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Deuxième séance du mardi 20 janvier 2004

127e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

GRÈVES À LA SNCF

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, les Françaises et les Français sont très attachés à la notion de service garanti dans les transports publics. Comment, dans ces conditions, expliquer la grève annoncée ce soir à la SNCF ?

Vous savez à quel point l'UDF tient à ce service garanti. Elle considère que la prévention des conflits peut se traiter dans un espace de négociation. Elle suit avec intérêt et, même, soutient vos démarches en ce sens. Mais elle considère qu'à défaut, le respect de la continuité du service public ne pourra être assuré que par la loi. Notre groupe y est prêt, avec la proposition de loi déposée par Christian Blanc (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) ...

M. Maxime Gremetz. Quelle horreur !

M. Pierre-Christophe Baguet. ... qui offre une très belle perspective.

Le dossier est complexe et le chef de l'Etat lui-même, après avoir déterminé certaines priorités, semble maintenant s'y rallier.

Monsieur le ministre, ma question est simple : où en êtes-vous et quel est votre calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur Baguet, un débat a eu lieu au mois de décembre, au cours duquel le Gouvernement a bien perçu la volonté du Parlement d'avancer et d'aboutir s'agissant de la continuité du service public.

Nous sommes persuadés que tous les participants à ce débat ont bien perçu, de leur côté, que le Gouvernement était décidé à aboutir.

Nous pensons, les uns et les autres, après concertation avec les organisations syndicales, qu'il faut ménager deux temps, à commencer par celui de la prévention des conflits.

Toutes les organisations syndicales nous l'ont dit : réduisez d'abord le nombre de conflits, qui éclatent parce que nous ne sommes pas suffisamment écoutés.

Le Gouvernement exigera des organisations syndicales et des directions des entreprises de transport qu'elles aboutissent, dans les mois qui viennent, à un système d'alarme sociale, du type de celui qui existe à la RATP. Si elles n'y parviennent pas, il faudra passer par la voie législative ou réglementaire pour étendre les dispositifs d'alarme sociale à toutes les entreprises de transport.

Le deuxième temps est celui de la continuité du service public, qui a une valeur constitutionnelle aussi forte que le droit de grève.

Cette continuité du service public doit être effective en France. Or ce n'est pas le cas. Voilà pourquoi, dès le mois de janvier, sera créé un groupe d'experts qui discutera pendant deux ou trois mois avec les organisations syndicales pour établir, dans chacune des entreprises de transport, un niveau de service compatible avec l'exercice du droit de grève.

S'ils aboutissent sur le plan contractuel, une loi viendra valider ces accords. Sinon, une autre loi viendra équilibrer la continuité du service public avec le droit de grève. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DIALOGUE SOCIAL

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Le mécontentement monte dans le monde du travail (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) : à la SNCF, à EDF, GIAT Industries, Aéroports de Paris, France Télécom, dans les hôpitaux ou encore dans la fonction publique.

De nombreux salariés prévoient de s'associer aux journées d'action qui vont marquer l'actualité sociale. Ils savent que le statut d'EDF n'a pas d'autre objectif que de grossir les portefeuilles en Bourse de quelques-uns, au mépris de l'intérêt général. Ils savent que vos bonnes paroles pour l'hôpital s'y traduisent par une aggravation programmée de la situation. Ils savent que le désengagement de l'Etat à la SNCF n'aboutira qu'à supprimer plusieurs milliers d'emplois et à mettre le pouvoir d'achat en berne. Ils savent que votre gouvernement refuse toujours d'ouvrir dans la fonction publique les négociations que réclament unanimement les organisations syndicales.

Alors que vous annoncez le retour de la croissance, certains grands patrons déclarent qu'elle n'aura d'impact ni sur l'emploi, ni sur les salaires.

M. Richard Mallié. Qu'est-ce que vous en savez ?

Mme Marie-George Buffet. Le chômage flirte avec les 10 %, et vous supprimez les allocations à des dizaines de milliers de chômeurs. La consommation des ménages stagne, tout comme les investissements des entreprises, et vous favorisez les bas salaires avec le RMA et les contrats jeunes. La production industrielle recule, et vous laissez faire. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Avec la loi de dialogue social, vous voulez casser le code du travail. Avec le contrat de mission, vous systématisez l'insécurité de l'emploi.

Aucune de vos prétendues réformes ne répond aux attentes de notre pays ; mais celles-ci répondent aux exigences du MEDEF et le président Seillière a encore eu l'occasion de vous en remercier ce matin, dans son interview...

Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin entendre les aspirations populaires, allez-vous enfin ouvrir un véritable dialogue social ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Madame la députée, le Gouvernement a déjà eu l'occasion, à maintes et maintes reprises, d'expliquer les raisons pour lesquelles il était absolument nécessaire de modifier le statut des entreprises de EDF-GDF. Si nous ne le faisions pas, en effet, elles seraient gravement handicapées : c'est désormais dans le contexte européen qu'elles doivent réussir.

A cette occasion, leur capital sera ouvert afin de leur permettre d'acquérir des fonds propres. Mais nous avons précisé plusieurs fois qu'il s'agirait d'une ouverture minoritaire, le capital et le pouvoir de décision restant à l'Etat. Pourquoi vous acharnez-vous à parler de privatisation, alors que vous savez parfaitement qu'il n'en est pas question ? (« Mais si ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nous avons également précisé à plusieurs reprises que le statut des personnels serait scrupuleusement respecté, ainsi que le dialogue social.

Quant aux textes européens qui prévoient la libéralisation du marché du gaz et de l'électricité, nous avons obtenu des garanties s'agissant des missions de service public, comme jamais cela ne s'était vu dans le droit communautaire.

Madame la députée, je vous remercie de m'avoir donné une nouvelle occasion d'envoyer ce message à tous les salariés ainsi qu'à tous ceux qui, avec nous, sont fiers de ces belles entreprises et ont le souci de garantir leur développement pour qu'elles puissent remplir leur mission avec excellence. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.- Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains).

ÉPERONNAGE DU BUGALED-BREIZH

M. le président. La parole est à Mme Hélène Tanguy, pour le groupe UMP.

Mme Hélène Tanguy. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, la mer peut être un espace de solidarité. Ainsi, dimanche après-midi, alors qu'ils pêchaient sur un rocher de la pointe du Raz, un père et son fils furent pris par une lame de fond et ne durent leur salut qu'à la rapidité d'intervention de M. Laurent Maréchal, patron pêcheur à Audierne. Mais la mer peut aussi être marquée d'actes de lâcheté : le Bugaled-Breizh , un chalutier de Loctudy, a fait naufrage le jeudi 15 janvier dernier au large de l'Angleterre et les cinq marins qui étaient à son bord ont péri. Or nous avons appris hier du procureur du tribunal de Quimper que ce bateau avait été coulé par abordage !

Les images transmises par le robot, dépêché sur zone par la marine nationale, sont formelles : ce gros chalutier en acier de vingt-quatre mètres, en très bon état, a été éperonné par un autre navire encore non identifié, probablement un porte containers. L'état de la coque du chalutier ne laisse aucun doute sur l'importance de la collision !

C'est la stupeur sur les quais. Avec notre communauté maritime, je suis scandalisée. Comment des marins ont-ils pu sentir ce choc... et fuir ? Ils sont doublement criminels. Leur attitude est inqualifiable et insupportable pour les familles et pour nous tous.

Nous avons perdu du temps. Il nous faut retrouver les auteurs de cet accident, ou plutôt de ce crime commis en plein jour, par mer forte mais non démontée.

Le navire en cause a très certainement subi des dommages. J'espère que toutes les autorités portuaires, françaises et étrangères, européennes ou non, prendront leurs responsabilités dans l'avis de recherche lancé dans le cadre de la commission rogatoire internationale. Justice doit être faite, même si elle ne rendra pas la vie à nos cinq marins.

Monsieur le ministre, quelle décision le Gouvernement va-t-il prendre pour aider à l'identification la plus rapide possible de ce bateau ? En ce jour à nouveau marqué par un drame de la mer, de tels actes doivent être sévèrement punis. La liste des abordages est trop longue et trop coûteuse en vies humaines ! (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Au nom du Gouvernement, permettez-moi d'abord de saluer la mémoire des cinq marins disparus en mer et d'adresser un message de solidarité et de compassion aux familles comme à la totalité des gens de mer, qui paient un lourd tribut à cette dernière. Leur métier est difficile, il implique un grand engagement physique et les expose à de nombreux dangers. Les dangers naturels sont suffisamment nombreux pour que ne s'y ajoutent pas ceux des « voyous des mers ».

Je voudrais ensuite remercier l'ensemble des sauveteurs, notamment britanniques, qui ont participé aux opérations, en déployant sur les lieux du naufrage tous les moyens disponibles.

Je voudrais enfin saluer tous les marins pêcheurs qui, par esprit de solidarité, se sont portés sur la zone pour y participer eux aussi. C'est cela aussi la communauté maritime.

Le Gouvernement a immédiatement dépêché sur place le chasseur de mines Andromède, à bord duquel ont été embarqués le patron armateur du chalutier, un représentant du comité local des pêches du Guilvinec, un expert du bureau enquête accidents et un officier de police judiciaire.

L'exploration sous-marine conduit à penser qu'en effet le chalutier a été abordé très violemment. Certes, des accidents comme cela peuvent se produire, mais rien ne justifiera l'irresponsabilité et la lâcheté.

Nous avons donné des instructions extrêmement fermes pour faire inspecter tous les navires, y compris au niveau de l'étrave, et ce dès le lundi 19 janvier dans l'après-midi, sur l'ensemble des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage - les CROSS - et des centres de sécurité des navires des ports et services concernés. Il s'agit de retrouver le navire abordeur.

Nous essayons également de reconstituer les parcours en mer de tous les navires.

Enfin, nous avons fait très largement diffuser les informations disponibles, sur le plan européen et international, auprès des Etats adhérents au mémorandum de Paris.

Soyez assurée, madame la députée, de la détermination du Gouvernement de retrouver les responsables de ce naufrage, afin qu'ils soient justement sanctionnés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, vous avez récemment justifié votre politique en déclarant vouloir faire du « social durable ». A l'heure où licenciements, chômage et précarité installent la souffrance sociale chez tant de Français (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) , des éclaircissements s'imposent. Et, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est bien le lieu où doivent se confronter les analyses et les solutions à apporter à notre pays.

Monsieur le Premier ministre, qu'est-ce que le « social durable »  quand les Restos du cœur annoncent qu'ils vont devoir servir trois millions de repas supplémentaires, parce que vous avez privé des milliers de chômeurs de leurs allocations ?

Qu'est-ce que le « social durable » quand votre loi sur l'emploi prévoit d'assouplir les licenciements  et se propose de légaliser la précarité en instaurant un nouveau contrat de travail dit « contrat de projet » ?


Qu'est-ce que le « social durable » quand les personnels hospitaliers sont obligés de faire grève pour obtenir des postes ? (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Luc Reitzer. La faute à qui ?

M. Jean-Marc Ayrault. Qu'est-ce que le « social durable » quand les chercheurs sont obligés de menacer de démissionner pour arracher des crédits ?

M. Patrick Ollier. Caricature !

M. Jean-Marc Ayrault. Qu'est-ce que le « social durable » quand les assurés sociaux sont sommés de rembourser votre déficit cumulé de la sécurité sociale de 40 milliards d'euros ?

M. Lucien Degauchy. Qui est responsable ?

M. Jean-Marc Ayrault. La liste est longue des inégalités que vous avez créées. Je ne retiendrai que la hausse des taxes et des impôts locaux, la diminution des allocations logement.

Monsieur le Premier ministre, une politique sociale, cela ne consiste pas à payer de mots les Français ni à les noyer sous la compassion. Le désarroi de notre pays, que nous entendons ces jours-ci de plus en plus fort, vient de l'érosion continue de notre pacte social et de notre modèle social républicain, que vous alignez, sans jamais l'avouer, sur les normes a minima des Anglo-saxons. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. C'est vous le Saxon !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez le droit de croire que telle est la voie du salut. Mais, alors, ne vous faites pas passer pour le bienfaiteur des pauvres et des sans-grade !

M. Richard Mallié. La question !

M. Jean-Marc Ayrault. Assumez vos choix pour permettre aux Français de se prononcer dans quelques semaines en toute clarté. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le Premier ministre, vous ne faites pas du « social durable » : vous inventez le « social jetable » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Où est le Premier ministre ?

M. le président. Ecoutez M. Fillon.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président Ayrault, vous avez raison : il y a une différence entre la politique sociale irresponsable que vous avez menée (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste) et qui vous a conduits à un échec électoral historique et les efforts que déploie le Gouvernement pour adapter notre modèle social aux réalités du monde d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Hollande. Dites plutôt pour l'abaisser !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous n'avons aucune leçon à recevoir (« Oh si ! » sur les bancs du groupe socialiste) de ceux qui n'ont trouvé comme réponse à la mondialisation que la réduction du temps de travail et le recours massif aux emplois précaires dans la fonction publique, au prix, d'ailleurs, d'un effort démesuré pour les finances publiques de notre pays. (Protestations et claquements de pupitres sur plusieurs bancs du groupe socialiste.- Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous n'avons pas de leçon à recevoir de ceux qui ont été incapables de réduire la pauvreté alors qu'ils bénéficiaient d'une croissance exceptionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ...

M. Richard Mallié. Eh oui !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... n'ont pas su régler le problème des retraites, ont fait supporter à la sécurité sociale le coût des allégements de charges sur les entreprises, ont gelé les salaires des plus modestes et fait exploser le SMIC. (Mêmes mouvements.)

Nous n'avons aucune leçon à recevoir ...

M. François Hollande. Si, vous en avez !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ... de la part de ceux qui ont échoué à réformer la formation professionnelle et ont ignoré le dialogue social. (Mêmes mouvements.)

Ne vous en déplaise, monsieur Ayrault, la politique courageuse que conduit le Gouvernement a permis à notre pays de retrouver la croissance. Pour la première fois depuis 2001, le chômage a légèrement baissé en novembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Roland Chassain. Ils sont jaloux ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. L'objectif d'une croissance autour de 2 % est aujourd'hui considéré par tous comme atteignable. C'est dans cette perspective que nous allons préparer, avec les partenaires sociaux, la loi de mobilisation sur l'emploi. Cette loi, loin d'accroître la précarité, visera, au contraire, à sécuriser les trajectoires professionnelles.

Sur ce sujet, il y a beaucoup à faire. Dois-je rappeler qu'entre 1997 et 2002, le recours à l'intérim a doublé dans notre pays, que vous avez assisté à l'augmentation des contrats à durée déterminée sans traumatisme apparent et que les emplois-jeunes, symboles de votre politique de l'emploi éphémère, étaient des contrats de cinq ans ?

M. François Hollande. Votre symbole à vous, c'est le chômage !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le symbole de la politique sociale durable que nous conduisons, ce sont les contrats-jeunes en entreprise, qui sont des contrats à durée indéterminée. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

TÉMOIGNAGE DES ENFANTS VICTIMES D'ABUS SEXUELS

M. le président. La parole est à M. Eric Diard, pour le groupe UMP.

M. Eric Diard. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

Les médias se font malheureusement régulièrement l'écho d'abus sexuels et d'infractions à caractère pédophile. Une attention particulière doit être portée lorsqu'il s'agit de personnes exerçant une activité en contact permanent avec les mineurs. A cet égard, je tiens à remercier le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur d'avoir ajouté au projet de loi relatif aux évolutions de la grande criminalité, actuellement en discussion au Sénat, la création d'un fichier des auteurs d'infractions sexuelles graves contenant l'identité et la dernière adresse des personnes condamnées. Je voudrais également exprimer l'indignation et la douleur de toute ma circonscription après l'arrestation d'un instituteur remplaçant qui vient d'être mis en examen pour agression sexuelle sur mineur de moins de quinze dans au moins deux établissements. De tels faits nécessitent une politique ferme afin de protéger au mieux nos enfants.

Pouvez-vous me préciser, monsieur le ministre, quelle est l'importance juridique accordée à la parole de l'enfant dans ce type d'affaire ? En effet, elle doit être prise en compte, dans le cadre des procédures judiciaires, non seulement au moment de l'enquête, mais aussi pendant le déroulement de l'audience et lors du jugement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je veux vous dire, d'abord, ma détermination à lutter contre ces abominations que sont les violences sexuelles sur enfant. La semaine dernière, en réponse à une question de votre collègue M. Jardé, j'ai évoqué la mise en place d'un système de signalement qui devrait permettre, grâce à la mobilisation des policiers, des enseignants, des médecins, de donner l'alerte sur tout phénomène anormal concernant la santé d'un enfant avant qu'il ne soit trop tard. C'est un point très important.

Aujourd'hui, vous m'interrogez sur la prise en compte de la parole de l'enfant. Dans de telles affaires, l'enfant est traumatisé. Il doit être possible de l'entendre et de conserver sa parole durablement, tout au long de la procédure judiciaire, pour lui éviter la peine terrible d'avoir à répéter ce qui n'est pas répétable. On constate, d'ailleurs, très souvent qu'après avoir raconté les faits, l'enfant ne peut pas les redire. Il est donc très important de développer progressivement - et je m'y emploie d'ores et déjà activement avec l'aide de nombreuses associations - , sur l'ensemble du territoire et sous l'autorité des magistrats, des lieux où des médecins, en particulier dans les services d'urgence des hôpitaux, des policiers et des psychologues puissent recueillir le témoignage de l'enfant, le filmer et l'enregistrer. Cela permettra ensuite de conserver, tout au long de la procédure, ce témoignage indispensable pour lutter contre les êtres qui commettent de telles abominations.

Je vous remercie, enfin, d'avoir salué la volonté du Gouvernement de lutter plus efficacement contre de telles horreurs, grâce à un fichier des délinquants sexuels. J'aurai, dans quelques minutes, l'honneur de défendre devant le Sénat ce projet qui fait l'objet de critiques injustifiées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

SOUTIEN AUX PARENTS DE VICTIMES

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel, pour le groupe UMP.

Mme Chantal Brunel. Monsieur le ministre de l'intérieur, j'étais à vos côtés (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), jeudi dernier, à Melun, lors de la réunion de travail que vous avez tenue avec des associations de victimes. Nous portons tous dans nos cœurs Estelle, Audrey, Elodie, Delphine, Marion, Angélique, Emilie, Jessica, Marilou et bien d'autres petites victimes que je ne peux toutes citer.

J'ai été frappée, lors de cette réunion, par la très grande dignité et le courage de ces hommes et de ces femmes éprouvés par la disparition d'un des leurs. Ils ont besoin d'accompagnement et d'écoute : un mot, une attention, un geste peuvent faire beaucoup. En réponse, vous leur avez annoncé, monsieur le ministre, la mise en place, dans tous les commissariats et dans toutes les brigades de gendarmerie, d'une charte de l'accueil du public et de l'assistance aux victimes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J'ai aussi entendu de leur part d'autres demandes. Ces parents réclament, lorsque les coupables sont arrêtés, des peines avec des périodes de sûreté plus longues. Ils demandent aussi une plus grande sévérité pour les multirécidivistes. Ils savent, eux, que les politiques de prévention de la délinquance n'empêchent pas les actes, que seule l'exemplarité de la peine peut avoir un effet dissuasif. Ils attendent de vous de nouvelles propositions dans ce domaine. Où en êtes-vous sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Madame la députée, ces dernières années, il est vrai, on s'est beaucoup préoccupé des délinquants en oubliant de reconnaître à sa juste valeur le drame de la victime. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La première des injustices, notamment des injustices sociales, c'est le mépris dans lequel sont tenues les victimes.

M. Patrick Ollier et M. Dominique Dord. C'est vrai !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les policiers et les gendarmes savent bien qu'on peut faire rimer efficacité et humanité. Une femme qui a été victime d'une agression sexuelle doit être reçue dans un commissariat ou dans une brigade avec la délicatesse nécessaire. Une femme ou un enfant qui subissent des violences au sein de la famille doivent être considérés comme des victimes et leur douleur doit être reconnue.

Nous avons décidé que, désormais, dans toutes les écoles de police et de gendarmerie, d'anciennes victimes viendront raconter ce qu'elles ont vécu pour que tous les policiers et tous les gendarmes comprennent que cela peut arriver à tout le monde. Dès lors, ils ne pourront plus recevoir la personne comme un individu anonyme à intégrer dans les statistiques, mais comme un de leurs proches : leur enfant, leur femme ou leur ami. Humanité et efficacité guideront dorénavant l'action de la police et de la gendarmerie. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Ne leur en voulez pas, ils n'ont rien fait jusqu'à présent parce qu'ils pensaient qu'il n'y avait rien à faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste où plusieurs députés se lèvent et quittent l'hémicycle.)

M. le président. Chers collègues, restez assis ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

JUSTICE

M. le président. La parole est à M. André Vallini, pour le groupe socialiste.

Mes chers collègues, écoutez au moins M. Vallini, qui est de vos amis.

M. André Vallini. Monsieur le président, je partage l'indignation de mes collègues du groupe socialiste devant les provocations répétées et inacceptables du ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains -- Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Laissez M. Vallini parler !

M. Bernard Roman. Ce sont des voyous, Monsieur le président, même M. Chirac le dit !

M. André Vallini. Ma question s'adresse à M. Raffarin, en espérant qu'il condescendra à répondre lui-même. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Monsieur le Premier ministre, de votre ministre de l'intérieur et de votre ministre de la justice, on finit par se demander lequel des deux est le plus dangereux. (Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Si M. Sarkozy s'agite beaucoup pour mettre en scène des résultats très contestés, M. Perben, lui, agit beaucoup pour dissimuler une réforme très contestable. (« Provocation ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) A l'autosatisfaction presque indécente de M. Sarkozy, faut-il préférer la discrétion un peu suspecte de M. Perben ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.- Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


Sûrement pas quand sont en cause les droits de la défense, quand est menacée la protection des citoyens contre l'arbitraire, quand se trouve bafouée l'égalité de tous devant la justice.

Monsieur le Premier ministre, les avocats et tous leurs syndicats, les magistrats et tous leurs syndicats, les associations de défense des droits de l'homme, unanimes, vous demandent un moratoire sur le projet de loi dit Perben II qui instaurerait dans notre pays, non seulement un état d'exception permanent, mais aussi une justice à l'américaine, dure avec les faibles et conciliante avec les puissants. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Saurez-vous les entendre, monsieur le Premier ministre ? Il y va de la dignité de la justice française. Il y va du respect des fondements mêmes d'une démocratie digne de ce nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. La question était posée à M. le Premier ministre !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, M. le garde des sceaux a la parole.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, revenons, si vous le permettez, à l'essentiel, à savoir la situation actuelle de la justice, qui, vous en conviendrez - et je crois que vous partagez mon analyse jusque-là -...

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Vous êtes l'auxiliaire du ministre de l'intérieur !

M. le garde des sceaux. ...nécessite des réformes pour plus d'efficacité et d'humanité.

M. François Hollande. Et des moyens !

M. le garde des sceaux. C'est en fonction de cette préoccupation, et d'elle seule, que je travaille.

La loi d'orientation et de programmation permet de faire face aux besoins en personnels, en argent, en crédits d'investissement et de fonctionnement.

Mais la procédure est, elle aussi, à améliorer. Comme vous le savez, j'ai rencontré dimanche des personnes qui attendent une réponse pénale depuis douze ans. Ce n'est pas acceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Il ne suffit pas d'en parler. Il faut corriger, réformer. C'est la raison pour laquelle mon texte comporte deux volets - et vous le connaissez, monsieur Vallini, puisqu'il en est à sa quatrième lecture au Parlement. Dans le premier volet, nous donnons à la justice française, comme il se doit dans une grande démocratie, les moyens de lutter contre les bandes organisées internationales, ce qui est indispensable, y compris sur le plan financier. Dans le second volet, nous donnons à l'institution judiciaire la capacité de traiter l'ensemble des dossiers, très nombreux, qui lui sont adressés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Il est nécessaire de diversifier la réponse pénale. Tel est le sens, par exemple, du « plaider coupable » à la française qui montrera son efficacité. Vous verrez, monsieur Vallini, qu'il développera le rôle de l'avocat dans la justice pénale française. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Mais non !

M. le garde des sceaux. De grâce, soyons sérieux ! Ecoutons les victimes. Ecoutons les Français. Réformons la justice, elle en a besoin. Nous le ferons parce que nous la respectons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

MOBILISATION POUR L'EMPLOI

M. le président. La parole est à M. François Calvet, pour le groupe UMP.

M. François Calvet. Monsieur le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, l'emploi est la première priorité du Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et vous travaillez sans cesse à de nouvelles mesures destinées à améliorer la situation du marché du travail. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En ce domaine, deux rapports vous ont été remis la semaine dernière par deux experts dont la mission était d'établir un constat et de formuler des propositions.

Le premier rapport porte sur l'organisation du service public de l'emploi, son fonctionnement et ses faiblesses. Le second traite de la législation du travail et des améliorations qui pourraient y être apportées afin de favoriser l'emploi.

Ces rapports sont denses et contiennent de nombreux éléments ainsi que des pistes de réflexion variées.

Ces deux expertises qui ne constituent qu'une étape vous serviront de base pour préparer le projet de loi en faveur de la mobilisation pour l'emploi souhaité par le Président de la République.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles sont les grandes lignes de ces deux rapports...

M. Augustin Bonrepaux. Il n'y en a pas !

M. François Calvet. ... et nous préciser les conclusions que vous en tirez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous voulez dire du chômage et du MEDEF !

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, depuis vingt ans maintenant, notre pays détient le triste privilège d'avoir un taux de chômage qui, quelle que soit la croissance, est supérieur de deux points à la moyenne des autres pays européens. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Les causes de cette situation sont assez bien connues aujourd'hui.

La première est l'inadaptation de notre système de formation à l'évolution de notre économie. Une première idée autour de laquelle nous allons construire notre projet de loi est donc celle de la deuxième chance offerte à tous ceux qui sont sortis sans aucune formation du système éducatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Charasse. Cela existe déjà !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, cela n'existe pas aujourd'hui.

Deuxièmement, nous rencontrons une vraie difficulté du fait que notre code du travail, qui s'est construit au fil du temps, présente le double inconvénient d'être à la fois trop rigide et générateur d'insécurité et d'instabilité, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. C'est vous qui êtes le facteur d'instabilité !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Le rapport qui nous a été remis par M. de Virville et qui a été rédigé par un panel de personnes très diverses tant par leurs professions que par leurs tendances politiques propose des mesures qui devront permettre d'organiser des trajectoires professionnelles plus sûres. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il est insupportable de résumer ce rapport à une seule proposition,...

M. François Hollande. Le rapport est pire !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...réservée aux cadres et aux personnels très qualifiés pour des missions très spécifiques,...

M. François Hollande. C'est faux !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...devant être encadrées par des accords de branche.

La troisième cause de nos difficultés tient au fait que l'accompagnement des demandeurs d'emploi n'est pas suffisamment personnalisé. Le rapport Marimbert propose une meilleure coordination notamment entre l'ANPE et l'UNEDIC pour qu'il soit proposé à chaque demandeur d'emploi...

M. François Hollande. Une allocation !

M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. ...une solution adaptée à sa situation personnelle.

Nous allons engager la discussion avec les partenaires sociaux sur la base de ces propositions dès la semaine prochaine. Nous comptons travailler au fond avec eux afin de vous présenter un projet de loi qui s'appuie sur des solutions concrètes et non pas sur des visions idéologiques dépassées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ATTENTAT DE KARACHI

M. le président. La parole est à M. Jean Lemière, pour le groupe UMP.

M. Jean Lemière. Madame la ministre de la défense, le 15 janvier 2004, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Lô a rendu une décision dans l'affaire relative à l'attentat perpétré le 8 mai 2002 contre des membres du personnel de la DCN à Karachi. Ce jugement retenait la faute inexcusable de l'Etat au préjudice des employés de la DCN et étend l'indemnisation au bénéfice des familles de victimes ayant assigné l'Etat.

Je tiens à exprimer de façon tout à fait solennelle ma solidarité avec les victimes. Pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, plus de vingt mois après l'attentat, je formule la requête que l'Etat renonce à interjeter appel de cette décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Quelles sont, madame la ministre, les suites que vous entendez donner à ce jugement en ce qui concerne, d'une part, les familles de victimes ayant assigné l'Etat devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et, d'autre part, les familles de victimes n'ayant pas été directement partie à cette instance ?

Par ailleurs, je souhaiterais que vous m'indiquiez quelles sont les mesures qui ont été prises pour assurer la sécurité des employés de la DCN qui travaillent actuellement à Karachi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le député, l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi a été et reste une tragédie à la fois pour les familles des victimes, pour DCN, pour la défense et pour la France tout entière.

Il existe des logiques financières, des logiques administratives, des logiques humaines. A mes yeux, il serait absolument intolérable de mettre en cause le supplément d'indemnisation accordé par le tribunal des affaires de sécurité sociale aux familles des victimes de cet attentat. Je ne ferai donc pas appel de ce jugement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

J'ai d'ailleurs bien conscience que l'argent ne saurait en aucun cas compenser la douleur d'une épouse ou d'un enfant.

Je veillerai de plus à ce que les indemnités supplémentaires accordées soient rapidement et effectivement versées.

J'ai également décidé de faire bénéficier les familles qui n'ont pas introduit de recours des mêmes dispositions indemnitaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

En ce qui concerne la sécurité, qui doit être notre préoccupation première, notamment pour les personnels affectés à Karachi, une action a été entreprise afin de mettre en œuvre concrètement les conclusions de l'audit réalisé par les services spécialisés de la gendarmerie, à savoir la mise en place d'escortes, de dispositifs de protection, de sentinelles, de caméras numériques et de filtrage des personnes et des véhicules. Il est de notre devoir de tout faire pour qu'une tragédie comme celle de Karachi ne se reproduise plus jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RESTRUCTURATION DE LA POSTE

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Paul Bacquet. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. (« Lequel ? » sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le Premier ministre, lorsque vous refusez de répondre aux questions de fond de l'opposition, je n'ose croire que ce soit la marque d'un quelconque mépris pour le débat démocratique et la représentation parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais peut-être êtes-vous, comme moi, atteint d'une extinction de voix ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Goulard. Chez les socialistes, l'extinction de voix est un phénomène général !

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le Premier ministre, en septembre dernier, le président de la commission des affaires économiques, M. Patrick Ollier, a déclaré, dans un grand quotidien national, que la restructuration de La Poste se traduira par la fermeture de 900 bureaux.

M. Patrick Ollier. C'est un mensonge !

M. Jean-Paul Bacquet. Immédiatement, votre ministre délégué à l'industrie a affirmé qu'il n'en était rien, précisant : « Je regrette qu'il y ait des rumeurs aussi réductrices qui ne correspondent absolument pas à la réalité. »

Le Gouvernement a acté cette semaine le contrat de performance et de convergence 2003-2007 avec La Poste qui prévoit la fermeture de très nombreux bureaux de poste (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) : près de 6000, avec, si toutefois les collectivités - donc les contribuables - acceptent de payer leur remplacement par des points de contact.

Monsieur le Premier ministre, qui doit-on croire ? Le président de la commission des affaires économiques, qui a annoncé la fermeture de 900 bureaux, votre ministre, qui assure qu'il n'y aura aucun bureau de poste de fermé, ou le pacte signé avec le Gouvernement, qui en prévoit beaucoup plus ?

M. Patrick Ollier. Quel amalgame, monsieur Bacquet !

M. le président. Monsieur Ollier...

M. Patrick Ollier. Ce que dit M. Bacquet est scandaleux, monsieur le président.

M. Jean-Paul Bacquet. Qui doit-on croire, monsieur le Premier ministre ? Votre ministre délégué qui affirmait dans cet hémicycle, il y a un mois, qu'il n'y aurait aucune suppression d'emplois à La Poste, ou le contrat entre le Gouvernement et La Poste qui vient d'être signé, qui prévoit des suppressions d'emploi massives ?

M. Patrick Ollier. C'est malhonnête comme procédé, monsieur Bacquet !

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le Premier ministre, alors que l'emploi est et reste la première préoccupation des Français, alors que les licenciements se succèdent (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), voilà maintenant les services publics touchés de plein fouet (Mêmes mouvements) : moins 10 000 emplois à La Poste, moins 8 000 à France Télécom, moins 3 500 à la SNCF ! (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mon cher collègue, posez votre question.

M. Jean-Paul Bacquet. Sont-ce là, monsieur le Premier ministre, les premiers pas de votre plan pour l'emploi ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, personne n'a le monopole de la défense du service public. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Qu'il s'agisse d'EDF, de GDF, dont nous parlions tout à l'heure, ou de La Poste maintenant, je puis vous dire que la belle et généreuse idée française qui veut que les biens les plus essentiels soient accessibles à tous doit être soigneusement préservée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Hollande. Vous n'y croyez pas !

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Notre gouvernement s'y emploie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et nous avons l'impérieuse responsabilité, après cinq ans d'immobilisme (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), de concilier ouverture à la concurrence et respect des missions de service public.

De même que vous vous acharnez à parler de privatisation alors qu'il n'en est pas question, maintenant vous vous acharnez à parler de licenciement alors qu'il s'agit simplement de salariés qui partent à la retraite (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) dont certains emplois ne seront pas remplacés.

La présence postale sera totalement préservée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Des bureaux de poste seront ouverts. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Eh oui ! mesdames et messieurs les députés. Ces ouvertures interviendront dans les banlieues, là où la présence postale n'est pas suffisamment assurée. Cette présence sera simplement diversifiée, pour mieux répondre aux attentes des usagers et pour mieux assurer les missions de service public.

Croyez-moi, tout cela a été examiné avec le plus grand sérieux et accompagné d'un dialogue social exemplaire, que je tiens à saluer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je tiens également à saluer les efforts merveilleux que le président Jean-Paul Bailly a effectués avec toutes ses équipes aux côtés du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

MOBILITÉ DES JEUNES EN EUROPE

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe UMP.

M. Michel Herbillon. Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, l'Europe est partout : dans notre vie économique, avec le marché unique, dans notre porte-monnaie, avec l'euro, dans notre législation.

Pourtant, pour beaucoup de Français encore, l'Europe reste encore trop souvent une réalité abstraite, trop lointaine, trop impalpable, trop éloignée de leur vie quotidienne. Ce constat est particulièrement vrai pour de trop nombreux jeunes qui n'ont pas tous la chance de vivre l'Europe, comme le souhaite le Premier ministre, Jean- Pierre Raffarin.

Or ce sont eux qui vont faire vivre l'Europe de demain. C'est pour cela que les dispositifs favorisant la mobilité des jeunes, pour voyager, étudier, travailler librement au sein de l'Union européenne, doivent être soutenus, encouragés et multipliés, comme nous le recommandons ici, au sein de la Délégation européenne.

A ce titre, madame la ministre, vous avez lancé le projet « 10 000 stages en Europe, pour l'année 2004 ». Ce dispositif vise à permettre à 10 000 jeunes de partir en stage dans l'un des vingt-cinq pays de l'Europe, à faciliter la mise en relation des jeunes avec les entreprises, à accroître ainsi leurs opportunités de trouver un emploi.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer le contenu de cette initiative et plus généralement nous détailler votre action en faveur de la mobilité des jeunes en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

M. Alain Néri. Ce n'est pas comme ça qu'on ira loin !

M. le président. Monsieur Néri, je vous en prie.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, vous avez parfaitement raison de souligner, monsieur Herbillon, que la création de l'euro a largement changé la donne des relations entre l'Europe et les citoyens...

M. Philippe de Villiers. Grand succès !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. ...  puisque l'euro, c'est la réalité la plus tangible du projet européen.

Mais comme d'aucuns se plaisent à le souligner, cela ne suffit pas et nous ne pourrons pas continuer à faire progresser l'Europe sans un fort sentiment d'adhésion à la construction européenne.

M. Philippe de Villiers. Merci l'euro !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Il y a des signes encourageants, puisque, d'après les dernières estimations, on voit que les Français ont de plus en plus conscience des enjeux européens.

Vous avez signalé l'économie. Il y a aussi l'emploi. Il y a aussi la sécurité. C'est dans ce contexte que, sous l'autorité du Premier ministre, le Gouvernement a engagé une série d'actions pour favoriser notamment la mobilité des jeunes en Europe, pour mieux les préparer à leur destin européen.

A ce titre, deux opérations ont été lancées.

Première opération : les 10 000 stages. Quel que soit le succès d'Erasmus, il ne concerne qu'un nombre très limité d'étudiants hautement qualifiés moins de 1 % sont concernés. Le but principal de cette opération « 10 000 stages » est de démocratiser la mobilité, pour permettre aux jeunes de trouver des formations professionnelles en dehors des frontières nationales.

La deuxième opération est menée avec le concours des élus locaux, sur le terrain ; c'est celle des missions locales pour l'emploi. Tout jeune qui fait une démarche et qui se dirige vers une mission locale pour l'emploi a droit à un entretien qui le sensibilise à sa capacité de mobilité en Europe. Car nous ne voulons pas que les jeunes, quelle que soit leur catégorie sociale, soient laissés au bord de la route. Nous avons en effet un devoir collectif, qui est de préparer ensemble ce destin qui est le nôtre, qui est celui de notre Europe. En tout cas, c'est ainsi que nous mettons en œuvre la politique définie par le Premier ministre, afin que chaque jeune ait le droit de vivre mieux l'Europe, notre Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CHOIX DU SITE D'ITER

M. le président. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini, pour le groupe UMP.

Mme Maryse Joissains-Masini. Le pays d'Aix vous présente ses vœux, monsieur le président, ainsi qu'à tout l'hémicycle, sans oublier le personnel de l'Assemblée nationale.

M. le président. Nous sommes très sensibles à vos vœux, madame, dont je vous remercie.

Mme Maryse Joissains-Masini. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

Madame Haigneré, vous savez à quel point les territorialités du Sud-Est tiennent au projet ITER. Toutes tendances confondues, nous avons voté 10 % du projet.

Le lancement du projet ITER était attendu, en décembre, à Reston, aux Etats-Unis. Mais les participants ne sont pas parvenus à trancher entre le site français et le site japonais, reportant ainsi la décision définitive à plus tard.

Lors de cette réunion, il avait été prévu que des compensations seraient accordées au site qui n'aurait pas été choisi. Cependant, le gouvernement américain a créé la surprise en indiquant qu'il soutiendrait vigoureusement la candidature nipponne et son site, qu'il juge techniquement supérieur - cela n'engage qu'eux bien entendu - au site de Cadarache.

A l'heure actuelle, l'Union européenne, la Russie et la Chine soutiennent Cadarache, tandis que les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, bien évidemment, préfèrent le site japonais.

Le projet européen pourrait être rejoint par le Canada, qui proposait également, à l'origine, un site. A terme, des pays comme l'Inde ou le Brésil pourraient, eux aussi, faire partie du consortium.

Le projet de réacteur de fusion expérimental ITER est trop important, pour être retardé ou abandonné. D'après une dépêche AFP du 13 janvier dernier, si le consensus n'était pas obtenu en février, l'Europe s'engagerait avec ses partenaires dans la construction à Cadarache.

J'ajoute, madame la ministre, que les territorialités, toutes tendances confondues, sont prêtes à participer financièrement de façon beaucoup plus importante pour remplacer le financement des Etats-Unis, si besoin en était.

M. le président. Je vous prie de poser votre question, madame.

Mme Maryse Joissains-Masini. Pouvez-vous, madame la ministre, nous confirmer la position française et nous indiquer où en est le projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Madame Joissains-Masini, vous avez raison : le projet ITER est  trop important pour être retardé ou abandonné.

Organiser la coopération internationale sur l'énergie du XXIe siècle est une priorité : une priorité politique autant que scientifique. ITER est un immense projet de recherche : reproduire sur terre les conditions proches de celles qui génèrent l'énergie dans les étoiles. C'est une recherche qui fait rêver. Mais c'est aussi une recherche réaliste.

Nous avons en Europe, à Cadarache, au CEA et en Grande-Bretagne notamment, d'ores et déjà obtenu des succès extrêmement encourageants, des records mondiaux.

Vous savez que l'Union européenne est, depuis des décennies, engagée financièrement, avec des partenariats bien construits, dans la recherche sur la fusion. Il existe également d'autres partenaires, comme la Russie. J'ajouterai avec rigueur et honnêteté que le Japon a des compétences importantes dans le domaine de la fusion. C'est donc vraiment autour d'un partenariat international, dans l'intérêt de chacun, que nous voulons relever cet enjeu majeur.

Il y a des compétences. Organisons les complémentarités. C'est ce que nous avons décidé ensemble, lors de la dernière réunion de ministres à Washington, en dépassant les simples comparaisons des soutiens à l'un des sites : la Corée, les Etats-Unis et le Japon pour Rokkasho-Mura ; l'Union européenne, pour la Chine et la Russie pour Cadarache.

Tous les ministres présents ont décidé de se donner quelques semaines de plus pour élaborer un projet partagé, un véritable partenariat international. Ce sont les règles du jeu, nous les respectons. Nous nous y tenons. Nous y travaillons. Ceux qui agissent autrement ne jouent pas vraiment fair-play.

Nous préférons, nous, convaincre ceux qui hésiteraient encore sur la position à prendre. En implantant le réacteur à Cadarache, ils auront toutes les garanties de succès : succès scientifique, succès technique, succès industriel. De plus, je rappellerai la qualité de l'accueil à ITER pour la communauté internationale.

Je tiens à remercier toutes les collectivités territoriales de la région PACA pour leur engagement sans faille.

Je suis revenue ce matin de Séoul, où j'ai rencontré le nouveau ministre de la science. Avec votre collègue Pierre Lellouche, nous avons plaidé fermement pour une évolution de la position coréenne. Nous avons rappelé la détermination du gouvernement français et celle de l'Union européenne pour qu'ITER soit lancé sans délai et implanté à Cadarache.

Je crois que nous avons été entendus. Ils vont réexaminer leur position. Les équipes françaises, les équipes européennes vont travailler avec eux pour parvenir à ce résultat. Mais c'est en construisant le réacteur à Cadarache - je le dis très clairement - que nous donnons à tous les partenaires internationaux les meilleures chances de succès pour ITER. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANCOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Avant d'entamer le débat sur l'avenir de l'école, je souhaiterais vous dire, monsieur le président, à quel point le groupe socialiste est indigné par l'attitude du ministre de l'intérieur.

M. Hervé de Charette. Pour ce qu'il en reste, du groupe socialiste ! Vous êtes cinq !

M. Jean-Marc Ayrault. Pour l'instant, vous êtes seul, monsieur de Charette !

L'Assemblée nationale doit être - et je sais que vous y êtes attaché, monsieur le président - le lieu du débat démocratique.

Nous souhaiterions que, de temps en temps, M. le Premier ministre condescende à dialoguer avec l'opposition, car notre approche des grands problèmes qui traversent la société et qui préoccupent les Français comme les solutions que nous proposons pour y remédier sont différentes.

Nous sommes dans notre rôle quand nous interpellons le Gouvernement. Nous nous efforçons de le faire de façon franche et sincère. Aussi attendons-nous de sa part qu'il accepte le dialogue, le débat. Souvent, il s'y refuse et nous en prenons acte.

En revanche, nous n'acceptons ni l'anathème, ni la provocation. Il arrive à M. Sarkozy de s'emballer et cela ne sera sans doute ni la première fois, ni la dernière. Mais, désormais, même quand nous ne l'interrogeons pas, il s'en prend systématiquement aux députés socialistes en répondant à une question d'une députée ou d'un député de la majorité.

Aujourd'hui, il a dépassé les bornes. Dire que nous n'avons rien fait et que nous ne nous sommes pas préoccupés de la sécurité des Français...

M. Guy Geoffroy. C'est pourtant la vérité !

M. Jean-Marc Ayrault. ... est une véritable insulte. Nous ne l'acceptons pas et nous vous demandons, monsieur le président, de transmettre au Gouvernement - je l'ai d'ores et déjà adressée à M. le président Debré - la protestation la plus vive de l'opposition. Nous sommes en droit d'attendre un vrai débat. Nous ne demandons aucune complaisance, nous demandons le respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. J'ai bien compris votre message. Il sera transmis.

M. Hervé de Charette. Passons aux choses sérieuses.

3

AVENIR DE L'ÉCOLE

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur l'avenir de l'école et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais rappeler quelques éléments objectifs concernant le grand débat national sur l'école. Cette séance de discussion à l'Assemblée nationale est, pour M. Xavier Darcos et moi-même, très importante puisqu'elle nous permettra d'enrichir la réflexion destinée à préparer une loi d'orientation d'ici à l'automne prochain.

Le Président de la République a souhaité l'organisation d'un grand débat national sur l'avenir et les missions de l'école. Il lui a, avec le Premier ministre, assigné deux missions prioritaires.

D'abord, tenter d'élaborer un diagnostic, le plus partagé possible, sur l'état de notre système scolaire, c'est-à-dire sur ses points forts qui sont nombreux, mais également sur les difficultés qu'il rencontre aujourd'hui et qu'il devrait surmonter.

Ensuite, indiquer à notre école, d'une manière générale, un certain nombre de priorités qui devraient être retenues dans la rédaction de la future loi d'orientation.


Le débat sur le terrain étant aujourd'hui terminé, je puis vous communiquer des éléments chiffrés sur la participation à ce débat, qui nous ont été fournis par le président de la commission nationale du débat sur l'école, Claude Thélot, à partir de l'enquête d'un institut de sondage indépendant, la SOFRES.

Plus d'un million de personnes ont participé au débat à l'occasion de réunions organisées dans les établissements ou à l'échelle d'arrondissements et plus de 300 000 personnes l'ont fait sur le site Internet de la commission nationale. Parmi le million de personnes ayant participé aux débats sur le terrain dans les arrondissements ou dans les établissements scolaires, 45 %, soit 450 000 personnes, étaient des enseignants, 35 %, soit environ 350 000, des parents d'élèves et 10 % des personnes qui ne sont ni parents d'élèves ni professeurs, notamment des chefs d'entreprise, des élus et d'autres, mais qui se sont mobilisés pour participer à ce débat. Je tiens à remercier chaleureusement les uns et les autres pour cet acte de civisme, car, après tout, participer à un débat sur l'avenir de l'école au sein des établissements ou des arrondissements n'est pas a priori des plus tentants.

J'ajouterai, pour m'en tenir toujours à des observations objectives, que personne, à ma connaissance, n'a contesté le pluralisme et l'indépendance de la commission nationale présidée par Claude Thélot, chargée de définir des orientations permettant d'animer et d'organiser ce débat. Cela méritait aussi d'être signalé.

M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. De même, personne, à ma connaissance, n'a contesté la qualité des documents de base qui ont été fournis pour l'organisation et le déroulement du débat. Je pense notamment au document diagnostic qui a été préparé par la Haut conseil de l'évaluation, sous la présidence de Christian Forestier, ainsi qu'aux vingt-deux fiches de présentation des questions soumises au débat national et qui avaient été préparées par la commission Thélot. On pouvait exprimer des divergences, émettre des critiques, mais chacun a reconnu la très grande qualité de ces documents. Je considère que cela a contribué à nourrir très utilement ce débat national sur l'avenir de l'école.

M. Hervé de Charette. Absolument !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Pour la suite, le président de la commission nationale, Claude Thélot, nous proposera, aux uns et aux autres, ce qu'il appelle une « synthèse miroir » des débats, c'est-à-dire une synthèse qui fera le point sur les différents développements de tel ou tel sujet particulier parmi les vingt-deux questions soumises à la réflexion de nos concitoyens et qui donnera quelque 50 000 phrases par lesquelles les participants au débat ont défini leurs priorités. Ces indications nous sont très précieuses, puisqu'il ne s'agit pas d'un sondage mais de priorités dégagées au terme de débats qui, dans la majorité des cas, ont duré plusieurs heures. Cela est différent d'une consultation par un institut de sondage de Français qui n'auraient pu, au préalable, s'approprier un certain nombre d'éléments par l'intermédiaire de documents préparatoires et discuter entre eux pour définir des priorités dont, bien entendu, nous tiendrons compte.

Je soulignerai également - c'est un point important car d'autres consultations de ce type devront peut-être être organisées - que les réunions sur le terrain ont réuni en moyenne quarante à cinquante personnes, de sorte que chacun a pu véritablement s'exprimer et faire passer son message. On est très loin de certaines grand-messes organisées dans la maison éducation nationale, dans les dernières années, au cours desquelles, en dépit de leur mérite, les participants avaient le sentiment que leurs voix se perdaient un peu et n'étaient pas véritablement entendues.

M. Hervé de Charette. Excellent !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Je tirerai, en l'état actuel des choses, plusieurs conclusions de ce débat.

Premièrement, et c'est encore une donnée objective, la nature des sujets qui ont été retenus par le million de participants au débat national sur l'école est très intéressante. Les quatre premiers sujets sont les suivants : comment motiver les élèves ? - la question a occupé 15 % des débats sur le terrain / ; comment lutter efficacement contre la violence et rétablir l'autorité dans les établissements ? ; comment lutter efficacement contre l'échec scolaire ? ; comment diversifier les parcours, notamment au collège ? Autrement dit, si on lit en filigrane, comment réorganiser le « collège unique » et conforter la voie professionnelle ?

Ces quatre sujets qui occupent un peu plus de 40 % des débats sur le terrain sont des sujets lourds. Ils peuvent être interprétés comme une demande de la part de nos concitoyens de recentrer notre système scolaire sur des missions essentielles.

Il est naturellement beaucoup trop tôt pour dessiner les contours, ou, comme je l'ai lu dans la presse, esquisser les contours de la future loi d'orientation. Nous devons attendre la synthèse entreprise par la commission Thélot afin de prendre en compte ce qui a été exprimé par nos concitoyens sur tel et tel sujet ou en matière de priorités pour l'école. Ce n'est pas une prudence rhétorique car il convient d'être tout à fait honnête vis-à-vis de ceux qui ont participé au débat et de tenir compte de ce qu'ils ont dit dans les différentes réunions sur le terrain. Toutefois, il est possible de dégager deux éléments de réflexion qui devront, me semble-t-il, être pris en compte, d'une façon ou d'une autre, dans la future loi d'orientation.

J'ai commencé d'évoquer le premier en signalant les quatre premiers sujets retenus par nos concitoyens qui ont participé à ce débat. Il nous faudra, à partir de ces choix, recentrer dans la loi d'orientation les missions et les finalités de l'école sur les aspects fondamentaux. Mais il conviendra en outre de prendre en compte le fait qu'un certain nombre de problématiques et de sujets de discussion qui étaient en vigueur dans le débat public à l'époque où la précédente loi d'orientation de 1989 a été rédigée sont devenus aujourd'hui obsolètes ou doivent être reformulés. Je livrerai à votre réflexion quelques exemples qui n'anticipent en rien sur nos décisions futures.

Je note, par exemple, que la question de la violence était totalement absente des préoccupations du débat public à l'époque de la rédaction de la précédente loi d'orientation. La violence scolaire, la question de l'autorité sont des sujets qui n'existent pas dans le débat public en 1989 et qui, par conséquent, ne sont pas pris en compte dans cette loi d'orientation. Ce n'est pas une critique mais un constat objectif. Or les participants au grand débat national sur l'avenir de l'école nous incitent immédiatement à prendre en compte ce sujet, puisque c'est la deuxième priorité qu'ils ont retenue.

Autre exemple, la loi d'orientation de 1989 prévoyait que 80 % des élèves devaient parvenir au niveau du bac. Ils sont aujourd'hui beaucoup moins nombreux. Comme un laps de temps était prévu pour atteindre cet objectif, de facto, cet article de la loi d'orientation de 1989 est aujourd'hui obsolète. Il conviendra donc de voir comment reprendre en charge cette problématique ancienne en des termes nouveaux. Cela méritera aussi une réflexion très approfondie.

Dernier exemple, on évoquait et on évoque encore le terme de la scolarité obligatoire. Vous le savez, la réforme Berthouin de 1959 l'a porté de quatorze à seize ans. C'était évidemment souhaitable. Aujourd'hui, certains proposent d'aller plus loin et de la porter de seize à dix-huit ans.

Je formulerai une interrogation qui mériterait, me semble-t-il, d'être prise en compte dans la future loi d'orientation. Plutôt que de porter de seize à dix-huit ans l'âge de la scolarité obligatoire, n'est-il pas préférable de se demander, comme le faisait tout à l'heure le ministre des affaires sociales en réponse à une question d'actualité, s'il ne conviendrait pas de prévoir pour les jeunes qui quittent le système scolaire trop tôt, sans diplômes ou qualification suffisants, une formation tout au long de la vie ? (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.) Cela permettrait de répondre, en des termes différents, à la question pertinente de l'allongement de la durée de la scolarité obligatoire. C'est, en tout cas, une réflexion qui mériterait d'être approfondie dans le cadre de l'élaboration de la prochaine loi d'orientation.

Tel est le sens de mon intervention. Il ne s'agit pas de dire que la loi d'orientation devra prendre en compte tel ou tel sujet particulier. Il s'agit uniquement d'exemples qui nous incitent à envisager à un certain nombre de déplacements de frontières et de problématiques par rapport à la loi d'orientation de 1989, et qui montrent l'utilité de ce débat.

J'en viens précisément à l'utilité de ce débat. Beaucoup parmi les sceptiques, pas toujours bienveillants, ont demandé : pourquoi un grand débat national sur l'école ? Est-ce que le Gouvernement, ne sachant où il va, a besoin qu'on lui apporte des idées ? Certains, bien entendu, ironiseront sur le sujet. Je les laisse faire bien volontiers. Est-ce que le Gouvernement sait déjà ce qu'il faut faire mais n'a pas le courage de mettre en œuvre ses idées ? Il ne s'agit ni de l'une ni de l'autre hypothèse. Il s'agit de constater très simplement que nous disposons dans la maison éducation nationale d'une quantité considérable de rapports excellents, rédigés par des recteurs, par des inspecteurs généraux, par de nombreux spécialistes, mais qu'il existe un gouffre parfois abyssal entre, d'une part, ce que savent les experts du système éducatif, ce qu'ils disent parfois depuis des années et qui n'est pas toujours pris en compte par les politiques, et, d'autre part, l'opinion publique, qui n'est pas véritablement informée de ces sujets.

Le premier objectif de ce débat était de combler ce gouffre entre ce que savent les experts du système éducatif et l'opinion que les citoyens, qui ne sont pas toujours des experts, ce que nul ne songe à le leur reprocher, peuvent exprimer sur un des sujets très techniques et qui requièrent une certaine expertise.

Le deuxième objectif était que les citoyens nous indiquent, afin que nous puissions en tenir compte, quelles sont, à leurs yeux, les priorités à retenir pour l'éducation nationale. Cela ne signifie pas que nous les traduirons ipso facto dans la loi, mais à tout le moins qu'il conviendra d'en tenir compte et d'apporter des réponses aux questions posées en filigrane par le choix de certains sujets plutôt que d'autres.

Enfin, il était aussi nécessaire d'associer nos concitoyens à une forme de décision. On a parlé d'exercice de démocratie directe. C'était peut-être excessif...

M. Jean-Marc Ayrault. Certainement !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche....mais il fallait que nos concitoyens puissent participer à l'élaboration d'une loi d'orientation qui devra comporter un certain nombre d'engagements précis de la nation envers son école. Cela aussi devait être pris en compte dans l'organisation de ce grand débat.

J'ai parlé de démocratie directe. Bien entendu, la formule était un peu excessive. L'essentiel pour nous, ministres - je m'exprime également au nom de Xavier Darcos et de l'ensemble du Gouvernement -, c'est d'abord et avant tout la représentation nationale. En ce sens, le débat d'aujourd'hui est pour nous extrêmement important puisque, in fine, c'est à la représentation nationale qu'il appartiendra de discuter et, le cas échéant, de voter la future loi d'orientation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire.


M. Xavier Darcos,
ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à mon tour, je veux vous dire combien je me réjouis de voir l'Assemblée nationale se saisir du grand débat qui s'ouvre sur l'avenir de l'école. J'ai souvent souhaité, comme nombre d'entre vous je le sais, que la question scolaire puisse s'inscrire dans les réflexions et les travaux de l'Assemblée nationale autrement que par les quelques heures réservées chaque automne à la discussion budgétaire, quelles que soient par ailleurs la qualité et la richesse des interventions que cet examen budgétaire permet.

Je m'en réjouis d'autant plus que la discussion d'aujourd'hui, les interventions que nous allons entendre sont le prélude à d'autres débats de fond. Je veux parler du projet de loi sur la laïcité qui vous sera soumis dans quelques semaines et du projet de loi d'orientation sur lequel vous aurez à vous prononcer dans quelques mois. Ainsi, l'ensemble des contributions de nos concitoyens viendront se fondre dans l'action législative qui est la vôtre.

Je veux rappeler tout d'abord que la participation de la nation au grand débat a été d'une ampleur exceptionnelle. Les critiques qui se sont fait jour, soit au préalable, soit au fur et à mesure des débats, n'ont pas trouvé finalement à s'appliquer. Ce sont plus de 30 000 réunions publiques qui auront été tenues, les réunions, qui étaient au nombre de 15 000, s'étant déroulées en deux temps. Plus d'un million de personnes y ont participé, soit un Français sur cinquante. Voilà qui constitue, me semble-t-il, un exercice de démocratie participative qui est une réussite en soi puisque tous les acteurs de l'école, directs ou indirects, ont pu y participer, sans compter les plus de 300 000 personnes qui se sont connectées au site Internet du grand débat sur l'avenir de l'école et y ont donné leur avis.

Après avoir salué l'ampleur du débat, j'en viens à une deuxième observation : les enseignants ont participé au débat, il n'y a pas eu de désaffection, pas même de boycott, ce que certains avaient espéré. Bien au contraire, les enseignants ont représenté 45 % des intervenants, c'est-à-dire 450 000 personnes, soit un enseignant sur deux. Autrement dit, la communauté éducative s'est mobilisée pour participer à ce débat de manière tout à fait constructive. C'est bien la preuve que le débat, en dehors de tout autre considération, correspondait à des attentes et qu'il y a là un objectif majeur que nos concitoyens ressentent et qu'ils souhaitent saisir. Ils veulent avoir à se prononcer sur l'avenir de l'école.

Après Luc Ferry, je veux souligner qu'il est frappant que parmi les questions qui étaient proposées à la réflexion générale, ce sont bien les enjeux les plus lourds, ceux qui sont au cœur de l'école - comment faire réussir les élèves, comment enseigner - qui ont été jugés prioritaires.

J'ajoute que la presse, et en particulier la presse quotidienne régionale, a donné de nombreux échos au débat. Plus de 1 200 coupures de presse ont été consacrées à ce sujet, dont de longs articles illustrés. Cette couverture médiatique montre bien que les débats étaient au plus près du terrain et que leur image était positive. La presse quotidienne régionale et locale qui est au plus près des questions régionales a bien vu là un enjeu qui la concernait.

Evidemment, faire des réunions, mobiliser des enseignants, avoir des taux de participation élevés, une couverture médiatique importante, est utile, mais ce n'est pas une fin en soi. Tout ceci prépare une pensée et une expression législative, ambition législative qui reflétera tout simplement l'ambition de la nation tout entière. Souvenez-vous de ce que déclarait le Président de la République, le 20 novembre dernier : « Le moment est venu pour notre pays de se rassembler autour de ce qu'il désire pour sa jeunesse et de renouveler le pacte qui le lie à son école. » Et il concluait ainsi : « Ce débat national est une chance pour notre pays. »

Je donnerai trois raisons qui, à mes yeux, illustrent cette chance et justifient qu'on la saisisse.

Premièrement, il est indéniable qu'il n'y a pas de sujet qui suscite plus de passions, de polémiques, de tensions que celui de l'école. Nous savons que la passion française pour l'école ne tarit pas et qu'elle a, de ce fait, souvent suscité des querelles, des divisions, voire des crises. Mais cette passion pour l'école est à mes yeux l'atout principal de notre école. Nous devons parvenir, à travers ce débat, à capter les aspects les plus positifs de cette passion et retourner en forces de création ce qui a pu être vécu souvent tout simplement comme une crise. Je ne suis pas naïf au point de penser qu'un consensus général surgira subitement sur la question scolaire. Mais je suis convaincu que bien des convergences sont possibles.

M. Guy Geoffroy et M. Michel Herbillon. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Donner la priorité aux fondamentaux, accueillir les élèves handicapés, lutter contre la violence scolaire, donnée qui n'existait pas lors de la précédente loi d'orientation : voilà des sujets qui doivent pouvoir capter l'unanimité.

Par ailleurs, qui sait regarder l'éducation nationale sur le long terme - et c'est pour elle le seul point de vue qui convienne - ne peut qu'être frappé par le cheminement continu, parfois invisible, d'idées qui, conflictuelles au départ, finissent par aboutir à un consensus. Qu'on pense, par exemple, à l'émergence de la notion d'établissement scolaire comme lieu d'une politique éducative, comme lieu contractuel d'un projet éducatif qui était totalement inconnu au début des années 80 et qui s'est imposé petit à petit à partir du début des années 90.

La deuxième raison qui me pousse à prendre ce débat très au sérieux, c'est évidemment parce qu'il prépare une loi d'orientation. C'est un débat pour agir, pour construire. Il s'agit de fixer le nouvel horizon de l'école pour les quinze ou vingt ans à venir. Il est naturel que la loi de 1989, qui a une quinzaine d'années, ait vieilli sur tel ou tel aspect et que les réalités d'aujourd'hui ne soient plus identiques à celles d'hier. A cet égard, il n'est pas vrai que la loi que nous souhaitons soit une contestation ou une dénonciation de la loi de 1989. A d'autres temps, d'autres conditions, d'autres lois.

Par exemple, comme l'a dit à l'instant Luc Ferry, la question de la violence scolaire était absente de la réflexion de 1989. Aujourd'hui, vous le savez, ce sujet est préoccupant. Il a même été fixé comme l'une des principales préoccupations par ceux qui ont participé au débat national.

De même, la dimension européenne ou internationale de l'éducation, dans un monde de plus en plus ouvert, dans un monde concurrentiel doit être intégrée dans nos réflexions et dans nos perspectives ; elle ne l'est pas aujourd'hui.

Par ailleurs, il nous faut adapter nos objectifs de qualification aux besoins de la société à l'horizon de 2010-2015.

On pourrait multiplier les exemples. Vous aurez compris qu'il ne s'agit nullement de jeter à bas, pour je ne sais quelle raison de principe, une loi que nous n'avons pas élaborée nous-mêmes, mais d'accoler une nouvelle réforme à l'effort que la nation elle-même aura fait pour conduire sa réflexion.

Le monde change à vive allure et rien ne serait pire pour l'avenir de la France que de refuser d'adapter notre système éducatif à ces changements. Un long cycle de l'histoire de notre éducation s'achève. Il faut, ensemble, ouvrir une page nouvelle.

Enfin, il me semble que ce débat doit être l'occasion pour les Français de se rassembler autour de leurs enseignants.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Nous le savons, la crise de l'autorité retentit d'une manière particulièrement aiguë au sein de l'institution scolaire, la crise de la transmission des savoirs, la crise même de l'autorité en général et de l'autorité des savoirs eux-mêmes qui font que la culture est contestée et que la culture scolaire elle-même a besoin d'être redéfinie.

Je souhaite qu'à l'occasion de nos réflexions et plus tard, si c'est possible, à l'occasion de la loi d'orientation, le métier de professeur, qui est de plus en plus difficile, retrouve sa dignité, soit à nouveau compris, estimé, car il n'y a rien de plus essentiel pour l'avenir de notre pays que la mission de ceux qui transmettent le savoir.

M. Michel Herbillon. Très juste !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Je crois que nous avons tous besoin de nous mettre derrière les enseignants de France.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. C'est pourquoi il est indispensable que la nation propose, à cette occasion, les voies et moyens de rendre toute leur dignité aux enseignants.

M. Daniel Prévost. Très bien !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Il n'y a pas d'éducation possible, d'avenir pour la jeunesse sans un soutien, sans une reconnaissance face à ceux à qui la nation a confié la charge et la responsabilité des jeunes et des élèves.

En conclusion, je souhaite que la future loi d'orientation soit explicite sur cette question et que, s'appuyant sur un nécessaire rappel des valeurs qui fondent l'école de la République, elle redonne à nos maîtres l'assurance et l'espoir dont ils ont besoin. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, premier orateur inscrit.

M. Yves Durand. Rassurez-vous, messieurs les ministres, je n'ai pas du tout envie d'ironiser ce soir car l'école est un sujet trop sérieux ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je crains, notamment après vous avoir entendus, que le débat auquel vous nous conviez n'ait pas plus de signification que les synthèses qui vont être sans doute laborieusement tirées ...

M. Guy Geoffroy. Quel mépris !

M. Pierre-Christophe Baguet. C'est nul !

M. Yves Durand. ... des rencontres quelquefois confidentielles qui ont constitué ce que vous persistez à appeler le grand débat sur l'école.

M. Guy Geoffroy. Il ne fallait pas hésiter à y participer !

M. Yves Durand. En effet, pourquoi aujourd'hui ce débat sans vote ?

M. Guy Geoffroy. Parce que vous ne l'avez jamais fait !

M. Yves Durand. J'avoue que vos interventions ne m'ont pas tellement éclairé sur cette question. Que cherchez-vous ici par ce débat ?

M. Patrick Roy. On se le demande !

M. Yves Durand. Voulez-vous tenter de donner une caution parlementaire à une opération qui, de l'avis quasi général, n'a pas été, comme il est dit, un grand succès, malgré une campagne publicitaire sans doute fort coûteuse et l'implication personnelle du Président de la République ?

M. Guy Geoffroy. Quel mépris !

M. Yves Durand. S'agit-il de tracer dès ce soir les grandes lignes de la nouvelle loi d'orientation promise par Jacques Chirac lors de ses vœux, comme le laissent un peu supposer quelques éléments de votre intervention, monsieur le ministre de l'éducation nationale ?

M. Guy Geoffroy. Et si on parlait de l'école ?

M. Yves Durand. Ce serait alors l'aveu même que le projet de loi sur l'école est, pour l'essentiel, déjà prêt ...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est un procès d'intention !

M. Guy Geoffroy. Vous n'avez rien de plus neuf ?

M. René Couanau. Il utilise les vieux procédés !

M. Yves Durand. ... et que le débat auquel vous avez vainement convié les Français était bien un trompe-l'œil.

M. Guy Geoffroy. C'est nul !

M. Yves Durand. Et je vais prendre un exemple, mes chers collègues.

Je vous ai entendu tout à l'heure, monsieur le ministre de l'éducation nationale, considérer que l'objectif de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat était obsolète.

M. Guy Geoffroy. Absolument ! Il n'a jamais été atteint !

M. Pierre Micaux. C'est la réalité !

M. Yves Durand. Il y a là un problème de fond qui mérite un débat autrement que d'un revers de main, fût-il ministériel, à la tribune de l'Assemblée, alors que, à vous entendre, le débat n'est pas encore clos.

M. Michel Herbillon. Vous refusez le débat !

M. Yves Durand. Car cet objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat ...

M. Guy Geoffroy. Cela vous dérangeait !

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Durand s'exprimer !

M. Yves Durand. Merci, monsieur le président.

M. Guy Geoffroy. Qu'il parle de l'école !

M. le président. Monsieur Geoffroy !

M. Yves Durand. Quand je parle de 80 % d'une classe d'âge au niveau de du baccalauréat, mon cher collègue, cela concerne un peu l'école tout de même !

Certes, disais-je, cet objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat n'a pas été atteint ...

M. Guy Geoffroy. Loin s'en faut !

M. Yves Durand. ... et nous en sommes d'accord ...

M. Alain Néri. Ne vous laissez pas interrompre, mon cher collègue ! Cela fait mal où ça touche !

M. Yves Durand. ... mais quel progrès de passer de près de 15 % d'une classe d'âge au baccalauréat dans les années 60 à près de 65 % aujourd'hui ! Certes, l'objectif n'a pas été atteint, mais le progrès est énorme et le déclarer obsolète comme vous le faites, c'est le remettre en cause ...

M. Michel Herbillon. Quelle caricature !

M. Yves Durand. ... et d'ores et déjà enclencher, une fois de plus, la marche arrière pour l'éducation nationale.

M. Guy Geoffroy. Absolument pas !

M. Yves Durand. Monsieur le ministre, la seule manière de redonner un peu de crédibilité à votre démarche serait de vous engager ici, dès ce soir, à présenter devant le Parlement une évaluation sérieuse et incontestable de l'actuelle loi d'orientation, celle adoptée en 1989,...

M. Guy Geoffroy. Vous n'allez pas être déçu !

M. Yves Durand. ... de son application, en faisant un tableau objectif de ses réussites comme de ses difficultés, avant d'engager l'élaboration d'une nouvelle loi pour l'école.

M. Arnaud Montebourg. Voilà qui est constructif !


M. Yves Durand
. Etes-vous prêt, monsieur le ministre, à prendre devant la représentation nationale un tel engagement ?

M. Patrick Roy. Bonne question !

M. Yves Durand. Personne ne peut se réjouir de ce rendez-vous manqué de la nation avec son école. Mais il faut y voir de la part de l'ensemble des acteurs de l'école, de tous ceux qui l'aiment réellement, une défiance à l'égard de votre politique scolaire, qui va bien au-delà du simple rejet provoqué par des promesses souvent non tenues.

Comment les Français pourraient-ils croire à votre sincérité dans ce débat quand vous pratiquez systématiquement un double langage pour masquer une réalité qu'ils sont en train de découvrir dans chaque académie en ce moment même ?

M. Michel Herbillon. Quel procès d'intention !

M. Yves Durand. Nullement ! Voici les chiffres ! La réalité, monsieur le ministre, c'est la suppression de 5 000 postes dans l'enseignement secondaire ; c'est une nouvelle vague de disparitions des aides éducateurs et des surveillants - près de 30 000 - non remplacés par vos assistants d'éducation dont, d'ailleurs, personne ne veut. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est la suppression de 1 500 postes d'ATOSS ;...

M. Guy Geoffroy. C'est pire que de la caricature !

M. Yves Durand. ... c'est le refus de créer le moindre poste d'infirmière, d'assistante sociale, de médecin scolaire ; le moindre poste de professeur dans l'enseignement supérieur.

M. Alain Néri. C'est la casse des équipes éducatives !

M. Yves Durand. En quelques mois, vous avez remplacé le plan pluriannuel de recrutement que nous avions mis en place par un plan de destruction des emplois dans l'éducation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Eric Raoult. Caricature !

M. Yves Durand. Monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, comment les enseignants, pour lesquels vous avez eu des mots chaleureux, pourraient-ils croire à votre volonté sincère de défendre l'école quand vous n'avez cessé, depuis votre arrivée au ministère, d'en dresser un tableau négatif ?

M. Guy Geoffroy. C'est fou !

M. Yves Durand. Si l'on soumettait vos propos à l'exercice auquel on va soumettre les quelques réponses qui sont parvenues à la commission Thélot, c'est-à-dire identifier les termes les plus employés, on aurait : échec, illettrisme, école en crise, école en panne. Comment insuffler à nouveau la confiance quand le ministre lui-même donne, à tort, une image aussi dégradée de l'institution qu'il a la responsabilité de promouvoir ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Et Allègre ? Que disait-il ?

M. Eric Raoult. C'est nul !

M. Yves Durand. Comment les enseignants et les parents se convaincraient-ils que vous allez les écouter quand, pour beaucoup, ils paient lourdement les conséquences de votre désinvolture à leur égard lors du mouvement de grève du printemps dernier, largement causé par votre incapacité à tenir vos engagements et un langage clair ?

M. Eric Raoult. Redonnez-nous le « mammouth » !

M. Yves Durand. Pourtant, monsieur le ministre, de réelles questions se posent à notre système éducatif parce qu'il est aujourd'hui à une croisée des chemins. L'enjeu est d'importance : il s'agit de passer de l'école ouverte à tous - la massification - à l'école de la réussite pour tous en ayant pour tous les jeunes une égale exigence dans l'accès à la maîtrise des savoirs - la vraie démocratisation.

M. Guy Geoffroy. Ah, tout de même, vous le reconnaissez !

M. Yves Durand. Pour relever ce défi, on ne peut se contenter d'une série de questions tantôt vagues, tantôt purement techniques, sans réelle ambition, et qui, bien souvent, reconnaissez-le, commandaient les réponses.

M. Michel Herbillon. Quel mépris pour le débat !

M. Guy Geoffroy. Et pour le travail accompli !

M. Yves Durand. Je prends un exemple. A la question : « Le collège unique répond-il à la diversité des élèves ? », la seule réponse que l'on peut apporter, compte tenu des conditions de vie actuelles dans les collèges, que vous avez contribué à dégrader considérablement, est à l'évidence négative. Poser la question ainsi n'est qu'un moyen de tenter de légitimer les déclarations que vous avez faites dès votre arrivée au ministère sur le collège unique, pour le condamner.

C'est ce manque de volonté, de clarté, c'est cette constante ambiguïté qui est à l'origine du manque d'intérêt manifesté pour votre débat, même si les Français sont passionnés par tout ce qui concerne leur école.

Nous aurions été à vos côtés, je vous prie de le croire, monsieur le ministre, si vous aviez eu la volonté et le courage de soulever les questions de fond que tous les responsables éducatifs se posent. Il suffit d'accepter de les entendre. J'en cite quelques-unes, rapidement.

Pourquoi n'avez-vous pas voulu aborder la question de l'accueil des enfants dès deux ans dans des structures éducatives devant leur permettre le passage progressif de la famille au milieu scolaire ? Il est vrai que votre budget sacrifie l'école maternelle et rejette la responsabilité de l'accueil des jeunes enfants sur les seules familles et les collectivités territoriales ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy et M. Eric Raoult. C'est faux !

M. Yves Durand. Pourquoi ne pas s'interroger sur le temps de la scolarité obligatoire dans sa globalité et, au lieu de séparer école, collège, lycée, ne pas créer une véritable continuité éducative jusqu'à seize ans, et pourquoi pas jusqu'à dix-huit ans ? - la question mérite d'être posée, et non pas évacuée au détour d'un discours -...

M. Guy Geoffroy. On ne les refera pas !

M. Yves Durand.... en décloisonnant l'espace, la classe, le temps scolaire ? Cela nécessiterait, évidemment, plus d'enseignants que de classes, notamment à l'école élémentaire.

M. Arnaud Montebourg. Ce sont d'excellentes questions !

M. Yves Durand. Notre ambition doit être de maintenir les jeunes ensemble dans le système scolaire,...

M. Robert Lamy. C'est une découverte bien tardive !

M. Yves Durand.... au lieu de se résoudre, comme vous venez en fait de le proposer, monsieur le ministre, à constater leur échec et à les exclure de l'école et du système scolaire tout en leur promettant une formation tout au long de la vie, dont chacun sait qu'elle n'est qu'un leurre si elle ne repose pas sur une formation initiale solide.

M. Alain Néri. Très juste !

M. Yves Durand. Mais votre politique de réduction d'emplois et votre volonté affichée de créer à nouveau un palier de sélection en cinquième sont en contradiction totale avec une telle ambition.

Pourquoi ignorer le passage du lycée à l'université et ne pas fixer un objectif ambitieux de diplômés de l'enseignement supérieur par classe d'âge alors que notre pays en manque cruellement ? Je ne reviens pas sur le budget correspondant : pas un seul poste de professeur créé pour 2004 !

Pourquoi ne pas avoir voulu poser la question de l'éducation en dehors du temps scolaire ? Vous avez enfermé le débat dans la seule école. Il faudrait pourtant envisager comment l'éducation peut se poursuivre autour de l'école, pendant le temps libre.

Mme Nadine Morano. Le temps libre, vous savez ce que c'est !

M. Yves Durand. Il est vrai que vous asphyxiez les associations d'éducation populaire en amputant les subventions qui leur permettent d'assumer leurs tâches !

Pourquoi enfin ne pas s'être interrogé sur la place de l'école dans son environnement en réaffirmant une volonté forte de poursuivre la politique éducative inégalitaire, capable de combattre réellement les inégalités sociales et culturelles ? Faites, là aussi, une évaluation sérieuse et objective des zones d'éducation prioritaire !

Monsieur le ministre, en refermant l'école sur elle-même, vous l'avez étouffée. Ce débat devant notre assemblée est lui aussi tronqué puisqu'il ne sera sanctionné par aucun vote.

Mme Christine Boutin. Vous n'avez pas le droit de dire ça. Ce n'est pas bien !

M. Yves Durand. Ma conclusion ne sera donc pas celle d'une discussion parlementaire de plein droit.

Néanmoins, à un moment où votre politique scolaire provoque au mieux l'indifférence, au pire la défiance,...

M. Guy Geoffroy. Et la vôtre, alors ?

M. Yves Durand. ... je voudrais exprimer la conviction profonde des socialistes.

M. Guy Geoffroy. Ils en ont donc une ?

M. René Couanau. Ce n'est plus la politique du mammouth, mais celle du dinosaure !

M. Yves Durand. L'égal accès de tous au savoir est le meilleur moyen, et peut-être le seul, de lutter contre les discriminations qui rongent la démocratie. Lorsqu'aux inégalités sociales et au chômage qui s'aggravent, à des conditions de logement indécentes, s'ajoute encore l'inégalité des enfants devant la connaissance et la culture, l'espoir fait place au fatalisme, et, inéluctablement, l'individualisme, le repli sur soi, et la peur de l'autre l'emportent sur la fraternité.

Or, c'est bien la fraternité, absente du débat, que nous devons construire pour fonder une République véritable, dont la devise ne sera pas seulement ornementale, mais se vivra au quotidien. Pour y parvenir, et, là-dessus, nous sommes d'accord avec vous, de redoutables difficultés nous attendent.

La grande différence entre vous et nous, c'est que ces difficultés nous ont toujours aidés à forger une véritable ambition pour l'école,...

M. Guy Geoffroy. Les enseignants ne sont pas de votre avis. Ce sont d'ailleurs eux qui vous ont fait battre !

M. Michel Herbillon. Il n'y a que vous pour vous en convaincre.

M. Yves Durand.... tandis que vous, les obstacles vous plongent dans l'abandon et le renoncement. Votre politique depuis deux ans le démontre, hélas ! budget après budget, déclaration après déclaration, et vos propos de ce soir, un peu lénifiants, le confirment.

M. Eric Raoult. Caricature !

Mme Nadine Morano. Scandaleux !

M. Yves Durand. Notre école ne mérite pas votre renoncement et elle peut compter sur notre ambition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, il est juste, nécessaire et bienvenu que les parlementaires puissent s'exprimer aujourd'hui sur l'école au moment où se clôt le grand débat sur son avenir, exercice de démocratie directe appliqué au monde scolaire.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Yvan Lachaud. Je tiens à remercier M. Luc Ferry, ministre de l'éducation et M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, qui en sont les instigateurs et qui ont tenu à ce que tous ceux qui étaient concernés puissent y prendre part.

Mme Nadine Morano. C'est vrai !

M. Yvan Lachaud. Le groupe UDF en a profité pour faire partager sa réflexion par l'intermédiaire de ses parlementaires, de ses élus locaux, mais aussi des parents d'élèves, qui ont régulièrement participé aux réunions organisées dans les établissements scolaires. Nous avons ainsi pu mesurer l'intérêt, souvent passionné, que les Français portent à l'école tant le ton de certaines discussions était vif et animé.

Aujourd'hui, plus que jamais, nous restons convaincus que l'école demeure la seule arme dont nous disposons pour corriger les inégalités de notre société.

M. Alain Néri. C'est vrai !

M. Yvan Lachaud. C'est en effet dans la salle de classe que se forme le futur citoyen. C'est là aussi que se forge la sensibilité et que se construit le savoir élémentaire qui servira de bagage durant toute la vie.

L'école est donc notre patrimoine commun et c'est à ce titre que nous avons tous droit à la parole, élève, ancien élève, parent d'élève, enseignant et personnel de l'éducation nationale. Nombreux ont été les Français qui ont accepté de participer à ce débat véritablement démocratique. (Murmures sur divers bancs.) C'est une bonne chose car ce n'est qu'après un vaste débat et à partir d'un diagnostic partagé, vous le disiez tout à l'heure, que nous pourrons construire ensemble l'école de demain.

Une aussi large consultation permet de pointer les faiblesses et les carences du système : amplification des inégalités, montée du taux d'illettrisme, nombre élevé de jeunes sortant du système scolaire sans qualification, hiérarchisation arbitraire des filières au lycée, hausse du taux d'échec en DEUG notamment.

Mais il ne faudrait pourtant pas se tromper sur l'essentiel. Le système éducatif français reste encore aujourd'hui l'un des meilleurs du monde. Par comparaison, les systèmes allemand, américain ou britannique traversent des crises bien plus profondes, et depuis de nombreuses années.

Je n'en donnerai qu'un exemple, la valeur ajoutée que représentent les jeunes Français pour de grandes entreprises étrangères ou les laboratoires de recherche. Si les jeunes cerveaux français sont à ce point courtisés par les pays étrangers, c'est précisément parce qu'ils sont bien formés. Arrêtons donc de pratiquer une autoflagellation systématique qui n'a pas grand sens.

Pour le groupe UDF, la problématique ne doit pas se résumer à un débat sur les moyens. En effet, la part du PIB que l'Etat consacre déjà à l'éducation s'élève à 7 %. C'est beaucoup plus que la moyenne européenne, en particulier que l'Allemagne et les Pays-Bas. Il est donc parfaitement démagogique d'affirmer que l'école est victime de la rigueur budgétaire de Bercy.

En revanche, c'est parce que nous observons que notre système éducatif fonctionne relativement bien que nous devons être déterminés à résoudre les difficultés qu'il rencontre. C'est à cela que doit servir le débat que nous avons aujourd'hui : relever ensemble l'origine des carences, les identifier et aboutir à des solutions admises par tous.

Cependant, si les conclusions de ce débat doivent être le prélude à l'élaboration d'un projet de loi, gardons-nous bien de ne pas vouloir à tout prix enclencher une « grande réforme », avec les guillemets qui s'imposent, censée, telle une formule magique, résoudre tous les maux de l'école. La réforme doit être au contraire un effort continu, et non une succession de ruptures.


Il n'est pas besoin de tout démolir pour tout reconstruire. L'école, le collège et le lycée ont besoin de calme et de long terme. C'est pourquoi, selon nous, réformer l'école c'est conduire l'ensemble de ses partenaires à se mettre d'accord sur les questions que pose l'éducation nationale. Par laquelle commencer ? Probablement par la lutte contre l'illettrisme qui vous est si chère, monsieur le ministre. Comme vous n'avez de cesse de le répéter depuis toujours, largement soutenu par le ministre délégué à l'enseignement scolaire, Xavier Darcos, la première des missions à laquelle doit répondre l'école c'est « apprendre à lire ». Le rappeler paraîtra peut-être superfétatoire à certains, mais c'est pourtant l'essentiel et notre système connaît bien des carences en la matière. Ainsi, François Bayrou lui-même l'avait posé comme un principe au cours de sa campagne présidentielle : pas un seul élève ne devrait entrer en sixième sans savoir lire, écrire ou compter.

M. Pierre-Christophe Baguet et Mme Nadine Morano. Très bien !

M. Yvan Lachaud. Nous connaissons tous par cœur les chiffres : 15% des élèves ne savent pas lire à leur arrivée au collège et ne rattraperont pas leur retard. Il est également reconnu que cette proportion d'élèves illettrés n'est pas sans lien avec les actes de violence et les incivilités qui déstabilisent certains de nos collèges. Une fois cette réalité rappelée, il convient de se doter d'une évaluation de la compétence en lecture et en écriture et de concentrer ses efforts sur les élèves qui en ont le plus besoin, notamment par le biais d'un apprentissage de la lecture le plus précoce possible, dès l'âge de six ou sept ans. Je salue ici votre initiative, monsieur le ministre : dans ce but, vous avez tenu à dédoubler dès l'année dernière des classes de CP.

Je tiens à aborder un autre thème qui est au cœur de nombreuses réunions organisées dans les établissements scolaires ces dernières semaines : la garantie de la paix et du respect, notamment dans les collèges. Nous savons qu'il existe des classes où les élèves profèrent des menaces à l'égard de leurs professeurs, et que des enfants vont au collège la peur au ventre, en raison du racket et de la violence. Contre un tel phénomène, nous pouvons développer ce que nous appelons des « collèges hors les murs », à savoir un accompagnement pédagogique personnalisé pour les élèves qui sont le plus en rupture avec le système scolaire. Ce sont le besoin de resocialisation et le nécessaire réapprentissage des repères fondamentaux - repères qui font quelquefois cruellement défaut à notre société - qui peuvent légitimer ces outils « hors les murs ».

Le collège - c'est une évidence - constitue l'un des maillons essentiels de la chaîne éducative. D'un bon parcours en collège dépend une bonne scolarité. Aussi, les missions du collège doivent-elles être confortées et nous ne devons pas hésiter, par crainte de ne pas être « politiquement corrects », à remettre en question le collège unique né de la loi Haby et mis en place il y a près de trente ans ! Nous devons, sans peur, privilégier à nouveau les voies conduisant à l'apprentissage et aux filières technologiques. Trop longtemps ces voies ont été critiquées, voire stigmatisées. Pour quel résultat ? Il est aujourd'hui démontré que ceux qui choisissent la voie technologique ont de bien meilleures chances de réussir dans leur vie professionnelle que de nombreux élèves issus de filières générales qui n'ont pas d'idée précise quant à leur avenir. En ce sens, les itinéraires de découverte que vous avez mis en place, monsieur le ministre - préparés, il est vrai, sous le ministère de Jack Lang - sont une bonne idée et méritent d'être développés. Dans le même esprit, les travaux personnels encadrés - TPE - en lycée vont dans le bon sens. Laissons en revanche plus d'autonomie aux établissements dans leur organisation et laissons libre cours aux expérimentations et aux creusets pédagogiques.

Je souhaiterais également aborder l'enseignement des langues vivantes étrangères au collège. En dépit des nombreux efforts consentis par le ministère depuis plusieurs années, les jeunes Français restent ceux qui parlent le plus mal les langues étrangères si on les compare avec les élèves des pays voisins, qui maîtrisent parfois jusqu'à deux ou trois langues dès l'adolescence, L'apprentissage précoce des langues étrangères à l'école primaire doit donc être renforcé, en prenant soin de ne pas le limiter à l'anglais, mais en offrant la possibilité aux élèves d'apprendre l'allemand ou l'espagnol, voire d'autres langues. Ces efforts permettront de pallier une carence véritable de nos élèves, la plus grande certainement, lorsqu'ils sont comparés à leurs homologues pour des postes nécessitant une parfaite maîtrise des langues. N'ayons pas peur de laisser à ceux qui le peuvent ou qui le veulent la possibilité d'apprendre dès la classe de sixième deux langues vivantes.

Sur ce chapitre, je ne peux passer sous silence la question des langues régionales, qui doivent enfin être reconnues en tant qu'expression de la richesse culturelle et de la diversité de notre pays, conformément à ce que prescrit la Charte européenne des langues régionales. C'est, là aussi, une question de tolérance. Les efforts qu'avait accomplis François Bayrou en tant que ministre de l'éducation nationale doivent être poursuivis, afin de garantir aux élèves la liberté, le droit même d'apprendre le breton, le corse, le catalan ou l'occitan - je me contente de quelques exemples. La vivacité des « écoles Diwan » et leur succès illustrent bien qu'il s'agit d'un élément non négligeable d'un parcours de formation, dans les régions qui travaillent à la conservation de leur patrimoine linguistique et culturel.

Quant au lycée et à ses fameux « 80% d'une classe d'âge au bac », chiffre qui est devenu une fixation, particulièrement mal comprise et mal gérée, le groupe UDF défend l'idée d'un lycée où l'exigence passe avant les statistiques et où le niveau passe avant la quantité.

M. Jean-Marc Roubaud et M. Guy Geoffroy. Très bien.

M. Yvan Lachaud. A quoi servirait-il d'avoir obtenu le baccalauréat si celui-ci se trouvait dévalorisé ? Mieux vaut préparer un diplôme technologique ou professionnel fondé sur des critères précis de compétences, ce qui suppose, je le répète, une revalorisation des filières technologiques au collège. Cessons donc de niveler par le bas et gardons présent à l'esprit que le baccalauréat doit sanctionner la fin des études secondaires et s'apparenter à un véritable « examen d'entrée » à l'université.

M. Guy Geoffroy. C'est le premier grade universitaire.

M. Yvan Lachaud. Quant aux conditions de travail des enseignants, le malaise est grand. Souffrant d'un manque réel de reconnaissance, ils sont soumis à des exigences de plus en plus pressantes non seulement de la part des parents, mais également de celle des élèves, qui n'hésitent plus à leur manquer de respect. Leur rémunération est au cœur de leurs inquiétudes : les salaires sont bloqués et de plus en plus en décalage avec l'inflation. Le statut et les décharges des directeurs doivent évoluer car leurs conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Comment comprendre qu'un jeune professeur, doté de cinq années d'études après le baccalauréat, gagne nettement moins qu'un jeune ingénieur ou qu'un jeune diplômé d'école supérieure de commerce ? A mon sens, de trop faibles rémunérations, notamment en début de carrière, constituent l'une des causes principales de la chute du nombre des candidats au métier d'enseignant. C'est plus particulièrement vrai dans les filières scientifiques, au point que nous risquons bientôt de manquer de professeurs de mathématiques ou de physique si nous n'inversons pas la tendance. Il suffit de regarder le nombre de postes par rapport au nombre de candidats pour se rendre compte que le métier d'enseignant n'est plus attractif.

Plusieurs pistes pourraient être envisagées afin de faciliter la vie et le travail des enseignants. Ainsi, pourquoi ne pas les laisser respirer et prendre, tous les dix ans, une année sabbatique, leur permettant une intrusion dans la vie active extérieure à l'école, dans les entreprises, les associations ou d'autres administrations de l'Etat ? Ils pourraient ainsi se plonger dans une réalité professionnelle différente de la leur, celle à laquelle ils préparent leurs élèves et qu'ils ne connaissent pas toujours. Un tel dispositif pourrait être accompagné d'une véritable formation continue, qui fait défaut aux jeunes enseignants, lesquels, après leur réussite au CAPES ou à l'agrégation, sont souvent lâchés devant les élèves sans aucune autre forme de préparation ou de remédiation.

Les enseignants qui le souhaitent pourraient également se voir proposer, après vingt ou vingt-cinq ans de carrière, leur transfert vers une autre administration de l'Etat. L'écart de génération entre les enseignants et les enseignés est en effet une source fréquente de lassitude, d'incompréhension, voire de malaise.

D'autres thèmes pourraient être encore abordés : les rythmes scolaires, la concurrence entre établissements, le contenu des programmes ou le rétablissement des langues anciennes quasiment disparues des sections littéraires. Notre politique d'éducation devrait même déclarer prioritaire la nécessaire réhabilitation des filières professionnelles.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Yvan Lachaud. On peut sans doute également apporter des améliorations concernant l'organisation de l'école ou la gestion des ressources humaines du ministère, mais il serait totalement stupide de le faire de Paris, sans concertation avec les personnels concernés. Notre conviction est que le principe guidant toute réforme doit impérativement rester le suivant - et c'est dans ce sens, nous le savons, que le Gouvernement travaille : l'éducation est et doit rester nationale.

M. Alain Néri.. Très bien !

M. Yvan Lachaud. Socle de la nation, elle est le lieu où se forge son identité et se fonde l'égalité de tous les citoyens. L'Etat doit donc continuer à jouer un rôle primordial en la matière. Parce que l'école est lieu d'égalité, elle doit être également laïque. A la veille de la présentation en conseil des ministres du projet de loi sur le port des signes religieux à l'école, je serai bref. Le groupe UDF est fermement attaché à la laïcité, comme valeur fondatrice de la République. La laïcité permet la liberté de conscience afin que chacun puisse exprimer ses croyances et ses opinions. En ce sens, elle rend impossible l'exclusion et le rejet. Elle est le socle constitutionnel de la tolérance et du respect dans notre pays, elle en est la garantie. Le port ostensible du voile islamique ne met pas seulement la religion en jeu. Il signifie que la loi de Dieu est supérieure à la loi des hommes et il enferme la femme dans un statut inférieur à celui de l'homme, ce qui est fondamentalement contraire aux principes de notre République. La discussion prochaine de ce projet de loi au Parlement nous donnera amplement l'occasion de réfléchir sur un sujet complexe et fondamental.

Notre système éducatif doit également tendre à un épanouissement total de la personne et à son intégration dans la société. Nous devons nous méfier d'évoluer vers le modèle fondamentalement différent prôné dans les pays anglo-saxons. Mais, aujourd'hui, force est de constater que l'école s'est alignée sur le plus petit commun dénominateur.

M. Yves Durand. Ce n'est pas vrai.

M. Yvan Lachaud. Il est urgent pour l'école, au moment où le fossé se creuse chaque jour davantage entre ceux qui ont la chance d'être dans un bon lycée et les autres, de pouvoir à nouveau assurer une réelle égalité des chances. Certains établissements sont devenus de véritables ghettos, dans lesquels l'échec scolaire est quasi systématique, tandis que de prestigieux lycées, souvent parisiens, vident de leurs élites les établissements de province. Il est paradoxal que l'école « unique » n'ait rien changé à ce qui est demeuré une constante de notre système éducatif : un fils de polytechnicien a statistiquement plus de chances de devenir lui-même polytechnicien.

M. Alain Néri et M. Arnaud Montebourg. Exact !

M. Yves Durand. C'est même une triste vérité.

M. Yvan Lachaud. Ne conviendrait-il pas d'en conclure que l'école méritocratique de Jules Ferry tendait vers une plus grande démocratisation que notre système actuel ? Malheureusement, tenir de tels propos et promouvoir une telle correction de trajectoire est devenu « politiquement incorrect » depuis la crise de mai 68.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Yvan Lachaud. Nous devons pourtant accepter le fait que notre école a su relever le défi de la massification - tous les indicateurs, de la maternelle à l'université, le révèlent - mais n'a pas réussi à passer de la massification à une vraie démocratisation. Nous devons sortir de l'égalitarisme, réviser les programmes et le niveau d'exigence et admettre que l'égalité de tous les élèves, avec un grand E, est un mythe, car il existe des inégalités de talents consubstantielles à chacun.


Il est donc préférable de parler ici d'« égalité des chances ».

C'est en effet l'égalité des chances qui doit permettre aux jeunes issus de milieux modestes de suivre le parcours éducatif et de formation qui leur conviendra le mieux.

M. Arnaud Montebourg. Oui, mais comment y parvenir ?

M. Yvan Lachaud. L'objectif est de dissocier autant que possible parcours scolaire et origine sociale. Parallèlement, l'effort, le mérite, le travail, doivent redevenir, en dehors de toute polémique, l'un des fondements de l'école républicaine.

Le corollaire de l'égalité des chances est la communauté des cursus. L'unité de la République et de l'école exige une véritable unicité du parcours éducatif. L'école doit pouvoir accueillir tous les enfants de la nation et l'égalité des chances doit appeler la reconnaissance des différences.

Je fais plus particulièrement allusion ici à l'accueil des enfants handicapés en milieu scolaire, question qui, comme vous le savez, monsieur le ministre, me tient particulièrement à cœur. Dans le rapport que je vous ai remis il y a quelques mois sur ce sujet, je mets l'accent sur l'importance que revêt à mes yeux l'accueil de tous les enfants par l'éducation nationale, y compris ceux qui souffrent d'un handicap.

II va de soi que l'inscription automatique dans l'établissement scolaire le plus proche du foyer de l'enfant n'interdit pas qu'on le place dans une autre structure par la suite si la prise en charge de son handicap le nécessite. Mais la démarche est essentielle pour les parents, qui verraient ainsi raccourci le parcours du combattant que représente pour eux l'accueil de leur enfant dans une école.

Je le rappelle : tous les enfants, qu'ils soient handicapés ou non, appartiennent à une même communauté. C'est à ce titre que j'ai demandé au Gouvernement de reprendre, dans le projet de loi sur l'égalité des chances des personnes handicapées, une évolution sémantique qui me paraît importante : nous ne devons plus parler d'« intégration » des enfants handicapés, mais bien de « scolarisation ». Le terme « intégration » ne saurait en effet s'appliquer qu'à une personne étrangère à une communauté.

M. Ghislain Bray. C'est très juste !

M. Yvan Lachaud. Permettez-moi de rappeler pour conclure que la mission de l'école est fondamentalement l'éducation et l'instruction, bien loin, très loin de ce rôle de « garderie de la jeunesse » que certains voudraient bien lui conférer.

La France se trouve aujourd'hui confrontée à plusieurs défis pour réconcilier les Français avec leur système scolaire.

Il faut d'abord réduire de façon sensible le nombre d'illettrés, ou de « mal-appris », pour reprendre l'expression chère à François Bayrou.

Il faut ensuite renouer avec l'égalité des chances en respectant trois principes : premièrement, la valorisation du travail et de l'effort ; deuxièmement, la mixité sociale ; troisièmement, la scolarisation de tous. C'est à cette condition que chacun aura la possibilité de suivre le parcours de formation le plus adapté à ses goûts et à ses compétences.

Enfin, il convient de conserver le caractère original de notre système éducatif, souvent cité comme exemplaire dans le monde entier. Ainsi pourrons-nous continuer à offrir à nos enfants les meilleurs atouts pour réussir et pour faire face à la compétition internationale.

La mission de l'enseignant consiste à inculquer à l'élève des connaissances, mais aussi à lui apprendre le sens de l'effort, la valeur du travail, l'expérience de l'échec comme de la réussite, l'estime de soi et le respect des autres. C'est au sein de l'école qu'on apprend à comprendre et à juger le monde dans lequel on vit.

L'enjeu pour la France, à long terme, est la conservation de son statut de grand pays scientifique et technologique.

En outre, on ne peut faire vivre la démocratie dans une société où prospéreraient l'illettrisme, l'intolérance et l'obscurantisme.

M. Ghislain Bray et M. Guy Geoffroy. Très juste !

M. Yvan Lachaud. L'école de la République, ou plutôt l'école et la République se sont construites depuis le xixe siècle autour de valeurs auxquelles nous voulons croire encore. Celles-ci sont, à mes yeux, au nombre de trois : le savoir, le mérite et le respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à exprimer la satisfaction du groupe des député-e-s communistes et républicains, qui se réjouit de la tenue d'un débat sur l'école dans cet hémicycle. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le mouvement important qu'a connu l'éducation nationale l'an dernier a placé le système éducatif au cœur des préoccupations de notre société et l'a révélé comme un enjeu principal. Je saisirai donc cette occasion pour réaffirmer notre attachement à certains principes, pour vous faire part de quelques remarques sur la façon dont a été constituée la commission Thélot et dont s'est organisé le débat national sur l'école, et pour vous alerter sur divers points critiques.

La communauté enseignante et les partenaires sociaux vous ont déjà fait part, messieurs les ministres, de leur scepticisme et de leur suspicion quant à l'organisation de ce « grand débat » : nombreux sont ceux qui considèrent que tout est joué d'avance.

M. Alain Bocquet. C'est évident !

M. André Chassaigne. En effet, certaines questions semblaient ignorer des décennies de recherche en sciences de l'éducation, depuis le remarquable plan Langevin-Wallon dont l'élaboration se fondait, je le rappelle, sur le programme du Conseil national de la Résistance. A cet égard, le choix des membres de la commission Thélot n'a pas été sans influence sur l'élaboration des questions prospectives.

Il est également bien dommage que l'on n'ait pas veillé à inciter plus particulièrement les habitants des quartiers populaires, les jeunes et les familles les moins en situation de réussite à l'école, à s'impliquer davantage dans ce débat, qui est resté, dans les faits, très institutionnel, avec une très faible mobilisation des élèves et des parents.

Mais quelles sont vos réelles intentions, messieurs les ministres ? Ne cherchez-vous pas, finalement, à faire accepter par l'opinion publique et par certains partenaires éducatifs les options libérales de ce gouvernement pour l'école (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), voire même à faire avaliser avant sa publication un projet de loi déjà ficelé ? (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Ces options, nous les connaissons bien : il s'agit d'abandonner, au nom de la réduction de la dépense publique, l'ambition d'offrir à tous un solide niveau de scolarisation, et donc de connaissances.

M. Arnaud Montebourg. C'est ce qui se profile, en effet !

M. André Chassaigne. La campagne idéologique menée depuis de nombreux mois est bien là pour nous le rappeler. Le principe est simple : on noircit volontairement le diagnostic pour mieux préparer le pays à se résigner au démantèlement de l'école de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Contrairement aux clichés que vous diffusez depuis plusieurs mois, ce n'est pas en mythifiant l'école du passé qu'on réglera les problèmes de notre époque. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste.) La sélection, l'abandon du collège unique ou la remise en cause de la mixité n'ont pas d'avenir.

Il faut dire que ce débat s'inscrit dans un contexte de rigueur budgétaire que nous avons déjà eu l'occasion de dénoncer en ce lieu. Il faut rappeler aussi que, bien loin de respecter le silence nécessaire à l'instauration d'une réflexion objective et sereine, vous n'avez cessé, messieurs les ministres, de proférer des déclarations provocatrices et parfois même contradictoires. C'est ainsi que vous avez justifié, par exemple, la liquidation du système de remplacement, l'annualisation des services ou le recours à la bivalence dans les collèges.

De nombreux communistes ont cependant participé aux différents débats : à l'échelon national, avec la présence de la sénatrice Annie David au sein de la commission Thélot, mais aussi à l'échelon local, comme je l'ai fait moi-même. De plus, le parti communiste a organisé le 8 novembre 2003 une rencontre nationale pour l'école.

Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans le cadre restrictif dans lequel vous avez engagé ce débat, nous n'avons été guidés dans notre réflexion et nos propos que par une ambition : promouvoir les transformations nécessaires pour lutter plus efficacement contre les inégalités. C'est dans ce but qu'Annie David a souhaité introduire dans le débat la question de la gratuité scolaire, principe incontournable si l'on souhaite réellement favoriser la réussite de tous.

Tous les enfants ont des aptitudes pour réussir : c'est pourquoi l'attente vis-à-vis du service public d'éducation est si forte, en particulier dans les familles populaires. Aussi sommes-nous profondément attachés à une transformation de l'école.

Oui, l'école pour tous est possible. Mais il est pour cela nécessaire de mieux prendre en compte la grande diversité des élèves, l'environnement social dans lequel ils évoluent, les inégalités territoriales existantes et la concurrence accrue de l'enseignement privé.

Certes, la démocratisation de l'enseignement est en panne, mais il ne faut pas se tromper de débat. Contrairement à vos déclarations alarmistes sur la baisse du niveau, les évaluations nationales révèlent des disparités mais ne démontrent pas une chute brutale du niveau scolaire. Une fois encore, le cliché, et même - passez-moi l'expression - le snobisme de salon, occultent l'approche scientifique. Cela n'est pas sans analogie avec les propos de ces beaux penseurs qui décrètent, comme c'est arrivé ici même, l'abandon de la méthode globale, alors que celle-ci est déjà effective depuis près d'un quart de siècle dans la quasi-totalité de nos écoles primaires. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. Pas la totalité !

M. André Chassaigne. J'ai bien dit : « la quasi-totalité », monsieur Couanau !

En réalité, les résultats continuent de révéler d'importantes disparités selon l'origine sociale des enfants. Les dernières statistiques officielles du ministère montrent ainsi que 31 % des étudiants ont des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale, 10,1 % sont des enfants d'ouvriers et seulement 2,4 % sont fils ou filles d'agriculteurs.

La démocratisation de l'enseignement passe aussi par le respect de la mixité. Vous avez affirmé le 8 septembre dernier à la Sorbonne, monsieur le ministre, que « la mixité scolaire ne sera pas remise en cause », contredisant heureusement en cela les propos tenus en mars dernier par Xavier Darcos qui, manifestement séduit par le chant de quelques sirènes conservatrices, avait annoncé l'expérimentation de classes non mixtes dans deux académies.

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Mais non !

M. André Chassaigne. Vous avez la mémoire courte, monsieur le ministre !

De toute évidence, votre objectif de rationaliser l'offre de formation ne sera pas sans incidences sur les inégalités d'orientation en fonction du sexe. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

La façon dont le système éducatif intègre les élèves handicapés constitue un bon repère pour évaluer ses capacités à s'adapter à la diversité des publics. Malheureusement, la réalité est encore en deçà des espoirs des familles et des jeunes. Le principal obstacle tient aux ruptures qui existent entre les différents niveaux d'enseignement. Si 76 000 élèves handicapés sont scolarisés dans les écoles primaires, ils ne sont plus que 20 000 dans le secondaire et 7 500 dans le supérieur.

La possibilité d'être intégré en milieu scolaire ordinaire est trop souvent le reflet des inégalités sociales. En effet, à handicap équivalent, la proportion d'enfants entrant en institution sous tutelle du ministère de la santé est trois fois plus élevée chez les employés et les ouvriers que chez les cadres et les professions intermédiaires. Pour les classes moyennes ou supérieures, la priorité est bien l'intégration en milieu ordinaire.

Nous le voyons bien, l'intégration n'en est qu'à ses débuts et la formation des personnels constitue un levier essentiel. Or les moyens humains et matériels sont encore très insuffisants et l'on déplore de nombreux dysfonctionnements. Les groupes « handiscol' » affichent un bilan mitigé, les familles ne se sentent pas suffisamment écoutées et l'environnement scolaire et universitaire est encore bien loin d'être aux normes et accessible à tous.

Face à toutes ces difficultés, la tentation peut être grande de renoncer. Nous savons combien ces interrogations peuvent peser sur les enseignants. La promotion de la réussite pour tous passe donc par la redéfinition des contenus et par l'attribution de moyens suffisants, seule garantie du respect de la gratuité inscrite dans la loi. Ces moyens permettront d'assurer la prévention de l'échec scolaire en offrant à tous les enfants d'accéder à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture dès la maternelle et le cycle 2, ce qui nécessite des effectifs réduits, la possibilité de travailler en petits groupes et l'intervention d'enseignants spécialisés.

S'il faut prévenir l'échec scolaire, c'est que prévenir coûte moins cher que guérir. On connaît à cet égard les difficultés que rencontre le collège pour accueillir les élèves de sixième qui ne maîtrisent pas les fondamentaux.


Conscients que, dans un contexte où les savoirs se multiplient très vite, les exigences quant à l'école sont fortes - et elles doivent le rester -, nous devons aujourd'hui redéfinir un socle commun de savoirs utiles à tous.

Je ne veux pas entrer dans le détail mais je pense qu'il faudrait réfléchir aux équilibres entre les disciplines et au contenu des programmes. Ne répondent-ils pas trop aux normes culturelles d'une élite sociale ? Les contenus sont encore trop souvent facteurs d'exclusion. La nécessité d'une connivence culturelle et sociale entre les élèves et les enseignants et le rapport au savoir des élèves les plus défavorisés mériteraient d'être au cœur de nos réflexions.

Ne faudrait-il pas donner moins d'importance à l'abstraction et valoriser d'autres formes d'intelligences ? Pourquoi ne pas donner toute sa place au développement des activités scientifiques, technologiques et artistiques et privilégier les méthodes d'éducation active ? Pourquoi ne pas essayer de mieux valoriser l'engagement social ou civique des élèves ?

La communauté éducative est déterminée à réussir cette démocratisation de l'école. Elle a montré cette détermination lors de l'exceptionnel mouvement social du printemps dernier.

Exceptionnel, il l'a été par sa durée, par l'implication majoritaire des personnels, notamment les jeunes, par son caractère unitaire et par les convergences entre les différents personnels. Ce mouvement social a aussi été exceptionnel par la qualité et la pertinence des questions posées.

Mais il a également révélé une crise d'identité professionnelle des enseignants, accompagnée de la demande d'une juste reconnaissance de la pénibilité de ce métier. C'est ce que l'on nomme pudiquement le « malaise enseignant ». Il existe aujourd'hui un violent décalage entre les principes et objectifs affichés par l'institution et leur vécu professionnel au quotidien. Il faudra bien, enfin, répondre à ce qu'il faut bien appeler la douleur au travail, à la souffrance de personnes qui, depuis de nombreuses années, ne cessent de protester contre l'insuffisance des moyens, alors qu'elles s'investissent totalement dans un métier de plus en plus dur et dans des établissements qui demeurent le dernier rempart contre la fracture sociale et culturelle.

Car il existe bien une crise des vocations dans le second degré. Lors des concours, si le rapport entre le nombre de candidats présents et le nombre de postes reste globalement élevé, il diminue sérieusement pour les CAPES. Certains CAPES sont même déficitaires désormais, les étudiants des secteurs scientifiques préférant devenir ingénieurs plutôt que professeurs ou chercheurs.

Le recours croissant à des personnels précaires dans l'éducation nationale ne va pas du tout résoudre ces problèmes. Nous allons au contraire vers une dégradation prévisible de l'emploi en raison de choix budgétaires désastreux.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. André Chassaigne. Vous préférez sous-évaluer les besoins plutôt que de les couvrir. Quelle stratégie !

Mme Nadine Morano. N'importe quoi !

M. André Chassaigne. La différence entre moi et certains, c'est que j'ai connu cela pendant toute ma carrière professionnelle et que ce que vous qualifiez de « n'importe quoi », ma chère collègue, s'appuie sur des réalités de terrain !

Le meilleur exemple en est l'attribution des dotations horaires aux établissements du second degré, qui sont désormais réparties sur des bases strictement arithmétiques, fondées sur des calculs d'épicier, excluant la prise en compte de critères qui préservaient la richesse et la diversité des enseignements.

M. Patrick Roy. M. Chassaigne a raison !

Mme Nadine Morano. Il faut bien adapter les moyens !

M. André Chassaigne. Voilà qui éclaire les intentions !

Dans la logique de cette politique, les « intermittents du tableau noir », selon une expression syndicale, prennent de plus en plus le pas sur les « hussards noirs de la République ».

Recrutés dans l'urgence, souvent sans formation en pédagogie, écartelés entre plusieurs établissements, ils relèvent davantage du travailleur précaire des entreprises d'intérim que des statuts des personnels de la République. Ils sont de ce fait confrontés à des conditions de travail et d'existence souvent difficiles.

M. Guy Geoffroy. Comme les emplois-jeunes !

M. André Chassaigne. Comment voulez-vous que l'établissement soit pour eux le lieu contractuel d'un projet éducatif ?

Si la stabilité des équipes pédagogiques partageant un ensemble de valeurs et d'objectifs communs est une condition nécessaire pour garantir la réussite scolaire de tous, le recours abusif à ce type de sous-emploi est en contradiction avec une volonté de lutter contre l'échec scolaire au sein de nos institutions éducatives.

La suppression de 2 500 stagiaires et de 1 500 enseignants titulaires au budget 2004 va au contraire aggraver cette situation. Pour l'année 2002-2003, dans le seul second degré, 5 600 maîtres auxiliaires, 27 400 contractuels et 10 200 vacataires avaient été recrutés. Quant aux 1 500 créations de postes dans le primaire, elles ne suffisent pas pour accueillir les 54 000 élèves supplémentaires prévus, soit une création pour 36 élèves.

Cette insuffisance crée des difficultés dans certains départements, notamment en milieu rural, qui se voient retirer des postes alors qu'on leur prévoit une augmentation d'effectifs à la rentrée. Ainsi, dans la région Auvergne, il y a 24 suppressions d'emplois dans les écoles alors que le nombre d'élèves augmente de 599. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il est tout de même curieux que les chiffres que je cite déclenchent pareilles réactions de la part d'élus ruraux...

M. le président. Il faut conclure, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. A la rentrée 2003, plus de 60 % des contractuels étaient au chômage et les possibilités de titularisation avaient été diminuées de 1 200 postes, lors de la dernière session, par l'abandon de la transformation de crédits en postes.

La précarité est un engrenage infernal qui a de graves conséquences professionnelles et sociales.

Dans le même temps, les remplacements courts sont de moins en moins assurés. Le remplacement ne serait-il plus une mission faisant partie intégrante du service public ? A moins que ce ne soit l'école comme service public qui commence à vous échapper, messieurs les ministres ?

Nous devons rester ambitieux et créer une école ouverte à tous, capable de réduire l'échec et l'exclusion, capable aussi de se libérer de toute emprise, et des discriminations les plus diverses, qu'elles soient religieuses, sectaires, politiques ou philosophiques, ou encore sociales.

Notre service public d'éducation doit défendre coûte que coûte l'égalité réelle et réfléchir à une culture commune capable de rassembler les élèves plutôt que de les diviser. La question de la laïcité doit bien évidemment s'inscrire au cœur de cette réflexion. Ce sujet ne peut être abordé qu'en relation avec les valeurs émancipatrices contenues dans nos principes républicains.

L'école doit rester le creuset où se transmettent ces valeurs. Mais c'est en abordant toutes les dimensions de la laïcité, de la façon que j'ai esquissée aujourd'hui, que nous pourrons réfléchir à une institution garantissant à la fois les libertés individuelles, le pluralisme culturel et l'égalité des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Alain Bocquet. Très bonne intervention !

M. le président. La parole est à M. Pierre-André Périssol, dernier orateur s'exprimant au nom d'un groupe.

M. Pierre-André Périssol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le grand débat national sur l'avenir de l'école voulu par le Président de la République, décidé par le Premier ministre et mis en œuvre par les ministres chargés de l'éducation et de l'enseignement scolaire, a eu lieu, et la majorité en est fière !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Pierre-André Périssol. Jean-Pierre Raffarin a souhaité que ce grand débat permette de « définir la pensée de la nation en ce qui concerne l'éducation ». 

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme Nadine Morano. Très bien !

M. Pierre-André Périssol. Eh bien, le débat a permis de donner la parole à la nation. Elle a pu s'exprimer et ce débat aura permis à tous ceux qui sont directement concernés par ce qu'auront appris nos enfants à l'issue de leur scolarité de dire leurs attentes à l'égard de l'école.

A l'opposition socialiste, qui vient de minimiser - c'est un euphémisme - la portée du débat, d'en dénigrer la méthode et les enjeux, je tiens à dire ceci.

Lorsque vous aviez la majorité, vous n'avez pas osé lancer un débat sur l'école.

M. Éric Raoult. Eh oui !

Mme Nadine Morano. C'est vrai !

M. Pierre-André Périssol. Lorsque nous avons engagé ce débat, vous avez refusé d'y participer.

M. Alain Néri. C'est faux ! Nous y avons participé dans nos départements !

M. Pierre-André Périssol. Vous êtes le seul groupe parlementaire à avoir refusé de désigner vos représentants à la commission chargée de l'organiser. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Absolument !

M. Pierre-André Périssol. Lorsque vous avez lancé vos propres assises, que vous aviez annoncées à grand bruit, vous avez fait un grand flop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Enfin, vous nous avez annoncé des propositions ; nous les attendons encore !

Mme Nadine Morano. Comme sur la Corse !

M. Pierre-André Périssol. Alors, mes chers collègues, ne haussez pas le ton !

M. Alain Néri. Mais c'est vous qui le faites !

M. Pierre-André Périssol. Ce n'est pas en nous dénigrant que vous pourrez faire oublier vos silences d'hier !

Mme Nadine Morano. Très juste !

M. Pierre-André Périssol. Cette attitude contraste avec celle de l'UMP, dont le président, les parlementaires, tous les membres, se sont investis sans compter.

M. Alain Néri. Heureusement qu'il y a un contraste entre nous : cela nous rassure !

M. Pierre-André Périssol. Comme vous tous, mes chers collègues, j'ai participé à de nombreux débats. J'y ai vu nos concitoyens...

M. Alain Néri. Ils n'étaient pas nombreux !

M. Pierre-André Périssol. ...intéressés, souvent passionnés par ce qui peut faire régresser l'échec scolaire et rétablir plus d'égalité des chances à l'école, venir participer de façon constructive à ce débat démocratique.

Mme Christine Boutin. C'est vrai !

M. Pierre-André Périssol. Ils ont d'abord confronté leurs appréciations sur l'état de notre école pour aboutir à un diagnostic partagé, selon le souhait du Président de la République. Le bilan n'est ni tout blanc, ni tout noir.

Effectivement, l'école a obtenu des résultats exceptionnels. Elle a fait face à l'allongement de la scolarité. Elle a permis l'élévation des niveaux de qualification. Elle a doublé, en vingt ans, le nombre de bacheliers. La nation se doit d'en rendre hommage aux enseignants et à l'ensemble des personnels éducatifs. Cet hommage, je le leur rends, pour ma part, au nom de l'UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pourtant, beaucoup reste à faire. Il n'est pas acceptable qu'un écolier sur six éprouve de graves difficultés de lecture et de calcul à l'entrée au collège, que 150 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif sans aucune formation professionnelle ! Tout cela n'est pas acceptable parce que cela est évitable.

Pour faire face à ces défis, les débats ont abordé la question des moyens. Nos concitoyens nous ont dit que les moyens sont nécessaires, mais ils ne sont pas tout.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Tout à fait !

M. Pierre-André Périssol. Comment aurait-on pu faire face, sans une forte augmentation des moyens au cours des vingt dernières années, à l'allongement de la durée de la scolarité, à l'affaiblissement des valeurs d'effort et de travail, à l'attraction croissante de l'image et du son au détriment de l'écrit, à l'affaissement de l'autorité dans notre société ?

M. Yves Durand. Personne n'a dit le contraire !

Mme Nadine Morano. C'est vrai !

M. Pierre-André Périssol. Mais les moyens, ce n'est pas tout. Et d'ailleurs, dans les débats, des attentes se sont exprimées bien au-delà de la question des moyens, et il est de notre devoir, maintenant, de proposer des orientations qui répondent aux aspirations qui se sont dégagées de cette consultation.

En lançant, le 20 novembre dernier, le débat national sur l'avenir de l'école, le Président de la République a fixé le cap à suivre en formulant un certain nombre d'ambitions pour l'école de demain : conduire 100 % des élèves à une formation réussie, respecter la diversité de leurs parcours, assurer la transmission des valeurs républicaines à l'école, susciter des vocations nouvelles pour les métiers de l'enseignement, organiser le dialogue entre les acteurs de l'école.

Mes chers collègues, voilà le cahier des charges !

Comment mettre en œuvre ces priorités ? Avec l'UMP, je vais m'efforcer d'apporter des éléments de réponse.

Première priorité : pour conduire 100 % de nos jeunes à une formation réussie, l'école doit d'abord parvenir à transmettre effectivement à 100 % d'entre eux un socle commun de fondamentaux, ce qui lui impose de savoir s'adapter à la diversité des élèves.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Pierre-André Périssol. Pourquoi tant d'élèves échouent-ils à l'école ? Des témoignages poignants ont décrit avec précision les deux maux principaux dont souffre l'école : une trop grande dispersion des apprentissages, une uniformisation excessive des modes et des rythmes d'acquisition.


Première cause de l'échec : la dispersion. Aujourd'hui, les élèves sont dispersés entre des activités éclatées et des disciplines souvent saupoudrées. A force de multiplier diverses formes d'activités, de vouloir transmettre un peu de tout, l'école soumet les élèves à un véritable « zapping », au point que plus rien n'apparaît finalement important. A force de tout déclarer prioritaire, il n'y a plus de priorité.

Les enseignants sont venus dire que, si certains élèves, les plus chanceux, ceux qui ont probablement chez eux un contexte culturel favorable, parviennent à jongler avec ces multiples sollicitations et à retenir l'essentiel, d'autres, moins chanceux ou ayant tout simplement besoin d'un peu plus de temps, se noient et finissent par échouer, faute d'avoir acquis au préalable les bases indispensables. Pour ces derniers, il est temps d'admettre qu'il n'est pas possible de réussir sa scolarité et, plus tard, sa vie professionnelle et sa vie de citoyen si l'on ne maîtrise pas d'abord un certain nombre de fondamentaux.

Pour conduire tous les jeunes à une formation réussie, nous devons d'abord assigner à l'école la mission de transmettre un socle commun de fondamentaux à 100 % des élèves. Il s'agit là du cœur de ce qui est fondamental à acquérir à chaque niveau de la scolarité obligatoire, en termes de connaissances, de compétences et de règles de comportements.

Je ne me limiterai pas au « savoir lire, écrire et compter ». Nous sommes tous d'accord sur ce point, mais il faut aller plus loin, voir ce qui doit être acquis, maîtrisé au long de la scolarité obligatoire, et pas seulement en termes de savoir. S'il est fondamental de savoir lire, il l'est tout autant de pouvoir comprendre et analyser un texte ou de s'exprimer, comme il est important de régler son différend avec son « petit voisin » par des mots plutôt que par les poings.

Vous me permettrez de revenir une fois de plus sur ce sujet que je plaide avec constance et détermination dans ces termes mêmes depuis plus de deux ans.

J'en suis convaincu, un large consensus s'est dégagé au cours du débat national pour fixer cette priorité absolue à l'école. Je l'ai d'ailleurs vérifié lors des différentes interventions.

Il faut alors en tirer les conséquences, agir et dire comment.

Tout d'abord en définissant le contenu de ce socle fondamental commun. Il s'agit là d'un acte fondateur pour l'école et identitaire pour la nation. Aussi devra-t-il être approuvé par la représentation nationale.

Puis en fixant les conditions de l'évaluation de l'acquisition de ce socle fondamental commun.

Enfin, en donnant aux enseignants les moyens d'en faire réellement une priorité, le reste de ce que l'école doit transmettre aux élèves n'étant pas abandonné pour autant, mais un élève ne s'y investissant qu'une fois le socle par lui maîtrisé.

C'est là qu'il faut faire sauter le deuxième obstacle, dénoncé dans de multiples témoignages : l'uniformité des apprentissages, l'uniformisation des modalités pédagogiques, des rythmes d'acquisition et des parcours.

Cette uniformisation condamne un grand nombre d'élèves à l'échec, car les enfants sont différents dans leurs talents, leurs capacités, le rythme de leur progression, les ressorts de leur motivation et leur maturité.

C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut personnaliser les rythmes d'acquisition en donnant à l'élève, à l'intérieur du temps scolaire, le temps qui lui est nécessaire pour acquérir tel ou tel apprentissage fondamental. Il est indispensable de diversifier les parcours. Vous avez été dans ce sens, monsieur le ministre Luc Ferry. C'est ainsi que l'école permettra à chaque élève de trouver sa voie.

Deuxième priorité : réussir le collège pour tous. Cela permettra du même coup de résoudre le problème du collègue unique et de son évolution vers un collège pour tous.

Il n'est pas de réussite sans bases. Aussi le collège doit-il être unique en ce sens qu'il doit transmettre à tous un tronc commun de fondamentaux.

Mais il n'est pas de réussite sans prise en compte du rythme, des capacités propres des élèves. Aussi le collège doit-il être personnalisé dans le rythme et les modalités d'acquisition de ce socle commun.

Il n'est pas non plus de réussite sans respect du talent des élèves. Aussi le collège doit-il être diversifié dans les options proposées à tous les élèves. C'est ainsi, selon la formule d'Alain Juppé, que nous passerons d'un collège unique à un « collège pour tous ».

Mme Nadine Morano. C'est vrai !

M. Pierre-André Périssol. Troisième priorité : revaloriser concrètement la voie professionnelle. Elle restera un choix subi tant qu'elle sera assimilée à une voie de relégation vers laquelle on oriente les élèves qui, faute d'avoir acquis les bases préalables, sont handicapés, y compris dans les disciplines professionnelles. Aussi, l'acquisition d'un socle commun de bases solides par tous les élèves dans un même collège, conjointement avec la découverte de champs professionnels pour ceux qui le souhaitent, constitue-t-elle la condition d'une véritable revalorisation de la voie professionnelle. Pour aller plus loin, nous proposons d'introduire, dans le socle fondamental commun, une part de travail manuel. Celui-ci pourra ainsi être perçu comme une matière noble au même titre que le français ou les mathématiques.

Mme Nadine Morano. Très juste !

M. Pierre-André Périssol. Quatrième priorité : assurer la transmission des valeurs républicaines à l'école en faisant de leur acquisition une composante du socle de fondamentaux.

Il importe de réagir aux incivilités, à la violence, à la dégradation des relations d'autorité entre les adultes et les jeunes, à la montée du racisme et de l'antisémitisme. Il faut protéger les personnels éducatifs. Des progrès significatifs ont déjà été obtenus dans ce domaine, grâce aux mesures mises en œuvre par le ministre délégué, Xavier Darcos.

Deux pistes principales méritent d'être explorées pour aller encore plus loin.

Il nous semble essentiel que le socle de bases fondamentales que l'école a pour ambition de transmettre à tous les élèves comprenne le développement de comportements sociaux adaptés, notamment l'attention aux autres, l'esprit de responsabilité, la tolérance et la solidarité.

Pour transmettre ces valeurs républicaines, mes chers collègues, nous devons mettre en place une éducation à la civilité qui prenne des formes rénovées. L'acquisition de ces comportement sociaux adaptés et l'acceptation de ces valeurs nous semblent devoir être évaluées au même titre que les autres disciplines, cette évaluation trouvant sa place dans le diplôme de fin de scolarité obligatoire.

Vous avez encouragé, monsieur le ministre Luc Ferry, l'engagement citoyen des élèves. Ne pourrait-on pas valoriser ces actions en les prenant en compte dans les cursus scolaires ?

Cinquième priorité : susciter des vocations nouvelles en redonnant toute leur attractivité aux métiers de l'enseignement.

La France a la chance d'avoir des enseignants de très grande qualité. La nation se doit de se rassembler autour d'eux et de reconnaître pleinement leur rôle.

Outre le fait que les bases seront davantage maîtrisées, il est nécessaire de mieux reconnaître les réalités actuelles des métiers de l'enseignement, qui ont profondément évolué ces dernières années, et de nourrir le dialogue sur ce sujet avec les organisations syndicales, que je salue ici même (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Alain Néri. Elle est bien bonne ! Vous ne nous l'aviez pas encore faite, celle-là !

M. Pierre-André Périssol. Il apparaît essentiel, à cette occasion, de redéfinir les métiers de l'enseignement et de se poser les questions de la formation, initiale et continue, des recrutements et de la gestion des carrières.

Pour promouvoir la formation dans l'éducation nationale, quels enseignements peut-on tirer de l'accord intervenu entre les partenaires sociaux en matière de formation continue ? Après plusieurs années passées devant les élèves, quelles possibilités offrir aux enseignants afin qu'ils exercent de nouvelles responsabilités, qu'il s'agisse de tutorat, de formation ou de participation à des missions d'inspection ? Il faut avancer concrètement sur ces différentes voies.

M. Yvan Lachaud. C'est vrai !

M. Pierre-André Périssol. Sixième priorité : organiser le dialogue entre les acteurs de l'école en donnant aux parents les moyens de s'impliquer davantage dans la scolarité de leurs enfants.

La France est le pays où les parents et les enseignants ont les rapports les moins confiants. Il faut que cela change. Nous proposons de faciliter les rencontres individuelles constructives. La mise en œuvre de telles rencontres pourrait prendre la forme d'un « contrat éducatif partagé » entre parents et enseignants, incluant les droits et les devoirs respectifs de chacun. La remise du bulletin scolaire en main propre permettrait de multiplier ces rencontres individualisées.

C'est ainsi que nous parviendrons à promouvoir un véritable dialogue à l'école entre enseignants et parents, dans un esprit de respect et de considération mutuelle.

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Périssol.

M. Pierre-André Périssol. En conclusion, mes chers collègues, ces différentes orientations dessinent une ambition autour de laquelle peuvent se retrouver un grand nombre de nos concitoyens. Des échos que j'ai eus, au cours de ces dernières semaines, des débats locaux et des discussions au sein de la Commission du débat national, j'ai acquis la certitude que, au-delà des clivages partisans, il est possible, pour la nation, de se retrouver sur l'essentiel, s'agissant de son école.

Mme Christine Boutin. C'est juste !

M. Pierre-André Périssol. Ce que les Français nous ont dit sans ambiguïté, c'est leur souhait profond que l'école mette en œuvre les conditions de la réussite scolaire pour tous et d'une authentique égalité des chances.

Aussi, je suis persuadé qu'au terme de ce débat, une forme de convergence, peut-être de consensus, peut se dégager autour de ces quelques orientations clés pour mettre en œuvre une telle ambition. Car, à la suite du débat national, il faudra agir. Selon les mots du Président de la République, ce débat est un « débat pour agir ».

L'action doit se porter sur le plan éducatif, au cœur du vécu des enseignants sur le terrain, des espérances des parents, loin des approches idéologiques. C'est cela, mes chers collègues, qui devra être demain au cœur de la future loi d'orientation.

Afin de tenir associée la représentation nationale, je vous propose que ce premier débat - que nous avions demandé avec force voici quinze mois - soit suivi d'une saisine du Parlement pour valider le cahier des charges d'élaboration du contenu du socle fondamental commun afin de permettre le plus vite possible aux experts de se mettre au travail et de faire des propositions. Nous pourrons alors avancer sur ce point central, sans préjudice des dispositions qui figureront dans le projet de loi d'orientation.

Vous pourrez ainsi, messieurs les ministres, manifester une nouvelle fois votre souci de solliciter et de mobiliser le Parlement, comme le souhaite notre président, Jean-Louis Debré.

C'est tous ensemble, mes chers collègues, que nous parviendrons à remobiliser la nation autour de son école, en lui fixant une grande ambition dans la perspective tracée par le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, en nous retournant un instant vers le siècle passé, nous pouvons affirmer aujourd'hui que l'école a su relever un défi historique : celui d'ouvrir la voie des études à ceux qui n'étaient pas des « héritiers »...

M. Éric Raoult. Eh oui ! Les « fils de » !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ...et qui, jusque-là, n'y avaient pas accès.

Depuis quelques années, la sélection scolaire et la sélection sociale font malheureusement de nouveau cause commune. Si les familles aisées parviennent encore à utiliser l'école à leur profit, en aidant leurs enfants à accéder aux meilleures filières, beaucoup d'enfants du peuple semblent promis à un nivellement sans appel.

Alain Finkielkraut écrivait il y a deux ans : « Jaurès voulait que les enfants du peuple reçoivent une culture équivalente à celle que recevaient les enfants de la bourgeoisie. Les parents instruits et avisés de la bourgeoisie rêvent aujourd'hui que leurs enfants bénéficient d'une culture équivalente à celle qu'ils ont reçue et ils sont prêts à y mettre le prix. » C'est vrai. Depuis peu de temps, nous assistons à une sorte de « zapping » scolaire. Les parents se pressent aux portes des écoles privées. Les choix purement idéologiques qui avaient cours il y a encore vingt ans sont aujourd'hui minoritaires. Ils révèlent l'angoisse croissante des familles face à la possibilité de l'échec scolaire dans une société où celui-ci constitue un handicap social encore plus grand qu'avant.

Notre école est-elle en panne ?

Sur le constat, tout le monde s'accorde : l'illettrisme, la violence, la stagnation des résultats, l'échec scolaire.

Sur les causes, les avis peuvent diverger. Certains mettront en avant un supposé manque de moyens, alors que notre pays lui consacre aujourd'hui 7 % de sa richesse nationale, 100 milliards d'euros, un doublement en vingt-cinq ans en euros constants. D'autres invoqueront l'impuissance gestionnaire. Mais nous sommes également nombreux à penser que la sensibilité individualiste et antiautoritaire produite par 1968 n'a pas été étrangère aux difficultés que rencontre l'école aujourd'hui.

Mme Christine Boutin. Il fallait le dire !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Que s'est-il passé alors ? Comment peut-on en parler aujourd'hui, trente-cinq ans après ? Quelles en sont et quelles en seront les conséquences pour l'école ?

Je résumerai en disant que toute une génération va se retrouver dans la volonté justifiée de sortir d'un siècle de morale répressive et pesante. Les revendications d'autonomie, de liberté, le souci de dénoncer un certain conformisme participent alors incontestablement d'un discours de progrès.

Mme Christine Boutin. C'est vrai !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. L'autonomie est érigée en valeur, opposée à la servitude et en tout premier lieu à la servitude des liens familiaux.

La première conséquence pour l'école...

Mme Christine Boutin. C'est une catastrophe !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ...a été le début d'un grand malentendu avec les familles. Certes, objet d'une volonté politique pure, l'école a toujours été conçue pour rester indépendante de la société civile, c'est-à-dire de l'argent, des intérêts, des croyances, mais aussi des familles. Reste que, jusque-là, école et parents avaient marché main dans la main. Le seul renoncement des parents, la seule apostasie familiale était l'immense confiance en l'école de la République.


Avec 1968 s'ouvre une nouvelle guerre de frontières et de légitimité autour de l'éducation de l'enfant, rappelant les grands débats entre Rabaut Saint-Etienne et Condorcet, déjà anciens, certes, et pourtant bien proches. L'institution s'engage dans le tout professionnel et, partant, s'aventure dans une voie qui ne lui permet évidemment pas de tenir toutes ses promesses.

Mme Christine Boutin. Bravo pour cette analyse !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Deuxième conséquence : dans les classes, c'est la mort du dogme du silence et de l'immobilité, ...

Mme Christine Boutin. Superbe !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ...si bien analysé par Michel Foucault. Ce sont les grandes heures de Rudolf Steiner et de la charte de l'école moderne inspirée par l'œuvre de Célestin Freinet. Une nouvelle pédagogie naît, marquée par le déclin de l'autorité, du travail, de la discipline, au profit de l'éveil et de la créativité. On va oublier que la formation de la faculté d'attention est, selon Simone Weil, « le plus véritable et presque l'unique intérêt des études ».

Mme Christine Boutin. Il fallait oser le dire !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Troisième conséquence : la crise de la transmission, dans une société qui a de plus en plus de problèmes avec son passé.

Mme Christine Boutin. Superbe démonstration !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Les valeurs de la République et l'autorité du savoir, que véhiculait jusqu'alors l'école, s'évaporent. Les enfants ne s'inclinent plus devant la culture et les œuvres ; ils n'ont plus conscience que la connaissance leur donne un pouvoir sur le monde qui les entoure. A cet égard, les difficultés d'adaptation au marché du travail ne vont pas arranger les choses.

Chacun l'a dorénavant bien compris - et le corps enseignant plus que tout autre -, l'abandon de l'autorité par l'éducateur ne produit pas miraculeusement une formation démocratique pour les enfants.

Mme Christine Boutin et Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Quand l'adulte laisse tomber le pouvoir, il y a toujours un petit chef pour le ramasser et pour l'exercer d'une manière infiniment moins éclairée. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) De même, que l'adulte renonce à tout impératif de transmission, et il laisse les enfants démunis, incapables de résister aux emprises affectives, idéologiques et marchandes qui le guettent de toutes parts.

M. Éric Raoult. Remarquable jugement !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. De fait, la nature ayant horreur du vide, l'espace laissé sans culture n'a pas tardé à être envahi par les écrans de télévision (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), laissant le champ libre à une gigantesque entreprise d'acculturation collective. (Approbation sur les mêmes bancs.)

M. Guy Geoffroy. Il fallait le dire !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. L'espace laissé sans valeurs communes clairement affirmées a favorisé les revendications communautaires et un déni de la norme au nom de la liberté.

Pascal Bruckner ajouterait que le risque d'une telle attitude est aussi de faire naître chez les jeunes les plus fragiles, ceux qui cherchent douloureusement leurs repères, une crispation, une demande d'ordre, de raidissement moral, et de les transformer en une classe d'anxieux désemparés et tentés par le conservatisme. N'est-ce pas ce à quoi nous assistons dans les quartiers, où les enseignants sont dépassés par un constat général de machisme des garçons ? N'est-ce pas aussi ce qui motive la revendication du port du voile dans nos écoles ?

Personne, parmi nous, ne court après l'illusion d'un ordre ancien, contrairement à ce qui a pu être dit - et vous voyez à qui je fais allusion. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Le propos n'est pas de faire le procès d'une époque. Il est encore moins de justifier un modèle par l'échec d'un autre. La nostalgie ne mène nulle part.

Mme Christine Boutin. C'est vrai !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Le propos est de pointer du doigt ce que l'on qualifie d'échec de notre système éducatif. Ce n'est pas l'échec de l'école, mais plus vraisemblablement le résultat du désarroi éthique d'une société qui a évolué trop vite, sans prendre le temps de bâtir ses propres fondations.

M. Guy Geoffroy. Très juste !

Mme Christine Boutin. J'aurais voulu écrire tout cela !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. La crise actuelle est moins celle de l'école que celle de la société dans laquelle elle s'insère.

Au bout du compte, nous possédons sans doute encore un système éducatif assez robuste et performant. Encore faut-il arrêter de lui demander des solutions que nous ne parvenons pas à trouver pour notre propre compte. C'est aussi toute l'utilité du débat national qui a été lancé : revisiter de fond en comble le contrat entre l'école et la nation ; savoir ce que nous demandons aujourd'hui à l'école, et pour ce faire, réfléchir à un certain nombre de questions.

Comment et jusqu'où intégrer la valeur d'égalité ? Comment poursuivre tout à la fois l'instruction du plus grand nombre et cultiver l'élite nécessaire au pays ? Quid de l'égalité de traitement ? Jusqu'où valoriser les différences individuelles et prôner une attention particulière adaptée à chacun ?

Comment prétendre tout à la fois protéger l'enfant pour tenir compte de sa fragilité particulière, notamment de son manque de maturité intellectuelle, et en même temps lui reconnaître le droit absolu à la liberté d'expression, le libre choix de ses opinions et appartenances ? Est-ce que nous n'avons pas trop eu tendance à le traiter comme un être responsable, déjà capable de penser par lui-même, ce que précisément il n'est pas encore ? Jusqu'où pourra-t-on prendre en compte l'élève comme individu, c'est-à-dire porteur d'une culture, de désirs, de goûts qui lui sont propres ?

Comment faire vivre à l'école, en bonne intelligence, des enfants d'origines et d'appartenances de plus en plus diverses ? Comment, en somme, les aider à participer pacifiquement à la vie collective, si ce n'est en valorisant des savoirs dont l'objectivité et l'universalité s'imposent à tous de façon nominative ? Comment redonner à ces savoirs un statut qu'ils ont perdu dans la société ? Plus généralement, quelle place donner au passé ?

Quelles places respectives doivent être accordées à l'instruction et la préparation à la vie professionnelle ? Jusqu'où devons-nous ajuster l'école aux exigences de l'économie contemporaine ?

Face à l'emprise exercée par la télévision, l'école doit-elle ou non rester un sanctuaire dans lequel la culture médiatique n'entre pas ?

Mme Christine Boutin. Elle ne le peut pas !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Doit-elle au contraire collaborer ?

Quelle doit être, enfin, la place des familles face à l'institution scolaire, alors que parents et enseignants semblent aujourd'hui moins à vif sur les questions d'appartenance ou de légitimité ?

Il faut que ces questions deviennent l'affaire de tous. Et cette année aura été une année utile, puisqu'elle marque un pas dans cette voie. Au total, ce sont près de un million de Français - vous nous l'avez dit, messieurs les ministres - qui ont participé au débat sur l'école.

L'école relève d'une volonté politique, au sens le plus noble du mot, mes chers collègues. Nous ne devons pas renoncer à notre volonté ou à notre détermination éducative.

Je terminerai en disant un mot à l'intention du corps enseignant.

M. Yves Durand. Ah !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Penser à l'école, c'est essentiellement penser aux maîtres. Car il n'y a d'école que si, d'abord, il y a des maîtres. La qualité de leur travail dépendra de la réponse que nous apporterons à ces questions. Elle dépendra aussi, pour une large part, du climat général, de la considération, de la confiance dont ils disposeront, ...

M. Yves Durand. Qu'est-ce qu'on les aime, ces maîtres !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. ...aussi bien dans toute la société qu'au plus haut de la hiérarchie. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Quelle démonstration ! C'était du grand Dubernard !

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur l'avenir de l'école arrive - enfin ! - au Parlement. C'est ce que l'on peut lire et entendre depuis quelques jours. Comment ne pas s'en réjouir ?

L'école est incontestablement un sujet de préoccupation primordial pour les Français. Le Gouvernement semble décidé à élaborer un nouveau projet de loi d'orientation sur ce thème, près de quinze ans après la grande loi d'orientation sur l'éducation portée par Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale.

J'ai eu l'honneur d'être rapporteur de ce texte, qui répondait à une attente forte de tous les acteurs de l'éducation : enseignants, personnels non enseignants de l'éducation nationale, parents d'élèves, élèves eux-mêmes - notamment les collégiens et les lycéens -, élus locaux.

La loi de 1989 constitue encore un bon cadre. Vous me l'avez dit vous-même, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, quand nous débattions ensemble, à Lille, en avril dernier, dans le cadre de la Cité de la réussite.

J'aimerais donc vous convaincre, messieurs les ministres, qu'il n'est pas nécessaire de l'abroger, mais plutôt de l'adapter au monde qui nous entoure.

Je vous ai écoutés tout à l'heure, l'un et l'autre, expliquer votre motivation : parce que l'on constate aujourd'hui une forme de violence dans certains établissements et que la loi de 1989 n'en parle pas, parce que l'objectif des 80 % d'une tranche d'âge arrivant au baccalauréat ne serait pas atteint, il faudrait une nouvelle loi d'orientation.

Avouez que l'argumentation est bien faible .

L'école porte en elle l'avenir de notre jeunesse. Il est donc important d'inscrire son évolution dans celle de la société, tout en la préservant de certains excès.

Mme Martine Lignières-Cassou. Absolument !

M. Bernard Derosier. La loi de 1989 a été préparée dans cet esprit, et cet esprit doit aujourd'hui perdurer, dans l'intérêt des jeunes, de la communauté éducative et de la nation tout entière.

Le débat sur la loi d'orientation de 1989 s'inscrivait dans un contexte politique et social particulier. Cette période était marquée par la recherche d'une nécessaire démocratisation de l'enseignement ; les étudiants, quelque temps plus tôt, étaient descendus dans la rue pour manifester leur désaccord face au projet de loi Devaquet, démontrant ainsi leur volonté de voir persister pour tous une véritable égalité d'accès au savoir. L'école se trouve alors face à de nouveaux défis qu'elle ne peut ignorer.

Dans ce contexte, en 1989, pour la première fois dans l'histoire de la République, un gouvernement se penche sur le système éducatif dans son ensemble, de la maternelle à l'université, dans une réflexion englobant toutes les catégories concernées par le monde de l'éducation : les personnels de l'éducation nationale, les collectivités locales, mais aussi les parents d'élèves et surtout l'enfant dans toutes ses dimensions.

Cette loi, grâce aux bases solides et novatrices qu'elle a données au système éducatif pour répondre aux défis quantitatifs et qualitatifs de la société française, a redonné une force neuve aux principes de liberté, d'égalité, de fraternité, de justice sociale auxquels nous sommes attachés.

La liberté, tout d'abord, avec l'affirmation du droit à l'éducation pour tous. Toute grande démocratie se doit de garantir ce droit et son effectivité. C'est pourquoi il fallait, à l'aube du XXIe siècle, que ce droit à l'éducation soit clairement énoncé, car les progrès d'une nation se mesurent à la qualité de son enseignement.

Par ailleurs, la loi d'orientation de 1989 affirme dans ses principes la liberté de l'esprit humain, avec le placement de l'élève au cœur d'un système éducatif conçu pour qu'il puisse, à tous les niveaux de sa scolarité, construire son savoir et non plus subir un enseignement décidé de manière dogmatique. L'intérêt de l'enfant est désormais considéré en priorité.

L'égalité ensuite. La loi de 1989 affirme cet objectif nouveau et ambitieux de voir 80 % d'une tranche d'âge accéder au baccalauréat, un objectif auquel il n'était pas sans signification de donner une valeur législative. Nous pouvons être fiers de constater, quinze ans seulement après la mise en œuvre de la loi d'orientation, qu'il est en passe d'être atteint - le taux est à ce jour de 65 % -, répondant ainsi à l'aspiration au progrès social d'un grand nombre de familles qui, trente ans auparavant, n'auraient jamais osé espérer faire poursuivre des études à leurs enfants. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Favoriser la scolarisation des enfants dès l'âge de deux ans, notamment dans les zones socialement désavantagées et les zones rurales, a aussi participé à l'affirmation du principe d'égalité. Je regrette que le Gouvernement actuel revienne sur cet objectif, alors que les spécialistes reconnaissent son importance pour promouvoir l'égalité des chances. Je regrette également d'entendre le recteur de mon académie se dire las de rémunérer des enseignants pour surveiller des enfants qui dorment. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Arnaud Montebourg. C'est incroyable !

M. Patrick Roy. Il a vraiment dit cela ?

M. Bernard Derosier. L'affirmation du principe de fraternité se traduit quant à lui par la prise en compte des parents d'élèves parmi les membres de la communauté éducative, aux côtés des enseignants et des personnels administratifs, techniques et de services et, concrètement, par leur participation aux conseils départementaux et aux conseils académiques de l'éducation nationale, ainsi qu'aux projets d'établissement.

Ils ont, à partir de cette date, été pleinement associés à la vie de l'établissement et à la vie scolaire de leurs enfants, afin de mieux participer à leur avenir. L'attente était forte. Leur implication dans la vie éducative est aujourd'hui reconnue, appréciée, enrichissante pour la vie scolaire dans son ensemble.

La fraternité se manifeste aussi par la prise en compte de cette richesse éducative qu'est la diversité des élèves, quelles que soient la nature, sociale ou physique, de leurs difficultés  - et je pense plus particulièrement à l'insertion des élèves handicapés.

La justice sociale, enfin. Grâce à la loi d'orientation de 1989, la carrière et d'une manière générale la place des enseignants ont été enfin revalorisées, la reconnaissance effective du métier d'enseignant et de son statut ayant permis une véritable reconsidération de la profession.


C'est dans cet esprit notamment qu'ont été créés les instituts universitaires de formation des maîtres, pour leur formation initiale et leur formation continue. Alors qu'un certain ministre avait, au milieu des années 1970, osé affirmer que, « si les enseignants n'étaient pas satisfaits de leur rémunération, ils pouvaient devenir éboueurs », une dizaine d'années plus tard ont été prises en considération leurs revendications légitimes. Il n'est pas certain que le Gouvernement ait aujourd'hui cette même préoccupation.

Parallèlement, la loi d'orientation de 1989, s'inspirant des principes de décentralisation de 1982, a permis de consacrer le partenariat entre l'éducation nationale et les collectivités territoriales.

Une grande loi sur l'école ne se fait pas sans moyens financiers. En 1989, le Gouvernement avait engagé un effort budgétaire important avec une croissance continue et forte du budget de l'éducation nationale.

Ainsi, la loi de 1989 a placé l'éducation au cœur de notre action, et je m'honore d'avoir appartenu à une majorité qui a fait de l'éducation la première priorité nationale.

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Bernard Derosier. L'affirmation du triptyque républicain au cœur de la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 a donné un nouvel élan à l'école et a modifié la façon même dont est perçue la scolarité.

En effet, qu'il s'agisse de la création des cycles, pour une meilleure prise en compte de la diversité des élèves, de la transformation des rythmes scolaires, pour une meilleure appropriation des savoirs par l'enfant, du projet d'établissement dont la création permet de prendre en compte tous les élèves, quelle que soit leur diversité d'origine sociale, de culture, de niveau et de qualités personnelles, qu'il s'agisse de l'ouverture de l'école à ses partenaires, afin qu'elle s'inscrive définitivement dans la vie du quartier, dans la vie de la ville, la loi d'orientation de 1989 a créé les conditions d'une nouvelle culture du système éducatif. Elle a permis une rénovation et une modernisation sans précédent à l'écoute des besoins de l'enfant, car l'école doit être faite pour eux.

Alors que cent années séparent les lois Ferry, fondatrices de l'école laïque et républicaine, de la loi d'orientation de 1989, créatrice d'une école pour tous, le gouvernement actuel souhaiterait aujourd'hui un nouveau projet de loi d'orientation pour l'éducation.

Est-ce bien nécessaire ? N'y a-t-il pas un moyen plus simple et donc plus efficace d'adapter notre système éducatif aux évolutions de notre société ?

Votre intention soulève une question essentielle que chacun d'entre nous doit se poser : l'école est-elle en panne au point de mériter une nouvelle loi d'orientation ? Est-il nécessaire aujourd'hui de proposer des changements radicaux aux orientations données il y a tout juste quinze ans alors que les ambitions d'alors constituent toujours les défis d'aujourd'hui ?

Alors ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin l'avait affirmé : les chantiers entamés grâce à la loi d'orientation de 1989 ouvraient la voie à un parcours long et difficile. Cette loi a enclenché une dynamique, une rénovation en profondeur, sur lesquelles il serait dangereux de revenir, si peu de temps après sa mise en œuvre, au risque de déstabiliser notre système éducatif.

Que voit-on en effet se dessiner aujourd'hui si l'on en croit les déclarations de tel ou tel ?

Un retour aux savoirs fondamentaux : la loi d'orientation de 1989 ne les avait pas gommés. Elle les avait seulement intégrés à une vision de la construction du savoir.

La lutte contre l'illettrisme : les différents ministres de l'éducation qui se sont succédé ont largement pris en compte cette préoccupation.

La remise en cause du collège unique : il faudra alors nous interroger sur la valeur qualitative qu'il faut donner à notre système éducatif, alors que le haut niveau de ce dernier est largement reconnu en dehors de nos frontières. Veut-on revenir en arrière et recréer les filières qui privaient une partie non négligeable d'élèves d'un accès au savoir, indispensable à leur pleine réussite ? Qui pourrait raisonnablement proposer un tel retour en arrière ?

La revalorisation de l'enseignement professionnel : la loi d'orientation de 1989 revalorise justement l'enseignement professionnel en conduisant l'ensemble des collégiens jusqu'à la fin de la troisième, permettant à un grand nombre d'élèves de parvenir au bac professionnel. Le législateur avait fait le pari de l'intelligence, considérant qu'un jeune s'adapte mieux au monde dans lequel il vit lorsqu'il a atteint un certain niveau d'études.

Je pense qu'aucune grande évolution du système éducatif ne justifie que le gouvernement actuel décide d'une nouvelle loi d'orientation pour l'école car les questions soulevées aujourd'hui l'étaient déjà en 1989 et le législateur y a répondu. Il suffit de continuer de donner les moyens nécessaires, et cela, malheureusement, vous ne le faites pas.

Je ne nie pas pour autant la nécessité de quelques adaptations. Nous avons sans aucun doute atteint nos objectifs d'un point de vue quantitatif. Des avancées sont encore nécessaires d'un point de vue qualitatif. Il faut renforcer encore, par exemple et même si elle a déjà beaucoup progressé, la démocratisation de l'enseignement. Voilà un exemple qui pourrait alimenter la réflexion du Gouvernement.

Mais je ne suis pas certain que telles soient vos intentions. Le Gouvernement nous propose une nouvelle loi d'orientation alors que la précédente n'a pas fini d'être appliquée.

Au moment où vous vous targuez de proposer aux Français un grand débat sur l'école, je constate que des dispositions ont déjà été annoncées, et, alors que le débat lancé n'est pas achevé, nous avons droit régulièrement à des effets d'annonce dans la presse.

Nous l'affirmons avec force : le Gouvernement nous propose un ersatz de débat national qui doit aboutir à un ersatz de loi d'orientation.

Pour l'instauration d'un véritable débat, il aurait tout d'abord fallu réaliser un bilan de la loi en vigueur, ce qui n'est pas le cas, à moins que les intentions du Gouvernement ne soient d'une tout autre nature.

Une loi d'orientation, mes chers collègues, est la manifestation d'une pensée politique, d'une certaine philosophie. Nous avons, en 1989, inscrit dans la loi notre volonté de démocratiser l'enseignement, de renforcer l'égalité des chances, de donner à tous la possibilité d'accéder au savoir. Nous avons alors, je l'évoquais précédemment, fait le pari de l'intelligence pour conduire à un niveau d'études suffisant le plus grand nombre de jeunes.

Quel était l'objectif ? Il s'agissait, et il doit toujours s'agir, de faire des enfants de notre pays de véritables citoyens, capables d'influer sur le destin d'une nation, susceptibles de mieux s'adapter à l'évolution de la société dans laquelle ils vivent, et non une simple main-d'œuvre répondant à des objectifs de rentabilité et de productivité.

L'éducation n'est pas un bien marchand, elle ne doit pas devenir « rentable », ni répondre à la confrontation de l'offre et de la demande dans l'économie de marché.

Le système éducatif doit nécessairement être en mouvement permanent, c'est un corps vivant. Mesdames, messieurs, je ne pense pas que ce soit par une nouvelle loi abrogeant la précédente que nous y arriverons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, iI n'aura pas fallu attendre longtemps pour constater que votre grand débat sur l'école se réduit à des décisions contraires aux besoins et aux exigences éducatives de notre temps et pour mesurer l'ampleur des conséquences du budget pour 2004 de l'éducation adopté par votre majorité.

Trois mois à peine se sont écoulés et, déjà, se confirment pour la prochaine rentrée toutes les craintes que ces choix avaient suscitées.

Après la suppression des emplois-jeunes, voici donc venu le tour des enseignants. Alors que, d'après vos propres chiffres, la population scolaire, tous degrés confondus, augmentera d'au moins 20 000 élèves en septembre 2004, il n'y aura pas un professeur de plus.

Ces décisions sont inacceptables, d'abord par rapport à l'évolution démographique scolaire puisque, je le répète, vos propres estimations ôtent tout crédit au premier critère que vous mettez en avant, celui d'une baisse globale des effectifs, ensuite par rapport aux dispositions d'encadrement pédagogique qu'exige la formation des jeunes. Ce dont on a besoin aujourd'hui, partout, c'est de classes allégées et non pas d'enseignants mis constamment sous la pression.

Dans l'académie d'Amiens, de nombreuses interrogations accompagnent l'annonce de la suppression de 250 postes, interrogations qui portent également sur l'évolution de la situation de l'université de Picardie, celle de ses chercheurs et de ses 20 000 étudiants.

Enseignement secondaire et enseignement supérieur sont en effet essentiels et liés dans une région, la plus jeune de France, le Nord-Pas-de-Calais, où le niveau de formation est faible et où les retards à rattraper sont importants.

Il n'est donc pas admissible que les décisions que vous rendez publiques, suppressions de postes en secondaire, ou celles que chacun redoute concernant le supérieur, ruinent l'effort local, à l'image de ce qui se passe dans l'IUT de l'Oise, dont l'avenir, dans ce contexte national régressif, demeure fragilisé et précaire.

Dans l'académie de Lille, qui couvre les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, vos décisions vont aggraver les difficultés scolaires déjà très lourdes, particulièrement dans les zones sinistrées par la casse industrielle de ces vingt dernières années.

Vous justifiez vos choix nationaux par un critère social de discrimination positive, mais je ne connais pas un parent d'élève, pas un enseignant du Nord ou du Pas-de-Calais pour qui cela puisse signifier une seule seconde la suppression de centaines de postes. Et c'est pourtant la décision que vous avez prise.

Votre choix de supprimer 600 postes du second degré et 49 postes du premier degré dans la région Nord Pas-de-Calais pour servir Versailles ou Toulouse est une aberration et un pur scandale. Cela va porter à 1 500 en trois ans le total de ces suppressions, c'est-à-dire autant que pour toute la France cette année dans le premier degré. C'est du jamais vu et c'est considérable, d'autant plus que vous y ajoutez la suppression de 58 postes administratifs alors qu'il en manque déjà 300, et que la décentralisation scolaire telle que vous l'envisagez renforcera les inégalités de moyens entre les territoires et fera perdre leur statut de fonctionnaire d'Etat à tous les personnels ATOS.

Autant vous dire que l'émotion et la colère sont dans ma région à la hauteur de ce nouveau coup porté aux moyens de lutte contre l'échec scolaire, et que cela conforte chez nos concitoyens le sentiment d'être abandonnés à leur sort par l'Etat.

Bien évidemment, les organisations syndicales enseignantes dénoncent la disparition de 49 postes d'enseignant du premier degré alors que les écoles maternelles et primaires devraient scolariser à la prochaine rentrée quelque 2 300 élèves de plus. Et, en dépit de vos dénégations, enseignants et parents redoutent la remise en cause de la scolarisation dès deux ans, un des très rares points sur lesquels le Nord-Pas-de-Calais figure encore dans les moyennes nationales.

Comment admettre 600 suppressions de postes dans le second degré, pour une baisse démographique aux limites du virtuel - moins d'un élève par classe -, mais dont il va résulter très concrètement la disparition de sections d'enseignement, voire celle de petits établissements, et la ruine de sections d'adaptation qui peuvent conduire du CAP ou du BEP à des baccalauréats de technicien ?

Ces éventualités sont inadmissibles dans une région où la casse sociale liée à l'aggravation du chômage confronte les jeunes à des situations familiales particulièrement dramatiques. Faut-il que l'Etat dresse sur leur route des obstacles supplémentaires à leur formation et qualification, à la chance que cela représente pour eux de s'en sortir ? N'oublions jamais que, dans certains secteurs de la région Nord-Pas-de-Calais, et cela vaut pour d'autres, on rencontre des enfants dont le père est au RMI, et même parfois le grand-père, et que l'école est sans doute le creuset où une chance peut leur être donnée !

Le Nord-Pas-de-Calais n'est pas le réservoir national dans lequel le gouvernement n'aurait qu'à puiser à la demande, pour éviter d'avoir à financer les postes nécessaires dans toutes les académies.

Vous parlez de justice sociale et territoriale. Enseignants et parents d'élèves dénoncent, eux, un scénario catastrophe qui, à l'échelle du pays, menace de faire passer à la trappe 1 300 classes de lycées et collèges, sans parler des conséquences sur l'éventail des options enseignées.


L'incompréhension est d'autant plus grande dans nos départements que parents, enseignants et maires n'ont pas manqué de vous alerter, en pure perte. Ces reculs sont inacceptables.

Vous prétendez vouloir défendre la présence de l'école en territoire rural mais les menaces de suppression ne manquent pas. J'en ai l'exemple dans ma circonscription, avec la commune de Flines-lès-Mortagne, située loin de tout centre actif, où il est envisagé, encore une fois, à la rentrée prochaine de supprimer une classe.

Ainsi, dans ma ville, j'ai fait le compte, tous niveaux scolaires confondus, ce sont pour le moins de huit à neuf classes de lycée, collèges, écoles primaires ou maternelles qui risquent de disparaître.

De même, dans un lycée horticole, les élèves vivent dans des conditions innommables, d'un autre âge, les ministères de l'agriculture et de l'éducation nationale se renvoyant la balle alors que la région Nord Pas-de-Calais et les collectivités territoriales sont prêtes à apporter leur concours à la construction d'un nouveau lycée.

Voilà, derrière votre grand débat national, la réalité des choses. Pourtant, l'effort régional a été porté à 18 % sur le budget des lycées, soit 230 millions d'euros, et celui du département à 15 % sur le budget des collèges, soit 280 millions d'euros. Tous ces efforts sont mis en péril par les désengagements tous azimuts de l'Etat. Il s'ensuit des difficultés aggravées, des attentes insatisfaites comme celles, parmi d'autres, que suscitent les conditions lamentables d'hébergement étudiant à Lille ou à Valenciennes, lesquelles vous ont été vertement rappelées par les intéressés eux-mêmes.

Monsieur le ministre, tout conduit à revoir la copie et à revenir sur les décisions iniques de suppressions de postes qui viennent d'être annoncées.

Si ce fameux grand débat sur l'école que vous avez initié vous laisse sourd aux attentes fortes des populations des régions comme la mienne, qui mérite mieux que le sort que vous lui réservez, autant dire que vos décisions, lourdes de conséquences pour l'avenir de la formation de nos jeunes, augurent mal de la France de demain, avec vos choix libéraux qui minent l'école de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, contrairement à certains propos tenus depuis le début de ce débat, je ne crois pas qu'il faille prendre à la légère l'initiative d'un grand débat national sur l'avenir de l'école.

Ce million de Françaises et de Français qui, partout sur notre territoire, ont saisi l'occasion qui leur a été donnée, pour la première fois depuis très longtemps, de s'exprimer en direct, sans tabou, sans complexe sur ces questions devrait inviter chacun à un peu plus de retenue dans son commentaire. S'y ajoutent les plus de 300 000 internautes qui ont exprimé leur point de vue avec une grande conviction et ont dialogué en direct avec les membres de la commission et qui méritent également un peu plus de respect.

Permettez-moi, messieurs les ministres, en tant que membre de la Commission nationale du débat sur l'avenir de l'école, de saluer le travail accompli par l'ensemble des membres de la commission qui, depuis la mi-septembre, s'efforcent avec intelligence, conviction et volonté, de rapprocher les points de vue sans en écarter aucun, de faire naître et prospérer ce débat, lui permettant d'être à la hauteur des ambitions. Ils s'efforceront ensuite d'y apporter leur contribution et finiront, messieurs les ministres, puisque c'est la mission qui leur a été confiée, par vous fournir la synthèse des travaux considérables qui leur sont parvenus. Je salue en particulier le président Claude Thélot qui a su allier à la fois cette fermeté qu'on lui connaît avec une ouverture dont d'aucuns ne le croyaient pas capable, manifestant ainsi sa capacité à faire travailler ensemble les membres de cette commission. Ceux-ci auraient du reste apprécié un peu plus de respect pour leur engagement et les efforts qu'ils ont déployés et continueront à déployer jusqu'à la fin de cette année scolaire.

Cela étant dit, revenons aux thèmes qui sont apparus lors de ces plus de deux mois de débat partout en France. Dans l'ensemble des 19 000 forums qui ont été organisés ont été passées au crible les vingt-deux questions que nous avons patiemment bâties comme autant d'entrées dans une problématique complexe qui méritait, me semble-t-il, cette nourriture que nous lui avons donnée afin que les débats ne partent pas dans toutes les directions pour se transformer en des débats de plus, du style café du commerce, mais au contraire, s'efforcent d'aller au plus près de ce que souhaitent dire nos concitoyens.

Tous ceux - enseignants, chefs d'entreprises, qui se sont déplacés en beaucoup plus grand nombre qu'on veut bien le dire, parents, futurs parents, grands-parents - qui s'intéressent à l'avenir de leurs enfants et à l'avenir de leur société tout simplement, ont pu exprimer un point de vue qui, finalement, recoupe pleinement les préoccupations des Français que les instituts de sondage avaient déjà notées il y a plusieurs mois.

La première préoccupation des Français est celle-ci : comment mobiliser nos enfants et les faire travailler efficacement pour qu'ils réussissent ? La deuxième, comment faire en sorte que notre école, rongée depuis une quinzaine d'années par le doute et par l'inquiétude face à la montée des incivilités et à la présence grandissante de la délinquance, qui nuisent à l'acte d'enseigner, retrouve sa sérénité ?

M. Yvan Lachaud et M. Ghislain Bray. Très bien !

M. Guy Geoffroy. La troisième préoccupation est de savoir comment positionner notre dispositif face aux difficultés grandissantes que rencontre un nombre croissant d'élèves.

La quatrième préoccupation est liée à la troisième : comment parvenir à ce que notre système, qui veut donner à chacun les mêmes ressources pour aboutir au même succès, puisse intégrer l'extrême diversité que nous constatons de plus en plus à l'école, au collège, au lycée, quels que soient les villes ou les quartiers ?

Enfin, nous ne l'avons pas évoquée, mais elle vient tout de suite après, la cinquième préoccupation recoupe comme une donnée transversale et incontournable toutes les autres : elle porte sur le partenariat à l'intérieur et autour de l'école. Quelle place pour les parents, en tant qu'acteurs et partenaires ? Quelle place pour les milieux économiques, les acteurs sociaux, l'ensemble des collectivités locales qui sont devenues, depuis de nombreuses années, des partenaires incontournables, utiles, indispensables sans lesquels l'école n'aurait pas progressé comme elle l'a fait en dépit des difficultés qu'elle rencontre encore ?

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Pour répondre à toutes ces préoccupations, il fallait ce travail sérieux qu'il ne faut pas mépriser.

Mes chers collègues, nous devons surtout nous efforcer d'éviter de critiquer ou de défendre systématiquement un dogme qui serait soudain devenu sacré, pour nous tourner résolument vers l'avenir de notre école, qui est pour une bonne part celui de notre société.

Sommes-nous capables de changer les choses, là où elles doivent impérativement être changées ?

Le premier enjeu est celui de la réussite de notre école primaire. Il ne s'agit pas, je tiens à le dire dès maintenant, de mettre en cause, d'une quelconque manière, ses personnels. Ils souffrent beaucoup depuis de nombreuses années et font de leur mieux. Ils y réussissent souvent et ils sont profondément déprimés de ne pas pouvoir, en dépit des moyens qui leur sont accordés, faire réussir leurs élèves en plus grand nombre.

L'école de la République, qui se voit confier 100 milliards d'euros par an, soit 7 % de notre PIB, doit-elle accepter comme une fatalité que 15 % d'élèves entrent en sixième sans maîtriser les acquis fondamentaux ? Non, bien évidemment !

M. Yvan Lachaud. Assurément pas !

M. Guy Geoffroy. Cette lutte contre l'illettrisme que vous avez engagée d'une manière très déterminée doit être poursuivie. Elle doit figurer comme la priorité absolue au cœur de la future loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Il faut utiliser tous les éléments, toute la richesse, tout le potentiel de notre système, et Dieu sait qu'ils sont grands ! Il faut utiliser comme outil de prévention majeure des difficultés d'apprentissage de la lecture, notre école maternelle, la meilleure du monde. On sait, si nous savons bien nous en servir, qu'elle est capable d'apporter une contribution essentielle à cette œuvre nationale.

Nous devons nous interroger sur la pérennité, sur la régularité de notre mode d'évaluation. Pourquoi ne pas dresser chaque année, dans chaque commune, un bilan des efforts et des progrès qui sont accomplis dans la lutte contre l'illettrisme, sachant que les collectivités apportent, et c'est normal, une contribution essentielle, pour remédier à ces difficultés ?

Il faut se poser courageusement la question : pourquoi faire entrer en sixième des enfants dont on sait pertinemment qu'ils rencontreront, compte tenu des lacunes qu'ils ont accumulées, des difficultés de plus en plus grandes, et que déboussolés, perdus, ces enfants ne pourront que dériver et, l'adolescence venant, entraîner petit à petit leur propre exclusion. Nous n'avons pas le droit d'accepter cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yvan Lachaud. Bravo !

M. Guy Geoffroy. Notre loi devra bien évidemment se pencher sur cette articulation entre une école primaire qui saura affronter courageusement ses difficultés et un collège qui saura affronter la diversité. La diversité que nous rencontrons au collège est naturelle. Alors pourquoi la gommer au nom de grands principes, au nom d'une volonté, qui reste idéologique, d'accorder à tous, de la même manière, le même parcours prétendument pour la meilleure réussite ?

Assurer la réussite d'un élève, c'est lui donner la capacité d'atteindre sa propre excellence. Celle-ci est en chacun de nos enfants. Dispenser à tous les élèves, qu'ils soient en difficulté ou non, le même type d'enseignement pendant les quatre années du collège n'est probablement pas le meilleur service que l'on puisse rendre à chacun.

M. Yvan Lachaud. Certainement !

M. Guy Geoffroy. Sans vouloir revenir à des pratiques du passé qui n'ont plus leur place parce que la société a évolué - je pense tout particulièrement à l'orientation en fin de classe de cinquième - il faut introduire très tôt les éléments propres à assurer cette diversification, cette individualisation, cette personnalisation de l'accompagnement de l'enfant en difficulté...

M. Daniel Prévost. Très bien !

M. Guy Geoffroy. ... afin qu'il puisse affronter la fin du collège et son orientation vers le second cycle dans de bonnes conditions.

M. Daniel Prévost. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. L'orientation devra bien sûr être au cœur de la réforme. Aujourd'hui, elle prend trop souvent la forme d'un couperet qui s'abat sur l'élève en difficulté que l'on baptise rapidement « élève en échec scolaire » et à qui le système scolaire indique que, puisqu'il n'est pas un bon élève dans les disciplines générales, il est juste bon à passer quelques années sur les bancs de l'enseignement professionnel.

M. Ghislain Bray. Et voilà !

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas de cette manière-là que nous réussirons à opérer cette nécessaire revalorisation concrète, non incantatoire mais réelle, de l'enseignement professionnel. Nous savons bien, sans que personne ne le dise, que jamais l'objectif des 80 % d'une tranche d'âge au niveau du baccalauréat n'aurait pu être envisagé sans prendre en compte le baccalauréat professionnel.

M. Yvan Lachaud. Bien sûr !


M. Guy Geoffroy.
Or, cet objectif n'a jamais été atteint. Le chiffre, qui était de 71 % en 1994-1995, est retombé à 65 %, soit 15 points au-dessous de l'objectif. Peut-être pourrions-nous penser que ce n'est pas trop grave si nous ne constations pas, dans le même temps, que 160 000 enfants quittent chaque année le système scolaire sans aucune qualification ni formation, c'est-à-dire sans un accès sûr et durable à la vie professionnelle.

Nous devons lutter contre cette situation, et permettre à l'enseignement professionnel de remplir véritablement sa tâche - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, parce que les modalités adoptées n'étaient pas à adaptées à la mise en œuvre du grand objectif des 80 %.

Sur cent élèves et soixante-cinq bacheliers, quarante sont inscrits dans des filières générales, dont les effectifs n'ont cessé de baisser au cours des dernières années. Depuis dix ans, le nombre d'élèves inscrits dans l'enseignement technologique a doublé. On a dit à ces malheureux élèves - j'emploie ce terme avec beaucoup d'affection - qu'ils pourraient faire une seconde, puis une première générales, avant de les envoyer vers des baccalauréats technologiques - le plus souvent en « sciences et technologies tertiaires », ou STT -, et on les retrouve enfin dans le premier cycle de l'enseignement supérieur, où la plupart d'entre eux échouent, faute des acquis de base qui leur permettraient de réussir.

M. Ghislain Bray. C'est vrai !

M. Guy Geoffroy. Parmi les soixante-cinq élèves sur cent qui obtiennent le baccalauréat, douze seulement viennent de l'enseignement professionnel - chiffre constant depuis plusieurs années. Alors que trois collégiens sur dix, soit 30 %, entrent en BEP, ils ne sont plus, quatre ans plus tard, en terminale professionnelle, que 12 % d'une classe d'âge ! Nous ne devons pas ignorer la grande difficulté que constitue pour notre système ce décrochage régulier et dramatique des élèves de l'enseignement professionnel, dès la première année de BEP et jusqu'en première ou en terminale de baccalauréat professionnel.

Tant que nous ferons de l'enseignement professionnel une voie de garage par rapport à l'unique voie de réussite que serait la voie de l'enseignement général, nous ne pourrons pas faire progresser notre système ni approcher l'objectif des 80 % qui, s'il n'a jamais été atteint, doit être revisité avec courage et détermination.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Il nous faudra aussi aborder, au cœur de la future loi, deux autres questions.

La première est celle des maîtres. Il a déjà été dit que notre potentiel est remarquable. Les enseignants de notre pays et l'ensemble des personnels de l'éducation nationale sont des gens dévoués, et le restent, même s'ils souffrent.

M. Daniel Prévost. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. Nous devons leur accorder la plus grande attention et définir, pour eux-mêmes ou pour leurs successeurs, les conditions d'une carrière réellement attractive. Tout au long de cette carrière, ils doivent être, en permanence, en mesure de réaliser les objectifs assignés à l'école, sans connaître l'angoisse de savoir s'ils pourront, ou non, continuer à donner satisfaction. A l'issue de cette carrière, ils doivent pouvoir être dans la plénitude de l'exercice de leur art, capables à la fois d'enseigner aux élèves, d'être aux côtés de leurs collègues enseignants et de contribuer, avec les enseignants des IUFM, à donner à l'enseignement l'indispensable part de pratique pédagogique concrète qui manque si cruellement aujourd'hui.

Comment, enfin, ne pas évoquer les familles, dont on nous dit tour à tour qu'elles sont trop présentes à l'école ou qu'elles en sont trop absentes ?

M. le président. Soit, mais rapidement, je vous prie.

M. Guy Geoffroy. La place des familles, tant auprès de l'enfant qu'auprès des enseignants pour le bien de l'enfant, est irremplaçable. Une réflexion approfondie s'impose, qui dépasse le cadre de la future loi et devra donc être poursuivie.

Il nous faut réfléchir à tout ce qui, dans notre système et dans l'ensemble de nos politiques publiques, permettra de soutenir la parentalité et, lorsqu'elle n'est pas assez présente, de favoriser son émergence.

Une enseignante de maternelle me disait récemment : « Rappelez bien, dans votre loi, que l'école n'a pas pour mission d'élever les enfants. » Cette mission est, en effet, celle des parents. Celle de l'école est d'apprendre, d'éduquer aux côtés des parents.

Nous devrons donc tout faire pour que les parents soient en mesure d'assumer leur rôle, car continuer à fixer à l'école une mission qui n'est pas la sienne nous condamnerait, là encore, à reculer et à ne pas régler les problèmes qui se posent.

Dans ce grand débat et dans l'élaboration de la loi qui va le suivre, nous avons, tous ensemble, au-delà de nos différences, le devoir de regarder notre école en face. Elle a des richesses et du potentiel, mais elle est décalée par rapport à l'évolution de la société. A nous de la remettre à sa place, de lui rendre fierté et autorité dans la société, de rendre aux maîtres une autorité au sein de l'école, et aux élèves la place qui leur est due, sans leur faire croire qu'ils ont tous les droits et qu'en ne faisant rien, tout est possible.

Respectons l'école, respectons nos enfants, arrêtons de leur mentir. C'est avec ce courage que nous bâtirons l'école de demain, l'école de la République. Demain, cette école fondatrice de toutes nos libertés pourra s'enorgueillir d'être l'école de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou.

Mme Martine Lignières-Cassou. Dans ce débat, messieurs les ministres, vous semblez considérer que seule l'école crée des liens éducatifs. Vous semblez avoir oublié que l'enfant vit d'autres temps que celui de l'école, en particulier celui des loisirs.

En effet, chaque année, sur 8 500 heures de vie, un enfant en passe 1 000 à l'école et 4 000 en temps libre, dont 500 devant la télévision. Or, ce temps libre est porteur de nombreux enjeux.

D'abord, un enjeu social : en l'absence de régulation publique, le temps libre est une source importante d'inégalité. Tous les enfants n'ont pas le même accès aux richesses offertes par ce temps.

Un enjeu éducatif, aussi : le temps libre contient un potentiel éducatif en phase avec les exigences de mobilité, de créativité et d'anticipation qui sont celles de notre société contemporaine. Bien géré, ce nouveau temps social, loin d'être un « temps résiduel », comme on l'entend souvent, peut permettre à chacun de développer des capacités essentielles à une intégration réussie, qu'elle soit sociale ou professionnelle.

Enfin, ce temps libre est également un enjeu économique. Il représente, en effet, un secteur économique en plein développement, et nous voyons aujourd'hui des opérateurs marchands investir les domaines périscolaire et extrascolaire et multiplier les offres de séjours linguistiques ou de cours particuliers. La structuration de ce champ dans le secteur marchand ne peut que renforcer les inégalités. Mais peut-être y a-t-il pour vous, messieurs les ministres, place pour le marché dans ce temps libre, la famille étant à vos yeux seule responsable de sa stratégie éducative !

Lutter contre les inégalités éducatives suppose donc d'agir sur les différents temps de vie des enfants et des familles. Il s'agit, bien sûr, de centrer l'école sur ses missions fondamentales, mais aussi de mieux l'inscrire dans une démarche globale.

Une telle démarche doit prendre en compte les rythmes scolaires et les rythmes de vie des enfants, qui ne sont pas les mêmes pour chacun. Elle doit être attentive aux enfants et aux jeunes, et les reconnaître comme des acteurs, certes spécifiques, mais à part entière. Elle doit également soutenir la fonction parentale. Elle doit aussi développer une politique du logement permettant aux enfants de travailler dans le calme.

Cette démarche doit encore structurer une politique de loisirs, en valorisant les acteurs éducatifs non scolaires, au premier rang desquels les associations d'éducation populaire - à condition, toutefois, de ne pas réduire les subventions qui leur sont destinées ! Elle doit, par ailleurs, s'intégrer dans une politique d'aménagement du territoire, parce que les établissements scolaires sont des outils d'animation du territoire. Elle doit, enfin, proposer un partenariat aux médias, avec qui il nous faut parvenir à signer une charte de déontologie de l'éducation.

Voilà ce que serait pour nous, socialistes, une politique d'éducation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Messieurs les ministres, contrairement à ce que vous avez annoncé tout à l'heure, le grand débat sur l'école n'a pas été à la hauteur des enjeux affichés.

Trop peu d'audace, trop peu d'ambition et - pourquoi se le cacher ? - trop peu d'envie ont accompagné les réflexions. C'est particulièrement vrai dans l'académie d'Aix-Marseille. Là comme ailleurs, semble-t-il, vous avez manqué votre rendez-vous avec la communauté éducative. Enseignants, personnels non enseignants de l'éducation nationale, parents d'élèves et élèves ont très peu « planché » ensemble sur l'avenir de l'école.

Cette communauté éducative semble, d'ailleurs, connaître une grave crise identitaire et un profond malaise qui ne l'invitent guère à participer à une réflexion institutionnalisée - sinon instrumentalisée - sur le devenir de l'enseignement. Combien de fois ai-je entendu, à Marseille, des professeurs me demander : « A quoi bon s'exprimer et se projeter dans l'avenir, s'il est déjà bouché ? »

Il est très dangereux de dire tout et son contraire. Il est paradoxal de parler d'ambition pour l'école tout en programmant, pour la rentrée 2004, trois cents suppressions de postes d'enseignant dans les établissements du second degré de l'académie d'Aix-Marseille, ou en n'envisageant que quelques créations de postes dans les écoles maternelles et primaires. Ces mesures sont en total décalage par rapport à l'évolution démographique des territoires urbains et ruraux du Sud-Est de la France. C'est méconnaître à quel point il est urgent de diminuer les effectifs par classe, tout particulièrement dans les quartiers populaires marseillais où s'accumulent trop de maux et où les familles sont trop souvent livrées à elles-mêmes.

A Marseille, deuxième ville de France par la taille, il est urgent d'améliorer la scolarisation, tant dans le premier degré que dans le second, en permettant aux écoles et aux collèges les plus défavorisés de rattraper leur retard.

La situation scolaire de Marseille est, en effet, un cas particulier car, alors que le nombre d'enfants scolarisables augmente fortement et que les collèges ont atteint le seuil de saturation, le taux de scolarisation des enfants de deux ans, déjà très bas pour les Bouches-du-Rhône, est encore en baisse. Or, nul ne le conteste, la scolarisation et l'apprentissage précoces sont particulièrement bénéfiques aux enfants issus des milieux les plus défavorisés.

L'école sert de point d'ancrage et de stabilité. Plus globalement, c'est dans les zones d'éducation prioritaire que le nombre d'élèves augmente le plus, alors que les moyens humains et matériels tendent inexorablement à se réduire ou ne sont pas adaptés à une discrimination positive qui demande d'investir plus dans ces quartiers, pour assurer aux jeunes qui en ont le plus besoin une véritable égalité en matière de droit à l'enseignement.

Marseille a, en outre, accueilli 691 collégiens non francophones, dont beaucoup sont de nationalité française. Leur présence nécessite une attention particulière, une réduction des effectifs par classe, ainsi qu'un suivi et un soutien particuliers, sous peine de les voir, dans quelques années, relever de l'école de la deuxième chance, si ce n'est de la troisième !


Prétendre réunir la grande famille éducative, après avoir supprimé des milliers de postes de maître d'internat et surveillant d'externat ou d'aide-éducateur, ne pourrait relever que d'une volonté politique forte, dont vous êtes dépourvus. Si la famille éducative croit en l'éducation nationale et en ses missions de service public, elle ne croit pas en votre gouvernement, ni en sa capacité à promouvoir l'école contemporaine de Jules Ferry, celle de la laïcité, de l'égalité, de la fraternité et de la liberté.

Il ressort de tous les entretiens que j'ai eus récemment à Marseille que l'éducation nationale souffre d'un mal récurrent, qu'il conviendrait de soigner avec diligence : la souffrance de naviguer à vue, à chaque rentrée scolaire, en fonction de l'attribution hypothétique de postes d'enseignant et de personnels non enseignants. Attribution qui souffrira demain de l'abandon du principe de l'unicité du service public de l'éducation nationale, notamment dans l'une des régions les plus peuplées de France.

Le devoir de la nation est d'investir dans l'avenir de ses enfants. Comme me le disait une enseignante marseillaise pas plus tard qu'hier, plus les élèves disposeront d'une culture générale commune - bien plus audacieuse d'ailleurs que le simple triptyque « lire, écrire, parler » -, plus ils seront qualifiés, plus ils seront demain des femmes et des hommes libres, des citoyens éclairés, capables de ne pas subir la réalité mais d'œuvrer sur le réel, d'être utiles à l'homme et à la société. N'est-ce pas cela la mission première de l'école, à Marseille comme ailleurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Messieurs les ministres, le débat d'aujourd'hui est une étape intermédiaire, à mi-parcours entre la mobilisation qui a lieu dans toute la France à l'occasion du débat national sur l'école, et la future loi d'orientation. Il s'agit de faire le point et de voir quels sont les premiers éléments qui remontent des multiples réunions qui se sont tenues.

Nous avons su montrer, pour la première fois depuis longtemps, que l'école devait faire l'objet d'un débat ouvert. C'est vrai que, depuis plusieurs décennies - je l'entends encore sur nos bancs, tant à droite qu'à gauche -, beaucoup ont eu tendance à considérer que l'école est l'apanage de la « communauté éducative » qui la plupart du temps se limite d'ailleurs aux colloques des enseignants, et les parents d'élèves, qui ont du mal à s'y intégrer, dans la mesure où les premiers ne sont pas toujours très ouverts à la présence des seconds. L'initiative de ce débat national est extrêmement positive, car même si les résultats quantitatifs ne sont pas encore spectaculaires - les participants ne se sont pas comptés par millions -, ce débat a eu l'immense avantage de faire participer tout le monde à un début de réflexion sur l'éducation.

Messieurs les ministres, le fait que chacun ait participé à ce débat, ou du moins soit prêt à y participer, vous donne une obligation de résultat, et pas seulement une obligation de moyens. Il ne s'agit pas simplement, comme cela arrive trop souvent après les colloques interminables sur l'éducation, d'ouvrir le robinet d'eau tiède traditionnel, avec toujours les mêmes discussions sur les mêmes problèmes, et la sempiternelle velléité qui se renouvelle de décennie en décennie, car il vous faut répondre aux attentes en matière de rénovation de notre système scolaire.

Ce système n'a pas été conçu pour les professeurs ou les parents d'élèves, il a été mis en place par la République pour réaliser un objectif politique bien précis dont je tiens à rappeler, avec force, les tenants et les aboutissants.

Si nous avons créé dans ce pays l'école publique, ce n'est pas simplement pour diffuser le savoir : c'est parce que nos prédécesseurs ont décidé, il y a un siècle, que l'école publique laïque permettrait de rétablir l'égalité des chances, et que cette école a d'abord comme fondement politique de rétablir l'égalité des chances en surmontant l'inégalité des naissances ou des fortunes. Tel est son fondement politique. C'est son seul objectif, il est noble et grand. Tout le reste n'en est que dérivé. Ce serait se tromper de débat que de croire que seul le savoir doit être l'objectif de l'école - vaste débat philosophique. Aujourd'hui, le savoir se transmet par d'autres moyens. Je souhaite d'ailleurs qu'un jour nous débattions de l'intégration de ces moyens connexes à l'école. Enfermer l'école dans la seule logique de l'acquisition de connaissances - j'ai eu une petite polémique avec mon ancien doyen de l'inspection générale sur cette question -, c'est perdre et faire perdre de vue une partie de la réalité, à savoir que l'intention des fondateurs de l'école publique laïque était politique et qu'elle le reste : rétablir l'égalité que la nature n'a pas donné à tous. C'est l'objectif fondamental qui ressort de la plupart de mes entretiens avec les acteurs du système éducatif.

Cet objectif implique, au préalable, de rompre avec certaines habitudes du passé qui se sont avérées une déviance du système. Je rejoins ce qu'a dit Pierre-André Périssol tout à l'heure, l'égalité-uniformité a été un moment de l'histoire de l'éducation nationale. Aujourd'hui, l'évolution est inverse : l'uniformité est en train de casser la notion d'égalité. Nous sommes tombés dans un système égalitariste, qui tire vers le bas et qui ne permet pas, à cause de son uniformité, de dégager les spécificités de chacun.

Mes chers collègues, c'est le moment ou jamais de briser les tabous. Nous avons une chance extraordinaire : le sondage publié dans un grand quotidien samedi dernier révèle que la première demande des parents d'élèves et de « la communauté éducative », c'est de pouvoir choisir son établissement. J'ai d'abord pensé que ce journal de droite nous refaisait le numéro classique de la droite favorable au libre choix de l'établissement scolaire, mais je me suis aperçu qu'en réalité les 90 % qui y sont favorables sont à peu près uniformément répartis entre l'électorat de gauche et celui de droite. Il est bien en train de se passer quelque chose, grâce à cette prise de conscience collective des destinés politiques de notre système éducatif. Cette évolution des mentalités permet toutes les audaces ! Et je le dis tout net : c'est un problème de moyens. Je suis de ceux qui, à droite, ont toujours défendu l'idée que les moyens éducatifs étaient nécessaires car ils représentent l'investissement suprême d'une nation qui veut rétablir l'égalité des chances. Vous ne me trouverez jamais du côté de ceux qui veulent sabrer les moyens du système éducatif. Je crois même que, si ces moyens sont bien utilisés, il faudra les augmenter et, comme pour toute réforme nécessaire, avoir le courage de justifier les dépenses supplémentaires.

Mais il faut d'abord dépasser le cadre traditionnel du débat sur l'école. Il est désormais absurde de considérer que notre système uniforme doit mettre dans le même sac des lycées dont chacun sait qu'ils sont profondément différents par leur composition. Le lycée de La Courneuve, avec ses mérites, n'est pas le lycée Louis-le-Grand, qui lui-même diffère du lycée Jeanson-de-Sailly ou du lycée de Marseille. Continuer à nous faire croire que l'égalité et l'uniformité doivent être respectées dans ce contexte, c'est le contraire de l'égalité !

Il faut donc appliquer la discrimination positive des moyens. La priorité, c'est de donner les moyens nécessaires aux établissements en difficulté quitte à ce que le sacrifice à assumer pour l'égalité des chances passe par le sacrifice de l'égalité abstraite. Vraisemblablement, ce sont les circonscriptions où la situation est la meilleure qui devront sacrifier des moyens pour les autres. Je suis d'autant mieux placé pour le dire que ma circonscription est favorisée, et que je l'ai expliqué personnellement à mes propres électeurs. Car la discrimination des moyens est fondamentale. Nous arrivons à un moment de notre histoire où nous sommes en mesure, scientifiquement et pédagogiquement, d'individualiser l'enseignement.

Il faut en finir avec ces tabous et c'est le moment où jamais de clore l'histoire du collège unique. Car il faut donner une véritable spécificité au lycée professionnel, qui vit depuis des décennies à l'ombre du grand soleil de l'enseignement général - tellement à l'ombre d'ailleurs qu'il n'arrête pas de s'enrhumer. Le collège unique est un des facteurs clefs des difficultés de notre système éducatif.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, un élément déterminant a été mis en place par votre prédécesseur - dont je dirai du bien, pour une fois -, puisque M. Thélot, qui désormais conduit la méthode de ce grand débat, avait été chargé d'une mission d'évaluation par celui à qui vous avez succédé. Et il soutient totalement cette politique encore balbutiante. Notre système éducatif doit fondamentalement prendre en compte les bornes qualitatives déterminées par l'évaluation. L'évaluation ne s'arrête pas à celle des professeurs. Je dis très nettement que nous avons eu tort, pour les professeurs eux-mêmes, de supprimer les systèmes d'évaluation, car rien n'est meilleur pour l'enseignant : il ne s'agit pas de le sanctionner, mais de le confronter aux réalités ainsi qu'aux habitudes, et en permanence à lui-même, dût-il se réévaluer. Mais il est tout à fait naturel que les établissements aussi soient évalués. Cela rejoint d'ailleurs la conséquence implicite de la demande de libre choix de l'établissement. Au fond, le sondage auquel j'ai fait allusion signifie que les Français ne veulent plus être amalgamés dans l'anonymat d'un système éducatif qu'ils ne maîtrisent pas. Les parents nous indiquent qu'ils veulent désormais participer au système. Et l'évaluation leur permet de mieux le comprendre.

J'ajoute qu'il n'est pas normal, étant donné notre système éducatif et les moyens dont nous disposons, qu'un élève se retrouve, à l'entrée dans la vie professionnelle, avec comme seule évaluation une note de « dictée » au baccalauréat. Pour les chefs d'entreprise soucieux de connaître les compétences d'un postulant, c'est une plaisanterie. L'éducation nationale est seulement capable d'indiquer que ses élèves ont eu 12 en dictée lorsqu'ils étaient en cours préparatoire, ou 14 en latin lorsqu'ils ont passé le baccalauréat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais rien sur l'individualisation des élèves !

Mme Nathalie Gautier. Caricature !

M. Claude Goasguen. Certes, je sais bien que tel ou tel établissement mène des expériences mais, de par mon expérience à l'inspection générale pendant quelques décennies, et pour avoir été recteur, je suis bien placé pour connaître les mécanismes du système éducatif. Et rien dans ce système, actuellement, ne donne une véritable évaluation, une étude qualitative de chaque élève. C'est un dû que le service public doit à l'éducation nationale, à notre système d'égalité des chances - oui, ma chère collègue, c'est comme cela que les choses se passent dans les lycées. Nous n'avons pas d'évaluation qualitative, nous ne savons pas ce qu'un élève est capable de faire ; personne ne le lui indique dans un document qu'il pourrait remettre à un employeur éventuel. C'est comme ça. Et c'est pourquoi l'individualisation et l'évaluation des élèves, comparée avec nos voisins européens, sont au centre de l'évolution.

Ne l'oubliez pas, messieurs les ministres, vous avez une obligation de résultat.

Nous vous lâcherons d'autant moins qu'il y a trop de règlements à l'éducation nationale,...

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. En effet.

M. Claude Goasguen. ...et pas assez de lois. Par pitié, messieurs les ministres, ménagez la forêt française avec le BOEN, le Bulletin officiel de l'éducation nationale, qui a saboté toute la forêt des Landes depuis des décennies, pour des règlements qui ne servent à rien, hormis à rendre plus difficile ce qui devrait être simple. L'éducation nationale, à la différence des autres ministères, souffrent d'un excès de règlements et d'une pénurie de lois. C'est un paradoxe car les autres ministères, en général, souffrent d'une pénurie de règlements et d'un excès de lois. Le Parlement a envie de vous récupérer, et de vous tenir.

Je souhaiterais qu'un tel débat d'orientation se tienne chaque année devant les représentants de la nation. Car notre éducation, dite « nationale » - et ce sera ma conclusion - n'avait qu'une caractéristique : elle était sans doute l'apanage des professeurs, puis de la communauté éducative ; mais on avait oublié simplement, mes chers collègues, que l'éducation est d'abord nationale, et qu'à ce titre c'est devant la souveraineté nationale qu'elle doit prioritairement rendre compte.

Messieurs les ministres, nous vous gardons sous la main et nous ne vous lâcherons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite du débat sur l'avenir de l'école.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot