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Deuxième séance du mercredi 12 mai 2004

216e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

DIVORCE

Transmission et discussion du texte
de la commission mixte paritaire

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

                  « Paris, le 29 avril 2004

« Monsieur le président,

« Conformément aux dispositions de l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous demander de soumettre à l'Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au divorce.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion de ce texte (n° 1579).

La parole est à M. Patrick Delnatte, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Patrick Delnatte, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons ce soir au terme d'une discussion engagée il y a près de deux ans et demi. Ce long débat nous a permis de légiférer de manière quasi consensuelle sur l'essentiel, sans négliger les aspects techniques qui accompagnent toute modification du code civil.

C'est d'ailleurs à ce travail d'approfondissement et de clarification effectué à l'Assemblée nationale que le Sénat a rendu hommage : il est vrai que nous avons adopté en première lecture une cinquantaine d'amendements. Aussi le texte issu de la commission mixte paritaire a-t-il peu évolué.

Parmi nos modifications les plus importantes, la CMP a approuvé le dispositif d'éviction du conjoint violent. La délégation aux droits des femmes a manifesté tout au long de l'examen de ce texte son souci de garantir à cette disposition une effectivité réelle. Nous donnons ici à la justice des moyens supplémentaires pour combattre les violences conjugales.

L'Assemblée nationale avait aussi proposé une nouvelle définition du divorce pour altération définitive du lien conjugal afin de lier la cessation de la communauté de vie à la séparation des époux. Je suis heureux que la CMP l'ait acceptée, car cet amendement était nécessaire pour éviter toute ambiguïté. Ainsi tenons-nous bien compte de l'évolution des modes de vie : aujourd'hui, on ne peut maintenir durablement dans les liens du mariage deux personnes qui ne vivent plus ensemble. C'est la raison d'être de cette nouvelle procédure. J'espère qu'elle permettra d'apaiser des conflits anciens pour donner l'occasion aux conjoints séparés sans aucun accord de reconstruire leur vie.

En ce qui concerne la prestation compensatoire, nous avions eu de longs débats pour définir ses modalités le plus clairement possible. Cette démarche se situe dans le prolongement de la loi du 30 juin 2000, qui avait permis d'améliorer le régime de la prestation compensatoire en faisant du capital la règle et de la rente viagère l'exception. Soucieux de préserver l'équilibre entre créanciers et débiteurs, nous sommes revenus aux critères actuels d'octroi de la rente viagère, ce qui facilitera le travail des professions judiciaires. L'Assemblée a également précisé que le juge qui refusera la substitution d'un capital à une rente devra rendre une décision spécialement motivée.

Je tiens à saluer les modifications apportées par notre assemblée au régime de déduction de la pension de réversion de la rente afin d'adapter les dispositions du code civil à la réforme des retraites votée l'été dernier.

Enfin, la CMP a adopté le dispositif fiscal proposé par le Gouvernement, qui accompagnera utilement la réforme de la prestation compensatoire.

Outre une modification du dispositif relatif à Mayotte, la CMP a finalement modifié trois dispositions que nous avions retenues.

La première, relative à la substitution d'un capital à une rente, a été précisée. Il n'est plus fait référence au caractère viager de cette rente, afin que la substitution soit également possible pour les rentes temporaires décidées par convention entre les parties. Dans la suite de cet amendement, lors de l'examen du texte élaboré par la CMP, le Sénat a retenu un amendement du Gouvernement permettant d'assurer la coordination de l'article concerné avec les dispositions du projet de loi relatives aux prestations compensatoires fixées par convention. Je vous proposerai d'adopter cette modification, qui est une mesure d'harmonisation rédactionnelle.

En deuxième lieu, la nouvelle rédaction de l'article 255 du code civil, relatif aux mesures provisoires, n'avait pas été adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. La CMP a précisé que le juge pourra désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif et de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux. Elle a ainsi retenu la solution adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

En revanche, elle a décidé que seule serait prévue la possibilité pour le juge de désigner un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager. Elle est revenue, sur ce point, à la rédaction adoptée par le Sénat.

Enfin, nous avons eu à débattre des conditions d'organisation d'une seconde comparution en cas de divorce par consentement mutuel. L'Assemblée nationale avait ouvert la possibilité pour les parties de demander, ensemble, une seconde audience. Cependant, la CMP a craint que cette demande ne soit de nature à fausser l'esprit du divorce par consentement mutuel. En cas de désaccord, les époux doivent envisager une autre procédure de divorce. La CMP a donc refusé la possibilité de permettre aux parties de demander une seconde comparution au juge, préférant s'en tenir au dispositif du projet de loi, qui permet au juge de refuser l'homologation de la convention, une nouvelle convention pouvant ensuite lui être présentée dans un délai de six mois.

Je voudrais, pour conclure, vous redire à quel point le projet de loi relatif au divorce est attendu : alors que 120 000 couples divorcent chaque année, les avocats ont su nous expliquer de quels nouveaux outils ils avaient besoin, et les juges aux affaires familiales sont très sensibles aux dispositions qui favoriseront les accords entre les parties.

Après le point final, mais non définitif - car, en matière de droit des personnes, rien n'est définitif -, que nous lui apposons aujourd'hui, la loi entrera en application le 1er janvier prochain. Espérons que les intentions du législateur auront été suffisamment clarifiées et précisées pour permettre aux juges et aux auxiliaires de justice d'apporter toute leur expérience à la nécessaire pacification du divorce, dans le respect de l'équité et de la protection des personnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous examinez ce soir, en vue de son adoption définitive, le projet de loi relatif au divorce.

La solennité de ce moment privilégié de la vie parlementaire n'échappera à personne. Il vient consacrer un travail d'une grande qualité et une réforme qui fera date dans notre pays. Son élaboration par un groupe de réflexion pluridisciplinaire où députés et sénateurs, universitaires et praticiens ont su mettre en commun leurs compétences multiples, ainsi que l'extrême richesse et la sérénité qui ont ensuite marqué les débats, ont été remarquables. Tout ceci a permis d'aboutir à un texte d'une grande cohérence, salué par tous pour son caractère équilibré et consensuel.

Je me réjouis, à cet égard, de constater que le projet du Gouvernement a rejoint pour l'essentiel vos préoccupations. Des améliorations notables y ont été apportées à l'initiative de votre assemblée, sur lesquelles, sans prétendre être exhaustif, je souhaiterais revenir.

Tout d'abord, le souci d'offrir aux époux un véritable choix, plus conforme à leurs attentes, et de redonner à chaque procédure sa juste place, a été pleinement pris en compte. Ainsi, les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui devrait constituer à l'avenir une réelle alternative à la faute, ont été clarifiées. Elles sont désormais directement liées au constat de l'existence d'une séparation depuis deux ans lors de l'assignation, lequel suffira à justifier le prononcé du divorce.

Vous avez approuvé, et je m'en félicite, la mise en place d'un tronc commun procédural qui facilite l'accès au juge et préserve les chances de rapprochement des époux pendant la phase de conciliation.

L'adoption d'une disposition visant à interdire la production de tout élément de preuve obtenu par violence ou fraude mérite tout autant d'être soulignée. La rédaction retenue, qui intègre les moyens modernes de communication, favorisera une plus grande dignité du débat judiciaire.

Mais c'est assurément sur la question des effets du divorce que la contribution de votre assemblée s'est avérée la plus déterminante.

En premier lieu, un certain nombre d'améliorations ont été apportées en faveur d'une plus grande équité. Je pense notamment aux conditions d'octroi d'une rente viagère, qui seront opportunément maintenues dans leur rédaction issue de la loi du 30 juin 2000, ainsi qu'à l'interdiction d'attribuer, à titre de prestation compensatoire, la propriété d'un bien que le débiteur aurait reçu par donation ou succession, sans qu'il y consente expressément.

La modification des conditions d'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 266 en cas de divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal s'avère de même pleinement justifiée. En effet, seul l'époux qui se voit imposer cette procédure alors que lui-même n'a formé aucune demande en divorce doit pouvoir en bénéficier. Je pense enfin à l'heureuse adaptation du mécanisme de déduction des pensions de réversion, en considération de la réforme des retraites récemment intervenue.

En second lieu, le texte me paraît mieux préserver la sécurité juridique, dans l'intérêt même des époux. Ainsi, l'accord consenti par l'un des époux dans le cadre de la procédure de divorce en faveur du maintien de certaines donations ou avantages matrimoniaux qu'il aurait consentis à son conjoint sera, à juste titre, irrévocable.

La conversion d'une séparation de corps prononcée par consentement mutuel en divorce supposera, sauf demande formée unilatéralement sur un autre fondement, l'accord des deux époux. Ceci me semble effectivement plus respectueux de leur volonté commune.

En dernier lieu, je me félicite de la réflexion menée en faveur de l'époux victime de violences conjugales. Votre commission des lois s'est attachée, dans ce domaine sensible, à accroître l'efficacité du nouveau dispositif en adaptant le régime applicable en matière d'expulsion et en permettant au juge de statuer, dans une seule et même décision, sur la contribution aux charges du mariage. Il s'agit là de dispositions essentielles, qui s'inscrivent pleinement dans l'action que nous menons en matière de prévention et de traitement de ce phénomène préoccupant.

Je serais incomplet si j'omettais d'évoquer, avant de conclure, l'important travail de coordination réalisé par votre commission. Je pense notamment à la suppression de la référence à la déduction des sommes versées, après le décès du débiteur, en cas de substitution d'un capital à la rente, ou encore, en l'absence de dispositions particulières, à l'extension de ce nouveau mécanisme aux prestations fixées par convention.

Ces avancées témoignent de la profonde convergence de vues qui a caractérisé l'action commune du Gouvernement et du Parlement.

Je tiens, en cette occasion, à saluer tout particulièrement l'investissement personnel remarquable de votre rapporteur, M. Patrick Delnatte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Pascal Clément, président de la commission mixte paritaire. Bravo !

M. Gérard Léonard. Excellent rapporteur !

M. le garde des sceaux. Ses qualités humaines exemplaires et son attention constante envers la préservation des droits de chaque époux et la protection du plus faible ont imprégné l'ensemble des travaux. Je lui en suis vivement reconnaissant.

Je crois que sa volonté, intimement partagée par le plus grand nombre, de voir institué un droit du divorce empreint de mesure et d'humanité, plus protecteur de la dignité des couples et des liens de parenté essentiels, est pleinement respectée.

Une telle réforme a toute sa place dans une politique ambitieuse en direction des familles, les aidant à assumer, en toutes circonstances, leur mission fondamentale d'éducation à la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l'examen législatif d'un texte sur lequel on peut s'étonner et regretter que le Gouvernement ait choisi de déclarer l'urgence.

Votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, aurait, à mes yeux, certainement gagné à une seconde lecture dans chaque chambre.

Je souhaiterais évoquer devant vous trois réflexions inspirées par le texte issu de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 29 avril dernier.

La première concerne les précautions que nous semblait justifier l'unicité de procédure.

Le premier alinéa de l'article 232 du code civil autorise le juge à homologuer la convention et à prononcer le divorce s'il a la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé. Le second alinéa ouvre au juge la faculté de refuser l'homologation et de ne pas prononcer le divorce lorsqu'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux.

Tout le monde s'accordait à considérer que cette procédure reposait d'abord sur la volonté des époux et exigeait d'eux l'anticipation de l'ensemble des solutions et des conséquences qu'ils y attachaient : l'unicité d'audience consacrait la primauté du choix des époux.

C'est pourquoi, en première lecture, dans notre hémicycle, différents groupes, à travers plusieurs amendements, avaient estimé nécessaire de conférer aux époux la possibilité de solliciter du juge une seconde comparution. Pour le groupe socialiste, en particulier, cette possibilité tendait à réduire les risques inhérents à l'unicité d'audience.

Ainsi, l'Assemblée avait adopté un troisième alinéa ainsi rédigé : « Si les parties le demandent, une seconde comparution peut être ordonnée par le juge. Dans ce cas, le divorce ne peut être prononcé qu'à l'issue de cette audience. » Nous avions trouvé là un consensus, monsieur le rapporteur.

Cependant, en commission mixte paritaire, le Sénat, à l'évidence fort courroucé - sans que l'on comprenne les causes de sa réaction -, s'est fortement opposé à cette proposition, et la majorité de notre assemblée s'est ralliée à lui ; nous le regrettons vivement.

Nous admettons sans réserve l'intérêt que revêt une audience unique. Elle est certes suffisante dans la majorité des procédures de divorce par consentement mutuel, les problèmes patrimoniaux étant limités et les époux assumant parfaitement les importantes décisions relatives aux enfants. Mais, quand les époux entendent choisir la procédure par consentement mutuel quoique de nombreuses questions, éventuellement complexes, restent à régler, l'hypothèse qu'ils puissent demander un ajournement était parfaitement légitime, et nous en étions tous convenus. Or, avec la rédaction de la commission mixte paritaire, le juge peut ne pas prononcer l'ajournement, alors que notre assemblée avait prévu qu'il soit lié par l'intention des époux.

Il faut assouplir la procédure de divorce par requête conjointe, et nous sommes convaincus que l'audience unique risque, dans certains cas, de dissuader les conjoints d'en faire usage, ce qui sera totalement contraire à l'intention du législateur telle que notre convergence d'analyses l'a fixée.

Ma deuxième réflexion concerne l'article 12 du projet de loi, qui modifie les mesures que le juge peut prendre à titre provisoire pour assurer l'existence des conjoints et de leurs enfants jusqu'à la date à laquelle le jugement prend force de chose jugée.

Parmi ces mesures, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, le Sénat avait prévu, au 9° du texte proposé pour l'article 255 du code civil, que puisse être désigné « un notaire ou un autre professionnel qualifié » pour dresser un inventaire ou faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux. Notre assemblée a supprimé la référence au notaire, en considérant que la mention « tout professionnel » intégrait l'ensemble des personnes qualifiées susceptibles d'assumer cette mission d'inventaire et de proposition de règlement. La commission mixte paritaire a accepté cette solution, vous l'avez dit.

Mais, au 10°, le Sénat avait prévu de désigner un notaire en vue de la liquidation du régime matrimonial et de la formation des lots à partager. Notre assemblée avait contesté cette rédaction en considérant qu'elle imposait au juge, dans tous les cas où un projet de liquidation matrimoniale est élaboré, de faire appel à un notaire, alors que la législation en vigueur ne l'exige que si le patrimoine contient des biens immobiliers, dont la mutation ne peut intervenir que par acte notarié. La sollicitation obligatoire d'un notaire contredisant nos objectifs communs de rapidité et d'allégement des coûts, notre assemblée s'était accordée pour que puisse être désigné « un notaire ou un professionnel qualifié ».

Le Sénat a imposé à la commission mixte paritaire de rétablir sa propre rédaction, pour des raisons incompréhensibles, ou plutôt inavouables, car éminemment corporatistes, je le répète avec le respect qu'inspire la grande et honorable profession de notaire. C'est dit et c'est écrit ; les commentaires qui ne manqueront pas d'être faits demain le confirmeront.

Déjà, après la loi de 1975, on avait assisté à une tentative de placer les notaires au cœur du règlement des effets patrimoniaux et pécuniaires du divorce, en particulier lorsqu'ils avaient exprimé l'idée d'intervenir en tant que rédacteurs de la convention définitive du divorce.

Dorénavant, en vertu de cette disposition, le juge devra solliciter un notaire pour élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial, même si celui-ci ne contient que des éléments mobiliers, meubles meublants, titres et valeurs, comptes bancaires. Il est extrêmement regrettable que la commission mixte paritaire - je lui en fais le reproche courtois mais sévère - ait cédé à cette démarche, qui ajoute au droit positif et modifie les compétences de l'organisation judiciaire.

Ma dernière réflexion portera sur l'ordre de discussion de votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux.

J'ai salué notre travail commun et j'ai notamment relevé que nous n'avions pas inscrit nos arguments réciproques dans les certitudes. Je pensais effectivement, et je le crois toujours, que nous avons bien fait. Mais je m'interroge sur l'ordre de discussion de votre projet de loi.

En commission mixte paritaire, hormis les deux dispositions que je viens d'évoquer, les sénateurs se sont largement ralliés aux modifications apportées par les députés et ont même salué le travail de notre assemblée et de son rapporteur. Ce constat ravive mes regrets, monsieur le garde des sceaux. Pourquoi notre assemblée n'a-t-elle pas été saisie la première ?

Vous auriez bénéficié, me semble-t-il, d'une réflexion imprégnée d'une large compréhension des exigences de la réforme du divorce et de vos intentions initiales.

Nous aurions pu placer le débat, du même coup, dans une démarche plus volontariste, notamment - c'est le terrible regret que j'ai exprimé dès le départ - en ce qui concerne le divorce pour faute. Saisis les premiers, les sénateurs ont pu imposer le maintien d'une définition extensive de la faute, contrairement à l'intention initiale de votre propre projet ! Lié par ce vote de la majorité sénatoriale, vous avez renoncé à défendre une restriction du champ de la faute, que vous aviez pourtant retenue dans votre projet de loi en consacrant la formule des « violations graves ». C'est là, selon nous, l'erreur majeure de cette réforme, et c'est pourquoi, monsieur le rapporteur, elle ne sera pas totalement consensuelle.

A propos de notre proposition de réduire la faute aux seules « violations graves » des devoirs et obligations du mariage, notre assemblée, le 8 avril dernier, s'est trouvée à parité. Si nous avions examiné ce texte avant les sénateurs, monsieur le garde des sceaux, je suis persuadé que vous auriez pu compter sur une majorité de députés pour adopter une définition restrictive de la faute, conforme à votre projet initial et, nous semble-t-il, à l'attente de la société et aux besoins des époux.

Vous auriez ainsi pleinement saisi l'occasion de mettre en place le divorce du xxie siècle. Vous ne l'avez pas fait, monsieur le garde des sceaux, et je le regrette. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le droit de la famille est manifestement de nouveau au cœur de l'actualité, mais sous une forme assez inhabituelle.

Quoi qu'il en soit, il y a un mois, alors que nous examinions votre projet de loi en première lecture, monsieur le garde des sceaux, je m'étais permis, comme on enfonce une porte ouverte, de rappeler qu'avant le divorce il y a eu de l'amour et de l'enthousiasme : un couple a voulu créer une famille, avoir des enfants, constituer un patrimoine. Mais, soudain, tout s'inverse, le problème devient ingérable et ceux qui se sont tant aimés en viennent à se déchirer. C'est pourquoi j'ai regretté que le débat technique, motivé par des considérations matérielles et pécuniaires, occulte très souvent la dimension humaine.

Comme mon collègue socialiste Le Bouillonnec, je pense - et je le dirai même un petit peu plus fort que lui - que la place de l'homme devrait, à l'avenir, retrouver un peu plus d'importance, quitte à ce que cela se fasse au détriment du notaire. Même si j'ai beaucoup de respect pour les notaires - on ne sait jamais de qui l'on peut avoir besoin (Rires) -, j'aimerais que la dimension humaine redevienne primordiale. Je pense que cela pourrait régler bien des cas de divorces, et même en éviter de nombreux.

Je regrette aussi que la possibilité de seconde comparution n'ait pas été retenue pour le divorce par consentement mutuel. En faisant l'économie d'une dernière chance de sauver des couples qui, après quelques semaines de réflexion, auraient pu changer d'avis, ne risque-t-on pas de fragiliser un peu plus ce colosse aux pieds d'argile qu'est devenu le mariage ? Dans notre société, la communication a fait des progrès considérables. On communique de plus en plus sur l'internet, par fax, par téléphone - fixe le matin, mobile dans la journée -, mais on a de plus en plus de mal à se parler au sein des couples. La commission mixte paritaire a supprimé la possibilité de seconde comparution, considérant qu'elle pourrait fausser l'esprit du divorce par consentement mutuel. Il me semble que la philosophie du texte n'aurait pas été bouleversée par cette disposition qui, du reste, avait recueilli une large approbation de l'Assemblée. D'autant que, selon les statistiques, dans 25 % des cas, la procédure de divorce est abandonnée. Bien sûr, faire baisser les statistiques des divorces n'est pas le but premier du texte, mais, à cet égard, la représentation nationale doit se sentir responsable.

J'approuve l'esprit du texte, qui tend à moderniser et à faciliter en les simplifiant les procédures, et à mettre fin le plus rapidement possible aux dépendances patrimoniales post-mariage. L'apaisement des procédures de divorce, notamment grâce à l'importance accordée à l'accord entre époux, bénéficiera d'abord aux enfants, premières victimes de divorces, douloureux ou non. Ces dispositions, empreintes d'humanisme, participent d'une vision du divorce partagée quasi unanimement sur les bancs de cet hémicycle.

Notre groupe se félicite grandement des mesures relatives aux violences conjugales, qui protègent davantage l'époux victime. Sans revenir sur la discussion de première lecture ni sur le détail des mesures envisagées, j'insiste sur le fait qu'elles bénéficieront principalement aux femmes, qui sont les premières victimes des violences conjugales.

S'agissant des relations patrimoniales post-mariage, sur lesquelles le groupe UDF avait déposé des amendements, j'ai quelques regrets à exprimer. Non pas tant, d'ailleurs, sur le projet de loi, même s'il reste perfectible, mais sur le conflit qui oppose les différents lobbies : entre les associations des débiteurs de prestations compensatoires, qui se considèrent condamnés à perpétuité, et les associations de créanciers qui revendiquent une rente, un vif différend s'est installé. Bien sûr, la loi ne peut tout résoudre et il appartient au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation. Il n'en demeure pas moins que certaines situations mériteront des souplesses législatives. Sans me faire le défenseur de la veuve et de l'orphelin - encore que ... - ni sombrer dans le manichéisme, la généralisation de la prestation sous forme de rente aurait sans doute permis à de nombreuses divorcées de ne pas ajouter à des situations déjà douloureuses du fait de la séparation des difficultés pécuniaires. Il ne s'agit pas pour nous de prendre parti pour un camp ou pour l'autre, mais d'aboutir à un équilibre juste et mesuré.

Ce texte n'aura de portée historique qu'à partir du moment où chaque partie ne vivra plus le divorce comme un boulet à traîner des années durant. Bien entendu, des mécontents se feront toujours entendre, mais ils demeureront isolés si l'ensemble des Français a le sentiment que le meilleur équilibre a été trouvé.

Malgré quelques imperfections, je crois que nous sommes parvenus à un projet de loi qui rendra les procédures de divorce les moins douloureuses possible. C'est pourquoi notre groupe le votera.

Je vous félicite, monsieur le garde des sceaux, pour le travail que vous avez accompli, ainsi que le président de la commission et M. le rapporteur. Le travail de concertation qui a été conduit en amont fait figure de modèle. Dans notre société complexe, il faut du temps pour faire se rencontrer des points de vue divergents. C'est pourquoi je me permets de suggérer la multiplication des fameux « facilitateurs ». Il y a là beaucoup d'emplois intelligents et humains à créer. Oserai-je dire qu'il faudrait un peu moins d'avocats, autant de notaires mais pas plus (Sourires) et beaucoup plus de « facilitateurs » pour aider les hommes et les femmes qui en ont besoin à se sortir d'une situation difficile, où ils se sentent désemparés, comme mutuellement assiégés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, chargée d'examiner le projet de loi relatif au divorce, propose aujourd'hui à notre vote un texte qui diffère finalement peu de celui adopté par la majorité de cet hémicycle, le 14 avril dernier. Deux divergences essentielles subsistaient entre le Sénat et notre assemblée et, sur ces deux points, la rédaction souhaitée par les sénateurs a finalement été retenue.

Il s'agissait, tout d'abord, de l'article 2 du projet de loi concernant le divorce par consentement mutuel. Cet article, selon la version votée par notre assemblée, prévoyait qu'une seconde comparution des époux pouvait être ordonnée par le juge si les parties le demandaient. Raisonnablement à mon sens, la commission mixte a choisi de revenir au texte des sénateurs, qui n'envisageait cette seconde comparution qu'à l'initiative du juge. En effet, l'objectif recherché par cette réforme est la simplification des procédures. Aussi, afin d'éviter des procédures longues et coûteuses, convient-il de faire confiance au juge aux affaires familiales, professionnel qui ne prononcera pas le divorce s'il estime que l'une des parties est en situation de faiblesse.

La seconde disposition est celle de l'article 12, qui a trait à l'élaboration du projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager. Il a finalement été retenu que le juge pourra seulement désigner un notaire et non tout autre professionnel.

Pour le reste, c'est l'essentiel du texte de notre assemblée qui a été approuvé par la commission mixte paritaire. Les remarques que nous avions faites lors de la première lecture restent donc valables.

Le groupe des député-e-s communistes et républicains approuve l'effort de simplification et d'allégement des procédures de divorce effectué par ce texte. Tant pour la dignité des conjoints que pour celle de leurs enfants, le divorce doit être, autant que possible, dédramatisé. Le texte a cette ambition. Pourtant, force est pour nous de constater que le projet n'est pas toujours à la hauteur.

Quelques points ont, certes, été améliorés par rapport à la rédaction initiale. Je pense en particulier à l'éviction du conjoint violent du domicile. Afin qu'il ne s'agisse pas uniquement d'une pétition de principe, le texte règle la question de la contribution aux charges du mariage et allonge la durée de la mesure d'éloignement. Cependant, je reste convaincu que nous aurions pu aller plus loin en élargissant ce dispositif aux concubins et aux couples ayant conclu un PACS, comme le suggérait Mme Pecresse.

Les lacunes ne sont pas, de mon point de vue, à rechercher dans un texte qui s'attache uniquement au droit et à la procédure applicable. Nous étions tous d'accord, sur ces bancs, pour dire que la douleur de la séparation pour l'ensemble de la famille et les conséquences financières qu'elle entraîne sont essentiellement, et avant tout, un problème humain. C'est pourquoi il convenait d'envisager le divorce humainement et pas seulement sous l'angle du droit civil et de la procédure. Pour cela, il faudrait donner à l'acteur essentiel devant lequel se joue ce drame - le juge - les moyens de remplir au mieux sa mission. Le juge aux affaires familiales est, en effet, celui qui peut permettre que cette épreuve se passe le moins mal possible. Il a besoin pour cela de temps, afin d'accorder aux époux et aux enfants toute l'attention qu'ils méritent. Or ce qui manque aujourd'hui principalement aux magistrats, c'est précisément le temps. La question de leurs effectifs est donc celle qu'il convient de résoudre en priorité. La médiation familiale, mise en avant par ce projet de loi, ne permettra pas de pallier ces carences. D'ailleurs, si l'on en croit la presse, un rapport, très critique vis-à-vis de cette action jugée inadaptée à la procédure judiciaire, devrait vous être remis, monsieur le garde des sceaux, très prochainement.

J'insiste à nouveau sur le fait que les femmes sont les premières victimes du divorce. Dans la majorité des cas, elles sont celles qui souffrent le plus, matériellement et moralement, de la séparation, celles qui subissent les dommages les plus sévères. Les discriminations, dont elles sont malheureusement encore couramment l'objet, affectent leur vie, tant personnelle et familiale que professionnelle. Lorsqu'elles divorcent, ces inégalités sont encore plus vives et plus difficiles à supporter. Sachant que le divorce est plus répandu dans les familles économiquement modestes, nous ne pouvons rester sourds à ses conséquences dramatiques, notamment pour les épouses qui en sont victimes. C'est pourquoi un texte à la hauteur de l'enjeu sociétal qu'est le divorce devrait s'accompagner de dispositions tendant à réduire ces inégalités. Il n'en contient pas. Pire, les réformes du Gouvernement aggravent toujours plus ces inégalités, au fil des décisions qu'il prend et des textes qu'il nous propose. C'est la raison pour laquelle le groupe des député-e-s communistes et républicains s'abstiendra sur ce projet de loi.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c'est une réforme courageuse et particulièrement nécessaire que nous examinons à nouveau ce soir, à travers les conclusions de la commission mixte paritaire, réunie voilà deux semaines. Ce projet, consensuel et très attendu, a mis plus de deux ans et demi à mûrir. Fruit d'une large concertation et des diverses auditions conduites par les rapporteurs respectifs des deux chambres, il a ensuite pris corps dans cet hémicycle et dans celui du Sénat, au travers des riches discussions menées et des amendements votés.

Il procède d'une vision d'ensemble des adaptations que nécessitent les procédures de divorce au regard des évolutions de notre société. L'échec croissant des mariages et la forte proportion d'assignations fondées sur une faute justifient, à tout le moins, la recherche de procédures pacifiées, simplifiées et plus rapides, afin de ne pas ajouter à la douleur du divorce le découragement au mariage.

Il réalise un véritable équilibre entre la rupture inévitable du lien conjugal et la préservation indispensable des intérêts des époux. C'est dans cet objectif qu'il assouplit aussi bien le dispositif actuel de la prestation compensatoire que les conditions de révision des rentes existantes, qu'il simplifie les procédures de divorce, notamment par l'instauration d'un tronc procédural commun, ou encore qu'il réduit autant que possible le champ du divorce pour faute.

Pour autant, en aucune manière, simplification ne saurait rimer avec facilitation ou déresponsabilisation. En aucun cas, il n'est question, comme cela a pu être évoqué ici ou là, de transformer le divorce en simple répudiation, ou de laisser l'un des époux dans un dénuement indifférent. Il s'agit de mettre un terme à une situation matrimoniale qui n'a plus lieu d'être, sans dévaloriser l'institution du mariage, essentielle dans notre République. Le maintien forcé d'une union ne saurait être une réponse adéquate aux souffrances du couple et aux tensions qui s'y expriment. Il est alors sage de prendre acte de la situation et d'en tirer les conséquences sur le plan matériel, sous le contrôle strict du juge.

De même, pour ne pas maintenir pendant des décennies des liens qui n'ont plus lieu d'être, ce texte pose le principe du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital et met un terme à la transmission de génération en génération des rentes aux héritiers du débiteur, sans pour autant priver de ressources le créancier d'une prestation compensatoire.

Outre la protection financière, le texte garantit une véritable protection aux femmes victimes de violences conjugales grâce au « référé violence ». A cet égard, je remercie le ministre de s'être engagé, durant la discussion à l'Assemblée, à donner instruction au parquet, dans le cadre de la procédure pénale, d'évincer les concubins violents du domicile familial. Car les violences de couple se produisent aussi en dehors du mariage.

Le consensus qui s'est exprimé sur ce texte s'est confirmé en commission mixte paritaire puisque le projet a été adopté à la quasi-unanimité.

Je me félicite qu'ait été supprimée la possibilité d'une seconde comparution devant le juge à la demande des parties en cas de divorce par consentement mutuel. Cette possibilité risquait en effet de ruiner tous nos efforts de simplification de la procédure. Si une demande de seconde audience devait être exprimée par l'un des époux ou par les deux, il ne s'agirait plus de consentement mutuel et les conjoints devraient alors choisir la procédure du divorce accepté.

Quant à la liquidation du régime matrimonial, il est sage, compte tenu des enjeux qu'elle représente, notamment pour l'avenir des enfants, qu'elle soit assortie d'un maximum de garanties et donc confiée à un notaire.

Ce texte, mesdames, messieurs, réforme en profondeur le divorce envisagé dans sa globalité, c'est-à-dire aussi bien dans ses modalités que dans ses conséquences, dans le double souci de préserver l'équité entre les parties et d'adapter réellement notre droit aux évolutions de la société. C'est donc avec détermination que nous l'adopterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. Avant de mettre aux voix le texte de la commission mixte paritaire, je vais, conformément à l'article 113, alinéa 3, du règlement, appeler l'Assemblée à statuer d'abord sur l'amendement dont je suis saisi.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l'amendement n° 1.

M. le garde des sceaux. Il s'agit d'un amendement de coordination, que j'ai également déposé au Sénat suite à la CMP. La suppression du terme « viagère » à l'article 276-4, en cohérence avec l'article 279, impose en effet la même correction à l'article 276-3.

Si vous le permettez, monsieur le président, je profiterai de la présentation de cet amendement purement technique et formel pour informer l'Assemblée nationale de l'état de préparation des textes d'application du présent projet, s'il est adopté dans quelques instants.

Deux décrets sont nécessaires.

Le premier, que vous connaissez, portera, sur les modalités de substitution d'un capital à une rente en matière de prestation compensatoire. Ce document est prêt. Je l'ai transmis à la commission, au rapporteur et aux parlementaires qui le souhaitaient.

Le second décret, relatif à la procédure civile, permettra de tenir compte en particulier de l'institution du tronc procédural commun qui figure dans la loi. Ce document devrait être prêt en septembre, si bien que l'ensemble des textes de loi et d'application, qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier prochain, seront connus suffisamment tôt pour que l'information et, éventuellement, la formation des différents professionnels concernés aient lieu dans des conditions satisfaisantes.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrick Delnatte, rapporteur. La commission mixte paritaire n'a pas examiné cet amendement puisqu'il a été présenté après sa réunion. Il s'agit d'un amendement de coordination qui permet la révision des rentes temporaires comme pour les rentes viagères. Il est cohérent et logique et je donne donc, à titre personnel, un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Explication de vote

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour une explication de vote.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je rappelle que le groupe socialiste s'abstiendra. Tout en étant conscient que le projet comporte des avancées sensibles - je l'ai reconnu à la fin de la première lecture - il regrette que vous n'ayez pas, monsieur le garde des sceaux, abordé la problématique de la faute. Il sera impossible de considérer que ce texte aura réduit la place du divorce pour faute dans notre code de procédure.

Il a bien évidemment facilité et amélioré la procédure du divorce par consentement mutuel et permis d'accélérer les procédures mais, faute d'avoir modifié la définition de la faute, il n'a pas réduit le champ de cette dernière et vous verrez qu'il se trouvera des plaideurs pour fonder leur action sur elle. Pourtant, monsieur le garde des sceaux, vous aviez bien posé le problème au départ.

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, le groupe socialiste, tout en se félicitant de la qualité de nos débats, s'abstiendra donc.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire modifié par l'amendement n° 1.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-deux heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

    2

AUTONOMIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Suite de la discussion d'un projet de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (nos 1155, 1541).

Rappel au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, je souhaiterais savoir dans quelles conditions va se dérouler notre débat. Cet après-midi, la séance a été levée très tôt pour une raison un peu surprenante mais que nous comprenons tout à fait. Mais cela a eu pour effet de saucissonner le vote sur l'exception d'irrecevabilité, les explications de vote se trouvant renvoyées après l'adoption ce soir d'un autre texte important sur le divorce. La discussion se trouve ainsi tronquée.

Nous voulons donc savoir si nous pourrons travailler dans des conditions correctes, et je souhaite que vous en informiez le président de l'Assemblée nationale.

Ce débat est important. Nous souhaitons y consacrer le temps nécessaire et aborder chaque point de façon convenable.

M. Denis Merville. Nous aussi !

M. Augustin Bonrepaux. Nous ne pensons pas, je vous le dis honnêtement, pouvoir terminer dans la nuit de demain. En revanche, nous sommes tout à fait disposés à reprendre, s'il le faut, les travaux lundi soir, pour terminer dans la nuit.

Je dis les choses clairement. Nous sommes pleins de bonne volonté et nous souhaitons vivement qu'un arrangement puisse être trouvé nous permettant à la fois d'être présents dans nos circonscriptions et de travailler dans des conditions convenables.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, je vous remercie d'abord de votre compréhension pour l'interruption de séance prolongée de tout à l'heure.

Nous allons travailler ce soir jusqu'à une heure trente. L'ordre du jour de demain matin est, comme vous le savez, consacré à une niche parlementaire qui vous appartient.

M. Didier Migaud. C'est pourquoi il n'est pas très sérieux d'aller aussi tard ce soir !

M. le président. Nous reprendrons la discussion demain après-midi et pourrons aller assez tard dans la nuit pour la terminer, puisque l'Assemblée ne siège pas vendredi matin, de façon à pouvoir examiner le texte jusqu'au bout.

M. Didier Migaud. Ce n'est pas très sérieux, monsieur le président !

M. Augustin Bonrepaux. Nous sommes prêts à siéger demain soir assez tard, mais pas trop tard !

M. Didier Migaud. A quoi ça rime ? Il y a urgence ? M. Raffarin s'en va demain ?

M. Augustin Bonrepaux. Si, à deux ou trois heures du matin, on se rend compte qu'on ne peut pas terminer avant des heures impossibles, il faudra prendre la décision de lever la séance parce que nous avons d'autres engagements. Nous avons tenu compte de l'ordre du jour. Mais, comme je l'ai dit, nous sommes prêts à revenir lundi soir pour terminer l'examen du texte dans la nuit. Nous ne voulons pas retarder la discussion mais nous voulons pouvoir débattre en toute sérénité.

M. le président. Nous allons donc recommencer maintenant à débattre en toute sérénité.

Exception d'irrecevabilité (suite)

M. le président. Nous en arrivons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité.

La parole est à M. Denis Merville, pour le groupe UMP.

M. Denis Merville. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'intérieur, mes chers collègues, nous avons tous écouté avec attention notre collègue Augustin Bonrepaux. Mais malgré la vigueur de ses propos, il ne nous a pas convaincus.

M. René Dosière. C'est dommage !

M. Jean-Louis Idiart. Vous le serez a posteriori !

M. Denis Merville. Ce projet de loi organique est une déclinaison de la réforme de la Constitution que nous avons votée en mars 2003.

C'est pour nous une avancée, qui renforcera la démocratie locale, la libre administration de nos collectivités et la responsabilité de leurs élus.

Le dépôt de cette exception d'irrecevabilité me paraît un peu paradoxal. N'y aurait-il pas là un certain détournement de la procédure parlementaire ?

M. Jean-Louis Idiart. Oh ! la la !

M. Denis Merville. Mes chers collègues, je connais vos compétences en ce domaine. Vous avez soutenu un gouvernement qui a régulièrement touché à la fiscalité locale ; il est donc surprenant que vous teniez ce genre de propos.

M. Didier Migaud. Nous sommes moins hypocrites que vous !

M. Denis Merville. La réforme de la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation en 1998, la part salariale de la taxe professionnelle en 1999, ...

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas convaincant ! Ce n'est pas moi qu'il faut convaincre, ce sont vos concitoyens !

M. Denis Merville. ... la part régionale de la taxe professionnelle d'habitation en 2000, ...

M. Augustin Bonrepaux. Ce sera dur à expliquer !

M. Denis Merville. ... la suppression de la vignette en 2000 touchaient des pans entiers de la fiscalité locale, et cela sans concertation.

M. Augustin Bonrepaux. Vous n'étiez pas là lorsque j'ai parlé. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Bonrepaux, je vous en prie ! Seul M. Merville a la parole.

M. Denis Merville. J'ai eu l'honneur de présider la commission des finances de l'Association des maires de France. Le 21 juillet 1998, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie de l'époque, nous avait invités à une réunion pour parler du pacte de stabilité et de croissance. Nous avons appris, ce jour-là, par Le Monde, en nous rendant à Bercy, que la taxe professionnelle serait réformée. Il ne s'agit pas là d'un exemple de concertation.

Ces réformes ont eu plusieurs conséquences. La part prise par l'Etat dans les ressources des communes est passée de 22 % en 1990 à près de 35 % en 2003. La part des régions est passée de 38 % à 53 % en cinq ans. Globalement, la part d'autonomie s'est dégradée de 12,6 points. Tout cela s'est produit à une époque où nos collectivités devaient supporter la mise en œuvre des 35 heures, de la couverture maladie universelle, les réformes du SDIS, les emplois-jeunes, dont on n'avait pas prévu la pérennisation, et l'APA.

Je vous ai entendus, chers collègues, évoquer la décentralisation. Pour vous, il s'agissait de moyens pour l'Etat de transférer des charges sur les collectivités locales. C'est ce qui s'est passé autrefois, lorsque vous étiez au pouvoir.

J'ai l'honneur d'appartenir à la commission d'évaluation des charges depuis 1984. L'Etat transfère, certes, les ressources consacrées aux compétences transférées à un moment donné. Je vais citer le seul exemple où la commission a obtenu amplement satisfaction : entre 1986 et 1988, lorsqu'il y a eu le transfert des lycées, le gouvernement de l'époque a accepté d'abonder les dotations transférées.

M. René Dosière. Cela n'a pas satisfait notre rapporteur.

M. Denis Merville. Cette commission ne s'est pas réunie souvent et un certain nombre de transferts plus ou moins insidieux n'ont pas été soumis à son appréciation.

Le gouvernement que vous avez soutenu, mes chers collègues, n'a pas changé la fiscalité locale. Pourtant, nous avons réformé les valeurs locatives au niveau des communes. Nos administrés paient d'ailleurs toujours cette part de 0,4 %, alors que vous n'avez pas eu le courage de mettre en œuvre cette réforme.

Je vous ai entendus dénoncer cette décentralisation, la hausse des impôts locaux. C'était un mauvais thème de campagne. C'était faux ! En 2003, il n'y a pas eu de transfert de compétences de l'Etat. Ceux qui ont augmenté les impôts locaux ne pouvaient donc pas accuser la décentralisation. Une augmentation pouvait être due aux transferts du type APA, SDIS ou 35 heures.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Merville.

M. Denis Merville. La Constitution nous a fourni des garanties.

Nous faisons confiance aux élus locaux, acteurs de proximité, notamment les maires et les conseils généraux, ce qui n'a pas été votre cas, et cela ne me paraît pas aller dans le sens de la décentralisation.

Le projet de loi organique me semble aller dans le bon sens. Le groupe UMP ne votera donc pas l'exception d'irrecevabilité présentée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste.

M. René Dosière. L'exposé très intéressant de M. Bonrepaux, même s'il nous paraît déjà loin avec toutes ces interruptions (Sourires), nous permet de bien comprendre les éléments contenus dans ce projet de loi organique.

Première observation : nous avons été sensibles à sa démonstration selon laquelle un impôt partagé - ce qui est, par exemple, le cas de la TIPP - n'est pas différent d'une dotation de l'Etat. Je développerai ce point lors de la défense de la motion de renvoi en commission. Personne dans ce pays, sauf le Gouvernement et ceux qui le soutiennent, n'ose prétendre qu'un impôt partagé soit un véritable impôt local.

Autrement dit, nous allons créer avec ce texte un précédent dangereux. Qu'en sera-t-il demain de la taxe professionnelle ? Si la commission décide de supprimer la taxe professionnelle telle qu'elle existe - c'est ce vers quoi on s'oriente - pour la remplacer par un impôt partagé, c'est un pan supplémentaire de la fiscalité locale qui sera transformé en dotation, et donc aux mains de l'Etat. Voilà pourquoi nous ne devons pas accepter ce premier pas et cette fausse définition de l'impôt local.

Ma deuxième observation a trait à un point développé par Augustin Bonrepaux. J'ai relu les débats qui se sont déroulés lors de la révision constitutionnelle. Notre collègue Ségolène Royal avait mené la discussion avec passion et rigueur, en insistant sur le fait que le mot « déterminant » ne signifiait rien du tout. On lui avait répondu que, bien au contraire, il fallait absolument modifier les choses. Aujourd'hui, ce texte nous apprend que la signification du mot « déterminant » est simplement celle qui permet de préserver la libre administration des collectivités locales - ce qui est actuellement l'interprétation du Conseil constitutionnel.

M. Didier Migaud. Il n'y aura rien de changé !

M. René Dosière. Ce texte ne change donc strictement rien à l'interprétation que le Conseil constitutionnel pourra donner à l'avenir.

Ma troisième observation porte sur ce qui est sans doute le seul point de changement de ce texte : la fixation d'un seuil minimum d'autonomie, qui s'apprécie en comparant le montant total des ressources propres à celui de l'ensemble des ressources. On compte dans les ressources propres la fiscalité, avec la grave réserve que j'ai signalée tout à l'heure.

C'est effectivement un élément nouveau, mais son interprétation ne sera pas aisée. Si les dispositions prévues par le Gouvernement aboutissaient à ce que ce seuil minimum soit dépassé à la baisse - le pourcentage de ressources propres étant insuffisant par rapport aux ressources globales -, comment le corrigerait-on,  même si c'est cinq ans après ? On ne disposerait que de deux solutions : soit diminuer les dotations de l'Etat pour que la part des recettes fiscales apparaisse supérieure, soit augmenter les recettes fiscales de manière autoritaire, ce qui montre l'irréalisme de la fixation de ce seuil.

Si nous parvenons à ces constatations, c'est parce que ce texte est idéologique. Vous considérez que l'autonomie financière se réduit à l'autonomie fiscale. La fiscalité est bien entendu une partie de l'autonomie financière. Mais l'autonomie financière ne se réduit pas à la fiscalité. Quand nous avons décidé, en 1982, que l'exécutif des collectivités ne serait plus le préfet mais un élu, ne croyez-vous pas que cette disposition-là a largement augmenté l'autonomie des départements et des régions ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, saisie pour avis. On n'a jamais dit le contraire !

M. René Dosière. Cher Gilles Carrez, cela démontre qu'on ne peut pas réduire l'autonomie financière à sa seule partie de fiscalité.

En réalité, le sujet de l'autonomie financière des collectivités est beaucoup plus vaste et il aurait fallu le traiter plus largement.

Si l'on s'en tient uniquement à l'autonomie financière...

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Dosière !

M. René Dosière. Je termine, monsieur le président.

A supposer que l'on s'en tienne uniquement à l'autonomie financière, chacun sait que la fiscalité des collectivités locales conduit à des inégalités très fortes. Dès que l'on parle d'autonomie fiscale, il faut penser : péréquation. On ne trouve strictement rien dans le texte en matière de péréquation. Il y a, là aussi, une insuffisance.

Nous pensons que ce texte ne va pas renforcer l'autonomie des collectivités locales, mais qu'il va continuer à la dégrader plus fortement.

On va assister à une augmentation des impôts locaux qui vont subsister : le foncier bâti et la taxe d'habitation.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, saisie pour avis. Non ! ce sont vos promesses folles qui font augmenter les impôts locaux !

M. René Dosière. Vous aurez baissé l'impôt sur le revenu et les collectivités seront obligées d'augmenter la taxe d'habitation.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Vous ne manquez pas de culot !

M. René Dosière. En conséquence, nous voterons cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.

M. Charles de Courson. Nos collègues socialistes auraient un peu plus de crédibilité s'ils avaient appliqué, lorsqu'ils étaient au pouvoir, les principes qu'ils défendent aujourd'hui !

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. On est d'accord !

M. Charles de Courson. Il est vrai que ces propos, hélas ! ne s'appliquent pas qu'à eux. Ils s'appliquent aussi à la majorité à laquelle j'ai appartenu. Moi, j'ai constamment combattu tous les gouvernements sur ce point, y compris ceux que nous soutenions. Donc personne ne peut me prendre en défaut.

La différence, c'est que nos collègues socialistes ont pendant cinq ans - M. Migaud et M. Bonrepaux exerçaient alors certaines fonctions à la commission des finances - accepté une dérive que l'on n'avait jamais connue. Certes, elle existait précédemment, mais ils l'ont considérablement accélérée et ils ont accepté cette accélération. Cela étant, on peut toujours se convertir, jusqu'à la veille de sa mort.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, saisie pour avis. Jusqu'au « jour » de sa mort ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Je me réjouis donc de la conversion de nos collègues socialistes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. On peut toujours se convertir jusqu'au moment de sa mort !

M. Charles de Courson. Au-delà, il est trop tard. Mais la veille, il n'est pas trop tard. (Sourires.)

M. Michel Bouvard. On voit qu'il reste quelque esprit chrétien à l'UDF. (Sourires.)

M. Charles de Courson. Je voulais donc féliciter mes collègues socialistes pour leur conversion.

M. Jean-Louis Idiart. Saint-Paul !

M. Charles de Courson. Monsieur Bonrepaux, comme on disait autrefois, l'ardeur des néoconvertis ne doit pas être excessive. Donc n'en rajoutez pas trop, alors que vous avez fait l'inverse.

Venons-en au fond. Il existe plusieurs problèmes de constitutionnalité dans ce texte. J'y reviendrai longuement lors de la discussion générale.

Premièrement, la fiscalité partagée - ce qu'on nous propose dans le ratio d'autonomie financière, - est-ce de l'autonomie financière ? Tous ceux qui ont encore un peu de bon sens nieront qu'il s'agisse d'un élément d'autonomie financière. La preuve : si la thèse gouvernementale était exacte, il suffirait de supprimer tous les impôts locaux à autonomie de taux et d'assiette par un versement représentatif de l'impôt sur le revenu ou de la TVA ou de n'importe quel impôt d'Etat pour ne pas faire baisser le taux d'autonomie financière. Ceux qui ont un peu de bon sens diront, alors que l'on a totalement supprimé l'autonomie financière, que l'on a toujours un ratio d'autonomie stable. Ce raisonnement par l'absurde - j'y reviendrai tout à l'heure - pose un problème. Je ne me contente pas de critiquer, je fais des propositions. Vous les connaissez. Nous défendrons demain un amendement à cet égard. Je pense que le Gouvernement prend là un réel risque constitutionnel.

Il y a un deuxième risque constitutionnel qui n'a pas encore été évoqué par nos collègues socialistes et en particulier par M. Bonrepaux : la compatibilité entre le texte que nous propose le Gouvernement et un autre principe constitutionnel, celui de la libre administration des collectivités territoriales. Jusqu'où pourrait aller un gouvernement - pas le vôtre, monsieur le ministre - qui substituerait des impôts d'Etat, dits partagés, à une part prédominante d'impôts locaux ? Il faudrait qu'une nouvelle fois le Conseil constitutionnel nous rappelle à nos devoirs. Il faudrait alors fixer un deuxième seuil, interdisant que les impôts partagés dépassent un certain pourcentage de l'ensemble des ressources propres ; sinon, il n'y a plus d'autonomie.

Et puis, il y a un troisième risque d'inconstitutionnalité, encore plus subtil. Si, selon la thèse du Gouvernement, on continue à financer par des impôts partagés le transfert de compétences, cela conduira à augmenter le taux d'autonomie financière. Mais alors, comment faites-vous pour respecter, dans le temps, la jurisprudence constitutionnelle ? S'agissant d'un impôt dont le taux et l'assiette sont fixés par les assemblées locales, vous pouvez ajuster le tir, et le faire rapidement, année après année. Mais si vous procédez à coups de fiscalité partagée, dont le montant est fixé annuellement par l'Assemblée nationale et le Sénat, comment ferez-vous, puisqu'il faut cinq ans, dans votre mécanisme, pour redresser la barre ?

Je vous le dis tout net, vous prenez trois risques d'inconstitutionnalité. Alors que si vous suiviez les sages préconisations de l'UDF - sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure -, vous n'auriez aucun de ces problèmes.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Charles de Courson. Cela dit, le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Bonrepaux, parce que nous pensons que le Gouvernement sera peut-être assez sage pour nous écouter, et qu'il n'attendra pas que les désastres surviennent pour dire : « Si seulement j'avais écouté ! »

Et puis, ce texte sera soumis aux sénateurs, dont on peut espérer qu'ils resteront fidèles au texte qu'avaient voté tous nos collègues, le texte Poncelet, et qu'ils ne se dédiront pas, eux.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Pour savoir si nous devons, oui ou non, voter cette exception d'irrecevabilité, il faut d'abord se demander - je pourrais d'ailleurs m'en tenir là, mais j'aurai tout de même d'autres choses à dire - si cette loi organique traite, sur le fond, des finances locales. Je crois que la réponse est évidente pour tout le monde : non ! Cette loi organique propose-t-elle, ne serait-ce que dans ses intentions, une remise à plat des finances locales ? Là aussi, la réponse est non.

J'ai écouté avec attention l'argumentation brièvement développée par notre collègue Bonrepaux.

M. Michel Bouvard. Brièvement, c'est beaucoup dire !

M. André Chassaigne. Il a avancé quelques arguments qui ont achevé de me convaincre. Il a notamment dit à plusieurs reprises qu'avec ce texte, on se moquait du monde. Il est même allé jusqu'à prononcer le mot d'imposture. Et en effet, nous dire, par exemple, que la TIPP va devenir une ressource propre, que cela donnera des moyens d'action nouveaux aux collectivités qui en seraient bénéficiaires, que cela ira dans le sens de la libre administration des collectivités territoriales, c'est une imposture. Car on sait qu'elles ne pourront absolument pas jouer sur cette TIPP.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. La région va voter les taux, monsieur Chassaigne !

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas garanti !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Mais si, monsieur Bonrepaux !

M. Augustin Bonrepaux. Et pourquoi pas les départements ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. C'est plus compliqué !

M. André Chassaigne. Vous allez être obligé d'allonger mon temps de parole, monsieur le président.

Le deuxième argument qui m'a convaincu, s'il en était besoin, c'est l'idée que ce texte est un piège. Et en effet, il s'agit bien d'un piège, car il faudra de toute manière assumer, que ce projet de loi organique soit voté ou non, l'explosion des impôts locaux, avec l'augmentation des compétences transférées. En fait, l'objectif de cette loi organique, pour l'essentiel, c'est d'abandonner les collectivités territoriales en leur mettant sur les bras des compétences énormes qui vont au contraire limiter leur libre administration.

Dans les propos de M. Bonrepaux, j'ai retenu un troisième argument, qu'il a exprimé sous la forme suivante : « Qui croira au respect de l'autonomie des collectivités locales ? » En effet, il s'agira plus d'un asservissement que d'une augmentation de leur autonomie,...

Mme Ségolène Royal. Ça, c'est bien vrai !

M. André Chassaigne. ...contrairement à ce que dit le rapporteur, selon qui ce texte déclinerait les dispositions qui permettront de garantir de façon définitive l'autonomie financière des collectivités locales. Chacun sait que c'est absolument faux, et la démonstration en a été faite.

Mais d'autres propos m'ont convaincu, en particulier ceux de M. le ministre Copé, qui a eu cette phrase, que je n'ose pas qualifier de géniale...

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Ne retenez pas votre geste !

M. André Chassaigne. « Nous aurons désormais, a-t-il dit, le verrou de la Constitution ». Je ne sais pas s'il faut parler de mauvaise foi ou s'il ne s'agit pas bien plutôt de sa part d'un acte de foi. C'est cet acte de foi qui mériterait la palme d'or dont il parlait cet après-midi. Parce que cette formule pompeuse est, à mon avis, absolument vide de sens.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Quelle démonstration !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Venant de vous, c'est un compliment, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. En fait, votre projet de loi organique ne présente aucune garantie pour les collectivités territoriales, ni du point de vue de leurs ressources, ni du point de vue de la libre administration, ni du point de vue de la péréquation. En outre, il ne règle rien puisqu'il fait l'impasse sur l'essentiel, à savoir une remise à plat complète des finances publiques.

Je pense, mes chers collègues, vous avoir convaincus de ce que sera le vote des députés communistes : nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation de M. Raffarin, on ne le répétera jamais assez, est un véritable coup de force. Car c'est sans débat véritable ni consultation des Français, comme nous l'avions demandé, que votre majorité a décidé d'engager notre pays sur cette voie bien dangereuse de la décentralisation.

Ce projet, je le rappelle, marque la volonté d'institutionnaliser des rapports de concurrence entre les collectivités territoriales. Il vise, au sein de l'Europe libérale, à affaiblir l'Etat et les systèmes de protection sociale qui lui sont attachés. Dans ce schéma, les collectivités territoriales, et notamment les régions, sans pouvoir politique digne de ce nom, sont simplement vouées à donner l'illusion qu'existent encore, malgré l'emprise croissante des institutions européennes, des marges de manœuvre politique.

Il est des mots qui parlent à nos concitoyens. L'égalité est de ceux-là. Ce principe, même dans son acception la plus réductrice, ne résistera pourtant pas à la réorganisation de notre architecture administrative et institutionnelle qui nous est imposée, avec ses lois successives, qui, sous des dénominations aussi diverses qu'originales, concernent cette trop fameuse décentralisation. Au risque de vous déplaire, j'affirme que ce sont bien là des actions de démolition de notre République.

La République a su s'affermir, parce que les communes de notre pays, depuis la grande loi de 1884, ont donné forme et contenu à la notion de liberté. Notamment par cette définition de la libre administration : « le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune ». Et ce qui valait pour la commune vaut, aujourd'hui, pour le département et la région. Mais ne vaudra plus demain. Car comment espérer qu'un conseil régional puisse essayer de régler, par ses délibérations, les affaires de la région si tout son budget doit être employé à gérer les blocs de compétences qui lui auront été abusivement transférés ! Ce n'est pas, en effet, par leurs compétences obligatoires que les collectivités affirment leur libre administration. C'est bien plutôt par les initiatives qu'elles sont amenées à prendre de façon tout à fait facultative, par les interventions dont elles prennent l'initiative dans des domaines toujours plus diversifiés, notamment, pour ce qui concerne les conseils généraux et régionaux, les politiques de soutien des actions de développement local conduites par les EPCI et les communes.

Cet après-midi, le président de la commission des finances mettait en cause les promesses des nouvelles majorités régionales : ces propos sont révélateurs de la volonté gouvernementale de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il a dit, en effet, que les promesses qu'avaient faites les nouvelles majorités de gauche dans les conseils généraux ne pourraient pas être tenues parce que désormais les compétences obligatoires devaient engendrer des dépenses qui empêchaient toute liberté, toute libre administration de ces collectivités territoriales.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'est pas du tout ce qu'il a dit !

M. André Chassaigne. Il a prononcé ces mots cet après-midi,...

M. Augustin Bonrepaux. Tout à fait !

M. René Dosière. Nous l'avons bien entendu !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vous avez mal entendu !

M. André Chassaigne. ...et il a révélé ainsi ce qu'il y avait, au fond, derrière ce texte.

En fait, ce sont bien ces piliers de notre République que, petit à petit, votre décentralisation va saper. Oui, il s'agit bien d'une entreprise de démolition. Aujourd'hui, avec ce débat sur l'autonomie financière, la représentation nationale a la possibilité de ralentir ce processus destructeur. A votre majorité de faire la démonstration qu'elle ne veut pas démolir les principes fondamentaux de notre République.

Mais cela supposerait d'abord de réformer en profondeur les finances locales. En effet, les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités verront leurs conséquences démultipliées du fait de ces transferts de compétences et de la faiblesse structurelle des mécanismes de péréquation financière. Certaines collectivités, les plus pauvres, n'auront tout simplement plus les moyens d'assumer leurs responsabilités et de s'administrer librement. Les écarts de pression fiscale, de collectivité à collectivité, se renforceront encore davantage. Aussi est-il prioritaire de remettre à plat notre système de finances locales. Et donc d'interroger dans son ensemble ses dysfonctionnements, ses caractères injustes, son archaïsme. C'est bien pourquoi, depuis le vote de la loi constitutionnelle, nous avons rappelé combien la question financière est primordiale. On nous disait alors qu'une loi organique nous permettrait d'aborder cette question - cela fut dit et répété à plusieurs reprises dans cette enceinte. Et l'on nous présente aujourd'hui un texte qui se borne à l'interprétation d'un alinéa mineur de la Constitution, et qui élude donc l'essentiel du sujet. Car la question dans laquelle on souhaite nous enfermer, celle de savoir si les ressources propres des collectivités territoriales constituent une « part déterminante » de leurs recettes, est certes importante, mais pas centrale.

Nous avons bien entendu, lors de l'explication de vote sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, M. Pascal Clément justifier, en droit, cette absence de débat de fond sur les finances locales. Selon lui, une telle réforme ne pourrait s'effectuer que dans le cadre d'une loi de finances. Fort bien. Alors, pourquoi ne pas, dans cette attente, surseoir aux transferts de compétences ? Ou bien, si vous êtes pressés, pourquoi ne déposez-vous pas un projet de loi de finances rectificative ?

Enfin, comment pouvez-vous faire débattre le Parlement sur l'autonomie financière des collectivités territoriales tout en laissant la représentation nationale dans le flou le plus total quant à l'avenir du principal impôt local du pays, la taxe professionnelle.

M. Gérard Bapt. Tout à fait !

M. André Chassaigne. M. Chirac en a annoncé la disparition prochaine, alors qu'elle représente 44 % de la fiscalité directe des collectivités territoriales !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vous avez ouvert la voie !

M. Charles de Courson. Hélas !

M. André Chassaigne. Dans un premier temps, M. Chirac a, fin 2003, parlé de supprimer la taxe professionnelle sur les nouveaux investissements durant dix-huit mois. Qu'en est-il de cette orientation politique ? Compte tenu du décalage de deux ans pour prendre en compte les bases de taxe professionnelle, cette suppression ne fera sentir ses effets qu'à partir de 2006, sans pertes immédiates pour les collectivités. Mais la question est de savoir comment, le moment venu, se feront les compensations.

M. Michel Bouvard. Par des dégrèvements, comme cela a été dit clairement !

M. André Chassaigne. Le Président de la République a assuré qu'il n'y aurait aucune perte pour les collectivités locales. Cela sous-entend donc un dégrèvement.

M. Michel Bouvard. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. En effet.

M. André Chassaigne. Les collectivités continueront à taxer les bases avec le taux qu'elles votent. C'est donc l'Etat qui devra payer à la place des industriels.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est cela le dégrèvement.

M. André Chassaigne. Le ministère du budget a indiqué que le dégrèvement se ferait sur la base du taux voté l'année précédente par la collectivité, ce qui implique une perte. Mais la question d'un dégrèvement total au profit des collectivités reste posée.

On le voit, vos arguments techniques ne tiennent pas. Ce sont des barrières bien fragiles pour dissimuler une réalité, à savoir que vous n'avez pas la moindre envie de réformer les finances locales. Or leur situation pose un certain nombre de questions, qu'il est urgent d'aborder.

En premier lieu, la fiscalité locale sera inévitablement la variable d'ajustement financière de la décentralisation. Aussi, pourquoi occulter cette question fondamentale et ne pas s'interroger sur les conséquences économiques et sociales de son augmentation?

D'autant que les impôts locaux, chacun en convient, sont particulièrement archaïques. On ne les appelle pas les « quatre vieilles » pour rien !

Les bases des taxes d'habitation et des taxes foncières n'ont pas été révisées depuis le début des années soixante-dix.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est vrai !

M. André Chassaigne. Malgré le vote de la loi de 1990, la révision des valeurs locatives n'est jamais, par manque manifeste de courage politique, intervenue.

M. Michel Bouvard. De la part de qui ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vous avez eu cinq ans pour le faire !

M. André Chassaigne. Les élus locaux se souviennent pourtant des nombreuses réunions de commissions pour étudier et réévaluer les bases de ces impôts en fonction de critères actualisés. Que de temps, d'énergie et d'argent perdus, le projet ayant été par la suite abandonné !

M. Michel Bouvard. Quel réquisitoire contre le gouvernement Jospin !

M. André Chassaigne. C'est sous la responsabilité de M. Sarkozy, ministre du budget, que cette réforme n'a, finalement, pas été appliquée en 1993.

M. René Dosière. Tout à fait !

M. André Chassaigne. Il fallait à l'époque, comme aujourd'hui, éviter tout transfert de charges sur les entreprises. Or la réévaluation des bases risquait justement d'alourdir leur taxe foncière.

M. Charles de Courson. Mais non !

M. André Chassaigne. Ces bases sont totalement déconnectées de la valeur locative réelle des logements, ce qui est source de distorsions et d'injustices, en particulier pour les habitants de logements sociaux. Mais cela ne semble pas être votre problème.

En outre, comment peut-on accepter que ces bases soient déconnectées de toute appréciation du revenu des contribuables, et donc que cet impôt soit, de fait, dégressif ?

Que ce soient les plus riches qui paient le moins, au regard de leurs revenus et de leur patrimoine non immobilier est incroyable ! La taxe foncière et la taxe d'habitation représentent une dépense importante pour les ménages les plus pauvres et une goutte d'eau pour les plus aisés.

Aussi, il devient urgent de réformer en profondeur ces impôts locaux, notamment en prenant en compte les revenus des contribuables.

Enfin, comment accepter que, du fait des inégalités de richesse fiscale entre les communes, les impôts prélevés, d'une commune à l'autre, puissent varier du simple au triple, voire davantage ? Ce sont ces injustices criantes qui rendent si impopulaires ces impôts. Or ces injustices vont encore s'aggraver avec votre décentralisation.

La taxe professionnelle, nous le savons, a de multiples défauts. Elle est en grande partie à l'origine des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales et du déficit de mutualisation de l'impôt entre ces collectivités. Ses bases ont en effet la particularité d'être mal réparties sur le territoire, même si la multiplication de groupements de communes à taxe professionnelle unique a permis de réduire ces distorsions par un lissage progressif des taux sur le territoire de ces groupements. Il n'en reste pas moins que 90 % des bases de taxe professionnelle sont concentrés sur à peine 10 % du territoire.

Mais elle n'en reste pas moins le seul impôt permettant d'ancrer une entreprise à son environnement et donc de mettre en jeu, en partie, sa responsabilité sociale locale. Aussi constitue-t-elle un élément décisif d'affirmation du lien citoyen de l'entreprise avec son environnement local immédiat. C'est à ce titre que la taxe professionnelle reste incontournable.

Son assiette, aujourd'hui, n'intègre plus que les actifs réels des entreprises, que ce soient les immeubles et terrains, ou encore les outillages. Cette assiette défavorise de ce fait l'industrie au détriment du secteur des services. Mais surtout, en exonérant les actifs financiers, elle constitue un regrettable levier encourageant la spéculation financière, au détriment des investissements réels. Cette assiette injuste porte atteinte à l'égalité de ces entreprises devant l'impôt.

Prenons l'exemple, d'ailleurs d'actualité, d'une entreprise pharmaceutique : si celle-ci décide d'investir dans la recherche, et donc de faire le choix de l'avenir, en ouvrant de nouveaux laboratoires de recherche, ces investissements seront assujettis à la taxe professionnelle, ce qui est normal. En revanche, ce qui l'est moins, c'est que si cette entreprise, dans une fuite en avant financière, préfère racheter ses concurrents un à un, en multipliant des offres publiques d'achat, puis fermer différents sites pour, comme l'on dit pudiquement, éviter les doublons, en abandonnant de ce fait une politique ambitieuse en matière de recherche, ses nouveaux actifs financiers ne seront pas assujettis en tant que tels à la taxe professionnelle. Cette distorsion est, aujourd'hui, absolument injustifiable car elle incite clairement les entreprises à ne pas investir et est un vecteur de financiarisation de l'économie.

Notre économie a changé, mais notre fiscalité ne s'est pas adaptée à ces mutations. C'est pour cette raison qu'elle pénalise aujourd'hui, de façon excessive, notre industrie. Ce diagnostic, quoi que vous pourriez dire, n'est pas le seul fait de communistes que vous qualifieriez d'utopistes. Il est largement partagé.

Permettez-moi à cet égard de citer un ancien ministre de votre gouvernement, M. Delevoye. En 1995, celui-ci faisait observer que, lorsque l'économie était agricole, la richesse et la fiscalité étaient basées sur le foncier ; puis, lorsque l'économie est devenue industrielle, elles l'ont été sur le travail et le capital ; mais aujourd'hui, alors que l'économie repose principalement sur les services et la finance, ces secteurs sont « notoirement sous-fiscalisés ». Pourquoi dès lors n'acceptez-vous pas d'étendre l'assiette de la taxe professionnelle aux activités économiques financières ?

En 2001, les actifs financiers des entreprises non financières s'élevaient à 2 620 milliards d'euros. Ceux des banques et institutions financières à 2 050 milliards d'euros. Imaginons que nous instituions un prélèvement, même infime, sur ces actifs, de 0,3 %. Cet impôt rapporterait alors 14 milliards d'euros ! Et comme ces actifs ne sont pas attachés à un site, au même titre que les immobilisations des entreprises, cet impôt pourrait de surcroît alimenter la dotation nationale de péréquation et profiter en conséquence aux collectivités territoriales qui en ont aujourd'hui le plus besoin.

On voit bien combien la fiscalité locale est parfaite. Quelle perfection ! Les contribuables en sont d'autant plus redevables qu'ils sont pauvres. Les entreprises la paient d'autant plus qu'elles investissent et refusent les chantages de leurs actionnaires. A cela s'ajoute l'arbitraire total des taux d'imposition selon les communes, les départements et les régions, conséquence inévitable de la concentration des bases de ces impôts sur le territoire de certaines collectivités.

Or qu'avez-vous trouvé pour réformer la fiscalité locale ? Vous avez commencé par ne rien faire !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vous aviez donné l'exemple !

M. André Chassaigne. Puis, vous avez ergoté sur un adjectif : la part de ressources propres devait-elle être « déterminante » ou « prépondérante » ? Et enfin, vous transférez aux collectivités territoriales le produit de l'impôt d'Etat le plus dégressif, le plus injuste donc : la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Je ne suis pas sûr que l'on renforce ainsi la légitimité des collectivités territoriales ni que l'on améliore l'opinion qu'en ont nos citoyens en concentrant, comme vous le faites, entre les mains des collectivités territoriales tout ce que notre système fiscal a produit d'injuste, d'arbitraire et d'entravant pour le développement économique. Je parle bien évidemment des « quatre vieilles » et de la TIPP transférée.

Mais la question de la fiscalité locale n'est pas la seule que vous ayez omis d'étudier. Toute la structure interne du régime des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales doit aujourd'hui être repensée. En effet, ce système a été construit trop indépendamment du système fiscal local. Aussi, n'est-il pas en mesure d'en corriger les dysfonctionnements.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est le procès du gouvernement Jospin !

M. André Chassaigne. Comment accepter, au vu des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales, que près de 90 % du montant de la dotation globale de fonctionnement des communes soit attribué au titre de leur dotation forfaitaire ?

Comment justifier que les dotations de compensation ne représentent qu'une part infime du budget de ces communes, et donc que ces inégalités de richesse fiscale soient compensées par une surfiscalisation des ménages dans les collectivités territoriales les plus pauvres ?

Je ne prendrai qu'un exemple que je connais bien, celui de ma petite commune du Puy-de-Dôme, Saint-Amant-Roche-Savine, qui compte 530 habitants. Son budget de fonctionnement s'élève à 583 000 euros.

M. Charles de Courson. C'est énorme !

M. André Chassaigne. Cette commune, comme beaucoup de communes rurales, n'est pas bien riche. Son potentiel fiscal par habitant ne représente que 60 % du potentiel fiscal par habitant de la strate des communes de même importance. Et son potentiel fiscal par habitant pour la taxe professionnelle 24 % seulement du potentiel fiscal par habitant de la strate des communes de même importance. Aussi, il me paraîtrait normal que cette commune bénéficie de dispositifs de péréquation financière. Pourtant, pour cette même année 2004, la fraction péréquation de la dotation de solidarité rurale reçue au titre de la solidarité nationale et le montant de la dotation nationale de péréquation ne représentent qu'un cinquième environ de la dotation globale de fonctionnement. Cet exemple montre bien que si la péréquation est aujourd'hui sur toutes les lèvres, elle est tout sauf une réalité.

Chaque année, on nous promet une forte hausse du montant de ces dotations de solidarité. Je n'oublierai pas, par exemple, que, lors du débat sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux qui en a passionné quelques-uns d'entre nous, M. Devedjian nous avait promis une hausse de 43,99 % - c'est comme au supermarché ! - des dotations de péréquation pour la nouvelle DGF régionale. Mais l'augmentation ne sera finalement que de 24,83 %, soit, vu que les dotations de péréquation pour les régions sont très réduites, un gain infime. Sans doute me direz-vous que c'est le comité des finances locales qui a fait ce choix.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Eh oui !

M. André Chassaigne. Les élus représentés dans ce comité se sont malheureusement accordés pour maintenir une croissance des dotations forfaitaires supérieure à la progression minimale autorisée. J'ai vérifié quelle était la fourchette. En fait, cette progression aurait pu être limitée à 0,87 % et, après une longue discussion, elle a été fixée à 0,965 %, certains élus souhaitant même qu'elle soit supérieure. En définitive, le choix a donc été fait de pérenniser le caractère inégalitaire de notre système de finances locales. Je tiens cependant à saluer notre collègue Augustin Bonrepaux qui, au sein de ce comité, a défendu une position inverse.

M. Charles de Courson. Il était bien le seul !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Contre Charasse !

M. André Chassaigne. Contre une personne que je connais bien, en effet !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je le sais, car j'y étais !

M. André Chassaigne. Ainsi, loin de s'attacher à réduire les inégalités de richesse fiscale entre les collectivités territoriales ou de compenser les charges de dépenses supplémentaires que doivent supporter certaines collectivités, les dotations de l'Etat permettent surtout de reproduire et donc de renforcer ces inégalités. Alors bien sûr, des explications sont données par ceux qui défendent une progression plus importante de la dotation forfaitaire. Ils parlent de l'accroissement important des charges des communes, de l'augmentation, en 2004, des salaires des agents territoriaux restés stables en 2003, de l'obligation pour certaines communes de procéder à un recensement dans le cadre de la nouvelle loi qui a supprimé le recensement général, des prélèvements sur la DGF pour financer l'aide sociale, des pompiers, etc. Toutes ces justifications vont dans le sens d'un maintien de cette dotation forfaitaire au plus haut niveau et en sens inverse des dotations de péréquation.

Cette question n'est pas seulement une question budgétaire. Elle est éminemment politique au sens où, de fait, la libre administration de nombre de collectivités, souvent des communes, est entravée par ces contraintes financières. L'égalité des chances entre les collectivités territoriales n'est donc pas assurée.

Par cet exposé, passionnant vous en conviendrez (Sourires), je tenais à montrer toutes les contradictions et les incohérences de notre système de finances locales, que votre décentralisation ne pourra qu'exaspérer, et à souligner les faux-semblants du débat en cours. Je tenais à poser les problèmes que le volet financier de cette décentralisation aurait dû impérativement aborder. Vous avez, à l'inverse, préféré adopter une vision réductrice du sujet et circonscrire le débat autour des seules relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est déjà beaucoup !

M. André Chassaigne. D'abord, en posant le principe en vertu duquel la libre administration des collectivités territoriales est, avant tout, fonction de la part des ressources propres dans l'ensemble de leurs ressources. Ensuite, en affirmant comme un acte de foi que tout transfert de compétences s'accompagne mécaniquement de l'attribution de ressources équivalant à celles qui étaient consacrées à leur exercice - cela a été redit tout à l'heure par M. le ministre Copé. Ce qui signifie que vous avez fait de ces questions techniques le problème prioritaire des finances locales sans même le régler, occultant les questions primordiales comme celle concernant la péréquation et oubliant, évidemment, les citoyens et leurs aspirations. En effet, il paraît évident que le problème de la part déterminante de ressources propres, notion que l'on veut nous faire définir aujourd'hui, n'est pas primordial. J'allais dire que ce problème n'est ni déterminant ni prépondérant.

Comment imaginer que ce soit la seule part relative des impôts locaux dans les ressources qui définisse le degré de libre administration ! En Espagne, 59 % des recettes des collectivités territoriales sont des transferts de l'Etat. En Allemagne, ce taux est de 55 %. Et comment pourrait-on prétendre que les collectivités territoriales de ces deux pays, fédéraux ou en passe de le devenir, ne disposent pas d'une libre administration effective ?

L'autonomie financière des collectivités territoriales passe, certes, par la possibilité donnée aux élus locaux de voter librement les taux des impôts. Voter l'impôt est une prérogative fondamentale de tout pouvoir politique responsable, mais ce n'est en aucun cas une condition exclusive.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Voilà qui plaide pour le texte !

M. André Chassaigne. Car, avant tout, la libre administration suppose que les collectivités territoriales possèdent la maîtrise de leur action et décident librement des politiques locales à développer. Aussi, la multiplication de transferts autoritaires de compétences, comme vous l'avez décidé avec la décentralisation, n'est pas faite pour améliorer l'autonomie financière des collectivités territoriales. C'est bien pourquoi nous trouvons absolument scandaleux que l'on nous fasse disserter aujourd'hui sur cette prétendue autonomie financière, alors que, parallèlement, en multipliant les compétences obligatoires conférées aux collectivités, vous l'affaiblissez considérablement.

Poser la question de l'autonomie financière des collectivités territoriales revient aussi à s'interroger sur les garanties de progression des dotations versées par l'Etat aux collectivités territoriales. Pourquoi alors ce projet de loi organique n'évoque-t-il pas la question ? Peut-être parce que les élus locaux ont de biens mauvais souvenirs du pacte de stabilité financière imposé par votre majorité à l'époque d'Alain Juppé ! Quelles garanties pouvez-vous leur donner sur un prolongement à moyen terme du « contrat de croissance et de solidarité » des dotations sous enveloppes attribuées par l'Etat aux collectivités territoriales ? Ce contrat de croissance et de solidarité avait été fixé pour les années 1999, 2000 et 2001. Il est prolongé depuis 2002, assurant depuis une croissance des dotations sous enveloppes des collectivités territoriales équivalant à l'évolution des prix et à un tiers de la croissance du PIB. Aujourd'hui, les élus restent dans l'incertitude, attendant chaque année l'engagement de l'Etat en la matière. Ils sont d'autant plus inquiets que leurs nouvelles charges, transférées abusivement par l'Etat, vont progresser à un rythme bien supérieur à celui de la croissance des dotations.

Votre projet de loi organique porte déjà une vision réductrice des finances locales, uniquement axée sur les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, mais il ne les analyse en outre que de façon très partielle. Ainsi, vous prétendez renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales en finançant les transferts de compétences que vous imposez par le transfert d'impôts nationaux, plutôt que par l'octroi de nouvelles dotations passives. Et voilà que les départements et les régions vont bientôt percevoir la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Pourquoi cet impôt ? Il serait malhonnête, me diriez-vous, de penser que vous avez fait le choix de débarrasser l'Etat d'un impôt dont les bases sont particulièrement peu dynamiques, obligeant les gouvernements successifs à en augmenter régulièrement les taux pour en relever le produit. La TIPP est un véritable boulet. C'est bien là la raison principale expliquant son transfert aux collectivités territoriales. Une étude de Dexia montre, par exemple, que le rythme annuel moyen de progression de la consommation des différentes composantes de la TIPP, depuis 1993, n'a été que de 1 % par an, c'est-à-dire nettement inférieur à celui des postes de dépenses que vous transférez, que ce soit l'évolution des dépenses pour le RMI ou celle des dépenses de personnel. C'est donc une recette que les collectivités territoriales ne maîtriseront absolument pas. Curieuse conception de la ressource propre et de la libre administration !

En outre, les modalités du transfert du RMI auront été pour le moins problématiques. Je peux vous donner un exemple, qui n'est sûrement pas isolé. Dans le département de l'Hérault, alors que trente fonctionnaires d'Etat travaillaient à l'instruction des dossiers du RMI, quinze seulement ont été transférés et compensés par l'Etat, ce qui conduira à alourdir fortement les charges de fonctionnement du conseil général qui sera dans l'obligation de pourvoir les quinze postes manquants.

M. Jean-Pierre Grand. Ce n'est pas vrai !

M. André Chassaigne. Nous pourrions aussi parler du transfert des TOSS. Vous connaissez la question, monsieur le rapporteur, puisque vous étiez proviseur de lycée, et moi aussi, car j'étais principal de collège.

M. Jean-Pierre Brard. On peut vous laisser ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Chacun sait qu'il faudra créer de nombreux postes dans les années à venir pour faire face aux besoins. Chacun sait aussi - cela a été souligné tout à l'heure par Augustin Bonrepaux - que, depuis deux ans, on assiste, dans les différents établissements, collèges et lycées, à des suppressions de postes de services importants. On pourrait donner la liste de ces suppressions département après département, collège après collège,...

M. Didier Migaud. Il faut le faire !

M. André Chassaigne. ...région après région, lycée après lycée. Chacun d'entre nous a dû être saisi dans sa circonscription. Nous savons bien que les emplois de services sont sacrifiés notamment depuis les deux dernières années. Le transfert se fera sur la base d'une photographie à un moment donné. Nos collectivités territoriales devront donc pallier les manques, créer des postes, et cette charge ne sera pas compensée. En définitive, ces dépenses, dynamiques par leur augmentation, seront supportées uniquement par les collectivités territoriales.

L'augmentation moyenne de 1 % par an de la TIPP va-t-elle pouvoir compenser ces charges supplémentaires pour les collectivités ? D'autant que, dans ces établissements scolaires - cela a été souligné tout à l'heure - les CES et les CEC sont en voie de disparition, ce qui rend nécessaire, pour effectuer le travail qui était réalisé par ces emplois aidés, la création de postes nouveaux. Au final, n'y a-t-il pas de votre part la volonté à peine cachée d'organiser la privatisation, dans les collèges et les lycées, de certains services de nettoyage et de restauration ? La preuve en est qu'un amendement visant à arrêter toute privatisation a été refusé par la majorité.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cette privatisation a déjà commencé.

M. Jean-Pierre Grand. En quoi est-elle gênante ?

M. André Chassaigne. Quel aveu ! Un parlementaire de la majorité me demande en quoi la privatisation est gênante. On voit quelle est l'approche du Gouvernement et quelle appréciation il porte sur le service public ! Derrière cette loi de décentralisation, c'est en fait une privatisation généralisée qui se prépare. Vous voulez être les bons soldats de l'accord général du commerce des services !

M. Jean-Pierre Brard. Ou plutôt les artilleurs !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Voilà une remarque dont on ne pouvait vraiment pas se passer !

M. Jean-Pierre Grand. Et encore : M. Chassaigne n'a pas encore parlé du MEDEF !

M. Jean-Pierre Brard. C'est un propos subliminal !

M. André Chassaigne. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Conseil constitutionnel, pourtant si bien disposé à votre égard, a considéré que l'Etat devrait compenser les baisses éventuelles du produit des impôts nationaux qu'il transfère aux collectivités territoriales, considérant par là même qu'un impôt transféré comme la TIPP ne constituait pas une de leurs ressources propres.

Au vu de votre projet de loi organique, on pourrait juger que ce transfert d'impôt constitue un pas en avant pour l'autonomie financière des collectivités territoriales. Mais dans cinq ans, il sera évident pour tous les décideurs locaux qu'il n'aura rien été d'autre qu'un recul de leur libre administration, puisque le produit de la TIPP sera alors nettement insuffisant pour compenser les nouveaux postes de dépense. Vous en êtes tous persuadés. Seule une hausse brutale des impôts locaux - ou la privatisation de nombreux services - permettra alors d'équilibrer leur budget. En outre, chacun sait ici que, le produit de la TIPP étant très mal réparti sur le territoire, le transfert de cet impôt aux collectivités territoriales aiguisera encore les inégalités territoriales.

Votre analyse des finances locales paraît donc pour le moins biaisée. A tel point que nous avons la désagréable impression que les principes que vous souhaitez nous faire voter aujourd'hui n'ont surtout pas vocation à être appliqués et que l'affirmation d'une croissance des ressources propres au sein des ressources des collectivités territoriales vise surtout à dissimuler une forte atteinte à leur autonomie financière.

Jean-Pierre Brard, qui est un homme de culture, pourrait citer Molière : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. »

M. Jean-Pierre Brard. Les tartuffes sont tous de droite. (Sourires.)

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. S'agit-il encore d'une citation de Molière ?

M. Jean-Pierre Balligand. Sans doute. (Sourires.)

M. André Chassaigne. En dehors de la vérité assénée par Jean-Pierre Brard,...

M. Jean-Pierre Balligand. « Assénée » ? Le mot est un peu fort.

M. André Chassaigne. ...je reconnais au moins un mérite à ce texte : il donne l'illusion de parler finances locales sans chercher à traiter les problèmes de fond. En quelque sorte, il en a la couleur sans en avoir la saveur, l'appellation sans la teneur. Vous mettez en œuvre, dans ce domaine, la politique « Canada Dry ». Plutôt que de répondre au problème global des finances locales, ce texte insiste sur une question - les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales - pour éviter d'en aborder d'autres, plus fondamentales, ou de prendre en compte les préoccupations de nos concitoyens. Plus grave encore, il fait comme si les problèmes de la fiscalité locale, de la péréquation financière ou de la libre administration n'étaient que des questions secondaires.

De la façon dont il est écrit, ce projet de loi bloque toute croissance potentielle des dépenses de l'Etat versées au titre de la péréquation. Si l'on prend en compte les dotations de la péréquation de l'Etat dans le calcul du ratio ressources propres/ressources totales, comme votre projet de loi nous y invite, il s'avère que toute croissance de ces dépenses versées au titre de la péréquation fera baisser la part déterminante des ressources propres des collectivités territoriales et donc, selon votre théorie, diminuera leur autonomie financière. C'est absurde et dangereux.

De ce fait, votre conception de l'autonomie financière est particulièrement injuste. Elle interdit tout renforcement de la solidarité financière entre les collectivités, et seuls les impôts dont les bases sont particulièrement concentrées sur une minorité de communes devront constituer l'élément décisif des budgets des collectivités territoriales. Parce que votre projet de loi interdit de fait tout renforcement de la solidarité financière entre les collectivités, les inégalités territoriales et le principe si désagréable du « chacun pour soi » seront encore renforcés. Au fond, votre loi organique, c'est l'institutionnalisation de l'individualisme néolibéral dans l'administration des collectivités territoriales.

M. Michel Bouvard. Bigre !

M. André Chassaigne. Et surtout, elle ne résout pas une question de fond, récurrente depuis des décennies : la remise à plat complète des finances locales.

A ce sujet, je voudrais lire un bref extrait d'un ouvrage de Camille Vallin, Les Impôts locaux.

M. René Dosière. Ah !

M. André Chassaigne. L'ouvrage, déjà ancien, date de 1989.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n'étiez pas né, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais si ! Et je m'occupais déjà des finances locales.

M. André Chassaigne. Il reste néanmoins d'actualité. Je cite : « L'intérêt d'une histoire, c'est de savoir comment elle s'achèvera. » En l'occurrence, le dénouement de l'histoire, c'est l'avenir des « quatre vieilles », c'est-à-dire les quatre contributions locales. « Qui pourrait le dire ? Nos « quatre vieilles » s'apprêtent à entrer dans leur troisième centenaire. Non pas allègrement, certes, car les opérations en tout genre qu'elles ont subies, les emplâtres successifs qu'elles ont reçus, les cures de rajeunissement qu'on a tentées pour les rendre présentables n'ont rien réglé. Il n'est plus personne pour soutenir qu'elles n'ont pas fait leur temps. Elles ne survivent que parce qu'on prétend ne pas savoir par quoi les remplacer. Nous croyons avoir montré pourtant qu'il est possible de le faire. » Tel est, en effet, le propos de l'auteur.

« Lorsque la fiscalité locale ne représentait qu'une part modeste des ressources communales, l'injustice de nos vieux impôts était supportable. Quand cette part atteint la moitié de ces ressources, elle ne l'est plus ! La réforme que réclament depuis tant d'années les élus - rappelons-le - comporte deux volets inséparables et complémentaires : une redistribution des ressources fiscales nationales au profit des collectivités territoriales ; la modernisation et la démocratisation de la fiscalité. »

M. René Dosière. La suite de ce passage est également très intéressante.

M. André Chassaigne. Ces deux volets inséparables, monsieur le ministre, messieurs et mesdames de la majorité, sont absents de votre projet.

Vous aurez compris, au terme de cette brève intervention, que nous ne voulons pas de la loi organique. C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous invitons à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard. Le ministre est embarrassé...

M. Didier Migaud. Il a envie d'approuver les propos de M. Chassaigne. (Sourires.)

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, je répondrai brièvement mais fermement à cet exposé, complétant ainsi ce que je disais tout à l'heure à M. Bonrepaux.

En somme, monsieur Chassaigne, si je synthétise votre propos, vous invitez l'Assemblée à voter la question préalable, parce que vous considérez qu'il faudrait remettre à plat l'ensemble de la fiscalité et des finances locales de notre pays plutôt que de se limiter aux choix que nous avons faits.

J'attire simplement votre attention sur un point. Au-delà des sujets passionnants que vous avez évoqués, il y a tout de même un problème. Nous sommes tenus - vous l'avez d'ailleurs souligné en rappelant les termes de mon intervention - par le respect de la Constitution. Or celle-ci est assez précise sur un point - et quel point ! - : elle renvoie à une loi organique le soin de fixer les conditions dans lesquelles doit être mise en œuvre la règle qui veut que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de ses ressources.

Après tout, on aurait pu imaginer que chacun compose de son côté un projet considérable qui aurait été pour lui l'occasion de rassembler tout ce qu'il écrit ou pense depuis des années sur la manière de réformer la fiscalité. Cependant, le Gouvernement a jugé que l'heure n'était plus aux colloques, mais à la décision, qui vient après le débat démocratique. Et Dieu sait si nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à participer depuis des années à des débats sur la décentralisation ! Seulement, cette fois, il faut trancher.

Soucieux d'adopter une méthode qui réponde à toutes les attentes et permette de faire un choix, nous avons estimé devoir travailler selon un calendrier respectueux des différentes étapes : d'abord un texte sur les transferts de compétences, ensuite la loi organique traitant les questions que je viens d'évoquer, puis la suite du volet financier, qui, n'en doutez pas, apportera des réponses à toutes les questions que vous venez de poser. Nous reviendrons sur la réforme des dotations. Nous aurons l'occasion de parler de la péréquation, capitale à nos yeux, puisque nous l'avons inscrite dans la Constitution : c'est dire si nous y tenons. Nous évoquerons également l'implication de nouveaux impôts, ce qui constitue un sujet considérable, la taxe sur les produits pétroliers et la taxe sur les conventions d'assurance. Durant ces deux jours, nous débattrons également de l'avenir de la taxe professionnelle, sujet qui a, lui aussi, donné lieu à bien des discussions depuis des années. Mais je le répète : jusqu'à présent, le travail n'a pas été fait. Il est temps de s'y atteler, ce qui impose qu'on prenne les problèmes dans l'ordre. Demain, j'aurai l'occasion de vous présenter les pistes sur lesquelles nous travaillons et à propos desquelles nous sollicitons votre point de vue.

Vous le voyez, nous aurons bien des sujets à débattre. Pour cela, naturellement, il faut que notre discussion puisse se poursuivre. Encore faut-il que la question préalable que vient d'être présentée soit repoussée. Vous comprendrez donc que j'insiste particulièrement auprès de l'Assemblée pour qu'elle ne la vote pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, je voudrais apporter quelques commentaires sur l'intervention de notre excellent collègue André Chassaigne.

M. Jean-Pierre Brard. « Excellent collègue » ? Attendons le coup de pied de l'âne.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il n'y aura ni âne ni coup de pied, cher ami. La première chose que je voudrais dire, puisque l'ambiance est bonne, ce soir, et qu'il n'y a aucune raison que cela ne continue pas,...

M. Jean-Pierre Brard. Attention ! Voilà le coup de pied.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. ...c'est que nous avons assisté à un véritable exploit. En effet, durant cinquante minutes, un élu communiste a réussi à discourir sans citer le MEDEF ! Je tenais à saluer le caractère exceptionnel d'une telle performance. (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez faire exclure M. Chassaigne du Parti ? (Rires.)

M. André Chassaigne. Je n'ai pas mentionné le MEDEF parce que j'ai tenté d'éviter les pléonasmes !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La deuxième chose que je voudrais dire est que le président de la commission des finances, ici présent, a été mis en cause par M. Chassaigne. Je vais rappeler ses propos. Il sera aisé de les confronter, dans le compte rendu de nos débats, à l'interprétation inexacte qui en a été faite.

M. Jean-Pierre Brard. Vous nous proposez de faire de la littérature comparée ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Non. Seulement de rétablir la vérité.

Le président de la commission des finances a dit la chose suivante. Puisque la loi organique - qui décline la Constitution - garantira que, pour toutes les compétences nouvelles transférées, les collectivités recevront l'intégralité des moyens leur permettant de les assumer de manière pérenne, les augmentations de fiscalité qui pourraient être opérées par les collectivités le seraient au titre des promesses électorales qu'elles auraient faites dans le cadre de compétences non obligatoires. Or, vous avez dit l'inverse, monsieur Chassaigne. Vous avez travesti ces propos en disant que, puisque la Constitution posait un verrou sur les transferts de compétences et des moyens correspondants, les collectivités territoriales seraient privées de ce que vous appelez leur libre administration, à savoir le libre choix d'agir en dehors des compétences transférées.

J'y insiste, et je reprends à mon compte, comme tous les membres de la majorité, le propos de Pierre Méhaignerie : si, demain, les collectivités augmentent la fiscalité, ce ne sera pas au titre de transferts de compétences, mais de politiques volontaristes que vous aurez décidé de financer par le recours à l'impôt en nous faisant supporter la responsabilité de vos choix.

M. Augustin Bonrepaux. C'est faux !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'est pas acceptable, et je tenais à dénoncer ce raisonnement spécieux.

Par ailleurs, vous avez évoqué, monsieur Chassaigne, un « terme mineur » d'un article de la Constitution. Or, je ne pense pas que la loi fondamentale puisse comporter un article ou un terme « mineur », surtout s'il s'agit, comme c'est le cas en l'espèce, de l'alinéa de l'article 72-2 qui précise les conditions dans lesquelles les ressources fiscales qui sont gérées par les collectivités locales peuvent éventuellement, d'après la loi, être transmises aux collectivités avec la possibilité d'en fixer le taux. Vous savez que c'est sur ce point que la discussion s'engagera lorsque nous aborderons l'examen de l'article 2.

M. Charles de Courson. Elle est déjà engagée !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est vrai, et ce point n'est pas du tout mineur. Si je tiens à rectifier le propos de notre collègue, c'est parce que, grâce à la réforme constitutionnelle et à la loi organique, enfin, le Conseil constitutionnel disposera de l'outil qui lui permettra de contrôler la réalité de la politique du Gouvernement en matière de transferts de charges et des moyens correspondants, ce qu'il a toujours regretté de ne pas pouvoir faire.

N'oubliez pas que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe considère que notre pays est plutôt en bonne position en ce qui concerne les capacités financières, mais que le talon d'Achille de nos finances locales est l'obsolescence de nos ressources et de nos taxes locales. Or, jamais, au cours des cinq années durant lesquelles vous avez participé au Gouvernement, vous n'avez entrepris de réforme dans ce domaine. Pire, quand les parlementaires de l'opposition ont réclamé de manière persistante, récurrente, la possibilité d'opérer un début de déliaison des taux, afin de pouvoir jouer de manière différenciée sur chacune des taxes, le gouvernement de Lionel Jospin s'y est toujours refusé. Ce n'est qu'à l'occasion de la loi de finances pour 2003 qu'un début de déliaison des taux a permis d'offrir aux collectivités locales la possibilité de progresser dans la voie de la libre administration de leurs ressources, donc de leurs politiques.

Enfin, l'argument qui consiste à travestir la décentralisation en l'assimilant à une privatisation ne saurait tenir longtemps. J'observe en effet que dans la commune dont je suis le maire, disons de droite, la restauration municipale est en régie, alors que celle de la commune voisine, qui est de gauche, est concédée au privé. Balayez donc devant votre porte !

M. Jean-Pierre Brard. Et vos salades, elles sont privées ?

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe UMP.

M. Michel Bouvard. Les motions de procédure offrent certes une capacité d'expression à l'opposition, mais, en l'espèce, elles ont été dévoyées. En effet, Augustin Bonrepaux, qui a défendu tout à l'heure l'exception d'irrecevabilité, n'a pas tenté d'établir que le texte était contraire à la Constitution. Quant à André Chassaigne - dont l'intervention fut, au demeurant, très intéressante -, il n'a pas davantage cherché à démontrer qu'il n'y avait pas lieu à délibérer. Au contraire, il a réclamé un supplément de délibération et de débat, si j'ai bien compris son intervention.

Je remarque par ailleurs que ses observations sur la fiscalité locale et les rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, qu'il a étudiés sur une très longue période, étaient finalement très critiques vis-à-vis des gouvernements précédents, notamment de ceux auxquels son propre parti a participé. Certains des sujets qu'il a abordés sont intéressants et méritent sans doute d'être débattus - je pense à la faiblesse structurelle des mécanismes de péréquation, à l'abandon de la révision générale des bases, que nous avons été un certain nombre à regretter, ou au plaidoyer en faveur de la taxe professionnelle et de son ancrage local -, mais nous les aborderons dans le cadre de la loi de finances. Aujourd'hui, nous examinons une loi organique qui a pour but de fixer un cadre, et je regrette que l'on ait passé autant de temps à parler de questions qui sont quelque peu hors sujet. C'est la première raison pour laquelle je veux appeler au rejet de la question préalable, car nous devons être attentifs au respect des procédures qui régissent le fonctionnement de notre assemblée.

La seconde, c'est que nous ne pouvons pas souscrire aux orientations qui ont été proposées, même si, comme l'a rappelé le rapporteur de la commission des lois, nous avons échappé à la critique habituelle qui consiste à établir un lien entre le projet que nous examinons et le MEDEF. A ce propos, et pour terminer par un clin d'œil, M. Chassaigne a évoqué la déliaison des taux. Or, je me demande si ce n'est pas un peu sous l'influence du MEDEF que la majorité précédente l'a refusée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste.

M. René Dosière. Notre collègue Chassaigne a en effet soulevé un certain nombre de questions qu'il aurait sans doute été préférable d'aborder plutôt que le texte qui nous est soumis, notamment - puisque le rapporteur de la commission des lois l'a évoquée - la compensation des transferts de compétences.

Notre inquiétude se nourrit de notre expérience. Je pense à la manière dont s'est faite la compensation des précédents transferts de compétences. Du reste, les insuffisances relevées par notre collègue Geoffroy à propos du transfert des lycées peuvent parfaitement s'appliquer à celui des TOS. En effet, ceux-ci sont en nombre insuffisant, ils ont été remplacés par des personnels payés moins cher et des postes ont été supprimés. Son raisonnement est donc parfaitement exact.

Comment s'effectuera le transfert ? A lire la Constitution, l'Etat versera aux collectivités locales le montant des sommes qu'il consacre, à la date du transfert, aux salaires des TOS, comme en 1986 il a versé aux régions et aux départements le montant des sommes qu'il consacrait à la construction des lycées et des collèges. Or, la commission spécialisée a relevé que, à la différence des autres transferts de compétences, celui des collèges et des lycées n'avait pas été satisfaisant. C'est donc précisément parce que nous nous sommes aperçus, en 1986-1987, que ces sommes étaient insuffisantes que nous vous avons mis en garde contre la formule qui a été utilisée dans la loi de 1983 pour fixer le niveau des transferts de compétences. Or, non seulement vous avez repris la même formule, mais vous l'avez constitutionnalisée. Dès lors, quand on constatera que les moyens manquent, il faudra modifier la Constitution pour corriger le tir, alors que l'on aurait pu se contenter de modifier la loi. Vous avez rigidifié le dispositif. Encore une fois, nous sommes bien placés pour vous dire, monsieur le ministre, que ce système de compensation ne fonctionnait pas dans tous les cas, mais vous ne voulez pas en tenir compte.

Notre inquiétude est d'autant plus vive que, à ma connaissance, aucun expert n'est capable d'affirmer que la fiscalité partagée est une fiscalité locale. Si vous en connaissez un qui est capable de me démontrer le contraire, j'aimerais bien le connaître.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Et les droits de mutation ?

M. René Dosière. Les droits de mutation, monsieur le rapporteur général, les collectivités avaient le pouvoir de les modifier, même si nous sommes revenus sur ce pouvoir par la suite. Il ne s'agissait donc pas de ce type de fiscalité. Nous sommes très inquiets.

Prenons l'exemple d'une collectivité qui mène une politique dynamique, comme Montreuil, par exemple.

M. Jean-Pierre Brard. Excellent exemple ! (Sourires.)

M. René Dosière. Ses efforts se traduisent par la construction de logements, c'est-à-dire par le développement du foncier bâti, qui engendre des recettes de taxe d'habitation supplémentaires. Si c'est l'implantation d'entreprises industrielles qui est favorisée, elle se traduira par une taxe professionnelle plus importante. Il s'agit, au fond, de ce que les experts appellent un retour sur investissement. Avec ce type de fiscalité - dont on sait par ailleurs que les bases sont anciennes -, une collectivité qui mène une politique dynamique bénéficie d'une augmentation de l'assiette fiscale. En revanche, que peut retirer la collectivité la plus dynamique qui soit d'un partage de la TIPP ?

M. le président. Monsieur Dosière...

M. René Dosière. Un dernier point, monsieur le président. S'agissant de la révision des valeurs locatives, ayant été, en 1990, rapporteur de ce texte que tout le monde approuvait, je me permets de vous rappeler, mon cher collègue Bouvard, que le rapport qui faisait apparaître les évolutions de la réforme a paru en novembre 1992. Or, à cette époque, la session parlementaire s'achevait en décembre et, en mars 1993, c'est une nouvelle majorité qui s'est réunie. Celle-ci avait parfaitement le temps d'appliquer ce texte, mais elle ne l'a pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. Je note que M. de Villepin n'est pas là. Connaissez-vous la raison de son absence ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Il était là tout à l'heure !

M. Jean-Pierre Brard. Certes, mais il n'y est plus ! Cela étant, je le comprends. Il sait que l'on ne peut être brillant que sur un bon dossier, comme il le fut à New York, par exemple.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Encore une amabilité, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Il ne pouvait pas être brillant dans la durée sur un dossier qui est mauvais.

M. le ministre délégué à l'intérieur. C'est tout de même extraordinaire ! A peine arrivé, il commence déjà à être désagréable !

M. Jean-Pierre Brard. On vous entend, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, égrener les sophismes.

Vous avez dit, monsieur le ministre, que le Gouvernement pensait que l'heure n'était plus aux colloques, et qu'il fallait trancher. Mais il faudrait que vous soyez d'accord entre vous, avant de trancher. Sinon, vous allez faire des entailles à gauche et à droite - plutôt à droite qu'à gauche, d'ailleurs. Pour le moment, quand on écoute les membres du Gouvernement, c'est la cacophonie, et sans doute auriez-vous besoin de colloquer pour aligner vos points de vue, pour qu'on s'y retrouve, et pour que nos concitoyens puissent en faire de même.

Vous nous parlez du « volet financier qui viendra », mais qui sait s'il ne s'agit pas d'une nouvelle facétie de votre part, puisqu'on ne peut pas vous faire confiance ? Vous essayez de nous entraîner de chausse-trappe en chausse-trappe, en nous assurant que la prochaine case n'est pas piégée. Or, l'expérience nous enseigne qu'avec vous, on n'a jamais touché le fond, et qu'il y a toujours pire à craindre.

Je voudrais citer quelques exemples, tirés de vos propos. Vous nous avez dit que nous parlerions plus tard de la péréquation, de nouveaux impôts et de la taxe professionnelle. Mais parlons-en, justement, de la taxe professionnelle. Alors que le Président de la République avait annoncé qu'on la supprimerait, d'autres membres du Gouvernement ont affirmé qu'il ne pouvait en être question. J'ai d'ailleurs plutôt tendance à croire ces derniers, car si vous supprimiez la taxe professionnelle, il faudrait la compenser. Et où iriez-vous chercher l'argent, alors que vous avez vidé les caisses de l'Etat ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous êtes mal placé pour dire ça !

M. Jean-Michel Bertrand. Pour vider les caisses, il aurait fallu y trouver quelque chose !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vraiment, quel culot !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Geoffroy, vous me décevez. Je pensais que vous étiez aussi lettré que M. Piron, qui fait régulièrement référence à Marguerite Yourcenar, et qui n'utilise pas le vocabulaire un peu trivial auquel vous venez de recourir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je le répète, quel culot !

M. Jean-Pierre Brard. Ce langage n'est décidément pas à votre honneur, monsieur Geoffroy.

Le Gouvernement, disais-je, nous promet des discussions futures, mais sur des sujets qu'il aurait fallu appréhender de façon globale, avant de décliner les lois s'y rapportant. Cela nous aurait permis de savoir exactement où nous mettions les pieds, et je regrette que ce ne soit pas le cas.

Quant à vous, monsieur le rapporteur, vous avez reproché fort injustement à notre collègue André Chassaigne d'avoir qualifié certains termes de la Constitution de « mineurs ». Vous vous indignez que l'on puisse dire une chose pareille, blasphémer ainsi à propos de la loi fondamentale, comme s'il s'agissait d'un texte sacré. Le Président de la République ne semble pas partager vos scrupules lorsqu'il éprouve le besoin - sauf quand il change d'avis au dernier moment - de nous envoyer à Versailles pour réformer la Constitution. Il faut croire que l'avis formulé par André Chassaigne n'est pas si mal fondé que vous le prétendez. Enfin, vous avez osé dire à notre collègue qu'il travestissait la réalité, en lui opposant votre cuisine municipale,...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Pierre Brard. ...comme si la façon dont vous préparez les plats chez vous devait nous intéresser. Tenons-nous en à l'essentiel, si vous le voulez bien.

Vous finissez par me dire que j'ai du culot. Ne dressez pas le portrait des autres à votre image, monsieur le rapporteur ! Car enfin, qui a décidé de la liaison des taux : un gouvernement de gauche ou de droite ?

M. Charles de Courson. Et qu'a fait la gauche ?

M. Jean-Pierre Brard. M. Lambert avait fait un petit geste, dicté par son expérience de maire. Malgré les pressions du MEDEF, il avait commencé la déliaison.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ah !

M. Michel Bouvard. M. Lambert avait osé !

M. Jean-Pierre Brard. Et comment en a-t-il été remercié, M. Lambert, qui, bien qu'étant de droite, n'était pas un si mauvais ministre du budget que cela, dans votre logique ? Il a été renvoyé, probablement à la demande du MEDEF, mais ça, vous oubliez de le dire, monsieur Geoffroy.

Entre les promesses de discussions futures de la part du ministre, et le travestissement de l'histoire de M. Geoffroy, il faut tout remettre à plat. C'est pourquoi la question préalable brillamment défendue par notre collègue André Chassaigne est légitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Nous terminons ces explications de vote avec M. Charles de Courson, pour le groupe UDF.

M. Charles de Courson. Notre collègue n'a apporté aucun élément. Il a même alimenté le vote contre sa motion. En effet, le Conseil constitutionnel nous demande depuis plusieurs années de légiférer dans ce domaine. Il ne va pas, une nouvelle fois, définir à notre place le seuil d'autonomie des collectivités territoriales en dessous duquel il y a atteinte à leur libre administration !

C'est pourquoi le groupe UDF votera contre cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ça, au moins, c'est clair !

M. Jean-Pierre Brard. Encore une génuflexion devant l'UMP !

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte censé assurer l'autonomie financière des collectivités territoriales, aujourd'hui en discussion, est présenté par M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, et M. le ministre délégué à l'intérieur. Cependant, il plane sur eux l'ombre envahissante de Bercy, qui ne s'est jamais illustré comme un défenseur acharné de l'autonomie des collectivités locales, et qui tient là une occasion de la restreindre sans en avoir l'air. Compte tenu de la situation très dégradée des finances de l'Etat, la tentation est évidemment très forte de créer les conditions d'une compensation financière a minima des transferts de compétences.

Il y a des précédents, monsieur le rapporteur. Ainsi - je reconnais que ce n'était pas un gouvernement de droite à l'époque -, quand les lycées et les collèges ont été transférés aux collectivités territoriales, c'était en l'état, et rappelez-vous l'ardoise qui s'est ensuivie.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Si vous aviez été là tout à l'heure, vous m'auriez entendu le dire !

M. Jean-Pierre Brard. En lieu et place d'une ambitieuse réforme de la fiscalité directe locale, rendue plus urgente encore par la disparition programmée de la taxe professionnelle, et notamment de la fiscalité locale pesant sur les ménages, largement critiquée car injuste, archaïque, inégalitaire et dénuée de tout caractère redistributif, nous avons affaire à une loi organique relative aux finances locales dont le champ est très limité.

En fait, il ne s'agit que de préciser les termes du troisième alinéa de l'article 72-2 inséré dans notre loi fondamentale à l'occasion de la réforme constitutionnelle entérinée par le Congrès du Parlement en mars 2003.

Cet alinéa dispose, je cite : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. »

Aussi, le texte qui nous est soumis aujourd'hui a pour objet de définir le contenu de chacun des paramètres utilisés pour déterminer le concept d'autonomie financière.

C'est pourquoi il spécifie ce qu'il faut entendre par les notions de « catégorie de collectivités territoriales » - c'est l'article 1er -, de « ressources propres » - c'est l'article 2 -, d'« ensemble des ressources » et de « part déterminante » - c'est l'article 3.

Ce projet de loi ne va pas plus loin. Cela signifie, par conséquent, que rien n'est avancé en ce qui concerne le cinquième alinéa de l'article 72-2, qui stipule que les dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales sont prévus par une ou des lois ordinaires. On ne peut que regretter que cette dimension fondamentale qu'est la péréquation ne soit pas traitée en même temps que l'autonomie financière dont elle est pourtant le corollaire. Nous formulons donc des propositions afin de définir la notion et l'ampleur de la péréquation, même si nous ne nous faisons aucune illusion sur le sort qui sera fait à ces amendements. Non seulement l'importance, les critères et les mécanismes de la péréquation ne sont pas traités, mais le présent texte a pour conséquence tout à fait regrettable que les transferts réalisés au titre de la péréquation sont inclus au dénominateur du ratio mesurant l'autonomie financière d'une catégorie de collectivités !

On voit donc que l'objet de ce court texte est très strictement circonscrit. Dresser ce constat ne revient pas à considérer pour autant qu'il faille le prendre à la légère. Ses implications sont, en effet, déterminantes sur une question techniquement complexe, mais pourtant très lourde de conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens : celle des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Le Gouvernement nous assure de la pureté et de l'honnêteté de ses intentions, ce qui en soi est suspect ...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Non, au contraire !

M. Jean-Pierre Brard. ... et ne peut que nous inciter à examiner en détail le dispositif proposé et ses conséquences concrètes.

On est en droit d'être inquiet au regard, notamment, de la définition de la notion de « ressources propres ».

En effet, l'article 2 précise que sont tout à la fois visés les impositions de toutes natures, les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers et, enfin, les dons et legs.

Dans cette énumération, les termes « impositions de toutes natures » semblent devoir recouvrir des réalités très différentes, si différentes qu'elles ne sauraient raisonnablement être rangées dans une seule et même catégorie.

D'un côté, il y a le produit des impôts locaux.

De l'autre, il y a le transfert de tout ou partie du produit d'un ou de plusieurs impôts nationaux.

Ces deux réalités mériteraient, à en croire le Gouvernement, de figurer dans une seule et même catégorie, celle des « impositions de toutes natures » et, partant, de relever de la notion de « ressources propres ». Ainsi, l'emploi distinct des deux concepts dans la Constitution ne serait qu'une coquetterie stylistique du constituant, sans portée juridique. Cette conception fait injure à la Constitution, monsieur Geoffroy, et n'est guère convaincante !

Nous affirmons que cela n'est pas acceptable et peut être source de dérives particulièrement préjudiciables pour la situation budgétaire des collectivités territoriales.

Il n'y a rien de comparable en effet entre le produit d'impôts locaux, dont les organes délibérants des collectivités peuvent voter les taux et moduler l'assiette, et le transfert de tout ou partie du produit d'impôt national dont l'Etat, et lui seul, détermine la base et le taux.

Ainsi, dans l'optique gouvernementale, la part du produit de la TIPP transférée aux départements pour compenser la décentralisation du RMI et la création du RMA serait mise sur le même plan que les produits de la taxe d'habitation ou de la taxe foncière perçus par les mêmes départements. Tout cela serait tenu pour des « ressources propres ».

Ne faut-il pas plutôt considérer que seuls les produits d'impôts dont l'assemblée délibérante de la collectivité - assemblée tenant sa légitimité, rappelons-le, du suffrage universel - peut fixer le taux ou le barème et, parallèlement, déterminer ou moduler l'assiette, que seuls ces produits, donc, méritent d'être qualifiés de ressources propres, dans la logique de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonçant que : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » ?

Je vous laisse imaginer, monsieur le ministre, comment vous allez devoir justifier le transfert de la TIPP eu égard à cet article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui devrait être pour vous un texte fondamental et intangible, à la différence de la Constitution de la ve République que l'on révise régulièrement - n'est-ce pas, monsieur Geoffroy ?

J'en reviens à mon propos. Si donc vous répondez oui à la question que j'ai posée, le transfert d'une part de produit de TIPP aux départements, sans que ces derniers puissent faire évoluer les taux en fonction des besoins en matière d'aide sociale revient à créer une nouvelle forme de dotation qui n'a rien à voir avec une « ressource propre ». L'autonomie des collectivités ne se trouve-t-elle pas fragilisée lorsque ces dernières perçoivent des subsides étatiques, qui plus est généralement inadaptés aux besoins car insuffisamment évolutifs ?

Le rapport pour avis sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, établi au nom de la commission des finances par le secrétaire d'Etat, Laurent Hénart, lorsqu'il était encore député de Meurthe-et-Moselle, ne laisse pas de place au doute et permet de comprendre pourquoi la fiscalité locale connaît une hausse constante depuis vingt ans. Or, M. Hénart n'était pas député de gauche. Je vous invite donc à étudier avec soin ce qu'il a écrit. A bien des égards, en effet, l'ensemble des éléments qui figurent dans ce rapport a valeur de mise en garde contre les prétendues garanties d'autonomie apportées par le présent texte.

Voici ce qu'on peut ainsi lire page 11 : « Entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités territoriales est passée de 13,5 % à 17,8 % tandis que la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités a diminué de 9,5 % à 8,3 %. De même, le ratio rapportant le coût des compétences transférées au montant des ressources transférées a diminué, pour les départements, de 1,26 en 1989 à 0,89 en 1996, et pour les régions de 0,96 à 0,66 sur la même période. »

Ces statistiques illustrent de manière très convaincante le fait que les compensations fiscales et les subventions étatiques, qui ne se différencient bien souvent que par leur nom, peuvent parfaitement ne pas évoluer au même rythme que les dépenses.

Pour nous convaincre de votre bonne foi, il faudrait donc, monsieur le ministre, que vous démontiez les preuves apportées par notre ancien collègue Laurent Hénart.

Disons-le franchement, considérer que l'autonomie financière des collectivités est garantie par une part prépondérante - que recouvre d'ailleurs exactement ce terme ? - de ressources propres alors que, dans le même temps, l'essentiel desdites ressources propres peut prendre la forme de sortes de subventions étatiques relève du magasin des farces et attrapes.

Au regard du principe, proclamé par l'article 3 du projet de loi, selon lequel l'autonomie financière de chaque catégorie de collectivités territoriales s'apprécie en comparant le montant total des ressources propres de celle-ci à celui de l'ensemble de ses ressources, il y a de quoi être inquiet.

Compte tenu du fait que sont assimilées à des ressources propres des recettes qui, de toute évidence, ne peuvent être considérées comme telles, la vérité de ce texte, ainsi dévoilée, se laisse désormais parfaitement appréhender : il s'avère qu'aucune garantie digne de ce nom n'est accordée aux collectivités.

En définitive, rien, vraiment rien, ne permet d'avoir la certitude que, demain, les compensations financières seront à la hauteur de l'évolution des dépenses liées aux transferts de charge. Par conséquent, rien ne permet non plus de dire que l'autonomie des collectivités territoriales sera préservée.

Avant d'aller plus loin, il importe d'affirmer ici une position de principe, et ce afin d'éviter tout malentendu : s'il s'avérait, même si l'on n'en prend pas le chemin, que l'essentiel des transferts de compétences devra être compensé par la transformation d'impôts nationaux en impôts locaux, cela ne serait pas acceptable dans n'importe quelles conditions.

En guise d'exemple, il suffit d'imaginer le fait que la TIPP soit désormais perçue par les départements et les régions. Les départements ou les régions devraient se voir, logiquement, confier le soin d'en fixer le taux, si Bruxelles y consentait, bien sûr. Cela pourrait d'abord engendrer de profondes disparités du prix des produits pétroliers au sein de l'Hexagone puisque, d'une région à l'autre, les taux de la TIPP pourraient varier dans des proportions importantes. Rappelez-vous la vignette ! Il est dommage que notre collègue de Courson ne soit plus parmi nous ce soir. Assurément, ce type d'évolution ouvrirait la voie au dumping fiscal à grande échelle, tout en faisant peser de grosses incertitudes sur la localisation de toute une série d'activités économiques.

Cela dit, et si l'on en revient au constat selon lequel les garanties accordées aux collectivités ne sont que des garanties formelles, il est nécessaire d'examiner un argument qui ne manquera pas d'être opposé à cette analyse.

En effet, on s'efforcera de nous expliquer que l'autonomie financière des collectivités est assurée de la manière la plus solennelle et la plus intangible qui soit, puisque le principe se trouve inscrit dans la Constitution. Un gouvernement ne pourrait en aucun cas, nous dira-t-on, aller contre la volonté du constituant souverain sans encourir le risque d'être automatiquement sanctionné.

Formellement convaincant, ce raisonnement correspond-il pour autant à ce que l'on observe dans la réalité des faits ? En d'autres termes, un interdit constitutionnel est-il aussi évidemment dissuasif que le prétendent le Gouvernement et sa majorité ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Oui, quand même !

M. Jean-Pierre Brard. Force est de constater que seule une naïveté - et je vois, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas naïf...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Merci !

M. Jean-Pierre Brard. Vous souriez de vos propres turpitudes et je reconnais bien là votre intelligence.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce sont vos insinuations qui me font sourire !

M. Jean-Pierre Brard. Ce sont des démonstrations !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Non, ce sont des pirouettes !

M. Jean-Pierre Brard. Force est de constater que seule une naïveté, vraie ou feinte, pourrait porter à le penser. En effet, pour qu'il y ait censure du Conseil constitutionnel, il faut d'abord que le Conseil soit saisi. N'est-ce pas, monsieur le ministre ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'attends la suite !

M. Jean-Pierre Brard. C'est un fait : le Conseil ne peut pas censurer s'il n'est pas saisi.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. On compte sur vous pour le saisir !

M. Jean-Pierre Brard. Et il faut un certain nombre de députés pour le saisir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Vos amis socialistes peuvent le faire !

M. Jean-Pierre Brard. Chacun est libre de ses propres décisions et de ses démarches. Je n'ai pas à décider à la place du groupe socialiste, ni même à la place du groupe communiste auquel je ne suis qu'apparenté... (Sourires.)

Donc, votre argument ne tient pas la route : c'est un argument en trompe-l'œil, comme le salon par lequel les députés de droite entrent dans l'hémicycle.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Parce qu'à gauche, c'est différent ?

M. Jean-Pierre Brard. Oui, le salon Delacroix n'est pas en trompe-l'œil. La preuve, on a retrouvé dans Neptune des yeux qu'on n'y soupçonnait pas.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Quelle érudition ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui, à gauche, on voit tout.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Dans le salon Delacroix, on saluait le roi !

M. Jean-Pierre Brard. A droite, en revanche, on ne voit que l'apparence des choses. Or c'est l'essence et non pas l'apparence qui nous intéresse.

J'en reviens à mon propos. Plus globalement, l'histoire, y compris la plus récente, inflige de remarquables démentis à l'idée selon laquelle la Constitution serait systématiquement et universellement respectée.

On sait, par exemple, que le droit au travail et le droit au logement qui font, paraît-il, partie du bloc de constitutionnalité, ne sont malheureusement pas mis en œuvre concrètement dans notre société.

Il s'agit là d'une illustration, parmi d'autres, du fait que l'on peut ignorer, de manière durable et en toute impunité, la lettre et, plus encore, l'esprit de la Constitution. Et en ce domaine, l'existence du Conseil constitutionnel n'est pas et ne saurait être, à nos yeux, une garantie suffisante.

Ces constatations ont d'autant plus de poids que l'article 72-2 de la Constitution, aujourd'hui au cœur de nos préoccupations, a d'ores et déjà été fortement malmené par deux textes législatifs, à savoir la loi portant décentralisation du RMI et création du RMA, d'une part, et la loi de finances pour 2004, d'autre part.

A cet égard, les rapports du sénateur Bernard Seillier et de notre collègue Christine Boutin sont caractérisés par une honnêteté intellectuelle qu'il faut reconnaître, car malheureusement assez rare.

Etudiant avec rigueur l'impact financier de ces deux textes pour les départements, les deux rapporteurs ont pointé les carences les plus manifestes du dispositif de compensation imaginé par le Gouvernement.

Ces rapports mettaient en évidence le fait que les transferts financiers étaient sciemment sous-évalués, que la question de la péréquation et, partant, de l'égalité territoriale, était dramatiquement occultée et que, enfin, le principe même d'expérimentation avait été méconnu. Pourtant, Christine Boutin n'est pas une dangereuse gauchiste !

Même si, lors de l'examen en première lecture au Sénat du projet de loi de finances pour 2004, le Gouvernement a été contraint de revoir sa copie, et même si le Président de la République et le Gouvernement ont reculé après les élections régionales et cantonales, pour ce qui est de l'exclusion de centaines de milliers de chômeurs du bénéfice de l'allocation spécifique de solidarité, on est encore loin du compte.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Vous allez m'obliger à amputer mon propos, ce qui est fort dommage pour l'intérêt de ma démonstration. (Sourires.)

En effet, la question des dépenses administratives liée à la gestion du RMI par les DDASS et les caisses sociales n'est pas réglée. Cela n'a rien d'anodin puisque, selon Nicole Prud'homme, présidente de la CNAF, ces dépenses, chiffrées à 193 millions d'euros par an, n'ont jamais été remboursées par l'Etat et il est fort à craindre que, demain, il en soit encore ainsi.

Sachez, monsieur le ministre, que je pourrais citer d'autres exemples encore. Mais, pour ne pas encourir les foudres du président, j'irai tout de suite à la fin de mon propos.

Ainsi, ce texte ne comprend finalement qu'un seul point relativement positif - voyez, je termine bien pour ne pas vous indisposer, monsieur le ministre. (Sourires.) Le Gouvernement, dans le premier alinéa de l'article 4, propose une mesure susceptible, sous certaines conditions, de permettre l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement, à savoir la production d'un rapport annuel relatif à l'évolution de l'autonomie financière des collectivités.

Evidemment, cette transmission, qui ne sera même pas suivie d'un débat, ne suffit vraiment pas à masquer les dangers et le manque de souffle de ce projet de loi organique.

Pour toutes ces raisons, nous sommes contraints de constater que voter ce projet de loi reviendrait à réduire les garanties d'autonomie financières, au détriment des élus locaux.

C'est pourquoi les député-e-s du groupe communiste et républicain, qui veulent une véritable autonomie financière des collectivités territoriales, voteront contre son adoption. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi organique concernant la mise en œuvre de la disposition constitutionnelle relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales constitue une étape importante parce qu'irréversible dans la capacité pour les élus de gérer pleinement les collectivités dont ils ont la charge.

Ce texte s'inscrit dans la deuxième grande étape de la décentralisation initiée par le Gouvernement et soutenue par la majorité, et je souhaite tout d'abord rappeler l'attachement du groupe UMP à la réussite de cette réforme.

Nous y sommes attachés parce que nous considérons que la mise en œuvre d'une politique prenant mieux en compte les attentes de nos concitoyens et assurant une meilleure efficacité de la dépense publique passe par une gestion plus décentralisée du pays.

Nous y sommes attachés parce que nous sommes convaincus que les collectivités territoriales constituent les cellules vivantes de la démocratie, mais aussi parce que la démocratie a besoin de considérer les élus du suffrage universel comme des élus responsables.

Si les précédentes étapes de la décentralisation ont toujours abouti à une amélioration du service aux citoyens, elles se sont souvent traduites, malheureusement, par une hausse de la fiscalité locale sans que diminue parallèlement la fiscalité nationale.

Nous soutenons ce texte parce que nous sommes conscients du risque que représente, pour les collectivités locales et donc pour la démocratie locale, la règle selon laquelle plus de décentralisation se traduit nécessairement par plus d'impôts.

Comme la disposition constitutionnelle dans laquelle il trouve sa source, ce projet de loi organique est doublement vertueux.

Vertueux parce qu'en transférant aux collectivités une recette fiscale, il évite à l'Etat la tentation de verser une dotation dont le montant pourrait varier en fonction de ses propres dépenses et l'oblige donc à se réformer. Il lui évite aussi la tentation de maintenir des structures qui n'ont plus lieu d'être dès lors qu'une compétence est transférée aux collectivités territoriales.

Vertueux également parce qu'en confiant une recette fiscale aux collectivités, il responsabilise les élus en liant clairement dépenses et imposition.

Sur cet aspect vertueux de la loi, chacun devrait s'accorder. J'exprime mon profond regret à nos collègues de l'opposition face aux critiques sévères qu'ils émettent sur une disposition qui constitue une incontestable avancée pour tous ceux qui ont en charge - c'est mon cas depuis vingt-deux ans - la gestion d'une collectivité territoriale, une disposition qui s'inscrit, comme le rappelle l'excellent rapport de la commission des lois, dans le processus d'autonomie financière des collectivités territoriales.

Parmi toutes ces critiques, celle de M. Laignel, nouveau secrétaire général de l'AMF et porte-parole du parti socialiste au sein de cette association, ne nous étonne pas, M. Laignel ne nous ayant jamais habitués à la modération. Plus étonnants sont les propos quelque peu excessifs de l'ancien Premier ministre Laurent Fabius.

J'aurais aimé que ce débat soit l'occasion pour nous de discuter des conditions du transfert et du socle de ressources à prendre en compte, au lieu de remettre en cause la nouvelle étape de la décentralisation et d'engager un procès par anticipation sur les moyens qui accompagnent la loi relative aux responsabilités locales.

Pour avoir dénoncé haut et fort certaines insuffisances du projet de loi relatif aux responsabilités locales et constaté les améliorations qui lui ont déjà été apportées et qu'il faudra conforter en deuxième lecture, je me réjouis, au nom du groupe UMP, que le vote de cette loi organique confirme la volonté du Gouvernement de ne pas faire de la décentralisation une réforme à coût plein pour les collectivités et à moindre coût pour l'Etat.

Enfin, si j'avais dû trouver une raison supplémentaire de voter ce texte, je l'ai trouvée il y a quelques jours, au cours de la réunion organisée par la Commission européenne sur la cohésion territoriale. Plusieurs élus italiens, de sensibilités très différentes, m'ont confié leur intérêt pour cette démarche, qu'ils nous envient.

Cette évocation d'ensemble de l'esprit des textes de décentralisation étant faite, j'en viens au concept d'autonomie financière.

Je le fais sans esprit polémique. Toutefois, en tant que praticien des finances locales qui assume des responsabilités dans sa collectivité, je constate la réduction des ressources propres des collectivités territoriales depuis plusieurs années.

Ce fut tout d'abord l'article 29 de la loi de finances pour 1999, en supprimant la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux, qui pourtant représentait 10 % des recettes fiscales des régions, et en fixant de manière arbitraire la réduction de ces mêmes droits pour les départements.

L'article 44 de cette même loi, lui, a supprimé la part salaire dans l'assiette de la taxe professionnelle, dont le produit est d'environ la moitié des recettes fiscales directes des collectivités territoriales.

L'année suivante, la loi de finances pour 2000, dans son article 9, a unifié les taux départementaux pour les habitations en matière de droits de mutation. Un peu plus tard, le projet de loi de finances rectificatives pour 2000 a supprimé par son article 11 la part régionale de la taxe d'habitation, qui représentait 15 % des recettes fiscales totales des régions et 22 % du produit des quatre taxes.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. C'est éloquent !

M. Michel Bouvard. Enfin, les articles 6 et 24 de la loi de finances pour 2001 ont supprimé l'essentiel de la vignette automobile parce que, entre-temps, le prix du pétrole ayant augmenté, il fallait trouver une compensation pour les automobilistes. C'est ainsi que la redevance audiovisuelle fut sauvée, en dépit de ses archaïsmes, et que les conseils généraux se virent privés d'une ultime ressource.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Il était bon de le rappeler !

M. Michel Bouvard. En effet, monsieur le rapporteur général ! D'ailleurs, vous-même l'avez largement rappelé !

Selon un rapport établi par M. Bourdin en juin 2003 au nom de l'Observatoire des finances locales, la part des recettes fiscales propres par rapport aux recettes totales est passée, entre 1997 et 2002, de 58,2 à 54,7 % pour les communes, de 58,3 à 52,2 % pour les départements ; pour les régions, c'est une véritable descente aux enfers, elle est tombée de 57,8 à 36,5 %. Il fallait que certains aient un sacré culot, pendant la campagne des dernières élections régionales, pour nous expliquer que la nouvelle phase de la décentralisation allait mettre en péril les régions, en oubliant bien sûr ce qui s'était passé au cours de la précédente législature ! (« C'est vrai ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Très bien !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela aussi, il fallait le dire !

M. Michel Bouvard. Je vais vous citer quelques chiffres qui illustrent ce que j'appelle la dépendance budgétaire des départements : les conseils généraux ont vu la part des dotations et compensations de l'Etat sur leurs recettes de fonctionnement passer de 20,60 % en 1997 à 22 % en 1998, 27,50 % en 1999, 34,96 % en 2000, 40,08 % en 2001 et 43,14 % en 2002. Ces chiffres illustrent bien la réduction de l'autonomie de gestion des départements et l'accroissement de leur dépendance vis-à-vis de l'Etat. C'est ce qui s'est passé dans mon propre département.

Le bilan financier des départements et des régions pour la période 1987-2002 que vient de nous adresser Dexia corrobore d'ailleurs ces données dans les tableaux figurant à la page 16. Je vous invite, mes chers collègues, si vous ne l'avez pas encore fait, à les consulter, parce qu'ils sont très éloquents. On constate que la courbe du produit voté descend très nettement à partir de 1997, comme celle des impôts directs ; on distingue en outre parfaitement la montée de la courbe de la compensation fiscale afférente aux quatre taxes, ainsi que celle des dotations de l'Etat.

M. Augustin Bonrepaux. Les dotations qui sont indexées !

M. Michel Bouvard. Ces documents illustrent la dépendance des départements et des régions vis-à-vis de l'Etat.

M. Jean-Pierre Balligand. Il est dommage que vous n'ayez pas consulté d'autres pages !

M. Augustin Bonrepaux. Votre démonstration est mauvaise, monsieur Bouvard : vous ne tenez pas compte des taxes fixes !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, c'est M. Bouvard qui a la parole !

M. Michel Bouvard. S'agissant des départements, il convient d'ajouter l'impact de la réforme du contingent d'aide sociale lors de la création de la CMU.

Certes, ces évolutions ne sont pas le fait de la seule majorité en place de 1997 à 2002. Des mesures plus anciennes avaient déjà augmenté la dépendance des départements : l'abattement pour charges de famille en matière de taxe d'habitation, l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties, les mesures de réduction de la taxe professionnelle pour embauche et investissement et l'abattement général de 16 %.

Je vous rappelle à ce propos que, pendant la précédente législature, à l'initiative de la ville de Pantin, un certain nombre de collectivités territoriales, dont la Savoie, dont je suis le vice-président chargé des finances, ont intenté une action contre l'Etat, qui a été condamné par le Conseil d'Etat. Ensuite, une tractation a eu lieu au cours de la discussion de la loi de finances afin que l'Etat restitue une partie de ce qu'il avait « carotté » aux collectivités territoriales !

M. Augustin Bonrepaux. Et qui avait été « carotté » par qui ? Par le précédent gouvernement !

M. Michel Bouvard. Mais n'avait pas été réglé ! Il a fallu une décision de justice !

M. Augustin Bonrepaux. C'est scandaleux !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, un peu de calme !

M. Michel Bouvard. Il fallait donc de toute urgence mettre un terme à ce processus, d'autant que les charges des conseils généraux ne cessaient de progresser, notamment avec la mise en place des 35 heures, le transfert de l'APA au 1er janvier 2002 et la réforme des SDIS.

Au travers de la loi organique, le Gouvernement traduit donc son engagement de mettre en oeuvre la réforme constitutionnelle, et ce sans attendre l'adoption de la loi relative aux responsabilités locales, répondant ainsi à l'attente des élus.

Son article 2 s'attache à définir la définition de ressources propres, répondant là aussi à l'attente des élus et à celle du Conseil constitutionnel que nous avions à plusieurs reprises saisi à l'occasion des lois de finances. Il était utile de préciser la notion de « produit des impositions de toutes natures ». Notre groupe est ainsi satisfait de l'amendement présenté par Gilles Carrez au nom de la commission des finances et Guy Geoffroy au nom de la commission des lois. Nous souhaitons que cet amendement soit adopté, comme d'autres qui apporteront des précisions utiles à ce texte.

Notre groupe est également satisfait du choix de l'année 2003 comme valeur de base pour mesurer l'autonomie financière des catégories de collectivités territoriales, l'année 2003 étant la dernière étape de la réforme de la part salaire de la taxe professionnelle.

Si notre groupe approuve ce texte dans sa globalité, je souhaite néanmoins évoquer deux points qui devront être pris en compte dans sa mise en application, dans le cadre des travaux engagés au sein du comité des finances locales et lors du vote de la loi de finances pour 2005.

Le premier point concerne la complexité de la fiscalité locale pour les contribuables, mais aussi parfois pour les élus eux-mêmes. Je pense qu'il nous faut aller vers une simplification afin que les citoyens puissent mieux identifier qui vote et qui perçoit telle ou telle taxe...

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commision des finances, saisie pour avis. Et qui est responsable !

M. Michel Bouvard. Une certaine forme de spécialisation des impôts sera donc nécessaire.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Absolument !

M. Michel Bouvard. Le deuxième point porte sur la péréquation, dès lors que l'autonomie financière est appréciée par niveaux de collectivités, tels qu'ils sont définis à l'article 1er de la loi organique.

En effet, la mise en oeuvre de l'autonomie financière se conjugue avec la péréquation. Le niveau de péréquation ayant été renforcé dans les dispositions adoptées en loi de finances pour 2004, ce qui représente une avancée pour ceux qui se plaignaient de trop peu de péréquation, je vous rappelle que la péréquation ne peut s'apprécier sur le seul critère du potentiel fiscal par habitant.

Les différences de charges entre collectivités territoriales de même niveau sont réelles. A celles liées à l'environnement social, en fonction du nombre plus ou moins grand de personnes en difficultés, on peut ajouter celles liées à la géographie. Il est impératif, si l'on souhaite que l'autonomie financière soit mise en oeuvre de manière équitable, que ces deux aspects soient pris en considération.

J'ai eu l'occasion de rappeler le très grand écart qui existe en matière de dépenses de voirie entre un département de montagne tel que celui dont je suis l'élu, la Savoie, et la Loire-Atlantique, par exemple. Pour les seules routes nationales, la Savoie doit assumer 140 000 mètres carrés de murs de soutènement, contre 400 en Loire-Atlantique, ce qui représente 11 % du total national. Quant aux mètres linéaires de tunnel, ils atteignent en Savoie 16 % du total national.

A ce jour, ces critères ne sont pas retenus, ce qui génère de véritables injustices au niveau des mécanismes de péréquation et de compensation.

Il paraît également indispensable, au-delà du potentiel fiscal par habitant, d'intégrer le revenu moyen par habitant aux critères de la péréquation. Il serait profondément anormal, en effet, que l'évolution du prélèvement au bénéfice de la dotation de fonctionnement minimale des départements entraîne la hausse de la fiscalité pour des habitants dont le revenu moyen est inférieur à la moyenne nationale, voire à celui des habitants des départements bénéficiaires !

L'appréciation par niveaux de collectivités n'est en rien une garantie si l'on reconstitue des injustices au sein d'une même catégorie de collectivités. En la matière, les critères pris en compte par la précédente majorité - et malheureusement confortés par M. Falco - pour la répartition du fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, démontrent, s'il en était besoin, les aberrations du système. Dans les derniers tableaux comparatifs - versements mensuels, états liquidatifs pour les concours du fonds autonomie aux départements - au titre de l'année 2004, les écarts entre les revenus moyens des habitants de chaque département sont tout à fait sidérants. Il est regrettable que ce critère, lui non plus, n'ait pas été intégré.

Devront être appréciées également les charges communales liées à l'accueil d'une population temporaire. Nous n'éviterons pas le débat sur les effets pervers de la cristallisation de la dotation touristique intervenue en 1994.

Monsieur le ministre, ce projet de loi organique représente pour le groupe UMP un incontestable progrès dans la marche en avant vers l'autonomie financière des collectivités locales, notamment grâce aux précisions apportées par nos commissions, mais il ne constitue pas un aboutissement. Il appartiendra en effet au Parlement, lorsqu'il votera les lois de finances, de veiller à une mise en œuvre harmonieuse de l'autonomie, en s'appuyant sur les travaux du comité des finances locales, qui, s'il est le lieu indispensable de concertation avec les représentants élus des collectivités, ne peut et ne saurait se substituer à la représentation nationale.

Le groupe UMP approuvera donc ce projet de loi organique et remercie par avance le Gouvernement d'accepter les amendements présentés par nos deux commissions, car ils amélioreront réellement ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai preuve de ma modération coutumière, comme je l'ai fait à l'occasion de l'examen du projet de loi transférant de nouvelles compétences aux collectivités locales. Sur de telles questions, nous avons l'habitude, à l'Institut de la décentralisation, avec Adrien Zeller, Gilles Carrez, Pierre Méhaignerie et d'autres, de confronter des sensibilités différentes. Je suis cependant obligé, monsieur le ministre, de vous dire que je ne suis pas le porte-parole des craintes du seul parti socialiste, et que beaucoup d'élus sont inquiets parmi ceux dont la sensibilité est fort différente de la mienne. Tous vos beaux discours selon lesquels tout va bien, messieurs de l'UMP, peuvent uniquement signifier, soit que vos collègues élus locaux sont fous, soit que vous ne les rencontrez plus. Pour mesurer leur inquiétude, il suffit en effet de participer aux diverses instances d'élus locaux, ou de prendre connaissance de la déclaration commune des associations, signée par l'Association des maires de grandes villes de France, l'Association des maires de France, l'Assemblée des communautés de France, les Communautés urbaines de France, l'Association des petites villes de France, l'Association des maires ruraux de France, la Fédération des maires des villes moyennes, et d'autres encore. Ils y font part de leurs priorités en matière fiscale, puisque le débat sur la taxe professionnelle agite le landernau des élus locaux.

On peut certes faire tous les procès que l'on veut ; moi-même, qui, avec Adrien Zeller, préside l'Institut depuis de nombreuses années, je fais partie des nombreux élus locaux qui se sont interrogés quand, de 1997 à 2002, la majorité de l'époque a engagé, certes pour un bon motif, la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle. Mais il ne faudrait pas pour autant faire de faux procès, monsieur le rapporteur, surtout quand on se réclame de la vérité devant un élu du département de Saint-Just, de Camille Desmoulins, mais aussi de Fouquier-Tinville, pour ceux qui ne m'auraient pas bien compris.

M. Charles de Courson. Tristes références !

M. Jean-Pierre Balligand. Le Premier ministre qui a inventé l'abattement forfaitaire de 16 % des bases de taxe professionnelle c'était bien M. Juppé, si je ne me trompe. Ce n'était pas une petite affaire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Et l'abattement de 10% en 1982 ?

M. Jean-Pierre Balligand. Tout ça n'est pas très vieux. Ne tombons donc pas dans les faux procès. Je serai très franc : le problème n'est pas de revenir sur ce qui a été fait dans le passé. Je suis fier de faire partie de ceux qui ont voté les lois de décentralisation de 1982 et 1983. C'est en 1981 en effet que j'ai été élu député, comme Augustin Bonrepaux. J'ai même été de ceux qui ont préparé ce texte aux côtés de Pierre Mauroy, dont je suis l'un des amis. Nous avons, durant les années 1979-1980, préparé la décentralisation. Entre nous soit dit, même si un long travail de préparation avait déjà été réalisé auparavant, nous avancions à tâtons.

Pour avoir également présidé un conseil général - avant de laisser la présidence à mon premier vice-président, parce que je suis contre le cumul des mandats - je ne suis pas sûr que la décentralisation qui se prépare soit du même ordre, et c'est ce qui justifie les inquiétudes. En effet, faire de l'investissement et faire du fonctionnement, c'est très différent : gérer des charges ou des salaires, ce n'est pas la même chose que décider la construction ou la rénovation de collèges ou de lycées. Tous ceux qui ont eu la charge d'une collectivité importante savent très bien que des projets annoncés pour les cinq ans peuvent prendre dix ans à être menés à bien. L'essentiel, c'est de les mener à bien, ce que ne faisait pas l'Etat avant la décentralisation. On peut toujours étaler ces réalisations dans le temps.

Les salaires et les charges, eux, doivent tomber tous les mois. Or voilà qu'on transfère aux collectivités la charge des techniciens, ouvriers et personnels de service des collèges et des lycées !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Ça a marché pour l'aide sociale !

M. Jean-Pierre Balligand. Je le dis d'autant plus librement que les conseils généraux sont ceux qui ont la plus grande expérience en matière de gestion des personnels du fait de la partition des services de l'équipement. Il en va tout autrement des régions. On sait bien que pour gérer ces personnels, les régions devront monter des services à partir de rien, puisqu'elles ne l'ont encore jamais fait. Celles et ceux qui ont eu à gérer des collectivités importantes nécessitant beaucoup de personnels savent aussi qu'on doit faire face à des frais fixes. Tout cela a-t-il bien été calculé ? Toutes ces interrogations n'émanent pas que de la gauche, et préexistaient aux dernières élections locales. Voilà ce que je voulais dire en préambule.

En dépit des annonces solennelles faites par le Premier ministre au lendemain de la déroute de la droite aux élections cantonales et régionales,...

M. René Dosière. Ne soyez pas trop dur avec M. Copé !

M. Jean-Pierre Balligand. ...en dépit des déclarations faites ici même par son nouveau ministre de l'intérieur - déclarations qui m'avaient fait espérer, comme à beaucoup d'autres, que le sujet connaîtrait enfin la nécessaire remise à plat que les Français eux-mêmes ont appelée de leurs vœux - Jean-Pierre Raffarin aura finalement décidé de revenir sur sa parole et de continuer à dérouler sans aucun changement l'arsenal législatif censé constituer l'acte II de la décentralisation.

Malgré les soixante-quatre heures que nous avons passées à débattre dans cet hémicycle fin février, et en dépit de la réponse particulièrement violente que la France des régions et des cantons lui a adressée les 21 et 28 mars, le Gouvernement - comme le confirme, si besoin était, le message transmis récemment aux préfets par le ministre en charge des libertés locales - persiste dans sa volonté de réduire la grande idée de décentralisation à un démantèlement de l'Etat, à un étouffement annoncé des finances locales et à une rupture d'égalité entre les citoyens.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pourvu que M. Mauroy ne vous entende pas !

M. Jean-Pierre Balligand. Ne vous inquiétez donc pas, nous préparons un nouveau texte !

Ce que vous devez tout d'abord retenir des propositions que ne cessent de vous faire les instances nouvellement élues des associations d'élus, c'est que, face au statu quo que vous cherchez à leur imposer aujourd'hui, les députés socialistes, eux non plus, n'ont pas changé d'un iota leur position et leur message.

Ce que nous vous disions sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales quand la gauche présidait aux destinées de huit régions métropolitaines et de quarante et un départements, nous vous le redisons aujourd'hui, avec la même force et avec le même sentiment de responsabilité, sur le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, alors que le paysage politique territorial a connu le bouleversement que l'on sait et que la gauche dirige désormais vingt-quatre exécutifs régionaux, cinquante et un exécutifs départementaux, et qu'elle préside aux destinées de l'Association des régions de France et de l'Association des départements de France.

En tant qu'ardent défenseur de la décentralisation, je peux vous dire que je n'ai jamais cessé d'être favorable à des transferts de compétences maîtrisés, à des compensations financières pérennes et évolutives - ce qui nécessite, comme l'ont dit d'autres orateurs, un effort de péréquation -, à une clarification du paysage institutionnel, qu'il s'agisse des collectivités elles-mêmes ou des compétences qu'elles assument - et votre texte ne le permet pas, c'est le moins que l'on puisse dire -, à la reconnaissance constitutionnelle et démocratique du fait intercommunal - rien de tel dans votre texte - et à une plus large place faite aux agglomérations, aux pays et aux ensembles régionaux.

Nous vous redisons aussi, et avec la même force, ce que nous vous avons toujours dit : l'ordre législatif que vous persistez à suivre est une aberration, tant sur le plan de la logique juridique et institutionnelle - il aurait fallu discuter du cadre financier de la réforme avant de débattre de la nature des transferts - que par rapport aux promesses que vous nous avez faites lors de l'examen de la loi constitutionnelle. Nous maintenons par conséquent que l'examen du présent projet de loi organique aurait dû naturellement précéder celui de tous les projets de loi ordinaires, passés ou à venir, sur ce sujet, même en première lecture. Ce n'est pas ce que vous avez fait, en dépit de ce simulacre médiatique d'une prise en considération de notre point de vue qu'a été le report d'une semaine du vote solennel du projet de loi relatif aux responsabilités locales et de l'examen par l'Assemblée nationale du présent projet de loi organique.

Dire que, dès le 1er avril - ce doit être une mauvaise date ! -, le Gouvernement avait promis, par la voix de son Premier ministre, de « consulter les présidents des groupes parlementaires et les présidents des associations d'élus » avant de passer au vote d'un texte qui avait réussi à mécontenter tout le monde, collectivités comme administrations, citoyens comme élus, jusqu'au cœur même de l'UMP ! Mais les promesses n'engageant que ceux qui les écoutent, nous revoilà à la case départ, devant les mêmes incohérences, devant surtout les mêmes incertitudes ; seul le visage du ministre de tutelle a changé.

Votre projet dans son ensemble n'était déjà pas un bien pour nos collectivités ; désormais, c'est votre attitude, faite de revirements et d'obstination, qui n'est pas une victoire pour la démocratie. Nos concitoyens vous ont pourtant montré, par l'ampleur de leur participation civique autant que par leur vote, combien ils sont prêts à faire vivre la décentralisation d'une manière différente de la vôtre.

Or vous persistez à leur proposer de transférer aux collectivités la charge de secteurs en pleine crise ou dont le développement n'est pas contrôlé, comme le RMI-RMA ou la voirie, avec comme seule contrepartie le transfert d'une partie de la TIPP, ressource passive sur laquelle les collectivités n'auront aucune prise, et dont toutes les statistiques montrent que la croissance est faible. Permettez moi à ce propos, mes chers collègues, de vous recommander une lecture très intéressante. Un rapport du Sénat compare en effet l'évolution, depuis 1993, des recettes de la TIPP, des dépenses au titre du RMI et de l'indice de progression de la DGF. Il ne faudrait pas en effet raconter des histoires aux parlementaires, en s'imaginant qu'ils n'ont pas accès à la réalité des chiffres. Je vous donnerai simplement lecture d'un tableau qui récapitule des chiffres en provenance des douanes pour ce qui concerne les recettes de TIPP, de la CNAF pour le RMI et du ministère de l'intérieur pour la DGF. L'évolution en pourcentage de la TIPP est de +11,64 % en 1994, +1,55 % en 1995, +3,52 % en 1996, +1,40 % en 1997, +2,30 % en 1998, +5,05 % en 1999, -1,53 % en 2000, -3,55 en 2001, +2,36 en 2002. Je ne vous parle même pas de 2003, je me limite aux chiffres qui ont été publiés et que vous trouverez sur le site internet du Sénat.

Un quotidien du soir bien connu a en outre publié récemment des graphiques qui prouvent que l'évolution de la TIPP n'est pas du tout linéaire, et c'est la source de nos interrogations. J'ai cru comprendre tout à l'heure que le rapporteur général lui-même se demandait s'il ne fallait pas ouvrir d'autres pistes de réflexion.

M. René Dosière. Il n'a pas dit tout ce qu'il savait !

M. Jean-Pierre Balligand. Il est vrai qu'il nous a proposé tout de suite après de faire basculer au profit du département une partie de la quotité du produit de l'impôt, ce qui revient à déshabiller les régions pour habiller les départements. Je ne pense pas qu'on respecte le principe de libre administration des collectivités quand on prétend garantir l'autonomie fiscale du département tout en réservant à l'Etat ou à la région la possibilité de faire varier les taux de la TIPP. Et ce dispositif de partage de l'impôt ne nous permettra pas d'y voir plus clair. Mais nous reviendrons sur cette question.

Les chiffres que je viens de vous donner ne sont pas discutables ; ils n'émanent pas du parti socialiste.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ils n'ont surtout rien de dramatique !

M. Jean-Pierre Balligand. Ils sont dramatiques au contraire ! Ils montrent en effet que ces ressources ne sont en rien pérennes, et surtout que l'ampleur des variations observées est relativement importante.

M. Didier Migaud. Vous avez raison !

M. Jean-Pierre Balligand. Cela pose un réel problème de financement de charges qui sont, elles, pour le moins constantes, et dont l'évaluation est de toute évidence en deçà de la réalité.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le Conseil constitutionnel y a répondu !

M. Jean-Pierre Balligand. C'est la même différence que celle qui sépare les effectifs réels et les effectifs théoriques s'agissant des personnels.

Ce qui résulte de tout cela, c'est qu'il existe toujours un risque réel de rupture d'égalité entre les citoyens, puisque le mécanisme de péréquation entre collectivités n'a toujours pas été défini ; qu'ensuite, le spectre d'une explosion de la fiscalité locale se profile plus que jamais, puisque les compétences transférées occasionnent autant de dépenses nouvelles qui, en l'absence de contreparties adéquates, devront être financées soit par des impôts nouveaux, soit par l'emprunt. Il est étonnant dans ces conditions d'entendre le Gouvernement nous dire que nous devrons assumer la responsabilité des emprunts que nous aurions à contracter. Ne parlons même pas des propos franchement apocalyptiques du rapporteur. C'est complètement fou ! D'autant qu'au même moment l'Etat prend la décision paradoxale de supprimer la taxe professionnelle.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. Mais non ! Il s'agit de la réformer !

M. Jean-Pierre Balligand. Même si vous allez inventer je ne sais trop quoi à la place, cela reviendra en tout cas à créer de l'insécurité financière pour la plupart des collectivités.

Enfin, l'idée que l'usager pourrait se substituer au contribuable a été envisagée sans retenue par certains élus de votre majorité ; elle pourrait finalement être la clef de votre réforme, conformément à la vision économique libérale que vous avez de la décentralisation.

Nous aurons l'occasion, au fil du court débat qui s'annonce, de vous dire combien ce projet de loi organique - et la vision qu'il apporte de l'autonomie financière des collectivités territoriales - est vain, dans tous les sens du terme, et de quelle manière nous entendons, par nos amendements, l'améliorer. Les définitions des notions de  « ressources propres », d'« ensemble de ressources » et de « part déterminante », auxquelles se bornent les quatre articles mis en discussion devant le Parlement, sont clairement insuffisantes pour rassurer nos collectivités, tant elles naviguent allègrement entre tautologie et minimalisme.

Réunies à Paris le 7 avril dernier, tout juste après le « choc » du 28 mars, la totalité des grandes associations d'élus communaux et intercommunaux, peu suspectes dans leur ensemble de vouloir s'opposer frontalement au Gouvernement, vous ont, dans une déclaration commune qui liste dix priorités, donné une véritable leçon de sagesse, de bon sens et d'humilité en la matière !

Je cite le document final qui a été rendu public : « Priorité 4 : « Nous demandons que le remplacement de la taxe professionnelle intervienne après le vote de la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités locales. Avec la définition de la notion de ressources propres. Et en sachant que, pour nous [AMF, ADCF], une ressource propre est une ressource dont l'assemblée délibérante peut faire varier l'assiette et/ou le taux. »

M. René Dosière. Bien sûr !

M. Didier Migaud. Bon sens !

M. Jean-Pierre Balligand. « Priorité 5 : « Cela écarte toute tentation de transférer des impôts nationaux aux collectivités locales. De tels impôts, dont les collectivités ne maîtriseraient ni l'assiette ni le taux, s'apparenteraient, en fait, à des dotations de l'Etat. Ils ne pourraient pas entrer dans le calcul de la "part minimale" de ressources propres devant être obligatoirement présente dans l'ensemble des ressources locales. »

M. Didier Migaud. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand. Tout est dit, ou presque, et je comprendrais volontiers que cela mette la majorité parlementaire mal à l'aise...

Concernant le transfert d'impôts nationaux vers les collectivités locales, la Commission européenne vient au surplus de vous infliger un sérieux revers qui remet en cause la philosophie annoncée de votre réforme. Prompts - les Français ne le savent que trop - à faire miroiter le grand soir sans concertation préalable avec les autorités bruxelloises - je pense naturellement à la TVA dans la restauration, où vos engagements vont finalement nous coûter bien cher -, vous avez une nouvelle fois fait preuve de précipitation en annonçant par monts et par vaux que les régions pourraient moduler in fine le taux de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers.

Le droit européen vient de mettre un terme à ce qui n'était qu'un mirage ! Obligé de se conformer à une directive d'octobre 2003 - qu'il aurait dû par conséquent
connaître -, le gouvernement français est aujourd'hui contraint de renoncer à son projet de régionalisation de la TIPP applicable au produit pétrolier le plus évidemment rentable pour les finances régionales, à savoir le diesel professionnel.

Dans ces conditions, la demande que le Premier ministre a formulée auprès des présidents de région de « s'engager sur un moratoire fiscal pendant la première partie de leur mandat, c'est-à-dire trois ans »,...

M. Didier Migaud. Marché de dupe !

M. Jean-Pierre Balligand. ...me paraît singulièrement inopportune, pour ne pas dire scandaleuse !

M. Didier Migaud. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Balligand. Tout d'abord, une telle intimation doit désormais être considérée comme anticonstitutionnelle, depuis que le même Premier ministre - mais il est vrai qu'il s'agissait à l'époque de Raffarin II ! - a fait graver dans la Constitution le principe de « libre administration des collectivités territoriales »...

Ensuite, si cette demande n'est pas une tentative d'étouffement de nos finances locales, elle y ressemble à s'y méprendre. Car, compte tenu de l'obstination du Gouvernement à vouloir maintenir le transfert aux régions des 90 000 personnels techniques, ouvriers et de service de l'éducation nationale, il va de soi que les états-majors régionaux n'auront pas le choix des armes et que la progression de la fiscalité fera partie des leviers de financement qu'ils auront à actionner, s'ils ne veulent pas endetter leurs régions comme le Gouvernement endette la France.

Que Raffarin III ne se défausse donc pas lâchement de ses responsabilités : il sera clairement et publiquement désigné comme le seul responsable de toute évolution de la fiscalité locale défavorable à nos administrés !

Le plus étonnant sans doute...

M. le président. C'est fini, monsieur Balligand !

M. Didier Migaud. Dommage ! Remarquable intervention !

M. Jean-Pierre Balligand. ...- j'ai fini, monsieur le président - est que la position défendue aujourd'hui par ce gouvernement en matière d'autonomie financière des collectivités locales ne correspond en rien aux promesses faites hier - je veux dire avant juin 2002 - par certains parlementaires alors dans l'opposition.

M. le président. Concluez, monsieur Balligand !

M. René Dosière. Mais c'est passionnant, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Balligand. Je pense au texte déposé au Sénat en juin 2000. Son article 1er,...

M. le président. Monsieur Balligand !

M. Jean-Pierre Balligand. Il me reste une page !

M. Augustin Bonrepaux. C'est très intéressant !

M. le président. Je vois que vous avez encore beaucoup de pages à lire !

M. Jean-Pierre Balligand. Non, non !

M. le président. Si ! Vous n'avez plus le temps ! C'est terminé !

M. Augustin Bonrepaux. C'est pourtant très important !

M. Jean-Pierre Balligand. Je finis.

Article 1er,...

M. le président. Non, trois orateurs doivent encore s'exprimer avant la levée de la séance. Soyez compréhensif !

M. Jean-Pierre Balligand. D'accord, monsieur le président, je finis par cette lecture :

Son article 1er tendait à introduire dans la Constitution un nouvel article : l'article 72-1 du texte signé Poncelet, Delevoye, Puech et Raffarin :...

M. le président. Monsieur Balligand, votre temps est terminé ! Nous allons passer à l'orateur suivant.

M. Jean-Pierre Balligand. Vous me permettez quand même de finir, monsieur le président ?

M. le président. Non, monsieur Balligand !

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas possible, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous ne vous comportez pas comme cela...

M. le président. Je me comporte comme cela avec tout le monde ! Vous ne vous interrompez pas alors que votre temps de parole est largement dépassé ! Comprenez-le : nous avons encore des orateurs à entendre avant une heure trente !

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, laissez-le poursuivre !

M. Jean-Pierre Balligand. Je finis juste par cette phrase. On ne va pas créer un incident !

« Article 72-1 : « Les ressources fiscales représentent la part prépondérante des ressources des collectivités territoriales. »

M. René Dosière. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. Et tous ces articles
- articles 72-1, 72-2 - tels qu'ils étaient prévus et rédigés dans cette proposition de loi, signée, je le répète, par M. Raffarin, sont en totale contradiction avec le contenu du texte d'aujourd'hui !

M. le président. Voilà...

M. Jean-Pierre Balligand. C'est la raison pour laquelle nous défendrons des amendements...

M. le président. Monsieur Balligand !

M. Jean-Pierre Balligand. ...qui rejoignent ceux déposés par des représentants de l'AMF, je pense à notre collègue Charles de Courson, mais aussi à mon collègue de l'UMP, M. Pélissard. Parce que, sur ces différents bancs, il va falloir un jour être conséquents entre les discours que nous tenons,...

M. Didier Migaud. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. ...les responsabilités que nous assumons dans les structures,...

M. le président. Monsieur Balligand, c'est terminé !

M. Jean-Pierre Balligand. ...ADCF, AMF, ADF et ARF, et les votes...

M. le président. Monsieur Balligand, c'est terminé ! Je vais couper le micro...

M. Jean-Pierre Balligand. ...auxquels nous procéderons ici.

C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste essaiera de modifier ce texte de manière centrale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Balligand, ce que vous venez de faire n'est pas très correct vis-à-vis des collègues inscrits dans la discussion générale après vous car ils ne pourrons pas s'exprimer ce soir !

M. Jean-Pierre Balligand. C'est moi qui vais être responsable ?

M. le président. Oui, parce que vous avez largement dépassé votre temps de parole !

La parole est M. Pierre Morel-A-L'Huissier.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Monsieur de Courson, je vous remercie de me laisser la parole ce soir avant vous.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec un réel plaisir que je prends aujourd'hui la parole devant vous sur un texte qui se situe au cœur du grand mouvement de la décentralisation, tant voulu par le Président de la République que par le Premier ministre : grande réforme qui tient compte des insuffisances des lois de décentralisation dites « lois Defferre », mais également de la nécessaire responsabilisation, que le Gouvernement souhaite, des exécutifs locaux.

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui est une loi organique, la troisième et dernière qui vient compléter et expliciter la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, texte qui marquera très profondément nos institutions et la vie quotidienne de nos concitoyens.

Nous bouclons en effet aujourd'hui, définitivement, le volet institutionnel de la grande réforme de la décentralisation, et nous entrons dans une ère nouvelle où la France disposera désormais d'outils juridiques en adéquation avec la reconnaissance de son organisation décentralisée, fondée sur l'adhésion populaire avec le référendum local, sur l'innovation avec l'expérimentation et enfin sur la responsabilité avec l'autonomie financière des collectivités locales.

Sur le fond même du texte soumis à la représentation parlementaire, je me bornerai simplement, en reprenant les propos du président Pascal Clément, à dire aujourd'hui qu'il s'agit « d'une avancée espérée depuis vingt ans » grâce à la réforme constitutionnelle de 2003 dont le volet sur l'autonomie financière constitue incontestablement le pivot le plus attendu et celui qui interpelle le plus à la fois les parlementaires, les élus locaux, mais également les contribuables, surtout quand on agite, comme certains, le chiffon rouge de l'augmentation des impôts locaux.

Or, précisément, le texte qui nous est soumis apporte les réponses adéquates dont notre pays et nos institutions avaient bien besoin.

Le rapporteur Guy Geoffroy a clairement démontré, dans son excellent rapport, d'une part, l'érosion de l'autonomie financière des collectivités territoriales entre 1997 et 2002, avec le démantèlement de la fiscalité locale et la recentralisation des finances locales, d'autre part, l'absence de visibilité des dotations de l'Etat et l'accroissement des charges des collectivités locales non compensées tant par les lois Defferre - il suffit de voir ce qui s'est passé pour les lycées et les collèges -, mais aussi tout récemment avec l'APA. Ce qu'on appelait le social à crédit !

II fallait incontestablement réagir, et la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a apporté le cadre juridique nécessaire qui permettra désormais aux collectivités locales d'exercer pleinement leurs compétences grâce à l'affirmation de quatre nouveaux principes.

L'article 72-2 de la Constitution avait fixé le nouveau cadre de l'autonomie financière des collectivités locales. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui apporte les nécessaires précisions sur la notion de ressources propres - article 2 -, sur les ressources qui doivent être prises en compte et sur la notion de « part déterminante » - article 3 -, ou plus exactement le seuil en deçà duquel l'autonomie financière n'est plus assurée.

Je ne reviendrai pas sur l'excellent travail de la commission des lois, ni sur les observations que ne manqueront pas de faire mes collègues sur ces nouveaux concepts, mais je me bornerai à saluer les dispositions de l'article 4 qui instituent un véritable mécanisme de garantie de l'autonomie financière en prévoyant la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement sur l'évolution des recettes et la mise en œuvre des mesures correctrices nécessaires s'il apparaissait que les règles posées à l'article 3 n'étaient pas respectées.

Nous aurons ainsi très régulièrement l'occasion de nous exprimer en toute connaissance de cause en tant que parlementaire et vous comprendrez, qu'à titre de provision, je fasse quelques commentaires en qualité de député de la ruralité, afin de prendre date.

Oui à plus de responsabilités, oui à l'exercice plein et entier de nos compétences locales, oui également à plus de moyens financiers.

Autonomie financière et péréquation doivent être les principes fondamentaux qui président à l'avenir de nos territoires, et je pense notamment à la dotation minimale de fonctionnement tant défendue par le président Barrot. Je pense également au déplafonnement de la DGE sur des projets structurants pour nos communes et nos intercommunalités rurales. Et je resterai vigilant pour défendre, bec et ongles, les budgets communaux et intercommunaux - je suis maire et président d'une communauté de communes - afin qu'ils puissent assurer l'aménagement de nos espaces ruraux, que ce soit sur la voirie rurale, la voirie communale, l'eau, l'assainissement et toutes les exigences de mises en conformité nationales et communautaires qui souvent plombent, et le terme est suffisamment imagé, nos budgets locaux.

Si l'on veut responsabiliser les élus et rapprocher les citoyens de l'élu, notre pays doit préserver l'autonomie financière des collectivités locales tout en assurant une nécessaire péréquation entre celles-ci. Nous posons aujourd'hui des bases claires et je tiens à vous dire, monsieur le ministre, que nous faisons - enfin - œuvre utile pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci beaucoup, monsieur Morel-A-L'Huissier : vous avez parlé beaucoup moins longtemps que votre temps de parole ne le prévoyait.

La parole est à M. Philippe Martin.

M. Philippe Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Gaston Defferre, parlant de la décentralisation, avait l'habitude de dire que « derrière un mot, il n'est pas rare qu 'existent des projets bien différents ». Eh bien, nous y sommes !

Le texte que nous examinons ce soir était censé concrétiser le nouveau principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités locales en répondant par là même aux nombreuses inquiétudes des élus locaux quant aux conséquences du projet de loi relatif aux responsabilités locales.

Le report de ce dernier texte et l'examen du projet de loi organique préalablement au vote des transferts de compétences constituent, certes, un petit pas dans le bon sens, en même temps que la satisfaction d'une exigence du groupe socialiste. Quoi de plus logique, en effet, que de vouloir d'abord donner un cadre financier clair à cette nouvelle étape de la décentralisation voulue par le Gouvernement ?

Hélas, le texte qui nous est soumis ne répond ni à nos attentes, ni à celles des collectivités locales et vient bien au contraire alimenter les inquiétudes nées de l'examen, en première lecture, du projet de loi sur les responsabilités locales. Un projet dont on peut d'ailleurs légitimement se demander s'il reviendra, et dans quel état, devant notre assemblée.

Notre collègue Geoffroy s'enthousiasme dans son rapport en prédisant que notre pays disposera bientôt des outils qui conviennent à la reconnaissance de son organisation décentralisée, et qu'il juge pour sa part fondée sur l'adhésion populaire, l'innovation et la responsabilité locale. Je voudrais me réjouir avec lui, mais je le ne peux pas.

Parce qu'elle se traduit trop souvent sur le terrain par une lente mais inexorable disparition des services publics − fermetures de classes, démantèlement de la poste, mais aussi remise en cause des services de l'électricité −, la décentralisation ne bénéficie plus aujourd'hui de « l'adhésion populaire » du début des années quatre-vingt, et je doute fort que le référendum local suffise à la réhabiliter dans l'esprit de nos concitoyens.

Il en est de même pour « l'innovation » censée se manifester au travers des « expérimentations », mais qui risque fort d'accroître encore un peu plus les disparités territoriales, tant les richesses respectives de nos collectivités locales, et donc leur capacité d'innovation, sont dissemblables. D'une certaine façon, le législateur transférera des compétences qu'exerceront les collectivités en fonction de leurs possibilités financières : aux plus riches, les compétences nouvelles ; aux plus pauvres, les miettes et les regrets éternels.

Enfin, la « responsabilité locale » fondée sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, objet de cette loi organique, ne sera probablement qu'une responsabilité bien limitée, dès lors que les mécanismes fondamentaux de la fiscalité locale ne sont pas abordés et réformés. Dois-je rappeler, pour illustrer mon propos, que, lorsque le département des Hauts-de-Seine augmente sa fiscalité locale de un point, comme ce sera le cas en 2004, le département du Gers devrait augmenter la sienne de vingt points pour obtenir une recette équivalente ?

Au passage, je tiens à signaler à notre rapporteur que, contrairement à ce qu'il croit pouvoir affirmer, la nouvelle durée du temps de travail dans la fonction publique territoriale n'a pas eu pour principale conséquence « d'affaiblir durablement les marges de manœuvre financière des collectivités locales »...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Et comment donc !

M. Philippe Martin. ...mais de renforcer durablement leur présence sur un terrain dont l'Etat se retire chaque jour davantage. En réalité, les « marges de manœuvre » de nos collectivités risquent d'être bien plus durablement affaiblies par votre approche de la décentralisation et par les lois que vous nous proposez pour la mettre en œuvre.

Notre déception et notre inquiétude sont également motivées par le fait que le principe de péréquation, dont la référence a pourtant été succinctement instillée dans la loi constitutionnelle votée en 2003, a disparu corps et biens du texte qui nous est soumis aujourd'hui. Bien plus, qu'il s'agisse de la définition des ressources propres, proposée à l'article 2, ou du taux d'autonomie financière, défini à l'article 3, ce projet de loi porte en germe l'insécurité financière des collectivités locales et consacre l'inégalité des territoires entre eux.

On comprendra ce que signifie la disparition de ce principe de solidarité nationale que constitue la péréquation à l'occasion du prochain transfert des routes nationales aux départements. Historiquement, les routes ont été la priorité constante de l'Etat, qui voyait dans le maillage de son réseau national une condition première de l'unité du pays, tant au plan géographique qu'au plan économique. Même si l'on peut regretter que d'autres modes de transport ne soient pas mieux encouragés, force est de constater que les routes assurent aujourd'hui encore 90 % du transport terrestre.

Après s'être défait de 53 000 kilomètres de routes en 1972, l'Etat envisage à présent de se délester de 15 000 à 20 000 kilomètres sur les 36 000 qui composent le réseau national. Ce chiffre n'est d'ailleurs qu'indicatif puisque le Gouvernement se refuse toujours à soumettre à notre examen une carte précise des itinéraires concernés.

Cette décision, monsieur le ministre, inquiète fortement les élus départementaux, car l'état physique du réseau en cause est très alarmant. Jean Arthuis, sénateur et président du conseil général de la Mayenne, a d'ailleurs pu affirmer récemment que, « si rien n'est fait, les départementales seront bientôt en meilleur état que les nationales ». Sans aller aussi loin, un rapport de la Cour des comptes a chiffré à près de 220 millions d'euros par an, et pendant dix ans, le coût de la remise à niveau des routes nationales dites « de liaison » ou « ordinaires », c'est-à-dire la quasi-totalité du réseau que le Gouvernement se propose de transférer aux départements.

Ainsi, le transfert de la gestion des routes nationales pourrait s'opérer alors que les crédits destinés à la modernisation et à l'entretien de ces infrastructures sont non seulement insuffisants, mais en constante diminution.

C'est par exemple le cas dans mon département du Gers où le transfert envisagé de cent kilomètres de la seule RN 21 − une route pour laquelle l'Etat n'a réalisé aucun investissement majeur depuis près de trente ans − pourrait aboutir à une charge de modernisation évaluée à 125 millions d'euros, c'est-à-dire à huit années du budget annuel que mon département consacre à sa voirie. Cela n'est bien sûr pas acceptable.

M. Michel Bouvard. Que ne l'avez-vous entretenue quand vous étiez au pouvoir !

M. Philippe Martin. Il n'est pas plus acceptable, au nom du principe de solidarité nationale, qu'une même route nationale puisse relever de statuts différents : ici, la route et, par conséquent, les investissements restent nationaux ; là, parce que l'Etat l'a décidé, la charge de la même route incombe à un département qui n'en peut mais.

La décentralisation dans le domaine routier ressemble de plus en plus au jeu des sept familles, et la « mauvaise pioche » condamnera irrémédiablement l'équilibre budgétaire de la collectivité malchanceuse.

Dans le Gers, comme dans bien d'autres départements à faibles ressources, sans une remise à niveau préalable, sans une évaluation plus crédible des charges transférées, bref, sans une péréquation digne de ce nom, la décentralisation que vous nous proposez se traduira par une réduction des marges de manœuvre des collectivités pour l'exercice de leurs compétences traditionnelles. Elle les placera devant une alternative redoutable : renoncer aux politiques mises en œuvre mais ne relevant pas d'une compétence obligatoire prévue par la loi, ou bien augmenter, chaque année, une fiscalité locale qui touche sans discernement tous les ménages et qui, dans la plupart des cas, est déjà très élevée.

Si le Gouvernement souhaite vraiment lever ces préalables, encore faut-il que l'évaluation des compensations, et surtout du régime de ces compensations, n'entraîne pas un recul de l'autonomie fiscale des conseils généraux ni un renforcement des inégalités de ressources entre les départements.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tournant délibérément le dos à la notion de péréquation, non seulement le texte que nous examinons prive les collectivités locales d'une perspective sereine de développement et de gestion, mais il leur ôte une garantie fondamentale en transformant les finances locales en variables d'ajustement des finances publiques.

Aussi est-il vital d'inscrire dans la loi des mécanismes de redistribution des ressources en faveur des collectivités. Sans cet engagement nécessaire, l'autonomie financière que vous prétendez vouloir instituer ne sera qu'un leurre et la décentralisation un marché de dupes.

Nous regrettons d'autant plus que la commission des lois ait cru devoir rejeter les amendements déposés par notre collègue René Dosière aux articles 3 et 4 du projet de loi organique et qui visaient, par la mise en place de mécanismes de péréquation entre les collectivités territoriales, à corriger les différences de ressources et de charges afin d'assurer, entre collectivités appartenant à une même catégorie, un niveau comparable de services publics et une véritable capacité de développement. Si vous les aviez acceptés...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous sortions du champ !

M. Philippe Martin. ...vous auriez pourtant eu la possibilité de « rétablir la confiance des élus » à laquelle, monsieur le ministre, vous avez déclaré être très attaché, mais dont nous ne trouvons pas la trace dans le texte qui nous est soumis.

En réalité, il faudrait parler d'une vraie « méfiance des élus » dont vous ne paraissez pas prendre la mesure et qui se transformera rapidement en « défiance » si vous persistez à ne pas les entendre. Vous semblez ne pas faire confiance à ces milliers d'élus locaux, municipaux, cantonaux, régionaux qui, à titre individuel ou au sein de leurs associations respectives, vous disent, comme hier Daniel Hoeffel, leur « profond désaccord » avec le dispositif que vous nous proposez.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il y en a beaucoup qui l'approuvent !

M. Philippe Martin. Monsieur le ministre, il y a une trentaine d'années, François Mitterrand, qui s'y connaissait en matière de collectivités locales...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Et d'entourloupes !

M. Philippe Martin. ...déclarait : « Cinq cent mille conseillers municipaux, sans compter ceux qui voudraient l'être, cela vaut mieux pour la démocratie qu'un régiment de sous-préfets ».

Je suis personnellement trop attaché à ce grand corps qu'est le corps préfectoral pour reprendre ce mot à mon compte, mais, tout de même, sans aller jusqu'à consulter individuellement les centaines de milliers d'élus municipaux, cantonaux ou régionaux, entendez au moins leurs représentants qui vous disent, d'une même voix, qu'il faut à l'évidence revoir votre copie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Pélissard.

M. Jacques Pélissard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la reconnaissance de l'autonomie financière des collectivités locales dans la Constitution intervient après une période marquée par l'accélération des mesures de réduction des ressources fiscales des collectivités locales depuis 1997. Je ne reprendrai pas la longue litanie des textes − loi de finances pour 1999, pour 2000, pour 2001, lois de finances rectificatives −, qui, tous, ont supprimé des taxes, des droits, des impôts qui constituaient autant de ressources propres des collectivités locales.

M. Michel Bouvard. C'est un chemin de croix !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Et la croix est lourde !

M. Jacques Pélissard. Certes, ces marges de manœuvre fiscale diminuées ont été prises en compte par l'Etat, mais avec des compensations et non point des dégrèvements, ce qui a eu des conséquences pénalisantes pour les finances locales. Les élus ne géraient plus une spécialité proprement locale, mais ont été transformés en gestionnaires de dotations d'Etat.

Votre gouvernement, monsieur le ministre, a eu pour objectif de mettre un terme à ces pratiques et d'empêcher que, à l'avenir, de nouvelles recettes des collectivités soient supprimées et remplacées par des dotations d'Etat.

Ainsi que le prévoit désormais, en son article 72-2, la Constitution modifiée par la loi du 28 mars 2003, l'autonomie financière s'apprécie au regard de la part qu'occupent les ressources propres des collectivités dans l'ensemble de leurs ressources.

L'article 2 donne une liste exhaustive des ressources propres : produit des impositions de toutes natures, redevances pour services rendus, produits du domaine, participations d'urbanisme, produits financiers, dons et legs.

La définition des ressources propres ainsi retenue exclut d'office les dotations budgétaires versées par l'Etat. Cela me paraît important, car cela signifie que, désormais, l'Etat ne pourra plus décider la suppression d'une ressource fiscale ou sa diminution, par voie d'exonération par exemple, et remplacer cette ressource par des compensations fiscales ou des dotations budgétaires. Il devra, dans ce cas, remplacer la ressource fiscale correspondante par un autre impôt.

M. Augustin Bonrepaux. Et que faites-vous de la taxe professionnelle ?

M. Jacques Pélissard. Cela constitue un élément très positif, que je tiens à souligner, car cette mesure satisfait une attente des collectivités locales, et je vous en remercie.

M. René Dosière. Et que dit l'AMF ?

M. Jacques Pélissard. Cependant, l'enjeu principal réside dans le contour qui est donné à la notion d'« impositions de toutes natures ». L'exposé des motifs du projet de loi organique précise cette notion : « Les impositions de toutes natures comprennent, outre le produit de tous les impôts et taxes locales perçus directement par les collectivités, le produit d'impôts nationaux pouvant être transférés par la loi aux collectivités territoriales en application du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution. »

M. René Dosière. Ce n'est pas l'avis de l'AMF !

M. Jacques Pélissard. Or, cet alinéa prévoit que les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. »

Au regard du texte de la Constitution, il semble donc que la marge de manœuvre laissée aux collectivités sur l'assiette et le taux ne soit qu'une simple faculté, et non un élément nécessaire de la définition des impôts perçus par les collectivités locales.

M. Augustin Bonrepaux. C'est bien là le problème !

M. Jacques Pélissard. Il ressort de cette formulation que, si la loi organique retient le transfert d'impôts nationaux comme ressources propres, un tel transfert serait considéré comme préservant l'autonomie financière des collectivités, même dans les cas où celles-ci n'ont pas la possibilité d'en moduler le taux.

M. René Dosière. Ce n'est pas ce que dit l'AMF !

M. Jacques Pélissard. Considérer le produit du partage d'impôts d'Etat comme une ressource propre donnerait à l'Etat davantage de marges de manœuvre...

M. Augustin Bonrepaux. A l'Etat, mais pas aux collectivités locales !

M. Jacques Pélissard. ...pour de futurs réformes fiscales et transferts de compétences, puisque, dans cette hypothèse, il ne serait pas obligé de remplacer un impôt ou de compenser une nouvelle compétence par le transfert d'une ressource fiscale modulable.

Les associations d'élus considèrent quant à elles qu'une ressource constituée du transfert par l'Etat d'un impôt national ne peut être qualifiée de ressource propre...

M. Didier Migaud. Elles ne manquent pas de bon sens !

M. Jacques Pélissard. ...dans la mesure où ce dispositif implique que les collectivités locales ne disposent pas de marges de manœuvre sur cette ressource. Pour elles, l'autonomie financière doit reposer sur une plus grande autonomie fiscale des collectivités, impliquant une forte responsabilisation fiscale des élus.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. Jacques Pélissard. C'est ainsi que le bureau de l'AMF s'est exprimé le 22 janvier 2004 en estimant qu'« une ressource propre est une ressource dont l'assemblée délibérante peut faire varier librement le montant, par l'assiette et/ou le taux ».

M. René Dosière. Et vous allez voter pour ce projet de loi ?

M. Jacques Pélissard. Cette position de l'AMF n'est pas nouvelle. En octobre 2000, une étude réalisée à la demande de l'AMF, à la suite, notamment, de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle, stigmatisait, chers collègues de gauche, les conséquences de la « substitution de recettes fiscales directes par des dotations dont le montant est très largement défini par l'Etat ». Cette étude démontrait la détérioration progressive du lien fiscal entre les collectivités locales et les contribuables locaux, puisque, à la suite des réformes de 1998 et de 1999, les communes ont vu la part de leurs recettes fiscales payées par les contribuables locaux passer de 50 % à 41 %.

En janvier 2001, dans une contribution au débat d'orientation sur la décentralisation, l'AMF estimait que le renforcement du principe de libre administration locale nécessitait en premier lieu de garantir l'autonomie fiscale : « Les maires ne peuvent se satisfaire de la poursuite d'une évolution dans laquelle une part de plus en plus importante des ressources des collectivités territoriales provient des dotations que l'Etat leur verse pour compenser une exonération, un abattement, voire une suppression d'impôts locaux. »

L'autonomie fiscale des collectivités locales est en effet essentielle, parce que l'impôt local permet de faire financer par les habitants du territoire intéressé les services et les équipements produits collectivement par les communes, parce que voter l'impôt est le moyen de renforcer la responsabilité de la collectivité locale face aux citoyens qui veulent comprendre à quoi sert leur argent, parce que disposer d'un pouvoir fiscal est, pour les élus locaux, un élément fondamental de sécurité financière, notamment dans le long terme, face à des ressources provenant de l'Etat dont l'évolution ne peut être prévue.

Cette autonomie fiscale doit nécessairement reposer sur des impôts locaux clairement identifiés, acceptables et évolutifs.

Les élus locaux sont d'accord avec les objectifs de la loi organique, consistant à garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales. Mais, avec eux, nous nous interrogeons sur la rédaction de ce projet de loi, qui doit pourtant apporter toutes les garanties nécessaires.

M. Charles de Courson. Très bien !

M. René Dosière. Quelle critique du texte gouvernemental !

M. Jacques Pélissard. Le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution indique que des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales doivent être prévus par la loi non organique. Il est vrai que ce n'est pas à la loi organique de fixer les conditions de cette péréquation.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, saisie pour avis. C'est exact !

M. Jacques Pélissard. Il n'en demeure pas moins que si celle-ci ne prévoit pas d'exclure les dotations de péréquation du calcul du ratio, c'est-à-dire du ratio des ressources propres par rapport à l'ensemble des ressources, la volonté affichée et l'obligation constitutionnelle d'aboutir à une meilleure péréquation seront contrariées. En effet, une augmentation de la péréquation pourrait aboutir à la diminution du ratio des ressources propres.

Il serait donc préférable, conformément aux objectifs fixés par la Constitution, de neutraliser les crédits consacrés à la péréquation ...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Tout à fait !

M. Jacques Pélissard. ...- soit, pour les communes, les dotations de solidarité, la dotation nationale de péréquation et le fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle - ...

M. Michel Bouvard. Non ! ce fonds départemental n'a pas à être pris en compte ! Ce n'est pas une recette des départements !

M. Jacques Pélissard. ...en ne tenant pas compte de leur montant dans le total des ressources de la catégorie des communes.

Telles sont, monsieur le ministre, les réflexions que m'inspire le texte capital que vous présentez. Articulé avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, il constitue une avancée importante pour les collectivités locales. J'espère qu'il pourra, au cours de la navette parlementaire, être précisé et amélioré dans l'intérêt du partenariat exigeant mais loyal qui préside aux relations entre l'Etat et les communes de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

    3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, jeudi 13 mai, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion de la proposition de résolution, n° 1581, de MM. Didier Migaud, Augustin Bonrepaux, Jean-Marc Ayrault, François Hollande et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la dégradation des comptes publics depuis juin 2002 :

Rapport, n° 1591, de M. Didier Migaud, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

A quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi organique, n° 1155, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales :

Rapport, n° 1541, de M. Guy Geoffroy, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 1546, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 13 mai 2004, à une heure trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot