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Première séance du jeudi 15 avril 2004

198e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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SUPPRESSION DES LIMITES D'ÂGE POUR LES CONCOURS DE LA FONCTION PUBLIQUE

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Serge Poignant et plusieurs de ses collègues tendant à supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique (n°s 1137, 1517).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, mes chers collègues, ma proposition de loi est motivée, d'une part, par des considérations générales sur l'évolution du marché du travail et des divers textes législatifs ; d'autre part, par la connaissance de cas concrets qui m'apparaissent devoir être pris en considération.

Le marché du travail se caractérise aujourd'hui par une plus grande mobilité que par le passé : le salarié n'effectue plus toujours toute sa carrière dans un seul métier au sein d'une même structure. La fonction publique ne saurait échapper à ce mouvement et la mobilité doit pouvoir s'accroître en son sein. Pour ce faire, monsieur le ministre, deux voies de réforme sont possibles.

D'un côté, le Gouvernement s'est engagé à étudier la possibilité de faciliter le passage de la fonction publique au secteur privé, avec le double objectif d'instaurer une plus grande fluidité du marché du travail et d'encourager l'initiative individuelle. Votre prédécesseur, M. Delevoye, avait confié à M. Guy Berger un rapport sur les dispositions relatives aux fonctionnaires souhaitant exercer une activité dans le secteur privé, qui a été publié en septembre 2003.

De l'autre, il conviendrait de rendre plus aisée l'entrée dans la fonction publique de salariés ou de travailleurs indépendants dont l'expérience acquise dans le secteur privé pourrait bénéficier au secteur public.

Or l'existence de conditions d'âge pour accéder aux concours de la fonction publique limite ce mouvement. Pourtant, comme l'âge de départ à la retraite dans la fonction publique a été reculé, les carrières deviennent plus longues. Dès lors, en limitant au maximum les conditions d'âge requises pour accéder à la voie externe de la fonction publique, une place plus grande pourrait être faite aux secondes carrières de personnes issues du privé. Source d'enrichissement pour les administrations, ce nouveau flux aurait le double avantage d'offrir de nouvelles perspectives aux salariés du secteur privé ou aux travailleurs indépendants et de pallier certaines difficultés de recrutement qui pourraient survenir dans le secteur public.

Par ailleurs, certains cas concrets de limites d'âge soulèvent des interrogations. Est-il aujourd'hui justifié de refuser l'accès au concours de chargé de recherche au CNRS - CR2 - au-delà de trente et un ans ? Ou de réserver le concours d'inspecteur des systèmes d'information et de communication aux moins de trente ans ? Pourquoi encore refuser l'accès au concours d'inspecteur du permis de conduire aux moniteurs d'auto-école âgés de plus de quarante-cinq ans, quand on sait la pénurie dans ce secteur et le temps d'attente des jeunes pour être présentés à l'examen du permis de conduire ? Est-il enfin justifié de refuser aux secrétaires venant du privé et âgées de plus de quarante-cinq ans, l'accès aux concours d'adjoint administratif de l'Etat : préfectures, DDE, etc. ?

Monsieur le ministre, l'Etat prône la mobilité. Aussi doit-il la favoriser dans les deux sens : public-privé, privé-public.

L'évolution des divers textes législatifs ou réglementaires s'inscrit dans cette orientation. La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable aux trois fonctions publiques - de l'Etat, territoriale et hospitalière -, dresse une liste limitative des conditions requises pour l'accès à la fonction publique. Ainsi, en vertu de son article 5, pour être fonctionnaire, il faut posséder la nationalité française - sous réserve des aménagements nécessités par la réglementation européenne -, jouir de ses droits civiques, se trouver en position régulière au regard du code du service national, remplir les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction et ne pas avoir un casier judiciaire incompatible à cet exercice. L'article 6 originel disposait dans son deuxième alinéa qu'« aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur patronyme... ». Il n'était fait aucune mention d'une condition d'âge. Cette absence répondait à la logique de l'égalité d'accès à la fonction publique.

Pourtant, dans la plupart des concours externes, une limite d'âge supérieure avait été instaurée, aucune disposition législative générale ne venant restreindre la liberté du pouvoir réglementaire en la matière. Ce dernier avait la faculté de fixer, pour chaque statut particulier ou pour telle ou telle catégorie, un âge au-delà duquel il n'était pas possible de se présenter au concours.

En 2001 - je souligne la date à l'intention de nos collègues de gauche -, la loi du 16 novembre relative à la lutte contre les discriminations a modifié l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 en y ajoutant l'âge : « aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme,... » La non-discrimination en fonction de l'âge figure donc désormais dans la loi. Une seule exception subsiste : la possibilité pour le pouvoir réglementaire de fixer des limites d'âge pour le recrutement de fonctionnaires lorsque cette condition est requise par le déroulement de leur carrière. Il est implicitement admis que les fonctionnaires doivent accomplir quinze ans de service actif afin de pouvoir prétendre aux droits à pension.

Pourtant, les conditions des concours externes sont restées les mêmes, avec une limite d'âge à trente ou trente et un ans. Ainsi, ce délai de quinze ans n'était pas la véritable justification. La limite d'âge aux concours externes d'accès à la fonction publique d'Etat est aujourd'hui située entre vingt-huit ans - c'est le cas de l'Ecole nationale d'administration - et quarante ans pour la catégorie A, et entre quarante et quarante-cinq ans pour les catégories B et C, pour l'ensemble des fonctionnaires soumis au statut général, nonobstant des dispositions spéciales favorables.

Des disparités d'application dans les fonctions publiques subsistent.

S'agissant de la fonction publique territoriale, l'article 1er du décret du 20 novembre 1985 relatif aux conditions générales de recrutement des agents de la fonction publique territoriale précise que « l'âge limite pour le recrutement des fonctionnaires territoriaux est fixé par chaque statut particulier », mais il est fait peu recours à cette disposition et les limites d'âge n'existent que pour le concours externe de conservateur territorial du patrimoine, réservé aux candidats ayant moins de trente ans,  et le concours externe de conservateur territorial des bibliothèques, dont l'âge limite est de trente ou trente-cinq ans. Il ne reste plus que ces deux cas.

Diverses dérogations ont été progressivement apportées à la règle de la limitation de l'accès aux fonctions publiques selon l'âge : cette limitation a été soit supprimée pour certaines catégories de citoyens ou de concours, soit aménagée dans certaines situations.

Toutes les limites d'âge supérieures ont été supprimées pour l'accès au corps enseignant par le décret du 16 août 1989 relatif au recrutement et à la formation des instituteurs et par le décret du 6 août 1989 portant diverses mesures statutaires relatives au recrutement dans certains corps de personnels enseignants et d'éducation de l'enseignement secondaire.

Deux décrets ont supprimé ces mêmes limites en ce qui concerne les concours internes de l'administration et de la fonction publique hospitalière : celui du 1er août 1990 concernant les corps de la fonction publique de l'Etat et celui du 14 août 1991 concernant les corps de la fonction publique hospitalière. Ne demeurent que les cas de concours qui conduisent à une période de scolarité obligatoire assortie d'un engagement de servir l'Etat. C'est le cas de l'ENA : les candidats reçus doivent être en mesure d'accomplir avant l'âge de soixante ans l'engagement de consacrer dix ans au service public.

Les limites d'âge ont été également supprimées pour faciliter l'accès des handicapés à la fonction publique par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Cette disposition s'applique également aux agents fonctionnaires de la Poste et de France Télécom. Un dispositif identique a été transposé à la fonction publique hospitalière par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

La loi du 10 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a levé toute condition d'âge pour l'accès à la fonction publique des mères de trois enfants et plus, des veuves non remariées, des femmes divorcées et non remariées, des femmes séparées judiciairement et des femmes et hommes célibataires ayant au moins un enfant à charge et qui se trouvent dans l'obligation de travailler.

La loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives prévoit que les limites d'âge supérieures fixées pour l'accès aux grades et emplois publics de l'Etat et des collectivités territoriales ne sont pas opposables aux sportifs de haut niveau figurant sur la liste proposée par la commission nationale du sport de haut niveau et fixée par le ministre chargé des sports.

M. François Rochebloine. Excellent !

M. Serge Poignant, rapporteur. Une mesure particulière est applicable à la fonction publique hospitalière. Ainsi, selon la loi du 9 janvier 1986, les limites d'âge supérieures pour l'accès aux corps ou emplois des établissements publics hospitaliers ne sont pas opposables aux personnels civils non titulaires qui postulent à ces emplois à l'issue d'une mission de coopération culturelle, scientifique et technique effectuée auprès d'Etats étrangers.

Enfin, je le rappelle, à de très rares exceptions près, les limites d'âge supérieures ont été supprimées en 1985 pour l'accès aux concours de la fonction publique territoriale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard non seulement de tous ces textes, mais encore du contexte de nécessaire mobilité que j'ai évoqué dans mon préambule, d'une volonté largement partagée de formation tout au long de la vie, de l'évolution de la législation sur la retraite et d'un grand nombre de cas concrets, comment ne pas adapter, ne pas harmoniser et limiter, ou tout simplement supprimer les conditions d'âge pour l'accès aux fonctions publiques de l'Etat, des établissements hospitaliers ou des collectivités territoriales ?

Je vous propose donc de n'autoriser le pouvoir réglementaire à édicter une condition d'âge pour l'accès à toutes les fonctions publiques que pour les emplois dont la nature emporte une durée de carrière plus courte, à l'exemple des emplois classés en service actif. Il convient également de permettre de fixer des limites d'âge, à titre très exceptionnel et dans des conditions définies strictement par décret en Conseil d'Etat, dans le cas des accès à la fonction publique qui exigent une formation spécifique, afin de préserver un équilibre entre l'investissement représenté par le coût de cette formation et la durée des services susceptibles d'être rendus par l'agent. Mais je souhaite, monsieur le ministre, que, dans l'esprit général de ma proposition de loi, le décret pour ces cas d'exception ne fixe pas un âge trop bas.

Nonobstant ces dispositions, en dehors de la question de l'accès à la fonction publique, des conditions d'âge relatives aux carrières des fonctionnaires pourront continuer d'être fixées, de manière à assurer une certaine linéarité de leur déroulement et à maintenir un niveau minimal d'expérience pour la nomination dans des emplois spécifiques, d'encadrement notamment.

Enfin, pour permettre au pouvoir réglementaire de mettre en accord le droit avec les dispositions de la nouvelle loi, je vous propose, monsieur le ministre, mes chers collègues, une application au 1er janvier 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de me retrouver devant vous, à l'occasion de cette première intervention dans mes nouvelles responsabilités, pour évoquer une proposition de loi de Serge Poignant. J'avais eu en effet l'occasion de travailler avec lui dans mes précédentes fonctions - il était rapporteur pour avis de mon budget - et j'avais alors apprécié ses qualités de réflexion et de pragmatisme. Je salue sa proposition et le remarquable travail qu'il a fourni sur une question concrète à laquelle il convient d'apporter les réponses qu'elle exige.

Je ferai cependant une remarque préalable relative à la méthode. Vous le savez, j'ai pris mes fonctions il y a une dizaine de jours à peine mais j'ai pu déjà constater à quel point il est nécessaire d'engager le dialogue avec les représentants des agents publics, c'est-à-dire avec les partenaires sociaux. Leur attente est légitime.

L'Etat est le premier employeur de France. En tant que tel, il doit montrer l'exemple d'un dialogue social de qualité, débouchant sur une négociation qui doit elle-même produire des accords. J'ai donc pris immédiatement l'engagement auprès de mes interlocuteurs, conformément aux vœux exprimés par le Président de la République et à la politique générale qu'entend appliquer le Gouvernement, de donner un nouvel essor au dialogue social au sein de la fonction publique.

J'entends soumettre à la concertation et, le cas échéant, à la négociation, toute mesure ayant une incidence sur le recrutement, la gestion et la vie quotidienne des agents publics. Je proposerai dès la semaine prochaine à leurs représentants un calendrier de travail à cette fin.

Je compte par ailleurs poursuivre la préparation du projet de loi de modernisation de la fonction publique pour être en mesure de présenter d'ici à la fin de l'été, et là encore, après une concertation très approfondie, un ensemble de mesures ambitieuses concernant de nombreux aspects de la vie des fonctionnaires. Il est clair que la proposition de M. Poignant trouverait logiquement sa place dans un tel texte. Je regrette de n'avoir pu l'évoquer au préalable avec les partenaires sociaux, ce que je leur ai clairement et personnellement indiqué. Toutefois, je n'entends pas m'opposer à une proposition qui peut faire consensus et qui présente un caractère d'utilité manifeste.

Venons-en au fond. Comme Serge Poignant l'a souligné, les concours d'accès à la fonction publique sont aujourd'hui soumis le plus souvent à des limites d'âge. Ces limites, qui n'ont aucun caractère général puisqu'elles sont différentes d'un concours à l'autre et d'une fonction publique à l'autre, sont perçues par une partie de l'opinion comme une discrimination au regard de l'âge mais aussi du sexe. Ces limites ont été progressivement supprimées par le législateur dans certains cas particuliers. De nombreuses dérogations ont été jusqu'ici accordées : le rapporteur en a fait le catalogue, qui peut étonner. Une telle complexité ne va pas dans le sens d'une fonction publique lisible et accessible à tous : on le comprend donc, le premier avantage de la proposition qui nous est soumise est de simplifier et donc de faciliter l'accès aux emplois publics.

De nombreuses considérations me conduisent également à estimer aujourd'hui que le maintien du principe général d'une limite d'âge pour l'accès aux concours de la fonction publique n'est plus pertinent.

Il me paraît en premier lieu essentiel de garantir les strictes conditions de l'égalité devant les emplois publics par le rétablissement de l'égalité dans les conditions posées pour concourir. C'est en effet par l'égalité des conditions à concourir et pour le plus grand bénéfice de la collectivité, que seront pris en compte les seuls talents et mérites des candidats, dont vous savez qu'ils ne sont pas mécaniquement corrélés à leur âge ni dans un sens ni dans l'autre.

Deuxièmement, de telles limites ne s'accommodent ni avec le principe d'égal accès aux emplois publics inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni avec le principe de non-discrimination inscrit à l'article 21 de la Charte européenne des droits fondamentaux, proclamée à Nice en décembre 2000 et qui interdit notamment toute discrimination fondée sur l'âge. Le médiateur européen s'est d'ailleurs appuyé sur cet article pour obtenir la suppression des limites d'âge pour l'accès aux concours des institutions européennes.

Sur ce point, je tiens à le souligner, la suppression des limites d'âge n'aura en aucun cas pour effet de créer une discrimination à rebours au détriment des plus jeunes des candidats. Le raisonnement a contrario qui pourrait être tenu par certains ne me paraît pas valable.

Troisièmement, le maintien de limites d'âge me semble contraire à une politique efficace de gestion des ressources humaines dans la sphère publique.

Une telle politique de recrutement doit être animée par la volonté de favoriser le rapprochement des sphères publique et privée et par l'objectif de professionnalisation des services publics. Elle suppose donc que les échanges entre le monde des salariés et le monde des fonctionnaires soient favorisés et élargis et que la mobilité soit encouragée.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. L'administration a tout intérêt à s'enrichir des expériences acquises dans la société civile, notamment en recrutant des personnes ayant acquis des compétences en dehors de son sein. Cette mobilité doit aller évidemment dans les deux sens.

La limite d'âge réduit clairement ces possibilités de recrutement, notamment par la voie des troisièmes concours.

Quatrièmement, nous savons que, dans les prochaines années, la situation démographique de la fonction publique se traduira par le départ à la retraite de très nombreux agents. Même si des réductions d'effectifs sont prévisibles dans certains secteurs où leur maintien ne se justifie pas par une exigence de service, des recrutements importants en volume demeureront nécessaires. La suppression des limites d'âge peut ainsi faciliter le recrutement sur des emplois, notamment techniques, pour lesquels l'administration sera en concurrence avec les employeurs du secteur privé.

Le recours à des candidats plus âgés est un atout pour reconstituer l'encadrement intermédiaire, qui sera fortement affecté par les départs à la retraite. Un recrutement de jeunes diplômés, sans expérience professionnelle significative, ne permettra pas nécessairement de répondre à cette problématique importante.

Enfin, favoriser un recrutement plus diversifié serait un moyen d'éviter la reconstitution du phénomène de déséquilibre démographique entre les classes d'âge que nous constatons aujourd'hui et qui risque de se reproduire demain si les recrutements à venir se concentrent sur une seule classe d'âge au lieu de se répartir sur plusieurs. Ce texte constitue donc une mesure opportune pour une gestion prévisible de la ressource humaine au sein de la sphère publique.

Vous l'aurez compris : je partage le constat et les objectifs qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi. Toutefois, ce texte n'ayant pu, j'y insiste, faire l'objet d'une consultation formelle des partenaires sociaux, pour des raisons purement matérielles et sans que personne n'en soit responsable, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse de l'Assemblée.

Bien entendu, pour préparer les prochaines lectures dont ce texte fera l'objet, je tiendrai compte des remarques que m'auront faites les organisations syndicales. La position définitive du Gouvernement sera connue assez rapidement après ces concertations, lors de la deuxième lecture du texte à l'Assemblée ou dès son examen par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP est particulièrement satisfait d'être appelé, dans le cadre de cette séance d'initiative parlementaire, à se prononcer sur la proposition de loi présentée par Serge Poignant et cosignée par un très grand nombre d'entre nous. Elle vise, comme l'auteur et rapporteur de la proposition l'a indiqué et comme l'a confirmé le ministre de la fonction publique, à clarifier et rendre plus lisibles les conditions d'accès à la fonction publique dans toutes ses dimensions. Cet aspect de la question mérite d'être souligné parce qu'une première lecture trop hâtive de la proposition aurait pu laisser croire qu'il s'agissait de se pencher exclusivement sur la fonction publique d'Etat alors qu'il n'en est rien. Ce texte envisage bien la fonction de service du public dans son ensemble, c'est-à-dire dans ses trois dimensions : fonction publique d'Etat, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière.

Cette proposition de loi est intéressante et apporte des améliorations relatives à différents aspects, déjà évoqués par le rapporteur et par le ministre, mais que je reprendrai rapidement.

Elle est intéressante et porteuse parce qu'elle est marquée du sceau de l'équité, en premier lieu entre l'ensemble des fonctions publiques elles-mêmes. Le rapporteur l'a rappelé et le ministre confirmé : depuis le décret et les textes fondateurs qui ont institué les trois fonctions publiques, leurs évolutions ont divergé et conduit à un manque d'équité entre elles, fondé essentiellement sur l'idée, qui a encore la vie assez dure, selon laquelle il y aurait une véritable fonction publique - celle de l'Etat - et deux autres fonctions publiques un peu moins nobles, moins professionnelles ou moins performantes : la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.

La proposition de loi constitue de ce point de vue un rappel à l'ordre fort utile. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à exercer des mandats locaux et nous pratiquons depuis une bonne vingtaine d'années la décentralisation, qui se traduit par le développement de l'ensemble des filières de la fonction publique territoriale. Nous savons donc pertinemment que, si la fonction publique d'Etat reste noble par essence, les autres fonctions publiques ne manquent pas d'atouts, de capacités et de professionnalisme. On a pu constater dans un premier temps que c'étaient plutôt les fonctionnaires d'Etat qui demandaient des détachements, en tendant la main à la fonction publique territoriale pour l'aider à monter en puissance, mais l'inverse se rencontre de plus en plus souvent : la fonction publique d'Etat se plaît également à reconnaître, en accueillant en son sein des fonctionnaires territoriaux détachés, l'extrême compétence de ces agents.

Equité, donc, entre les trois fonctions publiques, qui se voient reconnaître, à quelques exceptions près, la même attractivité et la même capacité à assurer cette mobilité en tous sens dont M. le ministre vient de rappeler l'importance.

Equité aussi entre les agents. On comprend mal aujourd'hui pourquoi, hormis les très rares exceptions rappelées par notre rapporteur, il n'y a plus de limite d'âge pour passer les concours de la fonction publique territoriale, alors que l'accès à la fonction publique d'Etat demeure une sorte de parcours du combattant. Les raisons profondes de cet état de fait ne sont guère compréhensibles pour nos concitoyens.

La fonction publique a de l'avenir dans notre pays, je le crois profondément, mais elle doit être plus lisible. Nous devons aider nos concitoyens à être plus proches de leurs fonctionnaires et à mieux comprendre combien la fonction publique est une richesse pour notre pays, et non un handicap.

Cette proposition de loi est également frappée du sceau du pragmatisme et de la modernité - l'un n'allant pas sans l'autre. Les constats effectués à l'occasion de son examen nous serviront de points d'appui pour une véritable prospective.

Tout d'abord, la linéarité des carrières, des parcours professionnels n'est plus de mise. D'aucuns le regretteront, non sans raison parfois, mais, d'une manière générale, cette évolution permet une meilleure prise en compte des capacités de chacun, aussi bien dans la fonction publique que dans les entreprises. La complexification des domaines professionnels appelle de plus en plus une formation et une adaptation permanentes, tout au long de la vie, et corrélativement une mobilité accrue de l'ensemble des travailleurs, qui devra en outre se faire dans de meilleures conditions.

Dès lors, la possibilité offerte à tout moment à un agent du secteur privé de faire bénéficier la fonction publique - la fonction de service du public, oserai-je dire - de ses compétences et de son goût d'entreprendre se traduira sans nul doute par une amélioration globale tant des performances que de l'image de notre fonction publique.

De surcroît, comment ne pas saluer l'espoir nouveau que ce texte apportera à certains de nos concitoyens, atteints très jeunes encore par telle ou telle limite d'âge et victimes de l'idée que l'emploi leur est désormais refusé, alors que, dans l'ensemble des services offerts au public, leurs talents, leurs mérites et leur volonté d'être encore utiles pourraient parfaitement être utilisés ?

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Très bien !

M. Guy Geoffroy. C'est pour ces deux raisons essentielles que nous devons soutenir cette proposition humble mais efficace, qui ouvre des perspectives et permet de clarifier l'image que nos concitoyens se font de la fonction publique.

Je terminerai mon propos par deux considérations qui ont été avancées lors de l'examen en commission et sur lesquelles la réflexion mérite d'être prolongée.

La première a trait aux effets de ce texte sur le recrutement des jeunes. Au moment où, paraît-il, le Gouvernement aurait décidé de faire des coupes claires dans les effectifs de toutes les fonctions publiques, on a parlé d'une mesure « anti-jeunes », puisque la suppression des limites d'âge réduirait leurs chances d'entrer dans la fonction publique. C'est à mon sens une vision des choses bien trop rigide. Un tel manque de souplesse et de finesse dans l'appréciation donne la mesure de la relativité des propos tenus par certains de nos collègues qui feraient bien, en la matière, d'être beaucoup plus prudents. Gardons-nous, disent-ils, de handicaper davantage les jeunes pour l'accès à un premier emploi au sein de la fonction publique. La formule est un peu facile, venant de ceux qui n'ont pas hésité à faire exactement l'inverse de ce qu'ils prônent aujourd'hui. Quand on a créé au sein de la fonction publique les plus longs CDD de droit privé qui aient jamais existé - cinq ans ! -, on est bien mal placé pour revendiquer que l'on accorde une priorité dans la fonction publique aux jeunes qui sortent du système éducatif. Que n'ont-ils décidé, à l'époque, de créer de véritables emplois publics - la suite a démontré qu'ils n'en avaient pas les moyens - et d'offrir aux jeunes des conditions privilégiées pour y accéder !

On sait les très grandes difficultés qu'ont rencontrées et que rencontrent encore ceux qui ont bénéficié d'emplois-jeunes dans la fonction publique d'Etat. Quant aux services auxquels ils ont été affectés, ils ont le plus grand mal à assurer la pérennité des actions engagées.

Les raisons qui ont présidé à la création de ce dispositif sont parfaitement connues : on aurait été bien avisé d'en tirer les conclusions avant d'aborder le débat d'aujourd'hui.

La seconde considération que je veux évoquer concerne la fonction publique dans son essence. Je ne me lancerai pas, dans les quelques minutes qui me restent, dans des débats philosophiques, bien que la question soit d'actualité - M. le ministre, je le sais, nous invitera bientôt à mener cette réflexion dans le cadre des projets en préparation. Cependant, étant moi-même issu du monde de la fonction publique, ce dont je suis particulièrement fier, il me semble nécessaire d'énoncer une vérité simple.

La fonction publique n'est pas une fin en soi. Le statut qu'elle offre, à savoir la garantie de l'emploi, une rémunération dont l'évolution est assurée par une échelle indiciaire et un système de promotions dont la lecture est aisée, n'a pas été instauré, dans son principe, pour qu'existent, au sein de l'Etat et de l'ensemble des composantes de la puissance publique, des acteurs publics en tant que tels, mais parce qu'il était essentiel de permettre à ceux qui s'en voyaient confier la lourde tâche d'être, au nom du pays, au service de leurs concitoyens et de s'y consacrer entièrement, sans être embarrassés par le souci du déroulement de leur carrière et de leur avenir. On a garanti cette sécurité et cette tranquillité d'esprit pour que notre fonction publique soit la plus performante possible et remplisse pleinement son rôle, et non l'inverse. Prétendre que l'on cherche, par des modifications et des évolutions telles que celle qui nous est proposée aujourd'hui, à entamer, par bribes, ce qui fonde la fonction publique, afin de la dénaturer dans son essence, est à la fois excessif, erroné et, à mon sens, totalement contraire aux perspectives d'avenir qui s'offrent à elle.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera cette proposition de loi, cosignée, je le rappelle, par un très grand nombre de ses membres. Il le fera avec la sérénité et l'enthousiasme qui siéent à des causes qui, si elles peuvent apparaître quelque peu limitées, n'en sont pas moins importantes. Quand il s'agit de faire progresser le pays en clarifiant, en rendant plus lisible et plus proche, il n'y a pas de petites causes : il n'y a que de bonnes réformes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, dans le cadre d'une séance d'initiative parlementaire réservée au groupe UMP, pourrait a priori sembler anodine. Telle est en effet la première impression que l'on retire de ce texte très court, présenté presque comme une simple bonne idée d'ordre pratique, un simple ajustement, pour ainsi dire. Je voudrais essayer de démontrer à ceux d'entre vous qui le penseraient encore qu'il n'en est rien.

Le texte que nous propose l'UMP soulève en réalité bon nombre de problèmes, au point que l'on est amené à s'interroger sur les raisons réelles qui ont présidé à ce choix pour la procédure particulièrement symbolique des niches parlementaires. Les propos que nous avons entendus jusqu'à présent à ce sujet sont du reste un peu étonnants. Ainsi, le rapporteur a affirmé que la mesure qu'il propose n'est déjà plus de mise pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière et ne concerne plus que la fonction publique d'Etat. Puis M. Geoffroy a dit le contraire !

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Jean-Pierre Dufau. Alors j'ai très mal compris ! Le compte rendu des débats nous départagera...

Il reste que l'UMP me semble avoir agi dans la précipitation, puisque vous n'avez pas réussi à vous accorder entre vous. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sur ce texte, il est vrai, la concertation n'a pas été très poussée : j'y reviendrai.

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas compris que nous ne sommes pas d'accord entre nous !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Mauvaise pioche, monsieur Dufau !

M. Jean-Pierre Dufau. Y avait-il urgence à proposer ce texte ? Je ne le pense pas. M. Dutreil vient de prendre ses fonctions, et il nous a d'ailleurs tenu des propos très mesurés, s'en remettant à la sagesse du Parlement.

Ce texte soulève tout à la fois des problèmes de méthode et de fond.

Concernant la méthode, on ne peut qu'être surpris qu'un texte portant sur les règles applicables à la fonction publique soit proposé sans aucune consultation préalable avec les organisations syndicales représentant la fonction publique. Les prétendues consultations que le rapporteur a engagées au niveau local ne sauraient y être assimilées.

Aucune des fédérations de fonctionnaires n'a été consultée au niveau national avant la présentation de ce texte. Certains s'en sont fait l'écho, pas plus tard que ce matin, sur France Inter. Et les représentants syndicaux que nous avons rencontrés de notre côté nous l'ont tous clairement confirmé. Alors que vous vous étiez autoproclamés, dans une sorte de leitmotiv, les champions du dialogue social, cette attitude est pour le moins surprenante.

M. Richard Mallié. C'est l'exception qui confirme la règle !

M. Jean-Pierre Dufau. Votre refus du dialogue et de la concertation va en réalité beaucoup plus loin. Non seulement vous n'avez pas songé à consulter les organisations syndicales sur ce sujet, mais surtout, vous avez contourné tout le travail de concertation mené par le précédent ministre, M. Jean-Paul Delevoye, autour du projet dit de modernisation du statut de la fonction publique.

Dans le cadre de ce travail, les organisations syndicales nous l'ont confirmé, le thème traité aujourd'hui n'avait pas été abordé, ni par les syndicats, qui ne sont pas demandeurs, ni par la majorité et le Gouvernement, ce qui est plus curieux. Si le sujet traité est bien l'une de vos priorités, pourquoi n'a-t-il pas été abordé précédemment ? Et surtout, comment comptez-vous articuler ce texte avec le projet global annoncé ?

Il serait temps, monsieur le ministre, qu'un calendrier précis d'examen de ce projet de loi soit annoncé au Parlement et aux organisations syndicales, comme vous en avez d'ailleurs manifesté l'intention. Et il serait temps que nous ayons une vision plus précise de son contenu. Les parlementaires et les partenaires sociaux ne peuvent en être réduits à apprendre, par journal interposé, les intentions du ministre !

C'est à dessein que je parle de cette méthode de communication, car les organisations syndicales, que vous avez auditionnées il y a quelques jours, ont été surprises de découvrir dans une interview ultérieure que vous appuyez le texte qui nous est aujourd'hui proposé, alors même que vous n'aviez pas abordé cette question avec elles ! Pour quelqu'un qui se dit à l'écoute, une telle façon d'agir est pour le moins curieuse et préoccupante pour le futur !

Tout à l'heure, à la tribune, vous avez regretté cette absence de concertation - pour reprendre vos termes - que je dénonce moi aussi. Ainsi, vous me donnez raison,...

M. Daniel Mach. Mais non !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. C'est l'inverse !

M. Jean-Pierre Dufau.... et je vous en remercie. Mais on ne peut constamment exprimer des regrets en paroles sans faire suivre ces paroles par des actes.

Vous vous en remettez à la sagesse du Parlement. Il est assez amusant de constater que le rapporteur, pour sa part, ne propose qu'un seul article de fond et s'en remet, en tablant sur les décrets d'application, à la sagesse du Gouvernement. Cet échange de sagesse est touchant !

Pour clore ces remarques sur la méthode, je rappellerai que tout projet de loi relatif au statut de la fonction publique doit être examiné par le Conseil supérieur de la fonction publique.

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un projet de loi !

M. Jean-Pierre Dufau. Ce n'est pas parce qu'il s'agit ici d'une proposition de loi que vous pouvez vous dispenser des règles habituelles et manquer ainsi de respect aux agents qui sont au service du public, et à leurs représentants.

Malheureusement, ces observations ne sont pas que formelles. Vous auriez gagné à entendre les remarques des organisations syndicales sur votre projet, qui pose d'importants problèmes de fond, à commencer par la remise en cause insidieuse du statut de la fonction publique.

En supprimant le principe des limites d'âge pour l'entrée par concours externe dans la fonction publique, vous risquez de placer dans des situations délicates des personnes qui entreraient tard au service de l'Etat. Car il reste nécessaire, pour prétendre au bénéfice d'une pension de fonctionnaire, d'avoir effectué quinze ans au service de l'Etat. Vous soutenez que de tels problèmes sont réglés par votre prétendue réforme des retraites. Comme souvent en la matière, il n'en est rien. Votre projet était et reste très insuffisant s'agissant de la prise en compte des pluripensionnés qui dépendent de plusieurs régimes. Par ailleurs, des problèmes importants se poseront pour les personnes qui entreraient tardivement dans un poste dit de service actif, c'est-à-dire dont la pénibilité est importante, qui ne ferait pas l'objet de l'un des décrets que vous envisagez dans votre proposition de loi.

M. Guy Geoffroy. Donc, mieux vaut rester chômeur !

M. Jean-Pierre Dufau. Vous dites aussi, monsieur le rapporteur, que l'on a reculé l'âge de la retraite. C'est faux : on a allongé la durée des cotisations. Il faut être très précis à ce sujet, car ce n'est pas un détail pour ceux qui se verront appliquer certaines de ces règles.

Evidemment, la cible réelle de votre projet n'est pas celle que vous dites. Conformément, une fois de plus, à une demande ancienne et réitérée du MEDEF (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ...

M. Daniel Mach. Il y avait longtemps !

M. Guy Geoffroy. C'est la Seillière connection  ! Renouvelez-vous un peu !

M. Jean-Pierre Dufau. ... vous ne songez qu'à la reconversion de certains cadres âgés du secteur privé dont les entreprises cherchent à se débarrasser. Les statistiques vont dans le sens de mon propos, même si cela vous gêne...

Pour la plupart d'entre eux, il est vrai que les « vulgaires avantages sociaux », ainsi que le président de la commission des lois a qualifié les droits des fonctionnaires, n'ont pas l'importance qu'ils peuvent avoir pour des agents des catégories B et C aux revenus modestes. Le président de la commission a toutefois précisé que le terme « vulgaire » avait deux acceptions : l'une péjorative et l'autre non. J'espère qu'il avait retenu la seconde, car cela m'avait choqué.

M. Guy Geoffroy. Il ne faut pas être suspicieux !

M. Jean-Pierre Dufau. Revenons-en, monsieur Geoffroy, à votre plaidoyer sur l'éthique de la fonction publique, que je partage. Etre au service du public, travailler pour l'Etat, les territoires ou la fonction hospitalière suppose un engagement dénué de toute idée de course à la rémunération. Je suis heureux qu'on puisse considérer que le règne de l'argent-roi a ses limites et avoir d'autres motivations pour un engagement professionnel ou citoyen. L'éthique de la fonction publique a toujours fait sa force et la fera encore demain, je l'espère.

Je ne partage pas, en revanche, vos remarques sur les emplois-jeunes et les jeunes.

M. Guy Geoffroy. Le contraire serait surprenant !

M. Jean-Pierre Dufau. Vous m'avez demandé de faire preuve de plus de finesse. Certes, l'esprit de finesse est nécessaire. Mais, en l'occurrence, l'esprit de géométrie l'est tout autant.

M. Guy Geoffroy. De géométrie variable ? ...

M. Jean-Pierre Dufau. En ce qui vous concerne, sans doute.

Je veux dire par là que le remplacement des fonctionnaires partis à la retraite, le maintien ou l'augmentation du nombre des fonctionnaires ne sont pas neutres. Si, par malheur, c'est à une diminution du nombre de fonctionnaires qu'on aboutissait, cette « géométrie variable », monsieur Geoffroy, se retournerait contre vous, tel un boomerang !

Défavorable pour certaines des personnes concernées, ce projet n'a guère de cohérence. Quel est son objectif ? Comment doit-il s'articuler avec les autres mesures que vous prenez ou envisagez de prendre par ailleurs ?

Je songe par exemple à la curieuse concomitance de ce projet avec la parution d'un décret du 29 mars 2004, relatif à l'Ecole nationale d'administration et qui fixe des limites d'âge très strictes pour la voie dite interne de recrutement. Les candidats, qui doivent disposer, pour concourir à ce titre, d'une expérience de quatre ans au moins de service effectif, ne pourront avoir plus de trente-cinq ans. Cette initiative a été fortement condamnée par les représentants syndicaux au sein de l'Ecole, notamment parce qu'elle sera très défavorable aux femmes : statistiquement, on sait que c'est la plupart du temps après trente-cinq ans que les femmes fonctionnaires se lancent dans une deuxième phase de leur carrière et se présentent aux concours internes, une fois que leurs enfants ont grandi.

Il y a, entre ce décret et votre proposition de loi, une contradiction. Si votre but est d'encourager le recrutement ou l'avancement de personnes disposant d'une expérience, comment expliquez-vous le premier ? En fait, ce type de décision tout comme cette proposition de loi risquent de remettre en cause les objectifs de promotion sociale des agents qui, par leur expérience accumulée dans leur cadre d'emploi, espèrent progresser dans leur carrière.

Il est par ailleurs surprenant de constater que, si vous proposez aujourd'hui des possibilités de recrutement sans limite d'âge, vous n'avez pas du tout songé à traiter la question des salariés précaires de la fonction publique, question parmi les plus lancinantes. Le nombre des personnes touchées par votre proposition de loi va ainsi encore croissant.

De la même façon, vous n'abordez jamais la question de l'évolution des emplois, alors que la réforme des retraites aboutit à allonger les carrières. Quelle motivation, quelles possibilités d'évolution pour des agents dont la carrière était calée sur une période plus courte et qui, aujourd'hui, devront rester en poste plusieurs années sans aucune nouvelle perspective ?

Le thème de l'expérience est intéressant Vous semblez mettre sur un piédestal l'expérience acquise... pourvu que ce soit hors de la fonction publique. Mais qui voudra l'intégrer à un âge avancé, sachant que les recrutements par concours se font « au pied du grade », c'est-à-dire à son niveau le plus bas, notamment en matière de rémunération ? Dès lors, monsieur le ministre, peut-être cette proposition n'est-elle qu'un premier pas vers la remise en cause de ce principe lié au recrutement par concours ? Sur ce point, nous attendons de vous une réponse précise. Le maintien du recrutement au pied du grade est-il garanti ?

Ces questions se posent essentiellement pour le recrutement des agents de catégorie A. Mais, bien que vous feigniez de l'ignorer, votre projet s'adresse à l'ensemble des catégories, c'est-à-dire aussi aux catégories B et C. Or, à ces deux niveaux, on court le risque de mettre fortement en concurrence les jeunes issus du système éducatif et les personnes plus âgées, alors même que votre politique de recrutement - ou plutôt de suppression massive de postes dans les années à venir - risque de diminuer gravement le nombre des postes ouverts. C'est là que le bât blesse. Certes, l'évolution démographique conduit au vieillissement des agents en place et à des départs massifs. Mais pourquoi appliquer une règle brutale de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, sans porter attention aux besoins et à l'évolution des politiques publiques ?

Plus globalement, et la méthode rejoint ici le fond, votre proposition pose le problème de l'évolution des carrières au sein de la fonction publique, et de l'attractivité de celle-ci. Depuis son arrivée au pouvoir, votre majorité développe un discours lancinant, la plupart du temps non étayé, stigmatisant les fonctionnaires.

M. Guy Geoffroy. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Dufau. Un tel discours s'accompagne d'une politique de réduction des postes sans précédent, que seule la mobilisation des chercheurs a réussi, pour ce qui les concerne, à enrayer temporairement. Il s'accompagne également d'une politique de stagnation du pouvoir d'achat des agents en place. Vous tentez de masquer le gel des rémunérations par un discours de promotion de la compétition individuelle. Mais c'est oublier que si nous souhaitons une fonction publique forte, dynamique, susceptible d'attirer à elle des personnels de qualité, il nous faut admettre que la politique de rémunération a un rôle non négligeable à jouer.

Cette proposition de loi, d'origine parlementaire donc, se réduit à un article de suppression des limites d'âge pour les concours de la fonction publique. Elle renvoie au décret, donc au Gouvernement, le détail des mesures d'application. Drôle de conception du rôle du Parlement, surtout s'agissant d'une proposition de loi !

Les questions que pose votre texte sont indissociables de l'examen d'ensemble qui devrait être mené dans le cadre du projet de modernisation du statut de la fonction publique. Il ne saurait être question d'y répondre de manière précipitée, en ignorant les enjeux et sans consulter les personnes susceptibles de les éclairer.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué à plusieurs reprises la loi de 1983. Mais elle ne remettait pas en cause le statut de la fonction publique ! Or c'est bien de cela que nous parlons.

Il ne peut y avoir de « réforme heureuse », monsieur le ministre, si on se contente de demi-mesures qui, prises isolément, ne sont que de bonnes idées posant plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.

Oui, le statut de la fonction publique mérite d'être modernisé. Mais il mérite aussi un vrai débat, plein et entier. Il vaut mieux que des mesurettes. Par conséquent, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les évolutions de la société et la réforme des retraites entreprise par le Gouvernement nous conduisent aujourd'hui à repenser un des aspects de l'organisation de la fonction publique. De nos jours, la mobilité professionnelle s'est considérablement accrue. Il est bien loin le temps où les salariés faisaient leur carrière dans une seule et même entreprise. Mobilité géographique, mobilité hiérarchique : il semble que l'on s'achemine vers des durées moyennes, au sein d'une même entité, de plus en plus courtes. Parallèlement se développe un phénomène récemment apparu, dénommé communément « changement de vie », qui se traduit par des orientations professionnelles nouvelles, voire par la naissance de vocations tardives. Dans ces conditions, il n'est pas anormal d'adapter la loi et de prendre acte, dans ce domaine comme dans bien d'autres, des évolutions profondes de notre société.

Permettre de se réorienter, de se reconvertir, d'intégrer la fonction publique à tout moment de la vie professionnelle, n'est-ce pas là un progrès, une ouverture qui répond aussi à de nouvelles aspirations de nos concitoyens ? En outre, l'expérience acquise dans le secteur privé au fil des ans peut aussi être un facteur d'enrichissement pour la fonction publique, qui pourrait trouver là le moyen de surmonter certaines difficultés de recrutement constatées ici où là. N'est-il pas temps, en effet, de dépasser le clivage public-privé, en mettant en place une certaine transversalité par la création de passerelles entre les deux secteurs, sans oublier l'impératif d'harmonisation avec la fonction publique territoriale, où la limite d'âge des candidats aux concours a déjà été supprimée ?

M. Frédéric Reiss et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. François Rochebloine. M. le rapporteur a rappelé les limites d'âge actuellement en vigueur dans la fonction publique d'Etat : entre vingt-huit ans et quarante ans pour les concours de catégorie A et quarante-cinq ans pour ceux des catégories B et C. Mais cette règle connaît de plus en plus d'exceptions : travailleurs handicapés, mères de famille nombreuse, sportifs de haut niveau, entre autres.

Si ces limites trouvaient autrefois leur justification, la réforme des retraites a opéré une redistribution des données du fait de l'allongement des carrières. Désormais, les perspectives d'une seconde carrière se sont élargies et l'on ne peut qu'encourager cette tendance qui offre la possibilité d'une mobilité nouvelle.

La proposition de loi supprime les limites d'âge aux concours de la fonction publique d'Etat, à deux exceptions près : les concours d'accès à l'emploi dit de catégorie active et les formations spécifiques, telle l'ENA, qui exigent, en retour des investissements de l'Etat, un temps de service important. Dès lors, la limite d'âge se justifie.

Je profite de cette discussion sur les limites d'âge concernant l'accès à la fonction publique pour évoquer une situation qui me semble quelque peu paradoxale. Mes collègues ne m'en voudront pas - du reste, nous sommes certainement plusieurs à partager ce point de vue - de souligner brièvement la nécessité d'instituer une limite d'âge pour l'exercice des fonctions électives.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Diable !

M. François Rochebloine. Quelle explication rationnelle peut-on invoquer pour la fonction publique dès lors qu'il n'existe pas de limite pour les élus que nous sommes ? Il ne s'agit pas de remettre en cause la légitimité ou le statut des élus, mais simplement de dire qu'il est souhaitable de fixer un seuil au-delà duquel on ne pourrait plus exercer - ce qui serait un premier pas - un mandat exécutif local tel que celui de maire, ou de président de conseil général ou régional. J'insiste sur le terme « exécutif », car ce seuil n'a pas pour but d'éliminer de la vie politique et des assemblées locales toute personne ayant un âge supérieur à cette limite, que je propose de fixer à soixante-huit ans, comme pour les universitaires.

En conclusion, vous l'aurez compris, le groupe Union pour la démocratie française votera le texte que nous discutons ce matin.

M. Jacques Remiller. Il s'améliore !

M. François Rochebloine. Faisons de cette loi une loi de la deuxième chance, qui autorise à tout âge des reconversions, des réorientations, qui offre de nouvelles perspectives à de nombreux salariés de notre pays, en donnant, sans excès, plus de souplesse à un système devenu avec le temps bien lourd et, hélas, bien souvent trop rigide. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique pourrait, de prime abord, recueillir notre assentiment. Aujourd'hui, en effet, la vie professionnelle d'un salarié ne connaît plus la même évolution que par le passé. Si, auparavant, une personne effectuait toute sa carrière dans une seule entreprise, ce n'est plus le cas aujourd'hui. La fonction publique n'échappe pas à cette évolution.

Toutefois, nous nous interrogeons sur les motivations qui ont conduit à la discussion de cette proposition de loi du groupe de la majorité. Votre argumentation, mes chers collègues, repose en grande partie sur la réforme des retraites qui a induit un allongement des durées de cotisation. Les salariés étant amenés à travailler plus longtemps, la solution proposée est de redynamiser le marché du travail en supprimant les limites d'âge pour les concours de la fonction publique. Il s'agirait de repenser leur place sur le marché du travail et plus précisément, en l'occurrence, dans l'administration. Selon le rapporteur, « une place plus grande pourrait être faite aux secondes carrières des travailleurs issus du secteur privé ».

Il est vrai que, à la différence du secteur privé, les agents de la fonction publique bénéficient de garanties qui leur permettent de garder leur emploi jusqu'à leur retraite. Malheureusement, vous savez parfaitement que la situation dans le privé est tout autre. Les salariés de plus de cinquante ans, voire de plus de quarante-cinq ans, sont aujourd'hui considérés comme trop âgés pour prétendre à cette seconde carrière : les entreprises du privé n'en veulent plus.

La présente proposition ne peut nous satisfaire. Certes, ces salariés ont droit à une seconde carrière, mais pourquoi ne l'envisager que dans la fonction publique ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Ce n'est pas ce que nous disons !

Mme Muguette Jacquaint. Nous aurions aimé que cette réflexion ait été menée dans le secteur privé, au sein du MEDEF par exemple (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Guy Geoffroy. Vous n'avez pas tenu plus de trois minutes avant de le citer !

Mme Muguette Jacquaint. ...et que celui-ci se montre un peu plus scrupuleux quand il s'agit d'embaucher des salariés ayant dépassé la cinquantaine, notamment en leur offrant des garanties salariales et une formation tout au long de la vie.

Nous sommes donc en droit de nous interroger sur l'état d'esprit qui a présidé à l'élaboration de cette proposition de loi, sachant de surcroît qu'aucune organisation syndicale n'a été consultée au préalable.

J'ajoute que ce texte va exactement en sens inverse des mesures récemment prises par le Gouvernement, qui a décidé, en 2002, d'abaisser la limite d'âge pour le concours externe de l'ENA à vingt-huit ans et vient de la fixer, en mars dernier, à trente-cinq ans pour le concours interne alors qu'il n'en existait pas jusqu'à présent.

De plus, la fonction publique va connaître un fort renouvellement démographique avec le départ à la retraite de près de la moitié des effectifs dans les dix prochaines années. Le Gouvernement, plutôt que d'anticiper et de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois, procède à des amputations massives d'effectifs, qui touchent notamment l'éducation nationale et qui devaient aussi concerner la recherche.

Le projet de décentralisation prévoit le transfert de 150 000 emplois mais ne donne pas l'assurance aux collectivités qu'elles disposeront des moyens financiers nécessaires.

La politique gouvernementale en matière de réforme de l'Etat se traduit par un plan social dans les DRIRE, sans compter le ballon d'essai, lancé par Francis Mer il y a quelques mois, consistant à instaurer une prime de départ pour les techniciens de ces directions régionales ; elle se traduit aussi par l'annonce de la suppression de 5 000 emplois aux impôts. Cette politique signifie donc moins d'emplois pour tous ceux qui avaient choisi d'entrer dans la fonction publique ou ceux qui, tout simplement, étaient à la recherche d'un emploi stable. C'était le but des emplois-jeunes, que vous vous êtes empressés de supprimer.

M. Guy Geoffroy. Faux ! C'est vous qui leur aviez donné une durée de vie limitée. Ayez le courage de le reconnaître !

Mme Muguette Jacquaint. Ce que je dis vous gêne et c'est pourquoi vous réagissez.

Dans ces conditions, pourquoi envisagez-vous aujourd'hui d'élargir les possibilités d'entrer dans la fonction publique ? Nous sommes très sceptiques sur les motivations de cette proposition de loi.

Dans le même temps, les fonctionnaires, du fait de l'absence d'une réelle concertation sur la politique salariale, du gel des salaires et du blocage des carrières, se sentent parfois méprisés. Pour des dizaines de milliers d'agents, les contingentements dans les déroulements de carrière, comme les limites d'âge pour passer les concours internes, ferment toute perspective d'avancement et de promotion.

Enfin, aucune réponse n'est apportée en matière de retraite et de durée de cotisation pour les fonctionnaires passant des concours entre cinquante ans et soixante ans. Que se passera-t-il pour eux ? La durée minimale de quinze ans ouvrant le droit à la retraite leur est-elle applicable ? Nous ne souhaitons pas que les salariés soient obligés de travailler jusqu'à soixante-dix ans !

Il conviendrait plutôt de s'orienter vers d'autres choix pour la fonction publique et de mettre en œuvre une gestion anticipant les départs à la retraite, valorisant le recrutement dans l'administration, titularisant les personnels précaires et organisant le développement des carrières tout au long de la vie professionnelle.

Le contexte économique et politique dans lequel s'inscrit cette proposition de loi nous fait douter de l'objectif apparemment louable avancé par Serge Poignant. Nous n'acceptons pas la politique du Gouvernement, ni dans le secteur privé ni dans la fonction publique.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma contribution au débat sur cette proposition de loi n'a rien d'original par rapport aux arguments développés par les orateurs qui m'ont précédé. Dans une société en pleine mutation, adapter les possibilités de carrière pour les agents de nos trois fonctions publiques semble bénéfique, notamment pour les agents qui restent contractuels parfois jusqu'à la retraite.

Contrairement à ce qu'affirme le groupe socialiste par la voix de M. Dufau, le débat s'inscrit parfaitement dans les prérogatives du Parlement, qui doit être une force de proposition, et les députés jouent pleinement, ce matin, leur rôle d'élus du peuple.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Jean-Pierre Dufau. Et les décrets d'application ?

M. Frédéric Reiss. La proposition de loi que nous examinons répond au souci d'offrir aux fonctionnaires la possibilité d'évoluer même pendant la période communément appelée « fin de carrière », laquelle commence parfois trop tôt et est trop souvent synonyme d'immobilisme dans l'attente de la pension de retraite.

Trois éléments importants me semblent militer en faveur de son adoption.

Le premier est la motivation des personnes intéressées par l'accès à un emploi public. Quel que soit l'emploi, la possibilité d'évolution dans une carrière doit être constante. C'est assurément un des éléments de motivation de tout travailleur. Peut-on actuellement imaginer que, au-delà de quarante-cinq ans, l'accès à un emploi, par le biais d'un concours, dans le secteur public, et notamment dans la fonction publique d'Etat, soit bloqué du seul fait de l'âge ? Mon expérience de maire m'a permis de constater que l'embauche d'un agent expérimenté issu du secteur privé doit pouvoir être prolongée par une perspective de carrière ouverte et suffisamment intéressante pour qu'il conserve sa motivation au quotidien.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Frédéric Reiss. Le second élément est la mise en valeur de l'expérience. Au-delà de la motivation qui doit - à mon sens, du moins - rester un des moteurs de l'efficacité de nos services publics, l'expérience individuelle acquise dans des emplois précédents doit pouvoir être mise en valeur et le déroulement de carrière ne doit pas être bloqué par des conditions d'âge : la limite d'âge est de quarante-cinq ans, par exemple, pour les catégories B et C. L'expérience de la vie d'une maman qui a choisi d'arrêter de travailler pour élever ses enfants peut être un atout non négligeable.

M. Jean-Pierre Dufau. Elle peut déjà intégrer la fonction publique ! C'est un mauvais exemple !

M. Frédéric Reiss. La fonction publique ne peut que s'enrichir en faisant appel à diverses expériences professionnelles et la limite d'âge pour se présenter aux concours externes participe sans doute au désintérêt de certaines personnes pour le service public.

Le troisième élément est sans nulle doute la nécessité de dynamiser le taux d'activité des cinquante-soixante ans, et je souscris à l'analyse développée par Guy Geoffroy : il ne s'agit pas du tout d'une mesure anti-jeunes !

M. Jean-Pierre Dufau. Elle l'est par ricochet !

M. Frédéric Reiss. La liberté d'accès à la fonction publique doit être étendue, quel que soit l'âge auquel une réorientation professionnelle est souhaitée ou, parfois, nécessaire. La voie du concours d'accès conservera tout son sens puisqu'elle s'inscrit dans le cadre de l'équité, sans discrimination d'âge et de sexe. Des situations professionnelles difficiles, à la suite par exemple d'un licenciement économique, peuvent conduire nombre d'agents qualifiés et expérimentés de quarante-cinq ans ou plus à vouloir accéder à un emploi public avec des possibilités de déroulement de carrière alors que l'âge de leur retraite est encore éloigné. Il faut encourager ces personnes à tenter leur chance. La fonction publique se doit de leur réserver une place et de leur permettre ainsi d'entamer une deuxième, voire une troisième carrière.

Deux réflexions pour terminer.

Premièrement, il conviendrait, au cas où cette proposition serait adoptée, d'adapter les épreuves des concours à un public différent en trouvant un meilleur équilibre entre prise en compte de l'expérience professionnelle acquise et validation des connaissances de type scolaire. La mesure risque, sans cela, d'avoir des effets limités.

Deuxièmement, il faudra clarifier le mode de calcul des pensions en cas de carrière mixte public-privé ou, plus souvent, privé-public. Les relations entre la CNRACL, la CNAV et les autres organismes de retraite devront être intensifiées.

Toutes ces considérations me conduisent à soutenir la proposition d'assouplissement des conditions d'âge pour une multitude de concours de la fonction publique - le Conseil d'Etat fixera les limites dans les cas exigeant des formations spécifiques - et je souscris aux modalités d'application qui ont été excellemment exposées par le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Serge Poignant, rapporteur. Je tiens d'abord à remercier les très nombreux députés qui ont cosigné cette proposition de loi, les orateurs qui l'ont soutenue avec enthousiasme et M. le ministre, qui l'a bien comprise.

Je ne comprends que nos collègues de l'opposition prêtent à ce texte je ne sais quelles intentions, car il est frappé au coin du bon sens. Vous avez dit, monsieur Dufau, que vous alliez essayer de démontrer les risques qu'il présente ; je ne pense pas que vous ayez convaincu beaucoup de nos collègues. En tout cas, vous avez été le seul à trouver une incohérence entre mes propos et ceux de notre excellent orateur, Guy Geoffroy.

M. Jean-Pierre Dufau. Non ! Cette opinion est pour le moins partagée !

M. Serge Poignant, rapporteur. Par ailleurs, je n'ai pas attendu le changement de ministre pour déposer cette proposition de loi. Elle l'a été en octobre 2003 et est publique depuis cette date.

M. Jean-Pierre Dufau. Mais l'ordre du jour ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Il n'y a pas eu de réaction. Il est vrai que je n'ai pas consulté les syndicats nationaux, mais je n'ai pas non plus consulté le MEDEF.

M. Guy Geoffroy. Ni le PS !

M. Serge Poignant, rapporteur. Pas davantage...

Bien sûr, monsieur Dufau, que la loi appelle des décrets ! C'est le respect de la Constitution. D'ailleurs - rappelez-vous - la suppression des limites d'âge pour l'accès aux corps enseignants en 1989, pour les concours internes de l'administration en 1990, puis dans la fonction hospitalière en 1991 a, chaque fois, été décidée par décret.

M. Jean-Pierre Dufau. Après négociation !

M. Serge Poignant, rapporteur. Bien sûr. M. le ministre a indiqué qu'il allait procéder à des consultations avant de prendre les décrets.

N'oubliez pas que ce sont vos amis qui ont jugé bon d'instituer, en 2001, en modifiant un article de la loi de 1983, la règle de non-discrimination en fonction de l'âge, à cela près qu'il fallait, pour tenir compte des possibilités de déroulement de carrière, que les fonctionnaires aient quinze ans d'ancienneté dans le service public pour pouvoir bénéficier du droit à pension.

M. Jean-Pierre Dufau. Cela ne remettait pas en cause le statut de la fonction publique.

M. Guy Geoffroy. Là non plus !

M. Jean-Pierre Dufau. Si !

M. Serge Poignant, rapporteur. La proposition de loi ne remet absolument rien en cause, monsieur Dufau. Regardez les statistiques de 2003 que vient de publier le ministère des affaires sociales : les deux tiers des fonctionnaires de la fonction publique territoriale ont exercé auparavant dans le secteur privé.

M. Guy Geoffroy. Absolument ! C'est ce qui en fait la richesse !

M. Serge Poignant, rapporteur. Le pourcentage est d'un tiers pour la fonction publique d'Etat. Ces gens-là ont-ils, pour autant, été pénalisés ? Non !

Par contre, puisque vous me prêtez je ne sais quelles intentions, je vous citerai deux exemples, pris dans ma circonscription, où la condition d'âge a pénalisé des gens.

Fort de son expérience professionnelle, un moniteur d'auto-école, licencié économique, souhaitait se présenter au concours externe d'inspecteur. Comme il avait quarante-sept ans, il ne l'a pas pu.

M. Alain Cousin. Et voilà !

M. Frédéric Reiss. Cela avait complètement échappé à nos collègues de gauche !

M. Guy Geoffroy. C'est de l'équité socialiste !

M. Serge Poignant, rapporteur. Le bon sens ne commande-t-il pas de supprimer les limitations d'âge, d'autant que l'on manque d'inspecteurs ?

Second exemple : une secrétaire du secteur privé, elle aussi licenciée économique, veut postuler à un concours de la préfecture. Elle ne le peut pas car la limite d'âge est de quarante-cinq ans et elle en a quarante-six. Trouvez-vous cela logique ?

Le maintien de la règle des quinze ans de service pour l'ouverture de droits à la retraite ne s'impose plus, car la personne qui aura travaillé trente ans dans le secteur privé et dix ans dans la fonction publique bénéficiera de l'assurance vieillesse de la sécurité sociale et de la pension de l'IRCANTEC, et sa retraite sera calculée sur les vingt-cinq meilleures années puisque la réforme récente a institué un régime des polypensionnés.

M. Jean-Pierre Dufau. Ces agents seront affiliés au régime général et non à celui de la fonction publique !

M. Guy Geoffroy. C'est mieux que le chômage !

M. Serge Poignant, rapporteur. La sécurité attachée aux emplois publics constitue sans aucun doute un élément attractif, mais la fonction publique, M. Geoffroy l'a fort bien dit, c'est autre chose : elle a une mission de service du public. De plus, la proposition qui vous est soumise ne pénalise personne. Ce qui est pénalisant, par contre, c'est de ne pas pouvoir y entrer. Les salariés du secteur privé apporteront leur expérience au secteur public et seront soumis au régime de retraite des polypensionnés. Je ne vois pas où il y a incohérence ou pénalisation.

M. Jean-Pierre Dufau. On n'est plus rentable dans le privé : on va dans le public !

M. le président. Monsieur Dufau, vous vous êtes exprimé dans la discussion générale. Laissez M. le rapporteur répondre.

M. Serge Poignant, rapporteur. Monsieur Dufau, la rentabilité des salariés n'a rien à voir avec ce texte. Très franchement, ne croyez-vous pas qu'au-delà de l'intérêt de la mobilité, faciliter le passage du secteur privé au secteur public sera enrichissant pour ce dernier au niveau de l'encadrement ?

M. Jean-Pierre Dufau. Tout à fait !

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Serge Poignant, rapporteur. Par-delà vos critiques et vos procès d'intention, ou plutôt de motivation, Mme Jacquaint et vous-même faites le même constat que nous et partagez le sentiment général. Après avoir fait évoluer les fonctions publiques territoriale et hospitalière et les concours internes de l'administration, il fallait favoriser la mobilité et répondre aux nombreux cas concrets qui se présentent sur le terrain et dont je vous ai cité deux exemples. Je vous assure que ce texte satisfera de nombreuses personnes.

Je vous ai sentis, Mme Jacquaint et vous-même, un peu mal à l'aise.

M. Guy Geoffroy. Très « brouillons », comme on disait hier !

M. François Rochebloine. Mme Jacquaint a même quitté l'hémicycle !

M. Serge Poignant, rapporteur. Vous nous avez prêté des intentions qui n'existent pas. La proposition de loi que nous examinons, et que j'ai déposée, je le rappelle, en 2003, me paraît frappée au coin du bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Je reviendrai sur les positions exprimées par la majorité, l'opposition et le Gouvernement.

Tout d'abord, je salue l'initiative prise par l'auteur de la proposition et de nombreux membres de la majorité. Ils nous proposent une mesure très pragmatique, visiblement inspirée de problèmes concrets rencontrés par des Français de chair et d'os, lesquels se sont tournés vers leurs parlementaires pour leur demander des solutions. Voilà un travail parlementaire que l'on ne peut contester sur le fond.

Du côté de l'opposition, je constate l'embarras de ses porte-parole. Les deux parlementaires qui se sont exprimés sont en effet, on le sent bien, tiraillés entre la tentation de l'opposition systématique - qui est, si j'en crois les multiples prises de parole d'aujourd'hui, dans l'air du temps - et l'intérêt intellectuel que présente la proposition. Eux aussi rencontrent dans leur circonscription des hommes et des femmes qui se désolent de voir que des portes leur sont fermées alors qu'ils ont la capacité d'occuper des emplois publics. Pourquoi maintenir la discrimination en fonction de l'âge alors que la prise en considération du mérite, qui est inscrite dans notre droit, ne doit pas se heurter à de telles différences ? Mais je laisserai l'opposition, que je sens empêtrée dans ses contradictions, dénouer elle-même ses problèmes.

Quant au Gouvernement, sa position est très claire.

Il respecte le dialogue social. Aussi ai-je affirmé que j'engagerais sur le sujet les entretiens nécessaires avec les partenaires sociaux. Du fait des circonstances, je n'ai pas eu le temps de le faire avant. En m'en remettant à la sagesse de l'Assemblée, je témoigne de la volonté d'écoute du Gouvernement.

Il respecte également le pouvoir d'initiative du Parlement. Il n'y a aucune raison que j'y fasse obstacle. Il est inscrit dans la Constitution et doit être respecté.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Pierre Dufau. Qui est embarrassé ?

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Ce texte aura de nombreuses conséquences sur les carrières, la gestion des corps, l'entrée dans la fonction publique.

M. Jean-Pierre Dufau. Tiens !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Elles seront examinées dans le cadre plus large du débat que vous avez appelé de vos vœux sur l'avenir et la modernisation de la fonction publique.

Je souhaite que le débat qui va avoir lieu à ce sujet dans les prochains mois soit positif et nourrisse une réforme heureuse. Les termes « réforme de l'Etat » figurent dans le titre de mon ministère. La réforme heureuse que je souhaite doit respecter la règle : « gagnant-gagnant ». Il n'y a aucune raison que la modernisation soit une souffrance, une épreuve. Tout le monde doit y trouver son compte, notamment les trois principaux acteurs :

L'agent, celui qui s'est mis au service du public, car le service public, ne l'oublions pas, est le service du public ;

L'usager - appelons-le le citoyen -, qui doit bénéficier d'un service public de qualité, donc d'une fonction publique motivée, intéressée à la qualité du travail ;

Le contribuable, qui finance le service public.

Ces trois acteurs doivent être les gagnants de la réforme que je souhaite mettre en œuvre. Celle-ci passe par une relation de confiance forte avec les agents des trois fonctions publiques, à travers leurs organisations syndicales.

Vous avez évoqué des sujets précis et importants. Nous discutons dans le cadre général de la réflexion européenne sur le travail dans les sociétés modernes. En 2001, au sommet de Stockholm, et en 2002, au sommet de Lisbonne, l'ensemble des Etats de l'Union ont examiné cette question et ont pris un engagement dont le gouvernement Jospin, monsieur Dufau, était l'un des signataires. Cet engagement consiste à atteindre en 2010 un objectif très simple : la moitié des  cinquante-cinq - soixante-cinq ans doivent pouvoir exercer un emploi. Notre débat constitue l'une des pierres de ce mur que nous devons élever pour que nos concitoyens de cet âge soient plus nombreux à pouvoir travailler s'ils le désirent. Nous devons prendre très au sérieux la question de l'emploi des seniors dans la fonction publique. C'est le but de cette proposition de loi.

Mme Jacquaint et M. Dufau ont évoqué la limite d'âge de trente-cinq ans pour le concours interne de l'ENA. Il faut réexaminer ce point, afin d'assurer la cohérence du régime des limites d'âge. Je vais m'y employer.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Vous avez rappelé, monsieur Dufau, le principe d'airain selon lequel on entrerait « au  pied du grade » dans la fonction publique. Ce n'est pas vrai ! Il y a beaucoup de cas où l'on prend en compte - Dieu merci, car ce serait une injustice de ne pas le faire -l'expérience qui a été acquise par de nouveaux salariés de la sphère publique dans leur parcours professionnel antérieurI. Il en va ainsi, en particulier, pour les troisièmes concours, où l'ancienneté est prise en considération.

Donner un peu plus d'humanité aux concours est un des axes de la réforme de la fonction publique que nous allons devoir engager. Le concours est un principe qu'il faut respecter et j'y suis, pour ma part, très attaché. Mais ce principe doit être modernisé, afin qu'il soit mieux tenu compte de l'expérience de ceux qui entrent dans la fonction publique.

On doit aussi placer ce principe sous le sceau de l'équité. Nous savons que notre système de recrutement, avec ses épreuves souvent très académiques, crée des discriminations, notamment à l'égard de nos concitoyens dont les origines sociales ont été source de difficultés scolaires. Si l'on est fils d'ouvrier, on a deux fois moins de chances d'obtenir le baccalauréat que si l'on est fils d'enseignant ou de cadre supérieur. Or le baccalauréat est la clé des concours. Ces derniers reproduisent ainsi les inégalités sociales.

C'est un sujet auquel nous devrons réfléchir dans le cadre du débat que nous aurons l'occasion de conduire ensemble, dans un esprit que je souhaite ouvert et constructif. La fonction publique est celle de tous les Français ; elle ne doit pas être un champ de bataille.

Nous devons poursuivre notre réflexion non seulement dans le cadre de la proposition de loi de M. Serge Poignant, mais aussi dans le cadre de la concertation que je vais ouvrir à ce propos dans les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Articles 1er et 2

M. le président. Les articles 1er et 2 ne font l'objet d'aucun amendement.

Je vais les mettre aux voix successivement.

( Les articles 1er et 2, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, deuxième séance publique :

Déclaration du Gouvernement relative à l'énergie et débat sur cette déclaration.

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot