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Deuxième séance du vendredi 5 mars 2004

183e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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DIRECTIVES ET DROIT COMMUNAUTAIRES

Discussion d'un projet de loi adopté par la Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en œuvre certaines dispositions du droit communautaire (n°s 1436, 1456).

La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis vise à autoriser le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives européennes et à mettre en œuvre certaines dispositions du droit communautaire.

Ce projet de loi, qui permettra notamment de transcrire en droit interne plus de vingt textes communautaires, s'inscrit dans le cadre des efforts engagés par le Gouvernement pour accélérer la transposition des directives européennes.

Je souhaite, d'abord, en introduction de cette discussion générale, rappeler quelle est la situation de notre pays en matière de transposition. Je décrirai ensuite brièvement le projet de loi d'habilitation et surtout le souci de concertation dans lequel le Gouvernement a tenu à l'élaborer, avant d'évoquer, en dernier lieu, la mise en place d'un dispositif pérenne qui pourrait nous éviter à l'avenir d'accumuler de nouveaux retards, ce qui est, pour nous tous, essentiel.

Quelle est donc, d'abord, la situation de notre pays au regard de ses engagements communautaires ?

Vous le savez, la législation européenne est constituée pour une part essentielle de directives, c'est-à-dire de lois-cadres qui fixent une obligation de résultat aux Etats membres en leur imposant de prendre, dans un délai précis, les mesures nécessaires pour adapter leur droit interne.

Dès sa déclaration de politique générale, en juillet 2002, le Premier ministre à indiqué toute l'importance qu'il accordait au respect par la France de ses engagements en matière de transposition. Un plan d'accélération de la transposition des directives communautaires a été élaboré à cette fin en novembre 2002, puis adapté six mois plus tard.

Disons-le clairement, les résultats n'ont - hélas ! - pas été à la hauteur de nos espérances. Les efforts engagés ont certes permis d'endiguer l'accumulation de nouveaux retards de transposition, mais pas de réduire ceux-ci de façon significative. Le déficit de transposition, c'est-à-dire la part des directives communautaires qui n'ont pas été transposées dans les délais, était de 3,8 % en novembre 2002. Ce chiffre est passé à 3,5 % un an plus tard, en légère réduction il est vrai, mais toujours sensiblement supérieur à l'objectif de 1,5 % rituellement fixé par tous les conseils européens successifs.

De ce fait, la France demeure aujourd'hui parmi les Etats européens les plus retardataires en matière de transposition des directives. Elle comptait cent une directives, dont cinquante-quatre relatives au marché intérieur, en souffrance en janvier dernier et accuse un retard moyen de quatorze mois par rapport aux échéances de transposition.

Pour notre pays, le coût de cette situation est élevé, à trois titres.

Sur le plan juridique, d'abord : même non transposée, toute directive a un certain effet direct en droit national, ce qui introduit du flou sur la norme applicable. On ne sait jamais si c'est la directive ou la législation nationale en contradiction avec cette dernière qui s'applique. Cette incertitude est préjudiciable à nos concitoyens, aux entreprises françaises comme aux entreprises étrangères implantées sur notre sol, et fait peser sur l'Etat une très lourde responsabilité, y compris pécuniaire, par exemple quand les directives portent sur des questions relatives à la sécurité ou, a fortiori, à la santé.

Le défaut de transposition nous expose aussi à des poursuites en manquement devant la Cour de justice de Luxembourg, qui peuvent désormais déboucher sur de lourdes sanctions financières sous astreinte. A la différence de l'Espagne et de la Grèce, la France n'a heureusement jamais été condamnée financièrement. Toutefois, avec plus de deux cents procédures d'infraction à la législation du marché intérieur en cours, dont onze dans lesquelles la France est menacée d'astreinte, le risque est désormais présent.

Le coût de la non-transposition dans les délais est aussi économique. La transposition est tout particulièrement indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur. Vous le savez, l'harmonisation des législations à laquelle procèdent les directives a pour objet d'éviter une concurrence déloyale entre les entreprises et de profiter pleinement des bénéfices du marché unique.

Dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne », qui vise à faire de l'Europe la zone la plus compétitive du monde d'ici à 2010, l'Union européenne a adopté plus de soixante-dix directives. Pour quarante d'entre elles, l'échéance de transposition est passée et la France n'en a malheureusement transposé à ce jour que dix-neuf. Cela est lourd de conséquences, quand on sait que la bonne transposition détermine, dans une certaine mesure, la localisation des investissements des entreprises en France et, plus généralement, en Europe.

Mais c'est sur le plan politique que le coût de la non-transposition est le plus élevé. Comment, en effet, être crédible face aux dix pays adhérents, dont nous exigeons qu'ils intègrent l'acquis communautaire avant l'élargissement, c'est-à-dire avant mai prochain, si nous sommes nous-mêmes défaillants ? Comment rester une force de proposition dans l'Union européenne - ce que nous sommes - si nous tardons à appliquer les règles que nous avons nous-mêmes contribué à définir ?

De manière générale, j'ai pu constater dans mes fréquents déplacements chez nos partenaires de l'Union élargie et dans mes contacts réguliers avec la Commission européenne que l'attitude de la France pouvait parfois laisser à penser que nous ne sommes plus attachés aujourd'hui autant qu'hier à notre rôle de moteur de la construction européenne, ou même que nous refusons ce qui fait le caractère unique de la construction européenne, à savoir la primauté du droit communautaire. Nous avons pourtant défendu fermement ce principe tout récemment encore, lors des travaux de la Convention sur le projet de Constitution européenne.

Les causes de ces retards de transposition sont bien connues. Elles ont notamment été bien identifiées dans l'excellent rapport de Guy Geoffroy et dans un rapport annuel remarquable fait par Christian Philip pour la délégation à l'Union européenne.

Les difficultés résident d'abord dans les pesanteurs administratives, que soulignait encore récemment le Premier ministre dans sa communication en conseil des ministres du 31 décembre dernier. En effet, la transposition de 60 % des directives n'exigent que des dispositions réglementaires - et non législatives. Pour les autres, les directives législatives, c'est également dans les administrations que les projets de loi sont élaborés et peuvent y prendre un premier retard avant d'être soumis aux assemblées.

Face à ces carences, le Gouvernement a décidé d'agir fermement en mettant en place un plan d'action destiné à accélérer le rythme de la transposition. Il prévoit, entre autres : des bilans réguliers tous les six mois en conseil des ministres de l'état des transpositions ; la désignation dans chaque cabinet ministériel d'un correspondant « transposition » pour surveiller le travail des services ; la diffusion systématique des fiches d'impact aux assemblées parlementaires ; la responsabilisation des administrations par une large diffusion du tableau des retards par ministère chef de file, dans la presse comme sur le site Internet du ministère délégué aux affaires européennes - ce tableau comprend désormais également les décisions-cadres, celles qui relèvent du « troisième pilier », suite à une demande justifiée formulée par Christian Philip au nom de la délégation pour l'Union européenne.

Ces efforts se poursuivent. Je ne reprendrai pas le remarquable rapport de M. Geoffroy, mais je tiens à signaler que la France a notifié à la Commission depuis le 1er janvier la transposition de douze directives nouvelles de nature réglementaire. La pression exercée sur les administrations s'intensifie. Mais il faut sans doute revoir l'organisation administrative de certains ministères et l'aligner sur le modèle des ministères les plus performants, comme celui de l'agriculture.

Dans cet esprit, j'ai proposé à mon collègue Alain Lambert, à l'occasion de la réflexion globale sur la prise en compte des questions européennes dans la loi organique relative aux lois de finances, d'intégrer les retards de transposition des directives de nature réglementaire aux indicateurs de performance qui seront définis d'ici le mois de septembre. Le respect de l'Etat de droit, qu'il soit français ou communautaire, doit en effet devenir un paramètre essentiel de la bonne administration, par opposition à la « mal-administration ».

Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés s'expliquent également, il faut l'avouer, par la charge de travail des assemblées. Sous cette législature, neuf lois transposant des directives européennes ont certes été adoptées, mais douze autres projets de loi destinés à transposer plus de trente directives sont en cours d'examen ou en instance. Le Gouvernement avait adopté l'été dernier deux projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire, mais ceux-ci n'ont pu encore être examinés en raison de la charge de travail de votre assemblée. C'est pourquoi, à quelques semaines du rendez-vous historique de l'élargissement, le recours par le Gouvernement à une loi d'habilitation nous est apparu particulièrement opportun.

Quelle est, ensuite, la teneur de ce projet de loi ?

Le recours à l'article 38 de la Constitution, qui permet de légiférer par voie d'ordonnances sur une habilitation parlementaire, est bien encadré non seulement par les dispositions précises de cet article, mais aussi par la jurisprudence, non moins précise, du Conseil constitutionnel. Permettez-moi de souligner cependant que le Gouvernement ne s'est engagé dans cette voie qu'avec un souci de concertation étroite et de transparence totale avec vos assemblées.

En ce qui concerne la méthode, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat ont été consultés à l'automne 2003 par le Premier ministre, non seulement sur le principe même du recours aux ordonnances, mais également sur la liste des directives pouvant être englobées dans l'habilitation. Toutes celles qui soulevaient des réserves de la part de l'Assemblée nationale ou du Sénat ont été retirées du projet de loi d'habilitation, soit douze textes au total, dont le « paquet télécoms », que l'Assemblée nationale a commencé d'examiner en février. Votre rapporteur et tous les intervenants qui en ont fait la demande ont eu accès - innovation sans précédent - à l'ensemble des projets d'ordonnances, qu'ils soient définitifs ou à l'état d'ébauche, afin d'apprécier au mieux et le plus précisément possible les intentions du Gouvernement. Je suis, bien sûr, à votre disposition pour vous apporter tous les éclaircissements supplémentaires qui vous apparaîtraient nécessaires.

Après la méthode, venons-en maintenant aux dispositions elles-mêmes du projet de loi. Les directives choisies, qui sont relatives au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement, ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, sont en nombre relativement limité. Elles n'ont aucune perspective d'adoption par un autre véhicule législatif à court terme. Leur échéance de transposition est dépassée ou, pour un nombre limité d'entre elles, expire dans l'année.

Les directives portent soit sur des dispositions de nature étroitement technique, soit sur des domaines plus importants, mais pour lesquels les retards ne sauraient en aucun cas être tolérés, ce qui est le cas pour les textes concernant la sécurité maritime.

La France, vous le savez, a été à la pointe des négociations et des décisions communautaires intervenues après les catastrophes de L'Erika et du Prestige, qui ont souillé notre littoral et causé d'immenses dommages écologiques, économiques, sociaux et humains. Le projet de loi d'habilitation prévoit la transposition de quatre directives importantes relatives à la sécurité maritime. Toutes ces directives sont en retard de transposition depuis longtemps. Citons, par exemple, la directive relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi du trafic des navires, adoptée suite au naufrage de L'Erika, pour laquelle la Commission s'est résolue à engager, le 26 février dernier, une procédure d'infraction contre douze Etats membres, dont la France. L'Europe ne pourra lutter efficacement contre les délinquants de la mer que si chaque Etat - et la France tout particulièrement - adopte sans tarder les dispositions prévues au niveau communautaire. Nous serions bien coupables si un nouveau drame intervenait, faute d'avoir pris à temps les mesures adéquates.

En ayant recours, selon ces modalités, aux ordonnances, le Gouvernement n'entend en rien imputer au Parlement une responsabilité qui lui incombe dans les retards de transposition qui se sont accumulés depuis plus de dix ans. Il a souhaité, au contraire, mettre l'accent sur l'indispensable coopération qui doit exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour permettre à la France de respecter, dans les meilleurs délais, ses engagements européens. C'est dans ce même esprit que votre assemblée a accepté d'examiner ce projet de loi dans des délais aussi brefs. Je tiens à en remercier tout particulièrement le président Jean-Louis Debré, ainsi que votre rapporteur, M.  Guy Geoffroy, et le président de la commission des lois, M. Pascal Clément.

La mise en place d'un dispositif pérenne qui permette de ne plus accumuler de nouveaux retards est maintenant évoquée par les deux assemblées : cela a été le cas au Sénat, et je sais que M. le rapporteur a également abordé cette question. Permettez-moi de souligner, à ce stade, que le recours à la loi d'habilitation pour transposer des directives communautaires ne peut être, par définition, qu'une solution exceptionnelle aux effets ponctuels. Si nous n'engageons pas une réflexion plus profonde sur l'insertion de la norme européenne dans la législation française, les retards s'accumuleront à nouveau inexorablement et la France pourrait peut-être se retrouver, d'ici à deux ou trois ans, confrontée à une situation similaire à celle que nous vivons aujourd'hui.

C'est pourquoi le Gouvernement plaide, depuis un an, en faveur de la mise en place d'un rendez-vous régulier devant le Parlement, reprenant en cela l'esprit d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Sénat en 2001. Les discussions avec les deux assemblées ont été engagées par le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, en liaison avec moi, à la demande du Premier ministre. Je suis convaincue qu'elles pourront aboutir très vite, car il en va de notre engagement d'être moteur de l'Europe et de continuer à la bâtir. Je me félicite déjà qu'un plus grand nombre de projets de loi transposant des directives européennes ait pu être examiné par le Parlement dans les dernières semaines, et que d'autres soient programmés dès le printemps prochain. C'est un signal fort adressé à nos partenaires, à nos futurs partenaires mais aussi aux institutions européennes.

Au-delà de cette mesure, il nous faut sans doute méditer l'exemple de certains Etats voisins, notamment des pays nordiques, qui sont les plus efficaces dans la transposition des directives, de même que l'Irlande et la Grande-Bretagne. Je salue, à cet égard, le très intéressant travail d'analyse comparée des institutions qui a été engagé tant par M. Guy Geoffroy que par M. Christian Philip.

Prenons le cas du Danemark, qui est en tête de la liste des pays qui transposent à temps les directives dans leur droit national. Ce pays ne compte à ce jour que cinq directives en retard de transposition : cinq directives seulement, contre cent pour ce qui nous concerne ! Et la qualité de la transposition opérée ne saurait être contestée au vu du faible nombre d'infractions communautaires qui le concernent. Comme vous le savez, ce pays associe étroitement les parlementaires en amont de la négociation des directives européennes, si bien qu'en aval la transposition peut être simplifiée et allégée.

La moitié de notre législation nationale est désormais d'inspiration communautaire. Ce pourcentage est d'ailleurs encore plus élevé s'agissant des législations d'ordre économique. Nous pourrions sans doute nous inspirer de ce type d'expérience. L'instauration d'un circuit particulier pour l'adoption de la législation d'origine communautaire est en effet peut-être à considérer. Ainsi, pour certaines directives d'intérêt secondaire, une procédure d'examen simplifiée, s'inspirant de celle déjà en vigueur dans votre assemblée, mériterait à mon avis d'être examinée.

Chacun s'est réjoui de l'heureuse initiative prise par le président Debré d'instituer des séances mensuelles de questions au Gouvernement consacrées à la thématique européenne. Ces séances illustrent la volonté de votre assemblée de s'ouvrir encore davantage aux grands enjeux de la construction communautaire.

Les questions européennes sont devenues omniprésentes dans notre vie quotidienne et touchent désormais de plus en plus directement nos concitoyens. Aussi, c'est un véritable rééquilibrage du travail législatif qui, me semble-t-il, devrait être opéré autour de cinq priorités.

Premièrement, il faut reconnaître la place primordiale prise par la législation européenne, fruit de notre souveraineté partagée, dans notre législation nationale, non plus seulement dans le secteur économique mais aussi dans des domaines très importants comme celui de la justice, de l'immigration ou de la ville.

Deuxièmement, il convient de faire en sorte que la représentation nationale oriente davantage la position française lors de la négociation des actes communautaires, en utilisant plus largement la procédure de l'article 88-4 de la Constitution.

Troisièmement, il faut aussi développer les échanges, voire les liens de travail entre les assemblées et les représentants de la France au Parlement européen, à l'instar de ce qui se fait chez nos partenaires européens.

Quatrièmement, il importe d'économiser le temps parlementaire consacré à la transposition des directives de portée limitée ou exclusivement techniques.

Cinquièmement, il faut mettre, de façon générale, autant l'accent sur l'application du droit communautaire que sur sa négociation dans les instances communautaires.

Mesdames, messieurs les députés, la volonté politique ne saurait s'exprimer durablement dans la négociation européenne, si elle ne se soucie pas avec la même vigueur de la mise en œuvre du droit, fruit de cette négociation. Il nous faut faire preuve de détermination pour préparer l'avenir, comme pour effacer les retards du passé. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à transposer des directives souvent anciennes, puisque la plupart d'entre elles ont été adoptées en 2000, et certaines dès 1993. Grâce à ce projet, vous pouvez mettre un terme à douze procédures d'infraction déjà engagées contre la France et apporter une meilleure sécurité juridique à tous nos concitoyens.

Voilà pourquoi le Gouvernement vous demande de l'habiliter à transposer, par ordonnances, certaines directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions des règlements communautaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, se retrouver en séance publique pour adopter un projet de loi qui autorise le Gouvernement à légiférer à notre place par ordonnances n'est pas en soi une faveur que nous revendiquons fréquemment. C'est dire que ce débat n'est pas un moment de joie particulier pour les parlementaires. Mais ce propos liminaire, que personne ici, et certainement pas le Gouvernement, ne contestera, mérite en l'occurrence d'être tempéré par les circonstances particulières qui nous réunissent.

Si je reprenais une formule propre au métier qui fut le mien, je serais tenté de porter sur le Gouvernement l'appréciation suivante : « A cessé d'être un mauvais élève ; est plutôt en progrès, mais peut et doit certainement mieux faire ».

M. le président. Et quelle note donnez-vous ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je le dirai à la fin de mon intervention, monsieur le président.

M. Pierre-Louis Fagniez. Plus que la moyenne !

M. Pierre Lequiller, président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Six sur dix !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Peut-être six sur dix, effectivement.

Comme vous l'avez dit, madame la ministre, il s'agit, au travers de ce projet de loi, de faire en sorte que le retard que nous avons accumulé soit légèrement grignoté. En disant cela, je fais apparaître la difficulté qui est la nôtre et qui est récurrente, à savoir que nous n'avons jamais réussi à être dans le peloton de tête des nations européennes qui sont, à cet égard, les plus vertueuses. Vous avez évoqué le Danemark, la Grande-Bretagne, l'Irlande - bien que le comportement de ce pays soit un peu plus d'ordre conjoncturel - et l'Italie qui connaît des hauts et des bas. Nous sommes soit le dernier, soit l'avant-dernier des pays de l'Union européenne. Ce constat, qui n'est déjà pas satisfaisant dans le cadre de l'Union à Quinze, le sera encore moins demain - dans moins de deux mois maintenant - dans une Europe à vingt-cinq.

C'est pourquoi l'essentiel de mon propos ne portera pas sur le contenu même des directives dans la mesure où il est extrêmement technique. Nos collègues sénateurs, qui avaient le choix de confier l'examen de ce texte, non à la commission des lois, mais aux commissions techniques, ont eu tout le loisir d'en analyser le contenu - je me suis efforcé de faire de même dans mon rapport écrit - et de faire apparaître l'importance qu'il revêtait pour notre pays, ce que vous avez notamment souligné, madame la ministre, en ce qui concerne les affaires maritimes.

Cette importance tient à l'image, à l'efficacité, à la sécurité. Quand je parle d'image, il ne s'agit pas du plaisir de paraître, mais du rôle de la France et de son rang. Un pays comme le nôtre, qui a toujours été et qui doit rester au premier rang des grandes nations de l'Europe qui tirent l'attelage européen vers des destinées prestigieuses, n'a pas le droit de souffrir d'une image dégradée quant à la capacité qu'il aurait, et qu'en l'occurrence il n'a pas tout à fait, de transposer les décisions européennes à l'initiative et à l'élaboration desquelles il est pour beaucoup. Notre pays se doit d'être absolument vertueux en la matière. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que, pour le moment, il ne l'est pas tout à fait.

En matière de sécurité juridique, notre pays ne doit pas courir le risque de se retrouver sous la contrainte d'un certain nombre de procédures qui ont déjà été engagées ou qui sont susceptibles de l'être. Il se doit de protéger les particuliers et les entreprises, qui ont tout à fait le droit de disposer de la sécurité juridique pour leurs actes de la vie courante, de la vie professionnelle, pour qu'ils puissent être assurés que le droit qui leur est appliqué est le même que celui qui s'applique à l'ensemble des concitoyens de l'Union européenne.

Bref, il n'est pas nécessaire d'insister plus lourdement sur la nécessité de trouver les voies et moyens pour que, dorénavant, nous ne soyons plus obligés, vous comme nous, d'en passer par un projet d'habilitation.

S'agissant des directives que nous vous permettrions de transposer par ordonnances, contentons-nous de rappeler ce que vous avez fait et que nous devons saluer : rompant avec la démarche qui avait abouti à la loi du 3 janvier 2001, le Gouvernement a souhaité prendre des dispositions pour que, très en amont, les assemblées du Parlement soient informées et puissent porter un jugement à la fois sur la portée, c'est-à-dire le nombre, et sur la nature des directives appelées à être transposées par voie d'ordonnances. Je rappelle deux chiffres : en 2001, quarante-six directives ont été transposées de cette façon ; cette fois-ci, il n'y en aura que vingt-deux, exactement vingt-trois, puisque que le Sénat a souhaité en ajouter une à la liste - votre rapporteur vous proposera de l'accepter, et ce après que le président de notre commission des affaires économiques eut, à votre demande, madame la ministre, donné lui-même son accord. Les proportions sont donc nettement moindres et, pour ce qui est de la qualité des relations entre le Gouvernement et le Parlement, nous sommes dans la moins mauvaise des configurations possibles, dans la meilleure si l'on veut être plus optimiste, puisque tout a été fait pour que le Parlement ne soit pas trop dépouillé de l'ensemble de ses prérogatives, même s'il l'est déjà un peu.

Tout cela doit nous conduire à vous autoriser à recourir à une transposition par voie d'ordonnances dans la mesure où elle permettra à l'Etat français de combler partiellement le retard accumulé et de cesser de l'accumuler. Sa position devrait en être légèrement améliorée.

Au-delà, il ne faut pas manquer l'occasion qui se présente à nous pour proposer des solutions pour l'avenir.

La première consiste à inviter le Gouvernement en général, et vous en particulier, madame la ministre, à définir en relation avec nous les voies et moyens qui permettront à la France de rejoindre le peloton de tête des nations européennes vertueuses en matière de transposition. Pour ce faire, il faudra que les efforts que vous avez engagés soient poursuivis et relayés par vos collègues afin que la transposition des dispositions relevant du domaine réglementaire, qui représentent environ 60 % des textes, soit effectuée régulièrement et de manière transversale. Il est en effet nécessaire que les décisions qui relèvent du Gouvernement ne prennent pas non plus le retard que nous constatons. Notre collègue Christian Philip, déjà auteur d'un rapport remarquable, abordera sûrement la question dans celui qu'il doit remettre. Si le rapporteur de la commission des lois que je suis se permet de le dire, ce n'est pas pour s'immiscer dans l'action de l'exécutif, mais pour utiliser la prérogative du Parlement qui consiste à examiner et contrôler l'activité du Gouvernement, surtout en ce qui concerne les décisions européennes qui s'appliquent à nos concitoyens et où la transparence doit prévaloir.

Le Parlement, pour sa part, doit choisir de tourner définitivement la page. Il ne doit pas se résigner à ce que le Gouvernement continue de préparer des projets de loi, de les déposer sur le bureau des deux assemblées et ne parvienne pas à les inscrire à l'ordre du jour. Pour y remédier, il faut mettre en place un dispositif régulier et faire en sorte, comme certains l'ont suggéré, de consacrer une séance par mois à la transposition des directives européennes. Notre rendez-vous d'aujourd'hui préfigure peut-être ce qu'il serait possible de faire. Mais siéger une fois par mois le vendredi matin ou le vendredi après-midi nous ferait courir le risque de ne pas être très nombreux à assister à cette séance. Et j'en profite pour saluer au passage ceux de nos collègues qui ont fait l'effort d'être ici aujourd'hui. L'Europe et la place de la France en Europe méritent mieux que des séances où nous ne serions que quelques-uns à faire le strict minimum, à la sauvette. Il faut aller plus loin. D'autres idées ont été émises par nos collègues sénateurs. Nous pourrions y réfléchir. Pourquoi ne pas remplacer une fois par mois une séance de questions orales par une séance de transposition ? De même, les réunions de notre délégation pour l'Union européenne, qui ont lieu désormais le mercredi matin, ne pourraient-elles pas être remplacées une fois par mois par une séance de transposition ? On s'assurait ainsi au moins de la présence de ses membres les plus impliqués.

M. le président. Monsieur Geoffroy, je voudrais seulement vous rappeler que, aux termes mêmes de la Constitution, l'ordre du jour est fixé par le Gouvernement. C'est donc à lui qu'il faut adresser votre demande.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Bien sûr, monsieur le président. Et je permettrai, au risque d'être audacieux et contesté, de suggérer que quelques modifications soient apportées à notre règlement, voire - je franchis le pas - à la Constitution,...

M. Christophe Caresche. Il faut faire moins de lois !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. ...afin que notre assemblée puisse assumer, de manière moins chaotique, plus régulière, plus respectueuse de la place de la France en Europe, les prérogatives qui sont les siennes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission des lois, après un débat fructueux, a approuvé le projet de loi en l'état, et son rapporteur propose à l'Assemblée d'en faire autant. Elle vous demande, madame la ministre, de tout faire pour que ce soit la dernière fois que nous parlions de ce sujet de cette manière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour dire qu'il nous faut corriger l'image de notre pays en matière de transposition des directives. La France passe pour un mauvais élève et, en tant que membre fondateur de l'Union, elle se doit de corriger cette image.

Le dernier « tableau d'affichage du marché intérieur », document publié chaque semaine par la Commission européenne, indique que notre pays est celui ayant le déficit de transposition le plus important : 3,5 %. Ce ratio, que la Belgique et l'Allemagne, Etats fondateurs eux aussi, ont le triste privilège de partager avec nous, signifie qu'au 30 novembre 2003, cinquante-quatre directives relatives au marché intérieur n'avaient pas été transposées dans les délais prévus, dont sept accusaient un délai de plus de deux ans. Et encore, cette statistique n'est que partielle, puisque limitée au marché intérieur.

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permettra, certes, de réduire rapidement le stock de directives à transposer d'une vingtaine d'unités. Evidemment, en théorie, on ne peut qu'être réservé à l'égard de la procédure des ordonnances. Mais il fallait être réaliste et trouver une solution au problème : le Gouvernement en a heureusement proposé une. Le Premier ministre a d'ailleurs modifié la procédure - M. le rapporteur l'a dit excellemment -, puisqu'il a sollicité au préalable l'avis des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la liste indicative des textes communautaires visés par le projet de loi. Saisi par le président de notre assemblée, j'ai ainsi réuni le bureau de la Délégation le 2 décembre 2003, lequel a approuvé à une large majorité le principe du recours aux ordonnances, tout en soulignant que les directives relatives au « paquet télécoms » relevaient d'un secteur sensible.

Grâce à l'initiative du Gouvernement qui a été complétée par la transmission au rapporteur des commissions saisies au fond ou pour avis de la plupart des projets d'ordonnance, l'intervention du Parlement dans la procédure d'habilitation a pu être sensiblement étendue par rapport aux précédents recours à l'article 38 de la Constitution.

Grâce à cette initiative également, le projet de loi qui nous est soumis ne concerne que des dispositions à caractère technique dont la transposition ne pouvait être retardée en raison de l'encombrement du calendrier parlementaire.

Quelles réformes envisager pour l'avenir ?

Les principaux dysfonctionnements à l'origine de ces difficultés sont identifiés depuis longtemps, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur. Dès 1989, la section du rapport et des études du Conseil d'Etat avait analysé ces problèmes. De juin à octobre 2001, un groupe de travail a examiné les améliorations susceptibles d'être apportées aux procédures de transposition. Les délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat ont consacré plusieurs rapports d'information à cette question, et je voudrais saluer à mon tour, après Mme la ministre et M. le rapporteur, l'excellent travail accompli par Christian Philip.

Dans le droit-fil de ces analyses, plusieurs réformes ont déjà été adoptées. La circulaire du 9 novembre 1998, qui constitue le texte de référence de l'administration en matière de transposition, a été ainsi complétée en 2002 par diverses mesures visant à renforcer l'information transmise aux assemblées. Et surtout, le présent Gouvernement a annoncé en novembre 2002 un plan d'urgence.

Les réformes s'accumulent mais, au bout du compte, les indicateurs communautaires n'enregistrent pas de progrès sensibles de notre pays. A l'occasion de l'examen du présent projet de loi devant le Sénat, de nouvelles pistes de réforme ont été suggérées par vous-même, madame la ministre, ou par les rapporteurs des commissions permanentes. Deux de ces propositions concernent spécifiquement les transpositions nécessitant l'intervention du législateur.

La première viserait à fixer un rendez-vous mensuel, et supposerait donc de trouver un accord sur l'aménagement du calendrier parlementaire.

La seconde consisterait en un usage plus systématique de la procédure d'examen simplifié, surtout utilisée jusqu'à présent pour l'adoption de conventions internationales. J'attends avec intérêt le rapport que j'ai confié à Christian Philip pour étudier très précisément les procédures de ce type en vigueur dans les autres pays.

Une autre réforme, suggérée par Mme la ministre, me paraît beaucoup plus prometteuse. Vous avez proposé, madame la ministre, à votre collègue Alain Lambert d'intégrer les retards de transposition imputables aux ministères parmi les indicateurs de performance prévus par la loi organique relative aux lois de finances. Cette mesure aurait un impact et présenterait deux avantages certains : d'abord, souligner que la transposition des directives ressort en premier lieu du pouvoir réglementaire ; ensuite, mettre l'accent sur l'importance de l'impulsion politique dans ce domaine.

La Commission européenne n'a de cesse d'insister sur la nécessité d'un engagement au plus haut niveau politique. Les résultats obtenus dans les mois suivant l'annonce du plan d'urgence gouvernemental confirment la pertinence de cette approche : quatre mois après la présentation de ce plan en conseil des ministres, le stock des directives en retard de transposition avait ainsi été divisé par deux.

L'exemple irlandais est également très significatif. Ce pays a réduit son déficit de transposition de plus de moitié à l'approche de sa présidence de l'Union, essentiellement grâce à une plus grande détermination du chef du Gouvernement, désireux d'aborder cette échéance dans de bonnes conditions.

D'autres solutions, qui seront à étudier à la lumière du rapport de Christian Philip, permettront des améliorations.

Pour autant, aucun résultat véritablement satisfaisant ne pourra être obtenu tant que nous n'aurons pas tous perçu l'impérieuse exigence d'adapter nos structures institutionnelles à l'omniprésence du droit communautaire. Celui-ci est aujourd'hui à l'origine de la majeure partie des règles juridiques. Vous avez coutume de dire, monsieur le président, que 60 % à 80 % de la législation qui nous régit est d'origine communautaire. L'importance du droit communautaire dans le domaine agricole constitue une évidence - on ne doit pas l'oublier. Depuis quelques années, il occupe également une part croissante des dispositions juridiques touchant aux migrations ou à la criminalité.

Cependant, nos ministères ne paraissent pas avoir adapté leur organisation à une telle évolution. C'est pourquoi je salue les initiatives que, sous votre impulsion, madame la ministre, le Gouvernement a prises, notamment la désignation d'un responsable du suivi des transpositions dans chaque cabinet ministériel.

On demeure néanmoins encore très éloigné du système britannique dans lequel chaque ministère dispose d'une section européenne. Ce n'est donc pas un hasard si le Royaume-Uni, qui n'est pas réputé pour son enthousiasme européen, figure parmi les Etats ayant un faible déficit de transposition des directives.

Ce n'est pas un hasard non plus si le ministère français de l'agriculture - je souhaiterais souligner sa performance - est parvenu à diviser par cinq son stock de directives en retard entre octobre 2002 et octobre 2003. Cette période a coïncidé avec une réorganisation du ministère. Dans chaque direction, il existe désormais un interlocuteur identifié, chargé de veiller au suivi des transpositions, depuis la publication d'une proposition de directive jusqu'à la publication des textes d'exécution nationale au Journal officiel. Un responsable a également été désigné au sein du service juridique pour centraliser les informations ainsi recueillies et, le cas échéant, appeler l'attention du cabinet du ministre sur les blocages constatés.

Je souhaiterais à l'occasion de l'examen de ce texte vous remercier, monsieur le président de l'Assemblée nationale, des initiatives que vous avez prises pour placer l'Europe au centre de nos débats. Je rappellerai le caractère dérogatoire du débat que nous avons eu sur la Convention européenne, en présence du président Giscard d'Estaing, devant la commission des affaires étrangères et la Délégation à l'Union européenne réunies, ainsi que dans l'hémicycle. Je voudrais également saluer le retentissement des rencontres franco-allemandes de Versailles ou évoquer - à la suite de madame la ministre - les questions au Gouvernement portant sur l'Europe - au reste, je constate que les questions relatives à l'Europe deviennent de plus en plus nombreuses au cours de nos débats. Je note également que le Bundestag souhaite s'inspirer de la réforme que vous avez mise en place.

Je mentionnerai encore la présence des dix présidents des assemblées des dix nouveaux pays membres le jour où nous avons étudié la procédure d'élargissement, ou l'initiative que vous avez prise de solenniser la commémoration du centenaire de l'Entente cordiale, à un moment où la Grande-Bretagne se rapproche de l'Allemagne et de la France.

Je vous remercie enfin d'avoir permis à la Délégation pour l'Union européenne de disposer d'un fonctionnaire à Bruxelles, ce qui nous permet évidemment de travailler plus efficacement.

Je me réjouis aussi du travail effectué en collaboration avec les commissions permanentes, notamment la commission des lois - je salue son président - avec laquelle nous avons étudié la réforme du mode de scrutin. Nous avons eu avec l'ensemble des commissions des réunions communes qui ont permis de mieux partager et développer le sujet européen au sein de l'Assemblée nationale.

Madame la ministre, vous avez évoqué le problème des contacts avec les députés européens. Ayant ouvert la Délégation pour l'Union européenne aux parlementaires européens, je constate avec joie que ces derniers participent à nos débats. Ainsi, lors de l'audition de Claudie Haigneré, quatre parlementaires européens étaient présents et ont été invités à participer au débat.

Des pistes doivent être étudiées afin d'améliorer la transposition des directives. Je souhaite que la France trouve rapidement les moyens de résoudre les problèmes qu'elle rencontre en la matière : il y va de sa crédibilité politique au sein de la future Union à vingt-cinq et, bientôt, à vingt-sept.

La Délégation a émis un avis favorable sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous aurions pu utiliser la procédure simplifiée pour discuter de ce projet de loi. Il aurait fallu pour cela me le demander en conférence des présidents. La conséquence en aurait été que l'orateur de chacun des quatre groupes n'aurait disposé que de cinq minutes de temps de parole et non de dix minutes.

M. Pascal Clément, président de la commission. Est-ce une recommandation, monsieur le président ?

M. le président. C'est une remarque, monsieur le président.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christophe Caresche, pour dix minutes.

M. Christophe Caresche. Je vous remercie, monsieur le président, de veiller à nos intérêts.

Pour commencer mon intervention, je reprendrai les propos qui ont été tenus, en commun, par Mme la ministre, M. le rapporteur de la commission des lois et M. le président de la Délégation pour l'Union européenne, puisque la majorité et l'opposition partagent la même insatisfaction sur la façon dont les choses se passent.

Cette insatisfaction n'est pas nouvelle. Je ne ferai pas ici le procès à ce gouvernement des retards pris en matière de transposition.

M. Pierre Lequiller. président de la Délégation. L'actuel gouvernement fait mieux !

M. Christophe Caresche. L'opposition d'hier se lamentait que le gouvernement de l'époque lui propose de légiférer par voie d'ordonnances. L'opposition d'aujourd'hui se lamente pareillement. C'est là, assurément, un élément de continuité !

Il est vrai que les retards pris par la France en matière de transposition nuisent gravement à son image internationale et au rôle qu'elle revendique et essaie de tenir sur le plan européen.

Notre insatisfaction tient également à la méthode parlementaire. Je n'y reviens pas : le recours aux ordonnances n'est jamais satisfaisant pour un parlementaire puisqu'il vise à le dessaisir de sa mission principale : faire la loi.

Je trouve inquiétant qu'en dépit des rapports remis sur le sujet et de l'identification des dysfonctionnements, les difficultés demeurent. Il appartient au Gouvernement, qui a l'initiative, de prendre les moyens nécessaires pour permettre à la France de reprendre dans ce domaine une place honorable.

Parmi vos diverses propositions, madame la ministre, il en est qui concernent directement le travail gouvernemental et le travail de l'administration. Vous avez évoqué les pesanteurs administratives. Elles ne doivent pas faire oublier le primat de la volonté politique. Si la volonté politique existe, les pesanteurs administratives doivent s'effacer. Vous avez pris des dispositions intéressantes et positives, notamment celle du tableau de bord - si j'ai bien compris. Vous faites également des communications régulières au conseil des ministres.

Plus intéressant encore, madame la ministre : la proposition que vous avez faite au ministre délégué au budget d'intégrer la rapidité de transposition dans les critères de performance. Je me permettrai de vous rappeler que si tel était le cas, le premier ministère à être sanctionné par la disposition que vous proposez serait celui de l'économie et des finances. Je ne sais pas si le ministre délégué au budget vous entendra, mais il lui faudra beaucoup d'abnégation pour accepter votre demande.

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Tout à fait.

M. Christophe Caresche. En effet, il apparaît clairement, dans l'excellent rapport de M. Geoffroy, que, sur 108 directives non transposées, trente-cinq relèvent du seul ministère de l'économie et des finances. Il faut le reconnaître : le ministère qui, de très loin, fait preuve de la plus grande inertie dans l'effort de transposition, c'est le ministère de l'économie et des finances, ministère qui, cependant, a une certaine propension à donner des leçons aux autres ministères, voire aux collectivités locales. Une telle inertie doit être dénoncée. Vient en deuxième position, et relativement loin derrière, le ministère de l'écologie et du développement durable, avec un retard de treize directives. Certes, un moins grand nombre de directives concerne peut-être ce dernier ministère, néanmoins, le retard du ministère de l'économie reste considérable.

Je ne suis pas certain que, compte tenu de la situation, le ministre délégué au budget acceptera votre proposition. L'adoption de celle-ci serait pourtant une bonne chose.

Sur le plan législatif, vous avez évoqué, madame la ministre, la charge de travail. Or c'est bien le Gouvernement qui fixe l'ordre du jour de l'Assemblée. Ce ne sont pas les quelques niches parlementaires qui surchargent de façon excessive son travail. Il revient au Gouvernement de prendre les dispositions nécessaires permettant à l'Assemblée d'examiner les directives. J'approuve tout à fait le président de notre assemblée lorsqu'il rappelle que c'est le Gouvernement qui décide de l'ordre du jour de l'Assemblée. La difficulté relève, là aussi, de la volonté politique.

Il est vrai que les gouvernements, celui-ci comme les précédents, ont une fâcheuse tendance à surcharger le travail parlementaire et à inscrire quantité de projets de loi comme si n'existait pas d'autre forme de travail parlementaire, notamment celui qui concerne les transpositions des directives européennes, qui devrait être également privilégié.

Vos propositions, madame la ministre, sont sans aucun doute intéressantes et vont dans le bon sens. Pour autant, je vous ferai part de mon scepticisme. Nous verrons dans les mois qui viennent si vous parvenez à inscrire ces propositions dans la pratique, mais je reste dubitatif.

Les parlementaires ont eux aussi, évidemment, leurs responsabilités à prendre. En ce sens, le travail qui est accompli par la Délégation pour l'Union européenne est tout à fait positif. Chacun ici a pris conscience du caractère prioritaire de l'enjeu.

J'avancerai une proposition sur laquelle nous pourrons peut-être parvenir à un consensus : adoptons une résolution sur la question. Ainsi, nous pourrons exercer une pression sur le Gouvernement et vous aider, madame la ministre, à être entendue par vos collègues. Cette idée est peut-être partagée par la Délégation. En tout cas, il serait temps que l'Assemblée nationale formalise sa position en la matière à travers une résolution, qui - je n'en doute pas - serait adoptée par l'ensemble des groupes de notre assemblée.

Enfin, il est regrettable que seule la commission des lois ait été saisie de projet de loi. Au Sénat d'autres commissions ont été saisies du projet :...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Quatre, en effet !

M. Christophe Caresche. ...la commission des affaires économiques, la commission des finances, la commission des affaires sociales, la commission des affaires culturelles. Il aurait été de bonne méthode que d'autres commissions de notre assemblée soient saisies pour avis. A l'avenir, il faudra y veiller.

Je répète que la méthode consistant à légiférer par ordonnance doit être extrêmement encadrée et ne saurait être considérée comme le substitut à une carence de fonctionnement. Les ordonnances n'ont pas été prévues pour cela. Pour un parlementaire, le fait de se trouver dessaisi de sa mission principale n'est pas une bonne chose. Certes, le Parlement n'a pas la place qu'il devrait avoir, mais nous aimerions tout de même avoir le sentiment d'être utiles, madame la ministre ! (Sourires.)

J'en viens maintenant au contenu du texte. Je n'aborderai que quelques domaines et indiquerai brièvement nos désaccords éventuels.

Je souhaite formuler une observation préliminaire quant à la nature des directives : la plupart des mesures que le Gouvernement nous présente comme purement techniques touchent en réalité à des sujets très importants.

M. Frédéric Dutoit. C'est vrai !

M. Christophe Caresche. Plusieurs des habilitations demandées ici concernent les transports.

Pour ce qui est de la sécurité maritime, nous ne pouvons que nous féliciter du renforcement des exigences de contrôle des navires par « l'Etat du port » et de la transposition de la directive de 2002 sur le suivi des navires. Toutefois, il ne suffit pas de parler de sécurité maritime, il faut aussi des actes et des moyens budgétaires. Le renforcement des contrôles, pour être effectif, doit s'accompagner de moyens suffisants, notamment en personnel.

Si la France a réussi à atteindre les 25 %, requis par les textes communautaires pour le contrôle des navires entrés dans ses ports, l'augmentation des effectifs d'inspecteurs est très faible au regard de l'accroissement du trafic. On en déduira aisément que de réelles inspections des navires n'ont pu avoir lieu. Pour parvenir à une vraie sécurité maritime, de simples contrôles documentaires ne suffisent pas. Nous serons donc vigilants sur les moyens budgétaires alloués.

Ensuite, la directive de 2002 sur le suivi du trafic des navires met en œuvre des mesures permettant d'améliorer la surveillance du trafic dans les eaux européennes. Il s'agit notamment d'équiper les navires de transpondeurs permettant la transmission automatique et continue des informations sur l'identité du navire, sa position et la route suivie. Nous attendions cette transposition, car les chauffards des mers sont de plus en plus nombreux, comme l'a tragiquement mis en lumière le naufrage du chalutier Bugaled Breizh.

Reste que ce débat est aussi l'occasion de montrer du doigt les contradictions entre les discours du Gouvernement et ses actes. En transposant ces directives, vous inscrivez certes la France dans un cadre européen de sécurité maritime, mais l'affaire du Prestige a mis en évidence votre absence de volonté quand il s'est agi d'examiner la chaîne de décision associant les trois pays européens concernés et qui a abouti au naufrage du navire.

Il est regrettable que la majorité parlementaire ait refusé d'étendre le champ d'investigation de la commission d'enquête sur la sécurité maritime à la coopération transfrontalière et à la chaîne de décision qui a amené, au bout du compte, l'Etat français à exonérer l'Etat espagnol de toute responsabilité dans ce naufrage et, par conséquent, de toute indemnisation. Il faut relever que cette attitude est directement inspirée par la position de la droite parlementaire européenne, qui a repoussé à deux reprises, les 19 décembre 2002 et 17 janvier 2003, la création d'une commission d'enquête parlementaire indépendante et transparente sur le naufrage du Prestige.

En outre, alors même que vous vous targuez des efforts de la France en matière de sécurité maritime, dont le Président de la République a fait une de ses priorités, vous osez afficher votre volonté de créer un pavillon de complaisance français. Je fais évidemment référence à la proposition de loi qui, contre toute logique de sécurité maritime et contre les dispositions de notre droit du travail, vise à créer un registre international français. Mes collègues du groupe socialiste, notamment les élus bretons, se sont joints à l'ensemble des syndicats pour s'opposer fermement à ce texte de régression sociale et d'insécurité maritime.

On sait bien que la sécurité passe par le recrutement de personnels compétents. Il n'est donc pas acceptable que la volonté de réduire les coûts passe par l'emploi de personnels sans statut et exploités.

Votre gouvernement, qui sans doute ne peut plus assumer aujourd'hui ce texte qui menace l'existence même des marins français, a repoussé son examen après les élections régionales - courant avril, nous a-t-on confirmé. Nous aimerions avoir des explications sur cette contradiction.

En matière de transports, c'est l'habilitation prévue à l'article 6 du texte qui nous inquiète. Celle-ci vise à prendre des mesures d'adaptation du droit relatif à la durée du travail dans le secteur des transports routiers. Nous ne sommes pas les seuls à être inquiets : les transporteurs routiers le sont aussi. Vous n'avez pas trouvé de consensus avec les partenaires sociaux sur ce point. Un débat a même eu lieu au Sénat au sein de votre majorité parlementaire, la commission des affaires économiques ne souhaitant pas qu'une telle disposition soit prise par voie d'ordonnances.

La directive propose d'aligner la durée hebdomadaire maximale du temps de conduite sur les normes européennes, soit 60 heures, alors qu'aujourd'hui cette durée maximale est fixée dans notre pays à 56 heures. Ce sujet étant étroitement lié à la politique de sécurité routière, autre chantier prioritaire du quinquennat, vous devriez, à notre avis, renoncer à demander une habilitation.

Au demeurant, vous avez chargé le député Francis Hillmeyer d'élaborer un rapport où seraient formulées des propositions sur cette question : où en sommes-nous, madame la ministre ?

La transposition de la directive relative à l'interopérabilité du système ferroviaire, en revanche, ne pose pas de problème. C'est même pour nous l'occasion de saluer le travail de notre collègue député européen, Gilles Savary. Toutefois, au lendemain de la proposition de la Commission européenne d'ouvrir le transport ferroviaire de passagers entre les Etats membres de l'Union européenne, nous demandons une nouvelle fois au Gouvernement, comme Odile Saugues l'a déjà fait il y a quelques mois lors de l'examen de la proposition de résolution sur le deuxième « paquet ferroviaire », de résister à cette ouverture.

Dans le domaine environnemental, il est surprenant de voir le Gouvernement se précipiter pour transposer des directives - on ne saurait, pour le coup, lui reprocher sa lenteur ! - alors qu'il soumettra à la représentation nationale, lors de la reprise de nos travaux au mois d'avril, un projet de loi constitutionnelle visant à insérer dans notre Constitution le droit de l'homme à un environnement sain et équilibré. Il aurait semblé logique d'attendre cette réforme avant de bouleverser des parties importantes du droit de l'environnement. Cela aurait également permis d'associer le Parlement à ce travail d'élaboration.

Par ailleurs, la France n'accuse aucun retard pour la transposition de la directive du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre dans l'Union. Pourquoi, dès lors, vouloir la transposer par ordonnance ? Pourquoi une telle précipitation ?

Dans le secteur médical, les différences réelles de formation entre Etats membres font obstacle à une reconnaissance automatique des diplômes des professions médicales et paramédicales. Le système retenu par la directive vise à simplifier et à clarifier le dispositif de reconnaissance mutuelle des diplômes, titres et qualifications dans ce secteur. Il permet de compenser les éventuelles différences de cursus par la prise en compte des expériences professionnelles acquises. Toutefois, le groupe socialiste appelle l'attention sur la nécessité que la réglementation communautaire ne se traduise par aucun laxisme dans les mécanismes d'équivalence des diplômes.

Telles sont les remarques que je tenais à faire sur ce projet de loi, qui touche à des sujets particulièrement importants.

Vous l'aurez compris, madame la ministre, nous sommes vraiment hostiles à la méthode que vous employez, car elle nous contraint à renoncer à notre pouvoir de législateur. Cependant, cette hostilité ne saurait être confondue avec une remise en cause de notre engagement européen. Aussi, nous abstiendrons-nous sur ce texte.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi nous donne d'abord l'occasion de nous interroger : pourquoi apparaît-il tellement nécessaire de transposer - et de transposer dans les délais - les directives européennes ? Une telle interrogation peut prêter à sourire, mais, lorsque l'on considère notre retard récurrent en la matière, il semble bien qu'il s'agisse là d'un préalable indispensable.

Pourquoi, donc, faut-il transposer et respecter les délais ? Vous l'avez rappelé, madame la ministre : il s'agit en premier lieu d'une nécessité juridique, puisque c'est une obligation que la France a contractée en ratifiant les traités communautaires ; c'est en second lieu une nécessité économique, car ces textes nous permettent de mettre en œuvre le marché intérieur que nous souhaitons ; c'est enfin une nécessité politique, condition de notre crédibilité auprès des autres Etats de l'Union européenne et de la crédibilité de notre engagement européen lui-même.

C'est pourquoi je m'étonne que M. Caresche...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. ...qui s'est abstenu de rester !

M. Christian Philip. ...se soit interrogé, directive par directive, sur le bien-fondé de la transposition envisagée. Ou il y a obligation, ou il n'y a pas obligation.

Reprenant la liste des textes concernés, je m'aperçois que la directive sur l'aménagement du temps de travail évoquée par M. Caresche a été adoptée au conseil des ministres du 22 juin 2000, c'est-à-dire sous le gouvernement précédent ! Certes, l'opposition doit faire son travail, mais elle doit faire aussi preuve d'un minimum de cohérence.

Le constat est loin d'être glorieux. Notre pays est souvent en retard, sinon le plus en retard. Il est vrai qu'entre septembre 2002 et avril 2003, nous avons réduit de six le nombre de directives dont la transposition était en retard, alors que d'autres pays accroissaient le leur. Reste que depuis cette date, notre situation s'est dégradée.

Bref, nos résultats demeurent insuffisants, comme la Délégation pour l'Union européenne a pu le constater dans son rapport publié au mois de juin dernier.

Madame la ministre, vous n'aviez d'autre moyen que de nous proposer ce texte permettant de transposer, par ordonnances, des directives communautaires.

Certes, ce n'est pas une première. On a rappelé que la procédure avait déjà été utilisée, avec la loi du 3 janvier 2001. Certes, nous devons reconnaître, et nous vous en remercions, que les deux chambres du Parlement ont été consultées sur le contenu et le nombre des textes à inclure dans ce projet d'habilitation, certains autres devant faire l'objet d'un examen spécifique - c'est le cas du « paquet télécoms ». Reste que cette procédure n'est pas en soi satisfaisante. Par ailleurs, elle ne fait que réduire partiellement le nombre de directives en retard de transposition. On ne va pas se mettre à jour dès ce soir, comme l'a montré très justement Guy Geoffroy dans son rapport, le projet de loi ne concernant que la moitié du « stock » à transposer.

Je remarque que ce retard est à la fois « législatif » et « réglementaire ». Et c'est ce dernier qui est quantitativement le plus important, comme le souligne le rapport de la Délégation pour l'Union européenne : sur 101 directives à transposer, 58 n'exigent que des dispositions réglementaires. Ainsi, sans que ce soit une accusation, la plupart des directives concernées sont du ressort du Gouvernement.

Je saluerai les efforts réalisés depuis 2002 et l'engagement personnel de la ministre en la matière, mais je dirai, comme Guy Geoffroy, que « l'élève peut mieux faire ».

Cela ne dépend pas non plus, madame la ministre, de votre seul ministère. On a cité un bon élève : le ministère de l'agriculture. M. Caresche a cité tout à l'heure les moins bons élèves, parmi lesquels le ministère de l'économie et des finances. Il ne m'appartient pas de prendre la défense de ce dernier, mais je fais remarquer que c'est celui qui est concerné par le plus grand nombre de directives, souvent très techniques, et dont les effets sont les plus importants.

Il n'en reste pas moins qu'il y a une obligation, qui doit être respectée. Cela dit, nous devons impérativement éviter de recourir trop souvent à ces lois d'habilitation. Le parlementarisme, fût-il rationalisé, ne sort pas gagnant d'une telle procédure. D'ici à la fin de la mandature, essayons de ne pas nous retrouver dans la même situation.

Bien des pistes ont été évoquées. Nous pourrions chercher - le Gouvernement aussi - le moyen de ne pas prendre de nouveau trop de retard.

Pierre Lequiller a demandé que, dans le deuxième rapport annuel de la Délégation, soient explorées, à partir d'une analyse des systèmes mis en place dans les autres pays membres de l'Union européenne, un certain nombre de pistes.

M. Caresche, lui, a lancé l'idée, qui me semble bonne, d'une proposition de résolution, que nous pourrions présenter à l'Assemblée.

La Délégation pour l'Union européenne a aussi souhaité que cette question puisse faire l'objet d'une discussion commune au sein de la COSAC, où des représentants des différents parlements nationaux se retrouvent régulièrement.

Je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur les pistes possibles, qui ont été largement évoquées. Mais il me semble que notre réussite passe par deux conditions : la volonté de notre assemblée qui doit, comme vous l'avez fait remarquer, monsieur le président, se préoccuper des questions européennes ; la volonté du Gouvernement qui doit, plus que jamais, donner au ministre chargé des affaires européennes les moyens d'imposer à temps la préparation de projets de loi, d'instaurer des procédures d'alerte en cas de retard et d'inscrire régulièrement à l'ordre du jour les textes d'habilitation.

Je souhaite que ce projet de loi soit le dernier du genre et que puisse émerger de nos débats, de nos rapports d'information et de nos propositions, une réelle discipline qui permette à la France, sinon de devenir un exemple, du moins de ne plus être, monsieur Geoffroy, le plus mauvais élève de la classe.

Dans ces conditions, le groupe UMP, que je représente ici, votera ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la Délégation, mes chers collègues, l'élargissement à vingt-cinq, les élections européennes et la conférence intergouvernementale sont autant d'événements politiques majeurs qui marqueront l'année 2004.

Alors, 2004 sera-t-elle l'année européenne, l'année de l'Europe sociale, démocratique et citoyenne ?

Je crois que la réponse du Gouvernement est cinglante. Il se permet en effet de demander au Parlement de se dessaisir de ses compétences selon une technique qui exprime parfaitement la dévalorisation dont est victime le Parlement sous la Ve République.

Il ne s'agit pas de renier les obligations de la France en tant qu'Etat membre fondateur de l'Union européenne. Mais c'est au nom d'un certain sens des responsabilités que nous rejetons vigoureusement le recours aux ordonnances gouvernementales s'agissant de directives qui, quel qu'en soit l'objet, présentent un intérêt politique, économique et social essentiel pour nos concitoyens.

Le retard de la France dans la transposition des directives concernées ne justifie en rien le réflexe antidémocratique consistant à recourir à la procédure de l'article 38 de la Constitution. Un tel recours, que nous regrettons, a pour conséquence d'occulter le débat public, le Parlement n'étant pas en mesure d'examiner de façon approfondie la teneur des directives en question. Comment peut-on dès lors être surpris du faible engouement des citoyens pour la construction européenne ?

Le groupe communiste n'a jamais accepté la législation par ordonnances. Nous ne pouvons pas admettre la banalisation d'une telle procédure, qui ne respecte pas les droits de la représentation nationale et prive le Parlement de la possibilité de débattre de certains sujets, comme ceux des directives et des deux règlements visés par ce projet de loi. La question de fond qui est posée ici est bien celle de l'équilibre de la démocratie, de la séparation et du partage des pouvoirs.

Par ailleurs, le projet vise un ensemble de textes d'une très grande hétérogénéité, qui intéressent la vie de tous nos concitoyens et dont l'importance ne doit pas être négligée. Les directives concernées par l'habilitation sont énumérées dans l'article 1er. Elles ont trait au domaine économique et financier, à la consommation, aux transports, à l'environnement ainsi qu'à la reconnaissance des diplômes et qualifications professionnelles. Autant dire qu'il s'agit de textes importants pour la vie de nos concitoyens, de dispositions qui auraient mérité de vrais échanges et une réelle discussion parlementaire.

Il est question en particulier de la transparence des relations financières entre Etats membres et entreprises publiques. Derrière cette présentation « politiquement correcte » des directives concernées, se cache une nouvelle fois la politique libérale de l'Union européenne, qui fait la chasse à l'intervention publique, même lorsque la préservation de millions d'emplois et l'avenir économique et social de toute une région sont en jeu.

Le texte traduit aussi la malveillance de l'Union européenne à l'égard des entreprises publiques, qui constitueraient une menace pour la sacro-sainte libre concurrence. La logique communautaire s'affirme à nouveau ici, alors que les entreprises publiques sont au cœur des activités de service public, si importantes pour la cohésion économique, sociale et territoriale d'un pays. A ce propos, je note que la notion de solidarité est absente de ces directives, dont la transposition serait si urgente : il y a ainsi des mots qui semblent inconnus du vocabulaire bruxellois.

Dans la même logique, il est également question de la mise en place d'un marché de quotas d'émissions de gaz à effet de serre, déjà qualifié par certains d'un véritable marché de « droit à polluer ».

Il est aussi question de la construction d'un réseau ferroviaire transeuropéen par le biais de l'interopérabilité technique, projet qui pose de nombreuses interrogations au niveau social.

Certaines directives visent enfin à la modification des conditions de travail dans les transports.

Plusieurs autres mesures sont tout aussi contestables. C'est le cas de l'article 6, qui prévoit l'allongement du temps de travail des chauffeurs routiers de 56 heures à 60 heures par semaine, et de l'article 7, qui vise la libéralisation des services portuaires, notamment du remorquage et du lamanage. L'article 7 prend abusivement appui sur deux directives, dont les objets sont bien délimités, pour tenter d'imposer un choix politique d'une tout autre ampleur et d'une tout autre portée. Vous comprendrez, madame la ministre, que, comme député de Marseille, je sois particulièrement sensible à cette question.

En effet, on tente ici de reprendre l'attaque contre les statuts spécifiques des travailleurs portuaires, qui vient pourtant de subir un échec retentissant au niveau européen. Ainsi, le Gouvernement réintroduit certains aspects de la directive sur la libéralisation des services portuaires que le Parlement européen a rejetée en novembre dernier. Les grèves récentes des travailleurs portuaires et des dockers, coordonnées à l'échelle européenne, ainsi que les manifestations de Rotterdam et de Barcelone réunissant des milliers de dockers de plusieurs pays, ont montré l'opposition de tous les intéressés. Cette réaction a permis le rejet du compromis passé entre la Commission et le Parlement européen. Le gouvernement français prendrait donc le relais, avec notamment comme objectif le libre accès aux services d'assistance aux navires, comme le remorquage et le lamanage. Cette méthode, qui consiste à réintroduire, par le biais d'une extension du champ de l'habilitation, des dispositions libérales repoussées par le Parlement européen est inadmissible.

Les arguments avancés par le Gouvernement pour justifier le recours aux ordonnances ne sont pas convaincants. D'abord, l'argument de la nécessité de combler notre retard en matière de transposition n'est pas décisif, car, pour certaines de ces directives, le délai de transposition n'est pas dépassé.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'est pas une raison !

M. Frédéric Dutoit. L'urgence n'est pas telle qu'il faille recourir aux ordonnances.

Ensuite, bien que la France connaisse un retard considérable dans l'application du droit communautaire - ce qui, paradoxalement, permet, au Gouvernement d'agiter la menace de sanctions européennes en cas de non-transposition des directives -, il n'en demeure pas moins que c'est ce dernier qui est maître de l'ordre du jour du Parlement et qu'il pourrait parfaitement transposer les directives les plus importantes par la voie parlementaire classique. Je vous l'accorde, le retard accumulé en matière de transposition des directives européennes est de la responsabilité des gouvernements successifs, mais le Parlement n'a pas à en subir les conséquences. Il est trop facile, une fois l'accord signé, de le faire adopter par ordonnance au lieu de venir le défendre devant le Parlement.

Quant au caractère « technique » de ces directives, il dissimule fort opportunément des choix politiques capitaux.

Enfin, l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement invoqué par le Gouvernement n'est pas un argument convaincant, car on constate les mêmes retards pour les directives non législatives.

Ainsi, non seulement le projet de loi d'habilitation du Gouvernement n'est pas justifié, mais il nous semble totalement contre-indiqué pour réussir la construction d'une Europe démocratique, politique et citoyenne. Un tel procédé marque les limites et le manque total d'ambition de votre projet politique pour l'Europe.

La résorption du « déficit démocratique » dont souffre l'Union européenne passe indubitablement par une meilleure association de la représentation nationale, tant à l'élaboration des textes communautaires qu'à leur transposition en droit interne. Laisser faire le Gouvernement à notre place n'est sûrement pas la solution pour y arriver. Au contraire, cela augmente encore le déficit démocratique européen, qui est pourtant unanimement condamné. En procédant de la sorte, vous ne rapprochez pas les Européens d'une Europe à leurs yeux trop souvent lointaine et technocratique. Comment les Français pourraient-ils appréhender l'Europe quand les directives adoptées à Bruxelles par le Conseil des ministres, c'est-à-dire par les gouvernements, sont transcrites dans la législation française par ordonnances, à nouveau par le seul Gouvernement ? Ce n'est pas de cette manière que vous construirez l'Europe des citoyens, du progrès social et du développement économique pour tous ses peuples.

Ce qui est en cause, c'est la conception que nous avons de la construction européenne, l'idée même que nous nous faisons du rôle du Parlement, de notre rôle, dans cette construction. L'un des meilleurs moyens de promouvoir l'adhésion du peuple à la construction européenne est d'impliquer davantage ses représentants dans l'élaboration et la transposition du droit parlementaire. Aucun parlementaire, sur quelque banc qu'il siège, ne peut accepter de se démettre du peu de droits qu'il a ici. J'ai cru entendre, d'ailleurs, quelques voix en ce sens.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Tout de même !

M. Frédéric Dutoit. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Gantier, dernier orateur inscrit.

M. Gilbert Gantier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union pour la démocratie française ne peut qu'approuver la transposition dans notre droit d'une vingtaine de directives communautaires sur des sujets importants. Je citerai en particulier la sécurité des jeunes au travail, la protection des travailleurs et celle des consommateurs, la reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles, la protection de l'environnement, avec la mise en place d'un marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre, la sécurité maritime et les déchets d'exploitation des navires. Ces derniers sujets renvoient à des catastrophes de triste mémoire, celles de l'Erika et du Prestige, qui, à juste titre, ont tant ému nos concitoyens.

Le projet de loi qui nous est soumis permet de résorber en partie notre retard dans la transposition des directives communautaires. Le dernier tableau d'affichage présenté par la Commission européenne montre que la France figure à l'avant-dernier rang des Etats membres en matière de transposition, avec 101 textes en souffrance, dont 54 dans le seul domaine du marché intérieur. C'est un retard inacceptable. Il en va de notre crédibilité en Europe, surtout au moment de l'élargissement. Cette situation est également préjudiciable à notre image, au bon fonctionnement du marché intérieur et à l'application de règles essentielles pour la protection des citoyens, sans compter les éventuelles condamnations au paiement d'astreintes, fort coûteuses pour le contribuable français !

Or ce retard de transposition concerne, pour les deux tiers, des directives qui n'impliquent pas de modification législative. L'encombrement de l'ordre du jour des assemblées ne peut donc expliquer la carence de notre pays en cette matière, dont les causes doivent plutôt être recherchées dans des dysfonctionnements administratifs.

Quant aux directives comportant des dispositions de nature législative, les retards de transposition s'expliquent bien souvent, non par la charge de travail du Parlement, mais par des difficultés politiques, qui font redouter au Gouvernement le débat sur certains textes communautaires.

M. Frédéric Dutoit. Je ne vous le fais pas dire !

M. Gilbert Gantier. Nous avons tous en tête le retard dans la transposition de la directive relative au marché intérieur du gaz naturel, par exemple.

Le seul remède jusqu'à présent proposé par les gouvernements successifs pour résorber le retard de transposition a consisté à demander aux assemblées d'adopter un projet de loi les habilitant à transposer par ordonnances tout un paquet de directives communautaires. Le recours aux ordonnances, qui permet de contourner les débats parlementaires, avait ainsi été utilisé en décembre 2000 par le gouvernement socialiste pour faire passer une cinquantaine de textes. Cela n'avait d'ailleurs malheureusement pas suffi à combler le retard chronique dont souffre la France.

Déjà, en décembre 2000, bon nombre de parlementaires avaient exprimé leurs réticences et avaient souhaité que des solutions soient recherchées pour éviter que le Gouvernement ne recoure à nouveau à une procédure qui porte gravement atteinte aux droits du Parlement. Même si le recours aux ordonnances est une procédure constitutionnelle, nous ne devons pas sous-estimer l'ampleur de l'atteinte qui est ainsi portée aux droits du Parlement.

M. Frédéric Dutoit. C'est vrai !

M. Gilbert Gantier. C'est pourquoi le jugement que nous portons sur la forme de ce projet de loi est réservé.

Les modalités de l'intervention du Parlement dans la construction européenne constituent, de toute évidence, un sujet essentiel pour l'avenir de la démocratie dans notre pays et dans tous les pays de la Communauté. Ce sont, en effet, les capacités des pays, par l'intermédiaire de leurs représentants, de peser sur les choix des autorités européennes, en amont comme en aval, qui sont en jeu lorsqu'on aborde la question de la transposition des directives dans les droits nationaux. Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui révèle à nouveau le manque de participation du Parlement dans la construction normative de l'Europe. Or la mise à l'écart du Parlement en matière de droit communautaire n'est pas, nous semble-t-il, le meilleur moyen de faire progresser l'adhésion des peuples à la construction européenne.

Dans ces conditions, nos objectifs sont simples et clairs : il nous faut transposer dans les meilleurs délais, être parmi les bons élèves de l'Europe pour y jouer un rôle moteur. Une meilleure organisation de l'adoption des directives européennes revaloriserait les pouvoirs du Parlement. Ainsi, on pourrait espérer que les citoyens soient mieux associés à la prise des décisions et à la définition du projet européen.

Il est évident que les difficultés de résorption du « stock » de directives communautaires, c'est-à-dire de mise en œuvre de la politique européenne dans notre pays, sont pour partie dues à l'existence de certaines spécificités françaises, notamment en matière de services publics et de politique sociale. Les retards pris dans l'application des directives concernant l'électricité en sont un bon exemple. Mais cela n'explique pas tout.

Il faut avoir en tête que plus de la moitié de notre législation est aujourd'hui d'origine communautaire. Il serait donc déraisonnable d'envisager de faire adopter régulièrement « au forceps », si j'ose dire, des projets de loi par lesquels le Parlement se dessaisit de son pouvoir. Les retards de transposition posent le problème du lien entre la volonté politique et sa traduction concrète.

C'est pourquoi, à l'UDF, nous réclamons depuis plusieurs années une participation plus grande du Parlement, une plus large concertation en amont de l'adoption des directives européennes. Le Parlement n'est pas suffisamment associé à l'élaboration des textes communautaires et les résolutions adoptées ne sont pas prises en compte. Le déficit démocratique de l'Europe, si souvent évoqué et si évident, trouve en partie sa source à ce niveau. La vraie réponse au problème posé par les directives réside donc dans la manière d'associer les parlements à leur élaboration. Il est nécessaire, pour que l'Europe soit réellement démocratique et proche des gens, que ce soient les peuples et leurs représentants qui élaborent les normes et déterminent les priorités.

Le groupe UDF votera ce projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires, tout en rappelant que la procédure des ordonnances doit rester une exception et qu'il appartient au Gouvernement de tout mettre en œuvre pour résorber le retard de notre pays dans la transposition des directives européennes. Une plus grande participation des parlementaires à l'élaboration du droit communautaire constituerait, pour nous, un gage de démocratie et serait susceptible de renforcer l'adhésion de nos concitoyens à la construction de l'Europe.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie très chaleureusement, en particulier votre excellent rapporteur, pour le travail très complet, tout à fait pertinent et également prospectif qui a été accompli. D'une manière générale, je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés pour la qualité de leurs interventions. Je voudrais apporter une réponse d'ensemble à vos interrogations, vos réserves et vos suggestions.

Vous avez exprimé le souci commun de faire en sorte que le processus d'élaboration, et non seulement de mise en œuvre, de la législation européenne soit plus directement en phase avec les aspirations de notre pays et donc avec le rôle de notre représentation nationale. Bien sûr, votre souci commun s'exprime avec des nuances.

Je reviendrai sur les différents points que vous avez soulignés en les regroupant sous quatre rubriques : la question du principe même du recours à une loi d'habilitation pour les transpositions de directives ; le rôle des parlements nationaux dans la prise des décisions européennes ; la teneur de la législation européenne au regard de la conception que nous nous faisons de l'Europe ; les quelques pistes que vous avez explorées en vue de solutions plus pérennes qui, non seulement évitent les retards de transposition, mais aussi améliorent la qualité de notre travail législatif européen.

Tout d'abord, le recours à une loi d'habilitation était-il justifié ? Je ne reviendrai pas sur l'encadrement juridique du recours aux ordonnances prévu par l'article 38 de la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a bien évidemment pris soin de respecter les termes de la Constitution.

Par ailleurs, chacun a convenu ici de la nécessité impérieuse pour la France de respecter ses engagements européens, et donc de résorber son retard en matière de transposition.

Dans ce contexte, votre rapporteur M. Guy Geoffroy, tout comme M. Lequiller, le président de la Délégation pour l'Union européenne, M. Philip et M. Gantier ont bien compris la nécessité, dans les circonstances présentes, de recourir à une loi d'habilitation, même s'il est légitime que cette procédure ait soulevé de la part du Parlement certaines réserves. J'indique au passage, monsieur Dutoit, que le parlement britannique, qui, comme vous le savez, a des prérogatives très affirmées, utilise couramment la procédure de législation déléguée pour les transpositions de directives.

Il aurait, certes, pu être souhaitable de débattre plus longuement, par exemple, de la directive relative à la reconnaissance des diplômes et des qualifications professionnelles, si la transposition de celle-ci n'accusait pas un tel retard. Il en est de même pour les dispositions relatives au système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre.

Contrairement à ce qui a été indiqué par M. Caresche, nous sommes également en retard pour la transposition de la directive d'application du protocole de Kyoto. Or la France se veut, comme l'a rappelé le Président de la République, exemplaire dans l'application de ce protocole. Quant aux autres textes relatifs à l'environnement qui ont été évoqués, ils s'inscrivent pleinement, je puis vous l'affirmer, dans la logique de notre future charte pour la défense de l'environnement.

Plusieurs orateurs ont salué l'esprit de dialogue et de transparence qui a prévalu entre le Gouvernement et les assemblées pour l'élaboration de ce projet. D'une certaine façon, ce débat est une première puisque, pour la première fois, non seulement le Parlement s'est vu communiquer, avec le projet de loi, les projets d'ordonnances, fussent-ils définitifs ou provisoires, mais encore tous les groupes qui l'ont souhaité ont eu accès à ces textes, par l'intermédiaire de votre rapporteur. En retirant du projet de loi les dispositions qui exigeaient, du point de vue des assemblées, un plus large débat, le Gouvernement a respecté scrupuleusement les demandes des parlementaires.

Deuxième question soulevée - et qui est maintenant rituelle : existe-t-il un déficit démocratique de la construction européenne ? Il est vrai qu'on met en avant un manque d'implication des parlements nationaux et, notamment, du Parlement français, dans les processus communautaires. En tant que ministre des affaires européennes, je ne surprendrai pas M. Gantier, M. le rapporteur et M. Lequiller en leur disant que je souscris à leurs propos sur l'importance de la législation communautaire et de sa prise en compte par nos institutions nationales. L'Europe est encore trop souvent perçue comme « bruxelloise », du fait précisément du manque d'implication des parlements nationaux, alors qu'elle est au cœur de la politique française et que, après avoir été un pays fondateur, la France est l'un des principaux acteurs de la construction européenne.

Des mécanismes, prévus par la Constitution, permettent déjà d'associer le Parlement à l'élaboration de la norme communautaire. Aux termes de l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement soumet aux assemblées tout projet d'acte communautaire de nature législative : c'est ainsi que 317 textes ont été transmis en 2003 et que l'Assemblée nationale a, sur cette base, adopté, cette même année, huit résolutions afin d'orienter la position du Gouvernement dans la négociation.

Le Gouvernement examine toujours avec le plus grand soin ces résolutions : par exemple, celle sur le deuxième « paquet ferroviaire » élaborée par M. Christian Philip en 2003. Je considère, pour ma part, avec la plus grande attention les propositions de résolution déposées par la Délégation pour l'Union européenne, qui sont toujours d'une grande qualité. J'ai même pris l'initiative de relancer les présidents des commissions pour que ces propositions soient examinées dans des délais raisonnables.

Comme l'a indiqué M. Lequiller, le projet de Constitution européenne proposé par la Convention renforce le rôle des parlements nationaux. Non seulement il leur garantit une meilleure information mais surtout, il leur donne, pour la première fois, un rôle actif dans le contrôle de subsidiarité, par la création d'un mécanisme d'alerte précoce. Ces avancées, fortement soutenues par la France, ne font plus débat entre les Etats membres. Elles devraient donc être inscrites dans la future Constitution européenne que nous appelons de nos vœux.

La troisième interrogation, que j'ai relevée dans les propos de M. Dutoit, concerne la logique libérale du projet européen. Il est clair que ce dernier n'est prisonnier d'aucune idéologie. Vous n'aurez pas manqué d'observer, monsieur Dutoit, qu'il est le fruit, d'une part, de la volonté de gouvernements dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont de sensibilités politiques différentes et, d'autre part, de la volonté des peuples européens, dans toute leur diversité. Jacques Delors a fait valoir que la construction européenne progressait sur trois piliers : « la compétition qui stimule ; la coopération qui renforce ; la solidarité qui unit », la solidarité étant le principe clé de la construction européenne. Les directives qui figurent dans le projet de loi d'habilitation s'inscrivent dans cette logique : il s'agit, en effet, non de déréguler, mais, au contraire, de doter l'Europe de meilleurs règles, en particulier en matière de sécurité maritime, de contrôle des concentrations - lequel va être décentralisé pour investir les autorités nationales d'un rôle accru -, de surveillance des entreprises du secteur financier, de réduction des rejets atmosphériques et des nuisances sonores. Et pour ce qui est des services portuaires, il ne s'agit nullement de réintroduire des dispositions qui ont été repoussées par le Parlement européen et sur lesquels la France était réservée.

Dans le domaine social, évoqué par M. Dutoit et M. Caresche, la construction européenne conduit parfois à instaurer des normes européennes minimales inférieures aux normes françaises. Mais reconnaissez que, sans ces normes minimales, nous serions confrontés à une pression concurrentielle encore plus forte et au risque de dumping.

Quant à l'ordonnance relative au transport routier évoquée par M. Caresche, elle ne sera évidemment prise qu'après concertation avec les partenaires sociaux.

Il ne faut pas omettre de souligner tous les cas où l'Union européenne permet, en France comme ailleurs, des avancées du droit du travail. C'est le cas de la directive relative à la protection des jeunes au travail qu'il vous est demandé de transposer aujourd'hui pour le secteur maritime. Oui, l'Europe nous stimule et nous protège tout à la fois.

La quatrième interrogation est sans doute la plus importante aujourd'hui : quels dispositifs mettre en œuvre pour trouver enfin une solution pérenne au retard chronique que connaît la France en matière de transposition des directives ? Le travail remarquable réalisé par M. Guy Geoffroy et le rapport de M. Philip nous permettent d'avoir un aperçu clair des différentes options.

Je citerai, en premier lieu, un levier, que personne ne m'a semblé contester, à savoir la poursuite de la modernisation de nos administrations - la réforme de l'Etat - afin de traiter de façon plus efficace, c'est-à-dire plus précoce, la transposition des directives et, en particulier, celles de nature réglementaire. Je remercie M. Lequiller pour ses encouragements et pour le soutien qu'il a apporté à la suggestion que j'ai faite à Alain Lambert d'inclure le respect des délais de transposition parmi les indicateurs de performance de la loi de finances nouvelle formule.

En deuxième lieu, plusieurs orateurs ont reconnu la nécessité d'établir un rendez-vous régulier pour éviter de nouveaux retards pour les dispositions de nature législative. J'ai toutefois noté quelques nuances : faut-il un rendez-vous mensuel, comme le propose M. Geoffroy, ou faut-il revenir, comme le souhaite M. Philip, au projet que j'avais envisagé l'année dernière, à savoir l'adoption deux fois pas an d'un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire ? Mon sentiment est que, à l'instar des questions au Gouvernement portant sur des thèmes européens, un rendez-vous mensuel créerait sans doute des habitudes plus fortes.

Troisième élément : certains d'entre vous, dont M. Geoffroy, ont reconnu l'utilité de recourir au Parlement, au moins pour certaines directives techniques, à un mode d'examen simplifié du type de celui évoqué par M. le président. Cette faculté est déjà prévue par le règlement de votre assemblée pour les conventions internationales. Nul doute que certaines dispositions techniques du présent projet de loi auraient pu être adoptées selon cette procédure. A cet effet, le Gouvernement pourrait soumettre, à intervalles réguliers, une liste de directives à l'Assemblée nationale, afin de déterminer les dispositions qui pourraient bénéficier d'un tel examen simplifié.

La dernière piste, évoquée par M. Geoffroy, est celle d'une révision constitutionnelle à l'occasion de l'adoption de la future Constitution européenne. La réflexion sur ce sujet doit sans doute être enrichie : elle le sera par l'exercice de comparaison institutionnelle que va entreprendre M. Philip et auquel mon ministère apportera tout le soutien nécessaire.

Je souhaite, en tout cas, que le débat de ce jour donne l'impulsion politique nécessaire pour aboutir, dans les prochaines semaines, aux mesures ambitieuses - ou plus modestes - qui se révèlent indispensables pour mieux organiser notre travail collectif. Le but - tous les orateurs l'ont dit - est de mieux faire comprendre à nos concitoyens les enjeux de la construction européenne dans toute sa dimension démocratique, ce qui suppose évidemment d'impliquer tous les parlements nationaux, dont le Parlement français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion des articles

Articles 1er, 2, 2 bis, 3 à 11

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

Les articles 1er, 2, 2 bis, 3 à 11 ne font l'objet d'aucun amendement.

Je vais les mettre successivement aux voix.

(Ces articles, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

2

SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. Je vous rappelle que, sur proposition de la conférence des présidents, l'Assemblée a décidé, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution, de suspendre ses travaux pour les quatre semaines à venir.

En conséquence, et sauf séance supplémentaire décidée en application de l'article 28, alinéa 3, de la Constitution, la prochaine séance de l'Assemblée aura lieu le mardi 6 avril 2004, à neuf heures trente.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Mardi 6 avril 2004, à neuf heures trente, première séance publique :

Questions orales sans débat.

A quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1335, portant transposition de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau :

M. André Flajolet, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1466).

Eventuellement, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot