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Première séance du mardi 12 octobre 2004

10e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

DEMANDE DE CONSTITUTION
D'UNE COMMISSION SPÉCIALE

M. le président. M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan a demandé la constitution d'une commission spéciale pour l'examen du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, distribué le 8 octobre 2004 sous le n° 1833.

Cette demande a été affichée le 8 octobre 2004, à douze heures, et notifiée. Elle sera considérée comme adoptée en vertu de l'article 31, alinéa 3, du règlement, si la présidence n'a été saisie d'aucune opposition avant la prochaine séance que tiendra l'Assemblée.

2

OPPOSITION À UNE DEMANDE DE DISCUSSION SELON LA PROCÉDURE D'EXAMEN SIMPLIFIÉE

M. le président. J'informe l'Assemblée que M. le président du groupe UMP a fait opposition à la discussion selon la procédure d'examen simplifiée du projet de loi autorisant l'approbation des protocoles d'application de la convention alpine du 7 novembre 1991 dans le domaine de la protection de la nature et de l'entretien des paysages, de l'aménagement du territoire et du développement durable, des forêts de montagne, de l'énergie, du tourisme, de la protection des sols et des transports (n° 813).

En conséquence, l'examen de ce projet de loi, inscrit à l'ordre du jour de cet après-midi, ne donnera pas lieu à l'application de cette procédure.

Le Gouvernement m'a fait savoir que ce texte est retiré de l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale.

3

DÉBAT SUR LES DÉLOCALISATIONS
ET L'ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE

M. le président. L'ordre du jour appelle un débat sur les délocalisations et l'attractivité de la France.

L'organisation de ce débat ayant été demandée par le groupe UMP, la parole est au premier orateur de ce groupe, M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, mes chers collègues, le groupe UMP, au nom duquel j'ouvre ce débat consacré aux délocalisations et à l'attractivité de la France, n'a pas choisi la facilité, et c'est tout à son honneur, en proposant d'aborder dans l'hémicycle ce sujet situé au cœur de l'actualité sociale et économique. Il est à la fois complexe, tant il recouvre de notions différentes, et anxiogène, tant les discussions des experts, les interrogations et prises de position diverses des entreprises et des syndicats perturbent nos concitoyens, qu'ils soient ou non concernés dans leur bassin de vie. Une dimension psychologique, fantasmatique même, vient ainsi se mêler à la réalité de la mondialisation de l'économie.

La mondialisation n'est certainement pas sans risque, mais elle ne présente pourtant pas que des inconvénients. Il convient donc d'analyser, de décortiquer le phénomène avec modestie et lucidité, et d'essayer d'y répondre sans faussement rassurer, sans démagogie alarmiste, sans stigmatiser qui que ce soit, mais sans complaisance.

La volonté du groupe UMP est de débattre, d'expliquer, de mettre en perspective nos atouts et nos faiblesses, et ainsi d'accompagner l'ensemble des mesures gouvernementales destinées à renforcer l'attractivité de la France et à donner des armes à nos entreprises pour conquérir à l'extérieur de nouveaux marchés, comme l'a suggéré le Président Chirac à l'occasion de son voyage en Chine.

Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'être exhaustif : les multiples rapports, études, articles, débats déjà publiés et notamment les excellents rapports parlementaires de nos collègues Roustan, Blanc et Grignon, auxquels je vous renvoie, présentent de façon intéressante les éléments de la problématique et esquissent des réponses reprises très largement dans la politique gouvernementale qui se met en place avec détermination derrière le ministre d'État et que nous serons probablement amenés à amplifier.

II faut consacrer quelques instants à l'analyse, car le dossier est sensible psychologiquement et donc politiquement.

Le changement est consubstantiel au progrès et constitue le gage de sa pérennité. Souvenons-nous des débats, au xixe siècle, sur la machine à vapeur ou le métier à tisser. Mutatis mutandis, dans un monde ouvert, la problématique des délocalisations est du même ordre.

Notre collègue Max Roustan regrette dans son rapport que la confusion terminologique amène à mêler indifféremment les notions de désindustrialisation, de délocalisation, de non-localisation, de mutation d'attractivité, termes qui recouvrent des réalités très différentes. La confusion engendre la peur. Qu'en est-il exactement ?

Tout d'abord, contrairement à ce que pourrait laisser penser le débat actuel, les délocalisations sont un phénomène ancien, qui fut même massif mais concentré dans certaines branches industrielles. Il est plus diffus et généralisé de nos jours.

Même si les instruments de mesure sont parfois contradictoires, il apparaît que ce phénomène a un impact modéré sur la part de l'industrie en volume dans le PIB français : 20,1 % en 1978 ; 19,5 % en 2002.

Notre tissu industriel reste dense, mais souffre de la concurrence nouvelle d'un petit groupe de pays émergents au puissant pouvoir attractif : PECO, pays méditerranéens, Inde et Chine. Ces pays disposent d'une main-d'œuvre abondante et de bonnes, voire de très bonnes capacités technologiques.

Nos régions sont diversement concernées suivant leur taux d'industrialisation. En outre, un nouvel aspect de la délocalisation, concernant les services via Internet et dont il faudra suivre l'évolution avec attention, est en train d'émerger.

La recherche de coûts réduits de production constitue la plupart du temps la motivation essentielle d'une délocalisation, spécialement pour les produits à faible valeur ajoutée. S'y ajoutent des critères financiers.

Les délocalisations ont avant tout, on le voit, un objet défensif : la nécessité de répondre à la pression sur les prix exercée par le donneur d'ordre, mais elles peuvent également correspondre à une politique offensive. S'ouvrir à de nouveaux marchés correspond en effet à une autre forme du phénomène. Cette politique ne s'accompagne pas de la fermeture des sites historiques de production, mais elle vise à écarter les droits de douane ou à apporter de la proximité à la relation commerciale.

Comme le souligne le sénateur Grignon, la délocalisation, qui se traduit par la disparition immédiate de certains emplois, apparaît souvent comme le bon moyen d'éviter de supprimer à terme l'ensemble des emplois, voire d'en créer ultérieurement de nouveaux. Nous sommes nombreux dans nos circonscriptions à avoir en tête des exemples d'entreprises qui se sont développées après avoir délocalisé et parce qu'elles avaient délocalisé.

Pour terminer cette analyse, il apparaît donc qu'au-delà des phénomènes locaux, à la réalité toujours douloureuse, il n'existerait pas de mouvement massif de délocalisation, contrairement aux affirmations alarmistes. Le phénomène est ancien et la tendance récente avive probablement sa perception.

Par ailleurs, la délocalisation n'est pas nécessairement une calamité économique. Elle correspond le plus souvent à une forme de dynamisme, à une recherche de produits, de marchés ou de productivité que, paradoxalement, il faut encourager.

Je ne voudrais pas, tant le sujet est sérieux, céder à la naïveté ou à l'angélisme, ni flatter nos peurs par démagogie. Nous ne fermerons pas nos frontières. Et je stigmatise tous les mauvais tribuns qui laissent croire à grands coups de menton que nous pourrions continuer de vendre nos Airbus et nos TGV ou nos produits agroalimentaires tout en empêchant les produits des pays émergents d'entrer chez nous. Le volontarisme d'une politique économique sociale, fiscale, environnementale reposant sur un aménagement du territoire équilibré constitue, sur le plan de la méthode : la volonté appliquée à la mise en œuvre d'une politique, et sur le fond : la réduction du coût du travail et du poids de la fiscalité, la réponse que les députés UMP veulent donner aux attentes de nos concitoyens.

Pas plus que nous ne fermerons nos frontières, nous ne parviendrons à rivaliser avec les pays émergents en matière de coût du travail. Ne nous berçons pas d'illusions. Il y a d'autres réponses mais elles sont multiples.

Contre les délocalisations sauvages, notre groupe attend la réponse de l'État de droit, sans faiblesse ni complaisance. On ne joue pas avec les salariés et leur outil de travail. La justice doit passer et nous savons votre détermination, monsieur le ministre d'État.

Aux délocalisations défensives ou offensives, il faut opposer une amélioration de l'attractivité de la France, avec, en toile de fond, une ambitieuse politique d'aménagement du territoire afin qu'aucun de nos concitoyens ne se sente isolé, oublié, laissé de côté. Haut débit, desserte ferroviaire, services publics, égalité des soins, accès aux savoirs : tous ces éléments sont fondamentaux pour attirer sur notre territoire des entreprises étrangères venues conquérir nos marchés mais aussi s'assurer des atouts forts de notre pays. Je veux parler, entre autres, de sa position géographique, de la productivité de ses employés, de notre qualité de vie et de nos infrastructures de communication.

En 2004, la France occupe en Europe le troisième rang en termes d'attractivité perçue et le deuxième pour le nombre des implantations étrangères : 253 en 2002, 313 en 2003, soit une augmentation de 24 %, loin devant la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. S'agissant des implantations de sites de production et de centres logistiques, la France se place en première position.

Il faut naturellement poursuivre dans cette voie et conquérir de nouvelles positions stratégiques dans les secteurs d'avenir : bio- et nano-technologies, santé, optique de précision, transports du futur.

Il serait paradoxal que cette terre d'accueil pour les investissements industriels que constitue notre territoire - 47 milliards d'euros pour 2003 contre 2,7 milliards d'euros en République tchèque - ne soit pas en mesure de conserver sur son sol ses propres entrepreneurs en raison même de son attractivité.

Monsieur le ministre d'État, nous attendons avec impatience vos propositions. Certaines d'entre elles - déjà nombreuses - nous sont connues depuis le CIADT du 14 septembre et la présentation du projet de loi de finances pour 2005. Nous attendons aussi, au-delà de ces mesures, une cohérence, une volonté dans l'action du Gouvernement, et nous savons quelle est la vôtre.

La mise en place des pôles de compétitivité constitue une réponse forte, qui n'est cependant pas une panacée. Il y en aura vingt ou trente, mais ils ne couvriront pas l'ensemble du territoire. Cette politique pourra-t-elle être complétée sur des bassins plus réduits mais néanmoins de grand intérêt ?

La durée du travail, la fiscalité directe et indirecte, une certaine rigidité du droit du travail sont autant d'arguments souvent mis en avant pour justifier ou expliquer certaines délocalisations. Le Gouvernement a-t-il des réponses à ce sujet ?

L'élargissement européen, vécu par certains comme un atout, par d'autres comme un affaiblissement, sera-t-il de nature à aider nos entreprises à être compétitives et dynamiques sur les marchés extérieurs ?

Enfin, quels moyens le Gouvernement entend-il consacrer à la recherche et au développement ? Plus de matière grise, plus de valeur ajoutée, plus d'immatériel dans nos produits : voilà les gages du maintien d'une forme nouvelle de production industrielle.

Adolescent, j'ai vécu dans ma famille les premières délocalisations du textile picard ; adulte, j'ai le souvenir, dès les années 70, de combats politiques menés avec mon père, puis seul, dans une région profondément industrialisée, confrontée elle aussi aux premières délocalisations : dans le Vimeu, que je représente ici, plus de 50 % de la population active travaille à l'usine.

Si les craintes souvent exprimées sur ces sujets étaient fondées, il n'y aurait plus du tout de textile en France et le Vimeu industriel aurait été rayé de la carte depuis longtemps.

L'économie obéit à des règles complexes : la volonté des hommes, leur capacité d'adaptation, leur inventivité doivent nous donner l'espoir et guider nos pas. Il n'y a pas de fatalité des délocalisations, il y a des politiques et des moyens à mettre en œuvre. Le groupe UMP et notre assemblée attendent, monsieur le ministre d'État, que vous nous les exposiez. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous avez pris l'initiative de ce débat sur les délocalisations, et vous avez eu raison. Il s'agit en effet d'un sujet cardinal qui interpelle notre société et donc ses représentants.

C'est aujourd'hui devenu l'une des premières préoccupations des Français. Vous les côtoyez chaque semaine dans vos circonscriptions respectives et je vais moi aussi à leur rencontre. Nous savons bien que les délocalisations et l'angoisse qu'elles suscitent, ce n'est pas une vue de l'esprit ou un épiphénomène.

J'observe d'ailleurs qu'elles ne sont pas une spécificité nationale. C'est aussi un sujet majeur qui occupe le devant du débat politique dans d'autres pays d'Europe et aux États-Unis. Nous ne devons pas complexer les Français parce qu'ils sont angoissés devant cette question.

Je reviens des États-Unis où je me suis rendu à la réunion du G7 et à l'assemblée générale du FMI. Quand j'ai dîné avec le maire de New York, sa première question a été de me demander si je pouvais faire quelque chose, car Sanofi-Aventis envisageait de délocaliser 800 emplois hors de sa ville. Cela signifie que lorsqu'un député ou un sénateur veut se battre contre les délocalisations dans son département, ce n'est pas à une spécificité de notre pays qu'il est confronté, mais à une réalité partagée partout dans le monde. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Certains membres d'une prétendue élite qui sait tout devraient accepter ce débat sur les délocalisations plutôt que de vouloir le fermer avant même que nous ayons pu réfléchir aux conditions de son déroulement.

Les délocalisations, je veux le dire parce que je le pense, ne sont pas l'avatar d'une névrose franco-française, comme certains aimeraient le faire croire. Elles représentent indéniablement une source croissante d'interrogations pour tous les pays développés.

L'inquiétude diffuse qui se fait jour est aussi le signe d'une double interrogation plus fondamentale : interrogation sur les transformations profondes de l'économie mondiale - ce qu'on appelle la mondialisation - ; interrogation sur la capacité de notre pays à en tirer tous les dividendes escomptés.

Ce questionnement rejoint les craintes régulièrement exprimées d'une désindustrialisation massive, d'une compétitivité déclinante et d'une attractivité défaillante de notre territoire. C'est la manifestation d'une société qui doute d'elle-même, qui se demande si demain, face aux changements considérables, sans précédent, qui sont en train de bouleverser le monde, elle pourra conserver son rang et son niveau de civilisation.

Mesdames et messieurs les députés, derrière la peur des délocalisations pointe finalement la question de la maîtrise de notre destin et de l'avenir que nous serons en mesure de préparer pour nos enfants. Sera-t-il subi ou sera-t-il choisi ? Sera-t-il meilleur ou sera-t-il moins enviable ? Avons-nous encore les ressources et la volonté de peser sur lui ?

Ce sont là des interrogations essentielles, capitales. C'est pourquoi je me réjouis qu'à la suite des travaux des députés Roustan et Blanc, d'une part, des sénateurs Arthuis et Grignon, d'autre part, l'Assemblée nationale se saisisse de ce sujet.

Je vais vous parler franchement en essayant de vous exposer ce qui me semble être la bonne façon d'aborder ce débat, sans être certain de posséder la vérité, bien sûr, mais sans omettre aucune des questions. Je dirai ensuite quelle est ma vision de l'action qui doit être la nôtre.

Que pouvons-nous dire aujourd'hui des délocalisations et de leur impact ?

Au sens strict, les délocalisations constituent des transferts purs et simples d'activités à l'étranger, en substitution d'une production nationale de biens ou de services. On change de lieu de production sans changer de clients. De ce point de vue, les délocalisations ne peuvent être confondues ni avec les restructurations industrielles, ni avec les investissements directs internationaux, ni avec ce qu'on appelle la désindustrialisation.

M. Jean-Paul Charié. Très juste !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Toutes les fermetures de sites, de même que tous les investissements de nos entreprises à l'étranger, ne sont pas des délocalisations.

Quant à la baisse relative de l'emploi industriel, c'est aussi la résultante de l'amélioration de la productivité et de la tertiarisation d'activités directement liées à l'industrie.

Pourquoi une entreprise décide-t-elle de délocaliser ?

La première explication est bien sûr la recherche de coûts de production moins élevés que dans le pays d'origine. Ces coûts de production n'intègrent pas que les coûts salariaux, salaires et charges sociales. Beaucoup d'autres facteurs entrent en ligne de compte : la qualité de la main d'œuvre, l'accès aux financements, le poids de la fiscalité générale et des contraintes réglementaires. Une autre explication importante réside dans le rapprochement avec le lieu de consommation finale des biens ou des services produits. Ces deux explications peuvent bien sûr se combiner.

Parce que cela me semble être un facteur préoccupant d'aggravation des délocalisations, je mentionnerai encore les politiques d'achats et de réorganisation de la production pratiquées par les grands donneurs d'ordre. Elles imposent de plus en plus souvent aux sous-traitants de se projeter dans les pays émergents. C'est un phénomène nouveau, massif et particulièrement inquiétant.

Les délocalisations sont un phénomène d'autant moins simple que leur impact précis n'est pas aisé à mesurer, comme l'a souligné Jérôme Bignon. Les indicateurs usuels n'en rendent que très imparfaitement compte. On utilise toujours les mêmes pour conclure d'ailleurs qu'ils sont à côté du sujet : les investissements directs à l'étranger, la balance commerciale, l'évolution de la production et de l'emploi industriels. Pour quantifier le phénomène, nous n'avons en fait que très peu d'éléments. Une étude de la DREE, régulièrement invoquée, conclut que les délocalisations ne représenteraient pas plus de 4 % des flux d'investissements directs sur la période 1997-2001. Les missions économiques en Europe centrale et orientale recensaient par ailleurs, en 2002, environ 400 opérations assimilables à des délocalisations, soit 10 % des investissements directs vers les pays de la zone. Ce n'est pas massif, mais ce n'est pas négligeable.

Selon certains experts, on surestime le phénomène. Pour d'autres, on le sous-estime. Selon certaines études, nous serions moins touchés que d'autres pays développés comme les États-Unis, l'Allemagne ou le Japon, cependant que d'autres nous jugent plus vulnérables.

Finalement, on n'est sûr de rien s'agissant de l'acuité exacte du phénomène. J'observe cependant, et je ne suis pas le seul visiblement, un décalage croissant entre la mesure qui peut être faite des délocalisations et leurs conséquences dévastatrices au niveau territorial.

Car ce qui est, hélas, bien certain, ce sont les ravages des délocalisations dans nos bassins d'emploi. Pour les territoires qui en sont victimes, pour les salariés et leurs familles qui en souffrent, c'est à chaque fois une terrible épreuve. Pour eux, les délocalisations, ce n'est pas un fantasme. C'est tout simplement le bouleversement de leur existence. Les salariés de Facom dans le Val-de-Marne ou de Fralsen à Besançon seraient mieux placés que moi pour vous parler du démantèlement de leur usine, pour vous dire les drames personnels et familiaux que représentent les délocalisations et leurs conséquences. Et je n'oublie pas ceux qui doivent vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête parce que des projets existent concernant leur entreprise ou leur ville. Ou pire, parce qu'ils sont soumis à un chantage inadmissible au salaire ou aux conditions de travail.

Je veux le dire avec force : aujourd'hui, en 2004, on ne peut pas demander aux gens de travailler plus en gagnant moins ! Ce n'est pas la politique économique et sociale du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Si nous acceptions une telle pente, un jour on nous demanderait de travailler le samedi et le dimanche, et sans doute faudrait-il penser à faire venir le restant de la famille en cas de besoin ! Telle n'est pas notre vision des choses.

Il m'apparaît certain également qu'il y a des salariés, des secteurs et des territoires beaucoup plus vulnérables que d'autres. Lorsque vous êtes un employé peu qualifié d'une PMI sous-traitante dans un bassin industriel vieillissant, vous êtes plus exposé qu'un cadre supérieur d'une grande compagnie d'assurance ou qu'un ingénieur participant à un programme de recherche industrielle dans les nanotechnologies. J'observe que vous êtes aussi plus menacé qu'un agent de l'administration. Ce sont donc en premier lieu les populations et les territoires les plus fragiles qui pâtissent le plus des délocalisations.

Surtout, et je souhaiterais qu'il y ait un consensus à ce sujet, il est certain que les délocalisations procèdent d'une tendance lourde qui ira en s'amplifiant dans les années à venir. Il faut donc agir avant qu'il ne soit trop tard.

Les mutations accélérées qui sont en train de transformer en profondeur l'économie mondiale constituent de véritables ruptures historiques.

Première rupture sans précédent : des pans entiers de l'humanité, jusque-là exclus du développement économique et du progrès technologique, sont en voie - et c'est une bonne chose - de réussir leur insertion dans l'échange international. Le développement de l'Inde, de la Chine, du Brésil est proprement stupéfiant, mais voilà de nouveaux concurrents. Plus près de nous, l'élargissement de l'Union européenne permet à plusieurs dizaines de millions de personnes de rejoindre le grand marché unifié par la construction européenne. Ces économies représentent autant d'espaces de consommation aux perspectives prometteuses, autant de sites attractifs pour les investisseurs, mais c'est une rupture.

Deuxième rupture : les innovations technologiques ont modifié radicalement le rapport à l'espace et au temps, révolutionnant les modes d'organisation de la production. Aujourd'hui, dans certains métiers, des travailleurs dont les coûts salariaux varient de un à quarante sont mis en compétition en temps réel d'un bout à l'autre de la planète. Cette variation de un à quarante a toujours existé, mais l'espace-temps était là pour protéger d'un côté, préserver de l'autre.

M. Marc Le Fur. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cet espace-temps n'existe plus.

Troisième rupture, qui est la combinaison des deux précédentes : l'éventail des secteurs et des gammes d'activité concernés par les délocalisations s'élargit sans cesse. Si l'industrie a longtemps été en première ligne, les services ne sont plus à l'abri, comme en témoignent les exemples de délocalisation dans les services financiers, la comptabilité ou l'informatique. Les grands pays émergents eux-mêmes montent en gamme. Désormais, ils nous concurrencent aussi dans les secteurs de pointe et les activités de recherche-développement.

En résumé, nous sommes face à un formidable défi pour la capacité d'adaptation de notre économie, d'autant que la vitesse avec laquelle ces évolutions s'opèrent s'accélère de façon exponentielle. Sans cesse il nous faut changer de braquet pour préparer notre pays à relever ce défi.

Depuis le début des années 80, voici le premier problème de l'économie française : nous avons un point de croissance en moins chaque année par rapport à la croissance mondiale, notamment américaine. C'est ce point de croissance en moins depuis vingt-cinq ans qui explique nos déficits et notre chômage.

M. Éric Besson. C'est faux pour la période 1997-2002 !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne m'attarderai pas sur les implications de ce constat, non plus que sur nos performances dans la lutte contre le chômage. Mais ce que je vois, monsieur Besson, et vous allez être servi, c'est que moins on travaille, plus il y a de chômeurs et moins on crée de richesses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette évidence économique qu'il convient de rappeler n'a malheureusement pas été perçue par tout le monde.

Est-il également encore besoin d'évoquer le poids et la rigidité des dépenses publiques, avec leur corollaire le poids et la rigidité des prélèvements obligatoires ? Est-il nécessaire de revenir sur l'excès d'administration, sur l'inflation des normes et leur instabilité ? Est-il indispensable de s'appesantir sur l'insuffisance des moyens consacrés depuis des années à l'enseignement supérieur et à la recherche, en particulier à la recherche industrielle ? Est-il besoin enfin de souligner le manque total de visibilité internationale de nos universités et de nos grandes écoles ? Est-il besoin de dire que, s'agissant de l'éducation, nous avons fait du quantitatif ? Peut-être le temps est-il venu de faire du qualitatif (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et de se demander à quoi sont utilisés tous ces moyens et quelle évaluation nous sommes prêts à engager.

Je suis convaincu que le problème des délocalisations et la solution aux délocalisations se trouvent d'abord chez nous, pas chez les autres.

M. Hervé Novelli. Absolument !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si nous en avons vraiment la volonté, l'ambition et le courage, nous pouvons tirer le plus grand parti de cette mondialisation dont nous bénéficions largement. Nos atouts sont nombreux : le potentiel de recherche de notre pays, la qualité de nos infrastructures et de nos services publics, le niveau général élevé d'éducation de la population, l'existence d'une base industrielle substantielle.

M. Jérôme Bignon. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà pourquoi je me suis battu pour sauver Alstom, car on ne lutte pas contre les délocalisations et on ne fait pas sa place dans la mondialisation sur un désert industriel. Le potentiel industriel historique français - Alstom n'étant qu'un exemple parmi bien d'autres - est un atout, non un handicap. Quand l'industrie a disparu, on a le plus grand mal à la faire renaître.

Oui, il nous faut réagir sans tarder et accepter la chose la plus difficile qui soit en France : nous remettre en question. Pour conduire les réformes dont notre pays a besoin, il y a trois visions que, pour ma part, je récuse car elles sont aussi irresponsables qu'inopérantes.

La première option, dont le rejet s'impose de lui-même, est l'alignement par le bas de nos conditions salariales et sociales sur celles des pays émergents. Les Français ne sont pas prêts à brader leurs acquis sociaux parce que d'autres, à l'autre bout du monde, sont moins protégés socialement et économiquement. La voie de l'alignement par le bas serait une impasse car on trouvera toujours dans le monde des gens qui payeront moins, qui feront travailler les enfants, les prisonniers, et qui expliqueront qu'il faut renier des acquis sociaux. Les acquis sociaux, c'est le produit d'une justice qui a permis de partager le progrès économique dans notre pays.

La deuxième option que je réfute est celle, dangereuse, du « syndrome de la ligne Maginot ». Le protectionnisme n'a jamais résolu les problèmes.

M. Pierre Lellouche. C'est vrai !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ajoute que c'est naturellement une bonne nouvelle pour la paix que des pays qui n'avaient rien commencent à avoir des emplois, du progrès économique et du pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il n'y a aucune raison que nous ne nous réjouissions pas de cet état de fait.

La troisième option que je me fais un plaisir de récuser - parce que ça commence à bien faire ! - est celle du laisser-faire et de l'immobilisme. Fondée sur une vision exclusivement théorique de la mondialisation, elle oublie les souffrances causées à ceux qui ne sont pas suffisamment armés pour être immédiatement du côté des gagnants. Cette théorie - j'allais dire cette idéologie - vous démontre qu'on se moque des emplois détruits puisqu'ils seront remplacés par d'autres. Sans doute. Mais lesquels, où et quand ? Les emplois détruits ne sont pas identiques aux emplois créés. On ne devient pas d'un jour à l'autre ingénieur à Grenoble quand on est ouvrier à Belfort.

M. Christian Vanneste. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette vision désincarnée néglige totalement l'aspect humain. Elle sous-estime le coût économique, social et politique qui fragilise la cohésion de notre société et met en cause le financement même de notre protection sociale. Le seul mérite de cette option ultralibérale qui est un véritable déni de réalité, c'est qu'elle est reposante pour les responsables politiques car elle leur impose l'inaction. Circulez, il n'y a rien à voir !

M. Éric Besson. Ce n'est pas gentil pour M. Novelli !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quand on travaille sur la chaîne du TGV ou du Thalys d'Alstom, qu'on a cinquante-deux ans, qu'on est dans l'entreprise depuis trente ans et qu'on vous dit : « On ferme la boîte, mais t'en fais pas, il y a une place du côté des nanotechnologies en salle blanche dans l'Isère », on sait bien qu'elle est pour les autres, pas pour vous.

Et quelle est la différence entre un homme politique et un chef d'entreprise ? Le chef d'entreprise s'occupe de ses collaborateurs et de ses consommateurs, tandis que l'homme politique ne peut laisser personne sur le bord de la route. Voilà pourquoi aucune de ces trois solutions n'est pertinente. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Après avoir dit le plus facile - ce qu'il ne faut pas faire -, essayons d'examiner ce qu'il convient de faire.

D'abord, il ne faut pas céder au fatalisme. Il y a trop longtemps qu'on explique à nos compatriotes qu'il n'y a rien à faire sur rien : sur l'insécurité, la mondialisation, l'immigration, le chômage, les délocalisations... À force, ils ont compris le message : puisqu'il n'y a rien à faire, ils ne vont pas voter. Puisque les responsables politiques disent qu'ils n'y peuvent rien, on ne change pas.

M. Éric Besson. C'est de la démagogie pure !

M. Jean-Yves Chamard. C'est pourtant la réalité !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Besson, n'abaissez pas le débat !

M. Éric Besson. C'est vous qui l'abaissez ! Cette façon de présenter les choses est démagogique !

M. Pierre Lellouche. Regardez la réalité !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le sujet est trop sérieux pour être traité par le mépris à l'endroit de nos compatriotes qui souffrent et qui ont peur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Besson. Quel scandale de mélanger mondialisation et abstentionnisme !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis navré de vous dire qu'il y a un lien effectif entre la perception des délocalisations, la non-participation aux élections et la montée des extrêmes.

M. Pierre Lellouche. C'est évident !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris à la politique et au rôle d'un homme politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Fort heureusement, y compris au parti socialiste, des voix se sont élevées pour dire que tout cela n'est pas un fantasme intellectuel ! Monsieur Besson, puisque vous me cherchez, vous allez me trouver : on peut tenir un discours qui sort de la pensée unique sans être un populiste, un démagogue ou un intellectuel sous-évalué ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On peut s'exprimer différemment dans la démocratie française sans être immédiatement accusé d'abaisser le débat ! Si être populiste c'est être populaire, eh bien on peut s'y faire ! Si dire la vérité c'est être démagogique, soyons un peu plus nombreux ! La vérité, c'est que la gauche et la droite ont échoué ces dernières années dans ce domaine. Le temps est venu d'aller au fond des choses et de ne plus s'en tenir à des discours mondains dans un club intellectuel formé par une élite de plus en plus coupée du peuple ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà la réalité ! Je le dis d'autant plus volontiers que ce débat n'intéresse pas que la droite ou le centre. J'ai vu à gauche, dans toutes les formations politiques, des gens qui ont, me semble-t-il, la lucidité de se poser la question suivante : et si c'est nous qui avions tort par rapport à un monde qui avance plus vite que nous ? Poser cette question, c'est tout de même notre travail.

Que peut-on faire ? Il faut poser les bases d'une politique plus combative. C'est le cœur du sujet. Mesdames et messieurs les députés, si, depuis des années, nous ne faisons que subir, c'est d'abord parce que nous n'avons pas de marge de manœuvre, quelle que soit la majorité, et ce n'est pas le moindre des problèmes. Quelle peut être la marge de manœuvre budgétaire d'un pays qui a 1 000 milliards d'euros de dettes, qui paie chaque année 40 milliards d'euros d'intérêts de la dette et qui consacre 80 % des recettes annuelles de l'impôt sur le revenu à rembourser non le capital mais les intérêts ? Au lieu d'investir dans la recherche et l'innovation, on paie nos dettes. À l'arrivée, on a moins d'investissements et on est moins compétitif. Il faut donc réduire nos déficits et rembourser notre dette pour retrouver des marges de manœuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Gérard Bapt. Cela fait trois ans que M. Méhaignerie vous le dit !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président de la commission des finances, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. La question de l'Europe et de son gouvernement économique est cardinale. Je respecte beaucoup la BCE et son gouverneur, mais il n'est pas en charge du gouvernement économique de l'Europe, il l'est de la politique monétaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je respecte beaucoup la Commission et je ne suis pas de ceux, vous le savez, qui ont cédé à la facilité de la critiquer, mais le commissaire à la concurrence n'est pas en charge de la définition d'une politique économique européenne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà pourquoi je me suis battu pour que le président de l'Eurogroupe soit désormais élu pour deux ans. Il me semble, en effet, que ce sont les ministres des finances de l'Eurogroupe qui sont en charge du gouvernement économique de l'Europe.

Pouvait-on accepter, avec un gouverneur élu pour huit ans, un commissaire nommé pour cinq ans, que la présidence de l'Eurogroupe tourne tous les six mois ? Comment, dans de telles conditions, construire une politique économique et industrielle ? La politique industrielle de l'Europe, ce n'est pas un droit, c'est un devoir !

Nous avons pris des mesures sur lesquelles je n'insiste pas, car nous en débattrons dans le cadre du budget. Je dirai juste un mot des pôles de compétitivité, qui constituent pour moi le cœur de notre nouvelle politique.

Du début des années 60 au début des années 70, l'État était porteur de grands projets : le nucléaire, Airbus, Ariane, le TGV... et on pourrait en citer tant d'autres. L'État qui, aujourd'hui, a moins de pouvoir en matière économique, définissait les axes de recherche - certains diront à juste titre qu'il n'est pas le mieux placé pour le faire. En tout état de cause, nous souffrons d'un déficit de projets, que les pôles de compétitivité permettront de rattraper en faisant émerger les initiatives sur le terrain.

Un pôle de compétitivité comprend trois éléments - un pôle industriel, une fac ou des écoles avec des étudiants, et des chercheurs - pour, enfin, réconcilier la recherche fondamentale et la recherche appliquée...

M. Jean-Paul Charié. Eh oui !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...et, surtout, mesdames et messieurs les députés, pour donner à vos régions la chance de se mobiliser autour de projets innovants, au lieu de parler sans arrêt de plans sociaux ou de départs anticipés à la retraite, qui pèsent tant sur le moral dans vos bassins économiques !

Le seul exemple de l'industrie automobile devrait nous inciter à l'optimisme. On nous explique depuis trente ans que l'industrie, c'est fini, que l'industrie de main-d'œuvre, surtout de dimension mondiale, est condamnée. Or nous n'avons pas un groupe automobile en France, mais deux ! Ils créent des emplois à l'étranger et même, en solde net, dans notre pays. Il n'y a donc pas de fatalité !

La question des prélèvements sur les entreprises se pose. La moyenne européenne de l'impôt sur les sociétés est de 28 %, alors que, dans les dix nouveaux États membres, le taux oscille entre 0 % et 20 %. Je n'hésite pas à affirmer qu'il serait choquant que ce dumping fiscal soit organisé et encouragé par l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Bocquet. C'est pourtant ce qui se fait !

M. Gérard Bapt. C'est ce qu'ont décidé Chirac et les chefs d'Etat et de gouvernement !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On ne peut pas, d'un côté, décider de réduire drastiquement les ressources fiscales et, de l'autre, recevoir, dans des proportions très significatives, des financements qui proviennent des contribuables des autres États membres. Je m'exprime à titre personnel mais je me battrai pour cette idée. Je vais profiter de mon prochain déplacement en Hongrie et en Tchéquie pour la faire avancer. En Europe, on ne peut pas se considérer comme assez riche pour réduire ses impôts à zéro, mais suffisamment pauvre pour demander aux autres de combler son déficit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Ce n'est pas de la concurrence, c'est du dumping fiscal et social !

Bien sûr, la solidarité européenne doit jouer ! Avec le nom que je porte et vu le pays d'où je viens, je sais mieux que les autres qu'on a laissé tomber l'Est pendant cinquante ans et qu'il ne faut pas continuer aujourd'hui. Mais c'est un très mauvais service à lui rendre que de le laisser imaginer qu'une politique fiscale agressive consistant à réduire ses impôts à zéro permettra de construire un État moderne. Voilà ce qu'il faut dire à nos nouveaux partenaires de l'Est. Tant mieux s'ils baissent leurs impôts - je ne suis même pas pour l'harmonisation des taux d'imposition en Europe - mais je n'accepte pas qu'ils puissent, dans le même temps, supprimer leurs impôts et combler leur déficit budgétaire au moyen de fonds structurels que nous-mêmes ne pourrons plus utiliser dans celles de nos régions ravagées par le chômage. Nous n'avons pas construit l'Europe pour en faire un espace de dumping fiscal et social ! Oui à la concurrence, à la condition expresse qu'elle soit loyale !

Pas plus tard que la semaine dernière, je parlais avec le ministre des finances slovaque, un homme tout à fait remarquable, qui m'expliquait qu'après avoir fait passer l'impôt sur le bénéfice des sociétés de 20 % à 15 %, il envisageait de descendre à 10 % parce qu'avec la Slovénie à 0 %, il ne pouvait pas tenir. Alors, mesdames et messieurs les députés, pensez-vous que le jour où tous ces Etats seront à 0 %, nous pourrons rester à 33 % ? Et qu'adviendra-t-il à ce moment-là de notre protection sociale, de nos retraites, et des acquis sociaux qu'à juste titre vous défendez ? Poser la question, ce n'est pas être populiste ni démagogue, c'est regarder l'Europe comme un projet politique ! Et ce projet politique ne consiste pas à autoriser certains à faire n'importe quoi et à laisser les autres subir ! Il faut tendre ensemble vers un taux moyen. C'est ce qu'on appelle la concurrence loyale. Et je continuerai à me battre pour cette idée, parce que je la crois juste.

Le jour où nos concitoyens de l'Europe de l'Ouest ne seront plus d'accord pour payer, le jour où l'Europe suscitera tant d'aigreur que les Français opteront pour le « non » à la Constitution,...

M. Gérard Bapt. Vous avez fait son lit !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...nos dix confrères de l'Est s'en trouveront-ils mieux ? Aura-t-on, alors, fait progresser la conception française de l'Europe, cette union autour d'un projet politique commun ? Et que deviendra le progrès social dans ces pays s'ils prennent l'habitude de ne payer aucun impôt ? Comment équilibreront-ils leur budget ? On me répond : « Ne vous inquiétez pas, on l'a déjà fait pour l'Irlande. Ce n'est rien. » Je rappelle que l'Irlande compte 4 millions d'habitants et les dix nouveaux membres 80 millions, sans parler de la Turquie, avec ses 71 millions d'habitants, et qui est quatre fois moins riche que les pays que nous venons d'accepter. Veut-on que l'Europe explose sous la pression de l'opinion publique qui refusera de payer parce qu'elle aura vu ses emplois partir à l'Est - tant mieux pour son développement - et qui se verra interdire les fonds structurels pour des régions où il y a 30 % de chômeurs ? L'idée de l'Europe aura-t-elle progressé ? Aurons-nous amené nos frères européens à adopter le modèle politique qui est le nôtre ? Non ! L'Europe sera au bord du gouffre ! Et ces nouveaux pays, que nous avons bien fait d'accueillir, se tourneront vers nous pour nous demander : « Pourquoi ne pas nous avoir prévenus ? ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Dire cela, ce n'est en rien manquer à la solidarité européenne ; ne pas le dire, c'est manquer en tout à la lucidité qui doit prévaloir en politique.

Notre système fiscal, certes, est loin d'être optimal et l'augmentation des besoins de financement de nos régimes sociaux est une réalité. Pourquoi, en effet, faire simple quand on peut faire compliqué ? Nous aurons ce débat - et je m'adresse, si vous le permettez, au groupe UMP - sur la réduction d'impôt au titre des emplois familiaux. Peu importe le plafond - on peut considérer que 15 000 euros, c'est trop et que 12 000, c'est mieux - mais, de grâce, mesdames et messieurs les députés, même si le Gouvernement est très ouvert, que ceux qui veulent déposer des amendements, en faveur des personnes âgées de plus de soixante-dix ans, ou bien des ménages qui ont un, deux ou trois enfants, ou encore des foyers qui ont un enfant handicapé, soient bien conscients qu'à l'arrivée, plus personne n'y comprendra rien et que la lisibilité de la mesure sera réduite à néant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'enjeu est simple : dans un pays qui compte 3 millions de chômeurs, les familles peuvent-elles créer des emplois ? Ne cédez pas à la pression des uns et des autres qui essaient de vous complexer, pensez non à ceux qui créent l'emploi, mais à ceux qui auront la chance d'avoir un emploi et qui n'en auront pas si nous nous abstenons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et par pitié, je le dis avant même de commencer le débat, ne compliquez pas tout ! Nos compatriotes ne comprennent rien aux mesures fiscales que nous votons parce que nous les encadrons par tant de dispositifs que plus personne ne se souvient de l'intention que nous avions à l'origine !

M. Christian Vanneste. Absolument !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mon objectif est simple : mobiliser toutes les ressources pour créer des emplois dans notre pays ! Point final !

Il en va de même pour la fiscalité sur les transmissions. Je n'ai assorti cette mesure d'aucune indexation de barème parce que, quand on mène une politique, il faut qu'elle soit comprise. Et pour l'être, elle doit être simple. À cet égard, je vous renvoie à une étude récente de la Banque mondiale selon laquelle, et c'est un point très important, la France ne figure pas parmi les vingt premiers pays où il est facile de faire des affaires. Pourtant, il y a parmi eux sept pays européens. Nombreux sont les entrepreneurs de notre pays qui partagent ce jugement et ils ont raison. Il faut réduire le fardeau réglementaire qui pèse sur nos entreprises et, plus largement, sur l'ensemble de nos concitoyens. Il faut instaurer des relations plus simples et plus transparentes avec une administration plus accessible et plus disponible.

Il faut également améliorer l'accès des PME indépendantes et innovantes à la commande publique. Je ne comprends pas pourquoi ce que font les Américains nous serait interdit. Aux États-Unis, une partie de la commande publique est réservée aux PME américaines. L'Amérique n'est-elle pas pour autant un grand pays libéral, favorable au commerce international ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous passons notre temps à nous excuser d'être des libéraux et à prendre des mesures qui ne le sont pas ! Dans le même temps, les États-Unis clament sans arrêt qu'ils sont des libéraux et ne cessent de prendre des mesures qui ne le sont pas ! Ne pourrions-nous pas être plus lucides et moins naïfs ? Ne pourrait-on pas pratiquer la discrimination positive au service de nos entreprises les plus innovantes ?

J'aggrave même mon cas : je ne verrais que des avantages à ce qu'une partie de la commande publique puisse être affectée prioritairement à nos PME innovantes ou à celles établies dans les bassins d'emploi en difficulté. Et si la réglementation européenne s'y oppose, commençons par en discuter : la réglementation européenne n'est que ce que nous acceptons qu'elle soit ! Pourquoi s'interdire de mettre en œuvre des pratiques qui ont fait leurs preuves ailleurs ? On m'objecte que ces dispositions seraient également en contradiction avec les clauses de l'accord sur les marchés publics de l'OMC. Soit ! Mais je constate que les États-Unis ont exigé et obtenu un dispositif dérogatoire.

M. Gérard Bapt. Pour obtenir, il faut exiger !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mesdames et messieurs les députés, je suis tout à fait d'accord pour que nous soyons exemplaires, mais nous ne devons pas être les seuls, surtout au moment où nous ouvrons nos quotas sur le textile à la Chine. Nous sommes en droit de demander la réciprocité totale.

Pour aller plus loin encore, je dirai qu'il ne me semble pas non plus scandaleux que les consommateurs, y compris les collectivités publiques, soient informés en toute transparence de l'origine des biens ou services qu'ils achètent. Qu'y a-t-il de plus choquant pour le consommateur ? Que les centres d'appel annoncent d'où ils opèrent, comme je le souhaite, ou d'obliger des salariés qui s'appellent Mohammed à se présenter sous le nom de Christophe, c'est-à-dire à mentir pour franciser leur nom ! C'est cela qui est scandaleux, et pas l'information du consommateur sur la localisation du centre d'appel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Notre politique économique doit aussi être plus résolument tournée vers la croissance. Il faut remettre les choses à l'endroit : c'est l'activité qui crée les richesses, lesquelles permettent de financer la cohésion sociale. Notre pays n'a pas besoin de plus d'allocations, de plus de subventions, il a besoin de plus de travail, de plus d'emplois, et, osons le mot, de plus de richesses ! Voilà le problème qui doit nous occuper.

Je me suis très largement exprimé sur les 35 heures. C'est à mon sens l'une des plus grandes erreurs économiques...

M. Jean-Paul Charié. Et sociales !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...de ces vingt dernières années. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Les 35 heures auraient pu avoir un sens si tout le monde développé y était arrivé ensemble. Mais construire l'Europe tout en isolant la France avec cette loi rigide, c'était prendre un risque considérable, et nous le payons chaque jour.

Mais ce n'est pas le seul problème. Il y a aussi celui de l'emploi des jeunes et de ce qu'il est convenu d'appeler les seniors. Le taux d'emploi entre seize et vingt-cinq ans est de 24 % dans notre pays, contre, tenez-vous bien, 44 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. De même, le taux d'emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans est de 34 % en France et de 50 % dans les pays de l'OCDE. Comment la France pourrait-elle participer à la mondialisation en travaillant moins que les autres ? Ce n'est pas seulement une question de durée du travail, c'est aussi une question d'emploi des jeunes et des quinquagénaires. J'ose le mot : c'est un véritable gâchis, ni plus ni moins.

Je n'hésite pas non plus à dire que notre droit du travail, dans le cadre des délocalisations et de la mondialisation, doit être réformé pour s'adapter aux défis que doit relever notre économie.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan. Oui !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce droit s'est considérablement complexifié et rigidifié, en contradiction flagrante avec les intérêts tant des salariés que des entreprises. Au nom d'une plus grande protection, nous avons réussi le tour de force de compromettre la compétitivité des entreprises tout en rendant plus précaire la situation des salariés. C'est extraordinaire ! Nous avons voulu protéger tout le monde : à l'arrivée, les entreprises sont pénalisées et jamais les salariés n'ont connu une situation d'aussi grande précarité. Notre droit du travail n'a empêché ni les licenciements, ni les plans de restructuration, ni les délocalisations, ni le chômage, ni l'exclusion. Réveillons-nous et constatons que cette politique n'a pas marché ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) La flexibilité n'est pas un gros mot. À la complexité du monde doit répondre une plus grande flexibilité : il est temps d'y réfléchir !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Qu'il me soit permis de prendre l'exemple du Danemark. Dans ce pays, le taux de chômage est inférieur à 6 %. La flexibilité y est grande, mais le niveau d'indemnisation du chômage y est également élevé. Les chômeurs sont activement suivis et les politiques d'insertion ou de retour à l'emploi sont très énergiques.

M. Jean-Paul Charié. Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le modèle danois, qui associe flexibilité des capacités de production et sécurité pour les travailleurs, est développé depuis longtemps dans les pays d'Europe du Nord. Dans ces pays, ce sont les sociaux-démocrates qui ont le mieux préparé leur population à la mondialisation.

M. Patrick Delnatte. Ce ne sont pas les mêmes que chez nous !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous n'avons pas eu cette chance !

Afin de mieux sécuriser les salariés, il convient de mieux les équiper en vue d'affronter les changements induits par la mondialisation. Ce qui, à proprement parler, est insupportable pour les victimes des délocalisations, c'est non seulement de voir disparaître leur outil de travail, mais plus encore de se retrouver démunis sans avoir pu bénéficier de l'effort préalable de formation qui aurait facilité leur reclassement. Pour un salarié, c'est une chose de s'entendre dire après vingt-cinq ans de travail que son métier ne vaut plus rien et que son entreprise est partie en le laissant tomber ; c'en est une autre de n'avoir pas pu apprendre un nouveau métier, alors que ce salarié a encore tant de choses à donner. Voilà ce qui ne va pas dans notre politique de retour à l'emploi.

Je propose, moi, de renforcer les obligations des entreprises en matière de réindustrialisation des sites frappés par les cessations d'activité. Peut-être vous étonnerai-je, mais je reconnais bien volontiers que l'article 118 de la loi de modernisation sociale n'était pas dénué de toute pertinence. Notre majorité l'a d'ailleurs conservé. Sans doute convient-il d'envisager d'étendre la portée des obligations de réindustrialisation faites aux grandes entreprises par cet article. On ne peut pas tolérer qu'une entreprise mette la clef sous la porte en abandonnant ses salariés et en laissant un territoire pollué sans prévoir aucun moyen pour le réindustrialiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Alain Bocquet. C'est pourtant ce qui se passe !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Il fallait l'empêcher quand vous étiez au pouvoir !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas là ma conception de l'économie de marché. Lorsqu'on est une grande entreprise, on contracte de grandes obligations.

Pourquoi, par ailleurs, ne pas réfléchir aux conditions d'une mutualisation des efforts financiers pour tenir compte des capacités inégales des entreprises à conduire des actions de reconversion ?

De telles améliorations ne peuvent évidemment se concevoir qu'en contrepartie d'un assouplissement des règles qui entravent la flexibilité de l'appareil de production. Cet assouplissement, je le réclame.

Au total, il convient que les procédures de licenciements soient moins longues et, surtout, moins incertaines, mais que les indemnités soient plus généreuses...

M. Alain Bocquet. Et après les licenciements ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et les obligations de reclassement et formation plus importantes. Nous passerons alors d'un système perdant-perdant à un système gagnant-gagnant et ferons de la mondialisation une chance pour notre pays.

Certes, une meilleure organisation est nécessaire pour réparer les dégâts posés par les délocalisations, mais il convient également de mieux les prévenir, c'est-à-dire de mieux les anticiper. J'ai observé, depuis sept mois que je suis au ministère des finances, que les décisions de délocalisation se prennent souvent à la marge. Il appartient donc à l'État de se montrer plus réactif afin d'éviter les drames.

Il nous faut enfin faire le choix de la recherche et de l'innovation. Il est indispensable de conforter notre avance technologique afin de nous situer en permanence aux avant-postes de l'innovation. Nous devons, pour cela, accroître les moyens que nous allouons à la recherche et à l'enseignement supérieur...

M. Pierre-Louis Fagniez. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et rendre plus flexible le budget de l'éducation nationale, pour pouvoir donner plus lorsqu'il y a plus d'étudiants, et moins lorsqu'il y a moins d'enfants. Soutenir cela, ce n'est pas remettre en cause une priorité, c'est essayer de faire preuve de lucidité dans un pays qui connaît tant de déficits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous devons améliorer l'organisation et le fonctionnement de la recherche publique et des universités en donnant plus de responsabilités aux établissements concernés, en renforçant leur capacité de gestion et en hiérarchisant mieux nos priorités et l'allocation de nos ressources.

M. Jean-Yves Chamard. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mesdames et messieurs les députés, dans cet exposé peut-être un peu long, j'ai voulu montrer, premièrement, que les délocalisations constituent un véritable problème que nous aurions tort de sous-estimer ; deuxièmement, que la mondialisation peut représenter une chance, un atout, à condition que la France s'adapte, mais qu'elle sera une catastrophe si la France reste rigide ; troisièmement, que la France qui s'adapte sera une France qui travaillera plus, qui paiera mieux les salariés et qui sera plus flexible, la flexibilité n'étant pas l'ennemi de la sécurité. On peut donner plus de sécurité aux salariés, tout en accroissant la flexibilité.

Enfin, j'ai voulu montrer que nous, responsables politiques, n'étions pas condamnés à regarder les trains passer et à subir les analyses des uns et des autres, comme nous l'avons fait pour la sidérurgie. On nous a expliqué, il y a vingt-cinq ans, que la sidérurgie n'avait plus sa place dans notre paysage industriel ! Nous avons multiplié les plans de restructuration et aujourd'hui, alors que le prix de l'acier a connu une hausse de 35 %, les mêmes viennent nous expliquer que le besoin d'une industrie sidérurgique se fait de nouveau sentir et que nous manquons de capacités de production ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà ce dont je ne veux plus pour notre pays : des théoriciens en chambre qui assènent des vérités à sens unique, que les faits viennent bientôt contredire. Un homme politique doit voir plus loin et de plus haut. Il ne doit pas rabaisser le débat, mais l'élever. Or ce n'est pas rabaisser le débat que de tenir compte des peurs de nos concitoyens et de le leur dire. C'est au contraire les conduire sur une rive où un avenir existe pour eux. La seule question qui importe est en effet de redonner à nos concitoyens la certitude, qu'ils ont perdue, que l'avenir peut être meilleur, que le progrès social peut passer d'une génération à l'autre et que leurs enfants ne vivront pas une vie plus difficile que la leur.

Je l'ai dit avec passion parce que, j'en suis persuadé, au travers de la question des délocalisations s'en joue une autre : celle du respect que nos concitoyens auront, ou n'auront pas, envers la chose publique. (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le ministre d'État, vous l'avez rappelé : la France est une économie ouverte, parfaitement ouverte sur l'économie européenne et largement ouverte sur l'économie mondiale.

Rendue possible par des évolutions techniques, une telle situation résulte d'abord des choix politiques effectués depuis vingt ans sur tous les blancs de cette assemblée et par toutes les majorités successives. Nous en sommes donc, tous ensemble, responsables.

Notre pays tire de cette situation des avantages incontestables - il faut le rappeler - puisque aujourd'hui plus d'un emploi sur cinq, en France, est directement ou indirectement lié à l'activité exportatrice.

II convient également de noter, que notre pays demeure attractif pour les investisseurs étrangers. Les résultats le prouvent. Ainsi, pour les investissements créateurs de capacités nouvelles de production, la France occupe la deuxième place en Europe, derrière le Royaume-Uni, mais loin devant tous les autres. Il faut donc se garder d'une vision frileuse de l'insertion internationale de notre économie et ne pas regretter l'époque où notre économie était fermée. II n'est ni souhaitable ni possible de revenir en arrière.

Les délocalisations constitueraient-elles alors un mal nécessaire ? Certainement pas ! Seraient-elles le résultat de la compétition internationale ? Probablement. L'État peut-il intervenir ? Oui, il le peut.

Les délocalisations sont une réalité dont nul ne peut contester les effets dévastateurs sur des pans entiers de notre économie. Mais il convient de voir juste. Or il est difficile d'évaluer réellement le poids des délocalisations, faute de s'entendre sur une définition du phénomène.

L'entreprise qui ne supporte plus les contraintes propres à la France, et qui s'installe là où la liberté d'entreprendre est totale et les coûts moins chers, délocalise, en effet. Il nous appartient de lutter contre cette tendance et d'explorer des pistes, notamment en vue de renforcer l'attractivité du territoire. Je reviendrai sur le sujet.

Les capitalistes qui, après avoir acheté telle ou telle PME pour en capter le marché, s'empressent de déménager les machines plus à l'est ou ailleurs, pour nous revendre ensuite leurs produits, doivent pouvoir s'attendre à de fortes réactions destinées à combattre ce qu'il faut bien appeler des effets d'aubaine. Des mesures peuvent être prises. Monsieur le ministre, vous avez exploré diverses pistes. Nous vous soutenons.

En revanche, l'entreprise qui va chercher ses marchés à l'extérieur, en Chine par exemple, et délocalise sa croissance pour créer du profit et préserver ainsi ses emplois en France, est dans la bonne direction. Pourtant, elle est malheureusement trop souvent traitée comme les précédentes. J'ai ainsi assisté, il y a quinze jours, à l'inauguration de l'entreprise Image à Shanghai : ouvrant sa troisième usine en Chine, elle a pu sauver cinq cents emplois à Bourg-lès-Valence, qui, autrement, auraient été supprimés. Cette entreprise a certes délocalisé sa croissance, mais elle l'a fait en préservant des emplois en France. Une telle politique, loin d'être assimilable à une délocalisation, a un effet salutaire non seulement sur l'économie, mais encore sur l'emploi.

En vingt-cinq ans, notre pays a connu une forte perte nette d'emplois industriels, de l'ordre de 1,5 million. Cette tendance globale ne doit pas dissimuler les évolutions sectorielles brutales, puisque la plupart des emplois perdus l'ont été en raison de l'exterritorialisation de nombreuses tâches. Durant cette période, le textile a perdu 15 % de ses effectifs, la chaussure 38 % et l'habillement 55 %.

Même si elle est difficile à apprécier, la réalité des délocalisations ne peut être niée. C'est du destin des salariés concernés qu'il faut avant tout se soucier. Nous devons faire les efforts nécessaires pour éviter les situations catastrophiques. Et on ne peut nier que la France est parfaitement capable de résister à ces tendances. Elle l'a prouvé dans un passé récent, lors de l'ouverture de l'Union européenne à l'Irlande, à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal. Rappelez-vous les propos qui, à l'époque, ont été tenus ici même ! Nous nous trouvons aujourd'hui dans la même situation. Des moyens adaptés permettront, de la même façon, d'y faire face,

En revanche, cette situation fait peser une contrainte nouvelle, qui est très forte, sur les politiques publiques. Nous devons conduire une politique économique et sociale qui prenne en compte les réalités de la compétition internationale, selon trois axes.

Le premier consiste à renforcer la compétitivité de nos entreprises et l'attractivité de notre territoire. Cela n'implique pas d'engager avec les pays moins avancés une course à la réduction du coût du travail. Une telle course, qui serait absurde parce que perdue d'avance, pèserait de plus sur le dynamisme de notre économie, d'abord tirée par la demande intérieure, c'est-à-dire essentiellement par le pouvoir d'achat de nos salariés. En revanche, chacun sait qu'il faut distinguer le pouvoir d'achat des salariés et le coût du travail pour l'employeur. Jouer sur cet écart, particulièrement important dans notre pays, monsieur le ministre, serait une solution. Le réduire permettrait de maîtriser le coût du travail sans peser sur le pouvoir d'achat des ménages, tout en revalorisant le travail lui-même. Tel est l'objet de la politique de baisse des charges sociales sur les bas salaires, et c'est pourquoi la maîtrise des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques qu'ils financent est absolument nécessaire !

Il convient également de privilégier, dans une telle politique de réduction des charges et des prélèvements obligatoires, les actions les plus efficaces en termes de compétitivité de notre économie et d'attractivité de notre territoire. Oui, la création des pôles de compétitivité constitue une excellente initiative. De même, monsieur le ministre, il me semble nécessaire, comme l'a demandé le Président de la République, de remplacer la taxe professionnelle par un dispositif qui pénalise moins nos entreprises.

En revanche, il est clair que notre pays ne peut, dans le contexte de la compétition internationale, s'offrir le luxe de dépenses aussi contestables que celles liées à la législation sur les 35 heures. Je l'affirme après vous, monsieur le ministre d'État, les 35 heures représentent une dépense insupportable pour les finances publiques : hors entreprises publiques, nous en sommes à 10 milliards d'euros pour 2003 et à 15 milliards pour 2005.

M. Éric Besson. C'est faux !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous appelons donc de toutes nos forces les assouplissements qu'il est absolument nécessaire d'apporter aux lois Aubry. (« Abrogation ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il faut les décider rapidement : votre majorité, monsieur le ministre d'État, est disposée à les voter ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La question des 35 heures met aussi en évidence le fait que la compétitivité de nos entreprises souffre des contraintes imposées par une suradministration aux effets dissuasifs pour celles et ceux qui veulent investir en France. Vous l'avez rappelé, les lourdeurs bureaucratiques que l'on appelle parfois de manière suggestive « l'impôt papier » peuvent avoir un effet décisif sur le choix des investisseurs. Nous disposons là d'une marge de manœuvre importante et nous devons nous engager rapidement dans un processus de simplification.

Quant à nous, parlementaires, de grâce, ne compliquons pas les choses !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Évitons, autant que faire se peut, de multiplier les lois et les textes, car cette inflation rend encore plus illisible le cadre juridique de l'investissement et de l'emploi.

Je souhaite insister enfin sur deux autres facteurs de compétitivité.

Le premier est la qualité des services publics, qui influe de manière incontestable sur le choix de l'investisseur lorsqu'il veut s'implanter quelque part. Nous devons donc réussir à garantir la continuité de leur fonctionnement et rompre ainsi avec l'image détestable de « pays des grèves » dont souffre parfois la France. Je pense au service minimum garanti : en ce domaine aussi, nous devons avoir le courage de conduire des actions dans les meilleurs délais. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - « Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le second facteur de compétitivité que je souhaite évoquer est le coût de l'énergie. Nous devons y faire attention.

M. David Habib. Il fallait s'en aviser plus tôt !

M. Alain Bocquet. Si les prix augmentent, c'est à cause de l'ouverture à la concurrence !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Si nous avons la chance, grâce à notre programme nucléaire, d'échapper à certaines contraintes auxquelles sont soumis les autres pays européens, il importe aujourd'hui que la création d'un marché européen intégré de l'énergie et le soutien à de nouvelles filières de production d'énergie n'aboutissent pas à remettre en cause cet avantage déterminant pour certaines activités industrielles électro-intensives. Cette question a partie liée, elle aussi, avec le problème des délocalisations.

À l'évidence, les territoires ne sont pas égaux face à la compétition internationale et il appartient à l'État de faire jouer la solidarité nationale au profit de ceux qui en sont les victimes. Cette solidarité doit s'inscrire dans la politique d'aménagement du territoire - totalement abandonnée par le pouvoir précédent : pendant cinq ans, nous avons assisté non seulement à la déstructuration du territoire, mais aussi à la disparition de tous les éléments de la politique d'aménagement du territoire,...

M. Léonce Deprez. C'est vrai !

M. Éric Besson. Croyez-vous un seul instant à ce que vous dites, monsieur Ollier ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. ...et notamment du schéma national qui, s'il avait été suivi, monsieur Besson, nous aurait épargné les aberrations auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés.

Je rends donc hommage au Gouvernement, qui a le courage de reprendre cette politique. Cet après-midi encore, nous discuterons des mesures à prendre pour établir l'égalité des territoires en matière d'investissements et pour lutter contre les délocalisations.

Le dernier axe d'une politique publique est d'accompagner les mutations économiques. Il est faux de dire que les emplois peu qualifiés, dans notre pays, sont condamnés par la concurrence des pays à bas salaire : par définition, cette concurrence ne concerne que les secteurs d'activité qui y sont exposés. C'est le cas de l'industrie, mais cela ne touche les services que dans une moindre mesure.

Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir souligné qu'il existe des secteurs d'activité, fortement employeurs de main-d'œuvre peu qualifiée, qui sont à l'abri de la concurrence internationale. C'est le cas, bien entendu, de la construction, de la restauration et, plus généralement, des services à la personne. Les consommateurs français n'iront pas demain faire garder leurs enfants ou se faire couper les cheveux en Chine ! Il faut donc créer les conditions d'un développement de l'emploi dans ces secteurs afin de contribuer à la redistribution du pouvoir d'achat des salariés, qui profitent directement, eux, de l'ouverture internationale de notre économie.

À cet égard, votre mesure relative à la réduction d'impôt de 50 % du montant des dépenses liées aux emplois à domicile est une excellente chose.

M. Christian Decocq. En effet !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je la soutiens telle que vous l'avez proposée, car il y a là un gisement d'emplois colossal. Si, en outre, on arrive à mettre en place un système de formation beaucoup moins compliqué que celui qui existe dans ces domaines, alors on pourra proposer aux salariés laissés sur le quai des possibilités de reconversion,...

M. Éric Besson. Les emplois familiaux comme outil de lutte contre les délocalisations ? On aura tout entendu !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. ...et ce afin de leur proposer un emploi, monsieur Besson. C'est là le souhait de notre majorité.

Il conviendrait enfin de convaincre nos partenaires européens que la compétition internationale ne commande pas de faire systématiquement et continûment reculer l'action publique. L'Union européenne me semble en effet trop souvent prisonnière du dogme du « moins d'État », quand nous avons au contraire besoin d'une action publique résolue pour renforcer notre compétitivité. Il ne s'agit que de respecter certains équilibres.

Dans cette perspective, il me semble que l'assouplissement de l'application des règles communautaires relatives à la concurrence et l'émergence d'une véritable politique industrielle européenne sont indispensables pour faire émerger les champions industriels dont nous avons besoin face à la concurrence internationale. Ceux-ci ne peuvent plus être des champions nationaux : ils doivent devenir des champions européens.

Le chantier est immense, monsieur le ministre, et vous avez le mérite d'en affronter les difficultés. Notre détermination à lutter contre les délocalisations sauvages est à la hauteur du défi, et nous vous faisons confiance pour engager les actions destinées à rassurer les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, Jérôme Bignon disait en ouvrant cet échange que la confusion engendre la peur. Puisse ce premier débat établir un diagnostic plus équilibré et plus juste des délocalisations ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Besson. Est-ce un désaveu du diagnostic des précédents orateurs ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Nous vivons une rupture, vient d'affirmer Nicolas Sarkozy. Puisse ce premier débat nous permettre d'adapter sans retard nos politiques économiques et sociales dans un monde plus ouvert ! Il faut des mesures simples, concluait le ministre d'État. Passons donc aux travaux pratiques avec le projet de loi de finances pour 2005, en particulier dans ses articles 10 et 14.

Je commencerai par trois réflexions sur le diagnostic.

Premièrement, on ne peut soutenir, comme le sous-entend la Commission européenne, qu'il n'y a aucune preuve d'un processus accéléré de désindustrialisation de l'Europe des quinze.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet ! C'est incroyable d'avancer cela !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il suffit de voir ce qui ce passe aux États-Unis, où le niveau de désindustrialisation est beaucoup plus élevé.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bien sûr !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. La théorie des avantages comparatifs ne joue plus aujourd'hui, compte tenu des niveaux technologiques atteints par l'Inde et par la Chine. L'émergence des économies de ces deux pays - avec deux actifs sur cinq dans le monde - va désormais surplomber totalement la vie économique et politique de notre pays.

Deuxièmement, on ne peut se satisfaire du fait que nous nous situerions dans le tiercé des bénéficiaires des investissements étrangers, sans que soient connues la nature et la durée de ces investissements : il s'agit souvent d'achats de PME qui se trouvent délestées, quelques années plus tard, de leur siège social.

M. Christian Vanneste et M. Léonce Deprez. Très juste !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. L'agence des investissements étrangers ne présente jamais le solde des départs et des arrivées de ces investissements : elle comptabilise les seules entrées, si bien que le diagnostic est assez fortement erroné. Toute autosatisfaction est donc déplacée.

M. François Rochebloine. Bien sûr !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ma ville subit actuellement trois délocalisations. L'une concerne une entreprise de grande dimension, Mitsubishi. Ce groupe international a pu apporter de légitimes compensations aux mille salariés, tant en matière de réemploi qu'en matière d'indemnités. Les deux autres, en revanche, touchent des PME du textile et de la maroquinerie. Celles-ci, hélas ! n'offrent pas les mêmes possibilités à leurs salariés, qui ont le sentiment qu'il y a deux poids, deux mesures.

Le coût de la mesure prévue à l'article 14 du projet de loi de finances est évalué à 330 millions d'euros. Ne pourrait-on utiliser cette somme pour manifester une plus grande solidarité du pays à l'égard des salariés des PME victimes d'une délocalisation ?

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Si les consommateurs et certaines entreprises - qui pourront vendre dans les pays émergents et créer de ce fait de nouveaux emplois - gagnent aux délocalisations, il y a aussi des victimes, hommes et territoires. En tant qu'élus locaux, nous en sommes souvent les premiers témoins.

M. Hervé Novelli. Tout à fait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ces « soldats du front », qui ont travaillé pendant trente ans dans leur usine, n'ont pas le sentiment d'une mutualisation des efforts face aux délocalisations.

Troisième élément du diagnostic : les délocalisations ne sont pas ressenties avec la même intensité selon que le taux de chômage est de 5 % ou de 10 %. Vous avez mentionné, monsieur le ministre d'État, l'analyse d'un de vos prédécesseurs : ce qui sépare un pays qui réussit d'un pays qui échoue, c'est un demi-point de croissance en plus ou en moins. Or, si dans les années 1960-1978 notre taux de croissance était supérieur de trois quarts de point à la moyenne des pays de l'OCDE, depuis vingt ans il est inférieur d'un demi-point. Cet état de fait n'a malheureusement pas conduit à une analyse suffisante de nos faiblesses et à une correction de notre politique économique et sociale, si bien que nous avons pris du retard en Europe.

Nos voisins voient mieux que nous nos atouts nombreux et nos handicaps permanents. Que disent-ils ? Que la France est suradministrée et sous-organisée. Et je n'observe toujours pas un mouvement et une volonté suffisamment puissants pour s'opposer à la machine à produire de la complexité et des réglementations nouvelles. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il ne se passe pas de mois sans que fleurissent de nouvelles structures. Plutôt que de légiférer neuf mois sur douze, ne pourrions-nous pas consacrer deux mois entiers de la session à alléger les procédures, contrôler la dépense publique et remettre en question l'empilement des structures ? (Même mouvement.) Ces propositions du président Debré, je souhaiterais les voir reprises.

Chacun reconnaît que le niveau élevé des dépenses publiques et sociales devient un handicap pour la compétitivité, l'emploi et le pouvoir d'achat. Sait-on que, au cours des deux dernières années, les dépenses sociales de l'État et des départements ont progressé de plus de 12 % ? Pourtant, on a parlé abusivement, lors des dernières élections régionales, de casse du service public et de casse sociale ! L'idéologie et la démagogie l'ont emporté sur les faits.

M. Jérôme Chartier. N'est-ce pas, monsieur Besson ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Certes, monsieur le ministre, il faut amplifier les efforts de recherche et d'innovation, mais, comme vous l'avez très bien dit, les entreprises ont besoin de plus de flexibilité pour s'adapter rapidement.

M. Alain Bocquet. Allons donc !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. En même temps, nous devons mieux sécuriser les parcours professionnels des salariés.

Comme l'a relaté il y a quelque temps un journal du matin, le groupe Nestlé, qui devait créer deux usines en Europe, a choisi la Suisse, où les coûts de production sont plus élevés de 50 % mais où l'entreprise peut répondre rapidement à l'évolution du marché et s'y adapter.

M. Jérôme Chartier. Et ce dans les deux sens ! C'est un très bel exemple !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il n'a choisi ni la France ni l'Allemagne, en raison de la rigidité de nos systèmes.

Par ailleurs, le Conseil des impôts est probablement le seul organisme sérieux à penser que la fiscalité sur le patrimoine n'a aucune conséquence sur les délocalisations. Que ses membres aillent donc vivre une semaine dans les entreprises du Nord - Pas-de-Calais ! Pour ma part, je suis contre la suppression de l'ISF,...

M. Christian Vanneste. Dommage !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ...mais pour le retour au plafonnement Rocard-Bérégovoy, afin d'éviter les nombreux effets pervers actuels.

M. Alain Bocquet. Cela ne les empêchera pas de s'installer en Belgique, les Mulliez et consorts !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Nous n'avons pas besoin d'un énième rapport - il y en a déjà une dizaine - mais de lucidité.

Je ne m'attarderai pas sur le rôle de la grande distribution et des donneurs d'ordre : inutile d'y revenir.

M. Jean-Paul Charié. Oh non !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Puisqu'il faut agir vite, que faire ici et maintenant ? Le milliard d'euros consacré à la politique d'attractivité du territoire est une heureuse initiative. J'applaudis à l'idée de développer des pôles de compétitivité. Encore que le choix sera difficile, et les candidats nombreux. Mais les autres mesures, celles de l'article 14, méritent d'être clarifiées et précisées. Plutôt que d'aider les bassins d'emploi, pourquoi ne pas aider les entreprises qui participent à la réindustrialisation d'un site ? Ce serait plus concret et entraînerait moins d'effets d'aubaine.

Deuxième proposition : une partie des 330 millions d'euros doit être consacrée à mutualiser les risques au bénéfice des salariés victimes des délocalisations. Nous avons encore le sentiment, en France, que les soldats du front, les salariés des PME, soumis à la concurrence mondiale, sont abandonnés au bénéfice des soldats de l'arrière.

Monsieur le ministre, en conclusion, je citerai ce passage d'un grand historien, hélas décédé, François Furet, qui écrivait dans un journal du soir, après les législatives de 1997 : « Sur l'emploi, la droite n'a pas dit grand-chose de peur de déplaire, et la gauche a dit des choses fausses pour plaire. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce message reste, hélas, d'une grande actualité.

M. Éric Besson. Au moins dans sa première partie !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je suis convaincu que pour l'essentiel, vous l'avez dit, les clés sont en nous-mêmes : un discours de vérité, des mesures courageuses, dans un esprit de justice. Tels sont les atouts qui nous permettront de surmonter les peurs de nos compatriotes et de revenir, comme certains de nos voisins, à des taux de chômage inférieurs à 5 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, pour le groupe socialiste.

M. Éric Besson. Monsieur le ministre - et je note au passage la surprenante absence de votre collègue du travail ou de l'un de ses secrétaires d'État, pourtant concernés au premier chef -, mes chers collègues, pourquoi un tel débat, ce matin, dans ces conditions ? Pourquoi cette improvisation, ce manque de préparation ?

J'ai perçu la tonalité des premières interventions : ce matin, la parole est plus libre que jamais. Chacun parle, à propos des délocalisations, sur ce dont il veut parler. Pour l'UMP, l'essentiel est peut-être que l'on en parle, que vous puissiez dire que l'on en a parlé. Pour cette majorité, parler beaucoup, communiquer énormément, c'est prétendre traiter la question.

M. Francis Delattre. C'est un expert qui nous le dit !

M. Éric Besson. Alors, mesdames et messieurs de la majorité, vous allez parler des délocalisations, de la même façon que le Président de la République vante l'impôt et en propose un nouveau à New-York, pendant qu'ici son gouvernement démantèle les fondements de l'impôt républicain ; de la même façon que  le ministre du travail vante la cohésion sociale par le biais d'un plan pour l'essentiel non financé, après que le Gouvernement a démantelé un à un les outils de la politique publique de l'emploi !

Le sujet mériterait pourtant un débat approfondi et sérieux, tant il est vrai que les délocalisations sont devenues une préoccupation légitime pour nos concitoyens.

Monsieur le ministre, personne ne conteste la légitimité du débat, contrairement à ce que vous avez suggéré tout à l'heure, agitant un épouvantail fabriqué de toutes pièces. Mais on peut contester votre grille de lecture et votre façon d'exploiter une angoisse que vous contribuez vous-même à créer.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ils nous refont le coup du « sentiment » d'insécurité. Circulez, il n'y a rien à voir !

M. Éric Besson. Justement, j'allais y venir. Vous nous avez gratifié tout à l'heure d'une thèse très intéressante, d'autant plus intéressante qu'elle figurera au Journal officiel, retraçant votre conception de la démagogie et du populisme. Ce qui est démagogique, monsieur le ministre d'État, ce n'est pas de parler des délocalisations, c'est, comme vous l'avez fait, de mêler dans une même phrase insécurité, mondialisation, immigration et délocalisations. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Comme si tout était dans tout. Et encore, vous vous êtes autolimité. Vous auriez pu ajouter le sida, le SRAS, l'effet de serre, et j'en passe... Voilà bien de la démagogie, ne vous en déplaise.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ils en ont beaucoup comme lui, au groupe socialiste ? Ça nous arrangerait...

M. Éric Besson. Nous connaissons tous les conclusions des principaux rapports consacrés récemment aux délocalisations. On y apprend que celles-ci, entendues au sens strict, ne sont pour l'instant qu'un phénomène marginal si on les mesure en termes d'investissements à l'étranger et de transferts d'emplois. Mais certains économistes, et vous l'avez dit, craignent que le phénomène ne soit sous-estimé et croient percevoir - car aucune étude ne l'a encore confirmé - une accélération du processus.

On peut y lire que les délocalisations ne concernent plus seulement le secteur industriel, mais aussi celui des services, même s'il faut dire et redire que la France continue de tirer parti, en termes de valeur ajoutée comme en termes d'emploi, et même au regard du seul critère industriel, de l'échange international, y compris avec les pays du Sud et ceux de l'Europe de l'Est, devenus pour l'occasion le bouc émissaire facile de nos propres carences.

Ces rapports nous apprennent aussi que la France reste un pays à forte attractivité, contrairement à ce que vous avez dit dans votre discours. Notre pays le doit à la fois à sa position géographique, à la taille de son marché, à la qualité de ses infrastructures, de sa formation première et de sa main-d'œuvre. Cette attractivité est confirmée chaque année par notre place sur le podium des pays accueillant des investissements étrangers.

Ces documents nous enseignent également que le coût du travail n'est pas plus élevé chez nous que chez nos principaux concurrents et que notre fiscalité n'est pas considérée comme un obstacle à l'activité économique.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout va bien ! Et on a moins de chômage que les autres !

M. Éric Besson. Ce n'est pas, monsieur Méhaignerie, le seul Conseil des impôts qui le dit. Vous savez parfaitement que cela ressort de bien d'autres rapports antérieurs.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Vous ne manquez pas de souffle !

M. Éric Besson. Nous apprenons encore qu'il ne faut pas confondre délocalisations et investissements à l'étranger, et que l'essentiel des investissements français et européens hors des frontières de l'Union européenne se fait pour des raisons dites de proximité de marché, pour se rapprocher des consommateurs des pays émergents et non pour des raisons de coût du travail et de fiscalité.

On nous indique enfin que le vrai risque, pour la France et pour l'Europe, réside dans la faiblesse du couple recherche-innovation, laquelle induit des lacunes fortes dans des secteurs aussi essentiels que les biotechnologies, les nanotechnologies ou les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Face à ce diagnostic, les pistes de réponse apparaissent clairement, mais elles sont pour l'essentiel contraires aux orientations de votre gouvernement.

Il nous faut très fortement développer nos efforts de recherche et d'innovation. Après deux ans d'inertie, le Gouvernement prétend consacrer un milliard de plus à la recherche. Nous montrerons, dès la semaine prochaine, lors du débat qui s'ouvrira, qu'il s'agit plus d'un slogan publicitaire que d'une réalité budgétaire.

Il nous faut bâtir des politiques industrielles et des politiques d'emploi à l'échelle régionale et des bassins de vie, tant il est vrai que si les restructurations et les délocalisations sont si mal vécues par nos concitoyens, c'est d'abord parce qu'elles touchent souvent des zones de mono-industrie - textile, cuir, chaussures - et que les chances de reclassement local sur un emploi décent sont extrêmement faibles. Mais là encore, contrairement à ce que dit votre « publicité », vous empêchez les régions de jouer leur rôle : par la loi dite de décentralisation, vous leur avez enlevé à la fois la compétence du développement économique et la réalité de l'autonomie financière.

Il nous faut enfin bâtir des politiques de prévention et de réparation ambitieuses, afin que restructurations ou délocalisations n'entraînent pas mécaniquement sinistres et désespoirs locaux. De prévention, vous parliez beaucoup il y a deux ans. Mais quand l'hiver budgétaire fut venu, vos promesses s'écrasèrent sur les très faibles moyens, osons même dire les moyens ridicules dont vous avez doté la mission interministérielle, la « task force », que vous avez créée.

Vous pouvez sourire, messieurs les députés de la majorité...

M. Francis Delattre. On a encore le droit ?...

M. Éric Besson. Certes, mais on pourra discuter concrètement lors du débat budgétaire des moyens de cette task force. A vous de nous démontrer qu'elle n'est pas complètement artificielle.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Démagogue !

M. Éric Besson. Vous n'êtes pas non plus en situation de réparer puisque, après avoir suspendu plusieurs articles essentiels de la loi de modernisation sociale, votre gouvernement est aujourd'hui incapable de dire comment il va sortir de ce gel.

Le fait d'avoir organisé ce débat à la sauvette répond en réalité à une exigence majeure : celle de dresser un écran de fumée pour masquer le terrible échec de la majorité sur la question cruciale de l'emploi.

Vous nous disiez vouloir libérer le travail. Vous avez, dans les faits, gonflé les effectifs du chômage de près de 250 000 demandeurs d'emploi supplémentaires depuis votre arrivée aux affaires.

Il vous faut donc des responsables, des boucs émissaires. Hier, c'étaient les 35 heures. Demain, faute d'imagination, ce seront sûrement encore elles. Mais comme la ficelle devient un peu usée, voici donc les délocalisations : si 10 % de la population active, du fait de votre action, ou plutôt de votre inaction, se retrouve au chômage, c'est de la faute aux Asiatiques, aux Sud-Américains...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C'est surtout à cause de vous !

M. Christian Vanneste. À cause des socialistes !

M. Éric Besson. ...ou pire, maintenant, aux Européens de l'Est, suspectés de venir prendre le travail des Français.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Démagogie !

M. Éric Besson. Précisément, faut-il que vous soyez inquiets de votre capacité à conduire la politique économique et sociale de notre pays, vous qui vous dites libéraux, pour en être réduits à une telle démagogie !

Faut-il que vous ayez raclé le fond et le tréfond de vos tiroirs pour oser nous proposer, sans rire, des mesures dites de relocalisation, auxquelles leurs promoteurs ne font même pas semblant de croire. Je note d'ailleurs, monsieur le ministre, que, dans votre discours, vous n'avez pas dit un mot de ces mesures ! Vous y croyez tellement peu que vous ne leur avez affecté aucun crédit dans votre projet de loi de finances.

Les délocalisations sont un sujet sérieux, qui aurait mérité un débat sérieux. Mais en improvisant à la hâte une mise en scène destinée à masquer les mauvais chiffres du chômage, vous l'avez gâché, comme dirait l'un des philosophes préférés des Français. A tel point, pardonnez-moi de vous le dire, que vous avez été ce matin très confus ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais oui... et je sais pourtant que ce n'est pas votre habitude !

Vous nous avez dit, en substance, qu'en dépit de tous les moyens dont dispose votre ministère, vous ne saviez rien de la réalité du phénomène. Vous vous êtes montré - une fois n'est pas coutume - plus spectateur qu'acteur. Bien malin qui aura compris, parmi les messages extrêmement contradictoires que vous nous avez fait passer ce matin,...

Mme Nadine Morano. N'importe quoi !

M. Éric Besson. ...quelle est exactement votre stratégie.

Si nos concitoyens sont, comme vous le dites, angoissés par les délocalisations, je crains sincèrement qu'ils ne le soient pas moins après vous avoir entendu ce matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je demande à chaque orateur de respecter son temps de parole, afin que nous puissions terminer le débat dans les délais impartis.

La parole est à M. Francis Vercamer, pour quinze minutes.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mesdames et messieurs les députés, voilà plusieurs années déjà que les délocalisations ont fait irruption dans le débat national, nourrissant analyses et commentaires entre experts. Ce débat a pris une ampleur à la fois plus médiatique et politique au premier semestre de cette année, conséquence, sans doute, d'une année 2003 où notre pays a frôlé la récession. Croissance économique en berne, plans sociaux et licenciements massifs dans un certain nombre de régions ont suscité l'émotion grandissante de nos concitoyens et leur inquiétude quant à l'avenir.

Le phénomène des délocalisations n'est pas récent. Voilà vingt ans maintenant que les pouvoirs publics, toutes tendances politiques confondues, y sont confrontés.

Deux facteurs ont accentué la tendance ces dernières années.

Premier facteur : la substitution au capitalisme industriel habituel, voire familial, soucieux de l'outil de production et porteur de véritables stratégies d'entreprise, d'un capitalisme purement financier, soucieux de profits maximaux et de rentabilité à court terme.

M. Alain Bocquet. Oui, et nous l'avons dénoncé !

M. Francis Vercamer. Nous avions de vrais chefs d'entreprise, attentifs tant à l'outil qu'ils avaient créé qu'à la communauté humaine qui s'activait pour les faire prospérer sur leurs marchés. Au-delà du lien économique, il y avait un lien humain, qui inscrivait l'action de l'entrepreneur dans son territoire.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Francis Vercamer. Cette figure existe encore, mais elle fait de plus en plus régulièrement place à celle de l'investisseur, du financier, à la recherche de rendements faciles et de plus-values à court terme.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. Francis Vercamer. Souvent les licenciements suivent, eux-mêmes préalables à une délocalisation.

Dans la logique du capitalisme financier, l'entreprise se décharge ainsi des conséquences de ses choix sur la solidarité nationale, qu'elle contribue d'ailleurs à alimenter financièrement. De plus en plus, la responsabilité de l'entreprise sur son territoire s'arrête à l'acquittement de ses cotisations sociales. Autant dire que là où n'existe plus qu'un lien financier, il n'y a plus de responsabilité sociale.

Deuxième facteur : la diminution des prix de vente à la consommation, qui a également contribué à accentuer le phénomène. Les années de crise ont ramené la concurrence sur le prix des produits, celui-ci devenant le facteur déterminant de la décision d'achat. Les firmes de la grande distribution ont eu tôt fait de répondre à cette nouvelle exigence des consommateurs en engageant une course à la baisse des prix qu'elles n'ont pas manqué de répercuter sur leurs fournisseurs. Ceux-ci n'ont eu d'autres choix que de produire au moindre coût, ce qui n'est possible que dans les pays où la main-d'œuvre est bon marché.

M. Alain Bocquet. Tout à fait ! C'est une analyse marxiste.

M. Francis Vercamer. De la même manière, quand l'État entend soutenir la croissance grâce à la consommation, en incitant la grande distribution à baisser les prix, il encourage cette dernière à exercer une nouvelle pression sur ses fournisseurs. Je rappelle, à cet égard, la demande, formulée par le groupe UDF, de création d'une commission d'enquête parlementaire pour évaluer les dispositions légales destinées à équilibrer les relations commerciales entre les centrales d'achat et les producteurs.

En 1993, dans un rapport remarqué, que d'aucuns avaient qualifié d'alarmiste, notre ami sénateur centriste Jean Arthuis avait très précisément décrit les dangers que faisaient peser sur la cohésion sociale les délocalisations d'activités hors du territoire national. Il n'hésitait pas à écrire que le feu était dans la maison. Dix ans plus tard, le feu est toujours là et sa propagation, ces dix dernières années, nous commande de réagir avant qu'il ne commence à gagner les étages.

Face à une réalité complexe, on sait que le danger est dans la simplification. Or les délocalisations recouvrent des réalités de nature diverse, en fonction des stratégies des entreprises. Si, dans certains cas, seule commande l'optique financière du profit maximal, dans d'autres cas, il s'agit de conquérir de nouveaux marchés en affirmant la présence de l'entreprise là où se trouvent ses clients. Il s'agit alors d'un véritable atout pour notre pays, potentiellement créateur de richesse et d'emplois, y compris sur notre territoire national. Il serait d'ailleurs paradoxal de prôner l'aide au développement des pays émergents et de condamner, dans le même temps, le développement d'activités économiques dans ces pays parce qu'elles concurrenceraient notre industrie.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Francis Vercamer. Parmi les éléments qui favorisent les délocalisations, le financement des droits sociaux par le travail constitue une particularité française qui n'aide pas nos entreprises dans la compétition internationale. De même, l'accroissement de la qualification de la main-d'œuvre dans les pays émergents ne peut être ignoré. Il explique que les délocalisations touchent désormais des secteurs d'activité qui semblaient hors d'atteinte : les équipements électriques ou les composants électroniques, mais aussi les services - centres d'appel, comptabilité, informatique.

Ces différents domaines d'activité viennent compléter la liste des secteurs plus traditionnels depuis longtemps touchés par le processus : les industries manufacturières de la chaussure, du verre, du jouet, du bois, de la métallurgie et, bien évidemment, du textile-habillement. À titre d'exemple, l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, dont je suis élu, qui compte à elle seule près de 500 000 habitants et où l'industrie textile est encore présente, a connu, l'année dernière, près de 3 000 suppressions d'emplois.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. Francis Vercamer. Le seul secteur textile dans ce même bassin a connu, au premier semestre 2004, 1 000 suppressions d'emplois qui sont aussi le fait d'entreprises qui, elles, avaient fait le choix de ne pas délocaliser.

On peut toujours dire que les suppressions d'emplois dues aux délocalisations sont difficilement mesurables, voire marginales. Même les leaders syndicaux les plus en vue et - M. le ministre le disait à l'instant - la DREE estiment à 4 % du nombre total d'emplois supprimés ceux dus aux délocalisations. Il n'en reste pas moins vrai que les territoires sont inégaux devant le phénomène et que, dans un bassin d'emploi comme celui de Roubaix, on assiste à un véritable séisme social et territorial.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Francis Vercamer. C'est parce que ce séisme est visible qu'on parle des délocalisations. C'est cette disparité des territoires que soulignait l'économiste Daniel Cohen en juin dernier, en observant que, face aux délocalisations, « c'est moins la France qui souffre que le Nord - Pas-de-Calais et la Normandie ».

Parce qu'ils ont contribué à l'essor industriel de notre pays, il est légitime de concentrer les moyens de l'État sur les territoires fragilisés par les mutations industrielles, afin de faciliter l'implantation de nouvelles activités innovantes. Il est également indispensable d'y concentrer les moyens d'accompagnement social pour engager les salariés touchés par les mutations industrielles dans une véritable démarche de reconversion. Développer l'employabilité par la formation professionnelle, aider à une plus grande mobilité géographique et professionnelle : ce sont là les deux priorités d'une véritable politique de gestion des ressources humaines au niveau du bassin d'emploi.

Le processus des délocalisations, s'il s'est concentré massivement sur certains secteurs d'activité, tend à s'étendre de façon diffuse à d'autres domaines de l'économie. Au-delà des salariés des seules industries manufacturières, ce sont les salariés de tous les secteurs d'activité qui se sentent ainsi concernés, fragilisés dans la pérennité de leur emploi. Lorsque l'avenir professionnel est synonyme de craintes, il n'est pas possible de demander plus de flexibilité. Il faut d'abord répondre à l'exigence de sécurité.

C'est donc à une nouvelle sécurité du salarié que nous devons travailler, avec l'objectif de concrétiser un statut du travailleur qui déconnecte un certain nombre de droits des salariés de l'activité qu'ils exercent, pour les leur garantir au-delà des aléas du parcours professionnel.

Le Gouvernement, dans le projet de loi de finances pour 2005, apporte son lot de solutions et consacrera un milliard d'euros à la lutte contre les délocalisations. Au regard des efforts qu'ont réalisés certaines entreprises pour ne pas délocaliser, le groupe UDF est réservé sur l'opportunité d'incitations fiscales au retour d'entreprises délocalisées. Globalement, les mesures proposées dans la loi de finances ne peuvent se concevoir qu'en amorce d'une plus large politique visant à valoriser l'attractivité et la compétitivité de nos territoires. Pour définir cette politique, l'UDF vous propose trois axes sur lesquels le Gouvernement pourra demain, s'il le veut bien, concentrer son action.

Premier axe : favoriser l'activité productive en cessant de taxer les facteurs de production et en instaurant une TVA de compétitivité. Une telle taxe, recommandée par Jean Arthuis en 1993 et frappant tant les produits fabriqués localement que les importations, permettrait de déplacer le financement des droits sociaux du travail vers la consommation.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Francis Vercamer. Elle allégerait d'autant les charges sociales des entreprises. Modulable, elle permettrait de favoriser, en fonction des objectifs politiques ou économiques, les secteurs ou activités sur lesquels les pouvoirs publics veulent porter leur effort. Et ceci dans le plus grand respect des obligations communautaires et internationales de notre pays.

Deuxième axe : encourager l'entreprise et l'innovation. Notre collègue Christian Blanc a proposé l'émergence de véritables dynamiques territoriales d'innovation entre le monde de l'entreprise et celui de la formation et de la recherche, au travers de pôles de compétitivité où la région et les agglomérations joueraient un rôle majeur. Les pôles de compétitivité, présentés par le Gouvernement à l'occasion du CIADT du 14 septembre, sont des outils essentiels de développement des territoires en difficulté. Pour l'UDF, leur réussite reste tributaire de la réunion de trois conditions : la réaffirmation du rôle d'impulsion des conseils régionaux dans les domaines de l'économie et de la connaissance ; la refonte d'universités puissantes et pluridisciplinaires, cadres solides de la valorisation des travaux des chercheurs ; la redéfinition de l'action de l'État dans la recherche, parallèlement à un renforcement des coopérations en réseau.

Le troisième axe, nous le situons sur le terrain européen. La France doit s'affirmer comme le fer de lance d'une véritable politique industrielle et commerciale européenne, qui place enfin la défense des intérêts industriels de l'Union au cœur de ses prérogatives. Avec de louables intentions, nous demandons aux entreprises de respecter des règles sociales et environnementales de plus en plus contraignantes. L'Union européenne a-t-elle les mêmes exigences vis-à-vis des biens produits en Asie ? Or c'est l'Union européenne, dans le cadre des règles du commerce international, qui aura demain l'autorité suffisante pour rééquilibrer les relations commerciales entre nos pays et les pays émergents.

En conclusion, j'ajouterai que notre pays pourra donner de la voix au sein de l'Union européenne s'il commence par mettre lui-même de l'ordre dans ses propres murs. C'est tout l'enjeu de la politique de réformes dont notre pays a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Dans ces propos enflammés dont vous avez le secret, j'ai entendu une véritable autocritique et un constat aux accents de lucidité. La vérité est révolutionnaire, disait quelqu'un. (Sourires.)

M. Francis Delattre. Vous ne l'êtes pas, vous, révolutionnaire !

M. Alain Bocquet. J'ose espérer, monsieur le ministre, que vous en tirerez toutes les conséquences.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et vous donc ! (Sourires.)

M. Alain Bocquet. Dans une France qui condamne 7 millions de nos concitoyens au chômage et à la précarité, comment ne pas entendre l'inquiétude soulevée par les délocalisations ? Un quart des salariés se sentent menacés dans leur emploi et 42 % des Français estiment que la lutte contre les délocalisations doit être la priorité. Le phénomène qui voit des entreprises expatrier leur production hors de l'hexagone pour l'exporter ensuite vers la France assombrit un paysage économique et social instable et dangereux. Après le textile-habillement, la chaussure, la petite électronique, le travail à distance - à l'exemple des centres d'appel - est pris dans la tourmente, de même que l'agriculture ou certains secteurs de la recherche et des services. Récemment, la CGT de la métallurgie recensait trente-sept projets de délocalisation en cours.

Si vous avez procédé à un examen lucide de la situation, monsieur le ministre, cela ne suffit pas à la régler. Vous êtes au pouvoir, vous avez les moyens de faire respecter certaines règles.

Permettez-moi de vous soumettre un cas d'école. À Isbergues, dans le Pas-de-Calais, le groupe Arcelor va liquider son aciérie, la seule en France à produire de l'acier inox de haute qualité, pour la transporter, non pas dans un pays lointain, mais en Wallonie, à grand renfort de fonds publics européens.

M. Jacques Myard. Il faut annexer la Wallonie ! (Sourires.)

M. Alain Bocquet. Que compte faire le Gouvernement pour empêcher un tel scandale ? La sidérurgie - vous y avez fait allusion - a bénéficié en son temps de beaucoup d'argent public. En 1979, on a sacrifié la sidérurgie du Nord et de la Lorraine, à Denain, à Longwy. À l'époque, j'étais jeune député et je me souviens qu'on invoquait rentabilité et visées à court terme. Selon le gouvernement de l'époque, la Commission européenne et le célèbre vicomte Davignon, ainsi que le grand patronat sidérurgique, il y avait trop d'acier dans le monde et l'acier français coûtait trop cher. Aujourd'hui, la demande d'acier explose et le patronat de la métallurgie redoute que des PME ne s'arrêtent, faute de matière première ! Pourtant, la casse et les délocalisations continuent de plus belle, avec leur cortège de chômage, de misère, de territoires exsangues, dont certains ont été cités par mes prédécesseurs à cette tribune.

Il n'empêche que le Gouvernement répond au chantage à l'emploi du MEDEF, qui agite l'épouvantail du manque d'attractivité supposé de la France et d'un manque de compétitivité pour réclamer davantage d'allégements de cotisations et de flexibilité. On a vu ce que cela donnait : 20 milliards d'euros depuis vingt ans et toujours plus de chômage !

Pourtant, notre pays ne rebute pas les investissements étrangers. En 2002, la Banque de France recensait 2 millions de salariés travaillant en France pour des entreprises sous contrôle étranger, soit 15,2 % des effectifs de l'ensemble des entreprises résidentes. Ce taux est supérieur à ceux de l'Italie et de l'Allemagne, respectivement de 9 % et 7 %. Concernant les investissements en provenance de l'étranger, la France est passée du septième rang en 2000 au deuxième rang en 2002 des pays de l'OCDE.

M. Jean-Paul Charié. Eh oui !

M. Alain Bocquet. Je suis député de l'arrondissement du Valenciennois où une grande entreprise internationale, Toyota, s'est installée, j'allais dire malgré les 35 heures.

M. Jean-Paul Charié. Non, c'était avant !

M. Alain Bocquet. Le coût du travail n'est pas ce handicap terrifiant qui pénaliserait notre économie. Ainsi, le coût annuel moyen d'un salarié en 2000 était de 37 941 euros en France contre 45 664 euros en Allemagne, soit un écart de 20,4 %. La part des salaires dans le PIB français, qui s 'établissait à 75,5 % dans la période de 1971 à 1980, plafonne aujourd'hui à 69,2 %, chiffre assez proche de la moyenne européenne de 68,4 %, mais inférieur au taux du Royaume-Uni, 72,9 %. Parallèlement, la productivité horaire du travail a progressé de 2,32 % en moyenne chaque année entre 1996 et 2002, davantage qu'aux États-unis où la hausse a été limitée à 1,99 %. Cette performance des entreprises françaises a été atteinte essentiellement grâce aux salariés, les investissements affichant une relative stagnation.

Quand, chez nous, le salaire moyen d'un ouvrier est de 871 euros et celui d'un employé de 789 euros, peut-on décemment vouloir tirer encore les rémunérations vers le bas ? « Oui ! », répondent le baron Seillière...

M. Franck Gilard. Il n'est pas baron !

M. Alain Bocquet. ...et le Gouvernement qui, en promettant aux entreprises, dans le budget 2005, de nouvelles baisses d'impôts ou de cotisations, choisit la fuite en avant dans le dumping social.

Cette politique, qui maximise la rentabilité du capital, prive l'État et les systèmes sociaux de ressources utiles et déprime la consommation des ménages, moteur essentiel de la croissance.

Le rapport annuel du Conseil des impôts met à bas l'argumentaire patronal et gouvernemental : ni l'impôt de solidarité sur la fortune ni l'imposition des hauts revenus ne sont à l'origine des délocalisations. L'effet de la fiscalité sur la localisation des activités doit être relativisé, note le président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui ajoute : « Dans la plupart des cas, elle n'est que la cerise sur le gâteau ».

Le cadeau fait à Vivendi apporte une preuve supplémentaire de l'inefficacité des défiscalisations.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dommage que M. Besson ne soit plus là !

M. Jacques Desallangre. Ce fait mérite d'être souligné !

M. Alain Bocquet. Fin août, Bercy a accordé au groupe une baisse d'impôt estimée à 3,8 milliards d'euros, soit un coup de pouce direct aux profits annuels de 500 millions d'euros pendant six ans. En contrepartie, Vivendi s'est engagé à créer, jusqu'en 2009, 420 emplois par an. Pour une multinationale de 55 000 salariés, c'est de l'écume au cœur de l'océan. Le dispositif accouche, en fait, de l'emploi aidé le plus cher du monde : 1,8 million d'euros de subvention par embauche. Ces 500 millions d'euros d'allégement auraient permis de créer 15 000 postes stables sur la base d'un salaire moyen.

M. David Habib. Voilà !

M. Yves Nicolin. Comme pour GIAT !

M. Alain Bocquet. Mais Vivendi se moque de telles considérations. Le groupe contraint sa sous-traitante Timing à délocaliser son activité au Maroc, supprimant 210 emplois en France.

M. David Habib. Voilà la réalité !

M. Alain Bocquet. Et, tout heureux de l'aubaine accordée par Bercy, il va reprendre le versement de dividendes à ses actionnaires ...

M. Jacques Desallangre. Voilà du positif !

M. Alain Bocquet. ... après les déboires boursiers de l'empire Messier.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. M. Messier dont votre collègue Besson était le collaborateur !

M. Alain Bocquet. Résultat de la manœuvre initiée par votre gouvernement : les fonds spéculatifs raflent la mise tandis que rien ne va plus pour les salariés de Timing !

Un rapport du Plan souligne que les aides directes de l'État aux entreprises représentent 15 milliards d'euros par an sans compter les dispositifs de réduction de cotisations sociales sur les salaires. Votre gouvernement, par la voix de M. Devedjian, dénonce les « chasseurs de primes », mais n'oublions pas qu'il a fait abroger, dès 2002, la loi créant des commissions de contrôle des aides publiques aux entreprises.

M. Jacques Desallangre. C'est symptomatique !

M. Alain Bocquet. Ce sont pourtant des outils utiles pour s'assurer que le soutien public accordé aux entreprises contribue véritablement à l'emploi.

M. Jacques Desallangre. Tout à fait !

M. Alain Bocquet. Pourquoi ne pas les rétablir et leur confier l'instruction des projets de délocalisation dont il faut geler l'exécution ?

Faut-il rappeler que c'est vous qui avez suspendu l'instauration d'une étude d'impact, social et territorial, en cas de restructuration ? En étayant le principe d'obligation de réparations, la mesure dressait, qu'on le veuille ou non, un garde-fou. Qu'attendez-vous pour la rétablir afin d'offrir des points d'appui aux représentants des salariés dans les négociations et de permettre aux élus locaux de faire valoir leurs droits compte tenu du préjudice subi ?

Sans normes contraignantes, la responsabilité sociale des entreprises reste un argument de marketing, ce que confirme votre volonté d'assouplir les obligations qui échoient aux grandes firmes en matière de licenciements économiques.

Les députés communistes et républicains, quant à eux,...

M. Francis Delattre. Républicains, c'est un peu exagéré !

M. Alain Bocquet. ...avancent des solutions innovantes. Ils proposent de suspendre toute délocalisation intra-européenne, d'annuler toute décision de suppression d'emplois prise dans un tel cadre et de réunir l'ensemble des parties concernées par chacun de ces dossiers.

M. Yves Nicolin. Rien que des propositions réalistes !

M. Alain Bocquet. Ils proposent également de taxer tout investissement à l'étranger visant à affaiblir l'emploi en France ainsi que les importations de fabrications délocalisées. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. Eh oui !

M. Yves Nicolin. C'est toujours aussi réaliste !

M. Alain Bocquet. De même, nous demandons que soit créé un lien juridique entre la société donneuse d'ordre et son fournisseur lorsqu'un plan de licenciement intervient chez ce dernier, car l'entreprise dominante devrait alors assumer une coresponsabilité dans la procédure de restructuration. Cette réforme aurait un effet dissuasif sur les directions de groupe obnubilées par le seul intérêt des actionnaires et renforcerait le pouvoir d'intervention des salariés pour défendre l'emploi. Vivendi ne pourrait plus piloter, par exemple, la délocalisation de Timing en s'en lavant les mains.

M. Yves Nicolin. Il n'y aurait plus de délocalisations puisqu'il n'y aurait plus d'entreprises !

M. Alain Bocquet. Quand elle n'est pas mise au service des puissances financières, la politique fiscale a des vertus incitatives. Si le Gouvernement peut mettre en œuvre un crédit d'impôt pour privilégier les entreprises qui développent leurs ventes hors de l'espace européen, il doit pouvoir taxer les investissements directs à l'étranger, qui soutiennent les délocalisations : leur montant a été estimé à 305 millions d'euros entre 1998 et 2002. Il doit pouvoir également pénaliser les banques qui financent plus facilement les délocalisations que le crédit à l'emploi en France. Les banques françaises ont réalisé 18 milliards d'euros de profits en 2003 et le premier semestre 2004 a confirmé cette embellie. Il faut réorienter le crédit bancaire à l'échelon régional et mobiliser ces moyens au service de l'emploi en instaurant des mécanismes incitatifs de bonification des taux d'intérêt. En mars, notre groupe a défendu une proposition de loi qui tendait à permettre l'instauration de telles régulations, mais le Gouvernement et sa majorité ont refusé que l'Assemblée nationale se prononce.

M. Richard Cazenave. Encore heureux !

M. Alain Bocquet. Vous préférez vous présenter comme plus libéraux que les rois du libéralisme eux-mêmes puisqu'aux États-Unis, où le problème des délocalisations nourrit la campagne présidentielle, il est question de supprimer les baisses d'impôts pour les compagnies qui délocalisent.

M. Jacques Desallangre. Très juste !

M. Alain Bocquet. La presse recense quelque quatre-vingts textes de loi à l'étude dans trente États américains. C'est bien autre chose qu'un chèque en blanc au MEDEF !

M. Franck Gilard. Aucun chèque en blanc n'est signé au profit du MEDEF !

M. Alain Bocquet. Mais le Gouvernement se plie au projet de Constitution européenne qui affirme la liberté absolue du marché. Qu'attendez-vous pour exiger à Bruxelles, à Francfort, une remise en cause des pouvoirs - sans contrôle - de la Banque centrale européenne et le réajustement de ses taux en faveur de la création d'activités et d'emplois ? Qu'attendez-vous pour réclamer une réglementation et une fiscalité permettant de lutter contre la faiblesse des prix pratiqués en Europe par les grandes sociétés de transports routiers et maritimes de marchandises ? Mettre à leur charge les coûts sociaux et environnementaux ramènerait les tarifs à une plus juste mesure. Cela rendrait les délocalisations moins attractives tout en agissant efficacement contre la pollution.

M. Jean-Paul Charié. C'est vrai !

M. Alain Bocquet. Décidément, dans le domaine des délocalisations comme dans bien d'autres, il est urgent de réorienter la construction européenne. Et cela passe, à notre sens, par un vote négatif lors du référendum sur le projet de Constitution. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Paul Charié. Non ! Là, c'est de l'amalgame !

M. Jacques Desallangre. Il n'y pas d'amalgame ! C'est la question de fond !

M. Alain Bocquet. Le fond du problème, c'est aussi l'absence de politique industrielle audacieuse et énergique. Quand on y regarde de près, la création de pôles de compétitivité que vous annoncez se résume, en fait, à l'instauration de zones franches où les entreprises profiteront d'aubaines fiscales. Durant trois ans, l'État promet d'injecter chaque année 250 millions d'euros sur une vingtaine de sites. Ce saupoudrage apparaît bien dérisoire quand le total des placements financiers en France avoisine les 1 966 milliards d'euros et quand une banque comme Dexia ou un groupe comme Suez affichent des résultats semestriels nets de l'ordre du milliard d'euros.

M. Jean-Paul Charié. Allez voir ce qui se passe en Italie !

M. Alain Bocquet. Il existe aujourd'hui en France une autre délocalisation : celle des dividendes. En 2004, 3,9 milliards d'euros de revenus boursiers seront versés par les grandes sociétés du CAC 40 aux fonds anglo-saxons présents dans leur capital.

M. Franck Gilard. Et alors ?

M. Alain Bocquet. La preuve est faite que, dans notre pays et en Europe, la richesse existe. Qu'attendez-vous pour l'orienter vers les investissements socialement et économiquement utiles ?

L'innovation et la recherche sont indissociables des systèmes productifs car ce sont elles qui assurent leur performance et leur évolution. Une unité de production privée de capacités de recherche-développement risque fort de n'être qu'une « usine tournevis ». Mais la France, en ne consacrant que 2,20 % de son PIB à la recherche, est distancée par l'Allemagne : 2,45 %, et les Etats-Unis : 2,69 %, sans parler du Japon : 3,29 %. Au vu de ce retard, le budget 2 005 de la recherche apparaît bien maigre.

En matière d'attractivité, la qualité de la formation supérieure dispensée est un atout indéniable. L'action de l'État est, là aussi, déficiente : 1,1 % du PIB est consacré à l'enseignement supérieur contre 1,4 % en moyenne dans les pays développés. La France dépense chaque année 8 800 dollars par étudiant, contre 10 000 aux États-Unis. À peine 59 % des étudiants y achèvent leurs études, soit onze points de moins que la moyenne de la zone OCDE.

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur Bocquet.

M. Alain Bocquet. J'ai bientôt terminé, monsieur le président.

Pour lutter efficacement contre les délocalisations, il faut agir à la fois sur les terrains de la recherche, de la production et de l'emploi, et renforcer les capacités de fabrication, de création et de savoir, en s'appuyant sur l'épanouissement des potentialités humaines. En ce sens, les députés communistes et républicains ont proposé un système de sécurité emploi-formation afin d'assurer à chaque individu, toute sa vie, une sécurité de vie et d'épanouissement.

Quand le Gouvernement préfère céder au diktat des gros actionnaires et des marchés financiers, les députés communistes et républicains, eux, sont disponibles pour résister avec le monde du travail et de la création, pour débattre et faire avancer l'exigence d'une autre politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Richard Cazenave. Vous proposez une sécurité d'emploi comme à Moscou !

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je veux soumettre à notre réflexion une pratique qui se développe dans un certain nombre de grands groupes, notamment dans le secteur de la chimie, et qui est connue sous l'appellation de « délocalisation fiscale » ou d'« optimisation fiscale ». Elle consiste à délocaliser non plus des emplois, des usines ou des services mais une masse fiscale. C'est une pratique contre laquelle nous n'avons pas encore aujourd'hui de réponse, que ce soit en France ou en Europe.

Je citerai l'exemple de la Colgate-Palmolive Company. Cette multinationale, cotée à la bourse de New York, a un chiffre d'affaires qui s'élevait à 10 milliards de dollars en 2003, dispose d'une marge bénéficiaire de plus de 14 % et emploie 36 000 salariés à travers le monde. Un quart de son activité est localisé en Europe, où elle compte 6 275 collaborateurs dans quarante-neuf usines, établissements et sièges sociaux.

En France, le groupe possède deux usines, dont la plus importante est située dans ma circonscription, à Compiègne, et un siège social. Colgate-Palmolive France emploie 1 475 collaborateurs et a réalisé un chiffre d'affaires de 820 millions d'euros.

Or Colgate-Palmolive Company est en train de mettre en place en Europe un plan appelé OPTIMA, qui devrait démarrer dès 2005, visant à délocaliser tous les sièges sociaux européens du groupe pour les installer en Suisse, dans le canton de Genève. Pourquoi ? Tout simplement pour échapper à l'impôt sur les sociétés. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre d'État, ce dernier est en moyenne de 28 % dans l'Union européenne et de 33 % en France. Colgate-Palmolive a négocié avec le canton de Genève un impôt sur les sociétés de 6,4 %, garanti pendant dix ans. Le siège européen installé en Suisse récupérera l'ensemble des fonctions opérationnelles et consolidera tous les bénéfices des sites de l'Union européenne. Les sites de production changeront de statut pour devenir de simples sous-traitants.

En France, les conséquences fiscales seront les suivantes : l'impôt sur les sociétés acquitté par ce groupe passera de 41 millions d'euros en 2003 à 8 millions d'euros, sans qu'un seul emploi ait disparu, et la taxe professionnelle versée aux collectivités où sont hébergés les sites et les usines de 16 à 8 millions d'euros.

Il en ira de même dans tous les autres pays de l'Union européenne concernés, c'est-à-dire vingt-deux pays sur vingt-cinq, dont douze pays qui possèdent, comme la France, des centres de production.

Le groupe Procter & Gamble a déjà suivi ce schéma, délocalisant les sièges sociaux de toutes ses activités en Europe dans un autre canton suisse. D'autres sociétés dans la branche des  poudres et détergents, comme Unilever et Henkel, pourraient faire de même.

Il faut, monsieur le ministre, que la France trouve une réponse et donne à la direction générale des impôts les moyens, dont elle ne dispose pas aujourd'hui, de mettre fin à cette hémorragie fiscale. Il faut aussi, puisqu'elle n'est pas seule concernée, qu'elle entraîne les autres pays de l'Union européenne à rechercher une réponse au niveau européen.

La Suisse, au cœur de l'Europe, ne peut rester ce paradis fiscal qui laisse aux pays européens des usines et des emplois mais récupère l'intégralité de la richesse fiscale créée. Il nous faut trouver des réponses nationales et européennes à ce problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, dans la lutte contre le chômage et pour l'attractivité du site France, il n'y a pas de réponse unique et monocorde. C'est la diversité des actions engagées qui fera la différence. C'est la diversité des intervenants nationaux et locaux qui fera la réussite d'un combat qui ne peut être que polymorphe, collectif et ancré dans le long terme.

En termes de développement et d'attractivité économiques, nous avons certes de nombreux atouts, cela a été dit. Mais nous avons également quelques handicaps, qui proviennent surtout de notre fiscalité, trop faiblement incitative, et nous l'avons évoqué tout à l'heure à propos des coûts de transfert ou de l'optimisation fiscale.

Le poids cumulé de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle empêche le développement serein de nos entreprises, mais surtout freine leur investissement.

M. Jacques Myard. Vous oubliez les droits de succession !

Mme Arlette Grosskost. Or c'est dans le développement des capacités techniques et technologiques nouvelles que se trouve l'amélioration quantitative et qualitative de notre système productif.

L'ISF pèse également sur le développement et sur la transmission de nos entreprises.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

Mme Arlette Grosskost. À cet effet, ne serait-il pas opportun de réfléchir à la possibilité de mettre une partie de cet impôt au service de l'emploi ?

M. Jean-Paul Charié. Tout à fait !

Mme Arlette Grosskost. Arrêtons nos face-à-face idéologiques. C'est le résultat qui compte.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Exactement !

Mme Arlette Grosskost. Monsieur le ministre d'État, face au problème des délocalisations, la création de pôles de compétitivité est une initiative fort judicieuse. Elle permettra de développer les synergies existantes autour d'un véritable projet territorial, assis sur un potentiel industriel ou technologique.

Il paraît en effet essentiel, aujourd'hui, d'agir à un double niveau : d'une part, affermir le rôle des collectivités territoriales en matière de développement économique - je pense naturellement à la collectivité régionale - et, d'autre part, promouvoir une véritable politique industrielle dans et pour l'Europe élargie, en prenant des initiatives sectorielles dans un domaine comme l'automobile, qui représente toujours et encore un véritable potentiel.

C'est dans un tel contexte que j'ai récemment pris l'initiative d'emmener à Bercy une délégation d'élus haut-rhinois, toutes tendances politiques confondues, afin de présenter les difficultés socio-économiques que nous rencontrons dans le Sud-Alsace depuis plusieurs années maintenant, à l'exemple des plans sociaux qui ont touché Wartsila et Manurhin Production à Mulhouse, ou bien encore Sony à Ribeauvillé chez mon collègue Jean-Louis Christ, pour ne citer que ceux-ci. Les exemples se multiplient malheureusement chaque jour.

Et je ne parlerai pas ici de nos travailleurs frontaliers, qui subissent eux aussi les difficultés des économies allemande ou suisse.

Car l'Alsace a cessé d'être cet îlot de croissance préservé quelque part entre Vosges et Rhin. Le taux de chômage régional progresse désormais deux fois plus vite qu'au plan national, et la zone d'emploi de Mulhouse - qui connaît aujourd'hui le taux de chômage le plus élevé d'Alsace, de l'ordre de 14 % - a perdu près de 20 % de son emploi industriel en quinze ans.

Autant de raisons qui fondent notre volonté, en Sud-Alsace et en Nord Franche-Comté, de répondre à l'appel à projets que lancera bientôt le Gouvernement pour bâtir un pôle de compétitivité interrégional articulé autour de notre filière automobile.

Cette filière rassemble chez nous plus de 400 entreprises et près de 90 000 emplois, parmi lesquels ceux des usines Peugeot de Sochaux et de Mulhouse, auxquels on peut rattacher le site de General Motors à Strasbourg.

Sous trois aspects différents et complémentaires, notre pôle automobile représente une masse critique tout à fait apte à répondre aux critères d'éligibilité définis par le Gouvernement.

Premier critère : la mobilisation des entreprises, tant il vrai que, sans nos entrepreneurs, il n'y a pas de développement économique endogène, et donc de créations d'emplois.

Deuxième critère : le volontarisme des acteurs publics locaux qui ont commencé, depuis quelques années déjà, une réflexion sur la thématique automobile, d'abord dans le cadre du réseau de villes Rhin-Sud, puis élargie à l'ensemble de l'Alsace et de la Franche-Comté, mais qui investissent également dans l'environnement des entreprises et la qualification des hommes et des femmes.

Troisième critère : l'implication des organismes de recherche, tant publics que privés et, plus particulièrement nos universités de Haute-Alsace et de Belfort avec leurs instituts spécialisés, afin de pouvoir répondre aux fortes mutations technologiques du secteur automobile.

Ce dernier élément me paraît essentiel et dépasse largement ma région et le secteur automobile, pour concerner l'ensemble de nos entreprises sur tout le territoire.

Innovation, réseaux, recherche-développement, baisse des prélèvements obligatoires, fiscalité plus incitative, code du travail mieux adapté : donnons-nous les moyens de créer les conditions d'une croissance forte et durable et de rendre toute son attractivité au site France, dans le seul but d'y maintenir et d'y créer de l'emploi, de la richesse, au seul profit de tous les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, durant la campagne électorale de 2002, l'UMP avait fait de la thèse du déclin de la France, de la perte d'attractivité de notre pays, un de ses principaux thèmes de campagne contre le gouvernement de Lionel Jospin.

Depuis, de nombreux rapports ont démenti ce discours caricatural et mensonger. Et il est amusant de constater aujourd'hui que c'est l'épouse d'un membre du Gouvernement qui a pour fonction - et elle le fait bien - de corriger les dégâts en termes d'image que cette campagne de dénigrement systématique de notre pays a pu causer et de vendre la France.

L'attractivité de notre pays est à la fois forte et fragile.

La décision d'implanter une entreprise tient compte - cela a été dit - de la proximité du marché, de la qualité de la main-d'œuvre, du niveau des équipements et services publics.

L'attractivité de la France tient à l'addition de ces critères, considérés souvent comme bien plus essentiels par les chefs d'entreprise qui viennent s'implanter en France que la fiscalité ou le coût du travail.

M. Jacques Desallangre. Tout à fait !

M. Didier Migaud. Mais il est vrai que des menaces pèsent aujourd'hui sur notre attractivité. Les délocalisations sont un vrai sujet, et je partage, monsieur le ministre d'État, le constat que vous avez fait. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Paul Charié. Vous voyez !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les yeux s'ouvrent !

M. Didier Migaud. Mais il est difficile d'évaluer ou de définir le phénomène avec précision.

Construire la Logan en Roumanie et la vendre ensuite en France, est-ce une délocalisation ou non ?

M. Jean-Paul Charié. Non !

M. Didier Migaud. En tout cas, il peut y avoir débat sur le sujet, à partir du moment où vous fournissez les marchés français et européens.

M. Francis Delattre. Et si nous parlions de Vilvoorde ?

M. Didier Migaud. Toutefois, personne de sérieux ne nie aujourd'hui que ce phénomène est appelé à prendre de l'ampleur dans les années à venir, y compris dans le secteur des services, avec tout l'impact négatif sur l'emploi.

Quelles réponses peut-on apporter ? Pour la droite, c'est le moins-disant fiscal, le moins-disant social, même si, monsieur le ministre d'État, il faut le reconnaître vous avez exprimé tout à l'heure une musique différente,...

M. Jean-Paul Charié. Eh oui !

M. Didier Migaud. ...réellement en contradiction avec la politique conduite aujourd'hui par le Gouvernement.

Je vois également une contradiction dans votre action. Vous affirmez votre volonté de lutter contre ce phénomène, mais vous contribuez vous-même à lancer notre pays dans une dangereuse course au moins-disant fiscal pour les entreprises, en prenant le risque d'affaiblir l'État, de remettre en cause sa capacité à agir, de préparer d'une certaine façon le déclin de la France. Tout ceci en fragilisant les collectivités locales, qui voient également leurs capacités à agir remises en cause avec la pseudo-décentralisation que vous avez mise en place.

Monsieur le ministre d'État, je suis de ceux qui pensent que la politique actuelle du Gouvernement fragilise notre pays.

Or maintenir un bon niveau d'équipements et de services nécessite des moyens. Le désengagement de l'État, les difficultés des collectivités locales représentent un risque réel de perte d'attractivité pour l'implantation de nombre d'entreprises dans notre pays. Cela nous fragilise d'autant plus que certains pays jouent à fond de leur côté - et je partage à nouveau votre constat - la politique du moins-disant fiscal et social, avec tous les risques que cela peut entraîner pour leur population.

L'attractivité de nombreux pays, notamment des nouveaux entrants dans l'Union européenne, repose essentiellement sur le poids réduit de leur fiscalité et sur le faible coût du travail. Ces pays peuvent devenir compétitifs à partir du moment où ils jouent ces atouts et où nous prenons des dispositions qui permettent de remettre en cause l'attractivité de notre pays, d'autant que le critère de proximité, que j'évoquais tout à l'heure, existe aussi chez eux.

Les implantations dans ces nouveaux pays peuvent effectivement correspondre à ce besoin de proximité qu'exigent aussi les entreprises. Cela nécessite donc une action forte en France.

Pourtant, je le répète, on relève une contradiction entre votre discours et la politique du Gouvernement, qui va à l'encontre du volontarisme que vous avez défendu tout à l'heure. Il faut une politique forte d'investissements, de formation, de recherche, d'éducation.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Migaud.

M. Didier Migaud. Je termine monsieur le président.

Je souhaite toutefois faire observer que le groupe socialiste n'a bénéficié que de trente minutes sur les trois heures et demie prévues pour ce débat.

M. le président. C'est une décision de la Conférence des présidents.

M. Didier Migaud. Je le sais.

M. le président. Il faut évoquer ce problème avec votre président de groupe. Il n'y a pas lieu d'en débattre ici.

M. Didier Migaud. Permettez-moi de considérer que c'est peu.

La France doit mener une action forte, même si je suis conscient qu'il est nécessaire de travailler parallèlement à une plus grande efficacité de l'action publique, de la dépense publique, à laquelle je crois avoir contribué.

Une chose nous différencie. Je pense qu'avec le même niveau de dépenses publiques une action publique plus efficace pourrait être menée, tandis que vous êtes systématiquement pour la réduction de ces dépenses publiques, alors que l'on voit bien que les faiblesses de la France dans un grand nombre de domaines résident dans un effort insuffisant en matière de recherche et de formation supérieure.

Une action forte en Europe est également nécessaire. Un discours volontariste au niveau européen doit dépasser les rigidités actuelles de l'Europe. Comment peut-on avoir une politique forte en matière d'investissement, de recherche, d'éducation, avec un budget qui restera contraint ? Monsieur le ministre d'État, vous êtes membre d'un gouvernement qui s'oppose aujourd'hui à toute augmentation du budget européen, bloquant là aussi, d'une certaine façon, la possibilité pour l'Europe d'agir véritablement contre les délocalisations.

Je crains que l'Europe ne soit en retard dans l'appréciation de ce phénomène,...

M. Jacques Myard. Adressez-vous à M. Lamy ! Il a toujours tort !

M. Didier Migaud. ...que l'on continue de faire croire que la concurrence et la baisse des prix régleront tout, alors qu'une politique volontariste est nécessaire au niveau européen.

Monsieur le ministre d'État, nous pouvons partager votre constat et la volonté que vous exprimez d'agir, mais nous devons constater que, depuis deux ans, la politique du Gouvernement va à contresens et contribue grandement à fragiliser notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli.

M. Hervé Novelli. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, notre débat de ce matin sur les délocalisations était indispensable. Pas seulement à cause des effets massifs des délocalisations - ce qui reste à démontrer après nombre d'études peu concluantes, ou contradictoires, menées dans ce domaine, mais parce ce thème n'est qu'un exemple, parmi d'autres, de ce qui est aujourd'hui à l'œuvre dans le monde, et que vous-même, monsieur le ministre d'État, avez qualifié hier dans Les Échos, et encore ce matin, de « rupture dans l'histoire économique mondiale ». Vous avez raison. C'est bien d'une rupture qu'il s'agit et la mondialisation de l'économie est devenue une donnée incontournable.

Qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement que l'activité économique ira dorénavant là où les conditions sont les plus propices à son établissement. On le constate dans la différence entre les taux de croissance de l'Asie : près de 10 %, des États-Unis : près de 4 %, et de l'Europe : à peine 2 %.

M. Jacques Myard. Cela tient à la politique monétaire !

M. Hervé Novelli. C'est bien cette réalité qu'il faut affronter. Il s'agit donc pour nous d'identifier les causes de la croissance économique - et nous les connaissons - afin d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

La croissance économique à moyen et à long terme résulte de la combinaison harmonieuse de trois facteurs : le travail, le capital et l'innovation.

M. Jacques Myard. Sans oublier la politique monétaire !

M. Hervé Novelli. Rigidifiez le travail, par exemple en imposant par la loi la réduction du temps de travail à 35 heures, et vous déprimez la croissance. Taxez abusivement le capital, et vous le ferez disparaître ou s'évaporer.

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Hervé Novelli. Défavorisez la recherche et l'innovation, et vous affaiblirez les ressorts de la future croissance.

Ces quelques règles simples devraient nous guider. Certes, à court terme, des mesures défensives peuvent être prises, comme celles contenues dans le projet de loi de finances pour 2005. Mais là n'est pas l'essentiel, vous le savez et j'en suis convaincu. Il nous faut surtout des mesures offensives à moyen terme, car la réalité est la suivante : les délocalisations sont d'autant plus insupportables qu'elles ne sont pas compensées par des activités de substitution en termes d'entreprises et d'emplois. Peu de gens savent que les délocalisations affectent également les Etats-Unis, et vous nous en avez parlé ce matin, monsieur le ministre d'État. Nombre d'entreprises américaines se sont implantées en Asie pour y trouver des coûts de travail plus favorables. Mais ce qui a rendu la chose, pour dommageable qu'elle soit, plus supportable aux Etats-Unis, c'est qu'entre 1993 et 2002, ils ont su créer près de 18 millions d'emplois supplémentaires !

M. Jean-Paul Charié. Eh oui !

M. Jacques Myard. Parce qu'ils ont une politique monétaire intelligente, eux !

M. Hervé Novelli. Dans le même temps, en France, les créations nettes d'emplois étaient négligeables. Là est l'explication.

La comparaison des durées moyennes du chômage est également un moyen de prendre la mesure de ces difficultés. La durée moyenne du chômage est de trois semaines aux États-Unis, de trois mois au Danemark et d'un an en France ! Voilà les vrais problèmes auxquels notre pays est confronté.

Nous devons avant tout favoriser la création d'entreprises et d'emplois, tout d'abord par une baisse durable de notre fiscalité, qui ne pourra s'appuyer que sur une baisse des dépenses publiques, autrement dit sur une réforme de l'État. Par une réforme ensuite de notre système social : il faut insuffler de la flexibilité dans notre code du travail, protecteur pour les salariés qui ont un emploi mais dissuasif pour ceux qui n'en ont pas. Il faut également un effort considérable pour notre système de formation, afin de faciliter l'adaptation et le passage d'un métier à un autre.

Il faut aussi investir dans l'avenir. Cela passe par deux orientations majeures.

Premièrement, développer les services aux personnes et à l'industrie. Par comparaison avec les pays ayant enregistré de bonnes performances de leur marché du travail, la France n'a pas subi une désindustrialisation plus forte ; la différence, c'est qu'elle a créé beaucoup moins d'emplois dans les services.

M. Jean-Paul Charié. Très juste : 14 % de moins !

M. Hervé Novelli. À en croire un récent rapport du Conseil d'analyse économique, si notre pays avait le même taux d'emploi dans le commerce, la restauration ou l'hôtellerie que les États-Unis, elle compterait 3,5 millions d'emplois supplémentaires. On mesure le défi qui nous est lancé, et qui appelle, comme vous l'avez souhaité, une réforme majeure de la réglementation du marché du travail en matière d'embauche et de licenciement, de travail à temps partiel, de meilleure concurrence. Au-delà de ces métiers, les services à la personne doivent également être développés.

Deuxièmement, il nous faut investir massivement dans l'innovation et la recherche,...

M. Jean-Paul Charié. La recherche appliquée !

M. Hervé Novelli. ...comme ont su le faire les États-Unis il y a quelques années, dans les NTIC ou les biotechnologies.

M. Jacques Myard. Et dans les dépenses militaires !

M. Hervé Novelli. Selon l'OCDE, la croissance américaine est pour moitié directement liée à l'effort dans le domaine de la recherche-développement. L'Europe d'aujourd'hui a fixé ses priorités dans le cadre des programmes cadres de recherche et de développement et nous devons élever nos ambitions en ce domaine. D'abord en donnant aux entreprises privées une fiscalité adaptée à leurs efforts de recherche. Ensuite en définissant clairement pour le secteur public ce que sont les choix prioritaires de la France en matière de recherche. De ce point de vue, l'essentiel réside aujourd'hui dans la perspective de la réforme du système français de recherche. Nous attendons beaucoup de la future loi d'orientation et de programmation, qui devrait être soumise à l'examen du Parlement à la fin de cette année.

En conclusion, monsieur le ministre d'État, ce débat aura été utile s'il permet d'éviter les crispations, les replis sur soi, les interdictions, et s'il permet de regarder l'avenir sans peur pour en tracer hardiment les contours. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Charié.

M. Jean-Paul Charié. Monsieur le ministre d'État, vous savez susciter l'enthousiasme sans lequel aucune dynamique n'est possible. Mes chers collègues de la majorité, vous tenez à dépasser les constats et les peurs pour répondre par des actes tangibles aux légitimes attentes des Français.

M. François-Michel Gonnot. Très bien !

M. Jean-Paul Charié. Et avec vous, chers collègues de l'opposition, j'ai toujours eu plaisir à construire sur ces sujets d'expertise, tant il est vrai que la libre concurrence à dimension humaine, l'avenir des PME et la compétitivité de nos entreprises peuvent dépasser les clivages politiques.

Grands projets politiques et industriels, avez-vous dit, monsieur le ministre d'État, pôles de compétitivité, développement de la recherche appliquée, familles créatrices d'emplois, transmission des entreprises, flexibilité, disait à l'instant notre collègue Hervé Novelli. À vous tous, je pose la question : si la France créait plus d'emplois qu'elle n'en perd, notre débat sur les délocalisations serait-il le même ?

Après vingt-trois ans - près d'un quart de siècle - de travail parlementaire consacré à la concurrence et aux entreprises, avec ce recul et cette expertise acquise, je veux vous faire part d'une seule conviction : oui, monsieur Novelli, pour répondre aux délocalisations, nous devons, c'est une impérieuse nécessité, créer des activités nouvelles.

Cette conviction tient en deux certitudes. Quels que soient les drames vécus et réels que vous avez les uns et les autres évoqués - je veux à cet égard saluer l'intervention de François-Michel Gonnot, qui a su mettre le doigt sur un vrai problème, concret et précis -, les délocalisations ne signifient pas le déclin de la France. Ou alors, comme le disait M. le ministre d'État, tous les pays, Maroc et pays asiatiques compris, seraient en déclin !

Pour compenser les délocalisations, les gisements d'emplois se trouvent dans les nouveaux services.

Rappelons que, ces dernières années, nous avons accueilli en France des usines venant d'Europe, d'Asie, d'Amérique, du monde entier. Je prends l'exemple de mon département : Hitachi, Honda, Komori, Mori-Seiki, Shiseido... Douze sociétés japonaises y emploient aujourd'hui près de deux mille personnes ! Axalto, 3 M, IBM France, Lexmark, John Deere, Otis, Pfizer : trente-trois sociétés américaines occupent plus de 9 700 personnes dans le seul Loiret. Je suis sûr, mes chers collègues, que vous pouvez trouver des exemples similaires dans vos départements respectifs.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Pas dans les mêmes proportions !

M. Jean-Paul Charié. Peut-être pas, mais cela fait vingt-trois ans que je suis député du Loiret. (Sourires.)

L'attractivité mondiale de la France, comme vous l'avez vous-même rappelé, monsieur le président Méhaignerie, reste une réalité. Ainsi, les implantations industrielles y sont passées de 243 en 2002 à 312 en 2004, soit une augmentation de 24 %. Et comme l'a relevé mon collègue communiste, après la Grande-Bretagne, mais devant tous les autres pays, la France se trouve, pour ce qui est de l'attractivité industrielle, au deuxième rang européen. Voilà ma première certitude, monsieur le ministre d'État : face aux réalités complexes, face aux délocalisations, appuyons-nous, comme vous le faites, sur d'autres réalités : les potentiels et les atouts de notre pays.

Deuxième certitude : pour compenser les délocalisations, les gisements d'emplois se trouvent dans les nouveaux services aux entreprises et aux particuliers. Les uns et les autres l'ont rappelé : si le taux de chômage aux États-Unis est plus faible qu'en France, ce n'est ni à cause de notre productivité ni à cause du taux d'emploi dans l'industrie : depuis 1978, nous avons des taux d'emploi et de productivité identiques. En revanche, aux États-Unis, 61 % des personnes en âge de travailler sont dans les services. En France, seulement 47 %. Soit 14 % de moins !

Ainsi, notre collègue Hervé Novelli l'a remarqué, si notre hôtellerie pouvait embaucher le même taux de personnes, la France aurait deux millions d'emplois en plus.

M. Richard Cazenave. Il a dit trois millions et demi !

M. Jean-Paul Charié. Cela vaut pour les autres domaines. Ou bien nos 36 000 garages indépendants s'approprient les usages du numérique pour réparer l'informatique embarquée dans les voitures et développer de nouveaux services, ou bien ils disparaîtront. La moitié des imprimeurs de France sont condamnés s'ils n'utilisent pas les nouvelles technologies pour travailler en réseau et mieux amortir les investissements. Si le million d'artisans s'approprie les apports du numérique pour se délivrer des charges administratives et répondre aux nouvelles demandes des particuliers, notre taux de chômage diminuera. Si l'innovation dans les micro-entreprises prend trop de temps, il ne diminuera pas.

Aux États-Unis, près de la moitié des emplois créés et plus de la moitié du taux de croissance viennent des micro-entreprises et des innovations issues des nouvelles technologies.

Dernier exemple : le Mondial de l'automobile est un succès. Les foires, salons et congrès sont une force quasi ancestrale en France. Mais si nous vivons sur nos seuls acquis, si, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, nous n'évoluons pas, Berlin, Barcelone et Pékin nous dépasseront.

Créer des activités nouvelles dans les services est la réponse dynamique aux délocalisations.

J'ai remis à M. le Premier ministre et à vous-même, monsieur le ministre d'État, un rapport sur la compétitivité numérique des PME. Depuis, et sans attendre les budgets promis, parce qu'il est urgent de mobiliser les PME, j'ai monté plus de sept opérations pilotes avec autant de fédérations nationales. Ces opérations se dérouleront dans plus de vingt départements. La mobilisation de tous les partenaires est exemplaire. Car c'est la première fois que, à mon initiative, nous réunissons au sein d'une même équipe tous les acteurs, des fournisseurs aux bénéficiaires, du privé au public, pour un même enjeu vital.

Cette dynamique d'activités nouvelles illustre bien combien nous pouvons ensemble, en France, compenser très largement la morosité et les pertes d'emplois liées aux délocalisations.

Mesdames, messieurs, pour votre soutien, pour cette union sans laquelle nous ne gagnerons rien, pour votre écoute enfin, je vous dis merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le ministre d'État, quel but poursuivez-vous avec ce débat ? Cherchez-vous à nous faire oublier l'échec de votre politique économique ? Il faudrait davantage qu'une matinée.

M. Richard Cazenave. Ça commence mal !

M. David Habib. Entendez-vous organiser notre riposte à la désindustrialisation ? Il faudrait une politique et des moyens, et non un simple constat habilement dressé un mardi d'octobre, constat que du reste nous partageons, osons le dire sincèrement, sur le fait que la désindustrialisation est un sujet cardinal, qu'elle n'est pas un épiphénomène et qu'elle est la première préoccupation des Français. Vous avez également raison de pointer - je m'adresse au ministre responsable de cette administration - les insuffisances de nos outils statistiques, faiblesse récurrente mise en avant par nombre d'études depuis dix ans : nous avons une réelle difficulté à mesurer les phénomènes de désindustrialisation. Il conviendrait de mener une recherche particulière pour ne plus avoir à dresser de tels constats. Nous sommes également tout à fait d'accord sur le fait que la réponse ne se trouve pas dans la remise en cause des acquis sociaux ou des coûts salariaux. Nous partageons par ailleurs votre analyse des effets pervers de l'intégration européenne, même si nous n'en tirons pas les mêmes conséquences.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est déjà mieux que Besson !

M. David Habib. Ce diagnostic sympathique et juste est toutefois, vous le savez, en décalage par rapport à la réalité et à votre politique. Vous avez parlé de combativité, pour l'opposer à la posture libérale du laisser-faire. Mais qu'a fait ce gouvernement pour contrer le démantèlement de notre filière bois ou la disparition de notre industrie de l'aluminium ? Combien d'Alstom pour un Pechiney, un GIAT ou un Metaleurop ?

M. Didier Migaud. Eh oui !

M. David Habib. Et quelle est votre réaction, monsieur le ministre, face à la stratégie du groupe Total qui se sépare de la chimie ? Nous avons été nombreux à évoquer cette question dont je me suis souvent ouvert ici même. J'ai conservé toutes les déclarations de Thierry Desmarest : En 1999, celui-ci déclarait que le projet de TotalFina reposait sur le refus de séparer les activités chimiques des activités pétrolières, en raison d'une part des synergies qui existent entre ces activités et, d'autre part, de la crainte que le nouveau groupe chimique qui émergerait alors ne dispose pas de moyens suffisants vis-à-vis de ses principaux concurrents. Son indépendance, ajoutait-il, serait à terme menacée. Que faites-vous, monsieur le ministre, lorsque la stratégie de M. Desmaret en 2004 vient démentir son propos et ses pronostics de 1999 ? Que fait le Gouvernement ? Nous attendons toujours sa réponse sans jamais avoir reçu jusqu'à présent le moindre signe de compréhension ni d'écoute.

De même, monsieur le ministre, faire de la lutte contre les délocalisations une priorité sans prévoir dans votre projet les moyens financiers qui crédibiliseraient votre volonté politique, c'est prêter le flanc à la critique.

Alors, comment assurer une meilleure attractivité ?

Il faut d'abord éviter de mener une politique fondée sur une double baisse : celle de la fiscalité et celle des coûts salariaux. Nous savons que cette politique est dans l'impasse.

On a aussi évoqué les choix économiques, notamment la nécessité de donner la priorité à la croissance, à la consommation intérieure : c'est ce que nous avions fait en obtenant des résultats significatifs en termes d'investissements, d'exportations et d'emplois. Il faut également soutenir l'innovation et la recherche, alors que, depuis trente mois, vous faites l'inverse. Il faut affirmer des stratégies industrielles et redécouvrir les vertus des stratégies de filières. Or vous abandonnez l'aluminium et nous attendons de connaître votre politique en la matière. Il faut également reprendre l'initiative sur la question des normes internationales, sur le développement d'accords internationaux visant à assainir la compétition entre les pays, entre les entreprises et entre les travailleurs. Vous savez que la France est, de ce point de vue, particulièrement absente des initiatives prises par le monde syndical européen. Et le gel de la loi sur la régulation sociale vous empêche de vous inspirer des suggestions de M. John Kerry en faveur d'un Jobs for America Bill qui obligerait les employeurs à prévenir trois mois à l'avance leurs salariés de tout plan comportant des délocalisations d'emplois. À cet égard, vous êtes donc confronté à un problème de cohérence. Nous vous demandons aussi de lutter contre les rigidités de notre système bancaire, lesquelles sont à l'origine de bien des difficultés de notre tissu industriel.

De plus, il convient de mettre en place une véritable politique d'amélioration de nos réseaux de communication. Il est vain d'appeler telle ou telle profession à se saisir des nouvelles technologies de l'information et de la communication quand nous voyons à quel point la fracture numérique est réelle sur notre territoire,...

M. Jean-Paul Charié. Très juste !

M. David Habib ....contraignant des industriels de premier plan à envisager - pour le coup, pour des raisons objectives - des réinstallations, faute d'arriver à obtenir des opérateurs informatiques les moyens qui leur permettraient de fonctionner convenablement.

Nous vous demandons également de soutenir l'émergence de grands groupes industriels. Nous savons tous ici que les deux tiers du commerce international sont constitués d'échanges entre les filiales d'une même entreprise.

Il faut revaloriser l'image de l'industrie. J'ai entendu, de part et d'autre ce matin, des suggestions sur ce point. Oui, nous devons lutter contre le phénomène Nimby, qui mine notre industrie et fragilise toute possibilité d'investissement dans un certain nombre de secteurs et dans plusieurs industries.

Nous devons enfin affirmer des stratégies régionales et locales. Évoquer les pôles de compétitivité et ne rien dire de la baisse sensible et dramatique des crédits Feder, c'est ici aussi, monsieur le ministre, prêter le flanc à la critique, se mettre en situation de faiblesse. Car nous savons tous aujourd'hui que la réponse est dans l'augmentation du budget européen et dans le développement de leviers financiers permettant d'assurer à ces territoires les moyens de leur mutation et de leur développement.

M. Jacques Myard. Ce n'est pas vrai !

M. David Habib. Telles sont, monsieur le ministre, les pistes de réflexion que j'ai voulu livrer. Mais, au-delà des phénomènes objectifs que nous avons mis en exergue, il y a un point sur lequel nous pourrions trouver un accord : il existe aujourd'hui une financiarisation de notre économie,...

M. Jacques Myard. Ça ne date pas d'aujourd'hui !

M. David Habib. ...à l'origine de bien des problèmes. Réalité de nos difficultés, elle en est aussi la clef.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Habib.

M. David Habib. C'est sur ce terrain-là que nous devons les uns et les autres travailler. Il convient de rappeler certaines valeurs qui appartiennent au pacte républicain : créer un emploi est une vertu, détruire un emploi est une faute ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Paul Charié. Mais non ! On ne peut pas créer des emplois sans être flexibles !

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre d'État, vous l'avez dit très justement : pendant longtemps, on a nié le débat sur les délocalisations ou, sans le nier complètement, on a limité le sujet à quelques secteurs particulièrement exposés. Or, aujourd'hui, c'est l'ensemble des secteurs de notre économie qui se sentent concernés. Aucun n'est épargné, même celui des services, comme on l'a vu avec les centres d'appel, ou ceux de haute technologie. Ainsi, l'Inde est aujourd'hui comparée à un pays où l'intelligence est gratuite. La question que se posent nos concitoyens est la suivante : demain, que leur restera-t-il ?

J'insisterai sur un autre secteur naguère épargné et désormais frappé de plein fouet par les délocalisations : celui de l'agroalimentaire. Il pouvait se sentir, il y a quelque temps encore, à l'abri, en raison des usages alimentaires qui créaient un protectionnisme de fait, et en raison des exigences en produits frais qui rapprochaient producteurs et consommateurs. Mais vous l'avez dit, monsieur le ministre, l'espace-temps est en train de voler en éclats. Ce secteur pouvait aussi se sentir épargné grâce à une politique européenne qui utilisait encore les mots « préférence communautaire », hélas complètement abandonnés.

M. Jacques Myard. La préférence communautaire n'existe plus !

M. Marc Le Fur. Aujourd'hui, la délocalisation menace l'agroalimentaire, les fruits et légumes, même les vins de qualité, et l'aviculture.

L'aviculture brésilienne, souvent créée de toutes pièces par des investisseurs français, voire européens, est en train de provoquer une concurrence déloyale. Oui à la concurrence, mais à condition qu'elle soit loyale. Et elle ne l'est pas !

M. Jacques Myard. Vous avez raison !

M. Marc Le Fur. D'un côté, on exige beaucoup de nos éleveurs en matière de traçabilité de leur production; de l'autre, nulle contrainte de ce type pour les produits importés. Les multinationales de la transformation et de la distribution habituent nos consommateurs à des produits très élaborés qui ont pour effet de masquer l'origine des produits de base. Nous avons ainsi assisté à l'arrivée massive, il y a quelques mois, de volailles découpées et saumurées en provenance du Brésil. L'Europe y a partiellement mis un terme, mais d'autres voies et d'autres filières pointent à l'horizon, en particulier avec l'arrivée de filets de dindes précuits, lesquels rentrent aussi dans la catégorie des produits élaborés. Il faut mettre un terme à de telles pratiques en faisant en sorte que le consommateur ait une parfaite connaissance de l'origine des produits qu'il achète. Il s'agit d'appliquer votre suggestion sur les centres d'appel, monsieur le ministre d'Etat, aux produits agroalimentaires : savoir d'où vient le produit. C'est aussi simple que cela. Mais l'Europe y met son veto.

Autre exemple : la filière légumes. Demain, la nouvelle PAC s'appliquera. Dans certains pays, comme la France, il y aura un découplage partiel de la production et des aides ; dans d'autres, comme l'Allemagne, le découplage sera total. Un céréalier allemand pourra alors cesser de produire des céréales tout en conservant le bénéfice des aides et, sur les terres libérées, faire de la production légumière, évidemment à moindre coût puisqu'il bénéficiera des aides. Il fera concurrence à nos producteurs de légumes qui, eux, ne les percevront pas. Cela créera un système de concurrence parfaitement déloyal. Il faudra mettre un terme à cette situation qui risque d'être dramatique, particulièrement pour des régions comme la Bretagne.

Autre exemple en matière de délocalisation : aujourd'hui, à Murcie, dans le sud de l'Espagne, est en construction un abattoir d'une capacité de traitement de 18 000 porcs par jour. Il sera deux fois et demi plus gros que le principal abattoir français, Olympig, situé dans le Morbihan. Cet abattoir espagnol est d'un coût de 95 millions d'euros. Là où le bât blesse, c'est que les crédits européens assurent 50 % de son financement, parce que le sud de l'Espagne est encore situé en zone d'objectif 1. Il est donc patent que certaines aides européennes faussent la concurrence au détriment de nos propres produits. Il est temps pour les régions de l'agroalimentaire, et je plaide en particulier pour la Bretagne, de réfléchir à la création d'un pôle de compétitivité agroalimentaire qui nous permettrait de réagir.

M. Jacques Myard. Il faut supprimer les fonds structurels ! Ça ne sert à rien !

M. Marc Le Fur. Nos compatriotes s'interrogent aussi, il faut bien le dire, sur la politique européenne elle-même. J'en viens aux négociations actuelles sur le Mercosur, lancées par M. Lamy, qui était encore aux commandes il y a quelques semaines. Il est proposé d'ouvrir aux pays d'Amérique latine, en particulier au Brésil, des quotas d'importation : 100 000 tonnes de viande bovine. 75 000 tonnes de viande de volaille, alors que ce secteur est particulièrement fragile. Un million de tonnes de bio-carburants, au risque de tuer dans l'œuf une filière que nous voulons construire.

M. Jacques Myard. Vous avez raison !

M. Marc Le Fur. Voilà des faits extrêmement graves et qui révèlent un phénomène dont notre monde agricole et agroalimentaire est de plus en plus conscient : l'agriculture est perçue comme une sorte de monnaie d'échange,...

M. Jacques Myard. Une variable d'ajustement !

M. Marc Le Fur. ...que l'on abandonne, dans le cadre de négociations internationales, à des pays tiers, en contrepartie de l'exportation de nos produits de haute technologie.

Je conclurai par une anecdote, mais elle est révélatrice : un fax parvient actuellement dans un certain nombre d'entreprises agricoles bretonnes. Il émane de Pologne et propose des ouvriers saisonniers à 5 euros de l'heure. Monsieur le ministre d'État : 5 euros de l'heure !

M. Jean-Paul Charié. Impossible ! On n'a pas le droit de les employer !

M. Jacques Myard. Si, on a le droit !

M. Marc Le Fur. Le salaire est théoriquement au SMIC, comme le mentionne le fax, mais l'astuce est la suivante : les agriculteurs pourront louer à leurs salariés des appartements au prix fort, de façon à diminuer les coûts. Ce stratagème, mis en place par plusieurs loueurs de main-d'œuvre dans notre pays est, paraît-il, monnaie courante en Allemagne. Voilà des éléments qui faussent complètement la concurrence.

M. Jean-Paul Charié. Mais non !

M. Marc Le Fur. Mais si ! On affiche pour les travailleurs saisonniers un coût au SMIC, on leur fait payer des locations fortes, et le différentiel aboutit à un coût du travail de 5 euros de l'heure !

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. Monsieur le ministre d'État, vous avez relancé le volontarisme. Nous saluons cette attitude et l'UMP y adhère complètement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le ministre d'Etat, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, pour avoir pris l'initiative de ce débat devant la représentation nationale.

« Lorsque le sage montre l'horizon, l'imbécile regarde le doigt. » Il est trop facile, en effet, de dénoncer les délocalisations, voire d'évoquer leur interdiction, sans en analyser les causes et sans rechercher les remèdes. Notre collègue Sébastien Huygue n'a pas cédé à ce travers dans son rapport sur l'attractivité du territoire. Un nombre croissant d'entreprises françaises fait fabriquer ses produits dans des pays à faible coût de main-d'œuvre. Tous les secteurs sont concernés. Cinq millions d'emplois sont ainsi menacés en Europe par les délocalisations dans les secteurs traditionnels des produits industriels de grande consommation, habillement, jouets électroniques et bien sûr textile, mais aussi, cela a été dit, dans les services. Très intensifs en main-d'œuvre, les secteurs manufacturiers traditionnels ont perdu, entre 1989 et 2001, 500 000 emplois. Le secteur textile-habillement français comptait près d'un million de salariés dans les années 1960 ; ils ne sont plus que 200 000 aujourd'hui. Ces pertes d'emplois n'ont fait que s'amplifier ces six dernières années : le textile employait 130 0000 salariés en 1996, et seulement 107 000 en 2002 ; entre mars 2003 et mars 2004, 8,9 % des effectifs de ce secteur ont été perdus, soit 10 000 emplois. Ma région en sait quelque chose.

Le secteur du textile, de l'habillement et du cuir a été un des premiers à délocaliser après avoir subi, dès le début des années 1960, la concurrence des pays à bas salaires. La délocalisation des lignes de production, dans un premier temps principalement vers le Maroc et la Tunisie, a été lourde de conséquences économiques et sociales, car ces activités étaient implantées dans les régions traditionnellement industrielles, dont les populations étaient habituées, depuis des décennies, à des emplois sans qualification. Et, vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, celles-ci subissent le chômage de la cinquantaine comme un épouvantable drame. Aujourd'hui encore, le Nord-Pas-de-Calais et la région Rhône-Alpes emploient 43 % des effectifs des industries textiles : l'enjeu pour ces deux régions, pour mon département du Nord, en particulier pour Roubaix-Tourcoing, est crucial. En effet, ce secteur connaît un grand nombre de défaillances d'entreprises en raison de la concurrence des zones à bas salaires comme le Maghreb, spécialisé notamment dans la découpe et l'assemblage de tissus, la Corée et le Vietnam, très présents dans le secteur du vêtement de travail, l'Inde et la Thaïlande, dans la confection et, de plus en plus, la Chine. Dans ce dernier pays, les investissements dans le textile constituent une nécessité économique à deux égards : pour absorber tous les ans quinze millions de jeunes sur le marché du travail et faire rentrer des devises étrangères.

Dans ce contexte, les délocalisations revêtent trois formes.

C'est d'abord la recherche d'une meilleure compétitivité par les coûts, à l'exemple de la délocalisation des activités de confection dans le bassin méditerranéen ou dans l'Est de l'Europe. Celle-ci peut être positive si elle permet, au sein d'un même groupe, de préserver des emplois chez nous.

C'est, en second lieu, la délocalisation d'activités dans des régions plus éloignées, comme l'Asie, où il s'agit de conquérir des marchés.

Mais c'est, enfin, le sourcing, qui consiste, pour un donneur d'ordres français, à se fournir à l'étranger dans les pays à bas salaires. C'est cette dernière forme qui est, évidemment, totalement négative.

Les causes des délocalisations sont connues. Elles reposent surtout sur le poids de nos charges sociales et fiscales, et ce à trois niveaux : celui de l'impôt sur les sociétés, celui de la fiscalité locale - je pense ici particulièrement, bien sûr, à la taxe professionnelle - et enfin celui du poids des charges sociales pour les employeurs, qui constituent un réel frein à la création d'emplois dans les secteurs à forte main-d'œuvre, où la concurrence internationale n'a jamais été aussi forte.

À cette fiscalité surabondante viennent s'ajouter, d'une part, un environnement administratif dont les lourdeurs sont accablantes et peu sécurisantes pour les entreprises, et, d'autre part, une durée hebdomadaire du travail en France qui ne peut être confrontée à celle des pays concurrents.

Je voudrais citer, à propos de la lourdeur administrative et fiscale, cet exemple d'un tissage d'Halluin, en difficulté, qui réalise néanmoins sa station d'épuration et se voit ensuite gratifier d'une augmentation de la taxe foncière de 30 %. De quoi vous décourager d'être un bon élève !

Les délocalisations ne sont pas pour autant une fatalité économique. Il faut distinguer entre les causes qui ne dépendent pas de nous et celles qui sont de notre fait. C'est à l'égard de ces dernières qu'il faut proposer une alternative économique aux délocalisations.

L'investissement doit être soutenu dans les technologies et le développement de la qualité. Je pense ici à cette entreprise de ma circonscription, Tissavel, à Neuville-en-Ferrain, qui a racheté son concurrent allemand pour l'optimiser et le relocaliser chez nous. Cela aussi, c'est possible.

On peut distinguer trois grandes solutions.

D'abord, la baisse des coûts. L'industrie textile, qui doit investir de plus en plus, gagnerait beaucoup à la suppression de la taxe professionnelle. Mais cette solution, la baisse des coûts, a des limites dans un pays structurellement socialiste, où la dépense publique se situe à 54 % de la richesse nationale.

En second lieu, on pourrait imaginer d'absorber une partie de la différence des coûts liée aux charges sociales et environnementales dans une TVA qui pénaliserait les importations et favoriserait nos exportations. Cela a été évoqué tout à l'heure par Francis Vercamer. C'est une solution qui a été soulignée par Georges Chavannes dans son rapport à l'Assemblée nationale sur les délocalisations à l'étranger en 1993. Mais cette solution n'est plus à l'ordre du jour, malgré les droits de douane exorbitants de certains pays comme l'Inde : 87,8 % !

En troisième lieu, on peut aussi et surtout pratiquer une stratégie de l'innovation. C'est dans ce sens, monsieur le ministre, que va votre initiative de création de pôles de compétitivité alliant recherche, formation et production, créativité et allégement de la fiscalité. Cette solution a le mérite d'envisager l'économie non comme un stock à sauvegarder ou à partager, mais comme un flux à recréer sans cesse. C'est dans ce sens que je vois l'avenir du textile. Et je souhaiterais pour ma part qu'à Roubaix-Tourcoing puisse être implanté un pôle de compétitivité tourné vers les textiles innovants.

Il me faut toutefois, là encore, souligner les limites de l'exercice, puisque la règle bruxelloise du de minimis impose un maximum d'allégement de la taxe professionnelle de 100 000 euros sur trois ans. Demain, en 2005, ce sera la fin des quotas. La Chine a déjà triplé sa part de marché dans le textile-habillement européen, en passant en trois ans de 5 à 16 %. C'est dire l'importance du défi que nous avons à relever aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. À quel point de désarroi cette majorité et ce gouvernement n'en sont-ils pas arrivés pour qu'ils soient obligés, ce matin, j'allais presque dire à la première heure, d'organiser un débat sur les délocalisations, qu'ils placent désormais au centre de toutes leurs préoccupations politiques et économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Heinrich. Ce n'est pas comme vous, en effet !

M. Gaëtan Gorce. Sans doute avez-vous besoin de trouver de nouveaux boucs émissaires pour expliquer votre échec économique et votre échec social.

Votre échec économique, au regard du débat que nous avons ce matin, il est, d'une certaine manière, cinglant. Car c'est la première fois depuis dix ans qu'en 2003 - et ce sera hélas probablement le cas aussi en 2004 - des emplois ont été supprimés en France : des emplois industriels, près de 100 000, mais aussi dans d'autres secteurs. Autrement dit, au moment même où vous nous expliquez que vous allez réarmer notre économie, nous faisons le constat de votre échec, qui se traduit par des destructions d'emplois, notamment dans le secteur industriel.

Le corollaire de cet échec économique est naturellement l'échec social : la montée du chômage, la montée de l'exclusion, présentées, d'une certaine manière, comme un handicap supplémentaire pour notre économie, mais contre lesquelles aucune action résolue n'est véritablement engagée.

Ni vous, monsieur le ministre, ni votre majorité ne nous ferez croire que les délocalisations seraient responsables de votre échec économique et social. Vous ne nous ferez pas croire non plus, car c'est bien là l'opération à tiroirs dans laquelle on cherche à nous entraîner, que ces délocalisations, qui sont un problème réel, s'expliqueraient par les excès de notre droit du travail, de nos règles sociales, de nos réglementations, qu'en somme, et c'est bien ce qui a été dit par de nombreux orateurs sur vos bancs, ces délocalisations devraient servir de prétexte à la remise en cause de notre droit du travail. Car derrière le mot de flexibilité, il faut naturellement entendre déréglementation, remise en cause des protections et des garanties. Et cette solution que vous préconisez, elle n'est pas motivée par la lutte contre les délocalisations, mais par la poursuite du combat idéologique que vous menez depuis des années contre ces dispositions, avec naturellement, à la pointe de votre contestation, la question des 35 heures.

Vous ne nous ferez pas admettre que votre échec peut s'expliquer autrement que par la politique que vous avez conduite, ni que ces délocalisations s'expliqueraient par l'importance des déficits et la montée du chômage. J'ai entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie et des finances nous dire que c'est le poids excessif de ces déficits qui empêcherait d'investir dans les activités d'avenir. Mais ne faut-il pas en réalité inverser la proposition ? N'est-ce pas justement lorsqu'il n'y a pas suffisamment de croissance, et donc d'investissement dans la recherche et l'innovation, que nous avons ces déficits et cette montée du chômage ? Est-ce que, finalement, ce débat ne marche pas un peu sur la tête, en tout cas au regard des préoccupations que nous devrions avoir si nous cherchions des réponses concrètes ?

Ces réponses concrètes, dans quelles directions devons-nous les chercher ? D'abord, s'il ne faut pas sous-estimer la question des délocalisations - elle est centrale dans beaucoup de nos régions, et dans le secteur industriel -, il ne faut pas non plus chercher, je le disais, à en faire un bouc émissaire de vos échecs. Pas plus qu'il ne faut chercher à faire de celles et ceux qui entrent aujourd'hui en concurrence avec nous les boucs émissaires de nos propres difficultés économiques. Rien ne serait plus redoutable. C'est évidemment pratique sur le plan politique, mais c'est dangereux, à moyen ou à long terme, de désigner les pays qui sont récemment entrés dans l'Union européenne comme les responsables d'une concurrence sans règles et déloyale, ou de reprocher, comme cela a été fait dans ce débat - j'ai entendu de nombreux orateurs manifester cette tentation -, à d'autres pays, à l'extérieur des frontières de l'Union, de vouloir assurer leur propre développement, de vouloir trouver leur place à la table de la croissance mondiale, laquelle reste encore malheureusement si faible.

Pour répondre au problème, il faut donc éviter de le détourner en montrant du doigt des boucs émissaires. Il faut mener une politique active, qui doit reposer sur trois piliers. Cette politique n'est d'ailleurs pas spécifiquement destinée à lutter contre les délocalisations, même si elle doit faire entrer en ligne de compte ce problème particulier : elle doit être globale.

Son premier pilier est celui de la croissance. Si nous sommes confrontés, parmi d'autres problèmes, à celui des délocalisations, si certaines de nos entreprises sont tentées de chercher des marchés à l'extérieur, si elles vont parfois chercher à l'étranger certaines conditions d'organisation du travail, c'est parce que nous avons, sur le continent européen et dans nos frontières hexagonales, une croissance insuffisante. C'est l'atonie de la croissance qui explique pour une part les difficultés de notre industrie. Ne nous réfugions pas derrière le prétexte trop facile de la désindustrialisation de notre société. On sait bien que beaucoup d'emplois de services sont directement liés à l'activité industrielle, qui les a simplement externalisés. La vraie question, c'est de savoir comment nous soutenons notre croissance. Nous pouvons le faire par le pouvoir d'achat, sans doute, et donc pas par la politique fiscale et budgétaire que vous développez. Mais d'abord, nous le ferons en investissant massivement dans la recherche et l'innovation. Le retard de productivité que soulignait à juste titre le ministre tout à l'heure par rapport aux États-Unis est imputable pour l'essentiel à ce retard d'investissement, de production, de diffusion des nouvelles technologies. Or ce gouvernement a mené, depuis deux ans et demi, une politique qui a réduit les moyens de la recherche et de l'innovation.

Deuxième axe : plus de concertation sociale. Il ne faut pas remettre en question les règles sociales mais au contraire en créer de nouvelles, qui passent sans doute par le dialogue et la négociation. Une clause doit amener les employeurs à assumer leur responsabilité sociale dans les territoires où ils investissent. Il faut associer les partenaires syndicaux aux décisions de restructuration qu'ils prennent. À cet égard, on aimerait voir le Gouvernement nous faire plus rapidement des propositions en matière de lutte contre les licenciements collectifs et les restructurations, alors que le projet de loi est en attente depuis plusieurs mois et que la négociation sociale sur ce sujet est en échec.

Enfin, il nous faut plus de cohésion. Car comment peut-on espérer faire en sorte que notre économie et notre industrie se développent s'il n'y a pas une coopération industrielle au niveau européen ? Et c'est d'abord une coopération franco-allemande qui est nécessaire. Malheureusement, les exemples donnés en la matière par le ministre de l'économie et des finances laissent à désirer. Mais c'est ensuite, plus largement, une coopération européenne qu'il nous faut mettre en place. Cela suppose, contrairement à ce que disait tout à l'heure M. Myard, que plus de moyens soient investis pour la cohésion territoriale des pays entrants. Vingt-deux euros par habitant, voilà ce que nous allons dépenser pour accueillir dix pays dont le produit intérieur brut est de moitié inférieur au nôtre, et parfois plus bas encore. Voilà l'effort que nous allons consentir ! Un peu plus de 100 euros par habitant, voilà ce qu'ils vont toucher,...

M. le président. Il faut conclure, monsieur Gorce.

M. Gaëtan Gorce. ...alors que l'Espagne, le Portugal ou la Grèce continueront à toucher plus. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons pour lesquelles nous avons aujourd'hui des craintes.

Pour conclure, monsieur le président, je dirai que je ne voudrais pas qu'il ressorte de ce débat le sentiment que nous sommes menacés par plus pauvres que nous, par moins qualifiés que nous, par moins dynamiques que nous. C'est en nous-mêmes que nous devons trouver, pour une part, les ressources nécessaires. Ce qui suppose que lorsqu'on a le pouvoir, on l'exerce. Il ne faut pas, monsieur le ministre, que vous nous disiez ce qu'il faut faire, il faut que vous le fassiez. À cet égard, vous allez délocaliser le ministère de la parole de Bercy au siège de l'UMP : ce n'est peut-être pas le meilleur moyen de concrétiser les propos que vous avez tenus ce matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C'est facile !

M. le président. La parole est à M. Gérard Hamel.

Je vous demande, mes chers collègues, de respecter strictement le temps de parole qui vous est imparti.

M. Gérard Hamel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, il était temps, en effet, que notre assemblée puisse avoir ce débat consacré aux délocalisations et à l'attractivité de notre pays. Nous allons ainsi pouvoir répondre à certaines déclarations simplistes. Y a qu'à interdire les délocalisations, y a qu'à interdire les licenciements, y a qu'à, y a qu'à ! Ces déclarations s'inspirent d'un seul et même principe, la démagogie, et traduisent l'incapacité de leurs auteurs à apporter des réponses sérieuses. Car enfin, si ces solutions miracles existent, j'aimerais que l'on m'indique dans quel pays industrialisé et libre elles sont mises en œuvre.

Il convient plutôt, et plus sérieusement, de réfléchir et d'essayer d'apporter des réponses à ce problème des délocalisations, qu'elles se fassent d'ailleurs dans le secteur industriel ou dans le secteur tertiaire, ce qui est de plus en plus le cas. Je veux parler des centres d'appel, des services informatiques, de la comptabilité, entre autres exemples. Il me semble que quelques pistes devraient être prises en considération, qui nous permettraient de renforcer l'attractivité de notre pays.

À l'évidence, la perception économique de la France à l'étranger s'est considérablement dégradée. Les 35 heures, les complexités administratives, les contraintes sociales et fiscales sont autant de handicaps qui ont contribué à cette dégradation. Pourquoi, au contraire, ne pas capitaliser et promouvoir les réussites récentes en France : Toyota à Valenciennes, Alliance à Grenoble, Airbus à Toulouse ? Il ne faut pas attendre d'éventuels investisseurs, il faut prendre l'initiative d'une démarche marketing offensive et encourager des propositions de projets dans les nouvelles technologies.

Il faudrait parvenir à une harmonisation de la fiscalité, directe ou indirecte, en Europe. La plupart des délocalisations qui se font actuellement en direction de l'Europe de l'Est ne seraient pas rentables sans une incitation fiscale très avantageuse proposée par ces pays.

Il faut aussi favoriser la réduction du coût du travail par un ensemble de mesures permettant la réduction des charges salariales, une meilleure réponse aux fluctuations du marché et une meilleure perception de la valeur travail. Ne faudrait-il pas mettre en place une taxe sociale face aux pays qui exploitent la main-d'œuvre sans système social, quitte à reverser cette même taxe à ces pays pour qu'ils mettent en place chez eux ce système social.

Monsieur le ministre, il faut aussi lutter contre les délocalisations sauvages. Certes, elles constituent une minorité, mais elles ont des effets désastreux dans l'opinion publique. Il faut prendre des mesures contre des liquidations judiciaires ou les faillites abusives de certains groupes industriels qui font des profits. Il faut surtout rebondir sur les autres délocalisations. Les délocalisations structurelles doivent servir de moteur à l'innovation et au développement de nouvelles technologies.

Il conviendrait aussi de mieux maîtriser les plans sociaux liés aux délocalisations afin d'éviter que des entreprises soient incitées, du fait des lourdes contraintes sociales et financières, à préférer déposer leur bilan. On sait, dans ce cas, quelles sont les conséquences sociales dramatiques pour les salariés concernés.

De même, s'agissant des friches industrielles, obligation devrait être faite de les dépolluer avant le départ des entreprises. Après, ce n'est plus possible, le coût est trop important pour y implanter une nouvelle entreprise.

Il conviendrait aussi, dès l'origine du plan social, de fixer le prix de cession de l'immobilier entrant dans la structure du bilan de l'entreprise afin de favoriser la réindustrialisation du site. En l'absence de reprise pendant le plan social, je propose que l'immobilier revienne à la collectivité et tombe dans le domaine public pour l'euro symbolique.

M. Yves Nicolin. Très bien !

M. Gérard Hamel. Ce sont là, monsieur le ministre, quelques réflexions, parmi bien d'autres, qu'il conviendrait d'étudier et, pourquoi pas, de mettre en application le plus rapidement possible au profit de bassins de vie particulièrement touchés, comme l'est le mien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Nudant.

M. Jean-Marc Nudant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris sans réserve au constat - désastres humains, catastrophe économique pour la France - qu'ont dressé, ce matin, M. le ministre d'État et le président Ollier.

La situation de la deuxième circonscription de Côte-d'Or, durement touchée, peut se résumer de la façon suivante : Nobel Explosifs - SNPE - 158 salariés, cinquante-trois licenciements prévus, pour une délocalisation vers l'Espagne ; concernant la CITA, dont le départ est prévu pour la Roumanie, les cinquante emplois sont menacés ; chez Schneider, 400 sur 860 emplois sont menacés du fait de son départ pour Grenoble et pour l'Asie ; la délocalisation de Thomson Passive Components en Asie entraînera la suppression de 190 emplois sur 533, vingt-cinq des soixante-trois salariés de Francano disparaîtront du fait de son départ pour l'Europe de l'Est ; les Aciéries Val de Saône, qui fabriquent des pièces uniques de très haute technicité, dont les têtes des missiles Exocet ou les turbines de barrages, verront leurs soixante-quatorze salariés menacés. Merci, les 35 heures !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. David Habib. C'est facile !

M. Jean-Marc Nudant. Nous attendons beaucoup des propositions appuyées sur l'attractivité, la lucidité, la combativité, de l'efficacité des contrats territoriaux pour le développement économique et de l'emploi et des pôles de compétitivité, largement évoqués.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces propositions créatives, constructives, positives pour un très proche avenir. Notre confiance est à la hauteur de nos espérances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie !

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, « délocalisations et attractivité de la France », dès la lecture de l'intitulé de ce débat, on pressent une dérive rendue possible par le discours libéral ambiant. Serions-nous devenus moins compétitifs aujourd'hui ? Certains diabolisent les 35 heures. Faut-il travailler plus ou travailler pour une misère ? Dans ce cas, il faudrait vraiment travailler beaucoup plus ou gagner vraiment beaucoup moins, compte tenu des différences de coût de la main-d'œuvre d'un pays à l'autre dans le monde aujourd'hui. Le problème est beaucoup plus complexe. Des exemples récents confirment l'excellente deuxième place de la France en matière d'investissements étrangers. Concernant ma région, Mercedes-Smart, PSA - Peugeot-Citroën - et ThyssenKrupp, dans ma propre commune, se trouvent dans une situation florissante. Il en va de même de l'implantation, voici peu, de Toyota à Valenciennes. L'histoire de la Lorraine sidérurgique est éloquente. Ces trente dernières années, elle a perdu environ 90 % de ses emplois. Les causes en sont multiples : arrêt de l'exploitation des mines de fer, apport de minerais extérieurs, marchés émergents sur d'autres continents, gains de productivité énormes entraînant des suppressions d'emplois massives, exigence d'une rentabilité toujours en hausse de la part des actionnaires. Le chômage ne se résume donc pas aux délocalisations, loin s'en faut, et encore moins aux 35 heures, bien au contraire. Les délocalisations soulèvent cependant un véritable débat.

En revanche, quatre aspects me paraissent devoir être soulignés. D'abord, il nous faut être au top en matière de qualité des produits : en Lorraine, ce qui reste de la sidérurgie sont des unités de production aux produits nobles et performants, comme l'entreprise Corus, qui fabrique les rails du TGV. En matière de recherche, les moyens mis en œuvre aujourd'hui en France sont-ils suffisants ?

Il faut ensuite que les pouvoirs publics et les collectivités territoriales soient réactifs, donc attractifs. J'ai cité, il y a un instant, ThyssenKrupp. En fait, cette entreprise a repris les locaux d'un groupe tristement célèbre en Lorraine et en France - Daewoo - qui n'est plus, aujourd'hui, qu'une pièce de théâtre présentée au Festival d'Avignon. ThyssenKrupp, projet exemplaire, est le produit d'une véritable politique industrielle volontariste, de l'État aux collectivités locales, en passant pas les fonds structurels européens, avec des acteurs publics disponibles, le moment venu, pour faciliter l'installation ou le développement de l'entreprise. Daewoo a été, certes, créatrice d'emplois, mais ceux-ci coûtent cher. Tous les groupes parlementaires s'accordent sur la nécessité d'inscrire dans la loi le principe de la sanction pour les entreprises cessant leur activité moins de cinq ans après avoir perçu les aides à l'installation dans les zones rurales. Il faut aller plus loin. Ce serait un signe fort en direction de ces capitaux flottants avides de spéculation et de profit, au détriment des hommes et des femmes qui, eux, travaillent.

Pour que nos entreprises restent attractives, les personnels doivent être formés et reconvertis quand il le faut. Cette exigence ne peut relever que d'une politique exemplaire impulsée par l'État en matière d'éducation nationale, mais aussi de formation continue. Le sort réservé à l'éducation nationale par ce gouvernement ne nous pousse pas à l'optimisme. N'oublions pas que nous battons les records du chômage pour les moins de vingt-cinq ans !

Enfin, l'État doit être porteur d'une véritable politique industrielle. Or ce gouvernement laisse faire, recherche sans doute à travers ce débat un plan de communication qui lui donnerait une image presque sociale. Peut-il, d'ailleurs, chercher plus ? Je rappellerai, à titre d'exemple, la question que j'ai posée, il y a deux ans, au ministre de l'industrie de l'époque, après l'annonce anticipée de la fermeture des derniers hauts fourneaux de Lorraine. Cinq à huit ans nous séparaient, à l'époque, de l'échéance, quatre à cinq ans aujourd'hui. La réponse fut lapidaire et, depuis, la stratégie des actionnaires est impitoyable.

Vous avez, monsieur le ministre d'État, dénoncé le discours fataliste sur l'industrie sidérurgique. Malheureusement, les faits sont là. À aucun moment, le Gouvernement ne s'est intéressé à cette question et ne s'est mobilisé, quoi que vous en disiez. Sans fausse naïveté, qu'il me soit permis de vous suggérer de regarder à l'est de la France ce que réalise un petit État, plus connu pour ses banques que pour son socialisme : je veux parler du Luxembourg et de son projet transfrontalier Esch-Belval, avec pour objectif la création de 20 000 emplois sur une ancienne friche industrielle pour la génération des vingt à trente ans.

M. Hervé Novelli. Et la fiscalité ?

M. Yves Nicolin. Combien y a-t-il d'impôts ?

M. Michel Liebgott. L'initiative en revient à l'État luxembourgeois, qui a assuré la reconversion d'une région hier encore intégralement vouée aux mines et à la sidérurgie. De l'autre côté de la frontière, l'État français sera-t-il à la hauteur de ce défi, même s'il n'est malheureusement pas à son origine, ce que nous regrettons, car il ne participe même pas au capital d'ARCELOR ? Contrairement aux gouvernements luxembourgeois, belge et espagnol, l'État se désintéresse de ce secteur. Saura-t-il, avec la région et le département, créer des conditions similaires d'accueil du côté français ? Sans cet environnement politique et économique, aucun gros projet industriel ne verra le jour de notre côté de la frontière. Malheureusement, encore aujourd'hui classée en objectif 2 sur le plan économique, cette région, comme beaucoup d'autres, voit avec angoisse apparaître le mouvement de sortie du dispositif et, plus encore, émerger une politique de plus en plus libérale qui permet aux régions les plus riches de continuer de prospérer et de creuser irrémédiablement l'écart qui les sépare des régions les plus pauvres. Les Français sont heureux de trouver du travail au Luxembourg, ils aimeraient pourtant aussi en trouver en France. Il faut, pour cela, de la volonté politique. Alors, mobilisons-nous ! Le Gouvernement doit définir une vraie politique industrielle avec une implication de l'État pour aider les entreprises à se développer en France. N'est-il pas surprenant d'entendre le Président de la République déclarer, en Chine, que l'État doit s'impliquer dans l'aide à l'implantation d'entreprises Françaises dans ce pays ? Très bien, mais qu'il le fasse aussi et surtout en France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, en tant que président du groupe d'études de notre assemblée sur l'industrie de la chaussure, du textile et de l'habillement, je me préoccupe depuis longtemps de ce problème. Le phénomène des délocalisations n'est pas récent. Les industries de main-d'œuvre le vivent depuis près de vingt ans, notamment dans le textile. L'élu de Roanne, capitale du textile- habillement, que je suis le sait. Je n'ai eu de cesse d'alerter les pouvoirs publics depuis ma première élection à l'Assemblée nationale en 1993.

En 1996, la première prise de conscience gouvernementale pour le textile-habillement fut la suite logique du rapport que j'avais remis au Premier ministre de l'époque, Alain Juppé. Le plan d'allégement des charges - plan Borotra - donna alors au secteur textile-habillement, en difficulté, une bouffée d'oxygène. Ce fut une première réponse. Toutefois, l'arrivée au gouvernement de Lionel Jospin a mis un terme à ce dispositif. Il aura fallu attendre votre installation au ministère de l'économie pour que le sujet de la désindustrialisation de notre économie soit remis sur la table avec la proposition de créer des pôles de compétitivité. Les esprits grincheux vous reprocheront sûrement toutes vos actions, monsieur le ministre, mais je préfère saluer celle-ci. En effet, s'il existe de bonnes délocalisations, notamment pour attaquer les marchés des pays émergents, force est de constater que d'autres sont malheureusement plus nuisibles à notre économie et à l'emploi. Soyons honnêtes : les délocalisations ne touchent pas que la France, mais l'ensemble des économies occidentales, au profit des pays émergents dits à bas coûts de salaires. Si nous ne voulons pas assister à une désindustrialisation massive, l'Europe, et j'insiste, doit traiter ce problème de façon énergique, cohérente et pragmatique. Il convient tout d'abord de faire respecter le marché communautaire en appliquant strictement les règles de réciprocité douanière et en protégeant le marché européen. Nous devons aussi aider les dix nouveaux pays européens à se mettre socialement et économiquement au diapason. Le salaire horaire dans la moyenne de l'Union européenne s'élève à 16 euros, contre 2 euros dans les dix nouveaux pays membres, soit une différence de 800 %. Quant à la durée du travail, elle est, par exemple, de 1 561 heures par an en France, mais de 2 012 heures en Hongrie, ce qui signifie que, chaque année, le salarié hongrois travaille 451 heures de plus que son homologue français. Comment faire l'Europe dans ces conditions ?

Enfin, les fonds européens doivent être réorientés vers les territoires en déprise industrielle. Mais l'harmonisation des niveaux de vie intracommunautaires doit être un objectif concourant à éviter les délocalisations au sein de l'Europe. En cela, l'arrivée de pays comme la Turquie pose un autre type de problème, puisque les écarts de revenus entre des pays comme la France et la Turquie restent très élevés, notamment dans l'industrie. On ne pourra donc régler le problème de l'intégration de la Turquie dans l'Europe qu'après avoir commencé à résoudre celui de la disparité salariale.

La réponse que vous apportez, monsieur le ministre d'État, correspond à une vision offensive de lutte contre les délocalisations. Elle vise à donner des avantages aux secteurs spécialisés pour leur permettre de se dynamiser et de retrouver ou de développer leur compétitivité. Une région comme le Roannais, qui rassemble toute une filière en proie au doute sur son avenir, envisage très favorablement ce dispositif.

La lutte contre les délocalisations passe aussi par d'autres dispositifs complémentaires. Nous avons évoqué tout à l'heure la création de nouveaux gisements d'emplois. Je souhaiterais ajouter une autre piste, notamment celle de la mise en place de plans de formation et de réorientation professionnelle, pour permettre à ceux qui devront quitter le secteur dans lequel ils travaillent quelquefois depuis des décennies de se reconvertir, l'alternative n'étant que le chômage, malheureusement durable pour beaucoup. Comment, en effet, réorienter professionnellement la piqueuse en bonneterie qui usine depuis l'âge de seize ans et approche de la cinquantaine ? Quelles sont ses chances de retrouver un emploi dans une autre branche sans plan spécifique d'orientation et sans nouveau gisement d'emplois ?

Lutter contre les délocalisations et la peur de nombreux salariés passe aussi par ce type d'action.

Je terminerai par un plaidoyer en faveur de la différenciation des charges fiscales et sociales pour les entreprises de main-d'œuvre. Notre pays traite de la même façon sur le plan des charges sociales une entreprise de main-d'œuvre où le coût de celle-ci représente 70 à 80 % du coût de revient d'un produit et celle où ce poste ne représente que 10 ou 20 %. Comment favoriser ces entreprises qui emploient plus de main-d'œuvre que d'autres sans leur donner un avantage lié aux charges ? Certes, Bruxelles est défavorable aux aides sectorielles, mais cette doctrine devra évoluer si nous voulons, en Europe, disposer encore de la présence d'entreprises de main-d'œuvre fortement génératrices d'emplois.

Vous apportez aujourd'hui, monsieur le ministre d'État, une réponse au phénomène nocif des délocalisations. Puisse l'Union européenne prendre conscience de l'ampleur du phénomène pour y répondre à son tour. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Gallez.

Mme Cécile Gallez. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je voudrais donner quelques exemples de mon vécu s'agissant du maintien des entreprises en difficulté et essayer d'en tirer des conclusions pratiques qui, je l'espère, pourront être utiles.

Depuis plus de six mois, en qualité de première vice-présidente de la communauté d'agglomération de Valenciennes métropole, chargée du développement économique, je m'acharne à éviter les délocalisations et les fermetures d'entreprises. Car, il y a vingt-cinq ans, notre secteur a subi 20 000 suppressions d'emplois : le taux de chômage y a très longtemps atteint 22 % et, malgré des implantations récentes importantes, il est encore de 14,5 %.

C'est beaucoup trop et il est hors de question d'accepter les fermetures d'entreprises. Nous y employons toute notre énergie en essayant de trouver des solutions sans faire appel à des aides directes de l'État.

Je pense tout d'abord aux entreprises « monoproduit » qui fournissent des pièces pour le transport ferroviaire. Elles ont d'autant plus de mal à investir que les grosses entreprises exigent de leurs fournisseurs une baisse des prix de 30 %. À l'heure où l'on veut développer le trafic de fret et de voyageurs par le rail, pourquoi la France ne commande-t-elle pas davantage ?

Mon deuxième exemple concerne un fabricant d'aéroréfrigérants. Il produit actuellement 100 000 heures par an et, pour survivre, doit passer à 150 000 heures. Il a regroupé ses activités dans notre région, souhaite garder ses 150 employés et parle même d'en recruter 25 en trois ans. À cet effet, il apporte des fonds propres et, grâce à un tour de table initial, la FINORPA et la région lui avançant une aide remboursable, l'agglomération octroie à son tour une exonération de TP sur process. Dès lors, les banques suivent. Cependant, après réunion de son conseil d'administration, la FINORPA décide de ne pas donner suite, la région abandonne à son tour et le plan tombe à l'eau. Rassurez-vous : j'essaie de rattraper les choses. Mais ne pourrait-on pas, quand un site ferme, transférer les quatre mois de SMIC au capital d'une société de conversion, ce qui donnerait confiance aux banques ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Bonne idée !

Mme Cécile Gallez. Troisième exemple : lorsque des bâtiments se vident à cause d'une délocalisation, ne pourrait-on également créer une société d'investissement régionale, ce qui résoudrait le problème de la reprise des sites en permettant de réemployer immédiatement 30 à 50 % des effectifs ? Il faudrait alors mettre en place un contrat global intégrant le volet immobilier, la formation du personnel et la reconstruction.

La PAT, prime d'aménagement du territoire, n'est pas facilement accordée aux petits équipementiers qui ne créent que 30 à 40 emplois et les collectivités locales doivent aider ces derniers par des baisses énormes des prix des terrains et des avances sur exonération de TP.

Il faudrait aussi accorder des crédits d'impôts et des exonérations de TP, tout particulièrement en cas de création ou de reprise d'activité par un jeune, car les banques sont très frileuses. Je suis obligée de me déplacer spécialement auprès des services des impôts pour obtenir cet avantage, sans quoi il faut attendre l'avis du CORRI, le comité régional de restructuration industrielle, qui ne se réunit que deux fois par an. En fonction du nombre d'employés que comprend l'entreprise, c'est au CODEFI, au CORRI ou au CIRI qu'il faut faire appel, ces organismes regroupant des représentants du Gouvernement, de la Banque de France, de l'URSSAF, de la direction départementale du travail et de l'emploi, etc. Les demandes à ces organismes devraient pouvoir être transmises par écrit et l'absence de réponse dans les deux mois valoir accord, comme pour les permis de construire.

Enfin, le problème des exigences environnementales mérite d'être signalé. Prenons l'exemple d'une aciérie de mon secteur qui emploie 450 personnes, dont dépend forcément la tuberie voisine, ainsi qu'un laminoir, qui comptent respectivement 950 et 450 employés. Ces entreprises ont reçu une note de taxation supplémentaire pour rejet de CO2. Ce sont pourtant des aciéries électriques qui rejettent dix fois moins que les aciéries de conversion. De plus, le prix de la ferraille a triplé, celui de l'énergie électrique a augmenté de 30 % et ces entreprises doivent investir pour résister à la concurrence étrangère : l'une a triplé la capacité de son installation de captage ; l'autre veut augmenter la coulée continue de 600 000 à 750 000 tonnes. Une augmentation de taxe pour rejet de CO2 plomberait tout investissement et les obligerait à disparaître. Sans remettre en question la nécessaire protection de l'environnement, j'estime nécessaire d'assouplir certaines règles pour ne pas compromettre la survie des entreprises.

À partir de ces exemples concrets, je veux démontrer qu'il faut accompagner les entreprises en amont. Pour résumer, il convient de pouvoir agir par des crédits d'impôts ou des exonérations de TP - le Gouvernement a certes prévu des exonérations de TP sur les nouveaux investissements mais les entreprises en difficulté n'investissent pas ; de pouvoir alimenter des sociétés d'investissement régionales ; de mettre en place un contrat local global ; pour l'attribution des aides, de ne pas avoir à attendre l'avis d'une instance départementale qui ne se réunit que deux fois par an mais d'obtenir la réponse en deux mois ; de considérer que chaque entreprise rencontre des problèmes spécifiques. Parallèlement à tout cela, il importe bien sûr de poursuivre la réforme relative à la simplification administrative, de faciliter la transmission d'entreprise et de réduire les charges sociales.

Voilà le fruit de mon expérience du terrain mais aussi des remarques dont me font part les chefs d'entreprise de mon secteur, que je rencontre régulièrement et que je compte bien continuer à rencontrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Heinrich.

M. Michel Heinrich. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, mes propos ne porteront pas sur la définition des différentes formes, les raisons, les causes, l'ampleur plus ou moins importante des délocalisations et les angoisses qu'elles suscitent, car d'autres l'ont fait avant moi, mais sur deux défis que nous avons, entre autres, à relever.

Je suis persuadé qu'il nous faut faire prévaloir nos spécificités et nos compétences. Dans l'avancée vers la société de la connaissance, la puissance publique, qu'elle soit européenne, nationale ou régionale, doit tenir sa place. Une lutte efficace contre les effets néfastes des délocalisations sur l'emploi nécessite la mise en œuvre de politiques structurelles cohérentes. En premier lieu, la recherche doit être encouragée afin de bâtir notre modèle économique sur la connaissance et l'innovation. Mais une telle économie de l'innovation ne saurait exister ni être socialement soutenable si nous ne menons pas parallèlement une politique ambitieuse en matière de développement des compétences. C'est là un double défi à relever : un, améliorer la compétitivité de notre économie par l'innovation ; deux, développer le niveau de qualification.

Il est donc urgent de mieux organiser la recherche publique, de lui donner des moyens supplémentaires et d'accompagner le développement des capacités de R et D des entreprises. Les politiques structurelles visant au développement à grande échelle de technologies avancées doivent constituer une priorité nationale et européenne, même si les coûts à court terme sont considérables. Quant à la recherche privée, elle doit être soutenue, notamment par des allégements fiscaux. Ainsi la relance de grands programmes technologiques, combinée au développement des pôles de compétitivité, permettrait-elle à la France de créer de véritables gisements d'emplois durables et qualifiés. Il faudra veiller tout particulièrement à une coordination renforcée des aides publiques et privées.

Les pôles de compétitivité, créateurs de synergies, illustrent cette volonté de dynamiser et de pérenniser le tissu industriel. Ils réuniront, sur un même emplacement géographique, des entreprises, des centres de recherche, d'enseignement, de formation et des plates-formes de transfert de technologie d'un même secteur. Ils concerneront la haute technologie mais devraient également permettre le développement et la coopération dans des activités de pointe à forte valeur ajoutée, dans des secteurs traditionnels comme le textile ou le bois, à l'instar de pays comme la Finlande, qui n'a pas perdu, en dix ans, un seul emploi dans le textile.

Je vous ferai part d'une expérience personnelle. Ayant assisté et participé à la création et au développement d'une école d'ingénieurs dotée d'un centre de recherche et d'une plate-forme de transfert technologique, j'ai été frappé de constater que certaines PME ne percevaient pas, au départ, la nécessité d'une telle structure, alors qu'une fois celle-ci mise en place et les outils créés, elles savaient parfaitement en tirer profit, développer leur activité et innover.

Le second défi est celui du développement du capital humain. En effet, les travailleurs peu qualifiés, qui se sont trouvés en première ligne dans les restructurations industrielles, sont engagés dans une double impasse : la concurrence internationale porte essentiellement sur le travail non qualifié ; en France, la demande de travail concerne en priorité l'emploi qualifié.

Dans une économie de l'innovation, qui doit être celle de la France, le lien entre niveau de formation et emploi est évident. Aujourd'hui, le taux de chômage des personnes non qualifiées est trois fois plus élevé que celui des personnes qualifiées. Les politiques d'allégement de charges sur les emplois non qualifiés se sont multipliées mais il semble aujourd'hui qu'elles doivent être accompagnées par de réelles politiques structurelles, visant à l'amélioration générale du niveau de formation. Seul ce type d'action permettra une adaptation de la main-d'œuvre.

Agir sur la formation initiale comme sur la formation professionnelle, créer de vrais pôles de compétences, encourager le caractère évolutif des carrières, instaurer une véritable culture de l'innovation : tels doivent être les axes d'une politique de l'emploi refondée.

Des politiques volontaristes doivent être menées au niveau de la formation initiale, mais aussi de la formation tout au long de la vie. Il faut ainsi mettre fin aux peurs provoquées par la mondialisation en promouvant la sécurisation des parcours professionnels.

Si plus de temps m'avait été imparti pour m'exprimer, j'aurais aimé évoquer le rôle central que doit jouer l'Europe dans une politique commune visant à améliorer notre compétitivité et à construire un modèle de croissance durable fondé sur la croissance et l'innovation, comme l'a défini le Programme de Lisbonne adopté en 2000 par les États membres.

Pour conclure, je veux retenir que recherche, innovation et formation sont les facteurs de croissance essentiels. Cette économie de la connaissance est basée sur deux piliers : une politique très volontariste de soutien à l'innovation et l'amélioration générale de la qualification de la main-d'œuvre.

Il s'agit donc de développer les conditions nécessaires à la création d'entreprises à haute valeur ajoutée, riches en emplois et très compétitives sur le marché international. Les délocalisations ne doivent pas être perçues comme une fatalité ou un facteur de déclin et ne sonnent pas le glas de la puissance industrielle française. Elles doivent nous stimuler. Une politique technologique et industrielle reposant sur l'excellence de nos compétences exige que nous dépassions nos craintes, que nous fassions preuve d'audace et de créativité. C'est là le prix de la survie de notre économie et de notre modèle de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marcel Bonnot.

M. Marcel Bonnot. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, j'imagine, à ce point du débat, que vous ne comptez pas sur un député de sous-préfecture pour faire avancer la question si importante des délocalisations.

M. Jean-Paul Charié. Vous êtes un député de la République française !

M. Marcel Bonnot. J'appartiens toutefois à ceux et à celles qui ne sont pas frappés de cécité pour occulter l'évidence que constituent les délocalisations. Il ne se passe pas de semaine sans qu'une entreprise n'annonce son intention de délocaliser une partie de sa production à l'extérieur de nos frontières. Cet été, la résonance de ce débat s'est accrue, sous l'effet du chantage dangereux et malsain exercé par certaines entreprises auprès de leurs salariés, leur laissant le choix cornélien entre une baisse de salaire ou la délocalisation de leur outil de production.

Même limitées en nombre, ces évasions industrielles nourrissent chez nos concitoyens la crainte dans l'avenir et n'incitent pas au retour de la confiance. Elles fragilisent notre cohésion sociale et notre tissu industriel. Il était donc légitime que notre conscience politique soit interpellée par les délocalisations.

Face à ce phénomène mondial, la puissance publique ne doit pas baisser les bras et s'en remettre aux seules lois du marché et de la concurrence. Le constat a été dressé ce matin, à la tribune, par les voix les plus averties : rupture historique et mutation de l'économie mondiale, manque d'attractivité de la France en ce qui concerne la fiscalité et les charges de l'entreprise, 35 heures - autant d'épouvantails -, environnement social rigide, difficulté à constituer une Europe industrielle, afin de ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Mais s'arrêter à un constat, c'est faire la preuve de son incapacité.

C'est la raison pour laquelle je suis persuadé avec vous, monsieur le ministre d'État, que le processus de délocalisation n'est pas inéluctable, que ses effets peuvent être assouplis et que les causes qui y conduisent peuvent être en partie supprimées, si toutefois nous en avons la volonté au niveau national et au niveau communautaire. C'est à cette tâche que le Gouvernement et vous-même vous attachez, notamment en créant des pôles de compétitivité. Ce dispositif correspond parfaitement à l'attente des acteurs du développement économique du Pays de Montbéliard, de la Franche-Comté et du sud de l'Alsace.

L'espace géographique que constitue le Pays de Montbéliard-Sochaux souffre depuis un certain nombre d'années. J'ai déjà eu l'occasion de dire, à cette tribune, que le centre de production de Sochaux de PSA comptait 43 000 emplois en 1978 et seulement 15 000 à l'heure actuelle. Il y a deux ans, dans cette assemblée, j'interpellais le ministre responsable - qui n'est plus en activité - pour attirer son attention sur la suppression de 3 000 emplois. Il me fut répondu que cela n'était que rumeur. J'invite cet ancien ministre à venir voir la tête de la rumeur. Ce même espace géographique, économique et social compte 14 % de chômage. Et PSA construit une usine en République tchèque : c'est la délocalisation. Hier soir, lors d'un conseil de la communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard, un groupe important d'ouvrières et d'ouvriers est venu en pleine séance clamer son désarroi face à la délocalisation qui les frappe.

La région de Franche-Comté a cependant une tradition industrielle, qui se conjugue aujourd'hui avec le pôle industriel du nord de la Franche-Comté, constitué du site PSA, des sous-traitants automobiles qui l'entourent, mais aussi de plusieurs laboratoires de recherche et développement et de l'université technologique Belfort-Montbéliard et sud de l'Alsace, qui forme des spécialistes en hautes technologies. Sont également liés plusieurs réseaux d'entreprises, de structures de formation, de centres de recherche et d'universités.

Ce secteur géographique constitue le premier pôle français en ingénierie automobile, hors région parisienne, avec 5 000 cadres ingénieurs, autour du centre d'expérimentation PSA de Belchamp et de trois centres de recherche et développement de l'entreprise Foressia.

On constate par ailleurs l'émergence de la recherche publique à l'université technologique de Belfort-Montbéliard, à l'université de Franche-Comté et à l'université de Haute-Alsace, autour des thématiques du multimédia embarqué, de la simulation des flux ou encore de l'ergonomie des postes de conduite ou de travail. Voilà des éléments qui me permettent d'espérer en un éventuel pôle de compétitivité.

En tout cas, loin de la glu idéologique et des théories anesthésiantes, c'est avec pragmatisme et sur le champ des réalités que nous voulons aborder avec vous, monsieur le ministre, le problème des délocalisations, avec la même efficacité que vous avez abordé celui de l'insécurité qui frappait, hier, notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Luc-Marie Chatel, dernier orateur inscrit.

M. Luc-Marie Chatel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, on voit bien, au terme de cette matinée d'échanges, que les délocalisations sont devenues un des sujets de préoccupation majeurs de nos concitoyens. Un sondage récent, paru dans L'Humanité mais émanant d'un institut très sérieux,...

M. Alain Bocquet. L'Humanité est un journal très sérieux aussi !

M. Luc-Marie Chatel. ...indiquait qu'un ouvrier sur trois craint personnellement pour son emploi à cause des délocalisations.

À la suite des débats nourris que nous avons eus, on peut retenir que nous devons éviter deux écueils et proscrire deux attitudes.

Il ne faudrait pas minimiser le phénomène. Aujourd'hui, c'est vrai, nous commençons à entendre exposer une certaine pensée unique, comme d'autres sur d'autres sujets, selon laquelle les délocalisations ne représenteraient que 4 % des questions d'emploi, c'est le cours de l'histoire, et selon laquelle on peut être ouvrier depuis trente ans sans avoir à s'inquiéter car l'on deviendra un formidable « chargé des nouvelles technologies » dans une grande entreprise !

Nous savons, les témoignages ont été nombreux ce matin, le lourd tribut qu'ont payé nos bassins de vie, certains territoires fortement industrialisés, à ces délocalisations.

La deuxième attitude consisterait à hurler avec les loups. Certains prétendent que notre industrie est un désastre, qu'elle est appelée - là encore, ce serait le cours de l'histoire - à disparaître inéluctablement. Si c'est vrai, comment expliquer que nous enregistrions le niveau d'industrialisation des États-Unis ? Comment expliquer aussi que, l'année dernière, plus de cinq cents entreprises étrangères se soient implantées dans notre pays, pour de la production, et que cela ait contribué à la création de plus de 30 000 emplois ?

Comment expliquer d'autres phénomènes encore ? Que le Japon, par exemple, soit aujourd'hui le pays de l'OCDE le plus industrialisé - 33 % - alors que le coût de la main-d'œuvre y est le plus élevé ? C'est un contre-exemple notoire.

Ensuite, il faut agir, sans démagogie, avec lucidité et volontarisme, ce que le Gouvernement a commencé à faire. On voit que se dessinent trois axes majeurs pour cette action.

Il s'agit d'abord de conforter l'acquis et nos points de force, donc de soutenir les grandes réussites industrielles qui nous ont permis de marquer des points au niveau international : Alstom, EDF, Airbus, demain Galileo et ITER. Les contrats gagnés à l'international sont liés à ces grands programmes de recherche industrielle nés il y a quelques années.

Nous accueillons d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt la mission qui a été confiée à M. Beffat pour rechercher les programmes industriels de coopération de demain qui nous permettront d'exporter notre savoir-faire.

En second lieu, il s'agit de promouvoir un esprit de conquête grâce aux pôles de compétitivité, en renforçant les liens entre recherche, emploi, formation et établissements supérieurs. Ainsi, notre pays deviendra beaucoup plus attractif, comme l'a montré dans son rapport notre collègue Sébastien Huygue.

Une stratégie de conquête, c'est aussi se positionner sur les bons créneaux. Souvenons-nous que 10 % seulement du prix de vente final d'un téléviseur fabriqué en Chine vient de la partie chinoise, les 90 % restants sont hors de Chine. À nos entreprises de se positionner sur les créneaux à forte valeur ajoutée, qui ne sont pas, pour cet exemple du téléviseur, dans la production initiale.

Enfin, beaucoup d'entre nous l'ont évoqué, les emplois de service constituent un véritable gisement. Ils doivent constituer des relais de croissance pour notre économie.

Le troisième axe d'action - et ce n'est pas le moindre - réside dans la notion d'aménagement du territoire. Il disparaît en France chaque jour environ 10 000 emplois, mais il s'en crée autant. Or nous savons tous que ce n'est pas au même endroit. Il importe donc que l'État joue le rôle d'aménageur du territoire et qu'il soit capable d'anticiper mieux ces mutations, en partenariat avec les entreprises, bien sûr, ainsi qu'avec les régions. Il faut être capable de travailler sur des reconversions, sur des processus de formation permanente des salariés, de manière à ce qu'ils puissent s'adapter à d'éventuelles mutations de leur bassin de vie ou de leur entreprise.

Mes chers collègues, nous l'avons vu au cours de nos débats - et je tiens à remercier le président de notre groupe d'avoir choisi ce thème pour la niche parlementaire -, sur tous ces sujets, il était important de confronter nos points de vue. Nous faisons confiance au Gouvernement pour prendre des dispositions dès la loi de finances. Nous avons déjà connaissance de certaines d'entre elles, monsieur le ministre. En tout cas, le groupe UMP restera à la pointe du combat contre les délocalisations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Naturellement, compte tenu de la richesse du débat, le Gouvernement répondra aux parlementaires. Mais compte tenu de l'heure, ils comprendront que je ne réponde qu'à ceux qui sont présents ! Croyant dans les valeurs du mérite et de la récompense, je ne trouve pas anormal de privilégier ceux qui ont tenu le coup ! (Sourires.)

Monsieur le président Méhaignerie, vous avez proposé, outre une analyse que je partage totalement, un allégement des règles et des structures. Je vais, à mon tour, vous faire une proposition : pourquoi ne pas lancer une commission de la réforme de la réglementation économique, composée de parlementaires, de juristes et d'entrepreneurs ? Les Néerlandais l'ont fait, les Danois sont en train de le faire, et ils en espèrent un point de croissance du PIB de plus !

Je suis persuadé, et nous aurons l'occasion d'y revenir avec le rapport Camdessus, qui devrait constituer un événement aussi important que le rapport Rueff-Armand, qu'il existe des freins spécifiques à la croissance en France. Il est temps d'en parler.

Monsieur Besson, pourquoi polémiquer sur un problème aussi grave ? Je ne détiens pas la vérité, mais vous pas davantage. Je vous appelle à un peu de réflexion. Vous étiez de ceux qui étaient très attentifs à la mode, assez grotesque, il faut bien le dire, de la « nouvelle économie ».

M. Éric Besson. Je vous défie de trouver un écrit de moi à ce sujet !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais je sais qui vous inspirait !

Vous étiez de ceux qui distinguaient deux secteurs. Le premier était celui des entreprises qui avaient des clients, dont on savait ce qu'elles fabriquaient, et qui, en général, réalisaient des bénéfices. Telle était la « vieille économie », qui ne présentait aucun intérêt au regard de la « nouvelle économie », celle de l'intelligence, dont voici les caractéristiques : on ne savait pas ce qu'elle fabriquait ; en général, elle n'avait pas de consommateurs ; mais elle levait des fonds, creusant ainsi des fossés considérables ! Et elle allait, prétendait-on, dévorer l'ancienne !

Ainsi, on nous démontrait qu'il n'y aurait bientôt plus de vendeurs de voitures parce qu'on irait acheter son véhicule sur Internet. Il suffit pour en douter de se souvenir que le récent Mondial de l'automobile a été fréquenté par 1 500 000 Français, qui y sont venus en famille, car avant d'acheter une automobile, on veut la regarder, la toucher, et en discuter en famille, précisément.

Après les témoignages de tous les députés présents, je veux redire que sous-estimer la gravité de la question des délocalisations est une erreur.

Quant à un amalgame avec la question de l'immigration, je n'en ai jamais fait, monsieur Besson : je sais d'où je viens ! C'est absurde ! Ne voyez pas un petit Le Pen derrière chacun de nous qui ne dit pas comme vous ; vous faites de la publicité au leader du Front national ! Je ne fais non plus aucun amalgame avec l'insécurité. J'ai dit, comme un certain nombre de vos collègues, que le parti socialiste et une partie de la droite étaient passés totalement à côté de l'insécurité. Maintenant, vous passez totalement - une partie de la droite aussi - à côté des délocalisations.

Que veulent les Français ? Qu'attendent-ils des responsables politiques ? Qu'ils ne passent pas à côté de leurs inquiétudes ! Ils ne nous demandent pas de réussir à tous les coups, M. Bonnot l'a dit, mais d'apporter des réponses. Ils n'exigent pas une obligation de résultat mais de moyens. Et rien ne les exaspère plus, à juste titre, que des gens qui prétendent tout savoir leur expliquent qu'ils n'ont pas de réponse à leurs problèmes et, pire, que leurs problèmes sont des fantasmes.

Je suis très satisfait d'avoir entendu des élus de terrain, à droite comme à gauche, dire que les délocalisations existent et qu'ils recherchent des solutions. Je regrette de constater, monsieur Besson, que vous n'êtes pas de ceux-là.

M. Éric Besson. Bien sûr qu'elles existent ! Nous attendons vos réponses, monsieur le ministre, pas votre diagnostic !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes aussi en désaccord sur le diagnostic !

M. Vercamer n'est plus ici. Il ne m'en voudra pas de ne pas lui répondre, mais que personne n'y voie un désaccord avec l'UDF !

Monsieur Bocquet, j'ai apprécié que vous distinguiez une « musique » dans mes propos. Ce n'est pas si mal ! Nietzsche n'écrivait-il pas qu'il fallait avoir une musique en soi pour faire danser le monde ?

Vous avez parlé de la sidérurgie. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos. Vous voulez une commission de contrôle des aides publiques. Pourquoi pas ? Je vous rappelle que, sur les 15 milliards d'aides publiques, il y a 10 milliards de subventions pour les 35 heures. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler que c'est une idée de gauche !

S'agissant de Vivendi, société que certains, ici, connaissent mieux que moi, je voudrais dire un mot du bénéfice mondial consolidé. Celui-ci existe, en France, depuis 1965, créé par le gouvernement du général de Gaulle. L'idée est assez géniale : il s'agit de pouvoir déduire les dettes contractées pour gagner des marchés à l'étranger des bénéfices réalisés en France. En tout état de cause, depuis 1981, bien que la gauche ait été plus longtemps au pouvoir que la droite, je ne sache pas qu'un seul de ses gouvernements soit revenu sur la question ! Si le bénéfice mondial consolidé était une injustice, elle avait largement le temps de la corriger.

En outre, l'agrément du bénéfice mondial consolidé n'est pas décidé par le ministre mais par une commission, la commission de l'agrément fiscal sur le bénéfice mondial consolidé. Le ministre ne fait que confirmer ou infirmer la décision de cette commission.

Monsieur Bocquet, la commission d'agrément fiscal dit depuis un an et demi qu'il faut accorder le bénéfice mondial consolidé. Devais-je, en tant que ministre des finances, refuser parce qu'il y a eu M. Messier ? Dans un tel cas, nous ne serions plus dans une économie de droit. Soit l'entreprise y avait droit, et le ministre doit accéder à cette demande, soit elle n'y avait pas droit. Il n'y a pas de mystère. Je tiens à votre disposition, monsieur le président Bocquet, les éléments qui ont motivé la décision écrite de la commission d'agrément fiscal, où siègent des gens aussi souples que le directeur général des impôts et la directrice de la législation fiscale. C'est le procès de ces fonctionnaires que vous intentez, monsieur Bocquet. Ou bien me reprochez-vous d'avoir imposé des créations d'emplois ? Il est vrai que cela ne s'était jamais fait et que je n'étais pas obligé de le faire. Mais va-t-on me reprocher d'avoir demandé plus que ce qui était prévu ?

Ma décision est totalement transparente. Et, s'agissant d'entreprises, elle n'a pas été prise en fonction de ce que l'on peut penser de tel ou tel chef d'entreprise.

M. Jean-Paul Charié. Ce n'est pas une question de personne !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je n'accable personne qui se trouve à terre. Ils étaient si nombreux à le glorifier quand il était au sommet...

Quand je vois l'accueil réservé aux call centers à Arles ou à Belfort, je demande aux parlementaires si j'ai eu tort de créer 300 emplois là où il n'y avait rien. Naturellement, monsieur Bocquet, si vous pouvez faire mieux, j'attends vos propositions !

Par ailleurs, quand Vivendi gagnait de l'argent, pourquoi, alors que vous étiez au Gouvernement, vous et vos amis, ne lui avez-vous pas demandé ce que je lui demande maintenant qu'il subit des pertes ?

S'agissant de la BCE, je ne comprends pas pourquoi ses délibérations et ses votes ne font pas l'objet d'une publication. Je suis favorable à l'indépendance de la BCE, mais je ne comprends pas que ses votes sur les taux d'intérêt soient secrets. Une institution ne peut être indépendante sans être démocratique et la démocratie repose sur la transparence.

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela se pratique au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Nous sommes en droit de demander que cela se fasse aussi en Europe. C'est une spécificité sur laquelle il importe de revenir.

M. Alain Bocquet. Nous sommes d'accord sur ce point.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Gonnot, vous avez fait une remarquable démonstration en prenant l'exemple de Colgate-Palmolive. Vous verrez que, dans la loi de finances, le Gouvernement propose de renforcer notre dispositif de lutte contre les délocalisations fiscales artificielles. Il s'agit du fameux article 209 B du code général des impôts. J'espère, monsieur Gonnot, que nous aurons l'occasion d'en débattre. À la suite du rapport que m'a transmis Bruno Gibert, je ferai des propositions pour améliorer la réputation de notre régime fiscal. Car si une chose peut nous rassembler, c'est de reconnaître que nous sommes formidables contre des gens qui n'ont jamais fraudé, mais incapables d'éviter ces délocalisations artificielles. De même, s'agissant de l'immigration, nous sommes capables d'empêcher une tante de venir voir son neveu, mais impuissants face aux filières criminelles qui exploitent l'immigration clandestine.

Monsieur Gonnot, je vous assure que le Gouvernement sera attentif à ce problème.

Monsieur Migaud, je rends hommage à votre état d'esprit et à la présentation que vous avez faite de cette question. Certes, nous avons quelques désaccords. Mais quand un parlementaire de l'opposition dit partager mon constat, et être en désaccord quant aux solutions, je me dis qu'il a peut-être raison. Et je ne demande pas mieux, monsieur Migaud, que de chercher des passerelles pour mener une réflexion commune dans le cadre de nos débats.

Oui, il y a un problème et il faut du volontarisme pour le résoudre. Vous pensez que nous ne faisons pas assez. C'est votre droit et c'est classique dans l'opposition. Mais votre lucidité vous conduira à vous reconnaître dans cet adage : « Quand je m'ausculte, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure. »

M. Éric Besson. Je me désole et je me console !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai beaucoup apprécié votre intervention, monsieur Novelli, car, bien que libéral engagé, vous avez compris qu'une politique économique libérale n'est possible que si elle est perçue comme juste. Vous connaissez mes convictions : je ne pense pas que le libéralisme consiste pour un ministre des finances à rester assis, à ne rien dire et à laisser faire. Je suis intervenu pour Alstom et quand je vois la moisson de contrats que le Président de la République a ramenée de Chine pour Alstom, je me dis que je n'ai pas eu tort. Je suis aussi intervenu pour Aventis et Sanofi, mais cela ne remet pas en cause les convictions libérales que nous partageons.

Vous avez raison, il faut des mesures offensives. L'argent utilisé par les gouvernements successifs pour faire partir à la retraite des gens de cinquante-deux ans qui avaient encore tant à faire et à financer des plans sociaux aurait été bien mieux employé à financer l'innovation, la recherche et la création d'entreprises.

M. Jean-Paul Charié. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De même, réserver la politique sociale aux exclus - auxquels il faut, bien sûr tendre la main - en oubliant que la France qui travaille a aussi des aspirations sociales est une erreur. On peut avoir un appartement, une famille, un emploi et être en souffrance sociale, parce que les salaires sont faibles et la vie chère, notamment l'éducation des enfants. Par conséquent, la politique sociale doit aussi s'adresser à la France qui travaille.

Fort de votre expérience, monsieur Charié, vous avez plaidé pour qu'on mobilise toute notre énergie autour des bassins d'emploi et du commerce. Vous trouverez dans le rapport Camdessus des propositions précises, innovantes et fortes. Vous avez mille fois raison de dire que les services sont un gisement d'emplois porteur. Les services, c'est le commerce, mais aussi les familles.

M. Jean-Paul Charié. Absolument !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comment peut-on considérer comme juste que les familles soient fiscalement moins bien traitées que les entreprises ? Je le répète, il n'existe pas une seule entreprise qui paie l'IS sur la masse salariale. Pourquoi les familles devraient-elles payer l'IRPP sur les salaires et les charges des emplois à domicile ? Nous devons approfondir le débat sur la justice sociale. En effet, pourquoi Coca-Cola bénéficie-t-elle d'un meilleur traitement fiscal que la famille de M. Durand ou celle de Mme Dupont ? La question reste posée. Si l'entreprise peut déduire la masse salariale de ses bénéfices, la famille n'est-elle pas en droit de déduire de ses revenus les salaires et les charges qu'elle paie pour un emploi à domicile ?

C'est une question qui nous agite, avec Pierre Méhaignerie, depuis onze ans. Je rappelle qu'il y a environ 3 millions de chômeurs dans notre pays et que les gisements d'emplois dont parle à juste titre M. Charié sont également dans les familles. En outre, ceux qui obtiendront ces emplois sortiront du travail au noir et, sans qualification, bénéficieront d'un emploi stable tout en acquérant des compétences. Avec Pierre Méhaignerie, nous estimons qu'il faudra créer de véritables filières professionnelles, avec des conventions collectives, des perspectives salariales et des possibilités de carrière, comme d'ailleurs pour les agents de médiation et tous les nouveaux emplois dans les quartiers. Car que ferons-nous de ces jeunes qui nous rendent des services considérables quand ils auront fait le boulot pendant dix ou quinze ans ?

M. Jean-Paul Charié. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce serait terrible de les mettre dehors. De même, je ne pense pas qu'ils puissent être, à cinquante-cinq ans, agent de médiation dans les transports en commun ou dans les lycées.

Monsieur Habib, je vous remercie de votre analyse honnête. Ma démarche d'aujourd'hui trouve son origine au moment où M. Jospin, pour qui j'ai, à titre personnel, du respect, a parlé de Vilvoorde. Pour moi, cela a constitué une césure, ce qui arrive à chacun d'entre nous en politique. Certains événements sont si forts qu'on est obligé d'évoluer. Pendant des années, je pensais qu'on n'y pouvait rien et qu'il fallait laisser faire le marché. Puis, il y a eu Vilworde et, ensuite, la double peine. À ce moment précis, j'ai refusé le fatalisme pour une simple raison : les gens attendent autre chose de nous.

M. Éric Besson. Est-ce sous Jospin ou sous Balladur que cela vous est arrivé ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez dit, monsieur Habib, et c'est une belle phrase : « Créer des emplois est une vertu, en détruire est une faute. » Tous les jours en France, 10 000 emplois sont créés et 10 000 sont détruits. Par conséquent, malgré la proximité de nos analyses, je ne peux pas considérer toute destruction d'emploi comme un mal absolu. On l'avait compris même en Union soviétique.

Monsieur Vanneste, la règle du de minimis ne s'applique pas aux allégements de charges et aux subventions. Il s'agit d'une règle fiscale. C'est pourquoi nous avons intégré la question des allégements de charges dans les pôles de compétitivité.

À propos de ces pôles, monsieur Nicolin, je crois en l'avenir du textile.

M. Yves Nicolin. Nous aussi !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bien que ce sujet me passionne, je serai bref. Aujourd'hui, dans les usines textiles, le personnel ne sert plus à produire, mais à surveiller les machines. L'aide de l'État doit donc être destinée à acquérir de nouvelles machines, le personnel étant chargé de les entretenir et de surveiller le processus de fabrication. On peut faire pour le textile ce que l'on a fait pour l'automobile. Nous avons de grandes régions de tradition textile et, je le dis aussi à M. Heinrich, nous ne devons pas baisser les bras.

Car, le jour où il n'y aura plus de textile, de métallurgie, de sidérurgie, d'automobile, de construction navale, que restera-t-il ? Des banques, des compagnies d'assurance et des parcs de loisirs ! C'est utile, certes, mais, s'agissant des Chantiers de l'Atlantique, mon raisonnement est le suivant : on met des décennies à créer un savoir-faire industriel et si, en quelques mois, on le laisse tomber, il ne faut pas croire qu'on le retrouvera. Dans nos industries, textile et navale, comme on n'embauche plus, la moyenne d'âge augmente et les jeunes n'apprennent plus le savoir-faire des anciens. C'est ainsi, comme vous l'avez dit, qu'on perd la mémoire industrielle d'un pays. Je pense que ceux qui ont su fabriquer le Queen Mary ne sont pas à mettre en balance avec une discussion de deux heures face à Mario Monti, au terme de laquelle on apprend qu'un chantier naval peut être gênant. Ce qui me gêne, pour ma part, c'est qu'il n'y en a plus, d'autant que le marché de la croisière se développe.

Monsieur Gorce, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

M. Gaëtan Gorce. À qui le dites-vous !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous le savez, l'investissement en matière de recherche peut demander des années avant qu'on en recueille les fruits. Aussi, ne pouvez-vous reconnaître une petite part de responsabilité dans la situation de notre recherche ? La politique de recherche en France aurait-t-elle commencé à se dégrader il y a seulement deux ans et demi ? Un homme aussi intelligent que vous, monsieur Gorce, comprend sans doute que tel n'est pas le cas. Quand vous dites : « Regardez la situation de notre recherche ! », ne voyez-vous pas que vous vous tirez une balle dans le pied ? Qui peut penser que la situation de notre recherche s'est dégradée il y a deux ans et demi ? Elle était brillante il y a deux ans et demi et elle se serait brutalement cassé la figure ? (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous avez le sens de l'humour, monsieur Gorce, aussi, je n'insiste pas car ce serait trop cruel !

Monsieur Hamel, il est intéressant de parler de ces questions, non avec des économistes, mais avec des femmes et des hommes qui vivent sur le terrain. J'ai bien noté vos propositions concernant les friches industrielles, qu'il faut creuser dans le cadre des obligations de réindustrialisation. Je n'accepte pas qu'une grande entreprise soit restée trente ou quarante ans sur un territoire et qu'elle décide un jour de s'en aller en laissant le préfet se débrouiller avec la dépollution et le Gouvernement avec les problèmes sociaux. Pour ma part, j'estime que nous devons créer des obligations pour certaines grandes entreprises.

Le problème est qu'une PME, en réalité, cela n'existe pas. C'est plus une notion politique qu'une donnée économique, dans la mesure où certaines PME ont des marques d'ampleur internationale. C'est un point sur lequel il faudra travailler.

Monsieur Nudant, un gouvernement aime sentir que des parlementaires partagent son analyse et n'hésitent pas à le dire. Je vous en remercie.

M. Liebgott n'étant plus là, je réponds maintenant à M. Nicolin. Je ne crois pas au protectionnisme, mais à la réciprocité. Or j'observe que nous sommes toujours les premiers à appliquer les règles de l'OMC. N'est-ce pas formidable ? J'ai déjà connu ce problème - peut-être vous en souvenez-vous - en 1993, avec l'affaire des fleurs coupées. Nous étions en effet l'un des rares pays en Europe à appliquer sur ces produits le taux de TVA moyen, alors que les Hollandais ne l'avaient pas encore fait. Bien que l'on m'ait assuré que ce n'était pas possible, j'ai donc décidé de rétablir un taux réduit sur les fleurs coupées en assurant que le jour où tous les pays concernés se seraient mis au niveau, la France suivrait. Ce jour n'est toujours pas arrivé. Onze années se sont pourtant écoulées depuis l'époque où j'étais ministre du budget.

Il est facile de publier une tribune dans les Échos sur le thème : « les délocalisations sont un faux problème », mais, pour l'habitant de Roanne, où sont situés Giat et une importante industrie textile, c'est un vrai problème ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et moi, je me sens du côté de cet habitant, qui avait l'habitude de travailler pour la défense ou pour le textile, mais pas de lire, dans ce journal ou dans un autre, les leçons que donne une personne qui, elle, n'a jamais mis les pieds à Roanne !

Par ailleurs, j'ai déjà dit ce que je pensais des pôles de compétitivité, dans votre circonscription ou ailleurs.

Merci, madame Gallez, pour les exemples que vous avez cités à la tribune. C'est exactement ce que souhaitent les gens, parce qu'ils s'y reconnaissent. Vous ne prenez pas une voix de stentor ; vous ne vous prévalez pas d'une agrégation d'économie ; vous rappelez seulement que vous avez été élue pour parler des problèmes des gens et essayer de trouver des solutions - et c'est dans ce but que vous montez à la tribune.

Eh bien, chère madame, c'est exactement ce que j'essaie de faire. Et c'est parfois beaucoup plus intéressant qu'un rapport de la direction du trésor. Non que celle-ci n'ait rien d'intéressant à dire, mais la mise en pratique, cela compte aussi. En transmettant ce que certains sont venus vous raconter, vous apportez ce qui manque le plus à la politique : une part d'humanité, de concret, de réel.

Avoir cette vision du réel n'empêche pas de tenir un raisonnement, mais il permet d'en gommer les aspérités et de le rendre plus compréhensible. C'est pourquoi je me sens proche de vous : j'estime que, quand les gens ne comprennent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont bêtes, mais parce que nous ne savons pas expliquer. Chaque fois, en effet, qu'un politique veut changer le peuple, cela se termine mal : c'est plutôt le peuple qui le change.

De votre intervention, je tirerai une seule conclusion : le monde est complexe, et la réponse à cette complexité est la flexibilité. Celle-ci ne constitue pas une menace.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Absolument !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes face à un monde complexe, et que - disons-le clairement - nous comprenons avec difficulté. Peut-être sommes-nous sommes assez savants pour expliquer a posteriori les raisons du retour de la croissance, ou celles de son absence, mais au moment où les événements se déroulent, nous ne savons rien.

J'étais samedi à New York à l'occasion du G7. Alan Greenspan - un grand monsieur très jeune en dépit de ses soixante-dix-huit ans - y a prononcé un discours très brillant. Je ne suis pas certain d'avoir tout compris, si ce n'est, au moins, une chose : la seule façon de répondre à la complexité est la flexibilité.

M. Jean-Paul Charié. Très bien ! Il faut de la souplesse !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il n'est pas de meilleure explication de la flexibilité. Celle-ci n'a rien d'idéologique ; elle n'est pas du tout destinée à faire du mal, à privilégier les riches ou pénaliser les pauvres. Elle est une preuve d'humilité : ne connaissant pas tous les ressorts de l'économie - en particulier de l'économie internationale -, on doit pouvoir s'adapter le plus rapidement possible. C'est un principe qui vaut toutes les leçons d'économie, et même s'il n'est pas digne du prix Nobel, les gens sont capables de le comprendre.

M. Jean-Paul Charié. En effet, c'est limpide !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Heinrich, je salue d'autant plus votre clairvoyance que vous êtes l'élu d'une région où, quand on évoque les restructurations, on sait de quoi on parle. Vous avez parfaitement raison de parler d'une « économie de la connaissance ». Par ailleurs, vous l'avez noté, les pôles de compétitivité ne concernent pas uniquement le « high-tech ». Je refuse de ne m'intéresser qu'aux nanotechnologies, aux « salles blanches » et à tout ce qui s'y apparente. Non seulement les industries traditionnelles ont également un avenir, mais la technologie peut intervenir dans les domaines du meuble, du cuir, du textile, de la porcelaine. Au salon de la microtechnique, à Besançon, on m'a ainsi montré des choses fabuleuses ! En matière d'innovation et de recherche, investir uniquement dans la haute technologie serait donc une erreur. Il faut également investir dans les industries traditionnelles.

Monsieur Bonnot, il n'y a pas, à mes yeux, de « député de sous-préfecture », mais seulement des députés de la République française. En vous faisant l'interprète, auprès du Gouvernement, des craintes exprimées par vos concitoyens, qui s'interrogent sur l'avenir de leurs enfants, vous faites votre travail. Le nôtre est d'y répondre.

Je n'ai pas l'intention de constituer un précis de mes idées économiques, dont tout le monde se moque ; je dois rendre compte des résultats de mon action. Qu'ai-je fait pendant les huit mois que j'ai passés au ministère des finances ? Qu'est-ce qui a bougé, avancé ? Quelles sont les réponses ? Qu'ont compris les gens ? Voilà ce que l'on attend de nous.

J'ai tout compris de votre intervention, monsieur Bonnot. Ce n'est déjà pas mal. Nous devons être attentifs à ne pas développer des raisonnements si compliqués que personne, y compris nous, ne peut les comprendre. Ne disons pas : « ces événements nous dépassent ; feignons d'en être les organisateurs ! ».

Si les délocalisations ne sont pas un vrai problème, comment peut-il se trouver vingt et un orateurs - parmi tant d'autres, qui auraient voulu venir mais n'ont pu le faire, ou qui se sont dit : « à quoi sert-il que je vienne ? » - pour nous en donner des exemples ?

Quand quelqu'un vient vous interroger au sujet de l'emploi dans votre région, que vous soyez de droite ou de gauche, vous ne pouvez pas vous contenter de dire : « on n'y peut rien, le monde sera meilleur dans vingt-cinq ans ». Vous êtes obligé de donner des réponses concrètes. C'est l'objet du débat budgétaire que nous aurons bientôt.

M. Chatel, enfin, connaît bien ces questions : il est l'élu d'une région qui a beaucoup souffert des délocalisations. Il est vrai, monsieur Chatel, qu'il ne faut ni minimiser, ni dramatiser. Minimiser, c'est grave ; dramatiser, c'est perdre l'espoir.

Il faut prendre la liberté de débattre de ces questions. Je suis fatigué, en effet, que nous ne puissions discuter librement des délocalisations, de l'insécurité, de l'immigration ou de l'Europe à cause de la pensée unique qui domine dans notre pays.

On peut parler de l'Europe sans y être opposé ; évoquer la monnaie sans être irresponsable ; dire des choses sur l'immigration sans être un raciste, ou sur l'insécurité sans être un démagogue. De même, on peut parler des délocalisations sans faire honte à personne : c'est ce que nous avons fait ce matin, monsieur le président. Sur tous les bancs s'est manifestée une volonté de comprendre le problème afin de répondre aux peurs de notre société. C'est ainsi que nous éviterons que des extrémistes parlent à notre place. À cet égard, cette matinée fut, me semble-t-il, une matinée utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé le débat sur les délocalisations et l'attractivité de la France.

4

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au vendredi 29 octobre inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents.

Par ailleurs, le Gouvernement a communiqué, en application de l'article 48, alinéa 5, du règlement, le programme de travail pour les prochains mois. Ces documents seront annexés au compte rendu.

La Conférence des présidents a également décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 auraient lieu mardi 2 novembre, après les questions au Gouvernement.

5

CALENDRIER DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. La Conférence des présidents propose à l'Assemblée de suspendre ses travaux, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution :

    - la dernière semaine de décembre 2004 et les deux premières semaines de janvier 2005 ;

    - la dernière semaine de février 2005 ;

    - les deux dernières semaines d'avril 2005.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

6

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion du projet de loi, n° 1326, autorisant l'approbation de la convention européenne du paysage :

Rapport, n° 1632, de M. Roland Blum, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1349, autorisant l'approbation du protocole sur l'eau et la santé à la convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux :

Rapport, n° 1631, de M. Guy Lengagne, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1415, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord maritime entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam :

Rapport, n° 1615, de M. Jean-Claude Lefort, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1416, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud concernant la navigation de commerce et autres matières maritimes connexes :

Rapport, n° 1616, de M. Eric Raoult, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1429, autorisant la ratification de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées à une peine privative de liberté entre la République française et la Fédération de Russie :

Rapport, n° 1713, de M. René André, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1438, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Madagascar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements :

Rapport, n° 1620, de M. Richard Cazenave, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1511, autorisant l'adhésion au protocole de 1997 modifiant la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le protocole de 1978 y relatif (ensemble une annexe et cinq appendices) :

Rapport, n° 1619, de M. Jean Glavany, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1626, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Ouganda sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements :

Rapport, n° 1707, de M. Henri Sicre, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1627, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Zambie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements :

Rapport, n° 1707, de M. Henri Sicre, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1628, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole) :

Rapport, n° 1707, de M. Henri Sicre, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Discussion du projet de loi, n° 1636, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Djibouti relative à la situation financière et fiscale des forces françaises présentes sur le territoire de la République de Djibouti :

Rapport, n° 1714, de M. Philippe Cochet, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Procédure d'examen simplifiée ; art. 107 du règlement)

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1614, relatif au développement des territoires ruraux :

Rapport, n° 1828, de MM. Yves Coussain, Jean-Claude Lemoine et Francis Saint-Léger au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

À vingt et une heure trente, troisième séance publique ;

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinquante-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral
      de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot