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Première séance du mercredi 19 mai 2004

224e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, lundi soir, à la télévision, vous aviez cent minutes pour convaincre les Français de faire payer aux seuls assurés sociaux le prix de votre réforme de l'assurance maladie : un euro supplémentaire pour chaque consultation médicale et une augmentation de la CSG pour les retraités imposables. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Non seulement vous n'avez pas convaincu les Français, mais vous ne leur avez pas tout dit ! Ce matin, vous avez annoncé à la radio l'augmentation du forfait hospitalier : encore un euro supplémentaire à la charge des malades ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cette augmentation s'ajoute à celle qu'avait décidée votre prédécesseur l'année dernière.

M. Michel Vergnier. Et ce n'est pas tout !

M. Jean-Pierre Blazy. Toujours ce matin, vous avez annoncé un élargissement possible de l'assiette de la CSG ; autrement dit, une augmentation de celle-ci pour les actifs, contrairement à ce que vous aviez indiqué quarante-huit heures auparavant à la télévision.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas convaincu les Français, mais vous avez été convaincu par le MEDEF ! (« Et voilà ! » et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et nous ne sommes peut-être pas encore au bout d'une addition qui s'annonce salée pour les assurés sociaux.

Pour faire passer la pilule amère de la réforme, vous dramatisez la situation que vous avez vous-même provoquée. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je rappelle en effet que les comptes de la sécurité sociale étaient équilibrés entre 1997 et 2002.

Vous avez appelé les Français à la responsabilisation, s'agissant en particulier de l'hôpital public. Or, monsieur le ministre, seul le CHU de Toulouse a jusqu'à ce jour bénéficié de votre sollicitude ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Vous venez en effet de lui accorder une aide exceptionnelle de 12 millions d'euros en crédits de fonctionnement,...

M. le président. Monsieur Blazy, pourriez-vous poser votre question ?

M. Jean-Pierre Blazy. ...aide que vous dites ponctuelle et justifiée. Je ne saurais vous le reprocher. Mais je tiens à vous préciser que de nombreux établissements connaissent la même réalité budgétaire que le CHU de Toulouse, voire une situation encore plus dégradée (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), alors que la tarification à l'activité que vous mettez en place est lourde de menaces !

M. le président. Monsieur Blazy, si vous avez une question à poser, posez-la !

M. Jean-Pierre Blazy. J'y viens...

Vous allez encore dire, monsieur le ministre, que les socialistes n'ont pas de propositions pour réformer et pérenniser l'assurance maladie. Vous les recevrez par lettre recommandée aujourd'hui même ! Elles sont publiées dans ce document ! (M. Blazy brandit une brochure. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Votre question !

M. Jean-Pierre Blazy. Ma question est simple : les Français veulent savoir tout sur votre plan de réforme, surtout avant les élections européennes. Allez-vous répondre à cette demande ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur le député, vous me parlez de CSG, ...

M. Bruno Le Roux. A ce propos, vous avez menti !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. ...mais vous oubliez qu'en 1998, lorsque vous l'avez substituée aux cotisations sociales, vous aviez procédé à une augmentation de 30 milliards de francs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. -Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Et à propos de charges indues, vous oubliez que vous avez puisé au moins 4 milliards d'euros dans l'assurance maladie pour financer les 35 heures. Vous les avez dirigés vers l'Etat, ce qui n'est pas normal non plus.

M. Hollande et le parti socialiste nous disent qu'il ne faut pas reporter la dette sur les jeunes. Mais si nous ne reportions pas la dette, cela reviendrait à 1 milliard d'euros de plus par an. (Mêmes mouvements.) Bravo pour vos conseils ! Et puis pourquoi M. Jospin a fait passer la dette de 1998 à 2014 ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Je comprends votre énervement ...

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez parler M. Douste-Blazy !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Il est vrai que nous avons proposé d'augmenter de 0,4 % la CSG des retraités. Certes, nous étudions un élargissement de la CSG, mais pas une augmentation du taux. Il est vrai que nous avons demandé entre 750 millions et un milliard d'euros aux entreprises. Il est encore vrai que nous avons prévu des mesures financières. Mais il est vrai aussi que l'essentiel de notre plan est basé sur la responsabilisation, terme que vous ne connaissez pas, et sur l'équité, terme que vous connaissez encore moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

PROCÈS D'OUTREAU

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe UDF.

M. Nicolas Perruchot. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et concerne l'affaire de pédophilie d'Outreau.

La France vient d'apprendre avec stupeur que les deux accusatrices avaient innocenté hier soir treize personnes accusées depuis des mois des pires actes que l'on puisse commettre contre des enfants.

Ce procès est une horreur humaine. C'est aujourd'hui une horreur judiciaire.

Une horreur humaine quand on sait que des parents ont pu violer ou laisser violer pendant des années leurs propres enfants.

Une horreur judiciaire quand on apprend que des personnes sont détenues depuis plus de trois ans pour des crimes qu'elles n'ont pas commis. Ce sont autant de vies brisées, de parents auxquels on a retiré la garde de leurs enfants, de familles déchirées, de tentatives de suicide, de grèves de la faim, en raison d'accusations fantaisistes !

Dans cette horrible affaire, la justice s'est trompée, et lourdement trompée. Une erreur sur une personne peut toujours se produire. Mais sur treize ! Il y a là une grave responsabilité, qui pèse évidemment sur les deux personnes qui ont accusé à tort plusieurs innocents, mais qui pèse aussi sur les juges qui les ont mis en examen, écroués, brisés et qui ont détruit leur vie.

Monsieur le ministre, quel est votre position sur cette terrible affaire ? Quelles conséquences comptez-vous en tirer pour prévenir de tels drames judiciaires et réparer, si tant est que ce soit encore possible, ces vies détruites ? (Applaudissements .)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, nous parlons de souffrances, nous parlons de drame humain, nous parlons d'incertitudes. Comme vous, hier soir, j'ai été bouleversé à l'idée que peut-être des vies brisées avaient été brisées sans motif, que peut-être il y avait eu mensonge.

Autre chose : je suis ministre de la justice. Ce procès est en cours. Vous comprendrez qu'il ne m'appartient pas, à moi encore moins qu'aux autres, de dire ce qui est.

Maintenant, et je le dis avec gravité, s'il apparaissait, une fois la justice passée, que des erreurs graves ont été commises, il faudrait examiner celles-ci et faire en sorte, autant qu'il sera possible, que les préjudices soient réparés - même si on ne répare jamais une souffrance. Enfin, il conviendrait d'examiner les conditions dans lesquelles de telles erreurs ont pu se produire. Croyez bien que j'y veillerai. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

CONVENTION UNEDIC

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, avant de poser ma question, je demanderai à tous mes collègues d'être avec moi pour souhaiter à Marseille de sortir vainqueur de la coupe d'Europe de ce soir. (Applaudissements .)

Cela dit, je viens d'apprendre que le conseil des ministres de ce matin avait ouvert la possibilité d'une privatisation d'EDF-GDF. Dans ces conditions, il faut suspendre le débat qui se déroule en ce moment à l'Assemblée nationale sur les questions d'énergie, afin d'y intégrer cette nouvelle donne.

Monsieur le ministre, alors que, dans les Bouches-du-Rhône, les entreprises Lustucru et Nestlé annoncent la fermeture de leurs usines, le tribunal de grande instance de Paris a récemment suivi le tribunal de Marseille en rétablissant dans leurs droits les chômeurs dits « recalculés ». Le Conseil d'État, quant à lui, a annulé les arrêtés d'agrément de la convention UNEDIC.

Vous avez annoncé votre intention de lancer le processus de ré-agrément de cette convention. La nouvelle convention offrira-t-elle un meilleur niveau d'indemnisation des demandeurs d'emploi ?

Vous dites que le Conseil supérieur de l'emploi se prononcera sur le nouvel agrément. C'est normal. Mais n'est-il pas logique, aujourd'hui, d'ouvrir de réelles négociations avec l'ensemble des organisations syndicales et associations de chômeurs qui le demandent ?

Votre collègue, M. Donnedieu de Vabres, avant-hier, a annoncé, concernant le régime d'assurance chômage des intermittents, qu'une première rencontre aurait lieu entre les partenaires pour engager les discussions sur un nouveau système d'indemnisation. Faites-en autant. Associez tous les partenaires concernés à la définition de la nouvelle convention UNEDIC.

Monsieur le ministre, êtes-vous donc prêt à recevoir les associations, les organisations syndicales de chômeurs à la table des négociations, comme elles le demandent avec insistance ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député, vous avez évoqué le problème des « recalculés ». Permettez-moi de faire le point : toutes les mesures ont été prises, comme je l'avais annoncé ici-même le 3 mai, pour que l'ensemble des bénéficiaires du régime, soit plus de 2,2 millions, ainsi que les « recalculés », voient leurs droits stabilisés. Le système va être ré-agréé, comme vous le savez. Les « recalculés » vont être réintégrés et ils devraient toucher le reliquat de ce qui leur est dû aux alentours de la fin juin.

Par ailleurs, avec Gérard Larcher, nous organisons des réunions approfondies avec l'ensemble des partenaires sociaux pour mener des réflexions générales sur la démocratie sociale dans notre pays. 1946-2006 : je crois qu'il est temps de faire le point. Mais ce point se prépare, s'organise. Avant Noël, nous devrions parvenir à des avancées dans ce domaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Sermier, pour le groupe UMP.

M. Jean-Marie Sermier. Ma question s'adresse à M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le ministre, vous avez eu l'occasion d'expliquer à plusieurs reprises que la construction européenne était restée incomplète en matière économique. Vous avez souligné que, si les Européens s'étaient donné un marché unique, une monnaie unique, une Banque centrale européenne, ils restaient incapables de prendre en commun des décisions de politique économique.

Avec la multiplication du nombre des États membres placés en situation de déficit excessif, la procédure relative aux finances publiques européennes occupe désormais une très large part des discussions des ministres des finances des Vingt-Cinq. Les objectifs de croissance et d'emploi sont relégués au second plan des actions européennes.

Face au ralentissement conjoncturel général de ces dernières années, les réactions de politique économique sont hélas trop limitées et restent essentiellement nationales.

Monsieur le ministre d'État, quelle initiative comptez-vous proposer à vos partenaires pour donner vie à un véritable gouvernement économique européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous avez raison : le pacte de stabilité, c'est une politique de bonne gestion, mais cela ne fait pas une stratégie économique. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) La concurrence, c'est nécessaire, mais cela ne fait pas une stratégie économique. Un marché unique, une monnaie unique et une banque centrale unique ne peuvent pas fonctionner pleinement s'il n'y a pas un gouvernement économique capable d'impulser une volonté économique commune. (Mêmes mouvements.) Il faut que les ministres des finances puissent discuter des questions monétaires sans que cela gêne personne. C'est ce que doit permettre l'indépendance de la banque centrale.

On ne peut accepter, au sein de l'Europe, le dumping à la fois fiscal et social que pratiquent les nouveaux pays entrants de l'Europe de l'Est, en ramenant, comme ils en ont le droit, leur fiscalité à des taux quasi nuls, tout en demandant à bénéficier de fonds structurels. Il est indispensable qu'un gouvernement économique puisse définir des règles communes, qui interdiraient à ceux qui baissent autant leurs impôts de demander, dans le même temps, des fonds structurels, financés par nous-mêmes et que nous ne pourrions plus utiliser pour nos régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Il faut que, dès le prochain budget, nous puissions présenter des mesures communes, par exemple pour soutenir la recherche ou la croissance, qui ne résultent pas de la simple addition de politiques nationales, mais constituent une véritable politique économique européenne poursuivant un objectif commun : hisser la zone euro au même taux de croissance que les autres zones du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AFFAIRE BOUZIANE

M. le président. La parole est à M. Alain Merly, pour le groupe UMP.

M. Alain Merly. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, par arrêté du 26 février dernier, votre prédécesseur a prononcé l'expulsion de M. Bouziane, ressortissant algérien résidant à Vénissieux et se disant imam. Cette expulsion était motivée par les relations étroites entretenues par l'intéressé avec les franges les plus radicales du mouvement salafiste, appelant à la violence et à la guerre sainte. Vous avez mis cette mesure à exécution le 20 avril. Entre-temps, M. Bouziane avait publiquement tenu des propos inadmissibles, incitant à la violence physique contre les femmes, confirmant ainsi le bien-fondé et la légitimité de l'expulsion. Une décision de justice a pourtant suspendu cet arrêté, permettant, pour l'instant, à M. Bouziane de rentrer en France.

Cette décision est difficilement compréhensible pour l'opinion. Quelles mesures entendez-vous prendre pour éviter qu'elle ne se renouvelle et pour que de tels personnages puissent être effectivement éloignés de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, nous sommes confrontés à une menace nouvelle. L'action terroriste a changé d'échelle avec les attentats du 11 septembre à New York et du 11 mars à Madrid. Entre le discours intégriste et l'action terroriste, il y a une continuité réelle. Prédicateurs extrémistes, organisateurs d'attentats, poseurs de bombes partagent les mêmes objectifs, la même violence, la même haine, qui représentent un dévoiement de la religion musulmane.

Nous devons à la fois refuser tout amalgame entre musulmans et islamistes et conduire une politique de fermeté. J'assumerai pleinement, et avec détermination, la responsabilité qui est la mienne au service de la sécurité des Français, en prenant toutes les dispositions nécessaires et en mobilisant tous les moyens qui sont à ma disposition : par la voie judiciaire, qui permet de remonter les filières et produit les résultats sur le long terme, et par la voie administrative, qui permet d'agir dans l'urgence, selon les principes de l'ordonnance de 1945.

J'ai la ferme volonté de régler les problèmes juridiques qui se posent à nous et que vous avez rappelés. C'est pourquoi je souhaite inclure les incitations aux violences contre les femmes dans l'ordonnance de 1945, afin que de telles provocations donnent lieu à des expulsions. Je souhaite aussi que le juge des arrêtés ministériels d'expulsion soit le Conseil d'État, afin de mieux concilier la défense des droits individuels et les impératifs de l'État républicain. Il s'agit là d'une question d'importance nationale. Et puisqu'il nous faut faire évoluer la loi, faisons-le en restant fidèles à nos principes républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. René André. Très bien !

GEL DES EXPULSIONS

M. le président. La parole est à M. Pierre Cardo, pour le groupe UMP.

M. Pierre Cardo. Monsieur le secrétaire d'État au logement, vous avez annoncé, il y a quelques jours, le gel des procédures d'expulsion pour impayés de loyer des locataires de logements sociaux dits de bonne foi, dans l'attente d'un dispositif pérenne.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Cela existait déjà !

M. Pierre Cardo. Si les élus de villes à très fort pourcentage de logements HLM ne peuvent que se réjouir d'une initiative motivée par un souci à la fois d'humanité et de rigueur, plusieurs questions restent posées.

Tout d'abord, ce gel, puis le futur dispositif, concerneront-ils les propriétaires privés ? Nombreux sont ceux qui redoutent que ces dispositions n'encouragent les mauvais payeurs. Je crois nécessaire que vous précisiez votre volonté dans ce domaine.

Ensuite, pour ce qui concerne le logement HLM, les commentaires les plus éclairés que j'ai pu lire dans la presse alternent entre deux extrêmes : soit vous enfoncez, avec ce projet, une porte ouverte - image osée s'agissant d'expulsions -, soit il n'y aurait plus d'expulsion du tout. Je crois, pour ma part, comme nombre d'élus de terrain, que vous avez voulu réduire le nombre des expulsions, peu justifiables s'agissant de familles en situation financière difficile, et qui, dans ces cas précis, n'ont engendré qu'une surcharge de travail social et d'actions judiciaires, un engorgement des centres d'hébergement et des foyers d'accueil de l'enfance. Si telle est votre intention, ce projet méritera d'être mis en œuvre rapidement. Pouvez-vous, à cet égard, préciser ce que recouvre le critère de bonne foi ?

Vous avez indiqué, à juste titre, que les aides au logement seraient maintenues s'il existe une convention signée entre le locataire, le bailleur et l'État. Pourrez-vous tenir vos engagements alors que les crédits pour les aides au logement ont diminué dans le budget de 2004 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État au logement.

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'État au logement. Monsieur le député, au ministère de la cohésion sociale, nous ne faisons pas des discours, nous posons des actes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Quel homme !

M. le secrétaire d'État au logement. « Humanité et responsabilité », tels sont les deux mots clés du dispositif que Jean-Louis Borloo a présenté la semaine dernière.

M. Didier Migaud. Démago !

M. le secrétaire d'État au logement. « Humanité » parce qu'il fallait trouver un dispositif de solidarité qui permette d'éviter que des familles de bonne foi, souvent avec des enfants en bas âge, se trouvent jetées à la rue dans des conditions inhumaines. La loi votée en 1998, sous le gouvernement Jospin, a provoqué, en cinq ans, une augmentation de 40 % des expulsions avec recours à la force publique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Combien à Neuilly ?

M. le secrétaire d'État au logement. Plutôt que de leur enfoncer la tête sous l'eau, nous préférons lancer à ces ménages une bouée de sauvetage.

« Responsabilité » signifie que seuls sont concernés les locataires de bonne foi : ceux qui répondent aux critères définis dans la loi sur le surendettement proposée par Jean-Louis Borloo et ceux qui respectent l'engagement qu'ils ont pris par contrat. Le non-respect du contrat entraîne, bien évidemment, l'éviction du dispositif.

M. René André. Très bien !

M. Albert Facon. Le locataire de bonne foi, c'est celui qui va à la messe ?

M. le secrétaire d'État au logement. Nous avons pu mettre en place le dispositif grâce à la collaboration des bailleurs sociaux HLM.

M. Christian Bataille. Flagornerie !

M. le secrétaire d'État au logement. Il ne s'applique donc pas au parc privé. Toutefois, s'ils le souhaitent, nous sommes à la disposition des propriétaires privés. Ce contrat prévoit le rétablissement de l'aide personnalisée au logement pour l'État, la suspension des expulsions pour les bailleurs sociaux, ainsi que l'engagement du locataire de payer son loyer.

M. Albert Facon. Avec quoi ?

M. le secrétaire d'État au logement. Le coût pour l'État est de 10 millions d'euros. La mise en place d'un tel dispositif de prévention sociale revient cinq à dix fois moins cher que le coût des expulsions. Au ministère de la cohésion sociale, comme disait Malraux : la souffrance, nous préférons la réduire plutôt que d'en rendre compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - « Parole, parole ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

TOTAL

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour le groupe socialiste.

M. David Habib. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Je ne le vois pas : M. Raffarin serait-il déjà sur le banc de touche ? (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire ; claquements de pupitres.) Je veux parler, bien sûr, de celui de Göteborg.

M. Maurice Leroy. Carton rouge !

M. David Habib. Bien qu'il ne m'appartienne pas de vous désigner, monsieur le ministre d'État, comme son remplaçant, je vous propose d'entendre cette question, à laquelle, d'ailleurs, j'associe ma collègue Martine Lignières-Cassou.

Je ne reviendrai pas sur la réponse très approximative que nous a donnée hier le ministre délégué à l'industrie, s'agissant du gisement de Lacq. Je souhaite évoquer l'assemblée générale des actionnaires de Total qui s'est tenue vendredi dernier. Ce jour-là, cinq cents salariés ont rappelé leur attachement à une entreprise assurant le maintien et le développement de l'exploration, de la production, du raffinage et de la chimie, conformément aux engagements pris par Thierry Desmaret. Celui-ci exprimait, à l'occasion de l'OPE sur Elf en 1999, son refus de séparer les activités chimiques des activités pétrolières et craignait alors que le nouveau groupe chimique qui émergeait ne dispose pas de moyens suffisants. Il déclarait même que son indépendance serait, à terme, menacée.

Depuis, le président de Total a changé d'avis. Il a refusé d'en débattre avec ses salariés, pourtant eux aussi actionnaires. Il leur a même interdit l'accès à l'assemblée générale. Y aurait-il deux catégories d'actionnaires, l'une traditionnelle, l'autre salariée, qui se voit envoyer la force publique lorsqu'elle s'interroge sur la stratégie de son entreprise ?

La financiarisation de notre industrie s'accélère. C'est pourquoi le groupe socialiste demande au plus vite la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur les questions industrielles. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Avez-vous conscience que le projet de la direction de Total entraînera la disparition de la chimie française, uniquement parce que son souci est de faire plus de profits encore que les 8 milliards d'euros de bénéfices réalisés en 2003 ?

Le ministre de l'industrie se prétend le chantre du volontarisme économique. Nous proposons aujourd'hui à sa pugnacité Total, ses 25 000 salariés et, plus largement, le devenir de la chimie. C'est au Gouvernement d'intervenir. Maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le député, hier, en répondant à M. Lassalle, je vous ai entendu crier. Je me suis donc informé. Le ton polémique que vous avez voulu adopter sur une question qui, localement, est importante montre en réalité le peu de cas que vous faites du terroir que vous prétendez défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous voulez des chiffres ? Je vais vous en donner. Total, dans votre département, c'est 4 200 emplois : 2 200 à Lacq, 2 000 à Pau.

M. David Habib. J'ai parlé de la chimie, pas de mon département !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il est vrai que l'usine d'éthylène de Lacq fermera ses portes en 2005, entraînant la suppression de 183 emplois très exactement.

M. David Habib. Et 500 emplois indirects !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je parle des emplois directs et indirects, car, sur ce nombre, vingt-cinq concernent directement Total. Mes chiffres datent de ce matin, monsieur Habib, et ne prêtent pas à polémique.

Dans le même temps, la société de conversion de Total, la SOFREA, crée 109 emplois sur le pôle chimie.

M. Albert Facon. Ça ne fait pas le compte !

M. le ministre délégué à l'industrie. En outre, trois sociétés, Toyal, Holis et TBI-Holis, créent soixante-cinq emplois. Il en manque neuf pour faire le compte, monsieur Habib - nous y arriverons, ne vous inquiétez pas. Neuf emplois sur 4 200, cela ne vous permet pas de dire que la France est en perdition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

TRANSFERT DÉFINITIF DE L'ENA

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing, pour le groupe UMP.

M. Louis Giscard d'Estaing. Monsieur le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État, vous avez annoncé voici quelques jours la mise en vente d'un des deux immeubles parisiens de l'École nationale d'administration. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette opération, qui est la conséquence logique de la décision prise en 1991 par le premier ministre de l'époque, Mme Édith Cresson, de transférer cette école à Strasbourg. La démarche n'ayant pas été, à l'époque, menée à son terme, les deux sites, parisien et alsacien, continuaient de fonctionner parallèlement et à engendrer des surcoûts tout à fait significatifs.

En novembre 2002, ici même, un amendement visant à diminuer le budget annuel de l'ENA avait été repoussé pour des motifs liés aux frais de fonctionnement de l'école et à la taille des promotions au regard des besoins futurs d'encadrement de la fonction publique.

A la suite de ce débat, une commission avait été chargée de proposer des axes de réforme de cette école. Un certain nombre de décisions ont été prises par le gouvernement dès octobre 2003 concernant la scolarité et les stages, notamment en entreprises, et le classement de sortie. Par ailleurs, lors de la discussion du budget pour 2004, le gouvernement s'est engagé à ramener la taille des promotions au niveau de cent élèves. Surtout, il a annoncé le transfert effectif de l'ENA à Strasbourg.

Voici l'exemple même d'une réforme où il peut y avoir trois gagnants : Strasbourg et l'Alsace bien sûr, les élèves, en leur assurant une carrière à la hauteur de leurs espérances et de l'investissement mis en eux par la nation, et les citoyens contribuables grâce à une meilleure gestion de l'argent public.

Monsieur le ministre, quelles vont être les économies ainsi réalisées, les ressources dégagées dans le budget de l'État par la mise en vente de cet immeuble parisien de l'ENA ? Dans quelle mesure cette décision est-elle symbolique des aspects positifs de la réforme de l'État ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le député, je pense, comme vous, que la réforme de l'École nationale d'administration doit être exemplaire de la réforme de l'État. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Premièrement, la réforme de l'Etat, c'est une meilleure gestion des deniers publics. L'ENA avait deux sites d'implantation, ce qui doublait les frais. À compter du 1er janvier 2005, un seul site sera conservé, celui de Strasbourg.

M. Jean Ueberschlag. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. En conséquence, l'État mettra en vente les locaux de la rue de l'Université, qui représentent un patrimoine d'environ 40 millions d'euros.

Deuxièmement, la réforme de l'État, c'est l'ouverture de l'État sur l'Europe. Je suis en mesure de vous annoncer aujourd'hui que le prochain concours de l'ENA sera, pour la première fois depuis la fondation de cette institution, ouvert à l'ensemble des ressortissants de l'Union européenne pour les trois concours de l'école.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. C'est l'exemple de l'Europe de la fonction publique.

Troisièmement, la réforme de l'État, c'est également l'ouverture de la fonction publique sur la société civile. J'ai donc décidé d'élargir l'accès à l'ENA des candidats issus de la société civile.

M. Hervé Novelli. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Il s'agit d'utiliser notamment la voie du troisième concours, qui permet à des candidats issus du monde syndical, du monde associatif, des entreprises privées, de suivre la scolarité de cette école et donc d'exercer ensuite des responsabilités au sein de l'État.

Quatrièmement, la réforme de l'État, c'est le souci de la formation initiale et continue. Je souhaite que l'ENA devienne une grande école de management public, à l'instar de ce que le modèle français a pu montrer et qui est aujourd'hui imité d'ailleurs par de nombreux pays étrangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME DE LA PAC

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe UMP.

M. Jean-Claude Lenoir. La réforme de la PAC qui a été décidée en juin 2003 suscite interrogations et inquiétudes dans le département de l'Orne, que je représente avec mes collègues Sylvia Bassot et Yves Deniaud. Le prix du lait baisse, les compensations ne seront sans doute pas à la hauteur de ce qui est aujourd'hui demandé et le nombre des exploitations, notamment laitières, diminue.

Dans ce contexte, la décision qui a été prise l'an dernier dans le cadre de la PAC de s'orienter vers des droits à produire marchands pose un problème concernant la gestion de ces droits. Deux défis majeurs nous sont lancés.

Le premier concerne l'installation des jeunes agriculteurs. Aujourd'hui, s'installer coûte cher, en moyenne 150 000 à 200 000 euros. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que des exploitations laitières ne trouvent pas de repreneurs en Basse-Normandie. Lorsque s'ajouteront à ce prix des droits à paiement, les jeunes agriculteurs auront encore plus de difficultés à reprendre de telles exploitations. Il est indispensable que soit instituée une réserve de droits qui puisse être mise gratuitement à la disposition de ceux qui s'installent.

Le second défi concerne l'aménagement du territoire. Le risque est grand de voir des régions perdre progressivement leurs droits à paiement. La vocation agricole de ces régions risque de s'estomper, pire, de disparaître. Il est important de prévoir des garde-fous qui maintiennent cette vocation agricole dans les territoires concernés.

M. le président. Merci, monsieur Lenoir...

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez eu un certain nombre de contacts au plan européen. Pouvez-vous nous dire quelles sont les décisions qui sont prises à ce niveau ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Madame et messieurs les députés de l'Orne,...

M. Pascal Terrasse. Et nous alors ?

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. ...à la veille de la réforme de la politique agricole commune, il y a deux ans, les menaces étaient grandes. La France, il faut bien l'avouer, était isolée et beaucoup souhaitaient que le financement de l'élargissement se fasse au détriment du budget de la politique agricole commune.

Grâce à l'accord conclu entre le Président de la République et le Chancelier Schröder, accord accepté par les treize autres États membres, nous avons garanti au minimum jusqu'en 2013 nos dix milliards d'euros annuels de retours agricoles pour l'agriculture française.

M. André Chassaigne. A quel prix !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. C'est une première étape.

La seconde étape concerne la réforme de la gestion de ces aides. Rien ne changera pour la prime à la vache allaitante, pour l'indemnité compensatoire du handicap naturel et pour la prime herbagère agro-environnementale, ce que l'on appelle les aides du deuxième pilier, c'est-à-dire du développement rural. En revanche, pour les autres aides compensatoires, il y aura ce que l'on appelle dans le jargon un découplage partiel, ce qui pose en effet un problème de gestion de droits.

J'ai pu l'annoncer hier, les objectifs que nous nous étions fixés ont été atteints après la négociation avec Bruxelles. Nous avons mis en place un mécanisme de maintien du lien avec le foncier. Nous avons pu obtenir un mécanisme de taxation pour éviter la spéculation et, enfin, nous avons pu instituer une réserve de droits à taux zéro pour maintenir et développer l'installation des jeunes agriculteurs. Nous sommes donc depuis hier complètement rassurés.

M. André Chassaigne. On verra à l'usage !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Je l'ai dit aux organisations agricoles lors d'un comité supérieur d'orientation. Désormais, nous allons devoir donner à chaque agriculteur français une explication puisque cette réforme entrera en application le 1er janvier 2006. Nous avons donc dix-huit mois pour mettre en place le nouveau système. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE

M. le président. La parole est à M. André Vallini, pour le groupe socialiste.

M. André Vallini. Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, je commencerai par deux rappels.

Premier rappel : sous le gouvernement précédent, toutes les nominations de magistrats ont été faites sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Deuxième rappel : sous le gouvernement précédent, le garde des sceaux n'a jamais donné la moindre instruction aux procureurs sur les affaires judiciaires en cours. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Deux réformes avaient même été lancées pour graver dans le marbre de la loi ces pratiques vertueuses.

M. Claude Goasguen. C'est cela, oui...

M. André Vallini. Ces réformes ont été enterrées par le Président de la République et les pratiques vertueuses oubliées par vous-même, monsieur le garde des sceaux, puisque, à peine entré en fonction, vous avez rétabli les nominations contre l'avis du CSM.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. André Vallini. Et vous avez rétabli les instructions au parquet dans les affaires en cours.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. André Vallini. C'est à la lumière de ces deux rappels que j'en viens à l'affaire dite des emplois fictifs du RPR. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cette affaire doit être rejugée à l'automne par la cour d'appel de Versailles. Or le procureur général de cette cour d'appel va être admis prochainement à faire valoir ses droits à la retraite.

M. Hervé Novelli. Et alors ?

M. André Vallini. Et la presse rapporte ces derniers jours que serait nommé pour le remplacer M. Marc Moinard, aujourd'hui procureur général près la cour d'appel de Bordeaux mais qui a été surtout directeur de cabinet de Jacques Toubon, ministre de la justice d'Alain Juppé. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ainsi, monsieur le ministre, ce serait le bras droit du ministre de la justice d'Alain Juppé, aux ordres d'un gouvernement qui a pris fait et cause pour Alain Juppé, soumis aux instructions d'un garde des sceaux proche d'Alain Juppé, qui serait chargé de requérir contre Alain Juppé. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Et maître Kiejman ?

M. le président. Monsieur Accoyer, montrez l'exemple.

M. André Vallini. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu'une telle nomination, si elle était confirmée, serait de nature à garantir une justice sereine, impartiale, indépendante, bref une justice crédible aux yeux de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Myard, criez si vous voulez, mais restez assis.

La parole est M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, c'est ce qui s'appelle une « question non polémique » !

Mme Martine David. C'est un constat !

M. François Hollande. C'est vrai ou ce n'est pas vrai ?

M. le garde des sceaux. Le poste de procureur général de Versailles est pourvu jusqu'au 30 juin.

Mme Martine David. C'est ce que vient de dire M. Vallini.

M. le garde des sceaux. Les choses ne sont pas urgentes. S'agissant des procureurs généraux, il appartient au garde des sceaux de proposer les nominations en conseil des ministres. Ce sera fait, bien entendu, en temps et en heure. Le seul critère que je retiendrai dans ma proposition au Président de la République et au conseil des ministres, c'est la compétence, soyez-en assuré, monsieur le député. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

POLYGAMIE

M. le président. La parole est à M. Jacques Kossowski, pour le groupe UMP.

M. Jacques Kossowski. Madame la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, depuis la loi du 24 août 1993, les étrangers polygames n'ont, en théorie, plus le droit de séjourner en France. La carte de résident peut leur être retirée. Le regroupement familial leur est interdit. Quant aux cartes de séjour, elles ne peuvent leur être accordées.

Malgré ce dispositif juridique restrictif, notre pays continue, dans les faits, à tolérer la polygamie.

M. Jacques Myard. Scandaleux !

M. Jacques Kossowski. C'est intolérable pour tous les républicains soucieux de la condition et de la dignité des femmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'exemple de l'imam de Vénissieux qui a été évoqué tout à l'heure est à ce titre très instructif. En effet, après enquête, il s'avère que cette personne a deux épouses et seize enfants. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Permettez-moi de m'étonner qu'il puisse revenir sur notre sol après avoir été expulsé par le ministre de l'intérieur.

Ce cas n'est malheureusement pas isolé. Nombreux sont les élus, les préfets, les responsables d'offices HLM, de caisses d'allocations familiales ou encore de centres de sécurité sociale qui ont connaissance de telles situations.

D'après différentes sources, on estime qu'il existe entre 10 000 et 20 000 familles polygames en France. Le coût pour la communauté nationale et les services sociaux serait d'environ 150 à 300 millions d'euros par an, soit 1 à 2 milliards de francs. Il y a un détournement abusif de notre politique sociale.

M. Jacques Myard. Très juste !

M. Jacques Kossowski. De plus, les pouvoirs publics sont confrontés aux conséquences insurmontables que génère la polygamie, notamment en matière de logement ou d'insertion dans notre société.

Alors qu'une majorité de parlementaires vient de voter une loi interdisant les signes religieux à l'école, il convient de faire preuve de la plus grande fermeté à l'égard de pratiques coutumières opposées aux valeurs de la République.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jacques Kossowski. Notre collègue Chantal Brunel vient d'ailleurs de déposer une proposition de loi à ce sujet.

Madame la ministre, quelles mesures législatives ou réglementaires le Gouvernement compte-t-il prendre pour mettre fin à cette violation de notre droit et à cette atteinte à la liberté des femmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Monsieur Kossowski, la polygamie est interdite en France, car ni cette pratique, ni d'autres comme les mariages forcés, les violences, les discriminations ne sauraient remettre en cause, sur le sol français, le respect de la dignité humaine.

Vous savez, monsieur le député, combien nous sommes résolus, si besoin est, à faire avancer la législation sur ces différents aspects, pour faire respecter un principe de valeur constitutionnelle qui inspire notre droit et fait l'honneur de notre République.

S'agissant des ressortissants étrangers, qui sont plus spécifiquement visés par votre question, la règle de droit est claire. Depuis 1993, le regroupement familial de plusieurs épouses sur le sol français est interdit, comme l'est aussi tout renouvellement de titre de séjour au chef de famille polygame.

Par ailleurs, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ont eu, à plusieurs reprises, l'opportunité de réaffirmer combien la polygamie était contraire à l'ordre public français et qu'elle n'ouvrait donc, de ce fait, aucun droit particulier aux personnes concernées.

Pour autant, la réalité est plus complexe et plus confuse, les maires concernés le savent. Les procédures de « décohabitation » sont souvent lourdes et particulièrement complexes.

L'évaluation précise de la loi de 1993 s'impose donc, dans un premier temps. Elle est d'autant plus essentielle que les situations que vous décrivez, monsieur Kossowski, sont largement liées à l'immigration clandestine. La politique conduite par Nicolas Sarkozy et poursuivie par Dominique de Villepin dans ce domaine devrait permettre de mieux contrôler ces situations, pour mieux les combattre.

Vous l'avez compris, nous sommes déterminés à faire appliquer de manière plus ferme ce dispositif. Pour autant, le droit ne suffit pas. M.  Jean-Louis Borloo, Mme Catherine Vautrin et moi-même poursuivons une politique d'accompagnement social, qui est fondamentale pour mettre fin à ces situations. L'apprentissage des langues est essentiel, tout comme l'accès au droit. J'insiste sur ce dernier point, car nous allons publier un guide qui permettra aux femmes arrivant dans notre pays de connaître leurs droits.

M. Jérôme Lambert. Encore faut-il qu'elles sachent lire !

Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Au-delà de leurs droits à l'insertion sociale et professionnelle, elles doivent connaître les droits fondamentaux attachés à la personne humaine, qui font l'honneur de notre démocratie.

Le contrat d'intégration est certes un outil utile, mais, au-delà, nous devons faire en sorte que toutes nos politiques sociales soient des politiques d'aide positive à la responsabilité et à la dignité.

C'est l'objectif et l'enjeu d'une politique d'intégration réussie, qui passe par les femmes, mais dont elles sont aussi les premières victimes en cas d'échec. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LA DÉSINDUSTRIALISATION

M. le président. La parole est à M. François Vannson, pour le groupe UMP.

M. François Vannson. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'industrie. M. le ministre d'État, Nicolas Sarkozy, a réaffirmé qu'il plaçait la lutte contre la désindustrialisation au premier rang de ses priorités. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les délocalisations affectent nos industries les plus fragiles telles que le textile ou le petit électroménager. Les conséquences sociales sont parfois dramatiques, vous le savez mieux que quiconque.

M. Jacques Desallangre. Toujours, pas « parfois » !

M. François Vannson. Les délocalisations ne sont pas une fatalité. Le Gouvernement, par la politique menée depuis deux années, a lancé des réformes importantes pour améliorer la compétitivité de notre pays.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. C'est nouveau, ça !

M. François Vannson. Il était effectivement indispensable et urgent de libérer le travail,...

M. Maxime Gremetz. Oh ! la ! la !

M. François Vannson. ...de baisser les charges sociales et d'investir dans la recherche et l'innovation.

M. Jacques Desallangre. Avec les salaires des patrons !

M. François Vannson. Cependant, il est important qu'une politique ambitieuse et spécifique soit menée pour lutter contre les transferts d'activités à l'étranger.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a annoncé son intention d'agir en faveur d'une politique industrielle ambitieuse (« Tu parles ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), en développant notamment une stratégie de lutte contre les délocalisations. En quoi consistera votre action ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Vannson, il va être difficile de vous répondre en deux minutes seulement.

La France est la cinquième puissance industrielle du monde. Dix de nos entreprises figurent parmi les plus grandes entreprises mondiales, des dizaines d'autres sont leaders dans leur branche.

La politique industrielle du Gouvernement consiste à redonner confiance aux Français dans leur économie, dans leur industrie. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Confiance en nous-mêmes, confiance en l'État ! C'est la politique conduite par Nicolas Sarkozy, pour montrer notre détermination. C'est le premier axe.

M. Maxime Gremetz. Vive la SNECMA !

M. le ministre délégué à l'industrie. Deuxième axe : nous voulons convaincre - et nous en prenons les moyens - la Commission européenne de mener une politique industrielle européenne (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) à caractère sectoriel. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans le secteur du textile, nous organisons une zone « Pan-Europe-Méditerranée », qui comprendra les vingt-cinq pays de l'Union européenne et vingt pays du pourtour méditerranéen. Nous aurons quarante-cinq pays en zone de libre-échange, sans protectionnisme, sans soutien financier, mais de nature à concurrencer les zones asiatiques, qui sont nos principaux et nos plus sérieux compétiteurs.

Nous voulons rendre plus attractif notre territoire national, par la constitution de pôles de compétitivité, par une meilleure organisation de notre recherche, par une politique fiscale de stimulation de la recherche,...

M. Jacques Desallangre. Pechiney !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...qui prend sa place aussi dans la politique du médicament, avec la réforme de l'assurance maladie conduite par M. Douste-Blazy. Il s'agit de tout un ensemble de politiques.

Deux politiques sont menées à l'égard des délocalisations. Les unes sont porteuses de marchés, en transférant nos industries sur le territoire d'autres pays, elles créent aussi de l'emploi. Les autres sont le fait de « patrons voyous » (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui sont des chasseurs de primes. A l'égard de ceux-là nous conduirons une politique sévère. La prime versée à une entreprise lors de son installation pour la reconversion d'un territoire constitue un contrat. Nous n'accepterons pas que ce contrat ne soit pas respecté - comme c'est arrivé dans le passé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) avec ceux qui crient. (« Et l'amnistie fiscale ? » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Nous ne pourrons pas accepter cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    2

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. André Gerin. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour un rappel au règlement.

M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, mes chers collègues, le conseil des ministres qui s'est réuni ce matin, sous la présidence du Président de la République, vient de décider la privatisation d'EDF-GDF. C'est un choix politique grave : l'État français démissionne devant le MEDEF et les directives de Bruxelles. Et cette décision, à l'instar de ce qui s'est produit pour France Télécom, s'apparente à un véritable coup de force. Voilà une entreprise qui marche ; il est proprement scandaleux de décider ainsi de la mettre sur le marché financier. EDF, entreprise publique, fait figure de référence mondiale,...

M. Michel Bouvard. Planétaire !

M. François-Michel Gonnot. Et il faut qu'elle le reste !

M. André Gerin. ...mais peut-être est-ce précisément cela qui fait tache aux yeux de la logique capitaliste !

Dans ces conditions, le débat est à nos yeux pipé. Les orientations énergétiques dont nous discutons sont conditionnées au statut de gestion de l'entreprise EDF-GDF. Le modifier change tout. C'est pourquoi, monsieur le président, nous demandons le report de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Car c'est se moquer de la représentation nationale, c'est un véritable scandale...

M. Michel Bouvard. Oui, c'est un « scandââle » ! (Sourires.)

M. André Gerin. ...et cela montre bien que les propositions de Nicolas Sarkozy hier n'étaient qu'un miroir aux alouettes. Ce qui s'est décidé lors du conseil des ministres de ce matin, sous la responsabilité du Président de la République et du Premier ministre, est un mauvais coup contre la France.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Je trouve la déclaration de M. Gerin plutôt malvenue. Premièrement, on ne saurait parler de surprise : le Gouvernement n'a jamais fait mystère de son intention de modifier le statut d'EDF, établissement public, pour en faire une entreprise de droit commun. Il ne s'en est jamais caché, il l'a dit lors du débat sur l'énergie, ici même,...

Mme Janine Jambu. Pas trop !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...nous l'avons encore répété au début de cette discussion, nous en avons discuté avec les syndicats. Vous le savez parfaitement.

Deuxièmement, monsieur Gerin, il ne s'agit pas d'une privatisation.

Mme Janine Jambu. Mais si !

M. le ministre délégué à l'industrie. Une privatisation supposerait que l'État conserve moins de 50 % du capital. Loin de vouloir faire le malheur d'EDF, nous faisons simplement en sorte qu'elle ait sa chance dans la compétition européenne, qu'elle devienne un grand champion européen et mondial. Le malheur pour EDF, ce serait de se retrouver cantonnée au territoire national comme vous le souhaitez, alors que nous avons ouvert ce territoire national et que ses parts de marché ne peuvent qu'y diminuer. Ce que nous voulons, nous, c'est précisément qu'EDF les accroisse, ce qu'elle ne peut faire qu'en Europe. Or, pour ce faire, EDF a besoin de devenir une entreprise comme les autres, capable de procéder à des échanges de participation avec ses homologues,...

M. Patrick Ollier. C'est logique !

M. Pierre Ducout. Mais ce n'est pas une entreprise comme les autres !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est cela, le but de notre politique : permettre à EDF de conquérir des parts de marché dans les autres pays européens au lieu de se retrouver, comme en Italie avec l'ENI, sans droits de vote conséquents bien qu'elle en ait pris 18 % du capital !

Enfin, monsieur Gerin, où est le scandale ? Dans le fait que les institutions de la République fonctionnent ? Dans le fait que le conseil des ministres décide l'adoption des projets de lois ?

M. André Gerin. C'est une démission de l'État !

M. le ministre délégué à l'industrie. Est-ce un coup de force de saisir le Parlement ?

M. André Gerin. C'est une démission de l'État !

M. le président. Allons, monsieur Gerin.

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais où donc vivez-vous, monsieur Gerin, pour crier au coup de force lorsqu'un gouvernement saisit le Parlement ?

M. André Gerin. C'est une démission de l'État !

M. le ministre délégué à l'industrie. Y a-t-il un acte plus démocratique dans une nation que de saisir le Parlement ? Vous voterez ce que vous voudrez ; c'est cela, la démocratie...

M. André Gerin. La démission de l'État !

M. le président. Monsieur Gerin, je vous en prie ! Vous avez fait votre rappel au règlement.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce qui n'est pas la démocratie, c'est de vouloir empêcher qu'on le saisisse. Vous voudriez que l'on ne saisisse pas le Parlement...

M. André Gerin. Non, au contraire !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est cela qui n'est pas démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, M. Brottes m'a également demandé la parole pour un rappel au règlement. Je vais la lui donner ; mais ensuite, nous reviendrons à notre ordre du jour, assez chargé.

La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Mon rappel au règlement ne saurait porter sur le fond, mais sur la méthode, comme il se doit. Il peut paraître choquant, voire méprisant, pour ne pas dire scandaleux,...

M. Michel Bouvard. Sur quel article vous fondez-vous ?

M. François Brottes. Sur l'article 58, alinéa 1, mon cher collègue !

J'ai parlé de mépris. On nous fait voter un texte d'orientation sur l'énergie et, dans le même temps, on annonce de grandes décisions mettant en cause des entreprises françaises qui jouent un rôle majeur dans le domaine de l'énergie. Il aurait été courtois, pour parler pudiquement,...

M. François Dosé. Républicain, tout simplement !

M. François Brottes. ...d'attendre que le Parlement, représentant toute la population de France, se soit exprimé sur cette orientation, avant que l'exécutif, sur cette base, fasse des propositions opérationnelles. Cela aurait été la logique ; malheureusement, on le voit bien, nous sommes dans l'urgence, la précipitation, l'amalgame, l'improvisation. C'est cela qui est regrettable.

M. le président. Je ne retrouve pas le mot « courtoisie » dans le texte de l'article 58, monsieur Brottes... (Sourires.)

    3

ÉNERGIE

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation sur l'énergie (nos 1586, 1597).

Hier soir, l'Assemblée a entendu les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je serai amené à être beaucoup plus aimable envers M. Gerin que lui-même le fut à mon égard, tant il est vrai que, dans le domaine de l'énergie, nos convergences sont bien plus fortes que ce qu'il en a dit lors de ce malheureux rappel au règlement.

M. Pierre Ducout. Justifié !

M. André Gerin. Et je maintiens !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je ne m'attends pas à vous voir changer facilement d'avis ; je ne vous ai jamais pris pour une girouette.

Reprenant les déclarations entendues hier soir, je veux tout d'abord remercier M. Gatignol du soutien qu'il a apporté à la politique du Gouvernement. Son exposé a rendu hommage au travail des rapporteurs, mais je sais que lui-même y a apporté une forte contribution.

J'ai bien relevé, monsieur Gatignol, votre attachement au développement de la recherche, notamment dans le domaine de l'hydrogène, et au caractère prioritaire des énergies renouvelables thermiques. Soyez certain que nos préoccupations sur ce point se rejoignent.

J'ai également entendu - et je le comprends bien - votre vibrant appel en faveur du site de Flamanville. L'offre peut être améliorée ; j'ai eu l'occasion de vous en parler. Quoi qu'il en soit, ce site fait partie de ceux qui méritent d'être examinés de près.

M. Claude Gatignol. J'en prends bonne note !

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Tourtelier nous a reproché de ne pas fixer d'objectifs précis dans le domaine de l'énergie. Je ne peux que contester ces propos. Nous nous engageons dans ce projet de loi à améliorer l'intensité énergétique de 2 % par an à l'horizon 2015. Ce n'est pas rien...

M. Philippe Tourtelier. 2015, c'est demain !

M. le ministre délégué à l'industrie. Et nous sommes bien décidés à y associer les Français : je viens moi-même de lancer, avec le ministre de l'environnement, la campagne de l'ADEME pour les économies d'énergie.

M. Philippe Tourtelier. Vous avez réduit les crédits de l'ADEME !

M. le ministre délégué à l'industrie. A M. Dionis du Séjour, je veux répondre que l'intention du Gouvernement n'est pas de mettre en œuvre une politique du tout-nucléaire, mais simplement une politique du nucléaire. D'où notre volonté de lancer l'EPR. Mais il n'est pas question pour autant de nous désintéresser de toutes les formes d'énergie renouvelable. La France a évidemment besoin d'additionner toutes les énergies alternatives aux énergies fossiles ; il ne s'agit en aucun cas d'une politique du tout-nucléaire.

En écoutant Mme Jambu, je me suis réjoui, comme je l'ai dit à M. Gerin, de nos convergences sur le nucléaire. S'agissant de l'EPR, je tiens à la rassurer : la conception et l'exploitation de l'EPR reviendront bien naturellement à EDF. Quant à notre prétendue vision libérale de l'énergie, je ne pense pas que l'on puisse nous faire ce reproche...

M. Philippe Tourtelier. Ça, c'est un argument !

M. le ministre délégué à l'industrie. A vous entendre, seule notre soumission à l'idéologie libérale peut expliquer notre comportement totalement dénué de pragmatisme et incapable d'analyser les situations !

M. Philippe Tourtelier. Eh oui !

M. André Gerin. C'est un compliment !

M. le ministre délégué à l'industrie. Que les dévots d'une autre religion n'aillent pas faire à leurs adversaires le procès de leur propre croyance !

M. François Dosé. Mais vous bradez également les entreprises publiques !

M. le ministre délégué à l'industrie. Idéologie pour idéologie, je suis moins libéral que vous n'êtes socialistes, malheureusement pour vous !

M. François Brottes. On va y réfléchir...

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est bien parce que le marché ne peut pas tout que nous voulons faire voter cette loi d'orientation sur l'énergie, qui doit constituer un cadre pour l'action aux entreprises, laquelle ne peut dépendre des seules contraintes du marché. Du reste, je ne vois pas comment on pourrait développer une pure théorie de soumission à un marché qui, dans ce domaine, est très largement imparfait.

Je remercie M. Gonnot d'avoir souligné l'importance de la réalisation de l'EPR et conforté le choix d'une poursuite du nucléaire, y compris à l'export. Je le rejoins sur la nécessité de développer conjointement, et sans les opposer, le nucléaire et les énergies renouvelables, éoliennes comprises. Il faudra trouver le moyen de concilier cet objectif avec la nécessité de l'innovation, particulièrement dans le domaine des éoliennes où des progrès sont nécessaires.

S'agissant enfin de la CSPE, il y a bien, j'en conviens, une certaine incohérence à faire financer les énergies renouvelables et la cogénération par la seule électricité, dans la mesure où celle-ci contribue relativement peu, du fait de son origine largement nucléaire, à l'effet de serre. Patrick Ollier lui-même a développé cet argument dont la pertinence reste indiscutable.

Afin de pallier cette difficulté, votre commission a proposé de répartir cette charge sur l'électricité et le gaz, ce qui soulève au moins deux difficultés : une distorsion entre le gaz et le fioul et un renchérissement du prix du gaz. S'il convient de garder l'idée avancée par la commission, car elle est juste, sans doute faudra-t-il la préciser par quelques amendements au cours du débat.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. J'en suis d'accord.

M. le ministre délégué à l'industrie. L'intervention de Mme Gautier a principalement porté sur les énergies renouvelables et le retard supposé de la France dans ce domaine.

M. André Gerin. Ce qui est vrai.

M. le ministre délégué à l'industrie. Quelle est la situation ? Permettez-moi de vous rappeler que nous sommes numéro un pour le bois, numéro deux pour les biocarburants et l'hydraulique, numéro trois pour la géothermie et le biogaz et numéro quatre pour le solaire !

M. François Brottes. Nous faisons si peu pour le solaire !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous parle de notre rang, monsieur Brottes.

En tout état de cause, ce n'est tout de même pas si mal pour un pays supposé être en retard.

Non, la France n'est pas en retard, sauf dans le domaine de l'éolien. Et si nous accusons un retard dans ce secteur, c'est parce que nos besoins sont moins importants que ceux de l'Allemagne, qui recourt pour 50 % au charbon. Du reste, quand notre pays a-t-il pris cinq ans de retard ? De ce point de vue, ceux qui nous font des reproches devraient faire leur examen de conscience...

M. Jacques Myard. Ils n'ont pas de conscience !

M. le président. Monsieur Myard !

M. le ministre délégué à l'industrie. Voyons, monsieur Myard, tout le monde a une conscience.

La France a pris cinq ans de retard sur l'Allemagne entre 1997 et 2002. Cela vous rappelle peut-être quelque chose, chers collègues de l'opposition ?

M. François Brottes. Vous avez bien sûr choisi les dates au hasard ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. C'était le temps où vous étiez ministre, monsieur Cochet !

Ce retard, nous sommes en train de le combler. Qu'on en juge : nous disposions de 50 mégawatts en 2003, et, surtout, des permis de construire ont été accordés pour 760 mégawatts.

Il est donc faux d'affirmer que notre politique a conduit à ces retards. Nous sommes, au contraire, en train de rattraper ceux dont vous êtes responsables.

Jacques Masdeu-Arus a eu raison de souligner l'importance d'un réseau de transport électrique fort et solidement maillé pour assurer la sécurité de notre approvisionnement. RTE a montré son savoir-faire dans ce domaine et nous veillons à ce qu'il dispose, au sein du groupe EDF, des moyens pour exercer sa mission, ce dont il s'acquitte, du reste, fort bien.

Il a, de plus, insisté, à juste titre, sur la priorité de la recherche sur les nouvelles technologies de l'énergie. Le Gouvernement entend que notre pays conserve son avance ou s'efforce de combler ses lacunes dans ce domaine. J'ai entendu son exhortation en faveur des biocarburants. J'y suis bien sûr sensible, mais je suis conscient aussi qu'il faut tenir compte des contraintes financières, et l'équilibre est difficile à trouver.

Monsieur Cochet, j'ai admiré votre audace intellectuelle.

M. Jean Le Garrec. C'est vrai.

M. Jacques Myard. Il faudrait plutôt parler de constance dans l'erreur !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis admiratif devant votre détermination, votre courage, car, et il faut vous reconnaître cette dignité, il n'est pas aisé d'être seul dans cette assemblée pour défendre ses idées. Ce n'est pas un reproche, monsieur Cochet, loin de là : les gaullistes savent la noblesse de la solitude.

Mais, en même temps, pardonnez-moi, je ne m'inscris pas votre logique. Je n'ai pas votre culture dans ce domaine, ce qui vous amène d'ailleurs à corriger vos amis quand ils s'égarent ou quand ils se montrent trop peu précis.

M. François Dosé. C'est le rôle des amis !

M. le ministre délégué à l'industrie. Malheureusement, vous ne nous avez pas convaincus...

M. Yves Cochet. Pas encore ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Il est toujours permis d'espérer... Vous avez déployé beaucoup de talent, il vous en faudra encore davantage, mais vous en êtes capable !

Répondre à Jean-Claude Lenoir avec l'aisance, le brio et la maîtrise dont il a fait preuve va être bien difficile !

M. Jean-Claude Lenoir. Venant de vous, c'est un compliment, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Monsieur Lenoir, votre maîtrise du sujet vous a permis de parler sans papier et votre démonstration fut impressionnante. Nous y avons été d'autant plus sensibles que vous avez mis ces qualités au service de la politique du Gouvernement, et je vous en remercie.

A Mme Darciaux, qui a souhaité une plus grande concertation et un grand débat avec les Français, je réponds que c'est exactement ce que nous avons fait en 2003, en ayant recours aux moyens les plus modernes, notamment Internet. Bien sûr, nous aurions pu faire davantage, mais il n'en reste pas moins que nous avons débattu pendant un an. Le temps est maintenant venu de décider. Nos prédécesseurs, ô combien donneurs de leçons, auraient pu s'atteler à la tâche et avancer sur des questions qui se posaient déjà à notre pays. Ils n'en ont rien fait et, désormais, nous sommes à l'heure des choix.

Je remercie Nathalie Kosciusko-Morizet d'avoir souligné l'importance du nucléaire pour garantir une énergie compétitive, ce qui est favorable à l'emploi. Il faut en effet aussi que les industriels en tirent profit, M. Bouvard l'a rappelé. Par ailleurs, je partage son analyse concernant la faiblesse de la recherche sur les différents domaines du nucléaire. Il est nécessaire d'y remédier, en particulier pour ce qui est de l'efficacité énergétique.

À M. Christian Bataille,...

M. Jean Dionis du Séjour. Quelle stature !

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Bataille, un peu comme M. Cochet, mais sur un autre registre, a fait preuve de courage. Lui aussi a pu se retrouver parfois isolé, y compris au sein de son propre camp - ce qui n'est pas une situation facile, j'en sais quelque chose. (Sourires.) Cela témoigne de son indépendance d'esprit, reconnue par ses adversaires et respectée malgré tout, par ses propres amis.

M. Pierre Ducout. Tout à fait !

M. Jacques Myard. C'est la veille de l'Ascension, profitons des compliments !

M. le ministre délégué à l'industrie. En tout cas, cela force notre estime.

M. Bataille, de par ses prises de positions sur l'EPR, est sur la même ligne que le Gouvernement. Si je l'en remercie, ce n'est pas que je croie qu'il ait voulu nous faire plaisir : c'est parce que tels sont sa conviction depuis de longues années et sa conception de l'intérêt national, qui va au-delà des calculs politiciens. Puissions-nous, les uns et les autres, sur tous les bancs, faire preuve de la même conscience civique.

Je tiens à remercier M. Gaillard d'avoir insisté sur la nécessité d'une meilleure sensibilisation des Français, notamment des jeunes, et d'avoir souligné l'intérêt qu'il y aurait à développer l'hydraulique.

M. Michel Bouvard. Très bien.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce secteur, je peux le rassurer, n'est pas taxé davantage que le bois.

M. Michel Bouvard. C'est la gauche qui l'avait taxé !

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Destot a fait remarquer que la croissance de la consommation d'énergie dans le secteur des transports est préoccupante, j'en conviens. En l'état actuel des techniques, il n'y a pas de solution miracle. Du reste, lorsque la gauche était au pouvoir, elle n'a, dans ce domaine, guère fait mieux, car ce secteur dépend pour beaucoup de l'état d'avancement de la science.

Cependant, je fais remarquer que c'est notre gouvernement, certes d'abord pour des raisons humanitaires, qui a obtenu une réduction de la consommation d'énergie dans le domaine des transports, de l'automobile, en limitant la vitesse sur les routes. Celle-ci a été décidée, reconnaissons-le, d'abord pour lutter contre les accidents de la route et son cortège de tragédies. Mais l'effet de cette mesure a été une baisse de 1,8 % de la consommation en 2003. C'est sans précédent depuis trente ans et ce n'est tout de même pas rien !

M. François Brottes. En effet, ce n'est pas ce que vous avez fait de pire !

M. le ministre délégué à l'industrie. Merci de le reconnaître.

Je suis reconnaissant à Jean-Pierre Nicolas de son soutien. Il nous a rappelé l'importance du facteur temps dans le domaine de l'énergie. Je partage son souci quant au financement des énergies renouvelables et de cogénération afin que celui-ci ne se traduise pas par une hausse du prix de l'électricité, qui handicape, c'est tout à fait vrai, les industries électro-intensives. Il faudra donc veiller à trouver une solution à ce problème, notamment à partir des pistes qui ont été évoquées en commission.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Mme Perrin-Gaillard s'est montrée très sévère.

M. Jacques Myard. Excessive !

M. Michel Bouvard. Injuste même !

M. le ministre délégué à l'industrie. En fait, elle a été surtout sévère à l'endroit du précédent gouvernement, de gauche, qui n'a pris aucune décision dans ce domaine quand il était au pouvoir !

M. Pierre Ducout. Votre analyse est quelque peu orientée !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est peut-être pas ce que votre collègue a voulu dire ? J'ai dû mal comprendre alors...

M. Pierre Ducout. Et la très bonne loi de 2001 ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Il est vrai que ce gouvernement de gauche n'a pas lancé de débat, n'a pas engagé de discussions devant le Parlement.

M. Jacques Myard. Ils n'ont rien fait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il est pourtant vrai que ce gouvernement de gauche n'a pas proposé de projet de loi d'orientation sur l'énergie. Et il est tout aussi vrai qu'il n'a pas fait examiner le projet de loi sur la transparence nucléaire.

M. François-Michel Gonnot. À cause de Cochet !

M. le ministre délégué à l'industrie. Les reproches de Mme Perrin-Gaillard étaient donc pour le moins démesurés !

Monsieur Bouvard, je trouve enfin l'occasion de répondre à une interpellation ancienne. Je sais que le silence du Gouvernement l'a frustré, à juste titre d'ailleurs...

M. Michel Bouvard. Ce sont surtout les salariés des industries qui sont frustrés !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ils peuvent compter sur vous pour les défendre, car vous le faites de manière récurrente, monsieur Bouvard, je vous en donne acte. En outre, la question de la hausse de l'électricité est un problème réel. Pourquoi ? Avant que n'intervienne la directive, EDF avait tendance à faire payer plus cher les ménages et moins cher l'industrie. En quelque sorte, les ménages ont financé les tarifs des entreprises.

M. Michel Bouvard. Oui.

M. Pierre Ducout. C'est vrai.

M. le ministre délégué à l'industrie. Avec l'ouverture à la concurrence ainsi que quelques difficultés financières, EDF a relevé les tarifs imposés aux industriels, sans doute, pour s'aligner sur ceux de l'Allemagne.

M. Michel Bouvard. C'est bien là qu'est le problème.

M. Claude Gatignol. Il y a l'Espagne aussi.

M. le ministre délégué à l'industrie. En l'occurrence, l'alignement s'est fait sur l'Allemagne, où les tarifs élevés s'expliquent par la situation de ce pays, qui ne bénéficie pas de l'énergie nucléaire au même tire que la France. Ils se justifient peut-être au regard de la situation allemande, mais pas de celle de la France.

J'ai le sentiment qu'EDF essaie de reconstituer des marges qui ont été compromises par certaines aventures.

C'est pourquoi j'ai chargé, il y a un peu plus d'un mois, l'Inspection générale des finances et le Conseil général des mines de dresser un état de la situation, d'analyser les risques de désindustrialisation pouvant résulter du niveau de prix de l'énergie et de faire des propositions concrètes. Mais la difficulté vient de ce que, malgré la liberté des tarifs, il n'existe pas de concurrence réelle, en sorte qu'il n'y a pas de discipline de marché possible.

M. Michel Bouvard. C'est une situation d'oligopole !

M. le ministre délégué à l'industrie. Bien entendu, monsieur Bouvard, je ne manquerai pas de vous faire part des conclusions de cette mission.

M. Michel Bouvard. Sous quel délai ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous connaissez l'Inspection générale des finances et le Conseil général des mines.

M. Michel Bouvard. C'est précisément pourquoi je m'inquiète.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ils produisent toujours un travail d'excellente qualité...

M. Michel Bouvard. C'est exact.

M. le ministre délégué à l'industrie. ...mais on ne les bouscule pas. Quoi qu'il en soit, ce sera assez rapide car chacun est conscient de l'urgence.

M. Michel Bouvard. Je vous remercie.

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Jung, qui a couvert un vaste champ, de la bicyclette au nucléaire, a demandé avec détermination l'arrêt d'une centrale...

M. François Dosé. Celle de Fessenheim !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...qui concourt pourtant à la fourniture d'une énergie de qualité et compétitive à la région Alsace.

M. Pierre Ducout. Encore faut-il que l'installation soit sûre !

M. le ministre délégué à l'industrie. La garantie de l'Agence de sûreté nucléaire doit primer sur les fantasmes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Ducout. Nous voulons la transparence sur la sécurité de la centrale de Fessenheim !

M. le ministre délégué à l'industrie. Dans le domaine de la sûreté, il ne faut croire qu'aux expertises scientifiques.

M. Pierre Ducout.. Elles ne peuvent rien contre l'inquiétude.

M. le ministre délégué à l'industrie. L'inquiétude est utile si elle permet de progresser, mais elle ne doit pas conduire à la paralysie.

M. Myard nous a appelés à faire preuve de réalisme et de sérieux quant à la contribution attendue des énergies renouvelables. J'ai pris note de son scepticisme narquois, ironique...

M. Jacques Myard. Non, jamais !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et parfois stimulant.

M. Besson, pour sa part, qui adhère à l'orientation nucléaire, a apporté son soutien à l'orientation politique du texte. Mais il souhaite l'approfondissement de la réflexion sur les déchets. Cela sera fait, et le rendez-vous de 2006 sera tenu.

Il a appelé de ses vœux une circulaire aux préfets sur l'énergie éolienne, considérant qu'il existait des incertitudes. Cette circulaire existe, et je lui en adresserai une copie.

Je tiens à remercier Philippe Rouault de son soutien pour l'EPR. Il a fait preuve d'une grande ouverture en se prononçant avec une égale vigueur en faveur des économies d'énergie et des énergies renouvelables, dont l'hydraulique et les biocarburants. M. Rouault n'est pas le seul à soutenir ce point vue. Son enthousiasme est sympathique. Cette piste devra être explorée, mais, surtout dans la période actuelle, il faudra tenir compte de l'état des finances publiques.

M. Deprez nous a également apporté son soutien, ce dont je le remercie. Il ne s'agit plus d'opposer le tout-nucléaire au tout-éolien, mais, au contraire, de concilier différentes sources d'énergie. C'est bien notre intention.

Je ne reviendrai pas sur les critiques de M. Cohen relatives à la procédure. Je crois avoir déjà répondu à ce sujet. Si nous avons dû déclarer l'urgence, c'est que rien n'avait été fait, à ce sujet, pendant cinq ans. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard. Et toc !

M. François Brottes. Mais vous êtes au pouvoir depuis deux ans !

M. le ministre délégué à l'industrie. Précisément, notre gouvernement, auquel j'appartenais déjà, a pris une année pour cerner le problème et une autre année pour engager le débat public que vous trouvez insuffisant, alors que vous ne l'avez pas fait.

M. François Brottes. Après quoi nous avons eu, en tout et pour tout, huit jours pour en débattre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Non. Vous oubliez tout ce qui l'a précédé, mais le débat dure depuis un an. Nous accuser de précipitation est donc tout à fait excessif.

Mme Gruny s'associe avec plusieurs de ses collègues au soutien aux biocarburants. Je lui confirme l'intérêt du Gouvernement pour cette filière, à la condition, encore, de ne pas alourdir la dépense publique.

Je ne saurais conclure sans remercier votre rapporteur, M. Poignant, et le président de la commission pour le très important travail de réagencement du texte qu'ils ont mené.

M. Patrick Ollier, président de la commission. C'est que nous sommes les partenaires du Gouvernement !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est bien pourquoi le Gouvernement vous remercie d'avoir opéré un profond rééquilibrage du texte et pour l'habileté avec laquelle vous avez su conduire le débat pour rassembler des dispositions qui pouvaient paraître quelque peu hétéroclites. M. Poignant a tenu la plume avec patience et humilité. Je ne doute pas que le texte enrichi de vos amendements sera, grâce à nombre de parlementaires et en particulier à vous deux, à un texte de qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. François Dosé, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente.

M. François Dosé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute loi d'orientation est un moment d'exception dans la vie parlementaire. En effet, et les lois d'orientation agricole successives de la ve République le prouvent, il s'agit d'esquisser des ambitions, de fixer des méthodes, d'envisager des moyens dépassant l'horizon électoral des législateurs appelés à se prononcer, la durée de responsabilité des ministres les ayant initiées - Mme Bachelot et Mme Fontaine le savent - et le vécu d'une ou plusieurs générations.

Comme d'habitude, me direz-vous ? Assurément, non, car une loi d'orientation, dès la mise en œuvre de sa première déclinaison, résiste plus que d'autres aux alternances politiques et devient la matrice de nombreuses initiatives parlementaires ou gouvernementales. Il ne s'agit pas, ni pour moi ni pour nous, de le regretter mais de souligner l'exceptionnelle responsabilité qui va être la nôtre dans les prochaines heures ou les prochains jours. Chacun sait ou ressent confusément qu'une des caractéristiques de ce texte tient à ce qu'il a pour dimension le temps ou, plus précisément, sa démesure.

Déjà, nos engagements internationaux dans ce domaine rythmeront les décennies à venir, mais des investissements suggérés s'inscrivent dans une durée séculaire, puisqu'aux études préalables succéderont la réalisation, l'exploitation, puis le démantèlement des installations. Et qui parle de gestion des déchets de longue durée et haute activité de la filière nucléaire parle de millénaires.

A cette première difficulté, l'appréhension du « juste temps », s'ajoutent la multiplicité des domaines concernés et la diversité des intervenants, privés ou publics, nationaux ou étrangers, parfois contraints, souvent libérés par des accords internationaux ratifiés, ébauchés ou espérés.

Ainsi, au regard du temps, de la multiplicité et de la diversité, bref, de la complexité, ce projet de loi d'orientation de la politique énergétique ne devait esquiver, dans la globalité de son traitement, ni la question des transports, ni celles de l'habitat, du développement économique et donc de la recherche, de l'environnement et des solidarités sociales, territoriales et générationnelles, sans se soustraire à une obligation éthique.

M. Pascal Terrasse. Très bien !

M. François Dosé. Ne laissons pas croire qu'il s'agit d'organiser la solidarité. En investissant l'ensemble des activités humaines, les énergies nous contraignent à la gestion complexe de contradictions et d'intérêts conflictuels. Quant à la diversité des acteurs dans un marché de plus en plus mondialisé, elle nous oblige à tenir compte à la fois des Etats-nations, de l'Union européenne, des collectivités territoriales et des établissements associés, des producteurs, des développeurs, des gestionnaires de réseaux, des entreprises énergétivores, des consommateurs, des usagers et des citoyens - et la liste n'est pas exhaustive.

A la recherche de la durée pertinente, du territoire pertinent, du partenaire pertinent, ce projet de loi serait-il, alors, une gageure ? Je ne le crois pas. Connaître les limites d'un défi ne nous contraint pas à l'esquiver mais nous invite au contraire à l'esquisser sans retard, avec détermination et humilité. Aussi, monsieur le ministre, il me paraît juste de dire que le projet a le mérite d'exister.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Merci !

M. François Dosé. Oui, il fallait engager ce débat parlementaire non pas seulement comme ces échanges sans vote d'un passé que nous espérons révolu, mais aussi comme l'examen d'un projet soumis à l'appréciation de la représentation nationale, corrigé, amendé, puis conforté ou sanctionné.

Oui, ce texte est le bienvenu. Même imparfait, même contestable, il est préférable à l'étrange silence qui a prévalu depuis trente ans, tous gouvernements confondus...

M. Jean Dionis du Séjour. C'est bien de le dire.

M. François Dosé. ...s'agissant de notre approvisionnement en énergie.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Belle honnêteté !

M. François Dosé. En la déposant, il ne s'agissait pas seulement de transcrire des directives européennes, de décliner des accords internationaux consentis, d'aviser quelques initiatives sous la contrainte de constats alarmants, voire alarmistes, mais d'intégrer la problématique énergétique dans le débat politique, dans la vie quotidienne de nos compatriotes. Et si, aujourd'hui, il est déjà tard, mieux vaut aujourd'hui que demain !

Pourtant, ni pour s'y soustraire, ni pour renvoyer ce projet de loi d'orientation sur l'énergie aux calendes grecques, les députés socialistes vous demandent son renvoi en commission. Quelques semaines suffiraient. En effet, nous attendions ce texte, nous le souhaitions, mais si nous considérons qu'il est raisonnable et réaliste de le soumettre au vote du Parlement avant la fin de cette session, il est totalement déraisonnable, inadmissible même, d'en délibérer dans cette assemblée dès maintenant. Surseoir, non pour perdre du temps, mais pour en gagner.

Nous réclamons du temps pour corriger le déficit démocratique de la phase préparatoire, pour hiérarchiser les chantiers du possible, pour définir les territoires pertinents, pour esquisser les échéanciers, enfin pour préciser les institutions partenaires.

En s'accordant un délai supplémentaire pour approfondir, ici des chapitres, là des articles, ailleurs des amendements, nous éviterons incompréhensions, tergiversations, imprécisions et contentieux. Nous limiterons les transferts de responsabilités du législatif vers l'exécutif, des politiques aux juges et, in fine, nous améliorerons la lisibilité du texte pour nos citoyens.

Oui, nous réclamons du temps pour que s'exprime ici de manière exemplaire la démocratie participative. La phase préparatoire à nos travaux parlementaires mérite un commentaire. En effet, rares, trop rares sont les projets de loi introduits par des rencontres et débats préalables pour ne pas signaler la bonne intention des deux ministères concernés. Notre démocratie, fragilisée ces dernières années, ici par des abstentions massives lors des consultations électorales, là par des arguments ou des arguties passionnels, parfois par des choix sectaires, gagnerait, chaque fois que faire se peut, à inviter nos concitoyens à participer aux débats publics. Mais pour que cette invitation soit crédible, il faut veiller à la diversité des intervenants, susciter les expressions contradictoires, respecter ce temps d'écoute et de partage. L'annonce faite par Mme Fontaine au quatrième trimestre 2003, alors que les débats décentralisés sur les énergies n'étaient pas achevés, de la réalisation rapide de l'EPR en France discrédita une démarche qui, sur le fond, ne manquait pas d'intérêt.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est vrai, malheureusement !

M. François Brottes. Et ça continue !

M. François Dosé. On souhaitait susciter la confiance par les échanges ; on récolta la méfiance, voire la défiance.

M. François Brottes. Exact !

M. François Dosé. Les républicains, toutes familles politiques confondues, ne peuvent tolérer qu'après ce slogan provocateur et totalement injuste « Élections, piège à cons ! », certains puissent penser et écrire : « Démocratie, alibi ! » La citoyenneté mérite quelques égards.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous avez raison !

M. François Dosé. Cette réserve exprimée, nous devons saluer les rapports, souvent remarquables, rédigés par nos collègues mandatés ici par un ministère, là par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Les synthèses de leurs recherches et leurs recommandations ont été mises à notre disposition.

Mais nous devons déplorer avec vigueur un calendrier parlementaire inadmissible : 5 mai, présentation du projet de loi en conseil des ministres ; 7 mai, le texte est à notre disposition ; 12, 13 et 19 mai, examen en commission ; 18 et 19 mai, première lecture en séance publique.

Certes, il était urgent de se saisir de la problématique énergétique, mais l'urgence n'excuse pas la précipitation. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous avez indiqué que cette notion de précipitation était excessive. Je prends donc acte que, pour vous, elle est quand même probablement juste.

Comparaison n'est pas raison, me dira-t-on. Toutefois, je vous rappelle que dix-neuf séances furent nécessaires pour examiner le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. J'ajoute que la rédaction n'a pas simplifié la gestion de notre temps. En effet, si colère et agacement furent pris en compte puisque d'importantes annexes ont été introduites à l'article 1er, l'examen tardif et trop rapide des amendements fut insatisfaisant et laisse parfois le goût amer d'un travail bâclé.

Cette sévérité est confortée par l'urgence qu'a déclarée, hier, M. le Premier ministre sur ce texte. A l'évidence, cette procédure exceptionnelle est inadaptée à la crédibilité d'une loi d'orientation. Je note que de légitimes protestations se sont élevées depuis tous les bancs de cette assemblée.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de donner une explication à ce manque évident de reconnaissance démocratique. En réalité, vous instrumentalisez ce texte sur les énergies, en le réduisant à un projet de loi sur l'électricité, avec deux obsessions : d'une part, apaiser la communauté entrepreneuriale EDF-GDF avant de remettre en cause, dès le mois de juin, le périmètre financier de ces deux entreprises et le statut de leurs agents...

M. François Brottes. En effet !

M. François Dosé. ...et, d'autre part, susciter par avance l'intérêt des futurs actionnaires. En clair, l'augmentation du capital fait force de loi et de calendrier !

Le processus démocratique encadrant les choix énergétiques, redevable de trente années d'insuffisance, méritait mieux que cette marche forcée.

J'ajoute que nous aurions pu discuter du contrôle démocratique. Nous aurions ainsi gagné, me semble-t-il, en efficacité à accepter qu'une journée par an soit consacrée, dans le cadre de la loi de finances, au bilan des actions, aux projets mis en œuvre.

Nous réclamons du temps pour hiérarchiser les « chantiers du possible ». Certes, nos collègues de la commission des affaires économiques ont évité le ridicule. Devant notre insistance, les annexes, objets juridiques non identifiés, ne sont plus seulement adossées à l'article 1er mais incluses dans celui-ci. Pourtant, nous ne saurions nous satisfaire de cette formalité.

Confrontés à un panel de suggestions variées, touche-à-tout, nous ne devinons pas les urgences, et nos concitoyens et concitoyennes ne retiendront pas nos véritables priorités. Souhaitons que ce projet soit un défi collectif. Il nous faut énoncer clairement nos vœux, déclinant des accords internationaux mais aussi une stratégie nationale volontariste. Nos collègues gaullistes, s'il en reste encore, monsieur Ollier,...

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je suis en tout cas de ceux-là !

M. le ministre délégué à l'industrie. S'il n'en reste qu'un je serai celui-là ! (Sourires.)

M. le président. Il y en a plusieurs dans la salle !

M. François Dosé. ...auraient nommé cela une « ardente obligation ».

Ainsi, afin d'apprécier et de promouvoir de futures initiatives, il faudrait, dès l'automne 2004, établir une première loi de programmation pluriannuelle. Nous proposons de privilégier la sobriété énergétique et les applications dans le domaine de la maîtrise des énergies, l'efficacité énergétique en améliorant le rendement des productions et des distributions, la diversification des sources, notamment par un développement sans précédent des énergies renouvelables - énergie éolienne, énergie hydraulique, biomasse, énergie solaire, bois.

Parlons clair : considérant la nécessité d'orienter en urgence nos efforts dans ces trois axes, considérant la part importante - certains disent excessive - du nucléaire dans notre « mix » énergétique, la production actuelle de la filière électronucléaire française et la demande d'électricité, considérant le problème du financement d'un EPR - entre 3 et 5 milliards d'euros - et la nécessité de recourir à des partenariats financiers à définir, nous privilégions aujourd'hui en France d'autres enjeux.

Premièrement, analysons, à l'occasion de cette future loi d'orientation, tous les secteurs d'activité « énergétivores » - les transports, les activités tertiaires, le bâti résidentiel, les activités économiques et la production électrique - et hiérarchisons immédiatement les « chantiers du possible » dans chacun de ces domaines. Profitons-en pour populariser certaines réalités souvent méconnues, en particulier le lien entre les rejets de CO2, les transports et le bâti résidentiel. Ne réduisons pas la problématique énergétique à la production électrique.

Deuxièmement, privilégions, en urgence, la maîtrise des consommations énergétiques dans tous les domaines. Le gâchis énergétique est une injustice économique, territoriale - ce thème est souvent développé, notamment entre les pays du Nord et ceux du Sud - et sociale - tous les élus territoriaux savent bien que c'est à cause des charges, et le chauffage électrique n'y est pas étranger, qu'un locataire de HLM craque.

Mme Odile Saugues. C'est vrai !

M. François Dosé. C'est aussi une injustice générationnelle. Nous devons économiser pour laisser à nos enfants et petits-enfants un stock à leur disposition.

Troisièmement, favorisons la diversification. Développons les énergies dites renouvelables, sans les cantonner à l'appoint. Refusons le « tout-nucléaire » sans revendiquer la « sortie du nucléaire ». En méprisant, en condamnant ou en atrophiant l'une ou l'autre de ces techniques, nous fragilisons notre capacité scientifique et industrielle pour aujourd'hui et pour les prochaines décennies.

Quatrièmement, respectons a minima et à la date prévue la directive du 27 septembre 2001 qui prévoit que 21 % de notre consommation électrique sera assurée par des énergies renouvelables en 2010 - faire mieux n'est pas une utopie -, sans oublier de réduire les gaz à effet de serre dans les autres activités déjà citées.

Cinquièmement, fixons-nous des objectifs par filière, notamment dans la perspective du renouvellement des centrales nucléaires civiles. Actuellement, 80 % de l'électricité en France est produite grâce à la technologie électronucléaire. Or si, a minima, nous tendons à cet objectif de 21 % d'énergies renouvelables, si nous valorisons la cogénération, le gaz, le charbon propre, dimensionnons alors le parc nucléaire à sa juste contribution. Dans les prochaines décennies, restera-t-il deux tiers ou 60 % ? Ne diabolisons pas le nucléaire, mais ne méprisons pas les autres sources d'énergie.

M. François Brottes. Très bien !

M. François Dosé. Préférons la difficulté de la diversité énergétique à la facilité de l'hégémonie d'une énergie.

Dans cette perspective, aujourd'hui, la construction d'un EPR n'est ni inéluctable, ni souhaitable.

Une remarque, monsieur le ministre. Vous avez rendu hommage à l'honnêteté intellectuelle de l'un d'entre nous, à la permanence de ses convictions en soulignant chez lui l'absence de calcul politicien. Il n'y en pas chez nous non plus. Je ne voudrais pas que vous pensiez un instant que les choix énergétiques puissent être dictés par des considérations électorales. Vraiment pas ! Je n'insiste pas sur les différences d'approche dans la politique gouvernementale au sein même du Gouvernement ou à l'intérieur de la majorité parlementaire. J'accepte la règle de la majorité mais je vous demande instamment, monsieur le ministre, de ne pas laisser croire que les opinions différentes de la vôtre, si elles ne correspondent pas à la pensée unique ou presque de l'époque, obéissent probablement à des préoccupations électoralistes ou opportunistes. Devant les générations plus jeunes que la nôtre - sans nécessairement militer, elles s'intéressent à la vie citoyenne -, prenons garde de mettre en cause l'honnêteté intellectuelle de ceux qui ne font pas les mêmes choix que nous.

La construction d'un EPR, disais-je, n'est ni inéluctable ni souhaitable dans la mesure où l'État est dans l'incapacité d'en assurer le financement, si bien que la situation financière d'EDF en sera perturbée et que nos efforts de recherche en faveur des énergies renouvelables seront reportés à plus tard, à trop tard !

Traitons sans tabou mais sans partialité les nuisances inhérentes aux différentes techniques de production ; hiérarchisons-les : ici les déchets radioactifs de haute activité et de longue durée, là l'émission de CO2 et autres gaz à effet de serre, ou encore les mâts des éoliennes qui, nous dit-on, déparent le paysage, la gestion des eaux des barrages et des centrales. Mais ne passons pas sous silence les contradictions. Les biocarburants ? D'accord, mais quels intrants ? Le bois ? Soit, mais il faut l'importer.

Obsédés comme vous l'êtes par la nouvelle gouvernance, le financement et les rendez-vous sociaux avec EDF et GDF, dont les turpitudes sont, pour une grande part, liées à votre projet politique, vous avez rogné ce texte fondateur. Hier, M. le ministre d'État nous rappelait ces mots de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. » Nous les faisons nôtres. Tout le problème réside dans la juste reconnaissance du capital d'aujourd'hui et des intérêts de demain. Malheureusement, le débat n'a pas été pas ouvert !

Nous réclamons du temps pour préciser les espaces pertinents. Le monde est un village, dit-on, et la politique énergétique n'échappe pas à cette nouvelle donne géopolitique. Nous devons donc intégrer cette réalité mais sans l'instrumentaliser au service de nos préjugés. Assurément, le nuage radioactif de Tchernobyl ne s'est pas dissipé dans le ciel d'outre-Rhin, pas plus que les émissions de CO2 des centrales thermiques chinoises et indiennes ne se dissiperont dans le ciel asiatique, surtout si, là-bas, la croissance économique perdure. De même, le réchauffement de l'atmosphère est provoqué par l'activité des puissances économiques de l'hémisphère Nord, mais les premières victimes sont les habitants des pays pauvres de l'hémisphère Sud. Pourtant, un Africain consomme quinze fois moins qu'un Américain, sept fois moins qu'un Français !

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. François Dosé. Évidemment, malgré les métropoles encombrées, la « bagnole » si décriée est aussi un véhicule, instrument d'efficacité économique, d'utilité sociale et de confort populaire dans nos pays, ce qui ne doit pas faire oublier que les récentes croisades des temps modernes justifiées par une « certaine idée de la démocratie » s'abreuvent aussi aux puits de pétrole du Moyen-Orient, avec les dégâts collatéraux que l'on sait. Les dix-neuf réacteurs de type soviétique installés dans cinq des dix nouveaux pays membres de l'Union européenne ont évité des rejets de CO2 mais leur fragilité inquiète désormais toute l'Europe. Pour conjurer le danger, nous devrons passer à la caisse ! Évidemment, en Chine, en Inde, et dans d'autres pays encore, la filière nucléaire peut se substituer avantageusement aux énergies combustibles à cause de leurs rejets polluants, mais les instances internationales ne pourront pas éluder longtemps les difficultés qu'il y aurait à gérer d'importants stocks de déchets radioactifs et la question des risques de prolifération nucléaire.

Oui, « le monde est un village », le nôtre ! Il nous faut donc affirmer sans relâche sur la scène internationale - à Kyoto et ailleurs - que l'efficacité économique doit se conjuguer avec l'utilité sociale, les solidarités territoriales, la pertinence sanitaire et environnementale. Principes de prévention et de précaution obligent !

Cette veille internationale, nous pouvons, nous devons l'exercer en promouvant une réelle politique énergétique européenne, laquelle représente un enjeu déterminant. Aux quelques donneurs de leçons qui ricanent de la « vieille Europe », montrons que nous sommes capables de mener à bien des projets cohérents. Hier, Jean Monnet a bâti l'Europe autour de l'acier et du charbon ; demain, elle se fera autour des énergies. Sécurité des approvisionnements, respect des engagements mondiaux en faveur de l'environnement, égalité de traitement, accès aux énergies, sûreté des installations à risque, efficacité énergétique, politique d'investissement et de recherche cohérente et diversifiée... Tous ces défis, tous ces paris sont à inscrire dans un projet énergétique européen qui doit porter une attention particulière aux proximités transfrontalières.

Prenons garde ! La banalisation, la marchandisation des « produits énergétiques » dans un marché commun européen élargi, libéralisé au fil des ans, conduiront à redéfinir la notion d'indépendance nationale. Quelle réalité recouvrira, dans une France ouverte aux marchés, la sécurité d'approvisionnement de notre État-nation ? Le débat a été esquivé dans la phase préparatoire car les conséquences de la nouvelle donne institutionnelle de l'élargissement et des évolutions commerciales ont été occultées. Faut-il, ou pourrons-nous, héberger in situ le potentiel nécessaire ou considérer que l'indépendance se mesure à l'aune des moyens financiers ? Certains pays européens ne fabriquent pas de voitures, mais ils ont les moyens de se les offrir. De même, il y a des villages qui n'ont pas l'eau mais ils gagnent leur indépendance s'ils sont en mesure d'acheter de l'eau dans le village voisin. Le discours sur l'indépendance nationale révèle son ambiguïté dans la bouche de ceux qui considèrent, dans cette Europe sans frontières, l'énergie comme une marchandise.

Enfin, alors que le Gouvernement prétend mettre en œuvre une nouvelle étape de la décentralisation, vous avez refusé, lors de l'examen du projet de loi sur les responsabilités locales, les propositions de notre collègue Philippe Tourtelier, défendues au nom des socialistes, tendant à élargir à l'énergie les compétences des collectivités territoriales et renvoyé la discussion de ces amendements - c'était vous, monsieur Poignant, qui étiez rapporteur - au « prochain projet de loi sur les énergies ». Or, la gestion de proximité, chaque fois qu'elle est possible, facilite la prise de conscience des fragilités et des contradictions.

Nous réclamons également du temps pour esquisser des échéanciers. Si ce texte était un projet de loi d'orientation - et digne de son appellation constitutionnellement contrôlée ! - alors, un débat préalable en commission sur les rendez-vous inéluctables, indispensables et souhaitables aurait été nécessaire.

Sans nier les limites de l'exercice, il aurait fallu connaître l'état actuel des réserves mondiales des matériaux combustibles, les évolutions probables des technologies en termes d'efficacité énergétique, les hypothèses sur les variations de coûts, les prévisions climatiques par continent, la durée - en toute fiabilité - des amortissements de nos investissements lourds, les tendances démographiques et les perspectives de développement économique de pays significatifs ; et rappeler le contenu des traités internationaux sur l'énergie ainsi que leur cortège d'obligations et de recommandations... Oui, sans nier les limites de l'exercice, les commissaires des affaires économiques devaient, avant d'entreprendre l'examen du projet, appréhender ces réalités, les nuancer, les contester, les conforter dans la diversité de leurs opinions et de leurs territoires.

Puis il fallait, au regard des priorités et des moyens financiers susceptibles d'être mobilisés, programmer les objectifs, notamment dans les transports et l'habitat. En réalité, la seule date clairement énoncée le fut par M. le ministre d'État : « Été 2004 : un site pour le futur EPR. » Cette annonce, par son caractère ostentatoire, caricature cette loi d'orientation. Doit-on rappeler que 33 % de la demande d'énergie émane des transports et 25 % environ de l'habitat ? Si le Gouvernement craint, faute de moyens financiers ou de volonté politique, des échéanciers trop précis, les réservant, le cas échéant, pour une loi-programme, alors il nous faut connaître la date de son dépôt. En l'absence de cet engagement, c'était à nous, parlementaires, de les esquisser en respectant les priorités, car, tel un métronome, l'échéancier rythme la mise en œuvre des projets.

Nous réclamons du temps pour préciser le rôle des partenaires engagés par ces orientations. Ils seront nombreux à être mobilisés si, une fois que les priorités auront été validées, les territoires définis et les échéanciers arrêtés, le projet de loi constitue la feuille de route du Gouvernement. Et nous devrons, là aussi, clarifier les rôles, sans attendre le verdict du marché. Qui fait quoi ? Quand ? Comment ? Après avoir précisé les programmes secteur par secteur, il faudra identifier les partenaires et, compte tenu de leurs compétences et de leurs capacités, leur confier des missions.

L'État doit être exemplaire. Une fois encore, c'est en commission que nous avons dû rappeler cette évidence... Il est tout de même stupéfiant, chers collègues, que l'État prétende fixer les grandes orientations énergétiques aux Français tout en demandant, dans le même projet, d'en être dispensé ! Dans les territoires ruraux, nous avons l'habitude d'une telle démarche. Parfois, ceux qui pétitionnent pour obtenir un remembrement sont indignés d'apprendre que les terres concernées ne sont pas seulement celles des voisins...

Pour être exemplaire, l'État doit honorer ses engagements financiers envers la recherche. Le discrédit serait immédiat si, dans la loi de finances pour 2005, les crédits consacrés à la sensibilisation et aux recherches énergétiques suivaient la même tendance que ces deux dernières années.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très juste !

M. François Dosé. L'ADEME, l'ANAH, certes, mais encore le Comité national de développement du bois, et les autres chercheurs aussi, aimeraient être convaincus !

Être exemplaire, cela signifie par exemple que le souci de rentabilité des actionnaires n'égare pas hors du champ de l'intérêt public, c'est-à-dire celui de l'État et de la nation, nos opérateurs traditionnels, EDF et GDF.

Tel est le véritable objet du débat car personne ne conteste la nécessité d'ouvrir le périmètre financier d'EDF-GDF, mais l'ouvrir aux actionnaires privés, c'est introduire la périlleuse question du retour financier : on n'investit pas son argent pour le perdre.

Exemplaire, cela signifie également que l'État, comme il le fait dans sa politique de décentralisation, ne se défausse pas financièrement sur les collectivités territoriales, les entreprises ou les associations.

Exemplaire, cela signifie enfin que le Parlement, chaque année, dans le cadre de la présentation de la loi de finances, valide ou non le bilan des programmes en cours comme les projets à mettre en œuvre.

La loi d'orientation sur les énergies aurait pu être un texte remarqué et remarquable. Ses orientations auraient pu permettre de mieux cerner l'ensemble des enjeux, de hiérarchiser les priorités, d'établir un calendrier probable ou d'identifier les partenaires des défis à relever ou des paris à tenir. C'est une occasion gâchée. Nous sommes même très en deçà du Livre blanc que d'aucuns trouvaient déjà insuffisant.

Ce texte alibi, mal orienté, est un texte a minima. Accords et désaccords - encore faut-il qu'ils puissent s'exprimer - font la richesse d'une démocratie vivante : nous n'avons pas à la craindre. Or, l'examen du projet de loi a été conduit dans des conditions déplorables. Nous avons fini par nous en amuser, de peur de nous en lasser. Nous nous sommes même demandés si l'objectif n'était pas d'inscrire un record dans quelque livre pour l'édification des générations futures : 450 amendements en trente minutes !

M. Jean-Yves Le Déaut. Un toutes les quatre secondes !

M. François Dosé. Je note que ni le président de notre commission, M. Ollier, ni notre rapporteur, M. Poignant, ne portent la responsabilité de tels dysfonctionnements, non plus que les administrateurs.

M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Je vous remercie.

M. François Dosé. Ils ont même tenté, parfois avec succès, d'en atténuer les turpitudes.

M. François Brottes. Ces dysfonctionnements sont dus à la pression du Gouvernement.

M. François Dosé. Très sincèrement, mes chers collègues de la majorité d'aujourd'hui - l'histoire d'une République est faite d'alternances -, imaginez un instant, un instant seulement - il vous reste encore trois ans - qu'un gouvernement de gauche vous ait infligé ça !

M. le ministre délégué à l'industrie. Cela a été le cas !

M. Jean-Yves Le Déaut. Jamais !

M. François Dosé. Monsieur le ministre, il s'agit d'une loi d'orientation.

M. Yves Cochet. C'est grave !

M. François Dosé. Les rythmes sont inversés : au lieu de planter le décor dans lequel viendraient s'inscrire les événements futurs, ce texte a été traité comme un sous-ensemble, voire un document préalable à ce qui se passera au mois de juin.

M. François Brottes. Le ministre est ému.

M. le ministre délégué à l'industrie. Non, monsieur Brottes, mais il est affligé par tant de mauvaise foi.

M. François Dosé. Afin de vous faire part de notre désaccord relatif au rythme imposé et d'affirmer notre volonté non seulement de rendre au Parlement une place prépondérante dans le processus législatif mais également d'approfondir, dans la sérénité d'une commission, un chantier législatif qui ouvre des décennies de programmes et d'actions, j'en appelle à l'ensemble de mes collègues pour renvoyer ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Cochet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. François Brottes. Il est d'accord. (Sourires.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Si j'ai souhaité vous répondre, monsieur Dosé, c'est que votre motion de renvoi en commission mettait tant soit peu en cause la commission des affaires économiques. Or je n'ai pas compris sur quel point précis du travail réalisé elle pouvait le faire.

Je vous connais, monsieur Dosé. Vous êtes un des membres les plus assidus de notre commission. Je rends hommage à votre honnêteté intellectuelle et à la part que vous prenez à nos débats. J'apprécie généralement les débats que nous avons au sein de notre commission, dont la plupart des membres, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition, sont présents dans l'hémicycle. Les débats sont toujours apaisés et sérieux.

Mais la motion de renvoi en commission que vous avez défendue avec sérieux relève plus du plaidoyer qui vise à faire repousser un projet de loi que de l'argumentaire crédible qui établit les raisons d'un renvoi en commission.

Selon vous, il faut surseoir à son examen afin de gagner du temps. Vous avez fait état d'un déficit démocratique, de la définition d'un chantier ou de la nécessité d'esquisser des échéanciers et de préciser les institutions partenaires. Vous avez réclamé « du temps pour la démocratie ». J'ai néanmoins beaucoup apprécié, monsieur Dosé, que vous ayez, dans le même temps, reconnu les bonnes intentions du Gouvernement quant aux débats sur la question de l'énergie qu'il a su organiser. Leur absence se faisait sentir et, dès son arrivée, le gouvernement de M. Raffarin s'est mis au travail. J'y reviendrai.

J'apprécie également à leur juste mesure, au nom de la commission et au nom de son excellent rapporteur, M. Poignant, les compliments que vous avez pu faire sur le travail que nous avons effectué.

Cela étant, tout en évoquant le rapport remarquable que le Gouvernement a produit - celui du 7 novembre dernier - vous avez parlé de précipitation !

M. François Dosé. En effet, car il s'agit d'une loi d'orientation !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Sur la commission, je serai bref.

Vous souhaitez que la commission travaille davantage. Je le comprends. Encore faut-il qu'elle demeure dans son rôle. Or, la plupart des sujets que vous avez évoqués sortent du champ de compétences de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et sont du ressort soit du Gouvernement, soit de chaque groupe parlementaire au sein de l'hémicycle, et les débats auxquels, nous l'espérons, le projet de loi donnera lieu le prouveront.

M. François Brottes. C'est le Gouvernement qui est en cause.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je vous remercie, monsieur Brottes, de le reconnaître.

Sur la préparation du texte, je me suis également interrogé. J'ai évoqué le sujet avec M. Devedjian, dès nos premières conversations relatives au projet de loi. Chacun, en effet, s'est posé des questions sur le calendrier...

M. François Brottes. ...et s'en pose encore !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je vous apporte des réponses, monsieur Brottes. Vous ne pouvez pas ignorer que ce débat s'inscrit dans le cadre d'un processus - j'en appelle à votre honnêteté intellectuelle, monsieur Dosé - et qu'il arrive lui-même au terme d'un débat public de quatre mois qui s'est déroulé en 2003...

M. François Dosé. ...et auquel j'ai participé.

M. Patrick Ollier, président de la commission. ...et auquel vous avez en effet largement participé. Vous en avez fait état en commission.

Le débat public a eu lieu sur le terrain, et le rapport que le Gouvernement a présenté le 7 novembre 2003 a eu pour objectif de préparer la loi d'orientation - si j'ai bien compris, monsieur le ministre. La majorité comme l'opposition ont émis le souhait qu'un débat se tienne au sein même de l'hémicycle. La commission a fait bloc avec l'ensemble des groupes qui la composent et nous avons demandé ce débat au Gouvernement. Le 15 avril dernier, il s'est tenu, une journée durant, et il a permis d'établir une synthèse des positions de chacun sur la question. Des propositions extrêmement sérieuses ont été entendues, dont un grand nombre a pu être repris dans le projet de loi. M. le ministre Devedjian a pu en faire état et tous les groupes, ici, en conviendront : ce ne sont ni M. Gerin, sur la question des EPR, ni M. Bataille ou mes collègues de la majorité qui pourront me démentir. Les propositions retenues témoignent également de notre volonté de promouvoir une véritable politique de soutien aux énergies renouvelables mais, il est vrai, sur des bases qui ne sont plus celles du passé.

Vous ne pouvez donc pas prétendre, monsieur Dosé, que ce texte arrive comme s'il sortait de nulle part et sans que le Parlement ait pu s'y préparer. Nous avons pu nous y préparer et nous nous sommes mis au travail.

En effet, comment prétendre que la commission n'a pu faire son travail ? Elle a consacré à ce texte quatre réunions. Il est extrêmement rare que la commission consacre des réunions aussi nombreuses et aussi longues à la préparation d'un projet de loi. Nous avons examiné 1 030 amendements sur les 1 065 qui ont été déposés, ce qui prouve que vous avez eu le temps de réflexion nécessaire à la fois pour les préparer et les rédiger.

M. Jean-Yves Le Déaut. Non.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Ces amendements - je dois le reconnaître - sont importants et sérieux. Nous en avons adopté une grande part, qu'ils aient été présentés par la majorité ou par l'opposition et je crois savoir, monsieur le ministre, que vous êtes disposé à les accepter en séance. Je remercie le Gouvernement de sa volonté d'ouverture, qui rendra le travail en séance au moins autant, sinon plus, constructif que celui réalisé en commission, lequel, je le répète, a été nourri et sérieux - personne ne saurait prétendre le contraire.

Afin de conclure sur l'architecture du texte, je me tourne vers le Gouvernement. La majorité comme l'opposition ont souhaité, dès notre première réunion, que l'architecture du texte soit revue. M. Cochet a participé à un échange extrêmement constructif. Quant à vous, monsieur Brottes, et vous, monsieur Dosé, vous avez souhaité que la question de l'annexe liée au texte soit reconsidérée. Je vous ai personnellement donné mon accord. M. Poignant s'est mis immédiatement au travail. Nous avons rencontré le ministre quelques heures plus tard et il nous a donné son accord : dès seize heures, la commission se réunissait et le texte était restructuré selon votre souhait. L'annexe était intégrée dans le corps de la loi. Vous aviez donc obtenu satisfaction ! Je ne pense pas que cet excellent travail mérite de revenir en commission pour y être repris, d'autant plus, mes chers collègues de l'opposition, que vous en êtes autant les artisans que vos collègues de la majorité, et je vous en sais gré.

Ma réponse ne porte que sur le renvoi en commission. Je n'ai pas à vous répondre sur la théorie que vous avez développée avec une grande compétence en matière de politique énergétique. Elle n'est peut-être pas tout à fait celle à laquelle nous aspirons. Les débats nous permettront d'approfondir le sujet.

Telles sont les raisons, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui me font penser très sincèrement que le rôle du Parlement a été respecté. Nous avons eu largement le temps de faire notre travail. Je souhaite que la majorité rejette la motion de renvoi en commission défendue par M. Dosé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Claude Gatignol, pour le groupe UMP.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, François Dosé, selon son habitude, a fait une bonne intervention, qui a permis d'élever le débat. J'ai particulièrement apprécié le ton qu'il a employé et auquel nous sommes, également, habitués.

Je ne reviendrai pas sur l'analyse détaillée que le président de la commission, Patrick Ollier, a faite du contenu de l'intervention. En revanche - c'est ce que j'ai surtout retenu - François Dosé a rappelé la nécessité du débat démocratique. Nous partageons tous, sur ces bancs, la même préoccupation, celle d'assurer le rôle irremplaçable de la démarche démocratique, qu'elle soit représentative ou participative.

S'agissant de l'exercice de la démocratie, l'idée m'a traversé l'esprit que nous pourrions tous relire avec profit les œuvres d'un de nos grands prédécesseurs Alexis de Tocqueville, qui fut député et ministre. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

Reste que je ne peux suivre les arguments de François Dosé pour renvoyer ce texte en commission, car celle-ci a accompli un travail très dense, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner hier. Si le rythme a été quelque peu différent de ce dont nous avons l'habitude, l'énergie n'a pas manqué aux participants pour rédiger des amendements !

Ce texte est l'aboutissement d'un processus qui a débuté au début de 2003, s'est poursuivi avec un certain nombre de publications et de commentaire, avant que nous ne nous exprimions tous, ici même, au cours du débat du 15 avril. Le temps de la synthèse et de la décision est venu.

Le Gouvernement est parfaitement dans son rôle lorsqu'il propose au Parlement ce projet de loi d'orientation. Il est temps d'en débattre. Le groupe UMP ne votera pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier, pour le groupe socialiste.

M. Philippe Tourtelier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « en prenant du temps aujourd'hui, on en gagnera demain », a dit François Dosé.

En effet : d'une part nous serons beaucoup plus efficaces, et d'autre part nous ne participerons pas à un déni de démocratie. Ce dernier terme est souvent revenu dans la discussion générale : on ne s'en étonnera pas, car ce qui est en cause aujourd'hui est la façon dont nous concevons la démocratie.

La démocratie a plusieurs niveaux. Le débat que le Gouvernement a lancé relève de la démocratie participative. Comme nous tous, monsieur le ministre, vous avez certainement été assailli par les personnes et les organisations qui y ont pris part, et qui maintenant n'ont même pas le temps de faire les propositions qui devraient suivre la phase de discussion et de constat. Beaucoup de mes collègues de la majorité, j'en suis certain, ont également été interpellés à sujet.

Vous avez donc bafoué la démocratie participative, monsieur le ministre.

La démocratie représentative est de nature différente. Les procédures ne sont pas les mêmes. Député de fraîche date, je suis ahuri de ce que je vis actuellement. Jusqu'à présent, les débats en commission étaient parfois un peu rapides, mais les choses étaient à peu près réglées avant la discussion en séance.

M. Jean-Claude Lenoir. Qu'auriez-vous dit sous la précédente législature !

M. François-Michel Gonnot. Vous n'imaginez pas ce que c'était sous Jospin !

M. Philippe Tourtelier. Or, pour ce texte, je constate que nous avons été « écrabouillés », pour reprendre l'expression d'un collègue de l'UDF.

Vous vous êtes employés, monsieur le président de la commission et monsieur le rapporteur, à essayer de rendre nos travaux présentables, et je vous en rends hommage. Mais faire du 125 amendements à l'heure, c'est aller dans le mur à coup sûr ! (Sourires.)

De plus, comme l'a rappelé François Dosé, une loi d'orientation doit s'accompagner de procédures de contrôle démocratique. Quelles sont les procédures prévues, monsieur le ministre ? La vérité est que la loi est en train de s'improviser au fur et à mesure.

M. Jean-Claude Lenoir. Vous ne pouvez pas dire ça !

M. François-Michel Gonnot. Elle est en train de s'enrichir, au contraire !

M. Philippe Tourtelier. Les amendements vont arriver en discussion et le travail législatif va se faire principalement en séance, si bien que nous n'aurons pas le temps d'approfondir notre réflexion.

François Dosé a indiqué combien il est complexe de faire correspondre les échelles de temps et les objectifs. Or, lorsque vous m'avez répondu tout à l'heure, monsieur le ministre, vous n'avez mentionné qu'un seul objectif.

De surcroît, vous avez fait valoir qu'il y avait urgence parce que nous n'aurions rien fait pendant cinq ans. Soit vous avez la mémoire très courte, monsieur le ministre, soit c'est de la mauvaise foi.

Pour ce qui est du domaine des transports, je vous rappelle que nous avons lancé un plan pour le ferroutage et que nous avons multiplié par dix l'enveloppe consacrée au rail dans les contrats de plan et par deux les crédits affectés aux transports en commun en site propre.

M. François Brottes. Absolument !

M. Philippe Tourtelier. Qu'avez-vous fait depuis ? Vous avez diminué les crédits pour les TCSP, supprimé ceux des PDU, et vous n'honorez par les contrats de plan !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous n'avez rien fait pour les énergies renouvelables !

M. Philippe Tourtelier. Notez, monsieur le ministre, que les orateurs, au cours de la discussion générale, ont surtout parlé de transports quand ils ont évoqué la lutte contre l'effet de serre.

M. Éric Besson. Sur les transports collectifs, M. Tourtelier a parfaitement raison !

M. Philippe Tourtelier. Sans doute cela vous gêne-t-il, monsieur le ministre, mais tant pis !

Dans le domaine de l'habitat, nous avons mis en place des réglementations et des normes techniques pour le neuf. Nous avons par ailleurs augmenté les crédits de l'ANAH et de l'ADEME. Qu'avez-vous fait depuis deux ans ? Vous avez diminué les crédits de l'ANAH et de l'ADEME !

M. François-Michel Gonnot. Je ne vois pas le rapport avec la motion de renvoi en commission !

M. Philippe Tourtelier. Dans le domaine des énergies renouvelables, l'ADEME avait des missions extrêmement précises. Au cours du débat public que vous avez lancé - et je reconnais là son intérêt -, j'ai entendu des chefs d'entreprise dans le secteur de l'énergie solaire interpeller vos prédécesseurs en déclarant que, les crédits de l'ADEME n'étant pas honorés, ils seraient contraints de licencier au mois de septembre. Voilà ce qui se passe sous votre gouvernement !

Enfin, ce sont bien les tarifs d'achat qui ont fait décoller la construction des éoliennes. Si des permis de construire pour 750 mégawatts ont été notifiés, comme vous l'avez fait valoir, c'est grâce aux décisions que le gouvernement précédent avait prises en matière de tarifs et d'obligations d'achat.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ah bon ? C'est grâce à vous ? Vous me faites rire !

M. Philippe Tourtelier. Eh oui ! Devant la commission des affaires économiques, vous avez même voulu remettre en cause ces obligations d'achat.

Votre argument selon lequel il y aurait urgence parce que nous n'aurions rien fait ne tient donc absolument pas.

Au début de cette séance, monsieur le ministre, vous avez essayé de donner à notre collègue André Gerin une leçon de démocratie qui m'est apparue particulièrement déplacée. Répondant à son rappel au règlement, vous lui avez dit avec humeur que la démocratie était respectée dès lors qu'il y avait saisine du Parlement. C'est indéniable, mais vous êtes bien mal placé pour lui faire la leçon : hier, vous avez indiqué que l'essentiel, dans ce débat, était l'avenir de la filière nucléaire et l'EPR. Je croyais pour ma part que nous débattions d'un texte sur la politique énergétique en général. Vous nous proposez donc un vrai-faux débat, dans lequel on est censé parlé de politique énergétique mais où l'on traite en réalité du nucléaire. C'est ce qu'a rappelé François Dosé.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Tourtelier. (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Tourtelier. Je termine, monsieur le président.

Huit jours pour examiner le texte, un vrai-faux débat, une seule lecture : vraiment, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas nous donner des leçons de démocratie. Vous gagneriez en crédibilité si vous souteniez notre motion de renvoi en commission. Notre groupe, bien entendu, la votera, mais je crois que tout parlementaire qui se respecte devrait en faire autant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Gerin. Il a raison !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Essayons de porter un jugement objectif sur la motion défendue par M. Dosé. J'en salue, moi aussi, la qualité.

Oui, cette loi d'orientation en matière d'énergie est une première. C'est une initiative innovante et courageuse politiquement, car le Gouvernement n'y était pas obligé.

Oui, le débat préalable, au premier semestre 2003, a été de bonne tenue démocratique, même si c'était loin d'être parfait. Décentralisé dans les métropoles régionales, il a permis d'associer les élus locaux et les associations.

Oui, le Livre blanc en date du 7 novembre présenté par Mme Fontaine était de bonne qualité et constituait un prolongement légitime de ce débat préalable.

Oui, le travail parlementaire à l'Assemblée nationale en première lecture a été quelque peu « écrabouillé ».

M. François Dosé. Merci de le dire !

M. Jean Dionis du Séjour. Adoption en conseil des ministres le 5 mai, transmission à l'Assemblée nationale le 7 mai... Tout cela est très rapide, et l'on a déjà mentionné le nombre d'amendements examinés à la minute.

Pourquoi une telle urgence ? Soyons francs entre nous : parce que nous examinerons à la mi-juin le texte portant modification du statut d'EDF-GDF. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Gerin. Eh oui ! Le débat est plombé !

M. Jean Dionis du Séjour. En effet, au cours des négociations préalables entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, certains de ces derniers ont exigé que des orientations soient auparavant gravées dans le marbre de la loi d'orientation sur l'énergie. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Pierre Cohen. Tout cela, ce serait la faute des salariés d'EDF ? Elle est bien bonne !

M. le président. Cher collègue, veuillez vous calmer : vous pourrez voter dans quelques instants.

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n'est pas scandaleux en soi. Évitez, mes chers collègues de l'opposition, de tenir deux langages, l'un dans vos circonscriptions et l'autre à l'Assemblée nationale !

Pour l'UDF, la ligne rouge aurait été franchie avec la déclaration d'urgence. Je dis bien « aurait été » car, pour nous autres qui ne sommes pas experts en droit constitutionnel et en règlements parlementaires, l'échange d'hier a paru quelque peu mystérieux : après que le président Debré eut annoncé la déclaration d'urgence, le ministre d'Etat a parlé de « déclaration d'urgence de précaution ». De cette formule, nous retenons que le ministre s'engage à assurer une vraie navette parlementaire : nous en prenons acte et nous l'en remercions, comme nous remercions le président Ollier d'avoir arraché cette deuxième lecture, car j'imagine que cela ne s'est pas déroulé de façon pacifique.

Notre position est donc la suivante : il est recevable de vouloir établir la direction dans laquelle la nation doit s'engager avant de revoir les statuts d'EDF-GDF. Il serait en revanche scandaleux de ne pas laisser le Parlement améliorer le projet de loi d'orientation.

Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, lorsque vous vous engagez à ce que la navette parlementaire ait lieu. Aussi ne voterons-nous pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut voter la motion de renvoi en commission. Ce matin, en effet, est apparu un élément nouveau qui « plombe » le débat consacré à la politique énergétique.

Débattre du statut d'EDF-GDF, monsieur le ministre, c'est débattre d'une vision et d'une conception de l'usage de l'énergie, et en particulier de l'électricité, comme d'un bien public et universel. Le changement de statut aura des incidences concrètes qu'il nous faudra bien examiner, tant sur le plan technique que sur celui de l'organisation, du mode de décision, du contrôle ou des contreparties. C'est une privatisation qui ne dit pas son nom - car vous faites aujourd'hui patte de velours, monsieur le ministre - et il s'agit d'une rupture historique avec les choix et les décisions pris par le Conseil national de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Il est faux de dire que le statut d'EDF-GDF et la politique énergétique sont conditionnés par la loi de la concurrence.

M. le ministre délégué à l'industrie. La concurrence est pourtant déjà là !

M. André Gerin. C'est ainsi que vous justifiez le changement de statut ?

M. François-Michel Gonnot. Jospin y était également favorable !

M. André Gerin. Je ne suis pas responsable de Jospin ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) J'ai d'ailleurs voté contre la transposition de la directive européenne sur l'électricité. Je suis conséquent !

M. le ministre délégué à l'industrie. Alors pourquoi votez-vous avec le groupe socialiste ?

M. André Gerin. Parce que j'estime que le débat est plombé et qu'il doit être suspendu !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Vous ne voulez donc pas de l'EPR ?

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Ils sont « écrabouillés » ! (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Je suis saisi d'une série d'amendements portant articles additionnels avant l'article 1er.

Avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi de onze amendements, nos 173 rectifié, 174 rectifié, 175 rectifié, 176 rectifié, 177 rectifié, 178 rectifié, 179 rectifié, 180 rectifié, 181 rectifié, 182 rectifié et 722, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 173 rectifié à 182 rectifié sont identiques.

La parole est à M. François Dosé, pour soutenir l'amendement n° 174 rectifié.

M. François Dosé. En peu de mots, cet amendement dit toute la chose. Nous ne voulons pas du démantèlement à brève échéance d'un service public de l'énergie. Nous souhaitons que notre politique énergétique continue à se décider en France, en particulier au moment où l'Europe se libère d'un certain nombre de contraintes juridiques, administratives et politiques. Dans notre pays, la notion de service public doit prévaloir.

M. le président. L'amendement n° 175 rectifié est défendu.

La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l'amendement n° 176 rectifié.

M. François Brottes. Les mots ont un sens. Nous tenons à ce que les termes « service public » figurent en tête de cette loi d'orientation. Comme, je l'espère, tous les élus de la République, nous sommes très attachés à la dimension de cohésion sociale et d'aménagement du territoire qu'ils expriment.

L'énergie est un des poumons d'une société et d'un territoire et le principe d'égalité d'accès de tous au même service, sur l'ensemble du territoire, doit être posé en préalable à tout débat. En outre, le service public de l'énergie et l'indépendance stratégique, économique et industrielle sont indissociables. Notre assemblée tout entière doit faire siens ces objectifs, et je suis certain que cet amendement fera l'unanimité, car il est au cœur du pacte républicain de notre pays.

M. le président. Les amendements nos 177 rectifié et 178 rectifié sont défendus.

La parole est à M. David Habib, pour soutenir l'amendement n° 179 rectifié.

M. David Habib. Ayons la sincérité d'admettre que la question du service public est le premier problème. Cette question a été évoquée tant par les organisations syndicales que par le Président de la République, qui nous a assurés ce matin, lors du conseil des ministres, qu'il n'avait pas l'intention de privatiser. Contester cette référence au service public reviendrait à contester la position exposée par le chef de l'État.

Monsieur le ministre, il me semble, sans esprit de polémique, qu'il serait de votre intérêt d'accepter cet amendement, pour éviter que l'on glose sur ce qui pourrait être interprété comme des différences de ton ou d'appréciation entre le Président de la République et vous-même.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est gentil de vous en préoccuper !

M. David Habib. Comme l'a indiqué François Brottes, ce service public appartient au pacte républicain, et devrait faire l'unanimité. Nous sommes tous héritiers des principes posés, à la Libération, par nos prédécesseurs. Le rappeler avant l'article 1er procède d'un bon travail parlementaire.

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen, pour soutenir l'amendement n° 180 rectifié.

M. Pierre Cohen. Il a déjà été reproché à ce projet de loi d'avoir pour objet essentiel de donner quelques garanties avant de faire passer la privatisation d'EDF.

Il serait maintenant regrettable, comme je l'ai déjà souligné lors du débat général, d'oublier de faire référence à cette spécificité française que sont nos services publics. Alors que ceux-ci connaissent quelques difficultés dans le cadre européen, voici que vient d'être adopté un livre blanc sur les services publics et la notion d'intérêt général. Nous pouvons tous nous honorer de voir que l'Europe libérale commence à reconnaître le rôle de la puissance publique et à marquer les limites de la marchandisation.

Il serait paradoxal et scandaleux qu'au moment même où l'Europe évolue dans le bon sens, la France commence à brader cette notion forte de service public, et qu'une loi d'orientation sur l'énergie ne s'y réfère pas.

La meilleure approche de cette notion figure dans le D de l'annexe, où est défini l'objectif d'une contribution à la cohésion sociale et territoriale par la garantie d'un accès de tous les Français à l'énergie. Cependant, il n'est pas précisé comment, ni selon quels critères, sera assuré ce droit à l'accès. Rien n'est dit, par exemple, de l'obligation de desserte ni de la péréquation tarifaire, pour lesquelles EDF-GDF avaient une réelle capacité de réponse, à la différence des opérateurs d'autres pays qui ne parviennent pas à faire face à des difficultés importantes.

La question du service public se pose sur le plan du principe. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons, chers collègues, de voter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier, pour soutenir l'amendement n° 181 rectifié.

M. Philippe Tourtelier. Dans le texte de cet amendement, chaque mot compte. Vient d'abord la référence au service public de l'énergie, qui est, on l'a rappelé, un droit fondamental pour nos concitoyens, avec l'égalité d'accès et la péréquation des prix.

Je tiens cependant à insister aussi sur la deuxième partie de la phrase, selon laquelle le service public de l'énergie « garantit une indépendance stratégique, économique et industrielle ». Les questions stratégiques ont souvent été évoquées à propos de la sécurité des approvisionnements. Dans la situation géopolitique internationale, quelle confiance peut-on faire au privé pour assurer que seront atteints les objectifs que vous avez, monsieur le ministre, définis dans votre projet de loi ? Seul un service public de l'énergie peut garantir cette indépendance.

Le même raisonnement vaut sur le plan économique. Les entreprises qu'on ne peut plus appeler nationales, mais plutôt internationales ou multinationales, sont ordinairement indifférentes aux intérêts économiques des pays dont elles sont issues - les délocalisations l'illustrent bien. Il importe donc que le service public assure cette indépendance économique.

Il s'agit, enfin, de garantir l'indépendance industrielle. Le nucléaire n'est pas une matière banale, et on ne peut le confier au seul privé. Il doit donc continuer de relever du public. En outre, celui-ci, qui a su développer une filière industrielle performante dans le domaine du nucléaire, saura faire de même dans le domaine des énergies renouvelables. Le service public de l'énergie est donc indispensable.

M. le président. Nous revenons à l'amendement n° 173 rectifié.

La parole est à M. Christian Bataille, absent tout à l'heure, pour défendre cet amendement.

M. Christian Bataille. Le problème est celui du rôle de l'État - et, plus particulièrement, du service public - dans le domaine de l'énergie. En ces temps de libéralisation, il n'est sans pas politiquement correct d'évoquer ce rôle de l'État, qui a pourtant été défini durant des décennies. Aujourd'hui encore, l'indépendance de la France passe par un service public. Le Gouvernement, la nation, l'expression de la démocratie doivent orienter la politique de l'énergie. Le service de l'électricité ne serait pas aussi performant s'il avait été développé, comme c'était le cas à l'origine, sous l'égide des capitaux privés.

Seul l'État peut envisager l'effort à long terme que suppose notre équipement en centrales nucléaires. Le temps nucléaire se mesure à une échelle de trente, quarante ou cinquante ans. Aujourd'hui, les acteurs privés privilégient le court terme. Les centrales à gaz, pour lesquelles le temps de retour est de quelques années, se multiplient aux États-Unis, mais sont tellement soumises aux variations du marché que près de la moitié d'entre elles sont aujourd'hui arrêtées. Le service public permet d'assurer une bonne maîtrise des enjeux stratégiques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour soutenir l'amendement n° 722.

M. Jean-Yves Le Déaut. Cet amendement est identique aux précédents.

M. le président. Pas tout à fait. Il en diffère par deux mots : « mais aussi ».

M. Jean-Claude Lenoir. Il y a des dissensions à gauche !

M. Jean-Yves Le Déaut. Cela ne compromet pas l'accord au sein de notre groupe ! (Sourires.)

Je me félicite que la commission ait accepté cet amendement majeur, et j'espère que le Gouvernement fera de même.

L'énergie n'est pas un bien de consommation courant. En outre, c'est en affirmant la notion de service public que nous pourrons éviter que, dans une période de crise comme nous en avons connu l'an dernier avec la canicule, des opérateurs privés ne servent en priorité leurs clients, sans se soucier de l'intérêt national. Il importe donc de garantir une nécessaire régulation.

À Barcelone, lorsqu'il a été décidé d'ouvrir le marché à la concurrence, un débat sur le service public universel au niveau européen a été annoncé, ainsi qu'une directive cadre sur le sujet. Où en est la discussion de cette directive ? Il serait inutile, en effet, d'évoquer le service public dans nos textes si on ne peut avancer sur cette question au niveau européen.

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, pour donner l'avis de la commission sur les onze amendements en discussion.

M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Je ne pense pas trahir la pensée de la commission si je dis qu'il y a eu en son sein un large consensus en faveur d'un service public fort. Elle a accepté les dix amendements identiques, dont la rédaction lui a semblé préférable à celle de l'amendement n° 722.

Cependant, ce qui est en cause n'est pas le service public en tant que tel, que tout le monde s'accorde à défendre,...

M. André Gerin. Mais son statut !

M. Serge Poignant, rapporteur. ...mais la question qui a été débattue entre la majorité et l'opposition : comment conforter ce service public et ces entreprises publiques fortes, qui doivent avoir les moyens de lutter à armes égales avec leurs concurrents ? Le statut de ces entreprises doit être modernisé.

Sur l'affirmation de la nécessité d'un service public qui garantisse une indépendance stratégique, économique et industrielle, avis favorable, donc.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je me rallie aux amendements identiques nos 173 rectifié à 182 rectifié. En conséquence, je rectifie mon amendement n° 722, en supprimant les mots : « mais aussi ».

M. le président. L'amendement n° 722 est ainsi rectifié.

Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements en discussion ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Dans la précipitation et l'urgence - en catastrophe, même -, le Gouvernement va permettre l'adoption de onze amendements identiques ! (Sourires.) Avis favorable donc.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous prenons acte de cet accord général. Inscrire dans la loi cette notion fondamentale qu'est le service public vaut mieux que de se contenter d'y penser. Tous les textes qui suivront devront entrer dans ce cadre et toute disposition législative ultérieure qui mettrait à mal cette dimension de service public de l'énergie serait condamnable au regard du législateur. Nous œuvrons dans le bon sens avec cette loi d'orientation, à laquelle il nous faudra nous tenir.

Je fais remarquer à nos collègues que s'il y a onze amendements identiques, il n'y a pas eu onze argumentations identiques. Nous avons procédé ainsi parce qu'il était nécessaire de développer une argumentation étoffée pour expliquer et défendre notre notion du service public de l'énergie.

M. le ministre délégué à l'industrie. Votre argumentation est identique puisque l'exposé des motifs indique à chaque fois la même chose : « Cet amendement se justifie par son texte même » !

M. le président. La parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin. Je me félicite, bien évidemment, de l'insertion de cet article additionnel dans le texte. Mais cette adjonction est hypothéquée, entachée, voire plombée par le changement de statut d'EDF et de GDF, prévu pour le mois de juin prochain. Je me demande d'ailleurs si l'adoption de ces amendements ne le remet pas en cause.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 173 rectifié, 174 rectifié, 175 rectifié, 176 rectifié, 177 rectifié, 178 rectifié, 179 rectifié, 180 rectifié, 181 rectifié, 182 rectifié et 722 rectifié.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. Jean-Claude Lenoir. Tout cela est de bon augure ! (Sourires.)

M. le président. Je suis saisi de dix amendements identiques, nos 123 à 132.

L'amendement n° 123 est défendu.

La parole est à M. François Dosé, pour soutenir l'amendement n° 124.

M. François Dosé. Cet amendement met en exergue deux termes : « personnels » et « usagers ». En effet, chacun voit bien que l'ensemble des personnels, marqués du sceau du service public, entretiennent une relation particulière avec les usagers, qu'ils ne considèrent pas comme des clients.

A ce moment du débat, permettez-moi, chers collègues, de vous rappeler que le bogue dont nous avions tous peur en décembre 1999 ne s'est pas produit, alors que la tempête, que personne n'avait prévue, a eu lieu. Ce fut la catastrophe dans certaines régions, non seulement pour les forêts, mais aussi pour les installations électriques, mises à terre. Et nous avons alors vu la mobilisation exceptionnelle d'une entreprise publique : EDF. A titre d'anecdote - les archives parlementaires en conservent la trace -, je me souviens qu'un ou deux collègues ont demandé une mission d'information, dénonçant cette entreprise qui, selon eux, n'avait pas assez travaillé. Leur demande a été mise en minorité à la commission, toutes familles politiques confondues. Même M. Robert Galley, notre collègue d'alors, avait défendu le service public.

Quelle que soit notre appartenance politique, nous devons aujourd'hui affirmer clairement que la notion de service public suppose qu'existe, entre l'entreprise et son environnement, une relation personnels-usagers et non pas marchands-clients.

M. André Gerin. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 125 est défendu.

La parole est à M. François Brottes, pour soutenir l'amendement n° 126.

M. François Brottes. « Le service public de l'énergie est un élément du contrat social pour les personnels et les usagers », selon les termes de nos amendements. Après l'intervention de François Dosé, j'ajouterai qu'il y a une telle culture d'entreprise à EDF-GDF que les retraités eux-mêmes se sentent concernés lorsque des difficultés surviennent. Quelle entreprise privée pourrait aujourd'hui mobiliser dans les mêmes conditions son personnel ? Je n'en vois guère. Les sapeurs-pompiers ont la même capacité de mobilisation, mais ils ne relèvent pas encore, et heureusement, du secteur privé. Vous ne nous l'avez pas encore proposé, monsieur le ministre ! Mais sait-on jamais, un jour...

En tout cas, j'établis cette comparaison pour montrer qu'EDF constitue un élément de cohésion sociale fort car ses personnels ont le service public chevillé au corps. C'est pourquoi ils sont respectés par les usagers, qui les attendent et les demandent en cas de besoin. Des usagers qui ne sont pas encore devenus des clients, même si c'est ce qui les attend demain avec la privatisation d'EDF-GDF. Or, si les usagers deviennent des clients, l'image de l'entreprise se modifie. C'est ce qui est en train de se passer dans d'autres secteurs où la privatisation est en marche, à votre initiative : l'entreprise concernée change de couleur. Qu'il s'agisse d'Orange ou d'une autre, on voit bien que le comportement de l'usager devenu client est tout à fait différent.

Nous souhaitons donc que la loi réaffirme que les relations entre personnels et usagers constituent un contrat social, afin que perdure cette garantie de service public.

M. le président. Les amendements nos 127 et 128 sont défendus.

La parole est à M. David Habib, pour soutenir l'amendement n° 129.

M. David Habib. L'importance de cette proposition justifie que nous soyons plusieurs à la soutenir successivement.

Nous venons tous de confirmer notre attachement au service public. Dès lors est-il possible, chers collègues, de ne pas répondre à l'attente des électriciens et des gaziers ?

J'ai encore évoqué cet après-midi, monsieur le ministre, la situation très particulière d'une entreprise qui a fourni à vos services des informations pour le moins incomplètes. Ceci justifierait que vous meniez, à la faveur d'un déplacement dans le Sud-Ouest, un examen sur place qui serait certainement très enrichissant pour vous. Je vous l'avais déjà proposé hier soir et, malgré le ton polémique de votre réponse, je vous assure que vous êtes et resterez toujours le bienvenu en Béarn.

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous m'avez invité avec des arguments inavouables ! (Sourires.)

M. David Habib. Monsieur le ministre, il nous faut montrer que, dans notre pays, aucune entreprise publique ne peut être confisquée au profit de quelques-uns. Ce serait une erreur que de ne pas inscrire dans la loi cette référence au contrat social qui lie, dans le cadre du service public, les gaziers et les électriciens aux usagers. Ce serait aussi une erreur si l'Assemblée nationale se montrait indifférente à l'inquiétude de toute une frange de la population, notamment des salariés de ces deux entreprises. Répondre à leur attente est une nécessité, et le meilleur moyen d'y parvenir est d'adopter cet amendement qui rappelle tout simplement que le service public de l'énergie est un élément du contrat social. Il faut trouver les modalités permettant qu'il soit, comme le précédent, voté par l'ensemble des députés présents. Ce serait un gage de bon travail parlementaire.

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen, pour soutenir l'amendement n° 130.

M. Pierre Cohen. Nous ne pouvons qu'être extrêmement heureux du vote unanime qui a introduit la notion de service public dans ce projet de loi. Mais il faut maintenant aller plus loin, puisque la notion de service public attribue la responsabilité de la politique de l'énergie à la puissance publique. Il reste à déterminer selon quelles modalités, et avec qui.

Si les modalités sont définies par le prochain projet de loi sur l'énergie et suscitent des divergences de points de vue, du moins pouvons-nous tomber d'accord sur l'identité des acteurs de la politique énergétique. Notre collègue a ainsi rappelé la capacité des personnels d'être à la hauteur et de ne pas compter leurs efforts pour relever un défi comme celui que la tempête avait lancé au pays. Nous pouvons donc nous accorder sur la nécessité d'une certaine indépendance des personnels vis-à-vis du service à rendre. Je sais que c'est considéré comme presque injurieux sur certains bancs, mais je fais référence à la qualité du travail accompli par les fonctionnaires indépendamment du pilotage politique. C'est ce qui permet à notre république de poursuivre des objectifs, par-delà les alternances.

En l'espèce, la politique énergétique doit permettre aux personnels d'avoir cette capacité d'indépendance. Il faut consolider ce contrat social avec les usagers pour se donner les moyens de rendre l'énergie accessible à l'ensemble des citoyens. Il faut que les usagers aient réellement tous les mêmes droits. Au contraire, la notion de client aboutit à ce qu'un individu, en fonction de ses caractéristiques, puisse être considéré comme un moins bon client que d'autres, voire ne plus être considéré comme un client du tout. Cette notion de client, fréquente même dans les entreprises publiques, ne doit pas trouver place à EDF-GDF.

Il s'agit d'établir un contrat social entre, d'une part, les personnels, qui ont en toute indépendance un service à rendre en termes de continuité et de qualité et, d'autre part, les personnes pour lesquelles ils travaillent et qu'ils doivent considérer comme des citoyens et des usagers.

M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier, pour soutenir l'amendement n° 131.

M. Philippe Tourtelier. Le service public constitutif d'un contrat social entre les personnels et les usagers est en effet une notion extrêmement importante. Nous savons tous combien ces personnels sont attachés au service public et à leurs missions de service public.

François Dosé a rappelé que l'efficacité dont ils ont fait preuve lors des tempêtes a été reconnue par tout le monde. Il faut maintenir cette qualité dans le contrat social. Un grand nombre des agents d'EDF que j'ai rencontrés soulignent qu'avant de défendre leurs droits acquis, ils défendent d'abord les missions de service public d'EDF. Il est très important de le rappeler. Ils se sentent très impliqués dans les orientations de la politique énergétique, qui auraient dû être beaucoup plus précises que dans le débat que nous avons actuellement.

Mais il n'est jamais trop tard pour informer et relever les inexactitudes. J'en profite donc pour préciser que, dans le cadre de ce contrat entre l'usager et les personnels, la contribution au service public de l'électricité s'élève à six euros par an pour un foyer à la consommation moyenne. Nous en avons déjà débattu à plusieurs reprises. Je rappelle que, sur ces six euros de charge annuels, 30 % sont affectés à la péréquation des tarifs et 10 % aux énergies renouvelables. Il ne faut donc pas faire une montagne de la contribution financière des usagers qui, d'ailleurs, ne l'ont jamais remise en cause.

M. le président. L'amendement n° 132 est-il défendu ?

M. Christian Bataille. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les dix amendements identiques ?

M. Serge Poignant, rapporteur. La commission s'est autant interrogée sur la notion de contrat social que sur la place qu'on souhaitait lui donner dans la loi. Et elle a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Cet amendement répétitif, en dix exemplaires, pose deux problèmes.

Le premier est d'ordre juridique. La notion de contrat social ne relève pas du droit. C'est un principe philosophique exposé par Jean-Jacques Rousseau, qui a toute sa valeur philosophique,...

M. Jean-Yves Le Déaut. Ici, il s'agit d'un nouveau contrat social !

M. Pierre Cohen. Jean-Jacques Rousseau nous a beaucoup inspirés !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est en effet un nouveau contrat social, monsieur Le Déaut. Mais pourquoi pensez-vous avoir le monopole de Rousseau, monsieur Cohen ?

M. Pierre Cohen. Le pronom personnel « nous » vous englobait !

M. Pierre Cohen. Soit. Jean-Jacques Rousseau nous a tous inspirés. La démocratie lui doit beaucoup.

M. Éric Besson. Ne vous égarez pas monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Cette référence nous a tellement inspirés qu'en l'occurrence elle vous égare effectivement, car le contrat social n'est pas un concept juridique. Ces amendements ne sont donc pas pertinents s'agissant de l'élaboration du droit. Après tout, nous sommes tout de même ici pour faire la loi, et il vaut mieux que celle-ci ait un sens juridique.

M. Pierre Cohen. Vous êtes bien placé pour dire ça, après ce que la commission a dit de l'annexe de votre projet de loi !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour ma part, j'ai immédiatement accepté la leçon de droit de la commission, qui m'a demandé de transférer l'annexe dans le corps du texte afin qu'elle acquière une valeur normative. Mais je rappelle, comme je l'ai dit hier à M. Le Déaut, que si cette annexe n'a pas en l'état de valeur normative, elle n'en est pas pour autant inconstitutionnelle. J'ai assumé et accepté les conséquences de ce constat.

Si vous aviez la même probité intellectuelle que moi, vous reconnaîtriez de votre côté qu'il en est de même pour la notion de contrat social : sans être inconstitutionnelle, elle n'a pas plus de valeur normative que l'annexe. Elle serait surtout une source de confusion.

Le second problème est dû au sens de cette référence pour EDF, entreprise devenue champion européen, qui vend de l'électricité dans toute l'Europe.

M. André Gerin. Cette référence trouve tout son sens dans le changement de statut !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est un amendement franco-français, alors que le Gouvernement veut faire d'EDF un champion européen. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Même les équipes de France peuvent être championnes d'Europe ; l'un n'empêche pas l'autre.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous le saurons ce soir ! (Sourires.)

M. François Brottes. Nous sommes extrêmement déçus, monsieur le ministre, que vous n'acceptiez pas notre proposition.

Je vous rappelle qu'une loi d'orientation a l'autorité pour affirmer des principes, y compris philosophiques. Sinon, à quoi servirait ce type de loi ? Ainsi, je suis persuadé que la semaine prochaine, lors de l'examen du projet de loi sur la charte de l'environnement, des principes philosophiques forts seront évoqués, auxquels mon groupe adhérera peut-être.

Je le répète : l'un n'empêche pas l'autre.

Par ailleurs, vous n'avez de cesse de nous dire, vous et M. Sarkozy, que nous devrions toujours penser aux personnels d'EDF en rédigeant nos amendements. Ces personnels apprécieront ! Nous avons pourtant proposé que l'existence d'un contrat social soit affirmé dans la loi, avec les personnels de cette entreprise publique en première ligne. Votre réponse est la première preuve de ce que, finalement, vous faites peu de cas de leur sort.

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais non ! Simplement, je ne sais pas ce que c'est que le « contrat social » !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 123 à 132.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 609.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Comme vous avez pu le constater, monsieur le président, j'ai déposé plusieurs amendements. Ils vont me permettre de développer une proposition de stratégie énergétique alternative pour notre pays, à un horizon de trente, voire de cinquante ans. Il y a en effet quelques objectifs qui, dans le projet de loi du Gouvernement lui-même, sont fixés à une échéance de cinquante ans. Et c'est vrai que dans le domaine de l'énergie, il faut voir assez loin, parce qu'on ne change pas les choses comme cela.

Ce premier amendement n'est pas d'une importance folle : il est simplement l'occasion de rappeler qu'une directive européenne va s'appliquer à partir du 1er juillet 2004, puis en 2007, et que les collectivités locales pourront éventuellement choisir leurs fournisseurs d'électricité ou de gaz.

Je profite de ce premier amendement pour vous annoncer que je souhaite énoncer, de manière compréhensible, rationnelle et structurée, une autre stratégie, tout à fait différente de celle qui est indiquée dans le projet de loi. Elle peut se résumer en trois points.

Premièrement, au vu de l'exposé des motifs de ce projet de loi, ainsi qu'au vu des différents articles que nous propose le Gouvernement, on peut parler d'une assez forte sous-estimation de la très grave crise énergétique qui se profile à un horizon très rapproché. C'est pourquoi il faut procéder à une analyse à la fois mondiale, européenne et française, et pour chacune des énergies primaires, pour avoir une idée de la situation énergétique et de ses évolutions possibles, étant donné ce qui s'est passé ces dernières années et en tenant compte des demandes des uns et des autres, qu'il s'agisse des pays européens, des pays de l'OCDE ou des pays du Sud, notamment les pays émergents comme la Chine et l'Inde. Il faut dresser un état des lieux, dans une perspective dynamique, pour connaître l'évolution probable - et même, sur certains points, l'évolution certaine - du système énergétique dans le monde.

Deuxième point que je développerai : dans les trente ou cinquante années qui viennent - car c'est bien à cet horizon que nous devons nous placer pour définir notre politique énergétique -, il est possible, même si cela peut en faire sourire certains, qui souriront moins tout à l'heure, d'adopter une stratégie énergétique sans pétrole et sans nucléaire.

Troisième point, une stratégie alternative se fonde essentiellement sur quatre axes, qui ne sont pas ceux retenus par le Gouvernement. Le premier est la sobriété énergétique. Le deuxième est l'efficacité énergétique. Le troisième est le développement des énergies renouvelables. Le quatrième est une réorientation forte et rapide dans le domaine des transports.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Comme l'a dit M. Cochet, cet amendement est le premier d'une série d'amendements qui définissent une stratégie tout à fait différente de celle du Gouvernement. C'est pour cette raison que la commission les a tous repoussés.

Lorsque des sous-amendements se présenteront, je répondrai de manière plus argumentée.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis. Il est bien vrai que, depuis plus d'un siècle, les collectivités locales participent, naturellement, aux côtés d'EDF, à une desserte rationnelle sur tout le territoire. Il convient de préserver cet acquis. Mais l'amendement de M. Cochet est satisfait par l'amendement n° 9 de la commission, qui sera examiné ultérieurement. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 609.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 609.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 590.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Cet amendement constitue la première proposition substantielle visant à définir une stratégie énergétique alternative pour notre pays.

L'énergie réclame une stratégie spécifique, qui doit d'abord se fonder sur l'examen des contraintes, lesquelles sont très variables selon les sources d'énergie. Certaines sont très contraignantes, d'autres le sont moins - je pense en particulier à celles qui répondent aux critères d'efficacité et de sobriété, ainsi qu'aux énergies renouvelables. Créant moins de contraintes, elles libèrent notre société dans tous les domaines.

Hier, lors de sa présentation du texte, M. le ministre d'État Sarkozy s'est placé sur le plan du long terme, mais en regardant en arrière, et il a eu raison de le faire. Il a dit qu'il y a trente ans, ses prédécesseurs - et notamment le Gouvernement Messmer, en 1974 - avaient pris des décisions courageuses pour engager la France dans un immense programme électronucléaire. C'est là quelque chose que je conteste vigoureusement.

En parlant de trente ans, un ancien Président de la République fête aujourd'hui même une sorte de trentième anniversaire, ce qui est l'occasion de nous rappeler l'élection présidentielle qui s'est tenue alors.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il y a aussi eu un choc pétrolier !

M. Yves Cochet. Justement, j'allais en parler : M. Sarkozy disait hier que pour répondre au choc pétrolier de 1973-1974, il fallait s'engager dans le nucléaire. Comme si une forme d'énergie était substituable à une autre. Ce n'est pas le cas ! Par exemple, avec du pétrole, vous pouvez faire du bitume pour les routes, alors que je vois mal comment vous pouvez faire un revêtement routier avec l'énergie nucléaire. C'est un exemple parmi cent autres possibles.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous ai connu meilleur !

M. Yves Cochet. Mais il faut penser à tout, monsieur le ministre.

Je reviens, pour vous rappeler de bons souvenirs, à la campagne présidentielle d'il y a trente ans, à laquelle je participais aux côtés de René Dumont. Son score ne lui a pas permis d'être présent au second tour, mais il avait publié un document de campagne, comme l'avaient sans doute fait M. Giscard d'Estaing, M. Mitterrand ou d'autres. Or, ce document montre que nous étions déjà lucides à l'époque sur les problèmes qui appellent aujourd'hui une réponse urgente. Dans la préface de ce livre, publié aux éditions Jean-Jacques Pauvert, un livre qui, soit dit en passant, était sobrement intitulé L'écologie ou la mort, ce qui montre que les termes du débat étaient déjà posés,...

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour ce qui est de René Dumont, la question ne se pose plus !

M. Yves Cochet. Non, mais ne rigolez pas trop, parce que vous allez voir que nous sommes aujourd'hui dans la situation qui était annoncée il y a trente ans par René Dumont, dont vous mettiez en doute le diagnostic à l'époque.

Je lis ce qu'il écrivait à la page 7 de son livre : « Par épuisement des ressources minérales et pétrolières, par la dégradation poussée des sols - érosion, lessivage, latéritisation -, par la pollution devenue insoutenable de l'air et des eaux, des rivières et des littoraux marins, enfin, par une altération des climats, due notamment à l'accumulation du gaz carbonique ou l'attaque de la précieuse couche d'ozone,... ». C'était en 1974, quand nous parlions du changement climatique et de la couche d'ozone. Certains, y compris dans la majorité, n'ont découvert cela que l'an dernier, au moment de la canicule. En gros, nous avions trente ans d'avance ! Et je pense qu'aujourd'hui encore nous avons de l'avance sur vous, parce que nous n'allons sans doute pas être d'accord. Vous ne nous avez pas écoutés il y a trente ans en vous engageant dans la voie nucléaire, qui est une impasse, comme j'essaierai de le démontrer en défendant les amendements suivants. Écoutez-nous aujourd'hui plutôt que de vous engager à nouveau dans une relance du nucléaire, qui sera elle aussi une impasse. Cette stratégie - et donc ce projet de loi - ne permettra pas d'affronter les graves défis énergétiques auxquels nous serons très bientôt confrontés, monsieur le ministre.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable, pour une raison évidente. Depuis trente ans, M. Cochet dit que le choix nucléaire est une impasse. Les trente années qui viennent de s'écouler montrent plutôt le contraire : par rapport au pétrole, avoir fait le choix du nucléaire donne à la France un vrai avantage. M. Cochet nous dit qu'il faut simplement attendre trente ans pour s'apercevoir que cette voie est une impasse. Dans trente ans, nous aurons donc attendu soixante ans au total, monsieur Cochet. Vous et moi en reparlerons à ce moment-là, je l'espère (Sourires),...

M. Yves Cochet. Je l'espère aussi !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...mais enfin, jusqu'à maintenant, les choses se passent assez bien, malgré vos craintes apocalyptiques.

M. Yves Cochet. Holà ! Attention aux mots que vous employez, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Quand même, monsieur Cochet, vous agitez la peur du nucléaire.

M. Yves Cochet. Il y a des risques !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais il y a des risques en toutes choses. La vie elle-même est un risque, elle se termine par la mort ! L'histoire de l'humanité, c'est l'histoire de risques surmontés en permanence. C'est la grandeur de l'homme d'avoir affronté des risques et de les avoir surmontés. C'est vrai qu'il y a un risque nucléaire, mais il n'est pas plus important que les autres. Le Gouvernement ne peut pas accepter un amendement qui place l'effet de serre et le risque nucléaire sur le même plan, alors que c'est ce que vous appelez le risque nucléaire, et que j'appelle, moi, la solution nucléaire, qui permet de lutter contre l'effet de serre. Je suis donc philosophiquement en désaccord avec votre amendement.

M. le président. Dans trente ans, certains d'entre nous seront peut-être au Sénat pour discuter de ce problème. (Sourires.)

M. François-Michel Gonnot. Nous y serons tous !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 590.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 591.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Je vois que vous êtes candidat à d'autres chambres que celle-ci, monsieur le président, mais enfin on verra. (Sourires.)

Je ne vais pas utiliser l'ensemble de mon temps de parole sur chacun de mes amendements, même si c'est le droit de base de tout parlementaire. Mais une bonne vingtaine d'entre eux me semblent suffisamment importants pour que je les défende de manière suffisamment argumentée afin que nos concitoyens sachent qu'il existe une stratégie énergétique alternative pour la France.

J'en viens, donc, à cet amendement n° 591, qui aborde la question de la démocratie. Étant donné la crise énergétique, mais étant donné aussi la crise sanitaire - car il y a aujourd'hui, on l'a vu, des rapports extrêmement forts entre l'énergie et la santé -, étant donné les pollutions, car certaines énergies sont plus polluantes que d'autres, comme j'espère que M. le ministre en conviendra, je crois qu'il faut appeler à une mobilisation de notre société. Cela doit se faire, bien sûr, par l'information, la communication, la pédagogie, mais aussi par la responsabilisation de tous les acteurs.

Cela signifie que le débat énergétique doit interroger tout le monde, à commencer bien sûr par l'État, qui doit montrer l'exemple, ainsi que toutes les autorités publiques. Mais les entreprises sont aussi concernées, ainsi que les syndicats, les associations et les citoyens. Chacun doit se sentir responsabilisé dans ces choix énergétiques, qui, je l'espère, ne seront pas ceux que propose le Gouvernement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. François Brottes. Je voudrais intervenir, monsieur le président.

M. le président. Sans doute demandez-vous à intervenir, monsieur Brottes, dans le but de préciser que le Conseil d'État rencontrera des difficultés pour définir le contenu du décret sur l'adhésion participative ?

M. François Brottes. Je ne veux pas vous empêcher de vous exprimer, monsieur le président. Vous avez aussi le droit de participer au débat ! Ce n'est toutefois pas exactement ce que je voulais dire.

Le Gouvernement et la commission ont tort de refuser la proposition de M. Cochet, car on ne mettra pas en œuvre de façon vigoureuse et efficace une loi d'orientation sur l'énergie sans une forte adhésion de la population. Cela relève de la démocratie participative moderne qui doit veiller à ce que cet enjeu soit compris et porté par tous. Donc, au-delà des vœux pieux que l'on peut exprimer, il convient d'être plus fort et plus normatif. La proposition formulée par notre collègue Cochet devrait donc rencontrer l'adhésion de tous.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 591.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 682.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Cet amendement tend à transposer en droit interne français la directive européenne qui définit les différentes sources d'énergie. Pour la clarté du débat, il convient, au vu de cette directive européenne, de le préciser dans notre projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Lors de l'examen du premier amendement, j'ai précisé que la commission serait défavorable à la série d'amendements proposant une stratégie énergétique alternative. Pour autant, des éléments peuvent s'avérer intéressants...

M. André Gerin. Bien sûr !

M. Serge Poignant, rapporteur. ...en particulier celui-ci. L'amendement n° 28 comprend un certain nombre d'attendus qui satisferont M. Cochet. Nous avons suggéré à M. Cochet de reprendre ces points à l'article 1er. Je considère donc que son amendement n° 682 est satisfait. La commission y est, en conséquence, défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que le rapporteur. La demande est satisfaite par l'amendement n° 28 de la commission, dont la rédaction est en conformité avec la directive européenne, ce qui n'est pas négligeable.

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. En effet, monsieur le rapporteur, je retirerai un certain nombre des amendements qui figurent encore sur la feuille jaune de séance. Je vous le signalerai lorsqu'ils seront appelés en discussion. Soit ils étaient des amendements de repli puisque je savais que vous n'accepteriez pas ma stratégie alternative, soit ils deviendront des sous-amendements à vos amendements déposés à l'article 1er.

Je retire toutefois l'amendement n° 682.

M. le président. L'amendement n° 682 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 593.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir

M. Yves Cochet. Cet amendement précise la valeur que j'accorde aux énergies renouvelables dont je considère qu'elles sont à faible contrainte. Elles donnent ainsi de la liberté à notre société, que ce soit à nos industriels, aux consommateurs ou aux opérateurs moins contraints par les énergies renouvelables que par les hydrocarbures ou le nucléaire. Il faut donc d'autant plus développer en priorité les énergies renouvelables que les énergies à forte contrainte sont polluantes, comme on le constate à la lecture de certains rapports médicaux. Le prix de ces énergies n'est pas sincère car il n'intègre pas le prix des externalités - les impacts sanitaires ou économiques - et le principe « pollueur-payeur » n'est pas appliqué aux autres énergies. Je pense, bien sûr, aux hydrocarbures et au nucléaire, ce que je détaillerai de façon plus approfondie à l'occasion d'autres amendements.

Il convient donc de préciser que les énergies renouvelables seront totalement prioritaires face aux énergies à forte contrainte dont il faudra sortir en une trentaine d'années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 593.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 595.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. J'ai proposé quatre axes. Je viens d'évoquer brièvement l'énergie renouvelable dont on reparlera tout au long de ce texte. J'en arrive maintenant au secteur des transports.

Le constat est partagé par nombre de nos collègues, voire par presque tout le monde : le secteur des transports en France, en Europe et dans le monde est à l'origine de la pollution et donc responsable de nombreux problèmes de santé publique. Vous avez eu connaissance de l'appel de Paris. Peut-être avez-vous lu le livre du professeur Dominique Belpomme Ces maladies créées par l'homme aux termes duquel le cancer tue 150 000 personnes par an en France. On connaît l'origine de 30 000 d'entre elles, à savoir le tabagisme. Les 120 000 autres tiennent à l'alimentation et à la pollution atmosphérique due à l'accroissement des transports aériens et routiers : voiture individuelle ou transport par poids lourds. Cela engendre un gaspillage de l'énergie et des problèmes de santé publique tout à fait graves.

Je citerai à ce sujet deux articles de presse, l'un paru dans Le Monde, l'autre dans Le Parisien. Je constate que je ne suis pas le seul à m'inquiéter de l'explosion du développement des transports. Les gens d'Air France s'interrogent sur l'accroissement de la demande des transports aériens et sur la hausse du cours des carburants. En effet, contrairement au secteur terrestre, qui supporte la TIPP - appelée en 2000 « stabilisateur Migaud » ou TIPP flottante - il n'existe pas de fiscalité sur le kérosène. La hausse des cours du brut est donc directement répercutée sur le prix du kérosène. A l'époque, la hausse du brut entraînait la baisse de la TIPP. Ce jeu politique tendait à rassurer les consommateurs.

Le kérosène représente plus de 10 % du chiffre d'affaires d'Air France. Les prix du pétrole ont doublé en dix-huit mois, ce qui induit des coûts de production supplémentaires. Selon l'article paru dans Le Parisien, ce matin, Air France aurait augmenté de 3 euros tous ses billets, à la suite de l'augmentation du coût des carburants. Il y a, là, quelque chose de saisissant. Il n'y a aucun risque que cela s'oriente à la baisse. Il fallait le prévoir. Cet article du Parisien intitulé : « Pétrole : les routiers veulent des mesures d'urgence » traite également des transporteurs routiers. Sous le gouvernement de Lionel Jospin, il y avait déjà eu, en septembre 2000, non un petit choc pétrolier, mais une hausse des carburants. Or le problème posé par les transporteurs routiers est très sérieux. En effet, tout est transporté que ce soit dans cette maison ou dans la vôtre, monsieur le ministre, par camion. C'est le mode de transport final. Ainsi, de par l'omniprésence des camions, les transporteurs tiennent la France. Supposons que les prix du pétrole continuent à augmenter ; que se passera-t-il ? Le gazole représente, selon le Comité national routier, en moyenne 21 % du coût d'exploitation d'un poids lourd. C'est ce que précise un article paru dans le journal Le Monde.

Comment le Gouvernement entend-il agir ?

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 595.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 596 est retiré, n'est-ce pas, monsieur Cochet ?

M. Yves Cochet. En effet, monsieur le président.

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 597.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Il est toujours difficile pour un orateur de considérer que, parmi les amendements présentés, certains sont plus importants que d'autres.

Cet amendement surprendra peut-être certains sur ces bancs, mais il est fondamental pour l'actuel gouvernement. Il n'est pas d'ordre budgétaire ou financier. Il pose le problème de la lucidité qui doit être la nôtre sur le système énergétique actuel et demande au Gouvernement et au Président de la République d'être courageux puisqu'il implique, de leur part, une action internationale.

Je ne m'appelle pas Nostradamus et je ne sais s'il faut compter en mois ou en années. Nous sommes toutefois à la veille d'une crise pétrolière qui ne ressemblera pas à celle de 1973 et de 1979, qui étaient des crises politiques entre l'OPEP et les États-Unis qui avaient, à tour de rôle, la prédominance sur les prix du pétrole. Là, ce sera une crise structurelle pour toujours, si j'ose dire, et cela pour deux raisons. La première est d'ordre géologique. Lorsque l'on a extrait du sous-sol plus de la moitié de la ressource qu'il contenait au départ, il y a déplétion. Il s'agit, là, du pétrole. Donc, on aura beau pomper comme le faisaient les Shadoks, il en viendra moins. Vous aurez beau ouvrir le robinet de plus en plus, en vous aidant des techniques les plus modernes telles que les forages horizontaux ou l'injection de gaz, cela ne changera rien !

La seconde est économique, la demande devenant structurellement supérieure à l'offre mondiale.

Pour ces deux raisons, les prix du pétrole ne risqueront pas de baisser dans les années à venir : au contraire, ils grimperont. Donc le pétrole à 10, 15 ou 20 dollars le baril, cela ne reviendra plus. Pour dire les choses de manière plus sociétale : la fête est finie pour tout le monde ! C'est un phénomène extrêmement grave qui changera notre manière de vivre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Pas pour tout le monde !

M. Yves Cochet. J'incite le Président de la République qui a parfois, à l'extérieur, des paroles fortes, à proposer aux Nations unies d'adopter un accord international qui garantirait aux pays pauvres la possibilité d'importer le pétrole qui leur est nécessaire pour survivre, et ce, malgré les prix très élevés, un accord qui interdirait de tirer profit de la pénurie pétrolière structurelle - famine pétrolière structurelle - et qui inciterait aux économies d'énergie et au développement des énergies renouvelables.

Pour atteindre ces objectifs, l'accord universel proposerait les mesures suivantes : chaque État réglementera les importations et les exportations de pétrole, aucun pays exportateur de pétrole ne produira plus de pétrole que ne lui permet son taux de déplétion annuel scientifiquement calculé, chaque État réduira ses importations de pétrole à un taux de déplétion mondial convenu.

M. Chirac et le Gouvernement se grandiraient en soumettant dès 2004 cette proposition à l'ONU. Elle permettrait, en effet, de réduire les conséquences de ce choc inéluctable.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable. Au surplus, cet amendement est inconstitutionnel puisqu'il constitue une injonction au Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 597.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 598.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Permettez-moi de revenir un instant sur l'amendement précédent. Je regrette que M. le ministre ait donné une réponse aussi formelle. Il s'agissait d'une simple proposition et non pas d'une injonction. Quoi qu'il en soit, l'histoire tranchera, et nous pourrons faire un bilan dans quelques années - pas dans trente ans.

M. le ministre délégué à l'industrie. Monsieur Cochet, permettez-vous que je vous interrompe ?

M. Yves Cochet. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis assez d'accord avec votre analyse de la crise pétrolière, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet. Ah !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est une crise structurelle car il arrivera un moment où l'on aura épuisé les réserves. On considérait, naguère, que la ressource était illimitée ; maintenant, on en conçoit les limites. Mais ce n'est pas la fin de la fête pour tout le monde ; les producteurs, eux, sont à la fête.

M. Yves Cochet. Total, Shell et BP vont gagner beaucoup d'argent, en effet, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Et puis, il est vrai que la demande mondiale augmente, notamment sous l'effet de la croissance chinoise. Raison de plus, selon moi, pour faire le choix du nucléaire.

M. Franck Gilard. Et de l'hydrogène !

M. Yves Cochet. Mais je vous répète que l'on ne peut pas faire avec le nucléaire tout ce que l'on fait avec le pétrole ! Vous oubliez la pétrochimie ! Regardez autour de vous. Nous sommes tous habillés - fort heureusement (Rires) - et la moitié de nos vêtements sont dérivés du pétrole ! Pardonnez-moi, mais les fibres synthétiques ne sont pas produites avec de l'énergie nucléaire !

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous serons toujours obligés d'acheter du pétrole, vous avez raison. Toutefois, si nous pouvons produire toute notre énergie autrement et cantonner nos achats aux besoins de l'habillement et du bitume, nous en consommerons beaucoup moins !

M. Yves Cochet. Certainement, mais il sera plus cher.

M. le président. Nous en étions à l'amendement n° 598, monsieur Cochet...

M. Yves Cochet. Ce dialogue avec M. le ministre était fort intéressant. Aussi, monsieur le président, je vous saurais gré de remettre le compteur de mon temps de parole à zéro.

L'amendement n° 598 est relatif au nucléaire. Je propose tout simplement, en une formule juridique extrêmement sobre, que la France s'engage vers la sortie du nucléaire et ne programme aucune construction de nouveau réacteur, notamment d'EPR.

Je serai très clair, monsieur le ministre. Votre prédécesseur, Mme Fontaine, a eu des contacts intellectuels et politiques avec l'ensemble des ingénieurs, en particulier ceux de l'élite, du plus beau fleuron français, le corps des mines, qui sont très présents dans le secteur énergétique. Monsieur le ministre, vous n'ignorez pas, vous qui présidez le conseil général des mines...

M. le ministre délégué à l'industrie. J'en suis le président à titre précaire !

M. Yves Cochet. Certes. Mais en ce bas monde, voyez-vous, tout est précaire.

Vous n'ignorez pas que le vice-président du conseil général des mines, M. Greif, a écrit à Mme Fontaine, le 25 novembre 2003, une lettre très intéressante. M. le Premier ministre Raffarin, je crois, veut diviser par quatre, à l'horizon 2050, nos émissions de gaz à effet de serre. Le vice-président du conseil général des mines a estimé nécessaire de déterminer comment cela serait possible techniquement, à l'horizon 2050, ou du moins 2030, dans la perspective de la loi d'orientation. Il a donc demandé à M. l'ingénieur général Prévot, que vous connaissez peut-être, un rapport sur le sujet. Je ne vous lirai qu'un paragraphe de la lettre de M. Greif, qui résume le rapport Prévot : « Même en prévoyant une forte maîtrise de la consommation d'énergie, compte tenu des capacités maximum de production et d'utilisation des énergies renouvelables, il apparaît qu'un objectif de forte diminution des émissions de gaz à effet de serre obligerait à augmenter sensiblement la capacité de production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire pour diviser les émissions par trois à l'horizon 2030. Pour les diviser par quatre à l'horizon 2050, il faudrait donc engager sans tarder la construction de deux groupes EPR de 1,5 gigawatt par an. »

Comme dix ans sont nécessaires pour faire aboutir les études, choisir des sites et poser leur première pierre, cela signifie que, en gros, de 2014 à 2034, il faudra construire deux EPR par an. Tel est l'avis du vice-président du conseil général des mines. Vous ne voulez donc pas un EPR mais trente ou quarante !

M. Franck Gilard. Ce sera encore insuffisant !

M. Yves Cochet. Je vous demande de répondre au vice-président du conseil général des mines, organisme que vous présidez, monsieur le ministre.

M. François-Michel Gonnot. C'est incroyable ! C'est surréaliste !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Je ne souhaite pas contester les options défendues avec conviction et enthousiasme par notre collègue Cochet mais apporter un autre éclairage sur son projet de sortie du nucléaire.

D'abord, la plupart des sites de production nucléaire, pour ne pas dire tous, sont certifiés ISO 14001.

M. Yves Cochet. Allons !

M. Claude Gatignol. C'est un fait et ce n'est pas rien. On peut le contester - on peut tout contester - mais il s'agit de la certification la plus haute à laquelle un site industriel puisse prétendre en matière de respect de l'environnement.

Ensuite, ces sites ne fonctionnent pas n'importe comment : ils sont soumis à des contrôles, en particulier celui de l'autorité de sûreté nucléaire, déconcentrée au niveau régional, au sein des DRIRE. Chacun connaît la rigueur à toute épreuve de ces ingénieurs qui contrôlent le bon fonctionnement des sites, par des visites régulières ou impromptues, à tel point qu'on les qualifie de « gendarmes du nucléaire ». Leur faire un tel procès d'intention, c'est aussi contester un peu légèrement la valeur scientifique de toutes les recherches conduites dans ce domaine.

Je tiens à ajouter que la démocratie n'est pas absente du contrôle du fonctionnement de ces sites et que, avec les commissions locales d'information et de surveillance et l'Agence internationale de l'énergie atomique, nous ne sommes pas privés de rapports d'évaluation.

Sur le plan économique, grâce au parc nucléaire français - français, j'insiste -, nous avons le coût du kilowatt le plus bas de tout l'espace européen. Ce n'est pas négligeable alors que la compétition économique est forte et que, M. Cochet l'a souligné, le prix du baril de pétrole augmente. Celui-ci est à 42 dollars et, je le répète, on n'en est plus à se demander s'il va encore monter, mais plutôt quand il atteindra les 50 dollars.

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Claude Gatignol. Il faut s'y préparer mais cela n'empêche que le nucléaire ne sait produire - à ce jour, en tout cas - que de l'énergie électrique.

Cependant, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans tomber dans un débat technique - car nous avons parmi nous un spécialiste éminent qui peut s'appuyer sur tous les travaux de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, à savoir Christian Bataille -, n'oublions pas que les cinq ou six projets de réacteurs à haute température de quatrième génération ouvrent des perspectives de production d'hydrogène dans de très bonnes conditions de sécurité et de coût, ce qui pourra contribuer au développement de véhicules propres.

Enfin, outre l'indépendance énergétique - je préfère d'ailleurs parler d'autonomie -, la filière nucléaire française peut être citée en exemple, comme je l'ai déjà dit, pour son cycle de combustibles fermé : grâce à l'isolement complet, au retraitement et à la mise en containers de la partie déchets, 97 % du combustible consommé par nos réacteurs peut être réutilisé.

Sortir du nucléaire, monsieur Cochet, ne saurait être le projet fondateur d'une nouvelle politique énergétique de la France.

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour une courte intervention.

M. Yves Cochet. Je voudrais répondre à M. Gatignol en quelques mots, sans revenir sur les normes ISO 14000, car ce n'est pas le débat, soyons sérieux. Je veux simplement donner deux informations à mes collègues et à M. le ministre.

Premièrement, lorsque nous nous serons engagés pour l'EPR, selon la volonté de la majorité et du Gouvernement, les ingénieurs, notamment ceux du corps des mines, qui connaissent bien le sujet car ils y travaillent depuis cinquante ans, prévoient que nous construirons non pas un mais au moins trente réacteurs !

M. Jean Dionis du Séjour. Évidemment !

M. Yves Cochet. Prenons-en conscience : une fois la loi votée, nous serons partis pour trente EPR, au rythme de deux par an à compter de 2012 ou 2014 !

M. Jean-Pierre Gorges. Et alors ?

M. Yves Cochet. C'est la stratégie que vous avez choisie pour parvenir à diviser par trois les gaz à effet de serre.

M. Patrick Ollier, président de la commission. Laissons M. Cochet à ses fantasmes !

M. Yves Cochet. Deuxièmement, cinquante-huit réacteurs sont actuellement en fonctionnement.

M. Christian Bataille. Ils ont été construits en trente ans !

M. Yves Cochet. Pour remplacer ce parc électronucléaire, il faudra trente-cinq réacteurs EPR car, avec une capacité d'1,5 gigawatt, ils sont un peu plus puissants. Sur le papier, leur durée de vie est de soixante ans ! Songez donc que les premiers ne seront fermés qu'en 2075 ou 2080 !

M. Franck Gilard. De toute façon, nous ne serons plus là !

M. Yves Cochet. Or la quatrième génération ne passerait au stade industriel qu'à partir de 2045 ou 2050. Par conséquent, tout cela n'est que du baratin ! Les autres pays vont peut-être développer des réacteurs de quatrième génération, mais pas la France, qui sera engagée pour soixante ans avec les EPR.

Car tout cela coûte tout de même de l'argent. Trente-cinq EPR, cela représente quelques centaines de milliards d'euros, tout comme le parc électronucléaire actuel, qui a coûté environ 300 milliards d'euros. Ne croyez pas que l'on pourrait construire quelques EPR en transition puis tout abandonner au profit de réacteurs de quatrième génération ; d'un point de vue budgétaire, c'est un rêve impossible. Nous aurons donc des EPR jusqu'à la fin du siècle - pour ma part, étant évidemment contre, j'espère encore que vous ferez volte-face - et la quatrième génération aura été loupée.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Cochet.

M. Yves Cochet. Je termine, monsieur le président.

Pour bien faire, vous devriez dire aux professionnels du CEA, d'AREVA et de Framatome que l'EPR n'est pas un bon engin mais un vieux truc, plus ou moins modernisé, qui date de quinze ou vingt ans, et que vous préférez passer à la quatrième génération. Nous sommes bien les champions du monde de l'EPR. Alors, puisqu'il faudra renouveler le parc vers 2020 ou 2025, pourquoi ne parviendrions-nous pas, en vingt ans - tout comme Kennedy a décidé que des Américains iraient sur la lune -, à passer à la quatrième génération industrielle ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean Dionis du Séjour. Vous êtes pour la quatrième génération ? C'est un scoop !

M. Yves Cochet. Discutez-en avec les ingénieurs, ils le disent eux-mêmes ! Alors, abandonnez l'EPR et, évidemment, abandonnez le nucléaire !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 598.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 683.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Si je souhaite, par cet amendement, écrire dans le présent projet que « la production d'électricité par sources renouvelables est au premier rang des priorités de la nation », c'est qu'il faut soutenir ces énergies renouvelables qui sont à peine naissantes.

Je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre : je ne crois pas que la majorité plurielle à laquelle nous appartenions, entre 1997 et 2002, ait eu un projet industriel pour faire gagner la France en matière d'énergies renouvelables, peut-être parce que le contexte historique ou politique ne s'y prêtait pas.

M. François-Michel Gonnot. Bel aveu !

M. Yves Cochet. Nous avons voté la loi sur l'électricité avec les arrêtés tarifaires, qui ont été le véritable coup de pouce que vous n'aviez pas donné auparavant. Néanmoins était-ce un vrai projet industriel ?

M. François-Michel Gonnot. Cela ne faisait que démarrer !

M. Yves Cochet. En effet !

Maintenant, il faut que ce soit un véritable projet industriel, et pour cela, il faut un soutien financier puissant. Plus on utilisera d'énergies renouvelables, moins on utilisera d'énergies fossiles et de nucléaire. Vous qui êtes à Bercy, monsieur le ministre, vous savez bien qu'il faudra choisir.

On parle de « bouquet énergétique » ou de « panier d'énergies » comme si on pouvait faire un peu de tout, mais ce ne sera pas possible !

Donc si l'on prétend avoir un projet industriel pour les énergies renouvelables, il faut diminuer les investissements dans les autres domaines, notamment le pétrole et le nucléaire, y compris pour la quatrième génération.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable également.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 683.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 954.

La parole est à M. André Gerin, pour le soutenir.

M. André Gerin. Nous souhaitons rappeler que « la maîtrise publique de la politique énergétique nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales ». Pour nous, c'est même un préalable à la définition de la politique énergétique, une politique à la fois ambitieuse et adaptée aux exigences de notre temps.

Il me semble utile, pour défendre notre amendement, de faire le point sur les choix qui ont été faits depuis la Libération.

Pourquoi l'électricité et le gaz ont-ils été nationalisés via la création de deux EPIC, EDF et GDF ? Parce qu'ils sont indispensables à la vie quotidienne des citoyens. Or les grandes compagnies privées, qui assuraient la production, le transport et la distribution de l'électricité et du gaz, n'avaient aucune obligation en matière de desserte, de tarifs et de services, lesquels étaient de ce fait disparates sur l'ensemble du territoire.

L'électricité et le gaz, comme les autres énergies, sont des éléments de service public, des produits de valeur universelle.

C'est pourquoi c'est bel et bien à la communauté politique et non au marché de fixer les objectifs et les moyens appropriés pour les atteindre, ou au moins pour s'en approcher.

EDF et GDF sont les symboles de l'égalité de traitement des citoyens et d'un aménagement harmonieux du territoire, ainsi que de l'adaptation des services de proximité. À l'heure actuelle, quelle que soit la localisation de l'usager sur le territoire, le prix du kilowattheure est le même pour tous.

Cette situation est menacée puisqu'il est question de faire évoluer ces deux établissements pour aller vers de grandes compagnies capitalistiques privées.

On voit mal comment la logique du marché pourrait donner des résultats aussi satisfaisants que ceux que l'on obtient aujourd'hui et on peut avoir une idée des effets pervers d'une libéralisation à outrance, puisqu'on l'a connue en matière de télécommunications.

Des hommes comme le général de Gaulle ou Marcel Paul...

M. Franck Gilard. Ce n'est pas la même chose !

M. André Gerin. ...avaient su faire front pour ouvrir une voie autrement prometteuse.

Pour le gouvernement d'aujourd'hui, c'est une autre affaire : il va opérer une rupture historique et, avec sa vision à court terme, provoquer une « fracture énergétique ».

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. La commission a émis un avis favorable, comme sur les amendements de M. Bataille sur le service public, sachant - et M. Gerin ne l'ignore pas - que la stratégie de soutien au développement des entreprises publiques ne se conçoit pas de la même manière sur tous les bancs.

M. André Gerin. Bien sûr !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Je répète que le Gouvernement ne souhaite pas privatiser EDF. Mais l'amendement soulève une difficulté. « La maîtrise publique de la politique énergétique nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales » : allons-nous devoir nationaliser Total et quelques autres entreprises du secteur de l'énergie ?

M. André Gerin. Pourquoi pas ? C'est une bonne idée !

M. le ministre délégué à l'industrie. Si tel est le but de l'amendement, je suis obligé d'être contre, monsieur Gerin !

M. André Gerin. On peut donc craindre une privatisation larvée !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 954.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 603.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Cet amendement prolonge le précédent puisqu'il tend à affirmer le droit fondamental d'accès non pas à l'énergie mais « aux services énergétiques », expression plus moderne et plus complète, et donc à assurer la péréquation territoriale et sociale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 603.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 602.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Cet amendement est retiré, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 602 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 656.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. On sait que, depuis que le gouvernement de Lionel Jospin a eu le courage de faire adopter la loi du 10 février 2000 sur l'électricité avec des arrêtés tarifaires, des producteurs, des investisseurs et des opérateurs ont voulu saisir la possibilité qui leur était offerte pour faire, qui du biogaz, qui de la cogénération, qui des éoliennes, afin de produire de l'électricité. Mais ils se sont heurtés à l'inertie de l'administration française.

Il faut surmonter cette inertie pour donner confiance aux investisseurs, voire aux banquiers, ou aux services publics EDF et GDF, ou encore aux producteurs locaux, autorités publiques ou sociétés d'économie mixte, afin de mettre en œuvre les nouvelles dispositions, à savoir les arrêtés tarifaires, sans obstruction majeure, comme c'est trop souvent le cas à l'heure actuelle.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Défavorable également.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 656.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 657.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Lorsque l'on met en œuvre une loi d'orientation pour trente, voire cinquante ans, il faut prévoir des bilans, notamment au bout de la première année, pour voir comment elle est appliquée. En l'occurrence, je souhaite qu'un rapport soit publié dans ce délai sur la production d'électricité par sources renouvelables.

Je vous rappelle que, dans ce domaine, nous avons des engagements internationaux : le gouvernement de Lionel Jospin s'était engagé, au vu de la directive Électricité renouvelable, à faire passer, d'ici à 2010, la part de celle-ci de 15 ou 16 % à 21 %. Il n'y a donc pas de temps à perdre !

Dès l'an prochain, il faut donc que nous disposions d'un état des lieux.

Et puisque le présent projet de loi prétend aussi mobiliser les acteurs économiques pour remplir ces engagements, il faudrait que nous puissions aussi faire le bilan de cette mobilisation tant des acteurs économiques que des donneurs d'ordre, dont les collectivités locales.

Où en est la sensibilisation de l'opinion publique sur l'utilisation de ces énergies renouvelables ? Voilà encore une question qu'il faudra nous poser à cette occasion.

Enfin, ce rapport pourra commencer à servir de référence aux instances administratives afin que ces énergies soient bien accueillies dans notre pays. Je pense que ce sera utile, notamment à l'ADEME, qui est l'un des opérateurs administratifs chargés de les promouvoir.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Avis également défavorable.

M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier. Je ne comprends pas que, avec les intentions qu'il affiche, le Gouvernement rejette les deux amendements qui viennent d'être présentés. En effet, ils ne font que prévoir que l'on vérifie l'adéquation entre les objectifs et les moyens consacrés aux énergies renouvelables et, pour ce faire, que l'on organise un débat chaque année.

Si vous ne soutenez pas cet amendement, on peut douter, monsieur le ministre, de votre véritable volonté d'encourager le développement des énergies renouvelables !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne voterons pas cet amendement car nous trouvons - pour une fois ! - M. Cochet trop timide, ou trop modéré,...

M. François Brottes. Sous-amendez-le !

M. Jean Dionis du Séjour. ...presque trop centriste ! (Sourires.)

Néanmoins, il soulève un vrai problème : il ne suffit pas de faire voter une loi d'orientation énergétique, encore faut-il la décliner en termes d'objectifs annuels.

Cela dit, la présentation d'un rapport au bout d'un an n'est pas la solution.

Pour notre part, nous ferons une proposition plus forte, en demandant une loi de politique énergétique annuelle. Nous lancerons un débat sur ce point.

Aussi, et même si nous comprenons bien l'intention - créer une véritable gouvernance énergétique -, que nous approuvons, nous estimons que ce n'est pas le bon moyen.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 657.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 953.

Est-il défendu ?

M. François Brottes. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable car il sera ultérieurement proposé de dresser des bilans. Ainsi, je présenterai un amendement n° 67 après l'article 13, demandant qu'un « jaune » budgétaire tire, chaque année, le bilan de la politique énergétique.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Même avis, d'autant que, lors de la négociation de la directive, la France a obtenu que soit inscrite, à l'article 27 de la directive Électricité, la réalisation d'un bilan au niveau européen. Il sera disponible avant la fin de 2006.

Par ailleurs, l'ouverture au marché se fera progressivement jusqu'en 2007.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. L'amendement de nos collègues Jambu et Gerin, repoussé par la commission et le Gouvernement, invitait à faire un bilan sur le processus d'ouverture à la concurrence. En effet, aucune étude d'impact n'a été demandée.

Le gouvernement Raffarin I, représenté à l'époque par Mme Fontaine, a souhaité que, dès 2007, l'ensemble des foyers soit concerné par l'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques. Or, nous tenions, dans le cadre du gouvernement précédent, à ce que seuls les industriels le soient. Aujourd'hui, sans même vous demander si une étude d'impact est nécessaire, vous êtes fiers d'avoir accéléré le processus.

Le rendez-vous proposé permettrait de mesurer les dégâts générés par l'ouverture à la concurrence, notamment pour les particuliers. Car, en matière de desserte du territoire et de services publics, nous avons la certitude, à gauche, que beaucoup de Français seront exclus du service public de l'énergie.

J'ajoute que le prétexte avancé par le ministre selon lequel le rendez-vous du 1er juillet nous impose une modification de statut est une entourloupe considérable. Disons-le aux Français, cela n'a aucun rapport ! EDF en l'état peut parfaitement assumer sa position sur le marché européen et la date du 1er juillet n'impose aucunement à la France de changer le statut d'EDF. C'est une donne que s'impose le gouvernement de M. Raffarin et, après tout, il en a le droit, mais, je le répète, cela n'a aucun rapport. Nous le redirons au cours du débat, mais parfois, cela fait du bien de réaffirmer des vérités qui, malheureusement, ne sont pas assez entendues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce n'est pas vrai ! Il n'est pas formellement écrit qu'EDF doive changer de statut (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Pierre Cohen. Qui le dit ?

M. le ministre délégué à l'industrie. ...mais il lui est fait obligation d'être à parité avec ses concurrents. Or un établissement public est adossé à l'Etat, il bénéficie du crédit de l'État et, par exemple, ne peut pas être mis en faillite. Cela constitue naturellement un atout considérable au regard de la concurrence. Or la directive nous fait obligation de mettre un terme à cet avantage discriminatoire.

M. Pierre Cohen. C'est une interprétation !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il n'est donc pas nécessaire d'écrire qu'il faut changer de statut. Il faut simplement supprimer les privilèges que confère ce statut et, pour ce faire, je ne vois pas d'autre solution qu'une modification de ce dernier.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le ministre, lors d'une séance de questions au Gouvernement, Christian Bataille a lu des extraits d'une lettre émanant d'un commissaire européen exprimant clairement qu'une telle modification n'était pas imposée. Alors, monsieur le ministre, soyez politiquement honnête !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je le suis, et vous n'avez pas besoin de me le conseiller !

M. François Brottes. Votre gouvernement a fait le choix de privatiser EDF...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est faux !

M. François Brottes. ...et il en a le droit. Assumez-le ! Pour notre part, nous contestons ce droit. Mais qu'il ne fasse pas porter le chapeau à l'Europe ! Quand on prend une décision politique, il convient d'être adulte, mature et de l'assumer complètement.

Nous ne sommes pas d'accord avec vos choix, mais ne faites pas croire aux Français et aux personnels d'EDF qu'ils résultent d'une obligation impérieuse venant d'ailleurs...

M. Pierre Cohen. Et qui n'est inscrite nulle part !

M. François Brottes. ...car ce n'est pas courageux.

M. le président. La parole est à M. Christian Bataille.

M. Christian Bataille. Pour éclairer le débat, je vais vous relire le courrier signé de Mario Monti, membre de la Commission européenne, adressé à M. Imbrecht, secrétaire général de la CGT-Énergie.

M. Mario Monti dit clairement qu'aux termes de l'article 295 du traité des Communautés européennes, la Commission ne peut imposer de régime de propriété particulier et que telle n'a pas été sa ligne de conduite dans l'affaire EDF. Il précise que le Gouvernement français aurait pu recourir à d'autres moyens que le changement de statut pour soumettre EDF à la législation sur le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises.

M. le ministre délégué à l'industrie. Il faut lire tout !

M. Christian Bataille. Effectivement, les Communautés européennes n'imposent rien au Gouvernement français et c'est ce dernier qui a choisi de changer le statut d'EDF.

M. François Brottes. Assumez, monsieur le ministre !

M. Christian Bataille. On ne peut charger la Communauté européenne de tous les maux.

M. François Brottes. Ce n'est pas honnête !

M. Christian Bataille. C'est rendre un bien mauvais service à la construction européenne que de présenter en termes négatifs les exigences de Bruxelles. Or c'est le choix politique qu'a fait le Gouvernement de la France. Vous en avez le droit, vous êtes élus, vous formez une majorité démocratiquement élue, mais il serait juste que ce gouvernement assume sa politique et ne se décharge pas sur Bruxelles.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Bien entendu, nous l'assumons. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Mais la Commission de Bruxelles nous a invités à mettre fin aux avantages illimités résultant du statut d'établissement public.

M. Monti, qui est plus versé en droit européen ou en droit italien qu'en droit français - on ne peut pas lui en tenir rigueur -, nous a suggéré, par exemple, de changer le statut juridique des établissements publics, parce que ces derniers ne peuvent pas être mis en faillite. Selon M. Monti, nous devons seulement modifier la loi de manière qu'un établissement public puisse être mis en faillite, ce que notre organisation administrative exclut.

Par conséquent, pour satisfaire à cette obligation, nous avons fait ce choix, que nous assumons et qui n'est nullement contradictoire avec notre volonté de faire d'EDF un champion européen qui pourra recourir aux marchés et faire des échanges de participations.

Cela étant, de quoi est née cette obligation ? Vous aussi, monsieur Brottes, vous avez à assumer une décision : le 15 mars 2002, n'est-ce pas M. Jospin qui a accepté l'ouverture du marché de l'énergie...

M. François Brottes. Pour les entreprises !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et tout ce qui s'ensuit ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. A Barcelone !

M. le ministre délégué à l'industrie. Oui, à Barcelone, le 15 mars 2002 !

M. Christian Bataille. Il n'était pas seul ! Il y avait aussi M. Chirac !

M. le ministre délégué à l'industrie. Certes, monsieur Bataille. Mais c'est bien M. Jospin qui a accepté l'ouverture à la concurrence obligeant EDF à se conformer aux règles de celle-ci. Elle ne peut donc plus bénéficier des privilèges résultant du statut de la fonction publique. Car si la Commission ne discute pas de ce dernier, elle discute des avantages qui y sont liés. Et pour les faire cesser, il faut bien modifier ce statut.

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. M. le ministre a sous-entendu que mon argumentation était malhonnête. Je voudrais lui démontrer qu'il n'en est rien.

Monsieur le ministre, vous êtes en train de vous livrer à une manœuvre pour tenter d'amadouer le personnel d'EDF. Vous venez de nous dire en effet que le statut de fonctionnaire n'est pas compatible avec les règles de la concurrence et les exigences européennes. Cela ne vous a pourtant pas empêché de garantir le statut de fonctionnaire aux agents de France Télécom, alors que cette entreprise n'est plus aujourd'hui à 50 % propriété de l'État. On mesure la fragilité d'un tel engagement et l'on devine aisément la façon dont vous rétablirez une situation plus « libérale » dans quelques mois par le biais d'un amendement.

Vous venez aussi de nous annoncer, monsieur le ministre, la privatisation de La Poste. Vous nous avez expliqué que vous étiez conduit à privatiser EDF parce que les règles de la concurrence doivent être les mêmes pour tous les opérateurs sur le marché.

L'ouverture du marché du courrier à la concurrence, qui est un autre sujet, j'en conviens, va de votre point de vue exiger la même chose. Par conséquent, dans les mois à venir, vous nous annoncerez sans doute que l'ensemble de nos entreprises publiques passera sous le contrôle du privé afin d'être soi-disant conforme aux exigences européennes. Mais en réalité, c'est la volonté politique de votre gouvernement. Assumez-la pleinement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Monsieur Brottes, je crois qu'il y a un malentendu. J'ai sans doute commis un lapsus : je voulais parler du statut d'établissement public, non du statut de la fonction publique, qui n'est nullement en cause. Naturellement, le personnel d'EDF peut conserver le statut de la fonction publique, qui ne pose aucun problème face à la concurrence. J'espère être clair.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 953.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 592.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Cet amendement est retiré, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 592 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 605.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Cet amendement est également retiré.

M. le président. L'amendement n° 605 est retiré.

Je suis saisi d'un amendement n° 606.

La parole est à M. Yves Cochet, pour le soutenir.

M. Yves Cochet. Cet amendement me permet de préciser ce que j'entends par « une autre stratégie énergétique pour notre pays ».

Les objectifs de sobriété, d'efficacité énergétique et d'installation d'énergies renouvelables doivent entrer dans nos habitudes et être pris en considération dans toutes nos procédures administratives, industrielles et financières. Il doit en être de même quand il s'agit du patrimoine de l'État, comme, par exemple, les bâtiments et les équipements publics.

J'interpelle directement le ministre : le patrimoine de l'État, ainsi que tous les services publics et les collectivités locales doivent avoir ces trois objectifs et donner l'exemple.

Dans d'autres amendements, que nous examinerons sans doute ce soir, monsieur le président, je résumerai cette stratégie en faisant appel aux trois premiers chiffres, hormis le zéro : on devra, dans les bâtiments publics, réduire chaque année de 1 % la consommation globale d'énergie, de 2 % la consommation d'énergie fossile et de 3 % l'émission de gaz à effet de serre, pour satisfaire à nos engagements internationaux. C'est ce que j'appelle la « stratégie 1-2-3 ».

L'État doit montrer l'exemple.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Serge Poignant, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Également défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Je ne comprends pas qu'une gouvernance, qu'elle soit de gauche ou de droite, représentant l'État et ses institutions publiques, puisse imaginer de soustraire ce dernier à ses propres orientations politiques ! Va-t-on, dans une commune, appliquer les dispositions de ce texte à telle école, parce qu'elle relève de la mairie, mais non à une antenne universitaire ou à une caserne, sous prétexte qu'elles dépendent de l'État ? Ce serait incroyable !

Pense-t-on conforter la citoyenneté et la crédibilité des politiques en faisant des textes qui ne s'appliquent pas à la plus haute instance, c'est-à-dire à l'État ?

Je ne prends pas souvent la parole, mais cette question me tient à cœur et j'avoue que je ne comprends pas. Il s'agit pourtant de la vertu politique même, quelle que soit notre appartenance.

J'ai joué au foot pendant quinze ans : si j'étais capitaine, c'est moi qui me « défonçais » le plus, ne serait-ce que pour pouvoir, le cas échéant, engueuler mes coéquipiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je suis en accord total avec M. Cochet sur cet amendement. Le meilleur moyen d'économiser l'énergie et de résister à l'augmentation de la demande est d'améliorer la sobriété et l'efficacité énergétiques. Et cela ne peut marcher que si nous appliquons ces objectifs aux procédures, bâtiments et équipements publics.

M. Sarkozy nous a présenté, hier soir, son objectif de parvenir, en 2050, à réduire des trois quarts nos émissions de gaz à effet de serre. Cela implique de fournir un gros effort.

On observe le même phénomène s'agissant du choix des logiciels libres par substitution à ceux proposés par les grands groupes américains, dont nous sommes dépendants : toute l'installation de l'Assemblée nationale, par exemple, fonctionne avec des produits Microsoft. De même, alors que l'on se donne pour objectif de réduire l'effet de serre, on commence par ne pas donner l'exemple au niveau de l'État.

Les objectifs assignés par l'amendement ne sont pas irréalistes. Ce que font des communes ou des organismes d'HLM, l'État peut le faire également. Il lui faut commencer à montrer l'exemple, notamment dans le domaine des énergies renouvelables telles que le solaire thermique.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Patrick Ollier, président de la commission. J'apprécie beaucoup, monsieur Dosé, les élans tels que celui que vous venez de manifester, ...

M. Michel Vergnier. Vous avez raison !

M. Patrick Ollier, président de la commission. ...surtout lorsqu'ils traduisent une aussi bonne intention. J'apprécie également les propos de M. Le Déaut. Mais en tant que président de la commission, je suis obligé d'attirer votre attention sur le fait que nous ne pouvons pas voter n'importe quoi dans cette assemblée. Je ne veux pas me prononcer sur le fond, mais toutes ces belles envolées ne visent qu'à défendre un amendement qui, compte tenu de sa rédaction, ne pourrait jamais s'appliquer s'il était adopté.

M. Yves Cochet. Comment cela ?

M. Patrick Ollier, président de la commission. Monsieur Cochet, on n'a jamais vu un objectif appliqué à un bâtiment.

M. Pierre Cohen. Il s'applique aux procédures, pas aux bâtiments !

M. Patrick Ollier, président de la commission. Je lis bien : « ...aux procédures, bâtiments et équipements publics. » Efforcez-vous, je vous prie, d'écrire des amendements opérationnels, ...

M. Yves Cochet. C'est très léger, comme argument !

M. Patrick Ollier, président de la commission. ...car la bonne législation implique de ne pas perdre de temps à discuter de dispositions inapplicables.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 606.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    4

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre m'informant qu'en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1586, d'orientation sur l'énergie :

Rapport, n° 1597, de M. Serge Poignant, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot