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Troisième séance du mardi 5 octobre 2004

4e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD-KUNSTLER,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE
CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (nos 1732, 1827).

La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, je suis évidemment très heureux de vous présenter, au nom du Gouvernement et avec Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances, le projet de loi relatif à la Haute autorité de lutte contre les discriminations.

Vous savez que, sur le fond, c'est une étape fondamentale pour notre pacte républicain.

M. Bernard Stasi, qui avait été chargé d'une mission de préfiguration d'une autorité indépendante de lutte contre les discriminations, écrivait dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre en février dernier : « chacun est susceptible, à un moment ou à un autre de son existence, d'être victime de pratiques discriminatoires non sanctionnées, par exemple pour l'accès à l'emploi, au logement ou aux loisirs, en raison de son sexe, de son origine ethnique, de ses convictions politiques ou religieuses, de son appartenance syndicale, de son handicap, de son état de santé, de son âge ou de son orientation sexuelle. »

Permettez-moi de saluer le travail remarquable accompli par cette mission de préfiguration.

Les pratiques discriminatoires, bien qu'illégales, sont extrêmement répandues et parfois socialement admises. Comme elles sont souvent souterraines, insidieuses, généralement indirectes et rarement écrites, leur ampleur est difficile à apprécier. Elles se manifestent dans tous les domaines de la vie. Certaines procèdent de l'incurie et de l'ignorance ; d'autres, plus graves, sont de nature idéologique.

Je n'en évoquerai que quelques-unes, que vous connaissez évidemment tous.

Un million de personnes souffrant d'un handicap éprouvent des difficultés à se loger, à accéder à des bâtiments, à faire reconnaître leurs droits, à trouver une activité professionnelle ou simplement à obtenir un prêt.

Dans le monde du travail, les discriminations en raison de l'origine prennent une ampleur aujourd'hui dramatique pour notre cohésion sociale. Ces discriminations ne sont pas récentes mais, jusqu'à ces dernières années, elles concernaient surtout le déroulement de la carrière, certains immigrés ayant été embauchés dans les entreprises pour pallier des déficits de main-d'œuvre. Mais l'arrivée sur le marché du travail d'une nouvelle génération de jeunes Français, enfants de migrants, le plus souvent formés par l'école française, a révélé les difficultés de l'insertion professionnelle. Différentes enquêtes sociologiques ou des « testings » ont mis à jour les pratiques discriminatoires de certains employeurs, quelle que soit la qualification de ces jeunes.

Tous, vous avez eu connaissance d'inégalités, en matière d'emploi et de déroulement de carrière, subies par les femmes ou les travailleurs âgés.

Ces faits sont attristants et alarmants. Effectivement, l'égalité de traitement est insuffisamment respectée.

On ne peut pas rester les bras croisés devant le racisme, le harcèlement sexuel, l'oppression des femmes, les brutalités familiales ou l'homophobie. Ces drames humains existent. Ils relèvent de la politique et il faut les combattre.

Les discriminations créent à coup sûr l'exclusion et elles entretiennent le ressentiment de beaucoup de nos concitoyens. Elles minent la cohésion sociale et le pacte républicain.

C'est pourquoi le Président de la République a souhaité, dès le début de son mandat, que la France se dote d'une autorité indépendante chargée de lutter contre toutes les formes de discriminations, à l'instar de celles qui existent chez plusieurs de nos partenaires. La Grande-Bretagne a créé trois organismes compétents en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, d'égalité raciale et de droits des personnes handicapées. La Belgique dispose, depuis plus de dix ans, du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Au Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse fonctionne depuis 1975. Des organismes collégiaux indépendants chargés de la lutte contre les discriminations existent en Irlande, aux Pays-Bas et en Suède.

En créant le Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, le projet de loi qui vous est soumis comble donc une lacune importante.

Il est vrai que notre législation pénale contre les discriminations, notamment contre le racisme et l'antisémitisme, est l'une des plus complètes. Qu'il s'agisse d'actes - agressions, dégradations - ou de paroles, les textes sont adaptés. La volonté politique de les appliquer avec la plus grande rigueur est claire. Les propos très fermes du Président de la République au Chambon-sur-Lignon servent à cet égard de guide : tout acte de cet ordre doit recevoir une réponse pénale.

En revanche, nous n'étions pas armés pour la recherche de solutions non contentieuses, pour la médiation ou pour la promotion de l'égalité de traitement et de la diversité.

Nous avons réaffirmé la laïcité, nous avons refondé notre politique d'intégration, nous avons lancé un ambitieux plan de cohésion sociale, nous redéfinissons notre approche du handicap, nous cherchons à surmonter les difficultés concrètes que rencontrent encore les femmes, nous combattons le racisme et l'antisémitisme. En un mot, nous avons affermi notre pacte républicain. Mais, comme l'a dit avec force le Président de la République dans son discours de Troyes, le 14 octobre 2002, le refus des communautarismes ne se conçoit pas sans une lutte contre les discriminations.

Les dispositions du projet de loi qui vous est soumis reprennent, pour l'essentiel, les préconisations du rapport de M. Stasi...

M. Philippe Vuilque. Non ! Elles restent très en deçà !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...qui a été précédé d'une très large concertation. Ce sont en effet plus de cent quarante représentants d'associations et personnalités qualifiées qui ont été auditionnées. Permettez-moi de les remercier à cette tribune.

La Haute autorité est compétente pour lutter contre les discriminations de toute nature prohibées par la loi ou par un engagement international. Elle pourra aussi recommander toute modification, notamment législative, pour que soient appréhendées des discriminations aujourd'hui non sanctionnées par le droit positif.

Pour faire reculer les pratiques discriminatoires, la Haute autorité reçoit deux types de missions.

La première concerne le traitement des réclamations individuelles dont elle sera directement saisie par les victimes ou dont elle décidera de se saisir, dans le respect des prérogatives de la justice. Bien que le projet renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les conditions de la saisine, ce qui est naturel, je vous indique d'ores et déjà que celle-ci sera directe et écrite. Toutes les saisines seront enregistrées et une réponse sera apportée à chacune.

Je vous indique également que le GELD, le groupe d'études et de lutte contre les discriminations, qui, lui aussi, n'avait pour objet que les discriminations raciales, disparaîtra à compter de la création de la Haute autorité. Le Gouvernement vous proposera un amendement permettant l'intégration du personnel du GELD, qui a accompli un travail remarquable, dans la Haute autorité.

La deuxième mission de la Haute autorité concerne la promotion de l'égalité par des actions de communication et d'information, des travaux d'études et de recherche, et la reconnaissance des bonnes pratiques professionnelles.

Sur ce dernier point, je note avec satisfaction - comme vous, sans doute - que de grandes entreprises privées, comme Peugeot ou Axa, ou des sociétés publiques, comme France Télévisions ou La Poste, se sont engagées dans la lutte contre les inégalités de traitement à l'égard des femmes ou des jeunes des quartiers vulnérables.

Au titre de cette mission, la Haute Autorité pourra notamment être chargée de labelliser les chartes de la diversité dont le plan de cohésion sociale promeut le développement.

M. Philippe Vuilque. Un peu plus de conviction, monsieur le ministre !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Elle disposera de moyens importants : pouvoir d'enquête ou de signalement aux autorités investies du pouvoir disciplinaire et au parquet, rôle de médiation ou possibilité de rendre publics ses avis et recommandations.

Pour établir la réalité des faits portés à sa connaissance - ce qui est au fond le point crucial du débat car, depuis longtemps, des associations très actives se battaient avec la difficulté d'apporter des éléments d'information, d'appréciation ou de preuve -, la Haute autorité, qui a, au-delà de sa stature, la vocation d'aider à la découverte de l'information, peut demander des explications à toute personne privée mise en cause devant elle, se faire communiquer par elle tout document et procéder à des vérifications sur place. Tous les organismes chargés d'une mission de service public sont tenus d'autoriser les agents placés sous leur autorité à répondre à ses demandes. À défaut, les uns et les autres peuvent faire l'objet d'une mise en demeure et la Haute autorité peut demander au juge des référés d'ordonner toute mesure d'instruction.

Le Gouvernement a souhaité que les pouvoirs de la Haute autorité soient ainsi complémentaires de ceux de la justice pénale, civile ou administrative et de ceux des autorités investies du pouvoir disciplinaire. Il a veillé à ce que le projet de loi ne dessaisisse les pouvoirs publics constitutionnels d'aucune de leurs prérogatives ou de leurs responsabilités.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité peut aussi favoriser la résolution amiable des différends et formuler des recommandations tendant à remédier à toute pratique discriminatoire ou à en prévenir le renouvellement. Elle peut ainsi procéder elle-même ou faire procéder à des médiations après avoir recueilli l'accord des personnes en cause. Je pense ici tout particulièrement au Médiateur de la République, avec lequel, lorsque le règlement intérieur de la Haute autorité sera établi, une convention devrait être passée lorsque la discrimination intervient dans le champ des relations entre les citoyens et l'administration.

Enfin, la Haute autorité pourra être invitée à présenter des observations devant les juridictions saisies de faits relatifs à des discriminations.

Certains d'entre vous auront noté que le rapport de M. Stasi envisageait, avec une certaine prudence, la possibilité pour la Haute autorité de se constituer partie civile. Cette proposition n'a pas été retenue en l'état par le Gouvernement. En effet, nombre d'associations que nous avons consultées - pas toutes - ont indiqué que la principale difficulté rencontrée aujourd'hui est d'apporter la preuve de la discrimination, ce à quoi s'emploiera la Haute autorité. En revanche, ces mêmes associations se portent sans difficulté partie civile à l'occasion de contentieux sur les discriminations.

Enfin, la Haute autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire et remettra chaque année un rapport au Président de la République. Sur ce sujet auquel désormais, et c'est heureux, nos concitoyens sont particulièrement sensibles, le droit positif évoluera donc, si c'est nécessaire, à partir d'un éclairage très concret.

L'organisation de la Haute autorité, enfin, garantit son indépendance, la qualité de son articulation avec la justice et la participation de la société civile.

Composée d'un collège de onze membres, nommés par les premières personnalités de l'État, la Haute autorité pourra aussi créer auprès d'elle des organismes consultatifs permettant d'associer à ses travaux des personnalités qualifiées.

Le Gouvernement n'a pas souhaité organiser trop précisément le fonctionnement de la Haute autorité. C'est au collège de l'Autorité qu'il reviendra de définir son organisation en créant, s'il l'estime nécessaire et quand il l'estimera nécessaire, l'ensemble des dispositifs indispensables. Je pense notamment aux délégués territoriaux.

Les moyens financiers et humains dont la Haute autorité dispose sont gages de son autonomie. Dès 2005, 10,7 millions d'euros lui seront affectés par différents ministères, au premier rang desquels figure celui que j'ai l'honneur de diriger.

M. Philippe Vuilque. Ce n'est pas suffisant !

M. Éric Raoult. Vous n'avez rien fait pendant vingt ans !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Cette somme est supérieure au budget de l'ensemble de la médiature de la République, monsieur le député.

J'en finis en vous indiquant que notre projet de loi achève de transposer en droit interne la directive européenne du 20 juin 2000 - eh oui, une directive européenne à caractère social ! - relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, cette réforme s'inscrit dans un ensemble cohérent, conforme aux engagements pris par la majorité devant les Français. À côté des exigences liées à l'ordre public et à l'autorité de l'État, nous assumons pleinement l'impératif de cohésion sociale. Cela suppose le respect de l'autre et l'égalité entre tous sur notre territoire.

Nous ne touchons pas là seulement à un grand principe de notre droit, mais bien à la vie quotidienne des Français et des étrangers résidant dans notre pays.

La réalité de l'inégalité de traitement ne doit pas être sous-estimée.

La réalité de la discrimination est blessante, et je pense tout particulièrement aux handicapés, aux femmes victimes de sexisme, aux jeunes ou moins jeunes subissant le racisme, ou encore à l'homophobie.

Notre projet de loi est une occasion symbolique forte de montrer, par-delà les clivages politiques, notre détermination à lutter contre les préjugés. Il donne un sens concret à l'égalité, inscrite au frontispice de notre charte commune, en veillant à laisser à chacun la possibilité de concevoir pour soi-même le projet d'une vie réussie.

Je crois aussi que la Haute autorité permettra de déminer les inquiétudes et qu'elle nous prémunira d'un excès délétère de mauvaise conscience, puisqu'il lui reviendra, en toute indépendance, d'établir la substance des faits et d'organiser autant que possible une réparation non contentieuse.

Je suis convaincu que ce débat parlementaire sera un moment fort pour signifier l'engagement de la nation en faveur de l'affermissement de la cohésion sociale.

Je souhaiterais ajouter un dernier mot. La création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité est un pas gigantesque.

M. Philippe Vuilque. N'exagérons rien !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Je pense sincèrement que cela n'a que trop tardé,...

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ... je vous le dis avec gravité et gentillesse. Bien entendu, on peut estimer que nous pouvons faire plus, plus vite.

M. Guy Geoffroy. Et nous ferons plus !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Aucun d'entre nous ne peut affirmer qu'il ne s'est pas trompé sur tel ou tel point. Mais le propre de la démocratie et de ses institutions est de s'adapter à la réalité.

Il convient que la Haute autorité travaille dans la sérénité, sans faire l'objet d'interprétations communautaristes. Il est difficile de créer une telle instance. En tout cas, sachez que, comme dans d'autres domaines, nous saurons dresser très rapidement les bilans d'étape. Les moyens financiers seront présents, et si une amélioration fonctionnelle, technique, s'avérait indispensable, la liberté dont la Haute autorité dispose pour décider de son organisation lui permettrait de la réaliser. Par ailleurs, si, indépendamment des apports du débat parlementaire, d'autres améliorations nécessitaient que l'on recoure à la voie législative, nous reviendrions devant vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances, mes chers collègues, la cohésion de notre société repose sur des valeurs de tolérance qui imposent le respect des origines, de l'identité et des choix de vie de chacun. Elle trouve sa source dans le principe d'égalité qui est consacré par les textes fondateurs de notre droit et par les engagements internationaux auxquels la France est partie.

Souvent cité en exemple, le modèle français d'égalité n'est pas à l'abri de toute critique : nos concitoyens s'estiment encore victimes de discriminations qui, malgré des textes toujours plus nombreux, sont rarement sanctionnées.

Les recours sont en effet peu fréquents et rarement couronnés de succès. Sauf en matière de discriminations raciales, le juge pénal n'est pas souvent saisi. Notamment, il est exceptionnel que la justice répressive soit saisie des pratiques discriminatoires touchant les handicapés. Au civil, le contentieux porte essentiellement sur des discriminations sexistes ou syndicales dans le domaine de l'emploi. Ainsi, depuis 1987, les chambres sociale et civile de la Cour de cassation n'ont rendu qu'une douzaine d'arrêts sur des affaires de discrimination raciale. Quant au contentieux administratif, il est ancien et limité au droit de la fonction publique, même si la jurisprudence du Conseil d'État a été récemment enrichie par des arrêts de principe sur l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ou sur la remise en cause de la « cristallisation » des pensions des anciens combattants de nationalité étrangère.

Le rapport de forces entre les victimes et les auteurs de discriminations est souvent inégal. Les victimes sont, dans la plupart des cas, des personnes physiques disposant de ressources modestes. Elles doivent faire face à des pratiques discriminatoires qui peuvent être commises par des personnes morales, notamment des bailleurs, des prestataires de services ou des employeurs qui ne sont pas dénués de moyens de pression ou de rétorsion. Une entreprise peut considérer le procès comme un aléa normal de son activité, là où la victime s'expose à un risque de représailles et doit supporter des frais de justice.

Les victimes rencontrent d'importantes difficultés à rassembler des pièces permettant de prouver la discrimination alléguée. Ces pièces sont en effet généralement détenues par la personne mise en cause. Les demandes de mesures d'instruction adressées au juge civil sont rarement satisfaites et les parquets sont peu enclins à s'investir dans un contentieux difficile dans lequel l'expertise juridique reste rare.

Afin de prendre en compte la particularité du contentieux relatif aux discriminations, la réglementation communautaire a prévu des dispositions spécifiques, protectrices des droits des victimes. L'article 13 du traité instituant la Communauté européenne a chargé le Conseil européen de prendre les mesures nécessaires en vue de combattre les discriminations. C'est sur le fondement de cet article que, par directive, le Conseil fait obligation aux États membres de désigner un ou plusieurs organismes chargés d'apporter une aide indépendante aux victimes de discrimination.

Plusieurs pays européens disposent de l'organisme requis par la réglementation communautaire. La France ne s'est, pour le moment, pas conformée à cette obligation. Plusieurs directives européennes relatives à la promotion de l'égalité ont été transposées au cours de la précédente législature, mais aucune des lois de transposition n'a prévu la constitution d'un organe indépendant d'aide aux victimes. Nos concitoyens ne peuvent donc pas défendre leurs droits en faisant appel à une instance capable de les aider devant les pratiques discriminatoires dont ils font l'objet.

Le Président de la République a demandé au Gouvernement de mettre en place une autorité administrative indépendante chargée de combattre toutes les formes de discrimination. Le Premier ministre a confié, en juin 2003, à M. Bernard Stasi une mission de préfiguration de cette nouvelle instance. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est issu du rapport que M. Stasi a remis en février dernier.

L'essentiel des vingt articles qui nous sont proposés porte sur l'instance indépendante requise par la réglementation communautaire.

À la différence du Médiateur de la République ou du Défenseur des enfants, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité sera une instance collégiale, ce qui permettra d'assurer en son sein le pluralisme des courants de pensée et la pluralité des compétences. Conformément à la tradition républicaine, ses membres seront nommés par les pouvoirs publics. Ce mode de désignation assurera à la nouvelle instance l'autorité morale nécessaire à sa crédibilité. Naturellement, les grandes associations de lutte contre les discriminations seront associées à ses travaux, à travers des organismes consultatifs, explicitement prévus par le projet de loi.

Comme le Défenseur des enfants, la Haute autorité pourra être saisie directement par les victimes, sans passer par les parlementaires. Elle disposera d'une compétence générale, puisqu'elle sera habilitée à intervenir pour toute pratique discriminatoire prohibée par un engagement international ou par la loi. L'évolution de notre société impose en effet de ne pas prévoir un champ de compétences trop précis, des comportements aujourd'hui jugés tolérables pouvant, demain, être considérés comme discriminatoires. Cette nouvelle instance est dotée des moyens d'enquête qui sont, de manière classique, dévolus aux autorités de même nature : elle pourra demander des informations à des personnes privées, obliger une autorité publique à lui apporter son concours, procéder à des médiations, faire des recommandations ou transmettre aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire les faits commis par des agents publics.

Ces dispositions s'inspirent directement des textes régissant les instances chargées de régler des litiges ou d'aider les victimes de pratiques illicites, comme le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Néanmoins, trois prérogatives originales complètent les moyens traditionnellement ouverts aux autorités indépendantes. Tout d'abord, la Haute autorité est expressément habilitée à procéder à des enquêtes sur place dans certains locaux, sous réserve de l'accord des personnes intéressées. Elle pourra également saisir le juge des référés afin d'ordonner que ses demandes d'informations soient suivies d'effets. Enfin, elle aura la possibilité de présenter à l'audience ses observations. Ces trois prérogatives visent à donner à la nouvelle autorité la capacité de produire auprès des juridictions des éléments de preuve suffisamment étayés. Toutes ces dispositions devront être utilisées dans le respect de l'indépendance de la justice.

Comme toute autorité administrative, la nouvelle instance ne pourra pas intervenir dans une procédure judiciaire. Non seulement, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, elle aura obligation de transmettre au procureur de la République les faits constitutifs d'une infraction pénale, mais elle devra également demander l'accord du juge pour enquêter dans une affaire donnant déjà lieu à une procédure judiciaire.

L'indépendance de la Haute autorité est assurée par les dispositions relatives à son budget et à ses comptes. Son président aura le pouvoir d'ordonnancer les dépenses et les recettes et ne sera donc pas placé sous la tutelle budgétaire de son ministère de rattachement. En outre, la nouvelle instance ne sera pas soumise au contrôle des dépenses engagées qui est assuré par le ministère chargé des finances.

Les dispositions relatives à la Haute autorité sont complétées par un article transposant la directive européenne du 29 juin 2000. Cette transposition vient enrichir l'arsenal juridique applicable en matière de discriminations raciales. La directive du 29 juin 2000 n'a, en effet, été transposée que pour une partie de son champ d'application. Il nous est donc proposé une disposition prévoyant un principe général d'égalité de traitement, applicable dans les domaines visés par la directive, mais non encore couverts par une transposition.

Conformément aux prescriptions communautaires, ce principe est assorti d'un aménagement de la charge de la preuve devant les juridictions civiles : la personne qui s'estime victime d'une discrimination raciale devra établir les faits, et non les preuves, qui permettent d'en présumer l'existence, à charge pour la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ce projet de loi crée, au service de tous, les instruments de promotion de l'égalité qui nous font aujourd'hui défaut. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe de l'Union pour la démocratie française .)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, chers collègues, alors que la France s'interroge sur la laïcité, un autre principe fondateur de la République est régulièrement malmené par l'existence de discriminations : l'égalité. Les pratiques discriminatoires constituent la négation du principe d'égalité proclamé dès les articles premiers de la Constitution et de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen.

À l'heure de la mondialisation, la lutte contre les discriminations est un élément du combat contre le communautarisme et le repli sur soi qui fragilisent la cohésion nationale et la cohésion sociale. Les revendications communautaristes sont attisées par le refus des différences qu'expriment les discriminations. Stigmatiser les personnes pour ce qu'elles sont est une atteinte intolérable à leur dignité et une amputation de leur citoyenneté.

La France possède une législation sur la non-discrimination influencée par l'action volontariste, dès 1950, de l'Union européenne qui a souhaité se doter d'une compétence particulière en ce domaine. La rédaction de l'article 225-1 du code pénal qui définit la discrimination, résulte ainsi d'un enrichissement régulier dont témoigne, en dernier lieu, la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Par ailleurs, des progrès législatifs substantiels ont été enregistrés sous la précédente législature en matière de discriminations fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle. Depuis 2003, les actes racistes, antisémites et xénophobes, mais aussi sexistes et homophobes, constituent une circonstance aggravante et sont plus durement sanctionnés.

Il reste cependant un vide juridique à combler : celui de la pénalisation des propos discriminatoires en raison du sexe, de l'orientation sexuelle, d'un handicap ou de l'état de santé, car ils participent de cette intolérance que la République se doit de combattre. La dramatique agression dont a été victime Sébastien Nouchet au début de cette année montre qu'il y a urgence à réformer notre législation. Et le retard pris par le Gouvernement n'en est que plus inacceptable. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le projet de loi dont la discussion avait été promise pour cet été par le Premier ministre à la veille de la Gay Pride, n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour de nos travaux. N'aurions-nous pas pu en débattre aujourd'hui, alors que ce début de session parlementaire concerne précisément la lutte contre les discriminations ?

M. Philippe Vuilque. Eh oui !

M. Patrick Bloche. Pour le groupe socialiste, c'est, une nouvelle fois, l'occasion de regretter le rejet par la majorité de notre assemblée de la proposition de loi qu'il avait déposée et que j'ai rapportée dans cet hémicycle le 27 novembre dernier, il y aura bientôt un an.

M. Philippe Vuilque. Eh oui !

M. Patrick Bloche. C'est donc dans le cadre d'une législation encore incomplète, au regard notamment des engagements européens de la France, que doit se concevoir la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. À cet égard, je souhaiterais d'emblée dire la déception qui est celle de notre groupe face à un projet de loi bien en deçà des objectifs affichés par le rapport remis par Bernard Stasi au Premier ministre en février 2004 et très en deçà des attentes des acteurs de la lutte contre les discriminations. Il est d'ailleurs révélateur que ceux-ci, associations ou syndicats, soient les grands oubliés de la composition de la Haute autorité qui aura un caractère exagérément institutionnel, à moins bien sûr que notre assemblée adopte l'amendement présenté par le groupe socialiste. Même si la Haute autorité est amenée à consulter les acteurs de terrain, ceux-ci ne se situeront pas au cœur de l'action qui y sera menée.

M. Philippe Vuilque. Très bien !

M. Patrick Bloche. M. le président de la commission des lois nous a indiqué, lors de la présentation de son rapport en commission, qu'il fallait éviter tout risque d'une Haute autorité militante.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est vrai !

M. Patrick Bloche. Était-il pour autant nécessaire d'en faire une institution trop politique et sans doute, à l'arrivée, très partisane ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Procès d'intention !

M. Patrick Bloche. Supposition !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. J'aime mieux cela !

M. Patrick Bloche. Nous verrons lors des nominations, monsieur le président, je vous donne rendez-vous !

S'il fallait caractériser la Haute autorité au travers des missions que lui fixe ce projet de loi, on pourrait la qualifier d'observatoire des discriminations apportant ponctuellement son expertise pour favoriser la médiation ou informer la justice. Sincèrement, pour ceux qui l'ont entendu, est-ce vraiment à la hauteur des attentes suscitées par le discours que le Président de la République a prononcé à Troyes, le 14 octobre 2002 ? Nous en doutons lorsque nous constatons que la Haute autorité n'aura pas pour mission d'assister les victimes de discriminations, qu'il s'agisse de soutien psychologique, de conseil juridique ou d'assistance pour les personnes n'ayant pas les moyens financiers, linguistiques ou culturels d'engager une action en justice. Ces besoins très réels ne sont pas couverts, contrairement aux préconisations du rapport Stasi ou aux objectifs assignés par l'article 13 de la directive communautaire du 29 juin 2000. Un choix a été fait, confirmé par notre rapporteur, au prétexte que les contentieux aboutissent rarement. Il conduit, nous le regrettons, à un déséquilibre manifeste entre les moyens donnés à la médiation et ceux donnés à l'assistance juridique des victimes qui souhaitent faire valoir leurs droits devant le juge.

Un autre regret concerne le caractère imparfaitement universel de la Haute autorité, en retrait là aussi par rapport à l'engagement pris par le Président de la République. L'Inter-LGBT est, de fait, fondée à demander que le projet de loi établisse une liste explicite des motifs des discriminations combattues par la Haute autorité, fondée sur l'article 225-1 du code pénal, et complétée par le motif « identité de genre » pour prendre aussi en compte les personnes transsexuelles et transgenres. De la même façon, une portée réellement universelle des interventions de la Haute autorité devrait l'amener à couvrir tous les domaines de discrimination, y compris ceux liés à l'exercice de la parentalité ou à la situation conjugale.

Lutter contre les discriminations avec un souci d'efficacité, c'est naturellement agir au plus près des victimes, ce qui devrait logiquement conduire à une territorialisation des interventions de la Haute autorité afin de ne pas la cantonner à un rôle national et centralisé. Cette préoccupation, essentielle en ce domaine, de la proximité doit trouver sa traduction physique et nous amène à nous interroger sur les moyens humains, donc financiers, dont elle disposera. Avec un budget annuel annoncé de 10,7 millions d'euros et une équipe de quatre-vingts personnes, ceux-ci nous apparaissent d'ores et déjà très insuffisants par rapport aux demandes prévisibles.

M. Philippe Vuilque. Tout à fait !

M. Patrick Bloche. Vous-même, monsieur le président de la commission, avez expliqué que, très certainement, les demandes seraient fortes.

La proximité peut avoir une dimension virtuelle avec l'apport d'Internet. C'est aussi tout simplement l'existence d'un service d'information et d'orientation téléphonique. Or l'article 19 du projet de loi, en abrogeant l'article 9 de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, vise à supprimer subrepticement le dispositif téléphonique « 114 » et le GELD.

M. Philippe Vuilque. C'est une erreur !

M. Patrick Bloche. Outre les garanties à apporter au personnel concerné quant à son devenir, nous le constaterons lors de la discussion des amendements, la fin brutale de ce service public d'aide aux victimes assuré par des professionnels motivés et compétents n'est pas explicable, d'autant plus que le rapport Stasi proposait une évolution du dispositif 114 et non pas sa suppression pure et simple.

Un mot, enfin, pour exprimer un dernier regret : celui de la transposition a minima de la directive communautaire du 29 juin 2000 visant à mettre en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et à aménager la charge de la preuve dans les domaines autres que celui du travail, aujourd'hui déjà couvert.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pourquoi ne pas l'avoir fait sous Jospin ?

M. Patrick Bloche. Vous nous proposez, en effet, une transposition minimaliste qui limite l'aménagement de la charge de la preuve aux seules juridictions civiles et qui ne saisit pas l'opportunité de la portée universelle de la Haute autorité pour couvrir toutes les discriminations sans hiérarchie entre elles.

M. Philippe Vuilque. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy. Non, c'est un amalgame !

M. Patrick Bloche. Aussi, le groupe socialiste, lors de la discussion des articles, demandera que le projet de loi soit amendé pour que l'aménagement de la charge de la preuve soit étendu à tous les motifs de discrimination...

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Patrick Bloche. ...et soit applicable aux juridictions administratives.

M. Philippe Vuilque. Très bien !

M. Patrick Bloche. En conclusion, comment ne pas constater que la création de cette autorité administrative aux compétences si limitées est l'unique réponse que le Gouvernement aura apportée, en deux ans et demi, à l'exigence d'une politique globale de lutte contre les discriminations...

M. Éric Raoult. Mauvaise foi !

M. Philippe Vuilque. M. Bloche a raison !

M. Patrick Bloche. ...et pour l'égalité qui, comme nous le rappellent de nombreuses associations telles que AIDES et Sida Info Service et le Collectif pour une autorité indépendante universelle, repose pour une large part sur l'éducation et la prévention.

À mi-mandat, quel est le bilan du Gouvernement en la matière ? Quelle a été l'action des pouvoirs publics, mis à part le durcissement du code pénal - nous y avons contribué, je vous le concède, ici même - contre les auteurs de violences physiques à caractère discriminatoire ? Aucune politique de prévention n'a été menée. Le dispositif du 114 et des CODAC a été laissé en déshérence. Le budget du FASILD a été diminué.

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale et plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est faux !

M. Philippe Vuilque. C'est malheureusement vrai !

M. Patrick Bloche. L'éducation nationale, qui devrait être le fer de lance d'une politique de prévention des discriminations, ne s'est jamais vraiment mobilisée. Disons-le clairement : la création de la Haute autorité ne saurait se substituer à une mobilisation des pouvoirs publics contre les discriminations qui fait aujourd'hui cruellement défaut. A cet égard, ce projet de loi est, de notre point de vue, une occasion manquée. Mais comment s'en étonner, mes chers collègues, tant les occasions manquées sont devenues une spécialité de ce gouvernement ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, s'il était encore besoin de dire à quoi sert l'Europe, ce projet de loi apporterait une démonstration éclatante. Aucun d'entre nous n'a en effet oublié que, dès le traité de Rome, le principe général d'égalité ou de non-discrimination a été posé comme pierre angulaire de l'ordre juridique européen. Aucun d'entre nous n'ignore les nombreux outils juridiques communautaires. Je citerai enfin la Charte des droits fondamentaux ou la directive de 2000 que nous allons transposer dans notre législation.

Une fois de plus, l'Europe montre la voie législative à suivre en matière de refus de toute discrimination, et elle a su anticiper ce grand mouvement de société, sans attendre que l'actualité le pointe du doigt.

Au moment où certains dirigeants du Parti socialiste semblent victimes d'amnésie en ce qui concerne les apports sociaux de l'Union, ne boudons pas notre plaisir de remercier l'Europe...

M. Guy Geoffroy et M. Éric Raoult. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. ...et, ajouterai-je, la commission Stasi, qui a accéléré cette dynamique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Et merci au Président de la République !

Mme Anne-Marie Comparini. Concrètement, et c'est l'objet de cette séance, comment le principe d'égalité de traitement entre les personnes sans aucune distinction, auquel nous adhérons avec force, sera-t-il mis en œuvre ? Il s'agit de protéger et d'apporter appui aux victimes de discriminations mais aussi de favoriser une logique d'apprentissage de la différence, tant il est vrai que nous sommes entrés dans une société de la diversité. Je crois qu'il faut noter ce point important : la Haute autorité sera là pour lutter contre les discriminations mais aussi pour favoriser l'égalité.

La Haute autorité, proposée par la directive et dont l'idée a été enrichie, je le disais, par la commission Stasi, est nécessaire. Sans elle, la lutte contre les pratiques discriminatoires ne serait qu'un vœu pieux. Nous la soutenons et approuvons cette démarche.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. Mais permettez-moi d'émettre quelques observations, dictées par le souci de pleine réussite de cette nouvelle instance.

Je remarquerai d'abord, et c'est la philosophie qui m'anime dans toute mon intervention, que la Haute autorité doit apparaître proche de tous nos concitoyens.

Or, il faut le reconnaître, la dénomination « Haute autorité », qui paraît impressionnante, est de nature à créer une distance avec les victimes de pratiques discriminatoires. J'aurais, pour ma part, préféré le terme « agence », moins formel, moins protocolaire. Mais, ne pouvant changer l'appellation, veillons à tout le moins à faire passer le message de son accessibilité à tous et de sa grande réceptivité aux questions des discriminations.

Voilà pourquoi il me paraît fondamental que la Haute autorité, instance collégiale, vous le disiez, monsieur le rapporteur, soit composée de membres disponibles, ayant du temps à donner à cette mission importante - cela va sans dire mais nous connaissons trop d'organismes dont les membres sont souvent absents. Ils devront être disponibles et aussi avoir une aptitude particulière, certains diront une sensibilité à traiter ces douloureuses questions de discrimination.

J'insiste sur ces deux qualificatifs - disponible et apte - parce que la composition de la Haute autorité, monsieur le ministre, a suscité parmi nous quelques interrogations. Je souhaiterais que vous nous apportiez la garantie d'une composition représentative, faite d'hommes et de femmes ayant à cœur d'agir. Il en va, je crois, de la crédibilité de la Haute autorité, notamment vis-à-vis des victimes de discriminations.

Celles-ci sont en effet au centre du dispositif et la création du secrétariat d'État aux droits des victimes montre que nous sommes entrés dans une société du soutien et de l'accompagnement.

Deuxième et dernière remarque : la Haute autorité doit être proche mais aussi accessible. Pour qu'une belle idée se transforme en belle réussite, c'est à travers ce prisme que nous devons raisonner.

J'entends bien les remarques du président et rapporteur de la commission sur l'article 19 du projet de loi, mais supprimer le dispositif de la loi du 16 novembre 2001 revient, en quelque sorte, à priver les victimes d'un outil lisible et accessible, d'un lien direct.

Certes, j'en conviens, cette procédure relève du domaine réglementaire.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

Mme Anne-Marie Comparini. Certes, je comprends la nécessité de reformater l'accueil téléphonique. Néanmoins, pour que la Haute autorité soit vraiment accessible, je le répète, ce texte aurait pu garantir la mise en place d'un dispositif similaire et le maintien de la gratuité de l'appel.

M. Philippe Vuilque. Très bien ! Vous avez raison !

Mme Anne-Marie Comparini. Par ailleurs, pour répondre aux appels de détresse, l'écoute est primordiale, on l'a encore vu avant-hier avec l'expérience généralisée du 39 39, qui a reçu un bon accueil sur toute la France. Nous devons donc nous interroger sur le sort réservé aux CODAC, qui permettaient aux victimes de trouver un correspondant dans chaque département. Ne peut-on, comme pour les correspondants du Médiateur, estimer leur présence nécessaire, en tant que relais de la Haute autorité ?

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, la réussite de la Haute autorité ne pourra, à mon sens, se concevoir qu'à travers l'appropriation par les citoyens de cet outil mis à leur disposition. Puisque nous sommes profondément attachés à la culture de la différence, au nécessaire apprentissage de la diversité et, par conséquent, au développement de la Haute autorité, sachons lui donner les moyens de son action. Nous ferons ainsi un grand pas dans la lutte contre les discriminations mais surtout pour les droits de la personne. C'est dans cet esprit que le groupe UDF votera pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, malgré l'abondance de textes internationaux et nationaux en la matière, la lutte contre les discriminations reste d'actualité. La France est en effet censée respecter bon nombre d'engagements qui, même s'ils trouvent une traduction juridique dans notre législation nationale, ne sont cependant pas strictement appliqués dans les faits. La discrimination touche encore beaucoup de citoyens.

Vous êtes une femme : vous avez moins de chance qu'un homme d'obtenir un emploi qualifié et vous êtes moins bien payée.

Vous êtes Français d'origine étrangère ou vous êtes étranger, notamment non communautaire : vous avez encore moins de chance d'obtenir un emploi, un logement ou de vous faire soigner.

Vous êtes ou avez été atteint d'une maladie grave : vous n'avez aucune chance d'obtenir un prêt ou de trouver un emploi stable.

Vous habitez une banlieue ou un quartier dit « difficile » : vous gagnerez difficilement, pour ne pas dire jamais, la confiance d'un employeur.

Vous êtes un syndicaliste engagé : l'évolution de votre carrière s'en trouvera ralentie, quand vous ne serez pas purement et simplement mis au placard.

Et si, par malheur, vous cumulez tous ces critères, vos chances d'insertion dans la société sont proches de zéro.

Ce constat révèle que chacun est susceptible, à un moment ou un autre de son existence, de se retrouver victime de discrimination, directe ou indirecte. Et les discriminations s'étendent, s'aggravent, quand bien même le nombre de dispositions législatives augmente.

Cela, bien sûr, doit nous interroger. Nous ne pouvons nous accommoder de ces pratiques discriminatoires. Laisser faire, c'est laisser se développer les dérives sexistes, xénophobes ou homophobes. La lutte contre toutes les discriminations est un devoir civique auquel nul ne doit se soustraire.

C'est pourquoi j'insiste sur notre responsabilité dans ce combat, en tant que citoyens, d'abord, mais aussi comme représentants du peuple de France. Nous ne pouvons nous contenter de ne parler de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité qu'une fois par an, au moment où la Haute autorité remettra son rapport au Parlement.

Nous élaborons des lois, à nous de nous assurer de leur respect. Nous ne pouvons nous défausser de notre responsabilité et faire reposer la lutte contre les discriminations sur les seules associations agissant en la matière ou, après l'adoption de ce projet de loi, sur la seule Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

La question de la lutte contre toutes les discriminations est récurrente ; il est donc urgent d'agir. C'est notamment en fonction des réponses apportées à cette question que se dessine le type de société que nous léguerons aux générations futures.

Comme l'écrit lui-même M. Bernard Stasi dans l'introduction du rapport qu'il a remis au Premier ministre le 16 février 2004 :

« Ces injustices [vécues par les victimes de discriminations] provoquent des réactions d'incompréhension et de désarroi, parfois aussi des sentiments d'humiliation ou de révolte. Elles sont contraires aux principes d'égalité des droits et de tolérance qui assurent la cohésion de notre société et portent gravement atteinte au pacte républicain sur lequel elle est fondée. Elles doivent dès lors être combattues avec détermination. »

Nous partageons évidemment ce constat et cet objectif.

Nous ne nous opposerons donc pas à la mise en place d'un organisme public, qui symbolise la reconnaissance officielle de cette question de société et centralise les missions de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité.

Mais la Haute autorité que vous nous proposez apportera-t-elle les réponses exigées par la situation que je viens brièvement de décrire ? Permettez-moi d'émettre quelques critiques, qui n'ont pour objectif que de faire progresser le débat.

Je pense tout d'abord, évidemment, à la composition de la Haute autorité, qui, de prime abord, ne semble pas lui assurer une réelle indépendance. Sur les onze membres qu'elle comprendra, deux seront désignés par le Président de la République, deux par le président du Sénat, deux par le président de l'Assemblée nationale et deux par le Premier ministre. Reconnaissez avec moi, chers collègues, que ce mode de désignation apparaît peu indépendant du pouvoir politique et fait craindre une absence de pluralisme dans la composition.

Pourquoi ne pas avoir prévu explicitement des membres d'associations représentatives de chaque critère de discrimination, des représentants d'organisations non gouvernementales, de syndicats, d'élus, ou encore d'experts ? En raison de l'expérience, de la diversité et des compétences de ces personnes, leur nomination aurait été un gage d'indépendance et, surtout, d'efficacité.

Bernard Stasi le souligne également dans son rapport, en rappelant que les associations jouent un rôle important et croissant dans la lutte contre les discriminations. Dès lors, pourquoi les exclure de la composition de la Haute autorité ?

Pourquoi n'avoir pas non plus imposé d'emblée la parité en son sein ? Cet oubli apparaît comme un mauvais présage concernant une autorité chargée de promouvoir l'égalité !

Vous, monsieur le ministre, qui savez manier l'apparence comme personne (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), avouez que le symbole est malheureux !

Autre interrogation, le Gouvernement propose ici de recourir à une structure unique. Le rapporteur estime que « la création de plusieurs autorités spécialisées aurait nui à la cohérence de la lutte contre les discriminations, lutte qui doit souvent faire face à des situations de cumul ». Nous partageons cette volonté de créer une seule instance de référence en la matière, mais elle doit aller plus loin : à nos yeux, une autorité de lutte contre les discriminations doit être une instance généraliste et pluridisciplinaire.

Par ailleurs, il existe déjà plusieurs organismes publics - je pense notamment au groupement d'étude et de lutte contre les discriminations, le GELD, ou aux CODAC, au service téléphonique du 114, mais aussi à plusieurs départements ministériels - qui ont précisément pour mission de lutter, d'informer ou, suivant les cas, de porter assistance et conseils aux victimes. Faute de moyens et d'un réel engagement de l'État, la plupart de ces structures rencontrent des difficultés pour mener à bien leur tâche, et ce en dépit de la forte implication de leur personnel.

Dans ces conditions, il ne faudrait pas que les moyens et l'intérêt accordés à la Haute autorité le soient au détriment de ces diverses instances : nous voulons connaître exactement le sort qui leur sera réservé ainsi qu'à leur personnel.

La question de l'intégration ou non de ces structures, sous une forme ou sous une autre, à la Haute autorité est primordiale lorsque l'on aborde la question du budget dont elle disposera.

En effet, Pascal Clément, président de la commission des lois, indique dans son rapport que, pour l'année 2005, la Haute autorité devrait disposer d'un budget de 10,9 millions d'euros, ce qui est notoirement insuffisant par rapport aux ambitions affichées.

En outre, aurez-vous les moyens de suivre la recommandation - judicieuse - du rapport Stasi, qui préconise de créer un réseau de délégués territoriaux ?

Le projet de loi est trop silencieux sur tous ces aspects.

Enfin, la Haute autorité doit avoir les moyens d'enquêter ou de commander des enquêtes sur les pratiques discriminatoires, afin de mieux les combattre. Et pour que ces enquêtes soient pertinentes, nous pensons, par exemple, qu'il faudrait y inclure des statistiques sexuées. La mission de la Haute autorité de promotion de l'égalité doit, en effet, avoir un sens. Or, si aucune distinction de genre ne peut être faite chez les victimes de discriminations, les pratiques et comportements sexistes seront purement et simplement invisibles, ce qui est déjà trop souvent le cas.

Prenez l'exemple des violences faites aux femmes : il n'en existe aucune statistique officielle, les crimes et délits recensés par le ministère de l'Intérieur ne distinguant pas le sexe de la victime.

On constate le même silence concernant les violences conjugales : l'absence de statistiques sur les meurtres conjugaux témoigne d'une étrange indifférence à l'égard de ces femmes victimes.

Nous aimerions que l'instauration de cette Haute autorité permette enfin que tous les aspects des pratiques discriminatoires soient pris en compte, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays cités dans le rapport Stasi. Ces pays ont tous opté pour une instance collégiale, dont la composition traduit une volonté de garantir l'indépendance, le pluralisme ainsi qu'une diversification des compétences.

De manière générale, il importe d'élargir à tous les critères de discrimination les compétences de la Haute autorité, ce qui nécessite évidemment la présence d'un éventail de personnes venant d'horizons différents.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, ce texte n'est pas à la hauteur de ce formidable enjeu de société qu'est la lutte contre toutes les discriminations et pour l'égalité.

Je n'en suis pas moins convaincu que notre débat peut faire encore progresser l'engagement, qui, je l'espère, nous est commun, pour la promotion d'une citoyenneté nouvelle, une citoyenneté du xxie siècle, une citoyenneté qui porte haut les valeurs de la République de notre temps. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Eh bien oui, même chez nous, dans la patrie des droits de l'homme, la bataille pour l'égalité, l'égalité qui est au cœur de notre devise nationale, est toujours à approfondir et à recommencer.

Prétendre - personne, d'ailleurs, ne l'a fait - que nous aurions attendu aujourd'hui pour évoquer toutes ces questions concernant des discriminations qui ne cessent de proliférer et une égalité qui reste à assurer, serait inexact. Nous avons toujours été, depuis notre texte fondateur de 1789, parmi les premiers à avoir mis en exergue la nécessité d'assurer, par chacun et pour chacun, de manière universelle, le respect de l'autre, la tolérance et la mise en forme permanente des conditions dans lesquelles chacun, certes selon son talent, son courage et son degré d'implication, mais avec la certitude que la nation tout entière lui donne les mêmes garanties de départ, pourra assurer, tout au long de sa vie, son parcours d'homme libre et digne, assuré donc de bénéficier d'une égalité de principe, qui est fondamentale dans notre pays de liberté.

Prétendre que, avec la création de cette Haute autorité qui nous est proposée aujourd'hui, nous aurons, pour solde de tout compte et pour toujours, traité la question qui nous préoccupe et qui doit continuer à nous préoccuper, du combat contre toutes les discriminations et pour l'égalité serait dérisoire, illusoire et dangereux.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, le groupe UMP et votre majorité sont aujourd'hui conscients de l'importance de ce texte qui, comme l'ensemble de l'action gouvernementale menée depuis plus de deux ans, concrétise - une fois de plus ! - un des engagements - ils ont été concrétisés les uns après les autres et dans le meilleur ordre possible - pris devant la nation tout entière par Jacques Chirac, à l'occasion du grand rendez-vous démocratique de 2002. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cet engagement est le corollaire de l'obligation qui nous est faite de constituer ce que l'Europe, du moins la majorité de ses grandes nations, a déjà mis en place, ces instances universelles indépendantes, cette Haute autorité dont aujourd'hui vous nous saisissez.

Il nous faut, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, ainsi que notre rapporteur et président de la commission des lois, saluer le travail et la richesse des propositions du président Stasi à qui nous devons, grâce au rapport de préfiguration de cette instance, les éléments clés qui ont nourri votre réflexion et conduit au canevas du présent projet de loi.

Je ne reviendrai pas en détail sur ce qui a déjà été dit, mais je voudrais répondre, non pas sur un ton polémique qui n'est pas de mise en une telle occurrence mais avec la clarté et la fermeté qui conviennent, à certaines assertions de nos collègues qui trouvent le texte trop peu ambitieux et qui auraient souhaité qu'il fût muni de dispositifs plus contraignants, ce qui nous aurait fait déborder du cadre strict de notre sujet d'aujourd'hui, alors que nous aurons à y revenir, très prochainement, pour élargir le champ de notre législation.

J'évoquerai donc la composition de cette instance, composition qui ne saurait choquer quiconque quand on sait que cette instance, collégiale, doit être indépendante et ne doit pas nier l'apport incontournable de tous les experts syndicaux et associatifs, de toutes celles et tous ceux qui se dévouent, à longueur d'année, pour soutenir, accompagner et tirer d'affaire ceux qui sont victimes de discriminations.

Mais il s'agit d'une Haute autorité qui doit, comme son nom l'indique, être au-dessus de certaines contingences et s'efforcer de ne pas être « militante » au sens réducteur du terme. C'est pourquoi la composition qui nous est proposée, surtout si notre assemblée accepte de l'amender comme la commission des lois l'a fait ce matin en assurant, dans la représentation des collèges qui désignent deux représentants, la parité entre les hommes et les femmes, me semble correspondre au but que nous visons.

Les pouvoirs et les attributions de cette instance seraient négligeables ou presque, ont prétendu certains. Comment donc !

Chercher, presque par tous moyens, où est la vérité, quels sont les faits et comment on peut constituer le début des preuves qui permettront à la personne victime de discrimination de commencer à relever la tête et à croire en la possibilité de se tirer d'affaire ; demander à des personnes privées ou publiques des informations, se déplacer - certes avec leur accord mais le faire quand même ! ; mettre en demeure et, si la mise en demeure ne suffit pas, saisir le juge des référés : cela est-il mineur ? Non !

Aller au-delà, c'est-à-dire tenter la médiation qui fait tant défaut aujourd'hui, ce qui fait que les tribunaux ne sont pas autant saisis qu'on le croit et que, de surcroît, quand ils le sont, leur jurisprudence n'est pas encore solidement établie ; faire en sorte que, sur cette base, les procès qui devraient avoir lieu soient nourris du travail de la commission de la Haute autorité ; faire également en sorte que des recommandations soient faites à ceux qui ont été suspectés de discrimination, pour lesquels les choses se sont éclaircies et pour lesquels la Haute autorité se doit de dire ce qu'il convient de ne plus faire ou comment il faut éviter d'être suspecté ; ensuite, être force de proposition pour l'élaboration de textes de loi qui feront évoluer notre dispositif global : tout cela, mes chers collègues, n'est pas négligeable.

C'est un ensemble complet et cohérent de dispositions qui permettent de voir plus clair, de défendre les personnes concernées et de progresser.

J'évoquerai à présent la question de la saisine qui a suscité un débat intelligent et profond en commission. Certains ont souhaité que, au-delà de la saisine individuelle et directe, soit possible une saisine accompagnée, assistée et - pourquoi pas ? - substituée. Je rappelle, comme nous avons été plusieurs à le faire ce matin en commission, que si le premier alinéa de l'article 3 prévoit la saisine directe, dont on nous a dit qu'elle se ferait par écrit, le deuxième alinéa de ce même article dispose que la Haute autorité peut se saisir d'elle-même dès lors qu'elle a eu connaissance de cas de discrimination.

Voilà donc, pour tous ceux qui ont le devoir de les porter à la connaissance de la Haute autorité, à commencer par les parlementaires que nous sommes, la possibilité d'ouvrir cette deuxième voie de saisine de la Haute autorité, qui garantit à ceux qui ont besoin d'être défendus de pouvoir l'être effectivement.

S'agissant du travail de terrain, nous nous interrogeons sur les CODAC et sur le devenir du « 114 ». Le texte prévoit à juste titre sa disparition en tant qu'outil prévu dans la loi. Or la pérennité d'un tel dispositif doit être assurée après la prise en compte des améliorations nécessaires. Aussi, nous attendons, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, des précisions de nature à rassurer toutes celles et ceux qui considèrent aujourd'hui que ce premier pas, sans être un lien décisif, permet d'engager une procédure formulée ensuite par écrit. Nous souhaitons obtenir la garantie que ce dispositif puisse continuer à fonctionner.

J'achèverai mon propos, madame la présidente, en abordant le titre II du projet de loi qui ne traite pas tout à fait du même sujet.

Je suis surpris que certains de nos collègues nous reprochent de procéder à une transposition a minima.

M. Philippe Vuilque. C'est bien le cas !

M. Guy Geoffroy. Il ne s'agit pas d'une transposition a minima...

M. Patrick Bloche. Mais si !

M. Guy Geoffroy. Au contraire, le texte transpose des dispositions qui ne l'avaient pas encore été.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Mais que dirait le juge constitutionnel si nous transposions des éléments qui ne sont pas inscrits dans une directive européenne ? Il y a là une vérité essentielle qu'il convenait de rappeler.

Ayant eu l'honneur il y a quelques mois, aux côtés de Mme Lenoir, de rapporter ici même un texte de loi autorisant le Gouvernement à transposer par voie d'ordonnances certaines directives...

M. Patrick Bloche. Ce n'est pas un modèle de démocratie !

M. Guy Geoffroy. ...je tiens à saluer l'effort qu'il fait aujourd'hui, de manière cohérente, avec ce texte relatif aux discriminations, pour rattraper le retard de la France en matière de transposition. À ce propos, je me permets de rappeler au Gouvernement l'importance de transposer le plus rapidement possible l'ensemble des directives européennes.

Pour conclure, ce texte ne règle pas tout, mais, loin d'être mineur, il ouvre des perspectives et autorise des espoirs. C'est pourquoi, déterminé et confiant, le groupe UMP le votera sans défaillance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre, le texte qui nous est soumis aujourd'hui visant à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité procède, à n'en pas douter, d'une bonne intention. C'est en effet une mise en conformité avec le droit européen.

L'arsenal législatif permettant de lutter contre les discriminations s'est sensiblement renforcé ces dernières années. Par exemple, la loi du 16 novembre 2001, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, a instauré une protection renforcée contre les discriminations en matière d'emploi. Elle a notamment aménagé le régime de la charge de la preuve et a introduit la possibilité d'ester en justice pour les organisations syndicales et les associations de lutte contre les discriminations. Elle constitue un progrès indéniable en matière de lutte contre les discriminations à l'emploi. De même, la loi du 3 février 2003 vient utilement compléter le dispositif. Patrick Bloche l'a évoquée et je n'y reviens pas.

Mais ces textes restent largement insuffisants face aux pratiques discriminatoires qui perdurent et qui sont un véritable fléau. Les discriminations « abîment » ceux qui en sont les victimes et leur font perdre espoir.

Quelques chiffres doivent être rappelés pour mesurer la gangrène qui ronge notre société : 31 % des jeunes immigrés ou d'origine immigrée sortent aujourd'hui de l'école sans qualification contre 14 % des jeunes dont les deux parents sont nés en France, 11 % des Français issus de l'immigration et titulaires d'un diplôme de second cycle sont au chômage contre 5 % pour la moyenne nationale et 21 % des dossiers traités par l'association SOS Racisme concernent des cas de discrimination à l'emploi. Telle est la triste réalité d'une société qui exclut plus qu'elle n'intègre.

Le projet de loi créant la Haute autorité prétend avoir l'ambition de répondre à l'impérieuse nécessité de trouver les voies et les moyens de lutter efficacement contre les pratiques discriminatoires portant atteinte au principe d'égalité et à la cohésion sociale. En réalité, il répond imparfaitement aux propositions faites par M. Stasi et il est bien loin des attentes des victimes et des associations qui, quotidiennement, luttent contre ces discriminations.

La création de la Haute autorité telle qu'elle est conçue ne peut que décevoir, car elle ne répond que très imparfaitement aux défis posés à notre société, et ce, pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que sa composition exclut le monde associatif et syndical relégué au second plan dans d'éventuels comités consultatifs.

M. Guy Geoffroy. Ils sont cantonnés à leur juste place !

M. Philippe Vuilque. Les associations et les syndicats se sentent mis à l'écart et ne comprennent pas cet ostracisme.

Contestable dans sa composition, la Haute autorité l'est aussi dans ses pouvoirs. Ses réelles capacités d'action sont plus que limitées. Elle n'aura pas en effet de véritables moyens d'investigation. Elle ne dispose pas, par exemple, d'un corps d'inspecteurs permettant d'établir la preuve de la discrimination. Ce manque de moyens d'action illustre malheureusement le manque de volonté politique du Gouvernement qui, là comme ailleurs, pratique l'effet d'annonce.

Contestable donc dans sa composition, ses pouvoirs, mais aussi dans les moyens qui lui sont affectés.

La Haute autorité française sera la plus faible d'Europe. Nos voisins belges, par exemple, disposent d'une structure de 100 salariés et d'un budget de 8 millions d'euros. À l'échelle de la France, elle risque de faire pâle figure.

Dans ce projet, par ailleurs, certaines dispositions sont surprenantes. Le texte ménage en effet les pouvoirs publics, les autorités locales et les services publics quand ils sont accusés de discrimination. Dans le rapport Stasi, la Haute autorité pouvait saisir une juridiction civile ou administrative pour toute infraction constatée dans le privé ou dans le public. Ce n'est plus le cas et c'est un recul dommageable. Pourquoi soumettre le public et le privé à des règles différentes ?

Autre surprise : l'impossibilité pour les associations et les organisations syndicales de saisir directement la Haute autorité. La loi du 16 novembre 2001, citée précédemment, leur permettait au contraire d'ester en justice avec l'accord de la victime. Pourquoi ne pas avoir transposé cette disposition à la saisine de la Haute autorité ? C'est incompréhensible.

Autre erreur ou maladresse : la suppression du « 114 », prévue dans l'article 19 du projet de loi. On nous dit que la création de ce numéro relevait du domaine réglementaire et n'a donc pas sa place dans ce dispositif. C'est pourquoi l'article 19 abroge l'article 9 de la loi du 16 novembre 2001. Mais on nous dit aussi que la Haute autorité pourra conserver le « 114 » puisqu'il est utile... Tout cela n'est pas très cohérent.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'est « chicanesque » ! Cela prouve que vous n'avez rien à dire !

M. Philippe Vuilque. Bref, votre texte est décevant.

Dans ce projet, aucune réflexion n'est menée par le Gouvernement sur un système de compensation socio-économique au profit des personnes - et des catégories de personnes, si l'on peut dire - victimes de pratiques discriminatoires. Pourtant, il y a là un vrai sujet : quels moyens faut-il instaurer - outils législatifs, pratiques administratives et privées, moyens financiers - pour permettre à certains de nos concitoyens de rattraper les retards subis et vécus ? Faut-il instaurer la discrimination positive, concept francisé de la notion américaine d'« affirmative action » ? Cette notion n'est-elle pas contraire à la tradition de l'universalisme républicain ? Comment alors concilier le respect de cette tradition largement incarnée dans le droit français et la volonté de faire reculer les inégalités de traitement ? En la matière, on attend toujours les propositions du Gouvernement.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Vuilque !

M. Philippe Vuilque. Dans ces conditions, et ce sera ma conclusion, même si la création de cette Haute autorité part d'une bonne intention, elle ne répond pas concrètement à l'attente créée à force d'effets d'annonce. Votre discours sur les discriminations, monsieur le ministre, sonne aussi creux que celui sur la cohésion sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous attendions une politique, un dispositif global et ambitieux de lutte contre les discriminations, traduisant le courage de regarder la France en face. Au lieu de cela, c'est un pis-aller que vous nous proposez, une Haute autorité sans grande autorité qui risque malheureusement de ne pas être très efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Raoult.

M. Éric Raoult. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la séance de ce soir n'est peut-être pas solennelle, mais elle comptera sûrement parmi les moments forts de démocratie de cette mandature. Demain, on dira peut-être : « Le 5 octobre 2004, la loi Borloo-Vautrin a été discutée sur l'excellent rapport du président Clément. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Vuilque. Quel cirage de pompes ! (Sourires.)

M. Éric Raoult. Je souhaite, dans le temps qui m'est imparti et avec le regard particulier d'un élu, depuis un certain temps déjà, d'un département très concerné, celui de la Seine-Saint-Denis, et avec une certaine expérience dans le domaine de l'intégration et de la ville, sous la direction de Jean-Claude Gaudin et d'Alain Juppé, me féliciter de la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

En effet, la création de cette Haute autorité revêt deux intérêts majeurs.

D'abord, elle est la concrétisation directe de la politique volontariste du Président de la République dans le domaine de l'intégration, notamment en direction des jeunes.

Ensuite, et vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, elle est au centre même d'un dossier essentiel pour notre pays, celui de l'égalité.

Voila pourquoi le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui revêt un intérêt particulièrement important. Tant il est vrai que nos quartiers vulnérables, pour reprendre votre expression, monsieur le ministre, avaient plus besoin de l'efficacité et de l'impartialité d'une véritable Haute autorité, que de l'intérêt limité de petites « assoces » politisées et manipulées, comme on l'a vu sous les gouvernements précédents. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Vuilque. C'est un tantinet caricatural !

M. Éric Raoult. Je n'en ai cité aucune. Vous vous sentez visés ?

La création d'une Haute autorité était très attendue parce que devenue nécessaire. Attendue et nécessaire, voilà à mon sens les deux termes qui résument le mieux la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité qui nous réunit aujourd'hui.

La Haute autorité était en effet attendue dans notre pays. Je puis d'ailleurs personnellement en témoigner. En mars 1997, le gouvernement d'Alain Juppé avait, lors d'une communication en conseil des ministres, présenté un grand programme d'action en faveur de l'intégration. Une large place y était donnée à la lutte contre les discriminations et nous envisagions, avec M. Hamlaoui Mékachéra, alors délégué interministériel à l'intégration, la création d'une structure semblable. Le temps nous a évidemment manqué pour pouvoir concrétiser cette idée. Mais j'observe a posteriori que la gauche plurielle qui nous a succédé, et en particulier Mme Martine Aubry, a refusé cette piste. Ce n'était pas une priorité pour elle, semble-t-il (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ni pour vous, chers collègues Vuilque et Bloche. Vous avez été dans la majorité plurielle pendant cinq ans et vous n'avez pas fait ce que vous reprochez aujourd'hui au ministre de faire incomplètement. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cinq ans de perdus ! Que de frustrations provoquées et d'espoirs gâchés !

Car, dans ce domaine, c'est de volonté politique qu'il faut faire preuve. Le Président de la République l'a bien compris et l'a clairement expliqué.

Chers collègues, comme dans beaucoup d'autres domaines, pour la Haute autorité, Mitterrand et Jospin y songeaient, mais ce sont Chirac et Borloo qui l'auront fait.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Éric Raoult. Il est vrai que les socialistes sont meilleurs pour la réflexion que pour l'action !

Lors de son discours fondateur de Troyes en octobre 2002...

M. Patrick Bloche. Effet d'annonce !

M. Éric Raoult. ...le chef de l'Etat avait relancé ce projet pour appeler de ses vœux la création de cette haute autorité.

En effet, il y a deux ans, Jacques Chirac s'exprimait en ces termes sur ce dossier : « Tolérer les discriminations, c'est faire le lit de la révolte, de l'incompréhension, du rejet de la société. C'est prendre le risque de livrer à ceux qui veulent les attirer vers des dérives extrémistes une partie de nos enfants. C'est priver l'ensemble de la société de la force et de la créativité d'une jeunesse qui peut beaucoup apporter à notre communauté nationale pour peu qu'on lui donne sa chance. »

Répondant à cet appel, le Premier ministre a ainsi confié à Bernard Stasi, dont l'autorité dans ce domaine et la connaissance du dossier sont incontestables et incontestées, un rapport qui lui a été remis en février dernier.

La mission de préfiguration de la Haute autorité a ainsi pu mener un travail de dialogue et d'écoute avec les associations. Elle a pu appréhender l'étendue du problème.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté est, en fait, la concrétisation directe de ses travaux. Il s'appuie d'ailleurs sur la majorité des préconisations contenues dans le rapport de Bernard Stasi, ce dont chacun peut se féliciter.

L'institution de la Haute autorité de lutte contre les discrimination et pour l'égalité permettra en outre à la France de se conformer à certains principes résultant de directives européennes de juin 2000, lesquelles prévoient la mise en place dans les États membres d'organismes indépendants chargés de la promotion de l'égalité de traitement des personnes dans tous les domaines de la vie sociale.

À l'heure où l'Europe est au centre du débat politique - au point même de diviser certains partis -, et où elle est critiquée pour le libéralisme exacerbé qui prétendument l'inspire, la création de la Haute autorité, en application du traité d'Amsterdam, montre que l'Union est bien loin de se conformer à la caricature antisociale dont certains voudraient faire un fonds de commerce politique.

Cette haute autorité est rendue nécessaire par la réalité que nous constatons. Le numéro national « 114 », mis en place pour assurer une écoute et recueillir des informations sur les discriminations, a reçu plus de 85 000 appels en deux ans.

M. Philippe Vuilque. Pourquoi donc le supprimer ?

M. Éric Raoult. Mon cher collègue, répondre au téléphone, c'est bien, mais trouver une solution, c'est mieux !

M. Philippe Vuilque. Certes !

M. Éric Raoult. La discrimination dans notre pays constitue une réalité incontestable, de l'interdiction d'entrer dans une discothèque au refus de laisser visiter un logement, du stage refusé au CV jeté dès la lecture du prénom, sans parler des « délits de sale gueule » lors de contrôles routiers, ...

M. Philippe Vuilque. Ce sont les « associations manipulées » qui combattent cela !

M. Éric Raoult. Ce n'est pas parce que vous avez créé une association en cinq ans...

Mme la présidente. Veuillez laisser parler l'orateur ! Monsieur Raoult, continuez, je vous prie.

M. Éric Raoult. Demandez donc à M. Vuilque de ne pas m'interrompre !

C'est à une attente réelle que la création d'une haute autorité veut répondre. Il ne s'agit pas, contrairement à une critique répétée mais que je ne partage absolument pas, d'une structure de plus, mais plutôt d'une structure en plus, dotée de moyens matériels et financiers importants et évolutifs, et accompagnée de la volonté politique nécessaire pour lui permettre de remplir efficacement sa mission.

Conjuguant indépendance et efficacité, la Haute autorité permettra donc de mieux connaître le champ des discriminations dont sont victimes nos compatriotes - notamment du fait de leurs origines, de leur religion ou de leur orientation sexuelle - et ainsi de pouvoir mieux les réprimer.

Qui peut nier aujourd'hui l'existence des discriminations, nombreuses et variées, dont sont victimes tant de Français ? Qu'elles touchent à l'emploi, au logement, aux soins ou à tout autre domaine, elles empêchent nombre de nos compatriotes de vivre et de se sentir considérés comme tous les Français.

Ces situations, ces plaintes, nous les connaissons pour les avoir entendues dans nos permanences, comme de nombreux élus, quelle que soit leur appartenance, peuvent en témoigner. Elles concernent des situations très diverses. C'est d'ailleurs le mérite de ce projet de loi que de donner à la notion de discrimination un sens très large.

Les Français issus de l'immigration sont les premiers concernés. Dans les banlieues, où vivent la majorité d'entre eux, les discriminations persistent. Elles se conjuguent d'ailleurs avec d'autres réalités qui doivent également retenir toute notre attention : un sentiment d'exclusion grandissant, des taux de chômage qui dépassent la moyenne nationale et qui touchent en premier lieu les jeunes, une fracture urbaine extrêmement forte - particulièrement accentuée, dans le cas de l'Ile-de-France, entre l'est et l'ouest de la région -, une montée du communautarisme et d'un repli sur soi de type identitaire. Tout cela génère le désespoir et alimente les extrémismes politiques et religieux.

Il y a encore le cas des discriminations dont sont victimes les femmes, sur leur lieu de travail comme au foyer. Il y a les discriminations du fait des orientations sexuelles des individus, qui sont intolérables et doivent être ardemment combattues. Il y a, enfin, les discriminations du fait du handicap, qui concernent de nombreux Français - ils n'ont pourtant jamais souhaité cette qualité de personne handicapée. Tous ces gens subissent la peur de l'autre et le rejet des différences.

Cette très large diversité de situations sera couverte par le champ de compétence de la Haute autorité. Mais celle-ci sera également dotée de moyens et de principes d'action lui permettant de mener à bien sa mission.

M. Vuilque et M. Bloche ont injustement oublié de le mentionner, mais depuis 2002, des mesures très concrètes ont été prises par le Gouvernement, ...

M. Patrick Bloche. Ah ! Lesquelles ?

M. Éric Raoult. ...telles que l'institution du contrat d'intégration, que la gauche n'avait pas décidée ; ...

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Éric Raoult. ...la relance de l'activité du Haut conseil à l'intégration, qu'elle avait laissé en sommeil ; ...

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Éric Raoult. ...et, aujourd'hui, la création d'une haute autorité indépendante.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Éric Raoult. Ne pas reconnaître ces avancées reviendrait à faire preuve de mauvaise foi, ...

M. Patrick Bloche. Ce doit être mon cas !

M. Éric Raoult. ...mais dans votre cas, messieurs de l'opposition, ce ne serait pas la première fois.

M. Bernard Accoyer. C'est bien vrai !

M. Éric Raoult. À ce jeu-là, nous devons être extrêmement vigilants car les déceptions peuvent vite dégénérer et, par une logique inquiétante, profiter aux extrémismes politiques et religieux qui guettent dans l'ombre en prônant la haine et le rejet d'autrui.

Tous ces efforts pour une égalité réussie et partagée, dont la Haute autorité sera un maillon essentiel, sont guidés par un principe simple, celui de la diversité, que le général de Gaulle avait déjà fait sien en affirmant : « La France, c'est tous les Français ».

Pour ces raisons, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, et comme élu de banlieue, en particulier de la Seine-Saint-Denis qui est aux couleurs du monde, je serai à vos côtés, ainsi que tout le groupe UMP, pour vous aider à concrétiser ces ambitions, à réussir l'égalité et à combattre au quotidien toute forme de discriminations.

Je voudrais enfin m'adresser à mes collègues de l'opposition...

Mme la présidente. Monsieur Raoult, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Éric Raoult. Vous l'avez accepté pour d'autres, madame la présidente.

Mme la présidente. J'essaie de faire respecter un certain équilibre.

M. Éric Raoult. Tout à fait. Je voudrais seulement rappeler à mes collègues de gauche que nous avons été ensemble sur la laïcité. Montrez ce soir que nous pouvons l'être à nouveau dans la lutte contre les discriminations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Philippe Vuilque. Cela ne tient qu'à vous !

M. Patrick Bloche. La balle est dans votre camp !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre, chers collègues, diverses enquêtes publiées cette année ont fait ressortir la prégnance des discriminations dans notre société, en dépit des dispositifs juridiques adoptés au fil des années.

Avec le durcissement des possibilités d'embauche dû à la montée du chômage et à la précarisation des contrats, le marché du travail, avec le logement et l'accès aux services publics ou privés, est l'un des domaines de la vie quotidienne où les discriminations se trouvent à foison.

En mai dernier, la presse révélait une enquête fondée sur la méthode du « testing » avec l'envoi de CV, et montrant ce que beaucoup de nos concitoyens vivent au quotidien : les personnes en situation de handicap et les personnes de couleur sont les premières victimes de discriminations à l'embauche. Je dis bien : « personnes de couleur » car l'expression politiquement correcte « les Français issus de l'immigration » commence à être un peu dépassée. Que je sache, en effet, nos concitoyens d'ascendance italienne ou espagnole ne rencontrent pas trop de problèmes !

L'apparence physique et le lieu de résidence des candidats s'avèrent également des éléments discriminants. On pourrait aussi ajouter les trop nombreuses discriminations dues à l'état de santé que notre société, toujours plus portée vers le productivisme et la rentabilité et toujours plus influencée par des stéréotypes, ne fait qu'accroître.

S'agissant des disparités entre femmes et hommes dans le monde du travail, celles-ci sont également identifiées depuis longtemps. À formation équivalente, les femmes sont encore sous-représentées dans les postes à responsabilité, alors qu'elles représentent 55 % des effectifs de l'enseignement supérieur. Et en matière de travail précaire, plus de 80 % du travail à temps partiel - le plus souvent imposé - concerne les femmes.

Quant aux manifestations d'homophobie, de lesbophobie et de transphobie, les associations qui gèrent des services bénévoles d'appels téléphoniques n'enregistrent aucune baisse. Les discriminations au travail - brimades, refus de promotion -, qu'elles soient le fait des employeurs ou des collègues, représentent toujours, en ce domaine, 20 % des appels recensés, malgré la loi du 16 novembre 2001 qui a inscrit l'interdiction de telles discriminations dans le code du travail. Les pressions sur les salariés et la peur du chômage ne sont guère propices à ce que les victimes fassent valoir leur droit.

Dans ces conditions, c'est peu de dire que la création d'une autorité indépendante universelle de lutte contre les discriminations était attendue par les associations. Celles-ci regardaient avec envie les organismes que nos voisins anglais, belges ou néerlandais ont déjà mis sur pied. Elles pouvaient fonder leurs espérances sur le discours du Président de la République prononcé à Troyes en octobre 2002, par lequel il s'engageait à transcrire dans le droit français les directives européennes, ou sur le rapport remis en début d'année par le médiateur Bernard Stasi. Elles demandaient également que soient revivifiés les dispositifs existants - tels que le Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, le numéro d'appel gratuit « 114 » ou les comités départementaux d'accès à la citoyenneté.

En définitive, il aura fallu plus de quatre ans pour transposer les directives européennes. Il n'y a pas de quoi être vraiment fier, d'autant plus que le texte a minima qui nous est présenté aujourd'hui est également source de grandes déceptions. Les associations n'ont pas été auditionnées. Leur place dans les travaux de la Haute autorité reste hypothétique, d'autant plus qu'elles ne pourront pas la saisir.

La Haute autorité ne pourra intervenir que sur les discriminations prohibées par la loi. Elle n'aura donc rien à dire sur les emplois réservés aux seuls nationaux et européens communautaires, alors que la France est riche d'étrangers non communautaires ayant toutes les compétences pour exercer les professions ne relevant pas de certains domaines réservés aux citoyens français comme la justice ou l'armée. Elle ne pourra pas non plus dire son mot sur l'inégal accès au droit du mariage, dont sont exclus les couples de personnes de même sexe. Elle ne pourra pas, enfin, intervenir contre les discriminations touchant les personnes transgenres, dès lors que le motif de discrimination en raison de l'identité de genre n'est pas inscrit à l'article 225-1 du code pénal.

En outre, nous ne pouvons pas déconnecter la lutte contre les discriminations de la nécessaire pénalisation des propos publics discriminatoires. Or nous attendons toujours l'examen du projet de loi pénalisant les propos homophobes et sexistes, que certains nous promettent désormais pour la première quinzaine de décembre. En ce domaine, l'urgence semble prendre un train de sénateur !

M. Éric Raoult. Parlez-en à Mme Voynet !

Mme Martine Billard. Le projet de loi étant de ce point de vue bien incomplet, je présenterai lors de la discussion des articles un amendement visant à pénaliser tous les propos discriminatoires.

De même, nous attendons toujours de connaître le programme de travail de l'éducation nationale en matière de lutte contre les discriminations.

S'agissant du fonctionnement de la Haute autorité, le Gouvernement prévoit la possibilité d'une saisine directe par les citoyens. Mais le rapport est plus inquiétant dans la mesure où il affirme que le Gouvernement se réserve la possibilité de faire face aux risques d'engorgement. Cela signifie-t-il qu'au lieu d'envisager, dans un tel cas, une augmentation des moyens, vous prévoyez déjà des restrictions d'accès ? J'espère que nous obtiendrons des réponses sur ce point.

Alors que, selon le rapport Stasi, l'autorité devait pouvoir apporter une aide - notamment d'ordre juridique - aux victimes, vous oubliez totalement ce point.

Nous discutons, en réalité, d'une bien pâle copie de ce qui a été mis en place chez nos voisins européens. De surcroît, on fait disparaître certains dispositifs existants que la nouvelle institution ne prendra pas à sa charge. En conséquence, les parlementaires Verts réservent leur vote et se prononceront en fonction du débat et des avancées qui auront pu être réalisées ici même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Imbert.

Mme Françoise Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mesdames, messieurs, trop de nos concitoyens sont encore victimes, en 2004, de discriminations : dans l'accès à l'emploi, au logement et aux loisirs ; en raison du sexe, de l'origine ethnique ou de convictions politiques, religieuses ou syndicales ; à cause d'un handicap, de l'âge ou de l'orientation sexuelle... Je pourrais citer de nombreux cas.

Toutes celles et tous ceux qui en sont les victimes savent combien il est difficile de simplement faire valoir ses droits.

Certes, ces dernières années, la France a renforcé sa législation et mis en place des dispositifs destinés à combattre différentes formes de discrimination, que vous connaissez pour les voir fonctionner ou essayer de fonctionner. Je citerai notamment la CODAC et le numéro national « 114 ».

Depuis janvier 1999, les commissions départementales d'accès à la citoyenneté mobilisent, dans chaque département, les services de l'État, les élus, les acteurs économiques et les associations.

Le 114 doit permettre de répondre à des situations avérées de discriminations, réponses gérées localement par la CODAC, en lien avec l'autorité judiciaire quand cela est nécessaire.

Dans mon département de la Haute-Garonne, comme dans la plupart des départements, ces dispositifs n'ont pas donné les résultats attendus. Même si ces structures ont sans aucun doute servi de révélateur, leur action n'a pas été suffisamment relayée. Combien de plaintes ont ainsi été classées !

Les discriminations liées au sexe, à l'orientation sexuelle, au handicap, se multiplient. J'ai moi-même fait l'objet de propos discriminatoires tenus par un élu de la ville de Toulouse qui, après une longue et pénible procédure pour moi, a été condamné par le tribunal correctionnel.

M. Éric Raoult. Il était fabiusien ?

Mme la présidente. Monsieur Raoult !

Mme Françoise Imbert. Je trouve votre réflexion déplacée, monsieur Raoult !

Les discriminations envers les femmes sont tenaces. Il faut encore une grande volonté politique pour les combattre.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Absolument !

Mme Françoise Imbert. Les discriminations frappent souvent celles et ceux qui sont fragilisés par la précarisation économique, l'exclusion raciale, la relégation urbaine, le handicap, des citoyens pourtant à part entière, qui ont le droit à la différence.

Oui, il y a nécessité d'une cohérence dans la lutte contre les discriminations !

La création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité peut répondre à cette nécessité, mais il est indispensable de bien définir ses missions, ses pouvoirs, et de disposer d'un organisme cohérent, opérationnel et, bien entendu, transparent.

C'est ce à quoi doit s'attacher une instance indépendante.

Mais nous attendons plus de cette instance. Quel sera le pouvoir d'action de cette haute autorité vis-à-vis de la justice ? Comment prendra-t-elle en compte tout ce qui se passe dans les départements ? On sait, en effet, combien la connaissance du vécu, de la proximité, est importante pour appréhender tous les phénomènes de discrimination. Quelle sera l'écoute accordée aux associations qui œuvrent, pour certaines depuis des années, sur le terrain et luttent déjà contre les discriminations ? On peut d'ailleurs s'interroger sur le caractère institutionnel de la Haute autorité, qui exclut la société civile et les associations, se coupant ainsi, comme je viens de le dire, de la réalité, du vécu quotidien.

Nous nous devons de lutter contre les discriminations, toutes les discriminations. C'est la cohésion sociale dans notre pays qui est en jeu, c'est notre combat pour l'intégration, pour le respect de chacun d'entre nous dans une société mixte et plurielle.

Pour conclure, madame la secrétaire d'État, on ne peut pas seulement faire naître d'une coquille vide une espérance chez tous nos concitoyens,...

M. Patrick Bloche. Absolument !

Mme Françoise Imbert. ...on ne peut pas se contenter de la mise en place d'une nouvelle instance, une de plus, pour rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Discrimination : action d'isoler et de traiter différemment des autres certains individus ou groupes d'individus. Telle est, madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la définition du Larousse.

Racisme, antisémitisme, sexisme, homophobie, discrimination à l'égard des personnes handicapées, sérophobie sont malheureusement d'une triste actualité et constituent aujourd'hui les principales atteintes à la dignité humaine dont notre société est coupable.

Aussi, je me réjouis de la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en souhaitant qu'elle remplisse pleinement la mission qui lui est confiée, sans hiérarchie entre les discriminations.

Son rôle la conduira également à suivre les conventions ratifiées par la France, internationales ou européennes, visant à éliminer les discriminations - elles sont nombreuses.

J'en citerai deux dans la longue liste des engagements internationaux pris par la France, parce qu'elles me tiennent particulièrement à cœur : la CEDEF, la convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui fait l'objet d'un suivi minutieux de la part des femmes de l'espace parlementaire francophone au comité directeur duquel je siège ; la convention internationale relative aux droits de l'enfant, sur l'application de laquelle la France a récemment été épinglée par l'ONU et doit encore progresser.

Concernant les enfants et la jeunesse, je me permets d'exprimer un regret, madame la secrétaire d'État, en constatant qu'aucune référence à eux n'est faite dans le texte qui nous est présenté, comme cela est le cas par exemple au Québec, dont la charte des droits des personnes de 1975 a donné naissance à la commission des droits de la personne et de la jeunesse. Je veux croire néanmoins que la Haute autorité exercera la plus grande vigilance à l'égard des discriminations dont sont victimes les jeunes et les enfants.

Je regrette aussi la non-représentation au sein du collège de la Haute autorité des associations qui militent inlassablement pour la dignité des personnes et représentent ceux qui souffrent des discriminations.

C'est en pensant au combat que conduit mon ami Jean-Luc Romero que je souhaite exprimer ici la souffrance des personnes séropositives ou sidéennes. Les discriminations dont ces personnes font l'objet s'ajoutent à la maladie, à la souffrance physique ou morale, aux difficultés matérielles, familiales et sociales. Savez-vous que ces discriminations sont en progression constante ? Il n'y a jamais eu autant de personnes hétérosexuelles ou homosexuelles contaminées par le VIH/sida et jamais autant d'ignorance de nos concitoyens à l'égard de la maladie. Beaumarchais, dans Le Barbier de Séville, a écrit : « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur ». C'est ainsi que près de 25 % des Français pensent qu'une piqûre de moustique peut les contaminer, contre 14 % en 1994. La conséquence de cette peur est la diminution de la tolérance vis-à-vis des personnes séropositives : 64 % d'entre elles, hétérosexuels et homosexuels confondus, sont victimes de discrimination ; 25 % des homosexuels ont été l'objet d'injures ou d'agressions physiques au cours des douze derniers mois à cause de leur orientation sexuelle. Et les homosexuels masculins ont quatre à sept fois plus de risque de faire une tentative de suicide que les hétérosexuels. Car l'intolérance, la haine de la différence excluent, blessent et tuent.

Aussi, la création de la Haute autorité était indispensable. Elle honore le Gouvernement et le Parlement. Elle ne nous dédouane pas pour autant de nos responsabilités, de notre vigilance et de notre exemplarité. Je tiens à souligner à cet égard que la création de la Haute autorité est accompagnée aujourd'hui par une volonté d'éduquer nos jeunes à la citoyenneté et à la transmission des valeurs de la République pour lutter contre toutes les dérives. La parution du guide républicain, à l'initiative de François Fillon, doit être saluée.

Ainsi, ce soir, heureuse et fière de soutenir le texte que vous nous présentez, madame la secrétaire d'État, je souhaite ardemment que la volonté du Président de la République, la vôtre, la nôtre, de lutter contre toutes les formes de discrimination qui déshonorent notre société nous permettent, mes chers collègues, sur tous les bancs, de nous rassembler autour de la défense des valeurs fondamentales de notre république : liberté, égalité et fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - M. Philippe Edmond-Mariette applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, peut-être qu'un jour cette honorable assemblée s'appliquera à elle-même les principes qu'elle proclame sur le respect de la diversité de la population française. En attendant, nous voilà à pied d'œuvre pour créer à la fois tardivement et dans la précipitation cette haute autorité indépendante de lutte contre les discriminations. Tardivement au regard d'abord de la nécessité, puis des déclarations du Premier ministre en juin 2002, des engagements du Président de la République en octobre 2002 et décembre 2003. Nous avons connu des calendriers plus promptement bousculés pour des projets de loi dont l'urgence était plus contestable. Dans la précipitation aussi au regard du délai entre l'adoption par le conseil des ministres et l'instruction parlementaire.

Venons-en au rapport de la commission des lois. Dès la première page, le rapporteur énonce que le principe d'égalité trouve sa source dans les valeurs de tolérance qui imposent le respect des origines, de l'identité et des choix de vie de chacun. Permettez-moi de le contredire et d'affirmer que la source du principe d'égalité n'est pas la tolérance, mais la laïcité, et la différence est considérable car, si la tolérance installe les pouvoirs publics dans la posture passive d'admettre la diversité et de désamorcer les conflits, la laïcité, elle, leur fait obligation de garantir les conditions d'exercice de cette liberté et de cette égalité, car elle contraint l'État à préserver les institutions publiques de toutes influences, confessionnelles, économiques, financières, corporatistes, partisanes, mais elle lui impose à même hauteur d'assurer la liberté des citoyens dans l'espace privé et leur stricte égalité dans l'espace public.

Une Haute autorité inspirée par la tolérance convient pour mettre une cohérence souhaitable dans cette nébuleuse d'administrations, de directions, de fonds, de groupements qui traitent déjà des discriminations avec des suites judiciaires, disons-le, dérisoires. Elle suffira pour mieux connaître des litiges. Elle aura mis la France en conformité avec ses engagements internationaux. Mais elle n'aura pas servi l'idéal d'égalité.

Par contre, une Haute autorité arrimée au principe de laïcité réclame en même temps que l'État se soucie des discriminations, qu'il assure l'égalité de tous par des politiques publiques d'éducation, avec des moyens inégalitaires si nécessaire, des politiques publiques d'emploi et d'accès aux emplois publics, de logement, de santé et d'accès aux services publics. Cette haute autorité inspirée par la laïcité nous inciterait surtout à réhabiliter les banlieues, parce qu'il s'agit de casser la stigmatisation qui porte sur l'apparence, le nom, l'adresse. Il s'agit de mettre un terme réellement à l'inégalité des salaires entre les hommes et les femmes. Il s'agit de cesser d'ignorer ou de refouler les personnes frappées de handicaps. Il s'agit en clair de lutter contre les exclusions qui sont le fait de discriminations. Car si la Haute autorité doit vivre sans que des politiques publiques volontaristes fassent du principe d'égalité un devoir d'État et un attribut de citoyenneté pour chacun en tout point du territoire, elle n'aura pas servi à grand-chose et, dans quelques années, elle aura simplement à constater la dégradation d'une situation que la faiblesse démographique aura rendue encore plus tendue. Ce sera la conséquence prévisible d'un cynisme d'État.

M. Philippe Vuilque. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira. Concernant la composition, comme il a été dit, a scrupuleusement été écarté ce qu'on a coutume d'appeler la société civile. On contourne les associations, les syndicats, en prévoyant simplement de les inviter de temps en temps à participer aux travaux. Certes, des responsables d'associations et de syndicats peuvent se révéler des partenaires peu malléables dans une institution que l'on veut parer d'une grande solennité mais, en contrepartie, ils apporteraient une connaissance irremplaçable des faits et des contextes et, surtout, ils insuffleraient un surcroît de passion pour l'égalité, d'enthousiasme pour la justice et d'élan pour raffermir les liens de la vie commune.

Alors la tentation sera grande de considérer que la création de cette haute autorité est comme un geste de compassion ou, plus civilement, de sollicitude à l'égard de certaines catégories de citoyens. Est-il utile ici de dire qu'il n'en est rien ? Il ne s'agit pas d'un geste symbolique envers certains publics, il s'agit de faire droit aux droits, car c'est la cohésion nationale qui est en jeu et, si nous avions de l'audace, ce que nous allons mesurer par l'accueil réservé aux amendements, nous pourrions alors abattre ce que René Char appelle le mur inexorable, le mur qui se rabat sur soi, où nous entendons sangloter un captif privé d'air, le visiteur conciliant d'un de nos jours négligés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Mme Martine Billard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l'égalité affirme enfin la volonté des pouvoirs publics de réagir contre les pratiques discriminatoires que subissent depuis trop longtemps nos populations.

Loin de moi l'idée de hiérarchiser les comportements discriminatoires selon leur gravité, leur nature ou les publics qui en sont victimes. Que l'on soit écarté d'un travail, d'un logement, des loisirs, bref de la vie sociale, à cause d'une origine, d'une religion, d'un handicap ou de toute autre considération de conviction, d'appartenance ou d'aspect, on est victime du pire des rejets : celui de la différence.

Je suis un élu de l'agglomération roubaisienne où l'histoire industrielle a tissé, par la succession et la multiplicité des origines, la diversité culturelle. Durant les années fastes de l'industrie textile, notre pays a en effet eu recours à une main-d'œuvre venant de l'étranger : d'Europe d'abord, - de Belgique ou de Pologne - du Maghreb, ensuite. Toute une génération de travailleurs a ainsi apporté son concours à l'essor industriel de notre pays.

Leurs fils et filles, élevés dans les principes d'égalité et de fraternité - piliers de la citoyenneté française - n'ont malheureusement pas bénéficié des promesses de prospérité qu'avaient laissé espérer les « Trente glorieuses ».

Les effets de la discrimination à l'embauche en raison des origines sont ravageurs dans les quartiers dits difficiles où nos jeunes, contrairement à l'image trop souvent véhiculée par les médias, font pourtant le pari de la réussite scolaire, pour obtenir un diplôme, clef de l'accès à l'emploi. Le diplôme est souvent là, mais pas l'emploi.

Mme Anne-Marie Comparini. Très juste.

M. Francis Vercamer. Selon une étude publiée au printemps par une équipe de sociologues de l'observatoire des discriminations de l'Université de Paris I, un Français d'origine maghrébine aurait cinq fois moins de chances qu'un autre d'obtenir un entretien d'embauche pour un emploi commercial.

De même, habiter un quartier considéré comme difficile prive tout candidat à l'embauche de chances sérieuses de trouver un emploi. Comment croire alors au modèle républicain ?

La Haute autorité vient sanctionner les pratiques discriminatoires : il était temps. Le projet de loi transpose la directive du 20 juin 2000, qui inverse la charge de la preuve, celle-ci incombant à la personne mise en cause : cela facilitera les recours, et c'était nécessaire.

À titre personnel, j'aurais souhaité que le Gouvernement aille plus loin : quand la composition du personnel d'une entreprise ou d'une administration ne reflète pas celle du bassin d'emploi dans laquelle elle se trouve, n'y a-t-il pas alors présomption de discrimination ? Celle-ci ne pourrait-elle pas être plus facilement mise en évidence si les entreprises avaient obligation de conserver les dossiers des candidats à l'issue des recrutements ? Sur ces points, le Gouvernement devrait pousser plus avant sa réflexion et ses mesures.

Mise en valeur des bonnes pratiques, détection et sanction des pratiques condamnables : nous souhaitons que la Haute autorité réussisse dans ses missions. Nous serons donc très vigilants quant aux moyens mis à sa disposition.

Anne-Marie Comparini a insisté sur l'importance de l'accessibilité et de la visibilité de cette nouvelle autorité. J'aurais souhaité, à l'instar des préconisations du rapport Stasi, que la Haute autorité soit proche de nos concitoyens et des réalités du terrain, par l'action de délégués territoriaux au sein même de nos agglomérations, à l'image des délégués du Médiateur de la République.

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. Philippe Vuilque. Nous ne sommes donc pas les seuls à le demander ! Cela fait plaisir.

M. Francis Vercamer. Enfin, si la répression des actes de discrimination est indispensable, il serait naïf de ne compter que sur son effet dissuasif pour les éradiquer. C'est en amont qu'il faut agir, par la connaissance de l'autre. Parce qu'il s'agit surtout de changer les mentalités, la lutte contre les discriminations est une action de longue haleine. Elle doit relever d'autres politiques publiques, telles que celle relatives à l'école et à l'enseignement.

Il était urgent de créer un outil efficace. Mais il ne s'agit que d'un outil, qui doit être au service d'une politique bien plus large. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, la lutte contre les discriminations est incontestablement l'affaire de tous. Il appartient à chacun de veiller à une meilleure égalité de traitement entre les personnes et c'est clairement cette vision de la citoyenneté à laquelle chacun d'entre nous est attaché, M. Dutoit l'a rappelé.

Mais au-delà de la responsabilité individuelle et de la nécessaire action des associations, c'est bien sûr aux pouvoirs publics, et spécifiquement à cette autorité indépendante créée par la loi, qu'il revient de dénoncer les infractions et surtout de combattre, sous quelque forme qu'elles se manifestent, les discriminations.

Le traité d'Amsterdam obligeait la France, comme l'ensemble des pays de l'Union, à se doter d'un organisme indépendant. Éric Raoult a rappelé que cela aurait pu être fait depuis bien longtemps.

La création de cette autorité répond à une volonté constante du Président de la République, rappelée avec force à Troyes le 14 octobre 2002, et sera l'un des garants de notre modèle d'intégration. Les inégalités de traitement compromettent notre cohésion sociale en contrevenant à l'un des principes constitutifs du pacte républicain sur lequel Guy Geoffroy est revenu : le principe d'égalité. Que les publics les plus fragiles cumulent les risques de discriminations dans les domaines de l'emploi, du logement ou des loisirs représente l'un des aspects les plus inacceptables de l'exclusion sociale. C'est l'un des pires dysfonctionnements de notre société. Y remédier était clairement le sens de la mission que le Premier ministre avait confiée à Bernard Stasi en 2003.

Les nombreuses auditions réalisées par Bernard Stasi, les comparaisons faites avec d'autres pays ont permis de construire le texte qui vous est soumis. Aujourd'hui le Gouvernement, en vous soumettant ce projet, a fait le choix de doter notre pays d'un outil dédié à l'accompagnement des victimes des discriminations, mais aussi à la promotion de l'égalité.

Anne-Marie Comparini a regretté le choix de la dénomination de « Haute autorité ». Certes, ce terme est peut-être un peu fort, mais c'est un moyen d'insister sur la nécessaire légitimité que l'on entend lui conférer. La nomination d'un collège, fait unique pour une autorité indépendante, en est un autre.

Le Gouvernement est attaché à ce que la parité et la diversité président aux nominations. Le Premier ministre l'a encore rappelé récemment.

Ce collège travaillera avec un ou plusieurs organismes consultatifs, composés de personnalités qualifiées. Ce sujet a été abordé par plusieurs orateurs. Chacun mesure en effet le rôle des associations et des syndicats dans la lutte contre les discriminations.

M. Vuilque et M. Bloche ont beaucoup insisté sur la question des moyens. Il faut se méfier des comparaisons qui conduisent à l'erreur. Permettez-moi de vous rappeler que les 8 millions d'euros du budget de la « Haute autorité belge » servent à assumer deux missions : l'intégration et la lutte contre les discriminations. Cela reviendrait, pour notre Haute autorité, à reprendre les missions du FASILD ! Avec un budget de 10,5 millions d'euros il y aurait très clairement un problème. Comparons ce qui est comparable.

M. Philippe Vuilque. Justement !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Notez au passage que le budget du FASILD sur l'exercice 2005 est en hausse de 13 %, alors qu'il n'a malheureusement pas été entièrement consommé en 2003.

Comme l'a souligné Mme Imbert, qui a rappelé qu'elle avait été personnellement confrontée à un problème de discrimination, il est indispensable que la Haute autorité soit représentée au plus vite sur l'ensemble du territoire, et notamment dans les DOM.

Le Gouvernement, qui doit prendre du recul dans les relations qu'il entretient avec une autorité indépendante, insistera pour qu'elle soit représentée, dès le second semestre 2005, dans au moins trois ou quatre départements métropolitains et un DOM.

M. Patrick Bloche. Pourquoi ne pas le prévoir tout de suite ?

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Il est important que cette implantation puisse continuer au cours des exercices suivants.

Autre point important, la Haute autorité poursuivra deux missions : le soutien aux victimes des discriminations et la promotion de l'égalité.

Lors des auditions qu'il a menées, Bernard Stasi a rencontré plus de 140 associations de personnalités qualifiées. J'ai également rencontré des associations : elles ont toutes insisté sur la difficulté pour les victimes d'établir la preuve de la discrimination. Et c'est sur ce point précis qu'il convenait d'avancer en donnant les moyens d'établir ces preuves.

On a beaucoup parlé du numéro téléphonique national, le 114, qui a permis d'identifier des besoins : sur 85 000 appels, la majeure partie est liée à l'emploi et au logement.

Mais il est difficile, à partir d'un simple appel téléphonique, d'instruire un dossier. L'important reste la capacité d'accompagnement.

Ne nous méprenons pas, la saisine par lettre simple, dans un souci d'accessibilité, est une bonne solution, mais le maintien d'un accueil téléphonique,...

M. Patrick Bloche. Gratuit !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. ...dont les modalités pratiques devront être mises place par la Haute autorité, est absolument indispensable.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Par ailleurs, en plein accord avec le ministère de la justice, nous avons élaboré un dispositif d'enquête qui se veut contraignant tant pour les personnes publiques que pour les personnes privées. Ce dispositif est articulé avec le contentieux, en particulier pénal. Alors que la Haute autorité peut être entendue à la demande d'une juridiction ou des parties, c'est elle qui, en matière pénale, demande à présenter ses observations.

Le recours à la médiation n'en reste pas moins possible, la Haute autorité pouvant procéder, ou faire procéder, à une médiation. Il va de soi que, dans ce dernier cas, lorsqu'il s'agira d'un différend entre l'administration et un administré, le recours au médiateur de la République pourra être envisagé. Une convention devra être passée à cette fin entre la Haute autorité et le Médiateur.

M. Philippe Vuilque. C'est compliqué !

M. Patrick Bloche. C'est une usine à gaz !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Le Gouvernement a tenu à faire figurer parmi les missions de la Haute autorité la promotion de l'égalité des chances. Cette mission doit permettre à notre société de continuer à évoluer. Comme le rappelait Jean-Louis Borloo, de nouvelles pratiques sont nécessaires. Récemment encore, j'accompagnais le Premier ministre, à sa demande, dans une grande école, pour voir comment donner à des jeunes des quartiers un accès aux grandes écoles. Il faut, là aussi, montrer qu'il est possible d'avancer.

L'idée de diversité ne s'applique pas qu'à l'entreprise ou au secteur privé. Tel est, d'ailleurs, le sens de la mission qui a été confiée à Dominique Versini sur la diversité dans la fonction publique.

La Haute autorité aura, très concrètement, à identifier et à reconnaître ces bonnes pratiques. Elle est, je le répète, un outil et pourra, par ses recommandations, faire évoluer notre droit positif. Notre débat a pour objet de permettre son installation et son fonctionnement, et de définir ses missions.

Toutes vos interventions, mesdames et messieurs les députés, démontrent à quel point cette autorité permettra de rendre effectif notre droit. Ses recommandations contribueront à faire évoluer nos textes. C'est notamment, madame Billard, le cas de celui relatif à l'homophobie que vous venez d'évoquer, et que le Gouvernement s'est engagé à proposer à votre assemblée dans les prochaines semaines.

M. Philippe Vuilque. Il y a des mois que vous le dites !

Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Il nous faudra revenir, madame Martinez, sur les discriminations qui peuvent s'exercer à l'égard des enfants. Nous ne devons pas oublier que nous avons en France une Défenseure des enfants, avec qui des conventions devront sans doute être passées.

En conclusion, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je rappellerai que le texte qui vous est soumis est le premier élément législatif du plan de cohésion sociale.

Comme l'a dit très justement Mme Taubira, il y a encore dans les quartiers des choses à changer. C'est là tout le sens du projet de loi sur la rénovation urbaine adopté l'année dernière par votre assemblée, et de la mission de l'ANRU. C'est aussi le sens de notre travail pour mettre en place ce plan de cohésion sociale, dans lequel nous avons voulu un accompagnement humain.

Jean-Louis Borloo a souhaité une approche globale, intégrant l'emploi et le logement, qui sont les deux éléments qui portent la vie de nos concitoyens. Cette approche intègre également les tout-petits, avec les espaces de réussite éducative - car, pour permettre la réussite de ces enfants, c'est dès l'enfance que l'on doit parler d'égalité des chances et d'accueil.

Ce texte, qui touche symboliquement et très concrètement la vie quotidienne des Français et des étrangers résidant dans notre pays, est la pierre angulaire de notre plan. Le Gouvernement souhaite, après la loi sur la laïcité à l'école publique, faire partager par tous cet autre principe de notre République qu'est l'égalité de chances et de traitement. Notre pays s'en donne aujourd'hui les outils, et je suis convaincue, à cet égard, que notre débat nous permettra de parfaire ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SEANCES

Mme la présidente. Mercredi 6 octobre 2004, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement1

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1732, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité :

Rapport, n° 1827, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Éventuellement, suite de l'ordre du jour de la première séance.

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1614, relatif au développement des territoires ruraux.

Rapport, n° 1828, de MM. Yves Coussain, Jean-Claude Lemoine et Francis Saint-Léger au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot

1 Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.