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Première séance du jeudi 10 juin 2004

250e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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HABILITATION À SIMPLIFIER LE DROIT

Discussion, après déclaration d'urgence,d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (nos 1504, 1635).

La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de vous présenter le deuxième projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Avant que mon collègue Éric Woerth ne vous en décrive le contenu, je souhaite vous rappeler quelques éléments qui fondent l'action du Gouvernement en matière de réforme de l'État.

L'État, c'est le service public, et le service public, c'est le service du public. Notre objectif est clair, dicté par les attentes des citoyens : rendre les services plus efficaces, plus rapides, plus personnalisés et financièrement plus efficaces.

Ce n'est pas, contrairement à ce que certains croient, la « quadrature du cercle ». Il suffit pour s'en convaincre de constater les formidables gains de productivité que permettent les nouvelles technologies utilisées par l'administration.

Cette réforme de l'État sera construite sur trois entités, qui devront en sortir gagnantes. D'abord l'usager, c'est-à-dire le citoyen, qui doit retrouver des services publics répondant à ses attentes. Ensuite, l'agent, celui qui travaille pour le service public ; il est en effet important que la modernisation de l'État profite également aux cinq millions de Français qui travaillent au service du public. Enfin le contribuable, qui doit, selon l'expression populaire, « en avoir pour son argent », c'est-à-dire bénéficier d'un service efficace.

Notre logique est très simple. Il faut déterminer les missions de l'État, évaluer les moyens nécessaires et suffisants, en particulier les moyens financiers et humains, puis organiser nos services publics en fonction de ces critères.

Certaines missions, à l'avenir, réclameront plus de personnel. La demande sociale de service public ne va pas décroître dans les années qui viennent, mais se déplacer. Dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de la sécurité, nos concitoyens demandent un service public de plus en plus efficace et proche d'eux.

En revanche, je n'hésite pas à affirmer que, dans d'autres secteurs, nous pourrons faire mieux avec moins d'effectifs. Rien n'est figé dans des organisations avant tout humaines, qui doivent évoluer en fonction des technologies, des attentes et des progrès que l'on peut réaliser dans l'exercice d'un service.

La réforme de l'État comprend quatre volets.

Le premier est la stratégie. Il convient d'essayer de voir loin, de voir clair, et il faut disposer d'un plan d'action cohérent : en l'occurrence, les stratégies ministérielles de réforme. Éric Woerth s'est engagé avec beaucoup d'énergie dans l'élaboration de ces nouvelles SMR, qui se traduiront par des réformes de l'État très concrètes et, dont vous constaterez prochainement les premiers bienfaits, dès la loi de finances pour 2005, puis dans la mise en œuvre de la LOLF.

Le deuxième volet est la rénovation de la gestion de la ressource humaine. J'ai le sentiment que l'État est en retard dans ce domaine et qu'il peut faire beaucoup mieux pour valoriser le travail des fonctionnaires et leurs carrières. L'objectif doit être de satisfaire leur légitime aspiration à un meilleur épanouissement professionnel.

Troisième volet, l'administration électronique. Dans de très nombreux pays, en effet, c'est l'introduction de nouvelles technologies qui a permis de faire mieux pour moins cher avec des conditions de travail améliorées. Le plan ADELE est donc un élément clé de la réforme de l'État.

Quatrième axe, enfin, la simplification, qui permet de conforter deux valeurs de la République.

La première est l'égalité. Rabelais disait : « Les lois sont comme les toiles d'araignée, les petits moucherons s'y font prendre et les gros frelons passent à travers. »

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Belle image !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Eh bien, aujourd'hui encore, les plus faibles de nos concitoyens sont les premières victimes de la complexité. Les plus forts savent, quant à eux, trouver leur chemin à travers le maquis des réglementations parce qu'ils ont les moyens financiers de se faire bien conseiller. Un droit complexe est donc injuste, par définition. En revanche, un droit simple est républicain parce qu'il est accessible à tous.

La seconde est la dimension économique car cette action de simplification porte en germe de nombreux emplois. Les entreprises doivent en effet consacrer l'essentiel de leurs ressources à leurs clients, à l'innovation et non pas à la gestion interne de la complexité.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. C'est la raison pour laquelle, outre la baisse des charges sociales et des impôts, il faut aussi baisser l'impôt de papier, l'impôt paperasse, qui pèse bien souvent sur notre compétitivité.

Pour ce faire, nous préparons en amont un exercice annuel de simplification. Alors que nous vous présentons le deuxième projet de loi d'habilitation, le PLH 2, nous songeons d'ores et déjà au PLH 3, celui de 2005.

M. Jérôme Lambert. Cela promet !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Éric Woerth et moi-même souhaitons à cette occasion recourir à une autre méthode, une méthode plus proche des Français, en identifiant ceux de nos concitoyens qui sont les premières victimes de la complexité. Nous avons ainsi retenu cinq catégories à l'intention desquelles nous allons construire ce projet de loi de simplification de l'année 2005.

Première catégorie : les familles, et plus précisément les mères de famille car ce sont elles qui s'occupent le plus souvent des tâches administratives et se trouvent donc confrontées à ces difficultés de la vie quotidienne. Y a-t-il dans cet hémicycle beaucoup de pères de famille qui vont, par exemple, faire établir le passeport de leur enfant ? (Sourires.)

Deuxième catégorie : les très petites entreprises : nous devons construire avec elles un droit nouveau pour leur permettre de se développer. Ce sont elles, en effet, qui créeront des emplois dans les années qui viennent.

Troisième catégorie : les maires, ces citoyens qui ont accepté de consacrer une partie de leur temps au service public et qui sont submergés par la paperasse. Tous nous le disent, notamment dans les secteurs ruraux. Les 236 maires de mon ancienne circonscription se plaignent avant tout de cette marée de formulaires et circulaires qui, bien souvent, les éloigne de l'essentiel.

Quatrième catégorie : les fonctionnaires, qui sont à l'avant-poste de la complexité. Ils sont donc les mieux à même de nous indiquer ce qui peut être modifié pour simplifier la vie des Français. Nous avons d'ailleurs la conviction que la simplification administrative ne doit pas venir d'en haut ; elle doit être proposée d'en bas, par ceux qui connaissent les difficultés quotidiennes de nos concitoyens.

Dernière catégorie, enfin, les investisseurs étrangers, qui ont envie d'apporter des capitaux et de créer des emplois, mais qui se trouvent confrontés aux procédures en vigueur dans notre pays. L'accueil que nous leur réservons n'est pas forcément celui de la plus grande hospitalité économique. Il faut donc que les investisseurs étrangers puissent trouver un pays attractif, c'est-à-dire régi par des règles plus simples.

Voilà ce que pourrait être l'architecture de ce PLH 3. Je vous invite à participer à la construction de ce projet car vous êtes, vous aussi, aux avant-postes de la simplification.

Nous devons par ailleurs nous assurer que la loi occupe sa véritable place dans notre système juridique. De fait, et c'est l'un des défauts de notre système politique, si nous savons médiatiser nos intentions et utiliser l'effet d'annonce, un temps très long s'écoule souvent entre l'annonce et l'action.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est la spécialité du Gouvernement !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Ce gouvernement, lui, a le souci de faire vite ce qu'il a annoncé. Pour cela, il faut se pencher sur les procédures législatives, qui sont bien souvent responsables de délais insupportables pour nos concitoyens. J'en ai fait personnellement l'expérience avec la loi sur l'initiative économique, longuement débattue ici puis au Sénat, et qui est parue au Journal officiel le 3 août 2003, mais dont tous les décrets d'application ne sont pas sortis. Les Français s'étonnent de ces délais anormalement longs.

M. Jacques Brunhes. Certains décrets ne sortent jamais !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Nous devons donc réviser nos procédures pour que l'action s'ajuste mieux aux intentions.

Parmi les nombreuses mesures que comprend ce projet de loi et qu'Éric Woerth présentera dans un instant, deux me paraissent emblématiques.

La première est le régime social des indépendants. Le RSI, c'est une réforme dont beaucoup de gouvernements ont rêvé et qu'aucun n'a pu faire. Nous, nous allons la mettre en œuvre car deux millions de très petites entreprises, de commerçants et d'artisans l'attendent. Aujourd'hui, il y a plusieurs organismes de prélèvements sociaux,l'ORGANIC, la CANCAVA, la CANAM, les URSSAF, et chacun y va de son appel de cotisations, de son assiette, de son taux, de son échéancier, de son huissier... Bref, c'est très compliqué. Et toutes les petites entreprises souhaitent la simplification de ce régime.

Je veux ici rendre un hommage appuyé aux présidents de la CANAM, de la CANCAVA et de l'ORGANIC, qui ont choisi de s'engager dans cette réforme. Il n'était pas facile, en effet, d'accepter de fusionner ces trois organismes.

M. François Sauvadet. Très juste !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Cette fusion, qui va donner naissance au RSI, sera la première réforme d'organisation de la sécurité sociale depuis sa création. Vous le voyez, ce n'est pas une mince affaire. On comprend donc que, parfois, des inquiétudes puissent s'exprimer. Nous veillerons, quant à nous, à ce que le RSI soit géré par des artisans et des commerçants, c'est-à-dire par des élus des bénéficiaires. Les tâches que le RSI devra remplir pourront être exécutées soit directement par l'organisme, soit sous-traitées, mais il en gardera alors la parfaite et totale maîtrise.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Guy Geoffroy. C'est essentiel !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Nous veillerons à ce que le RSI maîtrise totalement les différentes opérations : recouvrement, encaissement, affiliation et relations avec les affiliés. À cet égard, un aspect de la réforme, pourtant très important, est passé quelque peu inaperçu. Jusqu'à présent, lorsqu'un artisan ou un commerçant connaissait des difficultés de trésorerie - et cela peut arriver pour de bonnes raisons - et ne pouvait acquitter ses prélèvements obligatoires, il était immédiatement confronté à la procédure la plus brutale : l'intervention de l'huissier, sans même un préavis. Avec le RSI, et cette mesure devrait être particulièrement appréciée par nos concitoyens entrepreneurs indépendants, nous allons mettre en place un fonds d'action sociale grâce auquel des personnes qui connaissent bien le monde des PME pourront accorder un étalement des cotisations, un moratoire ou un échéancier différent en fonction des réalités de l'entreprise et non pas d'impératifs purement comptables. Je sais que les organisations représentant les commerçants et les artisans sont très favorables à cette humanisation du régime social.

La deuxième mesure à laquelle je suis plus particulièrement attaché concerne le statut des pupilles de la nation. Cet aspect du texte peut paraître mineur mais il est pour moi symbolique. C'est en effet une façon de reconnaître le sacrifice qu'un certain nombre de nos concitoyens qui se sont engagés dans la police et la gendarmerie, par exemple, font de leur vie pour protéger leurs concitoyens. Bien souvent, ces hommes et ces femmes qui tombent sous les balles des délinquants laissent des enfants qui seront des orphelins tout au long de leur vie car, même devenus majeurs, ils souffriront encore de la perte de ce parent. Il était donc important que la République apporte à ces enfants une reconnaissance symbolique après leur minorité. C'est ce que nous allons faire grâce à cette modification législative, qui est juste dans son esprit comme dans sa lettre et qui, je l'espère, recueillera l'unanimité sur vos bancs.

Vous le voyez, notre tâche est immense : simplifier, c'est souvent très compliqué. Car il y a en France une activité économique bien souvent passée sous silence qui tourne autour de la complexité des textes. Le lobby de la complication existe bel et bien. Et lorsqu'on veut simplifier, on se heurte à des obstacles précisément parce que certains ont intérêt à ce que tout soit compliqué. Eh bien, c'est le courage de ce gouvernement et de cette majorité de passer outre aux réticences et d'aller au-delà des peurs pour faire ce que les Français attendent, c'est-à-dire un droit plus simple et donc plus démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État.

M. Éric Woerth, secrétaire d'État à la réforme de l'État. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, comme Renaud Dutreil vient de vous le dire, ce projet de loi d'habilitation répond à un objectif clair : simplifier la vie des Français tout en assurant leur sécurité juridique.

Il est évident qu'un tel projet nous amène à aborder un nombre considérable de domaines, tant la complexité est omniprésente dans notre édifice juridique et tant elle a envahi la vie quotidienne de nos concitoyens.

Aussi, comme pour la loi du 2 juillet 2003, le Gouvernement a estimé que, dans un souci d'efficacité et de cohérence, la procédure prévue par l'article 38 de la Constitution était la plus adaptée pour agir vite et bien. Cette procédure conserve néanmoins aux assemblées la prérogative éminente qui consiste à fixer les objectifs assignés à l'exécutif sans enliser le débat dans le détail de mesures techniques.

Les mesures proposées aujourd'hui sont, comme pour la première loi, de trois ordres.

Le Gouvernement propose d'abord de procéder à la modernisation de certaines règles de portée générale, afin de mieux assurer la sécurité juridique et de lever certains obstacles législatifs à la dématérialisation des procédures.

Ensuite, le Gouvernement souhaite alléger une série de procédures administratives dont la lourdeur n'est pas justifiée par des exigences d'intérêt général.

Enfin, le Gouvernement entend poursuivre la politique de codification systématique que le Président de la République appelait de ses vœux dès 1995.

La discussion des articles vous donnera l'occasion d'examiner en détail les nombreuses mesures envisagées. À ce stade, je souhaite simplement appeler votre attention sur quelques exemples de dispositions qui me semblent emblématiques de notre effort pour simplifier la vie des Français.

En nous attaquant à la complexité administrative et juridique, nous voulons d'abord réconcilier les Français avec leurs administrations. Pour cela, nous vous proposons de travailler dans trois directions :

Première direction : il faut clarifier le droit lorsqu'il est devenu incertain ou illisible du fait de la stratification continue des lois et règlements. L'exemple du droit de l'urbanisme montre combien la liberté des citoyens s'en trouve entamée.

Chaque année, près d'un million de nos concitoyens effectuent une démarche liée à l'urbanisme, qu'il s'agisse de construction ou de rénovation. Avec le temps, les légitimes préoccupations de nos concitoyens en matière d'aménagement de l'espace ont été obscurcies par de multiples réformes partielles et peu cohérentes entre elles. Ceux d'entre vous qui sont maires le savent bien. Le Gouvernement souhaite mettre à plat tout le dispositif en réécrivant entièrement les livres du code de l'urbanisme consacrés au permis de construire et à la déclaration de travaux.

Dans le même esprit de clarification, nous vous proposerons également d'actualiser certaines règles d'urbanisme concernant notre patrimoine culturel et les monuments historiques.

Deuxième direction : il convient d'abroger les procédures absurdes ou redondantes qui relèvent de préoccupations d'un autre âge et qui, pour la plupart d'entre elles, ont perdu leur utilité et leur efficacité. Je pense à la prestation de serment de certains fonctionnaires devant le préfet ou à certains paraphes et cotations de documents officiels que le développement de l'électronique a rendu totalement obsolètes.

Troisième direction : nous souhaitons autoriser le recours, pour les relations entre l'administration et les usagers, aux outils de communication les plus modernes, notamment à ceux issus des nouvelles technologies de l'information.

Comme vous le savez, toutes les télé-procédures existantes ont été mises en œuvre par des textes spécifiques. Nous voulons aujourd'hui établir un cadre général unifié qui apporte aux autorités administratives et aux usagers une véritable sécurité juridique et technique, tout en étant compatible avec le respect du secret professionnel et la protection de la vie privée.

A côté de la modernisation de l'action de l'administration, le renforcement de la sécurité juridique des entreprises constitue notre deuxième grande préoccupation. Je citerai deux exemples qui illustrent cette démarche.

Le premier, le plus parlant, est sans aucun doute l'extension aux prélèvements douaniers et sociaux des procédures dites de « rescrit ».

Aujourd'hui, en effet, les URSSAF et les douanes ne sont pas liées par les positions qu'elles prennent lorsqu'elles interprètent les textes relatifs aux prélèvements qu'elles recouvrent. De ce fait, une entreprise qui a appliqué strictement un texte émanant de l'administration censée contrôler l'application des règles peut néanmoins être condamnée au motif que l'interprétation à laquelle elle croyait pouvoir se fier n'était pas légale. Il y a là une atteinte grave à la confiance que l'usager place dans les services publics. Nous devons mettre fin à cette anomalie.

Je vous indique que cette réforme est l'un des éléments du plan présenté par le Premier ministre pour rendre notre territoire plus attractif pour les investisseurs étrangers. Comme Renaud Dutreil vous l'a indiqué, ce point sera développé dans le futur projet de loi d'habilitation.

Le deuxième exemple de notre action en faveur des entreprises est également important, car il s'agit de réexaminer l'utilité des autorisations administratives. On compte aujourd'hui en France plus de 4 000 régimes d'autorisation administrative. Ce chiffre est considérable. Nous allons vérifier l'utilité de chacun de ces régimes. Si elle n'est pas avérée, nous proposerons soit leur remplacement par un régime déclaratif, soit, comme l'a souhaité votre commission des lois, leur suppression pure et simple.

Enfin, simplifier, c'est aussi rationaliser le fonctionnement des pouvoirs publics.

Je citerai d'abord l'exemple des enquêtes publiques. Il s'agit certainement d'un facteur important de transparence et de participation, mais la superposition de règles multiples a considérablement compliqué la conduite de ces enquêtes.

C'est ainsi que, bien souvent, les projets sont découpés en multiples tranches donnant lieu à autant d'enquêtes, et plus celles-ci sont nombreuses, moins elles sont efficaces. Par exemple, six enquêtes distinctes ont été conduites pour le projet du Stade de France ! Nul n'y gagne : ni les pouvoirs publics, qui perdent du temps en constituant des dossiers successifs, ni l'opinion publique, qui n'est pas interrogée sur un projet global. Nous allons donc tenter de simplifier le régime des enquêtes publiques.

Concernant toujours l'efficacité de l'action publique, je voudrais souligner tout l'intérêt d'un amendement que nous vous proposerons pour renforcer les obligations du pouvoir exécutif relatives à la publication des textes d'application des lois. Renaud Dutreil a évoqué le décalage extraordinaire qui existe entre le temps politique, celui des intentions du Gouvernement et du législateur, et le temps administratif, qui est celui de leur application sur le terrain. Ce décalage est insupportable pour nos concitoyens et, sur ce point, notre démocratie doit être plus performante. Nous ne pouvons en effet admettre que les décisions du Parlement restent inappliquées, faute pour le Gouvernement, quel qu'il soit, de prendre les décrets, arrêtés et circulaires d'application dans des délais satisfaisants.

Certes, à l'initiative du Premier ministre, des progrès substantiels ont été réalisés, mais il faut aller plus loin et les consolider. C'est pourquoi nous avons tenu à ce que l'exécutif suive le chemin tracé par l'Assemblée, sur la proposition de M. Warsmann : le Gouvernement présentera donc un rapport aux commissions parlementaires six mois après l'entrée en vigueur de chaque loi. Cet amendement introduit une contrainte supplémentaire pour le Gouvernement, qui devra indiquer dans ce rapport les motifs du retard éventuellement pris pour l'application de certaines dispositions. C'est une sorte d'effet miroir qu'introduit la proposition de M. Warsmann ; Renaud Dutreil et moi-même y sommes très attachés.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Simplifier, supprimer, alléger, pour clarifier durablement le lien entre l'usager citoyen et notre administration : tel est le but de ce texte ; telle est, mesdames et messieurs les députés, l'utilité finale de l'habilitation que nous vous demandons. Renforcer l'efficacité de l'État dans tous ses rouages, c'est donner à tous nos concitoyens de plus sûrs motifs d'apprécier le « modèle français ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Etienne Blanc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Étienne Blanc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'objectif de ce deuxième projet de loi d'habilitation est de tenter de simplifier notre droit.

Je ne reviens pas sur tous les qualificatifs qui ont été employés en commission lorsque nous avons étudié le rapport dense, complexe et très précis présentant l'exposé technique de 200 mesures, très différentes et d'importance très inégale, mais toutes parfaitement utiles. En réalité, c'est la matière qui veut cela.

Simplifier le droit, c'est d'abord en comprendre la complexité, mais c'est surtout analyser ses origines et ses causes. Tous les textes qui s'empilent, lois et règlements, ont une origine et une signification. Pour les simplifier, il faut bien connaître leur justification et bien connaître aussi leur parcours législatif et réglementaire. Il faut enfin s'assurer que la simplification ne crée pas plus de complexité qu'elle ne prétend en supprimer.

M. François Sauvadet. Naturellement !

M. Guy Geoffroy. C'est le risque !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Mes chers collègues, les critiques qui ont été adressées à ce texte, qu'elles portent sur la forme ou sur le fond, méconnaissent l'intention du Gouvernement.

M. Jacques Brunhes. Ne défendez pas le Gouvernement, monsieur le rapporteur !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Depuis 2002 a été lancée dans notre pays une véritable politique de simplification du droit. Ainsi, chaque année, tous les ministères doivent préparer un projet de simplification portant sur l'exercice de leurs compétences. Deux outils ont été mis en place : d'une part, la commission d'orientation de la simplification administrative, composée uniquement d'élus - sénateurs, députés, élus locaux, départementaux et régionaux - et chargée de suivre le projet de loi d'habilitation et les ordonnances produites en application de la loi d'habilitation ; d'autre part, les circulaires d'août et septembre 2003, qui ont invité chaque ministère à charger un haut fonctionnaire de la qualité de la réglementation et à mettre au point une charte de la qualité.

C'est en tenant compte de tous ces éléments que nous devons examiner ce projet de loi d'habilitation n° 2. D'aucuns diront que le Parlement, avec cette nouvelle application de l'article 38 de la Constitution, se trouve encore une fois dessaisi de ses prérogatives. Déjà, lors de l'examen du premier projet de loi d'habilitation, on nous avait dit qu'il serait sans doute difficile de prendre autant d'ordonnances qu'il en prévoyait. En réalité, vingt et une ordonnances ont été prises.

M. Jérôme Lambert. Dont certaines ont été contestées !

M. Étienne Blanc, rapporteur. On nous avait dit aussi que le Parlement serait privé de son pouvoir de contrôle. Or il ne vous a pas échappé que le texte qui vous est soumis prévoit la ratification de ces ordonnances,...

M. Jérôme Lambert. Mais sous quelle forme !

M. Étienne Blanc, rapporteur. ...sur lesquelles rien n'interdit de déposer des amendements. Le Parlement peut donc parfaitement exercer son contrôle.

M. Jérôme Lambert. En théorie !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Il est par ailleurs reproché à ce texte d'être un fourre-tout. Je ne le crois pas, même si, compte tenu de la complexité de la matière, il comporte, je l'ai dit, 200 mesures variées, de caractère technique. Les nombreux rapports qui s'accumulent depuis vingt ans, de celui de M. Mandelkern à celui du président de la Cour de cassation, ont fait le constat que notre droit, du fait de sa variété et de sa complexité, n'est pas très intelligible pour nos concitoyens. Mais reconnaissons que c'est la première fois qu'une telle entreprise de simplification de notre droit est mise en oeuvre.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Il faut le dire !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Et puis, admettons-le simplement : sans recours au dispositif constitutionnel de l'article 38, il n'y a pas de simplification du droit.

M. Guy Geoffroy. Évidemment !

M. Étienne Blanc, rapporteur. La mécanique de nos échanges parlementaires fait que les textes amendés et sous-amendés présentent une réelle complexité, que l'article 38 permet d'éviter.

Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler en ma qualité de rapporteur de la commission des lois. Je ne reviendrai pas sur les axes forts et les mesures essentielles de ce projet de loi. Je me contenterai de rappeler une formule de Bossuet, souvent citée à cette tribune : « L'art de la politique est de faire des choses simples pour rendre les gens heureux ».

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Très belle citation !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Si ce texte est abscons, complexe et varié, il a au moins l'ambition de simplifier les choses pour rendre les Français plus heureux en leur permettant d'accéder à un droit plus clair et plus lisible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Très bien, monsieur le rapporteur !

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article  91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi intervient trois jours avant le scrutin européen de dimanche : c'est sans doute la première fois que notre assemblée est amenée à travailler dans de telles conditions, à quelques jours d'une consultation importante.

M. Guy Geoffroy. Quel est le rapport ?

M. Jérôme Lambert. Alors qu'il nous faut mobiliser les Français, nous voici, pour quelques-uns d'entre nous, retenus à l'Assemblée, nos travaux n'ayant pas été interrompus une seule journée. Je tiens, au nom du groupe socialiste, à protester contre la tenue de nos débats dans cette période et dans de telles conditions.

Qui plus est, l'examen de ce texte étant prévu initialement pour mardi dernier, beaucoup de nos collègues, qui avaient pris leurs dispositions pour participer aux débats, se trouvent, du fait d'engagements antérieurs, notamment dans le cadre de la campagne électorale, empêchés d'être présents aujourd'hui.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. À qui la faute ?

M. Jérôme Lambert. Ce fait va immanquablement affaiblir le rôle d'expertise et de contrôle qui est celui du Parlement, en particulier dans le domaine très sensible de l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Cela nous conforte dans notre souhait que les dispositions de ce texte ne soient pas adoptées à l'issue d'un débat tronqué, organisé à la va-vite à la veille d'échéances européennes importantes.

A priori l'examen d'un projet de loi qui s'assigne pour but de « simplifier le droit » n'aurait pas dû nous inquiéter. Mais ces bonnes intentions du Gouvernement se manifestant à propos d'un texte l'habilitant à légiférer par ordonnances - procédure fort heureusement peu banale, puisqu'il s'agit pour le Parlement de se dessaisir de son pouvoir de faire la loi -, elles doivent nécessairement éveiller l'attention, voire la méfiance des parlementaires !

Cette méfiance est encore, en l'espèce, alimentée par la complexité du texte que nous devons examiner aujourd'hui : 62 articles, qui abordent plus de 200 sujets différents, voilà pour le moins un projet de loi complexe ! D'autant que sont venues s'y ajouter, par voie d'amendements, des dispositions permettant principalement la ratification d'ordonnances déjà prises, la présentation de celles-ci restant pour le moins aussi obscure que la plupart des projets d'habilitation qui nous sont présentés. Habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, en ratifier d'autres, adopter aussi des mesures d'application directe : la complexité législative de ce texte est manifeste, comme si le Gouvernement n'était pas en mesure de présenter des textes simples au Parlement... surtout en matière de simplification !

Il est vrai qu'il semble que simplifier le droit signifie pour vous « réformer », c'est-à-dire bien souvent, dans votre conception, « régresser » en matière de droits sociaux, dont certains sont concernés par ce projet. Ainsi nombre de ses dispositions, celles qui concernent , par exemple, le logement ou les conditions d'attribution de l'aide juridictionnelle, vont priver de leurs droits certains Français, aux revenus pourtant modestes.

M. Guy Geoffroy. Comment ça ?

M. Jérôme Lambert. Ce projet de loi nous apporte donc une nouvelle démonstration de votre politique, à quoi s'ajoute la manifestation de la volonté de légiférer au mépris du dialogue social, et même des engagements pris à la faveur de celui-ci.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Voilà une opposition toute en finesse !

M. Jérôme Lambert. Je le montrerai plus loin dans mon intervention, en particulier pour ce qui concerne la réforme des régimes sociaux des travailleurs indépendants, et surtout la réforme de l'hôpital public.

Nous avons débusqué dans votre texte, au fil de ses articles, nichés de-ci de-là entre deux phrases, des projets de simplification compliqués, parfois régressifs en matière de droits sociaux, et souvent dangereux pour la sécurité juridique à laquelle ont droit nos concitoyens. C'est quasiment une constante de votre projet, lequel exprime rarement vos intentions réelles, que seule une analyse de texte permet de mettre au jour.

Cette dissimulation suspecte justifierait à elle seule notre exception d'irrecevabilité. En n'indiquant jamais ses conséquences négatives pour les Français modestes, comme on peut le constater à maintes reprises, ce projet de loi ne satisfait pas à la condition posée par le Conseil Constitutionnel qui impose au Gouvernement d'informer clairement le Parlement de ses intentions quand il sollicite de lui des habilitations à légiférer. Le Parlement ne peut pas accepter de se dessaisir dans des conditions obscures de son droit de faire la loi.

De plus, la formulation des ratifications d'ordonnances qui nous sont demandées, parfois sous la forme d'amendements au projet initial, est aussi vague que celle des habilitations, ce qui complique encore le travail du Parlement et constitue aussi pour nous une source de confusions, quand ce n'est pas d'erreurs. Je pense notamment à deux amendements pratiquement illisibles déposés par notre rapporteur, dont l'un doit faire cinq pages et renvoyer à une dizaine de textes.

M. Jacques Brunhes. Ce n'est pas du travail sérieux !

M. Jérôme Lambert. Certaines péripéties nées de la précédente loi d'habilitation, sur lesquelles je vais revenir, sont là pour démontrer la réalité de ce danger. Comment accepter de légiférer dans ces conditions ?

En agissant ainsi, et en demandant au Parlement de le suivre dans cette voie, le Gouvernement, loin de le simplifier, prend le risque d'obscurcir le droit ! Prétendant simplifier le droit, le Gouvernement a choisi de compliquer singulièrement le travail du Parlement, en lui imposant de prendre position sur un texte qui aborde de multiples sujets, vaguement exprimés, où les intentions du Gouvernement sont souvent loin d'être claires, où des questions d'importance sont noyées parmi d'autres, plus ou moins insignifiantes. Simplifier le droit en compliquant le travail que doivent consacrer les parlementaires aux textes qui leur sont soumis, voilà bien une pratique singulière et inquiétante qui mérite quelques explications.

Le recours aux ordonnances est, en effet, une procédure singulière qui, si elle est prévue par l'article 38 de la Constitution, reste peu utilisée par les gouvernements. Il est souvent justifié par l'urgence, l'évidence ou l'insignifiance des sujets traités. Mais parfois, et trop souvent en ce qui vous concerne, il vise à masquer les réticences du Gouvernement à ouvrir un débat de fond avec les représentants du peuple sur certains sujets délicats. Ce fut le cas en 1995, lorsque M. Juppé, alors Premier ministre, a réformé la sécurité sociale par voie d'ordonnances. Décidément, c'est chez vous une marotte quand vous exercez le pouvoir !

Légiférer par ordonnances est justifié par l'urgence quand il s'agit, par exemple, de transposer des directives européennes qui ont été bloquées, parfois pendant des années, dans des bureaux ministériels,...

M. Guy Geoffroy. Les vôtres !

M. Jérôme Lambert. ...sans que le Parlement puisse en être tenu pour responsable, les instances européennes mettant alors la France en demeure de respecter ses engagements.

On peut aussi justifier le recours aux ordonnances par l'évidence et l'insignifiance du sujet, quand, par exemple, il nous est proposé, comme aujourd'hui, d'unifier les différentes appellations sous lesquelles les textes juridiques désignent les « Français de l'étranger ».

Mais le recours à une telle pratique peut traduire, comme c'est le cas ici, les réticences du Gouvernement à ouvrir un véritable débat avec la représentation nationale sur de vrais sujets politiques qui apparaissent, de-ci de-là, noyés dans le fatras des propositions d'habilitation ou de ratification. Ce maelström législatif est en effet mis à profit pour faire passer des mesures qui n'ont rien à voir avec de la simplification administrative.

Le texte que nous examinons est un mélange de toutes ces motivations, ce qui rend son examen particulièrement fastidieux et difficile, comme l'a fort justement et honnêtement reconnu le rapporteur à l'occasion de l'examen en commission des lois, seule commission saisie, alors que les multiples sujets abordés concernent au moins quatre de nos six commissions permanentes. Là encore, alors que nous aurions pu essayer au moins de clarifier les propositions d'habilitation, l'organisation du débat législatif ne nous a pas donné les moyens de mobiliser toutes les compétences de notre assemblée. De plus, le Gouvernement et sa majorité ont choisi de passer en force et en vitesse, en déclarant l'urgence. Cette procédure limite singulièrement, elle aussi, nos possibilités d'examiner plus au fond, avec nos collègues sénateurs, les dispositions de ce texte. Cette extrême précipitation, qui vient s'ajouter aux multiples imprécisions sur le fond, prive le Parlement de l'information nécessaire à sa bonne compréhension du projet, renforçant ainsi son caractère anticonstitutionnel.

Ce texte n'a guère eu droit qu'à une heure d'examen en commission des lois ; encore cette heure a-t-elle été en bonne partie consacrée à l'examen de dizaines d'amendements purement rédactionnels proposés par notre rapporteur, ce qui signifie, dans notre jargon parlementaire, qu'ils traitent essentiellement de questions de réécriture. Or un texte mal rédigé est souvent le signe d'un projet bâclé. Et quand ce projet vise de surcroît à dessaisir le Parlement de son pouvoir suprême d'examiner, d'amender et de voter les lois de la République, il est légitime de s'en étonner, et même en l'occurrence de s'en inquiéter, s'agissant d'un projet très complexe, préparé à la va-vite et présenté dans une grande confusion. Ce sont les droits mêmes du Parlement qui sont atteints par de tels procédés ; et c'est pour défendre notre droit de faire la loi, d'en débattre au fond dans des conditions normales, que le groupe socialiste a déposé une exception d'irrecevabilité.

II ne serait pas normal, en effet, que nous acceptions de nous dessaisir de notre droit de faire la loi sur la base d'un tel texte ! Un texte fourre-tout, où se côtoient des mesures de portées extrêmement différentes, allant de l'insignifiance à la réécriture de pans entiers de notre droit, par exemple en ce qui concerne la filiation. Un texte qui comporte des mesures controversées, qui, portées sur la place publique, feraient l'objet de critiques que le Gouvernement veut évacuer au plus vite par un tour de passe-passe législatif. Éviter le débat dans la société, éviter le débat dans notre assemblée, éviter le débat tout court, pour faire la loi dans le secret des cabinets ministériels, c'est en règle générale une mauvaise manière de légiférer, que le groupe socialiste tient, une fois de plus, à dénoncer.

Il y a un peu plus d'un an, lors de l'examen, à peu près dans les mêmes conditions, du premier projet de loi d'habilitation visant à autoriser le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnances, j'avais déjà dénoncé de telles méthodes ; aujourd'hui la réitération de telles pratiques m'oblige à les dénoncer de nouveau. Je note d'ailleurs que les conditions du travail législatif se sont encore dégradées, puisqu'il y a un an l'audition en commission des lois des ministres qui défendaient le projet de loi d'habilitation avait au moins été l'occasion d'échanges intéressants avec M. Delevoye et M. Plagnol, qui ne font plus aujourd'hui partie du Gouvernement, sur les intentions du Gouvernement.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. On leur transmettra !

M. Jérôme Lambert. Cela n'a d'ailleurs pas empêché que des problèmes se posent par la suite !

Cette année, après une courte présentation de son rapporteur pour souligner la complexité de ce texte comportant plus de 200 mesures impossibles à évoquer de façon exhaustive - j'observe d'ailleurs que ni lui, ni vous-mêmes, messieurs les ministres, ne l'avez fait à la tribune - la commission des lois a bouclé son travail sans qu'aucune des mesures proposées fasse l'objet d'un examen de fond, à l'exception d'une seule, portant sur le régime de protection sociale des travailleurs indépendants, commerçants et artisans.

Cet examen à la va-vite a dû en plus tenir compte de la présentation surprise d'amendements venant doubler le texte d'habilitation par de nombreux projets de ratification d'ordonnances déjà prises, que la commission n'a pas eu le loisir d'étudier et de débattre sur le fond. Ceux d'entre nous qui ont eu entre les mains le texte du projet de loi ont pu constater que ces projets d'ordonnance, ou de ratification d'ordonnances, se présentent à notre examen sous une forme que je qualifierai pour le moins d'abrégée.

Comment pourrions-nous, dans ces conditions, exprimer un avis éclairé ? Comment faire véritablement notre travail législatif ? C'est tout simplement impossible ! De telles méthodes bafouent le rôle du Parlement. Pour préserver ses droits élémentaires, nous demandons au Gouvernement de nous présenter ses projets de façon plus claire, plus élaborée, et de laisser aux diverses commissions le temps de les étudier. La seule façon que nous ayons aujourd'hui de lui imposer le respect de nos prérogatives est d'adopter cette exception d'irrecevabilité, fondée sur le droit du Parlement à examiner au fond tous les textes qui lui sont soumis et à connaître précisément les intentions du Gouvernement quand il s'agit de l'habiliter à légiférer par ordonnances.

Le caractère « fourre-tout » de ce texte n'est pas sans rappeler les projets portant diverses dispositions d'ordre économique, social, fiscal..., dont la pratique a été stigmatisée à juste titre par le Conseil d'État au nom de la sécurité juridique. Un texte qui n'a pas été réellement débattu sur le fond, qui comporte des dispositions importantes noyées au milieu de mesures insignifiantes, risque de voir opposer à son application des objections qu'un examen plus approfondi lui aurait évité de subir. En utilisant sur une grande échelle la procédure des ordonnances, le Gouvernement prend le risque de fragiliser le droit au lieu de le simplifier. Or, on le sait bien, fragiliser le droit, c'est, au bout du compte, compliquer singulièrement la vie de nos concitoyens : voilà le résultat que nous pouvons redouter de l'emploi de telles méthodes.

La dernière loi d'habilitation n'est-elle pas là pour illustrer ces propos ? Qu'en est-il aujourd'hui de l'ordonnance sur le partenariat public-privé ? Ne va-t-on pas devoir affronter les problèmes particulièrement complexes évoqués par le Conseil d'État ? Ce projet de loi ne reprend-il pas certaines habilitations précédemment accordées pour les corriger ?

Le Gouvernement ne tente-t-il pas aussi de corriger certaines ordonnances déjà publiées ? Si vous n'adoptez pas cette exception d'irrecevabilité comme vous le devriez, mes chers collègues, pour faire respecter les droits du Parlement, l'examen des articles nous montrera l'ampleur des dispositions reprises par le Gouvernement afin de corriger son précédent travail. Et dans quelques mois, ne devrons-nous pas corriger de nouveau la copie qui nous est présentée aujourd'hui ?

Notre rapporteur s'y est déjà employé devant la commission des lois en faisant adopter des dizaines d'amendements rédactionnels ou de précision qui ne touchent en rien au fond du texte, mais démontrent seulement - et c'est déjà suffisant pour nous inquiéter - que ce projet est trop souvent mal écrit et mal construit. En outre, il contient des dispositions purement négatives.

Je souhaite maintenant, à travers quelques exemples, vous donner matière à réflexion sur certaines dispositions présentées succinctement dans ce texte et qui pourraient entraîner la reconnaissance de son inconstitutionnalité au regard des règles applicables à l'usage de l'article 38 de la Constitution.

Ainsi, l'article 46 du projet de loi prévoit que le législateur autorise le Gouvernement à prendre « les mesures nécessaires pour rendre compatibles avec le droit communautaire les dispositions législatives relatives à la passation des marchés publics ». Cette formulation est ambiguë et insuffisamment explicite. En ce sens, on peut estimer qu'elle contrevient à l'article 38 de la Constitution. En effet, comme l'a rappelé récemment le Conseil constitutionnel, «  l'article 38 fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnance, afin de justifier la demande qu'il présente ».

En janvier dernier, une première ordonnance, prise sur le fondement de la précédente loi d'habilitation, devait déjà remettre à plat les dispositions des marchés publics. Au cours du débat législatif, beaucoup d'entre nous avaient appelé, en vain, l'attention du Gouvernement et de sa majorité sur les nombreuses difficultés qui résulteraient du dispositif qui nous était brossé à grands traits.

M. François Sauvadet. Ce n'est pas faux !

M. Jérôme Lambert. Ces difficultés sont maintenant avérées, ce qui explique qu'on nous propose ce second examen pour essayer de refaire ce qui n'a pas été bien fait.

Pourtant, comme l'a rappelé le Conseil d'État, le Gouvernement est d'ores et déjà habilité, sur le fondement de l'article 21 de la loi du 7 août 1957 et de l'article 1er du décret-loi du 12 novembre 1938, à élaborer « la réglementation des marchés publics, des marchés de travaux de l'État, des collectivités et établissements publics » et à étendre « les dispositions législatives et réglementaires relatives à la passation et à l'exécution des marchés de l'État » par voie réglementaire, « sous réserve d'ajustements nécessaires, aux départements, aux communes et aux établissements publics relevant de l'État, des départements et des communes ». Dès lors, le législateur doit s'interroger sur l'opportunité d'accorder au Gouvernement une nouvelle habilitation.

L'exposé des motifs n'apporte pas de réponses pertinentes à la question, bien au contraire. Le Gouvernement y explique que cette habilitation - la seconde en un an sur le même sujet - vise à proroger celle prévue par l'article 5 de la loi du 2 juillet 2003, dont l'objet était d'autoriser l'exécutif à mettre en conformité le droit de la commande publique nationale avec l'évolution du droit communautaire en matière de marchés publics. Il ajoute que « même s'il est possible d'avancer les travaux de transposition à partir des documents de travail disponibles, la transposition finale ne peut avoir lieu que lorsque les dispositions législatives communautaires seront opposables aux États membres, c'est-à-dire à la date de leur publication ».

Cette argumentation prête à sourire quand on sait que la réforme du code des marchés publics, intégrant de nombreuses dispositions prévues par la directive européenne 2004/18 CEE publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 30 avril 2004, a été publiée le 8 janvier 2004 et est entrée en vigueur le 10 janvier 2004, soit un peu moins de quatre mois avant que le texte communautaire ne soit opposable à la France.

Il convient de rappeler au Gouvernement que la réforme du code des marchés publics pose toujours des problèmes de fond.

D'abord, elle a été adoptée en méconnaissant la plupart des réserves du Service central de prévention de la corruption, qui a pourtant alerté le ministre de la justice, comme en témoigne son rapport d'activité pour l'année 2003. Ce n'est pas une mince affaire.

Deuxièmement, elle vaut à la France une saisine de la Cour de justice européenne par la Commission, pour manquement au respect du droit communautaire, notamment en ce qui concerne les obligations de transparence et de publicité, sujet dont nous avions d'ailleurs traité au cours du précédent débat législatif.

Troisièmement, elle réduit l'accès des PME aux marchés publics de travaux publics en permettant la passation de marchés globaux portant « à la fois sur la construction et l'exploitation ou la maintenance d'un ouvrage ».

Enfin, elle suscite une réelle inquiétude des acheteurs publics et des élus, qui en dénoncent l'insécurité juridique.

Vu ce bilan pour le moins négatif - mais parfaitement objectif -, on ne peut que persister à penser que l'une des motivations principales du Gouvernement était de tirer bénéfice de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 novembre 2001, qui induisait une amnistie pour les délits de favoritisme commis antérieurement à la publication de la réforme. Mais, là encore, le Gouvernement a échoué puisque la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 janvier 2004, a jugé que l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions en matière de marchés publics, y compris plus permissives, était sans effet sur la poursuite et la répression des délits de favoritisme commis dans le cadre de l'ancienne réglementation. Au final, aucun des objectifs attendus, y compris ceux qui sont inavouables, n'a été atteint.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, il convient de refuser au Gouvernement une nouvelle habilitation en matière de marchés publics. Au contraire, exigeons de lui qu'il modifie le code des marchés publics afin que la transparence, l'égalité d'accès et la sécurité juridique soient pleinement respectées dans la commande publique. Cela ne nécessite aucune habilitation.

Comment, aussi, ne pas s'étonner, et s'inquiéter, de la présence dans ce projet de loi de dispositions qui surprennent ceux-là mêmes auxquels elles s'adressent ? Il en est ainsi, parmi bien d'autres exemples, des articles 48, 49 et 50 du projet d'habilitation, qui couvrent un champ très large. Sous l'argument fallacieux de mesures trop techniques, on empêche le Parlement de légiférer sur tout un pan de la politique sanitaire et sociale. Alors que le Parlement vient de débattre des projets de loi sur l'autonomie et sur le handicap, et s'apprête à examiner, cet été, le projet sur l'assurance maladie, le groupe socialiste estime que ces dispositions auraient pu être intégrées dans ces différents textes.

M. François Sauvadet. Ce n'est pas faux !

M. Jérôme Lambert. L'article 48 concerne tout à la fois la simplification des relations entre l'État et les caisses de protection sociale, les procédures conventionnelles des professions de santé et la révision des tableaux des maladies professionnelles. Cet article modifie également, entre autres, le fonctionnement de l'Union des caisses de sécurité sociale et les procédures d'indemnisation du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Une telle confusion est assurément contraire aux dispositions claires souhaitées par le Conseil constitutionnel. On peut d'ores et déjà noter que l'alinéa 12 prévoit la fusion des caisses d'assurance vieillesse et de la caisse maladie des travailleurs indépendants...

M. Guy Geoffroy. Demandée par les intéressés !

M. Jérôme Lambert. ...et confie la collecte de leurs cotisations aux URSSAF. Mais le Gouvernement ne dit rien, dans ce projet de loi, sur ses intentions en ce qui concerne le devenir des personnels des caisses, aspect pourtant essentiel pour garantir la faisabilité de la fusion. Ces dispositions, dès lors incomplètes et imparfaites, sont entachées d'inconstitutionnalité.

L'article 49 supprimerait de façon inattendue et proprement inadmissible les commissions d'admission à l'aide sociale. Après le mauvais coup qu'il a voulu porter aux centres communaux d'action sociale dans le projet de loi sur la décentralisation, le Gouvernement tente à nouveau de supprimer un outil permettant aux personnes les plus en difficulté d'être mieux suivies socialement. Le groupe socialiste a déposé un amendement pour rétablir ces commissions.

Seraient également modifiées les règles de la tarification des établissements et services accueillant des personnes âgées et des personnes handicapées ainsi que des services d'aide à domicile. Les familles et les départements auront-ils à payer encore plus ?

L'article 50 renverrait tout d'abord aux ordonnances la gouvernance de l'hôpital, telle que prévue dans le plan Hôpital 2007. On ne peut en traiter sans remettre à plat le mode de financement de l'hôpital. Or la tarification à l'activité doit être un instrument de valorisation des missions de service public et non l'outil d'un rapprochement entre l'hôpital public et l'hôpital privé. Pour le groupe socialiste, il n'est pas acceptable que la tarification à l'activité s'applique selon les mêmes critères dans le public et dans le privé. L'audit mis en place par le Gouvernement n'est qu'un rideau de fumée ; il ne sert qu'à gagner du temps et ne remet nullement en cause l'esprit de la réforme.

De toute façon, une telle question n'a pas sa place dans ce texte. D'ailleurs, le Gouvernement avait clairement indiqué aux partenaires sociaux et aux praticiens que la nouvelle organisation interne de l'hôpital ne ferait pas l'objet d'une ordonnance.

De surcroît, le projet inclut des modifications substantielles de la gestion des carrières des praticiens hospitaliers. Ces modifications n'ont pas été négociées avec les intéressés, qui s'estiment trompés par le Gouvernement, comme nous l'ont indiqué les responsables des principaux syndicats de médecins hospitaliers. Et hier encore, M. Douste-Blazy, ministre de la santé, a été pris en flagrant délit de mensonge.

L'article 50 revient également sur une disposition adoptée dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Ainsi, il prévoit de transformer le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies en société anonyme, alors que la loi de 2002 en avait fait un établissement public industriel et commercial afin que, tout en suivant l'évolution du progrès technique, soit maintenu un contrôle étatique fort, et utile, sur l'activité française de fractionnement, qui doit demeurer dans le secteur non marchand. Un amendement du groupe socialiste vous proposera de conserver le statut actuel de cet établissement.

Au vu de ces quelques exemples, on peut légitimement se demander si le Gouvernement ne s'arroge pas le droit de tromper ses interlocuteurs sociaux en usant de la procédure plus souple et surtout parfois plus obscure des ordonnances. Si les ordonnances doivent servir à cela, alors elles ne répondent pas aux objectifs de clarté affichés par le Gouvernement et ne sont donc pas conformes aux règles d'application de l'article 38 de la Constitution, telles que le Conseil Constitutionnel les a précisées dans sa jurisprudence récente.

Par l'article 4, le Gouvernement sollicite une habilitation pour réformer le droit de la filiation. Cette solution est éminemment critiquable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Oh oui !

M. Jérôme Lambert. Ce choix conduirait à priver la représentation nationale, donc le peuple français, d'un débat de fond sur un élément qui est devenu central dans le droit de la famille en raison du déclin de la conjugalité comme élément structurant de « ce qui fait la famille ».

En raison de la fragilisation des unions, la tendance est au recentrage sur le lien de filiation qui incarne, fût-ce de manière théorique et idéale, l'indissolubilité des liens familiaux, l'ordre généalogique et la chaîne générationnelle. En pratique, les progrès de la science, et plus particulièrement de la génétique, conduisent à fragiliser également le lien de filiation, qui risque d'être réduit à son acception biologique, c'est-à-dire à un simple lien du sang.

La faculté, désormais offerte, d'apporter la preuve scientifique de la paternité ou de l'absence de paternité ouvre de nouveaux champs de conflit en cas de séparation des parents. Aujourd'hui, le lien que l'enfant croyait certain peut ainsi se trouver totalement remis en question au gré de l'évolution des rapports entre ceux qu'il pensait être ses parents.

En outre, la cohérence du droit de la filiation se trouve également déstabilisée par l'émergence et la reconnaissance de nouveaux droits, notamment celui qu'a tout enfant d'accéder à ses origines. C'est ainsi que, à la suite de la réforme voulue par la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines, des principes qui peuvent a priori paraître contradictoires coexistent. L'article 342 du code civil stipule que « tout enfant naturel dont la filiation paternelle n'est pas légalement établie peut réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception », alors que l'article L. 147-7 du code de l'action sociale et des familles prévoit que « l'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit. »

C'est pourquoi il convient de s'interroger à nouveau sur le droit de la filiation : faut-il, au nom de la vérité biologique et d'un recours immodéré aux tests ADN, admettre la remise en cause du lien de filiation ? Ou doit-on reconnaître que, au bout d'un certain délai, celui qui a reconnu un enfant lui est lié de manière indissoluble ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce sont de vraies questions !

M. Jérôme Lambert. À côté de la filiation biologique, quelle place faut-il accorder à la filiation élective et au vécu social, c'est-à-dire à la possession d'état ? Doit-on considérer que le lien de filiation est un lien institué et vécu et, du même coup, réduire, voire récuser, le principe selon lequel la filiation résulte d'un lien du sang ?

Ce sont là des questions essentielles qui intéressent toute la société. La modification du droit de la filiation doit être débattue publiquement, pour éviter qu'elle ne soit contestée demain en raison d'un déficit de légitimité démocratique. On ne saurait se satisfaire d'une réforme élaborée dans de petits cercles de spécialistes.

À cet égard, il convient de rappeler à la majorité, qui, aujourd'hui, reste sans voix face à une réforme du droit de la famille par ordonnance,...

M. François Sauvadet. Attendez, ça va venir !

M. Jérôme Lambert. ...que, sous la précédente législature et alors qu'elle était l'opposition, elle n'a eu de cesse de critiquer des réformes qui, elles, avaient au moins le mérite d'être débattues, et qui étaient souvent adoptées de manière consensuelle.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est exact !

M. Jérôme Lambert. Après avoir évoqué, à titre d'exemple, une petite partie des dispositions, très diverses, contenues dans ce projet de loi, je veux évoquer d'autres dispositions qui n'auront pas l'accord du groupe socialiste.

Ainsi, l'article 3 permettant au Gouvernement de développer l'administration électronique prévoit la constitution de groupements d'intérêt public entre personnes morales de droit privé et de droit public pour gérer les équipements d'intérêt commun dans ce domaine. Confier au secteur privé le développement et la maintenance des sites Internet du secteur public présente un risque de débudgétisation des dépenses y afférentes et pose le problème majeur des informations circulant via ce mode de communication. Récemment, le Parlement a longuement débattu des questions relevant du développement des usages d'Internet dans le secteur privé. Ces débats ont démontré la complexité de ces questions et tout l'intérêt que nous devons y porter. Ainsi, nous sommes inquiets d'être privés d'un vrai débat sur le développement de l'usage d'Internet dans le secteur public : il pourrait nous donner l'occasion d'écarter certains risques, y compris en matière de libertés publiques.

L'article 8 permet la modification du régime juridique des associations, fondations et congrégations, en remplaçant le régime d'autorisation relatif aux libéralités qu'on leur consent par un régime déclaratif. Ne serait-il pas plus sage de limiter ce régime déclaratif aux seules associations reconnues d'utilité publique ? Les contrôles a posteriori, s'ils concernent tous les groupements − y compris les associations à caractère sectaire −, pourraient poser problème. Ne risqueraient-ils pas de s'avérer plus délicats et de favoriser le développement des fraudes ? L'argent étant volatil, les contrôles a posteriori ne permettraient peut-être pas de retrouver les sommes parfois importantes qui seraient contestées.

L'article 12 s'attaque à la réglementation et à la gestion des aides personnelles au logement. En la matière, l'expérience nous montre malheureusement que l'action du Gouvernement est négative pour nos compatriotes. Je rappelle que, en modifiant récemment le mode de calcul et de versement de l'aide personnalisée au logement, vous avez exclu 250 000 personnes du bénéfice des allocations. Vous envisagez de fusionner deux fonds de financement, mais cela ne règle pas cette question importante. Qui plus est, le renvoi au règlement de la fixation de la date d'actualisation du barème de l'aide personnalisée au logement, initialement prévue au 1er juillet, peut conduire à un décalage dans le temps et à des situations préoccupantes pour les ménages les plus en difficulté.

Enfin, en supprimant l'abattement forfaitaire appliqué aux ressources des ménages où l'homme et la femme ont une activité productrice de revenu, le Gouvernement veut faire des économies sur le dos de ceux qui bénéficient de ces aides. On allègue la modicité de cet abattement, mais si, pour certains, ces 76 euros peuvent paraître une petite somme, ils représentent, pour d'autres, un appoint important. Nous ne pouvons accepter que l'État continue de se désengager ainsi du soutien au logement des plus modestes.

L'article 13 permet de simplifier le régime des autorisations en matière d'urbanisme, et donc de modifier la structure même du code de l'urbanisme, sans qu'ait lieu un vrai débat sur ces sujets complexes. Pourtant, en la matière, l'expertise des élus vaut mieux que celle des technocrates qui feront la loi à notre place.

En outre, le Gouvernement envisage de supprimer le certificat de conformité qui permet à l'administration de constater les infractions commises dans la mise en œuvre des permis de construire. Contrairement à ce que le Gouvernement veut laisser croire, la délivrance de ce certificat n'a pas uniquement des incidences en matière d'aides à la construction, de droits de mutation ou de ventes immobilières. En réalité, sous prétexte de simplification, il s'apprête à priver les maires d'un outil important de la maîtrise d'urbanisme. Ils risquent même d'être confrontés, après coup, à des situations difficiles et de voir leur responsabilité mise en cause.

À l'article 14, le Gouvernement souhaite faciliter la conclusion de conventions pour le logement locatif privé bénéficiant des aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, et, à cet égard, on pourrait saluer son action. Mais, au vu des gels de crédits intervenus en 2003 − 30 % des sommes allouées − et des gels attendus cette année, ces mesures vont rester lettre morte puisque l'ANAH n'aura pas les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

L'article 15 permettrait d'harmoniser la définition des surfaces bâties dans l'ensemble des législations concernées − urbanisme, habitat, construction. Mais, sous couvert de cette harmonisation, le Gouvernement ne pourrait-il pas remettre en cause la surface habitable minimale constitutive d'un logement décent au sens de l'article 187 de la loi « solidarité et renouvellement urbains » ? En effet, face au lobbying de certains propriétaires privés qui souhaiteraient pouvoir de nouveau louer leurs chambres de service, le Gouvernement a répondu qu'il réfléchissait à la modification du dispositif. Ces ordonnances sont-elles le moyen qu'il a trouvé pour répondre à cette demande sans oser nous le dire clairement aujourd'hui ?

L'article 16, en matière de droit forestier, étend le champ des dispenses d'autorisation des coupes de bois. Une telle disposition présente un grave risque pour l'environnement. De plus, il est particulièrement contestable de ne pas diffuser préalablement aux maires des communes concernées un document départemental de gestion de l'espace agricole. Quand on pense que le Gouvernement se pique d'être décentralisateur et défenseur du droit à l'environnement !

Au chapitre consacré aux mesures spécifiques de simplification en faveur des entreprises, et plus précisément à l'article 20, vous souhaiteriez « substituer des régimes déclaratifs à certains régimes d'autorisation administrative préalable auxquels sont soumises les entreprises », « définir les possibilités d'opposition de l'administration, les modalités du contrôle a posteriori et les sanctions éventuelles ». Qu'est-ce que cela implique ? On est en droit d'attendre un minimum de précisions et d'explications sur le champ et les modalités d'application d'une telle mesure.

À l'article 25, le Gouvernement sollicite une habilitation pour réformer l'assurance construction. Depuis quelques années, prétextant un accroissement de la sinistralité et une judiciarisation de la société qui a pour corollaire l'augmentation du montant des indemnités versées aux victimes de tous ordres, les assurances se sont engagées dans une véritable dérive tarifaire. Parallèlement, elles ont entrepris une action de lobbying sans précédent afin d'obtenir une révision en leur faveur de nombreuses dispositions du code de l'assurance. L'objectif est double : accroître le champ de l'obligation d'assurance et durcir les conditions requises pour faire jouer la garantie.

En réalité, les assureurs ont subi le contrecoup du 11 septembre 2001 et de la chute des cours boursiers. Aujourd'hui, ils essayent par tous les moyens de rétablir leurs marges bénéficiaires en augmentant sans justification sérieuse le montant des primes des assurances obligatoires.

Ce constat vaut pour la responsabilité médicale. Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, les professionnels de santé sont tenus de souscrire une assurance en responsabilité pour ne pas être interdits de pratiquer. Or, depuis 2001, le montant de leurs primes ne cesse d'augmenter, alors qu'aucune étude sérieuse ne vient corroborer une augmentation de la sinistralité en matière de santé. Bien plus, à la fin de 2002, une loi est venue restreindre le champ des préjudices couverts par l'assurance obligatoire, puisque les infections nosocomiales les plus graves sont aujourd'hui indemnisées dans le cadre de la solidarité nationale, à travers l'ONIAM.

Ce constat vaut également pour l'assurance automobile, rendue obligatoire depuis 1985. Nombreux sont ceux qui dénoncent l'augmentation continue des primes d'assurance, alors que, en 2004, le nombre d'accidents de voiture a très fortement diminué. Francis Mer s'était lui-même engagé à faire revenir les assureurs à la raison : en vain.

Quel constat peut-on dresser aujourd'hui en matière d'assurance construction ? Les professionnels de la construction, assujettis à l'obligation d'assurance depuis la loi Spinetta de 1978, dénoncent légitimement une hausse substantielle de leur prime d'assurance conjuguée à une réduction des garanties.

Après les médecins et les automobilistes, c'est maintenant au tour des entreprises de BTP de passer à la caisse. Là encore, sous la dictée des assureurs, le Gouvernement s'apprête à apporter des réponses qui ne sont pas conformes à l'équité. Les sous-traitants seront tenus de souscrire une assurance construction, ce qui va mécaniquement accroître les recettes des assureurs au moment même où le champ des dommages couverts va être réduit au détriment tant des assurés que des victimes.

Dès lors que, une fois de plus, aucune contrepartie n'est demandée aux assureurs, on peut s'interroger sur l'effet qu'auront ces dispositions sur leur politique abusive de hausse tarifaire. C'est pourtant bien cette hausse qu'il conviendrait de juguler.

Le Gouvernement fait le contraire. Il va bientôt donner aux assureurs une raison de faire repartir les primes à la hausse. C'est là une conséquence inattendue mais prévisible de la disparition programmée de la loi MOP de 1985, qui oblige la maîtrise d'œuvre à être indépendante du constructeur. La future ordonnance sur les contrats de partenariat va permettre à l'État comme aux collectivités territoriales de passer des marchés globaux attribuant à une même entreprise la conception, la construction et le financement des équipements publics. Le Gouvernement fait ainsi le choix de multiplier les cas où la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d'ouvrage seront assumées par le constructeur, alors que c'est précisément cette concentration des missions, génératrice de confusion et d'irresponsabilité, qui a valu à Aéroports de Paris d'être mis à l'index par le rapport 2002 de la Cour des comptes, dans le cadre de la réalisation du terminal E2 de Roissy.

Cette pratique, qui va se généraliser demain, conduira nécessairement à une hausse de la sinistralité en matière de construction. La réduction des coûts et celle des délais de construction sont aujourd'hui les deux éléments qui minent la qualité architecturale des constructions. Ce n'est pas en se concentrant sur une réforme de l'assurance construction que l'on réduira les sinistres. C'est plutôt en renforçant l'indépendance et la performance de la maîtrise d'œuvre que l'on préviendra les catastrophes comme celle de Roissy.

L'article 27 prévoit de simplifier le droit applicable aux changements d'affectation des locaux. Certes, il est souhaitable de clarifier la notion de locaux à usage d'habitation et de redéfinir le champ d'application et le régime de l'autorisation. Cependant, l'habilitation demandée ne prévoit pas de façon explicite la décentralisation du régime d'autorisation du changement d'affectation des locaux aux communes. La décentralisation du dispositif avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'un amendement du groupe socialiste lors de l'examen du texte sur les responsabilités locales.

La simplification des formalités d'acquisition des prestations de formation et l'harmonisation des procédures de contrôle en matière de formation professionnelle prévues à l'article 37, ne doivent pas conduire au développement d'actions de formation de qualité discutable, voire à une utilisation détournée des fonds de la formation professionnelle, notamment des fonds publics. Cet article doit être précisé dans ce sens.

Rappelons que toute simplification, adaptation ou harmonisation des procédures de contrôle et des sanctions en matière de formation professionnelle doit respecter les principes affirmés par la toute nouvelle loi du 4 mai dernier sur la formation professionnelle tout au long de la vie.

En effet, les partenaires sociaux viennent de traiter, dans le cadre de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003, la question de ce qui relève de la notion d'action de formation professionnelle dans un contexte fortement évolutif. Ainsi, la récente loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, qui reprend les dispositions de l'accord national interprofessionnel, a modifié plusieurs articles du code du travail relatifs au contrôle de la formation professionnelle ainsi qu'un article du même code relatif aux dispositions pénales. Il est pour le moins curieux que le Gouvernement envisage déjà de modifier par ordonnance des dispositions de ces deux chapitres du livre IX du code du travail que la loi vient juste de modifier !

Concernant la mise en œuvre des mesures destinées à anticiper et accompagner l'évolution des compétences par voie de conventions entre l'État et les organisations professionnelles et syndicales, l'exposé des motifs souligne que la loi du 4 mai dernier n'a pas pris en compte l'évolution vers la contractualisation avec les entreprises et les branches professionnelles des politiques de développement des compétences. Or on ne peut ignorer que la participation des employeurs, à hauteur de 1,6 % de la masse salariale, au développement de la formation professionnelle continue a fait l'objet d'âpres discussions lors de la négociation de l'accord national interprofessionnel de septembre 2003. À cette occasion, le MEDEF...

M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Cela faisait longtemps !

M. Guy Geoffroy. Il nous manquait !

M. Jérôme Lambert. ...aurait souhaité passer d'une obligation légale du financement de la formation professionnelle continue à une obligation conventionnelle variable selon les branches, voire les entreprises. Serait-ce pour satisfaire les demandes du MEDEF que le Gouvernement nous présente ce projet d'habilitation ?

L'article 40 supprime le système de révision réglementaire annuelle du taux de compétence en dernier ressort des conseils des prud'hommes. Des précisions significatives doivent être apportées quant au mode de calcul du taux fixe qui serait dorénavant appliqué.

L'article 41 propose aux établissements publics à caractère scientifique et technologique de présenter leur comptabilité selon les usages du commerce. Cette disposition, qui ouvre une brèche dans le régime budgétaire et comptable des établissements publics tels que les laboratoires de recherche des universités est tout simplement inacceptable.

L'article 42 prévoit la simplification et l'harmonisation des différents régimes d'enquête publique mais reste muet sur les opérations concernées. Des éclaircissements sur le champ d'application de cet article sont indispensables, car le risque pour le droit d'information des citoyens est réel. Ce sujet, que vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d'État, est particulièrement sensible, surtout au lendemain du vote de la loi sur la charte de l'environnement.

Le Gouvernement prévoit d'alléger les procédures d'adoption ou de révision des schémas de services collectifs, voire d'en supprimer certains. Les arguments du Gouvernement ne sont pas probants et le texte est si flou qu'il ne précise pas quels schémas seraient supprimés.

L'article 48 crée un régime social unifié des travailleurs indépendants et, parallèlement, transfère aux URSSAF l'encaissement des cotisations personnelles de sécurité sociale des travailleurs indépendants jusqu'alors gérées par l'ORGANIC, la CANCAVA et la CANAM.

Une partie de cette réforme est sans doute souhaitable...

M. François Sauvadet. C'est indiscutable !

M. Jérôme Lambert. ...mais exclure la représentation nationale de la réflexion au moment même où nous discutons de la réforme de l'assurance maladie est d'autant plus contestable que de nombreux travailleurs indépendants s'inquiètent aujourd'hui des mesures qui pourraient leur être imposées.

L'article 50, que j'ai déjà brièvement évoqué, prévoit, dans son septième alinéa, de réformer les règles de fonctionnement des établissements publics de santé, notamment les règles de gestion des directeurs et des praticiens hospitaliers. La Confédération des hôpitaux généraux, le collectif des syndicats de praticiens hospitaliers pour la défense de l'hôpital public et d'autres organisations encore s'étonnent, c'est le moins que l'on puisse dire, de ces dispositions. En effet, le ministre de la santé avait annoncé que ces réformes ne feraient pas l'objet d'une ordonnance et que tout ce qui touche à la gestion des carrières des praticiens hospitaliers serait négocié avec les intéressés.

M. Philippe Tourtelier. Très juste !

M. Jérôme Lambert. Le ministre, hier encore dans cet hémicycle, persistait à nier l'évidence, comme à son accoutumée !

Voilà à quoi vous arrivez avec ce projet de loi. Comment, dans ces conditions, vous faire confiance ou vous accorder le bénéfice du doute ? Comment accepter ce texte fourre-tout,...

M. Guy Geoffroy. Oh !

M. Jérôme Lambert. ...si mal écrit que le rapporteur a été obligé de déposer plusieurs dizaines d'amendements rédactionnels. Je vous conseille d'ailleurs la lecture de son amendement réécrivant l'article 51, celui dont je vous parlais tout à l'heure, amendement de 4 pages et demie qui comprend des dizaines de renvois à des textes divers et variés. C'est un monument ! Il sera difficile de faire mieux dans l'illisible et dans la complexification du droit !

On le voit, ce projet de loi, comme l'indiquait le rapporteur, contient des dispositions très diverses, tellement diverses qu'il tourne à la confusion et que le Parlement se trouve dans l'incapacité, soulignée déjà en commission des lois, de l'examiner avec toute la sécurité juridique nécessaire.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande, en votant l'exception d'irrecevabilité, de dire au Gouvernement que nous souhaitons travailler dans des conditions plus respectueuses des droits du Parlement : il y va de la sécurité juridique et de l'intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Étienne Blanc, rapporteur. Sur cette exception d'irrecevabilité, je ferai deux observations.

D'abord, il est reproché au texte qui nous est soumis d'être confus, de contenir toute une série de mesures disparates et il est prêté au Gouvernement l'intention de vouloir noyer dans la masse un certain nombre de mesures qui toucheraient au fond du droit. Les travaux de la commission ont pourtant bien montré que la plupart des mesures proposées étaient des mesures techniques.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Étienne Blanc, rapporteur. L'objectif est, pour l'essentiel, de simplifier et de clarifier les procédures.

M. Jérôme Lambert. Nous en convenons.

M. Étienne Blanc, rapporteur. M. Lambert a mis l'accent sur un point (« De nombreux points ! » sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Jérôme Lambert. Ceux qui posent problème !

M. Étienne Blanc, rapporteur. ...la filiation, nous accusant de vouloir toucher au code civil par voie d'ordonnance et de créer ainsi un précédent dans l'histoire de la Ve République. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous l'avez même écrit !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Je voudrais répondre sur ce point particulier et démontrer que nos intentions ne sont pas celles que l'on nous prête.

Pour les raisons que l'on sait, le code civil s'est adapté au fil du temps, notamment sous la pression de directives européennes, au principe d'égalité absolue des droits des enfants naturels, des enfants légitimes et des enfants adultérins. Toutefois, les textes restent confus car toutes les conséquences formelles de l'évolution de notre législation n'ont pas été tirées.

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

M. Jérôme Lambert. Eh bien, il faut en débattre !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n'est pas seulement une question de forme !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Ce qui vous est proposé aujourd'hui, c'est simplement d'inscrire de manière plus lisible ce principe d'égalité dans les textes.

M. Jérôme Lambert. Débattons-en !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Laissez-nous faire !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Tous les professionnels du droit vous le diront, notre droit de la filiation est difficilement compréhensible. Nous vous proposons de le clarifier, pas de toucher au fond du droit.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais vous touchez au fond !

M. Jérôme Lambert. Il y a un risque !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Ma seconde observation, monsieur Lambert, porte sur votre critique relative à l'utilisation de l'article 38 de la Constitution. L'argumentation que vous présentez aujourd'hui est exactement la même que celle qui avait été opposée au projet de loi d'habilitation n° 1, qui n'a fait l'objet d'aucune censure du Conseil constitutionnel.

M. Jérôme Lambert. Pourtant, ce projet de loi contenait des erreurs.

M. Étienne Blanc, rapporteur. Ce texte était en effet parfaitement conforme aux dispositions de l'article 38, que je voudrais rappeler.

D'abord, la loi d'habilitation à légiférer par voie d'ordonnances doit déterminer un champ limité, pas trop étroit, car nous serions prescriptifs, mais pas trop large non plus, pour que le Gouvernement n'ait pas une marge de manœuvre qui échapperait à notre contrôle. Vous l'aurez noté, le texte qui vous est proposé répond parfaitement à cette exigence de l'article 38.

Ensuite, il faut que les ordonnances soient prises dans un délai relativement court pour que, là aussi, le contrôle du Parlement puisse s'exercer.

Enfin, cela a été souligné en commission, la procédure de ratification sauvegarde les droits du Parlement.

M. Guy Geoffroy. Évidemment !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Rien n'interdit en effet à notre assemblée d'amender aujourd'hui les ordonnances pour lesquelles une ratification est sollicitée.

À ce propos, je voudrais me référer, puisque la majorité est accusée de se livrer à des turpitudes,...

M. Philippe Tourtelier. Eh oui !

M. Étienne Blanc, rapporteur. ...aux ordonnances qui ont été prises à une autre époque : je ne parle pas de celles des années 58-60 mais de celles qui ont été prises plus récemment, le 6 janvier 1982. Ces ordonnances ont, elles, touché au fond du droit. Elles ont réduit la durée du travail. Elles ont réformé la législation des congés. Elles ont modifié les règles sur le travail à temps partiel et sur le travail temporaire. Elles ont instauré un nouveau contrat à durée déterminée. Elles ont modifié les régimes de retraite et changé les dispositions concernant la qualification des jeunes.

Oui, ces ordonnances touchaient au fond du droit. Ce n'est pas le cas de celles qui vous sont proposées aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. J'ai bien entendu les arguments invoqués pour la défense de l'exception d'irrecevabilité et je voudrais répondre à la fois sur la procédure utilisée par le Gouvernement, le moment choisi pour débattre et l'environnement du texte.

En ce qui concerne la procédure, la Constitution de la Ve République nous permet, en vertu de son article 38, de légiférer par ordonnances. C'est un outil, nous l'utilisons comme d'autres gouvernements l'ont fait avant nous et comme nous l'avons fait l'année dernière, ainsi que l'a rappelé à juste titre le rapporteur.

Nous le faisons de manière très scrupuleuse. La précision de ces ordonnances, contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur Lambert, est tout à fait remarquable. Elle permet de bien mesurer les intentions du Gouvernement et satisfait aux exigences maintes fois répétées du Conseil constitutionnel pour l'application de cette procédure.

D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision concernant les ordonnances du PLH 1, a indiqué que le but poursuivi par le législateur, c'est-à-dire la simplification et la codification - et tel est bien aussi l'ambition de ce PLH 2 - est non seulement conforme à la Constitution, mais répond également à la simple mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Utiliser ce vecteur à cette fin est tout à fait permis par la Constitution de la Ve République.

Quant au choix du moment, que vous avez critiqué, je répondrai qu'il n'y a pas de bons ou de mauvais moments pour travailler. Le Parlement travaille et nous fixons l'ordre du jour en fonction des textes. D'ailleurs, je confirme, après Renaud Dutreil, que nous proposerons l'année prochaine un nouveau projet de simplification, car la continuité, la régularité sont essentielles en ce domaine et expriment une réelle volonté politique qui mérite d'être soulignée. C'est seulement par la répétition de l'effort que nous pourrons, dans un environnement juridique extrêmement divers et foisonnant, clarifier les textes empilés depuis des siècles et montrer aux usagers que le Gouvernement et le Parlement ne se satisfont pas d'un droit complexe, incompréhensible, attentatoire aux libertés. C'est ainsi seulement que nous démontrerons que nous voulons réellement, parallèlement au renforcement des politiques, simplifier et rendre plus transparentes les règles qui s'appliquent à nos concitoyens.

J'en viens à l'environnement du texte. Vous nous dites, monsieur Lambert, que 200 mesures c'est beaucoup, mais le nombre d'articles de ce projet de loi est à l'image du droit. Nous balayons en effet de nombreuses mesures, mais cela relève de la nature même de l'exercice. Vous confondez l'objectif et les modalités. Les modalités de simplification peuvent être compliquées,...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec et M. Jérôme Lambert. Ça oui !

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. ...mais ce qui compte, c'est le résultat. Nous, nous sommes des professionnels du droit. Il est donc naturel que nous affrontions une certaine complexité. Nous sommes là pour ça !

M. Jérôme Lambert. Nous sommes des élus, pas des professionnels !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça change tout !

M. Jérôme Lambert. Les professionnels sont autour de vous, monsieur le secrétaire d'État !

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. J'espère que les élus sont tous des professionnels de la vie publique. Demandez donc aux maires s'ils ne le sont pas !

M. Jérôme Lambert. Nous sommes des maires élus qui mettons nos compétences au service du peuple !

M. Dominique Le Mèner. C'est modeste !

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. Vous êtes en effet probablement trop modeste !

Vous confondez donc l'objectif et les modalités. Les modalités de la simplification sont compliquées mais, je le répète, ce qui compte, c'est le résultat, c'est-à-dire que, au bout du compte, l'usager du service public soit confronté à une administration qui utilise des procédures plus simples.

Enfin, ce texte est au service des plus faibles, contrairement à ce que vous avez pu dire. Les intentions du Gouvernement ne peuvent être sujettes à caution. La simplification, l'effort de transparence profitent toujours aux plus faibles et en vous n'avez pas été très convaincant, monsieur Lambert, en vous faisant l'ambassadeur de la complexité et de la lourdeur administrative. La société dans laquelle nous vivons a au contraire besoin d'un effort de simplification. Les usagers nous le demandent. Ce n'est pas un débat qui doit opposer la droite et la gauche, c'est un objectif qui doit nous réunir. Je demande donc à l'Assemblée de rejeter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Dans son long développement, Jérôme Lambert s'est efforcé, avec un succès plutôt mitigé, de démontrer, selon ses propres termes, l'inconstitutionnalité de ce projet de loi. Pendant un quart d'heure, il a tourné en rond en se livrant à des caricatures sur lesquelles je reviendrai brièvement, puis il s'est livré, pendant trois quarts d'heure, à une véritable explication de texte concernant certains articles du projet de loi, tout en se plaignant que le débat soit tronqué.

Le premier élément de son argumentation pourrait faire sourire. Ainsi, à trois jours d'un scrutin important, le scrutin européen, nous n'aurions pas le droit de légiférer !

Et, de surcroît, nous n'aurions pas le droit de légiférer sur une question importante pour le quotidien de nos concitoyens, à savoir la simplification du droit. J'ai même entendu pis ! Le fait que nous soyons contraints de légiférer aujourd'hui sur cette question priverait le pays de certaines compétences, ce qui est, vous en conviendrez, très aimable pour les honorables parlementaires qui sont venus travailler aujourd'hui, aux côtés du Gouvernement, à cette œuvre importante de simplification du droit.

M. Lambert a repris des antiennes qui relèvent non pas de la démonstration, mais de l'affirmation gratuite. Il a parlé de « débat tronqué », de « dessaisissement du Parlement », de « dissimulation suspecte », de « passage en force », de « tour de passe-passe législatif ». Et puis, pour couronner le tout, il nous a dit que, de toute façon, le but visé ne pourrait pas être atteint puisque les gels de crédits empêchent la mise en œuvre des politiques gouvernementales.

M. Philippe Tourtelier. C'est vrai !

M. Guy Geoffroy. Tout cela n'est ni très convaincant ni très sérieux. En effet, comme l'ont très bien rappelé M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État, il s'agit en l'espèce de l'application d'une disposition constitutionnelle qui n'est pas mineure. L'article 38 de la Constitution, qui autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances, est une disposition utile en général et essentielle en cette matière où il s'agit, en faisant vite mais bien, d'aller dans le sens de l'intérêt général, c'est-à-dire dans le sens de la simplification de notre droit et de sa lisibilité.

Je voudrais rappeler des éléments qu'il ne faut pas oublier et sur lesquels je reviendrai lors de mon intervention dans la discussion générale. Les ordonnances ont valeur législative à partir du moment où le projet de loi autorisant leur ratification est déposé et où cette ratification est opérée. Or, tant pour le projet de loi d'habilitation de l'an passé que pour le présent - et même le suivant, qui est préparé dans la plus grande transparence -, le Gouvernement et le rapporteur veillent à ce que les ordonnances soient ratifiées le plus rapidement possible. Et comment s'offusquer, au nom qui plus est d'un débat tronqué, que le Parlement, à l'occasion de la ratification des ordonnances, se prévale de son droit d'amendement ?

La démonstration est donc faite que, au-delà de vos quelques remarques systématiques de principe, il n'y a pas de volonté de dessaisir le Parlement ; il y a au contraire une volonté très claire, très dynamique d'utiliser notre Constitution pour faire évoluer le droit, le simplifier et le rendre plus accessible. J'en veux d'ailleurs pour preuve que, depuis le début de la ve République, environ 250 ordonnances ont été prises, dont plus du quart entre 1997 et 2002. Ce qui était justifié hier ne le serait-il donc plus aujourd'hui ? Vous me répondrez sans doute que vous, vous aviez de bonnes raisons de procéder de la sorte,...

M. Jérôme Lambert. En effet !

M. Guy Geoffroy. ...mais les Français n'ont pas la mémoire courte, ils savent lire dans le comportement des uns et des autres. Vous ne pouvez pas critiquer aujourd'hui une méthode que vous avez utilisée hier, notamment dans le domaine de la transposition des directives européennes, que je connais un peu plus que d'autres pour avoir été récemment rapporteur d'un texte en ce domaine aux côtés de Mme Lenoir. Démonstration avait alors été faite, et personne dans vos rangs ne l'avait contesté, que ce que vous aviez fait en la matière était beaucoup plus imparfait, beaucoup moins transparent, donc beaucoup plus critiquable que ce que nous proposions.

M. Jérôme Lambert. Comme quoi les ordonnances sont toujours dangereuses !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Geoffroy !

M. Guy Geoffroy. Bref, comme l'a si joliment dit le rapporteur, il y a, d'un côté, ceux qui veulent faire simple pour le bonheur du pays et, de l'autre, ceux qui ne veulent pas faire simple, parce qu'ils aimeraient continuer à prospérer sur le malheur de certains. Nous faisons partie des premiers. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, la parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je regrette vivement l'absence de M. le ministre de la réforme de l'État, qui était à la tribune tout à l'heure pour nous annoncer ses principes, mais qui n'est plus là pour écouter ce que nous avons à lui dire. C'est manquer singulièrement de respect envers le Parlement. Je ne mets pas en cause la compétence de M. Woerth, mais je regrette le procédé.

Sur le fond, si simplification il doit y avoir, c'est bien parce qu'il y a eu complexification. Et ce côté complexe, il vient de l'accumulation des textes législatifs, ce que nous appelons « l'inflation législative », laquelle ne date pas d'hier. J'ai là un excellent ouvrage, Rappel au règlement, dont vous connaissez l'auteur - nous avons beaucoup travaillé avec lui à l'époque et avec Philippe Séguin, alors président de l'Assemblée -, Pierre Mazeaud, qui a longtemps siégé sur ces bancs et qui est maintenant président du Conseil constitutionnel. Et Pierre Mazeaud se plaignait lui aussi de cette inflation législative. Or c'est bien le Gouvernement qui en est responsable, puisqu'il est seul maître de l'ordre du jour ! La situation est telle que notre groupe a dû demander à être reçu par M. le Premier ministre et M. le Président de l'Assemblée nationale pour dénoncer les conditions de travail du Parlement.

M. François Sauvadet. Ça, ce n'est pas faux !

M. Jacques Brunhes. Des textes discutés en conseil des ministres le mercredi sont débattus la semaine suivante, après un examen de quelques heures en commission sur la base d'un rapport rédigé la veille. Voilà ce qui est à l'origine de la mauvaise rédaction des lois et de cette aberration qu'est un mois de session extraordinaire alors que nous avons une session unique.

M. Dutreil dit vouloir se pencher sur les procédures législatives. Que ne l'a-t-il fait depuis deux ans ?

M. Dominique Le Mèner. Vous avez été au pouvoir pendant quinze ans !

M. Jacques Brunhes. Je vous l'accorde, les gouvernements précédents auraient aussi pu le faire, c'est un problème de fond. Je ne vous rappellerai que l'un des exemples pris par M. Mazeaud. Un virage du Parc des Princes prend feu et, la semaine suivante, la ministre de la jeunesse et des sports, Mme Alliot-Marie, dépose un projet de loi ! Il y a donc un vrai problème et il faut dire à M. Dutreil de se pencher sur les procédures législatives. M. Mazeaud déplorait aussi souvent que nous ayons à examiner ici autant de textes relevant en fait du domaine réglementaire. C'est inimaginable !

S'agissant de la procédure des ordonnances, vous affirmez, monsieur le secrétaire d'État, qu'il est de bonne guerre d'utiliser l'article 38 de la Constitution. Mais vous ne l'utilisez pas, vous en abusez !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Guy Geoffroy. Affirmation gratuite !

M. Jacques Brunhes. Il n'y a aucune commune mesure entre une ordonnance ou un texte d'habilitation d'un, de deux, voire de trois articles, comme c'était l'usage, et le premier texte d'habilitation que vous avez déposé, qui en comprenait vingt et un, ou celui-ci, qui en comporte une soixantaine et prévoit 200 mesures.

M. Guy Geoffroy. C'est beaucoup, en effet.

M. Jacques Brunhes. J'ai d'ailleurs félicité notre rapporteur : grâce à son rapport de 825 pages, il va bientôt pouvoir entrer dans le livre Guinness des records !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Telle n'est pas mon ambition !

M. Jacques Brunhes. Monsieur le secrétaire d'État, on ne nous fera pas croire qu'un texte comme celui-ci ne contient que des mesures techniques. Il prévoit aussi des mesures de fond.

Alors que, pendant tout le mois de juillet, nous allons débattre de la réforme de l'assurance-maladie, un article entier du projet de loi porte sur la gouvernance de l'hôpital. Qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit là de mesures techniques, quand tous les professionnels ont expliqué qu'ils étaient défavorables au projet qui nous était soumis ! Il s'agit bien de problèmes de fond.

Nous regrettons que vous ne vouliez pas les discuter dans le cadre de la procédure législative normale. C'est pourquoi nous voterons la motion de procédure qui nous est proposée.

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. S'il est un point sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, c'est bien la défense des prérogatives du Parlement.

M. Philippe Tourtelier. Oui, mais il ne suffit pas de le dire !

M. François Sauvadet. Nous sommes tous parlementaires et nos missions, à ce titre, sont clairement définies. Pardon d'enfoncer une porte ouverte : elles consistent à élaborer la loi en contribuant à son amélioration par voie d'amendements. Un autre de nos devoirs - à propos duquel nous devons progresser et j'espère que les amendements que nous allons examiner y aideront - est le contrôle de l'application de la loi. C'est même une partie essentielle de nos attributions. Un Parlement moderne doit s'en saisir davantage, de même qu'il doit renforcer le rôle des commissions ou de certains outils nouveaux. Nous les avons créés ; à nous de les faire fonctionner.

Je me souviens d'un débat consécutif au dépôt d'un rapport parlementaire dont j'étais l'auteur et qui s'intitulait « L'insoutenable application de la loi ». Peut-être vous en souvenez-vous, mes chers collègues. Nous avions alors présenté des propositions qui ont conduit à la création d'un office parlementaire d'évaluation de la législation. Celui-ci ne fonctionne pas. J'en suis membre et j'ai pu vérifier, en consultant mon agenda, que je n'avais encore été invité à aucune réunion.

Faisons donc fonctionner les outils qui existent ! Au lieu de nous livrer à des querelles stériles sur le rôle d'un Parlement moderne, nous devons à progresser dans la réflexion sur les conditions d'élaboration et d'application de la loi.

Nous avons tous observé - malgré toutes les alternances - que des amendements gouvernementaux pouvaient survenir à la dernière minute.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Surtout ces derniers temps !

M. François Sauvadet. Ne nous livrons pas à des polémiques stériles : elles ne renforcent pas le droit du Parlement. Sur des sujets qui intéressent tous nos compatriotes, j'aimerais au contraire que nous fassions preuve de davantage de responsabilité.

Je le répète : quelle que soit la majorité, nous sommes habitués à voir arriver des amendements gouvernementaux de dernière minute qui compromettent le travail effectué en commission.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La tendance s'est tout de même accélérée !

M. François Sauvadet. Nous devons y réfléchir. Le mode de fonctionnement du Parlement doit être remis à plat. À l'origine, la session unique devait modifier notre rythme de travail. Nous avons réduit les séances tardives, mais sans doute pas suffisamment. Il n'est donc pas inutile que le Parlement s'arrête un instant pour reconsidérer ses conditions de travail. Il est même heureux que la réflexion puisse être amorcée aujourd'hui, à l'occasion de ce débat sur la simplification du droit.

Pour en revenir à l'exception d'irrecevabilité, je n'ai pas été convaincu par les arguments de notre collègue Jérôme Lambert. Cependant, nous pouvons nous retrouver sur un point : si nous ne voulons pas être dépossédés de nos prérogatives, il faut préciser le champ permettant de légiférer par ordonnances. C'est tout le sens de notre débat. J'espère qu'il sera nourri et qu'il nous permettra d'examiner les questions de fond. M. Brunhes a eu raison de le souligner : au moment où nous allons aborder la réforme de l'assurance-maladie, il faut être attentif aux conditions dans lesquelles on nous propose de modifier les règles de gouvernance de l'hôpital. C'est un débat légitime, attendu par les acteurs de terrain.

En revanche, monsieur Lambert, j'ai été surpris de vous entendre dire que nous ne devrions pas légiférer trois jours avant un scrutin européen. Je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris, malgré tous les efforts que j'ai pu faire. À l'inverse, quand je vois des conseils régionaux se réunir partout en France à deux jours des élections pour faire le procès de la décentralisation, alors même que nous sommes en plein débat sur ce sujet,...

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas normal, en effet.

M. François Sauvadet. ...je vois clairement le lien entre le scrutin et ces réunions, que l'UDF appelle d'ailleurs à boycotter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. François Sauvadet. Je vous mets en garde contre de tels artifices. Puisqu'il faut simplifier le droit pour répondre à une exigence de nos compatriotes, faisons-le dans le respect des prérogatives de chacun : du Parlement comme du Gouvernement, qui est chargé d'appliquer la loi.

M. Lambert a parlé d'inflation législative, mais j'ai regardé les chiffres. Si étonnant que cela paraisse, nous avons moins légiféré ces dernières années que pendant les années antérieures. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais si, mes chers collègues : notre rythme était alors de 240 à 250 lois, alors que nous en sommes aujourd'hui à une centaine. C'est encore trop, c'est vrai, puisque le droit doit retrouver son caractère strictement normatif, mais, là encore, la réflexion doit se poursuivre.

Pour terminer, je crois qu'il est excessif de parler de passage en force.

M. Philippe Tourtelier. C'est pourtant le mot exact.

M. Guy Geoffroy. C'est une caricature !

M. François Sauvadet. Nous allons débattre et il y a sûrement des points sur lesquels l'opposition et la majorité pourront se rejoindre. Quand il y va de la simplification du droit, les clivages politiques ne peuvent-ils parfois être dépassés ?

Je reconnais qu'il y a urgence. Nos compatriotes attendent réellement une simplification du droit. Je me réjouis notamment des mesures que nous allons prendre à l'égard des artisans et des commerçants. Si nous pouvons agir dans ce domaine, nous ferons œuvre utile.

M. Étienne Blanc, rapporteur. Exactement !

M. François Sauvadet. Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, je vous invite, au nom du groupe UDF, à repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudisse-ments sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L'article 38 existe, certes.

M. Guy Geoffroy. Vous l'avez rencontré ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le problème est de savoir pourquoi et comment on s'en sert. La question que pose M. Brunhes rejoint celle de M. Lambert. En prenant l'initiative de ce projet de loi, le Gouvernement, sous prétexte de simplifier le droit, utilise le dispositif des ordonnances.

Libre à certains de nos collègues de considérer que, quand on procède ainsi, on permet au législateur d'assumer la plénitude de ses prérogatives, mais telle n'est pas notre conception.

M. François Sauvadet. C'est une caricature !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est pourtant bien ce qui a été dit. Vous croyez que le processus de ratification va valider l'action du Gouvernement et lui donner l'onction du débat législatif.

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Exactement !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais je vous rappelle que le projet de loi vise à nous faire ratifier des mesures que nous ne serons capables ni de comprendre ni d'appréhender, malgré tout le professionnalisme dont nous pourrons faire preuve.

M. Guy Geoffroy. C'est votre problème !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Par ailleurs, certains amendements tendent à faire entrer dans le corps de la loi des dispositions figurant à l'origine dans une ordonnance. Nous connaissons ces techniques navrantes, qui ont pour finalité d'empêcher l'ouverture d'un vrai débat parlementaire.

Dans la méthode comme sur le fond, le Gouvernement a tort d'en abuser.

Pour ce qui est de la méthode, le rapport de notre collègue sur la simplification du droit - déposé deux jours avant notre débat - illustre, par son poids et son volume,...

M. Guy Geoffroy. Et sa qualité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...la manière dont s'amorce le débat. Comment l'examen d'un texte aussi copieux, qui aborde de multiples problèmes et devrait solliciter de nombreux parlementaires pour le travail en commission - M. Lambert l'a souligné -, peut-il être réduit à un simple débat en commission des lois ?

Honorable entre toutes, celle-ci ne paraît pas à même de traiter l'intégralité des problèmes qui pourraient mobiliser toutes nos compétences. Il est même scandaleux que les autres commissions n'aient pas pu être saisies, chacune dans son domaine de compétence, la commission des lois se consacrant aux questions de justice et la commission des affaires culturelles, par exemple, à ce qui ressortit à la sécurité sociale, à l'hôpital ou à l'aide au logement. Les élus auraient dû être sollicités en fonction des responsabilités qui leur sont confiées par leurs groupes.

En second lieu, la diversité des textes va nous obliger à aborder les débats sans nous être assurés des véritables intentions du Gouvernement. Sur un tel sujet, nous aurions aimé que les ministres viennent, les uns après les autres, nous les expliquer.

M. François Sauvadet. Il n'y a qu'à le leur demander.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous sommes disposés à ouvrir des débats de fond, mais est-il envisageable de les aborder si le ministre compétent n'est pas présent jusqu'au bout de la discussion ? C'est là le vrai problème : quelles sont les intentions du Gouvernement ? L'opposition ne le laissera pas faire n'importe quoi. Et nul ne pourra le lui reprocher, puisque, en agissant ainsi, elle joue son rôle.

Ainsi, la forme de ce débat nous paraît inacceptable, puisqu'elle nous empêche d'examiner les problèmes de fond. Nous sortons d'une discussion sur le divorce, au cours de laquelle nous avons repoussé à plus tard certains problèmes, comme celui de l'autorité parentale. Et voilà que le Gouvernement prévoit une ordonnance sur la filiation qui soulève de multiples questions.

Mme Martine Aurillac. Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Alors que nous nous apprêtons à débattre de l'assurance-maladie, voilà qu'on nous impose une ordonnance sur l'hôpital. Il y a tout de même quelque chose qui ne va pas ; et je ne m'étonne pas du tumulte qui se fait actuellement.

De même, il est incroyable que l'on nous fasse modifier les règles relatives à l'urbanisme et à l'aide au logement, alors que l'on nous assure que le Gouvernement prépare des propositions sur l'habitat - que j'attends du reste avec intérêt.

Les élus que nous sommes ont des compétences professionnelles. Tous les jours, dans nos mairies, nous utilisons les règles de l'urbanisme, domaine dans lequel, monsieur le secrétaire d'État, la prudence s'impose. Or le meilleur moyen de l'exercer est de permettre à la représentation nationale d'apprécier l'intégralité des éléments du débat.

Nous avons pu observer, durant ces derniers jours, les conditions dans lesquelles a été conduit le débat sur le handicap. Quand on voit un secrétaire d'État déposer quantité d'amendements sur un texte rédigé par son prédécesseur et déjà examiné par le Sénat, ce qui fait tomber, en première lecture à l'Assemblée, des centaines d'amendements déposés par les députés, il y a vraiment de quoi s'inquiéter.

Non seulement le procédé pose problème en lui-même, mais vous en abusez. C'est pourquoi, si le Gouvernement n'accepte pas de supprimer des articles du projet de loi pour répondre à notre attente légitime, ou qu'il ne précise pas mieux ses intentions, nous irons jusqu'au bout du processus sur le plan constitutionnel. Notre confrère Jérôme Lambert a eu raison de le préciser.

Pour toutes ces raisons, j'invite les membres de mon groupe à voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudisse-ments sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui tend à habiliter le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnances, dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, afin d'adopter quelque deux cents mesures différentes.

Tout à l'heure, vous nous avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, que nous étions des professionnels de la politique.

M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Non, de la vie publique !

M. Jacques Brunhes. Or nous ne sommes pas des professionnels mais des élus, susceptibles en tant que tels d'être sanctionnés ou réélus par les électeurs. C'est tout à fait différent. C'est pourquoi nous estimons qu'il n'est pas possible de banaliser la procédure des ordonnances, qui ne respecte pas les droits de la représentation nationale, déroge au principe de séparation des pouvoirs et prive le Parlement de la possibilité de débattre des sujets contenus dans les 61 articles du projet de loi. J'ajoute qu'il n'est pas exact que la procédure de ratification garantisse les droits du Parlement.

L'année dernière, déjà, le groupe communiste s'était opposé au recours aux ordonnances, dénonçant un projet de loi d'habilitation comportant 29 articles. Aujourd'hui, le texte que nous allons examiner en contient 61. C'est absolument sans précédent en matière d'habilitation et c'est l'une des raisons qui nous confortent dans la défense de cette motion de procédure.

L'argument de l'encombrement de l'ordre du jour ne peut nous satisfaire. En effet, c'est le Gouvernement qui est maître de l'ordre du jour, lequel est surchargé depuis deux ans, comme il l'est en ce mois de juin et le sera lors de la session extraordinaire. Le Gouvernement porte donc en partie la responsabilité de l'inflation législative que vous dénoncez aujourd'hui. Le recours aux ordonnances constitue simplement le moyen d'aller vite, sans possibilité pour nous de débattre publiquement de réformes nécessaires.

Force est de constater, en outre, que même sans habilitation, le Gouvernement et certains de ses ministres empiètent sur le domaine de compétence du législateur. Ainsi, le ministre de l'économie et des finances a décidé d'exonérer temporairement de droits de succession les enfants et les petits-enfants. Outre le sénateur Charasse, notre président lui-même, Jean-Louis Debré, s'est interrogé sur le fait qu'une telle mesure n'ait pas été débattue au Parlement. Faut-il en effet vous rappeler que l'article 34 de la Constitution prévoit expressément que « la loi fixe les règles concernant la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ? Les règles relatives au droit des successions relèvent donc bien de la compétence exclusive du Parlement. Ainsi, vous dépossédez celui-ci de ses compétences non seulement en utilisant des projets de loi d'habilitation mais également dans vos pratiques quotidiennes ! Et je rappelle qu'il a été longtemps question de réformer la sécurité sociale par ordonnances comme cela avait été fait sous le gouvernement de M. Juppé.

S'agissant du recours à l'article 38 de la Constitution, vous connaissez, monsieur le secrétaire d'État, l'hostilité historique de notre groupe à l'utilisation des ordonnances, qui permettent au Gouvernement de dessaisir le Parlement de son pouvoir législatif. Si nous y sommes à ce point hostiles, c'est parce que nous considérons que cette procédure traduit toujours, même dans les situations que vous avez évoquées, un profond mépris de l'institution parlementaire. Rappelons-le, cette pratique vise à signer un chèque en blanc au Gouvernement qui, en dehors de la confrontation pluraliste des différentes propositions, décidera seul du contenu des réformes envisagées.

Le Parlement est pourtant censé exercer directement la souveraineté nationale et contrôler l'activité de l'exécutif. En acceptant le principe d'une simplification du droit par ordonnances il est conduit à déléguer au Gouvernement son pouvoir de légiférer sans exercer de contrôle effectif sur leur contenu.

Mes chers collègues, nous ne pouvons accepter de nous dessaisir de notre pouvoir pour la deuxième fois en un an, dans des domaines importants, qui méritent un débat en toute transparence.

Depuis deux ans, notre assemblée est devenue - je vous prie de m'excuser d'employer cette formule - une véritable chambre d'enregistrement, examinant au pas de charge des textes qui remettent en cause des droits souvent fondamentaux. Ce deuxième projet de loi d'habilitation me conforte dans l'idée que nous ne sommes là que pour voter des lois dont le contenu a été validé en amont, dans le secret des cabinets ministériels - je ne polémique pas - ou d'un grand syndicat patronal.

Mais, pour en revenir à l'utilisation de l'article 38 de la Constitution, habiliter le Gouvernement à légiférer à la place du Parlement devrait demeurer une procédure exceptionnelle. Le Gouvernement ne devrait pas en abuser et l'Assemblée nationale se doit de défendre ses prérogatives prévues par la Constitution.

La proximité dans le temps de deux textes d'habilitation d'envergure nous inquiète et nous fait craindre que cela ne devienne à l'avenir une pratique habituelle. Vous avez annoncé, d'ailleurs, un troisième texte.

Il ne faut pas oublier que le précédent ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État envisageait un rythme soutenu dans la présentation de projets de loi d'habilitation. Nos craintes ne sont pas sans fondement, après l'annonce d'une troisième loi d'habilitation.

Or, je le répète, le Parlement n'aura pas de contrôle sur le contenu des ordonnances qui seront prises sur la base de ce projet de loi d'habilitation.

Ce débat montre qu'il faut s'interroger sur la place qu'occupe aujourd'hui la représentation nationale dans l'élaboration de la loi. M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État a bien posé la question, mais il n'a malheureusement pas apporté la bonne réponse.

La loi est censée être accessible et intelligible, comme l'a énoncé le Conseil Constitutionnel en 1999. Si le Gouvernement nous dessaisit de notre compétence en créant de nouvelles règles de droit par ordonnances, s'il nous écarte délibérément de la rédaction de la loi, comment pourrons-nous être sûrs que la loi sera accessible et intelligible ?

Notre préoccupation est d'assurer une plus grande sécurité juridique à nos concitoyens.

Avec ce texte, nous sommes confrontés non seulement au souci de rendre la loi accessible et intelligible, mais également à l'incertitude juridique qui accompagne en général les ordonnances.

En effet, durant le temps incertain qui couvre la période allant de l'adoption de la loi d'habilitation jusqu'au dépôt de la loi de ratification, et qui peut s'étendre sur de longs mois, nous allons assister à la juxtaposition de dispositions législatives non abrogées et de dispositions adoptées par ordonnances, ayant valeur législative ou réglementaire, selon que vous déposerez ou non, dans les temps, un projet de loi de ratification.

Dans de telles conditions, la simplification du droit n'aurait plus rien d'une simplification, et deviendrait une source d'insécurité juridique que nous ne pouvons admettre.

Il est inutile de dire que le contrôle parlementaire sur le contenu des ordonnances pourra s'effectuer lors de l'examen des divers projets de loi de ratification suivant la publication des ordonnances. Vous savez aussi bien que moi que l'examen par le Parlement de ces projets de loi de ratification ne permet jamais de revenir sur le contenu même des ordonnances.

Par ailleurs, si le dépôt d'un projet de loi de ratification sur le bureau d'une des deux assemblées est obligatoire pour conférer une valeur législative aux dispositions de l'ordonnance, son inscription à l'ordre du jour ne l'est pas.

Pire, la ratification peut intervenir lors de l'examen d'un projet de loi d'habilitation. Vous l'avez fait l'année dernière ; vous recommencez cette année en proposant, dans ce projet de loi d'habilitation, la ratification d'ordonnances prises dans le cadre de la précédente loi d'habilitation de juillet 2003.

Force est de constater que le contrôle parlementaire sur les ordonnances est virtuel. C'est un recul regrettable pour la démocratie.

Mais votre souci n'est pas celui-là. Votre souhait est d'agir avec toujours plus de rapidité et d'opacité, afin de modifier des pans entiers de notre législation sans avoir les inconvénients du débat parlementaire.

En effet, les ordonnances sont certainement, à vos yeux, le meilleur moyen de parvenir à vos fins en toute discrétion. Elles ne sont pas soumises à d'éventuels amendements, elles présentent l'avantage de ne pas dévier par rapport à la ligne gouvernementale définie et il n'existe pas pour vous de risque de dérive due à certaines pressions syndicales ou revendicatives.

La procédure des ordonnances permet de passer outre au Parlement. Et le Gouvernement aurait donc tort de s'en priver. C'est ce que vous faites !

Pourtant, lorsque vous étiez dans l'opposition, sous la précédente législature, vous n'hésitiez pas à dénoncer le recours à l'article 38, le bâillonnement du Parlement qu'il instaurait de fait, et cela en défendant moult motions de procédure et amendements.

M. François Sauvadet. C'est ce qu'on appelle un front renversé  !

M. Jacques Brunhes. Mais depuis, les choses ont bien changé, et ceux qui critiquaient hier l'atteinte grave aux prérogatives du Parlement que constituent les ordonnances acceptent aujourd'hui les yeux fermés que le Gouvernement présente, à un an d'intervalle, deux projets de loi d'habilitation considérables par leur ampleur.

M. Guy Geoffroy. Le Gouvernement que vous souteniez y avait eu aussi copieusement recours !

M. Jacques Brunhes. Le recours aux ordonnances ne vous est plus aussi intolérable qu'il l'était auparavant, malgré l'ampleur du texte qui nous est proposé.

C'était d'ailleurs le moyen envisagé par le Premier ministre, avant les élections régionales, pour réformer l'assurance maladie. Et même si vous avez finalement décidé de soumettre cette réforme à un débat parlementaire, cela ne vous empêche pas de maintenir dans le texte d'habilitation des mesures relatives aux organismes de sécurité sociale.

Il en est de même pour les mesures relatives à l'organisation de l'hôpital, à travers le plan Hôpital 2007, que vous envisagez de prendre par ordonnances. Le ministre de la santé avait pourtant annoncé que ces dispositions ne feraient pas l'objet d'une ordonnance.

Monsieur le ministre, quelles sont vos réelles intentions sur ce point ?

Le projet de loi a pourtant un objectif louable : simplifier le droit. Il est vrai qu'aujourd'hui le citoyen se trouve bien désarmé face à un système de normes juridiques dont l'appréhension nécessite de plus en plus le recours aux experts et aux praticiens du droit.

M. Dutreil ou vous-même, monsieur le secrétaire d'État, indiquiez que cela pouvait servir un certain nombre de corps de métiers, de professions, et que certains ne souhaitaient peut-être pas la simplification du droit parce qu'ils trouvaient un certain avantage à la complexification.

Je laisse au ministre la paternité de cette affirmation. Mais il nous est souvent arrivé, entre nous, de nous demander si nous ne travaillions pas pour les cabinets d'avocats ou pour les d'experts, tant les textes étaient compliqués.

Nul n'est censé ignorer la loi. Certes ! Mais, avec plus de 8 000 lois et 110 000 décrets en vigueur, même le plus studieux des juristes ne relèverait pas un tel défi ! C'est une vieille affaire : Mme Françoise Chandernagor, membre du Conseil d'État, avait fait un rapport à cet égard. L'inflation législative s'est encore accrue : je crois que nous avons largement dépassé les 8 000 lois et les 110 000 décrets.

Il nous paraît particulièrement indispensable de garantir à nos concitoyens un accès aux règles de droit le plus direct possible. C'est ce que, en tant que représentants du peuple en charge d'élaborer la loi, nous souhaitons tous.

Toutefois, si le principe de la simplification du droit n'est pas contestable en soi, il en va tout autrement du procédé que vous vous proposez d'utiliser pour y parvenir.

Le fond aussi bien que la forme motivent cette question préalable.

Le fond, d'abord. Sous prétexte de simplification, vous modifiez certains droits qui mériteraient pourtant un débat parlementaire.

Mais la forme - je le répète - ne nous convient pas non plus, compte tenu du rôle que nous devons jouer au Parlement.

Cela me donne l'occasion d'aborder le contenu du projet de loi. Comme pour le précédent projet de loi d'habilitation présenté en 2003, le Gouvernement justifie le recours à l'article 38 par le fait que les mesures à prendre sont « techniques et relevant souvent de législations diverses ». Je vous ai dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État, que des mesures aussi complexes ne pouvaient être seulement techniques et qu'il y avait nécessairement derrière celles-ci des problèmes de fond qui étaient posés.

Ou alors, monsieur le rapporteur, vous n'avez fait qu'un travail de professionnel, de technicien, d'expert. Certes, vous êtes avocat, mais vous êtes aussi parlementaire, et il est faux de prétendre que ces mesures sont uniquement d'ordre technique.

L'Assemblée aborde aussi les problèmes de fond. Derrière les mesures dites techniques, des problèmes de fond nous sont posés. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles.

Mais le Gouvernement considérerait-il que les parlementaires ne sont pas en mesure d'examiner des dispositions techniques, pourtant nécessaires à l'application de certains dispositifs ? Où a-t-on vu que les parlementaires ne pouvaient pas aller jusqu'au bout des questions techniques ? On trouve naturellement des dispositions techniques dans certains textes. Nous sommes susceptibles d'en discuter, de les amender, de les approuver ou de les rejeter.

Le Gouvernement considérerait-il que les dispositions relatives au droit de la filiation, à l'aide juridictionnelle, à l'urbanisme, au logement, à la sécurité sociale, aux laboratoires de recherche ou encore à la santé n'auraient qu'un caractère technique, sans recouvrir d'enjeu politique ? À qui veut-on faire croire cela ?

Nous ne pouvons vous laisser prendre des ordonnances, élaborées par des groupes anonymes et irresponsables - au sens du droit (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - parce que composés de personnes non élues, non sanctionnées par le suffrage, ...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n'est pas injurieux, messieurs ! Ces groupes sont irresponsables au sens de la loi !

M. Jacques Brunhes. ... des groupes anonymes et irresponsables dans de tels domaines.

Nous ne pouvons vous accorder un tel blanc-seing, qui tiendrait à l'écart les Français et leurs représentants nationaux de questions qui concernent leurs droits.

Nous aurions aimé avoir une réflexion de fond sur les sujets que je viens d'énumérer et qui sont trop importants, à nos yeux, pour permettre l'utilisation de la procédure des ordonnances.

La méthode est d'autant plus critiquable que le souci de simplification et de limitation de l'inflation législative fait l'unanimité sur nos bancs, et qu'un réel travail d'allégement des procédures et démarches administratives et de mise en cohérence du droit relève bien des compétences et des missions du Parlement, et non de celles de quelques techniciens ou experts. Vous avez eu raison, mon cher collègue, de rappeler qu'il existait une mission, une commission ou un groupe de travail - je ne me souviens plus du nom -, qui ne s'est jamais réuni.

M. François Sauvadet. C'est vrai !

M. Jacques Brunhes. De la même façon, la règle que MM. Mazeaud et Séguin avaient définie concernant le suivi des décrets d'application n'a jamais vu le jour. On indiquait tout à l'heure que des décrets d'application tardaient beaucoup après la promulgation de la loi. J'ajoute que certains décrets d'application ne sont jamais pris. De ce fait, certains textes que nous avons passé des jours et des nuits à examiner ne sont jamais appliqués. M. Mazeaud prétendait que les administrations étaient souvent à l'origine de cette situation. Je ne peux pas le croire. Cela vient aussi du Gouvernement, car ce dernier a la possibilité de faire passer des décrets, si le ministre concerné en a la volonté.

Sous prétexte de continuer la simplification des démarches administratives, le Gouvernement cache en réalité sa volonté de procéder à la modification de législations complexes et sensibles, sans que le Parlement, mais aussi les partenaires sociaux, par exemple, puissent être associés à la réflexion précédant l'élaboration de la loi.

Nous sommes d'autant plus inquiets sur les intentions masquées du Gouvernement que le rapporteur s'est contenté de rappeler, en commission, que la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit avait pour objet de réécrire ou de supprimer des textes peu lisibles ou obsolètes, et de simplifier nombre de procédures.

Il oublie de préciser que sous l'expression « simplifier nombre de procédures » se cache une autre réalité. Le Gouvernement a ainsi pu bouleverser l'équilibre du code des marchés publics, permettant que ces marchés soient de nouveau passés dans la plus grande opacité.

Il oublie également que le Gouvernement, en vertu de l'ordonnance du 15 avril 2004 allégeant les formalités applicables à certaines prestations sociales, supprime la possibilité de prise en charge, totale ou partielle, par la sécurité sociale des frais médicaux d'une femme enceinte durant les quatre derniers mois de sa grossesse.

Ce ne sont là que quelques exemples. Mais ils révèlent bien que de graves atteintes aux droits de nos concitoyens sont décidées en toute discrétion grâce aux ordonnances.

Le pire reste donc à venir avec ce nouveau projet de loi d'habilitation, surtout lorsque l'on sait que toutes les ordonnances n'ont pas encore été prises en vertu du précédent.

Combien de mesures douteuses, combien de mesures injustes et contestables préparez-vous encore dans la plus grande opacité, et sur lesquelles nous n'aurons aucun contrôle ?

Certaines dispositions de ce projet de loi portent évidemment sur des simplifications qui n'ont aucune implication existentielle pour nos concitoyens et nous y souscrirons bien volontiers. Mais bon nombre d'autres mesures ne peuvent qu'appeler de notre part de très vives critiques : ainsi en est-il, nous en avons déjà parlé, de tout ce qui touche au droit de la filiation et à l'aide juridictionnelle. Pourquoi ne pourrions-nous pas en débattre dans cet hémicycle ? Je pense aussi aux dispositions relatives à l'urbanisme, au logement, au régime social des travailleurs indépendants, aux organismes de sécurité sociale ou encore à l'administration hospitalière. Sur chacun de ces sujets, le Gouvernement a depuis deux ans déposé des textes divers et variés : il lui eût été facile de s'y raccrocher afin d'organiser un débat de fond sur tous ces problèmes. Malheureusement, vous avez décidé de procéder d'une tout autre manière.

Et pour ce qui concerne les mesures destinées à simplifier les relations entre les administrations et leurs usagers, encore faudrait-il donner à celles-ci les moyens de se réorganiser ! C'est pourquoi nous aurions souhaité que le Parlement soit associé à cet aspect de la réforme de l'État et que celle-ci ne se fasse pas uniquement par la voie des ordonnances.

Pardonnez-moi de me répéter, monsieur le secrétaire d'État, mais si vous croyez pouvoir réformer l'État en vous passant du Parlement et des discussions avec les usagers comme avec les divers groupes que l'on pourrait appeler de pression, vous faites fausse route : jamais vous n'y parviendrez. Or vous l'écrivez noir sur blanc dans l'exposé des motifs : il s'agit pour le Gouvernement d'avoir les mains libres afin de « libérer les énergies » dans notre pays - autrement dit d'appliquer le plus rapidement et le plus discrètement possible votre programme ultralibéral. Sous couvert de simplification, votre projet de loi d'habilitation vous donne encore plus de marges de manœuvre pour modeler notre société au gré de votre idéologie.

Permettez-moi, avant de conclure, une petite parenthèse : il n'est pas d'usage que le Parlement se réunisse à la veille d'une élection.

M. François Sauvadet. Oh !

M. Jacques Brunhes. Mon cher collègue, j'ai - hélas ! pourrais-je dire - vingt-cinq ans de pratique de cette maison. Je sais bien que l'usage veut que le Parlement ne se réunisse pas à la veille d'une élection...

M. Jérôme Lambert. Tout à fait !

M. François Sauvadet. Et que font les conseils régionaux ? Eux aussi se réunissent !

M. Jacques Brunhes. ...ou des congrès tenus par les grands partis politiques représentés dans cet hémicycle. Et vous ne pouvez mettre en avant le cas des conseils régionaux.

M. François Sauvadet. Ah ? Ce n'est pas pareil ? La gauche y est majoritaire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, ce n'est pas pareil !

M. Jacques Brunhes. C'est tout à fait autre chose. Le Parlement légifère, pas les conseils régionaux. Cette situation n'est pas saine, à moins qu'elle ne soit la marque de l'inflation législative que je déplorais tout à l'heure : le Gouvernement ne parvient pas à se dépêtrer d'un emploi du temps parlementaire parfaitement extravagant.

M. François Sauvadet. Arrêté en Conférence des présidents, où la gauche est représentée !

M. Jacques Brunhes. Cette situation n'est pas bonne et ne saurait convenir à l'examen de ce texte.

En conclusion, mes chers collègues, la question préalable que je viens de défendre devant vous a pour objectif de vous convaincre non qu'il n'y pas lieu de légiférer, mais qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur ce projet de loi d'habilitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Étienne Blanc, rapporteur. M. Brunhes a développé trois arguments à l'appui de sa question préalable. Le premier porte sur le champ de la loi d'habilitation, à ses yeux trop large, qui s'étend à des mesures touchant elles-mêmes au fond du droit. Remarquons que, curieusement, M. Brunhes parle du projet de loi d'habilitation n° 1 et du code des marchés publics, alors que celui-ci, en application de l'article 34, ne relève pas du pouvoir législatif, mais exclusivement du pouvoir réglementaire...

M. Jérôme Lambert. C'est ce que j'ai dit.

M. Guy Geoffroy. M. Brunhes sème la confusion !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Son exemple était pour le moins mal choisi.

Nous aurions aimé, monsieur Brunhes, vous entendre expliquer en quoi, dans certains articles, cette loi d'habilitation serait trop large...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous allons y venir !

M. Étienne Blanc, rapporteur. ...et en quoi elle ne répondrait pas aux exigences du Conseil constitutionnel, selon lesquelles le champ d'habilitation doit être précisément fixé par notre assemblée. Or nous n'avons entendu dans votre propos aucun exemple précis établissant que nous n'aurions pas respecté cette prescription.

M. Jacques Brunhes. Nous y reviendrons !

M. Étienne Blanc, rapporteur. Deuxième argument sur lequel vous n'avez pas manqué d'insister : celui de l'incertitude juridique que créerait, à vous entendre, la mécanique des ordonnances. C'est oublier que, tant qu'elles ne sont pas ratifiées, les ordonnances ont une force exclusivement réglementaire. Elles ne prennent valeur législative qu'après la ratification. La jurisprudence à cet égard est parfaitement claire. Il ne saurait y avoir à cet égard, du fait de la simple application de la hiérarchie des normes - la norme législative prime évidemment sur la norme réglementaire -, d'incertitude juridique.

Troisièmement, je me permets de vous faire observer que le Gouvernement a déposé son rapport en mars 2004 et présenté, aux articles 51 et 52 du présent projet de loi d'habilitation, les ordonnances dont il sollicite la ratification. Alors que le droit d'amendement pouvait donc parfaitement s'exercer, aucun amendement n'a été proposé sur le fond de ces ordonnances !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Justement parce que c'est critiquable !

M. Étienne Blanc, rapporteur. C'est bien la démonstration que les mesures présentées dans le cadre de la première loi d'habilitation sont d'ordre exclusivement technique et feraient quasiment l'unanimité,...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pas du tout !

M. Étienne Blanc, rapporteur. ...s'il n'y avait, bien sûr, le débat politique. C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cette question préalable.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. « Dépossession du Parlement » : le grand mot est lancé, comme d'habitude ! C'est toujours ainsi que l'on parle à propos des ordonnances.

Pour commencer, notre Constitution n'appartient à personne, sinon au peuple français qui l'a adoptée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est nous qui le représentons !

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. Or la Constitution de la ve République, à laquelle nous sommes si attachés, nous permet par son article 38 de légiférer par ordonnances. En l'utilisant, nous respectons le droit, et dans une intention incontestablement des plus vertueuses puisqu'il s'agit de simplifier le droit. Il est du reste à noter que cette volonté n'est ni de droite ni de gauche : simplifier la vie de nos concitoyens me paraît un objectif sur lequel nous pourrions au moins tomber d'accord.

Ajoutons que l'ordonnance me paraît être un vecteur naturel de cette simplification, par le fait que nous touchons à une multitude de textes différents. Simplifier est en fait extrêmement compliqué. Le recours aux ordonnances apparaît donc tout à fait adapté. C'est le choix qui avait été retenu avec le projet de loi d'habilitation n° 1 et le Conseil constitutionnel en a reconnu la pertinence ; c'est le même choix que nous avons décidé de faire avec le projet de loi d'habilitation n° 2.

J'ai entendu parler d'irresponsabilité. Qui porte les ordonnances ? Le pouvoir politique, évidemment. Derrière chaque ordonnance, il y a un ministre, c'est-à-dire un responsable politique. Les choses, de ce point de vue, ne sauraient prêter à contestation.

Permettez-moi une autre remarque. Nous allons, à l'occasion de ce projet de loi d'habilitation, ratifier des ordonnances issues du projet de loi d'habilitation n° 1. Il y a donc bien une ratification explicite, qui laisse au Parlement la possibilité de réagir.

M. Jérôme Lambert. Regardez les textes !

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. C'est une bonne chose et cela n'a pas toujours été le cas. La continuité entre le projet de loi d'habilitation n° 1 et le projet de loi d'habilitation n° 2 est également un élément positif. Il n'y a donc là aucune opacité, mais bien une très grande transparence, tant dans la volonté affichée que dans la mise en œuvre de ce projet de loi d'habilitation.

Enfin, il n'est dans ce texte nullement question d'idéologie, monsieur Brunhes ; il s'agit simplement d'une volonté clairement et publiquement affirmée de simplification et de performance. Aucun de nos concitoyens ne pourrait penser le contraire.

J'appelle bien évidemment au rejet de la question préalable.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe UMP.

M. Guy Geoffroy. Vous n'avez, cher collègue Brunhes, guère apporté d'éléments nouveaux et concluants par rapport à ce que nous avons entendu lors de la présentation de l'exception d'irrecevabilité ; je serai donc bref.

Je suis malgré tout assez préoccupé par un de vos arguments : à vous entendre, si nous en sommes réduits à passer par des ordonnances pour simplifier le droit, c'est parce que l'ordre du jour de l'Assemblée est surchargé et donc que le Gouvernement travaille à rebours de ce qu'il prétend vouloir faire, en nous demandant de produire du droit supplémentaire et dans le même temps de simplifier.

La réalité est tout autre et il faut le dire ; vos propos sont politiques, les nôtres doivent l'être aussi. La réalité, c'est que notre pays a besoin d'être réformé. Depuis deux ans, ce gouvernement et la majorité qui le soutient travaillent d'arrache-pied, au sein de cette assemblée, au sein du Parlement tout entier, à réformer notre pays par tous les bouts. Et Dieu sait qu'il y a beaucoup de choses à faire ! C'est précisément cela qui nous conduit à travailler de la manière la plus efficace possible pour mener à bien l'ensemble des éléments qui composent cette politique. Je me dois à ce propos de remercier, au nom du groupe UMP, le Gouvernement d'avoir eu parallèlement le courage de s'attaquer, de manière très concrète et pragmatique, à une question qui est au cœur des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens : la lisibilité de la chose publique et donc la simplification de notre droit.

Il n'y a pas de débat, dites-vous. Mais vous-même venez de nous prouver le contraire en commençant, par le biais de ces motions de procédure, à faire légitimement valoir vos points de vue et à présenter les remarques critiques que vous inspirait ce texte, pris tantôt dans son ensemble, tantôt dans tel ou tel de ses éléments. Je ne doute pas que vous continuerez, et c'est bien ainsi, lors de la discussion générale puis au fil de l'examen des articles. Vous demanderez, et vous aurez raison, des précisions supplémentaires au Gouvernement, qui vous les donnera, sur ses motivations dans chacun des nombreux domaines couverts par ce projet de loi.

Notre assemblée n'est donc en rien une chambre d'enregistrement. Elle est aujourd'hui appelée, en application ordinaire de l'article 38 de notre Constitution, à légiférer sur une série de sujets dont nous serions très mal fondés à considérer qu'ils pourraient faire chacun l'objet d'un projet de loi spécifique appelé à suivre l'ensemble des procédures : nos concitoyens auraient tout lieu de penser que leurs parlementaires n'ont vraiment pas grand-chose à faire pour consacrer autant de temps à des détails qui relèvent d'une technique que nos ministres et leurs collaborateurs n'ignorent pas, mais qui n'a pas lieu de surcharger nos travaux.

Enfin, cher collègue, il est une erreur que je tiens à reprendre pour vous avoir entendu la commettre à deux reprises : vous vous êtes bel et bien trompé sur la portée du dépôt du projet de loi de ratification en laissant entendre que celui-ci avait pour objet de conserver à l'ordonnance son statut de loi. Ce n'est pas exact : le dépôt du projet de loi de ratification vise à faire en sorte - et ce n'est pas rien - que l'ordonnance ne devienne pas caduque. Ce qui fait que l'ordonnance reste un texte réglementaire ou devient un texte législatif, ce n'est pas seulement le dépôt du projet de loi, mais la ratification en elle-même. Ce point méritait d'être souligné, car vous n'êtes pas allé jusqu'à ce stade de la démonstration constitutionnelle.

Que la rapidité soit le corollaire de l'opacité, c'est une déclaration de principe à laquelle nous n'adhérons pas.

Que l'ampleur du texte exclue la procédure de l'article 38, c'est également une déclaration de principe. Le rapporteur et les ministres l'ont dit à de nombreuses reprises, l'étendue du projet se justifie par les très nombreuses modifications de détail qu'il convient d'apporter à l'ensemble de notre législation.

Vous prétendez que les partenaires n'ont pas été sollicités, et, pire, qu'ils seraient vent debout. Or nous aurons largement l'occasion de débattre à l'article 48, en son point 12, de la question du régime social des travailleurs indépendants. Vous vérifierez, nous vérifierons tous, que cette initiative n'émane pas exclusivement du Gouvernement ou du Parlement, mais qu'elle a été proposée à la demande des trois caisses concernées.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Elles ne sont pas unanimes.

M. Guy Geoffroy. Voilà la démonstration que les partenaires n'ont pas été méprisés. Nous sommes, au contraire, à leur écoute.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP ne votera pas la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Lambert, pour le groupe socialiste.

M. Jérôme Lambert. Selon M. le rapporteur, la question préalable de Jacques Brunhes ne précisait pas en quoi le champ d'habilitation serait trop large. Or une bonne quinzaine de dispositions, certes pas la majorité, j'en conviens, font douter des intentions du Gouvernement. Le groupe socialiste a parfaitement entendu notre collègue Jacques Brunhes et ne peut qu'être d'accord.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, s'il s'agissait de simples mesures de simplification du droit, nous ferions certes une résistance symbolique au nom des droits du Parlement, mais nous ne serions pas dans la posture qui est la nôtre aujourd'hui et nous accepterions bien volontiers de simplifier le droit. D'autres gouvernements avant le vôtre s'y étaient employés et d'autres à venir prendront le relais.

En fait, ce projet de loi comporte, et Jacques Brunhes l'a parfaitement démontré, des dispositions qui, loin de simplifier, peuvent sensiblement modifier le droit, des principes en droit civil, en particulier, mais dans d'autres domaines aussi.

Certes, nous disposons de projets de ratification d'ordonnances, la morale est sauve, le droit est sauf. Mais les avez-vous lus ? Nous allons ratifier des textes que nous sommes les uns et les autres, et vous au premier chef, monsieur le rapporteur, incapables de comprendre !

Vous avez dit, monsieur le secrétaire d'État, que le droit doit être au service du plus faible, et c'est très bien. Mais qu'en est-il de cette déclaration lorsque vous réduisez les prestations au logement ou les aides juridictionnelles, ainsi que Jacques Brunhes l'a fait remarquer ?

M. le secrétaire d'État à la réforme de l'État. Ce n'est pas le cas.

M. Jérôme Lambert. C'est dans votre projet de loi. Alors, si vous ne le savez pas...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On va vous l'expliquer !

M. Jérôme Lambert. Nous avons lu ce texte et nous l'avons compris ainsi. Si tel n'est pas le cas, cela prouve qu'il est mal rédigé.

M. Jacques Brunhes. Exactement !

M. Guy Geoffroy. Vous ne voulez pas comprendre !

M. Jérôme Lambert. Votre projet ne simplifie rien et ne répond donc pas aux exigences du Conseil constitutionnel, qui nous incite à comprendre ce que nous votons !

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe socialiste votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe UDF.

M. François Sauvadet. Vous faites régulièrement, mes chers collègues, référence à l'organisation de nos débats à quelques jours d'un scrutin. Je vous rappelle qu'il y a un ordre du jour, défini en Conférence des présidents.

M. Jacques Brunhes. Nous avons protesté contre cet ordre du jour !

M. François Sauvadet. Il y a un règlement. Vous le connaissez tout comme nous. Nos présidents de groupe y participent. Un débat a lieu avec le Gouvernement sur l'organisation des travaux parlementaires ; nous devons prendre acte de cette organisation.

Certes, il faudra veiller, pour permettre au Parlement de légiférer dans de bonnes conditions, à ne pas proposer des calendriers trop serrés. Je le dis à l'intention du Gouvernement, au nom de mon groupe.

Ainsi, le débat sur le projet de loi sur les droits des personnes handicapées, que nous venons d'achever, aurait sans doute dû être mieux organisé. En effet, le Gouvernement a, à la dernière minute, déposé un grand nombre d'amendements, ce que nous avons pour notre part déploré. Le débat a été retardé et le calendrier en a été bouleversé. Il faut donc, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, éviter de surcharger le calendrier, car, par ailleurs, nous avons les uns et les autres des obligations dont il nous faut tenir compte.

Cela dit, mes chers collègues, ne déplaçons pas les problèmes et ne faisons pas de cette question un enjeu politique.

Votre question préalable est d'ailleurs contradictoire puisque vous souhaitez à la fois que le champ de la loi d'habilitation et de l'ordonnance soit précisé et en même temps mettre fin au débat. Il faut au contraire entrer très vite dans le vif du sujet. Sur certains sujets, comme la gouvernance de l'hôpital, nous aurons peut-être des points de convergence. Alors que nous allons aborder la réforme de l'assurance-maladie, ces sujets méritent débat. Et nous en débattrons avec le Gouvernement.

En tout cas, il faut délibérer sans plus tarder. Certains points susciteront des débats légitimes, d'autres poseront moins de problèmes, car, sur de nombreux sujets, un toilettage s'impose : je pense en particulier aux prestations de serment qui relèvent d'un autre âge et ne font que compliquer la vie quotidienne.

En conséquence, le groupe UDF ne votera pas la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1504, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit :

Rapport, n° 1635, de M. Étienne Blanc, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

A vingt-deux heures, troisième séance publique :

Discussion du projet de loi, n° 1549, modifiant la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de contrôle en mer :

Rapport, n° 1658, de Mme Marguerite Lamour, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures quarante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot