommes.
    Voilà donc pourquoi, en Corse plus qu'ailleurs, nous avons besoin de la parité. Elle n'est pas pour nous un problème. Elle peut même contribuer à un début de solution.
    Voilà donc pourquoi, en Corse plus qu'ailleurs, nous avons besoin de prudence en matière de réforme électorale.
    Voilà donc pourquoi j'imagine et j'espère que nous serons tous d'accord sur ce texte.
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Simon Renucci, dernier orateur inscrit.
    M. Simon Renucci. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messsieurs les députés, permettez-moi de souligner, en propos liminaire, et non sans malice, que si la Corse fut la première région à utiliser les possibilités ouvertes par le nouvel article 72 de la Constitution, avec le résultat que nous connaissons, elle sera la dernière, pour l'élection de son assemblée territoriale, à bénéficier des dispositions relatives à la parité. En effet, la loi du 11 avril 2003 avait omis d'étendre ses effets à l'élection de l'Assemblée territoriale de Corse. De ce fait, aujourd'hui, les femmes de Corse se trouvent traitées de façon inégalitaire.
    Je me réjouis donc tout particulièrement qu'il soit mis fin à cette inégalité. Je m'en réjouis d'autant plus que le groupe Corse social - démocrate à l'Assemblée de Corse, que j'ai longtemps présidé, est déjà composé - il est le seul dans ce cas - de manière paritaire. Sur les sept femmes présentes à l'Assemblée de Corse, deux sont issues du mouvement Corse social - démocrate, et la seule conseillère territoriale de Haute-Corse appartient également à ce mouvement. J'ai la faiblesse de penser que, sur ce point, je n'étais point en retard.
    La loi, si elle ne peut, à elle seule, mettre fin à la proportion insuffisante de femmes dans les assemblées, se révèle cependant indispensable pour en imposer une proportion plus juste. Malgré les dispositions existant au niveau national, les femmes ne représentent que 12,3 % de l'Assemblée de Corse. Cette sous-représentation persistante des femmes dans tous les domaines décisionnels dénote un déficit démocratique fondamental. Heureusement, les femmes de notre île, comme le rappelait avec justesse Guy Geoffroy, rapporteur du projet de loi, sont déjà impliquées dans la vie politique insulaire. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, elles sont 14 % à occuper la fonction de maire, contre 11 % au niveau national.
    Ce projet de loi adopté par le Sénat, qui vise à modifier l'article L. 370 du code électoral par la mise en oeuvre du principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux à l'Assemblée de Corse, constitue, à mon sens, un des plus grands événements qu'ait connus la Corse depuis bien longtemps, tout au moins par ses conséquences. Son adoption entraînera ipso facto une modernisation sans précédent de la vie politique locale. D'un seul coup, le personnel politique de l'Assemblée de Corse sera renouvelé de 50 %, pour le grand bénéfice - j'en suis sûr - de l'île. Le retard historique en ce qui concerne la présence de femmes dans le champ politique sera immédiatement comblé. Et les femmes apporteront dans la future assemblée leurs compétences et leur vision de la société.
    Toutefois, ne nous focalisons pas uniquement sur l'absence de femmes ou leur sous-représentation dans les assemblées. N'oublions pas que, dans presque tous les secteurs d'activité, en tout cas dans les sphères dirigeantes, les femmes sont souvent absentes et qu'à travail égal, le salaire est moindre. Partout, des mesures positives pourraient s'attaquer aux causes même de cette inégalité.
    Ce texte, s'il est adopté, constituera un événement en ce qu'il donnera un nouvel élan à notre démocratie et suscitera une nouvelle espérance au moment où la collectivité territoriale va bénéficier de compétences plus étendues.
    Pour explorer avec audace et imagination le nouveau champ institutionnel et mettre en oeuvre des solutions originales, la Corse aura besoin de toutes les énergies, de toutes les bonnes volontés et de toutes les compétences. L'apport des femmes, n'en doutons pas, sera essentiel dans cette démarche ambitieuse de construction de la Corse de demain.
    La Corse vit, depuis trente ans, dans un climat de violence qui entretient l'inquiétude, nourrit l'immobilisme, pénalise les habitants de l'île et, parfois, peut faire douter de l'avenir. Parce que les femmes connaissent le prix de la vie, parce qu'elles participeront activement à la vie sociale, économique et culturelle, parce qu'elles sauront porter des projets inédits et porteront une conception nouvelle de la citoyenneté favorisant la recherche des voies qui mènent à la confiance, à la sérénité et à la paix retrouvée dans la République, leur présence dans les assemblées permet d'espérer, car cela ne sera plus une utopie, un avenir meilleur.
    N'oublions pas que l'unanimité est un gage de confiance et que, quand on est dans la difficulté, le moteur permettant de la surmonter est à la fois la confiance en soi et celle que les autres vous portent.
    Merci de nous avoir écoutés et merci pour ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article unique

    M. le président. « Article unique. - La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 370 du code électoral est ainsi rédigée :
    « Chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. »
    Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
    (L'article unique du projet de loi est adopté.)
    M. le président. Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Après l'article unique

    M. le président. M. Zuccarelli a présenté un amendement, n° 1, ainsi libellé :
    « Après l'article unique, insérer l'article suivant :
    « Le code électoral est ainsi modifié :
    « I. - L'article L. 365 est ainsi rédigé :
    « Art. L. 365. - Les dispositions des articles L. 338 et L. 338-1 sont applicables à l'élection des conseillers de l'Assemblée de Corse. »
    « II. - L'article L. 373 est rédigé :
    « Art. L. 373. - Les deux derniers alinéas de l'article L. 346 sont applicables à l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse. »
    « III. - Les articles L. 293-1 à L. 293-3 et l'article L. 366 sont abrogés. »
    Vous avez déjà défendu le principe de cet amendement, monsieur Zuccarelli, mais je vous donne tout de même la parole.
    M. Emile Zuccarelli. En effet, monsieur le président, j'ai déjà défendu mon amendement.
    Cela dit, je viens d'entendre Simon Renucci déclarer qu'il était contre l'immobilisme. Eh bien, je propose de ne pas rester immobile s'agissant d'un certain nombre d'autres points de la règle électorale, que j'estime nocifs.
    J'ai également entendu, non sans une certaine émotion, de multiples appels me demandant de ne pas m'obstiner à vouloir rompre la belle unanimité dont ce texte fait l'objet. Mais, ainsi qu'a bien voulu le noter le président, l'unanimité sur la parité est maintenant scellée. Je suis pour la parité, ô combien ! Je l'ai même été bien avant nombre d'entre vous, mes chers collègues. Ainsi, quand on me demande de ne pas rompre la belle unanimité qui prévaut sur ce texte et de retirer mon amendement, cela me paraît relever d'une conception ahurissante de la vie parlementaire. Je ne retirerai pas mon amendement, car j'ai la conviction - et j'ai longuement exposé pourquoi - que son adoption serait une bonne chose pour la Corse.
    L'Assemblée, dans sa sagesse, se prononcera. Cela dit, je suis sans illusion car j'ai cru comprendre que, dans l'immédiat, je ne serai pas suivi comme en atteste le vote intervenu au Sénat. Mais qu'importe ! En tout cas, on ne me fera jamais adopter, au nom de la recherche de l'unanimité, une position que je ne partage pas profondément. C'est la raison pour laquelle je maintiens mon amendement.
    M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
    M. Guy Geoffroy, rapporteur. J'ai déjà évoqué, dans mon propos liminaire, l'avis de la commission sur cet amendement. J'y ajouterai deux remarques.
    La première pour rappeler que l'objet de ce projet de loi est la parité. C'est le seul sujet sur lequel nous ayons aujourd'hui une sorte de légitimité, suite au vote des Corses le 6 juillet dernier. Ceux-ci ont indiqué ce jour-là qu'ils ne souhaitaient pas que soit donné suite au projet visant à doter la Corse d'un nouveau statut. Cet argument me semble à lui seul suffisant pour repousser cet amendement. De surcroît, on ne modifie pas les règles du jeu à quelques semaines d'un scrutin.
    Je tire mon second argument de l'exposé des motifs de la proposition de loi qu'a déposée M. Zuccarelli en juillet 2003. Il y écrit que les électeurs de Corse, consultés le 6 juillet, ayant donné un avis défavorable à une nouvelle modification institutionnelle, il convient de remédier à l'inégalité actuelle entre la Corse et les autres régions en matière de parité.
    Par ailleurs, nous comprendrions qu'il maintienne son amendement si le dispositif qu'il propose avait été inclu dans le texte de sa proposition de loi, mais ce n'est pas le cas.
    Pour toutes ces raisons, notamment pour une raison d'élémentaire cohérence, et non dans un souci béat d'unanimisme, je demande à M. Zuccarelli de retirer son amendement. S'il le maintenait, ce qui est son droit le plus strict, j'invite l'Assemblée à le repousser.
    M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, je présenterai plusieurs remarques.
    Premièrement, monsieur le ministre Zuccarelli, aimant moi-même beaucoup le débat - peut-être vous en êtes-vous aperçu - il ne me viendrait à aucun moment l'idée de reprocher à quiconque de vouloir débattre. Au reste, la vie politique meurt d'une absence de débat. On a peur du débat. On craint les mots, et on accepte les réalités. On n'aime pas employer des phrases, mais on subit l'immobilisme de réalités, en général des inégalités.
    La Corse a besoin de débat, monsieur Zuccarelli. D'ailleurs, l'un des problèmes de la Corse, et les élus corses le savent - Camille de Rocca Serra peut-être davantage qu'un autre étant donné la famille à laquelle il appartient -, c'est qu'en Corse on ne parle pas assez. Oserai-je dire qu'on ne se parle jamais ? On aime à prendre des postures, à rester sur son quant-à-soi, mais la population de cette île a besoin qu'on parle.
    Croyez bien, monsieur Zuccarelli, que le Gouvernement ne craint pas le débat. Je vais même aller plus loin : certains de mes amis ici trouvaient même des justifications à votre position. Pourquoi le contester ? Je ne dirai donc pas que la position que vous défendez est en tout point négative. Au reste, je ne le pense pas. Pourtant, au nom du Gouvernement, je vais demander à l'Assemblée nationale de repousser votre amendement. Et je vais exposer les trois raisons qui me conduisent - mais cela n'a pas été sans hésitation - à prendre cette position et qui semblent emporter l'adhésion des uns et des autres.
    La première de ces raisons, c'est que, ainsi que je l'ai dit dans mon propos liminaire, la Corse est minée par la méfiance. Si la majorité des élus républicains de Corse - je n'irai tout de même pas jusqu'à dire l'unanimité -, de gauche comme de droite, s'étaient mis d'accord sur un mode de scrutin, qui aurait pu être celui appliqué sur le continent, le Gouvernement aurait pu être enclin à le faire adopter. Toutefois, nous ne sommes absolument pas dans ce cas de figure. J'indique aux parlementaires qui sont peut-être moins informés que d'autres des réalités politiques corses que toutes les familles politiques sont divisées - ça peut arriver ! - sur la question du mode de scrutin, à droite - on l'a vu au Sénat - comme à gauche. Et ce n'est faire injure à personne que de dire que les arguments du président Giacobbi et du député-maire d'Ajaccio, Simon Renucci, ont aussi leur pertinence.
    Pourquoi voudriez-vous que, dans une île où la méfiance est endémique, le Gouvernement prenne la responsabilité, à quatre mois d'une élection, de proposer une modification du mode de scrutin, qui aurait, certes, des avantages, mais qui ne ferait pas l'objet d'un consensus ?
    Mesdames et messieurs les députés, à la minute même où vous voteriez une modification du mode de scrutin, nous serions tous - et le Gouvernement le premier - accusés de combines et d'arrière-pensées. Personne ne trouverait la moindre noblesse à notre démarche, mais chacun dirait - parce qu'en Corse, c'est ainsi - qu'elle cache des arrière-pensées politiques, et c'est toute la classe politique qui serait déconsidérée.
    Je ne dis pas que l'application d'un même mode de scrutin sur l'île que sur le continent n'a aucun sens, mais qu'une modification du mode de scrutin nous ferait tous passer pour suspects de combinaisons électorales. Voilà mon premier argument.
    Mais il en est un second, qui est plus de fond. Comment peut-on dire - et c'est vraiment un sujet qui doit nous faire réfléchir - que, puisque l'île est minée par la violence, il faut relever les seuils d'admission et de fusion permettant de participer au second tour de l'élection des conseillers à l'assemblée territoriale ? Je pose la question. Combat-on la violence en permettant la représentation du plus grand nombre de courants politiques dans l'assemblée territoriale, avec un seuil bas et des primes qui permettent une représentation de toutes les tendances, ou la favorise-t-on en condamnant un certain nombre de groupes politiques - certes minoritaires, et M. Zuccarelli a raison de le rappeler - mais qui existent, à ne pas avoir de représentation ? Je n'apporte pas de réponse définitive à cette question, mais on ne peut tout de même pas nier que la Corse a ses spécificités.
    En interdisant la représentation de divers groupes, pousserions-nous à la paix ou à la violence ? Vaut-il mieux que la multiplicité de la société politique corse s'exprime par l'intermédiaire des représentants de petits groupes au sein de la collectivité territoriale, ou faut-il empêcher cette représentation ? Et si vous interdisez la représentation des tendances minoritaires, avec qui parlerez-vous ? Qui les représentera ? Et qui pourra dire qu'il existe une autre voie que celle de la violence ? Je ne dis pas que l'argument est définitif, mais c'est tout de même une question que nous devons nous poser.
    Enfin, j'en viens à mon troisième argument, et qui n'est pas le moindre. On me dit que pour résoudre le problème corse, il suffit de traiter la Corse comme les autres régions. M. Zuccarelli le dit avec plus de pertinence que nous, mais nous sommes un certain nombre - Camille de Rocca Serra, Paul Giacobbi, moi-même et bien d'autres - à estimer qu'il faut tenir compte des spécificités de l'île.
    En effet, à qui irait la prime aujourd'hui, dans cette île où tous les courants républicains sont traversés de multiplicité ? Lors des prochaines élections, il y aura, ne vous y trompez pas, un grand nombre de listes en présence, parce que, dans cette île, l'histoire pèse plus qu'ailleurs. On ne s'y réconcilie pas comme cela. On n'y oublie pas ses traditions comme cela.
    Dans ces conditions, croyez-vous qu'en votant la prime de 25 % ce serait faire un pas vers la République ? Bien malin sait à qui irait cette prime. Et, à cet égard, le discours de Paul Giacobbi sonne comme un avertissement : on croit savoir qui profiterait de cette prime à un moment où l'on parle tant de divisions chez les républicains et tant d'union chez ceux qui ne le sont pas, ou moins !
    Mesdames et messieurs les députés, c'est vraiment après y avoir réfléchi, et sans aucun esprit polémique, que je pense que, en tout état de cause, il convient de s'en tenir au présent texte pour les prochaines élections territoriales. C'est la sagesse même.
    Qu'en sera-t-il du mode de scrutin dans cinq, dix ou quinze ans ? Bien malin qui pourrait le dire. Et si l'ensemble de la classe politique corse voulait un changement et une harmonisation, eh bien ! qu'elle donne l'exemple du rassemblement des courants républicains au moment où l'île a tant besoin d'union. A ce moment-là, peut-être que le droit pourrait s'adapter à une réalité. Une réalité heureuse qui signifierait que les républicains de l'île, de droite comme de gauche, sont décidés à se rassembler pour faire triompher l'intérêt général. Ce serait une bonne nouvelle pour tout le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Emile Zuccarelli.
    M. Emile Zuccarelli. Monsieur le ministre, je respecte profondément la position que vous prenez et les arguments que vous développez à l'appui de celle-ci. Mais, je le répète, je suis un parlementaire responsable et je vais au bout de ce qui me paraît être l'intérêt général.
    Je ferai juste trois remarques, si vous le permettez.
    Vous ne pouvez pas, à moins de faire des supputations ou des calculs politiciens, à la fois craindre que les « non-républicains », pour parler élégamment, puissent emporter la prime majoritaire parce qu'ils seraient les premiers et considérer, qu'en montant le seuil, nous leur ferions perdre leur place et risquerions de les renvoyer dans la violence. Il faut choisir. Il y a un risque à prendre, celui de la clarté.
    J'ai en revanche beaucoup apprécié vos propos quant à la détermination du Gouvernement à lutter contre la violence et à mener la bataille contre les mafieux, et je vous en remercie.
    Vous avez dit qu'il n'y avait pas de délit d'opinion en Corse, pas plus que dans le reste de la France. C'est bien vrai. La seule opinion qui me paraît condamnable, dès lors qu'elle est portée publiquement, est d'estimer qu'en démocratie la violence puisse être une arme du débat. A cet égard, ceux qui affirmeraient la comprendre et pouvoir même aller jusqu'à s'allier électoralement avec ceux qui la pratiquent et la prônent, ceux-là, à mon avis, émettent des opinions qui n'ont pas leur place dans la République.
    M. Paul Giacobbi et M. Simon Renucci. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Des risques à prendre en Corse, je puis vous assurer qu'il y en a quand on est ministre de l'intérieur ! (Sourires.) Mais, pour être franc, je préfère les prendre sur d'autres terrains que celui de la loi électorale.
    M. Emile Zuccarelli. Des risques, j'en prends aussi !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Certes ! Quand on fait de la politique en Corse... Il faut d'ailleurs rendre hommage aux élus républicains corses. Car si l'île n'a pas de spécificités, il faut bien reconnaître qu'être un élu républicain, de droite comme de gauche, demande un plus grand courage en Corse qu'ailleurs. En tant que ministre de l'intérieur, je suis fondé à le dire !
    Quant à mes propos sur les délits d'opinion, n'y voyez aucune faiblesse de ma part. Il suffit de lire ce qui est écrit dans un certain nombre de journaux dits « d'opinion », par exemple U Ribombu, où je suis menacé chaque semaine... - je ne suis pas le seul, j'en conviens, monsieur Zuccarelli, mais je revendique plus de droits d'auteur, au moins en quantité. (Sourires.) Je dis simplement qu'un certain nombre de mafieux veulent faire croire à des gens sincères qu'il suffit d'avoir des opinions nationalistes pour être poursuivi par l'Etat républicain alors que c'est faux !
    M. Paul Giacobbi. Bien sûr !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est sur ce type d'amalgame que prospèrent des gens malhonnêtes.
    M. Emile Zuccarelli. Je suis tout à fait d'accord !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Si j'ai beaucoup poussé pour la défense de l'apprentissage de la langue corse, c'est que je considérais que l'on pouvait être très attaché à la fois à la langue corse et à la République française. Cela n'a rien à voir, les élus que vous êtes le savent. Contester la nécessité d'aider une famille à apprendre le corse à ses enfants, c'était donner un avantage à des indépendantistes qui prospèrent sur ce genre de malentendu.
    Donc, ne voyez pas dans ma remarque de la faiblesse, mais bien au contraire la volonté d'empêcher des gens malhonnêtes de faire l'amalgame et de troubler des personnes qui ont bien droit de croire, si elles le souhaitent, à l'autonomie de la Corse, ou à l'indépendance de la Corse : à partir du moment où cela ne reste qu'une opinion, nous n'avons pas à en faire le procès. En Corse, l'Etat républicain poursuit non pas des idées, mais des comportements malhonnêtes et mafieux. Je crois qu'il est très important qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
    (L'amendement n'est pas adopté.)

Vote sur l'ensemble

    M. le président. Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, qui, après le rejet de l'article additionnel, se limite à l'article unique.
    (L'ensemble du projet de loi est adopté.)
    M. le président. Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.

3

BIOÉTHIQUE

Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique (n°s 593, 761).
    La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, vous savez combien me tiennent à coeur les sujets dont nous allons débattre et combien ce débat est important. M. le président de la commission des lois le sait puisqu'il a participé à l'ensemble de l'élaboration de ce texte sur plus d'une dizaine d'années, et M. le rapporteur est tout à fait conscient des rapports qui existent entre la médecine, la science et la société.
    En fait, c'est l'oeuvre législative accomplie depuis une quinzaine d'années que nous devons aujourd'hui parfaire ensemble. Comme en 1994, il revient à une majorité de mener à bien l'oeuvre législative en matière de bioéthique entreprise par un gouvernement d'une majorité opposée. C'est le Sénat qui, en l'occurrence, a eu à amender en premier le texte. Aujourd'hui, celui-ci reflète les choix et les convictions que le Gouvernement porte et que je voudrais vous présenter.
    En tant que médecin, je ne suis bien évidemment pas de ceux qui se plaisent à dénoncer le progrès médico-scientifique. Je suis bien placé pour savoir que les chercheurs ont continuellement offert à l'homme de nouveaux services de plus en plus achevés ; que grâce à eux, l'homme jouit d'une meilleure qualité de vie et peut aspirer à des conditions d'existence et de travail plus humaines. Je suis bien placé aussi pour savoir que la science n'est pas une activité neutre et que l'entreprise scientifique ne peut échapper au jugement critique, en tant qu'instrument du progrès illimité dans lequel l'humanité serait entraînée.
    Le centre du problème aujourd'hui consiste à distinguer le véritable progrès du progrès apparent. Les évolutions techniques et scientifiques récentes en matière de sciences du vivant posent en effet sous un jour radicalement nouveau la question des relations entre le progrès médical et les repères de la conscience. Les biotechnologies opèrent non plus sur le monde extérieur, mais sur l'homme lui-même ; elles ne permettent plus seulement à l'homme de se faire « maître et possesseur de la nature » au sens où Descartes l'entendait, puisque cette entreprise de domination risque de se retourner contre l'homme lui-même.
    Avec la médecine de la reproduction, les techniques de clônage cellulaire, les perspectives ouvertes depuis l'achèvement du décryptage du génome humain, l'homme devient de plus en plus capable de s'approprier sa nature pour la modeler à son goût, sans vraiment connaître l'impact que cela aura sur l'humanité de demain.
    La tâche actuelle consiste donc à distinguer ce qui personnalise l'homme de ce qui le dépersonnalise, ce qui le rend plus libre de ce qui le rend plus esclave.
    C'est une vieille histoire : la science, pour avancer, se heurte aux repères moraux de chacun ; grâce à elle, ces repères évoluent. Songez à l'opposition qu'ont rencontré des pratiques telles que la dissection cadavérique, l'anesthésie ou même, plus récemment, la vaccination !
    Je crois toufefois qu'avec les sujets et les techniques qui nous occupent aujourd'hui, nous touchons à une frontière, et que nos concitoyens ont une conscience aiguë de ce que le développement des sciences biomédicales appelle des limites, faute de quoi il n'est pas en accord avec la dignité de chaque homme et ne procure ainsi qu'un progrès apparent. C'est dans ce contexte que s'est développée l'idée de bioéthique, c'est-à-dire de l'éthique de la vie.
    La bioéthique a aujourd'hui une histoire suffisamment longue pour que l'on puisse mesurer le chemin parcouru. A l'origine, la part prise par les chercheurs, notamment en biologie, dans la réflexion sur les limites de la science et les questions d'éthique posées par l'essor des sciences biomédicales, a été très importante. En 1963, au cours d'un colloque organisé par la fondation Ciba, le prix Nobel Lederberg exprima une position assez répandue dans l'assemblée, en affirmant le principe d'une responsabilité nouvelle des biologistes pour assurer un nouveau développement de l'humanité.
    En France, médecins et biologistes avaient, avant 1994, défini des règles déontologiques, des garanties éthiques ; le législateur s'est ainsi largement inspiré, en 1994, des règles éthiques et sanitaires définies par les CECOS, centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains, pour réglementer le don de gamètes.
    Cependant, la bioéthique ne peut être du ressort exclusif des praticiens, parce que l'éthique n'est pas un prolongement naturel de la science. Sont en cause, en effet, des pratiques qui mettent jeu les représentations mêmes de la société et qui dépassent largement l'exercice de la médecine. Qu'est-ce que la personne humaine ? Jusqu'où le respect lui est-il dû ? De quoi peut-il être fait commerce ? Quelles sont les implications de la médecine prédictive ou de la possibilité de concevoir un enfant avec un tiers donneur ? La bioéthique, on le voit, éprouve notre édifice juridique dans ce qu'il a de plus central, le statut des personnes, le droit de la filiation et de la famille ou encore le droit des contrats. Les questions qu'elle pose relèvent a priori du politique, puisque c'est moins la recherche en tant que telle qui est visée que ses applications et ses conséquences sur l'individu et le groupe. A ces questions, les scientifiques ne sont pas plus aptes à répondre que les autres citoyens. Le législateur devait intervenir, car, comme l'a écrit fort justement mon collègue Luc Ferry, « les questions éthiques n'ont en leur fond aucun lien avec les connaissances scientifiques. Le fait de savoir ce qui est ne détermine en rien ce qui doit être ».
    Mme Christine Boutin. Ça, c'est vrai !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Ce besoin de limites et de repères est aujourd'hui bien admis, et c'est remarquable, par les praticiens, les médecins et les chercheurs, pourtant méfiants ou inquiets en 1994. Ils savent combien est nécessaire une régulation qui émane aussi largement que possible du corps social. En effet, notre édifice normatif a donné l'onction du droit à des pratiques pour lesquelles ils encouraient auparavant des poursuites. Il a également favorisé l'acceptabilité sociale de ces pratiques. Ainsi, le diagnostic préimplantatoire a pu se développer en France dans un cadre strictement défini qui garantit le caractère exceptionnel de sa mise en oeuvre et prévient les risques de dérive qui ont pu être évoqués. D'où cet acquis : la régulation des sciences du vivant s'impose et elle revient bien au législateur et non aux seuls professionnels.
    Je voudrais encore, avant d'en venir aux grandes questions de fond de la loi, préciser avec vous ce que j'entends par bioéthique et quelle est la manière dont je conçois, dans cette matière particulière, l'intervention du législateur. Ce mot de « bioéthique » s'est imposé grâce à sa forme d'expression remarquable, mais il est ambigu car il laisse croire que c'est la biomédecine qui façonne sa propre éthique, alors que l'éthique est au-dessus des savoirs particuliers. Puisque l'on inscrit dans la loi, pour la première fois, le mot de « bioéthique », je voudrais que l'on ne puisse pas lui attacher une signification trouble. Afin de le laver de tout soupçon, il est indispensable que cette révision montre que l'éthique biomédicale n'est pas obligée d'adapter inévitablement ses principes à toute pratique nouvelle afin de la justifier a posteriori.
    M. Dominique Richard. Tout à fait !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. On attend du législateur bioéthique, non pas qu'il concilie tous les contraires, mais qu'il dise les limites, c'est-à-dire donne, avec humanité, un cadre permettant à la créativité et à la liberté de chacun de s'exprimer, dans le respect de l'intérêt collectif.
    M. Dominique Richard. Tout à fait !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Le souci du Gouvernement est d'assurer le fondement de la bioéthique. Trois choses me paraissent essentielles dans la manière dont le législateur doit concevoir son intervention sur ces sujets : premièrement, la place du droit par rapport à la morale et à la biologie ; deuxièmement, le souci de pacifier les débats et de permettre l'éducation et la participation de tous les citoyens ; troisièmement, la nécessité d'assurer une certaine stabilité aux principes.
    Sur le premier de ces points - la place du droit par rapport à la morale et à la biologie -, la tâche n'est pas évidente. Sur des sujets revendiqués depuis longtemps par les philosophes et les théologiens, qui demandent une bonne compréhension des enjeux scientifiques, quelle est la place du droit ? Je crois qu'elle a été définie avec beaucoup d'intelligence et d'efficacité. Sans craindre de faire naufrage au milieu des tempêtes déclenchées par les biotechnologies, sans craindre ce « cap Horn de la science juridique » qu'est la frontière de la morale et du droit, le législateur a assumé ses responsabilités, traçant, avec raison et intelligence, les limites de son intervention : ni de la philosophie ni de la science, mais du droit.
    Cette juste conception de sa fonction est particulièrement manifeste dans la manière dont le législateur parle de l'embryon humain. Il a édicté un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon, solennellement inscrit à l'article 16 du code civil, et sur la définition des atteintes qui peuvent lui être portées, mais il a renoncé à définir cet embryon. Ce faisant, le législateur s'est tenu à l'écart des querelles biologiques et philosophiques. Les données biologiques nous montrent que l'embryon est humain dès le début, et qu'il est un individu, c'est-à-dire un être organisé et doué d'une unicité, mais certains tâchent de trouver un moment qui marquerait l'apparition de l'humain dans cet être. Au plan philosophique, la question ontologique du début de la personne fait l'objet de controverses et il paraît impossible de résoudre la question de savoir si l'embryon est une personne. Mais si nous ne pouvons trancher la question de la nature de l'embryon, en revanche, sur le plan pratique, nous pouvons, et même devons, définir quelle doit être notre conduite à son égard. Le législateur doit se situer sur le plan du devoir-être à l'égard de l'embryon et non de son être.
    Ce choix, critiqué par certains au motif que c'est le statut qui doit imposer les limites et non le contraire, est à la fois juste et efficace. Il est juste, parce que la loi a non pas à qualifier les êtres humains, mais seulement à les constater et à les protéger. A défaut, la qualité d'être humain, comme celle de personne, serait non pas un droit mais une concession qui pourrait être accordée ou retirée selon les convictions ou l'humeur de la majorité du moment. Ce choix est efficace, parce qu'en ne déterminant pas ce qu'est l'embryon, mais en disant comment on doit le traiter, le droit a trouvé son espace propre par rapport à celui de l'éthique. Je crois donc que le législateur a très bien fait en renvoyant dos à dos les différents courants de pensée, en délaissant la question de la nature de l'embryon. Son devoir essentiel est de veiller à ce que la dignité soit protégée, d'éviter que la communauté humaine soit régie par la loi du plus fort.
    Deuxièmement, le législateur bioéthique doit aussi être guidé par le souci constant de l'éducation et de la participation de tous les citoyens. Cela signifie à mes yeux deux choses.
    Tout d'abord, afin que le choix éthique qui est fait, sur des questions aussi délicates que le don d'organes entre personnes vivantes ou la recherche sur l'embryon notamment, reflète au mieux les convictions morales de chaque citoyen, il faut poser le débat aussi purement que possible et ne pas s'abriter derrière des barrières langagières érigées pour les besoins de la recherche. Il faut aussi et surtout afficher clairement les partis que l'on prend et les évolutions que l'on consacre, ce à quoi le texte adopté en première lecture ne pouvait se résoudre, puisque c'est sans le dire qu'il permettait, par exemple, que des embryons fussent créés à des fins de recherche.
    Ce souci de clarté commande aussi de ne pas « techniciser » à outrance les problèmes afin de mettre à jour les questions fondamentales qu'ils posent. Je souhaite donc que scientifiques, juristes, politiques et médias s'attachent à ne pas occulter les difficultés par des querelles terminologiques, comme celle qui consiste à parler de morula ou de zygote quand il s'agit de désigner l'embryon du sens commun à un certain stade de son développement. Il y a toujours un mobile inavoué derrière les tours de passe-passe terminologiques : le désir d'esquiver un problème au lieu d'assumer la responsabilité de se confronter à lui.
    Mieux informés qu'hier des tenants et des aboutissants du débat bioéthique, notamment grâce au rôle éducatif qu'ont joué les lois de 1994, les citoyens seront particulièrement sensibles à ce que les sujets dont votre assemblée va débattre ne fassent pas l'objet d'une captation par les spécialistes. C'est à bon droit qu'ils nous reprocheraient de pratiquer des « euphémisations » déloyales et de perdre de vue la mesure et la gravité des enjeux que soulèvent les nouvelles techniques médicales.
    En troisième lieu, nous devons aujourd'hui consolider notre arsenal législatif, et assurer le fondement de la bioéthique. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité revenir sur l'inscription dans la loi du principe de sa révision à cinq ans. Ce principe se justifiait en 1994. C'était alors un signe de modestie de la part du législateur, qui s'attelait à une tâche largement inédite. Aujourd'hui, ce serait à mon sens un procédé ambigu et néfaste.
    Ambigu car dépourvu de toute valeur normative. Il ne contraint en rien le législateur et ne modifie pas la faculté dont dispose celui-ci de remettre la loi en chantier si cela se révèle nécessaire. Dans certains domaines, on voit bien que la clause de révision a, au contraire, pu constituer un frein à la prise de décision sur des questions appelant pourtant des décisions rapides. On nous disait qu'il suffisait de patienter, qu'il n'y avait qu'à attendre une révision toujours imminente et toujours repoussée. En sens inverse, cette idée de la révision à date fixe risque de pousser à aborder trop tôt des questions qui ne devraient pas se poser, soit que les enjeux scientifiques ne soient pas suffisamment clairs, soit que les implications n'aient pas été suffisamment débrouillées.
    Néfaste car le législateur n'a pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation à faire une oeuvre dont la date de péremption est annoncée par avance. Comment ne pas voir que c'est la solennité et la légitimité de la loi qui se trouvent malmenées ? Il est essentiel que les normes édictées en matière de bioéthique ne soient pas conçues d'emblée comme caduques. Elles n'ont pas vocation, dans une perspective instrumentale, à être sans cesse remodelées au gré de l'évolution des possibilités techniques. On ne réinvente pas l'éthique à chaque nouvelle découverte scientifique !
    J'en finis avec ces réflexions générales en vous faisant part de l'une de mes préoccupations : le débat bioéthique est désormais, du fait d'évolutions récentes, un débat international. Dans ce débat, la France doit oeuvrer afin de parvenir, sinon à une régulation commune encore utopique, du moins à une concertation aussi riche que possible au plan mondial. Or, elle fera entendre sa voix d'une manière d'autant plus convaincante qu'elle pourra s'appuyer sur un arsenal législatif interne amélioré et actualisé, adopté d'une manière aussi consensuelle que possible. Je souhaite en effet que, dès la promulgation de la loi de révision, nous ratifiions la convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 mars 1997, premier texte international ambitieux et contraignant en matière de bioéthique. Je souhaite aussi que nous poursuivions dans la voie engagée par l'initiative commune prise à l'automne 2001 par la France et l'Allemagne, afin que soit mise en chantier dans le cadre de l'ONU une convention interdisant le clonage à des fins de reproduction humaine, assortie de sanctions suffisamment dissuasives ainsi que de mesures de coopération policière et judiciaire propres à garantir l'effectivité de ces sanctions. Dans cette ligne, le Président de la République a demandé, le 14 octobre dernier, lors de l'assemblée générale de l'UNESCO, qu'une convention mondiale de bioéthique soit mise en chantier sous l'égide de cette institution. Les diverses réunions avec nos principaux partenaires internationaux doivent être autant d'occasions pour progresser vers la définition de positions communes en matière de biomédecine.
    J'en viens maintenant au nouveau texte sous l'aspect de son contenu, en commençant par les sujets qui posent le moins de difficultés, si l'on peut dire.
    Les greffes d'organes, tout d'abord. Voilà longtemps que nous nous préoccupons de ce sujet. Nous avons fait un choix, celui du consentement présumé, principe introduit en 1976 par la loi Caillavet qui, à l'épreuve du temps, s'affirme. En 1994, une impulsion nouvelle a été donnée à la greffe d'organe grâce à l'Etablissement français des greffes, dont je dois souligner le travail. Mais, malgré des initiatives intéressantes comme le plan 15-20 entrepris ces dernières années à l'instigation de Didier Houssin, nous restons largement en deçà de nos ambitions, parce que nous ne sommes pas parvenus à régler le problème de la pénurie d'organes à greffer. Le texte voté par le Sénat procède à une triple avancée.
    Il permet tout d'abord une extension, mais mesurée, du don d'organes entre vifs. Au regard des centaines de malades qui décèdent chaque année en France à cause du déficit de greffons, je crois qu'un effort s'impose pour élargir le cercle des donneurs vivants potentiels, notamment aux personnes en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune stable avec le receveur. Mais, s'agissant d'interventions lourdes, il ne faut pas non plus pécher par imprudence, comme le faisait le texte voté en première lecture en janvier 2002, en élargissant, à mon avis à l'excès, le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur. Comment, dès lors, s'assurer que les principes de libre consentement et de non-commercialité du corps ne soient pas bafoués ?
    Ensuite, le texte voté par le Sénat impose à la personne qui a la responsabilité d'assurer l'entretien et l'éducation d'un enfant d'obtenir le consentement de celui avec qui elle partage l'autorité parentale pour donner un de ses organes. Car si l'on ne peut qu'être touché par un geste de don qui procède d'un élan de générosité spontanée, il faut aussi savoir se rendre attentif aux risques encourus par les gens et, dans certaines circonstances, les protéger contre leur propre générosité.
    Enfin, ce texte renforce l'information sur le don cadavérique, et c'est là l'essentiel. En effet, le prélèvement sur les vivants pose toujours de graves difficultés et le don entre vifs doit absolument avoir un caractère subsidiaire par rapport au don cadavérique. N'oublions pas que certains pays comme l'Espagne arrivent à couvrir les besoins de la transplantation avec leurs seuls prélèvements cadavériques.
    Aussi, pour progresser dans cette voie, le texte issu du Sénat prévoit-il que toute personne, entre ses seize et ses vingt-cinq ans, doit être informée du but du don d'organes après le décès et du régime de consentement auquel il est soumis, c'est-à-dire de l'existence d'un registre automatique des refus. Il s'agit, vous le voyez, de rendre pleinement effectif le régime de consentement présumé des personnes décédées par une politique d'information plus active, qui doit rassurer les familles en deuil sur la connaissance qu'avait la personne disparue du régime du prélèvement d'organes. On sait bien que la loi ne requiert qu'un témoignage et non, à proprement parler, l'autorisation des familles. Toutefois, lorsque le médecin demande à la famille si elle sait si le défunt était ou non opposé au prélèvement, elle ne connaît le plus souvent pas la réponse et demande de ne rien faire. Même s'il en a le droit, dans ces conditions, le médecin ne prélève généralement pas.
    J'en viens à l'assistance médicale à la procréation. C'est à partir d'un bilan satisfaisant, tant du point de vue du débat public que de la progression des naissances par fécondation in vitro, qu'a été engagée la révision des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation. Au-delà de certains ajustements techniques, la petite loi votée en janvier 2002 par l'Assemblée nationale revenait toutefois sur l'un des choix du législateur de 1994 en autorisant le transfert d'embryon post mortem en cas de décès de l'homme. Cette possibilité a été supprimée par les sénateurs, au nom de leur souci, qui est d'ailleurs aussi celui du Gouvernement, que le développement des techniques d'assistance médicale à la procréation soit invariablement guidé par le respect de l'intérêt primordial de l'enfant, c'est-à-dire de son environnement affectif. La mise au monde consciente d'un orphelin, au nom du respect dû à la volonté du couple est, en effet, bien difficile à admettre au plan des principes. Elle est aussi impossible à organiser en pratique : il faut bouleverser le code civil pour régler la filiation et la situation patrimoniale de l'enfant qui pourrait venir au monde, et cela sans même parvenir à assurer que cet enfant sera traité comme n'importe quel autre. C'est la même inspiration qui a conduit à amender les textes afin que l'accès à l'assistance médicale à la procréation demeure subordonné, pour les couples non mariés, à la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, de sorte que seuls des couples stables se lancent dans l'aventure souvent difficile de la procréation assistée et que les embryons conçus artificiellement et congelés le soient dans le cadre d'un projet parental solide.
    J'en reviens au troisième point : la recherche sur l'embryon humain. Ce sujet très difficile nourrira vraisemblablement en chacun de nous une délicate délibération intérieure. A vrai dire, je vous ai déjà dit, pour une large part, ma réflexion sur la question. J'entends prendre pour fondement essentiel l'article 16 du code civil, qui prévoit que la loi « garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».
    Dire que ce principe est premier, c'est n'admettre que des atteintes lui soient portées qu'à la condition qu'elles soient nécessaires à la sauvegarde de principes jugés également essentiels.
    C'est bien cette ligne qui a inspiré le législateur jusqu'à aujourd'hui. Seules des exceptions précises et strictement encadrées permettent de porter atteinte à l'embryon : il en va ainsi de l'interruption volontaire de grossesse et, plus récemment, du diagnostic préimplantatoire. Le texte sur lequel vous allez vous prononcer reste dans cette logique d'exception par rapport à cet interdit fondateur qui nous enjoint le respect de l'embryon, pour moi intangible. La recherche sur l'embryon demeure interdite, mais, à titre dérogatoire, dans des conditions fort strictes et pour une durée limitée, il est permis que certaines recherches soient menées sur certains embryons.
    Cette position de principe rejoint le bon sens scientifique. Les techniques utilisant des cellules souches ont le potentiel de transformer des branches entières de la médecine. Mais il faut raison garder, non par goût pour le scepticisme, mais parce que je crois qu'un certain nombre de faux espoirs peuvent avoir été donnés à nos concitoyens.
    En effet, on a eu tendance, sur ce sujet - et les dernières publications de la presse scientifique en attestent -, à accélérer la vitesse possible du progrès. Les perspectives thérapeutiques liées à l'utilisation des cellules souches embryonnaires ne sont encore qu'un pari qui n'a pas commencé d'être validé. Il faudra des années, au mieux, pour que des applications cliniques puissent être envisagées. Que l'on songe d'ailleurs au génie génétique, apparu au début des années 70, qui n'en est qu'à ses balbutiements thérapeutiques ! Que l'on songe que la thérapie génique n'en est encore qu'à ses prémices ! Reconnaissons qu'il n'y a pas de retombées thérapeutiques immédiates, que nous sommes seulement engagés sur une longue route qui, pour le moment, repose sur un concept judicieux, logique, cohérent sur le plan scientifique mais qui n'a pas commencé à produire le moindre début de preuve, pas même, de façon fiable, sur les modèles animaux.
    Par ailleurs, et c'est essentiel, des cellules souches existent aussi dans les tissus adultes. Des travaux récents ont mis en évidence le fort potentiel régénératif de ces cellules et leur grande plasticité. Encore qu'elles apparaissent moins plastiques qu'on avait pu l'imaginer.
    Je souhaite que la France se distingue par un engagement massif dans la recherche sur les cellules souches adultes. Des appels d'offres pour favoriser tant la recherche cognitive que la recherche clinique sur les cellules souches tissulaires sont, à cette fin, lancés conjointement par mon ministère et par celui de la recherche.
    Mesdames et messieurs les députés, j'ai longtemps espéré que l'on pourrait faire l'économie de la recherche sur les cellules issues d'embryons. Mais la réalité des exigences de la recherche, j'en ai été convaincu, impose qu'on l'autorise dans certaines conditions.
    Mme Christine Boutin. Dommage !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Il apparaît indispensable de mener de front, pendant quelques années au moins, des recherches parallèles, simultanées sur les cellules embryonnaires et sur des cellules souches adultes, afin de comparer leurs potentialités mais aussi leur innocuité pour l'homme.
    Je ne souhaite pas pour autant masquer que cela représente un bouleversement ontologique.
    Mme Christine Boutin. C'est vrai !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Aussi la levée de l'interdiction posée en 1994 par le législateur ne va-t-elle pas de soi...
    Mme Christine Boutin. Non !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... et doit-elle, si elle est confirmée, être assortie de conditions très précises.
    Le but de ces recherches est précisément défini, ce qui n'était pas le cas dans le texte précédent. Ce but est double.
    La recherche sur l'embryon est avant tout une recherche pour l'embryon, pour permettre à l'embryon d'entrer dans le champ de la médecine. Or, cette progression de la médecine vers les tout premiers stades de la vie ne pourra à l'évidence se réaliser sans l'aide de la recherche.
    Nous sommes, à cet égard, dans une situation d'urgence. On ne peut en effet qu'être préoccupé du fort décalage entre les progrès réalisés pour diagnostiquer les problèmes du foetus et, plus récemment, de l'embryon, et les moyens dont on dispose pour les traiter. Le biais qui en résulte en faveur de l'élimination plutôt que du traitement alimente un discours récurrent mais aussi, peut-être, de moins en moins irréaliste, sur le tri eugénique des êtres humains et sur la décence ou l'acceptabilité plus grandes de ces pratiques, devenues plus indolores. Pour éviter cette dérivre, on ne peut que tout mettre en oeuvre pour faire accéder le foetus et l'embryon au statut de patient.
    Un seul autre but doit être assigné à la recherche sur l'embryon : celui d'évaluer les perspectives thérapeutiques apparemment très prometteuses liées à l'utilisation de cellules souches embryonnaires. Comme je l'ai dit, la route sera certainement fort longue jusqu'à la validation thérapeuthique, mais il faut se mettre en ordre de marche.
    Dans ce même temps, nous devons privilégier la recherche sur les cellules souches adultes et explorer d'autres voies, comme celle des cellules de sang du cordon ombilical.
    Mais ces recherches doivent être strictement encadrées. C'est pourquoi le texte prévoit que seuls pourront être affectés à la recherche les embryons in vitro conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation dont les parents ne veulent pas demander le transfert et qui n'auront pas été donnés à un autre couple. Toute recherche sur l'embryon humain ne sera soumise à autorisation qu'après une évaluation scientifique et éthique de son protocole.
    Enfin, l'ouverture de la recherche sur l'embryon a un caractère transitoire : son bien-fondé sera, lui, réexaminé dans cinq ans, parce que c'est un rendez-vous non pas législatif mais scientifique et qu'il n'est pas exclu que les progrès de la science conduisent à vider le débat de son contenu ou du moins à en atténuer la vivacité. En bref, le Gouvernement et le Sénat ont souhaité ouvrir une « fenêtre d'action » strictement délimitée en respectant les principes et le souci d'équilibre qui inspirent la législation actuelle.
    C'est pourquoi le Gouvernement reste très attaché à ce que la création d'embryons humains à des fins de recherche demeure fermement exclue et sévèrement sanctionnée : elle est d'ailleurs contraire à l'article 18 de la convention d'Oviedo. C'est pourquoi la possibilité, introduite par amendement en janvier 2002, de créer des embryons pour les besoins de la recherche en procréation assistée, pudiquement masquée sous le nom d'« évaluation des techniques d'assistance médicale à la procréation », a été supprimée.
    Quant au clonage dit thérapeutique, déjà interdit en première lecture à l'Assemblée nationale - je me souviens très bien du débat -, je me bornerai à vous rappeler qu'il nous expose à deux dangers majeurs : le risque de contournement de l'interdiction de faire naître un enfant cloné, à partir du moment où la première étape peut être réalisée, et la nécessité d'obtenir en grand nombre des ovocytes prélevés chez les femmes après un traitement fort lourd et, à n'en pas douter, des tractations financières peu compatibles avec le principe de non-commercialité du corps humain, inscrit dans le code civil.
    J'ajoute que l'on peut y voir une forme de création d'embryons à des fins de recherche, contraire à nos engagements internationaux. Le Sénat a donc confirmé, sur ce sujet, le choix initial de l'Assemblée nationale.
    J'en finis sur ce point en vous disant que le Gouvernement vous proposera d'adopter un dispositif transitoire permettant, sans dérogation aucune aux garanties fixées par le projet de loi, que des recherches soient menées, dès la promulgation de la loi, sur des lignées cellulaires importées. Ainsi, sans attendre la mise en place de l'Agence de la biomédecine, les quelques équipes de recherche françaises qui attendent depuis des années ces dispositions pourront engager leurs travaux.
    J'en viens au clonage. Le Gouvernement et les sénateurs ont souhaité, vous le savez, que l'interdiction du clonage d'embryons humains à des fins de reproduction soit assortie d'une sanction à la hauteur de l'enjeu, qui fasse référence à ce qu'il s'agit de garantir, à savoir la dignité de l'homme et la survie de l'espèce.
    On peut certes condamner la pratique du clonage comme totalement irresponsable du point de vue scientifique : elle bafoue les principes les plus élémentaires de la déontologie en matière de recherche, puisqu'elle tendrait à créer sciemment un être qui aurait toutes les chances soit de mourir prématurément, soit d'être atteint de diverses malformations.
    Mais l'objection essentielle au clonage, c'est-à-dire au photocopiage génétique, est d'ordre éthique : nous ne pouvons pas accepter de programmer un être humain comme un objet fabriqué en fonction d'une commande. Il s'agirait alors de le transformer en un objet calculable, manipulable et prédéterminé dans toutes ses caractéristiques physiques, quand la personne, subtil mélange de hasard et de choix, est une et libre, grâce à la part d'indétermination dont elle procède. Il s'agirait enfin et surtout, par le clonage, d'annuler l'altérité naturelle qui constitue le support biologique de la personne.
    Quelles que soient les motivations que l'on peut prêter aux partisans du clonage reproductif, et sans se laisser aller à nourrir des fantasmes, aucune des hypothèses ne semble pouvoir être sauvée. Il est impossible, dans tous les cas, de souhaiter être cet enfant-là. Cela ne signifie aucunement, comprenez-moi bien, que sa dignité ne serait pas la même que celle de tout autre individu. La dignité est liée, selon moi, à l'existence et non à une certaine qualité de vie ; elle est un attribut ontologique de la personne et ne varie pas au gré des circonstances de l'existence.
    Mme Christine Boutin. Absolument !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Cela n'empêche pas que l'on doit élever une digue aussi solide que possible pour se garder d'une telle éventualité.
    Aussi le projet de loi qui vous est soumis s'inscrit-il fermement contre cet arbitrage despotique, en rappelant que le propre de toute personne est d'être indéterminable. Il réprime fermement toute tentative de reproduction par clonage, qui fait l'objet d'une nouvelle incrimination, baptisée « crime contre l'espèce humaine », qui vise aussi les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes, incrimination assortie d'une peine que les sénateurs ont portée à trente ans de prison et dont la prescription peut être suspendue.
    Enfin, j'aborderai la question de la rationalisation du cadre institutionnel par la création de l'Agence de la biomédecine. Plutôt que de donner naissance à une agence de plus, dans un panorama, déjà complexe, dont il est temps d'engager la rationalisation - il existe déjà huit agences compétentes en matière de santé publique -, le Gouvernement a souhaité que soient regroupées les activités de l'organisme compétent en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaine voulu par le gouvernement précédent et celles de l'Etablissement français des greffes. La proximité des questions scientifiques et la parenté des questions éthiques traitées par l'une et l'autre légitiment cette formule.
    Les missions et pouvoirs de la nouvelle Agence de la biomédecine ont été définis de manière plus ambitieuse et plus précise. Son architecture a été revue et clarifiée. Sur tel et tel point, toutefois, des améliorations sont certainement possibles ; je compte sur le travail parlementaire pour les apporter.
    Ma perspective, sur la question des structures, va au-delà : je trouve que la prolifération des agences finit par gêner la visibilité de notre politique de santé, d'autant que, sur certains points, leurs compétences respectives s'enchevêtrent. Je souhaite donc aller aussi rapidement que possible vers une agence de la biomédecine et des produits de santé couvrant cinq départements dédiés respectivement aux médicaments et dispositifs médicaux, au sang, aux organes et aux tissus, à l'assistance médicale à la procréation, à la médecine embryonnaire et foetale, et à la génétique humaine. Cette grande agence intégrerait donc l'actuelle AFSSAPS, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ce qui permettrait d'éviter de tracer des frontières sinueuses et souvent artificielles entre des activités proches.
    Je terminerai mon intervention en abordant un sujet difficile : la brevetabilité des gènes humains.
    Au moment où des dizaines de milliers de brevets revendiquant des séquences de gènes étaient déposés, la France a porté au niveau international le message qu'une telle appropriation, contraire aux principes de notre code civil, était éthiquement inacceptable et pouvait avoir un effet négatif sur l'efficacité tant de la recherche fondamentale que de l'innovation pharmaceutique.
    L'esprit et la lettre de la loi française et ceux de la directive européenne 98/44/CE sont incompatibles. La première exclut les gènes de la brevetabilité, la seconde les y inclut en assimilant leur connaissance à l'invention d'une molécule chimique. Elle permet ainsi la prise de droits sur l'utilisation d'éléments du monde naturel. Mais cette directive a été adoptée, sans que le gouvernement français ne s'y oppose, et elle s'impose désormais à nous.
    Aujourd'hui, comme le mentionne un récent rapport de l'INSERM, de nombreux analystes s'interrogent sur les conséquences de la multiplication des brevets sur les gènes, y compris pour les biotechnologies. L'information génétique pourrait, en raison de son unicité, être sous-utilisée parce que les détenteurs de brevets sur les séquences seraient en mesure de s'en interdire mutuellement l'accès.
    Ainsi, outre les problèmes éthiques soulevés par ce qui peut apparaître comme une appropriation du génome humain, la multiplication de brevets concurrents portant sur des résultats de plus en plus fondamentaux et fragmentaires, la confusion entre découverte et invention, risquent de bloquer le développement des produits de santé en aval. Le temps et l'argent dépensés à négocier avec tous les détenteurs de brevets pèsent et pèseront de plus en plus lourdement sur l'efficacité de la recherche, tant académique que pharmaceutique et clinique.
    Un équilibre entre critères économiques, exigences académiques, besoins de santé publique et respect de principes éthiques me semble pouvoir être trouvé, mais il impose que ne soit pas bloqué l'accès à la connaissance des séquences génétiques.
    C'est ce que votre assemblée avait voulu éviter en ajoutant au projet de loi un article 12 bis disposant : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable. » Cette rédaction est évidemment en parfaite phase avec mes convictions. Toutefois, elle ne pourra trouver à s'appliquer dès lors qu'elle est directement contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive, qui, non transposées dans les délais, sont désormais directement applicables en droit interne.
    Aussi nous faut-il, pour sortir enfin de cette impasse, trouver une formule qui préserve nos principes tout en constituant une interprétation de la directive que l'on pourrait ensuite plaider auprès de la Commission européenne.
    Le texte voté au Sénat entend sortir de l'impasse en proposant une formule qui préserve nos principes tout en constituant une interprétation de la directive. Ne rien faire serait en effet la pire des attitudes et la plus irresponsable dans la mesure où cette directive est désormais directement applicable dans l'ordre juridique interne.
    La formulation proposée n'assure pas une transposition de la directive qui serait inattaquable mais, « mixant » les deuxième et troisième alinéas de l'article 5 de la directive, elle est défendable. Elle signifie que le gène, toujours breveté « en tant que », c'est-à-dire par son lien avec une application scientifique ou thérapeutique particulière, n'est jamais réellement couvert par le brevet. Le brevet de méthode nomme le gène, le mentionne formellement, mais n'étend pas en pratique sa protection à celui-ci, qui reste disponible.
    Voilà les sujets sur lesquels nous allons avoir à discuter au cours des jours à venir. Je voudrais, avant de conclure, avoir quelques mots pour tous ceux qui ont largement contribué à faire avancer ce débat. Ceux qui, dans la majorité de 1992, ont porté ce projet en première lecture à l'Assemblée nationale. Puis ceux qui, en 1994, ont à leur tour repris le texte pour le conduire à son terme. Enfin, ceux qui, comme Alain Clayes, que je veux saluer pour la qualité du travail accompli, ainsi que le député Schwartzenberg, ont contribué au débat qui a eu lieu en janvier 2002, et qu'il nous appartient aujourd'hui de poursuivre.
    Il me semble, et je l'avais dit, qu'il était utile que tous puissent s'exprimer et faire valoir leur point de vue. Je souhaite qu'avec toutes les avancées qui ont été faites, d'un côté et de l'autre, nous arrivions à des solutions aussi proches que possible les unes et des autres.
    En conclusion, si on me demandait de résumer d'un seul mot la disposition d'esprit fondamentale qui doit, selon moi, présider à l'élaboration des nouvelles lois de bioéthique, j'utiliserais celui de prudence. Entendons-nous bien : la prudence n'est pas l'inverse de l'audace et de la prise de risque. On peut prendre des risques au nom de la prudence : c'est ce que fait, par exemple, l'automobiliste qui franchit la ligne blanche en plein virage pour éviter de percuter un cycliste défaillant. La prudence ne s'oppose pas à la prise de risque, mais à la démesure.
    Etre prudent, c'est résister à la tentation de la démesure : nous pouvons y parvenir si, comme nous y invitait déjà Aristote en son temps, nous cherchons ensemble un point d'équilibre entre deux manières de s'égarer, l'une par excès, l'autre par défaut. Etre prudent consiste à viser un juste milieu entre deux extrêmes opposés, ou - pour reprendre une métaphore utilisée par ce philosophe - « une ligne de crête entre deux abîmes ».
    Parce que nous vivons une époque où se profile le spectre de la manipulation de l'homme pas sa marchandisation, sa sélection prénatale et même sa fabrication programmée, la prudence s'impose comme le repère le plus assuré de l'éthique et du droit. Les avancées spectaculaires de notre science, ébranlée par la double menace du dévoiement et du fourvoiement, ont fait naître autant d'angoisses que de fantasmes dans la conscience de nos concitoyens. Il me semble donc qu'il nous faut répondre de façon rationnelle et raisonnable, en restant animés par le souci, lorsque nous sommes en situation d'incertitude, d'explorer tous les possibles, d'anticiper tous les scénarios imaginables.
    Mesdames et messieurs les députés, ce débat est grave, et fait sans doute partie de ceux qui marquent la vie parlementaire, car, nous le voyons bien, c'est de notre humanité qu'il s'agit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, allons au fait : les six questions majeures abordées par le projet de loi sont la création de l'Agence de la biomédecine, la modification du droit relatif aux greffes d'organes, les conditions de la brevetabilité du vivant, les modifications apportées au régime juridique de l'assistance médicale à la procréation, les possiblités de recherche sur les embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental, et l'interdiction du clonage.
    C'est à un amendement du Gouvernement adopté par le Sénat que l'on doit la création de l'agence de biomédecine. Il s'agit de constituer un nouvel établissement public de l'Etat se substituant à l'Etablissement français des greffes ainsi qu'à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, en reprenant les missions proposées par l'Assemblée nationale en première lecture. Cette nouvelle agence sanitaire, qui sera placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé, est une initiative tout à fait cohérente avec la politique de simplification administrative engagée par l'actuelle majorité.
    C'est pourquoi notre commission propose de consolider son rôle en lui confiant, notamment, le soin : de promouvoir une démarche d'amélioration de la qualité et de la sécurité sanitaire, et d'incitation à la recherche scientifique dans les domaines de la greffe et de la reproduction et, par conséquent, d'autoriser les protocoles d'essais cliniques ; de mettre en oeuvre un suivi de l'état de santé des donneurs d'organes et d'ovocytes ; de rendre compte dans son rapport public annuel des éventuels trafics d'organes.
    En ce qui concerne le don et la greffe d'organes, le projet de loi constitue une réelle avancée : la présomption du consentement est généralisée ; la gratuité du don est pleinement appliquée, le projet de loi prévoyant que les frais de donneurs sont intégralement pris en charge ; les règles de sécurité sanitaire sont renforcées avec l'obligation de tests de dépistage ; le principe de la balance bénéfice-risque est introduit, la greffe ne pouvant avoir lieu que si le bénéfice escompté est supérieur au risque encouru par le receveur.
    Dès 2001, Jean-Michel Dubernard avait appelé l'attention sur la pénurie d'organes. Alors que plus de 6 000 personnes étaient candidates à une greffe, plus de deux cents patients inscrits sur la liste d'attente décédaient chaque année. C'est pourquoi notre commission a adopté l'un de mes amendements faisant du prélèvement et du don d'organes une priorité nationale. Demain, le président de l'Assemblée nationale présidera une cérémonie en l'honneur des donneurs et l'on plantera à l'hôtel de Lassay, pour montrer l'engagement de l'Assemblée nationale, un arbre à la mémoire des donneurs.
    La rareté des greffons tient avant tout à la rareté de l'état de mort encéphalique. Ces décès proviennent d'accidents vasculaires cérébraux, de suicides et d'accidents de la circulation, lesquels, grâce à l'action du Gouvernement, sont heureusement en diminution. A cela s'ajoute l'incapacité de certains hôpitaux à dépister ou à identifier la mort cérébrale. En France, près de 50 % des morts encéphaliques ne donnent pas lieu à prélèvement, malgré la règle du consentement présumé.
    Face à cette situation, on peut s'interroger sur l'intérêt du recours à des donneurs vivants. M. le ministre en a parlé, M. Dubernard en reparlera. En France, ce type de don concerne aujourd'hui 5 % des greffes de rein et de foie, et 2 % des greffes de poumon. Cependant, son attrait est tempéré par les risques de mortalité encourus par le donneur : on déplore ainsi 1 % de morts pour les donneurs de foie. Par ailleurs, le retentissement psychologique sur le donneur vivant constitue un réel obstacle. Souvent victime de pressions familiales importantes, celui-ci voit son statut basculer de celui de sujet à celui d'objet, jusqu'à devenir presque un réservoir d'organes. Aussi cette pratique doit-elle être encadrée. En tout cas, il n'est absolument pas envisageable qu'elle puisse pallier la pénurie actuelle de greffons. Les amendements proposés vont donc dans le sens de la promotion du don cadavérique dont proviennent aujourd'hui 95 % des organes.
    Premièrement, le régime du consentement présumé doit être renforcé. En dehors des personnes inscrites sur le registre national des refus, toute personne est présumée consentante au don d'organe. Depuis la création de ce registre, il n'y a eu que deux cas de prélèvement non effectué pour cette raison.
    Deuxièmement, les médecins ayant procédé à un prélèvement sur une personne décédée doivent s'assurer de la restauration décente du corps. C'est un impératif évident vis-à-vis des proches, mais aussi pour les personnels des centres de prélèvements.
    Troisièment, le projet propose que le prélèvement soit considéré comme une activité médicale pleine et entière. Un amendement très important du Gouvernement tend d'ailleurs à intégrer le prélèvement dans les missions de service public des établissments de santé. Il s'agit de transformer l'autorisation de prélèvement en obligation de service public. A cet égard, je me souviens très bien que René Couanau s'est félicité de cette évolution au nom de la commission.
    En ce qui concerne le don du vivant, le Sénat a élargi le cercle des donneurs potentiels aux parents du deuxième degré et à la personne apportant la preuve de deux ans de vie commune avec le receveur. Jean-Michel Dubernard et moi-même souhaitons ajouter une garantie supplémentaire en prévoyant la saisine systématique du comité d'experts pour le cercle familial, à l'exception du père ou de la mère du receveur. Pour ces derniers, en effet, le don d'organes paraît aller de soi.
    M. Yves Bur. Prudence !
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. En ce qui concerne la brevetabilité du génome humain, Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, a proposé des modifications techniques qu'elle a peaufinées avec son art de juriste.
    Pour l'assistance médicale à la procréation - l'AMP -, une attention toute particulière doit être portée à ce qu'il est convenu d'appeler l'AMP-vigilance, c'est-à-dire le dispositif permettant de prendre en considération le devenir des enfants conçus selon les différentes techniques. Le suivi médical de ces enfants mérite d'être renforcé.
    Il convient également de clarifier dans la loi les cas dans lesquels il doit être mis fin aux activités de l'AMP.
    Dans le but de permettre à un maximum de personnes de pouvoir réaliser ultérieurement leur projet parental, il faut aussi élargir la possibilité de recueillir et de conserver des gamètes non seulement aux cas où la personne subit un traitement médical susceptible d'altérer sa fertilité, mais également à ceux dans lesquels la fertilité de la personne est prématurément altérée.
    Reste la question de ce qu'il est convenu d'appeler le bébé médicament.
    A ce propos je dis tout net que l'on ne peut faire un enfant comme on fabrique un médicament.
    Mme Christine Boutin. Ah bon ?
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. Oui, madame Boutin !
    Il ne saurait non plus être question de recourir à la procréation assistée pour le seul intérêt thérapeutique d'autrui.
    M. Yves Bur. Très bien !
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. Il en est tout autrement du bébé de l'espoir, espoir double d'ailleurs : espoir d'abord pour des parents qui ont un enfant menacé de mort par une maladie génétique incurable, d'avoir un autre enfant indemne grâce à la procréation assistée avec diagnostic préimplantatoire, comme cela est aujourd'hui permis ; espoir ensuite de pouvoir, à la naissance de cet enfant indemne, prélever dans son cordon des cellules providentielles susceptibles de sauver l'aîné car on s'est assuré de leur compatibilité, grâce à une extension du diagnostic préimplantatoire. Cela n'est pas permis aujourd'hui.
    Mme Christine Boutin. Permettons !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Très belle démonstration, monsieur le rapporteur !
    Mme Christine Boutin. C'est évident !
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. Monsieur le ministre, c'est vraiment au terme d'une très longue réflexion que je propose de confier à l'Agence de biomédecine une expériementation thérapeutique, dans des conditions scientifiques indiscutables, avec mission de produire, dès que possible, un rapport d'évaluation.
    En matière de recherche sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, le principe est que la recherche sur l'embryon est interdite, seules des dérogations, très encadrées, étant prévues. Il est faux de prétendre que cette démarche témoigne d'une quelconque attitude de méfiance du politique envers les chercheurs et le monde scientifique. Il est en effet indéniable qu'il faut encadrer de façon stricte des recherches qui, en l'absence de toute limitation, poseraient inévitablement des problèmes éthiques graves.
    Toutefois, le principe de limiter la recherche aux seuls embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental à la date de promulgation de la loi n'a pas été retenu par notre commission. D'un point de vue éthique, on voit mal pourquoi le fait de conduire des recherches sur les futurs embryons surnuméraires soulèverait des problèmes que ne poserait pas le fait d'en mener sur des embryons surnuméraires existant au moment de la promulgation de la loi.
    D'après de nombreux chercheurs que j'ai interrogés, les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont prometteuses et elles méritent d'être soutenues de façon déterminée, à l'instar de celles sur les cellules souches adultes. Il s'agit, en effet, de deux voies de recherche qui doivent être menées parallèlement, avec la même volonté de faire progresser l'état des connaissances scientifiques et médicales.
    Enfin, le clonage est interdit par l'article 15 du projet. On connaît l'engagement du Président de la République en faveur de l'élaboration d'une convention visant à réprimer le clonage reproductif au niveau international. L'incrimination de crime contre l'espèce humaine a été retenue pour en signifier le caractère monstrueux.
    Le clonage thérapeutique a une finalité tout autre et suscite, il faut le dire, beaucoup d'intérêt chez les scientifiques et beaucoup d'attente dans les associations de malades.
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. Néanmoins, d'après les données actuellement disponibles, il est prématuré de passer à l'expérimentation humaine pour deux raisons : parce que l'expérimentation animale n'est pas concluante et doit donc être poursuivie ; parce que le risque de dérive vers le clonage reproductif est aujourd'hui incontrôlable.
    Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un rapide survol du gros travail accompli par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. René Couanau. Très rigoureux et très clair !
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. Cette dernière a cherché l'équilibre entre la protection des droits individuels et la satisfaction des intérêts collectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, en tant que rapporteure pour avis de la commission des lois, il m'est revenu d'examiner plusieurs questions juridiques, mais, compte tenu de la complexité de ces questions et du temps qui m'est imparti, je n'évoquerai devant vous que les deux principales.
    La première concerne la création d'une nouvelle incrimination pénale, celle des crimes contre l'espèce humaine, sanctionnant le clonage reproductif et les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes.
    En première lecture à l'Assemblée nationale, sous le gouvernement précédent, le clonage reproductif et les pratiques eugéniques avaient été traités comme des crimes ordinaires, si l'on ose dire. Cependant, l'an dernier, les déclarations d'un médecin italien, le docteur Antinori, et l'annonce par la secte Raël de la naissance d'un enfant présenté comme le premier être humain conçu par clonage ont suscité une stupeur collective. Le tabou absolu de la reproduction à l'identique d'une personne humaine avait-il été transgressé ? Confronté à ce choc, le Gouvernement a proposé au Sénat de solenniser la condamnation du clonage reproductif, pour éviter la banalisation de cette technique que recherchaient, à l'évidence, certains scientifiques jouant les apprentis sorciers.
    Le Sénat a donc créé la nouvelle incrimination de crime contre l'espèce humaine pour punir les dérives eugéniques et le clonage reproductif. Elle est assortie de sanctions lourdes : trente ans de réclusion criminelle et réclusion à perpétuité lorsque ces crimes sont commis en bande organisée. Par ailleurs, un régime de prescription spécifique a été fixé : trente ans courant à compter de la majorité de l'enfant né sous clonage. Enfin, les criminels peuvent être poursuivis même si le clonage a été commis hors de France.
    Un débat sémantique a eu lieu en raison du caractère biologique de l'expression « espèce humaine ». Certains préféraient, pour qualifier le clonage, la notion de crime contre le genre humain, mais l'expression reste un peu abstraite. Quant à la qualification de crime contre l'humanité, qui paraissait particulièrement appropriée, elle n'a pas pu être retenue. En effet, le crime contre l'humanité est strictement défini par des conventions internationales et la France ne peut pas, unilatéralement, modifier cette définition.
    Au-delà, sur le fond, la création de cette nouvelle incrimination soulève plusieurs interrogations.
    D'abord, notre droit pénal, issu de la tradition judéo-chrétienne du « tu ne tueras point », a toujours fait du meurtre le premier des crimes. Cette logique n'a pas été remise en cause par la reconnaissance des crimes contre l'humanité, qui ne sont rien d'autres que des séries de meurtres commis dans une logique de destruction d'un peuple. En revanche, cloner, n'est-ce pas donner la vie à une personne ? Cela peut-il être plus grave que de la lui retirer ? N'a-t-on pas créé cette nouvelle incrimination sous le coup de l'émotion ? Se justifie-t-elle vraiment ? Ne devrions-nous pas être plus prudents, ne serait-ce qu'en pensant à l'enfant issu d'un éventuel clonage, qui serait une personne à part entière et risquerait d'être stigmatisé comme un être monstrueux s'il était issu d'un crime contre l'espèce humaine ?
    Après avoir auditionné de nombreux experts, discuté et débattu en commission de ce sujet, il nous a toutefois semblé que la démarche du Gouvernement, approuvée par le Sénat, était légitime et appropriée à la gravité de la situation. En clonant une personne, les scientifiques brisent, en effet, l'interdit suprême. Ils enfreignent la première des lois de la nature, selon laquelle l'enfant naît de la rencontre, avec une part de hasard, d'un homme et d'une femme. Ainsi, chaque être humain, mélange aléatoire des gènes, est unique. Le clonage, en reproduisant à l'identique une personne, prédétermine un enfant. Il lui enlève l'essence même de son identité.
    C'est pour cela qu'il n'est pas exagéré de qualifier le clonage de crime contre l'espèce humaine. C'est pour cela aussi qu'il est nécessaire que la France, désormais avec l'Allemagne, poursuive son combat pour une condamnation universelle du clonage reproductif. Mêler à ce débat la condamnation du clonage thérapeutique, qui n'est pas du tout de même nature et qui ne fait pas consensus au plan international, comme le font notamment les Etats-Unis, est une erreur. Cela retarde le travail de l'ONU et fait craindre qu'un jour l'impensable puisse se produire.
    Mme Christine Boutin. Je ne suis pas de cet avis !
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis. Dans ce combat, nous comptons sur votre détermination sans faille, monsieur le ministre.
    Je veux évoquer ensuite la question de la brevetabilité du génome humain.
    Derrière une unanimité de façade, la question est redoutablement difficile. En effet, entre la dignité de la personne humaine qui interdit de breveter les gènes et la nécessité de faire progresser la recherche en santé publique, en tenant compte des intérêts de l'industrie des biotechnologies, un équilibre est à construite, non seulement sur le plan national, mais également au niveau européen.
    Il vous appartient aujourd'hui de transposer l'article 5 de la directive européenne du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, dont le premier paragraphe dispose que la découverte d'un gène n'est pas une invention brevetable. Toutefois, il précise, dans le paragraphe suivant, qu'un élément isolé du corps humain, ou autrement produit par un procédé technique, y compris une séquence, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel.
    Ainsi, malgré l'affirmation claire de la différence entre découverte, non brevetable, et invention, brevetable, cet article est jugé ambigu, c'est le moins que l'on puisse dire. Saisie d'un recours en annulation par les Pays-Bas, la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt du 9 octobre 2001, a précisé que « s'agissant du respect dû à la dignité humaine, il est en principe assuré par l'article 5, paragraphe 1, de la directive, qui interdit que le corps humain [...] puisse constituer une invention brevetable ». Puis il indique que « seules peuvent faire l'objet d'une demande de brevet les inventions qui associent un élément naturel à un procédé technique permettant de l'isoler ou de le produire en vue d'une application industrielle ».
    Alors que l'Assemblée nationale avait adopté, en première lecture, un amendement prenant le contre-pied de la directive puisqu'il affirmait sans nuance l'interdiction de tout brevet, le Sénat s'est efforcé de réaliser un compromis entre la réaffirmation du principe de non-brevetabilité du génome humain et la délivrance de brevets, essentielle au développement des industries biotechnologiques. La nouvelle rédaction que nous vous proposerons d'adopter reprend ainsi le premier paragraphe de l'article 5 de la directive et précise ensuite qu'une « application technique particulière d'une fonction d'un élément du corps humain » peut être protégée par un brevet.
    Cette rédaction paraît compatible avec l'esprit de la directive, mais elle est plus précise et plus encadrée, car elle fait référence à la fonction d'un élément du corps humain qui n'apparaît pas dans le texte européen. Elle concourt ainsi à garantir à la fois le libre accès à la connaissance scientifique et le développement de la recherche, tout en protégeant le génome humain de toute appropriation privée.
    Le choix de cette rédaction laisse enfin ouverte la possibilité d'une renégociation de la directive dans un sens totalement conforme aux principes du droit français, laquelle paraît souhaitable. En effet, moins de la moitié des Etats membres ont aujourd'hui ratifié la directive et, parmi eux, seul le Royaume-Uni l'a fait sans états d'âme.
    Pour toutes ces raisons, je donne un avis favorable au projet de loi qui vous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Dubernard,  président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociale. Monsieur le président, monsieur le ministre, la bioéthique n'est pas figée, elle évolue lentement sous l'effet des progrès scientifiques, confrontée aux dimensions culturelles, voire religieuses, d'une société. Cette confrontation, cette réflexion permanente, pondérées par les incertitudes philosophiques, explique une lente évolution, frappée parfois de fluctuations, reflets de nos doutes. Ce sont eux qui justifient la révision législative quinquennale inscrite dans la loi de bioéthique de 1994, une révision à laquelle la commission est très attachée, même si elle a pris quatre ans de retard.
    Mais réviser, pourquoi et dans quelle direction ? S'agit-il d'une réflexion purement philosophique ? S'agit-il d'un débat sous-tendu par des pratiques thérapeutiques chaque jour plus audacieuses et qui se heurtent à des habitudes culturelles peu évolutives en raison d'une éducation déficiente dans ces domaines ?
    C'est à cette deuxième interprétation que je souhaite consacrer cette intervention.
    L'inviolabilité du corps humain, sa non-patrimonialité sont des concepts solidement ancrés dans notre culture et inscrits dans la loi. On conçoit, dans ces conditions, que l'utilisation du corps initialement à des fins scientifiques - dissection anatomique, autopsie -, aujourd'hui à visées thérapeutiques - utilisation des organes ou des tissus - soit depuis longtemps sujette à débat, voire à controverse.
    Mais la définition de la mort elle-même, préalable indispensable à toute utilisation du cadavre, est encore l'objet d'inquiétudes. Elle comporte en effet de nombreuses facettes scientifiques, certes, probablement les plus simples, mais également philosophiques, culturelles et religieuses. Le fantasme d'être enterré vivant hante depuis toujours les individus. Relié à l'autopsie et au prélèvement d'organes, il a inspiré des textes nombreux. En 1886, La Valette, alors ministre de l'intérieur, impose des délais entre le constat du décès et toute autopsie ou opération de prélèvement de tissu. Le décret de décembre 1941 ira jusqu'à imposer un délai de vingt-quatre heures entre la déclaration de la mort et tout prélèvement. Ce décret fut annulé par un autre décret d'octobre 1947 qui supprima la notion de délai, prévoyant même la possibilité de réaliser un prélèvement sans délai, même en l'absence d'autorisation de la famille, si un intérêt scientifique ou thérapeutique le nécessitait. Par prudence cependant, le même décret stipulait que ces prélèvements ne pourraient se faire que dans les établissements figurant sur une liste établie par le ministère de la santé, et à condition que des règles précises concernant le constat de décès soient observées. La circulaire dite Jeanneney introduisit en 1958 le concept de coma dépassé, dont le constat s'appuie sur l'existence de preuves concordantes de l'irréversibilité de lésions encéphaliques incompatibles avec la vie. Depuis, on ne meurt plus par arrêt du coeur, mais bien par destruction cérébrale. Ces difficultés apparentes à définir la mort ne sont pas seulement celles des médecins, mais aussi celles des philosophes pour des religieux pour lesquels ce concept majeur n'est pas d'ordre scientifique. Et le profane ne s'en sort plus.
    L'importance prise de nos jours par l'utilisation des organes humains à des fins thérapeutiques, et leur pénurie croissante et durable, sont les raisons de ce propos.
    La notion d'inviolabilité du corps humain, fondamentale à bien des égards, complique le prélèvement des organes humains. De nombreux textes s'efforcent de limiter la portée de ce concept chaque fois qu'existe un intérêt scientifique ou thérapeutique qui pourrait conduire à le violer. Déjà, à la fin du XIIIe siècle, Philippe le Bel autorise la dissection anatomique, source de connaissance pour les médecins. Louis XIV, par un arrêté royal de 1707, encourage également l'enseignement sur les cadavres. La loi Caillavet de 1976, confirmée par les lois bioéthiques de 1994, rend possibles les prélèvements sur le corps humain lorsqu'un intérêt scientifique ou thérapeutique les rend souhaitables.
    Mais à qui appartient le corps humain après la mort de la personne ? Voilà encore une question non ou mal résolue, et cependant fondamentale dans notre problématique. La loi du 15 novembre 1887 précise que le corps d'un sujet décédé est un bien extrapatrimonial qui ne peut donc faire partie de l'héritage des ayants droit et qui ne peut donner lieu à saisie par les créanciers ou à cession par ordre d'un institut d'anatomie. Dans ces conditions, à qui appartiennent les organes d'une personne décédée ? A cette personne ? A sa famille ? A la société ? Il n'y a pas de bonne réponse, et pourtant cette même loi de 1887 fait dépendre le sort du sujet décédé de sa volonté exprimée de son vivant. Mais alors, le cadavre appartiendrait-il à la personne ? Un décret du 2 décembre 1941 complique la situation en faisant dépendre tout prélèvement anatomique de l'autorisation de la famille, autorisation qui va cependant être limitée par le décret d'octobre 1947.
    La loi Caillavet de décembre 1976 distingue le corps de l'individu vivant et le cadavre.
    Le prélèvement d'organes ou de tissus sur une personne vivante est autorisé à condition que la personne soit majeure et qu'elle ait librement et expressément consenti à ce prélèvement. En revanche, sur un sujet décédé, le prélèvement, qui ne peut avoir lieu qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques, dépend de la volonté de celui-ci, exprimée de son vivant, notion déjà présente dans la loi de novembre 1887.
    Ce bref rappel historique a son importance, car il exprime bien les hésitations, les incertitudes et donc les fluctuations auxquelles je faisais allusion en introduction. Il montre à quel point les idées de notre société ne sont pas encore fixées.
    En 1978, avec la loi Caillavet et les décrets pris par Mme Veil, la France fait un choix audacieux en ouvrant la voie du consentement présumé. Celle-ci présume que la personne décédée qui ne s'était pas opposée de son vivant à un prélèvement sur son cadavre, y était favorable, et le rend donc légal. Mais la présomption de la pensée d'un individu est mal acceptée par notre éthique, et les décrets d'application de la loi reflétant cette gêne vont rendre encore plus ambiguë son interprétation. En effet, le refus de l'individu peut être exprimé par tous moyens, en particulier par l'intermédiaire d'un registre national. Mais si son nom n'apparaît pas sur le registre, les médecins doivent s'informer auprès de la famille - c'est notre loi - de la volonté du défunt. C'est en fin de compte la famille qui va prendre la décision.
    Certains pays nous ont emboîté le pas, notamment l'Espagne, l'Autriche et plus récemment la Belgique. Dans chacun de ces pays, le nombre de donneurs par million d'habitants est bien supérieur au nôtre. Pourquoi sommes-nous passés derrière ces pays ? Parce qu'ils ont su adapter ce concept de présomption à leurs spécificités culturelles. Plus que l'organisation de notre système de prélèvements, et les conditions difficiles de fonctionnement des centres de prélèvement, qui devraient être plus aidés, ce sont les ambiguïtés de notre législation qu'il convient d'incriminer. La démarche légale revient en effet à poser à une famille désespérée la question suivante : « Votre parent est mort, nous souhaitons prélever ses organes pour sauver d'autres vies. Savez-vous si de son vivant il y était opposé, car autrement nous présumerons qu'il y était favorable ? » Si la question est délicate à poser, la réponse est encore plus difficile à donner.
    En outre, la loi devient inapplicable lorsque l'on veut prélever les organes d'une personne dont le coeur s'est arrêté. Or, les prélèvements dans cette situation où le coeur vient de s'arrêter pourraient nous permettre d'accroître significativement le nombre d'organes disponibles en faveur de tous ceux qui attendent avec angoisse une transplation salvatrice. Malheureusement, ces prélèvements doivent être effectués dans les minutes qui suivent la déclaration du décès, et les formalités ne sont pas compatibles avec ce temps très bref.
    Nous avons, mes chers collègues, monsieur le ministre, théoriquement une bonne loi, mais elle soulève nombre de questions éthiques et reste difficile à appliquer. Elle ne l'est donc pratiquement jamais. Faire en sorte qu'elle puisse l'être serait aujourd'hui le meilleur moyen de répondre à la pénurie d'organes sans avoir à chercher des alternatives beaucoup plus discutables et potentiellement dangereuses.
    D'autres pays ont fait d'emblée un choix différent, celui du consentement explicite ou exprès, qui ne heurte pas notre éthique. Ils en mesurent aujourd'hui les limites. Il en va ainsi de la Grande-Bretagne, des pays scandinaves ou encore de l'Allemagne, qui voient régulièrement diminuer le nombre de prélèvements fait sur des cadavres. Alors, parce que le nombre d'organes disponibles reste encore très largement insuffisant, les médecins se sont tournés vers le donneur vivant apparenté. Poussés par les patients en attente d'une greffe, et vivant très mal de les voir souffrir ou mourir avant d'être greffés, ces médecins minimisent ou oublient les dangers potentiels que cela comporte.
    Le donneur vivant ne pourra jamais satisfaire tous les besoins. Malgré tout, le concept de « donneur vivant acceptable » tend à s'élargir, passant des parents du premier degré aux parents plus éloignés, au conjoint, puis à toute personne ayant un lien étroit et stable avec le receveur, Pierre-Louis Fagniez en a parlé. Mais dans le texte revu par le Sénat, si les conjoints rejoignent le cercle des donneurs familiaux, la notion de lien étroit et stable est supprimée, mais la notion de cercle familial est élargie aux petits-enfants, neveux et nièces, cousins germains, enfants du conjoint, ainsi qu'aux personnes faisant la preuve de deux ans de vie commune.
    Dans notre pays, une partie du corps médical demeure très réticente à cette pratique qui consiste à prendre un organe sur une personne en bonne santé. La mutilation du donneur s'oppose au principe du caractère bénéfique que doit avoir tout acte médical, même si le risque ne paraît pas majeur pour un donneur de rein, dont la mortalité se situe néanmoins autour de un pour 3 000 ; il devient nettement plus important pour un donneur de foie où la mortalité atteinte 1 %, et la morbidité reste élevée dans les deux cas. Surtout, cet élargissement de l'utilisation des donneurs vivants ne va-t-il pas nous entraîner, en France, sur une pente glissante qui va ouvrir la voie du commerce du corps humain tel qu'il existe déjà dans d'autres pays ?
    M. Yves Bur. Tout à fait !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Un commerce dont les conséquences pourraient remettre en cause les valeurs sur lesquelles est bâtie notre société. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, le nombre de donneurs vivants n'est toujours pas suffisant et de nouvelles théories apparaissent. Parmi elles, le principe de réciprocité autoriserait tout citoyen à donner de son vivant à la société l'un de ses organes doubles ou une partie d'un organe unique. La société, en réciprocité, lui procurerait certains avantages tels que des cotisations sociales diminuées, assurance maladie à coût réduit, assurance vie gratuite, voire le paiement par l'Etat d'une somme compensatoire. Le système dit « à la Faust » va jusqu'à proposer la même chose pour les citoyens qui feraient don de leur corps après leur mort. Il s'agit, en fait, de faire de l'Etat l'acheteur du corps humain en pensant ainsi rendre le système plus moral.
    En allant à peine plus loin, pour que ces principes dits « éthiques » soient respectés et pour éviter l'importation d'organes prélevés dans des pays pauvres, c'est-à-dire la « mondialisation » du marché, la logique ultime serait de légaliser le commerce d'organes. Je cite des scientifiques et des économistes. Mes propos ne relèvent pas du fantasme, ils sont de plus en plus souvent soutenus, non seulement par des économistes, comme je le disais, mais également par des personnalités du monde médical et scientifique. Ces idées commencent à s'enraciner en France.
    M. Yves Bur. Arrêtez-les !
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Le Parlement a déjà modifié la loi en élargissant un peu les dons d'organes à partir de donneurs vivants. Pierre-Louis Fagniez en a parlé : c'est l'amendement qui prévoit la saisine systématique d'un comité d'experts pour faciliter la transplantation à partir des membres du cercle familial, à l'exception du père et de la mère. Mais nous ne devons pas nous laisser entraîner au-delà. Nous ne pouvons accepter la réification du corps humain qui, en le transformant en objet de commerce, le priverait alors de ce qui fait la dignité humaine et le place au-dessus des choses.
    Nous devons résister, réagir et, pour cela, proposer de nouvelles orientations qui, nous l'espérons, seront, une fois bien comprises, mieux acceptées que les systèmes instaurés jusqu'à ce jour. Elles nous permettront enfin de faire que le cadavre ne soit plus entièrement le symbole de la fin en permettant de prolonger la vie d'autres êtres humains. On peut, en effet, s'interroger et se poser la question de savoir si l'erreur des médecins n'a pas été d'établir les fondements de la transplantation sur l'altruisme. Un système de santé ne peut pas être établi s'il doit reposer sur une bonne volonté du public, dont on sait qu'elle peut changer d'un jour à l'autre. N'y aurait-il pas un autre mode de transfert plus efficace pour accroître le nombre des organes de suppléance pour transplantation sans pour autant transgresser nos principes moraux les plus importants ? Faut-il continuer à torturer la famille en la plaçant devant un dilemme insoluble dans une période de drame ?
    Quelle est la place de la famille ? Si le défunt, lorsqu'il était vivant, lui avait demandé de donner ses organes, il est normal alors de considérer que la famille agit en tant que simple transmetteur des souhaits du défunt. Dans cette situation, le défunt peut être considéré comme donneur et la famille comme l'instrument du don, et il n'y a rien à redire. Mais dans le cas où le défunt, alors qu'il était vivant, n'a pas pris de décision, concernant cette question, la famille peut encore décider du don. Dans ce cas, même si les membres de la famille considèrent qu'ils sont en train de faire ce que le défunt aurait voulu, ce sont eux qui deviennent donneurs alors que le défunt n'est plus que la source des organes.
    Ce transfert d'une propriété déjà fort mal définie à la famille complique d'autant plus la question que, dans un grand nombre de pays, une définition claire et légale de l'entité représentée par la famille fait défaut.
    Quelle est la personne, au sein de ce concept flou de famille, qui a l'autorité, soit pour simplement transmettre les souhaits du défunt, soit pour décider d'un don ? Le père, la mère, le conjoint, un membre de la fratrie ou un enfant, mais lequel s'ils sont plusieurs ? La complexité de ces questions, qui a pesé lors de la définition du principe du consentement présumé, explique, partiellement au moins, la situation d'échec dans laquelle nous sommes aujourd'hui.
    Se dessine alors un système basé sur l'appropriation des organes par la société, mais, pour respecter l'autonomie de la personne, ce serait une « appropriation conditionnelle ». Elle pourrait représenter la véritable solution à la question du prélèvement d'organes à condition qu'elle soit acceptée par la société et rendue conditionnelle par la prise en considération du refus de l'individu, et seulement de son vivant. La société pourrait déclarer qu'après la mort de la personne, les parties de son corps utiles pour en sauver une ou plusieurs autres - mais pas le corps dans sa totalité afin de respecter le rite des funérailles -, lui appartiendraient sans qu'elle ait à demander l'autorisation à qui que ce soit et sans avoir à présumer de la volonté du défunt.
    Avant d'en arriver à prendre cette décision qui reviendra au Parlement, il faudrait débattre de l'importance de la transplantation pour la société. Elle devrait affirmer sa volonté et son choix d'accepter définitivement cette voie thérapeutique. Ainsi, le chemin de la bonne volonté que nous avons emprunté depuis plus de trente ans et dans lequel nous nous embrouillons encore aujourd'hui, semble être un cul-de-sac, et la transplantation ne survivra pas si nous répétons inlassablement les mêmes erreurs.
    Posons à notre société les bonnes questions et espérons que nous recevrons les bonnes réponses.
    Reste une question qui n'a jamais été abordée dans les textes bioéthiques, et cela me surprend. C'est celle des règles de répartition et d'attribution des greffons prélevés sur une personne décédée. Deux décrets de novembre 1996 et d'août 2002 les définissent. Ils prévoient que les principes d'équité et d'éthique médicale doivent être respectés tout en faisant référence aux notions de priorité : enfants, personnes dont la vie est menacée à court terme, probabilité faible d'obtenir un greffon à cause d'une hyperimmunisation, priorités définies par un collège d'experts par spécialité.
    Les règles font aussi référence aux dimensions territoriales, locales, interrégionales, nationales, internationales en proposant de respecter « un équilibre entre la répartition la plus équitable possible et les contraintes techniques » - prélèvement, transport, matière de la qualité du greffon.
    Aujourd'hui en France, mes chers collègues, l'accès à la transplantation est inégal avec des délais d'attente variant selon les centres de transplantation et les régions. Il nous reste beaucoup à faire dans ce domaine. C'est ce qui nous a poussés, Pierre-Louis Fagniez et moi, à déposer un amendement dans lequel nous disons que « les greffons sont une ressource inestimable et rare, les règles de répartition et d'attribution de ces greffons doivent respecter les principes d'équité ». Notre objectif est tout simplement d'ouvrir le débat et de stimuler la réflexion sur ce thème. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. Alain Claeys.
    M. Alain Claeys. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec la discussion que nous engageons aujourd'hui, notre assemblée va achever la deuxième étape de son travail de révision des lois bioéthiques de 1994.
    Il aura fallu bientôt dix ans pour adopter les instruments législatifs de cette révision. Lors du débat devant le Sénat, au mois de janvier dernier, vous avez, monsieur le ministre, imputé ce retard au gouvernement de Lionel Jospin, allant même jusqu'à considérer que celui-ci avait contribué ainsi « au discrédit de la bioéthique » ! C'est être bien sévère pour le précédent gouvernement et bien indulgent pour vous-même... J'ajoute que les 325 députés qui ont adopté ce projet de loi en première lecture dans notre assemblée, en janvier 2002, n'ont pas partagé ce sentiment, pas plus que les 151 députés qui se sont abstenus.
    Lors du débat de première lecture, j'avais rappelé que la révision avait été voulue par le législateur de 1994 comme le résultat d'un réexamen d'ensemble, et non d'adaptations ponctuelles successives. Un tel réexamen nécessite un travail préparatoire nécessairement long et complexe, qui suppose une réflexion en amont pour bien comprendre et mesurer les enjeux de la révision.
    C'est la raison pour laquelle j'ai combattu, avec le président Bernard Charles, la tentation de ne pas engager la discussion du projet de loi avant la fin de la législature au motif que celle-ci arrivait bientôt à son terme. Et Roger-Gérard Schwartzenberg, ici présent, m'a également apporté son aide, pour que cette loi puisse passer en janvier 2001.
    Il aurait été pour le moins paradoxal, en effet, que chacun - comités consultatifs divers, Gouvernement, Président de la République - ait alors pu exprimer son avis ou ses choix, mais que l'Assemblée nationale n'ait pas pu, sous cette onzième législature, s'exprimer autrement qu'au moyen d'une mission d'information. Quant aux délais dans lesquels s'est engagée la discussion au Sénat puis à nouveau dans notre assemblée, ils sont le fait du gouvernement auquel vous appartenez.
    De ce retard, que vous avez contribué à aggraver beaucoup, ou dont vous n'avez pu empêcher qu'il s'aggrave, vous tiriez la conclusion devant le Sénat, du caractère « néfaste du principe de révision inscrit dans la loi bioéthique ». Le Sénat vous a suivi, mais pas notre commission des affaires culturelles. Elle a bien fait.
    Sous la précédente législature, la commission spéciale et notre assemblée avaient fait ce même choix, avec raison. Car l'argument tiré de l'indispensable solennité inhérente à la légitimité même de la loi bioéthique, et qui serait incompatible avec une prétendue péremption annoncée, feint de confondre la procédure et le fond.
    La protection des droits de l'homme est et restera l'objet de la législation bioéthique. L'affirmation du respect de la dignité de la personne humaine est au coeur de cette démarche qui est née d'une expérience historique tragique. Le premier enseignement qui en a été tiré est de considérer que de nouvelles atteintes à la dignité de la personne sont toujours possibles et qu'il convient de les prévenir. Mais ces atteintes pourraient, à l'avenir, prendre d'autres formes que celles rencontrées auparavant. Il faut être capable de les identifier. La démarche bioéthique est donc également justifiée par l'apparition de problèmes posés par les innovations de la médecine et de la biologie.
    Reprocher à la loi bioéthique de suivre une démarche de conciliation est une erreur. Vouloir faire de la loi bioéthique une loi de fermeture serait une faute et cela ne convaincrait personne de son caractère réaliste, légitime, et donc durable, sauf à consentir à un déclassement des capacités de la recherche française, qui ne tarderait pas à se répercuter sur l'audience de la réflexion bioéthique conduite dans notre pays. Car de quelle portée, pour les autres, pourrait être une telle réflexion si elle n'était pas confrontée aux réalités des recherches et des connaissances en devenir ? Nous n'avons pas vocation à devenir le pays d'accueil des colloques sur l'histoire de la bioéthique au XXe siècle. Notre ambition n'est pas au musée de la bioéthique.
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Merci !
    M. Alain Claeys. Notre ambition est d'être au service d'une société et d'une recherche vivantes.
    La démarche de conciliation vise à proportionner les moyens et les fins, les garanties et les risques. Le législateur doit tirer les conséquences concrètes de plusieurs principes. Le premier est la liberté de pensée, c'est-à-dire la liberté du chercheur, qui doit savoir quelles limites la société entend fixer à son activité. Il y a ensuite le droit des malades et des personnes handicapées à voir atténuer leurs souffrances et accroître leurs espoirs de guérison, ce qui passe par la recherche et l'expérimentation. N'oublions pas le respect de la personne, y compris la question du respect dû à la personne humaine potentielle, et le respect du corps humain ainsi que les droits du couple et les droits de l'enfant.
    Cette conciliation, mes chers collègues, doit s'appliquer dans différents domaines, comme l'aide médicale à la procréation, les pratiques médicales utilisant des éléments du corps humain, la recherche mettant en cause la personne ou des éléments du corps humain.
    Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple du diagnostic préimplantatoire. L'encadrement strict dont il est l'objet garantit qu'il intervient à la demande d'un couple ayant engagé une démarche d'AMP, pour sélectionner un embryon indemne d'une affection d'une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic.
    Le Comité consultatif national d'éthique a été saisi de la question de l'élargissement du DPI, pour les familles atteintes de la maladie de Fanconi, au typage HLA, permettant de transférer un embryon indemne de la maladie, mais donneur potentiel à l'intention d'un autre enfant déjà né et malade. Le refus de « l'enfant médicament » est une première réponse. La possibilité donnée aux parents qui souhaitent un deuxième enfant indemne de la maladie - et le CCNE insiste sur l'importance de ce désir d'enfant, pour lui-même, au-delà d'un strict objectif thérapeutique - n'exclut pas de « pouvoir faire face avec générosité à des situations de particulière détresse ».
    Ce sont les termes mêmes employés par le CCNE.
    Le législateur ne peut pas faire comme si la science médicale n'offrait pas des choix nouveaux. Il doit offrir au dialogue entre le médecin et le couple le choix de se saisir ou non d'une possibilité offerte par la loi. Cette générosité, mes chers collègues, il n'appartient pas au législateur de l'imposer ou de l'interdire. Nous avions rencontré la même difficulté s'agissant du transfert d'embryon post mortem.
    Quel est le sens général du projet de loi tel qu'il ressort des travaux du Sénat ? La majorité sénatoriale, qui n'a pas été trop réticente à donner une traduction législative à vos analyses, monsieur le ministre, a voulu répondre à ce qu'elle a considéré comme la propension de l'Assemblée nationale à céder sur l'essentiel. C'est une erreur complète d'analyse.
    En outre, en faisant sienne une telle vision, le Sénat a déplacé le centre de gravité de la révision des lois de 1994, d'une façon telle qu'elle éloigne cette révision des besoins réels auxquels elle doit répondre.
    Le choix du Sénat a potentiellement un coût très fort en termes de droits du malade et des personnes handicapées.
    La formulation souvent très technique de nos choix, en ce domaine, ne doit pas donner à penser que nous aurions perdu de vue le sens humain, le sens humaniste de notre démarche. Nous ne devons pas oublier les hommes et les femmes qui attendent tout de possibles nouveaux traitements. Nous leur devons la vérité sur le stade initial des recherches en cause. La finalité thérapeuthique, censée ne concerner que le strict soin, ne doit pas servir d'alibi. Il est peu respectueux de donner à croire, comme le fait le Sénat, qu'on substitue la sagesse à l'irréflexion, en n'acceptant que des recherches réellement au bénéfice des malades et en refusant les recherches sans finalité claire, c'est-à-dire, selon le Sénat, sans autre finalité que le propre intérêt du chercheur.
    Il faut avoir le courage de dire que les recherches fondamentales sont encore nécessaires avant de passer au stade de l'expérimentation thérapeutique. Bien plus, j'observe l'utilité de ces recherches pour mieux comprendre la pluripotence, d'où des progrès dans la compréhension de la cancérisation. Je doute que ce constat soit indifférent au regard des ambitions affichées par le Président de la République en ce domaine ou à l'égard du handicap.
    Dès lors, cacher derrière l'appellation « thérapeutique », qui prétendument changerait tout, l'acceptation de recherches que l'on condamne par ailleurs au nom de principes supérieurs, qu'est-ce sinon se renier ? A l'inverse, refuser une voie de recherche en s'abritant derrière une distinction entre ce qui serait « thérapeutique », donc permis, et ce qui ne le serait pas encore, donc interdit, pour satisfaire les mêmes principes supérieurs, c'est faire preuve d'une idéologie bien sévère. C'est habile, dans l'immédiat, mais intenable à terme.
    Car, ou bien les recherches qui se feront ailleurs aboutiront, et il faudra alors refuser l'accès aux médicaments nés d'une recherche par essence « non éthique », selon le Sénat - et on voit le réalisme d'une telle position ! -, ou bien les recherches n'aboutiront pas, mais alors la satisfaction du « je vous l'avais bien dit » paraît quelque peu décalée par rapport à ce qui est réellement en jeu dans ce débat de révision.
    Le choix du Sénat contribue aussi, après d'autres décisions, à une grave crise de confiance avec le monde de la recherche.
    Je n'insisterai pas ici sur la crise financière, marquée par le désengagement de l'Etat. Cette crise est réelle. Je regrette que Mme la ministre de la recherche ne soit pas présente à ce débat, qui concerne à la fois, monsieur le ministre, le ministère de la santé et celui de la recherche.
    Au-delà, les chercheurs ne méritent pas le soupçon permanent sur lequel on prétend asseoir un raisonnement éthique. Ils ne seraient pas capables de respecter des principes et des limites éthiques clairs. Vous conviendrez pourtant que les chercheurs ont aussi le sens des responsabilités, et que leur réflexion éthique n'est pas, par principe, indigente. Ils sont aussi des citoyens dans la cité, comme les médecins, ou les représentants des confessions ou des courants de pensée.
    Cette crise de confiance prend un tour aigu à la lumière de la réponse apportée à la question centrale de cette révision : la recherche sur l'embryon. Des progrès considérables ont été réalisés, ces dernières années, dans la découverte des pouvoirs des cellules souches embryonnaires et des cellules souches adultes.
    Certes, on se trouve dans le domaine du possible. Les pistes de recherche devont encore être scientifiquement validées pour l'être humain. Il faudra travailler en priorité sur les techniques de prolifération et de différenciation des cellules souches embryonnaires, afin d'être capable d'obtenir les cellules souhaitées - cellules nerveuses, musculaires ou hépatiques, par exemple.
    Nous en sommes encore au stade où les potentialités prêtées aux cellules souches ne permettent pas de privilégier l'une des voies de recherche par rapport à l'autre, en particulier celle des cellules souches adultes, même si elle présente un « confort éthique » évident par rapport à celle des cellules souches embryonnaires. Parmi les scientifiques entendus par la mission d'information ou la commission spéciale sous la précédente législature, aucun n'était en mesure de dire avec certitude quelle piste de recherche aboutira effectivement à la mise au point de nouvelles thérapies susceptibles de guérir ou de soigner des maladies aujourd'hui incurables.
    Depuis lors, en près de deux années, rien n'est véritablement venu à l'appui du choix consistant à « tout miser » sur la piste des cellules souches adultes.
    C'est la raison pour laquelle cette assemblée avait choisi d'autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires, de façon stricte et encadrée. Il n'a jamais été question d'autoriser n'importe quelle recherche.
    Plusieurs conditions avaient été posées.
    Cette recherche devait, d'abord, s'inscrire dans une finalité médicale, qui dépasse la notion de finalité thérapeutique, puisqu'elle inclut, avec le but de soigner ou de traiter la maladie, celui de prévenir et de diagnostiquer. En outre, cette formulation répondait à un souci de vérité : en l'état actuel des connaissances, ces recherches ne peuvent, dans un premier temps, que présenter le caractère de recherches fondamentales. Cette formulation soulignait bien que les perspectives, certes immenses et prometteuses, de la thérapie cellulaire ou génique basée sur l'utilisation des cellules souches embryonnaires ne pourraient déboucher qu'à moyen terme.
    La recherche resterait limitée aux seuls embryons dits « surnuméraires », avec le consentement des couples. Elle ne pourrait donc être conduite que sur des embryons conçus initialement dans une démarche d'AMP qui ne répondrait plus à un projet parental, et avec l'accord du couple qui aurait mis fin à son projet d'AMP.
    En dernier lieu, cette recherche ferait l'objet d'un encadrement strict, chaque protocole de recherche devant être soumis à l'autorisation et au suivi de l'Agence, les ministres chargés de la santé et de la recherche ayant la possibilité d'interdire ou de suspendre les protocoles qui ne respecteraient pas les conditions précitées.
    Ces conditions définissaient un cadre que l'on peut difficilement considérer comme laxiste, à l'intérieur duquel les chercheurs pouvaient engager leurs travaux. Le Sénat y a substitué un dispositif fondé sur la conciliation des inconciliables.
    L'objectif de la recherche serait de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. Soit on interprète cette notion strictement, et elle restreint de façon considérable la portée de l'autorisation, en l'état actuel des connaissances fondamentales restant à acquérir. Soit on retient une interprétation large de cette notion et, alors, elle ne permet guère de discriminer entre les recherches éligibles à l'autorisation et les autres.
    S'agit-il alors de permettre ou de refuser la recherche sur l'embryon ? Il est des façons plus franches d'assumer ses choix.
    Le Sénat a ensuite fixé une période de cinq ans, à partir de la publication du décret d'application de la présente loi, pendant laquelle la recherche sur l'embryon serait autorisée. Mais pourquoi cinq ans ? Pourquoi pas six ou quatre ? Si l'on n'a pas abouti, les recherches cesseront et on révisera la loi à cette fin. De toute façon, on n'autorisera plus de recherches nouvelles. Mais les protocoles déjà autorisés qui n'auraient pas été concrètement mis en oeuvre pourraient, eux, être poursuivis, au-delà des cinq ans.
    Ce serait vraiment malchance, que l'équipe de chercheurs qui fera décisivement avancer la connaissance n'en ait l'intuition ou l'idée qu'après ce délai de cinq ans, sans avoir engagé sa recherche auparavant. Pour le Sénat, il faut trouver dans les cinq ans. Pas même la nouvelle durée du mandat sénatorial ! Sinon, il est trop tard pour chercher. Si l'on n'a pas trouvé dans les cinq ans, on peut néanmoins continuer à chercher, même s'il ne s'agit pas de la bonne piste. Mais si la bonne piste apparaît à un nouveau chercheur après cinq ans, eh bien qu'il aille chercher ailleurs !
    J'observe en outre que, pour les sénateurs, la loi bioéthique ne doit plus faire l'objet, par principe, d'une révision périodique, mais cela n'empêche pas d'inscrire, de fait, au coeur de cette loi, la nécessité même d'une telle révision. La contradiction est frappante.
    Le texte adopté par le Sénat est aussi peu satisfaisant que le dispositif adopté en 1994. Le législateur a alors prohibé toute expérimentation sur l'embryon, une dérogation étant cependant prévue, à titre exceptionnel, pour mener des études sur des embryons conçus dans le cadre de l'AMP, études menées avec le consentement du couple, dans une finalité médicale, sans pouvoir porter atteinte à l'embryon. De nombreux interlocuteurs de la mission d'information de notre assemblée, sous la précédente législature, ont dénoncé l'impossibilité d'appliquer un tel dispositif. En pratique, la condition tenant à l'absence d'atteinte à l'embryon a vidé de tout effet la possibilité de mener des études. Elle signifie, en effet, que l'embryon doit toujours pouvoir être implanté après la réalisation de l'étude et poursuivre son développement normal, ce dont aucun chercheur sensé ne prendrait le risque.
    Le dispositif proposé par le Sénat témoigne d'aussi peu de franchise. Les chercheurs et les malades méritent mieux que cet assaut d'hypocrisie.
    Soit, mes chers collègues, on interdit la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et il faut avoir le courage de l'assumer.
    Mme Christine Boutin. Eh oui !
    M. Alain Claeys. Soit on l'autorise, mais alors on le fait sans arrière-pensée, en fixant un cadre strict, mais praticable, et non des conditions qui vident l'autorisation de sa substance.
    Du texte issu des travaux de première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous divergeons, monsieur le ministre, quant à celui qui contribue au discrédit de la bioéthique. J'observe d'ailleurs que le Sénat a supprimé la possibilité de mettre en place un dispositif spécifique d'autorisation des nouvelles techniques d'AMP qui reposait sur le consentement des couples. De ce point de vue aussi, on condamne l'absence d'évaluation de certaines techniques avant qu'elles soient appliquées - ce qui fut le cas de l'ICSI - et on refuse d'en tirer les conséquences.
    J'en viens à la question du clonage dit « thérapeutique ».
    L'avant-projet de loi, soumis à la consultation de différentes instances par le gouvernement de Lionel Jospin, n'excluait pas la piste des recherches sur la constitution d'embryons par transfert de noyau somatique, technique appelée communément « clonage thérapeutique ». Il convient de rappeler aussi qu'une telle ouverture a suscité un débat important. Des divisions se sont fait jour non seulement entre les comités consultés, mais aussi au sein de chacun d'eux. Le Comité consultatif national d'éthique et la Commission nationale consultative des droits de l'homme ont rendu des avis opposés, après un débat assez vif en leur sein. Le Gouvernement, qui avait fait le choix de la transparence dans la préparation du présent projet de loi, a pris acte des controverses soulevées et n'a finalement pas proposé d'autoriser l'ouverture de cette piste de recherche dans le projet de loi.
    Pour autant, le choix, aujourd'hui, de ne pas permettre les recherches sur le clonage thérapeutique repose sur deux arguments.
    En premier lieu, et comme je l'ai indiqué, la recherche sur les cellules souches embryonnaires n'en est qu'à son commencement.
    En deuxième lieu, pour aller vers le « clonage thérapeutique », il faut régler le problème du don d'ovocytes. Il convient de trouver des modalités d'organisation et de suivi de ce don respectueuses de la dignité et de la santé de la femme. En outre, la pénurie d'ovocytes, dans le cadre même de l'AMP, conduit à penser qu'il convient d'améliorer d'abord l'offre faite aux couples à ce titre, avant de faire appel à un effort de solidarité supplémentaire de la part des femmes en faveur de la recherche fondamentale.
    Là encore, le contexte dans lequel cette décision a été prise évolue. Des solutions existent pour obtenir des ovocytes humains sans risque de marchandisation ou de trafic. Au cours d'une FIV, tous les ovocytes recueillis ne sont pas fécondés. Les ovocytes surnuméraires pourraient être offerts à la recherche avec le consentement éclairé des femmes. De même, l'argument tiré de l'inexistence de telles recherches dans les autres pays développés perdra de sa validité. Déjà, un premier protocole de recherche sur le clonage dit thérapeutique a été autorisé en Grande-Bretagne.
    M. Yves Bur. Un seul !
    M. Alain Claeys. Deux après, il convient que l'Agence de la biomédecine puisse se saisir de cette question sans tarder, dès qu'elle sera constituée, pour récapituler les enjeux de cette recherche, actualiser les connaissances disponibles sur l'état des recherches à l'étranger et proposer un dispositif d'encadrement.
    La création d'une agence dotée de réels pouvoirs a été concue par la précédente assemblée comme le complément indispensable de l'ouverture de nouveaux champs de recherche. C'était le sens de la création de l'agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.
    Vous avez fait part de votre intention de recomposer les agences intervenant dans le domaine de la santé autour de quelques pôles. Ces propositions vont dans le bon sens.
    Nous reviendrons sur la composition de l'agence de la biomédecine. Je ferai néanmois une suggestion complémentaire : il faut un équilibre entre le domaine de la santé et celui de la recherche. Compte tenu des compétences que j'ai rappelées, l'agence doit être sous la tutelle des ministres chargés de la santé et de la recherche. La recherche n'est pas une question de deuxième ordre dans les missions confiées à l'agence, à moins de vider de toute substance l'autorisation donnée par le législateur. Et le soupçon permanent à l'égard du comportement et des préoccupations éthiques des chercheurs n'est pas convenable. Le ministre chargé de la recherche n'est pas seulement « le porte-parole de la communauté scientifique », comme vous l'avez dit au Sénat, pas plus que le ministre de la santé ne l'est du corps médical. Ces querelles de clocher n'ont pas leur place dans la loi de bioéthique.
    Enfin, il conviendrait que les décrets d'application permettant à l'agence de commencer à fonctionner effectivement soient pris très rapidement après la promulgation de la loi. L'étape que nous engageons aujourd'hui signifie, en effet, que nous allons normalement arriver prochainement au terme de la phase législative de la révision des lois de 1994.
    S'agissant de la brevetabilité du vivant, l'article 12 bis a été modifié pour transposer une partie de la directive sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques alors que le gouvernement de Lionel Jospin avait retiré l'article 5 de cette directive de son projet de loi de transposition.
    Les avancées de la recherche et les revendications des entreprises, notamment américaines, sur les gènes récemment découverts ont souligné les enjeux scientifiques et économiques des choix à faire.
    Par ailleurs, la transposition de la directive européenne du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques a suscité un vaste débat non seulement en France, mais dans plusieurs autres Etats membres de la Communauté européenne.
    Pour sa part, comme vous l'avez rappelé, la Cour de justice des Communautés européennes a confirmé la validité de la directive, y compris son article 5, au regard des principes fondamentaux du droit européen.
    L'enjeu du débat est celui des brevets dits « de produits ». Ils permettraient aux entreprises ayant, les premières, inclus un gène ou la séquence d'un gène dans une invention de faire jouer la protection des brevets à l'égard de toute autre utilisation de ce gène, même dans les cas où cette dernière n'aurait été aucunement anticipée par les premiers titulaires du brevet.
    L'article 5 de la directive prévoit, en effet, que la simple découverte de la séquence ou de la séquence partielle d'un gène ne peut constituer une invention brevetable, mais, dans son deuxième alinéa, le même article 5 prévoit que de telles séquences isolées ou autrement produites par un procédé technique peuvent être brevetées, même si leur structure est identique à celle d'un élément naturel.
    Au regard des préoccupations tendant à une garantie effective de la non-patrimonialité du corps humain, ces dispositions apparaissent ambiguës. Pourquoi affirmer qu'on ne peut breveter le gène si, une fois l'application et la fonction décrites, le gène ou sa séquence sera bien inclus dans le brevet ? C'est ce qui se passe tous les jours à Munich, à l'Office européen des brevets, qui a d'ores et déjà inséré dans son règlement la directive européenne sur la protection des inventions biotechnologiques.
    Le seul constat de la conformité de l'article 12 bis au droit communautaire ne peut clore le débat. Conformément à l'article 55 de la Constitution, les traités ont valeur supérieure aux lois, mais la conformité au droit communautaire n'emporte pas, par elle-même, la conformité à la Constitution. Il demeure une interrogation à cet égard sur la conformité aux principes constitutionnels garantissant la liberté de pensée et de recherche d'une disposition qui permet de soumettre à redevance des recherches postérieures, au seul motif de l'antériorité d'un brevet incluant un gène ou la séquence d'un gène, brevet pouvant être déposé dans un domaine sans rapport avec celui de recherches futures. L'instauration de tels péages pour l'accès à la connaissance, sans aucun motif d'intérêt général, porte une atteinte excessive à la liberté de la recherche, indépendamment de l'exception de recherche prévue par le droit des brevets, et donc à la liberté de pensée telle qu'elle est garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, réaffirmée par le préambule de la constitution du 27 octobre 1946. Il faudra que le Conseil constitutionnel soit saisi d'une telle disposition.
    J'ai d'ores et déjà proposé un amendement qui renvoie à une renégociation de la directive, pour des raisons non seulement éthiques, mais aussi économiques, la directive ne pouvant que contribuer à l'apparition de phénomènes de rentes de nature à amoindrir l'efficacité économique du financement de la recherche.
    Telles sont les premières observations qu'appelle le texte adopté par le Sénat.
    La précédente assemblée a constamment essayé de concilier la possibilité d'accéder à de nouveaux champs de connaissance avec le respect des principes éthiques fondamentaux qui sont les nôtres. Elle a eu le souci constant d'éviter que le politique puisse être accusé d'abdiquer ses responsabilités ou d'ignorer le monde tel qu'il est. Derrière les percées attendues dans la connaissance des cellules souches se profilent en effet les risques de la marchandisation du vivant et ceux de voir contourner nos conceptions éthiques.
    Contrairement à ce qui a été dit, l'Assemblée nationale avait été très claire de ce point de vue, qu'il s'agisse des conditions d'importation des cellules souches ou de la condamnation des brevets de produits.
    En tant que rapporteur du texte en première lecture, je me suis attaché à ce que notre assemblée refuse une gesticulation éthique, sans souci d'efficacité quant au respect des interdits et des limites fixés par le législateur. Contrairement à ce qui a pu être affirmé au Sénat, il peut nous être donné acte d'avoir refusé toute hypocrisie et d'avoir assumé clairement nos choix.
    Nous devions cette franchise, d'abord à nous-mêmes, en tant que législateurs et politiques, compte tenu des responsabilités propres qui sont les nôtres, ensuite aux hommes et aux femmes qui attendent beaucoup des nouvelles recherches comme à ceux qui les refusent au nom de leurs croyances ou de leurs convictions morales.
    Pour ces raisons, vous comprendrez qu'il ne nous soit pas possible de voter, en l'état, le texte adopté par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur Claeys !
    M. le président. La parole est à M. le ministre.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur Claeys, je ne vous répondrai pas point par point mais je ne voudrais pas que vous interprétiez un silence de ma part comme une marque de mépris ou de désintérêt. Je vous ai écouté au contraire avec beaucoup d'attention. J'ai entendu vos différents arguments sur la recherche sur l'embryon, le clonage thérapeutique, l'organisation de notre système d'agence et les brevets. Nous en discuterons en détail lors de l'examen des articles. Je souhaiterais simplement revenir sur un point important.
    En première lecture, l'Assemblée nationale a pour la première fois utilisé le terme « bioéthique » pour qualifier une loi.
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur. C'est vrai.
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Cela me paraît grave et dangereux si l'on s'en tient à une révision quinquennale. Les trois lois précédentes décrivaient les thèmes abordés mais on a désormais le sentiment que n'est bioéthique que ce qui est dans cette loi. Or un sujet comme la stérilisation des femmes handicapées, qui a été abordé, dans le cadre de la couverture maladie universelle, touche profondément à l'éthique.
    Mme Christine Boutin. Tout à fait !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. La commission des affaires sociales semble s'être prononcée pour la révision à terme. Je trouve ça dangereux parce que le cadre de la bioéthique sera désormais fixé, ce que nous n'avions jamais fait précédemment. Nous en discuterons au fond, mais j'ai suffisamment d'arguments pour essayer d'emporter la conviction de l'Assemblée.
    Lorsque nous avons discuté en janvier 2002 et que les rôles étaient en quelque sorte inversés, j'avais noté le retard qui avait été pris mais je n'avais pas voulu axer mon argumentation là-dessus. On pouvait en effet le comprendre : entre 1994 et 1999, les décrets n'avaient pas tous été pris, on ne pouvait pas avoir une bonne évaluation et un certain nombre d'avancées technologiques étaient freinées. Nous étions coincés entre le délai prescrit et des technologies telles que le clonage thérapeutique. Si j'ai bien compris, vous n'avez pas l'intention de plaider à nouveau pour qu'il soit impliqué car ce serait prématuré, mais faut-il attendre cinq ans ? Et si, dans deux ou trois ans, on nous démontre que c'est important ? Un rendez-vous quinquenal me paraît trop rigide et trop figé. Il est d'ailleurs du devoir du législateur de ne pas se laisser enfermer dans un cadre. A partir du moment où une loi s'appelle loi de bioéthique, on ne peut pas à l'évidence l'enfermer dans un délai. Si vous tenez vraiment à une révision quinquennale, je proposerai au Sénat de modifier le titre pour que nous ne soyons pas enfermés dans un cadre bioéthique quinquennal alors que, sans arrêt, nous sommes confrontés au besoin d'intervenir et de légiférer.
    Monsieur Claeys, vous ne souhaitez pas voter le texte en l'état. Je m'étais abstenu, si vous vous souvenez, au terme d'une discussion un peu rude, mais, je crois, respectueuse. J'ai toujours respecté les convictions différentes des miennes, notamment dans le domaine de la bioéthique. Vous verrez que, dans un certain nombre de cas, je demanderai à l'Assemblée de prendre ses responsabilités en conscience, même si je donne mon avis.
    Enfin, il va falloir que vous m'expliquiez les divergences fondamentales pour lesquelles vous seriez opposé aujourd'hui à un texte que vous aviez présenté.
    M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Ce n'est pas le même !
    M. Alain Claeys et M. Jérôme Lambert. C'est le texte du Sénat !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je pense que M. Schwartzenberg et M. Le Guen auront l'occasion de s'expliquer longuement. En tout état de cause, le consensus le plus large possible est évidemment souhaitable dans la mesure où c'est la philosophie même de notre société qui est en jeu.
    M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Jean Leonetti, pour le groupe UMP.
    M. Jean Leonetti. Il est toujours difficile de prendre la parole au nom de son groupe lorsqu'il s'agit d'un problème de conscience. Vu la diversité des points de vue et le respect dû à chacun, je me garderai bien de dire que je m'exprime toujours au nom de l'ensemble de la majorité.
    Mme Christine Boutin. Merci, mon cher collègue.
    M. Jean Leonetti. Néanmoins, il y a au moins une idée qui peut s'imposer, c'est qu'il faut se garder des excès, et j'en ai noté un certain nombre dans votre intervention, monsieur Claeys.
    D'abord, vous avez défendu une exception d'irrecevabilité sans jamais parler de constitutionnalité. C'est donc un détournement de procédure. C'est assez habituel dans cette maison, mais cela mériterait tout de même un rappel à l'ordre. Vu les propos que vous avez tenus, il aurait mieux valu que vous vous exprimiez dans la discussion générale.
    Comme vous, je ne siège pas au Sénat, mais j'ai pris connaissance d'un certain nombre de positions qui y ont été proposées et j'ai eu le sentiment que vous teniez à vous justifier et que vous regrettiez le changement de majorité.
    Il est vrai que les lois de bioéthique ont toujours concerné deux majorités successives, le peuple français ayant la malice - à moins que nous ne soyons trop lents - de toujours faire délibérer en deux temps, avec des majorités différentes, sur les lois de ce type. Peut-être est-ce volontaire, pour bien montrer qu'un tel débat n'est en réalité ni de droite ni de gauche, mais pose des problèmes qui vont bien au-delà, surtout avec l'évolution des techniques et de la science.
    Je vous donne acte du fait que M. Jospin était favorable au clonage thérapeutique et qu'il existe une certaine contradiction entre le délai de cinq ans prescrit pour la révision de la loi et le rythme de la recherche sur l'embryon, mais cette contradiction que vous dénoncez dans le projet du Sénat que nous examinons, je me permets de vous la renvoyer : s'il faut cinq ans pour réviser la loi, peut-être est-ce aussi utile pour revoir une disposition que nous considérons comme transitoire.
    J'ai été un peu choqué de vous entendre dire : « Assez d'hypocrisie, soit on interdit, soit on autorise. »
    M. Alain Claeys. Oui !
    M. Jean Leonetti. Dans un tel domaine, il y a toujours deux abîmes et deux excès, et les réflexions sur l'homme et sur la bioéthique ne sont jamais de type binaire. C'est la confrontation de la morale et de la science, de la conscience humaine et de la science, et, à un moment donné, il faut un compromis pour poursuivre la recherche et garantir le respect de la personne humaine.
    Enfin, vous avez voulu caricaturer l'état d'esprit qui serait celui de la majorité des chercheurs. Je vous rappelle très simplement, pour l'avoir été pendant une période de ma vie, que le chercheur est centré sur sa recherche, qui n'a pas la dimension universelle que vous lui prêtez, et que c'est encore moins une réflexion sur l'éthique ou la morale.
    Le chercheur a un objectif qu'il cherche à atteindre. Ne pas lui donner de cadre éthique, ou bien l'accuser à tort ou à raison d'être immoral est une erreur. Le chercheur est amoral, il n'a pas à avoir de référence à la morale. En revanche, on doit lui donner les cadres dans lesquels sa recherche peut s'effectuer et les applications s'investir.
    Bref, vous n'avez pas très bien défendu votre exception d'irrecevabilité. D'abord, ce n'était pas une exception d'irrecevabilité, et l'argumentaire que vous avez développé me paraît assez proche des dispositions qui sont en train d'être étudiées. Annoncer à la fin que vous n'accepterez pas de voter le texte en l'état sous-entend que, si cet état changeait, vous seriez prêt à l'accepter. Encore une fois, ce n'est absolument pas conforme à ce que doit être une exception d'irrecevabilité. Je vous rappelle tout de même que, si nous la votions, nous cesserions d'étudier le texte.
    Il est évident que l'UMP est défavorable à cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Marie Le Guen. Puisqu'il faut dire les choses, le premier motif d'irrecevabilité de ce texte, ce sont les conditions dans lesquelles nous en débattons. Parce que ce texte n'est pas la seconde lecture d'un projet de loi : c'est un nouveau projet de loi, qui n'a pas été présenté par le Sénat, même si, d'un point de vue formel, notre ami Alain Claeys avait parfaitement raison, mais qui est présenté par le Gouvernement. De ce nouveau projet de loi, nous aurons peu de temps pour débattre.
    Votre remarque, essentiellement formelle, mon cher collègue Leonetti, vise en fait à insister sur le fait que nous ne devrions pas véritablement débattre autour de cela. Nous avons bien compris que c'est votre stratégie. C'est aussi le contenu de votre discours, puisque vous nous expliquez qu'a priori, nous devrions être tous d'accord. Je note au passage que vous avez assimilé un peu rapidement l'UMP à l'ensemble de la majorité, mais c'est un problème sur lequel je ne voudrais pas trop insister, n'étant pas là pour juger du caractère constitutionnel de cette déclaration.
    Pour le reste, je voudrais simplement vous dire que nous sommes devant un arbitrage politique qui a été rendu par cette majorité sur des questions de bioéthique. Cela ne se limite d'ailleurs pas à cette cette loi. Des arbitrages politiques ont été rendus sur d'autres questions de bioéthique, il y a une quinzaine de jours. Sur l'interruption involontaire de grossesse, vous avez arbitré politiquement sur des questions de bioéthique. Il se trouve que parce que, dans ce pays, d'une part, il existe encore un peu d'opposition, ne vous en déplaise, et que d'autre part, il y a un mouvement pour le droit et la liberté des femmes qui s'est exprimé, ce gouvernement a été amené à reculer - et nous nous en félicitons, tout en restant vigilants.
    Mais nous sommes, avec ce texte, dans la continuité d'arbitrages idéologiques qui sont rendus au sein du Gouvernement. D'ailleurs, le ministre, M. Mattei, ne nous a rien dit d'autre lorsqu'il a approuvé le fameux amendement sur l'IVG. En tant que responsable du ministère de la santé, il avait pourtant bien des raisons d'avoir des préventions vis-à-vis de ce texte qui posait des problèmes professionnels et des problèmes d'application pratique dans le domaine de la santé. Mais il l'a approuvé parce qu'il était, avec d'autres, porteur d'arbitrages idéologiques, lesquels sont illustrés par ce texte.
    Nous avons bien ici un texte parfaitement nouveau. Monsieur le ministre, soyons clairs, si vous nous dites : « Renoncez à l'affaire des cinq ans et renoncez au titre des bioéthiques, et on revient au texte de Jospin », nous signons tout de suite. Evitons ce débat ! Si c'est de cela qu'il s'agit de discuter, on abandonne les cinq ans, on abandonne le titre et on prend la loi de la première lecture. Vous voyez que nous ne sommes quand même pas très difficiles !
    L'inconstitutionnalité et le caractère constestable de ce débat, je l'ai dit tout à l'heure, tiennent d'abord à la manière dont nous allons en débattre. Sur ce sujet, oui, il y avait eu une certaine forme de consensus. Faut-il rappeler que les arbitrages qui ont été adoptés en première lecture l'ont été à une majorité qui dépassait très largement la majorité d'alors ? Que plusieurs ministres de l'actuel gouvernement - huit ministres, m'a-t-on dit - avaient voté le texte de la première lecture. Voilà ce que j'appelle un travail parlementaire qui tend à fabriquer un consensus. Rien, dans le texte qui nous revient aujourd'hui, n'est de nature à fabriquer un consensus dans le pays autour de ce problème. Nous assistons donc - faut-il s'en satisfaire ou pas, je ne sais pas, je constate - à un retour de la politique dans la bioéthique, et avec des choix politiques évidents.
    En tout cas, nous, nous n'avons pas de problème à l'intérieur de notre groupe, que ce soit au niveau des amendements que nous allons vous présenter ou que ce soit autour de la condamnation des dispositions que vous nous proposez dans cette nouvelle lecture. Les choses sont claires.
    Vous avez fait des choix qui sont, de notre point de vue, déplaisants parce qu'ils ne correspondent pas à ce que nous croyons être l'aspiration moyenne dans ce pays. Et j'allais dire, dans cette période où nous discutons de ces sujets, qu'un certain esprit laïque doit exister aussi par rapport à la recherche et pas simplement par rapport au port du voile. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean Leonetti. N'importe quoi !
    M. Jean-Marie Le Guen. Mais nous pensons également que c'est la question du droit des malades qui est en cause, et c'est pourquoi nous ne serons pas muets durant les quelques minutes pendant lesquelles il nous sera donné de débattre.
    M. Jean Leonetti. On est hors sujet depuis une demi-heure !
    M. Jean-Marie Le Guen. Nous pensons que, cinq ans ou pas cinq ans, les textes de loi font que dans ce pays il n'y a déjà pas de moyens pour la recherche - et à cet égard, l'absence de la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies revêt aussi une signification relativement importante dans notre débat -,...
    M. le président. Monsieur Le Guen, je vous prie de bien vouloir conclure.
    M. Jean-Marie Le Guen. ... mais qu'en outre, il y aura désormais encore moins de liberté. Et nous considérons aussi que c'est un problème constitutionnel, parce que c'est aussi le droit des Français et le droit des malades qui est en jeu à travers ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 593, relatif à la bioéthique :
    M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 761).
    Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (avis n° 709).
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures dix.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT