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Troisième séance du jeudi 5 février 2004

154e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)

1

ADAPTATION DE LA JUSTICE AUX ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ

Transmission et discussion du texte de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

        Paris, le 27 janvier 2004

      Monsieur le président,

      Conformément aux dispositions de l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous demander de soumettre à l'Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

      Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 1377).

La parole est à M. le rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici au terme d'un long processus parlementaire qui avait commencé ici le 21 mai dernier, qui a mobilisé pendant une dizaine d'heures la commission des lois pour des auditions, qui a mobilisé la commission des lois puis nous tous dans cet hémicycle pendant un nombre colossal d'heures. Je remercie le Gouvernement d'avoir permis qu'il se déroule de manière sereine et qu'il aille jusqu'à son terme puisqu'il y a déjà eu quatre lectures, deux à l'Assemblée, deux au Sénat ; ce texte est donc examiné pour la cinquième fois.

La commission mixte paritaire s'est réunie le 28 janvier dernier. Sur les 220 articles que comprend le projet, 88 articles n'avaient pas fait l'objet d'un texte commun au cours des navettes parlementaires et restaient en discussion.

Le texte porte sur plusieurs sujets.

En matière de criminalité organisée, un certain nombre de points restaient en suspens.

Pour la surveillance par les officiers de police judiciaire des personnes pour lesquelles il existe des raisons plausibles de considérer qu'elles ont commis une infraction liée à la criminalité organisée, nous avons retenu le principe de l'information préalable du procureur de la République afin d'étendre la surveillance sur le territoire national. C'était la position de l'Assemblée nationale, qui nous semblait plus efficace.

En matière de garde à vue, notre objectif, en première lecture, avait été de simplifier, pour avoir un système cohérent et le plus simple possible. Le texte initial prévoyait cinq régimes de garde à vue, nous les avons réduits à trois. Au fur et à mesure des navettes, le texte a évolué, mais il y a toujours trois régimes.

En commission mixte paritaire, nous nous sommes entendus avec le Sénat pour faire disparaître le régime particulier de l'article 63-4 du code de procédure pénale, qui prévoit, pour toute une série d'infractions, la présence de l'avocat à partir de la trente-sixième heure. Ce seuil est un legs de textes précédents et n'était plus du tout en phase avec l'ensemble du dispositif que le Gouvernement nous proposait et qui était décliné par vingt-quatre heures. Pour une partie des infractions concernées, la présence de l'avocat a été avancée à la première heure. Il s'agit d'infractions assez graves, comme des destructions ou dégradations d'un bien en bande organisée. Par contre, pour les infractions les plus graves et, notamment certaines atteintes aux personnes - je pense par exemple aux extorsions de fonds avec blessures ou mutilations -, nous l'avons reportée de la trente-sixième à la quarante-huitième heure. Nous avons essayé de trouver la solution la plus sage et la plus cohérente.

Pour les mineurs, l'Assemblée a adopté le texte du Sénat. Pour des mineurs de seize à dix-huit ans, si le magistrat est d'accord, il est possible de prolonger la garde de vue s'il existe des raisons plausibles et contrôlées par le magistrat que le mineur soit mis en cause dans une infraction liée à la criminalité organisée, et si, dans l'affaire, sont mis en cause parallèlement des majeurs. Nous avons tous été interpellés, en effet, par des affaires de réseaux de bandes organisées dans lesquelles un certain nombre de mineurs sont impliqués.

Nous avons beaucoup discuté également des pollutions maritimes. Le texte qui revient devant vous est assez proche de la version de l'Assemblée nationale, qui aggrave considérablement les amendes encourues en cas de pollution maritime. Il distingue entre les pollutions volontaires, pour lesquelles les amendes peuvent aller jusqu'à quatre fois la valeur de la cargaison du navire, et les pollutions involontaires, pour lesquelles nous avons conçu une gradation, avec notamment des circonstances aggravantes comme la violation délibérée de la réglementation ou des atteintes graves ou irréversibles à l'environnement.

Un mot également de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Nous avons retenu la position de l'Assemblée quant à la possibilité d'infliger une amende égale à 100 % de celle prévue par les textes. Nous avions un débat au sujet de la présence de l'avocat. Les choses ont été posées très clairement. Nous avons retenu, même si, dans un premier temps, nous n'étions pas d'accord, le texte du Sénat prévoyant que la présence de l'avocat est obligatoire et qu'on ne peut y renoncer

Par contre, en matière de publicité, la commission mixte paritaire a retenu le dispositif de l'Assemblée, qui prévoit que la sanction sera lue en audience publique. C'est un dispositif sage, qui permet d'écarter toutes les polémiques sur les risques d'une justice secrète.

Nous avons adopté un certain nombre d'autres dispositions plus ponctuelles pour mettre en harmonie nos textes en matière d'application des peines. Nous avons retenu, à l'initiative de notre collègue Gérard Léonard, un dispositif en matière de prescription des peines. Nous sommes également tombés d'accord, s'agissant du fichier des délinquants sexuels, sur une formule proche de celle qui avait été adoptée par le Sénat, celui-ci ayant, en deuxième lecture, adopté l'essentiel du dispositif de l'Assemblée.

Voilà ce dont je voulais vous rendre compte. Je remercie l'ensemble de mes collègues qui ont participé à ce très important travail parlementaire.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, en m'exprimant devant vous le 26 novembre dernier à l'occasion de la deuxième lecture de ce projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, je m'étais félicité de la qualité du dialogue entre les assemblées et le Gouvernement, ainsi qu'entre les assemblées, sur cette matière si sensible du droit pénal et de la justice pénale.

Nul ne contestera que, sur ce texte en discussion depuis bientôt un an, le Parlement a pu débattre de l'ensemble des questions abordées par mon projet, en séance publique, en commission, et également sur la base des travaux importants réalisés par votre rapporteur.

Je ne peux admettre qu'on balaye cette réalité d'un revers de la main dédaigneux et qu'ainsi on nie le rôle éminent du Parlement dans la préparation et la discussion d'un tel texte.

Au terme de deux lectures dans chaque chambre, l'accord s'est fait d'emblée sur les lignes de force du projet, que je rappelle brièvement.

Il s'agit d'abord de mettre notre pays à niveau en matière de lutte contre la criminalité organisée.

La criminalité organisée, dans mon projet, ce sont les enlèvements, les trafics de stupéfiants, le terrorisme, la traite des êtres humains, les meurtres en bande organisée, les braquages en bande organisée, le proxénétisme aggravé, la pédo-pornographie par Internet.

Cet effort de définition précise constitue le cœur du projet.

Je veux donc que notre système pénal ouvre les yeux sur ces réalités et se donne en conséquence les moyens de les combattre par l'amélioration des outils juridiques et par une organisation plus adaptée : les pôles spécialisés en matière de criminalité organisée, qui traiteront bien entendu des questions de criminalité financière ; la création ou l'extension de moyens d'enquêtes respectueux du principe de la garantie judiciaire, ce qui passe par l'affermissement des compétences du juge des libertés et de la détention, apparu dans notre paysage juridique à la suite de la loi du 15 juin 2000. Je regrette que d'éminents spécialistes aient encore dit aujourd'hui dans la presse qu'il serait possible d'installer des sonorisations à domicile sans l'autorisation d'un juge. C'est inexact !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Bien sûr !

M. le garde des sceaux. Avant de critiquer un texte, il est utile de le lire.

Il s'agit ensuite de donner une orientation plus réaliste et humaniste à notre système judiciaire pénal.

Les magistrats sont les premiers conscients de cette demande, et il faut leur rendre hommage des efforts qu'ils ont déployés au cours de l'année 2003 : pour la première fois, le taux de réponse pénale a dépassé 70 % et le taux de classement est passé sous la barre des 30 %.

II faut poursuivre cet effort et, par conséquent, donner à l'institution judiciaire les outils permettant d'y parvenir.

Il y a deux voies d'amélioration : d'une part, les moyens matériels et humains, je n'y reviens pas ; d'autre part, la diversification des procédures. Il s'agit de proposer plus d'outils pour obtenir une réponse pénale plus importante et plus rapide : création du « plaider-coupable » ; extension de la composition pénale ; création du stage de citoyenneté.

Il nous faut aussi un système carcéral tourné vers la réinsertion, et je vous remercie une fois encore, monsieur le rapporteur, pour le très important travail que vous avez réalisé dans cette direction.

Il n'est en effet, à mon sens, nullement contradictoire de dire, d'une part, que, lorsque la justice envoie quelqu'un en prison, c'est évidemment qu'il y a des raisons à cela, et, d'autre part, que la société ne saurait se désintéresser de « l'après-incarcération ».

C'est pourquoi il ne faut plus que la sortie de prison ait lieu sans préparation.

Le projet permet donc, pour les condamnés qui manifestent des efforts de resocialisation, d'aménager progressivement le déroulement de leur peine.

Dans ce contexte, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 27 janvier pour travailler sur un certain nombre de dispositions du projet, a abouti à des solutions tout à fait satisfaisantes.

En ce qui concerne certaines dispositions du régime procédural des infractions de criminalité organisée, un accord a été trouvé sur les conditions dans lesquelles les déclarations d'un agent infiltré pourront servir de fondement à une condamnation pénale.

Comme le projet du Gouvernement le prévoyait initialement, la commission mixte a posé le principe que ces seules déclarations sont insuffisantes pour fonder une condamnation, sauf lorsque l'agent dépose sous sa véritable identité. J'y suis favorable.

Un accord a également été trouvé sur la simplification des régimes de garde à vue.

Dans l'optique de simplification qui avait dominé vos travaux, la commission mixte a fixé à la quarante-huitième heure de garde à vue le moment de la première intervention de l'avocat pour ce qui concerne les infractions de criminalité organisée, étant bien sûr précisé que les cas dans lesquels cette intervention est actuellement prévue dès la première heure demeurent inchangés. J'y suis donc favorable.

Sur les points restant en discussion qui relevaient de la procédure pénale générale, votre commission a abouti à un accord sur la fixation à un an, au lieu de trois mois, du délai de prescription des infractions de racisme prévues par la loi de 1881 sur la presse : diffamation et injures raciales, provocation à la haine ou à la discrimination raciale, négationnisme.

Cet accord, dont je me réjouis, est tout à fait conforme aux orientations de la politique gouvernementale en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

Je rappelle d'ailleurs que votre assemblée s'est montrée très déterminée sur ce sujet à l'occasion de l'adoption, à l'unanimité, de la proposition de loi de Pierre Lellouche visant à aggraver la répression des infractions racistes et antisémites. J'ai depuis demandé aux procureurs de faire une application ferme et systématique de ces nouvelles dispositions.

Un accord a été également trouvé sur l'allongement à vingt ans de la durée de la prescription des crimes et des délits sexuels commis contre les mineurs.

Sur la base d'un amendement adopté par votre assemblée, à l'initiative de Gérard Léonard, cette importante question a fait l'objet, devant l'une et l'autre chambre, de discussions très riches qui m'ont convaincu du bien-fondé de cette évolution.

Je rappelle que le droit actuel fixe la prescription à dix ans pour les crimes sexuels et pour les délits sexuels les plus graves commis contre des mineurs, ce délai commençant à courir à la date de la majorité de la victime.

Porter ce délai à vingt ans pour l'ensemble de ces infractions me paraît donc une bonne solution de compromis, prenant en considération tant la situation des victimes que l'évolution des modes de preuve.

M. Gérard Léonard. Merci, monsieur le ministre.

M. le garde des sceaux. Un accord est également intervenu quant au fonctionnement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Le texte de la commission mixte précise que l'audience au cours de laquelle le président du tribunal de grande instance devra vérifier l'accord de la personne poursuivie et homologuer la procédure suivie devant le procureur de la République se déroulera en chambre du conseil.

J'avais approuvé cette position lorsqu'elle avait été prise par votre assemblée. Je me réjouis donc de la position de la commission mixte, qui est fondamentale pour l'organisation et le bon déroulement de la procédure. Bien sûr, l'ordonnance par laquelle le président du tribunal rendra sa décision devra être lue en audience publique, ce qui satisfait à l'impératif absolu de publicité des décisions juridictionnelle.

Enfin, la commission a estimé que l'information du parquet par les services de police et de gendarmerie devra se faire sans délai, s'agissant notamment du placement en garde à vue. Cette solution est empreinte de sagesse.

Le travail réalisé par la commission mixte paritaire, qui ne nécessitera de la part du Gouvernement que quelques amendements techniques de coordination, vient ainsi compléter et équilibrer le projet de loi dans des conditions que j'approuve totalement.

Elles me donnent également l'occasion de saluer à nouveau le travail considérable de M. Warsmann, ainsi que celui des membres de la commission des lois, de son président et de ses administrateurs.

Je vous demande donc, mesdames, messieurs les députés, d'adopter le texte qui vous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour une durée ne pouvant excéder quinze minutes.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, près d'un an après avoir été présenté en Conseil des ministres, le projet de loi portant « adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » -c'est encore son titre - devrait achever ce soir son long et chaotique parcours législatif.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Chaotique ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Avant même l'engagement de ce parcours et tout au long des différentes lectures au Parlement, ce projet a dressé contre lui l'ensemble du monde judiciaire et tous ceux que certains, par cynisme ou par ignorance, dénomment imprudemment « les droits de l'hommiste ».

Conçu à l'origine pour combattre « les réseaux mafieux particulièrement violents et dangereux », selon les termes de votre communiqué de presse du 9 avril, monsieur le ministre, votre projet, dans sa rédaction finale, bouleverse l'équilibre de notre procédure pénale et menace les droits et les garanties de chaque justiciable.

Retoqué, amendé, sous-amendé, dégrossi parfois, le projet est devenu au fil des mois un monstre juridique qui mélange, pêle-mêle, les réseaux mafieux et les voitures mises en fourrière, les incendies de forêt et les discriminations raciales, le droit maritime et la réglementation des taxis ; voilà pour le code pénal.

Quant au code de procédure pénale, ce n'est pas une amélioration mais une totale recomposition, arc-boutée sur la « bande organisée », notion incertaine qui ouvre le champ d'application de règles exorbitantes qu'aucun législateur n'avait osé proposer à notre pays.

M. Jérôme Rivière. Cela change de votre inaction !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cette recomposition entraîne une redistribution des tâches entre le parquet et le siège, au profit du premier, dont tout le monde relève qu'il est désormais placé sous l'autorité du ministre.

Sur les quatre-vingt-sept articles que comporte aujourd'hui ce projet, seuls sept sont effectivement consacrés à la lutte contre les réseaux criminels. C'est infime alors que votre projet de loi modifie plus de 400 articles dans le code de procédure pénal et dans le code pénal.

L'objectif de lutter contre la criminalité organisée pouvait très légitimement recevoir un soutien sans équivoque. Mais pas pour servir de prétexte à un bouleversement improvisé et donc extrêmement dangereux des règles fondamentales de notre droit.

Devant ce déluge de règles et d'infractions nouvelles, tous ceux qui sont les serviteurs de la justice parce qu'ils en sont les acteurs au quotidien - avocats, magistrats, fonctionnaires des tribunaux, personnels pénitentiaires - tous ceux qui marquent une vigilance pour le respect des libertés publiques et des droits individuels, tous, monsieur le ministre, dans un appel unitaire rendu public le 13 janvier de cette année, vous ont donc demandé « d'instaurer un moratoire sur ce projet » qu'ils estiment de nature à menacer gravement les fondements mêmes de notre justice.

Cet appel, comme toutes les tribunes largement relayées par la presse depuis des semaines, comme la démarche pour le moins singulière des avocats et des magistrats qui, ce soir, ont marché vers la représentation nationale, non pour la menacer mais pour exprimer leur terrible inquiétude, n'auront pas été entendus par le Gouvernement.

La justice est, par cette loi, convoquée pour le service de causes qui lui sont étrangères et qui vont lui faire emprunter des chemins à rebours de ceux qui font l'honneur de la démocratie.

Où sont les généreuses déclarations sur la présomption d'innocence faites sur nos bancs à la quasi-unanimité lors de la précédente législature, y compris par certain qui siège ce soir au banc du Gouvernement ?

Le pouvoir judiciaire, composante du triptyque institutionnel républicain, est désormais sommé par le pouvoir exécutif de devenir le remède brutal et expéditif aux maux prétendus de notre société.

Et, pour ce faire, le projet qui nous est soumis comporte de nombreuses dispositions contraires aux règles constitutionnelles ; il justifie ainsi cette motion d'irrecevabilité.

Le premier motif d'inconstitutionnalité de ce projet de loi tient à la faiblesse de sa qualité rédactionnelle. Cette faiblesse s'explique par l'origine du texte - je saisis l'occasion de saluer les membres du cabinet de la place Vendôme, qui n'y sont pour rien - mais elle ne s'excuse pas !

La justice est une matière trop grave pour être l'objet d'opérations de marketing sur le thème « Plus répressif que moi, tu meurs ! ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La faiblesse de la qualité rédactionnelle de ce projet de loi tient aux définitions extrêmement imprécises de certaines qualifications essentielles de son article 1er. Cet article a pour objet de créer une nouvelle procédure « applicable à la délinquance et à la criminalité organisées ».

Dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981 « Sécurité et liberté », le Conseil constitutionnel a déduit du principe de légalité posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme la « nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ».

Pour éviter l'élasticité des incriminations, le Conseil constitutionnel exige donc, d'une part, que la détermination de l'auteur de l'infraction soit certaine et, d'autre part, que la détermination des éléments constitutifs de l'infraction soit claire et précise.

La notion de « délinquance et de criminalité organisées » et celle de « bande organisée », qui constituent le socle de votre article 1er, ne répondent pourtant pas à ces exigences.

Pour lors, la seule définition à laquelle nous puissions nous référer pour les caractériser est celle fournie par l'article 132-71 du code pénal. Cette définition est aujourd'hui, de l'avis de tous les professionnels de la justice, très largement insuffisante.

Son imprécision pouvait se comprendre quand la notion de « bande organisée » ne constituait qu'une circonstance aggravante laissée à la libre appréciation du juge. Elle l'est moins lorsque cette notion constitue l'objet principal de la loi. Elle devient franchement inacceptable lorsqu'elle sert de justification à l'engagement d'une procédure dérogatoire qui bouleverse la durée de la garde à vue, les prérogatives d'investigation, de surveillance, d'écoutes téléphoniques, de perquisition, qui sont par leur nature nécessairement attentatoires aux droits et libertés individuels.

En l'état, cette notion est tellement vague qu'elle est susceptible d'être utilisée dès lors qu'un prévenu sera suspecté d'avoir bénéficié de la complicité d'une personne. M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non définies de manière claire et précise, la notion de « délinquance et de criminalité organisées » et celle de « bande organisée » s'appuient en dernier recours sur l'estimation de la gravité des infractions supposées.

En faisant ainsi référence à des critères subjectifs, votre projet de loi ouvre la porte à l'arbitraire et instaure des infractions à géométrie variable.

Il viole de la sorte le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines, reconnu par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.

La faiblesse de la qualité rédactionnelle du projet de loi entache également une autre expression, tout aussi importante, de son article 1er.

Pour lutter contre « la délinquance et la criminalité organisées », ce projet créé en effet des juridictions spécialisées. Or il est prévu que ces juridictions soient compétentes pour « les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité » !

Quel contenu juridique doit-on donner aux mots « grande complexité » ? Quelle portée juridique doit-on reconnaître à cette compétence, dès lors qu'il suffit que l'affaire « apparaisse » d'une « grande complexité » ? Le Conseil Constitutionnel n'a-t-il pas rappelé l'exigence de la « qualité de la rédaction de la loi » ?

Le deuxième motif d'inconstitutionnalité de ce projet est qu'il va à l'encontre du principe de la séparation des pouvoirs en réduisant gravement l'autorité de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire.

En effet, l'article 1er de ce projet introduit dans le code de procédure pénal un nouvel article 706-99 qui empêche que soit reconnue une cause de nullité des actes lorsque la circonstance de bande organisée n'est pas caractérisée.

Or un principe général du droit veut que le détournement de procédure puisse être sanctionné par la nullité des actes accomplis dans un tel cadre.

S'appuyant sur son pouvoir de libre appréciation, la Cour de cassation a toujours tenu, dans sa jurisprudence, à faire respecter ce principe car celui-ci constitue une garantie essentielle contre l'utilisation abusive de procédés dérogatoires du droit commun.

Ce projet de loi interdira donc à la Cour de cassation l'usage de cette compétence essentielle.

Dès lors, qui peut, aujourd'hui, garantir que la procédure applicable en théorie à la seule criminalité organisée ne sera pas, demain, utilisée contre la délinquance ordinaire ?

Cette question est d'autant plus importante que le contrôle des enquêteurs, en amont, sera extrêmement réduit.

En effet, l'article 1er introduit la faculté, pour les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, les agents de police judiciaire, d'étendre à l'ensemble du territoire national la surveillance des personnes soupçonnées d'appartenir à une bande organisée, en ayant pour seule obligation l'information du procureur.

S'il est vrai que le procureur peut s'opposer à cette initiative, la rédaction de cet article indique clairement que l'autorisation de ce magistrat devra être la règle et son opposition l'exception. Voilà bien un renversement de l'appréciation jurisprudentielle.

Tout concorde donc pour faire d'une procédure dérogatoire l'outil quotidien des enquêteurs, en faisant ainsi entrer notre pays dans la catégorie des « Etats d'exception permanente ».

En effet, cette procédure dérogatoire offre à la police et au parquet des moyens exorbitants. Ceux-ci, et c'est là le troisième motif d'inconstitutionnalité, transgressent le principe du respect des droits de la défense.

Tout comme le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel a élevé le respect des droits de la défense au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », et c'est à ce titre qu'il s'impose au législateur.

Or plusieurs mesures de l'article 1er portent gravement atteinte aux droits de la défense.

En matière de perquisition tout d'abord, les nouveaux articles 706-89 et 706-95 du code de procédure pénale ne contiennent aucune disposition prévoyant une limitation dans le temps de l'accès aux locaux alors même qu'une décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 1990 exige une telle limitation pour garantir la validité de la perquisition.

Par ailleurs, en n'indiquant pas que l'accès aux locaux doit suivre dans le temps l'autorisation accordée par le procureur de la République ou le juge d'instruction, ces mêmes articles contreviennent à la décision du 16 juillet 1986.

Quant à la garde à vue, le nouvel article 706-88 prévoit que « si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction [...] l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune ».

Or, depuis une décision du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel exige une « urgence absolue » et « une menace de particulière gravité pour l'ordre public » pour justifier l'extension de la garde à vue. Le motif prévu des « nécessités de l'enquête ou de l'instruction » paraît bien faible au regard de cette lourde obligation et frappé, à l'évidence, d'inconstitutionnalité.

Que dire de la garde à vue du mineur prolongée à 96 heures lorsque sont également mis en cause des majeurs ?

En outre, ce même article prévoit la première intervention de l'avocat à l'issue de la quarante-huitième heure et, dans certains cas, à la soixante-douzième heure.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux, à nouveau !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L'assistance d'un avocat relève pourtant de l'essence même des droits de la défense.

La Cour européenne des droits de l'homme estime que « ce droit naît dès l'instant où une personne est mise en état d'arrestation », et le Conseil constitutionnel a pour sa part rappelé dans sa décision du 19 janvier 1981 qu'il constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Enfin, votre texte touche également au droit commun, en introduisant de nouvelles procédures dont le fondement et les formes sont également, à nos yeux, frappés d'inconstitutionnalité.

L'introduction de la procédure de jugement par « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » ouvre, en droit français, un champ inacceptable d'aléas dont nos compatriotes ont mesuré l'injustice à l'occasion de l'aventure américaine de l'un d'entre eux.

Cette procédure implique que la personne, en reconnaissant les faits, renonce à un procès, et donc au débat contradictoire, dans l'hypothèse d'une sanction atténuée. Mais celle-ci résulte d'une négociation dont le déroulement écarte toutes les justifications du procès : la détermination des faits, leur imputation, l'appréciation de la responsabilité et la pertinence de la peine à la lumière du principe selon lequel la justice ne juge pas l'acte mais l'homme qui l'a commis.

A rebours du principe de « présomption d'innocence » consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme, cette procédure marque l'avènement d'un principe de « présomption de culpabilité » dans lequel le prévenu est tenu de s'installer s'il ne veut pas risquer plus.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de juin 1999, a pourtant dégagé des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme le principe selon lequel « nul n'est punissable que de son fait ». Or, contrairement à ce principe, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité aggrave lourdement le risque de punir une personne pour des faits qu'elle n'a pas commis.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce sont là des affirmations gratuites !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cette procédure du « plaider-coupable » n'est pourtant que l'illustration la plus manifeste d'un bouleversement radical de la procédure pénale dont nul ne peut encore mesurer toutes les conséquences. Or le législateur prend un risque à ne pas mesurer les conséquences des lois pénales qu'il vote.

Au fil des soixante-dix articles de ce projet consacrés au droit commun se dessine une profonde transformation de notre système judiciaire, qu'un connaisseur aussi autorisé que Robert Badinter résume ainsi : « un procureur tout-puissant, un avocat suppliant et un juge contrôleur ».

Ce déséquilibre entre les parties inquiète. Nous n'entendons pas faire le procès des procureurs, mais il faut s'interroger sur la compatibilité entre leurs nouvelles prérogatives et leur fonction reconnue par la Constitution. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 août 1993, a rappelé en effet que « l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet. »

Or l'extension considérable du pouvoir des procureurs, chargés avant tout, rappelons-le, de conduire l'action publique, mettra ceux-ci en porte-à-faux avec leur rôle de gardien des libertés individuelles lorsqu'ils seront placés en situation de juger l'opportunité et la nature d'une sanction.

Cette tension entre les prérogatives et la fonction devient intolérable dès lors qu'est instaurée, dans le corps même du code de procédure pénale, l'autorité hiérarchique du garde des sceaux sur le parquet.

Certaines affaires récentes et initiatives malheureuses font craindre en effet que la justice soit l'objet d'une vaste tentative de reprise en main par le pouvoir exécutif.

Un tel projet, contestable sur le plan juridique, est également détestable au regard de la cohésion sociale et de la confiance nécessaire que les citoyens doivent exprimer à l'égard de la justice, et que nous avons la responsabilité de rétablir ici.

C'est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que je vous appelle à voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je répondrai brièvement sur cinq points soulevés par M. Le Bouillonnec.

Je relèverai d'abord un adjectif qui m'a surpris : la procédure parlementaire serait « chaotique ». Cette procédure, qui a duré près d'un an et a permis à chaque chambre de se prononcer à deux reprises, n'a rien de chaotique. Il me semble au contraire qu'on peut la qualifier d'exemplaire.

Un deuxième argument a consisté à dire que le texte partirait dans tous les sens.

M. Christophe Caresche. C'est un monstre !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Rappelons-nous pourtant les principaux apports des deux assemblées. Pour l'Assemblée nationale, il s'agit, en première lecture, de l'application des peines - et je me permets de vous rappeler qu'un grand nombre de ces amendements ont été adoptés à l'unanimité. L'apport du Sénat, très important également, concerne le mandat d'arrêt européen. Ces deux apports très substantiels me semblent être appréciés sur tous les bancs.

M. Christophe Caresche et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Les pollutions maritimes figuraient dans le texte depuis le début, ainsi que la reconnaissance de culpabilité. Soutenir que le texte serait devenu un fourre-tout est donc contraire à toute réalité. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Troisième point : vous avez voulu nous démontrer que les nouveaux moyens de procédure en matière de criminalité organisée allaient être utilisés sans aucun contrôle.

Mais qui autorisera la procédure d'écoute ? Un policier, seul dans son bureau ? Non. Un magistrat - et un magistrat du siège !

Et qui autorisera la procédure d'infiltration ? Un policier ? Non. Un magistrat - et un magistrat du siège !

M. Christophe Caresche. On ne vous croit pas !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Et qui décidera de recourir à la procédure de sonorisation ? Un policier, seul dans son bureau ? Non. Là encore, un magistrat - et un magistrat du siège !

Et c'est un policier qui décidera de prolonger de vingt-quatre heures une garde à vue ? Faux. Ce sera un magistrat - et un magistrat du siège !

Pour chacun des deux dispositifs, les deux assemblées ont veillé à ce que des magistrats du siège garantissent l'utilisation régulière des procédures.

M. Charles Cova. Vous avez cherché à tromper l'opinion publique !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Quatrième point : vous avez évoqué à cette tribune la prolongation de la garde à vue à soixante douze heures. Or le projet ne change rien aux textes existants. A l'inverse, comme je l'ai expliqué, il simplifie les régimes de garde à vue et, pour certaines infractions, avance l'heure à laquelle l'avocat peut intervenir - de la trente-sixième heure à la première ! Si vous voulez évoquer ce dispositif, faites-le au moins de manière exhaustive !

Vous avez également évoqué la procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité. L'Assemblée a voté en première lecture un amendement prévoyant que le magistrat du siège aura toute compétence, et sera chargé de vérifier la réalité des faits et leur qualification juridique. Les scénarios de mauvais film où vous tentez un amalgame avec la procédure américaine sont sans fondement : la procédure adoptée est tout à fait cadrée.

J'ai été choqué d'entendre un orateur déclarer à la tribune que ces dispositions portent atteinte à l'honneur de la démocratie.

M. Christophe Caresche et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est pourtant vrai !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je crois le groupe socialiste suffisamment attaché à la valeur de la démocratie pour que ses représentants soient plus de trois en séance si on venait un jour à voter dans notre hémicycle une loi qui y porte atteinte. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Combien êtes-vous, sur les bancs de l'UMP ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous n'avez jamais été plus de vingt en séance : il est difficile de venir nous expliquer aujourd'hui que la démocratie est menacée. Ce n'est pas crédible. C'est même fort triste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Je comprends monsieur Le Bouillonnec, que vos collègues du groupe socialiste et vous-même veuillez vous opposer à une loi, mais nous découvrons aujourd'hui que vous n'auriez pris connaissance du présent texte qu'en troisième lecture !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Arrêtez !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. C'est pourtant la vérité ! En première lecture à l'Assemblée, rien. En deuxième lecture, l'amendement Garraud - de cela, nous avons parlé toute la nuit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. C'est pourtant vrai, monsieur Le Bouillonnec. Relisez le Journal Officiel !

Mme Élisabeth Guigou. C'est faux ! Vous mentez !

M. le président. Madame Guigou, je vous en prie ! Seul M. le vice-président de la commission mixte paritaire a la parole.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Gardez votre souffle pour soutenir la question préalable !

M. Christophe Caresche. C'est de la provocation !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Et voici que M. Badinter publie une tribune dans Le Monde et, comme par miracle, les esprits socialistes s'échauffent !

Mme Élisabeth Guigou. Tant mieux ! Il a bien fait !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Madame Guigou, laissez-moi parler ! Vous vous exprimerez tout à l'heure. Je ne souhaitais pas vous répondre mais, si ça continue, je vous répondrai aussi.

Mme Élisabeth Guigou. Eh bien, vous me répondrez !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Si vous êtes aussi passionnée, c'est que vous êtes mal à l'aise !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Regardez-vous !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Je le dis à mes collègues : si Mme Guigou sort de ses gonds, c'est probablement qu'il y a une raison. Si j'avais tort, vous souririez simplement. Mais vous prenez conscience de votre retard à la conviction et, comme l'a dit M. Warsmann, vous proclamez que la démocratie est en danger !

M. Charles Cova. C'est une préoccupation électoraliste !

M. Christophe Caresche. Répondez sur le fond !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Il vous a fallu la quatrième lecture au Sénat pour démarrer ce mouvement, qui commence à prendre corps.

M. Christophe Caresche. Vous reconnaissez donc qu'il y a un mouvement ?

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. En quatrième lecture !

Je voudrais, dans l'intérêt des Français qui pourraient, par accident, vous croire, rappeler de quoi il s'agit. D'abord, quant aux dérogations au droit commun, aucun garde des sceaux - pas même Mme Guigou - ne les avait prévues.

Alors qu'il s'agit de grande délinquance, de crimes organisés et transfrontaliers, vous avez considéré que les procédures ordinaires pouvaient s'appliquer !

Il faut savoir de quoi nous parlons. Je vais donc vous lire une liste - pas tout à fait exhaustive, pour ne pas lasser l'Assemblée - des crimes concernés. Car, lorsqu'on écoute M. Le Bouillonnec, on pourrait penser que c'est aux voleurs de pommes que va s'appliquer une procédure dérogatoire du droit commun !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous verrez ! C'est ce qui arrivera !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Voici donc les voleurs de pommes : meurtres commis en bande organisée, tortures et actes de barbarie commis en bande organisée, crimes et délits de trafic de stupéfiants, crimes et délits d'enlèvement et de séquestration, crimes et délits aggravés de traite des êtres humains, crimes et délits aggravés de proxénétisme, crimes de vol commis en bande organisée, crimes aggravés d'extorsion, crimes de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée, crimes en matière de fausse monnaie, crimes et délits constituant des actes de terrorisme, délits en matière d'armes commis en bande organisée, délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour organisé d'un étranger commis en bande organisée, délit de blanchiment. Monsieur Le Bouillonnec, depuis des années, votre collègue M. Montebourg nous parle du blanchiment. Trouvez-vous que les procédures qui conviennent pour le voleur de pommes sont adaptées au blanchiment ? Que voilà une idée crédible !

On peut encore évoquer, entre autres, le délit d'association de malfaiteur.

M. Christophe Caresche. Et Juppé, il a agi en bande organisée ?

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Madame Guigou, on peut avoir des idées politiques et critiquer une loi, mais il faut être raisonnable.

Mme Élisabeth Guigou. Attendez un peu !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Ce dont il s'agit aujourd'hui, c'est de lutter contre un fléau international, dans des affaires qui ont des ramifications complexes, qui exigent une garde à vue plus longue. Je rappelle à cet égard que la durée de quatre-vingt-seize heures n'est pas un plancher mais un plafond.

Mme Élisabeth Guigou. Vraiment ?

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Ne riez pas, madame Guigou. Dès que les investigations sont terminées, la garde à vue s'achève.

Comme l'a très bien rappelé le rapporteur, le juge exerce son contrôle par tout moyen de preuve, sonore, visuel ou autre, pouvant être retenu à charge contre ces bandes organisées.

Nous avons donc, dans le cadre des nouvelles procédures, prévu uniquement des moyens adaptés à une criminalité qui, aujourd'hui, est devenue mondiale.

Je comprends d'autant moins votre attitude, monsieur Le Bouillonnec, que je ne connais que fort peu de magistrats opposés au plaider coupable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il fallait être là cet après-midi : ils étaient dans la rue !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Il y en a quelques-uns, mais j'en connais très peu ; en tout cas aucun parmi les magistrats ayant quelque expérience.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je le leur dirai !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Au-delà des magistrats, je me préoccupe aussi des justiciables.

M. Christophe Caresche. Les Français s'opposeront à cette procédure!

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. La représentation nationale trouve-t-elle normal qu'il leur faille attendre plus de douze mois le moindre acte juridictionnel en matière de contentieux civil, car aujourd'hui ce type de litige n'arrive pas à être évacué ? Demain, ce contentieux de masse sera enfin traité dans des délais raisonnables grâce à la procédure du plaider coupable.

De plus, M. le rapporteur a rappelé que le juge vérifierait tout. Pourquoi alors les avocats - vous l'êtes comme moi, monsieur Le Bouillonnec - ne sont-ils pas très favorables à cette réforme ? C'est qu'à la différence d'une plaidoirie, où il est toujours possible de se plaindre de la dureté du président du tribunal et de ses assesseurs, l'avocat sera lui-même négociateur de la peine pour son client. De ce fait, évidemment, il sera en pleine conversion culturelle, car il assumera la responsabilité de sa propre négociation. Et je reconnais que c'est difficile pour la profession. Mais, et nous l'observons partout dans le monde, c'est la meilleure méthode pour parvenir à donner satisfaction au justiciable le plus vite possible, dans le contexte d'un contentieux de masse.

Sans oublier, et ce dernier point est très important, qu'une peine n'est proportionnée à l'acte commis que si elle est prononcée dans un délai relativement rapide. S'agissant de la proportionnalité des peines, monsieur Le Bouillonnec, vous faites appel à la Constitution. Or vous savez bien que notre loi fondamentale prévoit la primauté de ce principe sur toutes les autres procédures. Ne me faites pas le déshonneur de penser que je ne serais pas attaché aux droits de la défense. Je les soutiens, mais à condition qu'une bonne justice soit rendue et que la loi dispose des moyens nécessaires pour démanteler le crime organisé.

M. le garde des sceaux. Tout à fait !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Dieu sait que les actes terroristes de 2001 ont ému le monde entier. Or nous sommes confrontés à ce type de crimes sur tous les continents. Il n'y a que les socialistes français pour considérer qu'aucune procédure particulière ne peut être adaptée au terrorisme international. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. Tout à fait !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte. Il n'y a plus que les socialistes français qui se donnent le ridicule de laisser croire, en mettant en avant les grands idéaux, qu'il serait possible de traiter le terroriste international comme le voleur de pommes !

Mme Élisabeth Guigou. Vous dites n'importe quoi !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte. Madame Guigou, ne m'insultez pas ! Vous aurez l'occasion d'avoir un raisonnement rationnel tout à l'heure ! Pour le moment, je ne l'ai pas encore constaté.

En tout cas, je tiens à dire que vous ne faites pas honneur à la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous refusez de la défendre. Vous refusez à notre pays les moyens nécessaires et adaptés à la lutte contre la grande criminalité dont se sont dotés tous les autres pays démocratiques.

M. Christophe Caresche. Parlons plutôt de Juppé !

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte. Vous préférez vivre dans vos rêves, qui ont donné les résultats que nous avons constatés en matière d'insécurité (« Exact ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), de terrorisme international, et les excès politiques que nous savons. Persévérez dans vos erreurs, continuez dans ces fantasmes si dangereux pour la France ! Mais, surtout, ne nous faites pas le déshonneur de penser que vous seriez les champions de la liberté et des droits de la défense, tandis que nous y serions hostiles. La commission des lois, qui nous est commune, ne leur tolérerait pas plus que vous.

Je rassure tous les députés : il n'y a aucun risque constitutionnel dans ce texte. C'est pourquoi je vous demande de repousser l'exception d'irrecevabilité qu'a soutenue M. Le Bouillonnec. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Élisabeth Guigou. Lamentable !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, je demande une suspension de séance. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En effet, monsieur le rapporteur, vos propos sont inacceptables. J'ai à plusieurs reprises salué l'importance de votre travail au cours de la préparation de la loi, et vous pouvez témoigner que les députés de mon groupe et moi-même avons été présents dans tous les débats. Il est d'autant moins admissible que vous orientiez la polémique sur le nombre de députés présents ce soir dans l'hémicycle.

M. Christophe Caresche. Absolument !

M. Gérard Dubrac. Ça pose tout de même un problème !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En termes proportionnels, nous sommes plus nombreux que nos collègues de l'UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais je ne leur en veux pas. Le scandale, monsieur le rapporteur, ce sont les conditions dans lesquelles nous débattons de cette loi ! Après trois jours durant lesquels les députés ont été obligés de siéger presque en permanence !

Je vous rappelle qu'à une heure de l'après-midi, nous ne savions toujours pas si nous allions aborder le débat sur la CMP ce soir, cette nuit à trois heures du matin, ou lors des séances de la matinée ou de l'après-midi de vendredi ! Et je regrette que beaucoup de collègues, de la majorité comme de l'opposition, soient absents de ce fait ! En tant que rapporteur, vous devriez vous associer à cette protestation.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que je ne débats pas ici en tant qu'avocat, mais en tant qu'élu de la nation, buriné, il est vrai, par vingt-huit années de métier - pas dans les salons dorés de la République, mais dans les tribunaux de banlieue. Et je sais comment on y exerce cette profession. Cela étant, je ne représente pas les avocats, et j'ai appelé tout à l'heure la représentation nationale à assumer sa responsabilité en matière de défense des droits de l'homme. J'ai ajouté qu'il fallait se méfier des lois dont les conséquences ne sont pas maîtrisables.

M. Jérôme Rivière. Et les 35 heures ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De surcroît, il est inacceptable, monsieur le rapporteur, que vous nous placiez du côté de ceux qui défendent la criminalité ou qui ne seraient pas capables de la contenir ! Le texte ne comprend d'ailleurs que sept articles, sur un total de quatre-vingt-sept, consacrés à la lutte contre les grands réseaux criminels. Pour le reste, vous bouleversez le code de procédure pénale et le code pénal. Ça, c'est la réalité !

Monsieur le président, la suspension de séance permettra à mon groupe de faire le point. J'en profite pour rappeler à M. le rapporteur que nous avons déposé à chaque lecture une question préalable - j'en ai soutenu deux - et soulevé une exception d'irrecevabilité : j'ai défendu la première, M. Vallini, la deuxième ; nous avons assisté aux travaux de la commission ; au cours des débats, nous avons contesté la notion de « bande organisée » et demandé la suppression des articles s'y rapportant ; nous avons aussi demandé que soit reconnue la nullité des actes lorsque la circonstance de bande organisée n'était pas caractérisée. Des amendements ont été déposés, et ne venez pas me dire que l'Assemblée a approuvé ce texte à l'unanimité : ce n'est pas vrai !

M. Gérard Léonard. Si !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Par conséquent, monsieur le président, je vous demande de nous permettre de retrouver notre sérénité grâce à une suspension de séance d'une demi-heure. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Si M. le rapporteur souhaite que nous prenions notre temps, nous allons lui donner satisfaction

M. Christophe Caresche. Vérifions le quorum !

M. le président. Monsieur Caresche, vous n'avez pas la parole.

Monsieur Le Bouillonnec, nous venons de consacrer trois jours de débats au projet de loi sur la laïcité.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. M. Le Bouillonnec n'était pas là !

M. le président. Ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur le vice-président.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne peux pas laisser M. Clément tenir de tels propos !

M. le président. Que chacun conserve son calme !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il m'a insulté, monsieur le président !

M. le président. M. le vice-président n'a pas voulu dire cela.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il l'a dit !

M. le président. Mais ce n'était pas son intention !

Nous venons, disais-je, de consacrer trois jours à débattre du projet de loi sur la laïcité. Je tiens d'ailleurs à rappeler à tous les députés que le président de l'Assemblée leur fera parvenir le texte des discours s'y rapportant.

Nous pourrions maintenant entamer le débat sur le texte de cette commission mixte paritaire dans la sérénité. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que M. le rapporteur souhaitait apporter plusieurs précisions pour clarifier la discussion, et que M. le vice-président de la commission mixte avait également bien perçu qu'il était important que ce débat puisse aller à son terme : un vote qui démontrera qu'un micro-climat menaçant et explosif n'est pas en train de se former dans cet hémicycle.

La parole est à M. le rapporteur, pour revenir à notre débat, dans la sérénité cette fois.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Premièrement, j'ai constaté qu'au cours des débats qui viennent de s'achever, chacun avait défendu ses opinions. Mais j'ai observé un changement de ton complet tout à l'heure, lorsqu'il a été question de l'honneur de la démocratie. J'ai simplement voulu dire, et je le maintiens entièrement, que si, un jour, on venait à discuter ici d'une loi attentant à l'honneur de la démocratie, je suppose que l'assiduité serait bien supérieure. Pour le reste, chacun vient défendre ses opinions, mais ne lançons pas des arguments qui n'ont jamais été avancés au cours des deux lectures précédentes...

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte. C'est surtout ça le problème !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. ...et auxquels personne ne croit, même pas vous, monsieur Le Bouillonnec. Je vous propose donc d'arrêter d'user de ce type d'arguments. Défendons chacun nos idées, mais ne brandissez pas des grands principes dont vous savez pertinemment qu'ils ne sont nullement mis en cause.

M. Christophe Caresche. M. Le Bouillonnec dit ce qu'il veut, que diable !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Eh bien, si M. Le Bouillonnec use de tels arguments, il s'expose à mes réponses ! J'en profite pour redire à Mme Guigou que j'espère que le groupe socialiste comptera plus de trois députés présents le jour où on attentera à la démocratie !

Deuxièmement, s'agissant de l'ordre du jour, je ferai juste remarquer que la Conférence des présidents du mardi 3 février avait prévu pour aujourd'hui, à vingt et une heures trente, la suite de l'ordre du jour de l'après-midi et les conclusions de la CMP sur le projet de loi que nous sommes en train de discuter. C'était donc bien prévu depuis le 3 février.

M. Christophe Caresche. Non, ce n'était pas prévu du tout !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Peut-être sera-t-il possible de débattre sur le fond du texte après la suspension.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. M. Clément a dit que je n'étais pas présent durant le débat sur la laïcité. Je le conteste. J'accepte d'autant moins cette imputation qu'elle sous-entend que je n'assumerais pas les responsabilités de mon mandat. Je ne le supporte pas. C'est insultant ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En outre, je répète que si le débat sur la CMP a pu être organisé ce soir, cela n'a été possible qu'après que certains des inscrits ont renoncé à participer au débat sur la laïcité. Je confirme qu'à deux heures de l'après-midi, nous ne savions toujours pas si nous interviendrions à une heure et demie du matin ou lors de la première séance du vendredi.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte. Nous non plus !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je suis certain que c'est la raison pour laquelle des collègues, de la majorité comme de l'opposition, ne sont pas ici ce soir. Qu'on ne nous rende pas responsables des conséquences de l'organisation des séances !

Monsieur le président, c'est pourquoi je demande une suspension de séance d'une demi-heure.

M. le président. En raison de la nécessité de respecter les délais, mais compte tenu du malentendu qui s'est instauré entre la commission et les membres du groupe socialiste, je vous accorde cinq minutes.

La séance est suspendue.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Gérard Léonard. Sans vouloir altérer l'esprit d'apaisement que vous voulez faire régner, monsieur le président, je dirai que la défense de cette exception d'irrecevabilité m'a fait penser à un proverbe que chacun connaît bien : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». De même, qui veut descendre en flammes un texte de loi l'accuse de tous les vices, y compris celui d'inconstitutionnalité. Sans revenir sur les arguments qu'ont développés M. Clément, vice-président de la commission mixte paritaire, ainsi que le rapporteur, M. Warsmann, je voudrais dire à M. Le Bouillonnec que l'exercice consistant à accuser son chien de la rage a une limite : quand, après le vote définitif, on défère le texte devant le Conseil constitutionnel, celui-ci se prononce ! Et à cet égard, il y a des précédents que vous pourriez méditer, mon cher collègue. Il y a eu le projet de loi d'orientation et de programmation, il y a eu la LOPSI, il y a eu la LSI : chaque fois, c'était le même discours ; et chaque fois, j'ai le regret de vous dire que vous avez reçu la même réponse du Conseil constitutionnel.

Mme Elisabeth Guigou. Cela pourrait ne pas durer toujours !

M. Gérard Léonard. Chaque fois, nous étions les défenseurs échevelés et inconscients de dispositions liberticides, et chaque fois, ces accusations ont été démenties par une décision du Conseil constatant que ces textes respectaient les principes constitutionnels français.

Eh bien, ce soir, je vous annonce la suite. Vous vous êtes livré au même exercice, qui va se heurter à la même sanction. Vous avez utilisé les mêmes arguties, qui vont recevoir les mêmes réponses juridiques claires et fondées.

Plus généralement, vous vous êtes livré à un faux procès, aussi sommaire que caricatural, qui a suscité l'indignation bien légitime du rapporteur et du vice-président de la commission mixte paritaire.

Dans quelques instants, Mme Guigou défendra une question préalable. Je suis certain qu'il y aura plus de finesse dans les arguments que nous allons entendre.

Mme Elisabeth Guigou. M. Le Bouillonnec a été très bon !

M. Christophe Caresche. Vous ne voulez pas défendre nos motions à notre place, monsieur Léonard ?

M. Gérard Léonard. Ce n'est pas du tout un reproche, monsieur Le Bouillonnec. Mais la suite va être intéressante.

Mes chers collègues, nous avons assisté à un exercice rituel mais finalement assez vain. Le groupe UMP ne votera pas cette exception d'irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Asensi. Au nom de mon groupe, je voterai l'exception d'irrecevabilité. J'aurai l'occasion, dans la discussion générale, d'expliquer plus en détail les raisons qui motivent cette position. Mon opposition à ce texte que j'estime liberticide est radicale et irréductible.

M. le président. Monsieur Le Bouillonnec, je pense que nous pouvons considérer que l'explication de vote du groupe socialiste a été développée ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Elisabeth Guigou, pour une durée ne pouvant excéder quinze minutes.

Mme Elisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d'État aux programmes immobiliers de la justice, mes chers collègues, le texte qui nous revient ce soir, issu des travaux de la commission mixte paritaire, nous fait régresser plus de vingt ans en arrière.

M. Charles Cova. Oh !

Mme Elisabeth Guigou. Depuis 1980, en effet, et de façon constante, les réformes successives de la procédure pénale ont rapproché notre droit du droit européen.

Il faut dire qu'avant ces réformes notre procédure pénale n'était guère soucieuse des droits de la défense ni du sort des prévenus. Depuis vingt ans, l'ensemble des réformes, avec quelques allers et retours, a amélioré la procédure pénale au bénéfice des libertés démocratiques et d'un équilibre entre l'accusation et la défense. Cela s'est traduit : avant le procès, par une amélioration des garanties du prévenu au moment de la garde à vue, notamment du fait de la présence de l'avocat au début de celle-ci ; par la limitation de la détention provisoire ; au moment du procès, par le renforcement des droits de la défense ; et à toutes les étapes, de l'enquête au procès, par la création de droits pour les victimes.

Petit à petit, notre droit est devenu davantage conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Je retiens en particulier deux dates. Celle du 9 octobre 1981, quand Robert Badinter a levé la réserve qui interdisait aux citoyens français de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme. Et celle du 15 juin 2000, jour où fut promulguée la loi que j'ai eu l'honneur de défendre devant le Parlement, cette loi relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes qui a marqué l'aboutissement de cette évolution.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

Mme Elisabeth Guigou. Cette loi a été votée à l'unanimité, et les abstentions dans vos rangs, chers collègues de la majorité, étaient justifiées à l'époque par le fait qu'elle n'allait pas assez loin dans les droits accordés à la défense.

M. Christophe Caresche. Absolument ! Et M. Warsmann s'en souvient bien !

Mme Elisabeth Guigou. Elle a été le fruit d'un travail de près de trois ans, mené à partir du rapport Truche, lequel fut commandé par le Président de la République. Ce travail s'est fait en concertation étroite avec les professionnels du droit et de la justice.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce n'est pas exact !

Mme Elisabeth Guigou. Et, dans la phase parlementaire, les travaux furent caractérisés par une coopération étroite entre le Gouvernement et le Parlement, y compris avec des députés et sénateurs appartenant à l'opposition de l'époque.

M. Christophe Caresche. Eh oui !

Mme Elisabeth Guigou. Votre texte, monsieur le garde des sceaux, représente un virage à 180° par rapport à cette évolution depuis trente ans. Devant un tel retour en arrière, mes chers collègues, je vous demande au nom de mon groupe de ne pas soumettre ce texte au vote. Je me bornerai à évoquer cinq motifs d'adopter cette question préalable.

D'abord, monsieur le garde des sceaux, qui visez-vous ? Vous dites destiner cette loi à la lutte contre les bandes organisées. Soit. On n'est jamais trop sévère contre les bandes organisées et contre les réseaux criminels. Mais votre texte présente à cet égard deux défauts majeurs à mes yeux.

Le premier est que les procédures exceptionnelles prévues contre les réseaux criminels risquent fort de déteindre sur la délinquance ordinaire. La définition de la notion de « bande organisée » reste floue, comme mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec vient de le démontrer,...

M. Charles Cova. Non !

Mme Elisabeth Guigou. ...et elle relèvera de la seule appréciation de l'officier de police judiciaire, sans aucune possibilité de rectification ultérieure de la qualification de la procédure, et donc sans aucune possibilité que soit prononcée la nullité de l'enquête, même s'il est reconnu que les faits n'ont pas été commis en bande organisée. Tout délit ou crime commis à plus de deux, toute famille qui accueillerait l'un des siens, par exemple un étranger en situation irrégulière, correspondront-ils au cas de « bande organisée » ?

Le second défaut réside dans une lacune majeure : la criminalité organisée est quasiment toujours alimentée par la délinquance financière, et parfois par la corruption. Or rien dans votre projet ne renforce la lutte contre la criminalité financière et la délinquance d'affaires.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est faux ! Regardez toutes les dispositions relatives au blanchiment !

Mme Elisabeth Guigou. Celle-ci est soigneusement exemptée des nouvelles procédures d'exception.

Deuxième motif d'adopter cette question préalable : ce projet de loi va introduire un double déséquilibre dans la procédure pénale.

Il y aura d'abord un premier déséquilibre en faveur des pouvoirs de police et au détriment de la protection des droits, et en particulier des droits de la défense. Votre projet de loi étend largement les outils d'investigation dont disposent les forces de police. Or nombre d'entre eux sont attentatoires aux libertés individuelles : les techniques de mise sur écoute téléphonique, d'infiltration, de surveillance par l'installation de caméras et de micros dans les domiciles et les véhicules, de perquisition à domicile la nuit ont été jusqu'ici autorisées, de manière très exceptionnelle, aux seuls services spéciaux, et sous contrôle judiciaire. Parallèlement, la durée maximale de la garde à vue est allongée, et l'avocat ne pourra intervenir que très tardivement. Certes, il n'est pas illégitime de développer les outils destinés à l'investigation. Mais encore faut-il justifier avec précision le fondement de chaque renforcement des pouvoirs de la police. Ce qui n'est pas le cas ici, mon collègue Le Bouillonnec l'a bien démontré tout à l'heure.

Votre texte laisse apparaître un second déséquilibre : en faveur du parquet et au détriment des magistrats du siège.

Le parquet se voit confier de nouvelles prérogatives, cependant que s'accroît la dépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir politique, jusque dans les affaires individuelles. Le ministre de la justice devient, pour la première fois, un acteur de la procédure et non plus seulement le responsable de la définition des priorités de la politique pénale.

Les magistrats du parquet deviennent tout puissants avec la multiplication des procédures non contradictoires, y compris pour les affaires complexes susceptibles d'entraîner une condamnation pouvant atteindre cinq ans d'emprisonnement. Vous favorisez le développement des procédures simplifiées comme la composition pénale, que j'ai introduite mais en la limitant, ou la reconnaissance préalable de culpabilité : le « plaider-coupable », novation fondamentale dans notre droit, imitation du droit américain, malheureusement sans les garanties de la défense,...

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Mais non !

Mme Élisabeth Guigou. ...alors même que ces procédures portent directement atteinte au principe de séparation des autorités de poursuite et des autorités de jugement. En donnant pouvoir au procureur de prononcer des peines sans passer par l'audience publique et contradictoire, elles éliminent les droits de la défense.

De surcroît, dans la procédure du « plaider-coupable », le juge du siège a pour seul pouvoir d'entériner une décision prise par le procureur. Le prévenu aura du mal à refuser la proposition de peine du procureur, car sa sanction risque de s'alourdir. S'il la refuse, le juge du siège ne se verra pas communiquer les éléments de la procédure précédente. Jamais un magistrat du siège ne s'était vu contraint de rendre ses décisions sans disposer de la totalité des informations.

Avec la généralisation des procédures simplifiées que promeut votre texte, le procureur est à la fois enquêteur et juge. Il est soumis aux instructions du garde des sceaux dans une procédure totalement opaque, ce qui ne manquera pas de générer tous les soupçons, y compris celui de favoriser les délinquants en col blanc.

Troisième observation : les mineurs.

Un autre aspect véritablement choquant de votre réforme est qu'elle continue à défaire le statut des mineurs et à renier l'esprit de l'ordonnance de 1945. Les mineurs figureront, dans les mêmes conditions que les majeurs, sur les fichiers de délinquants sexuels. Ainsi, un mineur de treize ans, reconnu coupable, devra se présenter deux fois par an au commissariat dont il dépend, et ce, pendant trente ans de sa vie, voire davantage. Comment, dès lors, pourrait-il espérer se réinsérer, vivre une vie normale, se marier, avoir des enfants... ? Peut-on et doit-on supprimer toute différence de traitement judiciaire entre les personnes mineures et majeures ? A tout le moins, il aurait fallu, pour trancher un tel problème, une loi particulière et un débat digne de ce nom !

Quatrième point : les victimes.

Vous en parlez tout le temps, mais votre texte de loi les oublie. C'est une régression de plus par rapport à la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes, car plus on étend les procédures simplifiées, plus on écarte les victimes du procès. Supprimer l'audience publique dans un souci de rapidité revient, en effet, à priver les victimes de la réparation morale du procès pénal, qui leur est extrêmement précieuse, car elles ne sont pas prioritairement intéressées par le procès civil. Je vous rappelle que la loi sur la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes avait considérablement élargi les droits des victimes, afin de leur offrir la possibilité d'être parties prenantes du processus judiciaire, de l'enquête au procès.

Dernière observation : notre droit dans l'Europe.

Certes, votre projet, M. Warsmann l'a rappelé, comporte un point positif : la transposition en droit français du mandat d'arrêt européen, qui remplacera la procédure d'extradition et permettra d'accélérer et de simplifier le retour d'un criminel dans le pays où il a commis son forfait.

La décision cadre créant le mandat d'arrêt européen a été adoptée, je le rappelle, en décembre 2001. J'avais engagé ce travail, Marylise Lebranchu l'a fait aboutir. Le gouvernement Jospin s'était engagé à mettre en œuvre ce mandat d'arrêt européen de manière anticipée, avec cinq autres Etats membres dont l'Espagne, tous les autres s'engageant à le faire avant le 1er janvier 2004. Non seulement, monsieur le garde des sceaux, vous n'avez pas mis en œuvre le mandat d'arrêt européen de manière anticipée, mais vous n'avez même pas respecté la date butoir du 1er janvier 2004. Notre pays, qui était pilote en ce domaine, s'est vu précéder, depuis le 1er janvier 2003, par huit Etats membres : Belgique, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Irlande, Suède, Danemark, Finlande. Au lieu de figurer parmi les premiers, nous nous trouvons dans le peloton de queue.

Mais il y a plus grave. Le mandat d'arrêt européen est le premier texte pris sur le fondement de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en Europe. J'ai moi-même beaucoup travaillé sur ce concept et je l'ai fait notablement progresser lors de la présidence française de l'Union européenne en 2000. Nous avions alors adopté avec nos partenaires un programme complet de reconnaissance mutuelle dont le mandat d'arrêt européen faisait partie. Or la reconnaissance mutuelle ne peut se développer que s'il existe entre les Etats membres un climat de parfaite confiance mutuelle. Le juge de Berlin ou de Madrid n'exécutera la décision de son collègue français que s'il a la certitude que cette décision a été prise par une justice qui a les moyens de fonctionner et selon des procédures qui assurent un plein respect des droits fondamentaux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !

Mme Élisabeth Guigou. Or je crains qu'avec les dispositions de cette loi, la justice française ne soit plus toujours digne de confiance aux yeux de nos partenaires. Je vous rappelle que si le Royaume-Uni, depuis des années, refuse obstinément d'extrader Rachid Ramda alors que cet homme est suspecté d'être l'un des auteurs de l'attentat de Port-Royal, c'est parce qu'il peut invoquer le soupçon de mauvais traitements.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Insinuation scandaleuse !

M. le garde des sceaux. Vous n'avez pas honte de dire cela ? Vous le diriez aux gens de la pénitentiaire ?

Mme Élisabeth Guigou. Avec de telles dispositions, la justice portugaise aurait-elle accepté, dans un délai record à l'époque de sept mois, d'extrader Sid Ahmed Rezala avant qu'il ne se suicide dans sa prison ?

Déjà, le Comité pour la prévention de la torture a tiré la sonnette d'alarme.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C'est une honte !

Mme Élisabeth Guigou. La situation dans les prisons françaises, où s'entassent 60 000 détenus, relève des traitements inhumains et dégradants. Quelle image à l'heure où l'on veut promouvoir la confiance mutuelle ! Demain, les décisions de la justice française prises par un procureur selon une procédure qui réduit les droits de la défense à la portion congrue et qui ne respecte pas le contradictoire, pourront-elles être considérées comme dignes de confiance par nos partenaires ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est la question !

Mme Élisabeth Guigou. Il est très possible que non. En bradant les libertés individuelles, cette loi mine la confiance mutuelle en Europe et s'attaque au fondement de toute la construction européenne en matière de justice.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Hélas !

Mme Élisabeth Guigou. En conclusion, monsieur le garde des sceaux, votre projet organise une triple régression : la première fait fi de nos principes constitutionnels ;...

M. Gérard Léonard. Mais non !

Mme Élisabeth Guigou. ...la deuxième rompt l'équilibre auquel était parvenue la procédure pénale entre les parties ; la troisième aboutit à miner la confiance de nos partenaires européens dans le système judiciaire français.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est une catastrophe !

Mme Élisabeth Guigou. Non seulement votre loi porte atteinte à des principes essentiels sans lesquels il ne peut y avoir de bonne justice mais, de surcroît, elle ne garantit pas une plus grande efficacité dans les affaires les plus graves. Car où sont les moyens ? Avez-vous chiffré le coût de la protection des repentis ? Non. Or on sait bien qu'en Italie, le coût des repentis atteint 60 millions d'euros. Avez-vous augmenté les moyens de la justice ? Non. Ils sont en diminution depuis 2002 : le nombre de postes de magistrat créés est passé de 320 en 2002 à 180 en 2003 et 150 en 2004. Quant au nombre de créations de postes de greffier, il est passé de 636 en 2002 à 361, quasiment deux fois moins, en 2003 et à 359 en 2004.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà la réalité ! Voilà ce que sont les moyens de la justice !

Mme Élisabeth Guigou. Le Barreau de Paris demande le retrait de votre projet. Les organisations syndicales de magistrats et d'avocats l'ont toutes sévèrement critiqué. La loi Perben II est une mauvaise loi. Je vous demande, mes chers collègues, de ne pas la voter et d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Asensi. Très bien !

M. Gérard Léonard. C'est de l'apaisement cela !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Madame Guigou, vous avez énoncé un certain nombre de contrevérités.

Nous n'aurions, en matière de criminalité organisée, visé aucune infraction financière. Or nous avons introduit le délit de blanchiment et de recel pour toutes les infractions liées à la criminalité organisée. Nous sanctionnons bien là la délinquance financière.

Nous introduirions de nouveaux moyens procéduraux sans garantir les conditions de recours. Je l'ai encore rappelé, voici quelques instants, le recours à chacun de ces moyens procéduraux est conditionné par l'acceptation d'un magistrat du siège.

La nouvelle procédure dite de « plaider-coupable » sur reconnaissance préalable de culpabilité méconnaîtrait les droits de la défense. C'est l'inverse, puisque nous avons prévu qu'un avocat serait obligatoirement présent quand un procureur aurait recours à cette procédure.

Cette procédure méconnaîtrait aussi les droits de la victime. Je crois que c'est notre collègue qui méconnaît la lecture du projet de loi. En effet, l'article 495-13 dispose : « Lorsque la victime de l'infraction est identifiée, elle est informée sans délai, par tout moyen, de cette procédure. Elle est invitée à comparaître en même temps que l'auteur des faits, accompagnée le cas échéant de son avocat, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui... » Par conséquent, voilà encore une contrevérité.

M. Christophe Caresche. Ce doit être un malentendu, monsieur Warsmann ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cette procédure serait opaque. Or c'est notre assemblée elle-même qui a voté un amendement prévoyant que chaque décision serait lue en audience publique, afin que ce reproche ne puisse jamais être fait. Lorsque cette nouvelle procédure s'appliquera, la sanction ne pourra être que publique.

Enfin, madame Guigou, votre conclusion m'a beaucoup attristé. De nombreux pays européens ont revu, ces dernières années, leur législation pénale afin de mieux lutter contre la criminalité organisée.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Bien sûr !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous faisons de même, avec quelques années de retard. Nous donnons ainsi à la justice les moyens de mieux appréhender toutes ces formes de criminalité organisée. J'avoue avoir été très choqué par votre réflexion quant à la position d'un pays européen qui refuse d'envoyer en France une personne soupçonnée d'un acte de terrorisme. On n'a pas le droit de faire de telles insinuations dans un débat démocratique, même lorsque les idées sont différentes, comme on n'a pas le droit d'accuser de mauvais traitements les personnels pénitentiaires, ainsi que vous l'avez fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Élisabeth Guigou. Je n'ai jamais dit cela !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Leurs conditions de travail sont aussi de mauvais traitements !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Revenons à la réalité. Pourquoi avoir présenté un texte relatif à la criminalité organisée et à la diversification des réponses pénales ? Tout simplement, parce que la situation n'est pas satisfaisante.

M. Gérard Léonard. Evidemment !

M. le garde des sceaux. Les uns et les autres nous serions volontiers dispensés des dizaines et des dizaines d'heures passées ensemble à travailler sur ce texte depuis bientôt un an. Nous avons engagé une telle réflexion, d'une part, pour répondre au développement de la criminalité organisée en France, comme malheureusement dans l'ensemble des pays développés, et, d'autre part, parce que notre système pénal n'était pas en mesure de traiter convenablement l'ensemble des dossiers.

Aujourd'hui, avec soixante-dix dossiers par audience correctionnelle, chacun n'a droit qu'à quelques minutes. Les avocats attendent dans la salle des pas perdus. Les affaires se succèdent. Un seul juge doit trancher de tout ; il connaît le dossier, bien sûr, mais il l'a souvent préparé des semaines, voire des mois auparavant. Voulez-vous pérenniser les longues attentes ? La procédure du « plaider-coupable » à la française n'est-elle pas préférable ? La reconnaissance de culpabilité ne pourra avoir lieu qu'en présence d'un avocat. Il y aura donc une discussion avec le procureur, puis la décision sera validée ou non par le juge du siège. Ayons conscience de la réalité et tentons d'améliorer le traitement des affaires pénales en général.

Quant à la criminalité organisée, je reviendrai d'un mot sur l'exemple de la traite des êtres humains. Aujourd'hui, 70 % des prostituées dans notre pays sont d'origine étrangère.

Mme Élisabeth Guigou. Personne n'a dit le contraire !

M. le garde des sceaux. Elles sont exploitées par des réseaux qui sont de véritables entreprises internationales. Ces dernières organisent ce trafic d'êtres humains mais s'adonnent aussi à d'autres activités criminelles. Nous en avons parlé avec les ministres des pays démocratiques. Je ne doute pas, madame, que vous le faisiez également avec vos collègues du G8. Tous les grands pays démocratiques ont mis en place dans leur institution judiciaire des dispositifs de lutte contre ce type de criminalité.

C'est de ces deux réalités que nous parlons aujourd'hui. Il y a des victimes qui attendent que justice soit faite. Et il ne sert à rien de prétendre que ces réalités-là n'existent pas !

Mme Élisabeth Guigou. Qui a dit cela ?

M. le garde des sceaux. Madame, je vous ai laissée parler sans intervenir, sauf lorsque vous avez mis en cause les prisons françaises, que j'ai trouvées dans l'état où vous les avez laissées en 2002 !

Mme Élisabeth Guigou. Oh !

M. le garde des sceaux. Quant à l'allusion que vous avez faite à M. Ramda, elle n'est pas tout à fait digne d'un ancien garde des sceaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Élisabeth Guigou. Je conçois que mes propos vous déplaisent !

M. le garde des sceaux. Etais-je ministre quand l'extradition fut refusée par la justice britannique ?

Mme Élisabeth Guigou. Non ! Justement !

M. le garde des sceaux. Ayez un peu de mémoire, madame ! Et qu'avez-vous fait pour les prisons françaises ?

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Rien !

Mme Élisabeth Guigou. C'est moi qui ai financé les prisons que vous avez inaugurées !

M. le garde des sceaux. Les personnels pénitentiaires apprécieront vos positions,...

Mme Élisabeth Guigou. Je n'ai pas attaqué les personnels pénitentiaires !

M. le garde des sceaux. ...tout comme les associations de victimes du terrorisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

    Je souhaite maintenant, monsieur le président, répondre sur un certain nombre de points précis, car je veux être exhaustif.

En ce qui concerne la criminalité organisée, sujet déjà évoqué à plusieurs reprises, je ferai deux rappels.

Premièrement, cette catégorie regroupe des infractions déjà prévues par le code pénal.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y est question de circonstances aggravantes ! Ce n'est pas pareil !

M. le garde des sceaux. Cette incrimination, qui a fait l'objet d'un examen très précis et concerté, préserve évidemment le principe de l'égalité des délits et des peines.

Deuxièmement, ayant entendu vos critiques sur le concept de bande organisée, je dois avouer, madame, que les bras m'en tombent ! Ce n'est pas moi qui l'ai introduit dans le code pénal mais, si je ne me trompe, le gouvernement auquel vous apparteniez, et voilà que vous le jugez flou ! Je vous affirme qu'il ne l'est pas et qu'il n'a strictement rien à voir avec la circonstance aggravante d'infraction commise en réunion. Ce concept, défini par le code pénal, je me permets de le rappeler, suppose qu'il y ait préméditation, organisation, hiérarchie et répétition des actes. C'est très précis, la jurisprudence est très claire, et je m'étonne qu'une telle mise en question vienne de vous.

En ce qui concerne la délinquance financière, madame Guigou, l'organisation que je propose dans ce texte donnera enfin à des juridictions spécialisées la capacité d'être efficaces sur l'ensemble du territoire !

Je ne dirai qu'un mot du contrôle systématique par le juge, car le rapporteur l'a évoqué. Nous y avons beaucoup tenu, les uns et les autres : le Gouvernement, bien sûr, mais aussi l'ensemble des parlementaires, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Je suis donc vraiment surpris, je l'ai déjà dit à la tribune, de ce que j'en lis dans la presse : certaines personnes qui critiquent ce texte, à l'évidence ne l'ont pas lu - je ne dis pas cela pour vous, madame -, car le contrôle du juge sera systématique.

De même, il faut vraiment ne pas avoir lu le texte pour ne pas saisir que les droits des victimes y sont renforcés. Je ne prétends certainement pas que rien n'avait été fait auparavant - je n'ai jamais dit cela, sur aucun sujet, d'ailleurs -, mais je rappelle que ce texte contient plusieurs éléments nouveaux pour la prise en compte des intérêts des victimes : dans les mesures de mise en liberté, dans les mesures de libération conditionnelle et dans le plaider-coupable, sans oublier la prise en charge financière, notamment des frais de déplacement.

Enfin, en ce qui concerne le mandat d'arrêt européen, mars n'est pas janvier, certes, mais je vous rappelle, madame la garde des sceaux, que l'avis du Conseil d'Etat a rendu nécessaire une réforme constitutionnelle et que le calendrier parlementaire nous a effectivement contraints à attendre l'examen du présent projet de loi pour y « accrocher » le mandat d'arrêt européen.

Tels sont les éléments de réponse que je voulais apporter. Et bien entendu, je demande à l'Assemblée nationale de ne pas adopter la question préalable de Mme Guigou.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Gérard Léonard. Je serai très bref. Au fond, Mme Guigou, sous les apparences d'un réquisitoire impitoyable, s'est livrée à une sorte de plaidoyer pro domo quelque peu pathétique et dérisoire. Très sincèrement, on a bien senti qu'elle ne condamnait la politique actuelle que pour mieux défendre celle du passé.

J'ai cité, en réponse à l'exception d'irrecevabilité, un vieux proverbe français, et j'espère que personne ne me fera grief, quelques heures après le débat sur la laïcité, de me référer maintenant aux écritures saintes et à cette phrase superbe : « On juge un arbre à ses fruits. » Or vous connaissez, madame, le fruit de votre politique, qui a été sanctionnée par les Français : c'est une justice délabrée, une justice encombrée, une justice en retard sur les évolutions entreprises dans tous les pays voisins. Dieu sait pourtant que l'harmonisation, en matière de moyens, au moins, est devenue importante dans la lutte contre la délinquance, celle-ci revêtant de plus en plus un caractère international.

Cette polémique paraît un peu dépassée car les Français, j'y insiste, ont condamné votre politique. Ils nous ont demandé de lutter plus efficacement contre l'insécurité qui, sous votre majorité, avait explosé comme jamais dans l'histoire de notre République. Ils nous ont demandé de rendre la justice plus juste, plus efficace. Nous nous y employons, au travers de grands textes, en particulier de lois d'orientation et de programmation mobilisant des moyens sans précédent. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

Ce qui importe, ce n'est pas le nombre de greffiers recrutés chaque année : il faut considérer l'ensemble de cette politique. Et puisqu'on juge un arbre à ses fruits, un jour ou l'autre, nous aurons rendez-vous avec nos concitoyens, et je suis sûr qu'ils sauront rendre justice à notre action. De toute façon, il ne sera pas très difficile d'avoir fait un peu mieux que vous...

M. Ghislain Bray et M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. Gérard Léonard. J'invite donc évidemment mes collègues à ne pas voter cette question préalable, excessive dans ses termes et infondée dans ses arguments. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le groupe socialiste votera évidemment la question préalable, car Elisabeth Guigou a repris très exactement les arguments que nous développons depuis plusieurs mois sur les conséquences qu'aura ce texte.

M. Warsmann avance que les autres pays européens ont adopté des mesures comparables de renforcement de la lutte contre la criminalité. Mais aucun d'entre eux n'a créé de procédures exorbitantes au regard de son droit commun et n'a établi de confusion entre le traitement du crime organisé et celui de la délinquance ordinaire : en résumé, aucun d'entre eux ne risque de priver un citoyen quelconque des garanties de la justice en l'entraînant dans une telle procédure. Car tel est bien le premier problème que soulève votre texte.

Sur les conditions carcérales, je me permettrai de faire le lien avec l'intervention du garde des sceaux. Les mauvais traitements que les organismes internationaux reprochent à la France s'expliquent uniquement par les conditions d'incarcération. Personne n'a mis en cause les personnels, qui travaillent dans des conditions tout aussi déplorables ; du reste, ceux qui se rendent régulièrement dans les prisons ou exercent dans ces établissements le savent : les gardiens sont les premiers à contester les conditions carcérales actuelles.

Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne peux donc laisser le rapporteur et le garde des sceaux prétendre que Mme Guigou aurait mis en cause les personnels.

Mme Elisabeth Guigou. Jamais de la vie !

M. Jérôme Rivière. Quand vous étiez garde des sceaux, vous ne cessiez de le faire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Par ailleurs, M. Warsmann a produit, à l'occasion de ce texte, une contribution extraordinaire en matière d'application des peines. Nous le savons, et nous n'avons pas hésité à le dire : il a accompli un travail remarquable.

M. Gérard Léonard. Ah !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais je précise que ce travail était une impérieuse nécessité pour tenter de ralentir le rythme des incarcérations. Car si l'on continue sur cette pente, la barre des 65 000 prisonniers sera très largement dépassée à la fin de l'année 2005, alors que, je le rappelle, nos capacités sont seulement de 40 000. Les mauvais traitements viennent de là : 42 000 ou 45 000 places pour 65 000 détenus ; n'allez pas chercher plus loin.

M. le garde des sceaux nous a rappelé ses objectifs. Je l'ai dit, nous l'avons dit à plusieurs reprises au cours de ce débat, personne ne conteste la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité organisée,...

Mme Elisabeth Guigou. Evidemment !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...objectif que justifient les circonstances mondiales, notamment le développement des réseaux internationaux.

Mme Elisabeth Guigou. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais, monsieur le garde des sceaux, sur les quatre-vingt-sept articles, sept seulement traitent de ce phénomène, tous les autres étant relatifs à la délinquance de droit commun. Et les instruments juridiques dont vous vous dotez ne permettront pas de différencier les actes commis par des organisations criminelles de ces actes de délinquance ordinaires, lesquels, à nos yeux, réclamaient une remise en ordre de la procédure. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Comment pouvez-vous reprocher à l'opposition d'être incapable de prendre en compte les problèmes des victimes du terrorisme ? Simplement, il serait étonnant que la procédure du plaider-coupable garantisse la présence des victimes, ceux qui ont lu la loi le savent. Je ne dis pas que la loi l'interdise, mais renseignez-vous donc sur le nombre d'audiences en comparution immédiate renvoyées du fait de l'absence de la victime ou de la difficulté à réunir tous les éléments nécessaires à la constitution de partie civile ou à l'examen de la réparation du préjudice.

M. le Président. Monsieur Le Bouillonnec...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Enfin, monsieur le président, si le système pénal n'est pas satisfaisant actuellement, c'est un problème de moyens, ce qui ne justifie certainement pas de modifier le code de procédure pénale. Mme Guigou a donné quelques éléments chiffrés : jamais les crédits de la justice et les effectifs n'ont été aussi importants que sous l'autorité des deux gardes des sceaux des gouvernements Jospin. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. Vous ne manquez pas d'air !

M. Charles Cova. Laissez donc Jospin où il est !

M. Guy Drut. C'est un éloge funèbre !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tous les chiffres de Mme Guigou sont exacts : en 2004, le nombre de magistrats et de greffiers recrutés baissera.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je demande simplement à tous ceux qui le contestent d'examiner les chiffres du ministère de la justice ; ils verront que l'indication est exacte.

Toutes ces bonnes raisons nous conduiront à voter la question préalable.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité répondait à un souci louable : qui refuserait en effet de s'attaquer aux bandes criminelles et organisations mafieuses ? qui pourrait contester que le droit à la sécurité, que celui d'aller et de venir en toute sécurité, sont des droits essentiels de la personne ?

Toutefois, soumis à pléthore d'amendements, le projet s'est transformé en un véritable réquisitoire limitant les droits du justiciable et de la défense. L'ensemble des professionnels et associations de défense des droits de l'homme s'en inquiètent légitimement, et Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel, parle même de « répression administrée ».

Vous portez ainsi un coup d'arrêt au processus démocratique, engagé depuis deux décennies, visant à instaurer un véritable pouvoir judiciaire, indépendant et garant des libertés individuelles. C'est une réelle régression par rapport à la loi sur la présomption d'innocence du 15 juin 2000, adoptée à l'initiative du Président de la République d'alors... le même que celui qui défend ce nouveau projet.

Ce texte laisse volontairement floue la notion de « crime organisé », qui pourra s'appliquer à un grand nombre de délits, dès lors qu'ils seront commis en bande, entendez par deux personnes.

Malgré vos dénégations, vous créez ce que d'aucuns appellent « un état d'exception permanent » car, d'après votre texte, s'il s'avère finalement qu'une affaire ne relève pas de la criminalité organisée, cette erreur de qualification ne constituera pas une cause de nullité de la procédure.

Vous accroissez grandement les pouvoirs de police, à travers la garde à vue de quatre jours, assortie d'une intervention tardive de l'avocat, l'infiltration de policiers dans les réseaux, la perquisition de nuit, l'élargissement des écoutes téléphoniques. L'enquête de flagrance, très coercitive, voit quant à elle sa durée doubler, de huit à quinze jours.

Votre projet vise également à renforcer le pouvoir du parquet et de l'accusation, au détriment de la défense et des juges du siège. Va notamment dans ce sens le développement des procédures simplifiées, avec la possibilité, à travers le plaider-coupable, de proposer à une personne une amende ou une peine allégée, sans procès public et contradictoire.

En renforçant le poids des parquets, autrement dit du pouvoir exécutif, sur la justice, vous rompez la séparation et l'équilibre des pouvoirs qui fondent notre démocratie. Vous tournez le dos à notre héritage philosophique : celui des Lumières, celui de L'Esprit des lois.

Les débats qui ont agité la classe politique ces derniers jours traduisent la tentation permanente des pouvoirs politiques, quels qu'ils soient, en France et ailleurs, de s'immiscer dans le domaine judiciaire. Certains propos, contraires au respect de la chose jugée, ont contribué à l'émergence d'un climat malsain, indigne d'une démocratie. Il est urgent de rappeler ici le respect dû à ces hommes et ces femmes qui, dans des circonstances difficiles, soumis à des pressions politiques et médiatiques, tâchent, dans leurs fonctions, de faire avancer le droit et la justice en France.

Redoublons de vigilance afin de ne pas tomber dans les écarts de M. Berlusconi qui, en Italie, use sans retenue du pouvoir politique pour se soustraire au judiciaire.

Monsieur le ministre, le climat est délétère. L'ensemble de la magistrature et les avocats sont très inquiets. Ils l'ont exprimé ici même aujourd'hui. N'en déplaise à certains, le pouvoir judiciaire est et doit rester indépendant. Remettre en cause cette indépendance, c'est remettre en cause la démocratie.

L'objectif, paraît-il, est de « hausser notre droit pénal au niveau de vigilance des grandes démocraties en matière de criminalité organisée ». Derrière cette ambition, il s'agit en fait de copier le système judiciaire américain. Comment, en effet, ne pas y penser avec ces notions de « plaider-coupable » et de « repentis », système que votre texte officialise ?

Cette référence est pourtant loin d'être la meilleure. Les Etats-Unis tiennent la tête des pays avancés pour le nombre de détenus pour 100 000 habitants : en 2002, on en comptait 702 aux Etats-Unis, contre 85 en France. Ce taux est six à douze fois supérieur à celui de l'ensemble des pays de l'Union européenne. La population carcérale américaine a quadruplé en trente ans.

En 1998, la Californie, jadis réputée pour son système éducatif, comptait déjà plus de 200 000 détenus pour 33 millions d'habitants, c'est-à-dire quatre fois le niveau d'incarcération français pour près de deux fois moins d'habitants ! Le budget de l'administration pénitentiaire de Californie a été multiplié par 22 entre 1975 et 1999. Depuis 1994, il dépasse le budget alloué aux universités publiques.

Dois-je rappeler ici cette assertion de bon sens de Victor Hugo : « Ouvrir une école, c'est fermer une prison » ? Cette phrase, prononcée il y a près de deux siècles, ne rencontre-t-elle donc pas d'écho dans vos rangs ?

En France, en 1998, la moitié des détenus n'avaient qu'un niveau d'éducation primaire, contre 3 % qui avaient fait des études supérieures. Dès lors, même si le déterminisme social n'exclut pas la responsabilité individuelle ni n'excuse l'acte, n'est-ce pas la question sociale, et non pénale, qui devrait être au cœur de nos débats ?

Vous avez choisi de criminaliser la pauvreté plutôt que de la combattre et nous glissons insensiblement, mais immanquablement, « de l'Etat providence à l'Etat pénitence », comme le note Loïc Wacquant, un sociologue des systèmes pénaux. Celui-ci peut affirmer dans son livre Les prisons de la misère que « de fait, depuis 1975, la courbe du chômage et celle des effectifs pénitentiaires dans l'hexagone suivent une évolution rigoureusement parallèle » et, en s'appuyant sur une quarantaine d'études, qu'« il existe une corrélation étroite et positive entre la détérioration du marché du travail et la montée des effectifs alors qu'il n'existe aucun lien avéré entre taux de criminalité et taux d'incarcération ».

L'illustration en est la politique de la « tolérance zéro », qui a été sans aucun effet sur la criminalité aux Etats-Unis, mais en a eu sur le remplissage des prisons : 15 980 meurtres ont été recensés aux Etats-Unis en 2001 contre 1 046 en France.

La violence de la société américaine n'est que le prolongement de la violence économique de ce pays. Car il ne faut pas perdre de vue le revers du rêve américain qui fait l'apologie de la réussite individuelle, non celle qui se réalise avec ses compatriotes, mais contre eux, une mystification de la réussite sociale, individuelle et matérielle, qu'avait si bien dénoncée en son temps Horace Mac Coy, auteur du magnifique et bouleversant On achève bien les chevaux. Une société ultra-libérale, qui promeut la loi du plus fort, qui ne voit dans l'individu qu'une force de travail, anonyme et interchangeable, qui lui ôte sa dignité d'être humain, est intrinsèquement criminogène. Je n'insisterai pas ici sur les effets déplorables de la libre circulation des armes à feu dans ce pays. En quoi, dès lors, cette référence a-t-elle les vertus de modèle ?

En outre, l'instauration de primes à la productivité pour les magistrats, une sorte de stakhanovisme, mais aussi pour les policiers, aura des effets pervers car on risque à la fois d'encourager les enquêtes bâclées et de favoriser les enquêtes et jugements concernant la petite et moyenne délinquance, contre laquelle il est nécessaire de lutter et dont les premières victimes sont, rappelons-le, les populations les plus modestes de notre pays.

En revanche, malgré nos propositions, vous épargnez une fois de plus la grande criminalité financière, la criminalité à col blanc, qui nécessite des procédures longues et difficiles.

A la fracture sociale, qui vous tient tant à cœur, souhaitez-vous joindre la fracture judiciaire ?

En renforçant les pouvoirs de la police et du parquet, tandis que vous réduisez ceux des juges et des avocats, vous portez atteinte au principe de séparation des pouvoirs, ciment de notre démocratie.

Pour conclure, permettez-moi de citer à nouveau Montesquieu : « Il n'y a point de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. » La France ne doit pas renoncer aux Lumières du XVIIIe siècle, qui fondèrent la République et continuent de la guider.

Votre texte, monsieur le garde des sceaux, est le signe d'une réelle régression démocratique. Nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard.

M. Gérard Léonard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c'est une réforme courageuse et particulièrement ambitieuse que nous abordons à nouveau ce soir en examinant les conclusions que la CMP a rendues la semaine dernière. Le projet n'a cessé de s'enrichir et de s'améliorer au cours de la navette.

Ce texte ne se limite pas à tel ou tel aspect de notre système pénal. Il n'a pas l'alibi de la transposition d'une directive et il n'a pas été rédigé en une journée sous la plume liberticide d'un technicien zélé.

C'est un texte de procédure pénale qui a mis plus d'un an à mûrir, ce qui était nécessaire au regard de ses enjeux. II est le fruit d'une large concertation engagée avec les organisations professionnelles depuis décembre 2002 et des diverses auditions menées par les rapporteurs respectifs des deux chambres. Il a pris corps dans cet hémicycle et dans celui du Sénat au travers des riches discussions que nous avons menées et des amendements que nous avons votés.

Il présente une vision d'ensemble des adaptations nécessaires pour que notre système pénal soit efficace et performant. C'est à cette fin qu'il traite aussi bien de la criminalité organisée que des discriminations, qu'il aborde successivement tant les questions de pollution maritime que les infractions économiques et financières, ou encore qu'il rénove en profondeur le code de procédure pénale, quelques chapitres après celui consacré à la lutte contre la criminalité internationale.

Est-ce un tort de vouloir se doter d'outils performants pour lutter contre les formes les plus graves et les plus inadmissibles de la délinquance et de la criminalité ? Est-ce à ce point condamnable de vouloir rompre avec les imperfections de notre système pénal ? Aurions-nous dû nous contenter de mesurettes prises cà et là pour ne pas heurter la sensibilité de quelques-uns ?

A ceux qui qualifient ce texte de fourre-tout, je réponds qu'il s'attache à trouver des solutions législatives à chacun des problèmes de procédure pénale que connaît notre société. Le bien-fondé d'une réforme aussi ambitieuse ne saurait, en aucun cas, être remis en cause, pas plus que le caractère fondamental de chaque disposition adoptée. Je veux parler notamment des juridictions spécialisées, des moyens d'enquête supplémentaires, de la répartition de compétences complémentaires entre le parquet, le juge des libertés et de la détention et le juge d'instruction. Toutes ces mesures participent du souci de lutter efficacement contre les évolutions de la criminalité, et notamment celle qui est la plus redoutable et qui ne cessera de progresser si l'on n'y prend garde : la criminalité organisée. Celle-ci est considérée dans sa globalité et dans sa spécificité.

La criminalité organisée ce sont - excusez du peu ! - les enlèvements, les trafics de stupéfiants, le terrorisme, la traite des êtres humains, les meurtres et les braquages commis en bande organisée : ce ne sont pas de simples vols à l'étalage, comme certains essaient de le faire croire. De telles organisations criminelles peuvent déstabiliser notre société et notre économie.

Faut-il encore, à ce stade, préciser que les procédures et moyens d'enquête seront en permanence contrôlés par le juge ? Vous l'avez affirmé, monsieur le garde des sceaux, mais il faut le répéter, car il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Cependant, on finira bien par faire admettre ce qui est la réalité.

Quant aux droits de la défense, ils feront l'objet de toutes les garanties, contrairement à ce que certains prétendent. Je veux parler notamment de la procédure du « plaider-coupable », largement et injustement décriée. Tout en permettant à l'auteur d'une infraction de reconnaître et d'assumer sa responsabilité, cette procédure constitue une réponse adéquate à l'engorgement des tribunaux. Elle a été strictement encadrée afin de préserver au mieux les droits de la défense, notamment à travers la possibilité de faire appel et grâce à la présence de l'avocat tout au long de la procédure. En l'occurrence, c'est d'un véritable renforcement du rôle de l'avocat qu'il s'agit, puisque la personne poursuivie ne pourra pas renoncer à son droit d'être assistée par un avocat.

M. Christophe Caresche. Ce n'est pas ainsi que les avocats l'ont compris !

M. Gérard Léonard. C'est dans ce même souci de garantie des droits de la défense que le texte issu de la CMP interdit de condamner une personne sur le seul fondement de déclarations de policiers infiltrés, sauf dans le cas où ceux-ci acceptent de témoigner sous leur identité réelle.

Quant à l'allongement du délai de la garde à vue, quand on connaît la réalité des affaires traitées, on sait qu'il a pour seul objet de permettre aux enquêteurs de ficeler des dossiers de plus en plus complexes et qu'il se justifie par la gravité des faits présumés.

Aussi, les qualificatifs de « liberticide » ou de « tout-répressif » que certains ont attribués à ce texte apparaissent-ils grotesques, en tout cas infondés.

Je me félicite, par ailleurs, du compromis intervenu en CMP sur l'amendement que j'avais déposé pour allonger le délai de prescription en matière de délits et de crimes sexuels sur les mineurs. La solution tendant à porter à vingt ans le délai de prescription de l'action publique pour les infractions sexuelles les plus graves constitue, à mes yeux, un progrès considérable. Je sais la part que vous y avez prise, monsieur le rapporteur, et l'attention personnelle que vous y avez portée, monsieur le garde des sceaux. Je tiens à vous en remercier et je sais, pour en avoir reçu de nombreux témoignages, que beaucoup de familles vous sont reconnaissantes. D'autant que cela n'a pas été simple. Des personnalités aussi éminentes que M. Badinter n'ont-elles pas considéré que c'était un crime de bousculer ces délais de prescription ?

Et vous-même, monsieur le Bouillonnec, n'avez-vous pas semblé découvrir cette mesure en CMP et décidé de voter contre, alors que nous l'avions adoptée à l'unanimité ici-même ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais en CMP, nous avons voté contre !

M. Gérard Léonard. J'assistais à la réunion de la CMP : vous avez bien donné le sentiment que vous découvriez ce texte !

Mais ne revenons pas sur cette polémique : je souhaite donner satisfaction à notre président qui a souhaité voir régner un climat d'apaisement. Je tenais néanmoins à rappeler au passage un comportement qui m'a choqué. Cela m'a fait du bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je suis heureux que vous vous fassiez du bien sur notre dos...

M. Gérard Léonard. Ce texte, je le répète, n'est en aucun cas un fourre-tout. Il conserve, en dépit du nombre considérable de ses articles, toute sa cohérence et dote notre justice d'outils précieux. Il réforme en profondeur notre procédure pénale avec le double impératif de protéger les droits de la défense et d'adapter réellement notre justice aux évolutions de la criminalité. C'est donc avec détermination et avec le sentiment de bien servir notre pays que nous l'adopterons.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le garde des sceaux, nous arrivons, avec cette ultime lecture, au terme de l'examen de votre projet de loi. Tout au long de ce processus législatif, le groupe socialiste a dénoncé fortement, ici et au Sénat - monsieur Clément, vous semblez oublier que M. Badinter est sénateur -...

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Oh non !

M. Gérard Léonard. On ne le sait que trop !

M. Christophe Caresche....les dangers et les errements de ce texte. Nous avons exprimé haut et fort notre réprobation. Nous condamnons un projet qui va bouleverser considérablement la procédure pénale et nous n'avons pas attendu aujourd'hui pour le faire : depuis la première lecture, nous nous y opposons formellement.

Durant toute cette période, des personnalités et des professionnels se sont élevés, eux aussi, contre ce projet, ainsi que des élus, en particulier au Sénat, où des membres de la majorité ont fait part de leurs réserves.

Un mouvement de contestation profonde est né, puis s'est affirmé, en particulier chez ceux qui auront à appliquer la loi : magistrats, avocats, professionnels de la justice refusent votre projet, ils l'ont fait savoir ce soir dans la rue. J'ai entre les mains une lettre adressée au Président de la République, qui commence ainsi : « Depuis des siècles, le barreau de Paris est l'un des gardiens les plus vigilants des libertés publiques et des droits de la défense. Il faillirait à sa mission s'il n'élevait une mise en garde solennelle sur les graves dangers que présente le vote fixé au 5 février de la loi dite Perben II. » Ce n'est pas le groupe socialiste ni M. Badinter qui s'expriment ainsi, monsieur le ministre, c'est le bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour de Paris.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. La gauche caviar !

M. Christophe Caresche. Mais, pour toute réponse, vous nous dites que tout cela repose sur un gigantesque malentendu et que ceux qui expriment leur opposition à votre texte ne l'ont pas lu... C'est un peu court, en vérité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Christophe Caresche. N'est-il pas encore temps de les entendre et de revenir sur des dispositions qui heurtent profondément le monde judiciaire ?

À cela s'ajoute - comment ne pas en parler ? - le climat qui entoure la condamnation de M. Juppé. Les plus hautes autorités de l'Etat ont donné le sentiment qu'elles contestaient ce jugement, au mépris de l'indépendance des juges. Les plus hautes autorités de l'Etat ont donné le sentiment qu'elles ne respectaient pas les institutions en les dépossédant de leurs prérogatives en matière de contrôle du bon fonctionnement de la justice. Les plus hautes autorités de l'Etat exercent des pressions intolérables sur la justice, en exprimant le souhait que le jugement de première instance soit désavoué en appel.

M. Jacques Godfrain. C'est faux ! On n'a jamais dit ça !

M. Christophe Caresche. Cette attitude inacceptable choque beaucoup de ceux qui ont en charge l'administration de la justice dans notre pays.

M. Jacques Godfrain. Vous mentez !

M. Christophe Caresche. Votre projet qui instaure une véritable défiance à l'égard des magistrats, ne peut que renforcer leurs craintes et leurs inquiétudes. Dans un tel contexte, le plus sage serait de le retirer et de le reconsidérer, en prenant le temps de la réflexion. Retirez votre projet, monsieur le ministre : voilà ce que vous demandent les professionnels de la justice, qui se sont massivement réunis ce soir dans la rue.

Votre texte marque une véritable régression. Il ruine les efforts accomplis ces dernières années, notamment par Élisabeth Guigou, pour mieux équilibrer l'accusation et la défense, comme vient de l'expliquer Mme Guigou elle-même. Je vous rappelle qu'ici même, la loi sur la présomption d'innocence avait été votée à une quasi-unanimité : cela signifie que vous l'aviez votée, monsieur le ministre, ou du moins que vous vous étiez abstenu, et que M. Warsmann l'avait voté.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous avez la mémoire qui flanche, monsieur Caresche !

M. Christophe Caresche. Il est vrai qu'à l'époque, M. le rapporteur, avec d'autres, n'était pas satisfait par cet équilibre : pour lui, la loi sur la présomption d'innocence n'allait pas assez loin dans l'affirmation des droits de la défense.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je n'en ai pas le souvenir !

M. Christophe Caresche. Eh bien, aujourd'hui, cette loi n'est plus qu'un souvenir, car votre projet renforce systématiquement les pouvoirs de police au détriment des droits de la défense.

Votre projet abuse de notions confuses, quand elles ne sont pas dangereuses, comme celle de  bande organisée, et introduit des innovations choquantes, tel le plaider-coupable. Les Français mesurent avec effarement les conséquences de cette procédure, étrangère à notre culture et à notre conception de la justice, depuis qu'ils ont eu l'exemple de Français innocents contraints de plaider coupable aux États-Unis.

M. Pascal Clément, vice-président de la commission mixte paritaire. Ils n'y sont pas obligés !

M. Christophe Caresche. Ils voient ces malheureux revenir en France traumatisés par leur incarcération, et surtout par leur condamnation à la suite d'aveux inacceptables. Ces cas choquent profondément nos concitoyens, hormis au Gouvernement, qui ne semble pas beaucoup s'en préoccuper. Voilà la procédure que votre texte importe dans notre code de procédure pénale, et encore sans l'entourer des garanties qui existent aux États-Unis ! Je suis persuadé, monsieur le garde des sceaux, que la mise en œuvre de cette nouveauté rencontrera de grandes difficultés, parce qu'elle sera rejetée par les Français : en France on ne négocie pas son innocence.

Votre projet marque enfin une véritable défiance à l'égard des magistrats. Il est loin, le temps où le Président de la République se prononçait pour une justice plus indépendante. Votre projet traduit une véritable reprise en main de la justice : des procureurs d'abord, qui seront placés sous la tutelle des procureurs généraux, dépendant directement de vous ; des juges ensuite, en particulier du juge d'instruction, qui se voit dépossédé de ses prérogatives ou contourné au profit des procureurs.

À travers ce projet de loi, vous voulez une justice aux ordres et une justice expéditive : une justice aux ordres pour les puissants ; une justice expéditive pour les autres, ce que M. Clément appelle le « contentieux de masse ».

Parce que nous ne voulons, ni de l'une, ni de l'autre, nous ne voterons pas votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l'article 113, alinéa 3, du règlement, je vais appeler l'Assemblée à statuer d'abord sur les amendements dont je suis saisi.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l'amendement n° 1.

M. le garde des sceaux. Monsieur le président, je souhaiterais, si vous m'y autorisez, présenter l'ensemble des amendements déposés par le Gouvernement. Ces douze amendements sont en effet de coordination ou de clarification, et ne remettent évidemment pas en cause les solutions retenues par la commission mixte paritaire.

M. le président. Volontiers, monsieur le ministre.

Je suis également saisi par le Gouvernement des amendements nos 2 corrigé,  3,  4,  5,  6 corrigé,  7,  8,  9 corrigé,  10 corrigé,  11 et 12.

Je vous en prie.

M. le garde des sceaux. Les deux premiers amendements ont trait aux dispositions qui concernent la douane judiciaire : l'amendement n° 1 supprime une disposition redondante et l'amendement n° 2 corrigé corrige des erreurs de référence ou des imprécisions rédactionnelles.

L'amendement n° 3 procède à une coordination rédactionnelle.

L'amendement n° 4 tend à maintenir le droit actuel en ce qui concerne le champ d'application du fichier national automatisé des empreintes génétiques, tel qu'il résulte de la loi de 1998.

Les amendements n°s 5 et 9 corrigé corrigent purement et simplement des erreurs de référence.

L'amendement n° 6 corrigé précise l'article du projet qui supprime l'obligation de notification par huissier des arrêts de mise en accusation.

L'amendement n° 7 précise les règles applicables en cas de mandat d'arrêt délivré par une juridiction ayant condamné un prévenu par défaut : c'est un point important.

L'amendement n° 8 supprime une disposition inutile concernant la procédure d'ordonnance pénale en matière délictuelle.

L'amendement n° 10 corrigé regroupe deux dispositions du projet qui modifient le même article du code pénal, pour permettre le prononcé à l'audience, avec exécution provisoire, de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur.

L'amendement n° 11 prend en compte le remplacement de la juridiction régionale de libération conditionnelle par le tribunal d'application des peines.

Enfin, l'amendement n° 12 corrige des erreurs ou des oublis de références qui figuraient dans l'article relatif à l'entrée en vigueur de la loi.

Je précise que ces amendements réparent des incorrections qui ont été relevées par les administrateurs des deux assemblées, grâce à un travail tout à fait remarquable, justifiant qu'il leur soit rendu hommage.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. la commission ne les a pas examinés, mais à titre personnel je donne un avis favorable à ces amendements qui contribuent à la cohérence du texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je veux d'abord relever que nous avons là un grand nombre d'amendements qui n'ont pas été examinés par la commission mixte paritaire.

J'aimerais ensuite, monsieur le garde des sceaux, que vous nous donniez de plus amples explications à propos de l'amendement n° 8. Confirmez-vous qu'il s'agit de supprimer la disposition qui excluait certains délits de la procédure d'ordonnance pénale, parce que la commission mixte paritaire n'a pas étendu cette procédure à tous les délits punis jusqu'à cinq ans d'emprisonnement mais l'a réservée à certains délits et contraventions ? J'aimerais qu'il n'y ait pas d'ambiguïté en la matière.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je confirme, monsieur le député, qu'il s'agit de supprimer cette précision désormais inutile concernant la procédure d'ordonnance pénale.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je souhaite d'abord préciser qu'il est normal que les amendements de ce type ne passent pas en commission.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je ne le conteste pas.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je précise en second lieu que la commission mixte paritaire est l'occasion de transactions entre l'Assemblée nationale et le Sénat, qui entraînent des modifications dans la rédaction d'articles qui ont été votés par les deux chambres. S'ensuit la nécessité d'opérer certaines coordinations, ce qui est le rôle d'une partie de ces amendements.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est la création du chaos !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cela s'appelle de la rigueur au contraire.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Même vote sur les amendements n°s 2 corrigé, 3, 4, 5, 6 corrigé, 7, 8, 9 corrigé, 10 corrigé, 11 et 12 ?...

Je vais les mettre successivement aux voix.

(Ces amendements, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

M. le président. Chers collègues, je vous rappelle que, conformément à la décision de la conférence des présidents, les explications de vote et le vote par scrutin public sur le texte de la commission mixte paritaire auront lieu le mercredi 11 février, après l'éloge funèbre de Marcel Cabiddu.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Mardi 10 février 2004, à neuf heures trente, première séance publique :

Débat sur les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances ;

Fixation de l'ordre du jour.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ;

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1286, portant création des communautés aéroportuaires :

M. François-Michel Gonnot, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1380) ;

Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1055, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle :

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1413),

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1412).

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le vendredi 6 février 2004, à zéro heure dix.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot